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LA LOGIQUE POÉTIQUE DE JACQUES LACAN

Gilles Chatenay

L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne »

2011/3 N° 79 | pages 127 à 135


ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040732

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La logique poétique de Jacques Lacan
Gilles Chatenay
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Du dit et du dire

L orsque je dis « Je mens », dis-je la vérité ? L’ensemble de tous les ensembles qui
ne se contiennent pas eux-mêmes se contient-il lui-même ? Et qu’en est-il de la
proposition « Je suis indémontrable » ? Sauf à rendre le champ logique ou mathé-
matique inconsistant, contradictoire, il faut exclure les propositions autoréférentielles
(cf. le paradoxe du menteur d’Épiménide le Crétois), bannir l’ensemble de tous les
ensembles (Bertrand Russell), déclarer l’incomplétude de la théorie des nombres
entiers (Kurt Gödel).
Une proposition ne peut porter sur elle-même, est interdit ceci :

Figure 1 : L’interdit

Mais, nous dit Jacques Lacan, « Je mens » n’est tout simplement pas un para-
doxe : car le sujet de l’énonciation n’est pas le sujet de l’énoncé, le dire n’est pas le
dit. « Je mens » n’est pas une proposition qui porte sur elle-même : un acte de langage
silencieux est opéré lors de son énonciation, acte dont l’énoncé serait J’asserte que… :

Gilles Chatenay est psychanalyste, membre de l’ECF.

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Portrait de l’analyste en caméléon

Figure 2 : Énonciation et énoncé

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Gottlob Frege avait tenté d’en rendre compte dans son idéographie, qui propo-
sait une notation, « », le « trait de jugement »1, pour ce J’asserte que… Il ne suffi-
sait pas d’écrire « A » pour affirmer la proposition A, encore fallait-il écrire que celle-ci
était une assertion :
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L’écriture conceptuelle de Frege n’a pas été adoptée par les logiciens, mais de toute
façon, me semble-t-il, elle ne suturait pas la question, car j’ai dû, de l’énonciation,
faire énoncé, transcrire le dire en dit. Qui alors énonce J’asserte que… ? On entre
dans une itération infinie :

… A

À chaque pas, l’énonciation est réduite à l’énoncé, et le sujet de l’énonciation est


reporté « en arrière », infiniment : il est, de fait, forclos.
« Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. »2 La logique
classique fait plus que l’oublier, elle le forclôt. C’est précisément ce que ne peut faire
le discours psychanalytique : pourquoi parler, pourquoi venir tenir son discours ici
et maintenant en chair et en os dans le cabinet de l’analyste, sinon parce que l’acte
de parole, l’énonciation, le dire ne se conjuguent qu’au présent ?
Jacques Lacan, dans la même page, ajoute ceci : « Je rappelle que c’est de la logique
que ce discours touche au réel à le rencontrer comme impossible, en quoi c’est ce
discours qui la porte à sa puissance dernière : science, ai-je dit, du réel. » La psycha-
nalyse porte la logique à la puissance dernière – mais comment ? Risquons que c’est,
entre autres, en y incluant ce que la logique classique rejette, soit l’énonciation :
l’acte.

1. Frege G., « Sur le but de l’idéographie », Écrits logiques et philosophiques, Paris, Seuil, 1971, p. 74.
2. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.

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L’acte et le temps

Il est question de l’acte dans un écrit de 1945 où Lacan se réfère explicitement à


la logique : « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée ». De ce que les
deux autres ont jusqu’à maintenant suspendu leur sortie, je dois décider que je suis
blanc et sortir maintenant sans les laisser me précéder, faute de quoi je conclurais de
leur motion que je suis noir. Et seulement alors, se vérifiera que je suis blanc. « Le
jugement assertif se manifeste ici par un acte », dit Lacan, et, ajoute-t-il, ce « qui fait
la singularité de l’acte de conclure […], c’est qu’il anticipe sur sa certitude »3.
Il s’agit bien d’un acte, en ceci qu’il n’est pas seule déduction du raisonnement

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(auquel cas il ne serait que résultat ou réaction) : que jusqu’à présent les autres n’aient
pas bougé ne m’assure pas que, dans un instant, ils ne me précéderont pas, m’indui-
sant ainsi en erreur.
D’autre part, cet acte est bel et bien partie intégrante de la logique en jeu ici,
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puisqu’il est nécessaire à la conclusion du raisonnement.


Enfin, « il anticipe sur sa certitude », et cette certitude vient après coup : le temps
de cette logique n’est plus celui de la succession (chrono)logique, on passe de la flèche
linéaire du temps à une temporalité qui inclut anticipation et après-coup, que je
propose de dessiner ainsi :

Figure 3 : Anticipation et après-coup

Le temps en serait-il déstructuré au point que l’on ne pourrait plus parler de


temps ? Non, car il y a bien un avant et un après l’acte. L’acte fait coupure, et c’est
justement à partir de celle-ci que le temps se structure. Ce n’est au fond pas si étrange,
car comment établissons-nous le temps qui nous est familier, celui de la chronologie,
sinon à partir d’un ou plusieurs « événements » – naissance du Christ, Big Bang, ou
autres plus intimes – que nous marquons ainsi du symbolique ? Le temps logique
lacanien rend compte de ce que nous faisons tous quand nous tentons d’ordonner
le temps dans lequel nous sommes pris, et que la linéarisation de la chronologie
efface.

3. Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » [1945], Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 208-209.

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Portrait de l’analyste en caméléon

Singularité du temps lacanien

Parler d’un temps logique lacanien, ne serait-ce pas un abus ? Car, après tout,
parmi les logiques modales, il existe des logiques temporelles. Mais tous leurs
langages, du moins à ma connaissance, s’interprètent dans une structure où la rela-
tion, par exemple « antérieur à », reste strictement linéaire, c’est-à-dire chronolo-
gique4. Jusqu’à preuve du contraire, le temps logique lacanien est radicalement
singulier.
Il n’y a pas à s’en étonner : dans l’article de 1945 déjà, l’acte est une « assertion » ;
il est un acte de langage, toujours, et j’ai utilisé la forme d’un schéma lacanien bien

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postérieur5 qui rend explicitement compte de l’anticipation et de l’après-coup
consubstantiels à tout acte (parole – écoute, écriture – lecture) effectif de langage6. Le
temps logique lacanien est le temps de la psychanalyse en acte, comme Lacan le
déploie dès « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse »7 – s’il
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n’y avait acte, comment d’ailleurs concevoir que celle-ci puisse avoir une efficacité ?
Logiquement, le Séminaire « L’acte psychanalytique », en 1967-1968, fait valoir cette
fonction dans la cure, fonction qui était restée jusqu’alors voilée sous celle de l’in-
terprétation sémantique. La logique lacanienne est singulière aussi vis-à-vis des tradi-
tions freudienne et postfreudienne. En effet, si l’interprétation est acte, tout acte
n’est pas interprétation – ainsi de la coupure, du silence, etc.
Ceci dit, il n’y a pas que l’acte – le moment de conclure – dans le temps logique
(et la psychanalyse) : il y a aussi l’instant de voir, et le temps pour comprendre, autre-
ment dit la durée. Comment concevoir logiquement la durée ?
« Le concept, c’est le temps » – Lacan emprunte sa formule à Hegel8. Pourquoi
est-il faux de dire que nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve ?
Si l’eau, qui entre hier et aujourd’hui a coulé sous les ponts, n’est en effet plus la
même, le fleuve, lui, reste le même. Cette étendue d’eau qui coule est subsumée sous
le concept « fleuve » : dès lors, « fleuve » dit l’identité de la différence des eaux d’hier
à aujourd’hui – « le concept, c’est l’identité dans la différence », dit Lacan, pour
ajouter : le « concept, c’est le temps de la chose ».
Mais comment le figurer ? Il y a deux temps : l’instant de la nomination, où se
décrète que cette étendue d’eau est un fleuve, et celui du déploiement du concept (ici,
d’hier à aujourd’hui) – la « durée ».

4. Cf. Dubucs J.-P., « Logiques non classiques », Encyclopaedia Universalis, vol XIII, Paris, 1990, p. 977-992. Le systè-
me PCr du « temps circulaire » de Prior semble infirmer ce que j’avance ici. Mais je risquerai que sa « circularité »
ne pourrait se figurer dans l’entrecroisement que supposent anticipation et après-coup.
5. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, op. cit., p. 805.
6. Cf. Miller J.-A., « Table commentée des représentations graphiques », Écrits, op. cit., p. 907-910.
7. Cf. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, op. cit. : l’après-coup (le Nach-
träglich freudien), p. 256-257 ; l’anticipation du terme, p. 309-311 ; la ponctuation et le non-agir, p. 313-314 ; la
temporalité du transfert, p. 318.
8. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 267. Voir aussi Kojève A., Le concept,
le temps et le discours, Paris, Gallimard, coll. NRF, 1990, p. 250-260 : la spatialité comme différence de l’identique,
la temporalité comme identité du différent.

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Comment figurer la durée, sinon par une ligne continue ? Et comment figurer
qu’entre hier et aujourd’hui, je reviens presque à la même place (presque, car aujour-
d’hui je n’ai pas oublié qu’hier j’étais là : aujourd’hui n’est pas hier), sinon par le
retour de cette ligne (orientée, comme il convient au temps) sur elle-même, « hier »
étant dessous, et « aujourd’hui » dessus ?

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Figure 4 : Concept – temps

Topo-logique I : surfaces
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Ce faisant, je suis passé des graphes de mes figures antérieures, où cela se croisait,
à des topologies (surfaces ou nœuds), où cela passe « dessus » ou « dessous ».
Commençons par les surfaces : il suffit de réitérer le retour pour dessiner un
ressort, une spirale : ainsi Lacan figure-t-il, dans son Séminaire « L’identification »,
les tours de la demande et du désir – le temps y est bel et bien en jeu, puisqu’il y a
des tours. Mais pourquoi cette réitération ? Parce que ce n’est pas ça : le désir n’est pas
suturé par quoi que ce soit qui puisse répondre à la demande. La réitération de la
demande tourne autour de quelque chose, « ça », disons l’objet du désir. Pour rendre
compte de cette torsion de la réitération autour d’un vide central, il suffit de joindre
les deux bouts du ressort – cela en fait un tore, espace temporel topologique des tours
de la demande et du désir :

Figure 5 : Tore

Quelle est la structure topologique de ces tours ? Limitons-les à deux – le nombre


de tours nous est ici indifférent :

Figure 6 : Huit intérieur

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Portrait de l’analyste en caméléon

Lacan a appelé cette structure le « huit intérieur », qui, à mon sens, donne la
matrice topologique des graphes des figures 2 et 3 (cf. supra) : le huit intérieur figure
le rebroussement vers « l’intérieur » de ce qui était exclu, rejeté à « l’extérieur » dans
la logique classique (l’énonciation, l’acte, l’anticipation et l’après-coup). Lacan s’est
intéressé aux surfaces topologiques qui rendent compte de ce rebroussement, de cette
internalisation de l’exclu – « exclusion interne », dit Lacan – : bande de Moebius (le
huit intérieur en dessine le bord), cross-cap (où la bande est cousue sur le bord d’une
cupule) et bouteille de Klein (qui s’obtient par couture de deux bandes) :

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Figure 7 : Bande de Moebius Figure 8 : Cross-cap Figure 9 : Bouteille de Klein

Ces surfaces sont dites par la topologie non orientables : y perdons-nous pour
autant la flèche du temps ? Disons simplement qu’une fourmi qui se promènerait sur
la bande de Moebius sans jamais en franchir le bord devrait faire deux tours – voici
le temps – pour se retrouver à son point de départ : ces figures ne sont pas orientables,
mais les parcours sur celles-ci, en revanche, le sont.

Topo-logique II : nœuds

Revenons sur cette exclusion interne que je rapportais à l’énonciation, à l’acte, à


l’anticipation et à l’après-coup. Dans un passage où il est question du cross-cap, Lacan
nous dit ceci : « La topologie n’est pas “faite pour nous guider” dans la structure.
Cette structure, elle l’est – comme rétroaction de l’ordre de chaîne dont consiste le
langage. »9 Cette structure, elle l’est : depuis le début de ce petit parcours, une même
structure insiste et revient, qui trouve sa topologie dans le huit intérieur : « exclusion
interne », « rebroussement », « rétroaction », sont, me semble-t-il, des noms de la
singularité de la logique lacanienne.
En évoquant cette « rétroaction de l’ordre de chaîne dont consiste le langage »,
comment ne pas penser aux chaînes (borroméennes ou non) ? Intéressons-nous donc
aux nœuds.

9. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 483.

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Lacan a intitulé un de ses tout derniers Séminaires, largement consacré à une


pratique des nœuds, « La topologie et le temps ». Il n’y dit que peu de chose du
temps, sinon qu’il y a une correspondance entre la topologie et la pratique psycha-
nalytique, et que cette correspondance consiste « dans les temps »10 – les temps : les
tours ? Comment rendre compte du temps dans la pratique des nœuds ? Gageons que
cela aura à voir avec le rebroussement et l’exclusion interne.
J’ai utilisé le huit intérieur pour la topologie des surfaces. C’est aussi un rond de
ficelle. Entrelacé avec lui-même, cela fait un nœud, par exemple le nœud de trèfle,
où la rétroaction, (l’exclusion interne, le rebroussement) est redoublée (ou plus) :

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Figure 10 : Trèfle

Évidemment, le rond de ficelle peut s’entrelacer avec d’autres, pour faire des
chaînes ou des entrelacs, borroméens ou non.

Figure 11 : Chaîne 11

Que ce soit dans le nœud lui-même ou avec d’autres, les passages dessus / dessous,
que je proposais comme traduction topologique d’avant / après, sont cruciaux : que
l’on se trompe, que l’on fasse un lapsus, et le nœud ou la chaîne se défait ou se trans-
forme.
Quant à l’exclusion interne, où la repérer, au-delà des rétroactions, par exemple
dans le nœud borroméen à trois ?

10. Lacan J., Le Séminaire, livre XXVI, « La topologie et le temps », leçon du 21 novembre 1978, inédit.
11. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, figure 6, p. 113.

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Portrait de l’analyste en caméléon

Figure 12 : Nœud borroméen

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Deux à deux, les ronds sont posés l’un sur l’autre, ils sont séparés, disons qu’ils
« s’excluent » l’un l’autre – Lacan dirait sans doute qu’ils « ex-sistent » l’un à l’autre.
Mais, par le troisième, ils sont noués. Deux registres qui s’excluent sont cependant
réunis, ce qui est exclu fait retour. De plus, l’un des ronds est dit réel, alors que le
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nœud lui-même l’est : où se retrouve le retour en soi du huit intérieur.

Tout et pas-tout

Russell excluait l’ensemble de tous les ensembles, l’axiomatique de Zermelo-


Fraenkel énonce que l’on ne travaillera pas sur le Tout, mais sur un ensemble que l’on
pose au départ et que l’on a soigneusement délimité. En somme, tout énoncé, toute
proposition, tout Aobjet que l’on se donne, devra répondre à ces limitations, ce qui
pourrait s’écrire : x . Lx, où « L » écrit ces limitations. Et ce qui n’y répond pas sera
exclu ; il n’existe pas de x tel que non Lx, ce qui s’écrit : ¬ ( E x . ¬Lx)12.
On pouvait s’y attendre : Lacan, dans ses formules de la sexuation13, côté
« homme », réintègre ce qui était exclu par la théorie orthodoxe des ensembles :
A
x . Fx et E x . ¬ Fx

Qu’en est-il du côté « femme » ?


A
¬ ( E x . ¬ Fx) et (¬ )x . Fx14
A
Il y a une interprétation intuitionniste du « pas-tout » lacanien, du (¬ ) : on ne
peut dire « toutes les femmes ». Mais ce pas-tout se redouble, et ceci à ma connais-
sance est radicalement ectopique à toute logique, classique ou non : pas-tout se dit
aussi d’une femme : pas-tout d’une femme est dans la jouissance phallique, elle est

12. « ¬ » est l’opérateur de négation.


13. Cf. par exemple Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 73.
14. Dans ¬ ( E x . ¬ Fx), la négation porte sur ce qu’il y a entre parenthèses. Par contre, (¬ ) signifie que la néga-
A
tion porte sur le quantificateur : cette écriture se lit « pas-tout ».

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« la seule à ce que sa jouissance dépasse, celle qui se fait du coït »15. En elle, en son
plus intime, il y a quelque chose qui n’est pas elle et la dépasse : qui est autre, « exté-
rieur ». Le x lui-même, l’individu de la logique, le sujet de la psychanalyse, est divisé,
« refendu », et cela concerne les hommes aussi. Cette structure, où l’extérieur est au
plus intime, où l’exclu est internalisé, a un nom lacanien : « extimité ».

Reprise

Faisons retour sur notre petit parcours : énonciation, dire, acte, anticipation et après-
coup, huit intérieur, exclusion interne, rebroussement, rétroaction, ex-sistence, pas-tout,

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refente, extimité… : quelque chose insiste dans la logique du discours lacanien de la
psychanalyse, et ne se laisse pas exclure. La psychanalyse n’est pas un discours sur (l’in-
conscient, les pulsions, etc.) – auquel cas, son objet lui resterait extérieur –, elle est une
pratique qui en tant que telle engage l’acte proprement dit, c’est-à-dire un réel du dire.
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La logique que Lacan déploie tout au long de son enseignement est singulière, comme
la psychanalyse. Mais pourquoi l’avoir dite « poétique » ? Lorsque Roman Jakobson décrit
différentes fonctions du langage (émotive, conative, référentielle, poétique, phatique,
métalinguistique), il distingue la fonction poétique de toutes les autres en ce que, dans
celle-ci, le message lui-même est facteur de la communication linguistique. « La visée (Eins-
tellung) du message en tant que tel, l’accent mis sur le message pour son propre compte,
est ce qui caractérise la fonction poétique du langage »16. La visée du message est le message
lui-même. Proposons-en, pour conclure, une figure :

Figure 13

15. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 466.


16. Jakobson R., « Linguistique et poétique », Essais de linguistique générale I, Paris, Éd. Minuit, 1963, p. 218.

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