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Jean-Loïc Le Quellec *
Résumé : La littétature saharienne regorge de réfé- Abstract : The Saharan literature is full of references
rences à de prétendus bétyles et autres idoles, qu’un to so-called betyls and other idols, but a critical re-
examen critique de la documentation avérée confirme view of the established literature rarely confirms their
rarement. L’existence possible de rituels élaborés existence. The possible presence of rituals elaborated
sur des métaphores sexuelles n’implique aucunement on sexual metaphors does not imply the existence of
l’existence de « cultes phalliques ». “phallic cults”.
rêver quiconque voyage dans les livres, mais pierre-figure reprise et complétée »… ce qui
fausse. Aucune « forme monumentale » de n’empêche pas l’auteur de suggérer que le sil-
ce type n’a jamais été découverte ni dans la lon longitudinal visible sur cet objet pourrait
Tasīli-n-Ăjjer, ni ailleurs au Sahara central. représenter une subincision (Gobert 1952 :
Si l’on en croit par ailleurs Ladislas Ségy, 43). Quant à la seconde pièce (Fig. 2), c’est
auteur d’un article sur le symbolisme phal- une « petite pierre calcaire […] décorée de
lique en Afrique (Ségy 1955), les « monolithes quatre rangées verticales de petites incisions
phalliques » seraient nombreux au Sahara, parallèles et de deux sillons plus profonds » ;
du Nord de Biskra et de l’Ahaggar jusqu’au Pierre Cadenat, qui lui trouve un « aspect net-
Sud-Saharien et le plateau nigérien central. tement phalloïde », écrit qu’elle ressemble
Or la vérification des sources mentionnées « étrangement à une idole phallique » (Cade-
par cet auteur montre qu’il n’en est rien, car nat 1963a : 43, 1963b : 28).
elles se réduisent essentiellement aux pierres Ces objets sont trop peu véristes pour que
levées dénommées bddn (ǝbdaden) par les leur interprétation soit certaine. Après les Fig. 2. Objet
Touareg de l’Ăhaggar, lesquelles n’ont rien de avoir mentionnés, Henriette Camps-Fabrer trouvé en surface
phallique (Benhazera 1908 : 78-79). rappelle que « les stèles d’aspect phallique à la station du
ne manquent pas dans la Préhistoire, et leur Cubitus, près de
En réalité, l’inventaire des pierres phal- Tiaret, et considéré
lomorphes du nord de l’Afrique et du Sahara caractère prophylactique est indubitable », comme une « idole
— rares et jamais « monumentales » — se mais la première partie de cette affirmation phallique » par
limite à deux exemplaires : une « petite pièce ne peut s’appuyer que sur des exemples euro- Pierre Cadenat,
phalliphorme » mise au jour à el-Mekta, la péens, et la seconde sur une documentation qui l’attribue au
Capsien supérieur
station princeps du Capsien (Gobert 1952 : romaine (Camps-Fabrer 1966 : 247). Quant à L = 45 mm (d’après
fig. 22), puis une « idole phallique » trou- la « sculpture » trouvée en 1941 par le lieute- Cadenat 1963b :
vée en surface à la station du Cubitus, près nant L’Helgouach entre le plateau de Timissao photo. 1, modifiée).
Fig. 5. Les
« bétyles » ou
« idoles kiliô-
lithiques » de
Tabalbalet in situ,
d’après la photo du
capitaine Touchard,
ici recadrée (Fla-
mand & Laquière
1909 : fig. 1).
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et l’on a justement découvert des « bétyles » Jacques Berlioz, les éditeurs les plus récents du
dans la Tasīli-n-Ăjjer, donc ceux-ci attestent Premier mythographe du Vatican, notent bien
de « croyances » ayant perduré au cours des que « Le nom et la propriété de la pierre ont été
âges jusqu’à nos jours (puisque le nombre ajoutés par le compilateur » (Zorzetti & Ber-
des « bétyles » du plateau d’Iherir a augmenté lioz 1995 : n. 303).
au cours des années 1970). Ce sophisme est Par ailleurs, la source des associations
d’autant moins convaincant que certains des- d’idées pratiquées par Marceau Gast se trouve
dits « bétyles » ne sont l’œuvre d’aucun sculp- sans conteste chez le docteur Gobert :
teur (étant naturels, comme on l’a vu) et que la « Joseph Desparmet n’a pas manqué de
synonymie des termes abaddir et bétyle, bien rechercher dans le passé des précédents aux
Fig. 18. Bétyle de
que répétée par Gabriel Camps — « Abadir pratiques des Blidéens, ni manqué de les
forme phallique, désigne aussi un bétyle » (Camps 1984) — n’est trouver dans le culte des Abadirs que nous
en marbre blanc, pas convaincante ici. avons pris l’habitude d’appeler des bétyles.
haut de soixante- En effet, Saint Augustin (354–430) écrivit Les hommes varient peu et lentement : les
dix centimètres,
découvert à Motyé au Berbère Maxime de Madaure que les Car- Africains qui vénéraient les Abadirs ne diffé-
en Sicile (d’après thaginois honoraient des dieux appelés Abad- raient guère des Moghrébins d’aujourd’hui qui
une photographie dires (Poujoulat & Raulx 1864 : 535), mais montrent tant d’attachement à leurs pierres de
de Whitaker c’est le grammairien latin Priscien de Césarée prière » (Gobert 1948 : 54).
1921 : 278 et fig. C’est ce type de peudo-raisonnements, faits
48, modifiée).
qui, au vie siècle EC, a le premier considéré
que βαίτυλος et abaddir seraient synonymes : d’amalgames et d’associations non argumen-
« Abaddir ὁ βαίτυλος hujus abaddiris, lapis tées, qui, réifiés par des auteurs se recopiant
quem pro Iove devoravit Saturnus » (Krehl sans vergogne, permit finalement à Gabriel
1819, ii : 313). Entre 875 et 1075, le compila- Camps de conclure : « On sait que la litholâtrie,
teur anonyme qu’on appelle « Premier mytho- qui n’est pas complètement disparue dans les
graphe du Vatican » exposait à son tour qu’à campagnes nord-africaines, a des origines très
la naissance de Jupiter, comme « sa mère anciennes. » Eh bien non, on ne le sait pas, et
cachait son enfantement, elle donna à Saturne rien ne permet de souscrire à l’affirmation du
une pierre sculptée en forme d’enfant, qu’on même auteur stipulant que « Le culte des Abba-
appelle abadir (quam abadir uocant ), dont la dires mentionné par St-Augustin [sic] ne devait
nature est de bouger sans cesse ; le père s’en pas être très différent de la vénération que por-
saisit, la brisa de ses dents et l’avala » (Zor- taient les femmes touarègues aux idoles pré-
zetti & Berlioz 1995 : 61). Cette interprétation historiques, qu’elles fussent anthropomorphes
connut une longue fortune, mais tout porte à comme à Tabelbalet, ou zoomorphes ou anico-
croire que l’association de ce terme avec le niques comme à Tazrouk » (Camps 1984).
mythe de Saturne dévorant un gros caillou à la Certes, ce qu’on appelle, par commodité,
place de son enfant résulte d’une intervention « culte des pierres » est réputé avoir été répandu
érudite utilisant la matière lexicographique en l’Arabie préislamique, mais il s’agissait sur-
grecque pour commenter un terme punique tout, de la part des nomades, d’une anthropo-
(Zuntz 1945 : 184). Du reste, Nevio Zorzetti et morphisation des rochers et des montagnes,
selon un processus extrêmement répandu dans
le monde à toutes les époques (Durand 2003).
Edward Lipínski rappelle du reste que « les
Sémites n’ont jamais adoré les bétyles en tant
que pierres, mais seulement dans la mesure où
ils manifestaient la présence divine » (Lipiński
Fig. 19. Bétyle pro- 1995 : 76).
venant de la maison En conclusion, parler des blocs de Ta-n-
V1 de Khirbet ed- Ḫadīdja comme d’un « magnifique dépôt de
Dharih en Arabie bétyles » (Hachid 2000 : 295), et employer ce
(DAO d’après Le
Bihan 2013 ; fig. 1). terme pour désigner les autres objets mention-
nés précédemment est donc totalement inap-
proprié. Et l’on ne saurait renouer à ce propos
avec les naïvetés du « culte du phallus » en
vogue chez les mythologues du dix-neuvième
siècle (Dulaure 1805) fût-ce en les rajeunissant
par une nouvelle appellation telle que « culte du
membre viril » (Soleilhavoup & Duhard 2013 :
178). Ces façons de voir comptent au nombre
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« Idoles », « bétyles », « litholâtrie » et « culte phallique » au Sahara
des restes de science coloniale qui continuent Christian-Marc Boudin (1864), reprises sans
malheureusement d’encombrer la littérature sur aucun sens critique par Jacques Marcineau
les images rupestres sahariennes, de concert (1979). Des phrases aussi fausses que « Le culte
avec les spéculations sur le prétendu « Bovi- du phallus se retrouve dans toute la civilisation
dien » (Duquesnoy 2018), les chronologies humaine » (Mattelaer 2000 : 8), écrites sans
bâties sur le paradigme paléontologique et la sourciller dans des livres destinés au grand
notion de fossile directeur (Le Quellec 2017 : public, continuent malheureusement de pré-
79), l’interprétation de quelques images par la senter cette notion comme une évidence. Tous
mythologie peule (Le Quellec 2002, Le Quel- les auteurs cités se contentent de compiler des
lec 2006) et l’archarnement de plusieurs auteurs représentations de phallus des plus diverses
à vouloir reconnaître sur les peintures et gra- pour en déduire l’existence d’un « culte » (au
vures des types anthropologiques physiques singulier !) supposé leur correspondre en les
obsolètes (Le Quellec 2017 : 83-84). justifiant. C’est tout aussi peu éclairant que
Ladislas Ségy, le contributeur de l’Encyclo- l’idée qui consisterait à collectionner des repré-
paedia Britannica qui voyait des « symboles sentations ou empreintes de mains de toutes
phalliques » partout en Afrique et particulière- les époques et du monde entier, comme le fit
ment au Sahara, était un critique d’art d’origine Armand Verbrugge (1996), pour en conclure
hongroise établi à Paris. Grand collectionneur à la pratique d’un seul et même « culte de la
d’art moderne et d’objets ethnographiques, il main » qu’on pourrait retrouver dans toutes les
émigra en Amérique en 1936 et ouvrit à New civilisations.
York, en 1950, la Segy Gallery, où il présen- Il ne devrait plus être possible aujourd’hui
tait sa collection de statuettes et masques afri- de prolonger davantage des interprétations à
cains (Anonyme 1951). Il a fortement contri- ce point contaminées par l’idéologie coloniale,
bué à la construction et à l’établissement des qui visait, selon la formule de Paul Valéry, à
stéréotypes sur « l’art africain » (encore un « ordonner à des fins européennes le reste
singulier !), et il joua un rôle de premier plan du monde » (Valéry 1931, contra : Lepenies
dans l’institutionnalisation d’un regard esthé- 2007). De même, on ne voit guère comment
tique sur les objets sélectionnés par les col- continuer à utiliser l’ancienne — et fort discu-
lectionneurs, puis les musées, en critiquant table — notion de « survivance » pour expliquer
les ethnologues qui se mêlaient d’évoquer leur les objets sahariens mentionnés plus haut…
contexte culturel (Mark 1998 : 9-10). Cet oubli Commentant plusieurs d’entre eux, Hen-
du contexte culturel conduit à pratiquer une riette Camps-Fabrer affirmait que « La survi-
approche essentiellement esthétisante de la vance de ces traditions se retrouve à l’époque
culture matérielle des autres, et à inventer de romaine où le phallus est utilisé comme apo-
grandes généralités, dont « le » culte du phallus tropée contre le mauvais œil », puis elle citait
est l’une des plus répandues. De concert avec d’autre exemples de semblables « suvivances »
des présupposés jungiens faisant du phallus un ou « persistances » au Portugal et au Japon
« archétype » par définition universel (contra : (Camps-Fabrer 1966 : 247, n. 6). Certes, les
Le Quellec 2013-a), cette posture permet de images de phallus apotropaïques sont bien
recycler indéfiniment les thèses controuvées connues dans l’Antiquité, et à Leptis Magna,
de Jacques-Antoine Dulaure (1805) et de Jean- en Tripolitaine (Fig. 20), « au coin de chaque
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rue […] un petit bas-relief soigneusement taillé & Allard-Huard 1973 : fig. 15), d’un phallus
sur le mur au milieu d’un cartouche à queue à Abéïor dans le wâdi Djérât, car les dessins
d’arronde […] représente un phallus pourvu de ces auteurs sont souvent erronés. Les rele-
de pattes, se précipitant sur le mauvais œil » vés de gravures effectués dans le même oued
(Charles-Picard 1954 : 238). Certes, d’autres par l’équipe d’Henri Lhote sont beaucoup plus
exemples de représentations phalliques pro- fiables, qui comportent un phallus piqueté, de
tectrices sont connus dans le prédésert libyen patine chamois foncé, long de 117 centimètres
(Hunt et al. 1986 : fig. 6) et en latin, un même (Lhote 1976 : n° 731). Également convaincante
mot, fascinus, désignait à la fois le phallus, un est la « représentation schématique de l’organe
maléfice ou un mauvais sort, et tout aussi bien sexuel mâle », gravée à Ghubari Road près de
les emblèmes phalliques utilisés pour s’en pro- Dakhla (désert oriental d’Egypte) et publiée par
téger (Souter et al. 1968 : 677, Ernout & Meillet Pavel Červíček (1986 : 58, 88, et fig. 414). En
2001 : 387). La fonction de ces figures est bien Ăhaggar, un phallus isolé, piqueté à Tadrek-n-
documentée par des textes (voir par exemple Elisabeth, d’âge incertain mais paraissant sur-
Horace, Satires, I, 8, 3-5), mais ce n’est pas chargé par des caractères tifinaγ, a été signalé
le cas pour les images de la Préhistoire. En par Franz Trost (1981 : fig. 694). Là encore,
l’absence de toute information sur leur signi- nous sommes dans l’incapacité de prouver que
fication, les secondes ne peuvent donc être ces images auraient porté un sens dépassant
considérées comme une « survivance » des des motivations individuelles. Rien ne permet
premières. donc de parler de « symbolisme » phallique, et
encore moins d’un « culte phallique ».
Au Mesāk, une gravure figurant un phallus
isolé (Fig. 21) rejoint les exemples ci-dessus :
elle pourrait avoir été intégrée à un symbolisme
phallique répondant à des codes précis, mais
Si l’on se fie aux publications disponibles, on ne peut dépasser le stade des suppositions
en s’en tenant uniquement aux images non à ce propos. Il serait du reste assez risqué de
1. Je ne retiens pas ambiguës 1, l’art rupestre est à peine mieux loti. construire un système interprétatif sur une poi-
les plus discutables Dans la Tasīli-n-Ăjjer, la peinture jaune figu- gnée d’images mal datées, sélectionnées parmi
des figures que rant un « Bovidé-phallus extrêmement conven- les innombrables figures rupestres actuelle-
j’avais listées dans
un précédent inven- tionnel », autrefois signalée par l’abbé Breuil ment connues au Sahara. Par contre, lorsque
taire, dont il m’ap- à Jabbaren, n’a pas été revue (Breuil 1954 : les représentations phalliques font partie d’un
paraît aujourd’hui fig. 58-c). On n’ose pas non plus avoir une ensemble dont la cohérence graphique et chro-
qu’il était bien trop grande confiance dans l’indication, par nologique ne semble pas devoir être mise en
trop indulgent
Paul Huard et Léone Allard-Huard (Huard doute, on se trouve devant des images contex-
(Le Quellec 1993).
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« Idoles », « bétyles », « litholâtrie » et « culte phallique » au Sahara
tualisées, pour lesquelles un début d’inter- gnage écrit ou oral, il nous est évidemment Fig. 23. Relevé de
prétation semble parfois possible. C’est le cas impossible de reconstituer le détail du mythe l’ensemble précé-
dent ; remarquer
d’un panneau de l’oued I-n-Eγahar (Mesāk) qui sous-tendit la réalisation de ces gravures, le bœuf doté d’une
sur lequel une « femme ouverte » est gravée il paraît d’autant moins aventureux de penser selle à pommeau en
entre un phallus et deux bovinés (domestiques, qu’il brodait sur l’association de la sexualité « V », le partenaire
puisque l’un d’eux est sellé) (Fig. 22 et 23). humaine à la fécondité du troupeau qu’il en maladroitement
rajouté sous la
À une date ultérieure, un petit partenaire existe d’autres exemples au Mesāk. À ce titre, « femme ouverte »,
masculin fut maladroitement ajouté sous la l’image examinée s’inscrit donc régionale- et le phallus en
femme, conférant à ce panneau un caractère ment dans un ensemble de figures dont les haut à droite.
descriptif qu’il ne possédait aucunement au référents sont fort probablement apparentés
départ, puisqu’à l’origine le phallus représenté (Le Quellec & Gauthier 1992, Le Quellec
seul à son côté témoignait d’un sectionnement 1998, fig. 141, 143). Le rôle important joué
du corps justifiant une expression non narra- par les canidés dans la symbolique sexuelle
tive de la sexualité. Si, en l’absence de témoi- des sociétés néolithiques du Sahara central
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« Idoles », « bétyles », « litholâtrie » et « culte phallique » au Sahara
(Le Quellec 1996, Le Quellec 1998 : 360-364, — tamegra bbuššen en berbère, cirs ed-dīb
fig. 118, 119, 122, 123) est remarquablement en arabe, éhen n-ǝbeggi hn@bgi en touareg
illustré en Libye par un panneau gravé de Ti- (Chaker et al. 1984 : 293) — répandue dans
n-Lalan dans l’Ăkukas (Fig. 24-28), où se voit tout le Maghreb et le Sahara pour désigner
une femme au sexe bien marqué, et seulement l’arc-en-ciel ou la pluie par temps ensoleillé
vêtue d’un collier, de bracelets, d’une ceinture (Camps 1993). Par ailleurs, il a été souligné
et d’une courte résille, coïtant avec un thé- que le mot panberbère Anẓar, nom mascu-
ranthrope à tête de chacal, petite queue rebi- lin de la pluie, est assez archaïque pour avoir
quée, et phallus hypertrophié. Pour expliquer fait supposer l’existence d’un ancien dieu de
cette image, François Soleilhavoup a évoqué la ce nom (Camps & Chaker 1989), et des eth-
possibilité d’utilisation d’un « phallus postiche nographes ont décrit, dans le premier tiers du
[…] lors de cérémonies » pour des « accouple- vingtième siècle, les rites carnavalesques ins-
ments simulés » (Soleilhavoup 2003 : 44, 175). pirés ou hérités des hiérogamies de ce dieu
Hélas, en 2009, cette œuvre fut vandalisée par avec la « fiancée d’Anẓar » (tislit n-Anẓar), ou
un chauffeur-guide du Parc de l’Ăkukas, qui « fiancée de l’eau » (tislit n-aman), incarnée par
n’y a manifestement vu que l’expression d’une une jeune fille richement parée, comme pour
sexualité débridée. Sans revenir sur la question une noce (Probst-Biraben 1932, Joleaud 1933 :
des théranthropes et autres grands person- 239-242, 244-245). Salem Chaker rappelle
nages ithyphalliques, voire macrophalliques, que ces rites « dont la symbolique sexuelle est
figués au Sahara, il convient de rappeler que transparente, sont généralement accompagnés
Gabriel Camps a rapproché cette image de Ti- de chants d’imploration de la pluie », à la forme
n-Lalan de l’expression « mariage du chacal » très figée (Camps & Chaker 1989).
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Dès lors, sur la gravure de Ti-n-Lalan, la donc au dix-huitième siècle, Anẓar le maître de
présence d’une résille portée par la femme la pluie (agellid n waman) désirait épouser une
(Fig. 26, 28) pourrait peut-être se rappor- très belle jeune fille qui avait l’habitude de se
ter lointainement au rituel selon laquelle « la baigner nue dans une rivière, et qui se refusait
matrone dénudait la fiancée [d’Anẓar] qui s’en- à lui ; alors Anẓar tourna la bague qu’il portait
veloppait dans un des filets servant au transport au doigt et la rivière tarit immédiatement ; la
des gerbes et du fourrage » (Genevois 1976). jeune fille se mit à pleurer, se dépouilla de sa
L’image rupestre de Ti-n-Lalan, réalisée à robe de soie et implora le retour d’Anẓar :
une période où la péjoration climatique crois- Ay Anẓar, ay Anẓar
sante ne devait pas laisser d’inquiéter, aurait ay ajejjig uzaγar
fort bien pu illustrer de telles noces fécon- asif rr as lcinsēr
dantes, annonciatrices de pluie et garantes de ruḥ ad d reeḍ ttaṛ
la fertilité, dans une constellation symbolique Ô Anẓar, ô Anẓar !
faisant résulter la pluie de l’éjaculation d’un Ô toi, floraison des prairies !
être surréel — association qui dépasse large- Laisse à nouveau couler la rivière
ment le monde berbère, ainsi que l’indiquent Et viens prendre ta revanche.
2. Sur ce terme, voir les « émythologies » 2 de l’Isis et Osiris de Plu-
l’entrée correspon- tarque (364 C) : « Et c’est un fait, les noms que
dante dans Le Quel- Le maître de l’eau revint à l’instant dans
lec & Sergent 2017.
les grecs donnent à l’éjaculation (ἀπουσία) et un éclair, s’unit à elle, et aussitôt « la rivière
au coït (συνουσία) dérivent, ainsi que le mot se remit à couler et la terre se couvrit de ver-
hyios (υἱὸς « fils ») de hydôr (ὕδωρ « eau ») et dure ». Et le mythe de conclure : « Voilà l’ori-
de hysai (ὗσαι « pleuvoir »), et Dionysos, qui gine de cette coutume ; en cas de sécheresse,
n’est autre qu’Osiris, est, comme seigneur de on célèbre sans tarder Anẓar et la jeune fille
la nature humide, appelé Hyès (’ὕης « qui dis- choisie pour la circonstance doit s’offir nue »
pense la pluie »). » (Genevois 1976 : 393).
Que le rituel de la « fiancée d’Anẓar » soit
en rapport avec la crainte d’une péjoration Ainsi, mythe et rituel s’orientent autour
climatique apparaît clairement dans le mythe d’actions évoquant la pluie, et se construisent
d’origine de ce rite, recueilli en Kabylie, car sur « le parallèle sémantique entre la venue
celui-ci précise qu’à l’époque « où les At Qasi de la pluie et la célébration de la fécondité »
et les At Jennad se battaient contre les Turcs », (Gélard 2006 : 96, 98).
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« Idoles », « bétyles », « litholâtrie » et « culte phallique » au Sahara
Naît alors l’hypothèse selon laquelle la gra- lairement données à une pluie ensoleillée,
vure rupestre de Ti-n-Lalan, sise en domaine se trouvent non seulement dans le nord de
paléoberbère puis berbère, pourrait bien être l’Afrique, mais aussi en Eurasie jusqu’au
en rapport avec un état ancien de ce rituel. Japon (Blust 1999) : cette très large aréolo-
Cette idée, difficile à vérifier, se renforce du gie n’a pour l’instant reçu d’autre explication
fait que des appellations du type « mariage que de résulter d’une très grande profon-
du chacal » ou « mariage du renard », popu- deur temporelle, remontant à la Préhistoire.
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Il importe alors de constater que Ti-n-Lalan Si, de nos jours, cette localité demeure
tnll@ serait, disent les actuels Touareg de célèbre parce qu’elle peut encore reverdir
l’Ăkukas, le nom d’une femme ayant vécu, après « le mariage de chacal », il est évident
avec sa famille, en ce lieu où l’on montre que lorsque la gravure fut exécutée, toute la
encore actuellement sa tombe, dans un petit région devait être plus humide et plus verte,
cimetière d’une dizaine de sépultures musul- particulièrement après les pluies, puisque le
manes, dont trois féminines (Fig. 29). climat d’alors était globalement plus clément
Cette légende semble surtout avoir pour que l’actuel (Le Quellec 2013-b).
fonction de remotiver un toponyme tnll@ Comme la gravure évoquant ces épou-
qui se retrouve en d’autres régions du Sahara, sailles mythiques et fécondantes est réalisée
et dont le sens est « une des effets », le terme dans un style tardif proche de celui des pein-
ll@ (lalan, ilalen) désignant les effets, les tures d’Iheren, et comme elle remonte donc
ustensiles personnels, les vivres (Foucauld à une époque où la détérioration climatique
1952 : 1065). La racine de ce nom est ll, commençait de se faire sérieusement sentir,
d’où telilt tl S « le fait de suivre », glosé il n’est pas impossible de penser qu’elle aurait
ainsi par le Père de Foucauld : « pâturage de pu trouver là sa motivation, et non dans un
quelque longueur (pâturage d’une certaine prétendu « culte phallique ».
longueur, qu’on peut suivre pendant quelque
temps avec un troupeau, en s’y déplaçant
progressivement sans le quitter à mesure que Bibliographie
les herbages de la place où on est s’épuisent » A.C 1932. « Recension de R. P. Henry Kœhler, La Grotte
(Foucauld 1940 : 151). d’Achakar au Cap Spartel. Collection Marrochitana,
Bordeaux, Brière, 44 p. » Bulletin de la Societé Pré-
Mais il y a longtemps, ajoutent les Touareg
historique de France 29 (1) : 58-49.
de l’Ăkukas que j’ai pu interroger, l’endroit se
serait nommé Anejjer njr, toponyme désor- Aïn Séba Nagette 2003. « Une statuaire saharienne :
les bétyles. » L’Algérie en héritage. Art et Histoire,
mais uniquement connu des personnes les plus Arles / Paris : Actes Sud / Institut du Monde Arabe,
âgées, et localement compris comme dérivant p. 89-90, et fig. 40.
d’une racine njr connotant le fait de protéger
Aliquot Julien 2010. « Au pays des Bétyles : l’excursion
ou de sauver quelqu’un. En Ăhaggar, ce terme du philosophe Damascius à Émèse et à Héliopolis
désigne la « région comprise entre le pied des du Liban. » Cahiers du Centre Gustave Glotz 21 :
pentes et le sommet, et abritée derrière les 305-328.
plateaux supérieurs et les hautes cimes [d’un Anonyme 1951. « African Sculpture and the Segy Gal-
massif montagneux considérable] » (Foucauld lery. » The Crisis 58 (10) 488 : 668-670.
1940 : 183-184, Foucauld 1952 : 1337-1338).
Anonyme [Muzzolini Alfred] 1988. « Un bétyle de la
Selon Karl Prasse, anəggər désigne à la fois région de Tabelbalet. » Sahara 1 : 102.
le fait de s’abriter, de se protéger, et un « ver-
Ayoub Abderrahmân, & Jean-Loïc Le Quellec 1981.
sant de montagne (entre le pied et le sommet » « Gasr el-Hajj, un grenier fortifié dans la Djeffara
(Prasse et al. 2003 : 601). libyenne. » In : Marceau Gast, & François Sigaut,
Or ces mêmes Touaregs affirment aussi La conservation des grains à long terme : leur rôle
que la zone d’Anejjer est réputée pour sa fer- dans la dynamique des systèmes de cultures et des
tilité, que les nomades avaient jadis l’habitude sociétés, Paris : CNRS, p. 3-18.
d’y faire des plantations temporaires, qu’après Balout Lionel 1957. « Une nouvelle sculpture de ronde
les pluies, de larges pâturages poussaient juste bosse au Sahara. » Mélanges Pittard offerts au Pro-
fesseur Eugène Pittard par ses Collègues et Amis en
en face du rocher orné, qu’un lac s’y formait
l’honneur de son 90e anniversaire, 5 juin 1957, Brive :
même parfois, et qu’on y voit encore pousser Imprimereie Chastrusse et Cie, p. 47-52 et pl. I.
de belles étendues de graminées les bonnes
Benhazera Maurice 1908. Six mois chez les Touareg du
années. C’est pourquoi, dit-on, cet endroit était Ahaggar. Alger : Adolphe Jourdan, 233 p.
le « protecteur », le « sauveur » des gens de la
région. Ce lieu, ajoute-t-on encore, est toujours Blust Robert 1999. « The Fox’s Wedding. » Anthropos
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mentionné actuellement dans les conversations
des anciens jusqu’au cœur de la Tasīli-n-Ăjjer, Boudin Jean-Christian-Marc 1864. Études anthropolo-
en Algérie, mais, là-bas, personne ne connaît giques : considérations sur le culte et les pratiques
religieuses de divers peuples anciens et modernes :
l’appellation de Ti-n-Lalan. L’on s’y souvient culte du phallus ; culte du serpent. Paris : Victor
seulement du nom d’Anejjer, parce que la répu- Rozier, 88 p.
3. Renseignements tation de l’endroit s’est construite sur le souve-
donnés sur place par Breuil Henri 1954. « Les roches peintes du Tassili-n-
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145
Tikadiwin (« les pierres ») de Ta-n-Ḫadīdja, site qui
tirerait son nom de celui d’une femme y ayant vécu
naguère. Les guides racontent qu’autrefois ces blocs
étaient entièrement blancs, mais qu’ils auraient foncé
avec le temps. Plateau d’Iherir, Tasīli-n-Ăjjer.