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Quarto n°6

Quarto.................................................................................................................................................................... 3
Die Verneinung ...................................................................................................................................................... 4
SEMINAIRE SUR LA VERNEINUNG : séance du 12 janvier 1982. Pierre Malengreau................................. 6
VERNEINUNG ET VERWERFUNG. Introduction à la lecture du texte de Freud. Pierre Malengreau.......... 10
VERNEINUNG ET VERWERFUNG Alfredo Zénoni ...................................................................................... 14
VERNEINUNG ET VERWERFUNG, une lecture du livre III du séminaire (à la recherche d’un fil pour la
direction de la cure) José Cornet......................................................................................................................... 20
BELLEROPHON ET LA MELANCOLIE (Après la communication de C. Vereecken aux journées cliniques
d’octobre 81) Jeanne Lafont............................................................................................................................... 24
Pratique psychiatrique / Clinique psychanalytique Pierre Malengreau ............................................................. 27

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Quarto
SUPPLÉMENT A LA LETTRE MENSUELLE DE Les rédacteurs
L’ÉCOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE PUBLIE
A BRUXELLES

Quarto témoigne par le présent numéro de ce qui en


détermine la *nécessité, que les productions d’un
cartel puissent s’inscrire dans le temps de leur
élaboration. L’effet logique en est la tenue d’un
séminaire sur le même objet de travail chacun des
membres du cartel y étant invité par tirage au sort à
témoigner du point où il en est. La même logique a
poussé les membres de ce cartel à signaler l’avancée
théorique de leur interrogation à l’occasion d’un
enseignement dit publique sur les psychoses.
Le choix d’une diffusion collective de ces travaux se
justifie de ceci, que le cartel est, avec la passe, un
des points d’appui de l’ECF, et que le transfert de
travail par quoi se noue une école suppose la
déhiscence du nom propre, la production propre à
chacun étant dès lors l’indice qu’il n’y a de
nomination à faire trou que du nom redevenu
commun.
L’objet du travail de ce cartel était de retrouver le
poids accordé par Lacan à la Verneinung comme
mésa, afin que le' discours de l’analyste ne s’érode
pas et garde son tranchant. Aussi les conférences de
Lacan
Adressées aux belges et plus spécialement aux
catholiques en 1960 sont elles particulièrement
bienvenues par leur évocation terminale.
Grâce à l’amabilité de B. This, Thèves et des P.U. F,
Quarto peut proposer à ses lecteurs une traduction
provisoire du texte de Freud sur la Verneinung. Il
diffuse en outre des travaux de L. Lauritsen
(Copenhague) et de J. Lafont (Paris).
Quarto 6 se présente donc comme Wunscherfüllung,
est-ce d’un rêve ? Est-ce continuer à dormir que de
considérer les regrets qui subsistent, dont le peu
d’enthousiasme des individus à mettre en avant le
primat du fonctionnement ? Et faut-il y voir pour la
Belgique la raison de l’absence jusqu ' à ce jour d’un
travail approfondi sur la passe ? Aussi est-ce avec un
grand intérêt que Quarto rendra compte des
interventions des analystes qui prendront le risque de
l’ouvrir sur la passe le, dimanche 6 Juin.
A l’occasion de l’ouverture du local de l’ECF à
Bruxelles, des journées d’inauguration avaient été
prévues pour ces 5 et 6 juin. Faute d’auditorium
disponible, elles sont reportées en automne.

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Die Verneinung
§. 1 le refoulement 1 . Au cours du travail analytique nous
La façon dont nos patients présentent ce qui leur créons souvent une autre modification très
vient à l’esprit pendant le travail analytique, nous importante et assez étrange de la même situation.
donne l’occasion de faire quelques observations Nous réussissons à vaincre aussi la dénégation et à
intéressantes. "Vous allez penser maintenant que je faire passer l’acceptation tout à fait intellectuelle du
veux dire quelque chose d’offensant, mais je n’ai refoulé, – le processus du refoulement lui-même
réellement pas cette intention". Nous comprenons n’est pas encore, par cela, levé.
que c’est le refus d’une idée qui vient d’émerger, par §. 4
projection. Ou, "vous demandez qui peut être cette Comme c’est la tâche de la fonction intellectuelle du
personne dans le rêve. Ma mère, ce n’est pas elle". jugement, d’affirmer ou de dénier des contenus de
Nous rectifions : donc, c’est sa mère. Nous prenons pensée, les remarques précédentes nous ont conduit
la liberté, lors de l’interprétation, de faire abstraction à l’origine psychologique de cette fonction. Dénier
de la négation et d’extraire le pur contenu de l’idée. quelque chose dans le jugement, veut dire au fond :
C’est comme si le patient avait dit : "pour moi, c’est c’est quelque chose que je préférerais bien refouler.
vrai, ma mère m’est venue à l’esprit à propos de La condamnation est le remplacement intellectuel du
cette personne, mais je n’ai nulle envie de laisser refoulement, son Non en est sa marque même, un
prévaloir cette idée". certificat d’origine, à peu près comme le "Made in
§. 2 Germany". Au moyen du symbole de la négation, le
A l’occasion, on peut se procurer très commodément penser se libère des limitations du refoulement et
un éclaircissement recherché sur le refoulé s’enrichit de contenus dont il ne peut se passer pour
inconscient. On demande : qu’est-ce qui peut bien son accomplissement.
vous paraître le plus invraisemblable dans cette §. 5
situation ? Qu’est-ce qui, pensez-vous, est alors le La fonction de jugement a essentiellement deux
plus éloigné de votre esprit ? Le patient tombe-t-il décisions à prendre. Elle doit attribuer ou retirer,
dans le piège et nomme-t-il ce à quoi il peut le moins verbalement, une propriété à une chose, et elle doit
croire, il a par là, presque toujours, avoué l’exact. d’une représentation attester ou contester l’existence
Une belle contrepartie de cet essai se produit dans la réalité. La propriété dont il doit être décidé,
souvent chez l’obsessionnel qui a déjà été introduit à aurait pu, à l’origine, avoir été bonne ou mauvaise,
la compréhension de ses symptômes. "J’ai eu une utile ou nocive. Exprimé dans le langage des plus
nouvelle représentation obsédante. Il m’est venu à anciennes motions pulsionnelles orales : ceci je veux
l’idée qu’elle pourrait signifier ceci, précisément. le manger ou je veux le cracher, et en poursuivant la
Mais non, ce ne peut, en effet, être vrai sinon ça transposition : ceci je veux en moi l’introduire et
n’aurait pas pu me venir à l’esprit". Ce qu’il rejette, ceci hors moi l’exclure. Alors : ça doit être en moi
en se basant sur ce qu’il a entendu de la cure, c’est ou hors de moi. Le moi-plaisir originel veut, comme
naturellement le sens exact de la nouvelle je l’ai développé à un autre endroit, s’introjecter tout
représentation obsédante. le bon, rejeter de soi tout le mauvais. Le mauvais,
§. 3 l’étranger au moi, ce qui se trouve au dehors, lui est
Un contenu de représentation ou de pensée, refoulé, tout d’abord identique 2 .
peut donc se frayer un passage jusqu’à la §. 6
conscience, à condition qu’il se laisse dénier. L’autre décision de la fonction de jugement, celle
La dénégation est une façon de prendre connaissance qui concerne l’existence réelle d’une chose
du refoulé, c’est déjà, à proprement parler, une levée représentée est une affaire du moi-réel définitif, qui
du refoulement, mais ce n’est assurément pas une se développe à partir du moi-plaisir initial (épreuve
acceptation du refoulé. On voit comment, ici, la de réalité). Maintenant, il ne s’agit plus de savoir si
fonction intellectuelle se sépare du processus quelque chose de perçu (une chose), dans le moi doit
affectif. Par le secours de la dénégation, ne se trouve être admise ou pas, mais si quelque chose de présent
annulée que l’une des conséquences du processus de
1
refoulement, de sorte que son contenu de Le même processus est à la base du procèssus, bien connu, de conjuration :
représentation n’arrive pas à la conscience. Il en "Comme c’est bien que je n’ai pas eu, depuis si longtemps ma migraine !"
Mais c’est la première annonce de l’accès, dont on sent déjà l’imminence,
résulte une sorte d’acceptation intellectuelle du auquel on ne veut cependant pas croire,
2
refoulé malgré la persistance de l’essentiel touchant Cf. Les développements dans "Pulsions et destin des pulsions". X.G. W.

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en moi comme représentation peut aussi, dans la maintenant lors des processus de penser ? Ceci eut
perception (réalité) être retrouvée. C’est comme on lieu à l’extrémité sensorielle de l’appareil psychique,
le voit, de nouveau une question du dehors et au niveau des perceptions des sens. Selon notre
dedans, le non-réel, seulement représenté, le acceptation, la perception n’est, en effet, pas un
subjectif, n’est qu’en dedans ; l’autre, le réel est processus purement passif, car le moi envoie
aussi présent au dehors. Dans ce développement, la périodiquement des petites quantités
considération du principe de plaisir a été mise de d’investissement dans le système de perception, au
côté, l’expérience' l’a enseigné, il est important non moyen desquelles il goûte les excitations extérieures
seulement de savoir si une chose (objet de pour, à nouveau, se retirer après chacune de ses
satisfaction) possède la propriété "bonne", donc avances tâtonnantes.
mérite l’admission dans le moi, mais aussi si elle est §. 8
là dans le monde du dehors, de façon que l’on puisse L’étude du jugement nous ouvre, peut-âtre pour
s’en emparer au besoin. Pour comprendre cette la_première fois, la : compréhension de la naissance
progression, on doit se rappeler que toutes les d’une fonction intellectuelle à partir du jeu des
représentations proviennent de perceptions, elles en motions pulsionnelles primaires. Le juger est le
sont des répétitions. A l’origine, l’existence de la développement ultérieur finalisé de ce qui, à
représentation est donc déjà une garantie de la réalité l’origine, résulte du principe de plaisir :
du représenté. L’opposition entre subjectif et objectif l’introduction – dans le moi, ou l’ex-•pulsion, hors
n’existe pas dès le début. Elle se met en place du moi. Sa polarité semble correspondre au caractère
d’abord en ce que le penser possède la faculté de d’opposition des deux groupes de pulsions,
présentifier une nouvelle fois quelque chose de reconnues pan nous, L’affirmation, en tant que
perçu une fois, ceci par reproduction dans la remplaçant de l’unification fait partie de l’Éros, la
représentation, l’objet n’ayant alors plus besoin dénégation-suite de l’expulsion de la pulsion de
d’être disponible, au dehors. Le but premier et destruction. Le plaisir universel de nier, le
immédiat de l’épreuve de réalité n’est donc pas de négativisme de plus d’un psychotique, est
trouver un objet, correspondant au représenté, dans vraisemblablement à entendre comme indice du
la perception réelle, mais de le retrouver, de se démêlement des pulsions, par retrait des
persuader qu’il est encore présent. Une nouvelle composantes libidinales. L’accomplissement de la
contribution à la différenciation entre le subjectif et fonction de jugement est rendue possible, mais
l’objectif dérive d’une autre aptitude de la faculté de d’abord par ceci : la création du symbole de négation
penser. Le reproduction de la perception dans la a permis au penser un premier degré d’indépendance
représentation n’est pas toujours sa fidèle répétition ; à l’égard des résultats du refoulement et par là aussi
elle peut être modifiée par des omissions, changée de la contrainte du principe de plaisir.
par des fusions d’éléments différents. L’épreuve de §. 9
réalité a donc à contrôler jusqu’où s’étendent ces Cette façon de concevoir la dénégation s’accorde
déformations. On reconnaît toutefois comme fort bien avec le fait que l’on ne découvre dans
condition pour l’installation de l’épreuve de réalité, l’analyse pas un "Non" venant de l’inconscient, et
que se soient perdus des objets qui avaient autrefois que la reconnaissance de l’inconscient, du côté du
procuré réelle satisfaction moi s’exprime dans une formule négative. Nulle
§. 7 preuve plus forte de la découverte réussie de
Le juger est l’action intellectuelle qui décide du l’inconscient que lorsque l’analysé, avec la phrase :
choix de l’action motrice, met fin à l’ajournement du cela je ne l’ai pas pensé, ou : A cela je n’ai (jamais)
penser et, du penser, fait passer à l’agir. J’ai déjà, en pensé, y réagit.
un autre lieu 3 , traité de l’ajournement du penser. Il
est à considérer comme une action d’essai, un
tâtonnement moteur, effectué à faible dépense de
décharge. Réfléchissons : où le moi avait-il
précédemment exercé un tel tâtonnement, à quel
endroit avait-il appris la technique qu’il emploie
3
Note de Strachey dans la St ; Ed. : Voir le Ça et le Moi "1923. Mais Freud
fit le. point répétitivement : – 1895… L’Esquisse (1-°part., fin ‘section
17), Une liste de références se trouve dans" Nouvelles Conférences "1933,
ch. XXXII… Incidemment, toute la topique du jugement est discuté dans
les grandes largeurs, et dans la même ligne qu’ici, dans l’Esquisse", sect.
16, 17, 18, Part. I.

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SEMINAIRE SUR LA VERNEINUNG : séance du 12


janvier 1982.
Pierre Malengreau
Qu’en est-il dans une psychanalyse de ce qu’on pourrait fort bien se réduire à l’interprétation d’un
appelle peut-être mal à propos "prise de conscience", seul rêve.
Bewusstwerden ? Cette question se pose Tout comme d’ailleurs, il arrive quelquefois qu’une
indirectement dans le texte sur la Verneinung, à séance fasse ainsi plusieurs fois le tour d’une série
partir de ce que Freud nomme "prendre signifiante, la fin de séance n’étant alors plus qu’une
connaissance du refoulé", "acceptation intellectuelle mise en acte de ce que cette boucle aura été prise en
du refoulé". Je dis "indirectement" en ce que les compte comme telle, hors signification.
rapports entre la conscience et la fonction dite La rigoureuse simplicité des exemples rapportés par
intellectuelle attendent d’être clarifiés, tant pour Freud permet la mise à plat suivante : le patient
l’élaboration théorique de leurs statuts respectifs
dans le discours, que pour le maniement des dites Sie denken… Sie fragen… ich will sagen…
fonctions dans une cure psychanalytique. Ces
questions, c’est à partir du début du texte que je vais aber ich habe nicht… die Mutter ist es nicht
tenter de les déployer aujourd’hui. Freud
"La façon dont nos patients présentent ce qui leur
vient à l’esprit pendant le travail analytique nous Wir verstehen… Wir berichtigen :
fournit l’occasion de faire quelques remarques
ist es die Mutter
intéressantes". Freud part du dire de ses patients, et
Tout ça, dit Freud, nous l’interprétons – wir deuten –
il interroge la façon dont les patients présentent ce
comme une dénégation ; nous nous autorisons à
qui leur vient – einfallen, ce qui veut tout aussi bien
dire : c’est la mère. A quoi l’analysant répond : "ist
dire ce qui tombe dans le piège, in der Falle ; des
die Mutter, aber ich habe keine Lust" de le dire.
choses se présentent, et rien ne nous dit si elles sont
D’une telle présentation se dégage d’abord une série
là pour nous tromper ou non. Ce qui intéresse Freud,
de pronoms personnels. La dénégation se passe dans
c’est que les patients présentent les choses d’une
l’interlocution grammaticale, ces pronoms désignant
certaine façon. C’est moins le contenu qui l’intéresse
alors autant de positions subjectives. Mais du fait de
que la façon dont ça se passe, dont ça se transmet.
la mise à plat, nous pouvons fort bien considérer,
Ceci détermine en tout cas déjà une certaine lecture,
comme pour le texte d’un rêve, qu’il s’agit soit
au nom de l’intérêt toujours marqué chez Freud pour
d’une même personne, soit de différentes personnes
les rapports qu’il y a entre ce que le moi apporte et
non strictement identifiées. Il y a plusieurs moi
la façon actuelle dont ça va se dire dans la cure.
localisés, grammaticalement repérables, mais on ne
Cette mise en perspective est tout à fait importante,
sait pas qui est qui. Et la place de Freud n’est à cet
en ce qu’elle nous rappelle ce qu’oublient trop
égard, pas plus claire que celle de son patient.
souvent les analystes, à savoir que ce qu’ils disent
Certes, pas de dénégation sans supposition d’un
d’une psychanalyse s’ordonne d’une certaine
autre. Il y en a un qui attribue son discours à un
manière, et que cette manière est déterminée par le
autre : "Vous allez penser que…" mais lequel autre,
fait qu’une psychanalyse est une expérience de
de répondre : "Nous comprenons", ne semble pas de
discours. Partant de cette indication, j’applique au
prime abord apporter là le moindre décollement.
texte de Freud ce par quoi il l’inaugure, un intérêt
Qu’en est-il dès lors de cet autre ? S’agit-il du petit
pour la façon dont ça se présente. C’est donc d’une
autre persécuteur par son savoir ou est-ce l’Autre du
mise à plat de ces exemples inauguraux qu’il va
discours psychanalytique, celui par quoi
s’agir. Il en ressort le repérage d’un certain nombre
l’interprétation – wir beteuten – ne peut être réduite
de circuits, lesquels peuvent être considérés comme
à une traduction sans reste.
préfigurant et présentifiant le travail d’une
Cette indétermination est tout à fait repérable à partir
psychanalyse. Ainsi se confirmerait l’hypothèse que
du glissement qui s’effectue dans la traduction
le texte de Freud sur la Verneinung aurait a structure
française du "ist DIE Mutter", "c’est LA mère" au
d’une présentation topologique. Ceci n’est pas sans
"c’est MA mère". Du sujet, cette indétermination
évoquer ce que nous dit Freud, que toute une analyse
nous indique qu’il n’est pas réductible au sujet

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proférateur, ni localisable à partir de la position


grammaticale. Le sujet de l’inconscient n’a pas de
place assignée : on ne sait pas où il est, seulement ce
qui le représente.
Il y a cependant un tout autre intérêt à tenter une
mise à plat du texte de Freud, en ce qu’elle nous
situe une singulière difficulté. Si l’inconscient ne
connaît pas la négation, ni la contradiction, quel
statut donner à la dénégation ? Ce qui semble en
effet ressortir des exemples de Freud, c’est l’usage QuickTime™ et un
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d’une négation, suivi d’une négation de négation.


Comme si la dénégation n’introduisait rien d’autre
qu’un dédoublement, en vue de conjurer à la
manière des signes de mort chez les égyptiens, ce
que la négation viendrait indiquer du côté de la
signification. Le "ce n’est pas la mère" serait alors à
concevoir à la fois comme dédoublement et comme
équivalent marqué d’un signe négatif, du "c’est la
mère". Ce qui aurait pour effet de réduire
l’interprétation à une pratique de la clôture par effet
de signification. En fait, il faut bien constater avec Ça donne une nouvelle figure qui n’est plus une
Freud qu’il y a quelque chose qui le va pas dans bande de Moebius, mais bien une bande à deux
cette affaire, entre autre pour ceci, que la surfaces avec un envers et un endroit. Alors, qu’est-
reconnaissance intellectuelle du refoulé et la levée ce à dire sinon ceci, dans la mesure où nous n’allons
du refoulement n’équivalent pas à l’acceptation du pas y regarder de trop près, la mise à plat des
refoulé. exemples de Freud et la référence au Lust pris dans
Le "nous interprétons" de Freud n’est pourtant pas son acception de satisfaction éprouvée permettent
sans effet, dont le moindre n’est pas d’avoir amené d’inscrire toute la dialectique de la dénégation dans
le patient à dire ceci : je sais bien que la mère, mais le seul registre imaginaire. Cette
je n’ai pas envie de le dire, ich habe keine Lust. La Référence permettrait l’effectuation d’une boucle
question porte sur la fonction de cette référence au par raccord forcé et simple renversement du signe
Lust, dont Freud n’a cessé de marquer la double négatif en signe positif. D’aucuns ne se sont pas
signification, à la fois satisfaction éprouvée et privés de le faire, contestant toute l’attention portée
sensation de tension sexuelle. Alors, ce Lust, par Lacan à ce texte. Le terme même de Lust induit
introduit-il un forçage de signification ou au alors une lecture des exemples cités qui assied
contraire permet-il de rendre compte de l’écart qu’il l’illusion qu’il y aurait, soit deux textes qui
y a entre une formulation négative et une pourraient être mis en correspondance terme à
affirmation ? terme, soit un seul texte dont les parties pourraient
être mises en continuité de manière linéaire. Le
procès de refoulement pourrait dès lors se concevoir
comme transformation d’un texte par effet de
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renversement ou par effet de continuité, ce qui ôte à
l’inconscient toute sa spécificité d’être un effet du
signifiant. L’inconscient s’y réduit à n’être que
l’envers d’un texte, voire l’inverse.
Ceci est d’ailleurs parfaitement soutenable à partir
Le recours à la topologie va me permettre d’avancer
des exemples de Freud. En effet, si négation et
dans cette question.
négation de la négation forment un couple qui
1. Si nous prenons la première hypothèse selon
s’accorde au Lust, nous sommes en droit de
laquelle le Lust aurait pour effet d’introduire un
comprendre (wir verstehen), de corriger (wir
raccord forcé entre "c’est pas la mère" et "c’est la
berichten), d’interpréter (wir deuten). Le processus
mère", qu’est-ce que ça donne d’inscrire ça sur une
de reconnaissance du refoulé s’inscrit sur le seul
bande de Moebius selon la ligne de coupure ?
plan de l’imaginaire, et l’écart entre reconnaissance
intellectuelle et levée du refoulement peut être
réduit. C’est du poids imaginaire d’une vérité qu’il

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s’agit, par réduction de la dialectique dénégative à fraction est maintenue tout en étant ramenée à un
une affaire de signes contraires. "Tout couple, tout plus petit dénominateur.
ce qu’il y a de couple se réduit à l’imaginaire. La 2. Aussi est-ce vers l’autre présentation que je vais
négation est aussi bien façon d’avouer, Freud y porter mon attention, celle qui considère comme
insiste dès le début, façon d’avouer là où seul l’aveu essentiel l’écart qu’introduit dans les exemples de
est possible, parce que l’imaginaire est la place où Freud la référence au Lust. Qu’est-ce que cet écart
toute vérité s’énonce, et une vérité niée a autant de nous dit de parfaitement repérable dans le processus
poids imaginaire qu’une vérité avouée, Verneinung – analytique ? Ou encore, qu’est-ce que ça donne que
Bejahung." (Lacan, R.S.I., 18 mars 1975). La d’inscrire cet écart selon la ligne de coupure d’une
dénégation peut ainsi se concevoir comme un cercle bande de Moebius ?
vicieux, à condition de réduire le Lust à son seul
sens de satisfaction éprouvée, et de concevoir la
négation comme une simple affaire de signes, voire
comme un pur artifice d’écriture. Qu’il s’agisse d’un
cercle vicieux, les exemples proposés le montrent
bien : plus le sujet dénie, plus il s’exclut pour faire QuickTime™ et un
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surgir l’autre "vous allez penser que". Ou encore,


plus il défend son moi, plus l’autre est envahissant.
A pousser cette première présentation à l’extrême, il
s’en déduit une conception de la cure
psychanalytique comme processus de prise de
conscience. Le seule différence entre les
psychanalystes concernerait dès lors ce qu’il y aurait Si nous extrayons la partie centrale telle que nous
à connaître par le dit processus : les souvenirs pour l’obtenons en coupant la bande de Moebius selon la
les uns, les fantasmes pour les autres. Bref, si je puis boucle qui tient compte de cet écart, nous obtenons
dire, la psychanalyse comme striptease. d’une part une bande de Moebius, et de l’autre une
Cette première lecture du texte de Freud appelle bande à deux surfaces. Plus l’écart sera marqué, plus
quelques critiques. Et tout d’abord, Freud n’écrit pas cette bande à deux surfaces sera réduite, jusqu’à se
"Je dis ce n’est pas la mère parce que ça me fait confondre avec la bande de Moebius nouvellement
plaisir", mais "ça ne me fait pas plaisir de dire c’est produite. Si nous repérons dans cette bande à deux
la mère". Quelque chose de l’appui de l’autre surfaces une des modalités de la prise de conscience
tombe ; le deuten a pour effet de faire passer l’appui telle que se l’imaginarise l’analysant, nous pouvons
de l’autre au compte du keine Lust. De plus le mot concevoir que sa réduction à l’état de bord sera la
même de Lust désigne aussi l’existence d’une conséquence d’un écart maximum entre "c’est la
tension, d’un Wunsch, et il est donc associé au mère" et "ce n’est pas la mère". La prise de
Unlust, lequel est inassimilable, irréductible au conscience, qui au départ n’était qu’une bande à
principe de plaisir, même marqué du signe négatif. deux faces, se ramène ainsi à n’être plus que le bord
Enfin, un tel circuit de connaissance ne prend pas en d’une bande de Moebius. En fin de parcours
compte l’indication que fournit Freud, quant à psychanalytique, la prise de conscience se réduit à
l’écart qu’il y a entre acceptation du refoulé et n’être plus que la trace laissée par l’opération de
acceptation intellectuelle du refoulé comme coupure.
Aufhebung du refoulement. En quoi la fonction Cette double lecture du texte de Freud à partir de la
intellectuelle vient-elle spécifier cet écart, et quels référence au Lust fait apparaître toute l’ambiguïté de
rapports elle entretient avec le Lust restent la dénégation, en ce qu’elle permet le repérage d’un
complètement oubliés. Seul le rapprochement entre moment de vacillement du discours : encore un
acceptation intellectuelle du refoulé et Aufhebung "pas", et ce ne sera plus ça. Vacillement qui
du refoulement apporte quelque lumière. Les seules témoigne en même temps des impasses de la dite
indications que nous ayons au point où nous en prise de conscience, en ce que la mise à plat des
sommes proviennent du terme de Aufhebung, du fait exemples de Freud s’avère insuffisante à la levée de
des multiples significations qu’il véhicule : nier, l’antinomie qu’il y a entre l’usage de la négation
supprimer, conserver, soulever, mais aussi, dans son comme mode de reconnaissance de l’inconscient au
utilisation mathématique, réduire, simplifier une niveau dd moi, et le fait qu’il n’y ait pas de "non"
fraction. Cette dernière signification montre bien, venant de l’inconscient. D’où la nécessité du travail
comme l’indique l’opération en question, que la de Freud, et ses tentatives de rendre compte de ce

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que nous pouvons concevoir comme étant la


fonction intellectuelle.

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VERNEINUNG ET VERWERFUNG. Introduction à la


lecture du texte de Freud.
Pierre Malengreau
Une psychanalyse de névrosé nous confronte à ce dénégation, il ne l’aborde pas en termes de
paradoxe : le sujet est tout entier déterminé par résistance qu’il faudrait par exemple lever. Il ne dit
l’ordre du discours qui lui préexiste, et en même pas : c’est la patient qui résiste. Au contraire, il
temps, il se constitue comme sujet à partir de ce qui s’interroge sur ce que la Verneinung nous dit
est irréductible à tout discours. Qu’il en soit de d’essentiel quant aux rapports du sujet au langage, et
même pour un psychotique ne relève pas de plus précisément par le biais de cette question : que
l’évidence. C’est pourtant ce qu’il importe veut dire penser ? Qu’en est-il de cette fonction
d’interroger, et ce particulièrement à partir des intellectuelle que l’on nomme penser, et quels
difficultés et des impasses de notre pratique avec des rapports y a-t-il entre dire et penser ?
psychotiques. Le texte de Freud sur la Verneinung Ces quelques questions m’amènent de plein pied
(1925) permet de spécifier quelques aspects de ce dans le texte de Freud. Non projet est de vous
paradoxe. Deux questions se sont avérées soutenir la introduire à sa lecture, et de vous permettre d’y
lecture que j’en ai faite à partir de l’enseignement de repérer le lieu où la question de la psychose va
Lacan. s’inscrire, pour Freud en termes de négativisme,
La première est celle-ci : que pouvons-nous savoir, pour Lacan en termes de forclusion, ce qui fait
si nous prenons en compte ceci, que l’inconscient l’objet des autres exposés d’aujourd’hui. Il s’agit
existe ? Ce terme d’inconscient, prénons-le non pas d’un texte particulièrement difficile, très dense. Il
au sens d’un contenu prétendument caché, mais au exige une lecture à plusieurs niveaux, lecture qui
sens où les mots en disent plus qu’ils ne signifient, sera dès lors forcément interprétation du texte. Pour
ou encore au sens de ce qui se manifeste dans une ma part, je reprendrai les choses en trois temps : la
psychanalyse par le biais du malentendu, de dénégation telle qu’elle s’observe, l’origine de la
l’équivoque. C’est ce qui fera dire à Lacan que fonction intellectuelle du jugement, l’opposition
"l’inconscient est ce que nous pouvons appeler les mythique et non symétrique entre la première
effets du signifiant dans le savoir". Cette question du Bejahung et la Verneinung.
savoir, Freud l’aborde ici par un biais tout à fait 1. Freud commence son interrogation à partir de ce
particulier et partiel, qu’est la Verneinung. Aussi qui se présente au cours du travail analytique. "Vous
pouvons-nous formuler cette question encore allez penser maintenant que je veux dire quelque
autrement. Freud nous dit à la fin de son texte chose d’offensant, mais je n’ai réellement pas cette
qu’"on ne découvre dans l’analyse pas un non intention". Nous comprenons, dit Freud, qu’il y a là
venant de l’inconscient". Comment concilier cette un refus sur l’idée qui vient d’émerger. Ou encore,
affirmation avec les multiples usages de la négation autre exemple : "Vous demandez qui peut être cette
dans le discours ? personne dans le rêve. Ma mère, ce n’est pas elle".
L’autre question est celle-ci : quel (s) type (s) de Freud rectifie : donc c’est la mère, "C’est comme si
manque pouvons-nous considérer comme structurant le patient nous avait dit : pour moi, c’est vrai ; ma
pour un sujet ? Et je spécifie, pour tel sujet ? Cette mère m’est venue à l’esprit à propos de cette
question est tout à fait importante. Tout d’abord personne, mais je n’ai nullement envie de laisser
parce que la clinique psychanalytique nous impose prévaloir cette idée". Alors, dans ces exemples très
de déterminer à chaque fois de quel manque il s’agit concrets, que constatons-nous ? Eh bien, un usage
pour déterminer de quelle structure il s’agit. Et de particulier de la négation par lequel le sujet attribue
plus, parce qu’elle implique une certaine conception son discours à l’autre. Il fait porter par l’autre ce que
de l’analyse qui la distingue radicalement de toute lui-même ne peut soutenir en son nom propre. "Vous
forme de démarche discursive qui aurait pour objet allez penser que… ; vous demandez,… ;". Il y a là
la restauration d’un déficit. Cela a des effets tout à une première ambiguïté : c’est que, plus le sujet fait
fait concrets dans la menée d’un•cure, et je pense porter ses affirmations par l’autre, plus il s’exclut
que nous devons y être particulièrement attentifs, comme sujet. Les choses se compliquent déjà
surtout quand nous avons à faire à des psychotiques. lorsqu’on se pose la question : de quel autre s’agit-
Ceci est strictement freudien, et le texte de Freud en il ? En effet, lorsque Freud nous dit qu’il comprend,
est un exemple éminent. En effet, le phénomène de qu’il rectifie, qu’il interprète, de quelle place le fait-

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il ? A ce niveau introductif du texte, l’autre dont il intellectuelle se sépare du contenu affectif". Nous
s’agit, c’est à la fois le semblable à qui l’on fait avons donc d’une part la fonction intellectuelle du
porter des significations et l’autre du transfert en tant jugement qui affirme et qui nie, et d’autre part
qu’il est supposé en savoir un bout sur ce dont il quelque chose que Freud nomme le contenu affectif.
s’agit dans le dire d’une analyse. C’est l’autre Au fond, il y a des choses que le sujet ne veut pas
imaginaire en tant que tout puissant du côté du savoir, mais qu’en fait il sait Fort bien. Il y a des
savoir. choses qu’il ne veut pas savoir, et qui pourtant se
Alors, à tirer le texte de Freud de ce côté, la trouvent être véhiculées par sa propre parole.
dénégation se présente essentiellement comme un Avez-vous remarqué qu’il y a dans ce passage du
phénomène moique, qui consiste à inscrire le texte une curieuse contradiction, comme si Freud se
discours du sujet dans la dialectique du moi et de trouvait être pris lui-même dans le phénomène qu’il
l’autre imaginaire. Ce en quoi la dénégation est le tente d’expliquer. En effet, d’une part Freud nous dit
reflet de ce qui constitue l’impasse du névrosé. Le qu’il comprend, qu’il rectifie un énoncé négatif en
moi est méconnaissance, et c’est pourquoi la faisant abstraction de la négation. Comme s’il y
Verneinung donne l’illusion au sujet qu’affirmer et avait pour lui équivalence entre dire c’est ma mère et
nier, c’est la même chose, ou encore qu’il y aurait dire ce n’est pas ma mère. Donc d’une part il
dans le discours la possibilité à l’être de se présenter comprend, et de l’autre, il nous dit qu’il y a quelque
sous la forme de l’être-pas. De là à dire qu’une chose du refoulé qui subsiste, ou plus exactement
psychanalyse consisterait à rendre conscient ce qui que cette compréhension se soutient de ce que
se trouverait caché ailleurs, il n’y a qu’un "pas"… l’essentiel du refoulé subsiste. D’une part il y a une
que Freud ne franchit pas. Déjà au niveau des sorte de bouclage des énoncés et de l’autre quelque
exemples avons-nous quelques indications de ce que chose y échappe. Je voudrais vous rendre sensiblé à
la seule différence entre affirmer et nier ne serait pas ceci, que tout le texte de Freud repose sur cette
une affaire de signe positif ou négatif, de plus ou de tension. Il se présente même comme tentative de
moins. Lorsque Freud rectifie, voire interprète, le donner à cette tension, à ce malentendu entre levée
patient lui répond : je n’ai pas envie de le dire, keine du refoulement et acceptation du refoulé, un statut
Lust. Ça ne me fait pas plaisir de le dire, du moins dialectique. C’est tellement sensible que plus il
en mon nom propre. Ceci indique que le sujet laisse recule vers l’origine pour essayer de rendre compte
une porte ouverte sur une possible subjectivation de de ce malentendu, plus ce malentendu s’avère être
son dire, par le biais de l’opposition plaisir-déplaisir. quelque chose qui ne peut être levé. Cela rend en
Déjà pouvons-nous en ce point concevoir tout cas le texte de Freud particulièrement difficile à
l’interprétation de Freud comme un "tu l’as dit" qui lire, car à vouloir lever ce malentendu à partir de la
laisse au sujet la possibilité d’en répondre ou non. Verneinung, il en arrive à intriquer plusieurs niveaux
C’est à cet endroit précis que Freud introduit sa de conceptualisation. J’irai jusqu’à avancer que ce
question. "La dénégation, nous dit-il, est une façon texte se présente comme une figure topologique qui
de prendre connaissance du refoulé, c’est déjà à serait constituée par un entrelacement de plusieurs
proprement parler une Aufhebung du refoulement", tresses. Ce serait en tout cas fort amusant à montrer
Aufhebung, ça veut dire à la fois nier, supprimer, à partir d’une des figures du nœud borroméen
conserver et surtout soulever ! ' Qu’il dise par avancée par Lacan.
ailleurs que c’est une Aufhebung, laisse supposer 2. Après ce premier niveau de lecture, reprenons le
qu’il y aurait d’autres modalités de levée du texte. Pour résoudre l’énigme que lui pose la
refoulement. Alors, il poursuit sa phrase : "mais ce Verneinung, Freud va s’intéresser de plus près à
n’est assurément pas une acceptation du refoulé", cette fonction intellectuelle du jugement qui affirme
keine Annahme des Verdrângten. C’est toute la ou nie des contenus de pensée. Plus exactement, il
question, et plus on avance dans le texte de Freud, va tenter de décrire une sorte de genèse mythique de
plus cette question devient énigmatique. Qu’est-ce la fonction de jugement. En bon connaisseur de la
que ça veut dire : une acceptation du refoulé ? Est-ce philosophie, il distingue deux formes de jugement :
qu’une levée exhaustive du refoulement est le jugement d’attribution et le jugement d’existence.
possible ? Que subsisterait-il de l’hypothèse de Le jugement d’existence interroge l’écart ou la
l’inconscient dans ce cas-là ? L’inconscient est-il par proximité entre une représentation et une perception.
exemple dissociable ou non du processus de Est-ce que telle représentation de désir peut être ou
refoulement ? Ce que nous dit Freud, c’est que la non retrouvée dans la réalité ? Il s’agit là pour Freud
dénégation est une acceptation intellectuelle du d’interroger ce qu’il en est des possibles
refoulé. "On voit comment ici la fonction retrouvailles de l’objet. Cette forme de jugement où

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se repère le mécanisme de la répétition s’inscrit sur de méconnaissance à croire que l’autre sait ce que je
une première bipartition, celle qu’établit le jugement ne sais pas, qu’à dire : je sais ce que je dis. Du côté
d’attribution. C’est en ce point que le malentendu de la méconnaissance, c’est du pareil au même.
dont je parlais fait retour, et où les choses Alors, suffit-il de dire que le moi est
deviennent problématiques. Lacan va jusqu’à dire méconnaissance du fait de ce manque imaginaire ?
que là Freud confond tout. C’est aussi à cet endroit Tout le génie de Freud, c’est d’avancer, par le biais
que Lacan situe la forclusion ; mais peut-être du détour que je vous propose, que ce qui rend cette
vaudrait-il mieux dire qu’il l’y introduit, car sa place méconnaissance possible, c’est l’existence d’une
n’est pas évidente, négation "primordiale". On ne comprend rien au
Alors, de quoi s’agit-il dans le jugement texte de Freud si on ne fait pas cette distinction entre
d’attribution ? Eh bien, de la première bipartition la dénégation et cette négation "primordiale". En
entre le dedans et le dehors. Le "dedans", c’est la d’autres termes, la dénégation ne recèlerait pas
possibilité du plaisir. Le "dehors", c’est tellement une affirmation ; ce qu’elle recèlerait, c’est
l’impossibilité radicale de plaisir. Ce n’est pas la une "Verneinungen" quelque sorte primitive, dont la
réalité, mais le réel au sens de Lacan. A ce niveau, le Verneinung dans ses conséquences cliniques est une
dehors c’est ce qui est exclu de toute symbolisation. suite ". Ainsi s’exprime Lacan dans le séminaire sur
"Il y a là des choses qui sont là comme si elles les psychoses (p… 58). Ceci nous amène à un
n’existaient pas", dit Freud. En d’autres termes, le troisième niveau de lecture du texte de Freud.
dedans se constitue sur Fond d’exclusion. Il y a là La fonction du jugement avait mené Freud à cette
une première bipartition que Freud pose comme question : qu’est-ce qui fait que quelque chose existe
essentielle à toute possibilité de refoulement, à toute pour un sujet, ou encore, comment quelque chose
possibilité de symbolisation. Cette bipartition, Freud peut-elle venir au jour du symbolique ? Eh bien, il
l’articule autour d’un terme, Bejahung ; c’est nous faut postuler l’existence d’une affirmation
l’affirmation primordiale, un "c’est ça" originaire. primordiale, d’une première Bejahung. C’est tout à
Quand je dis, il l’articule, ça veut dire que lorsque ce fait mythique. Car, qu’est-ce que ça veut dire, une
mécanisme Fait défaut, eh bien nous avons ce que première affirmation ? Eh bien, ça ne veut rien dire.
Lacan repère sous le terme de forclusion. Comme telle, ça a la consistance du réel, du plein.
Arrivé à ce point de mon exposé, eh bien, je n’ai C’est comme une virgule que nous écririons sur une
plus qu’à tirer l’échelle. Je veux dire qu’à vouloir page blanche, c’est comme une "ponctuation sans
introduire la forclusion par où Lacan l’introduit, eh texte". Comme telle, cette Bejahung ne peut
bien, à vouloir faire ça, j’ai complètement perdu le s’inscrire dans aucune dialectique signifiante : elle a
fil de mon exposé. Comme si la réponse que la consistance d’un savoir absolu, d’un savoir qui ne
constitue l’apport de Lacan à cet endroit avait manque de rien, en quoi il s’apparente au réel. Cette
fonctionné comme un bouchon au fond d’un Bejahung, qui comme telle ne signifie rien, ne peut
entonnoir, sans ambiguïté. En d’autres termes, cet exister et donc s’inscrire que "sur un fond supposé
exposé a pris une étrange allure de délire… d’absence"(Écrits, p. 392). Le terme "supposé"
intellectuel. Ça tient peut-être à ceci, que le concept implique ici qu’un tel manquè ne peut se repérer
de forclusion n’apporte pas un éclaircissement à comme tel : il se repère à ses effets. Alors, de quelle
l’endroit où Freud pose ses questions. Il y a là un absence s’agit-il ici ? Eh bien, à suivre Freud, je
décalage dont il faudrait que nous rendions compte. dirais qu’elle est double. D’une part, cette, première
3. Alors, le fil de lecture dont je m’étais assuré dans affirmation, Freud la définit comme "Ersatz" de la
ma présentation tourne autour de ceci : qu’il y a une réunion – Ersatz der Vereinigung –, c’est-à-dire
tension, voire un paradoxe entre deux éléments comme restitution de ce qui appartient dans la
apparemment inconciliables et pourtant dualité pulsionnelle aux pulsions d’Éros. Le terme
dialectiquement reliés : pas de structure de discours de Ersatz permet de supposer que cette première
qui ne s’articule autour d’un manque. Ce à quoi nous affirmation est à situer comme dédommagement,
introduit le texte de Freud, c’est au repérage d’un équivalent d’un enjeu pulsionnel. Il y a là une
manque qui ne soit pas seulement un manque première perte, dont pourtant nous ne pouvons nous
imaginaire. En effet, quand un sujet attribue à l’autre contenter pour rendre compte de cette Bejahung. En
sous la forme négative son propre discours, eh bien, effet, à se limiter à cette seule perte, on ne voit pas
ce dont il témoigne, c’est de l’existence d’un comment il serait possible au sujet de dire,
manque imaginaire : ce que je n’ai pas, l’autre est d’affirmer quoique ce soit. D’où la nécessité
supposé l’avoir. Mais pouvons-nous nous satisfaire d’articuler, de lier cette Bejahung à une autre forme
de cette réponse ? N’y a-t-il pas par exemple autant d’absence, celle qui vient de la pulsion de mort, à

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savoir un non primordial."La négation, consécutive en droit d’admettre que tout discours ne se fonde que
– Nachfolge – à l’expulsion, appartient à la pulsion sur un "je ne sais pas" originaire ? En tout cas, ça
de destruction". L’articulation non symétrique et définit la place de l’analyste comme étant celui qui
subséquente entre les signifiants S1 et S2 chez Lacan prend sur lui d’indiquer que la place du savoir est
serait sans aucun doute ici d’une grande utilité pour Une place vide, ou encore que le seul savoir qui
rendre compte de cette non-équivalence que suggère tienne en analyse est un savoir sur le manque. C’est
la différence entre dire que dans cette affaire, il ne peut compter que
Ersatz et Nachfolge. Mais Freud ne dispose pas de la pour rien, ce qui n’est pas n’importe quoi. Dire qu’il
théorie du signifiant pour rendre compte de cette ne compte que pour rien signifie tout autant qu’il n’a
forme de dualité particulière et dissymétrique pas à se prendre pour l’agent du manque, mais à en
qu’exige la Bejahung. Aussi est-ce du côté de la indiquer la place et la fonction. On ne voit pas en
dualité pulsionnelle qu’il se tourne. A nous la tâche effet sinon, comment on retiendrait un sujet sur cette
d’élaborer le rapprochement entre signifiant et pente imaginaire qui consisterait en un usage
pulsion que suggère la démarche freudienne. généralisé de la négation et de la tromperie. Par quoi
Alors, qu’en est-il maintenant de cette Bejahung, se désigne une des impasses de la cure
prise entre deux pertes, celle de son rapport à Éros et psychanalytique, lorsqu’elle se suspend et
celle qui lui vient de ce que le non est lui aussi s’interrompt sur une position de scepticisme, ou
indice d’une perte, Nachfolge der Ausstossung ? Eh encore sur ce qu’on pourrait nommer le savoir du
bien, je dirais que c’est cette double perte elle-même pervers. Il s’agit là d’un savoir extrêmement codifié
qu’il nous faut postuler pour que la Bejahung qui ne repose sur aucune insertion subjective de ce
primordiale puisse s’inscrire. Ou encore, que cette non-savoir dont je parlais.
Bejahung, indice d’une perte qui lui est propre, en A l’inverse, il y a des sujets pour qui ça ne
porte la marque et ne peut s’inscrire qu’en tant fonctionne pas du tout comme ça, pour qui cette
qu’elle s’articule à un non. Ce non primitif permet à absence d’enracinement subjectif du "je ne sais pas"
la Bejahung d’être reprise dans le discours, il est se marque dans la langue par l’existence d’un savoir
l’indice de ce que le discours humain doit à la mort. absolu. Il y en a pour qui rien ne vient moduler,
Pas d’énoncé assertif qui n’implique une négation, tempérer la portée d’un énoncé assertif du style
ou encore, pas de "c’est ça" qui n’implique un "ce "c’est ça". Par où s’introduit dans une cure le point
n’est pas ça". La dénégation dont parle le texte de de bascule pour un psychotique, en ce qu’il interroge
Freud, s’avère être un des avatars possibles de cette ce qui se trouve à l’origine dé toute possibilité de
première négation. Il désigne le lieu de la discours. La question se trouve ainsi posée de ce
méconnaissance du moi comme un des avatars de la qu’il en serait de l’interprétation et de ses effets dans
symbolisation. La dénégation, c’est la trace dans le une cure de psychotique. C’est à ce point frontière
discours conscient du non-savoir lié à l’acte de dire. que nous conduit le texte de Freud. Je passe la parole
La connaissance intellectuelle du refoulé s’avère dès aux autres membres de notre cartel.
lors être essentiellement méconnaissance de ce que Bruxelles, le 16 janvier 1982.
le discours conscient doit à la négation.
Ce rapide parcours à travers le texte de Freud me
permet de faire deux remarques par quoi je
terminerai.
Je vous disais que ce qui caractérise un névrosé,
c’est un "je ne sais pas". Cette passion de
l’ignorance se justifie de ce qui complète cette
phrase dans l’imaginaire :"Je ne veux pas savoir…
ce que vous savez déjà". Le névrosé attribue à
l’autre un savoir qui ne serait pas trompeur, un "c’est
ça" sans illusions. Cette dénégation, c’est son
impasse, mais aussi ce qui lui donne sa chance.
N’est-ce pas en tout cas le minimum que nous
puissions déduire du malentendu que véhicule cet
énoncé pour le moins ambigu ? Ce que nous dit
Freud, c’est qu’à l’origine de tout discours, il y a une
première affirmation qui ne se soutient que du non,
ou encore de la mort. Dès lors ne sommes-nous pas

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VERNEINUNG ET VERWERFUNG
Alfredo Zénoni
Dans son article sur "L’inconscient" 1 , Freud essaie l’investissement de la représentation de mot qui
de rendre compatible la conception de l’inconscient caractérise la schizophrénie n’appar tient pas à l’acte
qu’il a dégagée à partir de l’analyse des névroses de de refoulement (n’est pas du même ordre que les
transfert avec les données de la clinique des formations substitutives par quoi le refoulé fait
psychoses. Cette tentative suscite un certain, nombre retour dans les névroses), mais doit plutôt être conçu
de questions car les phénomènes psychotiques ne se comme une tentative de restitution ou de guérison –
laissent pas formuler dans les termes de la comme s’il s’agissait de reprendre le chemin de
conception de l’inconscient qu’il a dégagée tout au l’objet en passant par l’élément mot de celui-ci.
long de ce texte. Ce sont ces questions qu’il me D’autre part, et en conséquence, la psychose ne peut
paraît intéressant de souligner plutôt que les essais être conçue comme le retour d’un refoulé plus
de réponse qui viennent clore le texte. archaïque ou génétiquement plus ancien que celui
1) Après avoir constaté que les formations des névroses, de type oral ou pré-oedipien – puisque
substitutives par lesquelles le refoulé ferait retour c’est l’investissement d’objet inconscient comme tel
dans la névrose et dans la psychose sont d’une forme qui est aboli – mais comme l’effectuation d’un
tout à fait différente (cf. l’exemple du fiancé processus qui n’emprunte pas la voie du
"tourneur d’yeux") Freud se demande si le processus refoulement.
qu’on voudrait appeler refoulement dans les Vous voyez donc comment cet abord freudien,
psychoses, a-t-il encore quoi que ce soit de commun même s’il est formulé sous forme interrogative, sous
avec le refoulement observé dans les névroses de forme d’hypothèses, peut ouvrir la voie à unie autre
transfert (p. 120-121). conception de la psychose qui tranche par rapport
2) En outre, dans les névroses l’investissement aux lieux communs du discours psychologique qui
d’objet subsiste dans le système ics en dépit du ramène la psychose à une forme de régression plus
refoulement –, ou plutôt par suite de celui-ci (p. grave, à la fixation à un stade plus archaïque du
110). C’est même le refoulement qui équivaut à développement. L’abord lacanien est strictement
l’ancrage d’un objet investi dans l’inconscient et qui dans la ligne freudienne, en ceci qu’il développe les
rend possible l’investissement transférentiel (p. 110- conséquences de la remarque freudienne sur la
111). Par contre, dans la psychose, il y a abandon de différence de structure entre, non pas les contenus
cet investissement et "retour" à un état anobjectal- des formations substitutives et des représentations,
narcissique. Ce qui est surprenant, écrit Freud, c’est mais leur forme, leur agencement 2 .
que, quand cet investissement d’objet est retiré Le processus qui n’a plus rien de commun avec le
("l’investissement pulsionnel est retiré des endroits refoulement tel qu’on l’observe dans les névroses –
qui représentent la représentation d’objet Lacan le nomme du terme freudien de Verwerfung.
inconsciente" p. 121), la partie de la même Même s’il ne correspond pas à la signification
représentation d’objet qui appartient au système pcs ambiguë qu’il a dans le texte de L’homme aux
– c’est-à-dire la représentation de mot subit un loups, ce terme permet à Lacan de mieux isoler le
investissement plus intense, alors qu’on aurait pu processus que Freud lui-même repère comme n’étant
s’attendre à ce qu’elle disparaisse la première sous le pas de l’ordre du refoulement/retour du refoulé,
choc du refoulement. (différent du refoulement comme savoir et oubli).
Nous avons là, à l’état de question, deux indications L’accent mis par Lacan sur la structure à l’encontre
précieuses que Freud ne développera pas dans toutes du courant international dans lequel la perspective
leurs conséquences, mais qui peuvent fournir le génétique a prévalu, l’amène à rapprocher la
point de départ d’une clinique analytique des forclusion d’un autre terme freudien, celui de
psychoses : d’une part, on constate qu’avec les négation (Verneinung). C’est un rapprochement de
psychoses nous sommes en présence d’un contraste, mais en même temps un rapprochement
mécanisme qui, si on doit encore l’appeler qui permet de situer la différence radicale du
refoulement, n’a pas grand chose en commun avec le processus psychotique par rapport au refoulement,
refoulement observé dans les névroses de transfert.
2
A la fin de l’article, Freud affirme même que "En 1924, Freud écrit un article incisif : la perte de réalité dans la névrose
et la psychose, où il ramène l’attention sur le fait que le problème n’est pas
1 celui de la perte de la réalité, mais du ressort de ce qui s’y substitue"
Trad, fr, dans Métapsychologie, Gallimard. (Lacan, Écrits, p. 542)

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cette différence même que Freud cherchait à proposition universelle et la proposition particulière,
formuler, dans le registre du langage plutôt que dans mais enfin, le mécanisme de base reste le même,
un registre génétique. celui de ce que Lacan appelle la négation
La négation s’impose d’emblée comme étant de complémentaire (et qui exclut qu’un élément puisse
l’ordre du discours, comme ce qui dans le langage appartenir à une classe et à la classe
ou dans la logique est le plus éloigné, hétérogène à complémentaire.)
la perception et à la représentation. Ce n’est que Ce fonctionnement de la négation est celui qu’on
dans le langage qu’on peut dire que ceci n’est pas retrouve toujours au niveau de la logique et il se
cela, que quelque chose n’existe pas, car dans le réel trouve illustré dans le diagramme d’Euler, qui
rien ne manque, les choses sont ce qu’elles sont. fournit le support à toutes les opérations qu’il est
Aussi, situer la forclusion par rapport à la négation possible d’effectuer dans le calcul des propositions.
c’est situer ce procès par rapport au discours et tenir
la question préliminaire de la psychose dans l’axe de
l’analyse freudienne, au lieu d’en faire un trouble du
psychisme (de la pensée ou de l’affect) avec toutes QuickTime™ et un
décompresseur TIFF (non compressé)

les apories que ça comporte.


sont requis pour visionner cette image.

Je partirai, pour parler de la négation, de ce caractère


paradoxal qui a toujours été souligné par les
philosophes, et qui consiste simplement en ceci :
qu’en niant une chose, un concept, on les pose en
Vous n’êtes pas sans savoir que cette logique se
même temps. Toute négation suppose la position du
trouve subvertie par des énoncés qui se présentent
quelque chose qu’elle nie, au point qu’un philosophe
comme contradictoires ou paradoxaux, tel que le
comme Bergson a pu dire que la négation d’un objet
célèbre "je mens" dont on ne pourrait dire ni qu’il est
contient plus d’idée que l’idée de l’objet lui-même,
vrai, ni qu’il est faux – puisque s’il dit la vérité alors
puisqu’elle pose l’idée de l’objet plus l’idée de sa
il ment, et s’il ment alors il dit la vérité.
négation.
Évidemment, là aussi, (en poursuivant l’idéal d’un
Certes, on peut considérer que la négation est une
univers de discours) on arrive à boucler l’affaire en
marque grammaticale ou un opérateur logique
posant comme axiome que des énoncés ou des
comme les conjonctions, les prépositions, les articles
prédicats s’appliquant à eux-mêmes sont à exclure
et en ce sens considérer qu’elle ajoute quelque chose
du calcul – tout comme à l’autre bout de la logique,
à la simple idée d’une chose, à la signification. Mais
l’autre célèbre paradoxe de "l’ensemble de tous les
alors n’est-on pas dans l’impossibilité de nier
ensembles" ou du "catalogue de tous les çatalogues
purement et simplement une chose, une idée ? Vous
qui ne se mentionnent pas eux-mêmes", se trouve
reconnaissez là un des anciens casse-tête de la
neutralisé par la position de l’axiome qui dit que "la
philosophie : si on pense à ce qui n’est pas, au non-
collection de tous les ensembles n’est pas un
être, est-ce qu’on ne le fait pas être en quelque sorte,
ensemble".
comme une sous-catégorie de l’être, une partie de
Ce que Lacan nous fait remarquer c’est que les
l’être ? Ou, autre version, si l’être et le non-être font
énoncés paradoxaux ou contradictoires ne
deux, le concept qui les englobe, le tout dont ils
constituent pas un cas à part ou une exception au
seraient les deux parties, n’est-il pas à son tour
principe du tiers exclu, mais que, à l’instant même
incomplet du rien qu’il exclut ; ou alors, s’il faut un
où ils constituent cette exception dans le cadre de la
autre concept pour englober le tout et le rien, ne
logique formelle où ils veulent se faire entendre, ils
risque-t-on pas d’aller à l’infini ?
manifestent l’incidence de la condition même de tout
Au niveau de la logique – logique aristotélicienne
énoncé que la logique exclut pour pouvoir se fonder.
(mais la logique aristotélicienne n’est pas si
Il est clair qu’en dénonçant la contradiction de
dépassée que ça) on s’en tire en posant la négation
l’énoncé "je mens", on tient compte à la fois de
comme marque de la classe complémentaire d’une
l’énoncé et du fait qu’il est dit, c’est-à-dire qu’on
classe définie par un prédicat, une propriété, un
réintroduit dans la logique ce qu’elle exclut
trait : le hérisson a comme classe complémentaire
précisément : l’énonciation 3 .
"ce qui n’est pas hérisson", le "non-hérisson", au
On réintroduit l’énonciation, mais sans la distinguer
même titre que les vertébrés ont comme classe
de l’énoncé – du même geste qui l’exclut pour
complémentaire les invertébrés.
Naturellement c’est plus compliqué que ça : il faut 3
A propos du "je mens", voir Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de
distinguer le contraire et le contradictoire, la la psychanalyse, p. 127-128.

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fonder la logique comme champ de l’énoncé. Et on présence à chaque élément. Or cette marque,
rencontre des paradoxes. En repérant la place de pourtant nécessaire à la formation de l’ensemble,
l’énonciation comme hétérogène à l’énoncé et en n’appartient pas elle-même à l’ensemble, elle s’en
même temps comme sa condition interne, Lacan trouve exclue dans le mouvement même par lequel
montre que les énoncés du type "je mens" sont tout à elle le constitue. Ainsi, si le trait choisi pour
fait tenables. Mais à partir du moment où le "je rassembler des éléments est celui de "être un
mens" s’introduit dans l’univers du discours, c’est ensemble", ce trait "être un ensemblé" s’exclut de la
toute la logique qui se trouve traversée de part en collection des éléments qui sont un ensemble, tout
part par une faille, la faille même sur laquelle elle comme l’ensemble de tous les termes abstraits
s’appuie à chaque étape de sa stratification pour comprend le terme "abstrait" lui-même, mais pas au
déplacer de plus en plus loin le seuil de sa fermeture. sens – ou mieux encore – pas à la même place où il
"(La logique moderne) est incontestablement la permet de rassembler certains termes dans
conséquence strictement déterminée d’une tentative l’ensemble "termes abstraits". Le terme "abstrait" ne
de suturer le sujet de la science, et le dernier s’applique à lui-même qu’en tant qu’il est différent
théorème de Gödel montre qu’elle y échoue, ce qui de soi, il ne s’appartient à lui-même qu’en tant qu’il
veut dire que le sujet en question reste le corrélat de est exclu de l’ensemble formé par lui-même. Et ceci
la science, mais un corrélat antinomique puisque la serait vrai même si la langue ne comportait comme
science s’avère définie par la non-issue de l’effort seul terme abstrait, que le terme "abstrait" lui-même,
pour le suturer" 4 voire pas de terme abstrait du tout : abstrait serait là
Là où la logique trace une frontière au-delà de distinct de sa propre place dans l’ensemble vide des
laquelle se trouvent rejetés les énoncés paradoxaux termes abstraits.
(ou contradictoires en eux-mêmes) Lacan repère A = ensemble des termes abstraits A = , M, N, O, P,
cette extériorité de l’énoncé à lui-même, cette Q, A,… } ensemble à un seul élément : A = A }
exclusion par rapport à soi, comme étant la ensemble vide :
possibilité incluse dans la nature du signifiant A= 0I
comme tel. Là où la logique exclut les énoncés (les Mais vous saisissez maintenant que cette exclusion
concepts) qui s’appliquent à eux-mêmes, l’élément de chaque terme par rapport à lui-même, et que la
qui s’appartient à lui-même, l’ensemble de tous les théorie des ensembles écrit à différents niveaux
ensembles etc, Lacan montre qu’il s’agit de – soit qu’un élément et l’ensemble comprenant cet
l’exclusion de tout énoncé par rapport à lui-même, élément sont différents,
de l’extériorité de tout élément par rapport à lui- – soit que la collection de tous les ensembles n’est
même en tant que condition interne au signifiant pas un ensemble, que cette exclusion ne se produit
comme tel. C’est de s’exclure de lui-même, de ne pas au moyen de la même négation que celle qui
pas s’appliquer à soi que le signifiant se pose comme exclurait, par exemple, de l’ensemble des termes
tel (à la différence d’une trace naturelle). abstraits le terme "rouge" parce qu’il est non-abstrait
Le mouvement d’exclusion sur quoi se fonde la (parce qu’il relève de la classe complémentaire des
logique pour pouvoir se fermer, pour délimiter le non-abstraits).
champ de la combinatoire signifiante, est celui-là Le graphe qui écrit cette exclusion interne de tout
même qui y fait retour à l’endroit où le signifiant se terme ou de tout énoncé par rapport à lui-même
pose comme tel, là où il se réduit au maniement le aurait plutôt ce tracé-ci :
plus formel de la lettre.
D’exclue, l’énonciation s’avère être en exclusion
interne à tout énoncé, la condition même d’un
énoncé, d’un concept, d’un dit, réduits à leur
élémentarité littérale.
A ce niveau, le fonctionnement de la négation QuickTime™ et un
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sont requis pour visionner cette image.

comme opérateur de la logique des classes s’en


trouve subverti par une négation isomorphe à
l’altérité de l’énonciation.
Je vais essayer d’illustrer ça par étapes.
Pour collectionner un ensemble d’éléments, il faut
un trait, une marque dont on puisse attribuer la
A venant "s’inclure" en lui-même, mais en tant qu’il
4 se répète, en tant qu’il est différent de soi. Ce qui ne
J. LACAN, Écrits, p. 819.
lui donne pas une consistance redoublée, mais rend,

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au contraire, sa propre inclusion homogène à ce qui représentant qui rate sa propre présentation. Il
est exclu du champ. produit structurellement en avant de lui un symbole
Il s’agit ici d’une négation ou d’une exclusion en plus, le signifiant qui signifie le signifiant en tant
interne à tout élément en tant qu’il est exclu qu’il qu’il manque à chaque signifiant ; symbolisable par
s’appartienne à lui-même – ceci est l’axiome de la l’inhérence à l’ensemble des symboles – quand ils
logique –, mais en tant précisément que cette sont tous là – d’un symbole manquant (-1) "trait qui
exclusion – et là c’est l’interprétation de Lacan – en se trace de son cercle sans pouvoir y être compté" 7 .
tant que cette exclusion est constitutive de l’élément C’est l’écriture lacanienne du signifiant, en tant qu’il
comme tel, de n’importe quoi, chose, trace, tache, est d’emblée binaire, Autre à lui-même : S1 → S 2 , S2
vide qui soit pris dans la dimension du langage, qui n’étant pas un "deuxième" signifiant, mais le
soit fait signifiant, trait. signifiant en tant qu’Autre à lui-même, sa propre
A l’endroit même où la logique se fonde sur répétition. Ce qui fait que S2 est ce rapport S1 → S2
l’efficacité de cette non-appartenance de la lettre à du signifiant. S2 à lui-même. Ce qui entraîne un recul
elle-même pour produire ses axiomes – et donc pour à l’infini de S2 dans la répétition de S1.
aussitôt suturer la faille qui est pourtant le moteur de Si S1 – S2 _S2 et S2 est transformable en S1-S2
ses développements – Lacan en repère la cause dans S1(S1 – – – >(§1 s2)) (3)
un foyer d’inconsistance qui consomme l’être même Dans cette impossibilité du signifiant à se
qu’il produit. représenter, dans l’intervalle de cette impossibilité –
Du signifiant Lacan montre non seulement que sa qui n’est rien de représentable, qui est hors
réalité est de ne pas être tous les autres – je vous représentation, gît la place radicale de l’énonciation.
rappelle ici ses développements dans le séminaire De cette impossibilité du signifiant à parler de lui-
sur l’Identification, qui ont été évoqués dans divers même choit comme effet, la place d’un silence, mais
exposés de l’année dernière – mais aussi de ne pas d’un silence qui ne peut se taire lui-même si vous
être lui-même. Ce qui différencie un trait, une me permettez l’expression (qui n’est pas sans
marque, un quelque chose qui se lit ou s’entend, rappeler "la bouche qui se baiserait elle-même", de
d’une trace, d’un gribouillis ou d’un son, c’est qu’il freudienne mémoire) non pas le silence du sujet
cesse d’être ce qu’il est pour n’être que sa différence absolu, mais le silence de cette marge au-delà de la
d’avec d’autres traits, même s’il n’y en a pas parôle où s’inscrit le parlant comme tel. Place de la
d’autres, pour n’être que sa propre différence. mort plutôt, en tant qu’elle échappe à toute
Comme trait, sa réalité lui vient de ce qu’il n’est pas représentation – alors qu’elle est le point vif de la
ce qu’il est. Dès qu’il est lu ou entendu comme trait, condition de parlant, l’énonciation de la vie en tant
comme signifiant, il n’est pas ce qu’il signifie, il qu’elle est prise dans le langage. C’est dans ce point
n’est pas son propre trait. Aussi, ce n’est qu’à se non psychique, dans ce point de non-savoir dans
barrer même dans sa réalité de trait qu’il est trait, à l’Autre, soit dans l’Autre en tant que Un en moins,
manquer d’être soi qu’il peut être. A se signifier lui- que s’enracine le refoulement, que s’ébauche le désir
même, à être sa propre marque, il se répète, il se inconscient à l’endroit où l’Autre est lui-même
pose comme Autre ; et ce n’est que comme déjà marqué par le signifiant.
Autre qu’il peut se saisir en se ratant une "deuxième Je développerai encore ce point, qui a un rapport
fois". avec la négation, le point du refoulement originaire
On peut dire qu’il n’est, le trait signifiant, qu’une où s’inscrit le sujet de l’énonciation. Vous saisissez
place, mais précisément une place, cette place là, peut-être maintenant dans quel sens on peut dire du
c’est-à-dire une place qui n’existe que d’être refoulement qu’il est originaire, puisque ce qui est
marquée, mais d’une marque qui n’est que sa refoulé originairement n’est pas de l’ordre de
place 5 . Il ne réalise son être que dans sa disparition l’énoncé et qu’il est radicalement inconnaissable.
– mais une disparition qui n’est pas le trait effacé Mais dire qu’il est inconnaissable ce n’est pas dire
(effacement physique du trait – destruction), ni qu’il ne se produise pas, qu’il n’ait pas lieu. C’est
préalable au trait – car il n’y a pas de place qui ne bien la marque d’une marque qu’elle s’efface
soit pas déjà celle-là. "Rature d’aucune trace qui ne comme telle, qu’elle se constitue dans cet
soit d’avant" 6 , dans ce qu’il a de réel, dans son effacement interne. Et c’est pourquoi Freud dit que
attache au réel, le signifiant n’est que de cette l’inconscient ignore la contradiction, qu’il n’y a pas
disparition de lui-même. Il se présente déjà comme de non en provenance de l’inconscient, précisément
5 parce que la marque est cet être contradictoire,
J.-A. MILLER, Matrice, Ornicar n°4, 1975.
6
LACAN, Lituraterre, Littérature n°3, 1971, p. 7. 7
J. LACAN, Écrits, p. 819.

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"discordantiel", qui se constitue dans son propre qu’il y a de primordial dans le signifiant : son
effacement, qui se trace de sa propre négation. refoulement originaire. Pour le dire d’une manière
La VERNEINUNG, la négation, à ce niveau radical, plus imagée, ce n’est pas sur un refoulé archaïque
au niveau de ce que Freud appelle le processus que s’opère l’éjection, l’expulsion, mais sur l’organe
primaire, ne se situe pas comme la marque d’une du refoulement lui-même.
classe complémentaire à la classe du oui, à la classe C’est comme ça qu’il faut entendre, la formule
de l’affirmation – elle opère comme annulation "signifiant primordial", que Lacan isole comme étant
constitutive de l’être du signifiant. Elle est intriquée ce sur quoi porte la forclusion. Il s’agit bien d’un
à l’affirmation. Le non-signifiant dans lequel va signifiant, mais dans ce qu’il a de primordial, en tant
choir cette sorte d’être auquel nous avons à faire, cet qu’il articule l’effet du signifiant comme tel, ce qui
être qui a la dimension de l’inconscient et qu’on est primordial dans le signifiant et que j’ai essayé de
appelle un sujet, ce non-signifiant ne relève pas vous montrer comme étant de l’ordre d’une
d’une classe complémentaire au signifiant, comme Verneinung, d’une négation interne à la Bejahung du
qui dirait "le corps, l’affect, d’un côté et le signifiant signifiant 9 .
de l’autre" – mais il est le pas d’être du signifiant où Si le refoulement est ce point de non-savoir
advient le "je" au niveau de l’énonciation (comme originaire dans l’Autre, cet impossible qui traverse
objet disparu). l’ensemble du signifiant en tant que la condition
Le sujet psychanalytique n’est pas le sujet d’une d’un signifiant c’est l’Autre, ou en tant que le
pensée plus intime ou profonde. Il s’insère dans le signifiant est Autre à lui-même, il ne faut pas oublier
discours commun (dans le discours où le signifiant- que cet Autre n’est pas un signifiant comme un
maître occupe la place de l’agent : avec son autre, mais qu’il est ce signifiant en plus –
corrélatif sujet psychique, sujet à la censure) à nécessaire à la chaîne – en tant qu’il manque, en tant
l’endroit où se produit le refoulement, soit à cet qu’incomptable.
endroit où l’inconnaissable, l’irreprésentable choit Je crois que c’est à la lumière de ce que Lacan
comme le réel du signifiant, faille qui se propage – développe dans le Séminaire XI, dans les pages sur
indécidable – entre phonème, mot, phrase, voire l’aliénation et la séparation qu’on peut relire les
toute la pensée. Il est sujet du signifiant, et il passages du séminaire sur Les psychoses et cette
s’incarne à ce point de non-fermeture, et de faille page des Écrits (392) où il est question de ce
dans l’Autre qui traverse l’ensemble des signifiants symbole que le sujet a à l’origine retranché de sa
– comme Verneinung interne à l’affirmation Bejahung. Le signifiant qui est retranché est celui
symbolique. Il n’est pas le sujet d’énoncés qui répond au retranchement du signifiant, de sa
personnels, privés, il est la part exclue du système coupure, il est le signifiant de la coupure en tant
signifiant qui le détermine. Le rien qui met le qu’il manque, en tant qu’il est extérieur au subjectif,
signifiant qui l’identifie à distance de lui-même. mais qui de son manque détermine :
Il me semble vous en avoir assez dit que pour ∠ la place de l’énonciation, la place du sujet comme
pouvoir maintenant reprendre la question que j’avais disparu ;
posée au début – la question laissée ouverte par ∠ la structure originairement métaphorique du
Freud à propos de la psychose, là où il constatait les langage ou ce que Lacan appelle la structure de
paradoxes que soulève la tentative de concevoir la fiction de la vérité.
psychose en termes de régression ou de retour du Le sujet de la psychose s’insère dans le langage à cet
refoulé. Au point de se demander si ce dont il s’agit endroit où la place de l’énonciation n’est indiquable
dans la psychose a encore quelque chose à voir avec que dans l’intervalle de la marque à elle-même, dans
le refoulement. Je vous ai dit que cet abord freudien ce point d’impossibilité de l’énoncé à dire sa vérité,
désigne en négatif la place d’un processus hors sa relation à l’Autre. Mais à cet endroit, à ce point,
refoulement qui n’a pas été reconnu par les post- le sujet de la psychose subit l’effet d’une annulation
freudiens, qui s’en sont de plus en plus détournés de cette différence (S1→S2) comme si le signifiant
pour des perspectives génétiques. Processus que s’était identifié à lui-même, compact, solidifié 10 . Il
Lacan a isolé en l’épinglant du terme freudien de subit l’effet d’un retranchement originaire de ce
Verwerfung. signifiant du manque dans l’Autre, qui est indiqué, à
Le processus Verwerfung – de rejet, de forclusion – l’étage de l’énonciation, comme S(A).
n’est pas un processus de refoulement d’un
signifiant, fût-il le plus archaïque des signifiants, des 9
Cf. Écrits, p. 558.
énoncés ou des contenus, mais la forclusion du 10
J. Lacan, Séminaire XI, p. 215
processus signifiant du refoulement, le rejet de ce

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Ce sont là deux axes, me semble-t-il, sur lesquels


Lacan met l’accent dans l’analyse du discours
psychotique – que je me limite à indiquer :
∠ le statut de l’énonciation : son émancipation du
lieu du manque de l’Autre et son errance dans le réel
– sa descente à l’étage de l’énoncé ;
∠ le bouleversement du processus métaphorique
comme effet de cette Verwerfung de la structure
originaire du signifiant – en tant que tout signifiant
ne fait que venir à la place d’un autre qui manque et
n’est jamais équivalent, synonyme d’un autre.
Là où ce n’est pas une mince affaire, c’est d’essayer
d’articuler en quoi cette structure originaire du
"signifiant primordial" a un rapport avec la fonction
paternelle.
16 janvier 1982
8 Cf, le séminaire D’un Autre à l’autre, 27 novembre et 14 décembre (inédit)
et Encore, p. 130.

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VERNEINUNG ET VERWERFUNG, une lecture du


livre III du séminaire (à la recherche d’un fil pour la
direction de la cure)
José Cornet
"Eh bien voilà", c’est ainsi qu’un jour, j’avais ainsi crânement cette exigence dans la cure
ponctué une séance d’analyse ; rien de bien nouveau présentent toujours un rapport extrêmement serré
dans cette séance n’était apparu, je ponctuais là une avec un réel particulièrement insupportable. Je pense
émergence significative ou subjective à partir d’un que cela peut apparaître dans toutes les structures,
signifiant éclairé et éclairant de par sa liaison à un mais pour ma part, je n’ai vraiment rencontré cette
autre signifiant. Pendant plus d’un mois, je n’ai plus exigence d’écriture que chez des phobiques et des
revu celui à qui s’adressait cette ponctuation. C’est psychotiques (quand je dis psychotiques, entendez le
seulement quand il est revenu que j’ai su la séance plus souvent des sujets à propos de qui il est
d’analyse prolongée dans un délire fagoté autour de impossible de trancher au départ s’ils sont
ceci : c’était que dans le temple, le voile qui sépare psychotiques ou pas, la cure pouvant permettre d’en
le saint des saints du lieu public où chacun a accès décider), ou encore chez des sujets chez qui la
s’était déchiré, laissant ainsi communiquer question de l’inceste était nouée dans l’histoire
l’incommunicable, et mettant par terre un ordre ou familiale avec celle du meurtre (souvent il s’agissait
un code régi par la loi : je ne savais pas que voilà de sombres histoires de guerre, de collaboration ou
était pour ce sujet un des noms du père. Je ne savais d’engagements fascistes).
pas qu’il ne fallait pas dire ce mot-là même si je sais 2ème remarque :
qu’avec un psychotique en tout cas il faut toujours Vous connaissez bien un certain nombre de
savoir ce qu’on dit ; c’était donc une occasion ratée pratiques qui ont cette particularité technique
de me taire. d’introduire entre le sujet qui parle et l’analyste
Je ne vais pas dire que je me trouve dans la même disons qui écoute un objet tiers : une pâte sur
réserve aujourd’hui et puis voilà que c’est dit. Mes laquelle imprimer une forme, papier et crayons avec
propos sont vraiment liminaires, triviaux pourrait-on quoi dessiner, couleurs et de quoi peindre, poupée,
dire ; je les ai groupés en 3 x 3 remarques, qui me fanfreluche, etc. Cet objet requis est mis là pour faire
viennent d’un travail en cartel sur la Verneinung, et transition et table de parole, étant sous-entendu, et
de la lecture toute neuve du livre III du séminaire de parfois explicitement reconnu que les mots ne
Lacan sur les psychoses. Électivement, j’y cherche peuvent pas faire l’affaire, les mots qui ont pourtant
les points d’articulation de la clinique à la saisie une matérialité, au moins sonore. Tant qu’à faire, à
conceptuelle. vouloir maintenir mordicus une sorte de matériel
d’imprimerie entre les sujets analysant-analyste,
1ère remarque : pourquoi ne pas travailler avec des écrits comme
cette chose matérielle requise. Je me souviens d’une
Elle concerne l’écriture. Lacan nous dit en 1958 (I, jeune adolescente placée ou plutôt déplacée dans une
87) que commenter un texte, c’est comme faire une section psychiatrique fermée avec un diagnostic
analyse. Et 25 ans plus tard, il nous dit que le point d’interrogation : sourde-muette-psychotique ;
psychanalyste dépend de la lecture qu’il fait de son comme cette fille faisait régner la terreur dans cette
analysant (Ornicar XVII-XVIII, p. 12), lecture de ce section, c’est du moins ainsi que m’était rapporté
que celui-ci lui dit en propres termes, croit lui dire. l’effet de la présence de cette fille sur le personnel
Mais est-ce pour autant qu’on puisse faire une soignant comme on dit, et sur les malades, elle
analyse par écrit, sûrement pas, c’est même en quoi passait le plus clair de son temps liée et bandée sur
Lacan juge que l’analyse de Freud a échoué, d’avoir un lit de chambre d’isolement, en compagnie de ses
été une writing-cure, une cure par écrit. Ce n’est urines et de ses fèces. Comme elle ne parlait pas, et
pourtant pas si rare que des patients qui viennent en après quelques corps à corps où je n’arrêtais pas de
analyse non seulement abordent la question de lui parler, eh bien j’avais apporté du papier et des
l’écriture, mais prétendent en faire un constituant crayons ; et après une série de séances de traits en
même de la cure. Ils apportent des écrits. A mon série, dessinés donc, elle était parfaitement arrivée à
expérience, il m’est apparu que ceux qui mettent dessiner un corps d’humain, qui s’était peu à peu

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spécifié puis bloqué à une figure stéréotypée qui 3ème remarque, à l’intersection des deux
représentait un humain habillé mais pourtant premières :
parfaitement – c’est le mot – sexué puisqu’affublé Quand Lacan parle de l’écriture et de la lecture, ce
sur ses vêtements de deux seins et d’un pénis bien n’est pas dans l’usage prosaïque et pourrait-on dire
placés. Ce qui m’avait évidemment beaucoup plus abâtardi que je présente ; en en parlant, il fraye voie
surpris, c’est qu’arrivé à ce stade de dessin pour un travail théorique qui permettrait de s’y
stéréotypé, sur la poche gauche du pantalon de la retrouver, ou s’y orienter dans le champ de la
dite stature humaine, une sorte de poche révolver, psychose notamment, dans le champ freudien
immanquablement elle dessin ait, elle marquait, elle éminemment. Pensez à des formules qu’il invente
traçait, elle écrivait un 5, enfin le chiffre 5. Alors comme quoi la représentation de mots, c’est
bien évidemment – elle a des seins, elle a un pénis, l’écriture (D’un discours qui ne serait pas du
elle a des vêtements et (ou) mais elle a un 5 à son semblant, 10/3/71), pensez à la lettre volée, à
pantalon, et même à la poche de son pantalon. l’instance de la lettre dans l’inconscient, etc. Que
Très bien, mais que faire avec cela ? J’avais là la trouvons-nous comme indications de Lacan dans le
preuve que chez ma brave fille, le signifiant avait séminaire III, concernant l’abord "sur le tas" de
aussi fait son œuvre, j’avais là un rébus facilement psychotiques. Je vous en donne quelques unes : (à
lisible ? Vite dit puisque ma patiente là était propos de tout discours comme du délire), les
néerlandophone, enfin qu’en sais-je ? Disons que premières règles d’un bon interrogatoire, d’une
son entourage de prime enfance puis d’hôpital était bonne investigation des psychoses, pourraient être
néerlandophone. Est-ce que ça se dit "Ik heb een vijf de laisser parler le plus longtemps possible ; et il
aan m’n broek ?" Je n’en sais rien. (Au moins dans ajoute que toutes notions compréhensives préalables
le patois d’où je suis né, ça fait immédiatement sens, contribuent à obscurcir notre rapport aux délirants
cette exprèssion : avoir un 5 à son pantalon, ça veut (III, p. 137). A la vérité, prendre son temps participe
dire qu’on l’a déchiré, et encore pas n’importe de cette attitude de bonne volonté dont je soutiens ici
comment, c’est un accroc qui laisse pour trace une la nécessité pour avancer dans la structure du délire
déchirure à angle droit ; j’apprends maintenant que (III, p. 139). Donc l’indication de Lacan au niveau
cette signification n’a pas cours partout en du séminaire III, c’est de ne rien interposer entre le
francophonie, que par contre elle existe dans discours du psychotique et l’écouteur de service,
d’autres régions telle quelle, à ceci près que le appelé à être le bon entendeur ; rien, c’est-à-dire ni
chiffre varie). Alors je me suis dit, tant qu’à faire, et imprimante, pâte, papier, chiffon, loque, que sais-je ;
sans savoir ce que je faisais vraiment, j’ai fait avec rien, c’est-à-dire aussi ni préjugé, ni construction
elle des mathématiques, j’ai repris ses dessins de préalable, aucun prisme dont on connaît par ailleurs
traits en série, et tout bêtement j’ai aligné des la loi de diffraction des rayons qui y entrent ; j’en
chiffres, puis j’ai joué avec elle les opérations citerai pour l’établir toujours Lacan en 56 : "Le sens
abécédaires de l’arithmétique, etc. Les effets furent du mystère ne manque jamais dans la pensée de
vraiment stupéfiants de ce que cette toute jeune fille Freud. C’est son début, son milieu et sa fin. Je crois
du jour au lendemain de ces premiers chiffres écrits qu’à le laisser se dissiper, nous perdons l’essentiel
présentât une transformation inouïe, c’est le cas de le même de la démarche même sur laquelle toute
dire, de son comportement ; de dite sourde, elle se analyse doit être fondée. Si nous perdons un seul
mit à entendre, de visage hébété elle se mit à sourire instant le mystère, nous nous perdons dans une
à bon escient, de comportement elle se mit à varier nouvelle forme de mirage" (III, p. 245) ; cette
significativement les rencontres avec les êtres, les citation situe le sens du mystère comme la voie
choses, et le rien. La suite du travail fut cependant d’accès à l’énigme tout à fait particulière du sujet, en
laissée en plan. A ce moment-là, j’étais bien loin dehors de tout mirage.
d’avoir lu chez Lacan qu’une des fonctions du père 4ème remarque.
les plus frappantes était l’introduction d’un ordre Une des lectures du séminaire III, c’est celle de la
mathématique, dont la structure est différente d’un distinction qui continue à s’inaugurer et s’inaugurera
ordre naturel (III, 360). Je donne cette illustration R.S.I. Lacan se propose explicitement (III, p. 25) de
clinique pour inviter au témoignage des praticiens situer par rapport à RSI les diverse formes de la
qui s’appellent par exemple des logopèdes à qui ça psychose, ce qui lui permet de préciser dans ses
doit bien arriver de rencontrer la psychose, en ressorts derniers la fonction à donner au moi dans la
travaillant le langage et l’écriture à la base. Ça doit cure (qu, de la relation d’objet). Quelle indication
bien leur donner accès à un matériel qu’il serait nous donne Lacan quant à la menée de la cure ? II
intéressant de confier au travail de la psychanalyse. nous dit cette chose qui me paraît énorme : c’est

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qu’il y a une certaine façon de manier la relation l’habitude ; donc le primum non nocere n’a pas
analytique qui consiste à authentifier l’imaginaire, à cours en analyse, pas plus que le restitutio ad
substituer à la reconnaissance sur le plan symbolique integrum, ad statum quo ante ; mais cela signifie-t-il
la reconnaissance sur le plan imaginaire ; à cette une irresponsabilisation de l’analyste ?
façon de manier la cure il faut attribuer les cas bien 7ème remarque :
connus de déclenchement assez rapide de délire plus Ces trois dernières remarques posent la question de
ou moins persistant, et QUELQUES FOIS ce qu’il doit en être du désir de l’analyste, de
DÉFINITIF (III, p. 24), "Le fait qu’une analyse peut positions c’est-à-dire des diverses façons dont il peut
déclencher dès ses premiers moments une psychose, être posé dans une cure. C’est Schreber qui interroge
est bien connu, mais jamais personne n’a expliqué le psychiatre :"Est-ce que vous n’avez pas peur de
pourquoi. C’est évidemment fonction des temps en temps de devenir fou ?"(III, p. 140). C’est
dispositions du sujet, mais aussi d’un maniement tout à fait vrai, des usagés du discours psychotique
imprudent de la relation d’objet (III, p. 24). ont souvent eu le sentiment d’où ça les mènerait
Permettez, ce sont là des phrases qu’on reçoit en d’écouter toute la journée des gens qui débloquent
pleine figure, si l’on a eu un peu de pratique avec des choses si singulières. Le normal que nous
des psychotiques ; donc, vous vous trompez d’objet sommes (peut-être) au départ ne prend pas au
et ça fait délirer l’autre à vie, à mort. sérieux la plus grande part de son discours intérieur,
5ème remarque : et c’est pourquoi l’aliéné incarne pour beaucoup, et
C’est notamment Hélène Deutsch qui permet à sans même qu’il se le dise, là où ça nous conduirait
Lacan de nous parler du préalable de la psychose, en si nous commencions à prendre les choses au
introduisant le concept du "comme si" ; comme quoi sérieux."La psychose est un essai de rigueur. En ce
le psychotique n’entrerait jamais dans le jeu du sens, je dirai que je suis psychotique, dira Lacan en
signifiant, sinon par une sorte d’imitation extérieure. 75. Je suis psychotique pour la seule raison que j’ai
Que nous dit alors Lacan :"Il arrive que nous toujours essayé d’âtre rigoureux (Ornicar, 6-7, p. 9).
prenions des prépsychotiques en analyse, et nous (Freud n’était pas psychotique, parce qu’il
savons ce que cela donne, cela donne des s’intéressait à quelque chose de différent : son
psychotiques. On ne se poserait pas la question des premier intérêt était l’hystérie.)
contre-indications de l’analyse si nous n’avions pas Il y a donc là un renversement : c’est l’analyste qui
tous en mémoire tel cas de notre pratique, ou de la aurait à l’être, psychotique. Ceci dit, quelle
pratique de nos collègues, où une belle et bonne indication nous donne Lacan pour la menée de la
psychose (…) est déclenchée lors des premières cure ? "Je ne pense pas qu’on puisse dire réellement
séances d’analyse un peu chaudes, à partir de quoi le que les névrosés sont malades mentaux. Les
bel analyste devient rapidement un émetteur qui fait névrosés sont ce que sont la plupart. Heureusement,
entendre toute la journée à l’analysé ce qu’il doit ils ne sont pas psychotiques. Ce qui est appelé un
faire et ne pas faire"(III p. 285). symptôme névrotique est simplement quelque chose
6ème remarque : qui lui permet de vivre. Ils vivent une vie difficile et
En fin de séminaire, Lacan nous indique où nous essayons d’alléger leur inconfort. Parfois nous
l’analyste a à travailler :"Pour être des médecins, leur donnons le sentiment qu’ils sont normaux. Dieu
vous pouvez être des innocents, mais pour être des merci, nous ne les rendons pas assez normaux pour
psychanalystes, il conviendrait tout de même que qu’ils finissent psychotiques. C’est le point où nous
vous méditiez sur un thème comme celui-ci, bien avons à être très prudent. Certains d’entre eux ont
que, ni le soleil ni la mort, ne se puissent regarder en réellement la vocation de pousser les choses à leur
face. Je ne dirai pas que le moindre petit geste pour limite. Je m’excuse si ce que je dis semble – ce que
soulever un mal donne des possibilités d’un mal plus ce n’est pas – audacieux. Je peux seulement
grand, il entraîne TOUJOURS un mal plus grand. témoigner de ce que ma pratique me fournit. Une
C’est une chose à laquelle il conviendrait qu’un analyse n’a pas à être poussée trop loin. Quand
psychanalyste s’habitue, parce que je crois qu’il l’analysant pense qu’il est heureux de vivre, c’est
n’est absolument pas capable de mener en toute assez." (Ornicar, 6-7, p. 15)
conscience sa fonction professionnelle sans 8ème remarque :
cela."(III, p. 361) La psychose, nous dit-on, pose la question de ce que
Le poids de cette indication s’avère quand on se c’est qu’un Père. A la question de savoir par quelle
rappelle que dans l’éthique de la psychanalyse, voie la dimension de la vérité entre de façon vivante
Lacan établit que si éthique il y a de…, c’est celle de dans la vie, dans l’économie de l’homme, Freud
l’effacement, de la mise à l’ombre, de l’absence de répond que c’est par l’intermédiaire de la

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signification dernière de l’idée du Père (III, p. 244), n’explique non plus qu’il faille que des êtres
cette notion de Père donnant l’élément le plus meurent pour que d’autres naissent ; il y a pourtant
sensible dans l’expérience de ce que Lacan a appelé un rapport essentiel entre la reproduction sexuée et
point de capiton entre le signifiant et le signifié (III, l’apparition de la mort (les biologistes tournent
p. 304). On peut croire que dans une psychose, tout autour de la même question). Il y a quelque chose de
est dans le signifiant. Tout a l’air d’y être et radicalement inassimilable au signifiant : c’est tout
pourtant, c’est, nous dit Lacan, dans un autre registre simplement l’existence singulière du sujet. Pourquoi
qu’il faut aborder ce qui s’y passe. Lacan dit n’en est-il là ? D’où sort-il ? Que fait-il là ? Pourquoi va-
pas savoir le compte, mais il n’est pas impossible t-il disparaître ? Le signifiant est incapable de lui
qu’on arrive à déterminer le nombre minimum de donner la réponse, pour la bonne raison qu’il le met
points d’attache fondamentaux entre le signifiant et justement au-delà de la mort. Le signifiant le
le signifié nécessaire à ce qu’un être humain soit dit considère déjà comme mort, il l’immortalise par
normal, et qui lorsqu’ils ne sont pas établis, ou qu’ils essence (III, p. 202 ; cf. aussi 215 et 282).
lâchent, font le psychotique (III, p. 304). Que peut Mais où l’analyste a-t-il alors à se placer : c’est vrai
vouloir dire être père ? Cette question passe par le qu’il doit se placer quelque part en A ; il s’agit pour
signifiant "procréation", auquel aucun accès lui de ne pas s’identifier au sujet, d’être assez mort
imaginaire n’est possible. Le sujet peut très bien pour ne pas être pris dans la relation imaginaire à
savoir que copuler est réellement à l’origine de l’intérieur de laquelle il est toujours sollicité
procréer, mais la fonction de procréer en tant que d’intervenir. C’est bien là ce qui est requis d’une fin
signifiant est autre chose ; pour que procréer ait son d’analyse en tout cas didactique, que l’analyste ait
plein sens, il faut encore qu’il y ait chez les deux subjectivé sa propre mort (Écrits, p. 348-349), seule
sexes appréhension, relation à l’expérience de la façon, tangentielle il est vrai, de savoir ce qu’on dit :
mort qui donne son plein sens au terme de procréer. "C’est pourquoi l’analyste doit aspirer à telle
Le signifiant être père est ce qui fait la grande route maîtrise de sa parole qu’elle soit identique à son
entre les relations sexuelles avec une femme. C’est être" (Écrits, p. 359).
de ce signifiant que manque Schreber, ce signifiant : Moment de conclure :
"Tu tues celui qui est, ou qui sera père », ce A mon avis, s’il y a un terme qui désigne la frontière
signifiant du Nom du père, celui avant quoi il n’y a et en même temps l’intermédiaire entre la théorie et
pas de père » (III, p. 329-330). On sait les ravages la pratique, c’est bien celui de rencontre, tuchè.
que peut engendrer la tenue par l’analyste de la Ainsi pour le psychotique, il s’agit non pas d’une
position de père dans le transfert. Comme le dialectique imaginaire qui après tout peut suffire
rappelait J.-A… Miller l’an passé, ceux qui dans l’expérience des névrosés (pour autant que là il
s’identifient au Grand Autre, c’est ça que Lacan y a déjà la relation signifiante impliquée pour
appelle les salauds ; autre chose est de répondre à la l’usage pratique qu’on veut en faire) ; quand il s’agit
place de l’Autre et autre chose est de s’identifier à de psychose, c’est autre chose – il ne s’agit pas de la
l’Autre (Quarto I, p. 38). Que l’analyste ait à opérer relation du sujet à un lien signifié à l’intérieur des
au lieu de l’Autre, c’est-à-dire dans la dimension structures signifiantes existantes, mais de sa
symbolique, et qu’il ait à opérer comme a dans le rencontre, dans des conditions électives, avec le
réel, on s’accorde sur ce point à lire le dernier signifiant comme tel, laquelle rencontre marque
Lacan. Demeurent toutefois des formulations l’entrée dans la psychose (III, p. 360). Τυ__, Lacan
énigmatiques tout au long de l’enseignement de traduit "la rencontre du réel", et il nous l’illustre
Lacan, sur la place et la fonction du Père réel. notamment par l’analyse du rêve de l’enfant mort
Notamment celle-ci :" Le père, c’est une fonction qui brûle, rêve qui ouvre le chapitre VII de la
qui se réfère au réel, et ce n’est pas forcément le vrai science des Rêves (XI, p. 56). Ce Rêve pose la
du réel. Ça n’empêche pas que le réel du père, c’est question :
absolument fondamental dans l’analyse. Le mode
d’existence du père tient au réel. C’est le seul cas où
le réel est plus fort que le vrai. Disons que le réel, lui
aussi, peut-être mythique (…) (Ornicar, 6-7, p. 45).
9ème remarque :
La psychose nous pose la question du rapport du
signifiant avec la mort : rien n’explique dans le
symbolique le fait qu’un être sorte d’un être ; dans le
symbolique rien n’explique la création ; rien

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BELLEROPHON ET LA MELANCOLIE (Après la


communication de C. Vereecken aux journées cliniques
d’octobre 81)
Jeanne Lafont
L’histoire de Bellérophon est racontée dans l’Iliade Antéa ou Sthénébée. C’est ici seulement que
au chant VI, vers 155 à 221 ; Homère le présente commence le récit homérique. Homère raconte
comme atteint d’une incurable mélancolie : "Affamé comme Antéa désira follement s’unir d’amour avec
de silence et de solitude" traduit René Radouart. le héros, mais en vain, alors dans le mensonge qui
Parce que cette description de la mélancolie, dans un ressemble à celui de Phèdre, Antéa demande à son
des premiers textes de notre culture, me paraît mari la mort de Bellérophon "qui a voulu s’unir
émouvante en ce qu’elle laisse la mélancolie dans d’amour avec moi contre ma volonté" : acte
l’ordre du désir, je me suis penchée de plus près sur incestueux renversé dans un mensonge. Bellérophon
le texte grec : change alors encore une fois de pays, il porte le
Αλλ'οτε δκαι κεινοζ απηηχετο πασι θεοισιν, poids d’une faute non plus anonyme, mais mentie,
ητοι δ καπ πεδον τδ’αληον οιο αλατο, δν θυμον dirons-nous.
κατεδων πατον ανθρωπων αλεινον. Il est envoyé par Proitos chez Iobatès, le père ou le
Dans l’édition Garnier, Eugène Lasserre traduit : frère d’Antéa, porteur d’une lettre funeste. Le roi lui
"Mais quand Bellérophon lui-même eut encouru la remet une "tablette repliée avec maints caractères
haine de tous les dieux, à travers la plaine d’Alion, mortels pour sa perte". Mis au courant par la lettre,
seul, il erra, rongeant son cœur, évitant les traces des le roi Iobatès lui impose des épreuves. Bellérophon
hommes". doit "tuer la Chimère invincible" $lion par devant,
Le début des trois vers en question, Αλλ'οτε δη και, serpent par derrière, et chèvre "(pour Hésiode, la
introduit une articulation de cet épisode de la chèvre à trois têtes une de lion, une de serpent et une
mélancolie avec l’histoire précédent de de chèvre). Mais Bellérophon est vainqueur" en
Bellérophon : quelle est-elle ? obéissant aux signes des dieux ". Une tradition
Dans l’Iliade c’est son petit-fils, Glaucos, qui ultérieure donne à Bellérophon dans ce combat
raconte l’histoire : Bellérophon est fils de Poséidon, l’aide de Pégase, le cheval ailé. Alors Iobatès
mais il a pour père humain un autre Glaucos, roi de l’envoie combattre les Solymes" le plus terrible
Corinthe, lui-même fils de Sisyphe. Le grand-père combat contre des hommes "et" les amazones, égales
de Bellérophon est donc Sisyphe, le plus sage et le aux hommes ". Enfin notre héros se tire d’une
plus rusé des hommes que la tradition donne aussi embuscade que Iobatès en désespoir de cause a
pour père à Ulysse. C’est Sisyphe qui pour avoir organisée. Enfin Iobatès comprend : que c’était là le
dénoncé une faute de Zeus, et réussi à échapper par noble fils d’un dieu (vers 191). C’est le même début
deux fois à la mort, est condamné au supplice que que celui de la description de la mélancolie : premier
l’on connaît : dans le tartare, il doit remonter un revirement de l’histoire pour Bellérophon. Jusque là
rocher qui à répétition dévale – une pente. On sait " héros béni des dieux ", il est maintenant reconnu
aussi le sort heureux que Camus lui réserve envers et dans sa filiation divine : alors il épouse la fille du
contre tout, dans son livre "Le Mythe de Sisyphe", roi, reçoit la moitié des honneurs royaux, engendre
paru au début du XXème sièclé. Voilà pour la trois enfants dont une fille aux côtés de qui vint
généalogie de Bellérophon. s’étendre Zeus, et qui enfante de cette union
Selon la tradition, ses aventures commencent par le Sarpédon.
meurtre accidentel d’un homme qui aurait été son Et de nouveau "Αλλ'οτε δη και, ce même ensemble
frère bien que le nom de ce frère ne soit pas fixé. Il de particules. La particule Αλλα marque de nouveau
s’agit soit de Pirèn, d’Alcimènès, de Déliadès ou une opposition avec l’histoire qui précède, celle de
même Belléros. Au début de son histoire, la reconnaissance de sa filiation divine. Le vers
Bellérophon porte le poids d’un meurtre d’un frère s’ouvre précisément, δη, sur le jour, οτε, où le
anonyme en quelque sorte. destin a changé pour Bellérophon.
A la suite de ce meurtre, Bellérophon va pour se
purifier à Tyrinthe chez le roi Proitos et sa femme

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« οτε et και » renvoie à la suite temporelle de rapidité, et une allure bancale. Ce sans racine, qui
l’histoire. Il y a comme une bascule de la réussite à erre, après l’objurgation de son métier de fils, un pas
la sombre errance. plus audacieux parlerait des "non-dupes-errent".
« απη__ετο », Bellérophon devient odieux à tous Voici montré dans sa phénoménologie le destin de
les dieux, alors qu’au temps d’avant il jouit de la Bellérophon : en effet, c’est encore un aoriste
reconnaissance de sa filiation divine encore sensible intemporel qui noue cette destinée. Il y a comme un
dans l’emploi du pronom κεινοζ, et qui disparaît au gel du temps qui décrit la destinée de Bellérophon.
vers suivant pour devenir le pronom simple ο. Il a Notons que cet aoriste, le français ne peut
passé un point, il y a un passage qui est dit par un véritablement le traduire que par l’imparfait : c’est
aoriste. L’aoriste dit l’action comme gelée, en celui que Lacan utilise dans "Wo Es war, soll Ich
dehors de la temporalité : comme un point, ou werden" qu’il traduit "Là où c’était, je dois advenir".
comme l’infini. C’est le temps de la logique et de En effet, l’imparfait en français, par la répétition
l’éthique. Ici c’est un aoriste passif : peut-on traduire infinie qu’il dit, peut seul retrouver cette
"lâché loin dans la haine". Le préverbe απ_donne intemporalité de l’aoriste grec ou allemand.
l’idée de cette répulsion. Bellérophon subit une S’ouvre alors le vers final de cette description sur
action intemporelle faire par un anonyme "tous les deux longues et l’emploi en opposition, de deux
dieux". Le sujet de cette action est-il ailleurs que participes présents qui nous introduisent à la torture
Bellérophon, de quel passage s’agit-il ? d’une souffrance psychologique : elle dure, elle
« πα_ι _εοισιν, » on peut aussi interpréter ce affirme sa présence charnelle et quotidienne :
pluriel "tous les dieux" par la volonté de préciser que « ον _υμον » son cœur, le souffle de son énergie.
ni Poséidon, ni Eole, figures paternelles du héros ne Ce mot renvoie à l’élan du cœur, le verbe de même
le défendent. On se souvient que dans l’Iliade ou racine _υωdit le sacrifice dont la fumée et la flamme
l’Odyssée les dieux ont leur protégé : ainsi Thétis s’élance vers le ciel. Et un autre mot plus récent
protège Achille, Athéna Ulysse… Bellérophon, lui, επι_____est à proprement parler le désir.
subit passivement le reniement de sa filiation : c’est « ατεδων », son cœur désirant, Bellérophon le
une chose qui lui arrive… dévore, ou le ronge pour rendre l’introduction du
« ητ_ι » : ou en vérité aussi. Le deuxième vers présent et l’actualité qu’il désigne. Et pourtant le
propose une équivalence, une autre proposition verbe est encore plus fort par la présence de la
équivalente mais plus vraie. La haine des dieux n’est préposition κατα. C’est jusqu’au fond du cœur que
pas la vérité du destin de Bellérophon : ici seulement Bellérophon dévore son désir, et dans un même
la description va nous en donner l’essence. mouvement : πατον αν_ρω_ων αεεινον.
« καπ'πεδιον » de plein pied avec la plaine. La … "évitant la trace des hommes" : le dernier vers, en
préposition κατα évoque le mouvement de haut en effet, est bâti avec force sur la césure classique de
bas. Il y a presque l’idée de s’enfoncer dans la terre l’hexamètre dactylique de l’épopée, au milieu du
d’Alion. Mais ce nom propre est homonyme d’un troisième pied ; l’opposition est très forte entre ces
autre, un adjectif qui signifie soit "sans moisson", deux participes qui évoquent la simultanéité de deux
soit "sans butin". Un alpha privatif est associé soit à actions, l’une du côté de l’essence vitale d’un
« λ___ » qui est le butin, soit à « __ο_ » qui est la individu, l’autre de sa place dans la communauté des
moisson, Grâce à l’article on peut interpréter le A hommes.
majuscule comme une substantivation, et traduire « πατον αν_ρωπ_ν » la trace des humains mais
donc par "La terre sans fruit", "La Terre infertile". dans sa quotidienneté ordinaire et même banale.
« οιο_ » , solitaire, unique comme exemple ou une Dans certains contextes, ce mot désigne l’ornière
identité séparée des autres. Ce mot qui ne s’emploie commune hors de laquelle se prononcent les mots
que dans l’épopée est encore proche de sa racine, qui comptent. Ultérieurement en poésie cela ira
celle qui donne "unus" en latin, l’un. même jusqu’à désigner "les excréments des
« αλατο » , exilé, privé de la reconnaissance, animaux".
Bellérophon erra. Toutes ces nuances sont internes « αλεεινον » enfin, la reprise avec le participe
au verbe. L’action centrale décrite est celle de "la présent, d’un verbe de la même famille que le verbe
course errante", et ainsi selon les contextes, sans de "l’errance", avec un complément d’objet direct
attaches, sans racines, sans patrie… D’ailleurs, il cette fois : l’errance, ou la démarche bancale vise les
faut noter que l’errance est encore présente dans le traces humaines, les esquive.
rythme saccadé de la scansion du vers. Tous les Pour finir, reprenons cette traduction libre et
pieds sont des dactyles (longue, brève, brève) ce qui relâchée des trois vers de l’Iliade qui constituent la
donne au chant psalmodié de l’aède le maximum de première description de la mélancolie : "Mais encore

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un tour et lui, tomba loin de tous les dieux dans leur


haine, c’est-à-dire, de plein pied avec la terre,
l’Infertile, il errait, exilé en lui seul, rongeant le
cœur du désir, esquivant les traces communes des
hommes".
L’Iliade consacre encore 7 vers à l’histoire de
Bellérophon pour nous apprendre le sort de son fils
et sa fille, donc après l’épisode de la mélancolie. Ça
pourrait nous autoriser à une lecture à l’envers à la
mode de Greimas : de dernier dans l’Iliade, le deuil
devient premier dans le texte de Freud "Deuil et
Mélancolie". Mais je laisse à la sagacité de chacun
d’interpréter plus avant les éléments de cette
histoire. Une analyse sérieuse doit s’appuyer sur
plusieurs variantes du mythe. D’ailleurs, c’est déjà
ce que Freud dit à Jung dans la lettre 163 du 21
novembre 1909 : "Il est fou d’ailleurs qu’aucun des
mythologues, les fanatiques de la vertu aussi peu que
les autres, les lunatiques, ne soit parvenu à
l’hypothèse nécessaire de la superposition dans
l’interprétation".

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Pratique psychiatrique / Clinique psychanalytique


Pierre Malengreau
On est en droit d’attendre d’un psychanalyste qu’il un psychanalyste n’a-t-il pas à prolonger par son
dise comment il se dirige dans le champ freudien, et savoir quelque pratique d’écoute que ce soit, mais à
de quoi se sert une psychanalyse. Mais c’est aussi l’interroger du lieu où elle s’ordonne. Tel est mon
interroger quels repères la clinique psychanalytique projet en vous introduisant du même coup à la
lui apporte pour s’orienter dans ce que Lacan a pratique des mathèmes chez Lacan.
désigné sous le terme de "psychanalyse appliquée" – L’expérience d’une psychanalyse livre à celui qui
rapport de la psychanalyse au thérapeutique et au s’y prête le sens de ses symptômes : celui-ci est
discours médical. Où se marque par effet de retour particulier à chacun. Ce pourquoi tout est à recueillir
pour la clinique psychanalytique, ce qui peut s’en dans une psychanalyse, comme si rien n’était établi.
isoler comme expérience de discours, à partir des C’est dire aussi que la voie du sens est sans cesse à
pratiques diversifiées d’écoute. réouvrir. Pourtant tout ceci n’est pas spécifique à
Nul ne doutera que l’analyste y est intéressé en l’analyse. A partir du moment où il y a eu des types
premier lieu, pour autant qu’une part importante de de symptômes, il y a eu une clinique. Qu’est-ce
sa pratique se trouve être déterminée par la manière qu’une clinique ? C’est le réel, au sens de Lacan,
dont le dispositif analytique aura été introduit. 0e c’est-à-dire l’impossible à supporter. Cet impossible
cette pratique somme toute préliminaire, et pourtant est logique : il ne peut être résorbé, ni réduit. Ce qui
quelques fois présente tout au long d’une cure, il peut s’énoncer comme suit : quelque chose de
importe que l’analyste parle, et qu’il dise en quoi l’ordre du corps de souffrance, ou de jouissance, ne
celle-ci n’est pas de pure intuition, entre le peut être abordé en termes de savoir. L’étonnant est
conformisme des doctrines et les aléas d’une que cette clinique ait pu être formulée bien avant que
pratique qui confine plus au bricolage qu’à l’œuvre la science ait tenté d’y répondre. La question qui
d’art. A cet égard, la psychanalyse appliquée m’a amené à votre séminaire était la suivante, enfin
constitue un des enjeux non négligeables d’une elle s’est formulée comme ça au fil des séances : le
clinique psychanalytique. discours psychanalytique, en tant qu’il est identique
Qu’il dise n’est pas sans difficultés, dont la moindre au discours d’une psychanalyse, apporte-t-il à cette
n’est pas la tentation d’inscrire ce dire dans la clinique quelque lumière ? A cette question, Lacan
culture, fusse-t-elle psychanalytique. Ce qui se répond : "C’est sûr, mais pas certain." (Introduction
remarque par exemple dans la manière dont la à l’édition allemande des Écrits, p. 15).
théorie psychanalytique se trouve devoir être réduite "C’est sûr", parce que le discours psychanalytique
quelques fois à un certain nombre de clichés, et ce à est "un dispositif dont le réel touche au réel" (id.).
des fins d’enseignement. Sans doute irait-on Cette formule de Lacan m’a posé bien des questions.
beaucoup plus vite si on pouvait parler du lieu même J’ai fini par la comprendre comme suit. C’est un
de l’expérience. Mais il y a là une difficulté dont je dispositif réel en tant qu’il comporte sa propre
ne suis pas sûr qu’elle ne tienne pas à l’expérience impossibilité. Celle-ci s’exprime par exemple de la
elle-même. Y aurait-il en effet dans l’expérience manière suivante : un analyste n’est analyste que du
psychanalytique quelque chose de particulièrement fait qu’un analysant le met dans cette position. Un
insupportable qui ferait reculer celui qui s’engage à analyste ne tient sa place dans la structure que de
en dire quelque chose ? l’autre. Ce qui signifie tout autant qu’un
Une autre tentation consiste à vouloir faire de ce psychanalyste n’est jamais au départ que supposé. A
dire, un savoir au sens classique du terme, c’est-à- charge pour lui de se faire le répondant des enjeux
dire un savoir qui prend son assurance d’une du discours psychanalytique ainsi posé. L’analyste
possible prévision, et qui permettrait par exemple de se trouve dès lors divisé à la fois de sa fonction et
répondre en termes de "comment faire" aux par sa fonction. De sa fonction, au sens où il n’y a
difficultés de la pratique. Or répondre par le savoir à pas de réconciliation entre l’analyste et l’acte qu’il
la question du "où allons-nous ?" est pose. Par sa fonction, au sens où d’occuper la place
incontestablement un abus. Ce qui étonne, c’est que l’autre lui assigne – celle de l’objet –, il ne peut
l’insistance d’un tel abus. Pourtant ceci revient à qu’être amené à en déchoir. Qu’on se réfère à ce
dénier la spécificité même de l’expérience propos à ce que disent certains analysants après un
freudienne, d’être une expérience de discours avec long travail d’analyse, que l’analyste n’y a été pour
ce qu’elle comporte de perte, nécessairement. Aussi rien, ou que tout ça, ils le savaient déjà. -

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C’est un dispositif réel qui touche au réel. Ça veut qui ne signifie pas qu’elle soit fondée. Ce serait
dire quoi ? Toute mon intervention tourne autour de mieux, mais ce n’est pas nécessaire. Un discours,
cette question. Elle se trouve au centre de ce que la c’est ce qui fait lien social. Il dira par exemple que le
clinique psychanalytique est susceptible d’apporter discours psychanalytique, "c’est le lien social
comme éclairage à toute clinique. Qui touche au déterminé par la pratique d’une psychanalyse"
réel, ça veut dire quoi ? Eh bien, qu’il s’agit d’un (Télévision, p. 27). Un discours, c’est ce qui se noue
dispositif de discours qui capte le réel et le met au du fait même qu’un sujet parle, ou plutôt, du fait
travail. Ce qui ne veut pas dire qu’il le réduit. Il le qu’un sujet est pris dans le champ du langage. Il y
transforme. Nous pouvons par exemple donner aux est pris de différentes manières, ce dont il convient
symptômes toutes les significations que nous de rendre compte.
voulons, même sexuelles, comme Freud l’a fait, Précisons. Quelque chose se noue du fait qu’il parle.
jamais nous ne réussirons à en réduire la part Est-ce qu’une telle définition permet de fonder la
d’énigme. Le réel est rétif à tout savoir. Ce "point notion de discours sur une théorie de
d’arrêt" du réel, c’est ce que la clinique l’intersubjectivité ? Un sujet s’adresse à un autre, ce
psychanalytique interroge. Tout au plus pouvons- qui les met l’un et l’autre dans une position
nous arriver à mettre le symptôme entre parenthèses, symétrique. Par exemple est-ce que l’autre de
le situer hors de l’utile, lui faire perdre sa valeur l’hystérique est dans une position symétrique. Vous
d’usage. Bon nombre de gens s’en contentent, et ils n’ignorez pas que c’est sur une telle fiction que se
ont sûrement raison. Ce n’est pas ce qu’il y a de fonde un grand nombre, si pas toutes les formes de
mieux, mais c’est souvent préférable. psychothérapies. L’interlocuteur s’y fait le reflet
"C’est sûr, mais pas certain". Le discours plus ou moins "éclairé" de ce que lui dit le parleur.
psychanalytique interroge la clinique, mais apporte- Cet autre, c’est celui de la psychologie, mais tout
t-il là quelque certitude, c’est-à-dire quelque chose aussi bien de la philosophie : car qu’il parle, c’est
qui puisse être transmis du fait d’avoir été précisément ce qui n’est pas pris en compte.
démontré ? Est-ce que le discours psychanalytique Le discours psychanalytique interroge ce que l’acte
permet de dire que les types cliniques relèvent de la de dire implique de dissymétrie, ce qui suppose une
structure, telle qu’elle s’articule dans tout discours ? autre forme d’altérité. De quelle altérité s’agit-il ? Et
Ce n’est certain, nous dit Lacan, que du discours par rapport à quoi cette altérité est-elle située ? C’est
hystérique, car c’est le seul discours qui atteste de ce que Lacan situe respectivement du côté de l’autre
manière démontrable que quelque chose échappe, et du côté de l’agent. La réponse n’est pas simple,
ex-siste au discours (cf. Télévision, p. 26). Le d’autant moins simple qu’elle varie suivant le lieu –
symptôme atteste de ceci, que l’inconscient ex-siste, c’est pour l’instant tout à fait approximatif – d’où
et que cet inconscient témoigne d’un réel qui lui est s’énonce le dire du parleur. Enfin je veux dire que
propre. Encore a-t-il fallu qu’on l’écoute, même si cette question de l’autre, c’est pas gagné d’avance
cette écoute a eu pour effet d’introduire dans le qu’on puisse y répondre.
discours de l’hystérique quelque vacillement. Alors, est-ce qu’on peut dire que cet autre, c’est
Interroger l’apport du discours psychanalytique, celui de l’autre sexe ? Celui dont on sait que
c’est tout autant interroger ce qui se passe dès le l’hystérique s’efforce inlassablement d’introduire la
moment où quelqu’un demande à un autre – c’est déchéance ? Ou encore, est-ce que cet autre, c’est la
très imprécis – de se faire le support des enjeux de mort ? Une certaine description de la névrose
cette demande. Ce n’est pas sans risque pour l’un et obsessionnelle en tout cas n’hésite pas à poser que
pour l’autre. Comme le disait l’un d’entre vous : l’autre auquel il s’adresserait, c’est un mort. Mais
"donner la parole à quelqu’un, ça comporte un est-ce la mort, au sens où Lacan a défini la position
certain risque". Ça comporte même un risque de l’analyste comme étant celle du mort au bridge ?
certain, à charge pour l’entendeur de déterminer de Ça ne va pas de soi. En tout cas s’engager dans cette
quel risque il s’agit. C’est pourquoi il importe à cet voie, l’autre du sexe ou de la mort, n’est pas sans
autre de savoir dans quel discours il est pris. Je dis : difficultés, puisqu’elle introduit une forme
il importe, parce que ça conditionne l’ordre d’un d’imagerie peu propice à définir de quelle
faire. C’est une nécessité éthique. dissymétrie il s’agit entre l’autre et l’agent.
Qu’est-ce qu’un discours ? Ce terme est à utiliser Comment dès lors parler de cet autre, sans lui
avec la plus grande rigueur, et donc aussi avec la donner la consistance du plein, du Un ? Comment
plus grande prudence. Lacan en donne plusieurs parler de cet autre qui ne soit pas l’autre spéculaire ?
définitions pas toujours concordantes. Une de ces Ce qui s’énonce bien, on le conçoit clairement, dit
définitions s’est avérée particulièrement féconde, ce Lacan. Clairement, ça veut dire que ça fait son

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chemin (cf. Télévision, p. 71). C’est pourquoi je me Remarquons d’abord que l’agent du discours n’est
suis donné la peine, au sens grec du mot – qui fait pas simple. Sous l’apparence qu’il se donne interfère
transpirer – de présenter le discours psychanalytique la vérité. Pour chaque discours, il y a lieu
par le biais de la question du réel. Définir la clinique d’interroger ce qui prend le rôle d’agent et la vérité
psychanalytique comme Lacan l’a fait, eh bien ça ne qui l’organise. Je dis "qui organise", ce qui ne
fait pas plaisir. Ce n’est pas un cadeau, et le moins signifie pas que l’agent puisse en avoir la moindre
qu’on puisse dire, c’est que ça n’épargne pas celui idée, la moindre "conscience". D’où la barre. La
qui veut bien s’y mettre. La clinique vérité est supposée. Pour reprendre l’exemple de
psychanalytique se réfère en effet à quelque chose l’hystérique : qu’est-ce qui lui fait croire que l’autre
qui exclut toute idée de connaissance, et qui se situe a le pouvoir de répondre au symptôme qu’il lui
hors de la dimension de l’utile. "La clinique présente ? Il s’agit là d’une croyance, ce qui signifie
psychanalytique, c’est le réel en tant qu’il est tout autant ceci : que l’hystérique serait moins dupe
l’impossible à supporter. L’inconscient en est à la de ce pouvoir qu’il le prétend. Ça, ça concerne la
fois la voie et la trace par le savoir qu’il constitue : vérité.
en se faisant un devoir de répudier tout ce De même quant à l’autre, la question se pose de
qu’implique l’idée de connaissance" (Lacan à la savoir de quel autre il s’agit dans chaque discours, et
section clinique, Ornicar 8, p, 10). D’où aussi quelle production un tel discours engendre, Il y
l’importance qu’il y a à préciser de quel savoir il a là un certain nombre de questions communes à tout
s’agit dans le discours psychanalytique et quelle discours, qui appellent cependant une réponse
place il y occupe. Ou encore, comment s’articulent spécifique, selon le type de discours auquel la
ce savoir et le réel qui l’ordonne, tout en le clinique nous confronte.
traversant de part en part ? C’est en tout cas ce qu’il Je disais la semaine passée qu’un discours, c’est ce
s’agit de mettre à l’épreuve… de la clinique. qui se noue non seulement du fait qu’un sujet parle,
Dans le mathème des quatre discours, le réel comme mais du fait qu’un sujet (S) est pris dans le champ du
impossible s’écrit par une flèche entre l’agent et langage. La chaîne signifiante (S1 – S2) constitue à
l’autre. Voici comment Lacan écrit ça. Je vous le cet égard la racine de tout discours. S1 – S2 signifie
décompose. Je pourrais dire que je le délie : c’est qu’un signifiant ne peut pas se représenter lui-même,
ainsi qu’on peut traduire le mot analyse. Ça vient du il renvoie toujours à un autre signifiant. C’est ce que
grec, analuein, délier. Alors, cette flèche, c’est Lacan a travaillé tout au long de son enseignement.
quoi ? l’agent → l’autre Il en résulte progressivement la mise en place d’un
Eh bien, il y a entre l’agent et l’autre l’existence certain nombre de petites lettres S1, S2, S, a,
d’un non-rapport, ce que Lacan nomme aussi lesquelles vont lui permettre de spécifier les quatre
relation d’impossibilité logique. Ce non-rapport, ça positions.
veut dire quoi ? Qu’il n’y a pas de complémentarité Le plus difficile à définir car non spécularisable,
entre l’agent et l’autre, ou encore que l’agent tient c’est ce que Lacan nomme objet petit a, objet dont il
son défaut de l’autre. L’agent n’est pas tout. Il fait fait le ressort de la cure psychanalytique, objet qu’il
porter le poids de la castration par l’autre. Mais est- situe au centre de l’expérience freudienne. Disons
ce vrai de tout discours ? L’hystérique n’a pas son que ça désigne quelque chose qui ne fait pas partie
pareil pour prendre l’autre à défaut et pour de la chaîne signifiante, ou plus exactement que
démontrer ainsi son impuissance à le guérir. Mais parler a pour effet de produire une chute, une perte.
est-ce du même défaut qu’il s’agit en cours C’est ce que Lacan nomme objet petit a ou encore
d’analyse, lorsqu’un analysant en arrive à destituer "jouissance". La parole n’est pas sans effet sur le
l’analyste de sa position de semblant ? "corps" du sujet : elle met en acte un manque, lequel
Cette impossibilité logique, c’est ce qui est au centre se situe à la fois comme cause de cette parole et
de toute clinique. C’est ce qu’il convient de spécifier comme ce qui en tombe. Ceci peut s’illustrer par
à chaque fois, c’est-à-dire non seulement pour l’image du placenta, comme objet qui n’appartient
chaque type de discours, mais pour chaque nouveau pas à la mère, et dont l’enfant se sépare à la
"demandeur" de soin. naissance.
La relation d’impossibilité logique ne suffit pas à Ces quatre lettres vont permettre à Lacan de
rendre compte de ce qu’implique le concept de spécifier les quatre positions dont je viens de parler,
discours. et ça suivant les types de discours. Par effet de
Agent → l' autre retour, il apparaît que la définition de ces petites
la vˇritˇ la production lettres n’est pas simple, ni univoque ; cette définition
est en effet indissociable de la place que ces lettres

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occupent dans chaque discours. Il en résulte une Alors, qu’est-ce que l’hystérique attend de l’autre ?
forme d’algèbre, laquelle s’est avérée tout à fait Eh bien, qu’il produise un savoir S2. L’hystérique se
importante pour s’y repérer dans la clinique. Ça soutient d’un "je ne sais pas", donnant à l’autre la
donne quatre discours. position de celui qui peut produire le savoir. L’autre
maître universitaire est mis en position de "supposé savoir" ; on pourrait
S1 → S 2 S2 → a même dire sous-poser le savoir.
S← a S1 ← S Mais quel savoir ? Eh bien, celui dont l’hystérique
va s’acharner à démontrer l’impuissance. Il s’agît
hystérique analyste d’un savoir impuissant à rendre compte de ce qui est
S → S1 a → S mis en position de vérité, à savoir l’objet (a).
a ← S2 S 2 // S1 L’hystérique fait porter par l’autre tout le poids de sa
propre défaillance, dont témoigne son symptôme.
Avant d’aborder un commentaire partiel de ces C’est ainsi qu’il dénonce en S1 du côté du maître,
quatre discours – je dis partiel parce qu’on n’a pas son insuffisance, c’est-à-dire qu’il refuse toute
fini d’en tirer les conséquences, et d’ailleurs je pense possibilité à S2 de résoudre la question que pose son
que si on avait fini d’en tirer les conséquences, cette symptôme. Alors autour de quoi tourne ce discours ?
écriture cesserait peut-être d’être pertinente –, C’est ce que Lacan met en position de vérité. A
notons d’abord ceci : être quatre suppose qu’on savoir, l’objet (a). C’est en même temps ce que
puisse passer de l’un à l’autre. Ces quatre discours l’hystérique en aucun cas ne veut prendre en compte.
ne sont que des modèles. L’important est de repérer L’objet (a), c’est ici le corps en tant que promis à la
le discours qui domine à un moment donné. Quand jouissance, en tant que pas-tout par rapport à soi et
je dis modèle, ça signifie aussi qu’un discours ne par rapport à l’autre sexe.
tient pas tout seul, sauf à se faire discours religieux. Ces quelques commentaires plaisants sur le discours
Ainsi pour le discours de l’analyste, si le savoir S2 de l’hystérique posent un certain nombre de
est inaccessible, c’est au nom des traces qu’il laisse questions beaucoup moins plaisantes. Et d’abord,
dans les autres discours. Il y a là une sorte de quel rapport y a-t-il entre le discours de l’hystérique
circularité. C’est pourquoi il importe d’interroger comme structure discursive et certaines entités
l’enjeu réel d’une telle élaboration théorique. Cet cliniques, tels la phobie, la névrose obsessionnelle,
enjeu, les petites lettres ont pour fonction de le les psychoses ? Comment comprendre par exemple
déterminer dans chaque discours. Pour vous ce que nous dit Freud de la névrose obsessionnelle
introduire à leur maniement, je partirai du discours comme dialecte de l’hystérie ? Ou encore comment
de l’hystérique. Ce discours, c’est tout aussi bien comprendre l’opposition faite par Lacan entre
celui du demandeur que celui de l’analysant au début l’hystérie comme discours et la névrose
d’une cure psychanalytique. obsessionnelle comme seule névrose ? Si la notion
Dans ce discours, l’hystérique met en position de discours est coextensive à toute névrose, l’inverse
d’agent le seul sujet (S) concerné par la pratique est-il nécessairement vrai ? Ceci pose en tout cas la
psychanalytique : c’est le sujet divisé par l’opération question des rapports entre les psychoses et la dite
signifiante, divisé du fait de son inscription dans le structure des quatre discours.
champ du langage. L’hystérique, celui du discours Autre question. Sommes-nous en droit d’appliquer à
de l’hystérique, dit ceci : ça ne va pas, ou encore, je la situation clinique quotidienne ce qui peut se
ne puis me représenter moi-même. repérer au niveau de la structure ? N’y a-t-il pas là
Son espoir, c’est que l’autre, ça l’intéresse, c’est que quelque abus… de savoir, justement ? Se coltiner au
l’autre soit susceptible de lui dire : c’est un discours de l’hystérique, c’est aussi s’interroger sur
symptôme et ça m’intéresse. S1 mis à la place de ce qui le conditionne, à savoir un autre discours,
l’autre, c’est la reconnaissance de ce qu’il y a là une celui du maître. Pas d’hystérique sans maître. Alors,
énigme, que le symptôme fait question. Ce que l’autre du discours de l’hystérique, est-il possible de
l’hystérique attend de l’autre, c’est qu’il soit tout le penser sans changer de discours ? Mais alors,
puissant, tout puissant du côté de l’énigme. S1 peut n’est-ce pas le maître qui fait l’hystérique, ou la
se lire comme appel au savoir S2. Ce savoir, c’est science. Le discours de l’hystérique serait dès lors à
quoi ? La collection des signifiants dont se constitue entendre comme protestation devant la science,
son histoire. Le mot collection signifie que rien ne comme affirmation de ceci : il y a un autre réel que
permet de dire que ces signifiants constituent un celui qu’interroge la science.
ensemble fermé. C’est ce que Lacan nomme par Enfin, l’hystérique dénonce l’insuffisance du maître,
ailleurs le savoir inconscient. c’est son alibi. Comment dès lors soutenir l’enjeu

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d’un tel discours sans pour autant s’en faire le


complice ? S’en faire le complice, c’est quoi ? Eh
bien intervenir du lieu de l’autre en y mettant du
savoir, qu’il soit de suggestion, de menace ou de
médicalisation. Ça produit quoi ? Des hystériques, .
Je n’ai pas à rappeler le nombre de patients qui en
sont à leur nieme hospitalisation, à leur nieme
thérapeute. Par ailleurs vouloir dénoncer l’alibi de
l’hystérique, que ce soit au nom du savoir médical
ou psychanalytique, c’est du même tabac. Alors la
clinique de l’hystérique, est-ce une clinique
impossible ?
A cette question, le discours psychanalytique ne
prétend pas répondre, et même prétend ne pas
répondre. Le discours psychanalytique prend cette
question en compte, du lieu où elle se pose, c’est-à-
dire à partir de ce que l’hystérique met en position
de vérité, l’objet (a). C’est-à-dire que l’analyste ne
répond pas du côté du S1 comme appel au savoir S2 ;
le S1 ne relève pas d’une explication. Il n’y a pas de
savoir qui viendrait donner la signification du
symptôme ; comme je le disais au début, cela n’est
pas spécifique à l’analyse. Ce qui est spécifique,
c’est de mettre l’objet (a), comme manque, en
position d’agent. Mais en dehors de ce discours, ceci
ne va vraiment pas de soi, si je puis dire. Il n’est en
effet pas couru d’avance qu’il soit possible à l’objet
(a) de prendre le relais de ce qui se trouve être repéré
comme impossible chez l’hystérique. Ce fut pourtant
le pari de Freud, de Lacan et de quelques autres.
30/6/81

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