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L’Empire du Mali d’hier à aujourd’hui

Francis Simonis
p. 71-86
Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur

Résumé
Du XIIIe au XVIe siècle, le puissant empire du Mali, né d’un petit royaume à cheval sur le nord
de la Guinée et le sud du Mali actuels, domine les savanes de l’Afrique de l’Ouest. Il passe
alors pour un merveilleux Eldorado, tant la richesse et la prodigalité de l’empereur Mansa
Moussa sont éclatantes lors du pèlerinage qu’il effectue à La Mecque en 1325-1326. De cet
empire, on sait pourtant peu de choses, si ce n’est qu’il a été fondé par Soundiata Keita, qu’il
exporte des esclaves vers le nord et qu’on y trouve des mines d’or d’une très grande richesse.
Lors de son accession à l’indépendance, le Soudan français colonial en reprendra le nom en
prétendant le faire renaître de ses cendres. Bien mieux, des chercheurs maliens et guinéens
affirmeront par la suite avoir découvert sa constitution initiale, la charte du Manden ou charte
de Kouroukan Fouga, et réussiront à la faire classer au patrimoine mondial de l’humanité de
l’Unesco au prix d’une falsification historique édifiante.

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Mots-clés :

Mali, empire, or, Bilal-al Sudan, charte du Manden, Kouroukan Fouga, Mansa Moussa,
Soundiata Keita

Keywords :

Mali, empire, or, Bilal-al Sudan, charte du Manden, Kouroukan Fouga, Mansa Moussa,
Soundiata Keita

Géographie :

Afrique, Mali

Schlagwortindex :

Mali, empire, or, Bilal-al Sudan, charte du Manden, Kouroukan Fouga, Mansa Moussa,
Soundiata Keita

Palabras claves :
Mali, empire, or, Bilal-al Sudan, charte du Manden, Kouroukan Fouga, Mansa Moussa,
Soundiata Keita
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Plan
Le problème des sources et de l’historiographie
Au commencement était Soundiata Keita
Mansa Moussa, le roi de l’or
Un empire mal connu
Le déclin d’un empire
L’empire du Mali aujourd’hui
Pour conclure
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Texte intégral
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1Sur la carte dite atlas catalan, dressée en 1375 par un auteur inconnu, un souverain noir trône
en majesté. Couronne d’or sur la tête, une boule d’or dans une main, un sceptre dans l’autre,
ainsi est représenté « Musse Melly, seigneur des Noirs de Gineua ». Il est, nous apprend la
légende de l’atlas, « le plus riche et le plus noble seigneur de toute cette partie par
l’abondance de l’or qui se recueille en sa terre ». Il s’agit en fait de Mansa Moussa, un
empereur du Mali mort quarante ans plus tôt, dont le pèlerinage à La Mecque est resté dans
les annales. La Gineua (Guinée) de l’atlas est le bilad al-Sudan, le pays des Noirs des
géographes arabes qui s’étend de l’océan Atlantique à l’ouest au lac Tchad à l’est, du Sahara
au nord à la forêt équatoriale au sud. En un temps où l’on ignore encore les fabuleuses
ressources en or du continent américain, l’Afrique subsaharienne passe pour un Eldorado.
L’or n’y pousse-t-il pas comme des carottes, nous disent les géographes arabes ?

2De l’Afrique médiévale, nous connaissons à vrai dire peu de choses. Il est cependant
possible de cerner l’histoire du Mali, de certains de ses souverains en tous cas. Nos sources se
focalisent en effet autour de deux personnages : Soundiata Keita, son fondateur, et Mansa
Moussa, le roi de l’or et du pèlerinage.

Le problème des sources et de


l’historiographie
 1 Charles Monteil, Les empires du Mali. Études d’histoire et de sociologie
soudanaises, Paris, Maison (...)

3Une idée solidement établie voudrait que les Européens n’aient eu que mépris pour l’histoire
de l’Afrique. Bien au contraire, explorateurs et conquérants portèrent le plus grand intérêt au
passé des populations qu’ils rencontrèrent. La volonté de connaître l’histoire de l’Afrique fut
en effet consubstantielle à la colonisation. « En Afrique occidentale, écrivait Charles Monteil
en 1929, nous avons à diriger des populations nègres sur lesquelles s’exerce et s’appuie notre
œuvre de colonisation dans ce pays. Pour être efficace et heureuse, notre action doit
obligatoirement s’inspirer du passé qui recèle les éléments de la politique la mieux appropriée
à la conduite de ces peuples1 ».

 2 Maurice Delafosse, Haut-Sénégal-Niger. Première série : le pays, les peuples,


l’histoire, les civil (...)
 3 Jean-Louis Triaud, « Haut-Sénégal-Niger, un modèle “positiviste” ? De la coutume à
l’histoire : Mau (...)

4Cette attention portée à l’histoire fut ainsi une constante, les Européens se mettant à l’écoute
des populations qu’ils entendaient dominer. Dès 1912, dans son Haut-Sénégal-Niger, Maurice
Delafosse dressa une fresque majestueuse de ce qu’il fut le premier à appeler les « empires
soudanais » et mit à l’honneur le Ghana, le Mali et le Songhaï2. Delafosse, dans cet ouvrage
de commande administrative, participait à la création d’une histoire africaine par les
Européens. Comme le note avec raison Jean-Louis Triaud, « Loin de célébrer “nos ancêtres
les Gaulois”, cette invention visait au contraire à doter les nouvelles colonies africaines, sous
contrôle politico-scientifique européen, d’un passé construit par des mains occidentales et,
comme tel, dûment estampillé par la puissance occupante. »3 Maurice Delafosse fixa ainsi un
certain nombre de dates qui, aujourd’hui encore, sont reprises par tous sans la moindre
discussion.

 4 Notes Africaines, numéro spécial : « L’Empire du Mali », n° 82, avril 1959.


 5 Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence africaine,
1960.
 6 Raymond Mauny, Tableau géographique de l’Ouest africain au Moyen Âge, Dakar,
IFAN, 1961.

5L’Empire du Mali devint un sujet d’actualité au moment de l’accession à l’indépendance des


territoires africains. Les Notes africaines de l’Institut français d’Afrique noire publièrent en
1959 un numéro entièrement consacré à l’empire du Mali4. L’année suivante vit la
publication du best-seller de Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue5, avant
que ne paraisse en 1961 le Tableau géographique de l’Ouest africain6 de Raymond Mauny.
Un sentiment d’urgence se fit rapidement jour pour recueillir des traditions orales dont on
craignait qu’elles ne disparussent à tout jamais. On crut un instant, avec une certaine naïveté,
qu’il suffisait d’être Africain pour produire des recherches de qualité, les populations
acceptant plus facilement de se confier à des compatriotes qu’à des étrangers. Il fallut
rapidement déchanter.

6Les plus anciennes sources écrites dont nous disposons pour étudier la région sont les récits
des géographes et des voyageurs arabes. Vers 788-793, al-Fazari est le premier auteur à
mentionner « l’État de Ghana, pays de l’or ». Un siècle plus tard, et en tout état de cause avant
891, al-Yakubi cite les royaumes de Mellal, de Kawkaw (Gao), et celui de Ghana qui étend
son autorité « à de nombreux rois ». Vient alors Al-Bakri, dont il faut cependant noter qu’il
n’a jamais quitté son Andalousie natale et s’est inspiré d’informations glanées auprès de
commerçants, de voyageurs et d’ouvrages aujourd’hui disparus pour écrire en 1068 son Kitab
al-Masalik wa l-Mamalik, (Livre des itinéraires et des royaume). Seuls des fragments nous en
sont parvenus, dont la Description de l’Afrique septentrionale, qui a pour nous une
importance capitale. L’auteur est le premier à donner une information historique certaine sur
le Mali (Malal ou Malel). Il faut alors attendre un siècle pour disposer d’une nouvelle source
d’importance, avec les écrits d’al-Idrisi (1100-1166). Né à Ceuta, l’auteur s’installe à la cour
du roi normand Roger de Sicile, pour lequel il rédige le Kitab Rudjar (Livre de Roger) en
1154. Les éléments originaux cependant sont rares chez cet auteur, dont le travail est
essentiellement de compilation. On peut ensuite glaner quelques informations dans les écrits
des géographes qui se succèdent du XIIe au début du XIVe siècle, mais ce n’est qu’avec al-
Umari que l’on dispose enfin d’une œuvre majeure. Né en Égypte en 1301 et mort à Damas
en 1349, al-Umari rédige en 1342-1349 le Masalik al-Aasar fi Mamalik al-amsar (Itinéraires
des regards sur les royaumes des pays civilisés). Cet ouvrage capital nous offre de
nombreuses informations sur l’empire du Mali et sur le pèlerinage à La Mecque de son
souverain Mansa Moussa en 1324. Al-Umari, qui n’a jamais visité le Soudan, a recours à des
témoignages de première main. On est ici bien renseigné sur les différents États de l’Afrique
soudanaise, l’or du Soudan, la capitale de l’empire du Mali et la vie quotidienne des
populations locales. La Rihla d’Ibn Battuta est écrite quelques années plus tard. L’auteur est
né à Tanger et accomplit de multiples voyages, dont le dernier le conduit au Soudan en 1352-
1353. C’est là un témoignage essentiel. Parti de Sidjilmassa en février 1352, Ibn Battuta
séjourne dans la capitale de l’empereur du Mali, Mansa Souleiman, de juin 1352 à
février 1353 et dresse sur le vif un ensemble de tableaux relatifs à la vie du souverain et à la
population de la capitale. Un autre récit domine la fin du siècle, l’Histoire des Berbères d’Ibn
Khaldun. Ce dernier, né à Tunis en 1332, suivit une carrière au service du sultan avant de
mourir en Égypte en 1406. Son ouvrage offre de multiples renseignements sur l’empire du
Mali, dont il dresse une liste des souverains, tout comme il décrit le pèlerinage de Mansa
Moussa. Avec lui s’éteint la littérature arabe relative au Soudan.

7Deux écrits relatifs à l’histoire locale rédigés par des Soudanais sont alors pour l’historien
d’importance capitale : le Tarikh al-Fattash et le Tarikh al-Sudan. Le premier manuscrit du
Tarikh al-Fattash, ou Chronique du chercheur, est l’œuvre de Mahmud Kati, né vers 1468 à
Tombouctou, qui en aurait commencé la rédaction vers 1519, et aurait été définitivement mis
en forme par son petit-fils au milieu du XVIe siècle. Il s’intéresse essentiellement à la dynastie
des Askias de Gao, mais il contient des pages passionnantes sur le Mali et le pèlerinage de
l’empereur Mansa Moussa. Un second manuscrit, le Tarikh al-Sudan d’Abderaman Es-Sadi,
lui est approximativement contemporain (entre 1627 et 1655). Il est consacré au pays songhaï
et livre lui aussi quelques informations sur l’empire du Mali et sur Mansa Moussa.

8Dans des régions où les sources écrites sont rares et les apports archéologiques très limités,
les constructions de terre résistant mal à l’épreuve du temps et au climat, les traditions orales
prennent tout naturellement une importance capitale. Un rôle primordial est joué ici par les
griots, groupe endogame spécialisé dans la louange et la déclamation des récits historiques qui
font la part belle aux héros fondateurs et au merveilleux. Ces récits se déclinent en une
multitude de variantes régionales, mais tous se rejoignent sur l’essentiel : la fondation de
l’empire du Mali par Soundiata Keita à l’issue de sa victoire sur Soumaoro Kanté. Il importe
cependant de ne pas oublier que si, aujourd’hui comme hier, les griots chantent les exploits de
Soundiata Keita et de ses compagnons, il ne s’agit pas tant pour eux de célébrer un ancêtre
lointain que de pérenniser un ordre dont il fut le fondateur et où chacun doit se situer au
quotidien.

Au commencement était Soundiata Keita


 7 Francis Simonis, « Soundiata Keita et Sumaworo Kanté, fondateurs de l’Empire du
Mali », <https ://www.pedagogie.ac-aix-
marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2011-08/div063_simonis.pdf> (consulté
</https> (...)

9Du Mali primitif, nous savons peu de choses en dehors des références constantes aux
royaumes de Do et de Kri, indissolublement liés dans les traditions orales, mais que les
historiens peinent à situer avec précision. Les récits des griots mandingues célèbrent avant
tout la geste de Soundiata7. Pendant longtemps, la vision des choses donnée par les historiens
fut des plus simples : au héros Soundiata s’opposait le tyran Soumaoro. C’est encore
aujourd’hui la version la plus répandue, du fait de la popularité de l’ouvrage de Djibril Tamsir
Niane. Les traditions sont pourtant unanimes pour dire que Soumaoro fut « le premier roi et le
roi le plus authentique » du Manden, « manden masa fôlô ni masa duguren ». L’apport de
nouvelles sources, comme les récits des forgerons Kanté ou les traditions de Kirina, permet de
mieux cerner la réalité. Il n’est plus contesté que Soumaoro fut le véritable fondateur de
l’empire du Mali et on peut dire que Soundiata ne fut que le continuateur de son œuvre
politique, reprenant à son compte le programme de son ennemi. Les deux personnages sont en
fait les deux pôles d’un même processus, le passage d’un Manden aux mains de multiples
roitelets insignifiants (les mansa) à un puissant empire.

10Comprendre l’histoire du Mali exige un détour par l’histoire de Sosso. Là encore, on sait
peu de choses sur l’origine de ce royaume, qui aurait détruit le Ghana au début du XIIIe siècle.
La puissance de Soumaoro reposait, semble-t-il, sur le fait que le meilleur fer était produit au
Sosso. Les traditions représentent Soumaoro comme un roi puissant, qui s’appuyait sur une
armée de forgerons bien équipés et valeureux au combat. Il apparaît aussi comme un
thaumaturge et un maître des forces occultes.

 8 Youssouf Tata Cissé et Wa Kamissoko, La grande geste du Mali. Des origines à la


fondation de l’empi (...)

11Selon la version développée par Wa Kamissoko8, c’est d’abord en ami et pour proposer
une alliance que Soumaoro serait entré au Manden, son objectif principal étant de mettre fin
aux razzias esclavagistes venues du nord. L’insécurité régnait, les Malinké réduisant d’autres
Malinké en captivité pour les vendre aux Marka ou aux Maures du Sahel, qui introduisaient
ensuite les esclaves dans le réseau d’échanges transsahariens. Les versions divergent sur
l’origine de la guerre entre le Sosso et le Manden : alors que certaines décrivent une agression
sosso, d’autres relatent au contraire des opérations menées initialement en réplique à une
attaque conduite par le demi-frère de Soundiata, Masa Dankaran Touman. Le conquérant
Sosso aurait mené de multiples expéditions contre le Manden. Selon toutes les traditions,
Masa Dankaran Touman lui-même finit par prendre la fuite pour se réfugier au Kissidougou
(la cité du salut en malinké), même si nous savons que l’implantation humaine dans cette
région est en réalité bien plus tardive que le XIIIe siècle.

 9 Pour une description détaillée de la geste de Soundiata, voir Francis Simonis,


L’Afrique soudanaise (...)
 10 Djibril Tamsir Niane, « Le Mali, et la deuxième expansion mandé », Histoire
Générale de l’Afrique, (...)

12Le détail de la geste de Soundiata importe peu9. Notons cependant que la version la plus
prestigieuse de l’épopée de Soundiata Keita, celle de Kéla, ne nous donne guère
d’informations sur l’organisation de l’empire au lendemain de la défaite finale de Soumaoro.
Elle se focalise en effet sur la conquête du Djolof et les campagnes menées contre les mansa
du Manden récalcitrants. Djibril Tamsir Niane, qui fonde sa réflexion sur le récit de Djeli
Mamoudou Kouyaté de Djelibakoro, affirme qu’une grande réunion, le gbara, fut organisée à
Kouroukan Fouga au lendemain de la victoire de Soundiata. Selon lui, Soundiata y fut
proclamé mansa du Manden, les autres mansa devenant gouverneurs (farin) de leurs
royaumes devenus provinces, à l’exception des rois de Néma et du Ouagadou qui
conservèrent leur titre. C’est du moins la version qu’il développe dans l’Histoire générale de
l’Afrique de l’Unesco10, les rois conservant leur titre mais recevant leur royaume de lui dans
son Soundjata ou l’épopée mandingue. L’assemblée décida que le mansa serait choisi dans la
lignée masculine de Soundiata de frère à frère. À Kouroukan Fouga, affirme Niane, eut lieu le
« partage du monde » où Soundiata codifia les relations sociales et fit connaître à chacun ses
droits et ses devoirs. De même, selon le même auteur, Soundiata « prononça tous les interdits
qui président encore aux relations entre tribus, à chacun il assigna sa terre, il établit les droits
de chaque peuple et il scella l’amitié des peuples ».

13Wa Kamissoko, et Youssouf Tata Cissé, qui s’appuie sur ses récits, donnent une version
très différente des choses. À l’issue de la victoire de Soundiata sur Soumaoro, l’armée se met
en route pour Dakajalan pour y sceller l’union de Manden. Soundiata, désigné comme mansa
du Manden, abolit immédiatement l’esclavage et énonce son programme : « Que ceux qui font
la guerre fassent la guerre ; que ceux qui font du commerce fassent le commerce ; que ceux
qui pratiquent l’agriculture pratiquent l’agriculture ; ainsi le Manden sera agréable à vivre, le
Manden sera prospère ». Il met en place un « grand conseil du Manden », renforce son armée,
décide de soumettre définitivement le Sosso et d’intensifier la recherche et la production d’or.
Il impose à tous les mansa antérieurs de venir faire acte d’allégeance. Les villages rebelles
sont durement châtiés et leurs mansa mis à mort. Il fallut en effet à Soundiata soumettre
certains rois qui n’acceptaient pas son autorité. Selon Wa Kamissoko, Soundiata avait pour
but de faire cesser définitivement les divisions entre les Malinké et d’établir la paix et la
sécurité sur toute l’étendue de son empire. Les petits rois esclavagistes du Manden auraient
ainsi été éliminés un à un. L’épisode de Niani Masa Kara, roi de Niani Kouroula, trahi par son
épouse préférée et exécuté par Fakoli Dumbia, est le plus connu. Le destin tragique de ce roi
montre en tout cas la volonté de Soundiata d’instaurer un pouvoir fort et respecté, tout comme
sa décision d’unifier le pays sous son autorité. Tout semble indiquer, en effet, que Soundiata
se montra implacable dans l’exercice de celle-ci.

14Selon Youssouf Tata Cissé, de retour à Dakajalan, Soundiata convoqua une assemblée
générale des notables et proclama la « charte du Manden » nouveau. Pour faire régner la
« paix mandingue » au sein de l’Empire et assurer sa défense contre d’éventuelles agressions
extérieures, il était nécessaire de disposer d’une puissante cavalerie. Ce fut, semble-t-il, la
raison qui poussa Soundiata à envoyer ses troupes à la conquête du Djolof (Sénégal actuel).
Fakoli Doumbia, pour sa part, parcourut le Sahel et soumit les Maures en employant des
méthodes d’une rare cruauté. Le Ouagadou et le pays de Nêma conservèrent leurs souverains,
qui firent cependant allégeance à Soundiata. Soundiata se fit alors bâtir un palais à Dakajalan.

15L’accession au pouvoir de Soundiata se traduisit par la mise en place de nouvelles


provinces, qui avaient chacune à leur tête un représentant du pouvoir central.

16En fait, « l’empire » du Mali était très différent des formations politiques européennes du
même nom. Pour ce que l’on peut en savoir, il était avant tout une fédération de royaumes
dont certains jouissaient d’une large autonomie, comme celui de Ghana dont le roi, indique al-
Umari, se contentait de verser un tribut annuel fixe à son souverain. Il est probable que le
Mali compta plusieurs capitales successives dont l’une au moins fut Niani, que l’on identifie
aujourd’hui à Niani sur Sankarani, à proximité de la frontière actuelle entre la Guinée et le
Mali.

17Comment les choses évoluèrent-elles à la mort de Soundiata ? C’est difficile à dire. La


disparition même du souverain est mal connue. Mansa Wulen succéda à son père et régna
de 1250 à 1270, contrairement à la règle de succession collatérale qui aurait dû voir le frère de
Soundiata prendre la tête de l’empire. Après un épisode passablement confus, il semble qu’un
esclave, Sakoura, se soit emparé du trône et ait mené une politique de conquêtes, tant vers le
nord-est, avec la prise de contrôle du delta central du Niger, de Tombouctou et de Gao, que
vers l’ouest, avec la soumission du Tekrour jusqu’à l’Atlantique. Sakoura fut finalement
assassiné au retour d’un pèlerinage à La Mecque. Il s’en suivit une nouvelle période de
confusion avant que Kankou Moussa (Moussa fils de Kankou), dit Mansa Moussa, prince
légitime qui était peut-être un neveu ou un petit fils de Soundiata, ne s’empare du trône et
règne de 1307 à 1332.

Mansa Moussa, le roi de l’or


18Mansa Moussa, tel que l’appellent les chroniqueurs arabes et les auteurs des tarikhs
soudanais, est après Soundiata l’empereur du Mali le plus connu. Les sources écrites le
présentent comme un fastueux et pieux pèlerin, alors que les traditions orales en donnent une
image beaucoup plus négative.

19Mansa Moussa ne semble pas avoir mené d’expédition guerrière ni effectué la moindre
conquête. Son pèlerinage à La Mecque marque à la fois l’apogée et le déclin de la puissance
de l’Empire du Mali. Au retour de l’empereur, en effet, il n’y avait plus d’or dans le trésor
public et, selon Wa Kamissoko, il n’était plus possible de se procurer des chevaux pour
assurer la paix aux frontières, d’où la reprise des razzias maures dans les régions nord de
l’Empire et la fin de la sécurité pour les populations.

20Le pèlerinage de Mansa Moussa (1324-1325) le rendit célèbre en Afrique du Nord et au


Proche-Orient, tant le faste qu’il déploya marqua les esprits. Il dépensa une telle quantité d’or
en Égypte qu’il en fit chuter durablement le cours. Selon le Tarikh al-Fattash, Moussa
entreprit le pèlerinage après avoir involontairement tué sa mère, mais aucune autre source ne
fait allusion à la chose. Son voyage fut effectué en grande pompe et avec une escorte
conséquente, même si l’on ne peut accorder aucun crédit au nombre parfois annoncé de ses
compagnons (60 000 !), pas plus qu’aux cinq cents « esclaves à canne d’or » qui le
précédaient selon le Tarikh al-Sudan. À son retour des lieux saints, Mansa Moussa aurait
construit la grande mosquée de Gao, celle de Tombouctou et un palais royal à Niani, avec la
fameuse salle d’audience carrée surmontée d’une coupole décrite par Ibn Battuta. Un certain
nombre d’Orientaux accompagnèrent Mansa Moussa au Mali, et Niani eut dès lors son
quartier de Blancs dans lequel put résider Ibn Battuta en 1352. Jamais l’Empire ne fut aussi
étendu, de l’Atlantique à Tadmekka à l’est, et du Sahara à la zone forestière. Il était désormais
une puissance qui comptait et qui avait toute sa place sur la scène internationale. Mansa
Moussa envoya ainsi une ambassade chargée de présents au sultan marocain Abdul Hassan à
l’occasion de sa victoire de Tlemcen en 1337. À son retour, le souverain était passé de vie à
trépas.

Un empire mal connu


21Pour les auteurs arabes, le Bilad al-Sudan était peuplé de païens idolâtres qu’ils qualifiaient
de kafir. Il ne faudrait en effet pas tirer de conclusions erronées du pèlerinage de Mansa
Moussa et imaginer un empire du Mali entièrement islamisé. L’immense majorité de la
population avait conservé ses croyances et seule une infime partie de l’élite sociale s’était
convertie à l’islam, qui apparaissait avant tout comme une religion d’apparat, sinon purement
décorative. L’islam laissa certes des traces profondes dans la société, mais il ne fut jamais que
la religion d’une minorité dirigeante. Il légitimait la hiérarchie sociale et permettait au
système esclavagiste de perdurer. Une conversion généralisée du peuple à l’islam aurait eu
pour conséquence d’en interdire l’asservissement, ce qui était contraire à l’intérêt des
puissants.

22L’empire du Mali était en effet profondément esclavagiste et son économie reposait en


grande partie sur l’exportation des esclaves qui, avec l’or, étaient sa seule richesse. Le monde
musulman, dans lequel l’esclavage était une institution très fortement ancrée, était au Moyen
Âge un grand importateur d’esclaves. Le Coran, après tout, ne légitimait-il pas l’esclavage
tout en recommandant de bien traiter les esclaves et, éventuellement, de les affranchir ? Les
musulmans du nord ont toujours considéré l’Afrique subsaharienne comme un réservoir
d’esclaves dans lequel il suffisait de puiser. Il est difficile de donner une estimation du
nombre d’esclaves exportés annuellement vers le monde méditerranéen. Les quelques sources
dont nous disposons, et notamment le récit d’Ibn Battuta, qui fait état de 600 esclaves pour la
seule caravane qu’il suivit de Takedda au Taouat, et une comparaison avec la situation mieux
connue du XIXe siècle conduisent cependant à penser que 20 000 esclaves au minimum étaient
exportés annuellement vers le nord. On notera à titre anecdotique qu’un infime courant
existait en sens inverse : Mansa Moussa rapporta ainsi des chanteuses et des jeunes femmes
qu’il acheta au Caire, et Ibn Battuta rencontra en 1353 une jeune esclave originaire de Damas.

23Pour le monde extérieur, le Mali était avant tout le pays de l’or. L’or est en effet très
répandu en Afrique de l’Ouest, sous forme de gisements miniers ou de paillettes charriées par
les cours d’eau. Les gisements aurifères se trouvent en général dans des vallées recouvertes
d’une carapace latéritique de deux à trois mètres d’épaisseur, que les mineurs doivent d’abord
percer avant de traverser les couches argileuses et d’atteindre les couches aurifères qu’ils
convoitent. Il est à noter que ces mines n’ont jamais été décrites et encore moins visitées par
aucun voyageur avant le XIXe siècle. Avec les esclaves, l’or extrait du Bambouk (Sénégal
actuel), du Bouré (Guinée), et du nord du Ghana d’aujourd’hui était l’objet principal du
commerce transsaharien. L’exploitation des mines du Bouré était directement liée à la
croissance politique de l’empire du Mali. Al-Umari nous apprend ainsi que l’empereur avait
sous sa domination le pays de l’or, dont les habitants étaient païens. Chaque fois que l’on
voulait y implanter l’islam, disait-il, le rendement s’effondrait. Les souverains décidèrent
donc de laisser leurs croyances aux populations qui exploitaient les gisements, tout en se
réservant un droit exclusif sur l’or qu’ils percevaient à titre de tribut.

24Il est très difficile d’évaluer la production d’or du Soudan à l’époque médiévale, tout
comme d’en dater les débuts de l’exploitation. On peut cependant penser avec Raymond
Mauny que l’arrivée de négociants arabes et l’établissement de l’Empire du Ghana furent de
puissants stimulants à la production de l’or, qui connut sans doute un essor important, la
demande assurant un débouché à la production. Les successeurs de Soundiata eurent de gros
besoins de métal précieux, ne serait-ce que pour accomplir des pèlerinages fastueux comme
Kankou Moussa. Celui-ci aurait en effet emmené 12,75 tonnes d’or avec lui selon al-Umari, et
10,2 selon Ibn Khaldun, ce qui aurait produit, selon al-Umari, une chute du cours de l’or au
moment de son passage au Caire. On peut donc considérer, sans plus de précisions, que
plusieurs tonnes de métal étaient produites annuellement dans la région du XIIIe au XVIe siècle,
dont environ quatre au Bouré.

Le déclin d’un empire


25Le fils de Moussa, Maghan, lui succéda brièvement sur le trône. C’est de ce règne que date
la première invasion subie par le Mali, le roi Mossi du Yatenga pénétrant dans la boucle du
Niger et pillant Tombouctou avant de s’en retourner sur ses terres. À la mort de Maghan, son
oncle Souleman s’installa sur le trône. C’est lui qui l’occupait lors du passage d’Ibn Battuta,
qui nous a décrit sa cour avec force détails. Il s’agissait, semble-t-il, d’un souverain juste,
fastueux et pacifique.

26La question de la succession, qui ne fut jamais résolue au Mali, se posa de nouveau à sa
mort, et c’est finalement un petit-fils de Kankou Moussa, Mari-Djata II, qui s’empara du trône
à l’issue d’une guerre civile aux alentours de 1360. Il importe peu pour nous d’égrainer une
longue litanie de souverains sur lesquels nous ne savons que peu de choses en réalité.
L’essentiel est que le déclin de l’empire était désormais amorcé, malgré cependant des retours
offensifs qui permirent par moment de consolider l’ensemble constitué au XIIIe siècle et de
regagner ponctuellement le terrain perdu.

27L’empire du Mali perdit progressivement le contrôle du grand commerce transsaharien,


ainsi que des marchés de Tombouctou et de Djenné, au profit du Songhaï. Les sources sont
rares, cependant, pour suivre cette évolution. Les chroniques soudanaises du XVIIe siècle sont
ici capitales pour comprendre les relations entre les deux empires. À partir du XVe siècle, le
Mali perdit l’influence prépondérante qu’il exerçait au Sahel, du fait des Touareg, tout
d’abord, qui prirent Tombouctou, puis des Songhaï. Il se replia peu à peu vers l’ouest et vers
le sud, les incursions ou les expéditions contre les Mossi étant désormais du ressort des
souverains de Gao. Sonni Ali Ber, fondateur de l’Empire songhaï dans la seconde moitié du
XVe siècle, porta un coup décisif à l’expansionnisme touareg, mais aussi à la puissance du
Mali, qui n’était plus depuis longtemps que l’ombre de ce qu’elle avait été.

L’empire du Mali aujourd’hui


28Le vieil empire médiéval est présent dans la vie quotidienne d’une partie de la population
malienne, qui y retrouve ses ancêtres et l’origine des relations sociales actuelles. Les griots,
quant à eux, continuent de chanter les exploits de Soundiata.

 11 Théodore Monod, « Préface », Notes africaines, numéro spécial : « L’Empire du


Mali », n° 82, avril  (...)
 12 Secrétariat d’État à l’Information et au Tourisme, Connaissance de la République
du Mali, sd (1961) (...)
 13 Ibid., p. 76.
 14 Ibid., p. 82.

29Les constituants réunis à Dakar en janvier 1959 choisirent tout naturellement le nom de


« Mali » pour nommer l’ensemble fédéral qu’ils portèrent sur les fonts baptismaux. « Le Mali
renaît de ses cendres », écrivait triomphalement Théodore Monod en avril 195911. Plus
encore que l’éphémère fédération de janvier 1959 à août 1960, la République du Mali allait en
effet reprendre à son compte l’héritage de l’empire médiéval. En 1961 paraissait à Bamako un
petit livre qui était présenté comme « la création d’un enfant du Mali », le « camarade Bakari
Kamian ». Reprenant le titre du journal gouvernemental L’Essor du 22 septembre 1960,
Kamian pouvait écrire « depuis le 22 septembre 1960, le Mali a rejoint son berceau12 ». Il
était donc clair, dans l’esprit des officiels de la Première République, que le Soudan de jadis
et la République du Mali ne faisaient qu’un, même s’il était difficile « d’exposer dans les
détails l’histoire de la République du Mali connue dans le passé sous le nom de Soudan13 ».
L’important n’était-il pas alors d’établir le lien entre le Mali d’autrefois et celui du présent en
insistant sur le pouvoir détenu par les Keita « dont notre actuel président Modibo Keïta est un
descendant14 » ?

 15 Marcel Guilhem et Sylvain Toé, Précis d’Histoire du Mali, 5e et 6e années du cycle


fondamental, Par (...)
 16 Ibid., p. 160.

30Le recours à la notion d’héritage est récurrent. Il apparaît clairement dans le Précis
d’Histoire du Mali à l’usage des classes de 5e et de 6e années du cycle fondamental publié en
196315. Le bref chapitre consacré à la période coloniale s’intitule ainsi « L’unité malienne »
et se termine comme il se doit par l’accession à l’indépendance : « En choisissant de s’appeler
“Mali”, la jeune République affirme sa volonté d’assumer l’héritage lourd, combien glorieux,
de cet empire des Keita qui, au Moyen Âge, éblouit l’Orient de son faste et qui, pendant un
demi-millénaire, assit son hégémonie sur la plus grande partie de l’Ouest africain. »16

 17 Jean-Loup Amselle, « Les usages politiques du passé. Le N’ko et la


décentralisation administrative (...)

31Mais c’est bien plus tard que l’utilisation politique de l’histoire de l’empire du Mali va
atteindre des sommets. En mettant en place une politique de décentralisation inspirée par les
bailleurs de fonds étrangers, la Troisième République eut recours à la culture mandingue pour
faire accepter cette réforme aux populations rurales qui étaient les principales concernées.
Comme l’a bien montré Jean-Loup Amselle, « la lecture faite par Souleymane Kanté, le
fondateur du mouvement n’ko, des formations politiques médiévales et notamment de
l’empire du Mali, s’est révélée pertinente pour enraciner dans le terroir malien une réforme
qui concernait au premier chef les avatars coloniaux et postcoloniaux de l’État »17.
Souleymane Kanté (1922-1987) est un érudit guinéen autodidacte qui a écrit de nombreux
ouvrages en langue malinké retranscrite avec l’alphabet n’ko qu’il a inventé en 1949. Kanté
s’inspirait des travaux de Maurice Delafosse, dont il reprit la chronologie, et accordait une
importance capitale à l’assemblée de Kouroukan Fouga. Ses élèves maliens jouèrent un rôle
fondamental dans la mise en place de la politique de décentralisation initiée dans leur pays au
lendemain de la chute de Moussa Traoré en mars 1991. La politique nouvelle n’aurait ainsi été
que la réactivation des principes édictés par Soundiata Keita à Kouroukan Fouga en faisant
« revenir le pouvoir à la maison » (ka mara lasegin so). La démocratie, que le Mali
connaissait pourtant pour la première fois de son histoire, n’était donc pas importée de
l’Occident : elle était au contraire un principe fondateur du glorieux empire éponyme ! Par un
processus classique, la société malienne écrivait un nouveau chapitre de son histoire qu’elle
projetait dans le passé pour l’en faire revenir auréolé de cette ancienneté imaginaire.

 18 Francis Simonis, « Le griot, l’historien, le chasseur et l’Unesco », Ultramarines,


n° 28, 2015, p. (...)
 19 CELHTO, La charte de Kurukan Fuga. Aux sources d’une pensée politique en
Afrique, Conakry-Paris, SA (...)
 20 L’auteur de ces lignes a participé à la rencontre de 2007. Cette analyse se fonde
donc en partie su (...)

32La plupart des traditions historiques sont pourtant muettes sur la fameuse rencontre de
Kouroukan Fouga. La seule référence « scientifique » connue se trouve en effet dans
Soundjata ou l’épopée mandingue, sans que Djibril Tamsir Niane ne cite ses sources ni ne
donne aucun argument convaincant à l’appui de sa thèse. L’histoire de la « redécouverte » de
cette charte du Manden est édifiante18. L’invention de la charte, au sens que les archéologues
donnent à ce terme, date en effet de mars 1998. Elle eut lieu lors d’un atelier organisé à
Kankan en Guinée. Celui-ci avait pour objectif de favoriser une meilleure compréhension
entre traditionnistes, chercheurs et professionnels de la communication en vue de la collecte et
de la sauvegarde du patrimoine oral africain, et de déterminer le rôle que les nouvelles
technologies de l’information pourraient jouer dans ce domaine. Lors d’une soirée organisée à
l’initiative des griots, ceux-ci ont déclamé à tour de rôle ce qu’ils connaissaient de Kouroukan
Fouga, et le tout fut organisé en texte constitutionnel sous forme de 44 articles par Siriman
Kouyaté, magistrat originaire de Niagassola et proche parent de l’actuel détenteur du balafon
de Soumaoro Kanté, le Sosso-Bala. Une version légèrement remaniée du texte initial, qui a
connu un succès immédiat, a été éditée conjointement par la Société africaine d’édition et de
communication de Djibril Tamsir Niane, et les éditions de L’Harmattan à Paris en 200819. De
nombreuses rencontres sur le sujet ont été organisées, comme la conférence de Bamako du
27 au 30 juillet 2004 ou la Rencontre internationale sur la charte du Manden qui s’est tenue
du 31 mai au 3 juin 2007 à Bamako et à Kangaba20. Cette rencontre a mis en lumière qu’il
existait pour le moins une ambiguïté sur cette fameuse charte, le chercheur malien Youssouf
Tata Cissé promouvant pour sa part un texte qui aurait été recueilli en 1965. Selon lui,
« appelée d’abord Donsolu kalikan, « Serment des chasseurs », puis Dunya makilikan,
« Injonction au monde », cette déclaration fut solennellement proclamée à Dakajalan, la
première capitale de l’empire du Mali, sous le nom de Manden Kalikan, le Serment du
Mandé. C’était le jour de l’intronisation de Soundjata Keïta, le fondateur de l’empire du Mali.
Nous sommes fin 1222 […] ». Il existait donc deux chartes du Manden, l’une recueillie en
1965, et l’autre « restituée » en 1998, la première datée de Dakajalan en 1222, la seconde de
Kourukan Fouga en 1236. La rencontre de 2007 avait en fait pour fonction de créer
l’amalgame entre les deux textes.

33La quatrième session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel


immatériel, qui s’est tenue à Abou Dhabi du 28 septembre au 2 octobre 2009, a inscrit sur sa
liste représentative la « Charte du Mandén [sic], proclamée à Kouroukan Fouga », ce qui lui
donne désormais une légitimité certaine. On est pourtant dans une grande confusion. Il est en
effet affirmé dans la déclaration de candidature qui a servi de base au classement que :
« Après sa victoire sur Soumangourou Kanté, roi du Sosso, lors de l’historique bataille de
Kirina au début du XIIIe siècle, Soundiata Keita fit convoquer en assemblée générale les
cèkun, “hommes de tête” du Mandén acquis à sa politique, afin de leur soumettre pour
approbation, après enrichissement s’il le fallait, la Charte du Mandén nouveau. […] Au terme
de l’assemblée générale qui a enregistré la présence du “Mandén tout entier” et ses alliés, la
Charte fut solennellement proclamée à Kouroukan Fouga […]. Édictée sous forme de
serment, la proclamation comprend un préambule et sept chapitres sous forme de règles de
conduite de la vie publique au sein de la famille. »
 21 Youssouf Tata Cissé, La Charte du Mandé et autres traditions du Mali, Paris,
Albin Michel, 2003.

34Au regard de la description qui en est donnée (un préambule et sept chapitres), ce qui a été
classé n’est pas le texte promu par Siriman Kouyaté et Djibril Tamsir Niane. Il s’agit plutôt de
ce que Youssouf Tata Cissé a appelé le « Serment du Mandé » (Manden Kalikan) dans un
ouvrage de 200321. Or, Cissé est formel : cette « charte » (ou ce « serment ») a été édictée à
Dakajalan. L’Unesco a donc classé, sans s’être livré à une nécessaire expertise scientifique ou
historique, un texte qui ne lui a pas été communiqué, en amalgamant par un raccourci
audacieux les deux versions concurrentes d’une « charte » dont personne ne peut dire ce
qu’elle est vraiment. L’essentiel, en fait, se jouait ailleurs. Ce qui importait aux autorités
maliennes, dans cette affaire, c’était de prendre de vitesse leurs homologues guinéennes en
« nationalisant » le texte comme élément du patrimoine malien. Un article du journal L’Essor
du 16 octobre 2009 livre ce commentaire triomphal : « Quant à la « Charte du Manden», son
classement au seul nom du Mali fait qu’elle échappe à beaucoup de convoitise de la part de
pays voisins qui ont tout fait pour en avoir la paternité ». Le classement effectué par l’Unesco
en 2009 marque ainsi le triomphe du Mali sur la Guinée pour la captation de l’héritage du
prestigieux empire médiéval. La charte du Manden est désormais un passage obligé de tout
discours relatif aux civilisations africaines, tant en Afrique qu’en Europe, et c’est tout
naturellement à Kangaba, sur la fameuse plaine de Kourourkan Fouga, que s’achevèrent en
apothéose, dans un délire de musique, de bruit et de chants de griots, les fêtes du
cinquantenaire de l’indépendance le 30 septembre 2010, en présence du président de la
République Amani Toumani Touré et de son Premier ministre.

Pour conclure
 22 Jean Gallais, « Signification du groupe ethnique au Mali », L’Homme, 1962,
tome II, n° 2, p. 106-12 (...)

35En fait, la mise en valeur de l’histoire de l’empire du Mali, histoire à l’origine régionale
dont les gouvernements successifs firent une histoire nationale dans laquelle chaque Malien
était sommé de se reconnaître, conduisit une partie de la population du pays à se sentir exclue
d’un récit national qu’elle ne partageait pas. Dès 1962, pourtant, le géographe Jean Gallais
avait attiré l’attention sur les problèmes que pouvait poser le fait qu’une bonne partie de la
population malienne relatait sa propre histoire en dehors de toute référence à celle de l’empire
du Mali22. Bobo, Minianka et Dogon ont développé, disait-il, « une conscience très irritable
de leur originalité », même si ces derniers revendiquaient des liens avec le Mali. « Il y a donc
sur le flanc sud-est de l’axe culturel malien des groupes qui s’affirment différents ou éloignés
de la tradition commune ». Mais le vrai problème se posait au nord, non pas chez les Songhaï,
dont l’encadrement solide par le parti unique semblait être un facteur de cohésion nationale,
mais chez les populations nomades. « Aux limites du Sahel, la situation politique serait sinon
préoccupante, du moins délicate si le gouvernement malien était imprudent. Les nomades,
Maures et Touaregs, sont étrangers à toute référence historique mandingue. Par contre, leur
propre cycle d’épopée est illustré des luttes contre les Soudaniens, Songhaï, Peuls, et ils
demeurent fixés psychologiquement sur les souvenirs brillants de leur histoire précoloniale ».
Cette analyse conserve malheureusement toute son actualité… Pour les politiques, peu
importe finalement ce que fut l’empire du Mali. Ce qui compte, c’est ce que les Maliens
croient qu’il fut et l’usage qu’ils en font.
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Notes
1 Charles Monteil, Les empires du Mali. Études d’histoire et de sociologie soudanaises, Paris,
Maisonneuve et Larose, 1929.

2 Maurice Delafosse, Haut-Sénégal-Niger. Première série : le pays, les peuples, l’histoire, les
civilisations, 3 volumes, Paris, Larose, 1912.

3 Jean-Louis Triaud, « Haut-Sénégal-Niger, un modèle “positiviste” ? De la coutume à


l’histoire : Maurice Delafosse et l’invention de l’histoire africaine », dans Jean-Loup Amselle
et Emmanuelle Sibeud (eds), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie :
l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, p. 211.

4 Notes Africaines, numéro spécial : « L’Empire du Mali », n° 82, avril 1959.

5 Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence africaine, 1960.

6 Raymond Mauny, Tableau géographique de l’Ouest africain au Moyen Âge, Dakar, IFAN,
1961.

7 Francis Simonis, « Soundiata Keita et Sumaworo Kanté, fondateurs de l’Empire du Mali »,


<https ://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2011-
08/div063_simonis.pdf> (consulté le 20 juin 2015).

8 Youssouf Tata Cissé et Wa Kamissoko, La grande geste du Mali. Des origines à la


fondation de l’empire, Paris, Kathala et Arsan, 1988.

9 Pour une description détaillée de la geste de Soundiata, voir Francis Simonis, L’Afrique
soudanaise au Moyen Âge. Le temps des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï), Marseille,
SCEREN, 2010, p. 41-45.

10 Djibril Tamsir Niane, « Le Mali, et la deuxième expansion mandé », Histoire Générale de


l’Afrique, IV, Présence africaine, Edicef Unesco, 1991, p. 99-125.

11 Théodore Monod, « Préface », Notes africaines, numéro spécial : « L’Empire du Mali »,


n° 82, avril 1959.

12 Secrétariat d’État à l’Information et au Tourisme, Connaissance de la République du Mali,


sd (1961), p. 4-5.

13 Ibid., p. 76.

14 Ibid., p. 82.

15 Marcel Guilhem et Sylvain Toé, Précis d’Histoire du Mali, 5e et 6e années du cycle


fondamental, Paris, Ligel, 1963.
16 Ibid., p. 160.

17 Jean-Loup Amselle, « Les usages politiques du passé. Le N’ko et la décentralisation


administrative au Mali », dans Claude Fay, Yaouaga Koné, Catherine Quiminal (eds),
Décentralisation et pouvoirs en Afrique, Paris, IRD Éditions, 2006, p. 39.

18 Francis Simonis, « Le griot, l’historien, le chasseur et l’Unesco », Ultramarines, n° 28,


2015, p. 12-31. À lire en ligne sur <http://revue-ultramarines.fr/wp-
content/uploads/2015/03/Le-griot-l%E2%80%99historien-le-chasseur-et-
l%E2%80%99Unesco-par-Francis-Simonis_Revue-Ultramarines-n%C2%B028-2015.pdf>
(consulté le 20 juin 2015). Voir aussi : http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2015/04/15/la-
charte-du-manden-ou-linstrumentalisation-du-passe-africain/ (consulté le 20 juin 2015).

19 CELHTO, La charte de Kurukan Fuga. Aux sources d’une pensée politique en Afrique,
Conakry-Paris, SAEC-L’Harmattan, 2008.

20 L’auteur de ces lignes a participé à la rencontre de 2007. Cette analyse se fonde donc en
partie sur des observations de terrain.

21 Youssouf Tata Cissé, La Charte du Mandé et autres traditions du Mali, Paris, Albin
Michel, 2003.

22 Jean Gallais, « Signification du groupe ethnique au Mali », L’Homme, 1962, tome II, n° 2,
p. 106-129.

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Pour citer cet article


Référence papier

Francis Simonis, « L’Empire du Mali d’hier à aujourd’hui », Cahiers d’histoire. Revue


d’histoire critique, 128 | 2015, 71-86.

Référence électronique

Francis Simonis, « L’Empire du Mali d’hier à aujourd’hui », Cahiers d’histoire. Revue


d’histoire critique [En ligne], 128 | 2015, mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 02 juillet
2019. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/4561

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