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Lettre d’Information N°17 –
Rédaction : Département Interfacultaire d’Histoire et des Sciences des Religions
Responsable de ce numéro : Sarah Ljubibratic, assist. décembre 2006
Grâce à vous, l’Université de Lausanne est l'un des centres privilégiés pour
l’étude de l'Histoire et des Sciences des religions. Au DIHSR, nous nous
efforçons de maintenir ce cap et cherchons à ce que notre offre d'enseignements
et nos recherches ne cessent de s’améliorer.
(1) Nous avons cherché à rendre notre site (www.unil.ch/dihsr) toujours plus
attractif pour mieux présenter les atouts de nos activités. Je vous conseille
vivement d'y jeter un oeil.
Jörg Stolz
Afin de vous faire patienter jusque-là, vous trouverez dans les pages suivantes
la contribution d’Olga Serbaeva, chargée de cours à l’Unil, dont la thèse a été
présentée en juillet 2006 : «Yoginīs in Śaiva Purāas and Tantras: Their Role in
Transformative Experiences in a Historical and Comparative Perspective »,
sous la direction de la Prof. Maya Burger.
Sarah Ljubibratic
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yoginīs sont aussi présentes dans les cakras du corps, liés à ces éléments. Elles
sont appelées pour symboliser les états de conscience, toujours en relation avec
les éléments mentionnés.16 Toutes les transitions et transformations du corps, de
l'univers ou de la conscience même du pratiquant se passent à travers les 16
KS, KT, KMT.14-16.
yoginīs. Cette structure, qui relie le corps humain et l'univers, est également
transposée sur la carte géographique de l'Inde. Un réseau des lieux de pouvoir
(pīhas – les "trônes" des yoginīs) couvre tout son territoire. Les frontières de
Madhyadeśa (l'Inde centrale, siège de la culture brahmanique) ont une relation
privilégiée avec les yoginīs. La présence des yoginīs marque les frontières de
l'habitat humain: elles apparaissent aux cimetières, dans les maisons où les
femmes donnent naissance, elles peuvent être vues au bord des fleuves et au
croisement des routes.17 Finalement, les yoginīs constituent le pouvoir même de
17
ces traditions radicales: leurs noms servent à encoder les syllabes des mantras Serbaeva 2006, App. 6.3 et 6.4.
les plus secrets et donc les plus puissants.18 18
Ibid., App. 6.8 et 6.9, TS.2.
(5.) Le résultat de la pratique est aussi sous le contrôle des yoginīs. Tous
d'abord, les capacités surnaturelles qu'un pratiquant peut obtenir sont ceux que
les yoginīs possèdent déjà.19 On peut dire que le pratiquant masculin, dans un
certain sens, perd son identité pour s'envoler avec les yoginīs en devenant
exactement comme elles.20 Une fois ces capacités acquises, le pratiquant peut se
permettre de rencontrer les yoginīs d’un niveau plus élevé. Finalement, même la 19
KSB.2.18, 124, 4.98, 5.38,
libération dans ces traditions shivaïtes prend la forme de l'immersion totale dans 7.9, JY.4 f.225r1-2, DPS.5.52,
une sorte de conscience cosmique, présentée dans les deux traditions par la YSP.4.57-58, 5.25-26, 8.55-56
Yoginī suprême, la Déesse, une seule existante et unique, qui est caractérisée etc. Les siddhis (pouvoirs
dans les textes par des adjectifs opposés.21 Elle est, par exemple, libre de toutes surnaturels) des yoginīs sont
décrits dans TS.16.50ff.
catégories, le zéro absolu, qui en même temps englobe tout l'univers, elle est
20
absolument libre de prendre n'importe quelle forme, par delà le bien et le mal, Voir la note 14.
elle peut même assumer simultanément les formes qui se trouvent sur les pôles 21
Surtout dans Krama: voir DPS
opposés de n'importe quelle dimension. et KS.
Mais comment une telle vision a-t-elle pu apparaître dans le contexte
d’une tradition dominée par les hommes? Est-ce que la yoginī est une vraie
femme ou bien une projection masculine? Comment une femme peut-elle
survivre dans un monde où toutes doivent être mariées et avoir des enfants?
Comment une femme, sans presque aucune possibilité d'éducation, peut-elle
connaître des textes au point de pouvoir les "révéler" aux hommes? Pourquoi
n'avons-nous rien d’écrit par les femmes? Avaient-elles une tradition orale?
Non sanskrite? Pourquoi la position très élevée du féminin dans ces traditions
va de pair avec les rites les plus extrêmes, comme la manipulation de cadavres,
de substances impures, ou les sacrifices humains? Est-ce qu'on peut voir ces
traditions comme des traditions de femmes à l'origine? Voilà une petite
sélection des questions dont j'espérais trouver les réponses en présentant ma
recherche sur la position des yoginīs dans les tantras shivaïtes de Trika et de
Kālīkula à Zürich.
Le matériel unique et mal étudié, les problèmes de langue et de
l'accessibilité des textes, l'impossibilité d'extrapoler les règles provenant des
autres traditions n'ont pas permis de trouver ces réponses. Mais la participation
au colloque m'a ouvert de nouvelles perspectives offertes par la comparaison
qui pourraient aboutir finalement à l'éclaircissement de mes questions.
Finalement, dans l'état actuel de mes recherches et avec les sources qui
sont à ma disposition, je pense qu'il est possible de répondre à la question de la
"réalité" des yoginīs de la manière suivante: tout d'abord, il faut distinguer au
moins quatre aspects différents de la signification du terme yoginī.
(1.) La femme réelle. On peut supposer qu'effectivement en Inde, entre le
VI et le XIIIème siècle, existaient des groupes de gens initiés aux traditions les
ème
plus extrêmes, telles que Trika et Kālīkula. Ces hommes et ces femmes
(appelées yoginīs) étant en dehors de la société brahmanique, n'étaient pas
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soumis aux règles de cette culture dominante. Cela veut dire que cette position
marginale, l'absence de structures comme la famille et les castes, auraient pu
permettre d'avoir une mini-société où la femme peut vraiment occuper les
positions les plus hautes, être guru par exemple. Il ne faut pas oublier que ces
gens n'avaient rien à voir avec le monde dit "normal" : ils habitaient dans les
champs de crémation, sans rien, donc sans relation à la propriété. Ils étaient
parfois sollicités par les rois qui cherchaient une solution magique à leurs
problèmes de guerres, par des gens désespérés souffrant de maladies incurables,
ou par les proches des possédés pour les faire exorciser. Ces gens croyaient que
ces initiés pouvaient entrer en contact direct avec leurs dieux (la plupart sont
terribles) pour trouver une solution rapide à des problèmes décrits. Ce contact
direct, comme on lit dans les tantras anciens, pourrait prendre la forme d’une
possession – cette fois d'initié – par une divinité. Les femmes sont généralement
considérées comme ayant la possibilité d'entrer dans ce type d'état plus
facilement que les hommes.
Cette vision hypothétique permet d'expliquer la haute position des
femmes dans ces cultes charismatiques. Néanmoins, il ne faut pas oublier que
ces gens, habitant dans les champs de crémation, ont toujours servi d'écran pour
la projection de toutes les peurs et toutes les fantaisies de la société
brahmanique. Ceci peut être comparé à la représentation de la sorcière en
Europe médiévale. C'est une figure imaginaire composée de toutes les peurs et
les désirs de la société. Le monde des initiés tantriques pour la culture
brahmanique, c'est le monde à l’envers. Il n'est pas étonnant que cette société
qui se considère comme pure, dominée par les hommes, respectant l'ordre des
stades de vie et des castes, aille projeter ailleurs, sur les "autres", toute
l'impureté, le chaos, la possession, y compris la domination des femmes.
La situation se complique par le fait que nous n'avons pas beaucoup de
mentions relatives aux femmes réelles dans les textes tantriques. Nous ne
savons pas comment une femme aurait pu être initiée, comment elle aurait pu
pratiquer les exercices yogiques, car tout ce que nous avons dans les textes est
écrit pour le corps masculin. Les vraies femmes apparaissent, mais elles ne sont
pas nommées des yoginīs, mais les dūtīs (les messagères). Elles sont appelées
pour servir les initiés masculins, y compris dans les rites sexuels. Leur position
est nettement inférieure à celle de n'importe quelle yoginī. On voit ceci par
exemple dans l'histoire de l'apparition d'une yoginī à Maheśvarānanda, initié de
l'école Krama.22 On peut donc présupposer que yoginī c'est aussi une 22
MM, commentaire.
construction mentale des initiés masculins qui leur sert à changer le plus
rapidement possible le modèle de fonctionnement de leur propre conscience.
Les trois autres aspects de la signification du terme yoginī rejoignent cette
vision.
(2.) Yoginī signifie aussi une sorte d'être imaginaire ou bien esprit
possessif qui apparaît surtout quand la conscience humaine est à ses frontières.
L'apparition d'une yoginī peut être provoquée par une situation grave, un danger
de mort, la maladie, un trauma psychologique naturel, ou bien provoquée
artificiellement par la pratique rituelle transgressive. C'est exactement ce type
de yoginī que le pratiquant masculin imite dans sa pratique. Ces yoginīs sont les
agents de la transformation rapide : elles amènent les pouvoirs surnaturels, elles
transmettent la doctrine directement "de coeur à coeur" sans passer par le
support des lettres et donc des textes. Elles se révèlent en visions et en rêves et
c'est aussi leur méthode pour révéler la doctrine. On peut aussi imaginer que le
pratiquant dans l'état de conscience modifié soit capable de voir une femme
réelle en tant que yoginī.
(3.) Les yoginī, même dans les tantras anciens, sont des concepts abstraits,
les symboles. Les yoginī en tant que symboles sont présentes même à l'intérieur
du corps humain, dans les cakras énergétiques.
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Olga Serbaeva
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BY Brahmayāmala. Sanderson, A.G.J.S. (ed.) (Variant non-publié des
chapitres 53, 54 et 56 de 07.10.2004) NAK 3-370, NGMPP A42/6,
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MM Mahārtha Mañjarī. Silburn, L. (ed., tr.) La Mahārtha Mañjarī de
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YSP Yoginīsacāraprakaraam, voir JY. Sanderson, A.G.J.S. (ed.) (Variant
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Tantra of the Left Current. Delhi, Varanasi: Motilal Banarsidass, 1985.
SSS asāhasra sahitā. Schoterman, J.A. (ed., tr.) Leiden: Brill, 1982.
En plus de huit conférences plénières sur des sujets aussi variés que les disputes
théologiques du Moyen Âge ou le mysticisme juif, les religions et la violence
ou la place des penseurs espagnols dans la réflexion historico-religieuse de
Mircea Eliade, nous avions l’embarras du choix lors des sessions en parallèle :
religions gréco-romaines, religions de l’Antiquité tardive, monothéismes au
Moyen-Âge, religions indiennes et études bouddhiques, religions iraniennes,
Eliade et son héritage, interactions religieuses entre l’Europe de l’Est et
l’Europe de l’Ouest, réception de l’Orient en Occident, religions et modernité,
courants hermétiques et ésotériques. Pour plus de détails, vous pouvez consulter
le site de l’Association roumaine pour l’histoire des religions,
http://www.rahr.ro ainsi que le site de la European Association for the Study
of Religions http://www.easr.de, qui contiendra bientôt les archives du congrès
de Bucarest.
D’autre part, le fait que certaines sessions étaient dominées par une seule
langue était particulièrement frappant pour qui passait d’une session à l’autre.
Par exemple, la plupart des présentations sur les religions gréco-romaines
étaient en français, tandis que celles sur les religions de l’Inde étaient en
anglais. Globalement, il semble que l’usage de l’une ou l’autre langue reflète
les présupposés théoriques et méthodologiques, quand bien même ceux-ci ne
sont pas explicitement exprimés.
Tant le cadre que le contenu des conférences ont fait que le déplacement
jusqu’à Bucarest en valait vraiment la peine. Le prochain congrès de l’EASR se
tiendra à Brême (Allemagne) du 23 au 27 septembre 2007. La délégation de
Lausanne sera-t-elle encore plus nombreuse l’an prochain ?
Florence Pasche
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