"Point de mire " ou l'art de cer .
"Une voix blessée, deschetieflx épars,
~----------par----------~
FERNAND BENOIT
Quelques minutes avant l'émission Point de
mire, René Lévesque rature encore des notes
trop substantielles. Le réalisateur Claude Syl-
ves/re et la script-assistante Rita Martel sont
impitoyables: l'émission ne durera que 30
minutes. Pourtant le commentateur numéro un
de la télévision possède suffisamment de docu-
menta/ion pOllr tenir une conférence de trois
heures.
La série Point de mire s'achemine vers la 100e
émission. Depuis 1956, René Lévesque commente
l'actualité selon une méthode d'approche bien pré-
cise qui tient plus de l'intuition que de l'analyse,
et un esprit de synthèse qui étonne plusieurs spé-
cialistes de la chose politique et sociale.
Depuis 1956, on a beaucoup décrit René Léves-
que: une voix blessée, un regard bleu qui scrute
votre pensée, un geste vif qui scande un flot
d'idées, des cheveux épars, une cigarette, vingt
cigarettes ...
Mais le téléspectateur s'étonne toujours! Com-
ment ce diable d'homme arrive-t-il à fournir
autant d'informations en trente minutes? A ren-
dre claire et compréhensible une actualité touffue,
souvent inextricable? Quel est le secret de sa
réussite? Le travail? Mais encore? Une façon
bien précise de cerner l'actualité.
Savoir déchiffrer et interpréter une carte géo-
graphique! Voilà. Pour René Lévesque, la géogra-
phie physique d'un pays est d'une importance
tille cigaret/e, vingt cigaret/es ... .,
primordiale. En connaître parfaitement les fron-
tières et les peuples qui s'y bousculent. Apprécier
les possibilités et les limites du sol. La carte géo-
graphique donne une vision concrète des lieux où
les événements se produisent. Ajouter à cela
quelques notions essentielles de l'hi toire et de
l'économie et l'événement d'actualité s'insère tout
naturellement dans un contexte mieux discernable.
Evidemment, il y a aus i le travail!
1- Lecture des journaux
Le mercredi et le jeudi, René Léve que lit les
journaux et les revues comme vous et moi mais
avec une attention particulière. Il s'agit de dis-
cerner, dans l'actualité, les événements majeur,
ceux qui menacent de remettre en question le
cours des choses. Cette semaine-là, des élections
importantes se préparaient au Nigeria et vingt
bateaux 'apprêtaient à inaugurer la nouvelle Voie
maritime du St-Laurent. Quel sujet choisir?
A la cinémathèque de Radio-Canada, on mont6
sur deux bobines différentes tout le matériel filmé
concernant l'Afrique noire et la canalisation du
St-L'<Iurent.
Vendredi après-midi: René Lévesque hésite
encore entre les deux sujets, relit des coupures
de journaux, revoit des bouts de films, scrute les
dernières dépêches sur les téléscripteurs de la
salle des nouvelles. Parfois, un sujet s'impose à
cause de on importance internationale ou locale.
Evidemment, la canalisation est un phénomène im-
portant pour la vie économique nord-américaine:
la huitième merveille du monde, dit-on! Mais
depui cinq ans, tout le monde en parle, tandis
que le Nigeria ...
2 _. Choix du sujet
Mais le temps presse! A son bureau de réali-
sateur, Claude Sylvestre attend le coup de fil
décisif. Téléphone: ce sera la canalisation. Aussi-
tôt, René Paré, dessinateur à la ection des Gra-
phiques, est prévenu. Il consulte les atlas sous
LA SEMAINE À RADIO-CANADA
 l'actualité
Avec un dessinateur. il choisit la
meilleure carte géographique.
l'oeil d'un René Lévesque qui voit déjà dans sa
tête les lieux précis des différentes écluses. Mais
il lui faut des chiffres . ..
A la bibliothèque de Radio-Canada, il com-
pulse dictionnaire, almanachs et documents offi-
ciels. Il procède selon une méthode de "flash
back". Avec les journaux de la semaine comme
point de repère, il retourne en arrière. Un docu-
ment officiel de 1952 le renvoie à un autre docu-
ment officiel de 1941: on y parle des relations
ca nado-américaines, il faut donc revoir l'hi toire
de ces relations. En quittant la bibliothèque, René
Lévesque a déjà plusieurs page manu crites et
de référence à une dizaine de gro volumes.
A a demeure, René Lévesque po sède une
impressionnante collection d'Histoires du Canada.
Heureu ement, il n'aura guère à se po er le pro-
blème des loisirs de fin de semaine. Il accumule
les dates, compare l~s déclaration officielles et
officieuse, établit les liens logiques entre les évé-
nements. Le dimanche soir, il a rédigé plus de 40
pages (a u crayon fin).
3- Choix des films et des cartes
Lundi 9 heures: vi ionnement du matériel
filmé. En compagnie de Claude Sylvestre, René
Lévesque établit le choix des films su ceptibles
d'illustrer le mieux les commentaires. Ils en auront
pour quatre heures à choisir les meilleure image
parmi cette accumulation de séquences présentées
pêle-mêle.
Tandi que le réalisateur 'enferme pour le
reste de la journée dan une salle de montage,
René Léve que retourne à la section de Gra-
phiques jeter un dernier coup d'oeil à la prépara-
tion des cartes, car il s'agit non seulement de pré-
senter d'une façon claire et précise le lieu géo-
graphique étudié mais également de permettre au
commentateur de l'utiliser de la manière la plu
vivante possible. C'est ainsi, par exemple, que
Lévesque inscrit lui-même sur la carte, durant
l'émis ion, certains noms et certains chiffres. La
raison en est simple: le téléspectateur est natu-
rellement distrait. Le temp d'allumer une ciga-
rette et il perd un chiffre ou une date importante
pour la compréhen ion d'un événement. Or, si
DU 23 AU 29 MAI 1959
~~--------., .
1•
Dans une sal/"e de montage. il fait
le choix des séquence$ filmées.
le téléspectateur est distrait, le moindre mouve-
ment attire son attention. C'est pourquoi René
Uvesque inscrit lui-même sur la carte les chiffres
ou les noms importants: le téléspectateur a ten-
dance à suivre le mouvement de sa main.
La journée du lundi se termine à la biblio-
thèque où, pour trouver six chiffres (la dimension
des nouvelles et des anciennes écluses), il consulte
des documents durant plus de 4 heures. A Il
heures du soir, Claude Sylvestre sort de la salle
de montage: les films sont prêts. René Léve que
sort de la bibliothèque, le regard sombre: il a
accumulé suffisamment de notes pour vous faire
une conférence de trois heures.
4 - La compression du cerveau
Le mardi matin, c'est la compression du cer-
veau! Après avoir visionné les films qui passeront
à l'émi ion, René Lévesque monte s'enfermer à
la bibliothèque. Muni de cigarettes et d'aspirines,
il rature, il élague, il simplifie, il schématise. Six
Un "toubib" se fait détective
Il s'est créé une sorte de légende autour de
la Légion étrangère et des hommes qui com-
posent ce corps d'armée d'élite. Des romanciers,
de scénaristes et de dramaturges y ont puisé
matière à émouvoir les foules.
Gaston Le Hir a trouvé le moyen d'émouvoir
par le truchement de la Légion, san tomber
dans le entimentalisme. Sa pièce le Toubib ,
qui sera à l'affiche de la érie Première, di-
manche 24 mai à 10 heures du soir, met en
vedette un légionnaire, héros d'une intrigue
policière. L'excellent comédien Guy Provost
incarnera le rôle-titre de ce drame qui se situe
en Afrique du Nord un peu avant la guerre
de '39.
Le toubib n'est pas le médecin attitré de
la Légion. C'est un homme qui pratiquait la
Dans ce coin de la blibliothèque.
il passe le plus clair de ses journées.
heures plus tard, il s'amène au tudio, fatigué,
découragé mai souriant: il a réduit es notes
de moitié! Répétition générale: le réalisateur in-
dique le - "cues". c'e t-à-dire les endroits où Léve -
que devra ce er de parler pour faire place aux
illustrations filmée. La cri pt-a sistante, Rita
Martel, calcule, chronomètre en main. La répéti-
tion e t terminée: elle a duré 42 minutes. Il faut
encore couper dans les notes. Il faut encore
sacrifier des faits important, des parallèles signi-
ficatifs. René Lévesque s'avoue vaincu: impo-
sible de couper : il y a trop de choses impor-
tantes à dire. Le réalisateur se ré igue: une
équence filmée sautera! Quatre heures de mon-
tage . .. Tout de même!
Tant pis ou tant mieux! L'émi sion e dé-
roule sans anicroche. Sur un plan trop sub tantiel,
René Lévesque improvi e des phrases impIes,
claires, imagée. D'un amas d'informations, il
parvient à dégager les lignes es entielle , à dre ser
un bilan, à établir une synthèse .. .
Evidemment, il y a aussi le don!
médecine avant de s'enrôler dans l'armée. Au
cours d'un exercice de tir, une jeune fille qui
se trouve à proximité de la cible reçoit une
balle à l'épaule. Le toubib lui donnera le pre-
miers soins. Il aura beaucoup de mal à con-
vaincre la blessée qu'on en voulait à sa vie;
il aura plus de mal encore à découvrir, au
cours de scène d'un " us pense" sai is ant,
l'auteur de l'attentat.
Outre Guy Provost, on verra dan le Toubib:
Jacques Galipeau, Mariette Duval , Françoi e
Faucher, Maurice Dallalre, Mia Riddez, Jean
Lajeunes e, Henry Deyglun et Jean Rafa.
La pièce de Gaston Le Hir sera réalisée par
René Verne.
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