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86 NOVEMBRE 2010
by
LÉA
SEYDOUX
DE PLUS BELLE
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PLEIN POT
Deux années séparent La Belle Personne de Belle Épine. Dans le
film de Christophe Honoré, sorti en 2008, comme dans celui de
Rebecca Zlotowski, en salles ces jours-ci, Léa Seydoux incarne
deux jeunes filles endeuillées, frappées par la mort de leur mère,
et contraintes de trouver un nouvel équilibre. Junie, dans La Belle
Personne, et Prudence, dans Belle Épine, sont travaillées par les
mêmes désirs contradictoires: la retraite ou la fuite, le retranchement
intérieur ou l’abandon sensuel et véhément. La première refuse,
par crainte de gâcher leur amour, de se donner au séduisant
duc de Nemours ; la seconde, au contraire, s’offre aux caresses
d’un motard téméraire.
by
SOMMAIRE # 86
ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA
55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS
01 44 67 30 00
Directeur de la publication & directeur de la rédaction
3 ÉDITO
Elisha Karmitz
(elisha.karmitz@mk2.com & troiscouleurs@mk2.com) 6 ENQUÊTE > Le placement de marques dans les films
10 SCÈNE CULTE > Une nuit en enfer
Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture »
Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com)
12 PREVIEWS > Le Frelon vert
MARQUES
D’AFFECTION
Audi dans I-Robot, Perrier dans La Haine… Omniprésentes dans notre environnement
quotidien, les marques squattent aussi nos écrans, du blockbuster hollywoodien au cinéma
d’auteur français. Alors que sort La Famille Jones, comédie douce-amère sur l’inquiétante
inventivité du marketing, nous nous sommes penchés sur la relation ambiguë qu’entre-
tiennent marques et cinéma.
_Par Juliette Reitzer
I
maginez que le sourire avenant de vos voisins pour le tournage). Patron de Marques & Films, agence
de palier n’ait qu’une raison d’être : vous spécialisée dans le placement de produit, Olivier
pousser à acheter. Dans La Famille Jones, Steve, Bouthillier précise : « Le spectateur considère que
Kate (David Duchovny et Demi Moore) et leurs dès qu’une marque est présente à l’image, il y a
deux ados possèdent tout pour être heureux un accord commercial. Mais sur une centaine de
– voitures, vêtements, accessoires dernier cri… Mais ce marques dans un film, il y en a peut-être cinq qui sont
grand déballage est en toc. Les Jones sont en réalité là par accord.» Car qui dit marque dit image, et les
des commerciaux recrutés pour faire acheter à leurs sociétés n’acceptent un accord qu’à plusieurs condi-
amis les produits qu’ils représentent. De la pure tions: le contexte doit être bienveillant, le produit doit
science-fiction ? «Le marketing furtif existe, répond être associé à des personnages positifs et ne doit
Derrick Borte, réalisateur du film et ancien publicitaire. jamais être mis en concurrence. «Si le personnage
Aux États-Unis, les promoteurs immobiliers engagent A boit du Coca et le personnage B de l’Orangina,
de fausses familles pour occuper des maisons témoin il n’y a pas d’accord. Si tous les personnages du film
qu’elles présentent aux visiteurs. » La Famille Jones téléphonent avec des Nokia, il y a un accord.»
nous invite donc à réfléchir sur notre rapport à la
consommation et questionne l’idée du bonheur FLIRT
comme résultant de nos possessions matérielles. Pour Le phénomène n’est pas nouveau. Dès les années
mieux saisir son sujet, le film multiplie ainsi les réfé- 1910, le constructeur automobile Henry Ford flirte avec
rences à des marques, inventées ou réelles, fournis- le cinéma en offrant son modèle T aux studios… à
sant une illustration par l’absurde du recours au pla- condition que ceux-ci n’utilisent pas d’autre marque
cement de produit au cinéma, méthode de marke- de voiture dans leurs films. En France, la pratique se
ting discrète, mais courante. répand au milieu des années 1970 et progresse
On parle de placement de produit lorsqu’un accord depuis. « L’engouement correspond à une réalité
commercial est conclu entre une marque et la pro- logique, continue Olivier Bouthillier: les marques n’ont
duction d’un film. Il peut se faire contre rémunération jamais été aussi présentes dans nos vies. Dans les
(la marque paie pour apparaître dans le film) ou années 1990, on estimait qu’un urbain était confronté
avantage en nature (la marque prête ses produits à 2000 logos par jour. Aujourd’hui, c’est 5000.»
© UGC ph
Lauren Hutton et Demi Moore dans La Famille Jones de Derrick Borte
MARIAGE
L’abondance des marques dans notre vie quotidienne explique- « DANS LES
rait donc leur omniprésence sur les écrans de cinéma, et c’est
souvent par souci de réalisme qu’un metteur en scène recourt à ANNÉES 1990, ON
des produits connus pour installer une ambiance ou caractéri-
ser ses personnages. Ainsi, dans La Cérémonie, Claude Chabrol
tenait à utiliser du café Carte Noire pour l’image d’élégance
ESTIMAIT QU’UN
bourgeoise véhiculée par la marque. Même refrain dans La
Famille Jones. « Tous les placements de produits dans le film sont
URBAIN ÉTAIT
dictés par la créativité. J’avais besoin de vraies marques pour
obtenir un rendu réaliste », explique le réalisateur du film. Les CONFRONTÉ
marques sont alors contactées par des agences spécialisées,
elles-mêmes démarchées par les sociétés de production, selon À 2 000 LOGOS
un raisonnement logique : quitte à filmer une marque, autant y
gagner un avantage – qui peut aller de 3 000 à 200 000 euros,
selon le rôle du produit dans l’histoire, la notoriété du réalisateur
PAR JOUR.
et des acteurs. Olivier Bouthillier estime que 99 % des sociétés
de production françaises contactent systématiquement une
AUJOURD’HUI,
agence de placement de produit lorsqu’elles lancent un film.
Avec un succès mitigé, comme le résume Claire Dornoy, direc- C’EST 5 000. »
trice de production chez MK2 : « Les marques s'intéressent peu
aux films d'auteur. Pour Copie conforme d'Abbas Kiarostami, une Olivier Bouthillier
marque de maquillage était intéressée par la présence de
Juliette Binoche dans le film. Mais il fallait ajouter des plans pour
les satisfaire, montrer leurs produits, et il était hors de question de
toucher au scénario. »
DIVORCE
En France, le film est considéré comme une œuvre d’art appar-
tenant à son auteur et ne serait donc pas menacé par la puis-
sance économique des marques. Mais la liberté d’expression a
tout de même ses limites. « Attaquer une marque ou la mettre
dans une situation de dévalorisation extrême conduirait inévita-
blement à un procès », confie Olivier Bouthillier. Les membres du
© Studio H5
Logorama, de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, 2009
© D.R.
MORTEL
LE PITCH
Les frères Seth et Richard Gecko sont sur le point de SEX MACHINE : Oui, j’ai vu dans les films de Dracula,
réussir leur coup. Après une sanglante cavale, ils ont ils font ça tout le temps.
réussi à passer la frontière mexicaine avec leurs […]
otages, le pasteur Jacob et ses enfants, Kate et Scott.
JACOB : Y-a-t-il quelqu’un ici qui ait lu un vrai livre
Ils s’arrêtent boire un coup au Titty Twister, où se dés-
sur les vampires ? Ou est-ce que ce sont juste de
altère un autre routier de passage, Sex Machine. Mais
vagues souvenirs de ce qu’on a vu au cinéma ?
les clients du rade semblent avoir un humour particu-
Je parle d’un vrai livre ?
lièrement mordant…
SEX MACHINE : Vous voulez dire comme Science
”
deux bâtons ensemble et ça fait une croix. écrasées, mais lui, c’est un chouchou du paradis.
Une nuit en enfer de Robert Rodriguez // Scénario de Quentin Tarentino et Robert Kurtzman // États-Unis, 1996, 1h47 // DVD disponible
chez Buena Vista Home Entertainment
12 PREVIEW
LE FRELON VERT
C’est affublé d’un costume et d’un masque émeraude que
le journaliste Britt Reid (Seth Rogen) entend combattre le
crime dans le prochain film de Michel Gondry, qui adapte
pour Columbia Pictures une émission de radio lancée à
Detroit en 1936, plus tard convertie en série télé et en comic.
Secondé par Kato (Jay Chou), spécialiste en arts martiaux,
Britt s’invente justicier à bord de son automobile de pointe,
la Black Beauty. Si Kevin Smith (Clerks) fut un temps intéressé
© Green Hornet - Sony Pictures releasing France
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LES
NEWS
SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE, TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE
CLOSE-UP
Poupée diaphane aux yeux aguicheurs, ROXANE MESQUIDA échauffe les sens pour
mieux glacer les sangs dans deux films tournés aux États-Unis : Kaboom et Rubber.
Sous ses faux airs d’héroïne romantique, Roxane Mesquida cache des origines méridionales. Toute
jeune, Manuel Pradal la dérobe à sa Provence natale pour Marie baie des Anges. Dès lors, la belle attire
des cinéastes travaillés par la question des corps. On découvre sa grâce étrange dans L’École de
la chair de Benoît Jacquot, avant une prolifique collaboration avec Catherine Breillat (À ma sœur !,
Sex is Comedy et Une vieille maîtresse). Puis Roxane rejoint le clan Kourtrajmé : son regard enjôleur,
sa silhouette menue et sa voix cristalline se font inquiétants dans Sheitan du doux voyou Kim Chapiron.
Fraîchement exilée à L.A., elle joue enfin les nymphomanes vengeresses chez Gregg Araki (Kaboom),
© Marianne Williams
tandis que Quentin Dupieux filme dans Rubber son « côté lugubre », dont s’entiche le héros du film,
un pneu tueur sentimental. Longue route à toi, Roxane.
_Stéphanie Alexe
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© Relatism Films
ROUE LIBRE
En ces temps troublés pour les roux et les roues, Rubber, le pneu tueur de QUENTIN
DUPIEUX aka Mr Oizo, tourne à vide. À moins qu’il ne roule tout droit vers les cimes du
cinéma de genre ?
_Par Juliette Reitzer (la question) et Clémentine Gallot (la réponse)
LA QUESTION LA RÉPONSE
Rubber ne tourne pas rond. Pneu raplapla, Gag ingénieux (comment désigner autrement cette
il écrase un jour une bouteille en plastique, roue tueuse télépathe qui éclate les gueules qui ne
découvre qu’il peut aussi aplatir un scorpion, lui reviennent pas?), Rubber nous embarque dans
et s’attaque bientôt avec engouement aux têtes un jeu de massacre sans être tributaire du nihilisme
humaines, qu’il fait exploser à distance. Le film gavrassien un peu vain qui sévit actuellement.
dévie hélas bien vite de ce pitch jouissif et promet- Ce road movie érudit décline dans le désert texan le
teur. Les errements de la roue psychopathe sont principe ébauché par Spielberg dans Duel, en 1971.
scrutés par un groupe de spectateurs munis Les spectateurs participent au récit tout en exposant
de jumelles, dans une mise en abyme grandeur ses ficelles : « Au-delà du film de genre, c’est un
nature du dispositif regardé / regardant. Dupieux film qui parle de cinéma», explique ainsi Quentin
s’engouffre à toute berzingue dans un symbolisme Dupieux, qui reconnait volontiers la facture modeste
bavard et contre-productif, qui tourne en rond. de ce sketch à rallonge (tournage à l’appareil photo,
Le film se veut manifeste de l’absurde, mais se financement léger, comédiens inconnus mais excel-
dégonfle en tentant de justifier son incongruité lents). Échappant de justesse à l’exercice préten-
par un discours philosophique pompeux. Sur ce tieux, cet ovni formaliste, rythmé par la bande-son
chemin pavé de trop bonnes intentions, épique et anxiogène de Quentin « Oizo » Dupieux
Rubber ne risque-t-il pas d’éclater ? (avec Justice), est décidément sur la bonne voie.
Un film de Quentin Dupieux // Avec Stephen Spinella, Roxanne Mesquida… // Distribution : UFO // France, 2010, 1h25 // Sortie le 10 novembre
LA RéPLIQUE
T
ony Scott n'est pas à proprement parler rappeler les cow-boys d’Howard Hawks; l’autre abs-
un thuriféraire de l’anarcho-syndicalisme : trait, fumeux, dépassé par des événements que les
qui a vu Top Gun, U.S.S. Alabama ou Man caméras de Fox News, tels des moucherons s’exci-
on Fire sait la fascination du petit frère de tant inutilement, ne parviennent pas à relater.
Ridley pour les militaires, les guns et ce qui
peut faire saigner les cocos. Il vient pourtant de réa- Pour autant, on ne fait pas du jour au lendemain
liser un grand film sur la fierté ouvrière: Unstoppable. d’un vieux républicain un révolutionnaire marxiste :
Le scénario est simple et droit comme les bottes d’un c’est toujours par son individualisme et son profes-
G.I.: un train bourré de produits chimiques est lancé sionnalisme que se détache le héros scottien. Il n’y
à pleine vitesse sur les rails de Pennsylvanie, mena- a pas de différence, chez lui, entre le pilote Maverick
çant de détruire une ville entière ; deux cheminots, de Top Gun et l’ouvrier désobéissant d’Unstoppable.
l’un novice l’autre expérimenté, se lancent à sa pour- Nulle loyauté envers l’armée ou la compagnie,
suite. La symbolique est claire: ce train fantôme qui seulement envers ses collègues, sa famille et son outil.
défonce tout sur son passage, cette Lison moderne « Nous chanterons les locomotives au grand poitrail,
que la caméra de Tony Scott transforme en pièce de qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier
musée d’un siècle révolu – impossible de ne pas bridés de longs tuyaux », écrivait Marinetti dans son
penser au Renoir de La Bête humaine –, c’est la manifeste futuriste de 1909. Ceci est très clairement
classe ouvrière qui refuse d’être envoyée à la casse le programme esthétique du film. Peu de cinéastes
par de cyniques actionnaires; c’est l’Amérique des contemporains sont allés aussi loin dans l’exploration
invisibles qui sort de sa torpeur pour un dernier des effets de la vitesse sur la matière (sublime effet de
baroud d’honneur, pour rappeler aux ronds-de-cuir scratch film avec des céréales en vol) ; peu ont été
dans leurs bureaux de verre qu’elle est encore capa- capable de rendre aussi poétique la course d’un 4x4
ble de grandeur. Dans une visée matérialiste (qui rugissant; peu, enfin, ont célébré avec autant d’acuité
infusait déjà Domino et Déjà vu, films de résistance la beauté d’un regard fixé sur la ligne d’horizon, ce
de l’actuel sur le virtuel galopant), Unstoppable moment d’ivresse où l’idée trace son chemin par-delà
oppose deux mondes de façon claire: l’un concret, les vitres encombrées (de gouttes d'eau, de reflets)
solide, peuplé de professionnels qui ne sont pas sans pour devenir, par la grâce du montage, action.
Un film de Tony Scott // Avec Denzel Washington, Chris Pine… // Distribution : 20th Century Fox // États-Unis, 2010, 1h35 // Sortie le 10 novembre
LA TECHNIQUE
© 2010 Warner Bros. Entertainment Inc
LE GOMMAGE NUMÉRIQUE
Boutons, cicatrices, bourrelets : les trucages numériques servent fréquemment à gommer
des portions d’image indésirables. Dans Harry Potter et les Reliques de la mort, le nez
aquilin de Ralph Fiennes a ainsi été escamoté numériquement, pour accentuer les traits
reptiliens de Voldemort. Plus fort encore : dans Machete, le réalisateur Robert Rodriguez
est parvenu à montrer Jessica Alba dans le plus simple appareil tout en respectant la
clause de non-nudité du contrat de l’actrice, en filmant la comédienne en sous-vêtements
couleur chair, qui ont été ensuite effacés.
_Julien Dupuy // Harry Potter et les Reliques de la mort (première partie) de David Yates, sortie le
24 novembre // Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis, sortie le 1er décembre
LE CAMéO
TIMOTHY DALTON DANS CHUCK
Faites chauffer l’Aston Martin frappée du logo « Nerd Herd » : James Bond himself, ou plutôt
son quatrième interprète au cinéma, va faire un détour en novembre par le magasin
© Warner Bors. Television
de Chuck. Timothy Dalton a en effet accepté, comme Linda « Sarah Connor » Hamilton
quelques semaines avant lui, d’assouvir un pur fantasme de geek en apparaissant dans
la quatrième saison de cette parodie sympa des films d’espionnage. Le sexagénaire
retrouvera ensuite son sérieux dans l’adaptation américaine d’Anthony Zimmer,
The Tourist, en salles le 15 décembre.
_G.R.
24 L’œIL
L’œILDE...
DE…////// DAMIEN
DAMIEN BABET
BABET SUR
SUR INSIDE
INSIDE JOB
JOB
Un film de Charles Ferguson // Documentaire // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 1h40 // Sortie le 17 novembre
© Droits Réservés
Les enfants Kühn, 1913
KÜHN ILLUSION
C’est un flou à l’aspect d’aquarelle qui vient cueillir le
RENDEZ-VOUS _Par L.P..
visiteur de l’exposition Heinrich Kühn au musée de
l’Orangerie, pour lui faire approcher la photographie 1. Esthète : le metteur en scène
expérimentale de l’artiste autrichien au succès tardif. Patrice Chéreau s’installe au
Louvre pour une exposition en
_Par Laura Pertuy
forme de carte blanche, qui tisse
des correspondances inédites
P hotographe du tournant du XX e siècle, Heinrich Kühn a
longtemps promené son appareil dans le cercle restreint de entre peinture, danse, théâtre,
littérature et cinéma.
sa famille, laquelle restera son sujet préféré. Mary, la gouvernante
Les Visages et les Corps, jusqu’au 31
de ses quatre enfants, illustre d’ailleurs parfaitement l’évolution d’un janvier au musée du Louvre
artiste qui n’aura de cesse d’appliquer à ses clichés des techniques
avant-gardistes, dont le fameux tirage à la gomme bichromatée. 2. Revendicatif : au programme
de ce festival joliment transversal,
De son utilisation ressortent des œuvres au grain surprenant, qui
l’excellent documentaire d’Émilie
viennent chatouiller les limites du figuratif tout en accompagnant Jouvet, Too Much Pussy, mais
l’essor du mouvement pictorialiste (qui simule la peinture grâce aussi Mutantes de Virginie
à la retouche des photographies). Le parcours exhaustif et concis Despentes, une série d’entretiens
proposé par l’Orangerie permet de découvrir le travail de Kühn, autour d’un féminisme désinhibé.
mais aussi quelques-uns de ses contemporains. Ce stakhanoviste Chéries-chéris, le festival de films gays,
lesbiens, trans & +++ de Paris, du 12 au
imperturbable, qui n’hésitait pas à faire poser ses modèles de 21 novembre au Forum des images
longues heures durant, s’essaya également à la nature morte ainsi
3. Stylisé : cette rétrospective
que la photographie couleur, fraîchement inventée par les Lumière.
retrace avec exhaustivité la filmo-
On retiendra Emporté par le vent, cliché vaporeux de Mary et de graphie de Jean-Pierre Melville,
Lotte, la fille de Kühn, caressées par l’alizé sous un ciel que l’on dont les polars abstraits ont irrigué
pourrait croire d’orage quand il s’agit peut-être simplement les œuvres de Jim Jarmusch,
d’une impression injectée par l’artiste après développement. Martin Scorsese, John Woo ou
Heinrich Kühn, ou le plaisir d’effacer les contours pour proposer Johnnie To.
Cycle Jean-Pierre Melville, jusqu’au 22
une alternative à la réalité. novembre à la Cinémathèque française
Heinrich Kühn, jusqu’au 24 janvier au musée de l’Orangerie
L’AfTER-SHOW
Runaway de Kanye West // Avec Kanye West, Selita Ebanks… // États-Unis, 2010, 34 mn // Visible en ligne
27
Alexandra Boulat, Des civils serbes armés après la chute de vukovar, novembre 1991
© 1. Alexandra Boulat/Association Pierre et Alexandra Boulat. 2. Georges Rousse/ADAGP Paris Courtesy Galerie RX, Paris. 3. Philippe Vermès/Courtesy Galerie W.
PHOTO SHOOT
En novembre, le Mois de la photo investit musées,
galeries et centres culturels de la capitale. Voici
nos conseils pour garder la tête froide face aux
quelques 60 expos proposées. D’abord, réviser ses
classiques avec la rétrospective André Kertész au Jeu
de paume, les clichés empreints de surréalisme
d’Herbert List au Goethe-Institut ou les reportages
de Pierre et Alexandra Boulat au Petit Palais. Ensuite,
découvrir les œuvres récentes du photographe
d’architecture Georges Rousse à la galerie RX, et les
images contemporaines de Roumanie (Institut cultu-
rel roumain), de France (Depardon à la BNF) ou du
Mali (Camara à la galerie Pierre Brullé). Finir en apo-
théose par les clichés sensuels de Hiéroglyphes
du plaisir (Galerie 1900-2000) ou les fiers motards
de Philippe Vermès à la galerie W. Dites «cheese»!
_J.R. // www.mep-fr.org Philippe vermès, Charly and the Lakeside sharks, 1988
POUR UNE
DANSE FÊLÉE
Figure de proue de l’avant-garde flamande, Pygmalion du grand Sidi Larbi Cherkaoui,
l’ancien médecin ALAIN PLATEL et son collectif Les Ballets C de la B prônent depuis
vingt-cinq ans l’extension du domaine de la danse, avec Pina Bausch en héritage et la
réalité sociale en ligne de mire. Nouvelle illustration en deux spectacles à Chaillot
et une rencontre au Centre national de la danse.
_Par Ève Beauvallet
M
ilieu des années 1980. Dans des meilleurs danseurs au monde. Là, choré-
l’espace désaffecté d’anciens graphes, interprètes, plasticiens et vidéastes forment
laboratoires de chimie, un groupe un arbre généalogique baroque où chacun s’in-
de personnes développe une vente à la fois maître et élève, développe un projet
chorégraphie à partir d’un pié- personnel ou suit la tournée mondiale d’une créa-
tinement ininterrompu. Nous ne tion d’Alain Platel, peut s’exporter chez les voisins
sommes pas dans le trip under- Wim Vandekeybus, Jan Fabre ou Anne Teresa De
ground de teufeurs berlinois, mais à l’université de Keersmaeker ; ou encore importer une centaine
Louvain-la-Neuve, en Belgique.Alain Platel et quelques d’amateurs sur scène comme l’a fait Christine de
danseurs sont alors loin de réaliser que naissait ici Smedt pour 9x9 (2000).
l’une des compagnies aujourd’hui les plus respec-
tées au monde, modèle de production quasiment FLEXIBILITÉ
unique en Europe, rêve avoué de milliers de jeunes Cet échangisme artistique n’est permis que par la
danseurs internationaux et cible des conserva- flexibilité de la structure des Ballets, qui se plie à la
tismes les plus hargneux. création et non l’inverse. Car, à l’époque où la nouvelle
danse française, incarnée dans la figure aujourd’hui
A.O.C DE LA B disparue de Dominique Bagouet, s’institutionnalise
Les Ballets C de la B sont nés comme on lancerait une à grande vitesse et multiplie les centres chorégra-
bonne blague. Leur nom annonce déjà la couleur: phiques nationaux, Alain Platel invente au quotidien
originellement dénommés Ballets contemporains un mode de fonctionnement nouveau et unique,
de la Belgique, ils répondaient aux conflits commu- qui lui a permis de produire en parallèle de ses propres
nautaires qui agitaient alors – déjà – le royaume créations celles d’Hans van den Broeck (cofondateur
avec une jolie faute de français (on préfèrerait Ballets des Ballets), de l’Argentine Lisi Estaràs, de Koen
contemporains de Belgique), comme ils ripostaient Augustijnen ou du plus jeune de ses disciples, Sidi Larbi
via l’emploi dissonant du terme ballet à une cer- Cherkaoui, que Platel est allé dénicher à l’époque
taine joliesse de la danse. Et puis, la troupe propo- où il dansait sur la musique de Prince (et en chaus-
sait des spectacles en famille, avec les amis, parfois sons) dans des clips télévisés. On pourrait aisément
en appartement – Stabat Mater (1984). Vingt-six se croire chez l’ami Ricoré, mais certainement pas
ans après, alors que la troupe s’est structurée à dans une compagnie traditionnelle avec répertoire,
Gand, qu’elle a fêté l’ouverture d’un nouveau studio cours techniques et répartition ferme des rôles entre
en 2008 pour accueillir workshops et compagnies interprètes et chorégraphes. Lisi Estaràs, qui pré-
de passage, pas grand chose de la vitalité inso- sente actuellement au Théâtre national de Chaillot un
lente des débuts n’a été abandonné. Aux Ballets C très proustien Primero, raconte sa première fois dans
de la B se croisent parfois des adolescents de clubs la famille Platel : « J’ai quitté l’Argentine pour aller
de boxe locaux, des transsexuels (pour Gardenia, rejoindre la Batsheva Dance Company en Israël,
nouvelle création d’Alain Platel, l’actrice trans- une grosse compagnie qui accueillait les choré-
sexuelle Vanessa van Durme est allée à la recherche graphes pour lesquels, alors, j’avais envie de danser,
de ses amis d’enfance travestis) et quelques-uns comme Angelin Preljocaj. Je l’ai vécu comme une
© DR
bonne école. Aux Ballets C de la B, dans la mesure où personne PLATEL SUR UN PLATEAU
n’a le même parcours, que certains viennent du hip-hop et d’au- « Cette danse s’inscrit dans le monde,
tres du classique, on ne partage pas de cours techniques comme et le monde appartient à tous. » Cette
ailleurs. C’est une recherche plus personnelle: tu apprends à déve- devise, chère aux Ballets C de la B, a
lopper ton propre langage. J’étais venue d’Israël à Amsterdam donné naissance en 2006 à un long
voir La Tristeza complice [1995]. Jamais, alors, je n’avais vu sur métrage documentaire : Les Ballets
scène une chose pareille. » de-ci de-là. Du Vietnam au Burkina
Faso, le film, réalisé par Alain Platel
« POÉTIQUE DE L’EXCÈS » lui-même, trotte à la rencontre des
Qu’a-t-elle vu au juste il y a 15 ans maintenant? Un chorégraphe qui danseurs qui ont fait l’histoire du
n’imposait pas un vocabulaire formel mais laissait la déglingue et collectif. Le chorégraphe y offre une
le contraste des corps installer l’art naturellement. Comme la caméra à son image : pudique quand
majorité de l’avant-garde flamande, Alain Platel n’est pas choré- des artistes, de retour dans leur pays
graphe de formation. Formé à l’orthopédagogie, il est tout d’abord d’origine, visionnent les captations
allé traquer la danse dans le hoquet de l’autiste, les spasmes de des spectacles avec leurs proches ;
l’hystérique ou le cache-cache désordonné des enfants. Aux Ballets nerveuse lorsqu’elle traque les mou-
C de la B, c’est parce que les corps sont brinquebalants qu’ils tiennent vements d’un danseur en action ;
ensemble. À l’époque où Platel arrive sur la scène internationale, stoïque lorsqu’elle saisit la rage vis-
rares étaient les chorégraphes à savoir déceler dans l’élan d’un cérale de certains abonnés de l’Opéra
crochet de boxe ou une course d’autotamponneuses une voie d’ac- de Paris, consternés devant les
cès vers le sublime. Avec Pina Bausch et son cultissime Tanztheater, représentations de Wolf en 2005.
la danse avait déjà cessé de n’être qu’une écriture de pas et d’en- Alain Platel, qui a multiplié les films
chaînements de figures dans l’espace. Au mouvement, elle avait de danse en toute discrétion, propose
ajouté le comportement et toute une gamme d’accentuations entre ainsi au Centre national de la danse,
geste quotidien et geste dansé. «Alain se réfère beaucoup à Pina une installation vidéo constituée des
Bausch, mais il ajoute la poétique de l’excès, note Lisi Estaràs. C’est films de pièces signées Lisi Estaràs,
l’extrême, la démesure des corps, qui l’obsède.» Il en ressort souvent de Koen Augustijnen, de Ted Stoffer et
une scène foutraque, formulée dans la grâce triviale de la réalité de lui-même, cousus aux images dan-
sociale, où s’entrechoquent paroles et symphonie de Purcell reprise santes de ce précieux documentaire.
à l’accordéon (La Tristeza complice), où courent parfois des chiens _E.B.
(ils étaient nombreux dans Wolf, en 2003) et jouent des enfants.
En somme, un point de rencontre entre Ken Loach et Almodóvar. En éclat, installation vidéo des Ballets C
de la B, jusqu’au 30 novembre au Centre
Mais avec un cocktail inédit de troubles comportementaux et de
national de la Danse ; rencontre avec Alain
virtuosité sidérante, rançon de ces danseurs qui traquent la beauté Platel le 20 novembre à 15h. www.cnd.fr
où il n’était pas prévu qu’elle aille traîner ses baskets.
Gardenia, mise en scène d’Alain Platel et Frank van Laecke, du 17 au 27 novembre
au théâtre national de Chaillot
Primero, chorégraphie de Lisi Estaràs, du 24 au 27 novembre au théâtre national de Chaillot
CAÏPIROSKA
© DR
Savant cocktail de ballets russes et d’épices maisons, la compagnie brésilienne GRUPO
CORPO exporte son néoclassicisme pimenté au théâtre des Champs-Élysées avec ses
pièces Ima (2009) et Parabelo (1997). Santé !
_Par Ève Beauvallet
L’
adage veut que les Brésiliens, visible- techniques académiques, de composition corsetée
ment bénis par Orphée, aient « le diable et de saveurs terroirs. Pointes euphorisantes, acroba-
au corps et le rythme dans la peau ». On ties énergétiques réchauffées par ces déhanchés
ne comptera pas sur la populaire troupe suaves qui fondent, selon Rodrigo Pederneiras,
brésilienne Grupo Corpo pour rompre le l’identité du corps brésilien, la danse de Grupo
mythe, elle qui le caresse dans le sens du poil depuis Corpo fut l’une des pionnières en matière de métis-
1975, dans une trentaine de spectacles et autant de sage tous azimuts. La sacro sainte samba, le forró
triomphes internationaux. Car c’est bien entre virtuo- des bals populaires nordestins, la capoeira (danse
sité méphistophélique et polissonnerie sensuelle des esclaves marrons) et les enlacements moites du
que la famille Pederneiras a fondé son empire, une tango, tous shakés aux pas-de-deux classiques
fierté nationale désormais pour le Brésil, et un temps comme pour en adoucir le palais…
fort immanquable des saisons du théâtre des
Champs-Élysées comme de la Biennale de la danse Si certains pourront regretter la façon dont le choré-
de Lyon en France (Guy Darmet, qui quitte cette graphe pasteurise le tout pour mieux exporter le pro-
année ses fonctions de directeur de la Biennale, duit, comment bouder la séduction immédiate
devient d’ailleurs ambassadeur de Grupo Corpo exercée par la vitalité des 20 danseurs que compte
à l’international). Il faut dire que la compagnie est aujourd’hui la compagnie, ou l’ingéniosité avec
gâtée côté storytelling. Milieu des années 1970, les laquelle elle a su collaborer avec les plus intéres-
parents Pederneiras, s’apercevant de la passion sants compositeurs locaux, du mythique Clube da
déployée par chacun de leurs cinq enfants dans les Esquina de Milton Nascimento aux tropicalistes Tom
domaines artistiques, leur cèdent la vieille maison Zé ou Caetano Veloso. La musique de leur nouvelle
familiale dans l’État de Minas Gerais. Les amis création, Ima, est d’ailleurs signée par le fiston de ce
s’y greffent, chacun se spécialise, Paulo signant dernier, Moreno Veloso, qui mêle roucoulement psy-
aujourd’hui la scénographie pendant que Rodrigo, chédélique des cuícas et réminiscences afrobeat.
aux commandes chorégraphiques depuis 1978, Soit une commune façon d’honorer le cannibalisme
a mis au point un cocktail redoutable à base de esthétique propre au Brésil.
MOTS LIERRE
© DR
Après une longue gestation, le premier album du
duo ARLT sort enfin. La Langue tresse les mots et COPIER COLLER _Par A.T.
les sensations dans un folk organique et accidenté. >> Sur son premier album,
The Heart of the Nightlife, le duo
_Par Wilfried Paris
Kisses miroite au soleil californien,
à quelques brasses de la disco-
ongtemps tournée dans la bouche, parait La Langue du
L duo élémentaire Arlt, aka Eloïse Decazes (eau, air) et Florian
pop minimale d’Arthur Russell.
© Gregory Moricet
© Melanie Elbaz
en haut : Da Brasilians
en bas : the Bewitched Hands
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BANDES
À PART
Sans leader ni trompettes, deux collectifs français de pop à facettes débarquent.
Tandis que les Normands DA BRASILIANS font du tourisme musical sur la West Coast
des seventies, les Rémois THE BEWITCHED HANDS revisitent joyeusement l’histoire de la
pop à mille têtes. Revue des troupes.
_Par Wilfried Paris
D
ans les années 2000, le groupe de a dix ans, on arrivait en bande dans les bars, on
rock comme collectif, rassemblement, buvait énormément, on était un peu cons, arro-
communauté impliquant le partage et gants. Des Saint-Lois, quoi ! » The Dadds, Oly Arkle,
la solidarité, réfrénant les ego au profit Belone, The Lanskies, Tom Violence, sont d’autres
de l’esprit de corps, s’est développé en exemples de l’incroyable exception culturelle saint-
chorales punks (Moldy Peaches), hippies (Polyphonic loise, nourrie par le crachin normand et l’horizon
Spree), canadiennes (Arcade Fire, Broken Social océanique. Les Da Brasilians semblent ainsi idéaliser
Scene), californiennes (Fleet Foxes, Magic Kids)… un paysage lointain mais si voisin, l’autre côte Ouest,
En France aussi, en 2010, émergent deux groupes celle américaine, chantée et glorifiée par leurs
ainsi vocaux, qui donnent ensemble de la voix, idoles et modèles : The Byrds, Buffalo Springfield, The
échangent leurs instruments, partagent bus, Beach Boys et Dennis Wilson… Comme leurs aînés,
chambres d’hôtel et cachets et, alignés sur scène, ces classicistes classieux, obsédés du vintage, voca-
poursuivent cette tradition du collectif soudé par lisent en hauteurs des chansons baladeuses,
l’amitié et le « tour magique et merveilleux ». The chaudes et colorées, teintées de nostalgie pour
Bewitched Hands (cinq gars et une fille, compo- un paradis perdu, tendues par le projet d’un avenir
sant, jouant, chantant sur un premier album pop radieux. Du premier titre à contre-jour, Shadows, à un
euphorique, Birds & Drums) et Da Brasilians (cinq finale de conquête spatiale (Million Miles), ils
gars plutôt barbus, plutôt chemise à carreaux, mais envoient leurs chansons comme autant de cartes
mariant leurs octaves sur leur premier album sans postales (Greetings from America) postées lors des
nom) sont des bandes de potes qui ont en com- étapes de leur cheminement vers l’Ouest et son
mun la longue promiscuité d’une jeunesse pas- lumineux passé, modernisant (au studio Third Side)
sée dans une ville de province, où l’ennui et l’envie et francisant (léger accent normand) leurs missives,
d’y échapper ont non seulement consolidé leur ami- un peu à la manière, par ici, de Phoenix.
tié, mais aussi constitué leur identité musicale.
CUI-CUI ET BOUM BOUM
CARTES POSTALES « Quand on s’appelait encore The Bewitched Hands
« Saint-Lô, c’est petit, c’est moche, et tu t’ennuies, On The Top Of Our Heads, on jouait dans les bars
racontent Da Brasilians. Tous les week-ends, on se de Reims, on était toujours au moins dix sur scène,
retrouvait en bande pour faire du skate, picoler dans et tout le monde devait chanter et avoir au moins
les parcs, jouer de la guitare. À 15 ans, quand on un tambourin dans les mains.» The Bewitched Hands
voyait Sonic Youth dans la salle locale, le Normandy, vient de Reims, « où tout le monde se connaît », et
taper sur leurs guitares avec des baguettes, on se ont fusionné plusieurs groupes locaux « à force de
disait : “On va faire pareil.” Il n’y avait pas Internet, jouer ensemble », invitant pour les épauler Yuksek et
on enregistrait les émissions de Bernard Lenoir sur Guillaume Brière (The Shoes) au mixage. Sinon, ils
des cassettes. Nos grands frères étaient dans la font tout ensemble : l’enregistrement en mille pistes
musique, et nos petits frères en font aujourd’hui. et les compositions tonitruantes en deux ou trois
On a créé une véritable microsociété autour de la parties, écrites à quatre ou six mains (So Cool com-
musique à Saint-Lô. Quand on a déboulé à Paris, il y mence ainsi en ballade à la Ray Davies, puis finit
Best Coast
PORTE-VOIX glam rock à la T.Rex). Entre douce schizophrénie (Birds & Drums,
Reflet d’inquiétudes sociétales à la fois chant d’oiseau et tambours battants) et folie collective,
(devant l’obstacle, on se rassemble), lorsque trois guitares partent en trombe et que la voix principale
d’une culture connective ou simple devient hydre à six têtes, les Bewitched tâtent du psychédélisme
revival de la pop polyphonique (Brian Jonestown Massacre ou Boo Radleys, convoqués sur Happy
des années 1960-1970, l’influence With You), du rock à guitares (Sonic Youth ou Pavement, sur 24 Get
californienne sur les voix nouvelles ou Underwear), de l’indie-pop new-yorkaise (Moldy Peaches ou
semble plus vivace que jamais, Strokes, sur Birds & Drums), jusqu’aux girls bands sixties (Staying
comme en témoignent ci-contre nos Around) ou boys bands californiens (Sea). Le tout en 13 titres fréné-
deux chorales hexagonales, mais tiques et enthousiastes comme une révolution.
aussi, sur ses rivages originaux,
des flopées de jeunes vocalistes STADE DE REIMS
qui paient leur tribut aux aînés de Ce qui réunit ces deux bandes, c’est le beau jeu collectif et
la plage : après les Drums, Morning l’Amérique comme étalon musical, mais aussi une formidable
Benders et autres Magic Kids d’un aisance mélodique qui leur fait accoucher de standards (Greetings
été à se pâmer, c’est Best Coast qui From America des Da Brasilians n’a rien à envier au Music Sounds
glorifie sa côte natale en mettant Better With You de Stardust) autant que de potentiels hymnes de
un B à la place du W, et poétise stade (Birds & Drums, des Bewitched, est à reprendre à tue-tête).
ses humeurs ados en métaphores Cette conscience historique assume les guilty pleasures dans les
météos (Sun Was High (And So soli de guitare un peu Mark Knopfler (sur Ocean) des Da Brasilians,
Was I)), des doo-wop et de la reverb ou l’héroïsme grandiloquent de Work, des Bewitched. Pour les
comme s’il en pleuvait. Un peu plus Saint-Lois, c’est la dimension autotélique (« qui a soi-même pour
hippies, des « Mamas and Papas but ») de leurs chansons qui expliquerait cette distance amusée :
sous acide » (dixit Steven Tyler, « Le mot song revient très souvent dans nos morceaux, et fait réfé-
d’Aerosmith) sont devenus la rence aux chansons qui nous ont marqués. Plus que sur l’Amérique,
Family of the Year, à Los Angeles, ce sont souvent des chansons sur la chanson américaine elle-
entonnant comptines folk ou hymnes même, sur son histoire. » Selon les Bewitched, « si on jouait dans
pop. Influences communes de ces des stades, quitte à jouer sur les clichés, on aimerait que les gens
deux combos : Beach Boys bien lèvent leurs briquets plutôt que leurs téléphones. On nous com-
sûr, mais aussi Fleetwood Mac pare souvent à Arcade Fire, mais on trouve ça assez plombant.
et… Seinfeld. Ou comment chanter On se sent plus proches de groupes comme Ween, Beck ou les
le grand écart Est-Ouest. Beastie Boys, qui faisaient aussi du second degré, des clins d’œil. »
_W.P. Il n’empêche, c’est surtout une grande sincérité émotionnelle qui
affleure de ces bouquets vocaux et mélodies supérieures. Elles
Crazy for You de Best Coast (Wichita)
Our Songbook de Family of the Year nous frappent au cœur, on les retient par cœur, on les chantera
(Washashore Records / Volvox Music) en chœur. Allumez les briquets.
PHARNIENTE
© DR
Producteur phare des années 2000, PHARRELL WILLIAMS ne faisait plus rien de bon depuis
quelques saisons. De moins jusqu’à la sortie, ce mois-ci, de Nothing, quatrième album du
trio N*E*R*D, dont il est la tête pensante. Nous l’avons croisé sur la Croisette, en mai dernier,
où, entre deux rêveries panoramiques, il présentait le disque en avant-première.
_Par Auréliano Tonet
L
orsqu’on l’apercevait en mai ronron- cohabiter trois minifilms distincts. Sans surprise, le pre-
ner sur les terrasses de la Croisette, on se mier est un porno torride (Party People, préliminaire
demandait ce que Pharrell Williams était lascif), où Nelly Furtado, invitée sur le single Hot
venu faire à Cannes, en plein festival. N’Fun, peine un peu à faire oublier les précédentes
Certes, on le savait friand de plages citadines, bombes produites par notre voyeur visionnaire (Kelis,
lui qui a grandi à Virginia Beach et vit désormais à Britney Spears, Madonna ou Gwen Stefani côté
Miami. On avait entendu dire, de même, qu’il s’était femelle; Jay-Z, Justin Timberlake, Nelly ou Snoop Dogg
incrusté sur le plateau d’American Trip pour un côté mâle). Le second rêve est un western spaghetti
caméo anodin et qu’il travaillait sur la B.O. de Moi, dans lequel Pharrell, las d’être comparé à son maître
moche et méchant. Mais de là à jouer live dans un Prince ou à ses rivaux Timbaland et Kanye West,
club cannois des plus interlopes, où tournoyaient cavale vers de plus solitaires contrées, pour finalement
nains en combinaison de Batman, gogo danseuses pactiser avec de drôles d’Indiens (The Doors et Ennio
en petite tenue et patineuses artistiques, il y avait Morricone, influences principales du disque selon
un monde qu’on ne pensait pas le voir franchir. Puis Williams himself). Le troisième songe, enfin, est une
tout s’éclairait en interview, tandis que, face aux divagation SF, qui voit notre cosmonaute pop et hip-
mouettes, il expliquait la genèse du quatrième hop déserter la planète Neptunes – du nom de son
album de N*E*R*D: «J’ai imaginé ce disque comme duo de producteurs avec Chad Hugo – pour explorer
un western flower power et cosmique. » Notre pro- de nouvelles galaxies, étonnament jazzy, et remonter
ducteur se rêvait donc en nabab hollywoodien. le temps jusqu’au big-bang originel (Life as a Fish).
Cet été, dans la foulée du festival, il retournait en stu-
dio enregistrer le plus beau morceau de l’album : À Cannes, l’ex-égérie de Louis Vuitton nous confiait
Hypnotise Me, épure intersidérante produite par avoir supprimé la quasi-totalité de ses tatouages au laser.
Daft Punk, et clin d’œil appuyé à Inception de Il paraît que Christopher Nolan, depuis Memento,
Christopher Nolan. est lui aussi revenu de sa passion pour les peintures épi-
dermiques. Pharrell au générique du successeur
Nothing aurait d’ailleurs pu s’intituler «Bienvenue dans d’Inception? Rien ne nous empêche de rêver un peu.
le monde des rêves emboîtés de Pharrell Williams»,
tant il s’étend sur plusieurs niveaux d’irréalité, faisant Nothing de N*E*R*D (Polydor / Universal Music, album déjà disponible)
http://tokenexperience.com
Francis and the Lights - Darling it’s Alright Kentucker Audley - Open Five Arnaud Fleurent-Didier - Je vais au cinéma
vimeo.com/11474503 vimeo.com/15998448 www.youtube.com/watch?v=UlwohkRGQ5M
Quand Francis, crooner allumé, joue avec Kentucker Audley est l’un des cinéastes Aller au cinéma pour oublier une fille;
ses lights, on s’en prend plein la vue. phare du mumblecore, mouvement en rencontrer une autre. Ou pas. Place
Le clip en trompe-l’œil de Darling it’s prônant l’art de la débrouille et de la Clichy à Paris, le long des avenues de
Alright est en réalité un seul et même spontanéité. Très open, il diffuse gratuite- N.Y.C., Arnaud Fleurent-Didier se fait du
plan séquence, qui se monte sous nos ment son troisième long métrage, une cinéma, emmenant Antoine Doinel chez
mirettes fascinées, suivant de troublants comédie nonchalante sur l’amour John Cassavetes, dont cette so roman-
jeux d’ombre et de lumière. à Memphis, saluée par la critique U.S. tic melody épouse l’allure et l’allant.
NOVEMBRE 2010 WWW.MK2.COM
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exe_3coul_86_86 20/04/12 12:41 Page46
© Xavier Barrade
AGIT PAPE
L’Américain CLAY SHIRKY, gourou du web 2.0, publie STATUTS QUOTES
un essai sur l’engagement cybercitoyen, Cognitive
SéLECTION DES MEILLEURS
Surplus. Bullshit ou bingo? STATUTS DU MOIS
_Par Clémentine Gallot
Fred : Toussaint pour ça.
(Du terme britannique signifiant «fuite», soit l’écoulement d’un fluide. Au figuré, marque
la révélation d’informations qui devaient rester confidentielles)
1.Sur Internet, mise à disposition pour le grand public de matériel chipé à la source:
films, albums de musique, documents classés, brevets industriels…
«LesiteWikileaksaannoncédisposerdefuitessurlesfuitesdepétroledeBP.»
2.Par association, synonyme de lapsus. Fuite par le verbe de pensées qui devaient rester
confidentielles.
«Fellation?Yaleaksousrochelà.»
DIÈSE AILES
D.R.
APPLIS MOBILES _Par E.R.
Coups de pompe, opérations escargots, métro timides…
Dur de se mettre en boîte pendant les grèves des TRIPDECK
Véritable tour operator, sans
semaines passées. Sauf à danser en zone autonome les désagréments de la
avec mon DJ Hero 2. Partout, le mix s’immisce. visite imposée au magasin
d’artisanat local, cette
_Par Étienne Rouillon
application thésaurise les infos pratiques
où Phoenix partageait un quartier avec Daft Punk. Tant mieux, j’ai ISURVIVAL
dans mon bagage cabine deux tours de contrôle pour désaltérer Sorte de Copain des
les soiffards de mélanges. Platines contre or noir, je m’étale précieux. bois version Koh-Lanta,
ce manuel de survie distille
de judicieux conseils, clas-
Nue comme une vérité Wikileaks, la piste s’habille de passagers sés selon votre détresse. S’hydrater dans
pour les décollages supersoniques des escadrons Daft, le désert, bivouaquer en forêt, allumer
un feu dans la neige… On vous souhaite
Bambaataa, Prodigy, Shadow. C’est mûr du son que DJ Hero 2
de ne pas avoir à vous en servir.
crève des tympans en pamoisons avec un second sillon tracé Plateforme : iPhone et iPod touch //
au diamant dans le vinyle du premier. Pas de grand soir, mais Prix : 1,59 €
CHÂTEAU fORT
Très fort même, ce nouveau Castlevania, dernier héritier du trône bâti par une série qui fit
les riches heures du jeu d’action-plateforme en 2D dans les années 1980. Lords of Shadow
est une mue en trois dimensions et sans ombre aux tableaux gothiques, peints dans la
gouache d’un Darksider ou d’un Shadow of the Colossus. Plus accessible que ses retors
aïeux, le titre mise sur des environnements grandioses et une mise en scène blockbustée,
alternant énigmes, voltige, fracassage de sbires et boss dantesques. Une mise au goût du
jour apocryphe à laquelle on se convertit sans peine.
Castlevania : Lords of Shadows (Konami, sur PS3, X360)
LE
GUIDE
CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN
SORTIES EN SALLES
SORTIE LE 10 NOVEMBRE
52 Welcome to the Rileys de Jake Scott
SORTIE LE 24 NOVEMBRE
54 Outrage de Takeshi Kitano
SORTIE LE 1ER DECEMBRE
55 Machete de Robert Rodriguez
56 Alamar de Pedro González-Rubio
58 Le Soldat dieu de Kôji Wakamatsu
LES AUTRES SORTIES
60 Date limite ; Le Secret de Charlie ; Le Braqueur ;
The Dinner ; Fix Me ; No et Moi ; Mother and
Child ; My Joy ; Memory Lane ; Mugabe et
l’Africain blanc ; Harry Potter et les Reliques
de la mort – partie 1 ; L’Empire du milieu du Sud ;
Raiponce ; Pieds nus sur les limaces ; À bout
portant ; Lullaby
P.58
SORTIES EN VILLE
64 CONCERTS
Einstürzende Neubauten à la Cité de la musique
L’oreille de… Da Brasilians
66 CLUBBING
Le clubbing confidentiel, du Cercle au Cointreau privé
Les nuits de… Zombie Zombie
68 EXPOS
Didier Marcel au musée d’Art moderne
de la Ville de Paris
Le cabinet de curiosité : Jérémie Nassif
70 SPECTACLES
Joël Pommerat au théâtre de l’Odéon
Le spectacle vivant non identifié: Les Chiens de Navarre
à la Ménagerie de verre
72 RESTOS
Gilles Choukroun au MBC
Le palais de… Florent Marchet
P.66 74 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
UN MAFIEUX
DISPARAÎT
un film de Jake scott // Avec James Gandolfini, Kristen stewart… // Distribution : BAC Films // états-unis, 2009, 1h50
Dans Welcome to the Rileys, un ex-Soprano et une égérie de Twilight croisent le destin de
leurs personnages le temps d’une mise en abyme choix de vie/choix de carrière.
_Par Yann François
En visite à La Nouvelle-Orléans, un homme se prend l’ange gardien) sert en réalité de chemin initia-
d’affection pour une escort girl dont les traits res- tique. En incarnant un homme plus tempéré,
semblent étrangement à ceux de sa fille, décédée dépressif mais moral, James Gandolfini semble se
quelques années plus tôt, et décide de l’aider à s’en délester méthodiquement de son fantôme. Refuser
sortir. Cette rencontre entre le quinquagénaire endeuillé un strip-tease, réprimander le langage fleuri de la
et la jeune paumée avait de quoi faire peur: le soupçon jeune fille: autant de scènes contradictoires à celles
« AOC Sundance », le mélo moralisateur, le ressasse- qui ont forgé le mythique Tony dans la série de HBO.
ment de la crise du modèle familial américain…
Mais le film de Jake Scott (fils de Ridley et neveu de Même combat pour Kristen Stewart: l’égérie de
Tony) semble heureusement biaisé, comme envoûté Twilight balaie son image de marque prématurée.
par le poids symbolique de ses deux acteurs. À tous Est-ce par angoisse de jouer ad libitum les donzelles
les fans éplorés des Soprano, le film s’offre en effet à la froideur virginale? Nul ne sait, mais ce choix
comme la reconversion tant espérée de James sonne comme une prévention au formatage de
Gandolfini. On croyait l’acteur tributaire à vie de Tony carrière. Sourd à l’exercice démonstratif, Welcome to
Soprano, incapable de relancer une carrière après the Rileys se voit ainsi comme une mise en abyme
une performance aussi marquante. Mais son talent de l’angoisse de l’acteur à rester prisonnier d’un rôle.
est ici intact, donc exceptionnel, bien que naviguant En cela le film de Jake Scott est une très belle réponse
aux antipodes de ses repères mafieux. Ce qui à la problématique des gloires éphémères: oui, il existe
pourrait s’avérer un clin d’œil facile (du gangster à bien une seconde chance après le rôle d’une vie.
BATTLE
DÉLOYALE
un film de takeshi Kitano // Avec Beat takeshi, Kippei shiina… // Distribution : Metropolitan Filmexport // Japon, 2009, 1h52
Dix ans après Brother, TAKESHI KITANO revient à ses yakuzas dans Outrage, jeu de mas-
sacre nihiliste et bouffon, sous la forme d’une épure trempée dans l’humour noir.
_Par Éric Vernay
Dans Sonatine, des yakuzas jouaient sur la plage Outrage est un film à la fois jubilatoire et inconfortable.
comme des gamins. Pas de sable dans Outrage, Inconfortable parce que Kitano fait subir à ses
le dernier film de Takeshi Kitano, présenté en compé- personnages les pires sévices – décapitation,
tition à Cannes cette année. Seulement des malfrats lacération, amputation– jusqu’au malaise. Mais cette
puérils, tous plus avides de pouvoir les uns que les répétition sadique appelle dans le même mouvement
autres, qui se livrent à un véritable jeu de massacre. un rire salutaire, nerveux. En maître du montage au
Après une trilogie réflexive sur la création (Takeshis’, scalpel, le cinéaste fait de ses yakuzas de simples
Glory to the Filmmaker !, Achille et la Tortue), le réali- pantins et rend leur lutte intestine dérisoire.
sateur-acteur au visage parcouru de tics revient ainsi Déformés par les grimaces ou les pansements, leurs
au genre qui l’a révélé au grand public. Dès la visages saisis en gros plans semblent hystérisés par
première réunion entre gangs nippons, violente l’appât du gain et deviennent masques de clowns.
et grotesque, on comprend que le ver est dans la Par le biais de cette farce à la mécanique abstraite
pomme : pour prouver sa loyauté au chef, il faut et stylisée, Kitano élabore une épure du film de yakuza,
abattre son frère. Et ce, à tous les échelons de la dont l’ultraviolence fait à bien des égards écho à
hiérarchie mafieuse. Dans cette affaire, Beat Takeshi celle du monde de l’entreprise. Sec et froid comme
se donne le rôle d’Otomo, un petit chef de gang, les décors gris et impersonnels des bureaux de ces
yakuza parmi les autres, qui va devoir régler le fonctionnaires du crime, Outrage traduit de sanglante
compte d’un ami de prison de son supérieur. manière la logique de dominos à l’œuvre dans
L’implosion peut commencer… cette chaîne de l’humiliation.
OLD
BOYS
un film de robert rodriguez et ethan Maniquis // Avec Danny trejo, Michelle rodriguez… // Distribution : sony Pictures // états-unis, 2010, 1h45
PÈRE
ET MER
un film de Pedro González-rubio // Avec Jorge Machado, natan Machado Palombini… // Distribution : épicentre Films // Mexique, 2009, 1h13
La maison pastel de Jorge est plantée comme par relation. De la première plongée apeurée du petit
miracle au milieu du lagon, encore en construction, aux larmes du départ, en passant par la lutte tendre
lorsque le petit Natan arrive. Un lieu à bâtir à l’image qui réunit mains, cheveux, souffles, Jorge et Natan
de la relation entre le père et son fils. Alamar conte accèdent à un port d’attache affectif à mesure
une parenthèse initiatique dans la vie de Natan, cinq que leur point de chute sur pilotis prend forme.
ans, qui quitte Rome et sa mère pour passer quelque
temps avec son père au large du Mexique. Là, leur Le cinéaste mexicain a choisi comme terrain cinéma-
vie s’organise entre séances de pêche, dégustation tographique une zone hybride qui fait toute la singu-
de poissons et discussions avec le grand-père de larité de son second long métrage. À partir d’un lien
Natan, Nestor. Pêcheur coquin, alerte et philosophe, filial existant (Jorge et Natan sont réellement père et
témoin de ce qu’il faut préserver de la démolition fils), il trame une situation fictionnelle (la séparation
(un art de vivre, un savoir-faire), ce dernier complète imminente) qui lui permet de dérouler l’histoire qui
le tableau des générations. Car Alamar est un film lui plaît. Il laisse aussi la vie déborder la fiction avec
d’apprentissage et de transmission : comment pein- légèreté, lorsque la mouette Blanquita investit
dre les murs de la maison, comment être heureux quelques séquences du film avant de reprendre sa
ensemble… Jorge éduque à l’instinct, sorte de père- liberté. Comme cet oiseau, Alamar est un film frémis-
loup très animal dans le contact qu’il noue avec sant, aérien. Construit avec trois bouts de bois, il a la
son enfant. Pedro González-Rubio filme avec justesse simplicité de l’enfance, l’immédiateté des sensations
et retenue leurs corps, témoins de l’évolution de leur et la beauté des débuts réussis.
GUERRE
DES NERFS
un film de Kôji Wakamatsu // Avec shinobu terajima, Keigo Kasuya… // Distribution: Blaq out //
Japon, 2010, 1h25 // rétrospective à la Cinémathèque française du 24 novembre au 9 janvier KÔJI WAKAMATSU
60 CINÉMA
AGENDA
SORTIES
CINé _Par S.A., C.G., L.P., J.R. et L.T.
LE BRAQUEUR FIX ME
de Benjamin Heisenberg de raed Andoni
Avec Andreas Lust, Wolfgang Kissel… Avec raed Andoni, nasri qumsia…
AsC, Autriche, 1h38 sophie Dulac, Palestine, 1h38
Après huit ans de prison passés à Raed a mal au crâne mais ne se
s’entraîner, Johann gagne le mara- laisse pas abattre. Ses migraines
thon de Vienne. Et se met à dévali- deviennent les héroïnes tapageuses
ser des dizaines de banques, dont il de son prochain film, et son psy un
s’enfuit en courant, trop rapide pour script doctor dépassé… Pour sa
être attrapé. Ce drame haletant est deuxième réalisation, Andoni passe
inspiré de l’histoire vraie du plus la société palestinienne au scanner
grand braqueur autrichien. avec causticité.
61 CINÉMA
62 CINÉMA
LES éVéNEMENTS
BASTILLE BIBLIOTHèQUE HAUTEfEUILLE ODéON QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG GAMBETTA NATION PARNASSE QUAI DE SEINE
CINÉMA PASSERELLES
FLASH-BACKS & PREVIEWS LE DIALOGUE DES DISCIPLINES
MARDI 30 NOVEMBRE – 20h / AVANT-PREMIÈRE / VENDREDI 19 NOVEMBRE - 19h30 / RENCONTRE /
Faites le mur de Banksy Mamadou Mahmoud N’Dongo
(sous réserve) Avec les éditions Gallimard, à l’occasion de la parution
du roman La Géométrie des variables.
LUNDI 29 NOVEMBE – 20h30 / RDV DES DOCS /
La Pudeur ou l’impudeur d’Hervé Guilbert SAMEDI 4 DÉCEMBRE – 16h / RENCONTRE /
Ce journal intime filmé, dont l’impudeur revendiquée Renaud Pennelle
fit scandale, est la chronique d’une mort annoncée, Avec les éditions Emmanuel Proust, séance de dédicaces
un tête à tête de l’auteur avec le sida. Un acte de foi à l’occasion de la parution de la bande dessinée
en la littérature, une ode à la vie. La Vénus noire (sur un scénario original d’Abdellatif
Kechiche).
SAMEDI 27 NOVEMBRE – 11h / CARTE BLANCHE /
Le Fanfaron de Dino Risi SAMEDI 13 NOVEMBRE - 10h30 / CINÉ-BD /
Dans la cadre de l’exposition Cent pour cent bande Le Petit Livre Beatles d’Hervé Bourhis
dessinée (bibliothèque Forney), carte blanche à Après son Petit Livre rock, l’auteur
l’auteur François Avril. Projection suivie d’une séance s’attaque à l’épopée des quatre
de dédicaces à la librairie. de Liverpool de façon passion-
née et distanciée, où l’imagina-
tion est autant façonnée par
UVREZ
DéCO
éMA
LE CIN S
EM EN T DAN
AUTR MK2 !
LL ES
LES SA
LA VIE EN VERT
La 28e édition du Festival internatio-
nal du film d’environnement aura
lieu du 24 au 30 novembre pro-
chain. L’occasion de se mettre au
vert sans quitter l’Ile-de-France et
sans dépenser un sou. Pollen de
Louis Schwartzberg ouvrira le festival au MK2
Bibliothèque, suivi de 139 films du monde entier
(documentaires, fictions et courts métrages pour
la compétition officielle, ainsi que de nombreux
inédits). Présidé par Jean-Paul Huchon, président
de la région Ile-de-France, le festival abordera des
thèmes aussi politiques que les désastres pétroliers,
la gestion de l’eau ou le développement durable
et solidaire. Fenêtre ouverte sur le monde, le
cinéma se penchera, une semaine durant, sur le
futur tel qu’il est nécessaire de le rêver à présent :
écolo, économe, responsable. Des regards venus
des quatre coins du monde qui pourraient bien
favoriser l’éveil des consciences.
Festival international du film d’environnement, du 24 au
30 novembre, entrée libre. Lieux, horaires et programme
sur www.iledefrance.fr/festival-film-environnement
ARLUDIK S’EXPOSE
AU MK2 BIBLIOTHÈQUE
Créée en 2004 sur l’île Saint-Louis,
la galerie Arludik a été la première
à rendre hommage aux dessina-
teurs de comics, BD, jeux vidéo, films
d’animation et autres mangas. Jirô
Taniguchi (Quartier lontain), Moebius
(Blueberry) ou encore Marjane Satrapi
et Vincent Paronnaud (Persepolis) ont ainsi pu
exposer leurs planches et faire découvrir en amont
certaines des plus belles créations graphiques
contemporaines. Le 27 novembre, la galerie inaugure
un espace d’exposition unique au MK2 Bibliothèque,
l’occasion de rapprocher le dessin du cinéma.
Nicolas Keramidas (ex-animateur aux studios Disney)
sera présent pour dédicacer le tome 6 des aven-
tures de la jeune Amérindienne Luuna, la reine
des loups. Des dessins de recherches des
Simpson, de Superman ou encore des tirages limi-
tés réalisés autour d’Alice au pays des merveilles
complèteront l’exposition. Un joli trait d’union entre
dessinateurs et spectateurs.
Espace Arludik au MK2 Bibliothèque. Inauguration
le 27 novembre avec Nicolas Keramidas (Luuna,
la reine des loups).
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64 SORTIES EN VILLE
CONCERTS
© Bargeld Entertainment
EN RéfECTION
Einstürzende Neubauten a 30 ans
Les Berlinois EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN viennent fêter leur anniversaire industriel à la
Cité de la musique. De « l’anarchitecture » punk à la célébration institutionnelle,
que reste-t-il de ces vieux bâtiments aujourd’hui ?
_Par Wilfried Paris
La musique industrielle, née dans les années 1970 original, qui fit leur réputation : bétonnières, marteaux-
(Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Nurse With piqueurs ou bidons rejoignent des instruments
Wound…), s’inspire des théories des futuristes italiens traditionnels le long de compositions progressives,
(en 1913, L’Art des bruits de Luigi Russolo prévoit brutales, célébrant l’anarchie et la démolition urbaine.
l’avènement d’une musique inspirée par les bruits produits En trois décennies, Neubauten est passé de débuts
par les machines) ou du philosophe allemand Theodor punk (hurlements sur tôle martelée) à une musique plus
Adorno – qui concevait la dissonance comme seule mélodique et orchestrale, ressentie par certains fans
à même de rendre compte des antagonismes du comme un reniement. Blixa Bargeld, qui fut également
capitalisme. Cette notion ne fut jamais aussi littéralement guitariste des Bad Seeds de Nick Cave, reste l’âme
interprétée que par Einstürzende Neubauten, fondé du collectif, en même temps que sa voix rauque et
en 1980 à Berlin-Ouest autour du chanteur multi- chirurgicale, filant les métaphores architecturales. Dans
instrumentiste Blixa Bargeld et du percussionniste Nu le célèbre Haus der Lüge, chaque couplet correspond
Unruh (le reste du line up ayant changé au fil des à l’étage d’un bâtiment, au premier étage vivant « les
années), qui fête aujourd’hui ses 30 années d’existence. aveugles, qui croient ce qu’ils voient, et les sourds, qui
croient ce qu’ils entendent ». Einstürzende Neubauten
Einstürzende Neubauten (« Bâtiments neufs qui attaquera-t-il les piliers de la Cité de la musique à la
s’effondrent ») a en effet développé à l’extrême les perceuse? C’est à voir.
expérimentations bruitistes des musiques concrète et
industrielle, traduisant les agressions sonores de la Mardi 16 et mercredi 17 novembre à la Cité de la musique,
société contemporaine grâce à un instrumentarium dès 20h, 38€ à 45€
© Gregory Moricet
TEENAGE fANCLUB AU POINT éPHéMèRE
« Teenage Fanclub, c’est d’abord l’album
culte Bandwagonesque, des grands disques
(Grand Prix, Songs From Northern Britain) et l’un
des meilleurs concerts de notre vie, au festival
Mo’Fo en 2005. Ils ont beaucoup influencé
notre façon d’aborder la musique. À chaque
concert, ils diffusent une incroyable fraîcheur,
une écriture classique et décomplexée, des
harmonies vocales, et une subtile attitude cool.
Leur dernier album contient des pépites, et en
live c’est le "meilleur groupe du monde" ! »
_Propos recueillis par W.P.
AGENDA
CONCERTS _Par W.P.
1 RATATAT
Accords de clavecin à la tierce, guitares FM et
boîtes à rythmes rétrofuturistes : Ratatat se répète
mais ne lasse pas, mitraillette à hits instantanés où
seuls les détails font la différence. Pop obsessionnelle.
Les 14 et 23 novembre à la Machine du Moulin rouge,
dès 20h, 20 €
4 ÅÄÖ
ÅÄÖ, 27e, 28e et 29e lettres de l’alphabet suédois,
est aussi le nom d’un festival d’artistes venus du
froid: les blond(e)s Jay Jay Johanson (crooneries),
Nina Kinert (folkeries), Bye Bye Bicycle (ABBAries),
et d’autres. Swedish dances jusqu’au bout de la nuit.
Du 1er au 6 décembre dans plusieurs salles, programme sur
www.si.se/paris
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66 SORTIES EN VILLE
CLUBBING
© Caroline Deloffre
Le Cercle, rue étienne-Marcel, à Paris
SECRET PARTIES
Le clubbing confidentiel
On a fait des pieds et des mains pendant un mois pour entrer au Cointreau privé, on se
presse au Café caché du 104, on traque les lieux secrets des soirées Die Nacht et Dimuschi…
Ces derniers temps, les noctambules parisiens aiment le défi.
_Par Violaine Schütz
C’est la Clique (Lionel du Baron et André, le graffeur) chez papy quand il n’est pas là. Tu vides la cave, tu
qui a lancé la tendance. Il y a un an, ils ouvraient fumes en cachette, tu mets de la bonne musique.
l’éphémère Popup bar au théâtre du Renard, pour la Au début, un endroit comme ça ne pouvait pas être ouvert
marque de boisson Vitaminewater. En tout, 31 soirées à tous; on avait donc réservé l’accès à 200 membres,
sur invitation y ont accueilli concerts, soirées bingo-loto qui payaient une cotisation mensuelle, comme dans
et happenings. Plus récemment, les mêmes rece- les clubs anglais. » Le mois dernier, c’est au Cointreau
vaient à l’Appartement, lui aussi réservé à quelques Privé (à l’intérieur de l’Hôtel particulier, à Montmartre)
initiés. Au même moment un miniclub privé se plan- qu’il fallait être. Comme lors des raves des années
quait à l’intérieur du Palais de Tokyo. Actuellement, les 1990 (mais en beaucoup moins social), on se procure
fêtards parisiens se pressent au Cercle, dont l’adresse l’adresse de ces fêtes au dernier instant, par hotline ou
n’a été dévoilée au grand public qu’il y a un mois. mailing list, dans une opacité savamment orchestrée.
Pour passer l’entrée mystérieuse de ce club privé « Ces petits lieux secrets attirent, conclut Édouard
monté par Edouard Rostand, rédacteur en chef du Rostand, parce que les Parisiens blasés adorent être
magazine Trax, au 6 rue Étienne-Marcel, il fallait aupa- frustrés. » Un peu à la manière des histoires d’amour
ravant avoir été coopté par un habitué, ou avoir kierkegaardiennes, c’est la quête, la recherche du
payé sa carte… fameux sésame, qui excite plus que le lieu lui-même.
« L’idée, raconte Édouard, était d’avoir un lieu qui res- Le Cercle, 6 rue étienne-Marcel, 75002 Paris
semblait à un appartement de grand-père: cosy, avec Soirée Die Nacht le 13 novembre, de 22h à 6h, dans une
plein de livres, un piano. Un endroit où tu te sens comme ancienne usine. Adresse révélée sur inscription à lanuit@die-nacht.fr
AGENDA
CLUBBING _Par V.S.
1 NUITS CAPITALES
Les Nuits capitales (du 17 au 21 novembre), nées
suite à la pétition « Paris : quand la nuit meurt en
silence » avec pour but de relancer la fête à Paris,
invitent les lyonnaises Nuits sonores. Les platines
seront confiées pour l’occasion aux Berroyer père
et fils : soit Jackie, acteur, comique et écrivain, et
son rejeton électronique qui se fait appeler Ark.
Le 17 novembre au Bar Ourcq, dès 19h30, entrée libre
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68 SORTIES EN VILLE
EXPOS
© Pierre Even
CHAMPS LIBRES
Didier Marcel à l’A.R.C.
L’A.R.C., section contemporaine du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, présente
l’exposition Sommes-nous l’élégance de l’artiste français DIDIER MARCEL, qui s’inspire
d’une nature devenue artificielle.
_Par Anne-Lou Vicente
Alors que les expositions de Larry Clark et de Jean- Labours initiée en 2006, tableaux-sculptures
Michel Basquiat, présentées simultanément au muraux massifs imitant la matière de la terre labou-
musée d’Art moderne de la Ville de Paris, rameutent rée. Dans l’immense salle qui suit cette entrée en
les foules, un troisième accrochage se fait plus dis- matière, la notion de linéarité se prolonge sur le
cret. Non pas que Didier Marcel soit un jeune premier mode du travelling : sur le mur de gauche se dessine
sorti de nulle part… Nominé au prix Marcel-Duchamp un grillage sérigraphié que longent d’énormes
en 2008, l’artiste français officie depuis les années rochés moulés en papier mâché. Sur la droite, s’étire
1980, développant une œuvre qui vise à reconsidérer un tas de rondins de bois épousant les courbes de
des éléments de notre environnement quotidien l’espace et achevant de le « clôturer ». Jonchant le
devenus « invisibles ». sol, des feuilles de papier carbone froissées rappe-
lant des corbeaux insufflent un parfum de vanité.
Depuis une dizaine d’années, la nature est ainsi Montés sur roulettes, des moulages de troncs d’ar-
devenue son champ de prédilection, si bien cultivée bres peints en blanc simulent une forêt. Au bout de
dans notre monde qu’elle en deviendrait artificielle. la promenade, jaillit enfin un troupeau de cerfs
C’est ce paradoxe que les œuvres de Didier Marcel modestement stylisés à partir de structures en fer à
mettent en avant. Conçue comme un paysage linéaire béton soudé (Clairière, 2010). Une nature – morte –
inspiré du tableau de Kazimir Malevitch La Charge à méditer et réinventer.
de la cavalerie rouge, la première salle de l’exposi-
tion, au sol recouvert d’une moquette dont les bandes Sommes-nous l’élégance, jusqu’au 2 janvier au musée
colorées évoquent des champs, montre un récent d’Art moderne de la Ville de Paris / A.R.C., 11 avenue
moulage en résine rouge extrait de la série des du Président-Wilson, du mardi au dimanche de 10h à 18h
LE CABINET DE CURIOSITéS
© Jérémie Nassif
AGENDA
EXPOS _Par A.-L.V.
REHAB
Cette exposition menée par
Bénédicte Ramade rassemble
18 artistes internationaux autour
de « l’art de re-faire ». Les œuvres
réhabilitent des objets et maté-
riaux familiers (meuble, carton
d’emballage…), afin de renouveler l’expérience
esthétique. Un art de la récuperation et de la relecture.
Jusqu’au 20 février à l’Espace Fondation EDF,
6 rue récamier, 75007 Paris
RAINIER LERICOLAIS
Pour la plus importante exposi-
tion qui lui est consacrée depuis
dix ans, cet artiste explore les
liens existants entre ses deux
disciplines de prédilection, les
arts plastiques et la musique.
Ou comment faire figurer le son, matière invisible…
Jusqu’au 27 février au domaine départemental
de Chamarande, 38 rue du Commandant-Arnoux,
91730 Chamarande
LOUIDGI BELTRAME
Explorateur de l’architecture
moderne et des utopies qui l’ont
sous-tendue, Louidgi Beltrame
présente Energodar, un film réa-
lisé en Ukraine dans cinq villes-
dortoirs proches de centrales
nucléaires. Un questionnement de la modernité,
entre documentaire et science-fiction.
Du 19 novembre au 23 décembre à la Fondation
d’entreprise Ricard,12 rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris
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70 SORTIES EN VILLE
SPECTACLES
© Elisabeth Carecchio
Pinocchio, d’après le conte de Carlo Collodi
CONTES CRUELS
Joël Pommerat à l’Odéon
Manipulateur savant de l’inconscient et grand méchant loup des plateaux de théâtre,
l’auteur et metteur en scène JOËL POMMERAT propose au théâtre de l’Odéon Le Petit
Chaperon rouge et Pinocchio. Deux contes mirifiques et immanquables.
_Par Ève Beauvallet
Pas de Woofie façon Tex Avery ni de baleine animée Lui, homme de théâtre, pour qui « rien n’est plus
comme chez Walt Disney dans les contes de Joël important que de vivre dans la vérité », qui manipule
Pommerat. Les histoires qu’il chuchote depuis vingt ans avec aisance les ficelles de la fiction et du réel, a trouvé
sur les scènes internationales prennent l’allure calme avec la réécriture du Pinocchio de Carlo Collodi un
et assurée des cauchemars les plus profonds. Tout de thème sur mesure: quel menteur est aussi célèbre que
velours tapissé et de paillettes saupoudrées, les le petit pantin, jeune empressé qui ignore tout des lois de
plateaux embrumés de sa bien nommée compagnie la patience et du travail grâce auxquelles il doit pourtant
Louis Brouillard s’aventurent dans les forêts obscures son habit de bois ? Quant à sa version, aujourd’hui
de la mémoire et les méandres des douleurs tues. Ses culte, du conte de Charles Perrault, focalisée sur trois
versions du Petit Chaperon rouge et de Pinocchio illustrations de la solitude (l’enfant unique, la mère
n’échappent pas à la règle. Mais si cette entrée en célibataire et la grand-mère veuve), elle redonne corps
matière vous dissuade d’y emmener vos enfants, à la question du face-à-face effrayant avec soi-même.
sachez que Joël Pommerat trouverait cela dommage: Le tout, dans un onirisme sidérant qui n’a pas grand-
« Affronter la peur en tant qu’enfant, se confronter chose à envier à David Lynch.
à elle, dans le sens d’un apprentissage ou d’un jeu,
c’est travailler à ne plus [en] être esclave […] pour Le Petit Chaperon rouge et Pinocchio, texte et mise en
finalement oser aller vers l’inconnu, le possible scène de Joël Pommerat d’après les contes populaires, du 24
danger, inhérent à toutes actions humaines et novembre au 26 décembre aux Ateliers Berthier, théâtre
à toute existence. » national de l’odéon, www.theatre-odeon.fr
AGENDA
SPECTACLES _Par E.B.
1 FESTIVAL MARTO
La onzième édition du festival international Marto
vous prouvera que le théâtre d’objets n’est pas
une sous-rubrique des arts contemporains. Ni un
parc pour enfants, si l’on en croit la compagnie
Hotel Modern qui invente en direct une guerre
des tranchées miniature, filmée à la caméra
comme un tournage en modèle réduit.
Du 19 novembre au 16 décembre dans six villes
des Hauts-de-Seine, www.festivalmarto.com
2 BÉRÉNICE
Session de rattrapage pour ceux qui auraient
manqué l’extraordinaire plongée dans le répertoire
entreprise par Gwénaël Morin et son Théâtre
permanent. Pas d’histoire vaseuse de « dépoussié-
rage» des classiques, mais une rencontre brute
et essentielle entre des acteurs d’aujourd’hui
et des héros d’antan.
Jusqu’au 21 novembre au théâtre de la Bastille,
www.theatre-bastille.com
3 SACRIFICES
Pour entendre un phénomène aussi improbable
que la variété internationale chantée avec l’accent
algériano-colmarien, il faut se déplacer pour
l’inimitable Nouara Naghouche, jeune banlieu-
sarde de Colmar qui dans son one-woman show
Sacrifices propose un réquisitoire, par le rire, contre
le sort réservé aux femmes dans les cités.
Jusqu’au 28 novembre au théâtre du Rond-Point,
www.theatredurondpoint.fr
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72 SORTIES EN VILLE
RESTOS
© Bruno Verjus
éTAT DE GRAff
Gilles Choukroun au MBC
Rupture urbaine au fil d’une cuisine graffiti : GILLES CHOUKROUN, chef du restaurant
MBC – pour menthe-basilic-coriandre – réaffirme la gourmandise ultra-sensuelle.
_Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
La rue du Débarcadère tranche de franche façon Voici par l’anecdote l’une de ses créations embléma-
la frontière entre le XVIIe résidentiel et la friche périphé- tiques : la lecture du catalogue de l’exposition Pierre
rique. Là, MBC, loft postmoderne, se maquille de sprays Soulages à Beaubourg lui remémore une crevette
aérosols. Les artistes Da Cruz et Nasty taguent les murs Crystal Bay. Il utilise la purée de chou-fleur du menu et
et l’esprit du chef : « C’est un lieu qui me ressemble au lui adjoint de l’encre de seiche; elle devient dès lors
même titre que l’un de mes plats emblématiques, le matière – son outrenoir. Là s’enténèbrent les mots de
foie gras, cornichon doux, jus d’abricots ! » Gilles Pierre Soulages: «Le noir avait tout envahi, à tel point
Choukroun aime la spontanéité des graffitis. Sa cuisine que c’était comme s’il n’existait plus.» La purée est cou-
interpelle les produits et accepte «d’être à côté». chée à la palette sur une plaque, les crevettes crues
taillées en carpaccio, déposées sur cette surface et
Ce chef à part a décroché sa première étoile à recouvertes à nouveau de purée noire. Les têtes de
Chartres, en 1996. Cinq ans plus tard, il quitte La Truie qui crevettes sont servies crues dans un bol adjacent.
file pour ouvrir à Paris Le Café des délices. Début 2004, Fraîcheur, iode et croquant, assaisonnée de citron vert:
Angl’opéra bénéficie un temps de ses habiles mariages voilà pour la surprise de cette nourriture où l’absence
sel/sucre/épice, avant que Gilles Choukroun ne passe du lisse prend le risque d’une œuvre aspirée.
au conseil au sein du Sofitel Essaouira, au Maroc. Au
Grand Palais, à Paris, il crée au printemps 2007 Le Mini MBC Gilles Choukroun, 4 rue du Débarcadère,
Palais. Depuis février 2009, c’est au sein de son «restau- 75017 Paris. tél. 01 45 72 22 55
rant-signature», MBC, qu’il se consacre à la gourman- À pleine bouche de Gilles Choukroun
dise. Chaque jour, il y peint une cuisine d’instantanés. (éditions de la Martinière)
L’AUTRE CAFÉ
« Avant, j’habitais juste en face de L’Autre café,
et la rue était tellement bruyante que j’avais
pris l’habitude de venir me réfugier dans ce
resto où la programmation musicale est à la
hauteur de la carte. Souvent, je vais demander
au comptoir le nom du disque, et je repars
avec de précieux conseils. J’aime l’ambiance
cinéma qui y règne, j’ai remarqué que beau-
coup de scénaristes viennent chercher l’inspi-
ration ici. Et puis, j’en profite pour commander
la salade Inca, délicieuse et pleine de crudités,
histoire de pallier mon train de vie dissolu. »
_Propos recueillis par L.T.
L’Autre café, 62 rue Jean-Pierre-timbaud, 75011 Paris.
tél. 01 40 21 03 07
Lire le portrait de Florent Marchet p.114
Où MANGER
APRèS… _Par B.V.
MEMORY LANE
Chez Philou, pour retrouver un
amoureux du cinéma. Ici trône
entre autres beautés l’affiche ori-
ginale des Enfants du paradis.
Un paradis qui prend sur la table
la forme de mets nets et aima-
bles au palais. Certains vins de la
maison, proposés en carafe,
ne ruinent ni l’âme ni le porte-monnaie.
Philou, 12 avenue richerand, 75010 Paris. tél. 01 42 38 00 13
QUARTIER LOINTAIN
Aux Grandes Tables du 104.
Ce n’est pas la porte à côté, mais
n’oublions pas qu’il fallait aupara-
vant aller jusqu’à Astaffort, dans le
Lot-et-Garonne, pour profiter de la
cuisine de Fabrice Biasiolo! Alors,
pour les entrées ludiques et les
plats canailles de ce chef étoilé,
il faut savoir apprivoiser les quartiers lointains.
Les Grandes Tables du 104, 5 rue Curial, 75019 Paris.
tél. 01 40 37 10 07
EVERYONE ELSE
Chez Jeanne A, pour ses deux
grandes tables d’hôtes un peu
cachées, qui favorisent les ren-
contres gustatives… et les autres au
passage. Au menu de cet endroit
qui fait aussi cave et épicerie:
des rôtisseries bien tournées,
des salades fraîches comme
une première rencontre et des magnums à boire
ou à emporter, selon affinité.
Jeanne A, 42 rue Jean-Pierre-timbaud, 75011 Paris.
tél. 01 43 55 09 49
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74 LA CHRONIqUE DE
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S’Y PIQUE
LÉA SEYDOUX, ou l’art de faire céder les résistances. La belle
personne se fait Belle Épine chez REBECCA ZLOTOWSKI, jeune
cinéaste surdouée, qui pour son premier long métrage emmène
la comédienne séduire une bande de motards effrontés. Sur
les pistes des circuits sauvages du Rungis de 1977, la jeune
femme serpente entre deuil et éclosion sensuelle, dans une
magnifique ode à la vitesse et à la mise en danger. Un rôle
au diapason de la filmographie fulgurante de Léa Seydoux,
dont l’aura irradie désormais bien au-delà de nos frontières.
Entretien croisé entre deux filles à suivre de près, à toute
allure.
_Propos recueillis par Stéphanie Alexe et Auréliano Tonet
© Nicolas Guérin
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B
elle Épine de Rebecca Zlotowski, chacun de ses mots. Des Léa Seydoux, le cinéma
Roses à crédit d’Amos Gitaï : l’hi- français en trouve une tous les cinq ans. Ce n’est
ver a des allures de printemps pour pas l’actrice d’un seul rôle. » Le rôle en question
Léa Seydoux, à l’affiche de deux était celui de La Belle Personne, qui l’a faite éclore
films aux terminologies joliment flo- auprès d’un plus large public, après des prestations
rales. Dès lors, la tentation est grande, remarquées chez Nicolas Klotz (La Consolation),
pour le journaliste, d’affubler la comédienne de Sylvie Ayme (Mes copines) et Catherine Breillat
qualificatifs fleuris ; mais quelque chose chez elle (Une vieille maîtresse). Lorsque nous l’avions ren-
résiste aux analogies faciles: loin du stéréotype de la contrée, en marge de la sortie du film de Christophe
femme pétale, docile et ornementale, Léa impres- Honoré, Léa nous avait frappé par son franc-parler
sionne au contraire par son caractère trempé, ses mâtiné d’auto-ironie : « Mon premier rôle était celui
prises de risques affirmées, ses choix de carrière d’un lutin, j’avais six ans, le réalisateur a fait une
audacieux. Jeune fille en fleurs peut-être, mais alors dépression peu après le tournage. » « Il est bien
en fleurs nomades, changeantes, carnivores, à leur plus troublant, face à la caméra, de montrer ses
aise dans les sous-bois portugais (Les Mystères de émotions que sa poitrine », lançait-elle encore du
Lisbonne de Raoul Ruiz) comme dans les vastes jar- haut de ses 23 ans. Elle nous parlait avec naturel de
dins à l’anglaise (Robin des Bois de Ridley Scott), pas- ses modèles (la comédienne Gena Rowlands,
sant en un coup de vent des champs verdoyants l’écrivain Albert Cohen), de ses fétiches (Carmen
du jeune cinéma français (Petit Tailleur de Louis de Georges Bizet, L’Ennui d’Alberto Moravia), de
Garrel, Plein Sud de Sébastien Lifshitz) aux pelouses sa scolarité escarpée (« J’ai changé dix fois
les plus selects du cinéma international (Inglourious d’école »), de ses origines moins avantageuses
Basterds de Quentin Tarantino, Minuit à Paris de qu’il n’y paraît (son grand-père est le président de
Woody Allen, Mission Impossible 4 de Brad Bird). Pathé, son grand-oncle dirige Gaumont ; de quoi
vous coller une vilaine étiquette de « fille de »,
« Léa est là », titrions-nous en mai dernier dans le qu’elle a su, à force d’audace et de talent, peu à
portrait qui ouvrait notre dossier consacré au Festival peu effacer).
de Cannes, où elle présentait trois films. Cette omni-
présence pourrait bien être sa qualité première : Deux ans après cette première rencontre, on la
une habilité à occuper tous les registres cinémato- retrouve à l’hôtel Lutetia pour évoquer Belle Épine,
graphiques, du drame intimiste à la fresque histo- peut-être son plus beau rôle, en tout cas celui où
rique costumée, du haut de l’affiche à des rôles elle s’est livrée avec le plus d’abandon, de généro-
plus discrets, voire antipathiques – brune, blonde, sité. Elle y joue une jeune femme, Prudence
rousse, châtain, même combat. « Léa est à la fois Friedmann, dont le deuil (la mère de l’héroïne vient
intemporelle et complètement d’aujourd’hui, nous de mourir) coïncide avec une libération tous azi-
confiait Christophe Honoré, en 2008. Elle a le débit de muts. En interview, face à sa réalisatrice, la très pro-
Deneuve: elle parle très vite, mais on comprend metteuse Rebecca Zlotowski, Léa est pareille au
© Shelby Duncan
rôle qu’elle incarne: à la fois de toutes les phrases et légèrement en LES BELLES HISTOIRES
retrait, en équilibre entre expressivité et intériorité, distribuant pointes DE REBECCA ZLOTOWSKI
(d’humour, d’impudeur) et contrepointes avec une science Normalienne, agrégée de lettres,
éprouvée du juste placement – belle parce que piquante. Rebecca Zlotowski fut d’abord scéna-
_A.T. riste avant de passer à la réalisa-
tion. Au cours de ses années à la
Rebecca, vous n’avez pas rencontré d’autres actrices que Léa Femis, elle collabore avec plusieurs
pour le rôle principal de Belle Épine. Pourquoi ? camarades, dont Teddy Lussi-
Modeste. Issu de la communauté
REBECCA ZLOTOWSKI : Je n’ai pas écrit le rôle pour Léa, mais je gitane, ce dernier prépare un pre-
n’ai rencontré qu’elle, c’est vrai. Il faut être très sûr de ses senti- mier film, Jimmy Rivière, dont la
sortie est prévue en mars prochain
ments pour faire un film. C’est un peu angoissant quand on com-
et dont le scénario a été écrit avec
mence, parce qu’on n’est jamais sûr de soi à 100 %. Ça incite
Rebecca Zlotowski : l’histoire d’un
beaucoup de jeunes metteurs en scène à faire des castings très
gitan de 24 ans tiraillé entre sa pas-
longs, à aller à la sortie des lycées chercher des visages nou-
sion dévorante pour la boxe thaï
veaux, qui ont vraiment l’âge du rôle… Ce n’était pas du tout ma
et le poids du pentecôtisme. Sous
démarche. J’avais envie d’une comédienne assez expérimentée, la pression de sa famille, Jimmy fait
mais il n’y en avait pas beaucoup qui m’attiraient. Parmi elles, il y un choix radical, celui de renoncer
avait Léa. L’affiche de La Belle Personne m’avait accompagnée à la boxe. Mais le jour de son bap-
tout un hiver, ça avait fait émerger son visage pour moi. Quand je tême, le Christ lui fait faux-bond…
l’ai rencontrée, j’ai ressenti une possibilité de travail en commun, Au risque de rompre toute attache
des qualités d’abandon, de solitude, qui collaient parfaitement avec sa communauté, il se lance
au personnage. Je cherchais une alliée. Contrairement à d’autres alors dans la préparation du combat
metteurs en scène, je n’aime pas travailler dans le conflit. de ses rêves. Sous la plume de
Rebecca, les jeunes héros vivent
Léa, qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le rôle? ainsi avec anxiété leur rapport à la
foi : tandis que Prudence Friedmann
LéA SEYDOUX : Le talent de Rebecca. C’était la première fois qu’elle traverse les dix jours terribles dans
abordait une actrice, elle y est allée en douceur, très habilement. Belle Épine, Jimmy Rivière plonge
Elle m’a fait passer des essais, elle avait besoin de me tester, tête baissée au cœur d’un été brûlant.
_S.A.
de savoir qui j’étais, parce qu’il y a des choses très personnelles
dans son film, propres à son vécu et au mien. Belle Épine est une
histoire d’entente, d’intimité. J’ai le sentiment que je suis née
actrice avec ce rôle. C’est mon premier travail de composition
abouti. Je ne sais pas être naturelle. Jusqu’à présent, je me suis
toujours sentie maladroite face à une caméra.
R.Z. : Léa joue très juste, elle ne sonne jamais faux. L.S. : Ceux qui commencent ont davantage besoin,
C’était le pilier de Belle Épine ; à partir d’elle, chaque je crois, de l’appui de leurs comédiens. Les réalisa-
comédien constituait une partie de l’échafaudage. teurs qui ont de l’expérience savent ce qu’ils veulent.
C’est la confiance en soi qui diffère.
Rebecca, vous avez coécrit plusieurs courts
métrages réalisés par des camarades de la femis. R.Z. : Moi j’ai eu l’impression d’avoir une grande
À l’instar de Belle Épine, leurs castings faisaient la confiance en moi dans ma façon de te diriger.
part belle aux jeunes comédiens. Doit-on forcément
évoquer sa propre jeunesse dans un premier film ? L.S. : Tu savais exactement ce que tu voulais mais tu
n’avais pas confiance en toi. En règle générale, ce
R.Z. : Dans Belle Épine, je préciserais que je parle sont surtout les acteurs qui sont dans une situa-
de la jeunesse et non de l’adolescence. L’adolescence tion vulnérable. Pour un premier film, le rapport s’in-
est un sujet qui fut très en vogue dans les années verse, les réalisateurs sont plus à fleur de peau.
1990 et qui m’a beaucoup touchée, mais je ne Avec les réalisateurs expérimentés, je n’ai senti
sentais pas la nécessité d’apporter ma touche au aucune fragilité. Amos Gitaï, par exemple, ne sup-
L.S. : Belle Épine est un film très physique, focalisé tion de ma part. Je suis tombée sur le journal intime
sur la perception des émotions. On a eu la possibilité d’une fille dans le XIIIe arrondissement, qui est mon
avec Rebecca de travailler bien en amont du tour- quartier d’enfance. Elle y racontait sa vie, l’année
nage. En lisant les livres que Rebecca m’avait indiqués, de ses 16 ans à Villejuif, ses escapades au centre
en discutant avec elle, j’ai pu me faire une idée de commercial Belle Épine, le week-end avec ses
plus en plus précise de mon personnage, j’ai pu copines. Quant à Prudence, j’aime le rapport anti-
l’habiter. Nous sommes allées voir Diabolo menthe nomique de ce prénom à la disparition, à la mise
de Diane Kurys, un film sur des ados dont la façon en danger.
de parler était très adulte, très élaborée. Ça nous a
plu. Les essais avec de jeunes acteurs ne fonction- Léa, après Une vieille maîtresse, Robin des Bois,
naient pas, et ce film a convaincu Rebecca de faire Les Mystères de Lisbonne et Roses à crédit, vous
appel à des comédiens plus âgés. jouez de nouveau dans un film d’époque, puisque
l’action de Belle Épine se situe dans les années
R.Z. : Ça ne marchait pas avec des acteurs plus 1970-1980.
jeunes : être dans une situation d’essai, c’est déjà
terrorisant – de part et d’autre d’ailleurs – et certains L.S. : J’aurais du mal à vous dire pourquoi les met-
garçons trop jeunes perdaient leurs moyens teurs en scène aiment me projeter ainsi dans le temps.
devant Léa, qui était choisie, souveraine. Ce à quoi Peut-être est-ce dû à la forme de mon visage ?
pouvait s’ajouter la pudeur devant une réalisatrice
femme. R.Z. : Il y a de grandes actrices qui sont profondé-
ment ancrées dans leur contemporanéité, mais
L.S. : Oui, ça pouvait être un peu inhibant, surtout qui ne franchissent pas la barrière des époques.
que Rebecca roulait des pelles à ses acteurs pour Et il y a d’autres actrices plus intemporelles, qui
les aider à interpréter de manière plus brulante cer- vont porter des histoires pendant très longtemps, et
taines séquences [sourires]. qui deviennent des étoiles. Léa s’inscrit dans
cette lignée. À aucun moment, je ne lui ai
R.Z : Je ne l’ai fait qu’une fois ! demandé d’adopter la démarche ou la prosodie
des années 1970.
L.S. : Catherine Breillat m’avait embrassée, aussi,
pour m’indiquer comment jouer la scène de baiser Rebecca, vous avez tourné en scope et en 35 mm.
avec Asia Argento dans Une vieille maîtresse. Vous filmez vos motards comme des cavaliers
urbains, échappés d’un western.
D’un point de vue onomastique, Rebecca, qu’est-ce
qui a guidé le choix du prénom de votre héroïne, R.Z. : La scène de western, elle a lieu dans le bureau
Prudence friedmann, et celui du titre du film, du père de Prudence, quand Marylin et Prudence
Belle Épine ? se font face. En scope, lorsque que l’on bouge d’un
demi-millimètre, on est flou ; ce qui crée la beauté
R.Z. : Le titre s’est imposé tout de suite. J’aime l’ana- de certaines scènes. Il y a des tremblés qui échap-
gramme «belle peine», et sa version argotique, «belle pent à la maîtrise du metteur en scène et du
pine»… En fait, le film est né d’un défaut d’imagina- cadreur. Pour les acteurs, ça demande une très
grande concentration. Le scope, c’est aussi accep- L.S.: Le Havre était au diapason de mon personnage.
ter de ne pas filmer le ciel, c’est sans transcen- C’est une ville propice à la solitude, à l’égarement.
dance, à hauteur des comédiens, toujours.
Rebecca, le film s’ouvre sur une séquence où sont
L’action se déroule à Rungis, mais le film a été évoquées les origines juives de votre héroïne.
tourné au Havre, une ville qui inspiré de nombreux En quoi était-il nécessaire d’indiquer cette appar-
réalisateurs : Jean Vigo (L’Atalante), Jean Renoir tenance?
(La Bête humaine), Marcel Carné (Quai des
brumes) ou plus récemment Mathieu Amalric R.Z. : La judéité est un motif très souterrain du film, un
(Tournée), Aki Kaurismäki (Le Havre) et le trio contrepoint, un sous-texte. C’est un sujet abordé notam-
Gordon-Abel-Romy (La Fée)… ment lors de la scène de repas familial, durant laquelle
R.Z. : Au départ, c’était une contrainte de produc- est exposée la notion des dix jours terribles [yamin
tion, parce que filmer la banlieue parisienne reve- noraïm]. Petite, on m’avait expliqué que pendant ces
nait plus cher. Puis je suis tombée amoureuse de dix jours, Dieu écrivait les noms de ceux qui allaient mou-
cette ville que je trouvais sensationnellement digne. rir et comment. Ça raconte aussi l’idée qu’on peut vivre
C’est une ville orpheline, qui a été reconstruite par quelque chose et n’en ressentir l’impact que plus tard,
Auguste Perret selon un schéma ultra social. On a ce qui était le sujet du film. La scène de repas m’aidait
tourné dans un appartement qu’il a construit, très à montrer que Prudence n’avait pas grandi dans
utérin. Aucune enseigne n’y est violente ou agres- une famille dysfonctionnelle. Et puis, c’est une piste
sive, la typographie n’a pas changé depuis les de lecture assez riche: Belle Épine, ce serait un peu les
années 1950. La ville avait l’air de se réveiller, de dor- dix jours terribles de Prudence Friedmann. Et je pense
mir, de vivre avec nous. que l’on a tous dix jours terribles dans notre vie.
CŒUR DE MOTARDS
Présenté cette année à Cannes à la Semaine de la critique, Belle Épine est un très beau
portrait de jeune fille à fleur de peau. Où une Léa Seydoux parfaite fait son deuil en se
perdant dans les courses de motos clandestines.
_Par Léo Soesanto
elle Épine est le genre de rose noire bande originale signée Rob (entre autres clavier
B
entêtante que l’on déniche dans le de Phoenix sur scène), comme sortie d’un Dario
bouquet parfois défraîchi que compo- Argento i n é d i t . À qui veut prêter l’oreille, le film
sent les premiers films français. Oui, le regorge aussi de détails sonores signifiants : le pas-
film de Rebecca Zlotowski nous parle sage en revue des vinyles chez la copine, détermi-
encore d’ados, de deuil et de rite de nant pour en cerner l’identité ; un morceau de
passage : la jeune Prudence (Léa piano à quatre mains entre deux sœurs ; un sono-
Seydoux) perd sa mère et se perd dans le milieu des tone que l’on met même si on n’est pas sourde, pour
courses de motos clandestines organisées à Rungis se rapprocher de quelqu'un. « Je n'ai aucune idée
à la fin des années 1970. Mais le portrait attendu de de l’effet que ça fait, nous a confié Rebecca Zlotowski.
jeune fille en fleur fait ici place à une âpreté déli- J’ai postulé que ça amplifiait le son, mais je pré-
cieuse, où Léa Seydoux fait merveille en plante d’un fère imaginer. »
jardin de pierres, qui sait à la fois croître et se rétrac-
ter dans un même plan. Dès la première scène, elle Une telle attention au son est naturelle pour la réa-
est déshabillée, fouillée au corps car accusée de vol lisatrice, qui a coécrit pour le dernier album d’Alizée
à l’étalage, mais on ne voit d’elle que sa carapace la chanson Grand Central. Elle raisonne encore en
de dure à cuir, faite pour le perfecto. termes musicaux quand elle nous dit que « la chan-
son qui résume le plus Belle Épine, c’est Surrender
Belle Épine excelle à traverser les genres. D’une de Suicide ». Une ballade titubante idoine pour la
sensibilité écorchée qui renvoie à Maurice Pialat reddition de Prudence à l’aube, triste mais pleine
(Agathe Schlencker a l’air d’avoir été téléportée de de promesses. Belle Épine raconte cet état second
Passe ton bac d’abord), on passe aux climats fan- des heures indues, ce flottement délicieux et un peu
tastiques d’un John Carpenter lorsque le film coupable d’après une nuit trop blanche, lorsque
évoque le Rungis 1977, rock’n’roll et nocturne. Un l’on sait qu’un jour nouveau pointe.
monde parallèle qui dépasse l’idée de nostalgie et
Belle Épine de Rebecca Zlotowski // Avec Léa Seydoux, Agathe
de reconstitution. Belle Épine impressionne aussi par Schlencker… // Distribution : Pyramide // France, 2010, 1h20 //
son travail sonore, tout d’abord pour son excellente Sortie le 10 novembre
RACCORDS &
DÉSACCORDS
Alors que le pays vient de battre le pavé pour protester contre la réforme
des retraites, le cinéma français reprend le train de la contestation
politique en marche. On lui a souvent reproché d’être intimiste,
bourgeois, claustrophobe. Et pourtant, en novembre, fictions (Potiche,
Le Nom des gens, Dernier Étage, gauche, gauche) et documentaires
(Cheminots, Commissariat, Ce n’est qu’un début) questionnent
avec acuité les institutions sociales et politiques de la France
d’aujourd’hui. Immersion dans le cortège.
_Par Clémentine Gallot, Juliette Reitzer, Auréliano Tonet et Laura Tuillier
Illustration : Anna Apter - Numéro10 Studio.
De gauche à droite et de haut en bas : Nicolas Sarkozy, Catherine Deneuve, Lionel Jospin, Judith Godrèche, Marine Le Pen, Jacques Gamblin
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A
rt de la durée et du temps long, CELLULES GRISES
le cinéma se trouve cet automne, Ilan Klipper et Virgile Vernier marquent quant à eux un
par un troublant effet de synchronie, arrêt au commissariat d’Elbeuf, près de Rouen. Ils y
en phase avec l’actualité la plus ont passé trois ans pour filmer un documentaire sans
brûlante. Le film le plus explicitement concession, Commissariat. « Le portrait d’une petite
raccord avec la brusque politisation ville française à travers sa police, très loin de l’image
du pays est un documentaire : dans pittoresque de la province», affirment en chœur les
Cheminots, Luc Joulé et Sébastien Jousse suivent deux réalisateurs. Après avoir documenté dans Flics
des employés du rail, souvent de père en fils, qui le processus de formation des gardiens de la paix, ils
voient leur métier menacé par la privatisation s’intéressent cette fois à l’institution dans sa réalité
progressive de la SNCF. Tourné dans les Alpes- quotidienne : « C’est un métier où il est en perma-
Maritimes, le film s’ouvre par L’Arrivée du train en nence question de pouvoir, d’autorité et de hiérar-
gare de La Ciotat. La référence aux débuts du chie.» Au fil de longs plans-séquences, sans voix off ni
cinéma est ici marquée du souci constant de filmer montage intempestif, la caméra capte ce qui se joue
au présent : des méthodes de travail aux relations entre les murs du commissariat et pendant les rondes
avec les patrons, en passant par les retraites, c’est des agents: interventions musclées, face-à-face entre
toute la culture d’une profession qui est remise en flics et prévenus, interrogatoires de témoins et vic-
cause. Faisant montre d’une grande empathie times, cellules de dégrisement… En émerge le
pour ces travailleurs en sursis, Luc Joulé et constat d’une misère sociale et affective larvée, tant
Sébastien Jousse saluent au passage les cama- chez les policiers que chez leurs interlocuteurs. Nourri
rades René Clément (La Bataille du rail) et Ken des travaux de Frederick Wiseman et du cinéma
Loach, cité dans une très belle séquence direct, Commissariat s’empare du contemporain
durant laquelle un groupe d’employés regarde sans ostentation militante, avec la volonté de mettre
The Navigators à la télévision. Creusant la veine à nu le réel pour mieux l’interroger. À l’image de sa
engagée de leur premier documentaire (Les séquence finale, qui s’articule autour du nettoyage
Réquisitions de Marseille, en 2004, sur les expéri- des cellules au Kärcher, faisant resurgir certains sou-
mentations sociales menées par des résistants à la venirs… «Il y a aujourd’hui une obsession pour l’hy-
Libération), les deux réalisateurs affichent la volonté giène et la sécurité. Il faut que tout soit lisse, aseptisé,
de fixer par l’image ce qui est menacé de dispari- estiment les cinéastes. Mais le monde moderne ne
tion : un réseau ferroviaire que les cheminots pen- se soucie guère de traiter les maux en profondeur.»
sent de façon collective et solidaire, aujourd’hui
démantelé dans un souci de rentabilité. La force du LUTTE DES CLASSES
train, c’est de ne laisser personne sur le carreau, Portant un même regard critique sur le réel,
semble nous dire Cheminots ; de s’arrêter dans Ce n’est qu’un début démontre que la curiosité,
toutes les gares et de permettre à chacun de faire la tolérance et le « vivre-ensemble » se bâtissent
partie du voyage. dès le plus jeune âge. Chronique d’une expé-
rience menée pendant deux ans par une institu- enfants expriment une certaine vision de notre
trice de maternelle pour éveiller ses élèves à la société, ils dessinent une carte mentale de la
philosophie, le documentaire de Jean-Pierre Pozzi France. Comment retrouver du sens en un projet
et Pierre Barougier s’ouvre sur la déclaration polé- de société commun et réenchanter notre pays ? »,
mique de Xavier Darcos, alors ministre de l’Éduca- s’interrogent les auteurs, avant de conclure, opti-
tion nationale, en 2008 : « Est-il vraiment logique mistes : « Des enfants d’origines différentes se sont
[…] que nous fassions passer des concours bac retrouvés autour de questions universelles plutôt
+ 5 à des personnes dont la fonction va être que de se focaliser sur des débats dangereux et
essentiellement de faire faire des siestes à des des questionnements qui dérapent. »
UNE SOIXANTE-HUITARDE
ATTARDÉE, UN IMMIGRÉ
ALGÉRIEN CIRCONSPECT
ET DES EXTRÉMISTES DE TOUS
BORDS, LE NOM DES GENS
© DR
François Ozon
une chambre en ville, 1982
Potiche // Un film de François Ozon // Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu… Jacques Demy d’Olivier Père et Marie Colmant
// Distribution : Mars // France, 2009, 1h43 // Sortie le 10 novembre (Éditions de la Martinière, déjà disponible)
La République // Un film de Nicolas Pariser // Avec Thomas Chabrol, Alain Libolt… //
France, 2009, 35 mn
À LA CROISÉE
DES MONDES
Deux univers culturels aux antipodes, pour deux films que tout oppose. Quartier lointain
et Scott Pilgrim reflètent pourtant, chacun à sa façon, les problématiques soulevées par
la réappropriation de la culture nippone par des Occidentaux.
_Par Julien Dupuy et Auréliano Tonet
© Patrick Muller
© Universal Pictures
quartier lointain
film dispense de belles séquences oniriques et éthé- imprégné de culture geek japonaise, lui qui dans
rées, jouant sur les effets d’inquiétante familiarité que son sitcom Spaced avait axé tout un épisode
provoque le voyage du héros. Autres réussites : la autour du classique du jeu vidéo, Resident Evil 2.
retranscription de l’ambiance bien particulière d’un Cette fois, pour obtenir les droits d’utilisation de la
pays cicatrisant les traumatismes de la guerre et le musique de La Légende de Zelda, le réalisateur
retour purificateur dans une nature enchanteresse. s’est carrément fendu d’une lettre au siège de
Et puis, il y a cet accord troublant entre le cinéaste et Nintendo à Kyoto, expliquant que cette musique
le mangaka sur l’univers musical de Quartier loin- était « la berceuse de toute [sa] génération ». Face
tain, comme l’a découvert avec bonheur Taniguchi: à une telle déclaration d’amour, les ayants droit du
«J’étais enchanté d’apprendre que le duo Air allait héros, réputés pointilleux, ont aussitôt capitulé…
signer la bande originale. Je connais bien leur travail, L’un des secrets de la réussite de Scott Pilgrim se
TANIGUCHI, EN DOUCE constater que Scott Pilgrim est, à ce jour, le seul équivalent live
Parallèlement à sa sortie au cinéma, d’un petit classique de la japanimation : Entre elle et lui
Casterman réédite Quartier lointain d’Hideaki Anno (plus connu pour Neon Genesis Evangelion),
dans une version augmentée, et en avec en bonus des révérences envers le rock indé, les comics, les
profite pour publier le premier tome séries (très bel hommage à Seinfeld) et le cinéma d’exploitation
du nouveau roman graphique de dont nous avait habitués Wright. Ce qui permet à cet improba-
Jirô Taniguchi, Les Années douces. ble collage culturel de tenir debout ? Un sens du montage
Tsukiko, son héroïne, est toujours époustouflant, rapprochant avec vitesse et fluidité des scènes,
un peu ailleurs. Comme perdue dans des personnages et des lignes de dialogues a priori sans rap-
l’une de ses vies antérieures, elle ports les uns aux autres.
mène une existence flottante.
Le célibat lui va bien, pense-t-elle, WON IN TRANSLATION
jusqu’au jour où elle rencontre « La poésie est ce qui se perd dans la traduction », écrivait Robert
un vieil homme dans un bar. Frost dans un poème qui a donné son titre à Lost in Translation de
Une complicité se noue alors. Ils se Sofia Coppola. D’aucuns pourront insister, effectivement, sur les failles
revoient sporadiquement, partageant des adaptations de Sam Garbarski et Edgar Wright. Le film du pre-
au gré du hasard un bon plat arrosé mier, en transformant le salaryman du manga en auteur de BD,
de saké. Adapté d’un roman de impose une métatextualité dont l’évidence du conte initial se serait
Hiromi Kawakami, Les Années bien passé. Par ailleurs, en laissant la question du fantastique en sus-
douces n’en est pas moins une pens (là où Taniguchi fournissait à son héros deux preuves objectives
œuvre typique de Taniguchi : qu’il avait bien voyagé dans le temps), Gabarski prend le risque de
les personnages y font corps avec réduire son film à une parabole freudienne un brin pragmatique.
la nature et les plaisirs sensibles, Côté Scott Pilgrim, la multiplication des références culturelles et le jeu
mais leurs esprits sont déphasés sur les répétitions (de bouts de phrases, de gags, de duels), s’ils fon-
dans le temps. Pour saisir tout le dent le charme du film, en marquent aussi la limite: aussi séduisante
tragique rentré de ce Nelly et Mr soit-elle, la folle énergie d’Edgar Wright menace constamment de
Arnaud version nippone, l’auteur de perdre le spectateur, possiblement désemparé face à tant d’infor-
Quartier lointain noie sa ligne claire mations. Mais ces réserves sont mineures face à ce que prouvent
dans une narration discrètement ces deux films, chacun dans un registre opposé (grave, adulte et res-
alambiquée. Percée d’ellipses et de pectueux pour Quartier lointain; extatique, juvénile et insolent pour
flash-backs, cette histoire d’amour Scott Pilgrim): oui, la culture et l’imaginaire nippons gagnent, ici ou
impossible distille un mystère diffus. ailleurs, à être traduits.
_E.V. Quartier lointain // Un film de Sam Gabarski // Avec Pascal Greggory, Jonathan Zaccaï…
// Distribution : Wild Bunch // France-Belgique-Allemagne-Luxembourg, 2010, 1h38 //
Les Années douces (tome I) Sortie le 24 novembre
de Jirô Taniguchi et Hiromi Kawakami Scott Pilgrim // Un film d’Edgar Wright // Avec Michael Cera, Mary Elizabeth
(Casterman, album déjà disponible) Winstead… // Distribution : Universal Pictures // États-Unis, 2010, 1h52 // Sortie le 1er
décembre
75 ANS EN
COLLANTS
Dans 75 Years of DC Comics, PAUL LEVITZ invite Superman et Batman à souffler les
bougies de leur super-éditeur, DC Comics. Ouvrage phénomène de 720 pages riches en
illustrations inédites, concocté par un homme qui a travaillé 35 ans pour la compagnie,
le livre retrace exhaustivement l’histoire du comic book à travers ses différents âges,
crises et succès. Immersion chez les rois du slip moulant.
_Par Laura Pertuy
A
u commencement était l’âge de pierre. L’ÂGE D’OR : SUPERMAN SAUVÉ DE LA POUBELLE
Pour Paul Levitz, c’est en effet Cro-Magnon L’autre figure dantesque de la première heure est
qui serait l’ancêtre du dessinateur de Malcom Wheeler-Nicholson. Ce militaire reconverti
comic book. Pas si alambiqué, quand on dans les magazines pulp (publications bon mar-
considère que ses rupestreries faisaient ché proposant des fictions diverses) crée National
déjà rugir la galerie avec des dieux superpuissants Allied Publications, premiers bégaiements de DC
mais humains, auxquels s’identifiaient les badauds Comics, avec l’idée de publier des séries dessi-
d’alors, silex au poing. Rien de bien nouveau, donc, nées inédites. C’est ainsi qu’en 1935 apparaît New
quand la version bêta du comic américain invente Fun, dont les super-héros marquent le début d’une
l’âge de papier de ses héros en 1897, avant de les ère autrement révolutionnaire. Mais les retombées
conduire au format que l’on connaît aujourd’hui, intro- de la Grande Dépression de 1929 entraînent vite la
duit au début des années 1930. C’est Max Gaines, édi- jeune entreprise dans la tourmente. Une déroute
teur précurseur, qui a le premier l’idée de plier les qui n’échappe pas à Harry Donenfeld, alors prince
leur et ténébreux, le personnage puise ses origines rière d’Hitler à l’envi ou se régalent de fricassées
et sa mission dans les tourmentes d’alors. La mon- japonaises pas bien catholiques. La bombe ato-
tée du nazisme l’impose comme le justicier à point mique marquera elle aussi l’univers DC, puisqu’on
nommé et inspire par la même occasion toute une retrouve vite Atom Man et Atomic Thunderbolt dans
génération de dessinateurs. Et dire que les 13 pages des scénarios où leurs pouvoirs nucléaires les
des toutes premières aventures du super-héros aident à dézinguer du gros vilain, tandis que la
furent sauvées de la corbeille par Vin Sullivan kryptonite, verte faiblesse de l’ami Superman, rap-
(dessinateur et éditeur de DC, visionnaire… ou chan- pelle les dangers de la radiation atomique qui
ceux), inquiet de voir une rubrique de son journal paralyse alors bien des foyers outre-Atlantique.
laissée à l’abandon. Le succès du double de Clark
Kent amorce ce qui est aujourd’hui désigné comme L’ÂGE D’ARGENT : RELIFTING ET PSYCHOLOGIE
l’âge d’or des comics, une période marquée par Cette période de gloire s’achève au détour des
l’avènement du support comme forme d’art popu- années 1950, berceau de lecteurs d’une autre
laire, alors même que se définissent les codes qui trempe, attirés par la montée en puissance du crime
en assureront la pérennité. Une fois l’archétype du véreux et des histoires d’horreur. À l’âge d’argent, la
cés par Marvel, éminente maison concurrente retour du personnage de Green Lantern, désormais
créée en 1939. Le combat continue encore bien loin de son optimisme naïf des sixties. En 1972,
aujourd’hui, même si les deux éditeurs défendent pendant que Finkielkraut balbutie ses théories sur
une vision bien différente. Chez DC, on s’aime et on Mai-68, notre super-héros balance une réflexion qui
s’allie contre le gros méchant tout jaune en slip kan- fait frémir les ados en pleine fronde anti-guerre du
gourou et coiffé d’un bandana pas vraiment rac- Vietnam : « J’étais jeune, si certain de ne pouvoir
cord. Chez Marvel, méfiance et sauvagerie priment; commettre aucune erreur ! Mais j’ai changé…
on teste son congénère avant de l’adopter. Les créa- Je suis plus vieux maintenant, peut-être plus sage,
teurs de Spider-man et Hulk prônent une atmo- bien plus malheureux en tout cas. » Avec la girl-
sphère noire qui plonge le lecteur dans l’attente friend de Spider-man qui rend l’âme dans la foulée,
d’une résolution porteuse de sens : qui des deux les beaux jours de l’Amérique galvanisée par des
héros remportera la victoire? Y’a du chicot qui vole super-héros tonitruants semblent loin.
dans les airs, du laser bien pensé et des éclairs dans
ta face: rien à voir avec la politique aux accents L’ÂGE DE BRONZE : BATMAN REVIENT
pacifistes de DC. Mais de défaitisme, point trop n’en faut. Batman
débarque à la télévision en janvier 1966 et tabasse des
À l’âge d’argent, le retour en force du super-héros méchants psychédéliques à coup d’onomatopées
ne signifie toutefois pas la reprise des codes qui en stylisées: les «boum», «paf» et « pan» intègrent l’imagerie
ont fait un mythe. L’homme en collants est alors télévisée des super-héros (une esthétique plus que
chatouillé par des pulsions que la bienséance vivace aujourd’hui, des clips de Lady Gaga au
réprouve. Il interroge son environnement comme les Scott Pilgrim d’Edgar Wright). L’âge de bronze signe
pouvoirs qui lui ont été attribués. En bref, il doute. l’avènement d’un naturalisme relativement sombre,
Ses copains de galère (Green Lantern, Wonder où les super-héros font face à leurs propres limites.
Woman…) vont, eux aussi, être repensés à l’aune C’est l’époque où Jack Kirby (auparavant chez Marvel)
des changements sociopolitiques qui bouleversent et Neil Gaiman (The Sandman), grands noms du
les États-Unis. Seuls leurs noms demeurent inchangés roman graphique, rejoignent les rangs de DC. Le
dans le relifting de masse qui s’opère sur les cos- premier lance The Fourth World, où l’on retrouve
tumes et sur les identités, approfondies par une l’opposition millénaire entre le bien et le mal incarnée
psychologie en béton armé. Le lecteur peut désor- dans deux mondes ennemis. L’arrivée d’histoires où
mais trouver des explications scientifiques aux agis- la cohérence des détails socioculturels est avérée
sements du héros dont il suit les aventures. N’en inscrit peu à peu le comic book dans une ère nouvelle,
déplaise à certains, la trame des comics s’annonce qui s’attaque à des thèmes toujours plus matures.
plus sophistiquée, en réponse à un lectorat deman- Le modèle du genre est le Dark Knight Returns de
deur d’explications rassurantes et de conclusions Frank Miller (1986), dont l’anti-héros, aux prises avec
rationnelles après l’horreur de la guerre. Une muta- des considérations bien ancrées dans la société
tion qui va jusqu’au défaitisme, symbolisé par le d’alors, fait écho aux Watchmen d’Alan Moore et Dave
LES SUPER-HÉROS À L’ASSAUT Gibbons, publiés la même année. Miller imagine un graphisme
DU MK2 BIBLIOTHÈQUE puissamment retors, influencé par l’esthétique manga et défini par
À peine inauguré, le concept-store une syncope des mouvements que propose un découpage inédit.
du MK2 Bibliothèque s’enorgueillit Les Watchmen, quant à eux, imposent une grille en neuf cases par-
déjà d’accueillir la bête : 75 Years courue par une signature graphique unique : des couleurs au
of DC Comics y est en effet fièrement rayonnement faible qui s’approprient l’action et en indiquent la
exposé à côté des grands titres du gravité. La psychologie des héros s’insère comme un fil rouge dans
catalogue Taschen. Une bonne ces récits au suspense sophistiqué, marque de fabrique du label
occasion de se replonger dans les Vertigo (American Splendor, Doom Patrol…) lancé par DC. La cri-
péripéties de vos super-héros et tique ne s’y trompe pas et commence enfin à considérer le poten-
dessinateurs préférés. À cela tiel littéraire des comics. Et les dessinateurs underground de suivre
s’ajoute, du 10 au 24 novembre, la voie défrichée en s’attaquant au format comics. On voit alors
un cycle de films qui fera la part émerger le célèbre Maus (1986) d’Art Spiegelman ou Robert
belle aux adaptations de comics sur Crumb et son truculent Mes femmes (1989). Désormais, le lecteur
grand écran, signées Tim Burton, s’attache autant à l’auteur du livre qu’au héros : on ne parle plus
Christopher Nolan ou Sam Raimi. de comics, mais de roman graphique.
Seront programmées (sous réserve)
les sagas Batman et Spider-Man, L’ÂGE MODERNE : MÉTAMORPHOSE NUMÉRIQUE
mais aussi Watchmen de Zack Alors que débutent les années 1990, l’anti-héros est devenu une
Snyder. Pour ceux qui ne seraient valeur sûre, comme le prouve le succès du Daredevil de Frank Miller.
pas encore rassasiés, le collectif Le réalisme émotionnel gagne encore du terrain: à l’utilisation de
artistique MyFace lance une pouvoirs extraordinaires pour faire le bien, on substitue un élan psy-
collection unique d’œuvres mettant chologique profond justifiant la destruction de criminels. Les bad
en scène les super héros DC. Des guys eux-mêmes sont dotés de traits plus ambigus, moins définitifs,
artistes de différentes nationalités à l’image du Joker, dépeint comme un psychopathe ne pouvant
ont pour cela réinterprété le mythe contrôler ses actions. Le succès des films tirés de comics, Batman et
en numérique à l’occasion d’un Superman en tête, permet à DC de trouver un nouveau public tout
concours. À découvrir dans trois en menant à d’autres adaptations (V pour Vendetta, Constantine,
galeries parisiennes (MyFace, Watchmen…) et à des séries télé (Smallville, Birds of Prey…).
Wanted et Devos) jusqu’à la fin La métamorphose permanente de la figure du super-héros reste
du mois de décembre. essentielle pour assurer la continuité des aventures de chacun.
Le passage à l’âge numérique (les webcomics) engage déjà un
_L.P.
remaniement du genre sur des thématiques liées à notre époque.
Les capes sillonnent toujours royaumes du vice et cités visionnaires
Cycle super-héros, du 10 au 24 novembre
alors que Paul Levitz referme son ouvrage, témoin d’âges successifs,
au MK2 Bibliothèque
tous porteurs d’un empire en constante réinvention.
LE 111
BOUDOIR
ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE
© Arte France
DVD-THèQUE
PIERRE ETAIX coffré 112/113
CD-THèQUE
FLORENT MARCHET, premier de cordée 114/115
BIBLIOTHèQUE
ANTOINE BELLO mène l’enquête 116/117
BD-THèQUE
Les bas-fonds tokyoïtes vus par TAKASHI FUKUTANI 118/119
© Arte France
Le Grand Amour, 1969
GAGS RÊVÉS
REVOILà L’ETAIX
L’inclassable PIERRE ETAIX, réalisateur, acteur, dessinateur, clown et poète, revient sur
le devant de la scène. Tour de piste complet à l’occasion de la publication miraculeuse
de l’intégrale de ses films, après plus de vingt ans de bataille juridique.
_Par Laura Tuillier
En juillet dernier, dans les salles fraîches du Quartier Déjà, ce premier film porte la patte Etaix, celle d’un
latin, ceux qui n’étaient pas partis en vacances ont pu comique fou de cinéma. Car s’il n’abandonne jamais
s’échapper à travers la filmographie de Pierre Etaix. le cirque – Yoyo lui rend hommage en 1964 –, ses films
Cinq longs métrages et trois courts, restaurés sous la échappent au piège du gag boulevardier. Son travail
direction du réalisateur, dessinaient le por- sur le son, la tonalité des voix, le point de vue
trait d’un artiste qui cultive l’humour comme (la scène devient muette pour le specta-
d’autres l’élégance, avec flegmatisme et un teur dès lors que le héros enfile ses boules
soupçon de fatalisme. Ceux-ci, et d’autres, Quies), tout chez lui témoigne d’une volonté
sont aujourd’hui rassemblés dans un très de faire jaillir le rire d’une utilisation fine du
riche coffret DVD qui s’ouvre sur ces mots : cinématographe. C’est d’ailleurs le sens
« Les comiques existent pour faire rire. Point. » de son duo inusable avec le scénariste
Une façon de décrire la modestie prati- Jean-Claude Carrière, qui leur vaudra un
quée par Pierre Etaix, croyance en la force Oscar pour Heureux anniversaire en 1963.
du rire léger, sans arrière-pensées. Enfant L’importance donnée à l’histoire, à la jus-
de la balle, héritier des maîtres du slap - tesse des personnages et des situations
L’intégrale Pierre Etaix
stick américain (de Buster Keaton à Laurel (Arte Éditions, coffret affine encore la veine comique du réalisateur,
et Hardy), il ne renie pas pour autant la 5 DVD déjà disponible) lui ouvrant la voie vers quelque chose de
tradition du gag à la pelle. D’ailleurs, sa plus essentiel. Avec Carrière, Etaix le clown
silhouette en noir et blanc n’est pas sans rappeler fait des films de rêveur. Les passages oniriques du
celle de Chaplin, et toute son œuvre témoigne d’un Grand Amour ne sont pas sans rappeler Belle de
attachement à la période du muet, art de faire de jour, dont Carrière cosigne le scénario deux ans plus
chaque mot un gag. Pierre Etaix a débuté comme tôt. Il se dégage de leurs héros – dans lesquels on
assistant de Jacques Tati pour Mon oncle, avant reconnaît systématiquement Etaix – un léger désespoir,
de passer rapidement derrière la caméra avec quelque chose comme une pudeur qui estime le rire
Le Soupirant, l’histoire d’un garçon qui se voit forcé par pour ce qu’il permet de cacher. Une œuvre sur le fil
ses parents de tomber amoureux. qu’Etaix l’équilibriste place très haut.
113
LA NAISSANCE DE CHARLOT,
coffret 4 DVD (Arte Éditions)
Divisé en quatre parties, ce coffret
rassemble des trésors comiques
jusqu’alors méconnus du public
puisque disséminés aux quatre
coins du monde dans des versions
incomplètes et de piètre qualité.
Chaplin débute alors sa carrière cinématogra-
phique aux studios Keystone, où il tournera près
de 35 films, et ce sont ces années qui sont retra-
cées ici, dans des moyens métrages d’une
grande variété et d’un comique irrésistible, tous
accompagnés par des compositions musicales
originales. Au vu des élans burlesques mâtinés
de mélancolie proposés par Charlot dans ces
dix heures de film, on se dit que toute l’essence
de son talent était déjà là en 1914.
_L.P.
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© Matthieu Dortomb
PISTES FRANCHES
FLORENT MARCHET, PROFESSION TOPOGRAPHE
Après avoir battu la campagne à Gargilesse et inventé la ville de Rio Baril, le chanteur
nomade part prendre le frais sur les hauteurs de Courchevel. Et continue de décortiquer
la France avec élégance, pudeur et un sens aigu de l’orientation.
_Par Laura Tuillier
« Les lieux, imaginaires ou pas, sont comme les points « Souvent, j’ai eu honte d’être chanteur. Dans mon
d’ancrage de mes chansons, pour moi qui me sens village natal, pour déconner, les gens me saluaient
souvent en exil.» Lorsque Florent Marchet a déserté son en disant “ça va, Florent Pagny ?”… » Pour vaincre le
Berry natal pour suivre sa voie vers la musique à Paris, il doute et ne pas seulement regretter Boris Vian et
a fait l’expérience marquante du déracinement: «Mes les sixties, Florent Marchet rend parfois visite à ses
morceaux évoluent toujours autour des mêmes contemporains, Dominique A, Arnaud Fleurent-
thèmes, dit-il aujourd’hui. La sensation d’être un étran- Didier, Benjamin Biolay. « Ils me rassurent. Et je me dis
ger chez soi, la volonté de lever les barrières, qu’elles qu’il faut continuer. » Pour cela, le chanteur s’est
soient sociales ou artistiques.» Ses deux construit un refuge, le studio Nodiva, où
premiers albums, Gargilesse (2004) et Rio il a enregistré Courchevel. « J’ai une
Baril (2007), ont été enregistrés dans les machine à café dans le studio, ça favo-
maisons de campagne d’amis bienveil- rise les rencontres. » Les musiciens de
lants, en solitaire ou presque. Ses bous- Syd Matters et le percussionniste malien
soles ? « Je pars de fulgurances, de choses Mamadou Prince Koné sont venus impro-
inconscientes ; je réorganise ensuite mes viser avec lui sur Courchevel. Il y a égale-
bouts de mélodies et mes paroles. » En ment composé et produit deux mini-
sociologue esthète et topographe, Florent Courchevel albums de La Fiancée, la promettant ainsi
Marchet bâtit des ponts entre les classes de Florent Marchet à de beaux débuts. Jane Birkin a
(PIAS France)
(remarquable chanson-titre), les humeurs à son tour fait halte dans son repère,
et les disciplines, à l’image de Frère animal, un specta- le temps d’enregistrer pour ce troisième album le
cle-disque monté avec l’écrivain Arnaud Cathrine. Pour duo aéroportuaire Roissy. Florent Marchet semble
Courchevel, c’est le photographe Anthony Goicoléa aujourd’hui avoir moins peur de se laisser griser par
qui signe la pochette, dans un décor de chalet sa musique. Il l’avoue, « il faut lâcher prise » pour faire
décalé. Auparavant, Rio Baril puisait dans le cinéma, corps avec elle. Abandonnant le parlé-chanté de
des westerns de Clint Eastwood à Dogville de Lars Von Trier. ses premiers albums, il grimpe vers les sommets,
Courchevel serait davantage tourné vers les musiques chante haut et fort, s’aventure Hors-piste. Qu’il se
de films, celles de Magne, de Colombier, de Goraguer. rassure, la voix est libre.
115
SCèNES SOUTERRAINES
CORRESPONDANCES
de C.Sen (Only Music)
Dans sa jeunesse, C.Sen fut
graffeur métropolitain. Devenu
MC sensé, le garçon change
de wagon mais pas de ligne
directrice – underground,
quand tu nous tiens (train). Sur son premier
album, ça jacte concis, ça éructe érudit : plume
poids lourd, missives impossibles, euphonies
euphoriques, en 12 titres cintrés et pliés sur porte-
mental qui déciment les tics en toc sociaux des
Malik ou Malade. Parisien d’un 18 sur 20, où l’on
se colle une frite en sirotant une 8.6 entre deux
grecs, les scènes de C.Sen saignent la frustration
et l’envie d'un microcosme moins merdique.
La chanson demande « bien ou bien ? ».
Nous, on a retiré le point d’interrogation.
_E.R. et A.T.
COULEURS CHANGEANTES
CEMENT POSTCARD WITH
OWL COLOURS de Phantom
Buffalo (Microcultures / Socadisc)
Traduction littérale d’une
chronique française de leur
remarqué Shishimumu
(2004), cette «carte postale
de ciment avec des couleurs chouettes » porte
bien son nom : baladeur et versatile, le troisième
album de ces Bostoniens dadaïstes mais cohé-
rents, se (dé)compose en paysages changeants,
de pluvieux à tempéré, passant du coq à l’âne et
de l’œuf à la poule comme autant d’étapes dans
la reconstruction d’un puzzle mathématique et
psychédélique, fractal entre ligne claire
(découpe et distinction) et borderline (variations
d’humeurs, échos, delays), comme le chant andro-
gyne,un peu faux de Nico. On aime suivre le fil de
ces fils du Velvet et de Pavement, les mélodies
comme des petits cailloux.
_W.P.
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116 LE
LEBOUDOIR /// BD-THÈQUE
BOUDOIR /// BIBLIOTHÈQUE
© Hé́lie Gallimard
ENQUÊTE DE SENS ANTOINE BELLO REVISITE LES CODES DU POLAR
ANTOINE BELLO revient avec Enquête sur la disparition d’Émilie Brunet, un policier
ludique en forme d’hommage à Agatha Christie. Et s’impose comme l’écrivain français
le plus virtuose du moment.
_Par Bernard Quiriny
Derrière son look sage et son curriculum vitae en béton auquel le roman ne cesse de faire référence, au point
(il a jadis fondé une société qui vend des services tech- de devenir une sorte d’essai théorique par la bande.
niques aux salons et conférences), Antoine Bello, 40 ans Voici donc Achille Dunot, propriétaire d’un chien
tout juste, cache une habileté remarquable. Une virtuo- nommé Hastings (!), mari attentif et détective incom-
sité d’écrivain qui lui permet de créer des scénarios parable, chargé d’éclaircir la disparition d’Émilie
alambiqués et de pousser jusqu’au bout un Brunet, une riche héritière. Les soupçons se
esprit ludique plutôt rare dans la littérature portent vite sur Claude Brunet, son mari,
hexagonale. S’il fallait lui trouver des inspira- scientifique pervers, diaboliquement intelli-
teurs, on les chercherait dans la tradition gent et grand connaisseur de littérature
borgésienne (la cérébralité, le goût de l’abs- policière. Le handicap de Dunot, c’est qu’il
traction, l’amour des livres), chez Marcel est atteint d’«amnésie antérograde»: depuis
Aymé (dont il est l’arrière-petit-neveu) ou au un accident, il n’emmagasine plus aucun
cinéma, dans les intrigues millimétrées souvenir et se réveille chaque matin en
d’Alfred Hitchcock et les emboîtements ayant oublié les événements de la veille.
mégalomanes de Christopher Nolan. Pour l’enquête, il doit donc tout consigner
dans un journal qu’il relit jour après jour, en
Enquête sur la disparition
Après l’immense entreprise des Falsificateurs, d’Émilie Brunet d’Antoine n’en sachant jamais plus que le lecteur…
Bello (Gallimard, roman)
méditation en deux tomes sur la supercherie Une idée géniale à partir de laquelle Bello
et la réécriture de l’histoire, couronnée par le prix France construit une partie de poker mental entre Dunot et
Culture Télérama, Antoine Bello revient aux amours Brunet, pleine de mise en abymes et de commen-
policières qui lui avaient inspiré en 1998 un étonnant taires sur le genre policier en général (« Un bon
polar abstrait, Éloge de la pièce manquante. Mais ce roman policier ne dépasse pas 250 pages »… celui-ci
qui fascine Bello dans le policier, ce n’est pas la mytho- en faisant 252) et sur Christie en particulier, dans une
logie du détective, c’est la structure logique du récit, la ambiance de pastiche feutré qui rappelle la délicieuse
mise au défi des intelligences. « L’esprit du jeu », Heure zéro de Pascal Thomas… et qui se contredit
comme dit le narrateur d’Enquête sur la disparition elle-même en violant méthodiquement ses règles.
d’Émilie Brunet. On est ici dans la veine d’Agatha Christie, Jubilatoire, une fois encore.
117
LE CINÉ-LIVRE
LE CINÉMA PAR CEUX
QUI LE FONT
d’Yves Alion et Gérard Camy
(Nouveau Monde, entretiens)
Un film ne se fait jamais seul, il se
réussit toujours à plusieurs.Yves Alion
(rédacteur en chef de L’Avant-
scène Cinéma) et Gérard Camy
(critique et historien du cinéma) se sont infiltrés
sur les plateaux de tournage et ont rencontré
ceux qui y travaillent. Monteur, costumière, ingé-son,
acteur, machiniste, réalisateur : des casquettes
les plus célèbres aux postes les plus confidentiels
(ventouseur, ça vous dit quelque chose ?),
chacun livre quelques secrets de fabrication.
Alain Corneau, Francis Lai, Alain Attal et bien
d’autres racontent leurs collaborations fructueuses,
leurs galères marquantes, leurs meilleurs
souvenirs. Des entretiens de passionnés de
cinéma, d’un bout à l’autre de la bobine.
_L.T.
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LEBOUDOIR /// BD-THÈQUE
BOUDOIR /// BD-THÈQUE
L’an dernier, le premier tome du Vagabond de Tokyo Au fond, c’est ce qui donne au livre toute son énergie:
débarquait de quasiment nulle part. Avant cette édi- par son dessin et les mimiques qu’il insuffle à ses person-
tion française, due au Lézard Noir, on n’avait jamais nages, Fukutani se place à la frontière du slapstick et du
entendu parler de cette bande dessinée frénétique. dessin animé, présentant souvent les corps qu’il dessine
Dépeignant un Tokyo disparu qui pourtant ne remonte comme s’ils étaient aux limites de leurs possibilités.
qu’aux années 1980, la série signée Takashi
Fukutani émerveille par son subtil dosage Se dégage ainsi de ses histoires une
entre humour et tristesse, absurde et misère forme très particulière de chronique sociale,
sociale. Elle met en scène un personnage, oscillant entre la dépression et l’euphorie,
qui en cache plusieurs autres, habitants disséquant une succession d’humeurs et
pauvres d’une résidence qui ressemble de situations qui aboutissent toutes à la
davantage à un squat qu’à un immeuble peinture assombrie d’un Tokyo nocturne,
neuf. Ce héros, que l’on dit calqué sur l’au- dans lequel hommes et femmes se croisent
teur même (l’une des histoires du premier dans un cirque perpétuel, fait d’alcool, de
volume était autobiographique), amuse rencontres sexuelles impromptues – et sont
par ses pérégrinations les plus minables tous habités par ce même désir d’améliorer
Le Vagabond de Tokyo
possibles: sans le sou, il cherche par tous les de Takashi Fukutani leur vie. Sans jamais y parvenir. Car, tout
(Le Lézard Noir)
moyens à gagner un peu d’argent, mais ne bien pesé, cette vie est bien plus exci-
parvient qu’à dilapider les quelques yen accumulés. tante que celle, uniforme, que mènent tous les nan-
tis encravatés qu’ils croisent. Cette vision très acérée
Tout cela fleure bon la gaudriole et vaut surtout par l’œil de la capitale japonaise contraste joliment avec un
aiguisé de Takashi Fukutani, qui dépeint ses person- autre manga publié au même moment chez le
nages à la manière d’un Balzac du pauvre, cherchant même éditeur : La Chenille, de Suehiro Maruo. Dans
à capter ce qui constitue l’essence même des rapports ce livre, c’est encore un autre Japon que l’on
entre les marginaux qu’il dessine, leur façon de s’inscrire découvre, baigné de pratiques sexuelles génétique-
dans une société qui va de plus en plus vite et les ment déviantes et graphiquement géniales. En deux
laisse sur le carreau, habilités à se noyer dans le saké livres, le manga nippon actuel se découvre : rugueux,
plutôt qu’à s’insérer dans un monde qu’ils regardent filer. malséant, excitant.
119
LE RÉCIT PSYCHÉDÉLIqUE
L’ALBUM JEUNESSE
COULEURS DU JOUR
de Kveta Pacovska
(Les Grandes Personnes)
Ce qu’il y a de bien avec
l’automne, c’est qu’il fait
apparaître sur les tables des
libraires des livres-objets pour
enfants (qui régaleront également les yeux des
adultes) absolument magnifiques. Nous retrouvons
ici l’illustratrice d’origine tchèque Kveta Pacovska
avec un petit objet noir de prime abord, qui révèle
à l’intérieur un accordéon qui, en se dépliant,
laisse éclater les couleurs chères à l’auteur: le rouge,
le noir, le blanc, une pointe d’argent ou de rose
fluo, des découpes, des volumes… Signalons
également, chez le même éditeur, les très beaux
albums Oxiseau et Axinamu de Francesco Pittau
et Bernadette Gervais, ainsi que Tout blanc et
Tout noir d’Annette Tarmarkin et À toi de jouer
de Claire Dé.
_Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Loire
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122 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
NO
COMMENT