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Symbolae Osloenses: Norwegian Journal of Greek and


Latin Studies
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La thēurgie chez les neo‐platoniciens et dans les


papyrus magiques
S. Eitrem
Published online: 22 Jul 2008.

To cite this article: S. Eitrem (1942): La thēurgie chez les neo‐platoniciens et dans les papyrus magiques, Symbolae Osloenses:
Norwegian Journal of Greek and Latin Studies, 22:1, 49-79

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LA THÉURGIE
CHEZ LES NÉO-PLATONICIENS
ET DANS LES PAPYRUS MAGIQUES
PAR

S. EITREM

A Monsieur P. Rotseth
1.
L'ēvolution de la philosophie grecque dans sa derniēre phase
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est caractērisēe par l'influence toujours croissante de la magie.


L'esprit de conciliation d'un Jamblique aussi bien que la dialectique
d'un. Proclus regardent et les religions et la magie de tous les pays
alors connus. Proclus trouve. partout", k l'aide de la « sympathie »;
les reflets de la vēritē, l'operation de la divinitē.
On ne. discute plus si les dieux s'intčressent au monde ou
s'occupent des hommes; on est persuade que les dieux — et les
dēmons — exercent une influence decisive sur la vie de tous les
ētres. D'autre part, on peut influencer les dieux et Ies dēmons par
rintermēdiaire de la matiere — dans laquelle ils manifestent leur
puissance — aussi bien que par la parole, qui, d'ailleurs, dans la
bouche des deviris, rčvēle l'omniscience et la souverainetč divines.
C'est bien l'epoque des the'urges, cette periode de la philosophie
grecque mourante. Le mot designe ceux « qui operent ā l'aide des
dieux» (ou ceux «qui s'occupent des dieux»; Wilamowitz, Der
Glaube der Hellenen, t. II, p. 527 «Gottbearbeitungen» — done
les th6urges seraient ceux « qui travaillent les dieux», ,cf. χρυσουρ-
γός, λιθουργός, etc.). Mais on ne peut pas.non plus absolument
rejeter le sens de «createur des dieux» (cf. θεοποιός chez Aristo-
phane et d'autres; par exemple, Hippolyte, Refut. X 3 4 , 4 : όταν
θ ε ο π ο ί η σ η ς αθάνατος γεννηθείς, cf. άποθεοϋν, έκθεοϋν, sim.). 1
Selon 1'opinion de Bidez (La Vie de I'Empereur Julien, 1930, p. 369)
Julien «le thēurge» aurait le premier portē ce nom (Suid., I,
p. 1007,5 Adler: 'Ιουλιανός, ΧαλδαΤος, φιλόσοφος, πατήρ του κλη-
θέντος θ ε ο υ ρ γ ο ϋ Ιουλιανού): du moins, il fut l'un des premiers
«thēurges» des cercles grecs. Par la suite, le titre de thēurge

1
Cf. A. J . Festugière, L'idéal religieux des Grecs, 2e éd., p. 123 et suiv.
4 — SymboUe Osloenses. XXII.
50 S. Eitrem
fut couramment attribué aux philosophes platoniciens, p. ex. à
Porphyre (Jambl., de myst., p. 145. 167 Parthey, cf. Vocab., ibid.).
En tout cas, la Φεουργεία est l'opposé de Γάνοσιουργεία, à en juger
par le passage de Porphyre, cité par Jamblique, de myst., 2, n,
p. 95 Parthey: τήν περί των θείων αγνοιαν και άπάτην «vootoup-
γείαν και άκαθαρσίαν eîvat. Donc la théurgie est une Ιερατική
πραγματεία (Damasc, Vit. Isid., 227) qui purifie l'âme et la rend
capable d'accéder ou monde intelligible, à la vision extatique et
finalement de réaliser « l'union intime avec la divinité elle-même »
(Plotin, Enn., VI 9,12). Ainsi la technique théurgique — c'est bien
ainsi que s'exprime Jamblique, de myst., II 10 —équivaut à une
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τελεσιουργος θεωρία (ibid., III 13). La séparation du corps et de


l'âme, de la matière et de l'esprit qui était le critérium platonicien
par excellence, n'existait plus. On pouvait la surmonter à l'aide
d'un procédé rituel, connu seulement des philosophes les plus initiés,
c'est-à-dire des · théurges.
Quant à cette théurgie, que Jamblique a essayé de fonder sur
des raisons scientifiques (de myst., IV, 1 et suiv.), nous savons
qu'elle n'a pas été acceptée par tous les néo-plátoniciens, aussi
n'a-t-elle pas joui de la même influence à toutes les époques, du
néo-platonisme. Nous ne pouvons que former des conjectures sur
les details de cette évolution. Déjà Plotin, dont, sans doute, dérive
la théurgie, avait quitté la route traditionnelle des philosophes
alexandrins, en se joignant aux disciples d'Ammonius Sakkas. Seul
Ammonius était capable de supprimer la « douleur » qu'éprouvait
Plotin en suivant les cours des autres philosophes alexandrins
(Porphyre, Vit. Plot., 3). C'est l'enseignement d'Ammonius qui a
poussé Plotin à faire connaissance avec la philosophie des Perses
et avec celle des Hindous (Porphyre, ibid.). Il a accompagné
l'armée de l'empereur Gordien, contre les Perses; — et on a re-
trouvé la même doctrine de l'identité du Moi avec l'être universel,
avec Dieu, dans la philosophie de Plotin et dans la pensée reli-
gieuse des Hindous.1 En tout cas, la philosophie du maître de

1
Voir E. Bréhier, La philosophie de Plotin (1928), p. 107 et suiv. (p. 124—5
références à Chr. Lassen, Indische Altertumskunde, t. III, p. 415 et suiv.,
et à Oldenberg, Die Lehre der Upanishaden und die Anfänge des Bud-
dismas, p. 39). M. Bréhier (ibid., p. 132) attire l'attention sur des indices
qui, dans la littérature grecque, dès avant Plotin laissaient voir chez les
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 51

Plotin, Ammonius Sakkas, l semble avoir été de perspective aussi


étendue que la magie égyptienne de cette époque, fait dont nous
essaierons d'approfondir la signification par la suite. N'est-il pas
fort probable que la théurgie, telle qu'elle nous est connue prin-
cipalement par les commentaires de Proclus, prend son commen-
cement dans le milieu même où le culte et la magie de l'Egypte
se rencontre, d'une part avec la philosophie grecque et d'autre
part avec la théologie (ou plutôt théosophie) et la magie orientales?
C'est bien l'opinion äe Cumont2 et de Bidez.3 Nous pouvons, à
mon avis, aller plus loin, en utilisant les papyrus magiques venus
du même pays et appartenant sensiblement à la même période de
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l'évolution religieuse. Ici nous retrouverons des préceptes qui


cadrent bien avec ce qui nous a été transmis au sujet des secrets
théurgiques.
D'abord, il faut se rappeler qu'il y avait différentes sortes de
théurgie, que la tradition théurgique variait selon les tendances
des maîtres. Tout naturellement, la différence de milieu, de culte
national, de magie — car celle-ci accuse toujours, malgré son
caractère international, des particularités locales — devait produire
des variations et des nuances dans le rituel employé.4 Jamblique
distingue (de myst., II, 3—11) seulement entré «la philosophie

Grecs une conception correcte de la pensêe hindoue: Eusèbe. Prép.evang,


XI, 3, 28 (anecdote d'Aristoxène de Tarente); Philostrate, Vie d'Apollonius,
III, 18.
1
Sur la ενωσις του σώματος xαι της ψυχης, discutée par Ammonius, voir
H. v. Arnim, Rhein. Mus., XLIII, p. 276 et suiv. (Porphyrius, Σύμμιχτα —
Nemesius, ch. 2 . 3 ; de même pour l e ' συνδιαγινώσxειν?). Cf. W. Jaeger,
Nemesios von Entesa, p. 30.
2
Fr. Cumont, Monum. Piot, XXV, 1921—22, p. 87 et suiv. (en se référant
mémoire de Cochez, Rev. néo-scolastique, 1911, p. 328 ss., qui avait déjà
montré que les « mystères » de Plotin venaient de sa patrie, non pas
d'Eleusis).
3
J . Bidez, La liturgie des mystères chez les néo-platoniciens, Bulletin de
l'Acad. Belg., 1919, p. 415 et suiv.; cf. Rev. belge, VII, 1928, p. 1477 et
suiv.; « Proclus sur l'art hiératique » dans le Catal. des manuscrits al-
chimiques grecs, VI, 1928, p. 139 et suiv.
4
Cf. Corn. Agrippa, De occ. phil., p. 578, éd. Leyde 1550 (cité par Gan-
schinietz, Hippolytos' Capitel gegen die Magier, 1913, p. 20): Theurgiae
scholae sunt ars Almadel, ars Paulina (ars revelationum) et eiusmodi
superstitionis plura.
52 , S. Ε it re m
contemplative» (ou théosophie, Γέπιστημονική θεολογία, ibid., I 4}
et la théurgie pratique, cf. la ιερατική πραγματεία, c'est-à-dire la
philosophie des théurges avec les exercices pratiques correspondants
(cf. Damascius, Vita Isidori, -227). Marinus {Vit. Prodi, eh. 28)
s'explique d'une manière plus précise. Il y avait deux sortes de
théurgie — l'une théorique, (nous retrouvons ici Γέπιστημονική
θεολογία de Jamblique, de myst., I, 4), l'autre pratique. Selon son
biographe, Proclus n'était pas content de la théorie (ni de la manière
sévère de vivre, prescrite par les règles ascétiques de la même
théorie). Une autre méthode, «plus divine», appelait l'enthousiaste:
ταϊς γαρ τών Χαλδαίων σ υ σ τ ά σ ε σ ι κ α Ι έ ν τ υ χ ί α ι ς καΐ τοις
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θείοις και άφθέγκτοις σ τ ρ ο φ ά λ ο ι ς έκέχρητο. ΚαΙ γαρ ταΰτα


παρειλήφει, καΙ τας ε κ φ ω ν ή σ ε ι ς καΐ την άλλην χρήσιν αυτών
μεμαθήκει παρά Άσκληπιγενείας της Πλουτάρχου θυγατρός. Παρ*
αύτη γαρ καΙ .μόνη έσώζετο άπα Νεστορίου του μεγάλου, όργια
καΙ. .ή σύμπασα θεουργική αγωγή, Ota του πατρός αύτη παραδοθείσα.
Il serait superflu de souligner les étapes de cette tradition typique,
observée par les théurges athéniens. Le père enseigne la science
occulte à son fils ou (et) à sa fille (cf., par exemple, PGM, IV 477
τα πατροπαράδοτα μυστήρια, etc.). Nestorius était le père de
Plutarque (350—431), «le grand, le saint Plutarque»· (Damasc),
fondateur de l'école néo-platonicienne à Athènes. Nestorius était
lui-même connu comme hiérophante éleusinien — un peu bizarre,
sans doute (cf. Zosime, IV, 18,2 et suiv.). Son esprit d'entreprise
et son extravagance en matière religieuse sont bien illustrés par
un événement, raconté par l'historien. Une vision, un rêve l'avait
informé du moyen propre à écarter de la ville le danger d'un
tremblement de terre ; il fallait façonner une petite image d'Achille,
d'ailleurs très populaire à cette époque (cf. Philostrate, Her., p. 154ss.
Kayser 1 ), la placer sous la grande statue d'Athéna dans le Parthenon
et ensuite sacrifier à l'un et à l'autre suivant le même rituel,
connu de Nestorius. Ainsi les forces réunies de la déesse et du
héros, activées par un rituel probablement tout nouveau, suffiraient
à contenir les forces destructrices du monde infernal. Ces pratiques,
que les magistrats d'Athènes trouvaient ridicules, faisaient aux yeux
des superstitieux — parmi lesquels nous trouvons aussi les philo-

1
Cf. Symb. Osl., VIII, p. 42 et suiv.
La théurgie des néo-platoniciens, ete. 53
sophes qui s'intéressaient aux pratiques occultes -— l'effet d'une
révélation. Cette fois-là, l'Attique fut épargnée par les puissances
souterraines, comme l'a prétendu l'admirateur du vieux Nestorius,
le philosophe nío-píatonicien Syrianus (Zosime, l. /.). L'hiérophante
a su combiner la science de la « théurgie pratique » avec sa con-
naissance profonde des mystères. En tout cas, ce mystagogue
d'Eleusis n' a senti aucun désaccord fondamental entre les diffé-
rentes « initiations » subies par les mystes, les philosophes (cf. Platon,
Phédon, 69 D),1 les magiciens (voir PGM, Vocabulaire s. ν. τελεΐν,
τελετή), et même par les astrologues et les alchimistes. Tous ces
mystères avaient leurs τελεσταί, leurs mystagogues.
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2..
Les « rencontres des Chaldéens » .— συστάσεις et έγτυχίαι ont à
peu près le même sens,2 •— nous les retrouvons sans aucun doute .
dans nos papyrus magiques. Nous les avons déjà analysées auparavant.3
Ici nous devons ajouter que ces rencontres qui font apparaître
les dieux aux yeux des magiciens, comme nous l'enseignent nos
papyrus, sont.à notre avis les meilleurs exemples de la pratique
des théurges qni souhaitent l'union avec la divinité. Ce sont d'abord
des considérations générales qui rendent probable une telle hypo-
thèse. Chez les néo-platoniciens la vue de la divinité, la sainte
contemplation était la fin immédiate de l'ascension de l'âme au ciel.
La contemplation se confondait avec la divinisation, avec Γάπαθα-
Cumont ne doute pas que «l'expression s e u l à. s e u l 4
1
Cf. Plutarque sur Epiménides, Vit. Solon.,'12: εοφιλης χαι σοφος την εν-
ουσαστιxην xαι τελεστιxην σοφίαν. Héliodore, Aeth., III, 16 fait le départ
entre la δημώδης σοφία ( = γοητεία) et ή αληως φιλοσοφία, εων συνόμιλος
xαι φύσεως xρειττόνων μέτοχος (i. e., principalement, l'astrologie).
2
PGM, IV 1930 εντυχία προς Hλιον, autrefois simplement σύστασις (les deux
mots signifient aussi simplement « prière de rencontre », cf. XIII 695); IV
169 συσταεις προς "Ηλιον; III 588 προσ<σ>ύστασις.
3
Symb. Osl., VIII, 1929, p. 49—53; cf. ib., p. 25 et suiv. Quant à l'aveugle-
ment de ceux qui manquent de piété (ib., p. 27, n. 2), ajouter Schol. Juv.,
III 138, Serv., Bucol., VIII, 68; cf. Radermacher, Festschr. für Gomperz,
p. 201. L'œil de la Gorgone pétrifie aussi celui qui la regarde.
4
Cf. encore PGM, IV 2333 βλέπω σε xαι βλέπεις με (dans une « systase »
avec la Lune). Sur la « fuite » de Plotin, la φυγη μόνου προς μόνον (Enn.
VI 9, 11) cf. la remarque si pertinente de Kerényi, Der große Daimon
des Symposion (1942), p. 27.
54 S. Eitrem.
et l'idée qu'elle exprime ne soient empruntées à la langue et à la
doctrine du culte égyptien. Il se réfère expressément à l'histoire
du médicin Thessalus (contemporain de Néron), mentionée dans le
Cotai, coda, astrol., VIII 3, p. 136 (VIII, 4, p. 257). 1 Toutefois il
n'est pas certain que nous devions, avec Cumont, poser, les néo-
pythagoriciens comme intermédiaires entre les théologiens orientaux
et les philosophes platoniciens. Le rôle des esséniens est également
problématique, en tout cas pour ce qui est de l'histoire du néo-
platonisme alexandrin.
Mais l'influence du culte égyptien sur la vision extatique de
ces philosophes est plus que probable. C'est bien la contemplation
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des statues du culte égyptien qui en premier lieu a dû servir


de modèle et inspirer les Ammonius Sakkas, les Plotin. Nous
pouvons rappeler la cérémonie qui se déroulait annuellement à
Denderah, au jour de l'an, et un cours de laquelle les prêtres,
en procession solennelle, montaient la petite chapelle de la déesse
sur le toit, afin que la déesse pût « v o i r l e s o l e i l » . De même,
dans d'autres temples égyptiens on a à la même date arrangé une
« r e n c o n t r e » du dieu « a v e c s o n p è r e » . 2 Cette pratique devait
être, selon Erman, une copie rituelle des idées et des souhaits que
les Egyptiens attribuaient à leurs m o r t s . En Egypte, l e s m o r t s
étaient toujours impatients de « regarder le soleil ». Ce trait si
caractéristique de l'Egypte nous rappelle la pratique Typhonique
(« de Nephotès ») du livre magique de la Bibliothèque Nationale à
Paris, PGM, IV 154 et suiv. Le troisième jour du mois, au lever
du soleil, on se met tout nu, orné seulement d'une couronne de
lierre noir, sur le toit. On se laisse envelopper « comme un
mort » par le « mystagogue » et, les yeux bandés avec une lanière
noire, on adresse sa prière au soleil (à Typhon.). Voilà ce qui
s'appelle une s y s t a s e (1. 261). Le grimoire démotique de Londres
et de Leyde,3 source de première importance au point de vue du
syncrétisme magique gréco-égyptien, contient des évocations de

1
Cumont, loc. cit., p. 87.
2
Voir Erman, Die Religion der Ägypter (1934), p. 371, avcc les références
dans la note de la p. 455.
3
F. LI. Griffith and H. Thompson, The Demotic Magical Papyrus of London
and Leiden (1904), vol. 1, texte et traduction. Traduit également par P. Lexa,
La magie dans l'Egypte antique, tome II (1925), p. 122 et suiv.
La théurgie des neó-platoniciens, etc. 55
dieux à l'aide d'une lampe: la lumière de la lampe et celle du
soleil coopèrent. On place la lampe allumée contre le soleil (col.VI 3),
mais on peut aussi se passer du soleil (un endroit sombre est
prescrit col. XXVII 19) et opérer avec la lampe seule. Toutefois,
la chambre et toute l'opération sont orientées vers l'est. Le médium
est un garçon chaste. On s'adresse de préférence aux divinités de
la lumière,· par exemple, col. XVII, 1 ss. : « Boël . . . compagnon
dû feu . . . dieu grand qui résides dans la flamme, qui es au
milieu de la flamme . . . entre dans la flamme et révèle-toi à
ce garçon », etc. La lampe tient lieu de soleil. Dans ces
formules, le dieu Rê n'est pas tout à fait oublié non plus, col.
VI 3. XVIII 12).1 Dans la pratique décrite à la col. XXIX 5
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(v. infra), le sorcier frappe la tête du garçon du doigt solaire, « du


doigt de Rè" ·, de la main droite — on pourrait voir encore dans
ce détail l'effet de la s y m p a t h i e , préconisée de préférence par
les néo-platoniciens théurges. Seulement cette sympathie des ingré-
dients des s a c r i f i c e s , des gestes du rite sacral, etc, était
pratiquée en Egypte depuis des temps immémoriaux (cf. les pre-
scriptions médicales). C'est bien au soleil lui-même qu'on s'est
originairement adressé dans ces invocations mantiques, et on trouve
encore dans le grimoire déjà nommé deux instructions, l'une pour
l'évocation du soleil, l'autre pour celle de la lune. La première
est la plus détaillée (col. XXIX 1 ss.): le garçon, dont on a fric-
tionné les yeux avec un onguent magique, est placé face áu soleil
au lever, et on s'adresse aux puissances qui peuvent apporter «la
lumière pure». L'instruction pour la lune (col. XXIII 21 ss.) de-
mande un endroit élevé sur le toit, et la pleine lune est obligatoire.
Communément on date ce manuscrit démotique du début du troi-
sième siècle après J.-C. (des invocations en grec se trouvent aux
col. IV 9 ss., XXIII 9 ss.; des plantes et ingrédients en grec aussi
Verso I, etc.).
Toutefois, on ne peut pas laisser de côté l'influence grecque,
l'extase des mystagogues et des mystes, quand on veut expliquer
le succès de la contemplation chez les néo-platoniciens théurges à
Alexandrie et ailleurs. Il existait aussi des Éleusinia alexandrins,
connus et reconnus'par tous les Grecs de la capitale. A Athènes,
Nestorius, nous l'avons bien vu, était en même temps hiérophante
1
Cf. Anoup (Anubis), « roi du Douat », col. XVIII 15 ss.
56 S. E it re m
des Éleusinia et théurge. A Alexandrie, la contemplation ravi«
d'un Sérapis, d'une Isis ont pu exalter l'imagination du croyant
autant que l'a fait la vue des απόρρητα, des δρώμενα des mystères
grecs (cf. Platon). Il va sans dire que nous ne devons pas mettre
sur le même plan les systases sublimes, espérées par des Plotin,
des Porphyrius, et les systases aux quelles atteignent les magiciens
grâce à leurs prières, formules, recettes et manipulations. Néan-
moins, les théurges après Jamblique ont bien connu et utilisé les
prescriptions magiques dans cette matiêre-ci, comme nous verrons
ci-après.
Si nous examinons de plus près les prières des papyrus magi-
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ques grecs, nous constatons que bon nombre en est adressé au


Soleil (bon nombre d'entre elles sont aussi adressé à la Lune,
PGM III, 3 3 8 . 4 3 4 ss.; 689 s. VI, 39). La croyance toujours
plus développée à l'omnipotence du Soleil Invincible est, on le
sait bien, caractéristique de ces siècles; on a confondu le Soleil
avec les plus grandes divinités des peuples alors connus (εϊς Ζευς
Ήλιος Σάραπις, etc.);. aussi l'identification avec Phrê, (PGM, IV,
1281), avec Apollon (PGM, II, 8 8 ; III 229, 283 ss.; VI, 1 ss.;
VII 727 ss.) ne nous surprend-elle, pas. Le théurge aspire à la
même toute-puissance, à la même omniscience que possède l'astre
qui règne sur le Ciel lumineux, qui domine tout, qui sait tout, et
pour atteindre son but il emploie la « systase », cf. Damascius sur
la théurgie de Proclus, cité supra. La rencontre (συντυχία) ou,,
mieux encore, la « systase · (l'entrevue) se continue dans une
ομιλία (PGM, III, 194; Apul. apol. 26 communio loquendi cum dis
immortalibus) — cf. προσομιλεΐν τοϊς θεοϊς chez Plat., Leg. IV,
716 D 1 — et cette réunion peut finalement parvenir à une
coalescence, une « symphyse », σύμφυσις του θεωροϋντος και θεωρου-
μένου, cf. aussi l'expression προς τόν όντως εαυτόν σύμφυσις, Por-
phyr., de abst. I 2 9 . 2 La « systase autoptique » confère au magicien,
1
Festugière, L'idéal religieux des Grecs (2e éd.), p. 122, cite aussi Vettius
Valens 35, 13; 42, 2, etc.
2
Reitzenslein, Hellen. Myst. rel., 3 e éd., p. 286. Au caractère de cette
« symphyse » il est intéressant de comparer la doctrine des Upanishads,
caractérisée par H. Oldenberg (Die Lehre der Upanishaden, p. 199); il
relève « das Motiv, das dem Hinstreben des philosophischen Intellekts zur
Einheit alles Seins die besondere Färbung gibt: die Sehnsucht der Mystik
nach dem Ineinanderaufgehen des eigenen Ich und des Allseins jenseits
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 57
au théurge, au myste, et, cela va sans dire, aussi à l'astrologue,
le «caractère divin», la «nature divine» qui les fait agir avec la
compétence et l'autorité des dieux (PGM, IV 220 κάτελθε ίσοθέου
φύσεως κυριεύσας της δι« ταύτης συστάσεως επιτελούμενης
αύθοτττικης (sic) λεκανομαντείας καΐ νεκυαγωγης).
Il est superflu ici d'insister sur le rôle de la contemplation, de
la vision, la θέα (et la γνώσις) du magicien1 et du théurge. Ils
doivent être tous les deux όρατικοί (l'expression est due à Philon),
doués par la nature de cette aptitude .extraordinaire, de cette vue
divine qui autrement caractérisent les θείοι άν8ρες (Proel., in Tim.,
IV, 288 Ε, F, relativement.au théurge). Dans la force de la vision
intellectuelle2 qui conduit au monde intelligible, c'est encore une
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fois le reflet de la clarté resplendissante du.Dieu suprême que


nous rencontrons — disons (avec beaucoup de théologiens de cette
époque) la splendeur du Soleil. C'est toujours la lumière immense,
éblouissante dans laquelle la divinité apparaît à l'extatique, et dans
laquelle l'âme du philosophe néo-platonicien s'évanouit, s'anéantit.3
Le théurge et le magicien savent tirer profit de cette assimila-
tion du myste au dieu omniscient. Nous le constatons surtout dans
von Vergänglichkeit und Tod ». — Et quelle est la foi des Chrétiens?
Certainement, « si l'homme est appelé, à s'unir au divin, il ne le peut,
en plênitude,, qu'après la mort ».
1
Cf. PCM, III, Vocabulaire S. αυτοπτεΐν, αυτοπτιxός, αΰτοπτος (ajouter V I I 3 2 0 ) .
2
ενεργεία, pas δυνάμει, Porphyr., Vit. Plotin., 23.
1
Sans citer Plotin, Porphyre, Proclus, les Écrits hermétiques sur le voca-
bulaire technique de φως, ζωή, αλήεια, γνωσις, etc. (cf. Scott, Hermetica, tome
IV, Index de Ferguson) qu'il suffise de rappeler le passage de Ps. Apul., de
deo Socratis, 3, exaltant la beauté de ce monde (cf. Plat., Tim, 28 C): vix
sapientibas viris, cum se vigore animi, quantum licuit, a corpore remo-
verunt, intellectum huias dei (id quoque interdum) velut in artissimis
tenebris rapidissimo coruscamine lumen candidum intermicare. Ce moment
subit de révélation où une vérité fondamentale « saute aux yeux » d'un
élève, d'un « compagnon de colloque et de vie », Platon l'a déjà relevé
dans des termes inoubliables, Epist. 7, 341 C, D: ρητον γαρ ουδαμως εστιν
ως αλλα μαήματα, αλλ' εx πολλης σ υ ν ο υ σ ί α ς γιγνομένης περι το πραγμα
αυτο xαι του συζην εξαίφνης οιον απο πυρός πηδήσαντος εξαφεν φως
εν τη φυχη γενόμενον αύτο εαυτο ηδη τρέφει. Qu'on Compare cette « lumière
et cette « réunion platonicienne avec la déification du même évènement
chez un néo-platonicien, Porphyr., ad Marc. 16 φυχη δε σοφοϋ αρμόζεται
προς εόν, άει εον δρα, σύνεστιν αει εω («et Dieu a soin du philo-
sophe »). A ce point le théurge et le magicien peuvent se mettre en corre-
spondance, sinon en harmonie.
58 5. Eitrem
le domaine de la m an t i q u e . 1 Parmi une quarantaine de prières
et procédés qui se trouvent dans les papyrus magiques grecs et
qui r e c o u r e n t au S o l e i l ou à ses équivalents, la plupart visent
à donner au magicien la clairvoyance, l'esprit prophétique. On
s'adresse au Soleil, matin et soir, au soleil levant et (ou) couchant
(PGM, I, 55 ss., 132 ss.; III, 95 ss., 129 ss., 325 [soleil levant],
6 8 9 ; IV, 930 [id.]; 1928 ss.; VI, 1 ss., 2 9 ; VII, 505 ss.). On peut
combiner le lever du soleil avec le lever de la lune (III, 325,
3 3 8 ; VI, 39). Les deux réunis représentent l'ensemble des forces
lumineuses du ciel. Le soleil est au plus fort à midi, heure qui
par conséquent est prescrite PGM, III, 6 1 2 ; IV, 173 (oracle de
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Typhon), 7 6 2 (pratique de Mithra); cf. ib., 2992, XII 45 πτεροφυής


μεσουρανών τύραννος, dit du canthare.2 La systase est limitée au
troisième jour de la lune, (IV, 169). Enfin toute la «chaîne hé-
liaque », toutes les sympathies de la σειρά du soleil,3 toutes les
énergies de ses douze apparitions sont invoquées dans la systase
(selon l'interprétation qui se présente naturellement au. lecteur)
III, 4 9 4 ss.; nous retrouvons le même plan schématique de la
prière au Soleil IV, 1649 ss. (cf. Il, 1 0 5 ; XII, 88).
D'ailleurs on ne s'étonne pas que le soleil couchant soit le préféré
quand on invoque les. âmes, les démons des morts, III, 94 et suiv.
(dans la pratique avec un chat mâle noyé, un «Esiès», qui va procurer
la victoire à des conducteurs de chars dans l'amphithéâtre, à des
amants, etc.); Dans une pratique pour obtenir l'amour d'une femme
à l'aide des âmes des morts, la même heure est recommandée
pour la prière insistante (έξαίτησις) adressée au Soleil (IV, 334 ss.,
434 ss.). Inversement, dans la pratique mithriaque (IV, 475 et suiv.) ;
quand le devin désire lui-même monter au ciel afin de contempler
le Suprême Dieu, il doit montrer, dès l'aube, au soleil,une feuille
de perséa portant huit lettres magiques, pour obtenir que le dieu
1
Les soi-disant philosophes avaient aussi un respect excessif, même une
passion pour la mantique (y compris l'oniromantique) ce que Damascius
reproche à Patricius, Vit. Isid., 133 (cf. Suid. s. Ουδέν et Χωρίς, Asmus, l. c.,
p. 79). Patricius a lui-même professé l'art du devin, il a aussi professé
« l'art hiératique » en général; c'était donc un théurge qui avait sa clientèle.
2
Le Soleil est prié de ne pas éblouir par son éclat les yeux du magicien
(PGM, IV, 238).
3 Cf. Bidez dans le Catat. alchim. grecs, tome VI, 1928, p. 144 et suiv.
(sur Proclus, περι της xα' Ελληνας ίερατιxης τέχνης).
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 59
écoute la prière (ib., 1. 784). Parceque le soleil est la source- de
la lumière, qui fait que l'homme peut voir, on le prie aussi
d'assister quand on veut se rendre invisible (I 222 ss. άμαύρωσις,'
au moyen d'une chouette et d'un scarabée). Pour obtenir que sa
propre ombre soit transformée en serviteur, on prie encore une
fois le Soleil, cette fois-ci à midi quand l'ombre disparaît presque
en Egypte (III, 612). Le Soleil tout-puissant peut prêter son
assistance au magicien dans toutes les circonstances de la vie,
cf. PGM, IV, 1596 (ή κατά πάντων τελετή, «initiation bonne pour
tout»), ib. 1. 1167; XIII 338 et suiv. (cf., en outre, la prière de
salut, une ^υαττική, I, 196; XXXVI, 212). Dans l'hymne homérique
à Demeter, le Soleil seul indique à la mère affligée l'enlèvement
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de sa fille. Par contre, dans la magie des papyrus, le Soleil, prié


selon les règles prescrites, amène lui-même à l'amant celle qu'il
aime, VII, 981 (en enflammant le cœur de la femme désirée).
Enfin le même dieu tout-puissant, maître des oracles, est prié
d'aider la mémoire du devin (III, 467). On se rapelle la « Source
de la Mémoire», mentionnée dans les tablettes orphiques; une
source, portant le nom de,, la même déesse et appartenant à l'oracle
de Trophonios, doit avoir été reprise de la tradition orphique.
Il sera difficile de séparer ces. pratiques des magiciens gréco-
égyptiens de celles des théurges. Écoutez, par exemple, Eunapius
racontant le caractère extraordinaire d'un jeune homme qui «était
tout âme quoiqu' il ne fût qu' un homme - (όλος είναι ψυχή). « II
n'avait qu'à se mettre la couronne et à regarder le soleil, aussitôt
il produisait des oracles qui n'avaient point de fautes métriques »
(Vit. Chrysanth., p. 117 Boiss.). Une femme cilicienne qui la
première lut l'avenir dans les nuages adressait toujours une prière
au Soleil avant de procéder à la divination (Damasc, VU. Isid., 69).'
Le soleil était pour les « hommes divins » le sauveur, sauveur de
l'âme et du corps. Une anecdote, racontée par le même Damascius,
admirateur superstitieux de son maître, démontre le rapport étroit
entre Asclépiodote, le médecin philosophe carien, et le soleil. Il
avait été le pédagogue d'Isidore, « le grand ». Une fois, entraînés
par les flots du Méandre, ils furent en danger de mort. C'est tout
juste si Asclépiodote a pu revenir à la surface de l'eau et regarder
1
Des présages, tirés de l'apparence du soleil, n'étaient pas inconnus à
Apollonius de Tyane, selon Philostr., Vit. Αρ., V, 25.
60 . 5. Eitrem
le soleil, en prononçant: «Nous mourons». Il «a pu aussi ajouter
quelque mystère » (καί τι προσθ-εΐναι και απόρρητον ήΒυνήθη,ΟβηΊβεο.)
— probablement quelque « nom fort » du soleil ou quelque formule
mystérieuse, connue des théurges et des magiciens — ; « aussitôt,
déjà à moitié morts, ils se sont trouvés en sûreté sur la rive.
Personne ne pouvait expliquer de quelle manière ils s'étaient
sauvés (Damasc, ibid., § 1 1 6 ) . .
Trois fois dans la journée Proclus faisait la prière au Soleil, au
lever, à midi, au coucher (Marinus, /. /., 21 1 ) — et nous pouvons
aisément deviner ce qu'il a avant tout demandé au « roi du feu
intellectuel», cf. son hymne ad Soleil, v. 3 5 : « P u r i f i e - m o i de
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chaque péché de transgression», » i l l u m i n e - m o i ». . L a «lumière


p u r e » des rayons du soleil est relevée PGM, IV, 461. (dans un
hymne). Si la rencontre.avec les dieux en général purifie le philo-
sophe, le tháurge,3 cette purification garde sa valeur surtout à
l'égard du soleil. Pour nn Proclus la :mort était identique au feu
de l'âme s'uriissant au feu des astres, áu feu divin: (cf. les épi-
grammes de Proctus, Vit. Prodi, 28). Sa mort s'accordait avec
cette conviction du philosophe, le soleil s'éclipsant (Vit., 37). Les
hémérographes notent que l'anniversaire de la mort du philosophe
aurait été' commémoré de la même manière (ibid.).
A propos du grand rôle que jouent la vue et les visions dans
les pratiques dont il est question ici, il ne serait pas superflu
d'attirer l'attention sur l'intérêt. que portent les écrivains, en par-

1 Apollonius de Tyane adorait, comme les autres néo-pythagoriciens, le soleil


le matin (en outre à midi, Philostr., l. c., I 31, etc.; Festugière, op. cit.,
p. 80, n. 1). De plus, Proclus adorait la nouvelle lune, vit. Procli,
C. 1 1 : προσχυνεΐν.
2 Selon la doctrine des Brahmans la m a n t i q u e purifie l'âme, Philostr.,
Vita Apoll. III 42 (c'est leur chef, larchas, qui parle): εϊοί τε υπ' αυτης
γίγνονται xαι προς σωττρίαν ανρώπων πράττουσι. De même, selon Porphyre,
la t h é u r g i e , les visions des divinités purifient les hommes, Aug. de
civ. Dei, X. 9. 27 (mais le même Porphyre fait observer que ces rites
sont superflus pour les vrais philosophes — on doit s'apercevoir déjà de
la réaction!). Sur la vision de Thessalus en Egypte (Cat. cod. astrol. V, 3,
p. 137; V, 4, p. 257) voir Cumont, Mon. Piot, XXV, 84. Des théurges
comme Antonius d'Alexandrie (Suid.) et Heraïscus (ib., s. v., cf. art. σίδωρος)
ont passé « la plupart de leur vie » dans les temples. La réaction psychique
qu' a causée la contemplation condinue des statues des temples a été
lumineusement mise en relief par. Cumont, l. l.
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 61

ticulier les biographes, et les artistes de cette époque à l'expression


de l'œil des différentes personnes dont ils s'occupent. Par exemple,
Damascius en décrivant l'ineffable beauté et la vivacité des yeux
d'Isidore, qui réunissaient la grâce d'Aphrodite et la sagesse
d'Athéna, s'exclame: απλώς δ' ειπείν, α γ ά λ μ α τ α ήσαν οφθαλμοί
εκείνοι της ψυχής ακριβή, ου μόνης γε, άλλα καΐ της Ινοικούσης
αύτη θείας απορροής. Donc les yeux d'Isidore reflétaient l'âme
singulière du philosophe, voilà ce qui ne nous surprend pas dans
un genre littéraire comme celui de Damascius. Mais les yeux
d'Isidore, son regard, étaient de plus l'effluve (απόρροια) de la
divinité, disons simplement du Soleil, source de la lumière.1 On
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peut facilement citer encore d'autres passages aussi caractéristiques,


par exemple Marinus, Vita Prodi, 2 2 : «Ses yeux semblaient se
remplir d'un éclat brillant et le visage participait à la glorification
de la. divinité (έλλάμψεως θείας μετέχειν). Un des auditeurs de
Prcclus également, Rufinus, avait vu le maître, faisant sa leçon,
n i m b é . Conséquemment, la leçon finie, il l'adora comme un dieu.2
Par contre, on faisait ressortir les yeux hideux d'un adversaire
odieux (cf. sur les yeux .de Pamprepius, Suid., s. v.). 11 existait
aussi une mantique oculaire, et les théurges pouvaient, bien entendu,
rien qu' en dévisageant les hommes, percer' à jour leur caractère
(Damasc, /. c, 92). Heraïscus (mentionné par Suid., s. v., pro-
bablement un philosophe néo-platonicien) était tellement comblé
des faveurs divines qu'il était capable, par un seul regard, de
découvrir si les statues étaient animées ou non. On aurait dit que
le caractère divin était reconnaissable par lui-même. La divinité,
source de toute lumière, se vengeait souvent des impies (par
exemple, des goètes) en les frappant de cécité (cf. Saint Paul,
3
Act. 13, Π).
• Dans l'art du portrait nous pouvons constater la même tendance
à faire ressortir les yeux dont le regard semble pénétrer dans le
1
Cf. Damasc, ib. 32 (en parlant de la vitesse extraordinaire qui caractéri-
sait la pensée et l'imagination d'Isidore): την δε είναι είαν χατοχωχην,
ηρέμα διανοίγουσαν χαι απόxα α ί ρ ο υ σ α ν τα της φυχης ομματα χαι τ ω
ν ο ε ρ ω φ ω τι x α τ κ λ ά μ π ο υ σ α ν εις έαν χαι γνώρισιν του αλη ους xαι του
φεύδους.
2
Le cas de Maximinus, Damasc, l.c., 204 est différent; il avait simplement
la jettature.
3
Cf. Dornseiff, Archaische Mythenerzählung, p. 33 et suiv.
62 S. E it re m
lointain indéfini. C'est justement l'époque de Constantin le Grand
qui marque ce changement.1 Les yeux grandsouverts de l'empereur
soulignent, pour ainsi dire, le caractère surhumain de la Majesté.

3.
Dans sa vie de Plotin (Vit., 10), Porphyre nous raconte un
épisode qui jette une vive lumière, sans doute un peu frappante,
sur les rapports du philosophe platonicien avec les magiciens. On
n'a pas, à ma connaissance, assez souligné la portée de ce récit.
Pour la mentalité de l'école platonicienne, à une époque postérieure
vacillant entre la philosophie et la magie, l'épisode est d'un intérêt
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capital, et il faut en considérer les détails d'un peu plus près.


Voici ce que Porphyre nous rapporte sur le sujet en question;
sa source a dû être en dernier lieu soit Plotin lui-même, soit
l'ami de Plotin qui avait servi d'intermédiaire entre le philosophe
et le magicien. Plotin avait fait à Rome la connaissance d'un
prêtre égyptien qui lui avait été présenté par un de ses amis. Le
prêtre « désira faire preuve de sa science » (σοφία, disons sa con-
naissance de la technique magique et mantique) et invita le philo-
sophe à une entrevue avec son « propre démon », ou son « démon
familier » (ΙτΛ θέαν άφικέσθο« του συνόντος αύτω δαίμονος καλου-
μένου). Plotin n'y vit pas d'objection, et on se mit d'accord sur
le lieu de rencontre, le temple d'Isis, « le seul local rituellement
pur à Rome », comme disait l'Egyptien. On retrouve la même règle
dans les papyrus magiques, où une «chambre pure» ou quelque
lieu analogue est strictement prescrit pour l'opération. Un temple
répond bien à la » nature divine » de Plotin et anticipe en quelque
sorte sur le caractère du démon qui doit apparaître. La réunion
intime eut lieu. Etaient présents: le prêtre, Plotin, son ami. L'ami
tenait dans les bras des oiseaux · comme protection » (φυλακής
ένεκεν). Le prêtre évoqua le démon, et le démon obéit à l'adjura-
tion du prêtre, peut-être aussi à son sacrifice magique (nous devons
compléter en ce sens le récit fort abrégé de Porphyre). Au grand
étonnement de tous, le démon était — un dieu, ce qui semble
indiquer que le commerce de Plotin avec les immortels et le monde

1
Cf. H. P. L'Orange, Studien zur Geschichte des spätantiken Porträts
(1933), p. 54, p, 91: Symb. Osl., XIII (1938), p. 116.
La íhéurgie des néo-platoniciens, etc. . 63

éthérien était plus intime encore que ne le supposait sa qualité


de dieu transformé en philosophe.
Cette rencontre de Plotin avec son démon familier est confirmé
d'une manière frappante par Ammien Marcellin, 1. XXI, 14: ferunt
enim theologi, in lucem editis hominibus cunctis — salva firmitate
fatali — huis modi quaedam velut actas reciura numina sociari,
admodum tarnen paucissimis visa, quos multíplices auxere virtutes.
Idque et oracula et auctores docuere praeclari, etc. Dans la suite,
l'historien, se fondant sur l'autorité de ces « célébrités », soutient
que les entretiens que les héros homériques, les grands politiques"
et philosophes — il nomme à la fin Hermesque Termaximus et
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Tyaneus Apollonius atque Plotinus — ont eus avec les dieux, sont
dus à leurs démons familiers, non pas aux dieux, et précisément,
à l'égard de P l o t i n , il ajoute quelques mots sur la théorie
en question: ausus quaedam super hac re disserere mystica alteque
monstrare, quibus primordiis hi genii, animis conexi mortalium, eas
tamquam gremiis suis susceptas tuentur (quoad licitum est) docentque
maiora, si senserint puras et a conluvione peccandi immacùlata
corporis societate discretas. Sans doute, Ammien qui n'a qu'une
connaissance superficielle de la philosophie philonienne, se réfère
principalement aux Ennêades, I. III, 4, 3 et suiv. (p. 284 et suiv.) 1
Quand il fait mention de l'élite des morts que « leurs vertus
multiples ont fait pousser hors des limites fixées aux hommes »,
nous pensons aux méthodes, aux c a t h a r s e i s des théurges qui
élevaient les philosophes au plus haut degré de l'apothéose, à la
contemplation. Plotin a lui aussi, à sa manière, parlé du démon
qui accompagne l'homme durant la vie, mais il l'a, pour ainsi dire,
scindé en plusieurs démons, se succédant l'un à l'autre, pour
aboutir au Dieu (III, 4, 6) : νους γαρ ενεργεί εν τούτω, ή οδν
δαίμων αυτός ή κατά δαίμονα («au lieu d'un démon») καΐ δ α ί μ ω ν
τούτω θ ε ό ς .

La méthode que suivit le prêtre pour évoquer le démon de


Plotin était évidemment une αυτοπτος σύστασις pure et simple,
dont nous avons bien des spécimens dans nos papyrus, comme
nous l'avons vu. Donc le caractère égyptien de la pratique est
évident. Probablement Plotin lui-même, natif d'Egypte, n'était pas
1
W. Scott, Hermetica, vol. IV, p. 178 met en parallèlle aussi Corp. Herm.,
Χ, 23; Plut., De gen. Socr., 22 (se fondant sur Plat., Tim., 90 A).
64 5. Eitrem
tout à fait ignorant en cette matière. Mais que faire des oiseaux
• nécessaires à cette αΰτοπτος? . Dans nos recettes il n'est pas
question d'oiseaux servant de- phylactère et le récit de Porphyre ne
peut pas avoir la valeur d'une attestation authentique. Sa remarque
sur la conduite de l'ami de Plotin durant la scène de l'évocation
fait naître des doutes. L'ami, étranglant les oiseaux dans ses mains,
avait selon Porphyre empêché le prêtre d'examiner le démon plus
minutieusement. L'ami aurait agi ainsi soit par jalousie, soit par
crainte — motifs aussi invraisemblables l'un que l'autre. Peut-être
le prêtre a-t-il lui-même fait usage d'une telle défaite pour s'excuser
sur l'apparition trop passagère du démon. Sans doute, l'ami de
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Plotin tenait les oiseaux dans les mains selon les instructions du
prêtre, et il faut supposer que les animaux étaient destinés à un
sacrifice, non pas à tenir à l'écart des puissances ou démons
hostiles à l'opération. Dans nos papyrus il se trouve une recette
à évoquer le démon familier (PGM, VII, 5 0 5 — 5 2 7 ) ; à vrai dire,
seule l'invocation du Soleil, conçu comme le principe de »toute
la combinaison cosmique *,' nous reste de l'opération magique. 11 y
avait certainement différentes méthodes pour de telles systases avec
son propre démon; la recette en question est, au moins à l'égard
de la κλησις, pénétrée de la théosophie la plus élevée (cf. Reitzen-
stein, /. c), digne de la théurgie greco-égyptienne. Mais le prêtre
égyptien de Rome a vraisemblablement, pour évoquer le démon
de Plotin, utilisé une recette toute différente, s'il faut en juger
par le sacrifice considéré comme nécessaire à l'opération. Les oiseaux
étranglés nous rappellent la pratique que nous trouvons dans les
PGM XII, 15 et suiv., et qui était destinée à animer un Éros et
une Psyché en cire. La consécration et « divinisation » (άφιέρωσις)
dont il .s'agit, demande trois jours. Le premier jour le magicien
étrangle sept oiseaux (tous d'une nature erotique, conforme à l'Érds),
le second et le troisième un oisillon. Nous n'entrons pas ici dans
le détail, nous soulignerons seulement que chaque fois le magicien
« approche l'oiseau de l'Éros, en le suffoquant, afin qne le souffle
entre dans l'image », comme dit le texte. L'origine égyptienne de
cet usage rituel est certain, et il n'est pas nécessaire d'y insister.2
1
Reitzenstein, Die hellen. Mvsterienrel (3e éd.), p. 176, 226.
2
Cf. Festugière, L'idéal religieux des Grecs, p. 297. et suiv. (cf. p. 123).
L'usage du souffle dans les exorcismes judaïques et chrétiens (cf. aussi
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 65

Seulement, nous relevons le sacrifice d'un coq sans tache et d'une


colombe pareille, prescrit dans le « livré sacré de Moïse » : le
dieu en arrivant « surprendra le souffle » dès oiseaux qui cette
fois sont saignés et brûlés (PGM, XIII, 3 7 2 : ίνα οδ έαν βούληται
«ίσελθών δ θεάς πνεύμα λάβν)). De même dans les PGM, XII, 332
(δότε πνοήν τω 6π' έμοϋ κατεσκευασμενω μυστηρίω), le souffle
(disons le vent pour rappeler la doctrine des éléments ici utilisée,
comme dans l'appel du démon familier ci-dessus) donne la vie à
un anneau magique, mais cette fois c'est le souffle des dieux
invoqués qui fait le miracle. Le vent, comme la lumière (le feu),
est bien l'élément de la vie par excellence, « l'élément masculin »,
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la vie elle-même. Dans « le livre sacré de Moïse » (PGM, XIII,


845), le dieu de son côté est prié de souffler sur le magicien
suppliant: ενπνευσον άπ' έξάσθ<ματος, πο>λοκράτωρ (leçon de Prei-
sendanz), τω υπό σε αντί.
Plotin a apparemment cherché à voir son propre démon. Et beau-
coup de ses disciples ont sans doute suivi son exemple, ce qui a
contribué au ton élevé de leurs prières (cf. nos papyrus magiques).
Selon Ammien (voir ci-dessus), les plus vertueux pouvaient seuls
atteindre à une telle vision. Outre PGM VII, 505, le livre saint de
Moïse (ib., XIII, 710) mérite être considéré:.le dieu invoqué nomme
à la fois le démon et l'horoscope, et même le lieu où la personne
en question vivra et mourra. La nécyomantie a été pratiquée à
Rome depuis Nigidius Figulus (Cic, Tase, I, 3 7 ; De divin., I, 132), 2
mais c'est là une autre pratique, comme aussi celle qui tendait à
le même usage dans la confirmation) est différent; c'est un rite apotro-
païque. Différente est aussi la suffocation des animaux de sacrifice chez
les Indiens anciens (Oldenberg, Religion des Veda, p. 357). Sur le souffle
magique, voir les PGM, III, Vocabulaire s. πνεύμα (πνεΐν, πνοή). Sur l'usage
des oiseaux comme animaux de sacrifice en Egypte, cf. les animaux brûlés
pour Isis à Tithorêa en Béotie: des oies et des pintades (meléagrides),
Paus. X, 39, 9 — « c'était la manière de sacrifier des Egyptiens ». Les
oiseaux saignés et brûlés ont également donné le « souffle » aux dieux
(cf. PGM, XIII, 372, 377). Comparer les sacrifices quotidiens d'oiseaux
de Caligula, accompagnement rituel de l'apothéose qu'il fit de lui-même
(Suet, Cal., 22), et mes remarques là-dessus, Symb. Osl., X, p. 53. Voilà
une réfutation éclatante de l'allégation d'Agrippina, mère de Caligula, Tac.,
ann., IV, 52: non in effigies matas divinum spiritum transfusum; du
moins les αγαλματοποιοί prétendaient le savoir mieux.
2
Voir Cumont, Mon. Piot, XXV, p. 81, sur le spiritisme néo-pythagoricien.
5 — Symbolae Osloenses. XXII.
66 S. Eitrem
évoquer un démon parèdre. Plus tard, le philosophe (?) Maximinus,
qui n'avait pas quitté la religion païenne — il resta-« Hellène » —
et pour cette raison fut mis à mort à Byzanze (comme δυσσεβων),
nous est présenté comme le « contemplateur des fantômes (φασμάτων
θεατής); il pouvait évoquer et repousser des démons destructeurs »
(Damasc, Vit. ¡sid., 204). Certains philosophes se laissaient donc
séduire par la chance de nuire à leurs ennemis à l'aide des démons,
c'est-à-dire de la magie noire; mais nous nous souvenons aussi
des prêtres du culte égyptien que le rite a égarés et poussés à
des débauches sexuelles.1 Déjà Plotin lui-même avait éprouvé le
danger qui le menaçait de la part d'un concurrent versé dans l'art
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démoniaque. L'Alexandrin Olympios, élève d'Ammonius Sakkas


comme Plotin, était jaloux de la célébrité grandissante de son rival
et cherchait à le perdre à l'aide des astres (ou du soleil, ,άστρο-
βολησαι αυτόν μ α γ ε ύ σ α ς έπεχείρησεν, Porphyre., Vit. Plot., 10).
Plotin, de son côté, repoussa l'attaque en'.disant seulement: «Main-
tenant le corps d'Olympos se contracte comme une bourse dont
on tire les cordons » — λέγων αύτω το σώμα τότε ώς τ « σύσχαστα
βαλάντια ελκεσθαι. Ce qui,.· en vérité, se manifesta si puissamment,
c'était, dit Porphyre, «-la force psychique de Plotin».
Nous constatons seulement que l'un et l'autre philosophe n'avaient
aucun doute sur la réalité de ces puissances mystérieuses. La
magie, l'apparition des fantômes, l'existence des démons étaient un
fait réel hors de discussion pour tous ces philosophes platoniciens,
comme elle l'était aussi pour les Chrétiens). 2 Aussi ne peut-on nier
qu'il y ait des points de similitude entre ces croyances et celle des
sorciers chez les peuples primitifs, formulée ainsi par Hubert et
Mauss (L'Année sociologique, VII, p. 87, cf. ibid. p. 36) : «L'esprit
que possède le sorcier se confond avec son âme et sa force
magique: sorcier et esprit portent souvent le même nom». Les
textes magiques des papyrus grecs nous montrent les mêmes

1
Joseph., Ant., XVIII 65 (an 19 après J.-Chr,); Rufin., Hist. eccl., XI 25
(Reitzenstein, l. c., p. 246).
2
v. Wilamowitz (Der Glaube der Hellenen, II, p. 525 et suiv.) s'attache à
la thèse de Lobeck (Aglaophamus, I, p. 109) en écartant l'idée que Plotin
aurait subi l'influence de la magie égyptienne. Mais alors, que faire du
récit de Porphyre? Ce n'est certes pas la pure curiosité qui a dirigé les
pas du philosophe dans le temple d'lsis.
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 67

rapports entre le magicien et le dieu, mais transposés sur un autre


plan: «Tu es moi et je suis toi. Ton nom est le mien et mon
nom est le tien, car je suis, moi, ton image« (PGM, VIII, 36, 50);
«Seigneur, entre dans mon âme et accorde-moi la mémoire» (ib.,
Ill, 415); « O ma vie, demeure, demeure, toi, dans mon âme»
(ib., IV, 710 — il faut lire: μένε συ, μένε, au lieu de μένε συ,
1
νέμε), etc. C'est l'état même où le théurge converse avec son dieu.

4.

Arrêtons-nous un peu au démon mentionné par Ammien,


1. X X I , 14. Peut-être projettera-t-il de la lumière sur l'attitude de
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Plotin théoricien et praticien. Ce passage a été suggéré à Ammien


par le g e n i u s de Constance qui avait abandonné l'empereur, ce
que celui-ci avait interprété comme un mauvais présage: il y avait
vu le signe de sa mort prochaine. C'est dans ce sens qu'il en
avait parlé avec ses intimes. La description du démon familier de
Constance est très révélatrice de son état d'âme et de son caractère:
confessus est iunctioribus proximis, quod tamquam desolatus secretum
aliquid videre desierit quod interdum adfuisse sibi squalidius aesti-
mabat, et putabatur genius esse quidam, tutelae salutis adpositus,
eum reliquisse mundo citius digressurum. C'était une croyance
répandue que le démon particulier d'une personne disparaissait ou
mourait (cf. le genius) à la mort de cette personne.2 La conception
du « démon familier » est à peu près la même dans la magie.
Cependant, le magicien sait l'utiliser à son profit. Et il sait bien
tenir sa supériorité sur ce point: il sait procurer à son client un
démon au gré de ses désirs, un démon p a r è d r e qui sera son
serviteur obéissant et qui ne le quittera jamais, pas même dans la
mort (PGM, I 42 et suiv.; 1. 165) — un démon qui s'appelle
aussi indifféremment ange (1. 173, cf. l'usage dans les LXX), 3
souverain de l'air (1. 128), dieu (1. 8 3 , 86, 88 ευεργέτη; θεός, 97),

1
Cf. Festugière, l. c., p. 317.
2
Avec le démon impérial dont le départ annonce la mort prochaine de
Constance on pourrait comparer Dionysos et son cortège quittant Antoine
avant sa défaite finale et sa mort (Plut., Anton., 75).
3
Chez les Grecs modernes on trouve la superstition que l'homme, en
mourant, voit son ange; comparer Rennell Rod, Customs and Lore of
Modern Greece, p. 113.
68 S. Eitrem
et même « dieu des dieux » et Aiôn (1. 164). Ce démon vient
directement du ciel, de la sphère astrale l . Il est un astre « qui se
délie de l'univers — αστέρα εκ του καΦολικοϋ άναλυό|Αενον — et
devient, un dieu» (I. 154). Naturellement il doit être également
maître de la Fatalité, de l'Heimarmené, quoiqu' il ne le dise pas
expressément, en opposition directe avec le démon que mentionne
Ammien. De plus, le démon du magicien est maître des autres
démons (1. 112), il lutte contre tous les malins démons (1. 115).
En dernière analyse, il est, de sa nature, un Agathodémon. Il peut
aussi faire prendre à son favori toutes les formes désirées (I. 117,
cf. Simon Magus, Clem. Rom., II, 14). En d'autres termes, ce
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démon est lui-même sorcier consommé. Mais conformément à son


origine céleste il retournera dans les airs quand sa fonction terrestre
sera terminée et qu'on n'aura pas besoin de son assistance (1. 184).
Il est d'une importance eminente pour la mantique, car il connaît
les décrets des dieux (1. 76). Finalement l'homme dont il est le
compagnon est vénéré comme un dieu (1. 191) — comparer le
démon divin de Plotin et Plotin lui-même divinisé par ses élèves.
Dans ce démon et dans la pratique qui se rattache à lui nous
reconnaissons bien des traits qui ont leur origine dans les croyances
du peuple,2 et mémo dans les contes et les songes.3 L'interdiction
de manger du poisson doit être d'origine égyptienne (1. 1 0 4 ; cf. la
légende osirienne).4 Relevons aussi la sollicitude que le démon
témoigne pour le cadavre du défunt lorsque l'âme quitte cette vie
des mortels; il «l'ornera comme il convient à un dieu» (1. 177).
Néanmoins, cette conception semble impliquer une réminiscence
platonicienne. Les lignes 177 ss. sur le soin que prend le parèdre
de l'âme du défunt pourraient indiquer une influence de Phédon,
1
Sur ia théorie astrologique, cf. la note de Kiessling-Heinze, Hor., ep., II, 2,
187: scit Genius, natale comes qui temperat astrum.
2
Déjà Hésiode, Trav. et J., 122 et suiv., a introduit dans la poésie épique
les « démons » en qualité de gardiens des hommes qui errent partout et
et qui distribuent des richesses; cf. PGM, I, 100 et suiv. Certainement
ces daimones d'Hésiode ne sont pas identiques aux démons particuliers
des individus (voir l'édition de Mazon, p. 72, note 1) — et cependant ce
ne sont pas, à proprement parler, des dieux.
3 Sur l'extase des mystiques, cf. L.-F. Alfred Maury, La magie et l'astro-
logie dans l'antiquité et au moyen âge, 3 e éd. (1864), p. 416.
4 Abt, Die Apologie des Apaleius, p. 69, 2. Hopfner, O.Z., I., p. 110.
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 69

p. 107 D τέλευτησαντα εκαστον ο εκάστου δαίμων, όσπερ ζώντα


είλήχει, ούτος άγειν επιχειρεί εις δη τίνα τόπον (cf. aussi Axioch.,
p. 371 C). Mais la combinaison du démon et de la Fatalité, familière
à Platon (Re'publ., X 620 D [τήν Λάχεσιν] έκάστω, δν εϊλετο δαί-
μονα, τούτον φύλακα ξυμπέμπειν του βίου και άποπληρωτήν των
αίρεθέντων), est étrangère à ce magicien, à moins qu'on n' accentue
le rôle de l'astre, d'où le démon tire son origine (1. 74, v. supra).
On n'y retrouve pas non plus la démonologie de Plotin, dont l'âme
devient son propre démon, qui a lui-même un autre démon supérieur
(Enn., III, 4,3).' Toutefois, chez Plotin aussi les démons sont
sensibles aux charmes (Enn., IV, 4,43); il a lui-même, comme
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nous l'avons vu, éprouvé la vérification de cette thèse, en visitant


le temple d'Isis à Rome. Avant de quitter le démon des magiciens,
le parèdre, nous relèverons l'opération spéciale dont il se vante:
il sait à son gré allumer et éteindre les lampes (1. 125). On se
souviendra, entre autres choses, des torches d'Hécate qui s' allu-
maient spontanément selon la volonté du théurge Maxime (Eunap.,
Vit.Maximi, 89, p. 51 Boiss.; cf. PGM, XII, 11). 2
Toute cette pratique, élaborée d'après bien des sources différentes
(cf. 1. 46), s'appellait d'après un prêtre égyptien « l e p a r è d r e du
h i é r o g r a m m a t e P n u t h i o s » . Elle peut servir d'exemple de la
magie syncrétique qui provenait des centres religieux gréco-égyp-
tiens, tels qu'Alexandrie. On ne peut guère nier qu'il n'y ait là
des traits dignes des théurges, du moins des théurges de qualité
inférieure. La loi de la s y m p h a t h i e se fait valoir dans l'appareil
de la pratique (1. 60 et suiv.). Surtout les prières adressées au
Soleil et à la Lune ont un caractère nettement théurgique (v. supra).

5.
La vie de Proclus (ch. 28), citée ci-dessus nous renseigne
sur la prononciation des prières des théurges. L'usage des « Chal-
déens », communiqué à Proclus par la fille de Plutarque, a, à ce
1
Citons cependant saint Augustin, de civ. Dei X, 9, où il rappelle la con-
ception de Porphyre sur le rôle des démons et des anges: quamquam
itaque discernat (sc. Porphyre) a daemonibus angelos, aëria loca ease
daemonum, aetheria vel vel empyria disserens angelorum, et admoneat
utendum alicuius daemonis amicitia, quo subvectante vcl paulutum a
terra possit elevari quisque post mortem, etc.
2 Sur les adynata, 1. 114—127, cf. Pap. Osl., I, 141, note; en outre E. Dutoit,
Le thème de l'adynaton dans la poésie antique (1936).
70 S. Eitrem
qu'il semble, donné des règles strictes sur la prononciation dès
prières, des formules et des noms sacrés. Tout cela doit avoir été
compris dans les εκφωνήσεις propres à être emploiyées par les
théurges. Nous trouvons des renseignements aussi précieux que
précis là-dessus dans un article de Suidas (s. δίεσιν, p. 1341,19B).
Asclépiodote, l'élève de Proclus, médecin et philosophe (« le grand
Asclépiodote », Damasc.) s'intéressait beaucoup à l'étude de la
musique, et il savait « former sa voix- encore mieux qu'une figure
de cire » : « conséquemment il savait imiter les voix de tous les
animaux et tous les bruits qu'ils font». Nous avons encore une
note de Suidas sur le même sujet (s. Χαλ8αικοΐς, p. 1583,19 B . ) :
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Asclépiodote aurait appris à Proclus, curieux de connaître la


manière de produire ces sons, à imiter le bruit que font les moineaux
et les poules en s'élevant dans les airs et en battant des ailes.
Ce qui importe ici c'est le fait que Proclus lui-même avait traité
ce sujet dans ses « pratiques chaldaïques » Pour ceux qui ont été
initiés aux mystères de Mithra la chose n'était ni inconnue ni
énigmatique; la liturgie mithriaque a incorporé dans le rituel les
cris et le volètement des corbeaux et le hurlement des lions
(Ps. August., Quaestiones Veteris et Novi Testamenti, Migne, PL,
XXXIV, p. 22 Γ4). 1
Pareil procédé se révèle également à qui examine nos papyrus.
Non seulement on bat des mains, on siffle, on claque dé la langue,2
mais on invoque la déité avec les sons d'un épervier, on mugit.4
Il existe des règles beaucoup plus exactes pour invoquer correcte-
ment les dieux, par exemple la lune (PGM, VII, 758 ss.) « dont
seul laö, le dieu qui a créé le monde entier, connaît la forme » —
« laö qui t'as formée en vingt huit formes correspondantes à celles
du monde (?), afin que tu fasses chaque forme et assignes du
souffle (πνεύμα) à chaque être vivant, à chaque plante de sorte
qu'ils prospèrent». Ensuite nous sommes instruits des signes (σημεΤα)
et des symboles de la Lune; les sons appartenant à chaque jour
(nuit) de la Lune jusqu'au 14 e sont enumeres. Mais le premier
signe est marqué par une distinction toute particulière: «silence»,
1
Cf. A. Dieterich, Eine Mithrasliturgie, 3 e éd., p. 69.
2 PGM XIII, 88.
3 Ib., XIII, 8 6 : χι, sept fois répété (cf. ib., I. 158).
4 Ib., 1. 942.
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 71
et le dernier de la même manière, marquant le point culminant:
« l'irrésistible effluence de la perfection achevée » (τελειότητος
αναγκαστική απόρροια). C'est, bien entendu, la pleine lune qui est
invoquée. Du reste, un riche assortiment de sons de toutes sortes
nous est présenté: claquement de la langue, soupirs, sifflement,
lamentation, cris, aboiement, mugissement, hennissement — puis
encore quatre sons différents: le 10 e jour φθόγγος Ivapjióvio;, le
1 I e πνεύμα φωναεν, le 12 e ήχος άνεμοποιός (murmure du vent,
cf. Lucain, infra), le 13 e φθόγγος αναγκαστικός — tous termes
que le magicien (et, éventuellement, le théurge) connaît, mais assez
obscurs pour nous (bien qu'on observe l'accroissement de la force
inhérente aux différents sons, jusqu'au son irrésistible du 13e jour).
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Le rapport des 28 symboles de la lune avec les 14 sons de la


lune dans sa croissance a été élucidé par Reitzenstein.1 Les sons
et les 14 phases de la lune qui change toujours d'aspect se réfèrent
au grand drame de la création du monde2 (aussi les sons de la
nature ont-ils été créés en même temps que le monde par le dieu
suprême). Ce ne sont que les deux derniers sons, juste avant la
pleine lune, qui «contraignent» la Lune à la soumission; le son
apparemment correspond avec la « c l e f · , enregistrée comme le
dernier symbole (1. 785).
Selon une autre pratique, mentionnée ib., XIII 824 ss., dans
l'invocation du dieu on prononce les différentes voyelles d'une
manière minutieusement indiquée en se tournant vers les quatre
points cardinaux et en disant; «Je t'invoque comme le vent est,
sud », etc. Le magicien et la magicienne sont maîtres de toute la
nature, de tous les êtres, et aussi de tous les sons qui caractérisent
les phénomènes de la nature et les animaux.3 C'est là un thème

1
Poimandres, p. 262 et suiv.
2
La création du monde a eu lieu, à ce qu'il semble, seulement dans la
première moitié du mois (ib., p. 264). Dans les PGM, VII, 765 tout le
mois est compris (σύντρορος, se. φ όγγος).
3 La vision et l'audition sont également importantes pour les théurges et
pour les magiciens — le Dieu se révèle par l'une et par l'autre, cf. Corp.
Herm., I, 6 το εv aol βλέπον xαι αxoϋov λόγος xυρίου εστιν; cf. en Outre le mot
ομμαxόιον, Damasc., Vit. Isid., 273 (της αυτοψίας xαι αxοης αμα). Sur l'usage
dans l'Évangile selon Saint Jean, voir Lyder Brun, Symb. Osl., V (1927),
p. 3 et suiv.
72 S. Eitrem
que nous retrouvons dans la poésie qui s'occupe de la magfë;
aussi chez la sorcière thessalienne de Lucain, Phars., VI, 685 et suiv.:
685. Turn vox, Lethaeos cunctis pollentior herbis
excantare déos, confudit murmura primum
dissona et humanae multum discordia linguae.
Latratus habet illa canum gemitusque luporum,
quod trepidas bubo, quod strix nocturna queruntur,
690. quod stridunt ululantque ferae, quod sibilat anguis.
Exprimit et planctus inlisae cautibus undae
silvarumque sonum fradaeque tonitrua nubis.
Tot rerum vox una fuit.
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Ce n'est qu' alors que la sorcière, exaltée par l'extase, commence


à chanter son épiclèse, ses preces (v. 706). Pour de bonnes raisons,
le Chaos est mentionné dès le début (ν. 696). 1 Il est rare dans
nos papyrus de trouver le magicien chantant au milieu de la prière
récitée, mais cela arrive. Dans la pratique à l'aide d'une lampe
{PGM, VII, 564), toute la formule, composée de mots inconnus,
est chantée (αδων καλώ), probablement comme une litanie. Sur ce
point, les instructions des papyrus sont très incomplètes (cf. les
hymnes, les sept voyelles, les « grands noms » et les formules
coercitives en général).2

6.
On ne peut nier qu'il n'y ait Une similitude frappante entre
les pratiques de Proclus et celles des papyrus magiques également
dans l'appareil externe. Plus on étudie ce côté de la théurgie,
plus on est porté à avouer que saint Augustin, somme toute, a
raison en disant (de civ. dei, X, 9): vel magian vel detestabiliore
nomine goëtian vel honorabiliore theurgian vacant. La colère des
théurges, se voyant classés avec les goètes, est facile à comprendre
— l'accusation de thaumaturgie était trop bien fondée. Un bon
exemple des communs efforts et des communs remèdes des magi-
1
Ce détail de la pratique magique suffit à démontrer l'âge prétendue de
la pratique elle-même; probablement ce trait nous reporte aux temps les
plus reculés de la magie.
2 Cf. PGM, vol. 3, Vocabulaire S. φωνάεις, φωνειν, φωνή.
La théurgie des néo-platiniciens, etc. 73
ciens et des théurges est offert par les roues magiques. Nous
citons encore une fois le précieux Marintis sur la vie de Proclus,
ch. 28: προ δε τούτων (avant que Proclus fît la connaissance de
la théurgie et de sa pratique selon la tradition de Nestor) έν τάξει
ó φιλόσοφος τ ο ι ς Χ α λ δ α ϊ κ ο ΐ ς κ α θ α ρ μ ο ΐ ς καθαιρόμενος, φάσ-
μασι μεν Έ κ α τ ι κ ο ΐ ς φωτοειδέσιν αύτοπτουμένοις ώμίλησεν, ώς
και αυτός που μεμνηται έν ιδίω συγγράμματι. "Ομβρους τε έκίνησεν,
'ίυγγά τίνα προσφόρως κινήσας, και αίιχμων έξαισίων την Άττικήν
ήλευθέρωσεν. Φ υ λ α κ τ ή ρ ι ά τε σεισμών κατετίθετο, και της του
τ ρ ί π ο δ ο ς μαντικής ενεργείας έπειράθη, περί τε της αύτοϋ λήξεως
στίχους έξέβ«λεν. D'abord la force purificatrice de la méthode
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chaldaïque est louée conjointement avec les apparitions resplendis-


santes d'Hécate (qui ont été l'objet d'un traité spécial de Proclus).
Cela ne nous surprend pas quand nous nous rappelons l'épisode
d'Éphèse où Maximus fit voir sa puissance sur la statue de la
déesse dans le temple même d'Hécate, et en même temps nous
nous souvenons des renseignements donnés par Hippolyte sur les
tours de prestidigitations des magiciens justement à l'égard de la
même déesse réf., IV, 85). C'est bien l'école de Jamblique qui se
continue en Maximüs et ses successeurs dans cet art obscur. ' Les
informations sur les roues magiques sont encore plus révélatrices.
Une iynx (un exemplaire en a été trouvé dans les fouilles améri-
caines sur l'agora d'Athènes) s'adapte bien à Hécate-Seléné (Pindare,
Pyth., IV, 214; Théorite, II, 17, etc.). Dans les papyrus magiques
l'attribut d'Hécate (et aussi de Dionysos, d'Aphrodite) est un
rhombas, dont la rotation dans un sens ou dans l'autre attire ou
écarte ce qu'on désire ou déteste.1 Néanmoins, je hésite à rapporter
aussi l'usage des iynges de Proclus à l'excitation des vents, par-
ceque κινήσας syntactiquement appartient au précédent εκίνησε.
Mais cela est sans importance auprès du fait qu'on a recouru
(probablement à la demande du public) au célèbre philosophe dans
de telles affaires. La même explication s'applique aux phylactères
qu'il a imaginés contre les tremblements de terre. En vérité,
Proclus est un digne successeur d'Apollonius de Tyane et des
élèves de Jamblique. Enfin, l e t r í p o d e d'Apollon que Marinus
nomme en dernier lieu peut être illustré directement grâce à nos
1
Voir iufra, l'excursus sur les roues magiques.
74 S. Eitrem
papyrus.1 La manière dont s'exprime Marinus nous donne à en-
tendre que Prpclus a seulement expérimenté le trípode. Nous
savons que le trípode a fait son chemin dans les cercles magiques,
mais apparemment sa force mantique ne semblait pas évidente à
Proclus. Il a lui-même produit des oracles en vers, en hexamètres
irréprochables (cf. supra, p. 59), en état de rêve. En effet, ces
oracles s'adressaient seulement à lui-même, à sa propre vie (Marinus,
l. c). Mais, au dedans de ces limites l'énergie mantique d'Apollon
a été puissante chez ce sage.2 Du reste, Proclus était persuadé
qu'il appartenait à la « série hermaïque » — il s'appuyait à une
apparition — et un songe l'avait convaincu qu'il possédait l'âme
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du pythagoricien Nicomachus (Marinus, ib.). Comme au temps des


Pythagore, des Empédocle, ce sont toujours l è s , thaumaturges et
les prophètes à l'instar d'Apollonius de Tyane qui ont du succès.
Et maintenant les philosophes s'entretiennent avec les dieux.3
Par ailleurs, il semble bien que Proclus ait vacillé de' temps à
autre entre la théurgie et le culte traditionnel et officiel. Il y avait
selon la doctrine de l'école deux sortes de théurgie (v. supra), la
théorique et la pratique, celle-ci représentant (signe des temps!)
un degré supérieur à la science pure. Instruit suffisamment par
les Oracles chaldaïques, Proclus s'est élevé jusqu'à la pratique —
disons,avec Marinus, «chaldaïque» (il désigne ainsi «les rencontres»
avec les dieux). Par contre, quand la fille du « grand » Plutarque
fut atteinte d'une maladie grave, il monta la pente de l'Acropole,
il s'adressa dans une prière instante à Esculape et sacrifia selon
las prescriptions traditionnelles du culte. La malade se rétablit
aussitôt, ce que Marinus attribue sans hésitation à la force théurgique
du philosophe prodigieusement doué par la nature (c. 29 θεουργικα
ενεργήματα). Cette énergie apparaît précisément dans la prière du
théurge, et jusq'à ce point nous ne nous sommes pas éloignés
beaucoup du divin Plotin (cf. en outre Vit. Prod., 17 sur les prières
et les sacrifices de Proclus, sur ses rapports intimes avec Esculape,
ibid., c. 3 0 , 31).
1
PGM, vol. 3, Vocabulaire, s. τοίπους (III, 284 ss. « l'énergie » du « tripode
autoptique » est mentionnée; cf. Marinus sur l'ενέργεια μαντική du tripode).
2
Cf. Festugière. l. c., p. 7 6 : « La philosophie se fait apocalypse, le sage rend
des oracles. »
3
Festugière, l. c., p. 77 sur δμιλεΐν εω, sim.; cf. Marinus, supra, sur Proclus
et ses « conversations avec les autophanies d'Hécate ».
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 75
7.
Cette question se pose: les papyrus magiques, ne sont-ils
pas la meilleure source pour connaître les pratiques de la
théurgie? M. Hopfner (Offenb.zauber, II, § 30) est porté à classer ces
papyrus entre les écrits magiques plutôt qu' entre les produits des
théurges. Mais la notion de théurgie n'était pas très fixe, et il y
avait bien des expédients, bien des cérémonies et rituels pour
influencer l'âme pneumatique et les démons qui contrariaient le
« véhicule » de l'âme pendant son voyage vers les sphères supé-
rieurs. Nous avons renvoyé aux prières adressées au Soleil, et
certainement grand nombre d'entre elles sont bien dignes des
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théurges, sont de vraies τελεταί. Ce n' est pas pur hasard que
le morceau de la gnose hermaïque qu'on a trouvé dans le papyrus
Mimaut, se soit inséré dans une « systase ».* Et dans l'Asclépius
du Ps.Apul. (épilogue, 41 b) et dans la systase adressée au Soleil,
ces sentences rythmées, imprégnées de la ferveur religieuse la plus
vive, marquent en même temps le point culminant et la conclusion
de l'invocation au Dieu suprême. Cependant, qu' y a-t-il dans
toute cette prière qui ne cadre pas avec une prière théurgique,
qui soit indigne d'un théurge? Même en ce qui concerne les
m e n a c e s que profère le magicien, plein de confiance en sa propre
puissance (1. 537 — on serait tenté de dire en sa gnose) — juste-
ment après la première partie.de la prière où il a parcouru tous
les «signes, symboles et toutes les figures» du Soleil — nous
pouvons nous appuyer sur la théorie théurgique, en les rapportant
à un théurge semblable à un Maximus, un Proclus, etc. Jamblique
(de myst., VI 5) mentionne comme, βιαστικας άπειλα; . . . ή γαρ
τον ουρανον προσαράξειν (la même idée IV 2315) 2 ή τα κρυπτά
της "ΙσιΒος έκφανεΐν (cf. LVII 13) 3 ή τα έν άβύσσω απόρρητον δεί-
ξειν ή στήσειν την βάριν (cf. Ill 99, 114, comparer en outre I 114)
ή τα ¡¿έλη του Όσίριδος διασκεδάσειν τω Τυοώνι (VII 8) ή άλλο
•τι τοϋσον απειλεί ποιήσειν. Jamblique sait éviter toute difficulté,

1
PGM, III, 591—609; voir Reitzenstein, Hellen. Mysterienreligionen, 3e éd.,
p. 285 et suiv.
2
A cette menace on doit mesurer la valeur de l'expression des PGM, XIII,
9 1 2 ουρανον αένναον άφ αρτον.
3 Cf. Hopfner, Der alte Orient, III, p. 121 et suiv.; PGM, Vocabulaire,
s. Ίσις.
76 5. Eitrem
en écartant le Soleil et la Lune par ses échappatoires dogmatiques
et en les remplaçant par des puissances intelligibles. Pour ce qui
est de ces menaces, nous citons aussi le traitement des démons
qui sont expulsés des démoniaques, traitement d'origine judaïque,
prescrit dans les PGM, IV, 3 0 0 7 - 3 0 8 5 et ibid., 1227—1264.
Certainement, il n' y a rien qui rappelle la théurgie (le premier
de ces préceptes consiste en quantité d'exorcismes, cf. le Nouveau
Testament et son exorcisme). Mais les adeptes de l'école de
Jamblique et les autres philosophes néo-platoniciens ont parfois
aussi, paraît-il, daigné exorciser les démoniaques. Théosébius, un
des élèves du philosophe alexandrin Heraiscus, ne savait rien de
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la magie, comme nous raconte Damascius,1 « il ne s'était pas mêlé


non plus de théurgie ». Néanmoins il fondit sur le démon qui
avait possédé sa femme; ayant d'abord en vain repris le démon
doucement, il l'exorcisa au nom des rayons du Soleil et au nom
du Dieu des Hébreux. Par conséquent, il y a une proche parenté
entre la magie et la théurgie — Damascius prétend qu'elles sont
toutes les deux également capables des mêmes exorcism es. Ensuite
il tient que les procédés qui ont leur place ici sont si bien con-
nus que tout le monde peut s'aviser du procédé correct. Mais,
chose, étrange, Damascius n' aperçoit pas que la divinité, invoquée
de préférence par ces exorcistes gréco-égypto-judaïques, est précisé-
ment le Iahvé (Ίαώ), auquel s'adjoint tout naturellement la divinité
favorite de ces temps — et surtout des néo-platoniciens — , le
Soleil. 2 D'ailleurs, il faut noter la manière d'agir bien calculée de
Théosébius dont les menaces succèdent à un appel soumis et in-
sinuant. Voilà exactement la technique des exorcistes exercés
(c'est aussi la technique de la diabolé), voir par exemple PGM,
IV, 985 ss., 1036 ss.; 1435 ss.; 2574 ss., etc.
Voici encore un détail bien caractéristique d'un théurge moyen.
Le même Théosébius n'a pas méconnu l'utilité des anneaux magiques.
En se mariant, il a fait présent d'un anneau à sa femme, un
anneau qui devait la rendre féconde; ces espérances frustrées, il
lui a donné un anneau de continence (τον της σωφροσύνης δακτύ-
1
Damascius, Vita Isidori, 56.
2
Aussi se sont-ils attirés l'un l'autre, cf. PGM, XXII b, 12 δ [ εος ό xα ή-
μενος επί του] 'Ηλίου Ίαώ; cf. en outre ibid., IV 3045 δρxίζω σε εον φωσ-
φόρον, etc.
La théurgie des néo-platoniciens, etc. 77
λιον, Damasc, S 59). Cet anneau, il l'avait reçu d'un «Chaldéen»
(§ 311), donc l'anneau avait été préparé selon la méthode la plus
scrupuleuse et rempli de mana. Il suffit de feuilleter nos papyrus
magiques pour apercevoir l'usage répandu de tels anneaux (voir
PGM, Vocab., s. δακτύλιος) et l'importance d'une consécration
solennelle et circonstanciée, d'une consécration qui souvent, ce
me semble, est empreinte de la coopération d'un théurge.1 Les
philosophes théurges qui avaient eux-mêmes, à l'état de sommeil,
fait l'expérience de bien des fantômes, ont donné leur confiance à
la lécanomantie, fait rapporté par Damascius, peut-être un peu
stupéfait, mais néanmoins convaincu de la véridicité de cette sorte
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de divination (S 191, la femme n'a pas fait usage d'huile, mais


d'eau pure). La femme en question était une « femme sainte,
douée d'une nature divine ». L'explication, en même temps la justi-
fication de cette mantique, est fournie par Jamblique, de myst. III,
14, où ce théurge dogmatiste explique l'influence de la «lumière
divine» sur l'âme (sur l'imagination), c'est-à-dire, de la phôtagôgia
(p. 132,10, 133,12, 134,10 Parthey), au sujet de laquelle nous
sommes bien informés par nos papyrus.2 Dans la pratique au
moyen d'une lampe (nommée « systase autoptique », PGM, IV,
930—1114), la phôtagôgia (1.955, suppléée par un κάτοχος, 1. 973,
formule retentrice en forme d' adjuration) se continue par une
théagôgia (suppléée par un έπάναγκος, 1. 1036, formule coercitive);
c'est là un degré de l'initiation également familier à Jamblique
(I.e., p. 92,9, 241,5 Parthey). Quant aux hymnes insérés dans
les épiclèses, on a depuis longtemps observé la parenté de ces
cantiques avec les hymnes Orphiques, les hymnes de Proclus (sans
compter le style de Nonnus). Si les théurges ont mis la main à
ces compositions métriques, supposition bien probable, on ne doit
pas s'attendre à une métrique toujours irréprochable. Isidore, le
maître de l'éloquent Damascius, faisait des hymnes qui selon l'opinion
de son élève (§ 61), péchaient contre les règles métriques. 11 reste à
savoir si les hymnes d'un Asclépiodotus (l'aîné, médecin et philosophe
néo-platonicien, cf. Suid., s. v.)3 ont valu mieux sous ce rapport.
1
Par exemple, PGM, IV, 1755 ss.; V, 213 ss.; XII, 202 ss. 271 ss. Voir
Symb. Osl., XIX (1939), p. 64 et suiv.
2
PGM, Vocab., S. φωταγωγία, φωταγωγός.
3
Nous retrouvons de même l'alliance de la médecine et de la sorcellerie
dans le grimoire démotique (v. supra), col. XVIII, 7, cf. les charmes d'Imhotep.
78 S. Eitrem
Le domaine magique où la pensée et la méthode des théurges1-
se sont surtout fait valoir, ce serait, semble-t-il, l'épiclèse, empreinte
d'une force coercitive à l'égard des divinités invoquées (j'espère y
revenir plus tard). La plus grande partie de la materia mágica
date d'une époque beaucoup plus ancienne, mais cela n'exclut pas
que les théurges aient pu influencer la composition détaillée (grâce
à leur notion dé la sympathie) et l'arrangement en général. Les
formules et les «grands noms» ont probablement leur propre
histoire.

EXCURSUS
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Les roues magiques.


Malgré l'examen des sources qu'a fait M. Gow (Journ. Hell. Stud.,
LIV, 1934), il est très difficile de fixer tous les emplois de ces
termes, ΐυγξ, βόμβος, turbo. En tout cas, la signification de rhom-
bus, βόμβος, est flottante. Tibulle, I, 5,3 a échappé à l'auteur
érudit: namque agor, ut per plana citas sola verbere turben, I quem
celer adsueta versât ab arte puer (cf. Properce, III, 28 b, 35, cité
par M. Gow, /. c, note 17). Sans doute, ce turben est identique
au κώνος; par ailleurs, il s'identifie aussi avec le σφόν8υλος de
Γάτρακτος (fusus, dont nous connaissons l'usage dans l'histoire de
la superstition) et du cardo. C'est peine perdue d'infirmer la valeur
du Schol. Apoll. Rhod., I, 1139; IV, 144. Et. M. 706,29, etc. sur
ce point. Le turbo de Canidia chez Horace, Épod., 17,7, est éga-
lement un βόμβος, dont la rotation peut être renversée en même
temps que le fil (du fouet que la sorcière tient dans la main),
attaché au turbo, peu à peu se dénoue: citumque retro solve, solve
turbinem.
Il faut aussi citer Lucain, VI, 460 (parlant du réveil de l'amour)
traxerunt torti mágica vertigine fili. Enfin il faut ajouter, justement
à propos de la magie de Proclus, Psellus (Migne, CXXII, 1133):
Έκατικος στρόφαλος, etc., aussi nommé une ΐυγξ. D'abord, Psellus
mentionne la « sphère d'Hécate », couverte de caractères magiques,
qu'on tourne en invoquant la déesse (dans les επικλήσεις) à l'aide
d'une lanière de bœuf. La « sphère » était en or et renfermait un
saphir. Ensuite il ajoute qu'on les nomme aussi ΐυγγες; celles-ci
avaient une forme sphérique, triangulaire « ou quelque autre forme »
1
Une indication de leur procédé nous est fournie par les PGM, IV, 1930
2144. Ce Pitys (Bitos, Bitys), nommé ici, est identique au Pitys, l'inter-
prète des écrits hermaïques, prophète d'Ammon, auquel se réfère Jamblique,
de myst, VIII, 5; X, 7; cf. Reitzenstein, Poimandres, p. 108 (se rattachant
à l'opinion de Albr. Dieterich); Hopfner, Offenb.zauber, II, § 250.
La tfiéurgie des néo-platoniciens, etc. 79
— «ils tournent c e s ΐυγγες en produisant des sons in-
distincts, des sons de b ê t e s , tout en riant et fouettant
l ' a i r » . Le magicien (théurge) «rit» comme le fait aussi Hécate
elle-même, commandée par le théurge Maximus à Ephèse (selon
Proel., in Platr. r. p., I p. 127 Kr. le rire divin est «l'énergie
énorme dans l'univers »); il fouette l'air par imitation d'Hécate
dont le symbole est, entre autres choses, un fouet. Les sons de
bêtes rappellent Hécate à trois ou quatre têtes (Lyd., de mens.,
III, 8: tête de cheval, bœuf, hydre, chien; Hopfner, Ο. Ζ., I, p. 211).
Bien des détails concernant ces «sphères» restent incertains, mais
leur rapport avec les prières des magiciens, avec leurs invocations
(qu' on appelait également ΐυγγες, Niceph, Greg, chez Migne, CXLÍX,
540, cf. σύστασις, «prière pour obtenir une rencontre») est im-
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portant et très instructif. Toute la pratique visait à contraindre la


déesse à apparaître. — Les iynges, les roues magiques qu'on a
suspendues aux plafonds des palais, des temples (Philostr., Vit.
Apoll., I, 25,6. il — on les voit aussi sur des vases apuliens) ont
sans doute une signification magique (probablement apotropaïque,
mais avec une nuance qui nous échappe).

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