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« Le Messie viendra quand il sera trop tard »

Author(s): Jacob Rogozinski


Source: Rue Descartes, No. 33, UNE PHILOSOPHIE DE LA RÉSISTANCE (Octobre 2001), pp. 93-100
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40978654
Accessed: 25-02-2016 02:09 UTC

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Jacob Rogozinski

« Le Messie viendra
quand il sera troptard»

Alorsque nous préparions ensemblele programme des Rencontres de


l'Odèon de l'annéedernière, Françoise décida d'organiser une séance sur
« mystique et philosophie » : «j'y représenterai, me disait-elle, la causede
la mystique athée» - et lorsqueje lui ai demandéce que celasignifiait, elle
m'a renvoyé à Deleuze,à cette« mystique du concept» évoquéedansDif-
férenceetrépétition, qui étaitaussiselonelle unemystique de l'écriture. Ce
seraitun contresens, n'en doutonspas,que d'inscrire son œuvre dans une
perspective religieuse, quelle qu'elle puisse être- et cependant l'athéisme
dontellese réclamait pouvaitse dire« mystique », d'un« mysticisme » aussi
radical,aussisingulier que l'athéisme le
qui supportait1. Étrangemystique
sansÉgliseetsansDieu, traversée pourtant paruneinvocation, uneattente,
unehantise, parl'appeld'unMessie.Une « expérience messianique » : c'est
ainsi,dès l'Introduction de L'histoire à contretemps, qu'elle désignaitce
« conceptsupérieur d'expérienceque » sa lecture de Kant et de Benjamin
luiavaitpermisde dégager 2, et toutle livre peut se lirecomme unetentative
pour penserla possibilitéd'« événements messianiques»(p. 34), d'une
« politiquemessianique » (p. 120) appeléeparde telsévénements.
Là encore,il convient de levertouteéquivoque: ce que Françoise appelle
« le Messie» ne saurait,moinsencoreque chezBenjamin,s'identifier aux
figuresemblématiques d'une religionrévélée. Ni le Meshiah qu'attend
toujours Israël, ni le Christ, mais un « Messie » sans visage et sans nom
proprequi fait retrait et s'efface dans le mouvement même de son avène-

1. Ce qui me faitpenserà un auteurque, sauferreur, n'a jamaisévoquémais


Françoise
que, évidemment, elle n'ignorait pas : GeorgesBataille.Par exemplece passagecité par
DerrickdansL 'écritureet la différence: « Le mystiqueathée,conscient
de soi,conscientde
devoirmouriret de disparaître, absolu"...»
vivrait[...] "dansle déchirement
2. Ed. du Cerf,1994,p. 12 (référence désignéedésormaisparHC).

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ment: l'insaisissableparadoxed'un « messianisme (sans Messie)» (HC


p. 13). Restecependant ce nom de messiequi revient toutau longdu livre
et réapparaît dans ses autresécritssous des noms différents (celui par
exemple de sublime, ou encorede comme
résistance), s'il parcouraitson
œuvrecommeson chiffre secret,son filconducteur clandestin.Qui est
donc ce Messieathée,ce Messie d'écriture, dont les livresde Françoise
portenttémoignage ?
A cettequestion,ellerépond,superbement, dansle sillagede Benjamin:

« A chaquemoment, il peutveniretrevenir,chaquejourestle jourdu


Messie.Carle Messien'estpascequivient[...],maisil estla venue
même,
la venueexceptionnelle, » (HC p. 123).
la justiced'exception

« Messie» seraitle nommêmede l'Événement, en son éclataléatoire, la


« chancede révélation d'unevérité» qui survient « contretouteattenteet
à contretemps ». Le tempsdu Messieestcetautretemps,ce Contre-Temps
capable, un bref instant, de contrer, de briser le coursde l'histoire, délivrant
le passéde sa ruine,sauvantla mémoiredes vaincuset parvenant ainsià
rendrejustice,à ressusciter les morts.Envisagésous cet angle,le concept
de « résistance » que Françoiseavancedansson dernier livreestsynonyme
de celuide « Messie» : « Résister, n'est-cepas,pardéfinition, agirà contre-
? » l A cettedifférence le est
temps prèsque contretemps n'y plusenvisagé
danssa seuledimensionévénementielle, maissurun plan ontologique, en
termesde puissanceet de résistance à la puissance,en tantque « contre-
être».
On désignera donc commemessianique une politiquequi en appelleà
la forced'effraction de l'événement, et ce n'estpas le moindreparadoxe
d'une tellepolitiqueque les « momentsd'exception » qui l'instaurent arri-
venttoujoursà contretemps - et qu'elle se définisse néanmoinspar son
aptitudeà intervenir à temps, justeà temps : au sensd'une intervention in
extremis, « en catastrophe «
», juste avant qu'il ne soit trop tard» (HC
p. 36-37) et aussibiencomme« exigenced'un temps juste,d'un temps de
la justice».Commentsatisfaire à cettedoublecondition? Commentfaire
coïnciderl'impératif - inséparablement stratégique et éthique- du juste-
et le
à-temps décalagetemporel le
que suppose contretemps ? Car ce terme
ne désignepas seulement l'instantsublimequi faitéclaterle tempslinéaire
de l'histoire : il fautl'entendre aussiau sensoù l'on parlebanalement d'un
« fâcheux contretemps » : comme un obstacle, un irrémédiable retardinter-

1. De la résistance,
Éd. du Cerf,1997, p. 68 (désignédésormais
par R).

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disantau tempsde se bouclersurlui-même, de s'ajointer à soi dansl'unité


d'un Présent Vivant.C'estl'unedes thèsesmajeures du livresurBenjamin,
énoncéedès sa première page,que l'instant d'exception, l'événement ou la
justicesurviennent «
toujoursen avance, quandle mondeet les tempsne
sont pas prêts», mais qu'ils arrivent toutautanten retard,« quand les
occasionssontpasséeset les possibilités étouffées » (HC p. 9) - « à la fois
trop tôtet troptard, non pas tantôt l'un et tantôt l'autre,maisà la foisen
»
avanceeten retard (p. 35). Et il en irade mêmede la résistance, toujours
intempestive, qui ne peut surgirque « dans la disjonction réciproqueet
extrême de l'avanceet du retard » (R p. 85, 90, etc.).
Faut-ilen conclureque le Messieneviendra pas,que le projetd'unepoli-
tiquemessianique se heurteà un pointd'impossible, achoppesurcettedis-
jonctionqui lui interdit d'arriverà temps, en son juste temps? Il se peutau
contraireque ce double décalagetemporelsoit justementl'indice ou
l'annoncedestempsmessianiques, qu'ilatteste dela messianité du Messie,de
celamêmequi soustrait l'expérience messianique à touteréappropriation par
unemétaphysique de l'Histoire,à touterelèvedansla parousiedu Logosou
la présence à soi de l'EspritAbsolu.« Le Messieviendra, maisquandil sera
trop tard» : à cet aphorisme de Kafka fait écho un autre énoncé,au moins
aussiénigmatique, que nousa léguéla tradition juive. Le Talmud rapporte en
effet (pourle réfuter aussitôt)ce direde RabbiHillel: qu'« il n'ya plusde
MessiepourIsraël: Israëly goûtaà l'époquedu roiHesekias» l. Ainsice
Libérateur tantattenduseraitdéjàvenuil y a longtemps - huitsièclesavant
l'èrechrétienne... - mais personne ne l'aurait remarqué. doutevenait-il
Sans
troptôt,tropen avancesursontemps,en uneparadoxale antecedence où il
diffère sonentréeen gloireets'évadede toutevenueen présence, aussisûre-
mentqu'ence toujours-trop-tard évoquéparKafka.
le
Si nousavions tempsd'approfondir notreinterrogation, nousdevrions
prendre en comptecettetradition d'un messianisme ésotérique ou « néga-
tif»(au sensoù l'on parlede « théologienégative »), pourqui l'effacement
du Messie,son anonymatou son incognito, sa « marranité », voireson
apostasie, sont les plus sûrsindices de sa messianité. En attestent entre
autresces grandsapostatsmessianiques que furent Sabbataï Zvi ou Jakob
Frank2...Il est claircependantque la penséede Françoisene relèvepas

1. Textecitéet commentépar LévinasdansDifficile AlbinMichel,1963, 1976,


liberté,
p. 111-114.
2. Le filmde Scorsese,La dernière tentanon du Christ,nous donneraitune version
chrétiennede cet incognitomessianique, celuid'un Christayantfinalementrenoncéà sa
messianité,reniant pourmenerunevie simplement
sa propreRévélation humaine(maisil
présentecelacommeune tentation diabolique,et noncommeunepossibilité extrême de la
kénose...).

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directementd'une telletraditionl. Chez elle,le double décalagede l'avance


et du retard,la disjonctiondu toujours-trop-tard et du toujours-trop-tôt
qui caractérisele tempsmessianiques'enracinentdans une ontologie,dans
une pensée de la temporalitéissue de son travailsur Kant et Benjamin.
Einmal ist keinmal: la « premièrefois», la premièremarque de l'Instant,
ne parvientjamais à s'inscrirepar elle-mêmedans le temps,exige d'être
suppléée,réitéréepar une deuxièmefois:

« II fautque [l'événement]seproduise,carsinonil ne seraitpas unique,


car,sinon,nous ne le reconnaîtrions
et qu'il se reproduise, pas,nousne le
verrions pas venir» (HC p. 42)

et en ce sens il n'auraitpas lieu. L'Instant n'advientqu'en après-coup,à


contretemps,dans le décalage ou le retardirréductibles de cettere-marque
qui lui donne accès à lui-même: ainsi

« la deuxièmefois(ce que l'on a coutumede nommerle futur)n'est-elle


pas en faitla deuxièmefois,maisla seulefoisvécuecommetelle,et donc
la "première"fois.Toujoursvenantensecond,aprèscoup,toujours enretard
d'unefois,ellecherche toujoursà rattraper
ce retard
etcecienvain,puisque
son avenirestderrière elle» (HC p. 27).

C'est pour cela que l'événement,la résistanceou le Messie arriventà la


fois trop tôt, en avance sur eux-mêmes,sur leur répétitionencoreà venir
et seule capable de les faireadvenir- et troptard,en retardsurleurpremière
occurrencepassée qu'ils sont condamnésà répéterpour pouvoirarriver.
Peu importeque nous déterminionscette structuretemporellecomme
loi de supplémentarité, d'itérabilitéde la trace, ou comme impératifde
fidélitéà l'événement.Peu importe,en d'autrestermes,que nous invoquions
la filiationderridiennede la pensée de Françoise2, ou sa detteà l'égardde
Badiou... Il ne s'agit pas ici de démêler des influences,mais de rendre
compted'une pensée,de ses avancées,de ses audaces,de ses difficultés aussi,
de tout ce qui en appelaità une reprise,une refonte,un redéploiementde

1. Du moins si l'on s'en tientaux orientationsexplicitesde son œuvre.Car rienn'interdit


de penser,comme le suggèreJ.-C. Milner, que l'impératifde résistancequi la sous-tend
- celui de « ne
pas céder sur le nom propre» - relèved'une approche « structurellement
juive »... Il faudraitaussi tenircompte de la relationde W. Benjamin à cette tradition.
2. Sur le « paradoxe de l'itérabilité» - qui implique que « l'origine doit originairement
se répéteret s altérerpour valoir commeorigine» - mis en jeu par Derrida dans sa lecture
de Benjamin, cf. Forcede loi, Galilée, 1994, p. 104, et les analysesplus anciennesexposées
par exempledans « Signature,événement,contexte», Margesde la philosophie,Minuit, 1972,
et dans LimitedInc., Galilée, 1990.

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sa problématique - et pourtoutcelale tempslui aurafaitdéfaut.Il serait


vain de prétendre répondreà la placede Françoiseaux questionsqu'elle
n'a pas eu le tempsde se poser.Jeme contenterai donc de relever ce qui,
danssa conception de la temporalité, meposeproblème, etqui se concentre
en troispoints: d'abord,lorsqu'elle détermine le tempsdu messianique ou
de la résistancecommecontretemps, en affirmant l'irréductible disjonction
de l'Instant ; ensuite,lorsqu'ellepose une indistinction quasi indécidable
entreson Avantet son Après; et enfindans le caractère catastrophique
qu'elle attribue à la répétition de l'Instant.
On ne reviendra pas sur le premier point,surcettedoublecontrainte
paradoxale où la condition de possibilité d'une politiquemessianique ou
d'une stratégie de résistance (son caractère intempestif, toujours-à-contre-
temps) se pose également comme sa condition d'impossibilité, en ruinant
toutespoird'intervenir juste-à-temps. Arrêtons-nous plutôt sur la deuxième
difficulté.Qu'un événement ne puisse advenir qu'en se réitérant implique
que l'instantde son avènement se dédoublenécessairement, et ce redou-
blementaffecte chaquephasetemporelle, dontchacunese donnesimulta-
némentcommele « futur » et le « passé» de son propreprésent.Si bien
que ce doubleentrelacs des horizonsdu tempsles rendindiscernables :
comment la «
distinguer première fois » de la « seconde », alors que celle-ci
esten faitla seule,c'est-à-dire la « première » et l'unique? Commentdif-
férencier le temps« originaire » de ce contretemps supplétif « qui se super-
au
pose premier et le double continûment » ? « Aussi, poursuitFrançoise,
a-t-onbienaffaire à des arabesques, c'est-à-dire à des courbesde lignes,à
des vrilles,à des spiralesou volutesqui reviennent, retournent sur elles-
mêmeset rendent indistincts^ commeen un labyrinthe, le débutet la fin,
l'entréeet la sortiedu temps» (HC p. 27, je souligne).
En lisantDe la résistance yj'avaisétésurpris parses références insistantes
aux motifsdu mime,du mixte,de l'indécidable, et il m'avait semblé que
touteslesdémarcations qui soutiennent la problématique (entre la résistance
et la puissance,l'êtreet le contre-être, la vie et la mort...)tendaient à se
défaire ou se à
déstabiliser,s'estomper en devenant quasi indiscernables1.
J'yvoismoinsune influence derridienne qu'uneconséquenceinévitable de
la conception paradoxale de la temporalité exposéedansL 'histoire à contre-
temps. En effet,et c'est l'une de sts principales difficultés, le concept de
résistance que Françoise met en œuvre dans son dernier livre apparaît
profondément ambigu.Certes,« la résistance esttoujourspremière », affir-

1. Surce point,je me permetsde renvoyerà monétude« FrançoiseProustet l'élogede


la résistance n°de mars-avril
», paruedansEsprit, de la « reve-
1999. Notonsque les motifs
nance» et du mimes'esquissaient déjà dansL 'histoire (HC p. 99 : « le héros
à contretemps
modernesemblebienêtre"un mime"...»).

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mative, active,et c'esten faitle pouvoirqui réagitcontreelle,qui résisteà


la résistance. Mais il estaussipossiblede direqu'elleesttoujoursseconde:
lorsqu'ellesurgitaprèscoup pours'opposerà l'inacceptable, c'estelle qui
résisteà la résistance du pouvoir, sansque l'on puisseclairement déterminer
qui résiste d'abord à qui. Aussi toute résistance concrète est-elle à chaque
foisun « mixteindémêlable d'activitéet de passivité », d'invention et de
ressentiment... Pourpouvoirdifférencier lesrésistances affirmatives desrésis-
tancessimplement réactives, victimaires ou nihilistes (c'est-à-dire ausside
la résistance du pouvoir,de toutce qui, dans les mouvements dits « de
résistance », restefascinéparle pouvoir,aspireà s'emparer du pouvoirafin
d'écraser touteautrerésistance...), il fautaffirmer la priorité temporelle de
la résistance,son caractère absolument C'est
originaire. pourquoiFrançoise
poseque touterésistance s'enracine dansune « archi-décision » initialequi
précèdeles initiatives stratégiques du pouvoir.Mais l'on voitmal ce qui
pourrait fondercettepriorité, cetteantecedence temporelle de la décision
de résister : en raisonde l'in-distinction qui affecte l'avant-coup et l'après-
de sa
coup l'Instant, première« » et sa « seconde » fois, rien ne nous permet
plus de distinguer l'événement « originaire » de sa répétition, de sa re-
marquemimétique. Du coup,riennesauraitplusdifférencier unerésistance
authentique, purepuissanceoriginaire d'affirmation et d'invention, de ces
résistances réactives qui en sont le simulacre nihiliste. Il s'ensuit que, si le
Messievenait,nousnepourrions jamaisle reconnaître, nonseulement parce
qu'il serait encore trop tôt ou déjà trop tard, mais surtout parcequ'il se
confondrait avec son mimeou son fantôme : entrele Messieet le Petit
Bossu- « allégorie du temps,de la destruction et de l'oubli» - il n'yaurait
« nulledifférence » (HC p. 116-117). Carle Messien'estjamaissimplement
la venue,maisaussila re-venue, la répétition nécessaire de sa venue- et
cetterevenance d'un Messiespectralfaitde lui son propresimulacre, le
condamneà mimersansfinl'imposture de son impossible avènement.
La difficulté porteici surle statutdu mime,du simulacre : est-ild'abord
une chanceou une menace? Ce qui, en répétant l'événement, lui permet
enfind'advenir, en un éternel retour, comme simulacre de simulacre (hypo-
thèsedeleuzienne) ? Ou bienn'est-ilque sa maléfique caricature (hypothèse
« platonicienne ») ?A moins(hypothèse de stylederridien) qu'ilne soitl'un
etl'autre,à la foismenaceet chance,conditionde possibilité et d'impos-
sibilité? Quellesseraient lesconséquences de ces différentes hypothèses sur
le projetd'une politiquemessianique ou d'une ontologiede la résistance ?
Le statutdu simulacredépendde la signification que l'on confère à la
répétition. En un sens,nousle savons,celle-cis'avèreabsolument néces-
saire: c'estseulement quand il se réitère une deuxième fois que peut survenir
la « première fois» de l'événement. Or, la mêmerépétition qui lui donne

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naissanceest aussi ce qui le trahitet l'annule : touterépétitionfaitviolence


à la merveillede l'événement,à son unicité,son absolue singularité; elle
ne répètede lui que ce qui se laisserépéter,son versantneutre,indifférencié
- ce qui en lui a cessé de faireévénement.La répétitionest œuvrede mort;
elle tournetoujoursà la catastropheet c'est cela que Françoisenomme la
loi du retour:

« Toute foishistorique
qui revientune secondefois,a fortiori n fois,
revientcatastrophiquementau même[...]. Car seulle mêmerevient,Tautre,
le "toutautre",r"inouï"ne sauraitrevenirune deuxièmefois,saufà se
contredire surun modeautreque la "fois"...» (HC p. 58).
ou saufà revenir

Elle en venait ainsi à prendreparti contreNietzsche,ou plutôt contre


Deleuze, contrel'hypothèsed'une répétitionheureuse,d'un « éternelretour
de l'Autre» qui, en le répétantdans sa différence,
affirmeraitla singularité
de ce qu'il répète.En effet,insiste-t-elle,

« il n'y a pas deux typesou deux modesde retour[...]. Il y a un seul et


mêmeretour, du tempsqui [...] tourneen rond,c'est
c'estcelui,infernal,
celuiqui conte,chaquefois,sous des formesvariées,l'éternelle injustice,
l'éternellevictoiredes mêmespuissants» (HC p. 58).

Celui qui accuse l'impuissance,l'impossibilitéde toute résistance,la


dérisoireimposturede tout « messie».
A cela, Françoisene s'estjamais résignée.Il lui fallaitdonc, impérative-
ment,envisagerun autremode du retour,une manièrede revenir« sur un
mode autreque la fois», en répétantl'unique sans annulerson unicité.Ce
qui exige de retournerla catastrophecontreelle-même,d'inverserle sens
du simulacre,que sa menacemortelledeviennele nom même de la chance
(ou, si l'on veut,de l'écriture).Perspectiveesquisséedans le livresur Ben-
jamin et qui sera réaffirmée avec forcedans De la résistance.Les termes
ne sont plus exactementles mêmes,mais l'enjeu n'a pas changé. Il s'agit
en effet,alors qu'« il n'y a qu'une seule pulsion et une seule force de
résistance- la mort», de différencier en elle « deux puissancesopposées, la
vie et la mort» (R p. 150), d'autoriserun partageentreces deux puissances,
une archi-décisionen faveurde la vie. Comment cela serait-ilpossible,si
la vie et la mort,intriquéesl'une à l'autre,ne cessentde se simulerl'une
l'autre? La seule issue envisageableconsisteraità distinguerdeux typesde
«capture», de «détournement» d'une puissance par l'autre (R p. 112,
134), c'est-à-diredeux modes opposés de simulationou de répétition,et

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c'est cette voie (« deleuzienne», donc.) qu'emprunterafinalementFran-


çoisedans ce livre: « la répétitionpureestmortelle,la répétitiondifférenciée
est vitale» (R p. 151). Si le nom de « Messie » avait encore sa place dans
ce contexte,sans doute conviendrait-ilpour désignerle différentiel de la
répétition, l'élément-X aléatoirequi permettrait,dans le duel des puissances,
de démarquerla répétitionde vie et celle de la mort.Et s'il pouvaitvenir
à tempspour différencier les deux répétitions,
juste avant que la répétition
de mort ne l'emporte,alors le Messie serait le nom même de la vie,
lorsqu'ellese sauve elle-mêmeet nous sauve de son simulacremortifère.
Nous savonspourtantque le Messie, l'événement,la guérison,n'arrivent
jamais qu'à contretemps, toujourstrop tôt ou trop tard pour desserrerle
nœud où se piège notrevie. Le retardet la répétitionappartiennentstruc-
turellementà la venue du Messie et transforment à chaque coup sa venue
en revenancespectrale.Autant dire que l'on n'échappera guère au risque
de l'indécidable,et Françoisele savait bien, comme elle savait aussi que
l'indistinctiondes puissances,leur intricationquasi indécidable,n'interdit
pas de forcerla décision: « Quel estle nom de la-vie ? Dionysos ou Apollon ?
Quel est le nom de la mort? Apollon ou Dionysos ? Chacune des deux
puissancesest duelle et double. Chacune double l'autre. Et, pourtant,il y
a finalementdécision; la vie ou la mort,finalement, l'emporte» (R p. 112).
Mais commentune telledécision est-ellepossible dans un monde voué à
la « loi du retour», de la revenanceet des mimes? Cette question,Françoise
n'a cessé dans ses dernierslivresde s'y confronter, sous toutesses formes,
d'en explorertoutesles modalités,de risquertoutesles réponses,avantde
nous la léguer.Ce legs d'une question, commentpourrions-nousle rece-
voir? N'est-il pas troptard,déjà, pour que nous puissionsl'entendre,trop
tardpour qu'elle puissenous répondre? Dans la traditiondont se réclamait
Benjamin,l'étudeet le commentairedes écritsque nous ont léguésles morts
ont une portée messianique.C'est à notre accueil, à notre lecturequ'il
revientde rendrejusticeaux vaincusde l'histoireet de ressusciter les morts,
il
et importepeu que l'instantde l'écoute vienne toujoursà contretemps :
car chaque question transmiseest cette « porte étroitepar où peut passer
le Messie ».

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