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ECOLE NATIONALE DES CHARTES

Claire Basquin
diplômée d’études approfondies

ROMAIN ROLLAND

ET

L’AGENCE DES PRISONNIERS DE GENÈVE


(1914-1916)

Thèse

pour le diplôme d’archiviste paléographe


1999

/(B XX9111
ECOLE NATIONALE DES CHARTES

Claire Basquin
diplômée d'études approfondies

ROMAIN ROLLAND

ET

L’AGENCE DES PRISONNIERS DE GENÈVE

(1914-1916)

Thèse

pour le diplôme d’archiviste paléographe


1999
Je tiens à remercier ici tout particulièrement Mme Elisabeth Parinet, professeur à

l’École des chartes, qui a bien voulu accepter de diriger mes recherches et me donner de

précieux conseils et indications,

Mme Marie-Laure Prévost, conservateur au département des manuscrits de la

Bibliothèque nationale de France, qui m’a donné l’idée de ce sujet et qui a bien voulu mettre à

ma disposition de nombreux documents du fonds Romain Rolland,

enfin, M. Martin Morger, responsable de la Division des archives du Comité

international de la Croix-Rouge, à Genève, qui m’a accueillie et conseillée avec beaucoup de

gentillesse.
Avant-propos

Lorsqu’éclate, en août 1914, la Première Guerre mondiale, Romain Rolland est à

Vevey, en Suisse, où il comptait passer l’été. C’est tout d’abord la consternation,

l’incompréhension. Il attend la réaction des autorités morales qu’il pensait garantes de la paix

(le socialisme international, les Églises, les intellectuels). Mais aucune voix ne s’élève. C’est

donc lui qui, un des premiers, se fera entendre. Après avoir adressé au plus grand auteur

dramatique allemand, Gerhart Hauptmann, une Lettre ouverte, qui est publiée dans le Journal

de Genève du 2 septembre, il donne un nouvel article : Au-dessus de la mêlée paraît en

supplément au Journal de Genève du 22-23 septembre 1914. La réponse ne se fait pas

attendre. Dès octobre 1914, des attaques passionnées se déchaînent dans la presse française.

C’est au même moment qu’il décide de se mettre, pour un temps, au service d’une

Agence des Prisonniers de guerre, que la Croix-Rouge internationale vient de fonder à

Genève.

La collaboration de Romain Rolland à l’œuvre de la Croix-Rouge n’est assurément pas

l’aspect le plus connu de la vie de cet écrivain, et peut même paraître surprenante. C’est

durant la Première Guerre mondiale que l’auteur de Jean-Christophe acquiert sa véritable

notoriété, pour devenir au sortir du conflit la figure emblématique que l’on sait, l’intellectuel

qui sera de tous les combats de l’entre-deux-guerres. Ce que l’on retient surtout de lui, c’est

l’image d’un homme demeuré solitaire, en pays neutre, loin des cris belliqueux d’un Maurice

Barrés ou d’un Paul Bourget, loin des champs de bataille et des tranchées où les soldats

s’enlisent : « au-dessus de la mêlée ». Mais que sait-on de son engagement auprès de la Croix-

Rouge ? Peu de choses...

Pourtant, cet épisode méconnu n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît tout

d’abord. Le combat mené à l’Agence des Prisonniers n’est pas bien différent, semble-t-il, de

celui mené dans les journaux : il se fait contre la haine, contre le déchaînement de violences

entraîné par la guerre, pour tenter de préserver, au milieu d’un conflit sanglant et stérile, une

lueur d’espoir en l'humanité. Mais si l’on attend d’un écrivain qu’il prenne position par ses

écrits, en revanche, sa place ne semble pas devoir être sur les bancs d’une agence de

recherches, fût-elle dirigée par la Croix-Rouge.

3
Une étude détaillée des rapports de Romain Rolland avec l’Agence des Prisonniers de

Genève permettrait de mieux comprendre cet engagement pour le moins inattendu, et peut-

être même de porter sur le rôle joué par cet intellectuel au cours de la guerre - rôle auquel rien

pourtant ne semblait devoir le prédestiner - un regard nouveau, différent.

4
Introduction

1. État de la recherche

L’histoire culturelle de la Première Guerre mondiale

Sans vouloir remonter trop loin, il importe cependant de replacer le sujet envisagé

dans le champ d’études auquel il se rattache, c’est-à-dire dans le cadre de l’histoire culturelle

de la Première Guerre mondiale. Pendant longtemps, les études consacrées à cet événement

majeur du XXe siècle se bornaient à en aborder les aspects proprement militaires, ou tout au

moins les aspects liés à cette histoire militaire (les relations diplomatiques entre les différents

Etats belligérants, les causes de la guerre, la stratégie des combats, les gouvernements de

guerre, l’économie de guerre, etc.). Mais cette historiographie - par ailleurs bien souvent

teintée d’un certain patriotisme - s’est renouvelée, s’intéressant désormais plus volontiers aux

phénomènes culturels induits par la guerre.

Depuis quelques années déjà, la recherche s’oriente dans cette voie. On cherche à

comprendre comment la guerre a été perçue à l’époque par ceux qui en furent finalement les

principaux acteurs : les soldats mobilisés, bien sûr, mais aussi les civils1 2. On s’intéresse à

l’opinion publique, avec notamment l’ouvrage de Jean-Jacques Becker, 1914, Comment les

Français sont entrés dans la guerre (Contribution à l'étude de l'opinion publique, printemps-

été 1914), paru aux Presses de la Fondation nationale des sciences politiques en 1977.

Il faut signaler particulièrement les récents travaux menés par Annette Becker et

Stéphane Audoin-Rouzeau, qui codirigent le Centre de recherche de FHistorial de la Grande


'S

Guerre de Péronne (Somme). Le dernier ouvrage d’Annette Becker, Oubliés de la Grande

Guerre Humanitaire et culture de guerre (1914-1918), Paris: Noêsis, avril 1998, fait le

point sur une question jusqu’ici fort peu étudiée : le sort des populations occupées, des

déportés civils et des prisonniers de guerre.

1 Le « front » ne se limite plus à la ligne des tranchées, « l’arrière »aussi devient objet d’étude. Voir à ce sujet
l’étude menée sous la direction de Patrick Fridenson : 1914-1918. L 'Aulre Front, Paris : Éd. Ouvrières, 1977.
2 Se reporter à la bibliographie.

5
Introduction

Les intellectuels et la guerre

Un récent colloque, tenu en Sorbonne en novembre 1996, a rendu hommage aux


'y

écrivains morts au front (Charles Péguy, Henri Alain-Fournier, Louis Pergaud, etc.). Par

ailleurs, deux thèses publiées chez Klincksieck, déjà anciennes, ont abordé la question des

rapports entre guerre et littérature.3 4

Trois études particulièrement intéressantes donnent un bon aperçu, très complet, des

différents choix faits par les intellectuels au moment de la guerre : l’article de Jean-Jacques

Becker et Geneviève Colin, « Les écrivains, la guerre de 1914 et l’opinion publique », dans

Relations internationales, n° 24, hiver 1980, p. 425-442 ; la communication de Jean-François

Sirinelli, « Les intellectuels français et la guerre », dans Jean-Jacques Becker et Stéphane

Audoin-Rouzeau (dir.), Les Sociétés européennes et la Guerre de 1914-1918, Paris : Centre

d’histoire de la France contemporaine - Université de Paris X, 1990, p. 145-162 ; et enfin, le

récent ouvrage de Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie - Les

intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), Paris : La Découverte, 1996.

Dans cette histoire intellectuelle de la Première Guerre mondiale, Romain Rolland

occupe une place à part.

Romain Rolland et la Première Guerre mondiale

La personnalité de Romain Rolland est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, la

correspondance prodigieuse qu’il entretient au cours de la guerre le place au centre de la

pensée de son temps. Parmi ses correspondants, il n’est qu’à citer les noms de Louis Gillet,

Jean-Richard Bloch, Albert Einstein, Maxime Gorki, Bernard Shaw, Frédérick van Eeden,

H.G. Wells, Ellen Key, Stefan Zweig, André Gide, Émile Verhaeren, Hermann Hesse, Pierre

Jean Jouve, Roger Martin du Gard, etc., pour témoigner de la diversité et de la richesse de son

extraordinaire réseau épistolaire, qui dépasse d’ailleurs les frontières de l’Europe et s’étend

jusqu’aux États-Unis et au Japon. Il est en contact également avec les milieux pacifistes de

plusieurs pays. De plus, sa position privilégiée en Suisse, pays neutre, lui permet d’avoir

accès aux principaux titres de la presse européenne. Par ailleurs il veut, au cours de la guerre,

3 Les actes de ce colloque n’ont pas encore été publiés.


4 Voir Maurice Rieuneau, Guerre et révolution dans le roman français (1919-1939), 1974, et Léon Riegel,
Guerre et littérature : le bouleversement des consciences dans la littérature romanesque inspirée par la Grande
Guerre - Littératuresfrançaise, anglo-saxonne et allemande (1910-1930), 1978.

6
Introduction

« faire office de simple scribe », en amassant des « notes et documents pour servir à l'histoire

morale de l'Europe de ce temps » (c’est le sous-titre de son Journal des années de guerre').

Enfin, il prend position, par ses articles, contre la guerre, et fait figure de chef de file des

mouvements contestataires.

A côté d'ouvrages assez généraux sur la Première Guerre mondiale, où l’on accorde à

Romain Rolland une place de choix, il existe de nombreuses études centrées plus

particulièrement sur différentes facettes de son engagement durant le conflit, présentées en

bibliographie.

A la lecture de ces ouvrages, il semblerait que cette période capitale de la vie de

l’écrivain soit déjà bien connue. Pourtant, un aspect a quelque peu occulté, dirait-on, le reste

de l'action de Rolland : c’est bien sûr sa prise de position avec Au-dessus de la mêlée, qui fait

de lui l’une des grandes figures pacifistes de ces années de guerre. Son activité à l’Agence des

Prisonniers de guerre de la Croix-Rouge internationale apparaît souvent, dans beaucoup de

ces ouvrages, comme un fait secondaire, presque anecdotique, sur lequel on passe rapidement

- quand on en parle ! Car plusieurs ouvrages n’y font aucune allusion, y compris dans des

études pourtant assez complètes et centrées sur la période de la guerre.

Que sait-on de Romain Rolland et la Croix-Rouge internationale ?

Dans les ouvrages mentionnant cette collaboration, cet épisode tient en général en

quelques lignes, toujours les mêmes. On se contente de dire que Romain Rolland s’est mis à

la disposition, au début de la guerre, de l’Agence des Prisonniers de Genève, fondée par la

Croix-Rouge internationale, avant d’insister sur sa véritable action, que seule a retenu la

mémoire collective : la publication de ses articles. Certains précisent qu’il y a travaillé de

manière bénévole, ou évoquent la grandeur de la tâche de la Croix-Rouge, à laquelle il a

collaboré - et de dire le dévouement et le désintéressement de Rolland...

Presque tous les ouvrages avancent les mêmes dates : Rolland est au service de

l'Agence internationale des Prisonniers de guerre du 3 octobre 1914 au 3 juillet 1915 - soit

neuf mois seulement (ce qui donnerait à comprendre pourquoi cette collaboration n’est que

rarement, et encore, bien chichement, évoquée). Seul Jean Albertini, dans son introduction

aux Textes politiques, sociaux et philosophiques de Romain Rolland (Paris : Ed. Sociales,

1970), laisse à entendre que la collaboration aurait pu se poursuivre au-delà du mois de juillet

Journal des années de guerre, Paris : A. Michel, 1952, 1907 pages. - « Je m'astreins, aillant que possible, dans

7
Introduction

1915. Pour lui, le départ de Romain Rolland en juillet n’est qu’une interruption, et il

reprendrait son service dès octobre, jusqu’à la fin de l’année. Par la suite, il semblerait qu’il

continue de travailler à l’Agence jusqu’en juin 1916, mais de façon moins constante, avant de

quitter Genève pour n’y revenir que par intermittence (mars 1917).

Trois ouvrages consacrent à Romain Rolland et la Croix-Rouge un chapitre complet.

On trouve tout d’abord, dans la biographie de Romain Rolland écrite par Stefan Zweig au

lendemain de la guerre, un court chapitre, intitulé « Au service de l’humanité»* 6 Zweig y

insiste sur le rôle de l’intellectuel, qui consiste à « mettre sa conscience au service de

l’humanité entière » et à « lutter contre la souffrance et ses mille tourments » - ces propos

n’engageant d’ailleurs que Zweig, et pas nécessairement Rolland. Puis il décrit de façon

pratique, matérielle, l’organisation de l’Agence, et la place occupée par Rolland (« un petit

bureau et un siège de bois brut dans une simple baraque construite en planches »...). Il précise

également que lorsque le prix Nobel lui fut décerné, il en consacra la somme « au

soulagement des malheureux ».

Vient ensuite la thèse de Ursula Pieper-Reutimann, Die Roile der Schweiz in Romain

Rollands politischen Schriften zum Ersten Weltkrieg [Le rôle de la Suisse dans les écrits

politiques de Romain Rolland sur la Première Guerre mondiale], Zurich : Zentralstelle der

Studentenschaft, 1983. Elle consacre un chapitre, «Die Tâtigkeit beim Roten Kreuz

[L’activité à la Croix-Rouge] »7, à la présence de Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers.

Cette étude est la plus intéressante ; d’autres sources viennent en effet compléter les premiers

apports du Journal des années de guerre (qui demeure toutefois le plus abondamment cité) :

quelques extraits de la correspondance publiée de Romain Rolland, quelques lettres inédites,

ainsi que deux ou trois documents publiés sous la direction du Comité international de la

Croix-Rouge, concernant l’organisation de l’Agence. Différents aspects du travail de Rolland

à l’Agence sont abordés, présentant ainsi un premier aperçu assez complet.

Enfin, Pierre Sipriot, dans son récent ouvrage, a aussi consacré un chapitre à cette

question: «À l'Agence des prisonniers de guerre. Croix-Rouge (octobre 1914-juillet


8 •
1915) » . Mais ce chapitre ne fait que reprendre, sans aucun essai de classement cohérent,

ces notes impersonnelles, à faire office de simple scribe, sous la dictée du temps. », Journal p. 725.
6 Stefan Zweig, Romain Rolland, sa vie, son œuvre, trad. française, Paris: Les Éditions Pittoresques, 1929,
p. 206-207. - L’ouvrage est paru en allemand en 1920.
7 Chapitre 2.3, p. 109-126.
s Pierre Sipriot, Guerre et paix autour de Romain Rolland Le désastre de l'Europe (1914-1918), Paris:
Bartillat, 1997, p. 173-182.

8
Introduction

différentes remarques concernant l’Agence consignées par Romain Rolland dans son Journal,

et ne présente aucune analyse.

Il faut signaler également deux études publiées sous les auspices du Comité

international de la Croix-Rouge. La Revue internationale de la Croix-Rouge a publié, en

février 1955, un article de Paul-Émile Schazmann, intitulé «Romain Rolland, collaborateur

de l’Agence internationale des prisonniers de guerre », rédigé à l’occasion d’une exposition

présentée à la Bibliothèque nationale suisse de Berne sur Romain Rolland et la Suisse9. Et

Richard Deming, dans son livre Heroes of the International Red Cross [Héros de la Croix-

Rouge internationale], consacre un chapitre à « Romain Rolland, Deskbound Adventurer »

[Romain Rolland, un aventurier de bureau] : il raconte l’histoire, fort romancée, de la

recherche par Romain Rolland d’un prisonnier français, à l’instigation de la fiancée du

soldat.10

L’intérêt d’une nouvelle recherche

Tous ces ouvrages, ou presque, partent d’une seule et même source - le Journal des

années de guerre : tous citent donc les mêmes extraits, répètent les mêmes anecdotes, laissent

planer les mêmes imprécisions, certaines dues à Rolland lui-même.

Le fait de ne fonder son étude que sur une seule source est fort contestable. D’une part,

le risque est grand de voir se colporter les mêmes inexactitudes, les mêmes incertitudes. C’est

le cas, par exemple, pour les dates : on semble s’accorder à limiter la collaboration de Rolland

au mois de juillet 1915, or l’information en a été trouvée dans le Journal, qui a peut-être été

mal compris. D’autre part, bien des points demeurent obscurs. Certains aspects de la

collaboration, qui ne sont pas mentionnés dans le Journalf, demeurent absents de toute étude -

comme la raison première du choix de Romain Rolland.

Il semble donc nécessaire de compléter les apports du Journal par l’appréciation

d’autres témoignages.

; Paul-Émile Schazmann, « Romain Rolland, collaborateur de l’Agence internationale des prisonniers de


guerre », dans la Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 434, février 1955, p. 140-143.
0 Richard Deming, Heroes of the International Red Cross, réimpr. Genève : CICR, 1982, p. 41-58.

9
Introduction

2. Présentation des sources

Les sources à étudier sont de trois ordres : les sources concernant Romain Rolland, les

sources concernant la Croix-Rouge, ainsi que des sources annexes.

1. Les témoignages laissés par Romain Rolland

Romain Rolland a laissé de nombreux écrits contemporains à son travail à l’Agence

des Prisonniers : le Journal, la correspondance, les articles.

a) les écrits autobiographiques

Le Journal des années de guerre présente un très grand intérêt. On a parlé, déjà, de la

valeur documentaire que lui conférait son auteur ; ce document, conçu en quelque sorte pour

être lu (à la différence de la correspondance privée, qui ne s’adresse qu’à un destinataire

précis), se veut une relation objective des événements. Sa lecture a été privilégiée à celle

d’autres écrits autobiographiques, plus tardifs (comme Le Voyage intérieur), qui donnent des

choses une vision peut-être faussée par le temps. Il faut préciser toutefois que le texte du

Journal a été, sinon retravaillé, du moins recopié à plusieurs reprises par Rolland lui-même,

au cours de la guerre. On peut craindre alors que certains détails, jugés peut-être sans grand

intérêt, aient disparu. Il faut signaler également que la seule édition qui existe aujourd’hui du

Journal n’est pas complète, et présente de nombreuses coupures.11

Est-il besoin de préciser qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant tous les propos

de Rolland, même si l’on dénote de sa part un réel souci de sincérité ? Il est souhaitable de

confronter les renseignements fournis par le Journal à ceux que l’on trouve dans les lettres

qui, une fois envoyées, ne peuvent être modifiées.

b) la correspondance

La correspondance de Romain Rolland est conservée à la Bibliothèque nationale, au

département des manuscrits occidentaux. Une grande partie en a déjà été publiée, du moins en

ce qui concerne sa correspondance avec les personnalités les plus célèbres, dans la collection

11 Voir à ce sujet YAvertissement au Journal des années de guerre, op. ci/., p. 1835-1836.

10
Introduction

des Cahiers Romain Rolland (chez Albin Michel)12. Quelques rares Cahiers présentent une

véritable édition critique, avec introduction, notes, etc. (c’est le cas par exemple du Cahier

n° 27, établi et présenté par Bernard Duchâtelet). Quelques-uns présentent, en plus des lettres

de Romain Rolland, les lettres en réponse de ses destinataires (le Cahier n° 2, le Cahier n° 15,

etc.). Cependant, il ne s’agit en général que d’un choix de lettres, présentées sans aucune

annotation, voire parfois avec de nombreuses coupures non signalées. Aussi s’avère-t-il

parfois nécessaire de consulter les originaux. Par ailleurs, il reste encore un grand nombre

d’inédits.

La consultation des originaux permet de prendre en compte la présentation matérielle

des lettres. Romain Rolland écrivait le plus souvent sur du papier à lettre à l’en-tête des hôtels

où il séjournait, ou sur des feuilles à l’en-tête de l’Agence internationale des Prisonniers de

guerre. Ces détails, qui ne figurent pas toujours dans les éditions de lettres, permettent de

connaître le lieu de séjour de l’écrivain à un moment précis. Certaines enveloppes ont été

conservées, ce qui peut fournir la date ainsi que le lieu d’envoi, pour le cas où ceux-ci

viendraient à manquer sur la lettre elle-même, ou alors en cas d’erreur de date manifeste.

La correspondance de Romain Rolland est une source de tout premier ordre. Elle est

généralement datée (temps et lieu), mises à part quelques rares exceptions. Comme le

Journal, elle offre des renseignements détaillés, toujours précis.

Il faut toutefois prendre en compte la question du contrôle postal, de la censure.

Romain Rolland s’en plaint beaucoup, y compris même dans ses lettres. Il est en effet très

étroitement surveillé13 ; mais si beaucoup de ses lettres sont ouvertes par l’autorité militaire, à

la frontière, il est très rare que des passages en soient censurés, ou que des lettres soient

saisies. Rolland, cependant, sachant que ses lettres courent le risque d’être lues en cours

d’acheminement, se plie parfois à une forme d’autocensure.

12 Trente Cahiers ont été publiés à ce jour La liste complète de la collection figure dans le dernier volume . I. ’////
et l'autre - Romain Rolland et Alphonse de Chdleaubriant. Choix de lettres (1914-1944), Paris : A. Michel,
1996 (iCahier Romain Rolland n° 30).
Une partie de sa correspondance est systématiquement contrôlée. - Voir à ce sujet Lanecdote que rapporte
Rolland dans son Journal, à la p. 952 : « Comme Mesnil [l'un de ses rares amis parisiens] me défendait contre
les attaques de Berthelot [chroniqueur en chef de La Vie Parisienne, que Rolland soupçonne de travailler au
service des renseignements du Ministère des Affaires étrangères!, en alléguant mes sentiments, Berthelot lui
répondit : « Ses sentiments, on les connaît, par ses lettres à sa sœur ! » »

11
Introduction

La correspondance familiale, tout d’abord, est très riche.14 Rolland écrivait en effet

chaque jour à sa mère, Marie Courot-Rolland. À côté de nombreux détails d’intérêt

secondaire (comme la santé de l’un et l’autre correspondants, les bavardages sur les

pensionnaires des hôtels où il séjourne, etc.), ces lettres présentent un compte-rendu quasi

exhaustif de toutes les visites et lettres reçues. Mais elles représentent également une mine de

renseignements sur le fonctionnement de l’Agence au quotidien : il y cite le nom de certains

collaborateurs, parle des lettres ou des rapports lus à l’Agence, fait part de ses déceptions, de

ses critiques. Ces lettres quotidiennes, d’un caractère plus anecdotique que le Journal,

viennent compléter les renseignements que celui-ci nous livre. Aucune lacune n’est à signaler

pour cette partie du fonds, l’absence de lettres pour une période précise étant due aux séjours

que Mme Rolland venait faire de temps à autre en Suisse, auprès de son fils.

Cette source, bien que capitale, ne saurait suffire. Les lettres de Rolland à sa sœur

Madeleine sont un complément indispensable aux lettres envoyées à sa mère ; il y aborde plus

volontiers, par exemple, des discussions à caractère politique. Les lettres en réponse de

Madeleine sont également intéressantes, car celle-ci séjourne à Paris et a donc sur les

événements un point de vue différent de celui de son frère . Quelques lacunes sont

malheureusement à déplorer : aucune lettre envoyée par Madeleine à Romain Rolland, de

septembre à novembre 1914, ne figure dans le fonds Romain Rolland.

Les lettres adressées par Rolland à ses amis constituent un complément intéressant à la

correspondance familiale : elles présentent en effet une autre approche des faits et du

personnage ; bien qu’il s’agisse le plus souvent d’amis intimes, il ne se livre pas à eux de la

même manière. Ces lettres sont plus épisodiques, et donnent donc une vision plus synthétique

des choses, car écrites avec plus de recul. Elles présentent de manière succincte, mais précise,

les conditions et les finalités de son activité à l’Agence.

Il faut tenir compte, toutefois, des différences liées à la situation particulière de chacun

des destinataires : aussi Romain Rolland ne met-il pas en valeur les mêmes aspects de la tâche

qu’il accomplit auprès de la Croix-Rouge, selon qu’il s’adresse à un ami cher exposé sur le

front (comme Louis Gillet ou Jean-Richard Bloch), à une personne - provisoirement - à l’abri

des combats (comme Sofia Bertolini, son amie italienne), ou à un ami d’un pays « ennemi »

(on devine ainsi dans ses lettres à Stefan Zweig, le grand écrivain autrichien, une certaine

partialité, sans doute inconsciente).

14 Cette correspondance est inédite, à l’exception d’un choix de lettres publié dans le Cahier n° 20, non sans de

12
Introduction

D’autres lettres ont également été consultées : il s’agit de missives adressées à des

personnes moins proches, de façon épisodique ; certaines d’entre elles présentent des détails

très intéressants.

c) les articles contemporains

En plus de son Journal et de sa correspondance, Romain Rolland a laissé de nombreux

articles. Dans certains d’entre eux, son activité à l’Agence des Prisonniers de Genève est

mentionnée.

2. Les documents du Comité international de la Croix-Rouge

D’autres fonds ont été consultés, notamment celui concernant l’Agence des

Prisonniers de guerre, conservé à la Division des archives du Comité international de la

Croix-Rouge, à Genève (Suisse). Certains dossiers concernant le Service des civils ou son

directeur, le Dr Frédéric Ferrière, sont malheureusement lacunaires.

A côté de ce fonds d’archives, il faut citer également les nombreuses publications du

CICR pour la durée de la guerre, comme par exemple le Bulletin international des sociétés de

la Croix-Rouge. Il est en effet nécessaire de confronter les témoignages laissés par Romain

Rolland à ceux, plus officiels, laissés par le Comité international de la Croix-Rouge.

3. Les sources annexes

Enfin, des sources annexes (articles de journaux concernant Rolland, ou témoignages

laissés par d’autres écrivains), permettent d’appréhender la façon dont l’engagement de

Rolland à l’Agence de la Croix-Rouge a été perçu à l’époque.

nombreuses coupures. Ce sont donc les lettres originales qui ont été consultées.

13
Introduction

3. Présentation du plan

L’étude, menée à partir de l’ensemble de ces sources, cherche à présenter les rapports

complexes de Romain Rolland avec l’Agence des Prisonniers de Genève. La première partie,

chronologique, replace l’épisode de l’Agence dans un contexte biographique plus large, non

restreint à la guerre, et donne un premier aperçu de la tâche de l’écrivain à l’Agence. La

deuxième partie se veut plus thématique, et tente de comprendre les raisons qui ont pu pousser

Romain Rolland à se mettre au service de la Croix-Rouge - sans oublier que cet engagement

reste lié à celui <¥ Au-dessus de la mêlée. La troisième partie, enfin, dresse le bilan de cette

courte collaboration.

14
Sources inédites

1. À la Bibliothèque nationale de France, Paris

Le fonds Romain Rolland est déposé au département des manuscrits occidentaux. Ce

fonds n’est pas coté, à l’exception des correspondances microfilmées ; il est classé par

destinataire. 11 existe un inventaire, établi en septembre 1993 (415 p.), dressant la liste

alphabétique des noms de correspondants, avec en général les dates extrêmes de l’échange,

ainsi que le nombre de lettres envoyées ou reçues.

1. La correspondance de Romain Rolland

a) la correspondance régulière : les principaux destinataires

Louise Cruppi :

lettres de Romain Rolland à Louise Cruppi : lettres microfilmées (MF 6862 et

MF 6863)

lettres en réponse : idem (MF 6867)

Famille Ferrière :

lettres de Romain Rolland aux Ferrière : copies dactylographiées13

lettres en réponse : lettres autographes

Henri Guilbeaux :

lettres de Henri Guilbeaux à Romain Rolland : lettres autographes

El se Hartoch :

lettres de Romain Rolland à Else Hartoch : photocopies des lettres originales,

conservées à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève

lettres en réponse : idem

Hermann Hesse :

lettres de Hermann Hesse à Romain Rolland : lettres autographes, en allemand

Pierre Jean Jouve :

lettres de Pierre Jean Jouve à Romain Rolland : lettres autographes

15 Les lettres originales sont en possession de M. Claude Ferrière.

15
Sources inédi tes

Marie Courot-Rolland :

lettres de Romain Rolland à sa mère : lettres autographes

Madeleine Rolland :

lettres de Romain Rolland à sa sœur : lettres autographes

lettres en réponse : idem

Stefan Zweig :

lettres de Romain Rolland à Stefan Zweig : lettres microfilmées (MF 4583)16

lettres en réponse : idem (MF 3703 et MF 3704)

b) la correspondance plus épisodique : les autres destinataires

Il s’agit des correspondants avec qui Romain Rolland n’a échangé que quelques lettres

(d’une seule à une vingtaine environ). Celles-ci sont rangées en continu, par ordre

alphabétique du destinataire, dans une très importante série de classeurs. Elles se présentent

toutes sous forme de copies dactylographiées.

On y trouve, notamment, les copies des lettres de Romain Rolland à Gustave Ador, à

Paul Colin, à Jacques Copeau, à Albert Einstein (ainsi que les lettres en réponse d’Einstein), à

André Gide, à Émile Masson, à Paul Fort, à Georges Pioch, à Gaston Thiesson, à Charles

Vildrac, à Georges Wagnière, etc.

2. Le dossier concernant l’Agence internationale des Prisonniers de guerre

Ce dossier comporte des lettres écrites par des familles françaises, s’enquérant de

proches portés disparus, envoyées à l’Agence des Prisonniers de Genève.

Certaines de ces lettres (une soixantaine) sont adressées à Romain Rolland ; les autres

(une vingtaine environ) sont adressées à l’Agence, au Directeur de l’Agence ou au Président

du Comité international de la Croix-Rouge, mais sans mention du nom de Romain Rolland.

16 Les lettres originales de la correspondance Stefan Zweig - Romain Rolland sont conservées à la Bibliothèque
nationale et universitaire hébraïque de Jérusalem (Israël).

16
Sources inédites

2. À la Division des archives du Comité international de la Croix-Rouge,

Genève

Les archives de l’Agence internationale des Prisonniers de guerre sont la propriété du

Comité international de la Croix-Rouge, et sont gérées par sa Division des archives. Elles

comportent deux parties :

- les archives générales : créées par la direction et les services administratifs de

l’Agence des Prisonniers de guerre, elles concernent principalement le traitement et la

protection des prisonniers de guerre, mais contiennent également des dossiers relatifs à

l’organisation et au personnel de l’Agence. Elles sont accessibles au public et peuvent être

consultées dans la salle de lecture

- les archives des services de recherche : relatives aux cas individuels de victimes de

guerre, elles contiennent notamment d’importants fichiers nominatifs. Elles sont soumises à

un délai de consultation de 100 ans pour des raisons de protection des données personnelles.17

Sont présentés ici les documents consultés :

1. Archives générales : groupe 400 - Prisonniers de guerre : archives générales de

l’Agence centrale des Prisonniers de guerre (1914-1918)

401 Organisation de l’Agence

401/V : Tableaux des Services de l’Agence - État sommaire des archives

[401/V] : Correspondance à propos d’articles parus dans la presse

401/VI : Visites reçues à l’Agence

401/Vil : Remerciements et autographes

- dont une lettre autographe de Romain Rolland à Gustave Ador, en date du

25 juin 1917

401/VIII : Modes de correspondance de l’Agence

402 Personnel de l’Agence

402/1 : Personnel - État général

17 D’après Jean-François Pitteloud, « Un nouveau Règlement d’accès ouvre les archives du Comité international
de la Croix-Rouge à la recherche historique et au public », tiré à part de la Revue internationale de la Croix-
Rouge, n° 821, septembre-octobre 1996, p. 595-605. - La Division des archives se trouve dans les bâtiments du
Comité international de la Croix-Rouge, 19 avenue de la Paix, à Genève (Suisse).

17
Sources inédites

402/III : Offres de services - Demandes de personnel - Démissions et renvois

402/V : Certificats et recommandations - Récompenses

405 Publicité et Archives de l’Agence

405/1 : « Nouvelles » de l’Agence

405/VII : Fonds d’archives du Comité international de la Croix-Rouge

405/VII1 : Album de l'Agence des Prisonniers de guerre

405/IX : Conférences - Exposition du Comité international

405/X : Publications sur l’Agence

405/XI : Correspondance relative à diverses publications demandées, reçues ou

transmises par le Comité international

406 Locaux de l’Agence

408 Abus et Polémiques

408/1 : Frais demandés pour renseignements donnés

408/11 : Tentatives d’escroquerie

408/111 : Injures

408/IV : Polémiques de presse

408/V : Publications et correspondances placées à tort sous le couvert de la Croix-

Rouge

480 Divers

480/V : Diverses manifestations honorifiques

480/VI : Diverses pièces offrant un intérêt de curiosité ...

2. Archives générales : groupe CR, sous-groupe CR - Croix-Rouge : généralités du

secrétariat (1919-1950)

CR 132 : fonds Frédéric Ferrière

CR 163 : lleimatlose - Apatrides (1926-1945)

Pièces 20, 25 et 29 : lettres autographes de Romain Rolland, respectivement des 12

octobre, 3 novembre et 28 novembre 1928

18
Sources publiées18

1. Œuvres de Romain Rolland19

1. Les œuvres romanesques ou théâtrales

L 'Âme enchantée, Paris : Ollendorff, puis A. Michel20, 1922-1933

Clerambault, histoire d'une conscience libre pendant la guerre, Paris : Ollendorff, 1920

Colas Breugnon, Paris : Ollendorff, 1919

Jean-Christophe, éd. originale aux Cahiers de la Quinzaine, 1904-1912 ; éd. définitive, Paris :

A. Michel, 1931

Liluli, Genève : Le Sablier, 1919 ; Paris : Ollendorff, 1920

Pierre et Luce, Genève : Le Sablier / Paris : Ollendorff, 1920

2. Les écrits autobiographiques

De Jean-Christophe à Colas Breugnon - Pages du Journal (1912-1913), Paris : Éd. du Salon

Carré, 1946

Journal des années de guerre (1914-1919) - Notes et documents pour servir à l'histoire

morale de l'Europe de ce temps, Paris : A. Michel, 1952

Mémoires, Paris : A. Michel, 1956

Souvenirs de jeunesse (1886-1900), Lausanne : La Guilde du Livre, 1947

Le Voyage intérieur - Songe d'une vie, Paris : A. Michel, 1942 ; nouvelle éd., enrichie de

textes publiés séparément et de fragments inédits, 1959

ls La séparation entre sources publiées et bibliographie s’est avérée délicate La répartition qui a semblé la plus
juste, en regard du sujet d’étude, est la suivante : relèvent des sources l’ensemble des écrits de Romain Rolland
(quelle que soit leur date), ainsi que tous les documents contemporains à la période 1914-1918, qu’il s’agisse de
documents de la Croix-Rouge ou d’articles de journaux. Tous les écrits postérieurs à 1918 sont présentés dans la
partie bibliographie.
1 > Ne sont cités ici que les ouvrages touchant au sujet de la thèse : œuvres écrites pendant la guerre (ainsi que
Jean-Christophe, œuvre majeure de Romain Rolland), écrits de type autobiographique, correspondance et
articles de guerre. Pour une bibliographie complète des œuvres de Romain Rolland, on se référera par exemple à
celle présentée par René Cheval dans Romain Rolland, l’Allemagne et la guerre, Paris : PUF, 1963, p. 739-741,
qui offre l’intérêt d’être présentée de manière chronologique.
20 Albin Michel reprend le fonds Ollendorff en 1925.

19
Sources publiées

3. La correspondance

Bernard DUCHATELET a établi un très utile Répertoire chronologique des lettres publiées de

Romain Rolland, Brest : Université de Bretagne occidentale, 1981

Voir également, toujours de Bernard Duchâtelet, sa récente communication sur « Romain

Rolland épistolier », dans Permanence et pluralité de Romain Rolland : actes du colloque

tenu à Clamecy, 1994, Nevers : Conseil général de la Nièvre, 1995, p. 149-159

a) les Cahiers Romain Rolland, Paris : A. Michel21

2. Correspondance entre Louis Gillet et Romain Rolland - Choix de lettres (1897-1944), 1949

7. Une amitié française - Correspondance entre Charles Péguy et Romain Rolland, 1955

11. Chère Sofia - Choix de lettres de Romain Rolland à Sofia Bertolini Guerrieri-Gonzaga

(1909-1932), 1960

13. Ces Jours lointains - Alphonse Séché et Romain Rolland. Lettres et autres écrits, 1962

14. Fraülein Eisa - Lettres de Romain Rolland à Eisa Wolff 1964

15. Deux hommes se rencontrent - Correspondance entre Jean-Richard Bloch et Romain

Rolland (1910-1918), avec une lettre de Roger Martin du Gard, 1964

16. Romain Rolland et le mouvement florentin de La Voce - Correspondance et fragments du

Journal, 1966

17. Un beau visage à tous sens - Choix de lettres de Romain Rolland (1886-1944), 1967

18. Salut et fraternité - Alain et Romain Rolland. Correspondance et textes, 1968

20. Je commence à devenir dangereux - Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère (1914-

1916)

21. D'une rive à l'autre - Hermann Hesse et Romain Rolland. Correspondance, fragments du

Journal et textes divers, 1972

22. Pour l'honneur de l'esprit - Correspondance entre Charles Péguy et Romain Rolland

(1898-1914), 1973

24. Monsieur le Comte - Romain Rolland et Léon Tolstoy

25. En plein vol - Jean de Saint-Prix et Romain Rolland (1917-1919), 1980

21 Seuls sont présentés ici les Cahiers concernant la période 1914-1918 ; la liste complète de la collection se
trouve dans le Cahier n° 30. - Cf. Jacques Robichez, « Les Cahiers Romain Rolland », dans la Revue d'Histoire
littéraire de la France, novembre-décembre 1976, p. 947-957.

20
Sources publiées

27. Romain Rolland et La NRF - Correspondances avec Jacques Copeau, Gaston Gallimard,

André Gide, André Malraux, Roger Martin du Gard, Jean Paulhan, Paul Sch/umberger et

fragments du Journal (1909-1943), 1988

28. Correspondance entre Romain Rolland et Maxime Gorki (1916-1936), 1991

30. L ’un et l'autre - Romain Rolland et Alphonse de Châteaubriant. Choix de lettres (1914-

1944), 1996

b) les autres éditions de correspondances

avec Henri Bachelin :

BACHELIN Henri, Correspondances avec André Gide et Romain Rolland, Brest : Centre

d’études des correspondances - CNRS - Faculté des lettres, 1994

avec les Ferrière :

voir Marc Reinhardt, « Romain Rolland et les Ferrière : Visages d’une

correspondance », dans Versants [Neuchâtel], n° 7, 1985, p. 137-160 ;

voir également « Correspondance de Romain Rolland avec Adolphe Ferrière », dans

Sven STELLING-MICHAUD et Janine Buenzod (dir.), Romain Rolland, Neuchâtel : À la

Baconnière, 1969, p. 183-213

avec Hermann Hesse :

Hesse Hermann et Rolland Romain, Briefe, Zürich : Fretz & Wasmuth Verlag, 1955

avec Annette Kolb :

K.OLB Annette et ROLLAND Romain, La vraie patrie, c'est la lumière (1915-1936),

Berne : P. Lang, 1994

avec Paul Landormy :

« Lettres de Romain Rolland à Paul Landormy », dans Fontaine [Paris], n° 41, avril 1945

avec Edmond Privât :

PRIVAT Edmond et ROLLAND Romain, Bon voisinage - Lettres et documents, Neuchâtel-

Paris : A la Baconnière, 1977 {Cahier suisse Romain Rolland n° 1) ;

voir également Pierre Hirsch, « Quelques lettres de Romain Rolland à Edmond Privât »,

dans Etudes de lettres [Lausanne], n° 4, octobre-décembre 1966, p. 230-249

avec Rainer Maria Rilke :

« Correspondance Rilke-Romain Rolland », dans Rainer Maria Rilke, Les Lettres, 1952

21
Sources publiées

avec Paul Seippel :

voir Sven Stelling-Michaud, « Romain Rolland et Paul Seippel : quelques lettres »,

dans Études de lettres [Lausanne], n° 4, octobre-décembre 1966, p. 220-229


avec Émile Verhaeren :

dans les Cahiers idéalistes français, [Paris : É. Dujardin], mars 1918

avec Stefan Zweig :

[correspondance], Berlin : Rütten & Loening, 1987

4. Les recueils d’articles

Au-dessus de la mêlée, Paris : Ollendorff / Neuchâtel : Attinger, 1915

Les Précurseurs, Paris : Ollendorff, 1919


22
L'Esprit libre , Paris : A. Michel, 1931, rééd. 1953. - Précédé d’une importante introduction

de Romain Rolland

« L’œuvre de Romain Rolland », dans Le Clamecycois du 31 janvier 1915 [Lettre de Romain

Rolland à Léon Mazetier, directeur du journal]

2. Documents du Comité international de la Croix-Rouge

Ces documents peuvent être consultés dans la salle de lecture de la Division des

archives du Comité international de la Croix-Rouge, ou pour certains à la bibliothèque du

CICR.

Actes du Comité international de la Croix-Rouge pendant la guerre (1914-1918), Genève :

CICR, décembre 1918

L'Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR,1

mai 1919. Album illustré de 150 photographies

Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, Genève : CICR. Trimestriel

22 Ce recueil rassemble les deux précédents.

22
Sources publiées

Documents publiés à l'occasion de la guerre [rapports des délégués du Comité international

sur leurs visites aux camps de prisonniers], Genève : CICR, mars 1915 - janvier 1920. 24

volumes

Nouvelles de l'Agence internationale des Prisonniers de guerre, Genève : CICR, 22 janvier

1916-28 décembre 1918. Hebdomadaire

Organisation et fonctionnement de l'Agence internationale des Prisonniers de guerre à

Genève, Genève : CICR, février 1915

Renseignements complémentaires sur l'activité de l'Agence internationale des Prisonniers de

guerre à Genève en 1915 et 1916, Genève : CICR, mars 1916

Le Rôle et l'action du Comité international de la Croix-Rouge pendant la guerre européenne

de 1914 à 1916, Genève : CICR, 1917

Autres témoignages sur l’activité de l’Agence des Prisonniers:

Barbey Frédéric, « L’Agence internationale des prisonniers de guerre à Genève », dans

Separatabdruck aus dem Politischen Jahrbuch der schweizerischen Eidgenossenschaft,

1915, p. 81-114

Le Clamecycois : articles dans les numéros des 4 octobre, 1cr novembre et 20 décembre 1914

Clouzot Etienne, « Disparus et prisonniers. L’Agence internationale des prisonniers de

guerre à Genève », dans le Mercure de France, juin 1916, p. 389-410

Dumur Louis, « L’Agence internationale des Prisonniers de guerre à Genève », dans la Revue

Bleue, numéro du 31 juillet - 7 août 1915

L'Illustration : articles des 31 octobre et 21 novembre 1914

Longuet Jean, « L’œuvre suisse » , dans L 'Humanité, 4 novembre 1914

ROLLAND Romain, « Inter arma caritas », dans le Journal de Genève, supplément au numéro

du 4-5-6 novembre 1914

Zweig Stefan, « Das Herz Europas - Ein Besuch im Genfer Roten Kreuz », dans la Neue

Freie Presse [Vienne], 23 décembre 1917 ; Le Cœur de l'Europe - Une visite à la Croix-

Rouge internationale de Genève, Genève-Paris : Éd. du Carmel, 1918

23
Sources publiées

3. Publications polémiques à propos de Romain Rolland (1914-1918)23

Albert Charles, Au-dessous de la mêlée. Romain Rolland et ses disciples, Paris : M. Rivière,

1916

ANQUETIL Georges, Essai sur Romain Rolland, la beauté de son œuvre et ses erreurs, Paris :

« Aux Alliés », 1918

Aulard, « Germanophilie déplacée », dans Le Matin, 23 octobre 1914

« La propagande germanophile en Espagne », dans L 'Information, 6 mars 1915

Baudouin Charles, « Romain Rolland calomnié - Réponse à une diffamation et analyse

d’une méthode simple de suggestion collective », dans les Cahiers du Carmel [Genève],

n° 4, août 1918

Benda Julien, « Lettre ouverte à M. Romain Rolland », dans L 'Opinion, 19 février 1916

Bodin Louise, « Henri Heine et Romain Rolland », dans La Forge, 8e cahier, juillet 1918

DAUZAT Albert, « Romain Rolland », dans Les Cahiers idéalistes français, n° 6, juillet 1917

DEBRAN Isabelle, M. Romain Rolland, initiateur du défaitisme, Genève : H. Jarrys, 1918

Divoire F, « Stratégie littéraire : être martyr ou le cas Romain Rolland », dans Les marges,

15 octobre 1918

Dunois-Catonné Amédée, « Un intellectuel français s’élève éloquemment contre

l’impérialisme » [suivi d’un extrait d’Au-dessus de la mêlée], dans L ’Humanité, 26 octobre

1914

« Un nouvel appel de Romain Rolland » [à propos d’Inter arma caritas], dans

L'Humanité, 15 novembre 1914

Ferrière Adolphe, « Insinuations et calomnies », dans L'Essor, n° 15, 27 juillet 1918

Flat Paul, « Romain Rolland et sa bande », dans la Revue Bleue, 25 mars - 8 avril 1916

Guinon Albert, « Romain Rolland », dans Le Gaulois, 7 août 1915

GUILBEAUX Henri, « Lettre ouverte à Romain Rolland », dans La Bataille Syndicaliste, 13

novembre 1914

Four Romain Rolland, Genève : Jeheber, 1915

Hollande Eugène, « Lettre ouverte à Romain Rolland », dans Le Radical, 10 décembre 1914

JOHANNET René, « Ainsi parlait Romain Rolland », dans Les Lettres, 15 juin 1914, p. 457-503

23 XT , r • •
Ne sont présentés ici que les articles de langue française, parus en France ou en Suisse. On trouvera la
bibliographie des articles allemands parus sur Romain Rolland en 1914-1918 dans René Cheval, Romain
Rolland, l'Allemagne et la guerre, op. cil. , p. 746-747.

24
Sources publiées

JOUVE Pierre Jean, « La pensée présente de Romain Rolland », dans Les Tablettes, mai 1917

« Romain Rolland et le Défaitisme », dans La Feuille, 8 août 1918

Key Ellen, « Romain Rolland », dans la Revue des revues, n° 106, 1914

LOYSON Paul-Hyacinthe, Etes-vous neutres devant le crime ?, Paris : Berger-Levrault, 1916.

Avec une lettre-préface de Émile Verhaeren [Recueil réunissant les articles de l’auteur

parus dans La Revue et La Grande Revue\

MAEDER August, « Lettre ouverte à M. Romain Rolland », dans Wissen und Leben [Zurich],

1er novembre 1914

Massis Henri, « M. Romain Rolland ou le dilettantisme de la foi », dans L'Opinion, 30 août

1913

Romain Rolland contre la France, Paris : H. Floury, 1915

Masson Frédéric, « Le cas de Romain Rolland », dans Le Gaulois, 18 août 1915

« Sganarelle, Martine et Romain Rolland », dans Le Gaulois, 18 et 24 août 1915

Maurel André, « Un écrivain de la guerre : M. Romain Rolland », dans le Mercure de

France, 1er septembre 1917

Mesnil Jacques, [À propos de la brochure de H. Massis contre Romain Rolland], dans le

Mercure de France, 1cr septembre 1915

PETTAVEL Paul, « Romain Rolland », dans L'Essor, n° 15, 27 juillet 1918

RenAUTOUR Jean-Marie, SERVANT Stéphane, LOYSON Paul-Hyacinthe, Au-dessus ou au cœur

de la mêlée ? - Une polémique républicaine, Paris : Éd. de la revue L'Essor, 1916

SÉAILLES Gabriel, « Lettre ouverte à Romain Rolland », dans La Guerre Sociale, 9 janvier

1915

Selppel Paul, « Romain Rolland pendant la guerre », dans le Journal de Genève, 10 octobre

1915

Souday Paul, « Le cas de M. Romain Rolland », dans Le Temps, 30 juillet 1915

« Un prix Nobel à M. Romain Rolland », dans Paris-Midi, 18 novembre 1916

I RUC Gonzague, « M. Romain Rolland », dans La Grande Revue, décembre 1915

VERGNET Paul, « Les trente deniers », dans La Libre Parole, 10 novembre 1916

VOGT William, A propos du moins Romain des Roilands furieux, Paris : chez l’auteur, 1916

WALEFFE (de) Maurice, « Les trente deniers de Romain Rolland », dans Paris-Midi,

[novembre 1915]

ZÉVAÈS Alexandre, « Les trente deniers de M. Romain Rolland », dans Le Petit Dauphinois,

16 novembre 1915

25
Sources publiées

Quatre revues consacrent des numéros spéciaux à Romain Rolland :

Les Hommes du Jour présente des témoignages en faveur de l’écrivain : « Le cas Romain

Rolland », numéros des 21 août, 27 novembre, 4, 11, 18 et 25 décembre 1915 ; 1er janvier,

6, 13 et 20 mai 1916.

La revue de Maurice Wullens, Les Humbles, consacre également un numéro spécial à Romain

Rolland : Le cas Romain Rolland, [octobre 1916],

La Revue de Hollande présente une Enquête sur l'attitude de M. Romain Rolland pendant la

guerre, dans ses n° 6, décembre 1915, et n° 8, février 1916.

Enfin on trouve, dans la Revue mensuelle de Genève, une Enquête sur M. Romain Rolland :

numéros de septembre 1915, novembre et décembre 1916, janvier et février 1917.

Par ailleurs, Henri Guilbeaux, dans sa revue Demain, se fait souvent le défenseur de Romain

Rolland.

4. Sources additionnelles24

Alain-Fournier, Lettres à sa famille, Paris : Fayard, 1986

Alain-Fournier et PÉGUY Charles, Correspondance (1910-1914), Paris : Fayard, 1973

Bloch Jean-Richard, Carnaval est mort. Paris : Éd. de laNRF, 1920

Destin du siècle. Second essai pour mieux comprendre mon temps, Paris : Rieder,

1931 ; nouvelle éd., Paris : PUF, 1996

Naissance d'une culture. Quatrième essai pour mieux comprendre mon temps, Paris :

Rieder, 1936

Bloch Jean-Richard et Duhamel Georges, «Correspondance (1911-1946)», dans Etudes

Jean-Richard Bloch, cahier n° 1, et dans les Cahiers de l'Abbaye de Créteil, n° 17, juin

1996

Bloch Jean-Richard et Martin du Gard Roger : « Correspondance », dans Europe, n° 413

Bloch Jean-Richard et Martinet Marcel, Correspondance (1911-1935), Tokyo: Éd.

Université Chuô, 1994

CLAUDEL Paul, Accompagnements, Paris : Gallimard, 1949

24 On s’est limité aux intellectuels plus particulièrement en relation avec Romain Rolland, ou pour qui il a dû
effectuer des recherches à l’Agence ; sont classés ici des ouvrages postérieurs à 1918, mais qui présentent des
correspondances échangées pendant la guerre, ou des ouvrages de type autobiographique où l’on parle de
l’action de Romain Rolland durant le conflit.

26
Sources publiées

CLAUDEL Paul et Rivière Jacques, Correspondance (1907-1924), Paris : Gallimard, 1984

COPEAU Jacques et MARTIN DU Gard Roger, Correspondance (1913-1949), Paris :

Gallimard, 1972. Tome I: 1913-1928

Dauzat Albert, Impressions et choses vues (juillet-décembre 1914), Paris-Neuchâtel :

Attinger, [s.d.j

EINSTEIN Albert, Correspondances françaises, Paris : Le Seuil - CNRS, 1989

Le pouvoir nu: propos sur la guerre et la paix (1914-1955), Paris : Hermann, 1991

Gide André et Bloch Jean-Richard, Correspondance (1910-1936), Brest : Centre d'étude des

correspondances et journaux intimes des XIXe et XXe siècles, 1997

Hommage à Jacques Rivière (1886-1925), numéro spécial de La NRF, n° 139, avril 1925

Martin DU Gard Roger, Correspondance générale, Paris : Gallimard, 1980. Tome II: 1914-

1918

Journal I (1892-1919), Paris : Gallimard

PROUST Marcel, Correspondance, Paris : Plon, 1985. Tome XIII (1914) et tome XIV (1915)

PROUST Marcel et Rivière Jacques, Correspondance (1914-1922), Paris : Gallimard

Rilke Rainer Maria et Gide André, Correspondance (1909-1926), Paris : Corrêa, 1952

RIVIÈRE Jacques, L'Allemand. Souvenirs et réflexions d'un prisonnier de guerre, Paris : Éd.

de la NRF, 1918

A la trace de Dieu, Paris : Gallimard, 1925

Carnets (1914-1917), Paris : Fayard, 1974

Rivière Jacques et ALAIN-FOURNIER, Correspondance (1905-1914), Paris : Gallimard, 1926

Rivière Jacques et Bloch Jean-Richard, « Correspondance (1912-1924) », dans le Bulletin

des Amis de Jacques Rivière et d'Alain-Fournier, n° 71 à 73, 1994

Saint-Prix (de) Jean, Lettres (1917-1919) , Paris: Rieder, 1924. - Avec une préface de

Romain Rolland

WAGNIÈRE Georges, La Suisse et la Grande Guerre, notes et souvenirs, Lausanne, 1938

ZWEIG Stefan, Le Monde d'hier Souvenirs d'un Européen, trad. française, Paris : A. Michel,

1948 ; nouvelle éd., Paris : P. Belfond, 1982

Souvenirs et rencontres, trad. française, Paris : Grasset, 1951

Journaux (19/2-1940), trad. française, Paris : P. Belfond, 1986

27
Bibliographie

1. Histoire culturelle de la Première Guerre mondiale

1914, numéro spécial d'Europe consacré aux écrivains et à la guerre, n° 421-422, mai-juin

1964

André François-Victor, Les Raisins sont bien beaux. Correspondance de guerre d'un rural

(1914-1916), Paris : Fayard, 1977. Avec une bibliographie présentant de nombreux

témoignages de 1914-1918 : récits de captivité, correspondances de prisonniers de guerre,

rapports de médecins, etc.

AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, A travers leurs journaux : 14-18, les combattants des tranchées,

Paris : A. Colin, 1986

La Guerre des enfants (1914-1918), Paris : A. Colin, 1993

L'Enfant de l'ennemi (1914-1918), Paris : Aubier, 1995

Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Annette, « Vers une histoire culturelle de la Première

Guerre mondiale », dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 41, janvier-mars 1994

La Grande Guerre (1914-1918), Paris : Gallimard, 1998 (Découvertes n° 357)

BECKER Annette, Les Monuments aux morts. Mémoire de la Grande Guerre, Paris : Errance,

1988

La Guerre et la foi. De la mort à la mémoire (1914-1930), Paris : A. Colin, 1994

Oubliés de la Grande Guerre - Humanitaire et culture de guerre (1914-1918) -

Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris : Noêsis, 1998

BECKER Jean-Jacques, 1914, Comment les Erançais sont entrés dans la guerre (Contribution

a l'étude de l'opinion publique, printemps-été 1914), Paris: Presses de la Fondation

nationale des sciences politiques, 1977

Les Erançais dans la Grande Guerre, Paris : R. Laffont, 1980

La Première Guerre mondiale, Paris : MA Éditions, 1985 [Le monde de ... )

La L'rance en guerre (1914-1918). La grande mutation, Bruxelles : Complexe, 1988

L'Europe dans la Grande Guerre, Paris : Belin, 1996

BECKER Jean-Jacques et AUDOIN-ROUZEAU Stéphane (dir.), Les Sociétés européennes et la

guerre de 1914-1918, Paris : Centre d’histoire de la France contemporaine - Université de

Paris X, 1990

Guerre et cultures (1914-1918), Paris : A. Colin, 1994

28
Bibliographie

La Très Grande Guerre, Paris : Le Monde éditions, 1994

La France, la nation et la guerre : 1850-1920, Paris : Sedes, 1995

Becker Jean-Jacques et Colin Geneviève, «Les écrivains, la guerre de 1914 et l’opinion

publique », dans Relations internationales, n° 24, hiver 1980, p. 425-442

Benda Julien, La Trahison des clercs, Paris : Grasset, 1927

CAHEN-SALVADOR Georges, Les prisonniers de guerre (1914-1919), Paris : Payot, 1929

CLAVIEN Alain, Les Helvétistes. Intellectuels et politique en Suisse romande au début du

siècle, Lausanne : Les Éditions d’en bas, 1993

DEFRASNE Jean, Le pacifisme en France, Paris : PUF, 1994

Le pacifisme, Paris : PUF, 1995 (Que sais-je ? n° 2092)

Demm Eberhard, « Les intellectuels allemands et la guerre », dans Jean-Jacques Becker et

Stéphane AUDOIN-ROUZEAU (dir. ), Les Sociétés européennes et la guerre de 1914-1918,

Paris : Centre d’histoire de la France contemporaine - Université de Paris X, 1990, p. 183-

198

DlGEON Claude, La Crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris : PUF, 1959

Fridenson Patrick (dir.), 1914-1918. L'Autre Fronts Paris : Éd. Ouvrières, 1977

GOETSCHEL Pascale et LOYER Emmanuelle, Histoire culturelle et intellectuelle de la France

au XXe siècle, Paris : A. Colin, 1995

GOLDBERG Nancy Sloan, En l'honneur de la juste parole: la poésie française contre la

Grande Guerre, New York (Ny) : P. Lang, 1993

HORNE John (dir.), State, Society and Mobilization in Europe during the First World War,

Cambridge : Cambridge University Press, 1997

JACKSON Robert, The Prisoners ( 1914-1918'), Routledg, 1989

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2. Romain Rolland25

Deux synthèses bibliographiques existent. Ces deux ouvrages fort utiles (malgré quelques

lacunes) présentent toutefois l’inconvénient de n’avoir pas de mise à jour récente :

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Seuls sont donnés ici les ouvrages traitant des aspects se rapprochant du sujet étudié : ouvrages centrés sur
Romain Rolland et la Première Guerre mondiale, sur ses relations avec les milieux intellectuels européens, sur
son engagement politique, sur ses rapports avec la Suisse, avec la Croix-Rouge, etc., ainsi que les ouvrages
biographiques de référence.

30
Bibliographie

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Genève : CICR, 1921

35
Remarques liminaires

Les principaux documents cités sont les lettres de Romain Rolland, inédites ou

publiées, ainsi que son Journal et ses articles.

Sources inédites

Les lettres inédites proviennent toutes du fonds Romain Rolland, conservé à la

Bibliothèque nationale, département des manuscrits occidentaux. Elles sont indiquées en note

de la façon suivante:

lettre à ...*, date - l’astérisque signalant que la lettre est inédite.

Sources publiées

Les lettres éditées proviennent pour l’essentiel de la collection des Cahiers Romain

Rolland, publiée chez Albin Michel. Elles sont citées selon l’exemple suivant :

lettre à ... , date, Cahier II, p

Le Journal, souvent cité, est abrégé ainsi:

JAG, pour : R. Rolland, Journal des années de guerre, Paris : A. Michel, 1952.

Les titres des articles de Romain Rolland sont donnés en italique, à la différence des

titres d’articles d’autres auteurs, donnés entre guillemets.

Les extraits de, Jean-Christophe sont cités à partir de l’édition parue en Livre de Poche

(3 volumes), 1961-1969, qui reprend le texte de l’édition définitive, Paris : A. Michel, 1931.

L’usage des majuscules varie, dans les lettres de Romain Rolland, notamment

concernant les titres de ses ouvrages ou la dénomination de l’Agence internationale des

Prisonniers de guerre ; l’usage de l’auteur a été respecté.

36
Première partie

Romain Rolland au service de l’Agence des Prisonniers de Genève

37
Chapitre I : Romain Rolland - Aperçu biographique

« Ilfaut bien se garder de voir dans ce que j'écris, des mémoires autobiographiques. Maisje mêle

inconsciemment des éléments de vie au rêve du récit que file la pensée. Et ce qui est le plus exact, c’est la vie

intérieure, ce ne sont pas les événements. » - Lettre de Romain Rolland à Anna Maria Curtius*, 6 juillet 1927.

Avant d’aborder l’étude envisagée, il faut au préalable présenter la biographie de

l’écrivain. Romain Rolland a lui-même laissé de nombreux écrits permettant de suivre le

cours de sa vie. En plus de son journal26, qu’il tient depuis l’âge de seize ans, il laisse une

prodigieuse correspondance, ainsi que deux écrits autobiographiques, malheureusement

inachevés. Les Mémoires, commencés en 1938, reprennent les cahiers du Journal, qu’ils

citent abondamment. Achevés pour les années de jeunesse (1866-1900), ils ne seront publiés

qu’en 1956. Le second ouvrage, Le Voyage intérieur, est de conception plus originale :

Rolland en rédige plusieurs chapitres de 1924 à 1926, alors que, très malade, il se croit

condamné. Aussi, cet essai d’autobiographie intellectuelle et morale, où il retrace son

itinéraire spirituel, prend parfois des allures de testament. Il s’y livre à une véritable

introspection, sans plan apparent. Il ne cherche pas tant à reprendre le fil chronologique de sa

vie qu’à l’aborder à travers différents thèmes, en des chapitres aux titres parfois obscurs.27

C’est le Songe d'une vie qu’il veut conter28 - pour lui, mais aussi pour les autres, ainsi qu’il

s’en explique dès les premières lignes :

« Une longue vie réfléchie est une grande expérience. Elle est même parfois le terme

des expériences d'une famille ou d'une race, la réponse donnée à l'énigme de sa marche

séculaire, le fruit mûr de sa lente poussée, et qui porte la marque de ses erreurs, de ses

succès, de ses vertus et de ses vices.

26 Dès 1882, Romain Rolland prend l’habitude de tenir un journal sur de petits carnets ; 117 ont été conservés,
dont certains sont encore sous scellés. Différents fragments en ont été publiés, de façon plus ou moins intégrale.
Les publications les plus importantes ont été : en 1946, De Jean-Christophe à Colas Breugnon (octobre 1912-
oclobre 1913), Paris: Éd. du Salon Carré ; en 1951, Inde Journal (1915-1943), Paris-Lausanne-Bâle: Éd.
Vineta ; en 1952 , le Journal des Années de Guerre (1914-1919) et Le Cloître de la rue d'illm (iCahier Romain
Rolland n° 4), tous deux chez Albin Michel, à Paris.
27 La première édition du Voyage intérieur, publiée en 1942 du vivant de l’auteur, ne comporte que cinq
chapitres : La Ratoire, Les Trois éclairs, L’Arbre, Le Sagittaire et Les Amies. La seconde édition, posthume, de
1959, présente en plus quatre autres chapitres, dont trois avaient déjà été publiés {Le Périple, Paris : E. Paul,
1946 ; Le Seuil, précédé du Royaume du T, Genève : Éd. du Mont-Blanc, 1945 ; La Ceinture, inédit), ainsi que
les amorces des chapitres inachevés et les notes devant servir à des chapitres jamais écrits.
28 Voir Le Voyage intérieur, Paris : A. Michel, 1959, p. 12.

38
Romain Rolland - Aperçu biographique

Je voudrais éclaircir l'énigme de la mienne. Je voudrais en dégager le sens, aux yeux


i 29
des autres et aux miens. »

1. L’enfance - les études - les premières œuvres littéraires (1866-1902)

Les origines familiales

Romain Rolland est né le 29 janvier 1866 à Clamecy, petite ville de la Nièvre, proche

de Vézelay. 11 se réclamera toujours, non sans quelque fierté, de ses origines bourguignonnes ;

il se plaira notamment à revendiquer son enracinement dans ce qu’il considère comme le cœur

même de la France, lorsque certains de ses détracteurs lui reprocheront, au cours de la

Première Guerre mondiale, son absence de patriotisme, son internationalisme. Dans Le

Voyage intérieur, il écrit :

« Quand je me remémore les insultes que j'ai, au long de mon chemin, récoltées de

ces coqs de bataille du nationalisme, toujours prêts à rejeter de la communauté qui ne

claironne pas avec eux, - je souris : qui de vous, mes amis, est aussi Français que moi ?

L'ironie souveraine du bon génie de France, qui répugne à tout exclusivisme et

nargue les fanatiques, a voulu que l'homme qui refusa de prendre part à la Mêlée, toujours

affirma sa fraternité avec l'Allemand, l'Anglais, avec tout l'univers, fût, depuis des siècles,

implanté par sa race au cœur de la province la plus centrale de France, - et, dans celte

province, depuis des siècles, enfonçât ses racines en un champ d'un périmètre carré d'une

dizaine de lieux. [... J »30

Toute sa famille, en effet, est originaire de la Bourgogne nivernaise :

« Du côté paternel, cinq générations de notaires : f... J. Tous, sortis de la châtellenie

de Monceaux-le-Comte, entre Clamecy et Lormes. Les deux derniers, replantés ù quelques

lieues plus loin, ù Brèves et à Clamecy.

Du côté maternel, des générations de Courot (Gilles), cultivateurs, - puis quatre

générations de maîtres de forges, et trois générations de notaires. Les Courot, issus de la

Chapelle-Saint-André, entre Clamecy et Varzy. [.../>>

29 Ibid, p. 13.
30 Ibid, p. 48.
31 Ibid., p. 48-49. - Voir l’annexe 1.

39
Romain Rolland - Aperçu biographique

Émile Rolland (1836-1931), notaire à Clamecy, épouse en 1865 Marie Courot (1845-

1919), elle-même fille de notaire. Romain est leur premier enfant. Puis naît, en 1868, une

première fille, Madeleine, qui meurt trois ans plus tard. En 1872 naît Madeleine, deuxième du

nom.

Dans une lettre à un ami, Rolland évoque l’héritage familial :

« Du côté maternel, la musique, le sérieux moral, ces tendances jansénistes et

puritaines j'... J. Du côté paternel, la forte vitalité, et l'optimisme foncier, instinctif, invincible,

malgré toutes les raisons de tristesse et les accablements passagers, - la vie bonne malgré

tout, f... j Combien il est heureux que cette joyeuse et saine vitalité ait fait équilibre chez moi

a la rêverie un peu sombre et volontiers pessimiste de ma famille maternelle ! Si de celle-ci je

tiens peut-être le meilleur de ma personnalité artistique et morale32, c'est pourtant l'autre qui
m'a sauvé, plus d'une fois dans la vie. [... j »33

C’est pourtant de sa mère que Rolland est le plus proche, et elle a sur lui une influence

capitale. Profondément catholique, elle unit à une parfaite rectitude de principes une

sensibilité dévorante qui entoure, emprisonne le petit garçon, maladif34. C’est à elle qu’il doit

sa ténacité, son insatiable exigence de pureté et de droiture. Elle restera toujours, avec sa sœur

Madeleine, sa principale confidente ; quand il est éloigné d’elle, il lui écrit quotidiennement.

En revanche, il n’a jamais été très proche d’Émile Rolland35, et l’on ne trouve guère de

traces, dans la personnalité du fils, de la bonhomie optimiste et gaie du père.

L’enfance provinciale

Romain Rolland passe toute son enfance à Clamecy. La plus belle description qu’il en

fit est certainement celle que l’on trouve dans le premier chapitre de son roman, d’inspiration

bourguignonne, Colas Breugnon. Le héros contemple la petite ville, depuis une hauteur

environnante :

«A mes pieds est ma ville, que l'Yonne paresseuse et te Beuvron baguenaudant

ceignent de leurs rubans, j... j

32 « Je lui dois le meilleur de ce que je suis, la musique et la foi. », cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain
Rolland par lui-même, Paris : Le Seuil, 1955, p. 183.
33 Lettre de Romain Rolland à Louis Gillet, 19 mars 1914, citée ibid., p. 80-81.
34 À moins d’un an, il est oublié dans le froid par une jeune servante : sa santé en est ébranlée, et il en gardera
toujours des bronches affaiblies et le souffle oppressé.
35 « Encore à l'heure actuelle, il est très peu de moi que j’aie livré à mon père. Il n’y a entre nos pensées
presque aucune parenté. », dans Le Voyage intérieur, op. cil, p. 51.

40
Romain Rolland - Aperçu biographique

Ville des beaux reflets et des souples collines... Autour de toi, tressées, comme les

pailles d'un nid, s'enroulent les lignes douces des coteaux labourés. Les vagues allongées des

montagnes boisées, par cinq ou six rangées, ondulant mollement ; elles bleuissent au loin : on

dirait une mer. Mais celle-ci n 'a rien de l'élément perfide qui secoua l'Ithacien Ulysse et son

escadre. Pas d'orages. Pas d'embûches. Tout est calme. À peine ça et là un souffle parait

gonfler le sein d'une colline. D'une croupe de vagues à l'autre, les chemins vont tout droit,

sans se presser, laissant comme un sillage de barque. Sur la crête des flots, au loin, la

Madeleine36 de Vézelay dresse ses mâts. Et tout près, au détour de l'Yonne sinueuse, les

roches de Basserville pointent entre les fourrés leurs dents de sanglier. Au creux du cercle

des collines, la ville, négligente et parée, penche au bord de ses eaux, ses jardins, ses

masures, ses haillons, ses joyaux, la crasse et l'harmonie de son corps allongé, et sa tête
-77

coiffée de sa tour ajourée. »‘

On retrouve, en lisant les premières lignes d’Antoinette, sixième tome de Jean-

Christophe, un peu de l’ennui, de la monotonie qu’il devait ressentir à Clamecy, que l’on

devine à travers la description qu’il y fait d’une « vieille petite ville endormie, qui mire son

visage ennuyé dans l'eau trouble d'un canal immobile » ;

« /... JNul site, nul monument, nul souvenir. Rien n'est fait pour attirer. Tout est fait

pour retenir. Il y a dans cette torpeur et cet engourdissement une secrète force. L'esprit qui

les goûte pour la première fois en souffre et se révolte. Mais celui qui, depuis des générations,

en a subi l'empreinte, ne saurait plus s'en déprendre ; il en est pénétré ; cette immobilité des

choses, cet ennui harmonieux, cette monotonie, ont un charme pour lui, une douceur

profonde, dont il ne se rend pas compte, qu'il dénigre, qu'il aime, qu’il ne saurait

oublier.3* »39

Ses années d’enfance sont marquées par la solitude, le repli sur soi ; l’impression qu’il

en garde est celle - déjà - d’un isolement, d’un combat. Il souffre de sa santé toujours

menacée, qui l’empêche de se lier à d’autres enfants de son âge. Il reste de plus marqué par la

mort de sa petite sœur, survenue alors qu’il avait cinq ans. Sa mère ne devait jamais accepter

36 La basilique Sainte-Madeleine.
37 Colas Breugnon, [s.l.] : Éd. Rombaldi, 1969 {Prix Nobel de littérature), p. 69.
38 Aussi, quelques années plus tard, Rolland aura-t-il à cœur de trouver une bibliothèque française à laquelle il
pourrait léguer les manuscrits de ses romans d’inspiration nivernaise : « Il est tout de même triste que les
manuscrits de Colas et d'Antoinette .v 'en aillent à l'étranger ! Non qu 'il y ait un « étranger », pour moi /.../.
Mais, à défaut de la parenté des âmes, il y a celle de la terre, et du ciel, et des eaux. Et Colas, Antoinette, sont
des fleurs et desfruits de nos jardins, de nos vergers Hivernais... » (lettre à Jean Bonnerot*, 19 février 1926).
39 Jean-Christophe, éd. en Livre de Poche, vol. 2, p. 269-270.

41
Romain Rolland - Aperçu biographique

ce deuil, et il en portera toujours, lui aussi, une part de chagrin. Dès le premier chapitre du

Voyage intérieur, qu’il intitule « La Ratoire40», il se pose cette angoissante question :

« D'où vient que le premier sentiment, le plus fort, persistant, de ma petite enfance,

dès l'entrée dans la vie, soit - obscur, obsédant, et tantôt révolté, et tantôt résigné :

- « Je suis prisonnier ! ». »4]

La réponse suit, deux pages plus loin :

« Dans cette triple prison de la vieille maison, de ma poitrine oppressée, et du cercle

maléfique de la mort, poussa ma première conscience d'enfant, sous les regards inquiets de la
tendresse maternelle. »42

Le collège de Clamecy lui est également une prison. Rolland y entre en 1873, et il y

reste jusqu’à la fin de sa seconde, en 1880. Il déplore les insuffisances du collège provincial,

qu’il compense par des lectures dans la bibliothèque de son grand-père. Il aime en effet à

s’évader, en lisant Jules Verne, Chateaubriand, Corneille, dont il a lu avec exaltation tout le

théâtre.

Mais c’est surtout dans la musique qu’il trouve refuge - et d’abord dans les sonorités

profondes, étemelles, de la nature. C’est à leur contact que son âme s’éveille, s’élève.

« Si profonde qu'ait été en mon âme d’enfant la vibration des cloches, - ce n 'est pas

elle qui fut la vibration initiale, - celle qui remua les plus lointains échos de l'être :

Celle qui fut au commencement (et quand je la retrouve, elle m'apparaît toujours

première), c 'est le lent soupir du vent dans les cimes des sapins. Ce murmure océanique, qui,

ù chaque fois que je l'entends, me possède au point de me faire oublier que je l'entends, me

possède au point de me faire oublier tout le reste de la vie, est chez moi fondamental.

/...y - Tant d’autres impressions, plus fréquentes et plus fortes, auraient dû primer

celle-là ! Mais celle-là touchait en moi à d’indicibles souvenirs, surgis de la nuit des

siècles, chargés d’une mélancolie prénatale. Une grande voix de la mer. - [...] - Notre

océan, à nous, venus du Nord, est celui du vent grave, qui passe dans les cimes des forêts, - ce

flux et ce reflux du Souffle Eternel dans la Nuit. L'orgue des sphères. »43

40 « François 1er, entrant dans ta nef dangereusement équilibrée de mon vieux Saint-Martin de Clamecy, dit
(rapporte la légende) : - « Voilà une belle ratoire ! » - J’étais dans « la Ratoire ». », dans Le Voyage intérieur,
op. cit., p. 19.
41 Ibid., p. 19.
42 Ibid., p. 21.
43 Ibid., p. 342-343.

42
Romain Rolland - Aperçu biographique

Et l’on trouvera dans son œuvre des pages magnifiques, où il évoque cet éveil des

sentiments, au son de l’eau, et des cloches.44

1880 : Paris

En automne 1880, toute la famille Rolland quitte Clamecy pour Paris, afin de

permettre au jeune Romain de poursuivre des études supérieures. Sa mère voulait lui éviter -

ainsi qu'à elle-même - une séparation douloureuse, et les contraintes de l’internat. L’étude

notariale paternelle est vendue, et Émile Rolland trouve à Paris un emploi modeste au Crédit

Foncier. La famille s’installe d’abord 16 rue de Toumon, puis bientôt au 31 de la rue Monge ;

après un nouveau déménagement, en 1885, elle s’installe 13 rue Michelet.

Après deux ans de rhétorique et de philosophie au lycée Saint-Louis (1880-1882),

Romain Rolland entre au lycée Louis-le-Grand, pour se préparer au concours d’entrée à

l’École Normale supérieure (1882-1886). Ces années sont pour lui des années difficiles, où il

doit se mettre au niveau de classes plus nombreuses et plus fortes qu’à Clamecy43. Il subit

deux échecs, en 1884 et 1885, avant d’être finalement reçu au concours de l’École Normale
en 1886.

44 Notamment dans L 'Aube, premier tome de Jean-Christophe :


« Le Fleuve... Les Cloches... Si loin qu 'il se souvienne dans les lointains du temps, à quelque heure de sa vie
que ce soit -, toujours leurs voix profondes etfamilières chantent...
La nuit - à demi endormi... Une pâle lueur blanchit la vitre... Le fleuve gronde. Dans le silence, sa voix monte
toute-puissante ; elle règne sur les êtres. Tantôt elle caresse leur sommeil et semble près de s'assoupir elle-
même, au bruissement de ses flots. Tantôt elle s'irrite, elle hurle, comme une bête enragée qui veut mordre. la
vocifération s’apaise : c’est maintenant un murmure d’une infinie douceur, des timbres argentins, de claires
clochettes, des rires d'enfants, de tendres voix qui chantent, une musique qui danse. Grande voix maternelle, qui
ne s'endort jamais ! Elle berce l'enfant, ainsi qu 'elle berça pendant des siècles, de la naissance à la mort, les
générations qui furent avant lui ; elle pénètre sa pensée, elle imprègne ses rêves, elle l’entoure du manteau de
ses fluides harmonies, qui l'envelopperont encore, quand il sera couché dans le petit cimetière qui dort au bord
de l’eau et que baigne le Rhin...
Les cloches... Voici l’aube ! Elles se répondent, dolentes, un peu tristes, amicales, tranquilles. Au son de leurs
voix lentes, montent des essaims de rêves, rêves du passé, désirs, espoirs, regrets des êtres disparus, que l'enfant
ne connut point, et que pourtant il fut, puisqu 'il fut en eux, puisqu 'ils revivent en lui. Des siècles de souvenirs
vibrent dans cette musique. Tant de deuils, tant de fêtes ! - Et, du fond de la chambre, il semble, en les
entendant, qu 'on voie passer les belles ondes sonores qui coulent dans l'air léger, les libres oiseaux, et le tiède
souffle du vent. Un coin de ciel bleu sourit à la fenêtre. Un rayon de soleil se glisse sur le lit, à travers les
rideaux. Le petit monde familier aux regards de l'enfant, tout ce qu 'il aperçoit de son lit, chaque matin, en
s'éveillant, tout ce qu’il commence, au prix de tant d'efforts, à reconnaître et à nommer, afin de s'en faire le
maître, - son royaume s’illumine. », fans Jean-Christophe, op. cit., vol. 1, p. 27-28.
45 « J’étais perdu dans mes travaux scolaires, où je devais désapprendre tout ce que j'avais appris : le style et la
pensée, toute ma monnaie de Bourgogne, qui n’avait plus cours ici ; et j'oscillais, grotesque, de la deuxième ou
troisième place à la quarantième, sans comprendre pourquoi la balançoire me jetait çà ou là : car ce qui me
semblait bien était jugé le pire, et c'était pour ce que j'avais fait sans y comprendre rien qu’on me disait : -
« C'est bien. »... En désespoir de cause, je pensais à pile ou face... », Le Voyage intérieur, op. cit., p. 92-93.

43
Romain Rolland - Aperçu biographique

Il étudie bien sûr la littérature classique ; mais ce sont surtout les œuvres de

Shakespeare et de Victor Hugo qu’il découvre avec enthousiasme. Se consolant de ses

premiers échecs au concours d’entrée de l’École Normale, il dira : « Le temps que j'ai perdu

avec Shakespeare et Hugo, je l'ai gagné pour la vie ».

Cependant, Paris n’est pour le jeune Romain Rolland qu’une nouvelle épreuve.

Évoquant le souvenir de cette époque, quelques années plus tard, il écrit :

«J 'entrais dans une crise affreuse de désintégration de la personnalité. Le choc de la

puberté s’ajoutait à l'ébranlement de l’exode. Transplanté, à quatorze ans, de ma terre

nivernaise dans l’asphalte de Paris, où l’on fait aux arbres, ainsi qu’aux poissons sous la

glace, des trous pour respirer, mes racines meurtries cherchaient, sans force, où se prendre.

Tout m'échappait, toute sécurité dans la vie. »46

A cette impression de dépaysement vient se greffer un profond dégoût pour Paris. Peu

d’écrivains français ont en effet éprouvé une répulsion aussi forte que Rolland pour

l’atmosphère parisienne. Elle ne lui semblera jamais aussi malpropre et irrespirable que

durant sa jeunesse, et il n’a pas de mots assez durs pour la flétrir :

« A Paris, transplanté en octobre 1880, ce fut bien pis. L'atmosphère malsaine du

lycée, cette caserne d’adolescents en rut, la fermentation du Quartier latin, la fièvre gluante

des rues, la Ville hallucinée, me soulevaient le cœur. Et je n 'avais plus la ressource, contre le

monde extérieur, de la quiétude somnolente, rêvassante, de province. /... ] Un positivisme

matérialiste, plat et gras, étalait son huile rance sur l'étang aux poissons. »47

Adolescent solitaire, il ne se lie guère avec ses condisciples de Louis-le-Grand, parmi

lesquels se trouvent Paul Claudel, Léon Daudet, André Suarès, Georges Dumas, Joseph

Bédier, Victor Bérard. Tous ont à souffrir de l’ambiance parisienne, de ce mal fïn-de-siècle,

que les Décadents vont mettre à la mode, et tous se sentent menacés par une sorte de

pessimisme moral, amer et désespéré. On pense par exemple à Paul Claudel, à qui

l'atmosphère de cette époque - un « bagne matérialiste », dira-t-il plus tard - donnait un

douloureux malaise.

46 Ibid, p. 90.
47 Extrait des Mémoires de Romain Rolland, cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland par lui-même, op.
cil., p . 18.
4S Après une enfance passée en Champagne, Paul Claudel était venu en 1882 s’installer à Paris, où il était entré
comme externe à Louis-le-Grand.

44
Romain Rolland - Aperçu biographique

Pour Romain Rolland, la crise morale, qui vient s’ajouter à la crise intellectuelle, va

jusqu’à la tentation de la mort, et il goûte un plaisir morbide, en lisant Hamlet, à trouver chez

le personnage de Shakespeare un désarroi fraternellement analogue au sien 49 Parallèlement, il

a abandonné la pratique religieuse, après avoir perdu la foi ; «Dieu était mort»*0 ... On

trouve déjà dans son reniement une certaine fierté intransigeante, ce refus du mensonge et de

l’hypocrisie que l’on retrouvera si souvent par la suite.31

Les « trois éclairs »

C’est dans ces mêmes années que le jeune Rolland se forge son propre credo, qui vient

remplacer la croyance disparue, en prenant conscience de ce que sont ses « supports sur

/ ’abîme »32 : les « trois éclairs », et la musique. Un chapitre complet du Voyage intérieur,x? est

consacré à la relation de ce que furent ces expériences mystiques, ces trois révélations qui

vont, entre 16 et 20 ans, tracer sa route.

« J'ai noté trois de ces jets de l'âme, trois de ces Eclairs, qui remplirent mes veines du

feu qui fait battre le cœur de l'univers. La trace de leur brûlure est restée aussi vive en mon

vieux corps que l'épreuve a depuis roulé comme un galet, qu 'à la minute lointaine où elle

s'imprimait dans la chair délicate et fiévreuse de l'adolescent.

Trois de ces instants sacrés - fulgurations presque aussitôt parues et disparues, - dont

pourtant la magie ne s'effacera de moi, que quand moi sera effacé :

La terrasse de Ferney ;

Les mots de feu de Spinoza ;

Et l'éclair Tolstoyen, dans la nuit du tunnel. »54

4; Voir Jacques Robichez, Romain Rolland, Paris : Hatier, 1961, p. 13-14. - Hamlet, incarné successivement
dans ces années par Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, était alors le héros favori de cette génération.
Voir également Le Voyage intérieur, op. cil., p. 32: « Seule, tandis que je sombrais, la tempête de
Shakespeare, soulevant les couches profondes du morne océan, ramenait, par remous, mon épave à la surface,
pour la replonger dans ta nuit. Je dirai le compagnon que me fut alors Hamlet, et le commentaire, agrippé à
chaque mot comme un lierre, que je lui ai consacré... »
50 Le Voyage intérieur, op. cit., p. 93.
? 1 « Mon premier acte d ’énergie, à cette heure d'adolescence où je sombrais sans Dieu, fut de rompre avec ma
religion. - Ce fut mon acte le plus religieux. [... J Par respect pour moi-même et pour le Dieu caché, je n 'ai pas
voulu feindre, mimer le semblant de croire, recrépir la façade, m'obstiner à pratiquer. Dieu ! je suis franc avec
toi ! Je ne vais plus à ta Messe. Je la sais trop auguste, pour agenouiller devant ton sanglant sacrifice un corps
veuf de son âme, et dont la bouche remue des oraisons à vide. Je ne crois pas en toi. », ibid., p. 94.
52 Ibid., p. 333.
53 Ibid., p. 27-45.
54 Ibid., p. 28.

45
Romain Rolland - Aperçu biographique

Le premier «éclair» date de l’été 1882. Cette année-là, Romain Rolland est à

Allevard, dans le Dauphiné, pour des raisons de santé. Avant le retour sur Paris, Madame

Rolland fait à ses deux enfants la surprise de les mener en Suisse, pour une courte excursion,

sur les bords du lac Léman. Pourtant, ce n’est pas en Suisse, mais à sa frontière, à Femey,

qu’a lieu le choc décisif : la révélation physique de la Nature. Rolland retrace en quelques

lignes ce que fut ce moment où la nature se révéla à lui :

«Qu'ai-je vu? Le paysage, fort beau, n'est pas exceptionnel. [...] Nulle trace de

romantisme. C'est le grand paysage classique, d’avant Rousseau. L’harmonie pleine et

calme, aux accords consonants, finement instrumentée, sans cuivres inutiles, bois et cordes,

vision claire, dessin net, et raison voluptueuse... Pourquoi donc est-ce ici que la révélation

m'est venue, ici, et non ailleurs ? Je ne sais. Mais ce fut un voile qui se déchire. L'esprit,

vierge violée qui s'ouvre sous l'étreinte, sentit se ruer en lui la mâle ivresse de la nature. Et,

pour la première fois, il conçut... Toutes les caresses d'avant, l’émotion poétique et sensuelle

des paysages nivernais, le miel et la résine au soleil des jours d'été, et l'oppression d'amour

et d'effroi des nuits étoilées, - tout prit son sens, tout s'expliqua ; et dans cette même seconde,

où je vis nue la Nature et où je la « connus », je l'aimai dans mon passé, car je l y reconnus.

Je sus que j 'étais à elle, depuis mes premiers jours, et que j'enfanterais...

Puis le voile retomba, et je rentrai dans Paris. »55

Le second éclair, entre 16 et 18 ans, fait jaillir, de Y Éthique de Spinoza, un « élixir de

vie éternelle »56. Cette lecture rétablit en son esprit la communication perdue entre la Nature,

Dieu et lui-même. Ce n’est qu’un refuge provisoire, mais qui le sauve d’un pessimisme où il

craignait de sombrer57. Il en dégage une conception métaphysique, unissant son existence et


celle du monde en l’infini, en l’universel.58

«[...] Point d'abstractions. Des Essences. Des Êtres. Tout est être : - et les Modes

innombrables et finis ; et l'infinité des Attributs infinis ; et l’Etre des êtres, la Substance,

« l’Être unique, infini, l’être qui est tout l’être, et hors duquel il n’y a rien. »yj

-3 Ibid., p. 30-31.
56 Ibid., p. 33.
« Je n ’oublierai jamais que, dans le cyclone de mon adolescence, j 'ai trouvé mon refuge au nid profond de
b Éthique... », ibid., p. 33.
58 «/.../ c'est par le panthéisme que Spinoza m'a pris alors, pas du tout par la grandeur morale. Je n'avais
alors aucun souci de moralisme. Mais le panthéisme était chez moi un instinct, une passion mystique, musicale,
que Spinoza rendit claire. », lettre à Paul Colin*, 11 juin 1920.
9 Œuvres de Spinoza, traduites par Émile Saisset, Charpentier, 1872, tome III, p. 329.

46
Romain Rolland - Aperçu biographique

Vertige !... Vin de feu !... Ma prison s 'est ouverte. Voilà donc la réponse, obscurément

conçue dans la douleur et dans le désespoir, appelée par des cris de passion aux ailes brisées,

obstinément cherchée, voulue, dans les meurtrissures et les larmes de sang, la voilà

rayonnante, la réponse à l'énigme du Sphinx qui m'étreint depuis l'enfance, - à l'antinomie

accablante entre l'immensité de mon être intérieur et le cachot de mon individu, qui

m'humilie et qui m'étouffe !... [...] « Tout ce qui est, est en Dieu. »60 Et moi aussi, je suis en

Dieu! De ma chambre glacée, où tombe la nuit d'hiver, je m'évade au gouffre de la

Substance, dans le soleil blanc de l'Être. »61

La troisième révélation, qui survient peu de temps avant son entrée à l’École Normale,

en 1886, est du même ordre. Il a l’invincible certitude, sous la menace d’un accident, d’être

infiniment plus qu’un corps périssable 62. Il retrouvera, non sans étonnement, cette même

sensation sous la plume de Tolstoï, en lisant, environ un an après, Guerre et paix : Pierre

Bezoukhov, un des personnages principaux, fait prisonnier des Français et traîné à leur suite

dans la retraite de Moscou, découvre soudain l’impossibilité pour ses détenteurs d’enfermer

son âme immortelle.

A côté de ces « trois éclairs », c’est dans la musique qu’il trouve un véritable

réconfort, en ces années difficiles.63 On ne saurait exagérer l’importance qu’a eu, dans sa vie,

la musique.64 C’est sa mère qui l’y a initié, et c’est d’elle qu’il tient sa sensibilité musicale. Il

apprécie Mozart, Bach, Berlioz, Rameau, Haendel, Glück, et plus particulièrement Beethoven.

Avec son camarade de classe à Louis-le-Grand, Paul Claudel, il fréquente des concerts et

s’enthousiasme, chez Colonne, au Châtelet, pour Wagner. Lui-même joue du piano, et n’a

qu’une hâte, les cours finis : rentrer chez lui, pour pouvoir enfin se livrer à sa passion.65 Sa

60 Ibid, l 15
61 Le Voyage intérieur, op. cit., p. 36.
62 «/.../ Je songeais... Et ce fut comme si le tunnel s'ouvrait. Je voyais, au-dessus, les champs dans le soleil, les
luzernes ondulantes, les alouettes qui montaient. Je me dis :
- « C 'est à moi. Je suis là. One mefait ce wagon dans la nuit, où, dans quelques secondes, je serai broyé, [)eut-
être ? Moi ? - Non ! l’on ne me tient pas. [...] Je suis ici et là, partout, et je suis tout... »
Et blotti dans le coin sombre du wagon immobile, mon cœur rit d’allégresse... », ibid., p. 44.
63 « Elle fut, en ces années, mon vrai culte religieux. », ibid., p. 95.
64 Voir le chapitre consacré à Romain Rolland et la musique, dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland par
lui-même, op. cit., p. 21-24.
65 Voir Jean-Christophe, op. cit., vol. 1, p. 150-151 : « Il est à son vieux piano, dans sa mansarde, seul. La nuit
tombe. La lueur mourante du jour glisse sur le cahier de musique. Il se brise les yeux à lire, jusqu ’à la dernière
goutte de lumière, lxi tendresse des grands cœurs éteints, qui s’exhale de ces pages muettes, le pénètre
amoureusement. ...»

47
Romain Rolland - Aperçu biographique

véritable vocation aurait été de mener une carrière musicale, mais sa famille s’opposa à ce

projet.

L’École Normale supérieure (1886-1889)66

En juillet 1886, après deux échecs, Romain Rolland est reçu dixième au concours de

l’École Normale supérieure. Sa première année est consacrée à sa licence ès-Lettres. Les

professeurs de l’École sont alors Brunetière, G. Boissier, Ollé-Laprune, etc..

C’est durant cette première année qu’il rend visite à Ernest Renan. L’écrivain et

philosophe français, après avoir renoncé à une vocation ecclésiastique, s’était fait connaître

par ses études sur les langues sémitiques et sur l’histoire des religions. Ses travaux d’exégèse,

et notamment sa Vie de Jésus, publiée en 1863, avaient connu un grand retentissement. Il

s’était vu confier en 1862 la chaire d’hébreu au Collège de France, mais le cours fut suspendu

par le gouvernement de Napoléon III, avant de reprendre en 1870. Quand Rolland va lui

rendre visite, le 26 décembre 1886, il est alors depuis quelques années à l’apogée de sa

carrière. Comme souvent, un jeune élève cherche la réponse aux questions qui le tourmentent
' ? a 67
auprès d’un maître plus âgé , et il n’est pas surprenant que Rolland se soit senti attiré par ce

«pontife du laïcisme»68, dont les Souvenirs d'enfance et de jeunesse, parus en 1883,

relataient les circonstances qui le conduisirent à perdre la foi. Le jeune normalien n’oubliera

jamais cette rencontre, où il recueille à la fois la leçon d’espoir du vieux maître, dont le

symbole, « la route qui monte en lacets », ne devait plus le quitter, mais aussi des propos plus

désabusés et plus durs. Rolland lui fait part notamment, au cours de la discussion, de la

compassion qu’il éprouve pour les personnes souffrant d’avoir perdu leur foi, mais la réponse

n’est pas celle qu’il attend, et il gardera toujours le souvenir du « petit rire méchant » avec

lequel Renan lui a répondu: « Tant pis pour elles, si elles sont faibles, si elles sont accablées

par la science. Elles n 'avaient qu 'à ne pas rechercher la vérité. »69

C’est durant sa scolarité à l’École Normale que Rolland connaît un premier

dénouement de sa crise morale : sa nouvelle profession de foi, le Credo quia verum, date du 4

66 Voir Le Cloître de la rue d’Ulm - Journal de Romain Rolland à l'École Normale (1886-1889), Paris A.
Michel, 1952 (Cahier Romain Rolland n° 4).
67 On pense à un épisode des Thibault, de Roger Martin du Gard : la visite de Jacques Thibault, peu de temps
avant son entrée à l’École Normale, à un professeur, Jalicourt - visite qui va avoir une influence déterminante
sur le jeune Thibault.
68 L’expression est de Michel Mourre, dans la notice qu’il consacre à Renan, dans le Dictionnaire des auteurs,
Paris : R. Laffont, 1985.
69 Cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland/>ar lui-même, op. cit., p. 37.

48
Romain Rolland - Aperçu biographique

70
mai 1888. C’est un texte encore fortement inspiré de Spinoza, qui couronne des années de

recherche tourmentée, mais ouvre aussi de nouveaux horizons : l’amour, l’action, la création

littéraire. « Le philosophe y cède le pas à l’artiste. [...] Le Credo donne son unité à l’effort

que Romain Rolland va tenter pour rénover le théâtre. Tout comprendre par le cœur et tout

concilier par l’art : telle était la conséquence qui s’en dégageait directement. »71 Le Credo

propose également un idéal de vie, qui serait la synthèse de trois éléments : l’ironie à la

manière de Renan ; l’ardeur de la passion, telle qu’elle se déchaîne au temps de la

Renaissance italienne ; l’abnégation, la charité tolstoïenne. On peut s’étonner de la difficulté

de cette synthèse, mais tenter d’unir les contraires a toujours été la première, ou du moins la

plus constante, des aspirations de Rolland.72

Dès les premiers jours passés à la rue d’Ulm, Romain Rolland fait la rencontre

d’André Suarès. Celui-ci, né en 1868 à Marseille, était venu poursuivre ses études à Paris ;

pensionnaire au collège Sainte-Barbe, il suivait également les cours du lycée Louis-le-Grand.

Ce n’est pourtant qu’à l’École Normale qu’il se lie avec Romain Rolland. Une commune

passion pour la musique, un même amour de Shakespeare et de Spinoza, ainsi qu’une même

haine de l’Université, les rapproche dès la première semaine. Tous deux, accompagnés de

Paul Claudel, fréquentent les concerts. André Suarès sera, durant ces trois années, l’ami le

plus proche, le plus intime de Rolland.73

On lui connaît peu d’autres amis, à l’exception de Georges Mille, jeune homme plein

de talent, qui meurt de façon précoce, en septembre 1888. Rolland, en effet, paraît à ses

camarades assez distant, intimidant. 11 souffre que sa véritable personnalité soit méconnue74 ;

c’est un reproche qu’il fera aussi plus tard à ses amis, à ses lecteurs, qui ne percevront pas tout

70 Le texte du Credo quia verum - je pense (ou je sens), donc II est - est donné en appendice au Cloître de la rue
d'Ulm, op. cil., p. 353-379. - Voir l’analyse très poussée qu’en donne Jacques Robichez, dans son Romain
Rolland, op. ci/., p. 17-20.
71 Ibid., p. 18-19.
72 Romain Rolland avait fait sienne la devise du philosophe grec Héraclite : «Avec les dissonances, tresser la
plus belle harmonie. »
73 « Celui de mes camarades qui, depuis mon entrée à l'Ecole [...] m'est te plus sympathique, de beaucoup ; et je
sais que cette amitié est réciproque. /... /
/ . . . / Pourtant, je ne crois pas que dans toute la promotion on aurait pu trouver deux caractères plus différents
que les nôtres. Il était tout le Midi, exubérant et sensuel, et j'étais tout le Nord, mystique et concentré /.../. »,
dans Le Cloître de la rue d'Ulm, op. cit., p. 29-30.
Une partie de la correspondance échangée entre les deux amis a été publiée : Celte Âme ardente - Choix de
lettres de André Suarès à Romain Rolland (1887-1891), Paris : A. Michel, 1954 (Cahier Romain Rolland n° 5).
74 « On ne me connaît guère, à l'École Normale. /...] Rue d'Ulm, on ne voit de moi que la correction de
conduite, la régularité du travail, la probité laborieuse, l'honnêteté froide de la vie intellectuelle, sans se
douter de la contrainte dure que j'impose à tout ce qui bondit en moi, hurle même quelquefois contre les autres
et contre moi. », dans Le Cloître de la rue d'Ulm, op. cit., p. 301.

49
Romain Rolland - Aperçu biographique

ce qu’il y a en lui de passions contenues, d’élan, de forces vives, derrière le masque peut-être

un peu austère qu’il semble parfois présenter.

Le Journal nous fait connaître ses goûts, en matière de lecture, de théâtre, ainsi que ses

projets, où se dessinent déjà les premières traces d’une vocation littéraire. Romain Rolland

continue de lire beaucoup : Shakespeare, toujours, mais aussi Dickens, les épopées religieuses

de l’Inde dans la traduction de Bumouf, Ibsen. Il aime Balzac, Stendhal, dont il admire le don

d’analyse, et pour qui il gardera toujours une certaine préférence ; il apprécie également le

théâtre de Musset. En revanche, il semble peu sensible aux influences les plus

contemporaines, à la littérature d’avant-garde, aux recherches menées par les Symbolistes ou

les Décadents. Il ne s’intéresse ni à Rimbaud, ni à Verlaine, ni à Mallarmé, n’apprécie guère

Loti ou Huysmans, ne dit rien de Zola. Il se soucie peu également de l’évolution de l’art

dramatique, et s’il est partisan d’une rénovation morale du théâtre, il se satisfait en revanche

d’une technique traditionnelle. Il ne s’intéresse guère aux recherches d’André Antoine, qui

venait de créer, en 1887, le Théâtre Libre, afin de rénover le spectacle par une mise en scène

réaliste et par l’interprétation de jeunes auteurs naturalistes et étrangers.

Il faut noter toutefois son goût pour la littérature étrangère. Il découvre la littérature

russe, révélée alors à la France, et pour laquelle il se passionne : Dostoïevski, Tourguéniev, et

surtout Tolstoï ; il introduit Guerre et paix à l’École Normale, en le faisant connaître à ses

camarades. À la Pentecôte de 1887, il adresse une première lettre à Léon Tolstoï ; n’ayant pas

eu de réponse, il lui en envoie une seconde en septembre. Il se sent en commun avec

l’écrivain russe une même hantise de la mort, le goût du renoncement à soi-même, et

l’aspiration à une bienfaisante fusion au sein de l’existence universelle. Mais, en revanche, la

condamnation de l’art prononcée par Tolstoï le heurte, et c’est le thème central des deux

lettres qu’il se permet de lui écrire. Il reçoit, le 21 octobre, la réponse de Tolstoï, datée du 4 :

vingt-huit pages qui, si elles ne donnent pas de solution définitive au problème, constituent un

témoignage inappréciable de sympathie.7^

On a souvent prêté au grand écrivain russe, à tort, un rôle déterminant dans la vie, du

moins dans l’éveil de la vocation, du jeune Rolland. Celui-ci, toutefois, se défendra toujours

d’être tolstoïen, et il s’en explique très précisément dans Le Voyage intérieur76 :

75 Pour les rapports entre Romain Rolland et Tolstoï, voir Monsieur le Comte - Romain Rolland et Léon Tolstoy,
Paris : A. Michel (Cahier Romain Rolland n° 24).
76 Le Voyage intérieur, op. cit., p. 41-44.

50
Romain Rolland - Aperçu biographique

«J'ai dit, en plus d'un livre, mon émotion de gratitude passionnée, à ce geste de bonté

du vieux grand homme, qui me donnait ses conseils et m'appelait son « frère ».
9 77 r
Mais l'influence de Tolstoy sur moi a été mal appréciée. Très forte esthétiquement,

moralement assezforte, elle fut, intellectuellement, nulle. »78

La découverte de Tolstoï arrive en effet à un moment où la pensée de Rolland est

formée, où il vient de façonner son propre Credo. Il n’en reste pas moins que l’influence de

l’écrivain russe sur le jeune normalien fut tout de même assez importante, et Rolland ne la nie

nullement ; pourtant, ce n’est pas tant les idées de Tolstoï que Rolland fait siennes, que ses

propres idées qu’il retrouve dans ce qu’écrit Tolstoï. Et la réponse du vieil écrivain russe lui

est plus un encouragement, un réconfort, qu’une véritable révélation.

Romain Rolland se destinait à l’origine à la philosophie, mais il est rebuté par les

doctrines officielles, par le « spiritualisme papelard »79 qui règne au concours d’agrégation, et

refusant de mentir, il opte dès la seconde année pour la section d’histoire, dont il aime les

maîtres : « Le probe enseignement d'un Guiraud, d'un Gabriel Monod, et de Vidal-Lablache,

nous a appris les stricts devoirs dans la recherche de la vérité. »8Ü Sous la direction de

Gabriel Monod, qu’il estime beaucoup, il s’oriente définitivement, en troisième année, vers

l’agrégation d’histoire. « Et, me cherchant un garde-fou, je décidai de prendre l'histoire

comme métier. [...] Je prétendais y satisfaire tout à la fois à mes besoins de rigoureuse

recherche des faits, et d'intuitionnisme qui fait revivre - qui revit l'âme - les âmes mortes, du
r 81
passe. » .

L’histoire répond également à ses premiers projets littéraires. Il envisage alors d’écrire

« / 'histoire psychologique de la seconde moitié du XVIe siècle français, des temps de la Ligue

et des Guerres de Religion, [se disant/ fasciné par le brasier de passion et d'action, où

crépitaient, par brassées, des personnalités puissantes, et troubles. »82 Son mémoire de

seconde année, consacré à Claude Haton, curé de Provins au XVIe siècle, l’a conduit vers ce

sujet, et la lecture de Guerre et paix l’a peut-être poussé plus encore dans cette voie. Il fait

part, dans ses notes, de son goût pour les périodes troublées et, surtout, de sa volonté à

77
Romain Rolland a toujours adopté cette orthographe pour transcrire le nom de l’auteur russe.
78
Le Voyage intérieur, op. cit., p. 41.
79
Cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland fxir lui-même, op. cil., p. 179.
80
Ibid.
81
Extrait des Mémoires, cité dans ibid., p. 104-105.
82
Ibid.

51
Romain Rolland - Aperçu biographique

embrasser, revivre du dedans et comprendre tous les fanatismes ; déjà se profile l’attitude

qu’il adoptera au cours de la Première Guerre mondiale.

En août 1889, il est reçu huitième à l’agrégation d’histoire. Mais il n’a qu’une idée,

échapper au professorat. Un poste est libre à l’École française de Rome : il l’accepte, et quitte

Paris pour deux ans, en novembre 1889.

L’École française de Rome (1889-1891 )83

Pensionnaire au Palais Famèse, Romain Rolland travaille, aux archives du Vatican, à

un mémoire sur le cardinal Jean Salviati, nonce à la cour de François 1er. Ses recherches ne le

passionnent guère, et il s’empresse de les finir, afin de pouvoir s’offrir deux années de

flâneries et de rêveries. C’est qu’il s’intéresse bien davantage à l’Italie, et à lui-même, et ses

deux années à Rome lui donnent l’occasion de réfléchir à sa vocation, et de découvrir l’art

italien, notamment les chefs-d’œuvre de la Renaissance. Il fréquente les musées, visite

également Florence, Sienne, Venise, la Sicile, et goûte avec plaisir à la dolce vita. Il gardera

toute sa vie un amour profond pour l’Italie - et plus particulièrement pour Rome. Dès les

premiers jours, il est tombé sous le charme de ce pays enchanteur, au climat doux, à la

lumière éblouissante et sereine, qu’il découvre avec émerveillement.

« Rome a laissé dans ma vie un tel rayonnement que j'ai toujours été enclin à lui

attribuer le rôle décisif dans mon développement. Peu s’en faut que je ne date d'elle ma

seconde - ma vraie naissance. »84

C’est que Rome est aussi la ville des grandes « révélations ». Il y fait notamment la

rencontre de Malwida von Meysenbug85, à qui il a été présenté par son maître de l’École

Normale, Gabriel Monod. C’est la musique qui rapproche le jeune homme et la femme de

lettres allemande, alors septuagénaire, que l’on connaît pour ses Mémoires d’une idéaliste,

parus en 1876. Bien que d’origine aristocratique, Malwida von Meysenbug n’avait pas été

insensible aux courants de pensée qui avaient conduit aux mouvements de 1848. En 1852, elle

quitte sa famille et l’Allemagne pour Londres, où elle fréquente les milieux proches des

X3 Voir Printemps romain - Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère (1889-1890), Paris : A. Michel, 1954
{Cahier Romain Rolland n° 6), et Retour au Palais Famèse - Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère
(1890-1891), Paris : A. Michel, 1956 {Cahier Romain Rolland n° 8).
84 Extrait des Mémoires, cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rollandpar lui-même, op. cil., p. III.
85 Voir les pages qu’il lui consacre dans le chapitre « Les Amies », dans Le Voyage intérieur, op. cil., p. 139-173,
et notamment son portrait, p. 142-143.

52
Romain Rolland - Aperçu biographique

révolutionnaires de 1848, adeptes d’un renouvellement européen ; elle connaît notamment


* i 86 87 88
Louis Blanc , Ledru-Rollin , Mazzini . Mais elle était l’amie également du compositeur

allemand Richard Wagner, rencontré lors d’un voyage à Paris, et dont elle défendit, parmi les

premiers, la révolution musicale, ainsi que du philosophe allemand Friedrich Nietzsche, et du

compositeur et pianiste hongrois Franz Liszt. En 1870, elle se fixe définitivement à Rome, où

elle se lie avec Garibaldi, Minghetti, Sonnino, et avec les milieux culturels de la capitale

italienne. Lejeune Rolland lui rend souvent visite à son appartement, Via délia Polveriera, où

il côtoie le souvenir de ses illustres prédécesseurs :

« Oui, toutes les tragédies avaient passé ici. Et celles des destinées individuelles, et

celles des destins des peuples, les guerres, les Révolutions, l'immense espoir brisé et outragé

de 1848, la faillite du rêve Mazzinien, et celle, plus secrète, du rêve Wagnérien /... ] : - toutes

les tragédies, mais surmontées.

Grande école d'héroïsme. Et sans leçons, sans phrases. C'est là que j'ai appris le

secret des maîtres du monde : les grands Vaincus. Ceux de l'action et ceux de la pensée.

A-;»89

La vieille dame est pour son jeune ami une sorte de médiatrice vers les « héros », ses

amis d’autrefois, dont elle l’entretient souvent. Elle lui fait découvrir également « un autre

secret [...]: la clef d'un trésor perdu - la vieille Allemagne. »90. Et, surtout, elle l’encourage

à écrire, au moment crucial où il prend nettement conscience de ce qu’il désire

profondément.91 Elle est la première à comprendre sa volonté de renoncer à faire carrière dans

l’Université, et en prévient sa famille et son maître, Gabriel Monod. Romain Rolland sera

toujours reconnaissant à sa vieille amie pour la confiance qu’elle a su, dès le début, lui

86 Louis Blanc, historien et homme politique français (1811-1882). Gagné aux idées socialistes, il fut l’un des
acteurs des Révolutions de 1848. Exilé après les Journées de Juin, rentré en France en 1870, il fut député
d’extrême-gauche à l’Assemblée nationale.
87 Alexandre Ledru, dit Ledru-Rollin, homme politique français (1807-1874). Avocat démocrate et député, il
lança la Réforme, organe du radicalisme. Il fut également l’un des acteurs des mouvements de 1848. Exilé en
1849, il ne rentra en France qu’en 1870.
88 Giuseppe Mazzini, patriote italien (1805-1872). Un des acteurs du Risorgimento, qui visait à l’établissement
d'une république italienne unitaire. Après avoir joué un rôle dans la révolution de 1848, il fit proclamer, en mars
1849, la république à Rome et fit partie du triumvirat qui la dirigeait. Mais l’expédition française de juillet
l’obligea à s’exiler.
89 Le Voyage intérieur, op. cil., p. 148.
99 Ibid., p. 149.
« La question se posait, pressante, de mon avenir. J'avais, pendant des années, travaillé opiniâtrement pour
entrer dans une carrière, où la gêne de ma famille et l'attente de mes parents, bien plus que mon propre goût,
m'avaient acculé. J'avais sacrifié mon adolescence à ces arides examens qui, d'échelon en échelon, par l'Ecole
Normale, la licence et l'agrégation, m'amenaient au professorat. Et maintenant que tout le gros de l'effort était
fait, que la porte s'ouvrait, je n 'y voulais plus entrer. Ixi subite poussée de la création m'avait révélé, non mon
être véritable (je le connaissais), mais sa force et ses droits. Il ne se contentait plus de désirer, il exigeait. Il
exigeait que je lui fusse tout livré. », ibid., p. 155.

53
Romain Rolland - Aperçu biographique

témoigner, et il n’est pas loin de lui attribuer un rôle décisif dans sa décision d’entreprendre

une carrière littéraire. Quelques années plus tard, il lui écrira :

« ...je vous dois de m 'être éveillé plus clairement à moi-même. Ce que vous avez été

alors pour moi, nul autre ne l ’aurait pu être ainsi. Vous m 'avez donné la conscience de mes

forces ; vous m'avez donné foi dans mon œuvre, - sinon dans ce que j'avais fait, dans ce que

j'avais à faire ; - je sentais en votre cœur un écho de mon cœur, je sentais donc que j'avais

raison d'être ce que j'étais, de sentir ce que je sentais, et que si d'autres ne me comprenaient
i <1?
pas, ils avaient tort, et moi raison. »

Malwida von Meysenbug demeure, après le retour de Rolland à Paris, une confidente

fidèle, et un soutien précieux ; ils entretiennent tous deux, jusqu’à la mort, en 1903, de la

vieille dame, une correspondance abondante et riche.93

De ce séjour date également la première ébauche de ce qui deviendra, quelques années

plus tard, Jean-Christophe. Un soir de mars 1890, c’est la « révélation du Janicule » :

« Soleil couchant. À mes pieds, flambait la Ville, rouge sombre en hémicycle. [...] Le

moment revit en moi, je revois le lieu exact où commença pour mon esprit la nouvelle vie.

!... J Le front d'abord sortit du sol. Et le regard. Les yeux de Christophe. Le reste du

corps, lentement, sans se presser, émergea, au long des années. Mais de ce jour date pour

moi sa vision. /... J

/... J Je vis de loin mon temps, mon pays, mes préjugés, moi-même. Je fus libre, pour la

première fois. »94

En cet instant, où le destin s’est éveillé, mis en marche9:>, ce n’est pas tant l’œuvre

qu’il porte en lui, qu’il découvre, que lui-même. Il se sent libre, c’est-à-dire maître de lui.

« Ici, le destin d'action a parlé. Jusque-là, il balbutiait. Seul s'était constitué, depuis

l'adolescence, le Destin de pensée, la connaissance de la patrie éternelle. »%

C’est durant son séjour à Rome que Rolland écrit ses premiers drames : Empédocle

(1890), Orsino (1890), Les Baglioni (1891), les deux derniers étant consacrés à la

n Lettre à Malwida von Meysenbug, [27 août 1893], dans le Cahier Romain Rolland n° I (voir ci-dessous),
p. 90.
3 Seule une petite partie de cette correspondance a été publiée : Choix de lettres à Malwida von Meysenbug,
Paris : A. Michel, 1948 {Cahier Romain Rolland n° 1).
94 Le Voyage intérieur, op. cit., p. 133.
95 Voir ibid., p. 333.
96 Ibid., p. 334.

54
Romain Rolland - Aperçu biographique

Renaissance italienne, dans laquelle il cherche des modèles d’exaltation et de vie héroïque. Il

s’expliquera sur ces premiers projets dans une lettre à Paul Colin :

« Mon point de départ, quand j'étais encore à l'Ecole française de Rome, c 'était

d'écrire une série de drames incarnant (prétendant incarner) chacun une forme différente de

ce que je nommais le « divin », - la Vie intense : - le grand croyant, le grand athée, l'artiste,

l'homme d'action, l'homme de raison héroïque, l'amoureux, l'homme de renoncement,

toutes ces formes opposées, se fondant en un panthéisme de la Vie passionnée.97

Mes premiers drames italiens fOrsino, les Baglioni) exprimaient un nietzschéisme, qui

ignorait encore l'existence de Nietzsche.

Un effort pourfondre l'idéal de vie intense et celui d'harmonie. »9S

En juillet 1891, il quitte Rome, en compagnie de Malwida von Meysenbug ; il passe

par Bayreuth, avant de rentrer « dans l'arène de Paris »." S’il déplore sa « méconnaissance

presque totale de la nouvelle poésie française », à son retour à Paris, il se félicite en revanche

de sa « très forte culture encyclopédique », de son « esprit (plus que culture) cosmopolite »100

Toujours réfractaire à l’enseignement, il obtient un congé d’un an, pour l’année

scolaire 1891-1892. Il poursuit alors l’œuvre ébauchée à Rome, la « Divine Tragédie » : après

les trois premiers drames écrits en Italie, il rédige Niobé, au début de l’année 1892, et

commence Caligula. C’est à cette époque qu’il rencontre le grand acteur Mounet-Sully, qui

s’est pris d’admiration pour Orsino et Les Baglioni ; mais, malgré son appui, les deux drames

sont refusés à la Comédie-Française.

Les thèses de doctorat (1892-1895)

En octobre 1892, Romain Rolland épouse Clotilde Bréal, fille de Michel Bréal,

professeur de philologie classique au Collège de France. Celui-ci, inquiet des débuts

nonchalants de son gendre, le convainc de mener à bien une thèse de doctorat. Aussi, dès le

mois de novembre, le jeune couple part pour Rome. En quelques mois, Rolland a réuni la

documentation nécessaire à ses recherches sur les origines de l’opéra, en fouillant dans les

;7 On remarquera la recherche essentielle de Rolland, tant dans sa vie que dans ses œuvres : savoir concilier en
un seul élément toutes les forces contradictoires. Sans doute faut-il voir dans ce souci constant de l’harmonie un

[3eu de sa sensibilité musicale.


8 Lettre à Paul Colin*, 23 février 1920. - Paul Colin rédigeait alors une biographie de Romain Rolland.
99 Cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rollandpar lui-même, op. cil., p. 179.
100 Le Voyage intérieur, op. ci/., p. 343.

55
Romain Rolland - Aperçu biographique

partitions inédites de la bibliothèque Sancta Ceci lia, notamment dans celles de Monteverdi.

De retour à Paris, il la complète et rédige ses thèses.

Sa thèse principale, Les Origines du théâtre lyrique moderne - Histoire de l'opéra

avant Lully et Scarlatti, est bien évidemment consacrée à la musique101 ; quant à sa thèse

complémentaire, en latin, elle porte sur Les Causes du déclin de la peinture italienne au

seizième siècle (Cur ars picturae apud halos XVI saeculi deciderit)102. Il les soutient devant

un jury où siègent le doyen Himly, Larroumet, Séailles, Lemonnier, Gebhart et Dejob ; en

juin 1895, il est reçu docteur ès-Lettres, avec la mention « Très Honorable ».

Ce succès lui vaut d’être chargé du cours complémentaire d’histoire de l’art, à l’École

Normale supérieure : il y débute en novembre 1895. Par ailleurs, il donne, depuis octobre, des

cours de morale à l’École Jean-Baptiste Say, qui l’ennuient autant que ses élèves. Il ne se sent

décidément aucun goût pour une carrière professorale, et c’est bien toujours l’écriture qui

l’attire.

Le théâtre103

Sa carrière littéraire commence par le théâtre, qui est sa première vocation. Romain

Rolland poursuit en effet ses projets dramatiques, amorcés à Rome : toujours dans le cadre de

la série demeurée à l’état d’ébauche, la « Divine Tragédie », il a achevé en 1893 Caligula, et

composé en 1894 Le Siège de Mantoue. Il termine en 1895 Saint Louis, qui paraîtra dans la

Revue de Paris (mars-avril 1897), et après Savonarole, inachevé, compose Jeanne de Piennes

(1896), drame resté inédit.104

1898 marque les débuts au théâtre de Romain Rolland : Aërt, pièce écrite en 1897,

dernière de la série de la « Divine Tragédie », d’abord publiée par la Revue d’Art dramatique

(mars à mai 1898), est montée par Lugné-Poe au Théâtre de l’Œuvre.105 La pièce est donnée,

selon l’usage de L’Œuvre, pour une seule représentation, le 3 mai 1898, et connaît un succès

honorable. Elle raconte l’histoire d’un jeune prince dépossédé, tombé aux mains du

101 Romain Rolland est d’ailleurs l’un des premiers à soutenir en Sorbonne une thèse traitant d’histoire de la
musique.
102 De la décadence de la peinture italienne au XVIe siècle (Thèse complémentaire de Romain Rolland ), Paris :
A. Michel, 1957 (Cahier Romain Rolland n° 9).
103 Se reporter à l’annexe 2, qui présente la bibliographie des œuvres publiées de Romain Rolland de 1895 à
1914.

104 Jacques Robichez présente, dans son ouvrage, le sujet de chacune de ces pièces : voir Romain Rolland, op.
cil., p. 109-115.
105 On peut consulter à ce sujet la correspondance échangée entre les deux hommes, présentée et annotée par
Jacques Robichez : Romain Rolland et Lugné-Poe - Correspondance (1894-1901), Paris : L’Arche, 1957.

56
Romain Rolland - Aperçu biographique

vainqueur, qui résiste désespérément à l’avilissement où sombrent ses compatriotes106 ; Aërt,

sorte de portrait de l’auteur, restera toujours l’une de ses pièces préférées.

Dans le contexte de l’affaire Dreyfus, il écrit ensuite Les Loups, pièce qui inaugure un

cycle d’œuvres consacrées à la Révolution française.107 Elle est représentée le 18 mai 1898,

toujours au Théâtre de l’Œuvre, sous le titre Morituri. Dédiée à Charles Péguy, elle est

publiée par celui-ci aux Éditions Georges Bellais, sous le pseudonyme de L. Saint-Just.

Romain Rolland poursuit alors son Théâtre de la Révolution : Le Triomphe de la

raison, drame consacré à la chute des Girondins, publié en 1899 dans la Revue d’Art

dramatique, est représenté à L’Œuvre le 21 juin. Danton, qui paraît dans la même revue, est

joué à la fin de l’année 1900 ; c’est la première œuvre publiée (en seconde édition), aux

Cahiers de la Quinzaine, en février 1901. Péguy publiera ensuite Le Quatorze Juillet (1902),

monté par Gémier au Théâtre de la Renaissance, le 21 mars.108

L’ambition de Romain Rolland est de renouveler le genre tragique, par ces épopées

dramatiques où s’affrontent des tempéraments animés par de grandes idées. Il cherche à

réaliser une vaste fresque historique, fondée sur une rigoureuse documentation scientifique.

Mais il tient surtout à ce que l’histoire y soit animée par la sympathie : il a en effet le souci

constant de rapprocher les hommes, de parvenir à une communion intime des âmes, y compris

à travers les siècles. Dans la suite de la lettre à Paul Colin, déjà citée plus haut, il écrit :

« Cette Vie intense crut trouver, pendant une période, son expression supérieure dans

un Théâtre du Peuple, où seraient évoquées, concentrées, les passions sages et folles, des

millions d'hommes, dominées par la Fatalité de l'histoire, - ou de l'âme humaine et de ses

mois. (Ce Théâtre de la Révolution devait comprendre 10 pièces, - toutes esquissées, quatre

seulement écrites, - l'épopée d'une tempête des peuples). »109

106 Jean-Bertrand Barrère y voit l’influence du théâtre de Musset, de Lorenzaccio notamment. Aërt serait un
« Lorenzo sain ».

107 Le goût de Romain Rolland pour la Révolution française s’est nourri de la lecture, tout enfant, dans la
bibliothèque du grand-père, de VHistoire des Girondins de Lamartine et de Quatre-vingt-treize de Hugo.
Voir également une lettre de Romain Rolland à Paul Bourget*, en date du 17 octobre [1898] :
«/. . ./ La lecture de votre lettre au Figaro me met malgré moi la plume en main. Je respecte vos opinions ;
mais je ne puis laisser sans protestation votre prétention d’enfermer la jeunesse contemporaine dans vos
propres sentiments -[. . .]
Nous [une partie de la jeunesse] revendiquons la Révolution de 89 qu ’il vous plaît de mépriser en notre nom.
Certes elle fut incomplète, déformée par les circonstances extérieures, trahie par les hommes ; mais elle fut la
floraison naturelle et saine de notre histoire, et le point de départ de développements nouveaux. Elle a renouvelé
l 'âme du monde /.../. »
108 Jacques Robichez analyse en détail ce Théâtre de la Révolution, dans Romain Rolland, op. cit., p. 119-130. -
Ce cycle, poursuivi après la guerre, ne sera achevé qu’en 1939 : Le Jeu de l’amour et de la mort (1925), Pâques-
Fleuries ( 1926), Les Léonides ( 1928), Robespierre ( 1939).

57
Romain Rolland - Aperçu biographique

Si quelques-unes de ses premières pièces ont été représentées (Aërt, Les Loups, Le

Triomphe de la raison, Danton, Le Quatorze Juillet), Romain Rolland ne parvient pas,

pourtant, à s’imposer comme dramaturge. « De 1890 à 1900, j'ai été muré ; j... J. Dix drames

non publiés. Point d'éditeur. »'10 II évoque ses « durs contacts avec la Foire sur la Place //y»,

Y «hostilité des groupes littéraires», et fait état de Y «appui (non cherché) de l'Ecole
1 1 9

Normale et de ses revues ou critiques » .

Le professorat lui permet en effet de subsister, ainsi que les articles qu’il écrit pour

différentes revues. En plus du cours complémentaire d’histoire de l’art dont il est chargé à

l’École Normale, il donne, à partir de mai 1902, des cours d’histoire de la musique à l’École

des Hautes Études Sociales, rue de la Sorbonne.113 De 1898 à 1904, il collabore à la Revue de

Paris, et surtout à la Revue d'Art dramatique, où il donne notamment des comptes-rendus de

critique musicale et théâtrale ; de 1901 à 1904, il collabore également à la Revue d'Histoire et

de Critique musicale. Par ailleurs, il écrit un ouvrage sur François Millet, qui paraît en

traduction anglaise en 1902.114

Son divorce, en février 1901, est une nouvelle épreuve. À un ami, il écrit : « Il s’agit

de me séparer de qui j'ai aimée, et que j'aime encore, parce que, de nos deux vies, aucune ne

veut se sacrifier à l’autre, et qu’elles vont toutes deux à des buts opposés. »115 II s’installe, à

compter d’avril, dans un petit appartement, au 162 boulevard Montparnasse.

« En 1900-01, tout craque. Crise vitale. Ilfaut mourir ou se renouveler. »116

2. Les premiers succès littéraires - Jean-Christophe (1903-1913)

« C’est alors, de 1902-3 à 1911-12, l'époque seule connue de ceux qui me jugent : le
117
« Durch Leiden Freude », l’idéalisme héroïque, intérieur, non sans puritanisme, des Vies et

de Jean-Christophe. »118

Lettre à Paul Colin*, 23 février 1920.


110 Le Voyage intérieur, op. cil., p. 339.
111 La Foire sur la place, tome V de Jean-Christophe, dans lequel Romain Rolland brosse un tableau très
critique des milieux littéraires parisiens.
112 Le Voyage intérieur, op. cil., p. 343.
113 École fondée dans le cadre de la création des Universités populaires.
114 François Millet, Londres : Duckworth & C°/ New York : Dutton & C°, 1902.
115 Lettre à Louis Gillet, 21 février 1902, citée dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland par lui-même, op.
cit., p. 181.
1,6 Lettre à Paul Colin*, 23 février 1920.
117 Par la souffrance, la joie.
118 Lettre à Paul Colin*, 23 février 1920.

58
Romain Rolland - Aperçu biographique

Le tournant de 1903 : la Vie de Beethoven

« Je n 'ai commencé d'être connu vraiment qu 'avec « La Vie de Beethoven », en 1903.

J'avais alors trente-sept ans. J'écrivais depuis quinze ans. J'avais composé vingt œuvres

(sans compter les articles de revues) : sur le nombre, plus de la moitié publiée, et quatre

drames représentés. Le tout, dans l'inattention. [...] Le seul Péguy m'avait tendu la main ; il

avait été frappé par la lecture en manuscrit de mes Loups, et les avait aussitôt publiés dans

une de ses belles éditions d'avant les Cahiers719, - ainsi qu'il publia, dans les années qui

suivirent, Danton, Le Temps viendra et Le Quatorze Juillet. Mais Péguy était en ces temps

plus inconnu encore que moi. Et il fallut le succès foudroyant de ma Vie de Beethoven, elle

aussi publiée en un de ses Cahiers de la Quinzaine, où nous combattions côte à côte, pour

attirer sur nous l'attention de Paris. »12()

C'est en janvier 1903 que Romain Rolland publie, aux Cahiers de la Quinzaine, une

Mie de Beethoven, qui révèle ses talents de musicologue et de biographe, qui seront

développés plus tard en un essai en sept volumes.121 La parution de ce Beethoven, qui

inaugure une série, inachevée, de Vies des hommes illustres122, marque véritablement pour

Romain Rolland le début de la notoriété. L’émotion suscitée par ce Cahier est évoquée par

Charles Péguy lui-même, en 1910: «Nos abonnés se rappellent encore quelle soudaine

révélation fut ce cahier, [...], comment il fut soudainement, instantanément, dans une

révélation, aux yeux de tous, dans une entente soudaine, dans une commune entente, non

point seulement le commencement de la fortune littéraire de Romain Rolland, de la fortune

littéraire des Cahiers, mais infiniment plus qu'un commencement de fortune littéraire, une

révélation morale, soudaine, un pressentiment dévoilé, révélé, la révélation, l'éclatement, la

soudaine communication d'une grande fortune morale... »123

119 Chez Georges Bellais, en 1898.


120 Le Voyage intérieur, op. cil., p. 241-242.
121 Beethoven - Les Grandes Epoques créatrices, Genève : Le Sablier, 1928-1945.
122 En octobre 1902, il écrit à Malwida von Meysenbug : « ... je commencerai dans les Cahiers de la quinzaine
de Péguy [...], une série de Vies des hommes illustres à lafaçon de Plutarque. I... ] Les vies des héros des temps
modernes, en menant en valeur leur caractère moral. », dans Choix de lettres à Malwida von Meysenbug, op.
cit., p. 318.
m « Notre Jeunesse », dans les Cahiers de la Quinzaine, 17 juillet 1910. Péguy La lui-même reproduit dans le
seul recueil de ses Œuvres choisies publié de son vivant, et par ses soins (Paris : Grasset, 1911, p. 40-41).
Voir également le témoignage de Jean-Richard Bloch, « Le compagnon de notre jeunesse », dans Hommage à
Romain Rolland, Genève : Éd. du Mont-Blanc, 1945, p. 32-35, à la p. 33 : « ... Ouatre-vingt pages d'un texte
peu serré ; une petite préface de quatre pages ; soixante-treize pages de documents en appendice ; la fameuse
Vie de Beethoven n 'est rien de plus. Elle a provoqué un mouvement de passion d'une vivacité extrême. »

59
Romain Rolland - Aperçu biographique

Romain Rolland y exprime sa conception d’un héroïsme humanitaire, en des lignes

demeurées célèbres :

« L 'air est lourd autour de nous. La vieille Europe s'engourdit dans une atmosphère

pesante et viciée. Un matérialisme sans grandeur pèse sur la pensée... Le monde meurt

d'asphyxie dans son égoïsme prudent et vil. Le monde étouffe. - Rouvrons les fenêtres !

faisons entrer l'air libre ! Respirons le souffle des héros ! »124

Il s’explique plus loin sur ce qu’il entend par « héros » : « Je n 'appelle pas héros ceux

qui ont triomphé par la pensée ou par la force. J'appelle héros, seuls, ceux qui furent grands
125 • ,
par le cœur. » . Il voit en Beethoven « le héros de notre temps », « la force la plus héroïque

de l'âme moderne. Il est le plus grand et le meilleur ami de ceux qui souffrent et qui

luttent. »126

Cette biographie se veut en quelque sorte une réaction contre le mouvement de

pessimisme et de dépression qui a suivi l’affaire Dreyfus, et la Vie de Beethoven devient le

livre de toute une génération, la génération issue de la foi dreyfusiste, brûlante et blessée127.

Mais la célébrité de Romain Rolland demeure relative, ne touchant que le public - restreint -

des Cahiers de la Quinzaine. Toutefois, c’est le début de la notoriété, et Rolland est désonnais

connu.

Péguy et les Cahiers de la Quinzaine

Le rôle de Charles Péguy est déterminant dans la carrière littéraire de Romain Rolland.

C’est avant la fondation des Cahiers, dès 1898, que Péguy, ainsi qu’il a été vu plus haut,

accepte d’éditer Les Loups. Dès lors, et jusqu’en 1912, il sera l’éditeur, soit en originales, soit

en secondes éditions, non pas de toutes les œuvres de Romain Rolland, mais de la plus grande

partie d’entre elles, notamment de Jean-Christophe.

Né à Orléans en 1873, Charles Péguy est entré à l’École Normale supérieure en 1894 ;

mais d’un caractère trop indépendant pour se plier aux routines universitaires, il demande son

congé au bout d’un an d’études et rentre à Orléans, où il fonde un groupe d’études socialistes.

De retour à l’École Normale en 1896-1897, à l’époque où Rolland y commence ses cours

124
Vie de Beethoven, aux Cahiers de ta Quinzaine, 10e Cahier de la 1V° série, 1903, premières lignes.
125
Ibid..
126
Ibid..
127
« D'où sortait cette génération de 1903, qui m'a élu, adopté [...] ? », Le Voyage intérieur, op. cit., p. 243.

60
Romain Rolland - Aperçu biographique

d’histoire de l’art, il a pour camarade de promotion le futur romancier Jérôme Tharaud, ainsi

que le futur écrivain et critique d’art Louis Gillet ; élève de Rolland, ce dernier lui fera

connaître Péguy, qui quitte définitivement l’École et donne sa démission de l’Université, en

automne 1897, sans avoir obtenu de diplôme. Leurs rapports d’auteur à éditeur commencent

dès l’année suivante. Rolland, qui vient de faire jouer au Théâtre de l’Œuvre Les Loups, ne

parvient pas à trouver d’éditeur. Péguy vient de débuter dans les affaires de librairie, en

s'associant à l’éditeur Georges Bellais, rue Cujas - il a ouvert une librairie socialiste le 1er mai

1898 - , et il fait paraître la pièce de Rolland. Dans le même temps, il édite sa première

Jeanne d’Arc. Mais bientôt sa librairie connaît des difficultés, et l’entreprise est transformée

en une société anonyme dont Péguy n’est plus que le gérant. Les suites de l’affaire Dreyfus,

ainsi que des dissensions au sujet de projets d’édition, le brouillent définitivement, en

décembre 1899, avec ses amis socialistes, parmi lesquels Jaurès, Herr, Blum. Reprenant sa

liberté entière à l’égard de toute consigne de parti, il fonde en janvier 1900 les Cahiers de la

Quinzaine, réalisation de son rêve d’un «journal vrai ».

Aux débuts de l’entreprise, Rolland est associé d’assez près aux plans et projets de
r 128 • > * /s.
Péguy . Deux de ses pièces paraissent bientôt aux Cahiers de la Quinzaine : Danton en

février 1901, Le Quatorze Juillet en mars 1902. Il donnera, en 1918, une description de ce que

fut « l’aventure » des Cahiers de la Quinzaine :

« La pauvre boutique des Cahiers de la Quinzaine, véritable échoppe de savetier, au

rez-de-chaussée du 8, rue de la Sorbonne, en face et aux pieds des hauts murs de la sept fois

séculaire Sorbonne, réunit, pendant une dizaine d'années, entre quatre et sept heures, une

société fidèle et pérorante. Le centre des discoureurs était presque toujours le philosophe et

sociologue Georges Sorel, que rapprochait alors de Péguy une révolte commune contre les

idoles officielles et le culte de la vieille France, tenace, persistante, éternelle. Péguy lui-même

parlait peu, le front plissé, soucieux, toujours occupé de son labeur, de ses Cahiers, comme un
i 129
paysan de sa terre. »

Parmi les collaborateurs, on trouve Louis Gillet, qui débute aux Cahiers de la

Quinzaine avec une étude sur les primitifs français, ou encore André Suarès, l’ancien

128 C’est même chez lui qu’aurait été décidée la fondation des Cahiers. - Voir Le Voyage intérieur, note 1
p. 242.
129 Lettre à Henry M. Andrews*, 8 août 1918. - Cet Anglais avait demandé à Rolland des renseignements sur
Péguy.

61
Romain Rolland - Aperçu biographique

« cotume » de Romain Rolland à l’École Normale, qui donne aux Cahiers une suite d’œuvres

dont la première est, en 1905, La Tragédie d’Électre et Oreste.

Romain Rolland loue l’indépendance combative de Péguy, et apprécie sa pureté et sa

sincérité. Il est heureux de constater que les nombreux abonnés de ses Cahiers sont des isolés,

des indépendants :

«C’est donc une élite, moins intellectuelle que morale, et une avant-garde de la

Société en marche vers des formes nouvelles de la civilisation. Il y a plaisir à être ainsi en

relation avec ces humbles et libres individualités où brûle ce qu'il y a de plus pur dans la

conscience française. Le mouvement parisien passe à côté de ces vies profondes et

silencieuses, sans se douter même de leur existence ; et pourtant, c 'est en elles que dort
l'avenir. »130

Le succès en janvier 1903 de la Vie de Beethoven concourt, ainsi qu’il a été dit plus

haut, à celui des Cahiers de la Quinzaine, et la collaboration des deux hommes se poursuit.131

En mars 1903, Péguy publie Le Temps viendra, inspiré par la guerre des Boers.132

Pour la première fois, Rolland traite dans une de ses pièces un sujet contemporain.133

Toujours en 1903, en novembre, Romain Rolland fait publier Le Théâtre du peuple,

essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, dont une bonne partie rassemble des articles qu’il

avait donnés à la Revue d’Art dramatique. Les projets pour un théâtre populaire sont alors à

l’ordre du jour dans le monde de la scène, et son ami Maurice Pottecher134 en a déjà donné, à

Bussang, dans les Vosges, une première réalisation. Rolland a songé, dès mars 1899, à

organiser pour l’Exposition de 1900 un congrès international de théâtre populaire, mais le

projet a avorté, de même que son projet de fonder à Paris un théâtre populaire subventionné.

L’argument du Théâtre du peuple est le suivant : « Il s'agit d'élever le Théâtre, par et

pour le Peuple. Il s'agit de fonder un art nouveau pour un monde nouveau. »|:° On retrouve

130 Cité dans Emmanuel Bondeville, Romain Rolland à la recherche de l’homme dans la création artistique
[séance publique annuelle du 9 novembre 1966, Académie des beaux-arts, Institut de France], Paris, n° 29, 1966,
p. 11-12.
131 Voir Une amitié française - Correspondance entre Charles Péguy et Romain Rolland\ Paris : A. Michel,
1955 (Cahier Romain Rolland n° 7). - Romain Rolland a par ailleurs consacré un ouvrage en deux volumes à
Péguy, paru chez Albin Michel quelques mois après sa mort, en 1945.
132 Les boers sont des colons de l’Afrique australe, d’origine néerlandaise, habitant le Transvaal et l’Orange. Une
guerre les opposant aux Anglais se termina par la victoire de ces derniers, en 1902, après deux ans et demi de
luttes.

Dès 1901, il fait part de ce projet à un correspondant : « /.../ j'ai, entre autres choses, sur le chantier, une
pièce sur le Transvaal », lettre à Jean Vignaud*, [été] 1901. - Voir Jacques Robichez, Romain Rolland, op. cit.,
p. 130-132.
134 Rencontré par l’intermédiaire d’André Suarès, ancien condisciple de Pottecher au lycée Sainte-Barbe.
135 Le Théâtre du peuple, aux Cahiers de la Quinzaine, 4e cahier de la 5e série, 1903, XII.

62
Romain Rolland - Aperçu biographique

dans cet essai la volonté constante de Rolland de mettre en œuvre les facteurs d’un

renouvellement moral :

« C 'est le rôle du drame social de jeter dans la balance indécise du combat le poids de

l'intelligence et la forme impérieuse de la raison. /... ] L'Art a pour but de centupler la vie, de

la rendre plus forte, plus grande et meilleure. [...] Vous voulez un art du peuple ?

Commencez par avoir un peuple, un peuple qui ait l'esprit assez libre pour en jouir, un

peuple qui ait des loisirs, que n 'écrasent pas la misère, le travail sans répit, un peuple que

n'abrutissent pas toutes les superstitions, les fanatismes de droite et de gauche, un peuple

maître de soi, et vainqueur du combat qui se livre aujourd'hui. »136

On remarquera le souci d’indépendance moral, que l’on retrouve dans toutes ses

œuvres, et ce constant refus d’un sectarisme, qu’il soit de gauche ou de droite137, ainsi que le
thème inhérent à tous ses écrits, celui du combat à livrer.

Le théâtre demeure toujours sa vocation première ; mais il déplore de n’avoir ni

public, ni acteurs, ni metteur en scène, qui sauraient s’intéresser à ses projets. C’est donc une

autre œuvre qui va désormais l’occuper. Dorénavant, il va se consacrer à son projet de roman,

et à ses « Vies héroïques ».

Jean-Christophe (1903-1912)

De 1903 à 1912, soit durant presque dix ans, Romain Rolland se consacre à la

rédaction de son œuvre majeure, Jean-Christophe. Ce vaste cycle romanesque narre, en dix

tomes, l’histoire d’un compositeur allemand, à la fin du XIXesiècle et au début du XXe ; « le

héros est Beethoven dans le monde d'aujourd'hui. C'est le monde vu du cœur d'un héros,
118 i
comme centre. » Il s'agit, selon la formule célèbre de l'auteur, qui va être amenée à

connaître une grande postérité, d'un «roman-fleuve»139; la vie tourmentée du personnage

principal s'apparente en effet au cours ombrageux du Rhin, dont la vue a bercé ses rêves

d’évasion durant toute son enfance140.

Ibid, p. 169.
137 à •
« Avant tout, nous voulons empêcher que le théâtre populaire soit un théâtre étroit de classe, pas plus du
prolétariat que de l'élite intellectuelle ; mais le théâtre de tous, d'un peuple réuni dans un même spectacle. »,
ibid..

138 Lettre à Malwida von Meysenbug, dans Choix de lettres à Malwida von Meysenbug, op. cit..
13; Avec Jean-Christophe, Romain Rolland introduit en France le roman-cycle, ouvrant ainsi la voie à Roger
Martin du Gard (Les Thibault, 1922-1940) et à Jules Romains {Les Hommes de bonne volonté, 1932-1947).
140 « Le Rhin coulait en bas, au pied de la maison. De la fenêtre de l'escalier, on était suspendu au-dessus du
fleuve comme dans un escalier mouvant. Christophe ne manquait jamais de le regarder quand il descendait les
marches en clopinant ; mais jamais il ne l'avait vu encore, comme aujourd’hui. [..J Le fleuve apparut à l’enfant

63
Romain Rolland - Aperçu biographique

Né en Allemagne, dans une petite ville des bords du Rhin, le jeune Christophe, fils et

petit-fils de musicien, commence à la cour grand-ducale une carrière de musicien officiel.

Devenu un compositeur original, le jeune homme, personnage au caractère passionné et

violent, s’élève avec âpreté contre la musique contemporaine allemande, qu’il juge médiocre ;

ses œuvres, quant à elles, ne sont pas appréciées. À la suite d’une rixe, où il blesse un soldat,

il est forcé de fuir et de s’expatrier. Il part pour Paris, où il découvre tout d’abord un univers

factice, méprisable, « La Foire sur la place » ; corruption et mensonge régnent sur la musique,

la littérature, la presse, le théâtre, le monde politique. 11 rencontre un jour un jeune poète,

Olivier Jeannin, timide et épris de pureté, d’une sensibilité extrême, qui devient son ami.

Celui-ci lui fait entrevoir le visage de la vraie France, éprise de liberté et idéaliste, mais

malheureusement trop individualiste. Christophe et Olivier sympathisent avec le mouvement

ouvrier ; un 1er mai, au cours d’une échauffourée, Olivier est tué, et Christophe, qui a tué un

policier, doit se réfugier en Suisse. Le compositeur, dont la valeur musicale a été reconnue,

vieillit, dans une gloire qui lui devient de plus en plus indifférente. Le roman, qui s’était

ouvert sur la naissance du musicien, se termine par sa mort ; le fleuve a rejoint la mer, et s’y

fond. Mais cette mort est annonciatrice d’une vie nouvelle, d’une résurrection, car le combat

de Christophe est porteur d’espoir.141

Le premier tome de Jean-Christophe, LJAuhe, paraît en février 1904. Les différentes

parties du roman sont publiées, au fur et à mesure de leur rédaction, dans les Cahiers de la

Quinzaine142, contribuant ainsi à leur succès, ainsi qu’à celui de leur auteur. Mais ce succès ne

doit pas faire oublier que ces années sont pour Rolland très difficiles. Il mène en effet une vie

de pauvreté (ses conditions matérielles, après son divorce, ont empiré) et de solitude, en

marge des milieux littéraires et mondains ; son seul luxe est de s’échapper, les vacances

venues, vers la Suisse ou l’Italie. Il doit continuer à enseigner: en novembre 1904, il est

chargé d’un cours complémentaire d’histoire de l’art à la Sorbonne, par suite du transfert des

comme un être, - inexplicable, mais combien plus puissant que tous ceux qu 'il connaissait ! Christophe se
pencha pour mieux voir: il colla sa bouche et écrasa son nez sur la vitre. OU allait-il ? Que voulait-il ? 11 avait
l’ait sûr de son chemin... Rien ne pouvait l'arrêter. A quelque heure que ce fût du jour ou de ta nuit, pluie ou
soleil au ciel, joie ou chagrin dans ta maison, il continuait de passer ; et l'on sentait que tout lui était égal, qu ’il
n’avait jamais de peine et qu ’il jouissait de sa force. Quelle joie d’être comme lui, de courir à travers les
prairies, les branches de saules, les petits cailloux brillants, le sable grésillant, et de ne se soucier de rien, de
n 'être gêné par rien, d'être libre !...
L'enfant regardait et écoutait avidement ; il lui semblait qu'il était emporté par le fleuve...», dans Jean-
Christophe, op. cit., vol. 1, p. 77-78.
141 On peut compléter cette courte présentation par la lecture de Jacques Robichez, Romain Rolland, op. cit.,
p. 137-160. Voir également Bernard Duchâtelet, Im Genèse de Jean-Christophe de Romain Rolland, Paris:
Minard, 1978.
142 Les dates de publication des différents tomes sont données dans l’annexe 2.

64
Romain Rolland - Aperçu biographique

cours de l’École Normale à l’Université ; il y fait place peu à peu à la musique, inaugurant

ainsi l’enseignement d’histoire de la musique dans cette faculté.143 Par ailleurs il poursuit,

depuis 1902, ses cours d’histoire de la musique à l’École des Hautes Études Sociales. Ses

amis, en qui il trouve le meilleur soutien, sont alors Louis Gillet, collaborateur épisodique aux

Cahiers de la QuinzaineI44, et Sofia Bertolini, une jeune Italienne rencontrée chez Malwida

von Meysenbug, à Rome, à l’époque de son séjour au Palais Famèse.145

Romain Rolland trouve aussi un certain réconfort dans les témoignages de sympathie

que lui adressent des lecteurs inconnus, anonymes, de.Jean-Christophe, avec qui il se sent en

étroite communion de pensée. Car cette œuvre, aujourd’hui plus méconnue, a véritablement

marqué à l’époque toute une génération de jeunes lecteurs, dont certains croient se reconnaître

dans les traits de Jean-Christophe, ce jeune homme volontaire et intransigeant, qui mène toute

sa vie un combat héroïque et solitaire contre toute compromission, contre toute fonne de

médiocrité, qui ne craint pas de sacrifier son repos et sa carrière à son idéal de grandeur

morale. Le témoignage de l’écrivain Jean-Richard Bloch en est un bel exemple :

« Pendant huit ans, le fleuve coula. De 1904 a 1912, sans arrêt, le grand flux de vie,

d'amour, de création s'épanche, alternant les crues limoneuses et les filets d'eau pure. Nous,

pendant ce temps, nous grandissions, nous achevions de nous former, nous débouchions dans

la vie.

Chaque saison, un fascicule nous arrivait, scandant notre marche, nos amitiés, nos

amours. Nos défaites et nos victoires se mêlaient intimement à celles du pauvre et rude héros.

Nous ne faisions plus de différence entre nos aventures et les siennes. Les deux destins

s'entaient l'un sur l'autre. »146

Ce livre, que l’auteur a dédié « Aux âmes libres de toutes les nations, qui souffrent, qui

luttent, et qui vaincront », répond à la recherche d’héroïsme de la jeunesse d’alors.

« La « geste » Jean-Christophe est celle de « La Révolte », - la révolte de la vie contre

tout ce qui, du dehors - (conventions artistiques et préjugés moraux, hypocrisie et désordres

sociaux, cadavre du passé rongé par la vermine, « La Loire sur la Place ») l'étouffe et

l'empuantit de son embrassement. Et cette Révolte montait aussi de cette génération /d'après

143 II décide notamment de jouer du piano pour illustrer ses cours, et de créer un quatuor vocal
144 Voir Correspondance entre Louis Gillet et Romain Rolland - Choix de lettres, Paris: A. Michel, 1949
(Cahier Romain Rolland n° 2).
145 La correspondance a été éditée en deux volumes, toujours chez Albin Michel : Chère Sofia Choix de lettres
de Romain Rolland à Sofia Bertolini Guerrieri-Gonzaga, tome I (1901-1908), 1959 (Cahier Romain Rolland
n° 10), et tome II ( 1909-1932), 1960 (Cahier Romain Rolland n° 11).

65
Romain Rolland - Aperçu biographique

1900]. [... ] Cette poussée de la vie, débordante et aveugle, qui travaillait la jeune Europe (la

vieille Europe rajeunie), entre 1900 et 1914, et qui la menait au gouffre, a son expression

voulue dans mon Jean-Christophe : par sa dédicace de 1912, il s'adresse à une génération

« qui va disparaître » . »148

C’est en effet cette génération de jeunes lecteurs qui sera appelée sous les drapeaux en
août 1914.149

Les Vies des hommes illustres

« Ilfaut rattacher ]à Jean-Christophe/ les trois Vies d’Hommes Illustres qui sont de la

même période : car ce sont, pour ainsi dire, des esquisses de l'œuvre centrale ; elles ont

entretenu autour de moi l'atmosphère dontj'avais besoin pour vivre en mon héros. »i5°

Après la Vie de Beethoven, et parallèlement à Jean-Christophe, Romain Rolland a

publié de nouvelles biographies151 : deux ouvrages sur Michel-Ange (un Michel-Ange chez

Plon en 1905, et une Vie de Michel-Ange en 1906, aux Cahiers de la Quinzaine), un Haendel

en 1910 (un de ses plus beaux et plus savants livres sur la musique), ainsi qu’une Vie de

Tolstoï en 1911.152

Romain Rolland cherche à y dépeindre la vie des grands artistes, ces « Hommes

illustres », auxquels il demande une leçon de courage, une leçon d’héroïsme.153 Peut-être faut-

il déjà voir les prémices de ce projet dans une lettre à Sofia Bertolini, datant de 1901 :

« C'est un pouvoir étonnant que celui que l'histoire met à la disposition de l'esprit :

s'assimiler en quelques heures le meilleur de centaines d'existences humaines, choisir parmi

146 Jean-Richard Bloch, « Le compagnon de notre jeunesse », art. cil., p. 34-35.


147 L’ouvrage se termine par un « Adieu à Jean-Christophe », daté d’octobre 1912 : « J'ai écrit la tragédie d’une
génération qui va disparaître. Je n 'ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa tristesse
pesante, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l'écrasant fardeau d'une
tâche surhumaine ; toute une Somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à
refaire. - Voilà ce que nousfûmes. », dans Jean-Christophe, op. cil., vol. 3, p. 485.
,4X Le Voyage intérieur, op. cit., p. 259-260.
14 ' « Ce fut une poignante tragédie. Car cette génération, qui compta par centaines les âmes les plus nobles, les
plus idéalistes, les plus immaculées que la France ait jamais produites, s’est engouffrée presque entière dans la
fosse de 1914. Beaucoup de ces jeunes hommes ont été mes amis, et jusqu 'au dernier jour, jusqu 'à l’heure de la
mort, certains ont tenu ma main : leurs lettres m'enfontfoi. », ibid., p. 243.
150 Lettre à Giovani Papini*, 27 avril 1912.
151 Voir l’analyse de Jacques Robichez dans Romain Rolland, op. cit., p. 194-206. - Cf. annexe 2.
152 L’écrivain russe était mort le 20 novembre 1910, et la Revue de Paris avait demandé à Rolland une série
d’articles qui, développée, devient son livre, publié chez Hachette.
154 « Respirons le souffle des héros ! », écrivait-il déjà dans sa Vie de Beethoven.

66
Romain Rolland - Aperçu biographique

les plus grandes, et qui sont arrivées à ce résultat par des années et des années de

souffrances, de joie, d'actions et de passions.»1^4

Car c’est bien toujours le même souci d’honnêteté et de grandeur morale, qui anime

l’écrivain. Et où en trouver un meilleur exemple que chez ces hommes qui, chacun, a marqué

son époque ? Toutefois, Rolland ne cherche pas tant à les donner comme modèles, qu’à

montrer ce que peut une âme libre, volontaire. Dans la lutte qu’il mène depuis toujours, les

« héros » viennent lui prêter main-forte...

«Depuis 1901, vie intérieure avec ceux qui furent l'aliment de mes œuvres:

Beethoven, Michel-Ange, Tolstoy, Mazzini. - L'histoire : source permanente.

En général, chacun de mes grands, que je préfère, je l'assimile en quelques années, et

je m'en décharge dans un livre.

Un seul est resté pour moi l'aliment permanent, que je n 'ai jamais réussi à assimiler

complètement, parce qu 'il m'apporte sans cesse des éléments nouveaux : Goethe.155 »156

En ce sens, Jean-Christophe - qui date de la même époque - peut apparaître, lui aussi,

comme une «Vie d’homme illustre ».

Dans le même temps paraissent, en 1908, ses deux grandes séries d’études sur les

Musiciens d'aujourd'hui (une étude sur Berlioz, Saint-Saëns, Vincent d’Indy) et les

Musiciens d'autrefois, qui rassemblent en fait ses articles de critique musicale. Il groupe

également ses drames en deux volumes : la première édition collective du Théâtre de la

Révolution voit le jour en 1909, celle des Tragédies de la foi en 1913.137

Dès 1911, il a cessé ses cours d’histoire de la musique à l’École des Hautes Études

Sociales, et en juillet 1912, il donne définitivement sa démission de la Sorbonne, pour se

consacrer entièrement à son œuvre.

Car Romain Rolland commence à devenir célèbre, en raison du succès de Jean-

Christophe. Dès 1905, la Librairie Ollendorff commence à publier l’ouvragebX, qui ne tarde

pas à se répandre en France, et même à l’étranger. En décembre de la même année, Rolland

obtient le Prix Femina - Vie heureuse, pour les trois premiers volumes du roman.

Lettre à Sofia Bertolini, 21 octobre 1901, Cahier X, p. 35


155 . r r • r
Goethe lui apporte plus d’une révélation définitive, dont son fameux « Meurs et deviens ! ».
156 Le Voyage intérieur, op. ci/., p. 343.
157 Cf annexe 2.

158 Concurremment avec les Cahiers de la Quinzaine, ce qui n’est pas sans provoquer une grave querelle entre
Péguy et Rolland.

67
Romain Rolland - Aperçu biographique

Mais Romain Rolland s’inquiète de ce succès, et déplore notamment

l’incompréhension du public face à son œuvre. Chacun en effet cherche à s’accaparer Jean-

Christophe : les « puritains », la jeunesse « vitaliste », les musiciens, le « régiment

démocratique», et jusqu’aux royalistes de l’Action Française.1 L’écrivain se sent comme

emprisonné, et a peur de sa gloire soudaine. Dès 1911, il est cité dans les manuels de

littérature160. C’est lui, et non plus Barrés, qui est maintenant, aux yeux de Lucien Maury, le

« prince de la jeunesse ».161 L’achèvement de Jean-Christophe est salué par la critique à peu

près unanime comme un événement littéraire de tout premier ordre. Même les récompenses

officielles lui sont décernées. N’obtient-il pas, en juin 1913, le Grand Prix de Littérature de

l’Académie française ?162

Or, Rolland ne tient pas à se laisser enfermer dans le personnage de Jean-Christophe,

où il se sent trop à l’étroit. Car le roman n’est qu’une étape, et il lui faut avant tout conserver

son indépendance, sa sacro-sainte liberté, et s’affranchir des limites de son public, tout autant

que de celles de son héros. Son vaste roman achevé, il se sent renaître à une vie nouvelle. Le 2

octobre 1912, il note dans son Journal : « En me séparant de Christophe, je n'éprouve I... j

qu 'un sentiment de délivrance. Enfin ! Je me retrouve maître de moi et de mon âme

nouvelleV63

C’est dans ce contexte que surgit Colas Brugnon au printemps 1913.

Colas Brugnon (1913)

« En 1913, nécessité intérieure d'un nouveau renouvellement. L'hérédité paternelle,

nivernaise, rabelaisienne, réclame son expression, après l'hérédité maternelle, musicale et

religieuse. »165

159 Voir Le Voyage intérieur, op. cil., p. 260-261


160 Le dernier chapitre de J.-H. Retinger, Histoire de ta littérature française du romantisme à nos jours, Paris :
Grasset, 1911, est consacré à « Romain Rolland et André Gide ».
161 Revue Bleue, 2 mars 1912.
162 «Au diable tous ces prix ! », avait-il déclaré lors de sa compétition involontaire avec Péguy pour le Prix,
finalement non attribué, de 1911. C’est pourtant contre Péguy qu’il l’obtient, en juin 1913, et celui-ci en conçoit
un vif dépit. - Sur cette affaire, on peut se reporter à René Cheval, Romain Rolland, l'Allemagne et la guerre,
op. cil., note 1 p. 21.
163 De Jean-Christophe à Colas Breugnon (octobre 1912 - octobre 1913), Paris : Éd. du Salon Carré, 1946, p. 27.
- Voir également Le Voyage intérieur, op. cit., p. 98-99 : « Je venais d’achever l'édifice de dix ans, je me sentais
vainqueur et apaisé, bien moins par le succès que par le contentement de la tâche accomplie et de la vie secrète
arrachée au néant. »

164 Titre original de l’œuvre qui deviendra, à sa parution, Colas Breugnon


1(’5 Lettre à Paul Colin*, 23 février 1920.

68
Romain Rolland - Aperçu biographique

D’avril à septembre 1913, Rolland séjourne en Suisse, à Vevey, Spiez, Schoenbrunn.

C’est là qu’il commence à rédiger Colas Brugnon, dont la verve bourguignonne doit faire

pendant à l’idéalisme lyrique de Jean-Christophe. Ce roman gai et optimiste, qui conte

l’histoire, au début du XVIIe siècle, d’un joyeux Bourguignon, bon vivant, à la langue rustique

et savoureuse, offre à son auteur le délassement qu’il souhaitait.

3. Romain Rolland en 1914 : un écrivain comblé ?

En 1914, Romain Rolland semble bien être au sommet de sa carrière. Il a atteint, grâce

à Jean-Christophe, à une formidable notoriété, en France, bien sûr, comme on l’a vu, mais

aussi dans d’autres pays. Le roman se répand en effet à l’étranger - en Angleterre tout d’abord

(dès 1910), puis aux États-Unis, en Scandinavie, en Italie, et finalement en Allemagne (la
première traduction allemande ne voit le jour qu’en 1914)166 - , où il connaît très vite un vif

succès. Le Grand Prix de Littérature, décerné en juin 1913, pourrait bien lui ouvrir la voie de

l’un des prochains fauteuils vacants de l’Académie française. Lavisse, qui dès 1911 l’a

proposé pour ce prix, et qui est en 1913 l’un de ses plus ardents partisans, lui demande de

donner Colas Brugnon à la Revue de Paris qu’il dirige ; Louis Gillet doit également y faire

paraître la préface d’un recueil de morceaux choisis de Rolland, qu’il va publier chez

Ollendorff. Plus que la notoriété, c’est la gloire.

Par ailleurs, il a l’habitude maintenant de parcourir l’Europe. Chaque été, ainsi qu’aux

vacances de Pâques, il fuit Paris et part pour l’étranger. En dehors de la Suisse et de l’Italie,

pour lesquelles il gardera toujours une affection particulière, il a eu l’occasion de voyager en

Belgique, en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, en Espagne. Il acquiert

ainsi de l’Europe une expérience vécue, et a le sentiment profond d’une civilisation

commune. Aussi son roman, qui met en scène aux côtés du héros allemand, Jean-Christophe,

un ami français, Olivier, apparaît-il, au moment où éclate la guerre, comme un appel

prophétique à l’entente entre ces deux nations sœurs que sont l’Allemagne et la France.

166 Voir Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant, Paris : Ollendorff, 1920. L’auteur y donne, p. 319-333, une
bibliographie fort exhaustive des ouvrages de Romain Rolland. On y trouve notamment la mention de toutes les
traductions étrangères de Jean-Christophe, ainsi que celle des autres œuvres.

69
Romain Rolland - Aperçu biographique

En février 1914, il s’installe dans un nouvel appartement, plus large et plus

confortable, 3 rue Boissonade.167 Ce quartier Montparnasse lui est cher, et il y côtoie Rilke,

Ramuz, Zweig168.

Fin février, il est à Bruxelles, où est joué au Théâtre du Parc l’une de ses pièces, Aërt,

introduite par une conférence de Dwelshauvers.169 À la mi-mai, il remet à son éditeur le

manuscrit de son nouveau roman, Colas Brugnon, qui doit paraître en octobre, et s’apprête à

quitter Paris à la fin du mois.170 Début juin, il part pour la Suisse.

« Voilà encore une page de ma vie qui est tournée ! Je vais voir ce qu 'il y a, de
171
/ 'autre côté. »

l<>7 Lettre à Louise Cruppi*, 21 février 1914. - Louise Crémieux, apparentée à Marcel Proust, était l’épouse de
Jean Cruppi, ancien ministre français des Affaires étrangères.
16S Stefan Zweig a conté, dans Le Monde d'hier Souvenirs d'un Européen (Paris : Belfond, 1993, p. 254), sa
première rencontre avec Romain Rolland, à Paris, en 1913 : « Au premier coup d'œil je reconnus en lui et le
temps m'a donné raison - l'homme qui, à l'heure décisive, serait la conscience de l'Europe. »
169 Lettres à sa mère*, 25 février, 26 février et 7 mars 1914 , lettre à Louise Cruppi*, Ier mars 1914.
170 > . . . . rr
Lettre à Louise Cruppi*, 17 mai 1914. - Voir également une lettre à Stefan Zweig*, du 18 mai 1914 : « Je
quitte Paris, cesjours-ci, allégé de mon œuvre nouvelle. Je vais me renouveler dans les voyages et la solitude. »
71 Lettre à Louise Cruppi*, 17 mai 1914.

70
Chapitre II : Romain Rolland à la veille de la guerre

« Im guerre éclate. Elle brise avec mon public de Jean-Christophe des liens que, de toute façon, je voulais briser,

car ils m 'entravaient. Mais je ne prévoyais pas que ce serait de cette façon ; et certes, ce ne fut pas pour mon

plaisir que j'écrivis Au dessus de la Mêlée. » - Lettre de R. Rolland à Paul Colin*, 23 février 1920.

La Première Guerre mondiale représente, dans la vie de Romain Rolland, une véritable

coupure. Le rôle qu’il va y jouer peut sembler, de prime abord, fort surprenant, notamment au

vu des années écoulées, qui ne paraissent pas le prédestiner à devenir l’une des figures des

mouvements pacifistes, ni même à s’engager au sein d’une organisation humanitaire telle que

la Croix-Rouge. 11 est donc important de faire le point sur la situation de l’écrivain, à la veille

du déclenchement du premier conflit mondial. Le chapitre précédent a montré que Romain

Rolland a atteint, en 1914, à une certaine notoriété, aussi bien en France qu’en Europe.

Plusieurs questions se posent à présent : y a-t-il eu un engagement politique de Romain

Rolland avant la guerre ? Qu’en est-il exactement de son séjour en Suisse, et quelle attitude

va-t-il adopter, au moment où éclate, en août 1914, la Première Guerre mondiale ?

1. Un engagement politique avant la guerre ?

Il importe tout d’abord de préciser ce que l’on entend par engagement politique.172

Celui de Romain Rolland peut être perçu sous différents aspects, en regard de l’étude

envisagée : il faut d’abord prendre en compte la manière dont l’écrivain s’est intéressé aux

grandes crises de la fin du XIXe siècle, comme le boulangisme, ou l’affaire Dreyfus, et quelle

a été l’attitude qu’il a alors adoptée ; il faut se demander également quels ont été ses rapports

avec le mouvement socialiste, et plus précisément avec les quelques socialistes qu’il a eu

172 Voir à ce sujet l’article de Sven Stelling-Michaud, « Romain Rolland et son temps», dans Sven Stelling-
Michaud et Janine Buenzod (dir.), Romain Rolland, Neuchâtel : À la Baconnière, 1969, p. 101-120. M. Stelling-
Michaud donne, quant à lui, la réponse suivante, p. 103 :
« Une certaine ambiguïté subsiste plus ou moins inconsciemment dans la manière dont on se représente
l’attitude - certains disent le mépris - de Romain Rolland à l’égard de la politique. 11 convient de distinguer.
Romain Rolland méprisait, sous le nom de politique, les combinaisons électorales, les compromis, la corruption
et les hypocrisies dont les démocrates bourgeois offraient le spectacle et qu’il a stigmatisés dans la Foire sur la
Place. Mais si l’on donne au mot politique son noble sens de participation à la vie de la cité et de combat pour
une vie meilleure, on peut affirmer que Romain Rolland fut un écrivain politique. »

71
Romain Rolland à la veille de la guerre

l’occasion de côtoyer (Lucien Herr, bibliothécaire de l’École Normale ; Jean Jaurès ; Charles

Péguy, aux Cahiers de la Quinzaine) ; il faut faire état, enfin, de ses écrits, où Ton devine une

certaine sensibilité politique.

Les crises politiques de la fin du XIXe siècle

C’est sans doute durant les années passées à l’École Normale que Rolland forge sa

première conscience politique. C’est alors l’époque du boulangisme, et les discussions vont

bon train, à la rue d’Ulm. Le général Boulanger, devenu ministre de la Guerre en janvier

1886, avait su rallier à lui tous les opposants au régime républicain. Romain Rolland, comme

la plupart de ses camarades, prend la défense de la République : « Je me sens bien plus

républicain que Français. Je sacrifierais ma patrie à la République, comme je sacrifierais ma


' 173 i • j
vie à Dieu. » La popularité de Boulanger s’accroît encore quand il adopte, au moment de

l’affaire Schnaebelé174, une attitude intransigeante vis-à-vis de l’Allemagne : il devient, aux

yeux de l’opinion, le champion de la « Revanche ». Les risques de déclenchement d’un

nouveau conflit sont grands, et Rolland ne doute pas de la mobilisation imminente : « Depuis

1875, le pays vit dans l'attente de la guerre. Depuis 1880, la guerre est certaine ; elle est

imminente. Soldats sacrifiés d'avance, nous sommes campés, partout où nous sommes, nos

sacs ne sont pas entièrement défaits ; à tout moment, nous attendons l'ordre de partir.

Impossible de faire des projets d'avenir... »173

Son attitude au moment de l’affaire Dreyfus est doublement intéressante, à la fois

parce qu’elle préfigure celle qu’il adoptera en 1914, mais aussi pour la pièce qui en fut le

témoignage : Les Loups. Par son mariage - la famille de sa femme était juive - et par ses

relations d’amitié avec le médiéviste Gabriel Monod, Rolland se trouve au cœur du

mouvement dreyfusard. Pourtant, il refuse de prendre parti, pour ou contre Dreyfus. Il

observe, chez les protagonistes des deux camps, celui de la justice et celui de la patrie, le

même degré de sincérité, la même foi en l’idéal qu’ils défendent, mais également, de part et

d'autre, des hommes plus hypocrites. Il se montre critique envers son propre « camp », avec

173 Le Cloître de la rue d’Ulm, op. cil., p. 297.


174 Incident de frontière entre la France et l’Allemagne, survenu en avril 1887, qui faillit avoir de graves
conséquences diplomatiques.
175 Le Cloître de la rue d'Ulm, op. cil. , cité dans l’avant-propos, p. XI.

72
Romain Rolland à la veille de la guerre

lequel il a plus de contact, et se montre peut-être plus indulgent envers ses adversaires, à qui il

essaie de rendre justice.

Il compose, en mars 1898, Les Loups, transposant dans cette pièce l’Affaire dans

l’armée républicaine de 1793. Ce drame, écrit d’abord « tout d'une haleine, en moins de
1 -js
quinze jours, - dans la tourmente de l'Affaire Dreyfus » , est ensuite repris et équilibré.

Rolland a voulu y dépeindre la grandeur qui anime aussi bien les avocats de la patrie que ceux

de la justice ; de même, il montre que l’injustice, loin d’être le monopole d’une armée

réactionnaire, peut être également le fait d’une armée révolutionnaire. Les Loups sont

représentés à L’Œuvre le 18 mai, devant une salle surexcitée177 ; on en avait fait, sans raison

et contre le gré de son auteur, une pièce fanatiquement dreyfusarde.178

On retrouve ici, déjà, son refus de l’esprit de parti, sa volonté de rester « / 'indépendant

au milieu de la mêlée »179. Le 29 septembre 1898, il note, dans son Journal :

« / - « Ne jamais faire partie d'un groupe, d'une association politique. Toute

association d'hommes corrompt les idées pour lesquelles elle s'est assemblée, les fait dévier

de leur vrai sens. Je suis et veux demeurer libre. Et si je fais la guerre, en marge d'un camp,

je la ferai seul, responsable de moi seul. »

2 - « Règle morale : n 'être jamais passif en rien, même dans l'acceptation. Se soumettre,

peut-être - n 'être pas soumis. Se sacrifier ne pas se résigner. » »180

Et, début 1899 : « ALa pensée tâche de s'élever au-dessus de l'obscure mêlée ».181

Deux lettres inédites, adressées à Lucien Herr182, viennent encore confirmer la volonté

de Rolland de conserver cette attitude intransigeante, quelles que soient les pressions exercées

par un groupe d’amis. Lucien Herr lui a fait savoir qu’il est irrité de son refus de prendre part

à une manifestation en faveur de Zola et Dreyfus, et qu’il trouve qu’il est trop facile de ne pas

176 Lettre à Anna Maria Curtius*, 4 mai 1928


177 « La première représentation fut une bataille, où s'affrontaient violemment les deux camps de l'Affaire. Le
colonel Picquarf 1 1 assistait à la pièce, dans la loge de Rostand. Ainsi que les principaux acteurs de la
tragédie publique, les champions de la Justice et ceux de la Patrie (qu 'Us identifiaient à l'Armée). », lettre à
Anna Maria Curtius*, 4 mai 1928.
178 Pour plus de détails, voir la thèse d’Antoinette Blum, Romain Rolland, Les Loups et l'Affaire Dreyfus, Yale
University, 1977, ainsi que son article sur « Les Loups et leur écho en France et à l’étranger », dans Etudes de
lettres [Lausanne], n° 3, juillet-septembre 1976, p. 35-53. - Voir également Bernard Duchâtelet, « L’écho de
l’affaire Dreyfus dans l’œuvre romanesque de Romain Rolland », dans Les écrivains et l’affaire Dreyfus, PUF,
1983, p. 287-294.
'79 Mémoires, Paris : A. Michel, 1956, p. 277.
180 Ibid, p. 316.
,81 Ibid. , p. 317.
1X2 Lucien Herr, bibliothécaire de l’École Normale, bien connu pour ses idées socialistes, et pour l’influence qu’il
exerça sur Jean Jaurès, ainsi que sur d’autres normaliens. - Les deux lettres, conservées à la Bibliothèque

73
Romain Rolland à la veille de la guerre

prendre parti. Rolland, doutant de la sincérité réelle de certains des défenseurs de Dreyfus,

réaffirme clairement son refus : « je ne prendrai point part à une manifestation, ni pour

défendre une cause qui m'est aussi suspecte /que la cause adversej, ni pour rendre hommage

à un écrivain dont je n 'ai jamais estimé le caractère. »183 II tient avant tout à pouvoir garder,

en toute occasion, son indépendance de jugement et d’action, et s’en explique une nouvelle

fois, dans la seconde lettre à Herr : «/...y, vous avez tort de me taquiner au sujet de la

différence de nos opinions. - Si je n 'ai pas de sympathie pour Picquart ni pour Zola, il ne

s'ensuit pas que Quesnay et Esterhazy ne me soulèvent l'estomac ; et si je n 'estime point

J. Reinach et Gohier,je n 'en méprise pas moins Lemaître, — et de tout mon cœur. Souffrez que

je reste indépendant au milieu de partis qui me semblent absurdes, - (allant l'un et l’autre, à

leur insu, directement contre ce qu’ils veulent défendre), - et que souillent également des

hommes infâmes. »184 C’est cette attitude que l’on retrouvera, au moment de la Première
Guerre mondiale.

Ce refus d’appartenir à un parti, qu’il soit politique ou idéologique, amène à une

seconde interrogation, à savoir quels ont été les rapports de Romain Rolland avec le

mouvement socialiste.

Des idées socialistes ?

Par ses origines familiales, Romain Rolland semble peu porté sur le socialisme. Son

père, issu d’une petite bourgeoisie bourguignonne, faite de plusieurs générations de notaires,

serait plutôt conservateur, à en croire un portrait - plus tardif- du Voyage intérieur :

« Vieux patriote, républicain de l’âge Gambettiste, [...], Français nationaliste,

chauvin, Déroulédiste, absorbant sans critique toutes les bourdes des journaux, il ne

laissait pas de m'aimer tout autant, malgré mes hérésies, et de rire, et - je crois bien, Dieu lui

pardonne ! - qu 'au fond il en était fier. »185

Rolland ne peut pourtant ignorer les progrès du socialisme, qu’on avait pu croire

écrasé après la défaite de la Commune. Sa renaissance avait d’abord été laborieuse et lente.

Mais grâce à l’action de Jules Guesde, les idées socialistes - et plus précisément les idées

nationale, ne sont malheureusement pas datées avec précision.


1X3 Lettre à Lucien Herr*, 15 décembre [189?].
1X4 Lettre à Lucien Herr*, rT février [189?].
1X5 Le Voyage intérieur, op. cit., p. 51-52.

74
Romain Rolland à la veille de la guerre

marxistes - s’étaient peu à peu répandues dans les milieux populaires et ouvriers. La diffusion

du socialisme s’était encore accrue après 1889186, grâce notamment aux progrès rapides du

mouvement syndical, et au ralliement de deux députés déjà connus, Jaurès et Millerand. Aux

élections législatives de 1893, son succès est important : près de cinquante députés socialistes

sont élus.

C’est en été 1895 que Romain Rolland commence à s’intéresser aux idées socialistes.

Les notes et la correspondance datant de la seconde moitié de cette année témoignent de cette

soudaine attirance, qui n’est pas à proprement parler surprenante. Rolland est toujours hanté

par l’idée de la décadence d’une société veule, viciée, hypocrite, et il voit dans le socialisme

le seul espoir de sauver l’Europe, sa société et son art: «Dans cent ans, l'Europe sera

socialiste, ou elle ne sera pas. »187 II est séduit essentiellement par le bouillonnement ardent

et passionné de ces forces neuves. Romain Rolland ne vient pas, en effet, au socialisme par

les théoriciens - il n’a jamais lu Karl Marx - , mais par un besoin de franchise, de sincérité,

dont il trouve l’écho dans le courant de pensées socialiste.

Cependant, il précise dès le début : «L'action politique ne saurait être mon fait ; je

m'y associerai quand il sera nécessaire, sans m'affubler d'une tâche que je porterais mai

Mon rôle, tel que je le conçois, sera d'abord de faire rentrer le divin dans la révolution

socialiste, qui s'en est dépouillée, dans les années de découragement qui ont suivi 1848. »188

Pas question, en effet, d’adhérer à l’un des partis socialistes. Son socialisme est, comme il le

définit lui-même, « un socialisme individualiste, indiscipliné, sans doctrine, de franc-tireur,

en dehors de l'armée. /Il se satisfait] de quelques principes très simples et de pure


189
humanité. » Il s’agit donc plutôt d’une sympathie pour un courant de pensée que d’un

véritable engagement.

Par ailleurs, Rolland a eu l’occasion de côtoyer plusieurs socialistes, et non des

moindres. Ce n’est pourtant pas par Péguy, qu’il ne rencontre qu’en 1898, comme on l’a vu

plus haut, qu’il en vient à s’intéresser au socialisme. Mais il est très sensible à la brûlante foi

socialiste, ardente, pure et passionnée de ce dernier, en qui il voit un « homme de la

18<> La Deuxième Internationale s’est constituée à Paris en 1889 ; elle reçoit bientôt l’adhésion de la plupart des
mouvements ou des partis socialistes nationaux.
187 Souvenirs de jeunesse (1886-1900), Lausanne : La Guilde du Livre, 1947, p. 153
188 Ibid, p. 253.'
189 Ibid, p. 254.

75
Romain Rolland à la veille de la guerre

Révolution ».uo « À cette époque où débutèrent mes relations avec Péguy, il était violemment

socialiste, dreyfusiste, antimilitariste /...] Il avait une admiration ardente et familière pour

Jaurès et pour un ami Normalien, camarade de Jaurès et plus âgé que moi, qui exerça une

assez grande influence sur les jeunes Normaliens de ce temps, Lucien Herr f... J »191 Ces deux
hommes sont aussi connus de Rolland.

Lucien Herr, qui a été nommé bibliothécaire de l’École Normale en 1889, soit l’année

du départ pour Rome de Rolland, n’a pas eu sur lui l’ascendance qu’il aura par exemple sur

Jean Jaurès ou Léon Blum, qu’il mène au socialisme. Toutefois, Rolland a sans doute eu

l’occasion de le fréquenter, lors de la rédaction de ses thèses, lorsqu’il donne ses cours à

l’École, ou par l'intermédiaire de Péguy ; de plus, Herr est secrétaire de la Revue de Paris, à

laquelle Rolland collabore à partir de 1898. Leur dissension au sujet de l’affaire Dreyfus,

évoquée plus haut, ne doit pas faire oublier leur « amitié »192, et Rolland conclut : « Je vous

regarde comme un fanatique généreux, pour qui j'ai une estime sincère. »193

Romain Rolland a une profonde admiration pour Jean Jaurès, qui devient, à la fin du

siècle, l’un des grands meneurs du mouvement socialiste.194 Né en 1859 à Castres, Jean Jaurès

est entré à l’École Normale supérieure, premier, en 1879.193 Professeur de philosophie à Albi,

puis à Toulouse, il se lance bientôt dans la politique ; il est élu à 26 ans député

« opportuniste », de centre gauche, en Haute-Garonne. C’est durant la rédaction de ses

thèses196, qu’il soutient en 1891, qu’il se convertit au socialisme, en grande partie sous

l’influence de Lucien Herr. En 1893, il est élu député socialiste de Carmaux. Rolland ne peut

qu’apprécier cet orateur brillant, qui défend un socialisme ouvert et humaniste, qui conçoit le

socialisme comme l’affirmation suprême du droit de l’individu à la liberté : « Surtout, il avait

le génie de voir « l’humain » en toute chose. »197. L’une des pièces de Rolland, Danton, jouée

au Théâtre civique le 30 décembre 1900, avait été introduite par une conférence de Jaurès.

Toutefois, leurs relations s’arrêtent là, et les deux hommes n’ont jamais été particulièrement

proches.

1 90 Lettre à M. von Meysenbug, 10 avril 1900, dans Choix de lettres à Malwida von Meysenbug, op. cit. , p. 281.
191 Lettre à Henry M. Andrews*, 8 août 1918.
Cf. les lettres de Romain Rolland à Lucien Herr*, 15 décembre [189?] et 1er février [189?].
193 Lettre à Lucien Herr*, 1er février [189?].
,M II lui rendra hommage dans un article écrit pour l’anniversaire de sa mort, qui paraîtra dans le Journal de
Genève du 2 août 1915 : Jaurès, dans L'Esprit libre, Paris : A. Michel, 1931, rééd. 1953, p. 171-178.
195 Dans Le Cloître de la rue d'Ulm, op. cil., Rolland en fait mention une fois, p. 12. Jaurès est présent parmi les
anciens élèves, « archicubes » ou professeurs, venus assister au « canular » de rentrée.
1 )h Sa thèse principale porte sur La réalité du monde sensible, et sa thèse complémentaire, en latin, sur Les
origines du socialisme allemand.

76
Romain Rolland A la veille de la guerre

Des écrits politiques ?

Le terme d’écrit politique est peut-être un peu ambitieux, et l’on hésite à l’employer

concernant Romain Rolland. Pourtant, une certaine sensibilité politique n’est pas absente de

son œuvre, sensibilité que l’on observe notamment au travers de son intérêt pour l’histoire, et

pour une histoire de plus en plus contemporaine.

On ne saurait trop insister sur le fait que Romain Rolland avait reçu, avant tout, une

formation d’historien. L’enseignement de Gabriel Monod, la préparation de son agrégation

d’histoire, ont laissé sur lui une empreinte indélébile. Il a une prédilection toute particulière

pour les périodes troublées, riches en passions (la Renaissance italienne, le XVIe siècle

français, la Révolution française, ...), et ses premiers drames en témoignent.

Mais si Rolland situe ses pièces dans des époques révolues, c’est bien souvent la

réalité de la société contemporaine, du moins ce qu’il en perçoit, qu’il transpose dans le passé.

Le thème de la décadence, par exemple, l’obsède - il n’a que dégoût pour l’atmosphère

moralement viciée de Paris, ainsi qu’on l’a vu plus haut - , et ce thème se retrouve dans

Caligula, Le Siège de Mantoue198, Savonarole... L’idée de la ruine de la civilisation d’Europe


occidentale l’a toujours hanté199, et c’est bien cette idée que l’on retrouvera dans ses articles

de guerre : la France et l’Allemagne sont en quelque sorte les deux piliers de la civilisation

occidentale, et leur entre-déchirement ne peut que mener à l’effondrement de toute l’Europe.

Voilà pourquoi pendant la guerre il enjoindra les deux nations belligérantes à se réconcilier.

Mais voilà aussi pourquoi, une dizaine d’années plus tôt, il a écrit Jean-Christophe :

«Déclin d'Europe, contre lequel l'énergie de Christophe, en un dernier sursaut,

réagit contre la vue de cristal sans défaut d'Olivier désabusé. - Avec Christophe j'ai lutté

contre le destin que je voyais venir. Et j'ai appelé à la lutte les jeunes générations. »20()

Dans Jean-Christophe, ainsi que dans les autres œuvres - le théâtre, les Vies des

hommes illustres - , on peut trouver la trace d’un engagement politique, dans le sens où

Rolland y encourage la jeune génération à se révolter contre une société décadente, à se battre

pour un monde meilleur, en prenant modèle sur des « héros » fictifs (Jean-Christophe) ou

197 Jaurès, dans L 'Esprit libre, op. cit., p. 173.


198 « Je ne m'y suis pas trompé, dès le premier regard d'adolescent : j'ai vu se renouveler la fin du monde
antique, le cinquième acte qui vient de la grande tragédie d'Occident.
Instinct qui mefaisait écrire le chœurfinal du Siège de Mantoue. », Le Voyage intérieur, op. cit., p. 346.
199
Voir ses Mémoires, op. cit., p. 189, et surtout Le Voyage intérieur, op. cit., p. 345-353.
200 Ibid., p. 346.

77
Romain Rolland à la veille de la guerre

réels (les personnages historiques de ses drames, Beethoven, Michel-Ange, etc.). « Je veux

former des âmes braves et libres », écrit-il en 1907.201

On peut trouver, dans ses écrits, un engagement plus concret encore. Les événements

les plus contemporains sont évoqués, on La vu, dans Les Loups et Le Temps viendra, mais

également dans Jean-Christophe. Alors que l’histoire se situe, au début, à une époque

indéfinie - le XIXe siècle - , il y est bientôt fait mention d’événements contemporains à

l’écriture des différentes parties, comme ces lignes de Dans la Maison, écrites en 1908,

publiées en février 1909 : «A la suite d'événements insignifiants en apparence, les relations

entre la France et l'Allemagne s'étaient brusquement aigries. [...] Un conflit s’était élevé

entre l'Allemagne et l'Angleterre ; et l'Allemagne n 'accordait pas à la France le droit de n'y

pas prendre parti ; ses insolents journaux la sommaient de se déclarer pour l'Allemagne, ou

sinon menaçaient de lui faire payer les premiers frais de la guerre ; [... J. »202 L’épisode

décrit se veut imaginaire ; pourtant, faut-il y deviner l’affaire de Tanger203, ou y voir

l’annonce - visionnaire - du «coup d’Agadir»204 ? Rolland se retrouve rattrapé, voire

dépassé, par l’histoire contemporaine. En tout cas, l’attitude qu’adopte alors Olivier, l’ami

français de Christophe, est bien celle que choisira, en 1914, Romain Rolland :

« /Olivierj était le seul qui semblât rester a l’abri de la contagion. Si oppressé qu'il

fût par l'attente de la guerre prochaine et la crainte des déchirements intérieurs, qu'il

prévoyait malgré tout, il savait la grandeur des deux fois ennemies, qui tôt ou tard allaient se

livrer bataille ; [...]. Four lui, il se refusait à prendre parti dans la mêlée. Dans cet

entr’égorgement de la civilisation, il eût redit la devise d'Antigone : «Je suis fait pour

l’amour, et non pas pour la haine. » - Four l'amour, et pour l'intelligence, qui est une autre

forme de l'amour. [...] A cette heure où des millions d'êtres s'apprêtaient à se haïr, il sentait

que le devoir, ainsi que le bonheur, de deux âmes comme la sienne et celle de Christophe,

était de garder leur amour et leur raison intacts, dans la tourmente. »205

A bien y observer, l’attitude que va adopter, au commencement de la guerre, Romain

Rolland, n’est donc pas aussi inattendue qu’on l’aurait cru tout d’abord. Rolland s’est toujours

201 Cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland [Kir lui-même, op. cil., p. 55.
202 Jean-Christophe, op. cil., vol. 2, p. 476.
203 Incident diplomatique survenu en 1905, entre la France et l’Allemagne, à propos de la possession de terres
marocaines.

204 En 1911, l’envoi d’une canonnière allemande dans le port marocain d’Agadir est à l’origine d’un nouvel
incident franco-allemand.

78
Romain Rolland à la veille de la guerre

voulu au dessus de la mêlée ; il a su rester indépendant, aussi bien par rapport aux événements

que par rapport aux partis politiques, et il mène dans ses œuvres le même combat que dans sa

vie. Au-dessus de la mêlée est déjà annoncé par tous ses écrits, et l’action engagée pendant la

guerre ne vient pas en rupture, mais en continuité de l’action menée depuis toujours.

Un autre point demande à présent à être éclairci : pourquoi Rolland se trouvait-il en

Suisse au moment où éclate le conflit ?

2. Le séjour en Suisse

On a beaucoup glosé sur le séjour de Rolland en Suisse, dont on a dit parfois qu’il

s’agissait d’une désertion. La réalité est tout autre : depuis longtemps, Rolland entretient avec

la Suisse des relations privilégiées.

Romain Rolland et la Suisse: une vieille histoire d’amour206

Romain Rolland a, depuis longtemps, l’habitude de séjourner en Suisse. Depuis sa

première excursion sur les bords du Léman, en septembre 1882, il a toujours gardé un

attachement profond pour ce pays, qu’il a découvert avec émerveillement207. Il y passe,


presque chaque année, une grande partie de ses vacances.208

Il y découvre avec enchantement la montagne, dont il goûte, ébloui, les paysages, mais

aussi les vertus thérapeutiques209. Il vient y soigner une santé toujours chancelante, et

reprendre des forces, au contact de son air vivifiant.210 Il séjourne parfois dans les Alpes

vaudoises, ainsi qu’à Zürich, à Bâle, à Genève, à Lausanne, à Soleure, mais sa préférence va à

205 Jean-Christophe, op. cit., vol. 2, p. 482.


20<’ Plusieurs études suisses ont été consacrées à cette question, « Romain Rolland et la Suisse », dont l’article
d’André Chavanne, dans Sven Stelling-Michaud et Janine Benzod (dir ), Romain Rolland, Neuchâtel : À la
Baconnière, 1969, p. 121-124. - Voir également les catalogues de deux expositions, qui ont eu lieu, la première à
Berne, à la Bibliothèque nationale suisse, en 1955, la seconde à Genève, au Musée d’art et d’histoire, en 1966.
207 II a conté cette découverte émerveillée de la Suisse dans Antoinette, sixième tome de Jean-Christophe : après
le succès d’Olivier Jeannin au concours d’entrée à l’École Normale supérieure, sa sœur Antoinette lui fait la
surprise de le mener en Suisse, pour un mois de vacances. Voir Jean-Christophe, op. cit., vol. 2, p. 335-341.
~ox Voir la chronologie détaillée, « Romain Rolland en Suisse », dans le catalogue d’exposition Romain Rolland
et la Suisse, Genève : Musée d’art et d’histoire, 1966, p. 7-12. - De 1883 à 1914, il y passera vingt-et-un étés.
209 « Jamaisje ne pourrai dire assez ce qu 'en ces années de jeunesse menacée, qui luttait pour sa vie, la nature -
la montagne surtout - a été pour moi... », extrait des Mémoires, cité dans Jean-Bertrand Barrère, Romain Rolland
par lui-même, op. cit., p. 92-93.
210 « Périodiquement je suis venu retremper mes forces dans cet air des prairies et des neiges, dans cet air de
liberté. », cité dans le catalogue d’exposition Romain Rolland et la Suisse, op. cit., p. 4.

79
Romain Rolland à la veille de la guerre

quelques petits coins de Suisse alémanique : Spiez, sur le lac de Thun, Schoenbrunn, sur le lac

de Zug, ou encore Frohburg sur Olten.

C’est en Suisse qu’il écrit une grande partie de ses œuvres, notamment Jean-

Christophe, presque entièrement composé pendant ses vacances d’été. Chaque année, il fuit

avec soulagement Paris - «ayant par [sesJ écrits conquis l’indépendance matérielle

suffisante pour vivre sans luxe, mais à l’écart (le plus grand des luxes) »211 - , et reprend le

roman laissé en plan.

Romain Rolland apprécie également ce carrefour des cultures qu’est la Suisse212, et il

suit avec intérêt ses récentes réalisations artistiques, notamment dans le domaine du théâtre

populaire. En juillet 1903, il est à Lausanne, où Gémier213, qui a monté à Paris une de ses

pièces {Le Quatorze Juillet), dirige les représentations pour le Centenaire de l’Indépendance

du Canton de Vaud. En 1905, il assiste, à Vevey, à la Fête des Vignerons. En 1911, il

s’enthousiasme pour Orphée, de Glück, monté par son ami Morax à Mézières, sur son théâtre

du peuple.

Cet intérêt est d’ailleurs réciproque, et Rolland est apprécié en Suisse. Deux de ses

pièces y sont jouées, dans les années qui précèdent la guerre. Les 28 février, 1er et 8 mars

1910, Les Loups sont joués à la Maison communale de Plainpalais, à Genève, avec beaucoup

de succès214 ; la pièce est montée par l’Union pour l’Art social, qui a pour but essentiel de

mettre l’art à la portée de tous, ce qui s’accorde avec les idées professées par Rolland dans

son Théâtre du peuple. Les 2 et 9 avril 1914, la Comédie de Genève joue Aërt, pièce

plébiscitée par ses abonnés.212

Pendant l’hiver 1912-1913, Rolland accepte de donner chaque mois une chronique

parisienne à la Bibliothèque universelle de Lausanne, dirigée par Edmond Rossier ; ses

articles y paraissent d’octobre 1912 à mars 1913.

211 Cité dans ibid., p. 13.


212 « Les villes de Suisse sont les intermédiaires entre la pensée française et la pensée germanique. En très peu
de jours, on renouvelle son fonds intellectuel pour plusieurs mois. », cité dans ibid., p. 9.
212 Le comédien français Firmin Gémier, futur directeur de l’Odéon (1922-1930), sera le fondateur et le premier
directeur du Théâtre national populaire (1920-1933).
2,4 Le 2 mars, le Journal de Genève fait état d’un « grand succès », et le 7e Rapport de l’Union pour l’Art
social en parle comme de « / 'événement de la saison ».
215 Pour plus de détails, voir «Les représentations de pièces de Romain Rolland en Suisse», dans Romain
Rolland et la Suisse, op. cit., p. 27.

80
Romain Rolland à la veille de la guerre

Les amitiés suisses

Rolland apprécie notamment Charles Ferdinand Ramuz, alors à Paris, qu’il rencontre

rue Boissonade. Très tôt, il a découvert le talent du jeune écrivain vaudois - « le premier à

faire vivre dans ses œuvres l'âme populaire des pays romands »216 - , qui pourtant n’obtient

avec ses premiers romans {Le Petit Village, Aline, La Grande Guerre de Sonderbond, Les

Circonstances de la vie, ...) qu’un maigre succès. Dès 1911, Rolland écrit : « Je lis un certain

nombre d’œuvres suisses, il y a un mouvement littéraire très intéressant dans la Suisse

actuelle. Parmi les Romands, je suis surtout frappé par les œuvres de Ramuz (un jeune). »217

Mais l’homme de lettres romand dont il est le plus proche est Paul Seippel : « Mon

ami le plus ancien, le plus fidèle de mes amis de Suisse, mon compagnon de lutte et

d'épreuve. Il fut le premier qui vint me tendre la main, dans ma solitude du Boulevard

Montparnasse, au berceau de Jean-Christophe, dont il fut l'un des parrains et annonciateurs

publics européens. Depuis, cette main loyale n 'a pas lâché la mienne. »218

Né à Lausanne en 1858, ce professeur de littérature française à l’École polytechnique

fédérale de Zurich, également critique littéraire au Journal de Genève, est l’auteur de

plusieurs publications : La Suisse au XIXe siècle, Les deux Prances et leurs origines

historiques (1905), La critique des deux Prances (1906), La littérature française dans la

seconde moitié du XIXe siècle (1911). D’un voyage autour du monde, en 1895, il a ramené

Terres lointaines, qui paraît en 1897.

En 1905, c’est le premier critique à signaler l’apparition de Jean-Christophe au public

européen, dans le Journal de Genève. 11 consacre également d’autres articles à Romain

Rolland ; en octobre 1911, celui-ci écrit : «La Bibliothèque universelle vient de publier un

long article sur moi. C’est le meilleur qu 'on ait jamais écrit... L'auteur est un écrivain connu

en Suisse : Paul Seippel. »219. Les deux hommes, devenus amis, se rencontrent lors des

séjours en Suisse de Rolland.220 Seippel fait paraître, en 1913, un important volume sur

Romain Rolland, devenant ainsi son premier biographe. En signe de reconnaissance et

d’amitié, Romain Rolland lui a fait don du manuscrit du Buisson ardent, neuvième tome de

Jean-Christophe.

216 Cité dans André Chavanne, « Romain Rolland et la Suisse », art. cit., p. 122.
217 Cité dans Romain Rolland et la Suisse, op. cit., p. 10.
2|8 . , , Z 1
Cité dans André Chavanne, « Romain Rolland et la Suisse », art. cit., p. 122-123.
a]) Cité dans Romain Rolland et la Suisse, op. cit., p. 10.
"20 En 1912, Rolland passe quelques jours à Zürich, chez l’écrivain suisse.

81
Romain Rolland à la veille de la guerre

L’été 1914 221

Début juin 1914, Rolland se rend en Suisse, pour y passer, comme presque chaque

année, les mois d’été, et s’y reposer de Colas Brugnon, qu’il vient d’achever. La

correspondance avec sa mère, inédite pour les mois précédant la guerre222, nous présente un

homme comblé, heureux. L’été s’annonce serein, tranquille, sans véritable projet, avec des

voyages de droite et de gauche, des excursions en montagne.

Le 2 juin, il arrive à Vevey, petite ville sur les bords du lac Léman, où il va passer une

quinzaine de jours, à se promener en ville, où il est désormais célèbre (les libraires présentent

ses livres en devanture), à se reposer dans le jardin de l’hôtel où il séjourne, ou à faire

plusieurs courses en montagne. Le 6 juin, il assiste à une représentation au théâtre populaire

de Mézières, près de Vevey.223 Le 17 juin, il quitte Vevey pour Riffelalp, au-dessus de

Zermatt, où il passe trois jours. Il se rend ensuite, le 20 juin, à Spiez, sur le lac de Thun, pour

une dizaine de jours de repos et de promenades en montagne224. Il apporte les dernières

retouches à son roman et, le 22 juin, il peut écrire à sa mère : « J'ai à peu près terminé ma

correction du manuscrit de Colas Brugnon. Je suis dans un état de liberté d'esprit. »225 II fait

état, également, de sa récente notoriété : « Chaque jour m'apporte un courrier assez

abondant, où les lettres de lectrices forment la majorité. »226 II passe une journée à

l’Exposition Nationale suisse, à Berne227, et quitte avec regret Spiez pour Genève, où il doit
retrouver plusieurs amis, dont Alphonse de Châteaubriant228

Du 2 au 7 juillet, il est à Genève, où il assiste aux grandes représentations nationales,

qui célèbrent le centenaire du rattachement de la ville à la Suisse ; Gémier en dirige la mise en

scène, et Jaques-Dalcroze229 la partie chorégraphique.230 Le 8 juillet, il est à Gimel, dans le

221 Se reporter à l’annexe 3.


222 Le vingtième recueil des Cahiers Romain Rolland, qui présente un choix de lettres à sa mère, débute par une
lettre du 9 novembre 1914.

223 Lettre à sa mère*, 6 juin 1914.


224 « C'est le premier printemps dans la haute montagne. /.../ Et votre ami, étendu au pied d’un grand vieil
arbre, au tronc couleur de miel, aspire la lumière, rêve et se prépare, une fois de plus, à faire peau neuve. Car
Colas Brugnon étant fini, je laisse sa défroque et cherche une autre enveloppe dans laquelle me cotder. », lettre
à Louise Cruppi*, 29 juin [1914],
225 Lettre à sa mère*, 22 juin 1914. - La relecture se termine deux jours plus tard, et le manuscrit est envoyé à
Paris.

22(' Lettre à sa mère*, 24 juin 1914.


"7 Lettre à sa mère*, 27 juin 1914.
22x Alphonse de Châteaubriant, écrivain d’origine bretonne, prix Goncourt 1911, pour son roman Monsieur des
Lourdines, histoire d’un gentilhomme campagnard du XIXe siècle.
220 Émile Jaques-Dalcroze, compositeur et pédagogue suisse (1865-1950), auteur de mélodies populaires et
inventeur de la gymnastique rythmique.
230 Lettres à sa mère*, 2, 3-4 et 5 juillet 1914.

82
Romain Rolland à la vrille de la guerre

Jura vaudois, sans avoir encore de projet bien défini pour l’été231 ; après une quinzaine de

jours, il est de retour à Vevey le 26 juillet.

Rolland n’est toutefois pas coupé du monde, et il suit avec intérêt le procès qui

passionne alors, en France et même à l’étranger, l’opinion publique : l’affaire Caillaux. Le 16

mars 1914, Henriette Caillaux, épouse de Joseph Caillaux232, a tué de plusieurs coups de

revolver Gaston Calmette, directeur du Figaro, dans son propre bureau233. Le procès, qui

s’ouvre le 20 juillet, se termine par l’acquittement, neuf jours plus tard, de Mme Caillaux.

Rolland y fait plusieurs fois allusion.231

La présence en Suisse de Romain Rolland - une habitude estivale - n’a donc rien de

bien surprenant. Mais le déclenchement du premier conflit mondial vient bouleverser tout

ceci. Quelle attitude va adopter Romain Rolland dans les premières semaines de la guerre ?

3. Les premières semaines de la guerre

Le déclenchement du conflit

Le début du XXe siècle est une période troublée. Les rivalités économiques et

coloniales entre les grandes puissances, l’antagonisme franco-allemand issu de la guerre de

1870, la montée des nationalismes, l’antagonisme austro-russe dans les Balkans, ainsi que la

course aux armements conduite par les deux blocs de la Triple-Alliance (Allemagne,

Autriche-Hongrie, Italie) et de la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne, Russie), ont créé

231 « // s 'agit de trouver ci occuper les deux mois de I ’é/é », lettre à sa mère*, [8] juillet 1914.
2,2 Joseph Caillaux (1863-1944), membre du parti radical, ancien ministre des Finances (1899-1902 et 1906-
1909), ancien Président du Conseil (1911-1912). Lors du «coup d’Agadir», en 1911, il est partisan d’une
entente avec l’Allemagne, et négocie la convention franco-allemande sur le Maroc. En 1914, il est à nouveau
ministre des Finances.

233 Calmette s’était procuré des lettres de Caillaux, sur des sujets financiers, diplomatiques, politiques et privés,
dont une lettre adressée à sa première épouse, qu’il publie dans Le Figaro du 14 mars, en donnant à entendre que
d’autres lettres, adressées à la seconde épouse, Henriette, suivraient. - On a estimé que le chantage de Calmette
était un coup monté par les bellicistes, pour écarter du gouvernement une personnalité germanophile.
234 Cf. la lettre à sa mère du 27 juillet [I9I4J* : « I.is-tu t'affaire Caillaux ? Je la suis attentivement, et toutes
mes sympathies sont pour Caillaux et surtout pour Mme Caillaux. Ces journaux sont hideux. Une bande de
chiens lâchés sur une proie. », et la lettre à Louis Gillet du 30 juillet [1914], dans le Cahier // : « Je n'ai rien
perdu de J'affaire Caillaux, dont les deux protagonistes me semblent plus clairs qu 'à vous (et probablement
aussi, plus sympathiques) ». Déjà le 27 avril, il écrivait à Sofia Bertolini : « Je n 'avais aucune sympathie pour
Caillaux ; mais je ne suis pasfâché qu 'un de ces rois de la presse à chantage ait reçu son châtiment de la main

83
Romain Rolland à la veille de la guerre

en Europe un état de tension croissante, que la question du Maroc et les guerres balkaniques

(1912-1913) viennent encore accentuer. Désormais, la paix est à la merci du moindre incident

diplomatique : l’assassinat à Sarajevo, le 28 juin 1914, de l’archiduc héritier de l’empire

d’Autriche, François-Ferdinand, va entraîner l’Europe dans un conflit de quatre années.

Le 28 juillet, F Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Le système des

alliances entraîne successivement les différents pays dans la guerre: l’Allemagne déclare la

guerre à la Russie (1er août) et à la France (3 août). La Belgique, pays neutre, refuse

l’ultimatum allemand demandant le libre passage de son armée sur le territoire belge (2 août) :

elle est envahie par l’Allemagne (3-4 août). Répliquant à l'entrée en Belgique de troupes

allemandes, le Royaume-Uni lance un ultimatum à Berlin (4 août), exigeant le respect de la

neutralité belge. Devant le refus de l'Allemagne, il lui déclare la guerre le jour même.

L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie (5 août), la Serbie à l'Allemagne (6 août), la

France à l’Autriche (11 août), ainsi que le Royaume-Uni (12 août). En deux semaines, les

principales puissances d’Europe sont entrées en guerre, et le conflit va dès lors se dérouler sur

plusieurs fronts.

La réaction première de Romain Rolland

Le 3-4 août, Romain Rolland note dans son Journal :

« L 'Allemagne envahit le Luxembourg, lance un ultimatum à la Belgique.

Je suis accablé. Je voudrais être mort. Il est horrible de vivre au milieu de cette

humanité démente, et d'assister, impuissant, à la faillite de la civilisation. Cette guerre

européenne est la plus grande catastrophe de l'histoire, depuis des siècles, la ruine de nos

espoirs les plus saints en la fraternité humaine. »235

Il séjourne alors à Vevey. La déclaration de guerre est pour lui comme un réveil brutal,

à en croire Y Introduction à l'édition nouvelle de L ’Esprit libre :

«... Je sortais d'un long rêve, qui m'enivrait. Les mains de l'amour, où s'appuyaient

mes yeux, m'avaient caché les nuages s'amassant en ces juin et juillet du merveilleux été...

(En fut-il un plus beau ? Déchirante splendeur de ces jours, où le meurtre de l'Europe se

d’une femme. ».
235 JAG, p. 32-33.

84
Romain Rolland à la veille de la guerre

décidait !...) Quand s'écartèrent les doigts de la bien-aimée2^, c'était la nuit du monde. La

guerre était déclarée. »237

Pourtant, Rolland n’a pas été aussi surpris par l’éclatement du conflit qu’il semble

vouloir le faire croire ici.

Il est vrai que le 29 juin, c’est-à-dire au lendemain de l’attentat de Sarajevo, il peut

encore écrire à son amie Louise Cruppi : « Jusqu'à l'apparition en librairie de Colas

Brugnon, c 'est-à-dire en octobre, je m'accorde de rêver seulement et de vivre.»2''8

Mais le cours que prennent les événements ne lui laisse bientôt plus aucune illusion.

La correspondance avec sa mère nous livre un homme inquiet, lucide, nullement indifférent à

ce qui se passe autour de lui. A la gaieté optimiste du début du mois de juillet vient répondre

une inquiétude qui va croissante. Son ami Alphonse de Châteaubriant est alors avec lui à

Gimel , et ils se rendent ensemble à Vevey . Les deux hommes sont d’autant plus attentifs

aux événements que Châteaubriant serait concerné par une mobilisation générale de la France.

Le 26 juillet, Rolland rajoute à la fin de sa lettre quotidienne: « Les événements politiques

sont terriblement inquiétants ce matin.241 Il se pourrait que ce fût, cette fois, la guerre pour de

bon. Si elle éclatait, n 'attends pas un jour pour venir en Suisse. Pars tout de suite. »242

Faut-il comprendre à cette affirmation que Rolland avait prévu de demeurer en Suisse

en cas de guerre, afin d’y être en lieu plus sûr ? Sans doute faut-il plutôt y voir l’inquiétude

légitime d’un fils dont la mère est alors seule en France243, et qu’il préférerait savoir à ses

côtés en un moment aussi critique. La date d’échéance de l’ultimatum autrichien arrive en

236 On sait peu de choses de cette jeune femme, une actrice américaine, Helena Van Brugh de Kay - que Rolland
appelle Thalie - , sinon que leur liaison a débuté en automne 1912. Il n’en parle guère dans son Journal, et n’y
fait que quelques rares et discrètes allusions dans des lettres à sa mère ou à sa sœur.
237 L ’Esprit libre, op. cil., p. 18. - L’introduction de Rolland est une sorte d’essai critique sur son action au cours
de la Première Guerre mondiale ; si elle en présente une vision claire et synthétique, il ne faut pas oublier qu’elle
a été écrite plus de 15 ans après les faits, et qu’il faut donc les considérer - sinon les événements eux-mêmes, du
moins les jugements portés à leur égard - avec une certaine réserve.
23S Lettre à Louise Cruppi*, 29 juin [1914],
239 Lettre à sa mère*, [8] juillet 1914.
240 Lettre à sa mère*, 24 juillet 1914.
241 Le 23 juillet, l’Autriche avait lancé un ultimatum à la Serbie, laquelle avait 48 heures pour y donner réponse.
Cet ultimatum, conséquence de l’attentat de Sarajevo, ordonnait à la Serbie de condamner publiquement la
propagande serbe contre la monarchie austro-hongroise, d’insérer cette condamnation dans son Journal officiel,
de dissoudre la société nationaliste Norodna Obrana, et de rayer des cadres de l’armée les officiers jugés
suspects d’une action anti-autrichienne. Le 25 juillet, la Russie avait annoncé qu’elle soutiendrait la Serbie en
cas de conflit.

242 Lettre à sa mère*, 26 juillet 1914.


243 Madame Rolland est alors à Clamecy, chez une amie. Son mari et sa fille sont eux aussi en Suisse, dans la
région du lac de Zug.

85
Romain Rolland à la veille de la guerre

effet à son terme, et T opinion suisse est très pessimiste quant à son dénouement. Dans l’après-

midi du 26, il écrit d’ailleurs une seconde lettre :

« Les événements se précipitent. Nous venons de la gare, où nous apprenons que la

guerre est déclarée entre l'Autriche et la Serbie244. Demain, ce peut être la Russie, et, par

suite, la France qui entrent en branle. Châteaubriant part, cet après-midi, directement pour

Piriac [... /. Il se peut en effet que, dans les dewc ou trois jours, il soit appelé par la

mobilisation ; et il veut voir les siens, avant.

Pour moi, je suis encore incertain sur ce que je ferai plus lard. Pour le moment, je

n’ai qu'à rester où je suis, - rien ne me rappelant d'une façon immédiate. »245

Cette seconde lettre laisse à entendre que Rolland, s’il a sérieusement envisagé

l’éventualité d’un conflit généralisé, ne paraît pas en revanche fixé sur l’attitude à adopter si

ce qu’il redoute venait à se réaliser. Il faut préciser ici que Rolland n’était pas astreint à la

mobilisation générale, et ce pour trois raisons : de par son âge, tout d’abord (il a alors 48 ans),

de par sa condition d’ancien normalien (les élèves de l’École Normale supérieure, qui

contractaient un engagement décennal de service universitaire, étaient alors dispensés de toute

obligation militaire), de par sa santé enfin (un accident, survenu en 1910, l’avait laissé avec

un bras à demi infirme). Il n’a ainsi aucune raison particulière de retourner à Paris, et c’est

donc en Suisse qu’il choisit d’attendre la suite des événements.246 Sa mère, qui finit par se
laisser convaincre, vient finalement l’y rejoindre le 1er août247.

~44 La réponse serbe à l’ultimatum autrichien, qui a pris fin le 25 juillet, accède à presque toutes les exigences de
l’Autriche, et ne contient que d’infimes réserves, qui ne peuvent donner matière à grief. Toutefois, la réponse
serbe est jugée insuffisante, et le jour même a lieu la rupture de toute relation diplomatique entre la Serbie et
l’Autriche. Le fait est grave, et signifie, à n’en plus douter, que l’Autriche veut la guerre. Cependant, la
déclaration de guerre officielle de l’Autriche à la Serbie date en réalité du 28 juillet, et non du 26.
245 Lettre à sa mère*, [26 juillet 1914],
"46 « Je n 'ai aucunement l'idée de quitter Vevey, oitje me trouve fort bien », lettre à sa mère*, [29 juillet 1914]
Il faut préciser, toutefois, que le retour sur Paris aurait été possible, du moins à ce moment. Le 28 juillet, en
effet, Rolland part pour la capitale française, afin d’y mettre ses affaires en sûreté, et d’en ramener quelques
titres, qui devraient permettre à sa famille de subsister, dans l’éventualité d’un conflit. Il est à Paris le 29 juillet,
et en repart immédiatement, dans l’après-midi ; il est de retour la nuit même à Vevey. - Voir les lettres à sa mère
des 28, 29 et 30 juillet 1914*.
247 « Samedi lLr Août. [...] Ma mère arrive le soir, à lOh 30, par le dernier train qui vient de France. Ixi
mobilisation française a été décrétée ci 4h 30 de ! 'après-midi, et la déclaration de guerre de l’Allemagne à la
Russie est remise à 7 heures du soir », ,JAG, p. 32.

86
Romain Rolland à la veille de la guerre

L’échec des mouvements pacifistes

La veille au soir, Jean Jaurès a été assassiné par un jeune exalté, Raoul Villain, au café

du Croissant, rue Montmartre. Le 1er août, Rolland écrit :

« Je viens de lire, avec une profonde tristesse, la nouvelle de l'assassinat de Jaurès ;

l... j. - Jaurès n'était pas seulement un grand esprit et un grand cœur ; il était l'homme le

plus capable de maîtriser les violences de son parti : en le tuant, on ne fait que déchaîner les

éléments les plus dangereux de l'armée révolutionnaire. »24X

Quelques jours avant la crise de juillet 1914, les socialistes avaient voté, lors de leur

congrès tenu à Paris, une motion préconisant la grève générale en cas de guerre ; cette motion

devait toutefois être soumise au congrès de L Internationale, qui devait se tenir le mois

suivant. Les syndicalistes révolutionnaires de la CGT, quant à eux, avaient toujours annoncé,

depuis plusieurs années, qu’ils saboteraient la mobilisation dès son déclenchement. Lorsque la

menace de guerre se fait plus pressante, à l’annonce de l’ultimatum autrichien, les

syndicalistes organisent d’importantes manifestations pour la paix, en particulier à Paris le 27

juillet, imités bientôt par les socialistes. Le 30 juillet, une réunion commune est tenue par les

responsables syndicaux et socialistes. Mais la mort de Jaurès, le 31 juillet, vient sonner le glas

des derniers espoirs pacifistes, tant il apparaissait, aux yeux de l’opinion, comme le seul

homme capable de pouvoir encore sauver la paix.249

Cependant, son assassinat n’entraîne pas, contrairement à ce qu’on pouvait craindre

- et Romain Rolland, dans sa lettre, s’en fait l’écho - le déclenchement de mouvements

révolutionnaires incontrôlables. Dès le 1CT août, la France et l’Allemagne décrètent,

pratiquement à la même heure, la mobilisation générale, et socialistes comme syndicalistes se

rallient, de façon à peu près unanime, à la défense nationale. Le gouvernement n’a même pas

à ordonner l’application du Carnet B, document qui prévoyait l’arrestation, en cas de

mobilisation, de certains responsables syndicaux et politiques, susceptibles de provoquer une

agitation révolutionnaire. Le 2 août, premier jour de la mobilisation, Vaillant, Guesde,

2tx Lettre à sa mère*, lor août 1914. - La venue de sa mère en Suisse n’étant pas certaine, Rolland lui a écrit,
comme à l’accoutumée.

249 Roger Martin du Gard donne, dans son roman Les Thibault, une relation très détaillée et très fidèle des
incertitudes et des espoirs qui soulevèrent alors les milieux socialistes et pacifistes, entre le 28 juin et le début du
mois d’août 1914 : « L’Eté 1914 » narre l’errance, entre Genève, Anvers, Berlin, Bruxelles et Paris, du jeune
Jacques Thibault, affilié à un groupement révolutionnaire. - R. Martin du Gard, « L’Eté 1914 », Les Thibault,
[Paris :] Gallimard, 1936.

87
Romain Rolland à la veille de la guerre

Sembat, Renaudel annoncent qu’ils feront leur devoir.250 Le 4 août, les socialistes votent à

l’unanimité les crédits militaires ; aux obsèques de Jaurès, Léon Jouhaux, secrétaire général

de la CGT, promet de soutenir l’effort de défense nationale.

Le premier engagement de Romain Rolland : les premiers articles

Les premiers temps, Rolland demeure frappé par le caractère de démence du conflit

(cette idée de folie de l’Europe, une folie incompréhensible, contagieuse, qui n’épargne

personne, même les personnes les plus mesurées et les plus hostiles à toute forme de violence

avant la guerre, revient constamment sous sa plume). Il attend une réaction de ce qu’il

considère comme les grandes autorités morales : les Églises, dont le message évangélique ne

semblerait pas pouvoir justifier des combats meurtriers, le socialisme international, qu’il

croyait être le garant de la paix251, les intellectuels, dont le rôle est selon lui de guider ceux

qui se méprennent, et de mener un juste combat pour défendre la raison et la vérité. Non qu’il

croie véritablement que ces puissances morales puissent encore empêcher la guerre, mais du

moins auraient-elle ainsi accompli leur devoir, en demeurant fidèles à leurs convictions

premières. Mais pas une voix ne s’élève contre le drame qui se joue.

« Tous avaient abdiqué, et Jaurès était tué.

Solitude complète. Les premières semaines d'août ne furent qu'un tragique dialogue

avec moi-même, un examen de conscience, une retraite en Dieu. Il me fallait constater que de

nos deux Déesses, Patrie, Humanité, l'une avait tout dévoré. Et l'autre était oubliée... Suis-je

seul à y croire encore ? Et puisqu 'aucun ne parle, aucun de ses dévots de la veille, faudra-t-il

que je parle ? Mais que dirai-je ? De quel droit ? Et qui voudra m'entendre ? ... »252

Il se fera entendre, pourtant. Le 2 septembre, par l’entremise de son ami Paul Seippel,

il publie dans le Journal de Genève une Lettre ouverte à Gerhart Hauptmann, écrite après

avoir appris la nouvelle de la dévastation par les Allemands de la ville de Louvain253. Il est

250 «N'est-il pas inouï que tes socialistes d'Allemagne, de France, de Belgique, d'Angleterre, aient cru non
seulement devoir accepter cette guerre, mais déclarer publiquement qu 'ils y prendraient part ! », lettre à son
amie italienne Sofia Bertolini, 5 août 1914, Cahier XI, p. 204.
2^1 . „ -y r
« Des socialistes ! Des prêtres ! [.../ Ces frères ennemis, ces champions d’un double idéal de paix et de
fraternité humaine, s'accordant pour réclamer leur place dans la grande boucherie ! », ibid..
2'* 2 Introduction à L 'Esprit libre, op. cit., p. 19.
253 « La nouvelle de la destruction de Louvain me rend malade. Quelle folie emporte ces Allemands à leur ruine
morale ? Chaque pas qu 'ils font creuse un abîme de haine. Veulent-ils donc régner sur des décombres ? Ils
légitiment d’avance les pires représailles [...J. Ce crime me force à sortir de mon silence. J'écris à Gerhart
Hauptmann (samedi 29 août 1914). Comme il y a peu de chances que cette lettre lui parvienne, j’en adresse

88
Romain Rolland à la veille de la guerre

intéressant de constater que ce premier article (une protestation contre les crimes commis par

Tannée allemande : violation de la neutralité belge, destruction d’un patrimoine artistique

d’une valeur inestimable) s’adresse à Gerhart Hauptmann - qui était alors le plus grand auteur

dramatique allemand, prix Nobel de littérature en 1912, qu’il ne connaissait d’ailleurs pas

personnellement - et non à une autorité politique ou militaire. A aucun moment en effet,

Rolland ne cherche à sortir du champ qui est le sien, celui du milieu intellectuel européen, et

c’est donc à un autre intellectuel qu’il adresse cette formule: « Êtes-vous les petits-fils de

Goethe, ou ceux d'Attila ? »254, qu’on lui reprochera de part et d’autre235.

Puis vient un second article : Au-dessus de la mêlée, écrit le 15 septembre, paraît dans

un supplément au .Journal de Genève du 22-23 septembre. On est surpris aujourd’hui par la


256
lecture de ce texte , qui ne semble justifier en rien les attaques très virulentes dont il fut

l’objet. La guerre y est simplement dénoncée comme un malheur pour l’Europe, dont tous les

pays belligérants ne peuvent que sortir ruinés ; cet appel à la « jeunesse héroïque du monde »,
9 S7

s’il déplore le massacre monstrueux de tant de jeunes gens“ , la vanité de leur sacrifice, par

ailleurs admirable - en tant qu’il révèle leur grandeur d’âme et leur valeur morale - n’appelle

nullement à l’insoumission militaire ou à la révolte.

Cet article connaîtra un certain retentissement, et vaudra à son auteur autant de lettres

d’insultes que de témoignages de sympathie. Dans la presse française, l’article sera très mal

reçu : on a vite fait de jeter le discrédit sur les propos de cet écrivain français, bien à l’abri

derrière les montagnes suisses, qui se permet de tenir la balance égale entre les torts des

différents belligérants. Pourtant, dans cet article, Rolland ne fait que défendre la cause qu’il a,

depuis toujours, défendue, celle de l’humanité.

copie au Journal de Genève, au Times et à La Voce de Florence », JA G, p. 43. - Le texte de l’article se trouve
dans L'Esprit libre, p. 63-65. Une note, p. 65, précise que cette lettre « a été provoquée par un article
retentissant d'Hauptmann, paru peu de jours avant. Il y repoussait l'accusation de barbarie tancée contre
l'Allemagne, et la retournait... contre ta Belgique. »
254 Lettre ouverte à Gerhart Hauptmann, dans L Esprit libre, op. cil., p. 64.
255 « De ma phrase à Hauptmann : « Etes-vous les fils de Goethe ou les fils d'Attila ? », la presse française a
retenu : « Il les appelle fils de Goethe ! », et la presse allemande : « Il nous appellefils d'Attila ! » », JAG p. 96.
256 Voir L 'Esprit libre, op. cit., p. 76-89.
257 « Toute celle fleur de l'humanité jetée dans quels combats ! », lettre à Louise Cruppi*, 3 septembre 1914.

89
Romain Rolland à la veille de la guerre

Un nouvel engagement : l’Agence des Prisonniers de la Croix-Rouge

Après ces premiers articles, c’est pour Romain Rolland une autre forme

d’engagement, qui n’est pas sans surprendre : deux mois après la déclaration de guerre, il se

met au service d’une Agence de prisonniers, fondée par la Croix-Rouge internationale.

90
Chapitre III : La Croix-Rouge internationale en 1914

« Inter arma caritas ». - Devise de la Croix-Rouge internationale.

Organisme international à vocation humanitaire, la Croix-Rouge est fondée, à

l’instigation d’Henry Dunant, à Genève, en 1863, pour venir en aide aux blessés et aux

victimes de la guerre.

1. APERÇU HISTORIQUE

La fondation de la Croix-Rouge internationale

Se trouvant à proximité du champ de bataille de Solferino (Italie, 1859), pendant la

guerre qui oppose la France et l’Italie à la Prusse, l’homme d’affaires genevois Jean-Henry

Dunant est horrifié par la situation des blessés, et décide d’y remédier. Son idée est de

« susciter, dans chaque pays, la création d'une société de secours aux blessés militaires

susceptible, en cas de conflit, d'aider les services de santé de l'armée à s'acquitter de leur
^ ^58 , A .
tâche. >r De retour à Genève, il trouve un soutien précieux en la personne du juriste Gustave

Moynier, président de la Société genevoise d’Utilité publique, qui se montre très intéressé par

ses récits et ses suggestions. L’ouvrage que publie Dunant en 1862, Un souvenir de Solferino,

contribue grandement à faire connaître ses idées.

C’est pourtant Moynier, esprit plus méthodique et plus rigoureux, qui comprend que

l’idée de Dunant ne saurait se réaliser sans une sérieuse organisation internationale, ni sans

une direction ferme et efficace. Il forme un Comité de cinq personnes, siégeant à Genève, qui

est à l’origine du mouvement de la Croix-Rouge.

258
Cité dans Henri Coursier, La Croix-Rouge internationale, Paris : PUF, 1962 (Que sais-je ? n° 83 1), p. 16.
La Croix-Rouge internationale en 1914

La conférence de Genève de 1863

Le Comité des Cinq comprend, outre Dunant et Moynier, trois autres Genevois : le

général Dufour, ainsi que deux médecins, Louis Appia et Théodore Maunoir ; il se réunit, à

compter du 17 février 1863, sous le nom de « Comité international et permanent de Secours

aux Blessés militaires ». Il organise à Genève, dans la salle de l’Athénée, en octobre 1863,

une première conférence internationale, à laquelle assistent les délégués officieux - médecins

et fonctionnaires - de seize nations.

Les suggestions du Comité sont approuvées ; les délégués votent, le 29 octobre 1863,

une sorte de charte, qui contient les bases fondamentales et uniformes de la Croix-Rouge : les

Etats doivent favoriser la création, sur leur territoire, de Sociétés privées solidaires les unes

des autres, et susceptibles d’exercer une action complémentaire de celle du Service de

Santé (unité nationale de la Croix-Rouge, reconnaissance par le gouvernement comme service

auxiliaire de l’armée, solidarité entre les Croix-Rouges nationales) ; un acte diplomatique

ultérieur doit consacrer la neutralité des blessés et du personnel appelé à les soigner ; ce

personnel, ainsi que le matériel nécessaire aux soins à donner, seront protégés par un signe

distinctif unique, l’emblème de la croix rouge sur fond blanc. Mais ces résolutions demeurent

dans le domaine privé. Aussi faut-il organiser une autre conférence, composée cette fois de

plénipotentiaires, ayant compétence pour souscrire des engagements précis au nom des

gouvernements.

La première convention de Genève

Cette seconde conférence, tenue avec les représentants de douze nations, permet la

signature de la première convention de Genève (22 août 1864), qui établit des règles pour le

secours aux blessés et la protection du personnel médical : sauvegarde et respect aux

ambulances et hôpitaux militaires, ainsi qu’au personnel et au matériel de ces formations ;

sauvegarde et respect aux habitants du pays qui porteront secours aux blessés ; obligation de

soigner tous les malades et blessés sans distinction de nationalité ; institution de la croix rouge

sur fond blanc comme signe distinctif et marque d’immunité. Les belligérants sont donc

désormais tenus de protéger les blessés de guerre et de leur assurer les soins médicaux

nécessaires ; mais le mérite et l’originalité de cette convention est surtout qu’elle ne se limite

pas à un conflit précis, mais qu’elle établit la Croix-Rouge internationale de manière

universelle et permanente.

92
La Croix-Rouge internationale en 1914

La convention de Genève est ratifiée d’abord par la Belgique, le Danemark, l’Espagne,

la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Suisse, ainsi que par plusieurs États de la

Confédération germanique ; tous ces pays possèdent leur Société de secours. Les progrès de la

Croix-Rouge sont ensuite marqués par l’adhésion de nouveaux pays à la convention de

Genève (Autriche, Bavière, Turquie, Russie, États-Unis, Japon, Siam, Chine, pays

d’Amérique latine, etc.), et par la constitution de leurs Sociétés nationales de secours, bientôt

nommées Sociétés de la Croix-Rouge.

Les principes énoncés dans la première convention de Genève sont par la suite révisés,

perfectionnés et étendus, à Genève également, en 1906 (convention du 6 juillet). Les lois et

coutumes de la guerre sont également codifiées par les deux conférences de la Paix, tenues à

La Haye en 1899 et 1907.259

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)

Le Comité international de Genève décide, dans sa séance du 20 décembre 1875, de se

déclarer Comité international de la Croix-Rouge ; son siège demeure à Genève. C’est lui qui

s’occupe, d’une part, du développement de la Croix-Rouge et de son extension dans le monde

entier (il reconnaît les sociétés nouvelles, et assure l’uniformité des principes), d’autre part,

d’amener successivement tous les États à signer la convention de Genève. Il est à la fois

l’intermédiaire des Comités centraux, le gardien des traditions et l’instigateur du droit

international humanitaire. Il est présidé, pendant plus de quarante ans, par Gustave Moynier.

À sa mort, en 1910, il est remplacé par Gustave Ador ; né à Genève en 1845, celui-ci a mené

une brillante carrière juridique et politique, et a fait partie de nombreuse commissions et

missions fédérales, avant sa nomination à la présidence du CICR.260

Dès 1864, et dans toutes les guerres, en vertu du principe de solidarité internationale,

toutes les Sociétés nationales viennent au secours des Croix-Rouges des belligérants, par des

dons, des envois de matériel ou de détachements sanitaires. Le Comité international institue à

Bâle une première Agence internationale de renseignements et de secours aux malades et

blessés, lors de la guerre de 1870. Une nouvelle agence est mise en place à Trieste, en 1877,

259 Pour plus de détails, on peut se reporter à l’ouvrage de Pierre Boissier, Histoire du Comité international de la
Croix-Rouge De Solferino à Tsoushima, rééd. Genève : Institut Henry-Dunant, 1978.
260 Une biographie lui a été consacrée par son gendre : Frédéric Barbey, Un homme d'Ètat suisse, Gustave Ador
(1845-1928), [1945], rééd. Genève : Comité Gustave Ador, 1995. - Voir l’annexe 4.

93
La Croix-Rouge internationale en 1914

lors de la guerre des Balkans ; à Vienne, en 1885, pendant la guerre serbo-bulgare ; enfin à

Belgrade, en 1912-1913, pendant les guerres balkaniques.

En temps de paix, les étapes de la Croix-Rouge internationale sont marquées par la

réunion périodique des Croix-Rouges de tous les pays en conférences internationales, à la

suite de la constituante de 1863 : Paris (1867), Berlin (1869), Genève (1884), Karlsruhe

(1887), Rome (1892), Vienne (1897), Saint-Pétersbourg (1902), Londres (1907). Pour la

première fois, en 1912, une conférence se déroule hors du sol européen : elle a lieu à

Washington.

Le Comité international a obtenu la médaille de Grand Prix, comme fondateur de la

Croix-Rouge, à l’Exposition Universelle de Paris en 1867 ; en 1901, le premier prix Nobel de

la paix a été attribué à Henry Dunant.

Le cinquantième anniversaire

L’année 1913 marque le cinquantième anniversaire de la fondation de la Croix-Rouge.

« Il y a cinquante ans que se réunissait, à Genève, le 26 octobre 1863, f... J, la

Conférence d'experts qui posa les bases fondamentales de l'institution de la Croix-Rouge.

Fallait-il célébrer glorieusement et avec éclat cet anniversaire ? Cela n 'eut pas correspondu

aux sentiments de modestie des hommes de bien, qui étaient en même temps des hommes de

foi, grâce auxquels la Croix-Rouge a vu le jour. Leur œuvre, assise sur des bases sobres et

empreintes de sagesse, qui sont demeurées les principes fondamentaux et quasi immuables de

cette institution devenue puissante et considérable par ses ramifications dans tous les Etats

civilisés, porte en elle-même ta glorification de ceux qui l'ont conçue. »261

Il est vrai qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, l’organisation de la Croix-

Rouge couvre désormais le monde : trente-cinq Sociétés nationales participent au mouvement,

sur les cinq continents, et chaque année voit la naissance de nouvelles sociétés.

261 Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, n° 176, octobre 1913, dans le tome 44, 1913, p. 273.

94
La Croix-Rouge internationale en 1914

2. La Croix-Rouge internationale en août 1914

La première réunion de la guerre

Le 15 août 1914, les neuf membres du CICR se réunissent rue de l’Athénée, à Genève,

afin d’envisager les mesures à prendre, suite à la déclaration de guerre.262 Un appel à la

collaboration des trente-huit Sociétés nationales est lancé ; la première circulaire de la guerre

voit le jour.

« L'état de guerre est actuellement proclamé dans la plupart des nations européennes

[...]. Dès maintenant l'œuvre de la Croix-Rouge est appelée à une activité intense telle

qu 'elle ne s'est jamais produite jusqu 'à ce jour. f...J

Le Comité international cherchera à remplir dans la mesure du possible le rôle

d'intermédiaire pour la demande et l'envoi de secours entre les Sociétés de la Croix-Rouge. Il

fera tout ce qui sera en son pouvoir pour provoquer l'aide de toutes les associations existant

dans les pays non belligérants, mais il tient à faire ressortir les difficultés que crée l'énorme

extension du conflit.

[... / Le Comité international consacrera toute son activité à l'exécution des mesures

permises par les circonstances. Il adresse dès maintenant un pressant appel aux Comités

centraux des pays neutres pour qu 'ils participent de toutes leurs forces à l'œuvre humanitaire

du soulagement des blessés et des malades, victimes des combats sanglants qui se préparent.

Il étudie la possibilité de la création d'agences internationales analogues à celles qui ont déjà

fonctionné dans les guerres précédentes.

Il veillera de tout son pouvoir à la réalisation des résolutions prises par les

conférences de la Croix-Rouge, notamment en ce qui concerne les prisonniers de guerre.

Les besoins seront immenses, mais le Comité international a la ferme assurance que le

zèle charitable de toutes nos Sociétés sera à la hauteur des dévouements nécessaires.263 »

La fondation d’une Agence de Prisonniers

La mesure la plus urgente, décidée ce même jour, est la création d’une Agence

centrale des prisonniers de guerre, destinée à rechercher les disparus et à faciliter les rapports

262 L’annexe 5 présente une séance du CICR, avec huit de ses membres.
263 Circulaire du CICR, 15 août 1914.

95
La Croix-Rouge internationale en 1914

des prisonniers avec leurs familles. Le 21 août, l’Agence internationale des Prisonniers de

guerre est mise en place à Genève, dans les locaux de l’Athénée. Elle est organisée et présidée

par Gustave Ador, président du CICR, et concerne l’ensemble du front occidental. Une

succursale, organisée à la demande du Comité à Copenhague, par la Croix-Rouge danoise,

rendra les mêmes services pour le front oriental.

96
Chapitre IV : Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

« Je me trouve à Genève /.../ et j'y travaille à /'Agence Internationale des Prisonniers de Guerre qui vient d'être

fondée sous la direction de la Croix-Rouge. On y voit défiler toutes tes misères de l'Europe, 4000 lettres pat-

jour, et des centaines de visites éplorées. » - Lettre de Romain Rolland à Paul Fort*, 13 octobre 1914.

Bien des question se posent au sujet de cette collaboration : quand Romain Rolland se

met-il au service de F Agence internationale des Prisonniers de guerre ? Qui l’y introduit?

Quelles sont les premières raisons de ce choix ?

Il faut s’intéresser également au travail quotidien de Rolland, et préciser dans quel

service il travaille, et à quel emploi.

1. Les premiers jours à l’Agence

Les dates

C’est au début du mois d’octobre 1914 que Romain Rolland, qui jusque là séjournait à

Vevey, vient s’installer à Genève, afin de se mettre au service de l’Agence des Prisonniers de

Guerre. La date précise demeure incertaine : dans son Journal, il note son départ de Vevey à

la date du 5 octobre264, mais son installation à Genève, Champel, Hôtel Beauséjour, à celle du
3 octobre"65. Dans Y Introduction de L'Esprit libre, il s’agit alors du 6 octobre. La
correspondance n’est pas plus précise : 3 octobre dans une lettre266, 5 octobre dans une

autre“67, pourtant datée du même jour, ou encore 2 octobre dans une troisième268. Mais si la

date demeure douteuse, en revanche, l’intention de Romain Rolland en venant à Genève ne

l’est point. C’est bien pour se mettre au service de l’Agence qu'il a quitté Vevey, ainsi qu’en

JAG, p. 69.
265 Ibid , p. 73
266 « Je suis à Genève, où je travaille à /’Agence internationale des prisonniers de guerre... », lettre à Louis
Gillet, 3 octobre 1914, Cahier II, p. 295.
A>1 «Je vais m'installer, lundi /5 octobreJ, à Genève, où je m'emploierai à /’Agence internationale des
prisonniers de guerre... », lettre à Sofia Bertolini, datée du samedi 3 octobre 1914, Cahier XI, p. 217.
«Je m'emploie ici à /’Œuvre Internationale des Prisonniers de guerre... », lettre à Jean-Richard Bloch, 2
octobre 1914, Cahier XV, p. 277. - Jean-Richard Bloch, fondateur de la revue L’Effort libre ; en 1914, il a déjà
publié plusieurs ouvrages, dont un roman, Lévy, et une pièce de théâtre, L 'Inquiète.

97
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

témoignent VIntroduction déjà mentionnée : «Le 6 octobre, quittant Vevey pour Genève, où

j 'allais me mettre au service de la Croix-Rouge Internationale, et travailler à l'Agence des

Prisonniers de guerre, qu 'elle fondait en ces jours... »269 et, surtout, le Journal :

« Mon intention, en venant ici, est de m'employer à une œuvre qui m'attire par son

caractère humain, plus que national : l’Agence des Prisonniers de Guerre, qui vient d'être

fondée sous la direction de la Croix-Rouge internationale. Elle sert d'intermédiaire entre les

prisonniers de toutes nations et leurs familles. Il y a quinze jours, j'ai écrit au Président de la

Croix-Rouge, Gustave Ador, pour lui demander de m'utiliser. Il m'a répondu (24 septembre),

en me remerciant, « qu 'il se ferait scrupule de recourir à mon concours, estimant que je rends

par mes articles des services plus importants à la cause du libéralisme et au triomphe final

des idées de justice et de progrès social. » J'ai insisté et reçu ma convocation. Une heure

après mon arrivée à Genève, je vais à l'Agence. »270

C’est pourtant quelques jours plus tôt que Rolland a commencé son service auprès de

l'Agence de la Croix-Rouge, à en croire une lettre adressée à Jean-Richard Bloch, à la date du

24 septembre. Il séjourne encore, à ce moment, à Vevey, mais il fait déjà état de sa

collaboration à une œuvre de prisonniers installée à Genève, et de sa volonté de s’installer en

cette ville : «Je suis encore en Suisse, et j'y resterai, peut-être, à Genève, où je m'occupe,

avec ma sœur, d'une œuvre des Prisonniers de guerre, sous les auspices de la Croix-Rouge
271
Internationale. » Une lettre à son amie Louise Cruppi, datée du même jour, vient confirmer

ces propos : « Ma sœur et moi, nous nous occupons, à Genève, de l'œuvre des Prisonniers de

Guerre, qui est sous les auspices de la Croix-Rouge internationale. [...J Un peu souffrant,

fatigué, (tous ces événements me rongent), j'ai prolongé mon séjour à Vevey ; mais je compte

m'installer, la semaine prochaine, à Genève.»272

Ces deux lettres sont doublement intéressantes : d’une part, elles permettent de

préciser la date de l’entrée de Romain Rolland à l’Agence de Genève : le 24 septembre 1914.

Cependant, faut-il penser qu'il se rendait chaque jour de Vevey à Genève, jusqu’au début du

mois d’octobre ? Aucun renseignement ne permet malheureusement de savoir s’il a

27,9 L 'Esprit libre, op. cit., p. 24.


270 JAG, p. 73, en date du 3 octobre 1914..
271 Lettre à Jean-Richard Bloch, 24 septembre 1914, Cahier XV, p. 274.
Lettre à Louise Cruppi*, 24 septembre 1914. - Voir également une lettre adressée à Georges Wagnière*,
directeur du Journal de Genève, datée du 29 septembre 1914, à Vevey : « Je compte m'installer à Genève, à la
fin de la semaine, pour tâcher de m'employer à l'œuvre des Prisonniers de guerre. »

98
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

effectivement travaillé à l’Agence durant toute la fin du mois de septembre, ou s’il a préféré

attendre d’être installé à Genève pour commencer sérieusement son travail.

D’autre part, ces lettres apportent un élément de réponse à une autre interrogation, à

savoir, qui a intéressé Rolland à cette Agence de Prisonniers. On pourrait penser de prime

abord que c’est Rolland lui-même qui a soudainement décidé de se mettre à la disposition de

la Croix-Rouge. Et pourtant, il semblerait bien que cette idée ne soit pas sienne.

Le rôle de Madeleine Rolland

Il est fort probable que ce soit Madeleine Rolland273, la sœur de l’écrivain, qui soit

l’instigatrice de cette idée. Lorsque la guerre éclate, elle se trouve elle aussi en Suisse, dans la

région de Zug, plus exactement à Schoenbrunn, où elle passe chaque année les mois d’été. La

correspondance échangée entre Madeleine et Romain Rolland présente malheureusement une

lacune fort regrettable : aucune lettre de Madeleine à son frère ne figure dans le fonds Romain

Rolland, pour la période du 11 août au 9 novembre 1914. Mais des lettres adressées par

Romain Rolland à sa sœur, il ressort que celle-ci a voulu, une fois la guerre déclarée, rentrer

en France, afin de s’y employer à quelque œuvre de bienfaisance ; ce à quoi il répond qu’elle

trouverait mieux à s’employer en Suisse :

« A mon avis, si tu désires (comme je le comprends) te rendre utile, tu le pourras

beaucoup mieux, d'ici peu, à Genève. Il n 'est pas douteux que les grandes batailles, qui sont

prévues pour la fin du mois, feront refluer sur la Suisse une quantité de blessés et de

prisonniers, comme en 1870. C'est alors que les soins et l’argent de Français seront utiles

pour accueillir ces pauvres gens en pays étranger. /... J Pour qui n 'est pas enrégimentée dans

un cadre régulier d’infirmières, il y aura peut-être plus à faire ici qu 'en France. »274

Sa sœur, sans doute, se laisse convaincre, et, plutôt que de rentrer à Paris, elle vient le

rejoindre sur les bords du lac Léman, probablement vers la fin août. Tous deux envisagent

alors de s’installer à Genève, afin d’y trouver quelque occupation. Dans une lettre à Sofia

Bertolini, en date du 29 août, Romain Rolland explique : « Nous comptons nous installer

prochainement à Genève (le retour à Paris ne semble plus possible) ; nous y trouverons

l'occasion de nous rendre utiles, ma sœur et moi. La misère est grande dans la nombreuse

~iy Voir la notice de Marie-Laure Prévost sur Madeleine Rolland, dans Jean Maitron, Dictionnaire biographique
du mouvement ouvrier, Paris : Éd. Ouvrières, 1992.
274 Lettre à Madeleine Rolland*, 11 août [1914],

99
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

colonie française ; el je compte me mettre à la disposition du consulat, qui est débordé. »275

(Madeleine Rolland a-t-elle influencé son frère ? Toujours est-il qu’il cherche également,

désormais, à se « rendre utile »...) Quelques jours plus tard, il fait une nouvelle allusion au

fait qu’il ne pourra peut-être pas rentrer à Paris ; s’il doit rester en Suisse, il ne peut rester

inactif: « Si je ne rentre à Paris, dont les chemins sont peut-être déjà fermés, à l'heure qu'il

est, je resterai à Genève, où le travail ne manque point : la colonie française y est nombreuse
' 276
et misérable. » C’est donc d’abord au consulat de France que Rolland songe à offrir ses

services, et non à la Croix-Rouge.

Madeleine Rolland, quant à elle, se trouve dès le 7 septembre à Genève, où elle espère

trouver à s’occuper, « soit dans la ville même soit dans la zone frontière à St-Julien ou à

Annemasse qui sont remplis de ré/ugiés. »277 Le 9, elle écrit à Louise Cruppi : « Des amies

genevoises me prient d'attirer votre attention sur l'agence des prisonniers de guerre à Genève

qui peut rendre de grands services en soulageant les angoisses de tant de familles

européennes. Je vous envoie la coupure de journal qui donne tous les renseignements. »27S

Mais elle-même ne semble pas y travailler, car elle poursuit : « Je viens de me mettre en

rapport avec une jeune femme française, établie à Genève, Mme Kaltenbach, qui s'occupe

des réfugiés à Annemasse et dans la zone frontière où l'on a établi également des hôpitaux.

Par elle, j'espère n 'être pas absolument inutile. »279 Sans doute s’engage-t-elle tout d’abord

dans cette direction, ainsi que semble le confirmer une petite note de Romain Rolland, dans

l’une de ses lettres : « Ma sœur est a Genève, et s'occupe, à Annemasse. », écrit-il à Louise

Cruppi le 17 septembre.280

Toutefois, le 19 septembre, on la sait occupée à une « œuvre des prisonniers », sur

laquelle on n’a malheureusement pas plus d’informations.281 Tout porte à croire, cependant,

qu’il s'agit là de l’Agence des Prisonniers de guerre : Romain Rolland demande en effet à sa

sœur de s’informer si, par son œuvre, elle ne pourrait retrouver la trace d’un de ses amis qu’il

croit prisonnier - ce qui répond aux compétences de l’Agence. La pièce justificative I vient

confirmer cette hypothèse : il s’agit d’une liste des collaborateurs de l’Agence, se trouvant

Lettre à Sofia Bertolini, 29 août 1914, Cahier XI, p. 209.


276 Lettre à Louise Cruppi*, 3 septembre 1914,
~77 Lettre de Madeleine Rolland à Louise Cruppi*, 7 septembre 1914. - Annemasse est une ville de Haute-
Savoie, à proximité de Genève.
278 Lettre de Madeleine Rolland à Louise Cruppi*, 9 septembre 1914.
Lettre de Madeleine Rolland à Louise Cruppi*, 9 septembre 1914.
280 Lettre à Louise Cruppi*, 17 septembre 1914.
281 Lettre de Romain à Madeleine Rolland*, 19 septembre [1914].

100
Romain Rolland A l’Agence des Prisonniers de Genève

dans un album retraçant son histoire, réalisé à la demande du Comité international de la

Croix-Rouge au lendemain de la guerres82 Parmi les quelques 3100 noms cités, on trouve

celui de Madeleine Rolland - ainsi, bien sûr, que celui de son frère. De plus, les deux lettres

citées plus haut prouvent que Rolland et sa sœur ont travaillé ensemble à l’Agence. Il

semblerait donc bien que ce soit Madeleine qui, la première, vers le 19 septembre, se soit

mise au service de l’Agence, rejointe bientôt par son frère.

Les amies genevoises ayant intéressé Madeleine à l’Agence des Prisonniers - amies

dont elle parle dans la lettre à Louise Cruppi citée à la page précédente - sont

vraisemblablement Hélène Fulpins284 et Blanche Hentsch2^ ; toutes deux travaillent en effet à

l’Agence, et Rolland en fera parfois mention dans ses lettres.286 Blanche Hentsch y occupe

même une place importante : elle est l’une des responsables du Service de la réception.287

On ignore combien de temps exactement Madeleine a passé au service de l’Agence.

On sait toutefois qu’elle n’y reste guère plus d’un mois (en admettant qu’elle ait débuté aux

alentours du 19 septembre), étant de retour à Paris vers le 22 octobre.288 Après son départ,

Rolland poursuit seul son travail à l’Agence de Genève.

2. Quelques précisions sur l’Agence de Genève

Le journal et la correspondance de Romain Rolland offrent un premier aperçu de

l'activité exercée par l’Agence. A ses destinataires, il donne en effet tous les renseignements

sur cette œuvre à laquelle il s’emploie, afin de leur permettre de s’adresser à elle en cas de

besoin. À Louis Gillet par exemple, il écrit :

« Je suis à Genève, où je travaille à /’Agence internationale des prisonniers de guerre,

qui s'est fondée, dans la première quinzaine, sous les auspices de la Croix-Rouge

2X2 L 'Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, 122 pages,
150 illustrations. La liste figure aux p 113-122 de l’ouvrage (voir pièce justificative 1).
2X3 Lettres du 24 septembre 1914 à Jean-Richard Bloch et à Louise Cruppi.
2X4 Lettre de Madeleine à Romain Rolland* du 3 1 juillet 1914, où il est question de son amie de Genève, Hélène
Fulpins.
~x^ Lettre de Romain Rolland à Louise Cruppi* du 21 décembre 1914, où il parle de Blanche Hentsch, une amie
de sa sœur.

2X6 Notamment dans plusieurs lettres à sa mère* (22 novembre 1914, 6 décembre 1914, 16 janvier 1915, etc ).
2X7 Archives du CICR, 402/1 : affiche de l’Agence des Prisonniers de guerre (musée Rath, Genève, 1914-1915),
présentant les noms des responsables de service.
« Croirais-tu que nous avons reçu seulement ce matin ta lettre, écrite à Lyon et mise à la poste en arrivant /à
Paris/, il y aura demain 8 jours ! », lettre à Madeleine Rolland*, 29 octobre 1914.

101
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

internationale. Vous savez que cette agence sert d'intermédiaire entre les prisonniers des

diverses nations et leurs familles qui les recherchent. À l'occasion, n 'oubliez pas qu 'elle

existe, et que j'y suis. Adresse : Palais Eynard, Genève... »289

Dans chacune de ses lettres, comme ici, il prend soin de préciser qu’il s’agit d’une

agence « fondée sous la direction de la Croix-Rouge »290 : mentionner le nom de cette autorité

de tutelle, qui jouit d’une solide réputation à l’échelle internationale, n’est pas sans donner à

la cause qu’il sert une garantie de sérieux, d’honnêteté, de probité morale.

D’autre part, il tient à signaler qu’il s’est mis à sa disposition dès ses débuts291. Le

CICR a décidé de la création d’une agence s’occupant des prisonniers de guerre le 15 août

1914, comme il a été vu plus haut, et celle-ci se met en place le 21 août. À cette date,

pourtant, l’Agence n’a pas encore d’administration ; le secrétariat est installé dans le bureau

de l’avocat genevois Paul Des Gouttes, secrétaire du Comité depuis 1898. Il faut donc en

premier lieu donner à l’Agence un appareil administratif et des moyens suffisants, ainsi que

des locaux et du personnel. Dès les premiers jours se présentent des collaborateurs

volontaires, qui se mettent aussitôt au travail. Le 16 septembre, ils sont une trentaine. Un

deuxième local a été ouvert dans le bureau du président du Comité, Gustave Ador, au 8 rue de

l’Athénée. Cependant, les demandes et les lettres affluent, allant jusqu’à 2000, 3000 par jour.

Il faut trouver de plus vastes locaux, engager en hâte du personnel. L’Agence se déplace le 21

septembre au palais Eynard, à quelques pas de l’Athénée.

Quand Rolland entre à l’Agence, le 24 septembre, celle-ci vient juste d’être installée

dans les locaux du palais Eynard, et il assiste donc à sa mise en route.

Rolland résume la fonction de l’Agence de la manière suivante : « Elle sert

d'intermédiaire entre les prisonniers de toutes nations et leurs familles qui les
292 . *
recherchent ». Mais la tâche est immense, et le nombre de collaborateurs insuffisant :

2H) Lettre à Louis Gillet, 3 octobre 1914, Cahier II, p. 295.


220 Lettre à Alphonse Séché, 6 octobre 1914, Cahier XIII, p. 87, ou encore lettre à Paul Fort*, 13 octobre 1914. -
Alphonse Séché, écrivain français (1876-1964), fondateur au début du siècle de la revue La Critique
indépendante, et directeur de la Revue d'Ari dramatique, à laquelle a collaboré Romain Rolland.
221 Voir par exemple une lettre à Julien Luchaire, directeur de l’Institut français de Florence, du 17 décembre
1914* : «Je travaille ici, depuis lafondation de 1 Agence des prisonniers, ou peu s'enfaut. »
222 Lettres à Jean-Richard Bloch des 24 septembre et 2 octobre 1914, Cahier XV, p. 274 et 277 ; lettre à
Alphonse Séché, 6 octobre 1914, Cahier XIII, p. 87 ; lettre à Louis Gillet, 3 octobre 1914, Cahier II, p. 295 ; etc.

102
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

l’Agence est débordée.293 Dans son Journal, il consigne quelques remarques concernant son

organisation, qui selon lui laisse encore à désirer :

« Ma première impression est un peu de désappointement. Trop de bureaucratie, avec

cet esprit qui lui est propre et qui semble s'appliquer à rendre tout ce que Ton fait plus

difficile et plus lent. Les 80 pour 100 des réponses sont des fins de non-recevoir, adressées

aux malheureuses gens qui ne donnent pas (et pour cause) toutes les indications désirables

sur les disparus. Comment le pourraient-ils ? C'est justement parce qu 'ils ne savent pas où ni

quand les leurs ont disparu qu 'ils s'adressent à l'Agence. La première tâche m'eût semblé de

réunir toutes les listes de prisonniers en Allemagne et en France et de les dresser par ordre

alphabétique. Après quoi, il serait facile de répondre aux demandes : « Nous avons » ou bien

« Nous n 'avons pas ».

La principale utilité de l'Agence, pour le moment, c 'est qu 'elle transmet les lettres des

prisonniers à leurs familles. »294

Ce premier jugement paraît bien sévère. Car la tâche de l’Agence est véritablement

considérable, et nullement facilitée par les gouvernements des pays en guerre. De plus, c’est

la première fois que l’Agence de renseignements de la Croix-Rouge siège à Genève, et que le

Comité en assume lui-même la direction. Si la plupart de ses membres gardent le souvenir des

expériences passées29^, il se trouve désonnais devant des conditions très différentes par suite

de l’extension de la guerre et de l’ampleur des opérations. L’objectif général est clair : il s’agit

de retrouver des personnes séparées par la guerre, et de rétablir entre elles la communication.

Mais il faut définir les principes de base, inventer les méthodes et, surtout, en assurer

l’application immédiate.

L’administration d’une agence de recherches est un ensemble extrêmement complexe.

Dans les premiers temps, c’est l’improvisation. Dans l’introduction au recueil L'Agence

internationale des Prisonniers de guerre, Alfred Gautier, vice-président du Comité

international, président de la Commission de direction de l’Agence, raconte :

« [Quand la guerre éclate, le Comité n’hésite pas un instant à fonder une agence de

recherches, dont le siège est fixé à Genève.] A celle époque, il faut l'avouer, nous nous

Dès le 24 septembre, il écrivait à Louise Cruppi, dans la lettre déjà citée* : « Des centaines Je lettres arrivent,
tous les jours, et l'on est débordé. » Et deux semaines plus tard, dans une lettre à Alphonse Séché, c’est de 3 à
4000 lettres par jour qu’il est question ! ( voir Cahier XIII, p. 87).
294 JAG, p. 73-74, en date du 3 octobre 1914.
295 , *
Notamment de la récente Agence de Belgrade, durant les guerres balkaniques.

103
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

bercions d'illusions et nous ne mesurions pas la grandeur de l'œuvre ainsi entreprise. Deux

salles, rue de l'Athénée, l'activité des membres du comité, assistés peut-être de quelques amis

ayant du loisir, voilà ce qui nous paraissait suffire comme local et comme personnel.

Il a fallu déchanter ! Du jour au lendemain les demandes ont plu innombrables et de

toutes parts des cris d'angoisse ont été poussés vers nous. Ainsi débordés, que faire ?

Abandonner une tâche trop lourde, le comité n'y a pas songé une minute. Mais il fallait

s'adapter aux circonstances, il fallait faire face aux besoins ainsi révélés. Voilà pourquoi

nous avons envahi le musée Rath296, voilà pourquoi l'armée de travailleurs recrutée par nous

s'est peu à peu chiffrée par milliers, voilà comment notre petite agence est devenue comme

une usine où les machines s'ajoutent aux machines à mesure que la besogne grandit. »297

L’Agence a effectivement fort à faire. Il lui faut, d’une part, obtenir des

renseignements sur les disparus, prisonniers et internés civils des pays en guerre, d’autre part,

diriger un service de transmission de nouvelles pour les familles des régions envahies.

Le fonctionnement de l’Agence est très complexe.298 « Servir d’intermédiaire entre les

prisonniers de toutes nations et leurs familles qui les recherchent », pour reprendre

l’expression employée par Romain Rolland, est un travail fastidieux. Il s’agit à la fois de

recevoir et de transmettre des renseignements. Lorsque l’Agence parvient à obtenir des

gouvernements des listes de prisonniers, elle établit sous forme de fiche le nom de chacun

d’entre eux, avec les détails nécessaires à son identification (nom, prénom, grade, régiment, et

compagnie du prisonnier) : c’est la fiche-renseignement. Lorsque, d’un autre côté, la demande

d’une famille arrive, une nouvelle fiche est établie (la fiche-demande), d’une couleur

différente, qui sera confrontée avec les fiches-renseignement déjà existantes. Si la personne

recherchée est présente dans le fichier, une réponse est envoyée à la famille, lui fournissant les

renseignements qu'elle souhaite (lieu de captivité du prisonnier, notamment). Dans le cas

contraire, la famille est avertie que l’on est sans nouvelles de la personne recherchée ; la

fiche-demande demeure dans le fichier, avec l’adresse du demandeur, en attendant une

nouvelle réception de listes de prisonniers, où figurera peut-être le nom attendu. Différents

2)6 Le 12 octobre, l’Agence s’est installée - définitivement - au musée Rath, ancien palais des Beaux-Arts de la
ville

297 Introduction d’Alfred Gautier à L’Agence internationale des Prisonniers de guerre Genève (1914-1918),
op. cil., p. 7-8, à la p. 7.
2v8 . , . 1 . ^
Voir à ce sujet deux petits ouvrages très détaillés et très précis : Organisation etfonctionnement de l'Agence
internationale des Prisonniers de guerre à Genève, Genève : CICR, février 1915, 52 pages, et Étienne Clouzot,
« Disparus et prisonniers - L’Agence internationale des Prisonniers de guerre à Genève », tiré à part du Mercure
de France, juin 1916, p. 389-410, présenté en annexes 6 et 6 bis. - É. Clouzot, ancien élève de l’École des

104
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

fichiers existent, pour les différents pays (fichier français, fichier allemand, etc.). Sont

présentés en annexes deux articles de L'Illustration, ainsi que plusieurs documents tirés de

L’Agence internationale des Prisonniers de guerre, permettant d’illustrer de manière plus

concrète le fonctionnement de l’Agence.299

Onze millions de fiches de prisonniers seront ainsi établies durant les quatre années
300
du conflit ; toutefois, seuls deux millions environ de prisonniers seront identifiés ou

secourus. Car les difficultés sont nombreuses : renseignements fournis par la famille

manquant de précision, fausses pistes dues à des erreurs de graphie ou à des noms de même

consonance (les Lefevre, Lefebvre, Lefébure, Lefièvre, ... pour les soldats français par

exemple), listes de prisonniers non fournies par les États ou les autorités responsables, faux

témoignages de soldats (qui croient avoir vu tué ou emmené prisonnier tel camarade ), retards

de correspondance, etc.

Dans ces conditions, les premières critiques formulées par Rolland dans son Journal,

quant à l’efficacité de l’organisation, peuvent sembler injustifiées. Toutefois, ces critiques ne

doivent pas nous tromper : Rolland est bien conscient, en réalité, de toutes les difficultés

auxquelles l’Agence doit faire face - difficultés auxquelles il essayera d’ailleurs de remédier,

ainsi qu’on le verra plus loin.

Après ces considérations liminaires, il faut s’intéresser, à présent, à la place occupée

par Romain Rolland au sein de l’Agence des Prisonniers : c’est plus précisément au Service

des civils qu’il s'emploie, sous la direction du D1 Ferrière.

3. Le poste occupé par Romain Rolland

Le Service des civils

«Al 'Agence des Prisonniers de guerre, je travaille dans le service des Civils. Il a

fallu la ténacité charitable du If Ferrière pour créer cette section. La Croix-Rouge refusait

chartes, dirigeait alors à Genève un des sous-services de l’Agence


299 Se reporter aux annexes 7 à 15.
300 Ce gigantesque fichier a été conservé en état : il occupe aujourd’hui une salle du Musée international de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 17 avenue de la Paix, à Genève.

105
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

de s'en occuper : elle était débordée par la multitude des prisonniers militaires. Les pauvres

civils, que rien ne préparait à ces épreuves, ont été brusquement emmenés de chez eux, sans

pouvoir emporter le moindre objet, le moindre vêtement de rechange. Maintenant, où sont-

ils ? Personne ne le sait. On a pris les gens de tout âge, femmes, enfants, vieillards. Des

villages entiers ont été raflés. À Amiens seulement, on a enlevé 1.500 personnes. La Belgique

semble avoir été plus éprouvée encore. Là, toute nouvelle manque . Depuis deux mois, on ne

sait rien./... J

Il ne faut pas croire d'ailleurs que les Allemands aient été les seuls à employer des

procédés barbares, qui rappellent les razzias d'esclaves antiques. Dès la déclaration de

guerre, tous les Allemands, hommes, femmes, enfants, qui se trouvaient en France (et ils

étaient nombreux), ont été faits prisonniers et expédiés çà et là dans des camps de

concentration. Ils n'y sont pas brutalisés ; mais des jeunes filles du monde, des hommes

distingués, des vieillards, doivent depuis deux mois coucher sur la paille (je le sais par des

lettres), et les prises sont à peu près égales, des deux côtés. »301

Des extraits de lettres viennent s’ajouter à ces lignes du Journal. Dans une lettre à

Jean-Richard Bloch, datée du 23 octobre 1914, il écrit :

« Nous sommes 150, et nous sommes débordés. (Je m'occupe spécialement des

prisonniers civils, les plus lamentables de tous, car leur cas n 'est prévu par aucun

règlement international ; ils sont comme hors la loi de guerre, qui protège au moins les

prisonniers militaires, et cette guerre nouvelle, à l'instar de celles de l'antiquité, en a fait des

razzias : ce sont des villes entières emmenées comme butin, on ne sait où, et dans quel

dénuement !). »'n2

Dès le 10 octobre il écrivait également à Stefan Zweig:

« Une situation particulièrement cruelle est celle des prisonniers civils ; car elle n'a

été prévue par aucun règlement antérieur, et les Croix-Rouges303 refusent de s'en occuper.
Vous savez que, depuis le début de la guerre, on a pris de tous côtés des milliers de ces

pauvres gens, qu'on a arrachés subitement à leurs familles, sans môme leur donner le temps

de se munir d'aucun argent ni de vêtements de rechange. /... / Et l'on ne sait rien d'eux, on ne

peut même pas savoir où ils sont internés. »304

301
JAG, p. 76.
302

Lettre à Jean-Richard Bloch, 23 octobre 1914, Cahier XV, p. 282.


303

Les Sociétés nationales, établies dans les différents pays.


304
Lettre à Stefan Zweig*, 10 octobre 1914.

106
Romain Romand à l’Agence des Prisonniers de Genève

Citons encore un dernier témoignage, tiré d’une lettre à Louise Cruppi :

« Mais si malheureux que puissent être les soldats, les civils le sont incomparablement

plus. Personne ne s'occupe d'eux. Les Croix-rouges (de tous les pays), déjà trop surchargées

par leur tâche officielle (limitée aux prisonniers militaires), ont refusé d'y adjoindre la

protection des civils. Or, comme vous le savez, la guerre actuelle a rétabli, dans de vastes

proportions, l'usage de véritables razzias d'esclaves, après chaque ville conquise. Qui en a

pris l'initiative Y Naturellement, aucune nation ne consent à se l'attribuer. Il semble bien que

l'Allemagne ait débuté, dès le 25 ou 26 juillet, en mettant la main sur un grand nombre de

civils alsaciens. Par représailles, la France, dès le décret de mobilisation, a déclaré

prisonniers tous les Allemands qui étaient en France, et elle les a expédiés dans des camps de

concentration. (Dans le nombre, se trouvent d'ailleurs pris depuis deux mois de malheureux

Suisses ou Danois, comme ceux dont j'ai lu, aujourd'hui, les appels suppliants). L'Allemagne

a redoublé. Et depuis, c'est à qui raflera le plus de bourgeois inoffensifs. [...] - Que dire de

la Belgique ? Là, ce sont des villages, ou des couvents entiers qui ont disparu. Où les

chercher ? À qui s'adresser, pour cela ? »305

Que faut-il penser de cette présentation apocalyptique ? La réalité des faits est-elle

véritablement semblable à ce que nous décrit Rolland ? Les ressortissants d’un pays ennemi

mis en captivité dans des camps de concentration, des représailles s’exerçant sur les

populations civiles ? Des habitants de villages entiers déportés on ne sait où, sans pouvoir

donner aucune nouvelle, sans qu’aucune législation ne les protège, sans qu’aucune œuvre

d’assistance, pas même les Croix-Rouges nationales, ne daigne s’en occuper ?

Le sort des civils est véritablement peu enviable. Pour les prisonniers militaires, le

CICR peut, du moins, s’appuyer sur la convention de La Haye de 1907, qui permet à des

agents dûment accrédités de visiter les lieux d’internement en vue de distribuer des secours,

pour améliorer leur sort. Le Règlement annexe à la convention de La Haye énumère, dans les

17 articles consacrés à la condition des prisonniers de guerre, les principales règles de

traitement qui doivent leur être appliquées. Le principe fondamental, repris du Règlement

annexe à la convention de La Haye de 1899, est que les prisonniers de guerre sont au pouvoir

du gouvernement ennemi, mais non des individus ou des corps qui les ont capturés, et qu’ils

doivent être traités avec humanité.

305
Lettre à Louise Cruppi*, 11 octobre 1914.

107
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

La protection des civils, quant à elle, ne peut s’appuyer ni sur des règlements, ni sûr

des conventions. Seul le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre3 '6, qui traite

de l’autorité militaire en territoire occupé et sauvegarde la population de ces territoires contre

certains abus, concerne quelque peu cette catégorie. iVIais il apparaît vite, dès les premiers

jours de la guerre, que la protection des civils ne sera pas suffisamment assurée : invasion

subite puis occupation de la Belgique, du Luxembourg et de huit départements du Nord de la

France par les armées allemandes, destructions de villes et de villages par les bombardements

et les combats, évacuation forcée des habitants, séparation des familles, absence de nouvelles,

etc. Les civils se trouvant en territoire ennemi sont, même s’ils ne résident pas dans des zones

militaires, généralement internés. Ceux retenus dans les territoires occupés sont isolés de leurs

compatriotes et soumis aux rigueurs de l’occupation, de la déportation ou du travail forcé.

Ceux, enfin, qui ont pu s’échapper, se trouvent réfugiés en pays alliés ou neutres, ou dans

leur propre patrie. Ce sont donc plusieurs millions de personnes qui se trouvent isolées30 ,

dispersées ou soumises à la loi militaire des armées d’occupation.

Le Comité international de la Croix-Rouge cherche, dès les premières semaines de la

guerre, à étendre aux civils la protection dont il essaye de faire bénéficier les prisonniers

militaires : sa première initiative en ce sens est de créer, au sein de l’Agence des Prisonniers,

une Section civile, chargée de répondre aux demandes concernant toutes les victimes civiles

de la guerre. C’est le Dr Frédéric Ferrière308, vice-président du CICR, qui est à l’origine de

cette section, et qui s’est battu pour en assurer la réalisation - ainsi que le précise Romain

Rolland dans l’extrait du Journal cité plus haut. C’est lui qui la dirigera, avec un grand

dévouement, durant tout le conflit.

La première difficulté est la suivante : les Commissions spéciales constituées dans les

Sociétés nationales ne s’occupent en principe que des prisonniers militaires, et le Comité n’est

désigné que pour centraliser ou distribuer les secours' qui leur sont destinés. Or, la

collaboration des Sociétés nationales est indispensable : le Comité leur propose donc, en date

du 17 octobre 1914, d’assimiler les internés civils aux prisonniers de guerre.

306 Annexe à la convention de La Haye de 1907, articles 42 à 56.


307 • J
Les civils retenus dans les pays occupés sont privés de toute correspondance avec l’extérieur.
Docteur en médecine, Frédéric Ferrière a pris part aux travaux de la Croix-Rouge, comme médecin pendant la
guerre de 1870, pui3 comme membre du CICR dès 1884. Son portrait est donné en annexe 16. - On peut
compléter avec « Frédéric Ferrière (1848-1924) », dans la Revue internationale de ta Croix-Rouge, n° 67, juillet
1924, p. 485-543.

108
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

Le Service des civils peut désormais se mettre en place. La tâche qui l’attend est

gigantesque :

« Le Bureau pour prisonniers civils s'est constitué, dans l'Agence, en vertu du

principe humanitaire qui considère comme prisonniers de guerre tous ceux, quels qu'ils

soient, qui sont retenus et internés comme ressortissants de la nation ennemie. Par extension,

ce bureau a été amené ù s'occuper aussi des personnes retenues dans les pays envahis et qui

sont aussi, de ce fait, plus ou moins prisonniers de guerre.

Il arrive journellement au Bureau des civils une moyenne de 1.000 à 1.500 lettres

il- »109

Les demandes de recherches et de renseignements concernant des civils affluent à

l’Agence. C’est tout d’abord au domicile du Dr Ferrière qu’elles sont recueillies et traitées,

avec l’aide d’une petite équipe de collaborateurs310, puis au musée Rath, lorsque l’Agence s’y

installe. Mais la Section civile va garder, tout au long de la guerre, sa personnalité propre,

constituant â elle seule un service distinct, quelque peu en marge de l’Agence.

La tâche quotidienne de Romain Rolland

Romain Rolland, simple collaborateur bénévole, passe à l’Agence toutes les après-

midi de la semaine, ainsi qu’on peut le déduire de sa correspondance : « je te mets toujours

ma lettre ù la poste, en allant à l Agence, vers 2 heures »3!1, et encore : « Je suis toujours à

l'Agence, musée Rath, l'après-midi, jusqu'à 5 heures. »312 Ces horaires sont confirmés par la

pièce justificative II; C’est une liste des collaborateurs, précisant leurs horaires de travail,

établie en octobre 1914 : Romain Rolland y figure (ils sont alors 123 inscrits), et ses horaires

sont bien ceux-ci : de 2h à 5h de l’après-midi.313

Ce travail, ajouté à ses occupations du matin (lire le volumineux courrier qui lui arrive,

y répondre, prendre en note ce qui lui semble intéressant à la lecture de ces lettres ou des

principaux journaux européens), occupe la plus grande partie de ses journées, ainsi qu’il s’en

309 Organisation et fonctionnement Je l'Agence internationale des Prisonniers de guerre à Genève, op. cit.,
p. 43.
310 On peut voir à ce sujet l’ouvrage écrit par l’un des fils du Dr Ferrière, Adolphe, qui y relate ses souvenirs de
la création de la Section des civils : Le docteur Frédéric Ferrière - Son action à la Croix-Rouge internationale
en faveur des civils victimes de la guerre, Genève : Suzerenne, 1948. - La présence de Romain Rolland y est
brièvement évoquée.
3,1 Lettre à sa mère*, 10 mars 1915.
312 Lettre à Louise Cruppi*, 24 novembre 1914
313 • 11
Archives du CICR, 402/1 : liste dactylographiée des collaborateurs, établie en octobre 1914, feuillet 6. - Se
reporter à la piècejustificative II.

109
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

explique dans plusieurs lettres : à Gustav Schneeli (« Veuillez excuser la hâte avec laquelle

est écrite cette lettre. Je suis surchargé d’ouvrage, à l’Agence des Prisonniers »314) ; à Sofia

Bertolini (« Voici longtemps que je veux vous écrire ; mais je suis « bu » tout entier par le

puissant tourbillon de pensées et de passions européennes. Ma tâche à l'Agence me prend

une partie de mes journées, et surtout j’ai une correspondance extrêmement étendue avec des

esprits de toutes les nations y>315) ; à Louise Cruppi (« Je suis passablement pris par PAgence
et par mes travaux ; je n ’ai guère de liberté que le soir. »316) ; à Jean-Richard Bloch {«Je ne

manque pas d'ouvrage à Genève. J'en ai, de toutes sortes, en veux-tu, en voilà. D'abord, à

l'Agence des Prisonniers de Guerre oùje passe une partie de ma journée. »317) ; etc.

Au musée Rath, c’est à la table du Dr Ferrière que Romain Rolland travaille.31* II ne

tarit pas d’éloges sur cet homme, qui dirige le Service des civils, avec qui il va bientôt nouer

des relations non seulement professionnelles, mais également amicales. Rolland éprouve en

effet une grande sympathie pour Ferrière. Le 1er janvier 1915, il lui écrit, à l’occasion de la

nouvelle année :

«... Depuis trois mois que je suis à Genève, j'ai appris non seulement à admirer et à

aimer votre œuvre et votre cœur, mais à sentir la rareté, même dans ce milieu que je croyais

très libre, de vos idées, qui sont aussi les miennes. Je me réjouis que le hasard (aidé, je crois,

un peu, par votre volonté) m'ait appelé à collaborer, bien modestement, à votre tâche de

/ 'Agence des prisonniers et à devenir ainsi votre ami, -je l'espère du moins. »319

L’amitié et l’estime sont réciproques, à en croire la réponse du docteur :

« Je suis extrêmement sensible à vos aimables lignes et tiens à vous le dire avant que

le travail commun nous réunisse de nouveau. Il y a longtemps que votre besoin de sincérité

malgré tout, sans parler de votre talent, m 'avait et nous avait en famille attiré à vous ; vous

avez trouvé en nous ce même besoin et c 'est un point de contact plus précieux que beaucoup

d'autres : merci donc de votre amitié et de votre bienveillante collaboration [.. j. »320

Rolland côtoie aussi, à sa table de travail, Marianne Ferrière, la fille du docteur.

Lettre à Gustav Schneeli, 27 octobre 1914, Cahier XVII, p. 131.


u~ Lettre à Sofia Bertolini, 8 décembre 1914, Cahier XI, p. 220.
316 Lettre à Louise Cruppi*, 26 mars 1915.
317 Lettre à Jean-Richard Bloch, 23 octobre 1914, Cahier XV, p. 282.
318 On trouve, en annexe 17, une illustration des tables de travail du Service des civils.
313 Lettre à Frédéric Ferrière, L’r janvier 1915, citée dans Marc Reinhardt, « Romain Rolland et les Ferrière :
Visages d’une correspondance », Versants [Lausanne], n° 7, 1985, p. 155-156. - Le même jour, Rolland écrit à
sa mère : « .. j’ai appris, depuis quelques temps, à apprécier particulièrement le beau caractère du docteur
Ferrière... », Cahier XX, p. 64-65.
320 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 2 janvier 1915.

110
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

Rolland parle également, dans son Journal, et surtout dans la correspondance qu’il

échange avec sa mère, des autres collaborateurs. Parmi eux, toute la bourgeoisie genevoise :

« Et il est beau de voir les grands noms de Genève : les Navilie, les Ador, les Micheli, etc.,

collaborer à la même œuvre d'active compassion. »321 ; la liste des collaborateurs de


39')
l’Agence “ révèle en effet que plusieurs membres des mêmes familles travaillent à l’Agence

(les Barbey, les Cramer, les Ferrière, les Hentsch, etc.). La collaboratrice la plus proche du Dr

Ferrière est Mlle Hélène Appia, de la famille de l’un des membres du premier Comité des

Cinq.323

Une photographie, qui sera très diffusée dans la presse, représente l’ensemble des

collaborateurs de l’Agence - cette photographie est donnée en annexe 18. Mais Rolland n’y

figure pas ! Il en donne l’explication dans une lettre adressée à sa mère :

« On photographiait tout à l 'heure tout le personnel de l'Agence sur les marches du

musée Rath. Mais il y avait une telle cohue, et il faisait une bise si glacée que je ne suis pas

resté. Tant pis pour les journaux américains ! Ils n 'auront pas mon portrait. »32'’

Romain Rolland s’applique avec sérieux à ce qu’il appellera un an plus tard, non sans

humour, son « travail de fourmi »325 : il lit les lettres envoyées par les familles pour demander
quelque renseignement au sujet d’une personne disparue, y donne les réponses nécessaires,

transmet des lettres de prisonniers à leurs familles :

« {L'Agence] transmet les lettres des prisonniers à leurs familles. Pour mes débuts-,

j'ai rendu ce service a des prisonniers allemands et autrichiens internés au Frioul, près de

Marseille. »326

A partir des lettres envoyées par les familles pour s’enquérir de quelque soldat fait

prisonnier ou porté disparu, il remplit des fiches rassemblant les principales informations

permettant de retrouver te soldat. Il subsiste dans les archives du CICR, dans les fichiers de

l’Agence internationale des Prisonniers de guerre, plusieurs fiches rédigées par Romain

Rolland : la pièce justificative III en présente trois exemples.

321 JAG, p. 77.


322 Cf. pièce justificative I.
323 Lettre à sa mère, 20 décembre 1914, Cahier XX, p. 48.
3'4 Lettre à sa mère*, 24 décembre 1914.
325 Lettre à Paul Courot*, 5 novembre 1915. - Paul Courot est un cousin de Rolland, du côté maternel
326 JAG, p. 74.

111
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

Stefan Zweig, dans la biographie qu’il consacre à Rolland au lendemain de la guerre,

s’est attaché à décrire les conditions de travail de l’écrivain à l’Agence, non d’ailleurs sans

quelques erreurs :

« Romain Rolland fut un des premiers alors à offrir son aide [à la Croix-Rouge]. Sans

plus s'occuper des événements et de son propre travail, il vint, pendant plus d'un an et demi,

s’asseoir six à huit heures par jour derrière le petit abri en planches dressé au milieu du

Musée liath, qui avait été rapidement évacué ; parmi une centaine de femmes, de jeunes filles,

d’étudiants, aux côtés du directeur, l’admirable docteur Ferrière, dont la bonté secourable a

abrégé pour des milliers d'inconnus les angoisses de l'attente, il a classé des lettres, il en a

écrit, fait une simple besogne bien insignifiante en apparence. Mais de quelle importance

était chaque mot pour tout individu qui, dans cet immense univers du malheur, ne ressentait

pourtant que sa propre détresse, grain de poussière ! Un grand nombre d'entre eux

conservent encore aujourd’hui, sans le savoir, des renseignements au sujet de leur père, de

leur frère, de leur mari, de la main du grand écrivain.

Un petit bureau et un siège de bois brut dans une simple baraque construite en

planches, a côté du martellement des machines à écrire, au milieu du va-et-vient de gens qui

se pressent, appellent, se hâtent, interrogent, tel fut le poste de combat occupé par Romain

Rolland pour lutter contre les misères de la guerre. C’est là qu 'il tenta de réconcilier, par des

soins attentifs, ceux que les autres intellectuels excitaient par des paroles de haine, et

d’adoucir par un réconfort approprié et une consolation humaine, une partie au moins de ce

tourment aux mille visages. Il n ’a pas occupé ni recherché une place de dirigeant à la Croix-

Rouge, mais comme tant d’inconnus, y travailla chaque jour à assurer la transmission des

nouvelles. Son action s'exerça d'une façon obscure ; c’est une raison de plus pour qu’on ne

l'oublie pas. »327

C’est donc à une tâche fastidieuse et ingrate que s’emploie Romain Rolland, ce qui

n’est pas sans surprendre. On a bien essayé de montrer, au cours de ce chapitre, quelques-unes

des premières raisons qui ont pu pousser Romain Rolland à prendre place parmi les centaines

de collaborateurs de l’Agence des Prisonniers, mais une question toutefois demeure en

suspens : n’y aurait-il pas eu moyen pour lui de trouver une occupation peut-être mieux

ni Stefan Zweig, Romain Rolland, sa vie, son œuvre, trad. française, Paris: Les Éditions Pittoresques, 1929,
p. 206-207. - L’ouvrage original date de 1920.

112
Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève

adaptée à ses compétences ? Se contenterait-il d’un poste subalterne au sein de cette Agence,

comme semble le croire Stefan Zweig ?

Il ne faut en effet pas oublier que Romain Rolland est en 1914 un écrivain de renom :

ne pouvait-il rendre à la Croix-Rouge de plus grands services qu’un simple travail

administratif? Et avant tout, quelles sont exactement les raisons pouvant expliquer cet

engagement au sein de l’Agence de Genève ?

113
Deuxième partie

Pourquoi cet engagement ?

114
Chapitre I : Les motivations premières

« Vous savez combien je voudrais contribuer un peu, si peu que ce soif, à adoucir les conditions de ceiie

guerre. » - Lettre de Romain Roiiand à Jacques Copeau, 2 novembre 1914.

Le chapitre IV de la première partie, en présentant les premiers jours passés par

Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève, a montré que le choix de l’écrivain ne

répondait pas véritablement à une volonté délibérée de celui-ci : Romain Rolland avait

d’abord songé, on l’a vu, à se mettre à la disposition du consulat de France, avant d’offrir ses

services au Comité international de la Croix-Rouge, à la suite, très vraisemblablement, de sa

sœur Madeleine.

Pourtant, il n’hésite pas à quitter Vevey et à se rendre tout spécialement à Genève, afin

de travailler à l’Agence de recherches que le CICR a fondée en cette ville. Car s’il semble

entrer à l’Agence un peu par hasard, bien des raisons viennent sans doute expliquer qu’il

choisisse d’y rester, et ce, malgré la besogne insignifiante dont il est chargé, qui semble à

première vue si loin des préoccupations de l’écrivain ! En réalité, la collaboration de Romain

Rolland à l’œuvre de la Croix-Rouge recouvre des réalités plus complexes, et des motivations

diverses peuvent justifier sa présence à l’Agence.

1. Des motivations d’ordre idéologique

On a vu, dans le chapitre précédent, que dès le mois d’août 1914, Romain Rolland

avait envisagé de se rendre à Genève, afin d’y trouver quelque occupation. Peut-être a-t-il

mauvaise conscience à demeurer loin du drame qui se joue, à rester inactif alors que les

premiers combats sont engagés. Car s’il n’est plus en âge d’être mobilisé, ses jeunes amis le

sont (Louis Gillet, Jean-Richard Bloch, Alphonse de Châteaubriant), et il ne reçoit d’eux,

dans les premiers temps, aucune nouvelle. C’est avec inquiétude qu’il suit les événements

militaires. Il n’est nullement indifférent à l’issue de la guerre, et souhaite la victoire française,

ainsi que l’écrasement du militarisme prussien328. Ce n’est qu’après la bataille de la Marne

328
Il pense en effet, du moins à ce moment, que la cause française est plus juste que la cause allemande, et que

115
Les motivations premières

(6-13 septembre), qui permet à Joffre de stopper l’invasion allemande et, ce faisant, de sauver

momentanément la France, qu’il écrit Au-dessus de la mêlée. Mais son message, dans

l’ensemble mal compris, n’a qu’une faible portée, du moins dans les premiers jours.

De plus, Rolland est abasourdi, ainsi qu’il a été montré, par la faillite du mouvement

socialiste, qui n’a su s’unir à temps pour empêcher la guerre, et déplore le silence des Églises.

Mais surtout, ce qui le choque, c’est l’unanimité avec laquelle tous ont su se rallier à l’idée

d’une guerre juste et nécessaire329. À cette idée, il ne peut se résoudre à prendre part, et il
porte, sur sa propre attitude, un jugement lucide :

« Je me trouve seul, exclu de celte communion sanglante. /... / Une fois de plus, je me

sens, comme dans l'Affaire Dreyfus, isolé du reste des hommes. »33(>

Dans ce contexte, la Croix-Rouge internationale doit lui apparaître alors comme un

des derniers endroits - le seul, peut-être - où l’on soit resté fidèle à l’idéal d’humanité, auquel

il croit encore, et c’est pourquoi il choisit d’y collaborer.

Ainsi, le 24 septembre, premier jour connu de son travail à l’Agence, il écrit à un ami,

à propos de l’Œuvre des prisonniers de la Croix-Rouge : « Je ne pourrais trouver à me rendre

plus utile en France, ni d'une façon qui réponde davantage à mon cœur. »331 Et le 2 octobre il

écrit encore, au même ami, toujours au sujet de l’Agence : « Je ne pourrais trouver un emploi

plus utile de mon activité - ni plus approprié à mes pensées. »332

Car la fonction que remplit la Croix-Rouge internationale peut lui sembler répondre,

de façon étroite, à la mission dont il s’est lui-même investi.

Au service d’une Agence internationale des Prisonniers de guerre

Rolland a bien compris que, s’il ne peut rien contre la guerre, il peut contribuer, du

moins, à atténuer les souffrances qu’elle provoque, « travailler [... ] à l'adoucissement de la

misere présente »' . Et où pourrait-il mieux le faire qu’au sein de l’Agence de Genève, seul

l’impérialisme prussien est le principal responsable de la guerre, même si tous les belligérants ont leur part de
responsabilité dans le déclenchement du conflit. Mais il se refuse - et c’est là le sens de son action - à rendre
toute la nation allemande responsable des crimes de ses chefs.
32; «Le fait le plus caractéristique de cette convulsion européenne est [...] « l'unanimité » pour la guerre, -
unanimité des partis même les plus opposés à la guerre nationale, par définition même et par essence morale :
tels les socialistes et les catholiques. », JAG, p. 34.
330 Ibid

331 Lettre à Jean-Richard Bloch, 24 septembre 1914, Cahier XV, p. 274.


332 Lettre à Jean-Richard Bloch, 2 octobre 1914, ibid., p. 277.
333 JAG, p. 86.

116
Les motivations premières

îlot qui semble alors demeurer à l’abri de la contagion morale du reste de l’Europe, cette

Europe qui paraît tout entière submergée par une vague de haine et de folie meurtrière ? La

mission dont s’est chargée la Croix-Rouge n’est-elle pas de porter secours à toutes les

personnes touchées par le conflit, à quelque nationalité qu’elles appartiennent ?

Car Rolland ne peut se résoudre à voir les soldats des nations adverses comme des

ennemis qu’il faut haïr. D’un côté comme de l’autre, il ne voit que des soldats convaincus de

combattre pour une cause juste, que des hommes qui souffrent, que des familles également

touchées par la guerre et le malheur. Dès le mois d’août, il écrivait à sa sœur, qui lui faisait

part de ses projets de s’employer à quelque œuvre de bienfaisance :

« - Et puis, je te dirai (à toi, - il est inutile de le répéter à ceux qui t'entourent : ils

sont incapables de me comprendre) : il me paraîtrait mieux et plus humain d'avoir à donner

ses soins à des blessés (ou des malheureux) français et allemands, indistinctement. Cette

monstrueuse guerre ne parvient pas à changer mes sentiments de pitié profonde pour tous les

soldats de toutes les nations, sans aucune distinction. »''34

Aussi n’est-ce peut-être pas un hasard s’il se met à la disposition du Comité

international de la Croix-Rouge, et non d’une Croix-Rouge nationale’33. L’Agence

internationale des Prisonniers de guerre, qui « sert d'intermédiaire entre les prisonniers de

toutes nations et leurs familles qui les recherchent », lui permet, en servant toutes les nations,

de ne prendre parti ni pour un camp, ni pour l’autre - d’œuvrer de manière impartiale.

Romain Rolland se trouve, une fois encore, « au-dessus de la mêlée ».

Une œuvre admirable

Très vite, Rolland prend conscience de la grandeur de l’œuvre à laquelle il collabore,

de façon si modeste. Car il a une grande admiration pour le travail accompli, dû à la patience,

au dévouement, au labeur acharné et discret de quelques « hommes et femmes de bonne

volonté »'”6 . À son amie Louise Cruppi, il écrit :

334 Lettre à Madeleine Rolland*, 11 août [1914],


335 Dans le même temps, André Gide, par exemple, s’est mis au service de la Croix-Rouge française, à Paris.
336 Voir JAG p. 73, à la date du 3 octobre : « Dans l'ensemble des services, il y a plus de 150 hommes et femmes
de bonne volonté qui travaillent assidûment. » - Mais cette expression revient à plusieurs reprises dans ses
lettres ou ses notes.

117
Les motivations premières

« Il faut aimer Genève, pour cette œuvre sacrée et le dévouement qu 'elle y apporte. Il

n 'en est pas de plus humaine en Europe et de plus désintéressée. C 'est beau de voir le zèle de

tous ces gens pour des patries blessées, qui ne sont pas la leur. »337

L'œuvre de la Croix-Rouge est humaine, et Rolland y voit l’affirmation que, malgré

tous les déchirements de la guerre, il existe encore des sentiments généreux : les

collaborateurs de l’Agence en sont la preuve.

De plus, les premiers résultats obtenus, bien qu’encore insuffisants, sont très

prometteurs : l’œuvre réalisée est considérable, et Rolland y est sensible. Dans son.Journal, il

note : « Grande chose, cette œuvre nouvelle des prisonniers de guerre ! Unie à la Croix-

Rouge dont elle est un rameau, elle entoure d'une gloire admirable le nom de Genève. Elle le

fait pénétrerjusqu 'aufond des campagnes françaises et allemandes. »33x

Cet extrait nous livre une autre raison qui a pu pousser Rolland à travailler à l’Agence

des prisonniers de guerre : l’action de cette dernière s’étend «jusqu'au fond des campagnes

françaises et allemandes ».

Un moyen - indirect - de prendre part au conflit

Car le travail à l’Agence est peut-être pour Rolland une manière - la seule - d’entrer

en communion avec les souffrances des familles désunies par la guerre, inquiètes du sort des

leurs - ce qu’il souhaite. Aussi remarque-t-il la présence, au milieu de l’immense courrier

dépouillé, de lettres provenant de sa région natale, dont les malheurs le touchent peut-être plus

encore : « Les lettres que je dépouille proviennent de petits hameaux perdus, plusieurs de mon

Nivernais, une même de Clamecy. »339

Il en fait part également à Louise Cruppi :

«L'agence des prisonniers de guerre [...J recueille les angoisses de milliers de

pauvres gens (4000 lettres par jour) de toutes les nations, qui cherchent ceux qu'ils aiment et

qui sont disparus. En deux à (rois semaines, son renom s'est répandu jusque dans les plus

petits recoins de nos provinces. J'ai dépouillé des lettres de hameaux du Morvan, de gens du

peuple de Clamecy, qui se trouvaient par hasard, dans le tas, près de moi. »340

337 Lettre à Louise Cruppi*, 13 novembre 1914.


33X JAG, p. 76. - Il tient les mêmes propos dans une lettre à Louise Cruppi*, du 11 octobre 1914 : « Genève s'est
élevée, une fois de plus, à la création d’une grande œuvre internationale ».
333 JAG, p. 76. - Clamecy , dans la Nièvre, est sa ville natale.
340 Lettre à Louise Cruppi*, 11 octobre [1914],

118
Les motivations premières

Et dans une lettre à sa sœur, il fait la remarque suivante :

« Il est bien curieux que la première lettre que j'aie eue à écrire à l'Agence, pour

aviser une famille française que celui qu'elle cherchait venait d'être retrouvé, ail dû être

adressée ù M. et Mme Alfred Guenot, marchands de bois, à Clamecy ! »341

Cet extrait laisse deviner la joie qu’il a dû éprouver, à l’occasion de cette annonce.

Rolland est très touché par la lecture quotidienne, à l’Agence, de ces lettres reçues de

familles françaises, qui font part de leurs angoisses, de leurs inquiétudes, de leurs espérances

parfois naïves. Au travers de ces lettres, il redécouvre, non sans émotion, une certaine

grandeur morale de la France, dont il note, dans son Journal ou sa correspondance, bien des

exemples.

« La force et la beauté du sentiment de famille en France. C'est la vraie religion et la

poésie de la race. Elle est sa vertu et sa faiblesse. J'en suis profondément frappé, en lisant des

centaines de lettres que remplit la nostalgie poignante et passionnée du petit cercle de

famille. »342

Il est sensible, également, à la poésie des noms français : «Les jolis noms français :

Mlle Miel (adresse : Le Vert-Galant, par Villers-Bocage (Somme). »343

Et bien d’autres exemples pourraient être donnés, où l’on devine la trace d’une

certaine nostalgie de la France.

Au service des prisonniers civils

Rolland apprécie aussi le fait que l’Agence vienne en aide à toutes les personnes

touchées par le conflit : prisonniers militaires, mais aussi populations des régions envahies par

l’armée allemande’44 (demeurées dans les zones occupées ou réfugiées à l’étranger), ou

familles sans nouvelles de leurs proches mobilisés (blessés, faits prisonniers ou portés

disparus), toutes personnes pour qui il a une égale compassion.

Rolland a d’abord commencé dans un des services s’occupant des prisonniers

militaires, puisqu'il mentionne dans ses premières lettres son travail au palais Eynard, où la

Section civile n’a jamais été installée. Cependant, s’il n’est nullement indifférent aux

341 Lettre à Madeleine Rolland*, 29 octobre 1914.


142 JAG, p. 227. - Voir aussi Cahier XX, p. 85-86.
343 JAG, p. 249.
344 La Belgique et les départements du nord-est de la France, envahis dès le mois d’août 1914.

119
Les motivations premières

souffrances des soldats, il ne tarde pas à se mettre au service de cette Section des civils - dès

l’installation de celle-ci au musée Rath, très probablement.

Ce choix de s’occuper de civils plutôt que de militaires n’est pas innocent, et répond

certainement à des considérations idéologiques : ce sont en effet les populations civiles

déportées qui sont, sinon les plus touchées, du moins les plus démunies. On trouve parmi eux

aussi bien des femmes que des vieillards ou de tout jeunes enfants, qui ont été emmenés de

chez eux sans pouvoir rien emporter. Et, à l’inverse des soldats, aucune convention ne les

protège. La priorité est donnée au militaire, et les civils sont laissés pour compte. Ce sont les

victimes les plus innocentes de la guerre, d’une guerre à laquelle ils n’ont pas pris part, estime
Romain Rolland.

La décision de Rolland de travailler à l’Agence de la Croix-Rouge internationale n’est

donc pas aussi surprenante qu’il peut sembler au premier abord. Bien des raisons viennent

expliquer qu’il participe à cette œuvre, qu’il juge admirable, et qui répond à la fois à ses

motivations idéalistes et à sa volonté de participer activement à un travail de charité efficace.

Aussi, dans une lettre adressée à son amie Louise Cruppi, il peut affirmer :

«... le travail que je fais ici jà l'Agence de GenèveJ, je n 'en ai jamais eu dont j'aie

été aussi fier. »34;>

2. Un intérêt documentaire

Le travail à l’Agence répond également à d’autres préoccupations de Romain Rolland,

notamment à son souci documentaire.

Compléter son étude sur la guerre

Le travail accompli à l'Agence vient en effet répondre à la volonté de Romain Rolland

de mener une sorte d’étude sur la guerre, dans la perspective de ce qui deviendra le Journal

des années de guerre (1914-1919), dont le sous-titre est Notes et documents pour servir à

345
Lettre à Louise Cruppi*, 13 novembre 1914.

120
Les mot ivations premières

/ 'histoire morale de l'Europe de ce temps,346 II s’attache dans ses carnets de notes à consigner

tout ce qu’il apprend ici ou là, ainsi qu’il l’écrit à Sofia Bertolini :

« Afin de n 'en rien perdre, j'enregistre dans mes notes le principal de ce que je vois,

entends, lis, et réponds : quelle collection de documents moraux pour qui voudra plus tard

comprendre cette tempête humaine ! »347

L’Agence doit donc lui apparaître, par la masse de documents qui y défile chaque jour,

comme une mine de renseignements de tout premier ordre !

Rolland recopie à l’Agence les lettres qu’il juge intéressantes, pour une raison ou pour

une autre, et son Journal\ mais aussi sa correspondance à sa mère et à sa sœur, fourmillent de

mille exemples, allant du plus comique au plus grave. À propos d’une de ces lettres qu’il

prend en note, il écrit un jour à sa mère : « Cela fait partie de mon musée. »348

Il recueille, pour son « musée », de nombreuses pièces ; il se plaît, notamment, à

recenser les erreurs dans l’énoncé de l’adresse de l’Agence, plus fantaisistes les unes que les

autres :

« Les cocasseries de l'Agence :

On nous adresse des lettres : à l’Agence de voyages ; à l’Institut d’informations ; à l’Institut

d’Embryogénie ; à l’Union des Dominicaines ; à l’Agence Wolff ; à M. le Directeur de la

Paix ; à M. le Directeur de la Guerre ; etc. »349

Les confusions au sujet de l’Agence sont également nombreuses, ainsi qu’il le relate

dans une lettre adressée à ses parents : « Croiriez-vous qu 'il y a des Français qui croient que

Genève est en Allemagne, et que l'Agence des prisonniers est un grand entrepôt, où nous

tenons captifs tous les prisonniers de la guerre ! »350 Et encore, un mois plus tard : « Encore

un correspondant (un soldat français) qui, s'adressant à l'Agence, nous prend tous pour des

prisonniers, une sorte d'internationale des prisonniers, et nous demande si son frère est avec
, 351
nous ! »

346 Peut-être faut-il rappeler que Rolland avait une formation d’historien...
447 Lettre à Sofia Bertolini, 8 décembre 1914, Cahier XI, p. 220. - Le Journal des années de guerre, déjà
volumineux, ne rassemble pourtant qu’une partie seulement des nombreuses notes prises par Rolland au cours du
conflit.

348 Lettre à sa mère, 29 novembre 1914, Cahier XX, p. 27.


447 Lettre à Madeleine Rolland*, 9 décembre 1914. - Voir aussi JAG, p. 111, 153, 248.
350 ' > , . 1 r 5 ’
Lettre à sa mère*, 13 février 1915. - Et dans son Journal il ajoute, à ce sujet : « Au reste, les gamins de
Genève, le premier jour que l Agence a été ouverte, venaient regarder aux fenêtres du sous-sol, pour voir les
prisonniers ! » (p. 249).
51 Lettre à sa mère*, 13 mars 1915.

121
Lhs motivations premières

Ces quelques exemples, où Rolland fait état de la naïveté de certaines demandes, ne

doivent pas faire oublier que la part la plus importante de son recensement concerne des faits

plus sérieux. Dans une lettre à un cousin, évoquant son travail à l’Agence, il écrit :

« Je continue mon travail de fourmi à la Croix-Rouge, et chemin faisant, j'amasse des

éléments d'information pour plus tard, quand les passions seront un peu calmées. »352

Il est vrai que son travail à l’Agence lui permet de recueillir de très nombreuses

informations, aussi bien par les lettres qu’il lit que par les visiteurs qui passent au musée

Rath3x\ Mais ce sont surtout les relations amicales qu’il ne tarde pas à nouer avec son voisin à

l’Agence, le D' Ferrière, qui vont lui permettre d’avoir accès à de nombreux documents, plus

intéressants ; un respect mutuel, une sympathie d’idées, ont rapproché les deux hommes, et

des relations de confiance se sont bientôt établies entre eux.

On ne saurait trop insister sur le fait que Rolland a un intérêt véritable pour l’ensemble

de l’œuvre qu’accomplit la Croix-Rouge internationale : le fonctionnement de l’Agence de

Genève, bien sûr, mais aussi l’envoi en missions de délégués chargés de visiter les camps de

prisonniers. Il fait parfois état, dans son Journal ou dans les lettres qu’il adresse à ses proches,

de « rapports officiels » dont il a pris connaissance, concernant différents sujets04, sans que

l’on sache très bien s’il s’agit de rapports qu’il a eu l’occasion de consulter au courant de son

travail quotidien au musée Rath, ou de consultations qui lui auraient été accordées par faveur

exceptionnelle. Dans le cas précis des missions de délégués de la Croix-Rouge, il est certain

que ces dossiers sont mis à sa disposition par le D1 Ferrière, et qu’il s’agit là de documents

confidentiels, auxquels il ne devrait théoriquement pas avoir accès.

Le 31 janvier 1915, en effet, il confie à sa mère :

« Je vais, cet après-midi chez le If Ferrière, pour prendre connaissance de rapports

confidentiels remis au Comité de la rouge par les deux délégués chargés de visiter les

camps de prisonniers en France et en Allemagne. »355

Le lendemain, il fait à sa sœur le compte-rendu de sa lecture, en la priant de n’en rien

répéter : «je n’avais pas le droit de lire ces rapports ; et c’est une faveur spéciale qui me les a

352 Lettre à Paul Courot*, 5 novembre 1915.


353 Voir par exemple Cahier XX, p. 21 ; lettres à sa mère* du 24 novembre et du 6 décembre 1914 ; etc. Voir
également les archives du CICR, 401/VI : visites reçues à l’Agence des Prisonniers.
34 Voir Cahier XX, p. 17, ou JAG, p. 119-121 : il s’agit dans cet exemple d’un « rapport officiel de plaintes de
médecins allemands sur te traitement au 'ils ont subi ».

Lettre à sa mère*, 31 janvier 1915.

122
Les motivations premières

f 356 • • a
confiés ». Ce dossier devait être réservé aux membres du Comité international de la Croix-

Rouge, dont Ferrière était vice-président.

Trois semaines plus tard, il prend connaissance du rapport des délégués de la Croix-

Rouge sur les camps de prisonniers allemands en Angleterre, de la suite du rapport d’un

délégué suisse sur les camps de prisonniers allemands en France, du rapport d’un délégué

hollandais sur le traitement des prisonniers anglais en Allemagne - tous rapports

confidentiels, qu’il semble prendre en note.3>7 Cependant, ces rapports ont été publiés par le

CICR peu de temps après, et l’on peut penser qu’il en aurait eu connaissance, de toute façon,

à ce moment-là.oX

Une exigence de vérité

De plus, tous les documents qu’il rassemble sont des documents dont la véracité ne

saurait, lui semble-t-il, être mise en doute. Car à l’Agence, il est à la source - directe - de tous

les renseignements concernant le sort des prisonniers, voire des soldats, et ce sont des

témoignages bien précis qu’il recueille. Il n’y a pas d’ouï-dire : il fonde chacune de ses

affirmations sur des témoignages de gens qu’il a rencontrés, sur des rapports dont il a pris

connaissance, ou, le plus souvent, sur des lettres qu’il a lues. Dans son Journal', il consigne

par exemple : « Il faut reconnaître, à regret, que les razzias de prisonniers civils par les

Allemands à Amiens, etc., ont été précédés d'actes du même genre, accomplis par les

Français. ... » Cette remarque s’appuie sur une lettre qu’il vient de lire : « ... À l’Agence, j'ai

dans les mains la plainte d’une famille d’Alsace, qui raconte que... »359 Et l’on peut citer un

second exemple : « On vous abuse complètement, en vous parlant de l'épuisement ou du

découragement en Allemagne. Par les lettres lues a l'Agence, j'ai acquis la certitude que

l’Allemagne n’a encore appelé aucun homme de plus de 45 ans. (En revanche, elle a appelé

les jeunes gens depuis 18 ans). Ce sont donc de très grosses réserves qu 'elle lient encore. »36()

Aussi, à une correspondante allemande qui lui reproche, vraisemblablement, sa prise

356 Lettre à Madeleine Rolland*, Lr février 1915. - C’est Rolland qui souligne
357 Lettres à sa mère*, 20, 23 et 27 février 1915, - Ces dossiers sont conservés à la Division des archives du CICR,
cote 432 (Visites de camps).
358 Voir dans la collection des Documents publiés à l'occasion de ta guerre européenne (1914-1915), Genève :
CICR, les Rapports de MM FA Naville & V. van Berchem, U C. de Marval A. Eugster sur leurs visites aux
camps de prisonniers en Angleterre, France et Allemagne, Ie série, mars 1915. - Cet ouvrage peut être consulté
dans la salle de lecture de la Division des archives du CICR.

359 JAG, p. 110.


360 Lettre à Madeleine Rolland*, 2 décembre 1914.

123
Les motivations premières

de position, qui va à contre-courant de ce qu’on peut lire dans les journaux, il peut répondre :

« ( soyez bien que je suis placé ici au meilleur endroit pour juger de l 'exactitude des

faits (autant qu'il est possible) : car c'est par nos mains que passent toutes les lettres de

prisonniers, les plaintes de gouvernements, les dépositions officielles ; et nous interrogeons, à

leur passage par la Suisse, les intéressés de France et d'Allemagne qu'on rapatrie. Ainsi,

nous arrivons, je crois, ù avoir une vue plus complète qu 'on ne le peut, en Allemagne ou en

France, où les journaux publient seulement ce qui doit être agréable à leurs lecteurs. »361

Le travail accompli à l’Agence répond donc à son exigence de vérité, et il semble

accorder un assez grand crédit à tout ce qu’il y lit.

Des sources vraiment fiables ?

Cependant, peut-il vraiment prendre pour argent comptant tout ce qu’il voit ou entend

au musée Rath ? Les plaintes exprimées dans les lettres adressées à l’Agence, notamment,

n’exagèrent-elles pas parfois les choses ?

Il importe de préciser d’abord que Rolland se montre en général assez prudent vis-à-

vis des documents consultés : « Je résume la curieuse déposition allemande d'une religieuse,

qui a assisté, dans la cathédrale de Reims, au premier bombardement (d'après le rapport, qui

me passe sous les yeux, ù l'Agence des prisonniers) : f... f (Il va de soi que je transcris ceci

comme simple document, sans en apprécier l'exactitude). »362 ; ou encore : « J'ai tout un

dossier, adressé f. . . j par le Freiburger Ortsausschuss vom Roten Kreuz, pour se plaindre des

mauvais traitements, essuyés par le personnel sanitaire allemand en France. /... / Les faits

sont assez graves (ù contrôler) »36 .

Mais peut-être se montre-t-il moins critique au sujet des lettres, qui paraissent plus

véridiques du fait qu’il s’agit là d’informations de première main, et non de rapports rédigés

après coup, susceptibles alors d’avoir perdu de leur authenticité ; car il semblerait, à la façon

dont il en parle à ses destinataires (sans usage du conditionnel, notamment), qu’il n’émet pas

le moindre doute quant à leur véracité.

361 Lettre à Ida Kaulhausen*, 7 décembre 1914. - Voir aussi JAG, p 307.
362 Ibid., p. 106-107.
363 Ibid., p. 119.

124
Les motivations premières

Pourtant, ces lettres peuvent être trompeuses, et Rolland en est conscient, ou en a été

averti :

«Nous devons nous méfier beaucoup, de part et d'autre, de certaines lettres de

prisonniers, allemands ou français, qui mentent impudemment. / Un délégué de la Croix-

Rouge visitant un camp en France! a Pris sur le fait certains de ces mensonges ; et l'on

pourrait sans doute faire de même en Allemagne. »364

Quant aux rapports des délégués, sont-ils plus fiables ? À sa famille qui semble se

montrer critique à l’égard d’un de ces rapports, dont il leur a fait part, il répond :

« Votre observation, au sujet des camps de prisonniers, est juste. Il faut toujours se

méfier qu 'on truque la visite, à l'avance. On y pense bien, à la Croix-Rouge. - Mais pour les

visites en France, il n 'a pu se produire aucun truquage. Le délégué a eu carte blanche ; il a

été, aux jours, aux heures qu'il lui a plu, où il lui a plu, sans prévenir personne ; et c'est un

homme débrouillard, qui sait voir. Il n'en est pas tout à fait de même pour le délégué en

Allemagne, — très consciencieux, mais trop respectueux de ce que lui disent les autorités.

Aussi, va-t-on envoyer un autre, à sa place, pour continuer ces visites. »365

Et il ajoute, une semaine plus tard :

« Le récit de la visite aux camps de prisonniers est un résumé atténué du rapport, dont

je vous ai parlé récemment. Je n 'en suis dupe que jusqu 'à un certain point. Le visiteur a été

trop confiant. »366

Certaines informations demandent donc effectivement à être contrôlées ; mais Rolland

se montre, dans l’ensemble, assez critique.

3. Un engagement pacifiste ?

Un dernier point demande à être précisé. Il a souvent été fait état du pacifisme de

Romain Rolland - ses détracteurs, qui le lui reprochent, ou, à l’inverse, des personnes proches

des milieux pacifistes, qui font de lui leur porte-parole.

Pourtant, Rolland n’est pas, à proprement parler, un pacifiste. Il se défie des

organisations officielles, et de leur action trop souvent bavarde et inutile ; il parle, dans une

364 Lettre à Stefan Zweig*, 28 mars 1915.


365 Lettre à sa mère*, 9 février 1915.
366 Lettre à sa mère*, 15 février 1915.

125
Lf:s motivations premières

lettre, de ces pacifistes, « leur activité se réduisant à de bons dîners, des congratulations, et

des décorations. La guerre arrive... Motus, il n’y a plus personne... Ou bien si l'un d'eux

parle, c 'est pour se proclamer plus belliqueux que les autres, - afin de faire oublier leurs

paroles d'antan. »367

De plus, jamais il ne militera pour un arrêt immédiat des combats ; il ne veut pas d’une

paix à tout prix, d’une paix tout de suite, sans conditions. Son action est autre. La guerre est, il

ne peut l’empêcher. Il s’agit donc de sauver ce qui peut encore être sauvé, d’empêcher, du

moins, l’Europe entière de sombrer dans une folie meurtrière ; il veut conserver un peu de bon

sens et de raison, au milieu du conflit, et préparer la réconciliation de l’après-guerre.

Au-dessus de la haine

Rolland est avant tout contre la haine. Son véritable combat ne se fait pas, comme on

pourrait le croire, contre la guerre, mais bien plutôt, en effet, contre ce culte de la haine que

propagent certains journaux, professeurs, intellectuels, hommes politiques, hommes d’Église,

etc., et la soudaine et inattendue notoriété de son appel a fait oublier que le titre original en

était Au-dessus de la haine.

Un extrait d’une lettre à sa mère résume très exactement sa position :

« Ma ligne de conduite - que personne ne comprend (maintenant - Plus tard, on

comprendra), c 'est de me tenir en dehors de la politique. Je ne combats pas la guerre. (Cela

me paraît impossible, et ce serait mal à propos, injuste même, si elle devait cesser

brusquement, aujourd'hui, avec le statu quo.j Je combats la haine. Je lâche de maintenir, au

milieu de la guerre, une lueur de raison, de justice, de pitié. C'est une œuvre religieuse que je

fais, non une œuvre politique. »368

Dès les premiers mois de la guerre, il faisait part à sa sœur de ses sentiments :

« Pour ma part, je continuerai de m'appliquer à atténuer la haine et (si peu que je

puisse) à rendre cette guerre moins âpre, en n 'exprimant jamais que des sentiments

humains. »369

3<’7 Lettre à sa mère*, 6 janvier 1915.


368 Lettre à sa mère, 17 mars 1915, Cahier XX, p. 124. - Voir aussi la lettre à Stefan Zweig* du 15 mars 1915.
Lettre à Madeleine Rolland*, 29 octobre 1914.

126
Les motivations premières

Son engagement à l’Agence répond à cette intention. La Croix-Rouge ne combat pas

la guerre (l’idée de guerre), mais s’emploie à « rendre cette guerre moins âpre ». Inter arma

caritas : au milieu des armes, la charité...

lin engagement humaniste

La présentation biographique de la première partie a montré que, toute sa vie, Rolland

a cru en l’homme, en un homme qui saurait être - et demeurer, envers et contre tout - libre,

sincère et « héroïque », un homme menant un combat juste contre la bêtise, la médiocrité, le

mensonge. Par ses œuvres d’avant la guerre, il a voulu secouer la torpeur de la civilisation

occidentale, qu’il voyait décadente, avilie. Avec Au-dessus de la mêlée, il poursuit le même
370
combat - combat contre le mensonge, contre la propagande de haine qui risque d’empêcher

à tout jamais la réconciliation de ces deux nations sœurs que sont la France et l’Allemagne,

contre la décadence de l’Europe.

Aussi, il semblerait plus juste de parler, plutôt que de pacifisme, de l’humanisme de

Romain Rolland. Là est le sens de son action : combattre la haine, pour défendre l’homme, la

dignité de l’homme.

Le travail à l’Agence peut s’expliquer par cette idée ; un extrait déjà cité a montré que

Rolland voyait en elle « une œuvre qui /lj 'attire par son caractère humain, plus que

national »371. Là, il peut servir, comme il le souhaite, la cause de l’humanité.372 Et servir la

cause de l’humanité, c’est servir la cause de la France, en défendant les valeurs éternelles pour

lesquelles celle-ci à toujours combattu.373

Alors qu'avec son premier article, la Lettre à Gerhart Hauptmann, Rolland

s’insurgeait contre la destruction de Louvain, et qu’il déplorait la perte d’œuvres d’art plus

que la mort d’hommes374, son engagement auprès de la Croix-Rouge témoigne que l’homme a

370 L’article débute par un appel à la « jeunesse héroïque du monde ».


™ JAG, p. 73.
m Stefan Zweig, dans la biographie qu’il a consacré à Romain Rolland, a intitulé le chapitre où il est question de
l’Agence, « Au service de l’humanité » : Romain Rolland, sa vie, son œuvre, op. cil., p. 206-207.
373 Cf. une lettre à Sofia Bertolini, 2 novembre 1914, Cahier XI, p. 219 : « Plus tard, on me rendra justice, et
l 'on verra que j'ai agi pour l'honneur de la France. »
374 Déplorant le bombardement de Louvain par l’armée allemande, il a ces paroles malheureuses : « Est-ce aux
armées que vous faites la guerre, ou bien ci l'esprit humain ? Tuez les hommes, mais respectez les œuvres ! »,
dans L 'Esprit libre, op. cit., p. 64.

127
Les motivations premières

retrouvé ses droits, et que l’écrivain peut quitter le domaine de l’abstraction intellectuelle et

servir l’humain.

Rolland a donc fait choix d’un engagement humain plus que politique, humaniste plus

que pacifiste, et son travail à l’Agence s’accorde bien avec ses idées : atténuer les souffrances

de la guerre, tout en accomplissant un travail qui témoigne, concrètement et utilement, de sa


foi en l’humanité.

128
Chapitre II : « Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

« ... ne me demandez pas de limiter ma pitié à ceux qui soufrent chez nous ! Tout ce qui souffre est ma patrie.

Tout ce quifait souffrir est mon ennemi. » - Lettre de R. Rolland à Mme Avril de Ste-Croix*, 21 avril 1915.

Si Romain Rolland avait envisagé dès le début l’éventualité d’un séjour prolongé en

Suisse, il n’avait jamais prévu, toutefois, d’y passer toute la guerre. Il aurait pu rentrer en

France avec sa sœur Madeleine, qui dès la fin du mois d’octobre est de retour à Paris, comme

il a été montré plus haut. Mais le travail à l’Agence le retient momentanément à Genève.

1. Romain Rolland en Suisse : au cœur de l’Europe en guerre

Le travail de Rolland à l’Agence repousse son retour en France

Sans doute l’écrivain pensait-il au début ne rester que quelques semaines à Genève. Si

l’on observe sa correspondance, on remarque qu’il signale à ses destinataires: «Pour le

moment, je suis à Genève »375, ce qui laisse à entendre qu’il n’a pas prévu alors d’y rester, et

qu’il est encore incertain sur ce qu’il va faire. Et en effet, il ne cessera jamais d’évoquer un

éventuel retour à Paris, même s’il le remet toujours à plus tard. L’Agence des Prisonniers est

l’une des raisons primordiales qui le pousse à retarder son retour dans la capitale française.

Dès le 24 septembre, il écrivait à Jean-Richard Bloch, dans la suite de l’extrait déjà cité plus

haut : « Je ne pourrais trouver à me rendre plus utile en France, ni d'une façon qui réponde

davantage à mon cœur. Aussi, à moins d’événements imprévus, je retarderai mon retour ù

Paris. »376

Bien d’autres lettres viennent appuyer cette hypothèse.'77 Le 12 novembre, par

exemple, il écrit à Louise Cruppi :

375 '
Lettre à Mme Paul Landormy, 3 octobre 1914, dans Fontaine, Paris, n° 41, avril 1945.
,7<> Lettre à Jean-Richard Bloch, 24 septembre 1914, Cahier XV, p. 274-275.
}77 Cette hypothèse est également celle de René Cheval, dans Romain Rolland, l'Allemagne et la guerre, op. cit.,
p. 241 : il pense - mais sans donner aucun argument de justification - que c’est la collaboration de Rolland à
l’Agence qui l’amène à reporter constamment ses projets de retour en France.

129
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

« Je ne resterai pas indéfiniment à Genève. Je retournerai à Paris, dans le courant de

l'hiver, dès que ma tâche sera un peu plus avancée. Elle me prend tout entier. Il se trouve que

je ne suis pas inutile à l'œuvre des prisonniers f... J. »378

Ce qu’il confirme, dans une lettre datant du 17 novembre :

« Je vous verrai à Paris, je pense, au cours du mois prochain. Je compte y revenir,

lorsque j’aurai fini (ou mis en bonne voie) certaines affaires urgentes, à l’Agence des

prisonniers. »379

Et encore, toujours à Louise Cruppi, le 22 janvier 1915 :

«Je continue de travailler à l’Agence. Je suis toujours très pris. - Je ne compte pas

bouger d'ici avant un certain temps. »380

Le 12 novembre, il écrit à Stefan Zweig :

« Ma famille, mes amis, m'invitent à rentrer à Paris (...]. Toutefois, rien n 'est encore

décidé. Je me sens trop bien à ma vraie place, ici, pouvant m'entretenir avec l'Europe entière

et faire une œuvre utile pour tous. »381

Une correspondance internationale

Car l’Agence n’est pas, en réalité, le seul obstacle à son retour à Paris. Dans la suite de

la première lettre à Louise Cruppi citée ci-dessus, il poursuit :

« Je considère aussi comme un devoir pour moi de rester en communion directe avec

la pensée de toute l'Europe ; je ne crois pas qu 'il y ait beaucoup de Français qui sache,

comme moi, ce qui se passe dans la conscience des meilleurs de l’Allemagne, de l’Autriche et
f Tü') 'îft'î

des pays voisins. J'ai amassé un curieux dossier, pour l'histoire morale de ce temps. »

Il est vrai que le fait de séjourner en Suisse, pays neutre, lui permet d’entretenir des

relations épistolaires avec des personnes du monde entier (anciens amis, ou inconnus voulant

lui exprimer leur sympathie pour ses articles), essentiellement en Europe, mais également aux

Lettre à Louise Cruppi*, 12 novembre 1914.


379 *
Lettre à Louise Cruppi*, 17 novembre 1914.
380 * , . 1 1
Lettre à Louise Cruppi*, 22 janvier 1915.
381 , . 11 J
Lettre à Stefan Zweig*, 12 novembre 1914.
,K2 Cf. le Journal des années de guerre, « Notes et documents pour servir à l’histoire morale de l’Europe de ce
temps ».
383 Lettre à Louise Cruppi*, 12 novembre 1914.

130
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

r % 385 • 386
Etats-Unis , au Japon , et jusqu’en Afrique . Sa correspondance européenne concerne

aussi bien les pays belligérants, alliés ou ennemis, que les pays neutres, alors qu’en France il

lui serait impossible d’entretenir une correspondance aussi vaste, ainsi qu’il l’explique dans

une lettre à sa mère :

« ... j'ajourne toujours ma décision fde rentrer à Paris], à chaque courrier qui

m'apporte une quantité de lettres de tous les pays. Jamais je ne me suis senti plus

immédiatement en relations avec le cœur du monde, - du moins avec l'élite ; et quandje serai

à Paris, je conserverai sans doute mes rapports avec les pays anglo-saxons (qui promettent

de devenir de plus en plus étroits) ; mais je perdrai presque absolument ceux avec les pays

hollandais et Scandinaves, et tout àfait ceux avec les Austro-Allemands. »387

La situation relativement privilégiée de la Suisse, quant à la censure postale, permet en

effet à Rolland d’entretenir une correspondance d’une grande ampleur : il est en contact avec

l’Italie, par l’intermédiaire de son amie Sofia Bertolini, et par des personnalités du monde
1• r • 388
littéraire et politique ; avec l’Autriche, par Stefan Zweig et Paul Amann ; avec

l’Angleterre, où il correspond avec Bernard Shaw et H. G. Wells, et compte de nombreux

amis au (Cambridge Magazine, à YIndependenl Labour Leader et à Y Union of Démocratie

Control ; avec les Pays-Bas, par son ami Frédéric van Eeden et le Nederlandsche Anti-Oorlog

Racuf*) ; avec la Suède, par son amie l’écrivain Ellen Key ; avec le Danemark, par Georg

Brandes ; avec l’Espagne, par Eugenio d’Ors et les écrivains et penseurs catalans ; etc.

184 Romain Rolland correspond avec l’écrivain américain Upton Sinclair.


^$5 . r
Durant toute la guerre, Romain Rolland correspond avec un jeune étudiant japonais, Seichi Narusé, qui
traduira dans sa langue Au-dessus de la mêlée. - Quelques extraits de cette correspondance sont reproduits par
Romain Rolland dans son Journal des années de guerre. Voir également le Cahier XVII, P 136-137.
m « Albert Schweitzer, le pasteur-professeur-organiste-écrivain-médecin de Strasbourg, qui avait sacrifié toute
sa situation pour aller soigner les nègres en Afrique, et qui, malgré sa qualité d'Alsacien et ses sympathies
françaises, a été arrêté et maintenu prisonnier au Congo par les autorités françaises, m'écrit le 25 août 11915],
de « Lambaréné (Gabon français) / . . ./» :
« [...] Ce mot seulement pour vous dire que de temps en temps je lis ce que vous avez écrit. Les journaux
m’arrivent jusque dans la solitude de la forêt vierge, et vos pensées sont une des rares choses soulageantes dans
ces tristes temps. » », JAG, p. 525.
3X7 '

Lettre a sa mère, 17 décembre 1914, Cahier XX, p. 43.


388 • r
Parmi eux, le groupe de La Voce, autour de son fondateur Giuseppe Prezzolini, avec qui Rolland est en
relation depuis 1908. - Voir Romain Rolland et le mouvement florentin de La Voce - Correspondance et
fragments du Journal, Paris : A. Michel, 1966 (Cahier Romain Rolland n° 16). - Mais Rolland est vite déçu par
la position que va prendre Prezzolini, par rapport à la guerre : voir à ce sujet 1eJAG, p. 56.
489 Ligue néerlandaise contre la guerre.

131
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Des nouvelles de toute l’Europe en guerre

Le séjour en Suisse lui permet également de se trouver au centre d’un intéressant

réseau d’informations :

« Les nouvelles ne nous manquent pas ici. Elles arrivent de toute l'Europe. La Suisse

est le seul pays qui, au cœur de la mêlée, reste en rapports réguliers avec tous les pays en

guerre. J'apprends ainsi sur l'un et l'autre des adversaires bien des choses qu 'on ignore, à

Paris ou à Berlin. »390

Non que Rolland se fasse des illusions sur l’objectivité de la Suisse'91, « mais toutes

les nouvelles y arrivent, et on y lit tous les journaux. »392

En Suisse, effectivement, les journaux ne sont pas soumis à la censure préalable. La

censure militaire, instituée depuis la guerre, ne s'applique qu'aux faits relatifs à l'armée

helvétique, et non aux événements militaires chez les belligérants. Les journaux proviennent

donc de partout, et Rolland peut ainsi se tenir au courant de tous les faits du conflit :

« Je lis, chaque jour, depuis un mois et demi, deux ou trois journaux allemands

^Frankfurter, Berliner, Vossischej, autant de journaux italiens fCorriere, Stampa, Secoloj,

autant de journaux français, plus les journaux suisses (suisses-allemands et français), et les

journaux anglais, j... / Je suis donc assez bien placé pour me faire une opinion ; et je n'y

apporte aucune passion [... / »393

De plus, Rolland est abonné à XArgus Suisse de la Presse, qui lui envoie chaque jour

une quantité de coupures de la presse internationale, et des extraits de revues. Sa situation

géographique privilégiée394 lui permet donc de recueillir une documentation tout à fait

considérable, et d’un grand intérêt.

Lettre à Alphonse Séché, 6 octobre 1914, Cahier XIII, P 87-88.


Ul « La Suisse est loin d'être impartiale. (La Suisse française est enragée contre l’Allemagne, et regarde d'un
mauvais œil la Suisse allemande qui souhaite ouvertement les victoires de Guillaume /II/.) », lettre à Jean-
Richard Bloch, 24 septembre 1914, Cahier XV, p. 275.
yn Ibid.

Lettre à Sofia Bertolini, 29 septembre 1914, Cahier XI, p. 212.


m En France, en revanche, les journaux étrangers sont soumis à une étroite surveillance, et Rolland s’en indigne,
au sujet d’une mésaventure anodine :
« J'ai été humilié pour nous, quand on m'a dit hier, à la poste de Genève : « Nous ne pouvons envoyer votre
paquet de livres. On n 'accepte en France aucun paquet enveloppé de journaux étrangers. » Que craint-on donc,
en France ? La vérité ? », lettre à sa mère*, 20 décembre 1914.

132
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

De nombreuses visites

La Suisse, que Rolland célébrera comme l’asile traditionnel des proscrits de


i î 395
l’Europe , est, pendant toute la guerre, un terrain de rencontres et d’échanges, pour les

milieux politiques bien sûr3%, mais également pour les milieux intellectuels (hommes de

lettres, universitaires, journalistes). De plus, elle sert de refuge à de nombreux opposants à la

guerre (déserteurs, réfractaires, ...), et c’est sur son territoire que vont se tenir les deux

conférences pacifistes de Zimmerwald (5-8 septembre 1915) et de Kienthal (24-30 avril

1916), destinées à coordonner l’action socialiste internationale contre la guerre.

De ce fait, Rolland entre en relation avec un grand nombre de ces personnes qui, pour

des raisons diverses, séjournent ou sont de passage en Suisse. Une liste de toutes ces

personnes, dont il mentionne les visites dans son Journal ou sa correspondance, serait trop

longue à établir, et il ne sera cité ici que quelques noms, parmi les plus représentatifs : durant

les deux premières années de son séjour en Suisse, il recevra notamment la visite de deux

éminents membres du parti socialiste français, Jean Longuet et Pierre Renaudel ; d’une jeune

socialiste italienne, Margherita Sarfatti ; de socialistes anglais et russes ; du lauréat du prix

Nobel pour la paix 1911, l’Autrichien Alfred Fried ; d’un représentant de la mission Ford

pour la Paix, ainsi que de nombreuses militantes féministes ou pacifistes, de passage en Suisse

à l’occasion de quelque congrès. Le syndicaliste Merrheim, de la Fédération des Métaux, l’un

des deux seuls Français à participer à la conférence de Zimmerwald, lui fait parvenir une

adresse de sympathie, rédigée par une fraction minoritaire de la CGT. Il reçoit aussi de

nombreux journalistes, comme par exemple Korrodi, rédacteur en chef de la Neue Zürcher

Zeitung, ou Mathias Morhardt, rédacteur au Temps, un des fondateurs de la Société d’Etudes

Documentaires et Critiques sur la guerre.

Il est aussi en contact avec des exilés russes séjournant en Suisse, parmi lesquels Paul

Birukoff, l’ami et biographe de Tolstoï, installé à Onex près Genève, l’écrivain socialiste

Anatole Lounatcharsky, résidant à Genève, et le savant Nicolas Roubakine, fixé à Clarens. II

reçoit la visite de nombreux émigrés d’Europe orientale, dont le Polonais Kozakiewicz, ami et

traducteur de Sienkiewicz.

395 « J ai honoré en celte terre l'asile sacré des illustres proscrits de toute / ’Europe, depuis les Réformateurs du
XVle Siècle jusqu ’aux héros du Risorgimento, et de Wagner à Courbet et à Elisée Reclus. », lettre à Paul
Seippel, octobre 1915, citée dans le catalogue d’exposition Romain Rolland et la Suisse, op. cit., p. 4.
396 Voir les premiers chapitres de « L’Été 1914 », dans Les Thibault de Roger Martin du Gard : Fauteur y met en
scène les membres de divers mouvements révolutionnaires européens, socialistes, syndicalistes et anarchistes,
regroupés en exil à Genève, en 1914.

133
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Il fait également la connaissance de Fécrivain allemand installé en Suisse, Hermann

Hesse, pour qui il éprouve une grande sympathie, qu’il va voir à Berne397 ; de l’écrivain

polonais Henryk Sienkiewicz, qu’il rencontre à Vevey ; de l’écrivain suisse Cari Spitteler,

qu'il estime beaucoup, à qui il va rendre visite à Lucerne, et qu’il revoit à Lausanne. 11 a

l’occasion, enfin, de rencontrer Albert Einstein, ainsi qu’Igor Strawinsky.

Romain Rolland, « de cet observatoire de Suisse »398, se veut un témoin attentif,

extérieur, au drame qui se joue, qu’il veut étudier avec lucidité et objectivité : « ... je vois

avec douleur de tous côtés (saufpeut-être en Autriche) le même héroïsme, la même foi dans la

sainteté de la cause, la même soif du sacrifice. »399 Et s’il reconnaît que « l'impérialisme

prussien est le fléau le plus dangereux pour le monde (et pour l'Allemagne elle-même) »4()0, il

est certain que, comme la France, « l'Allemagne croit combattre non seulement pour sa vie,

mais /. . . J pour la civilisation [...]. »401

Aussi est-il persuadé qu’il a un rôle à tenir, et qu’il doit faire part de tous les

documents qu’il amasse (renseignements obtenus à l’Agence, lettres reçues, articles de

journaux), ainsi que de tous ses entretiens ; c’est le Journal de Genève qui lui permet de

s’exprimer.

Le Journal de Genève : une tribune

C’est par son ami Paul Seippel, lui-même rédacteur au Journal de Genève, que

Romain Rolland a eu accès, on l’a vu, au quotidien genevois. Après avoir donné la Lettre

ouverte à Gerhart Hauptmann (numéro du 2 septembre), et Au-dessus de la mêlée

(supplément au numéro du 22-23 septembre), Rolland écrit, le 29 septembre, à Georges

Wagnière , directeur du journal, pour le remercier de son hospitalité :

3ri Voir D'une rive à l'autre - Hermann Hesse et Romain Rolland. Correspondance, fragments du Journal et
textes divers, Paris : Albin Michel, 1972 (Cahier Romain Rolland n° 21). - Romain Rolland rendra hommage à
Hermann Hesse dans son article Littérature de guerre, dans le Journal de Genève du 19 avril 1915.
398 > • c
Lettre à Jean-Richard Bloch, 2 octobre 1914, Cahier XV, p. 277. - Voir Albert Dauzat, Impressions et choses
vues (juillet-décembre 1914), Paris-Neuchâtel : Attinger, [s.d.j, p. 232 : « ... c’est en Suisse qu’ilfaut chercher
les manifestations vigoureuses et indépendantes de la pensée française. Ici, l'atmosphère permet de réfléchir, de
discuter, de juger, d'échapper aux entraînements de la passion, de se tenir à l'écart des généralisations
simplistes et des sophismes puérils. » Il rend hommage, plus loin, à Romain Rolland.
399 Lettre à Jean-Richard Bloch, 2 octobre 1914, Cahier XV, p. 277.
400 Lettre à Jean-Richard Bloch, 2 octobre 1914, ibid., p. 277-278.
401 Lettre à Jean-Richard Bloch, 2 octobre 1914, ibid., p. 278.

134
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

« Le temps viendra bientôt s'il n 'est déjà venu - où le Journal de Genève sera le seul

refuge pour les pensées qui se refusent à la passion aveugle et à la haine. Béni soit votre

pays, ce petit pan de ciel bleu, entre les nuées ! »402

Jamais en effet Rolland n’aurait pu écrire ses articles dans des journaux français. Le

Temps avait refusé de publier sa lettre à Gerhart Hauptmann, que lui avait télégraphiée le

Journal de Genève, la trouvant « trop tiède ».403 Un « ami inconnu »404, officier d’artillerie,

déplore cet état de fait : « Sur notre front, nous sommes assez privés de nouvelles, et les rares

journaux que nous recevons sont Le Petit Parisien et Le Matin. Pourquoi ces deux-là

seulement ? Je n 'en sais rien, mais c 'est un fait. Et alors, je viens vous demander s'il ne vous

serait pas possible d'écrire quelquefois pour ces deux journaux. »4<b Et Rolland note dans son

Journal\ avec amertume : « Le brave garçon ! Que dirait-il, s'il savait que tous les journaux

français me sont fermés, sauf deux feuilles socialistes ! »406 Car seuls ces deux journaux, en

effet - L'Humanité et La Bataille Syndicaliste - ont publié des extraits d’Au-dessus de la

mêlée.

C’est donc dans le Journal de Genève que Rolland va continuer de « combattre [... /

pour la cause européenne, - pour la grande cause humaine »407 - même s’il regrette le

manque d’impartialité du quotidien romand : « Le Journal de Genève est partagé entre deux

courants : deux directeurs, Bonnard, qui est plus Français que les Français, et Wagnière, qui

est équitable, tout en ayant des sympathies nettement françaises. »408

Durant les premiers mois passés à l’Agence, il donne au journal de nombreux articles,

qui sont présentés dans l’annexe 19. Après la Lettre à Gerhart Hauptmann et Au-dessus de la

mêlée, viennent, pour la fin de l’année 1914, De deux maux le moindre: pangermanisme,

402 '
Lettre à Georges Wagnière*, 29 septembre 1914
403 Voir une lettre à Louise Cruppi*, 13 novembre 1914.
404 JAG, p. 175.
403 Lettre citée dans leJAG, p. 175.
406 JA G, p. 176.
407 Lettre à Sofia Bertolini, lor janvier 1915, Cahier XI, p. 221-222.
408 r
Lettre à sa mère*, 21 décembre 1914. - Et encore : « J'ai vu Seippel hier. Il dit que A/hène Bonnard /.../
revient de Paris, où il a été entouré, adulé, etc. par le monde officiel, dont il seconde les vues, - mais qu 'on
commence à trouver à Genève même qu'il donne ci son journal une allure trop conforme à /’Écho de Paris et
autres journaux de combat. », lettre à sa mère*, 4 janvier 1915.

135
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

panslavisme ? (numéro du 12 octobre)409, Inter arma caritas (4-5-6 novembre)410, et Les

Idoles ( 10 décembre)411.

Puis il donne, en 1915, quatre nouveaux articles : Noire prochain, l'ennemi (15 mars),

Littérature de guerre (19 avril), Le meurtre des élites (14 juin) et Jaurès (2 août). Par ailleurs,

il présente aux lecteurs du Journal de Genève deux manifestes, en une courte introduction :

Pour l'Europe : Un manifeste des écrivains et penseurs de Catalogne (numéro du 9 janvier

1915), et Pour l'Europe : Un appel de la Hollande aux intellectuels de toutes les nations (15

février).

Ces articles, ainsi que des articles parus dans d’autres journaux ou revues, seront

regroupés dans la brochure Au-dessus de la mêlée, qui est enfin autorisée de publication en

France à la fin de l’année 1915, à la suite de nombreux démêlés avec la censure.412

Il faut signaler également une traduction et un article, qui ne seront pas réunis en

volume : Une protestation d'Arthur Schnitzler (.Journal de Genève du 21 décembre 1914),

ainsi qu’une Lettre de Romain Rolland à /’International Review de Zurich {.Journal de

Genève du 31 juillet 1915).

Rolland est également en relation avec un autre organe romand, les Cahiers Vaudois,

de l’éditeur lausannois Edmond Gilliard. Avec son ami René Morax, il groupe des

témoignages recueillis d’artistes de tous pays, au sujet de la destruction de Reims et de

Louvain. Lui-même donne un article, Pro Aris, écrit le 25 septembre. Ces témoignages (deux

fascicules) sont publiés dans le 10L cahier des Cahiers Vaudois, qui ne paraîtra qu’en janvier

1915, à Lausanne.412

Romain Rolland a donc de nombreuses raisons de se satisfaire de sa présence en

Suisse, où il se sent résolument au cœur de l’Europe en guerre. Outre l’occupation utile qu’il

trouve à l’Agence (au point de ne vouloir y renoncer), il peut poursuivre ses relations

épistolaires avec l’Europe tout entière, avoir accès aux journaux des principaux pays

402 « Dans le 3° /.../, j’ai montré ta supériorité intellectuelle et morale de la Russie moderne sur l'Allemagne
moderne. », lettre à Maxime Courot*, 28 décembre 1914.
410 Article consacré à faire connaître l’activité de l’Agence internationale des Prisonniers de guerre. - Voir le
chapitre 111 de cette deuxième partie.
411 « Enfin le 5° /. . ./ est pour qui le lira de sang froid un réquisitoire violent contre les intellectuels
allemands. », lettre à Maxime Courot*, 28 décembre 1914.
412 Tous ces articles sont réunis dans un ouvrage déjà mentionné, qui rassemble l’ensemble des articles de guerre
de Romain Rolland : L'Esprit libre, op. cit..
413 . £ 1
« 16 Janvier [1915] . Avec plus de trois mois de retard, paraît notre Cahier de protestation pour Reims et
Louvain (Xe Cahier Vaudois). », JAG, p. 225.

136
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

(belligérants ou neutres), recevoir ou faire de nombreuses visites à différentes personnalités

politiques ou intellectuelles ; surtout, le Journal de Genève lui offre la tribune qu’il souhaitait,

en acceptant de publier ses articles. Aussi ne voit-il aucun inconvénient à y prolonger son

séjour.

2. Les attaques menées contre Rolland, « au-dessus de la mêlée »

Pourtant, il ne tarde pas à être violemment attaqué. En France, on a vite fait de

reprocher à l’écrivain sa présence en Suisse, ainsi que ses écrits. De quel droit cet homme, qui

se proclame « au-dessus de la mêlée », se permet-il de donner des leçons aux belligérants,

plus directement impliqués dans le conflit ?

Les premières accusations portées contre Romain Rolland

Le 2 novembre 1914, Rolland écrit à son amie Sofia Bertolini :

« Un mot seulement pour vous dire que votre ami Rolland est devenu l'ennemi public,

en France. Les articles que vous avez lus, surtout Au-dessus de la mêlée, me valent les

outrages les plus abominables de la presse parisienne. C'est une campagne de haine, où se

trouvent associées toutes les passions chauvines avec toutes les rancunes de mes vieux

ennemis de la Foire sur la Place. Vous ne pouvez vous imaginer à quel degré de basse injure

on en est venu avec moi. Et il m'est impossible de répondre ù ces furieux. Tous les journaux

français me sont fermés. Ils ne me pardonnent pas d'avoir dit que rien ne me ferait renier mes

amitiés allemandes, ni surtout d'avoir exprimé le regret qu'on ait fait intervenir les

Asiatiques et les Africains en Europe. On me traite en ennemi de la patrie. »414

La « campagne de haine » dont parle Rolland a été déclenchée, quelques jours plus

tôt, par le professeur Aulard, son ancien collègue à la Sorbonne, un historien de la Révolution

française: celui-ci dénonce, dans I,e Matin du 23 octobre 1914, la «Germanophilie

déplacée » de Rolland. Des journaux de droite comme de gauche prennent le relais, et Rolland

est bientôt attaqué dans L'Action Française, dans L 'Intransigeant, dans La Croix, etc.415.

414 Lettre à Sofia Bertolini, 2 novembre 1914, Cahier XI, p. 218-219.


415 « La vile dénonciation d'Aulard a déclenché toute la presse nationaliste. », lettre à Madeleine Rolland*, 2
novembre 1914.

137
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Les accusations sont nombreuses. René Cheval en donne un très bon aperçu dans son

chapitre liminaire, «Romain Rolland en procès»416; aussi renoncera-t-on à prendre en

compte l’ensemble des attaques dont Rolland fut l’objet, pour se cantonner ici à celles

touchant à notre étude.

Les rancunes littéraires

Rolland semble croire, ainsi qu’il le note dans la lettre à son amie Sofia, que les

rancunes amassées par ses « vieux ennemis de la Foire sur la Place » sont en partie à l’origine

de la campagne de presse qui vient d’être déclenchée ; cette hypothèse revient d’ailleurs

souvent dans sa correspondance, ainsi que dans son Journal. Peut-être faut-il rappeler que

dans La Foire sur la Place, le cinquième tome de Jean-Christophe, Romain Rolland avait

fustigé la corruption, l’hypocrisie, la prétention des milieux littéraires et politiques parisiens.

Aussi l’écrivain pense-t-il que les personnes visées, sous couvert d’un nationalisme outragé,

cherchent à présent à prendre leur revanche...

Il est vrai que les premières attaques, d’ordre littéraire, sont antérieures à la guerre.

Dès 1913, Henri Massis avait donné, dans L'Opinion du 30 août, un article intitulé « Romain

Rolland ou le dilettantisme de la foi ». C’est un article assez virulent, où Massis dénonce chez

Rolland «l'influence pernicieuse d'une idéologie et d'une esthétique étrangères [...],

apparemment d’origine germanique » (goût pour la musique, sentimentalisme, « vague idéal

universaliste », « confusionisme romantique », etc.)417.

Le 2 juillet 1914, Rolland signale à sa mère : « On m'apprend que la revue Les Lettres

vient de publier un pamphlet contre moi. »418. Il s’agit d’un article de René Johannet, « Ainsi

parlait Romain Rolland », paru le 15 juin 1914 ; le 4 juillet, sa sœur, alors à Paris, lui fait

parvenir la revue, évoquant la « violence rare » de l’article en question, qui reprend, en les

exagérant encore, et sur un ton souvent plus grossier, les critiques formulées par Massis.419

Rolland en fait encore mention dans une lettre du 8 juillet, et semblerait soupçonner que

Péguy en soit l’instigateur.420 Il faut préciser qu’une brouille était survenue entre les deux

amis, en partie en raison de la publication chez Ollendorff de Jean-Christophe, parallèlement

u<) René Cheval, Romain Rolland’, l'Allemagne et la guerre, op. ait., p. 15-55. - René Cheval insiste plus
spécialement sur les attaques centrées sur la soi-disant germanophilie de Rolland.
417 Voir ibid., p. 17-20.
418 Lettre à sa mère*, 2 juillet 1914.
417 Lettre de Madeleine à Romain Rolland*, 4 juillet 1914. - Voir René Cheval, Romain Rolland, l'Allemagne et
la guerre, op. cit., p. 20-24.

138
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

à celle des Cahiers de la Quinzaine ; de plus, c’est contre Péguy que Rolland avait obtenu le

Grand Prix de Littérature de l’Académie française, et celui-ci en avait conçu un vif

ressentiment à son égard.421

Parmi les nombreux auteurs d’articles cherchant à dénigrer Rolland au cours du

conflit, Johannet et Massis ne sont pas en reste. Dans son Journal, au moment de la campagne

déclenchée par Aulard, Rolland mentionne: «L’Action Française /.../ publie f... J une

nouvelle note injurieuse de René Johannet. »422 Cependant, l’une des attaques les plus

virulentes menées contre l’écrivain est bien la brochure d’Henri Massis, Romain Rolland

contre la France, qui paraît à Paris, chez Floury, en juin-juillet 19 1 5.423 Cette brochure, d’une

quarantaine de pages, ne fait en réalité que reprendre un article donné par Massis à L ’Opinion,

dans le numéro du 24 avril 1915, intitulé «Romain Rolland parle», auquel est joint son

« étude » de 1913, « Romain Rolland ou le dilettantisme de la foi » ; Massis donne de plus, en

appendice, le texte - légèrement tronqué - d'Au-dessus de la mêlée, afin de permettre à tout

un chacun de prendre connaissance de l’article diffamé. C’est d’ailleurs cette brochure qui

permettra à l’écrit incriminé, paradoxalement, de se répandre largement en France, car à cette

époque la publication en brochure des articles de Rolland n’avait pas encore été autorisée par

la censure.

S’il est donc possible que les premières attaques soient le fait de rancunes littéraires,

les détracteurs de Rolland n’ont aucun mal à trouver bientôt de nouvelles critiques à formuler

à son encontre.

La désertion

« M Romain Rolland parle et la France se bat. Dès les premiers mois de la guerre,

alors que son pays souffrait, que ses frères allaient à la mort, M. Romain Rolland, fuyant sa

patrie, se réfugia sur les « hauts plateaux de la Suisse »424, pour que sa conscience ne fût

point troublée par les passions qui naissent au centre des combats et qu 'elle demeurât « à

420 Lettre à sa mère*, [8] juillet 1914.


4"1 R. Cheval donne plus de détails au sujet de cet épisode : on peut se reporter à la note 1 p. 21 de son ouvrage.
421JAG, p. 95.
423
D’autres attaques suivront avec, en 1916, les trois brochures suivantes : Charles Albert, Au-dessous de la
mêlée. Romain Rolland et ses disciples, Paris : M. Rivière ; Jean-Marie Renaitour, Stéphane Servant, Paul-
Hyacinthe Loyson, Au-dessus ou au cœur de la mêlée ? - Une polémique républicaine, Paris : Éd. de la revue
L 'Essor ; Paul-Hyacinthe Loyson, Êtes-vous neutres devant le crime ?, Paris : Berger-Levrault.
424 L’expression est de Rolland, dans Au-dessus de la mêlée.

139
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

/ ’abri de la contagion morale ». Et de sa solitude de penseur, cet ami du genre humain blâme

l'humanité [...] »425

L’ouverture de l’article d’Henri Massis, « Romain Rolland parle », contient à elle

seule les principales accusations portées contre Romain Rolland. Tout est présent dans ce

texte, à commencer par l’accusation de désertion : Rolland aurait fui en Suisse, une fois la

guerre déclarée, afin d’y chercher refuge, loin des combats meurtriers. Cela est faux, on l’a vu

(Rolland séjournait en Suisse depuis le début du mois de juin, et n’était pas mobilisable), mais

on l’ignorait alors - ou l’on feignait de l’ignorer.

Et Massis connaît la portée de sa diffamation. À l’accusation de désertion vient

s’ajouter le fait que la Suisse a toujours eu cette image d’un pays un peu idyllique, détaché de

la réalité, avec ses somptueux paysages et ses hôtels ; on peut imaginer de quelle manière elle

devait être perçue en temps de guerre. Il est certain que pour les soldats, ou même pour les

Français non mobilisés, mais ayant à souffrir des conséquences de la guerre, la situation d’un

Romain Rolland, installé dans un hôtel genevois, à mille lieux des réalités de la guerre, prête

aisément le flanc à la critique. L’écrivain en est d’ailleurs conscient, et dans une lettre à son

amie Louise Cruppi, où il lui fait part de la méconnaissance qu’ont ses anciens amis de son

activité à Genève, il remarque, avec dépit : « On croit peut-être que je me prélasse dans un

palace-holel, à écouter les flonflons de musiciens italo-allemands, en veste rouge. »426

Un isolement hautain

Dans l’article de L 'Opinion, Massis lui reproche également l’isolement qu’il s’impose,

sa « solitude de penseur », la façon qu’il a de se poser comme étant « au-dessus de la mêlée »,

c’est-à-dire, au-dessus des gens impliqués dans le conflit. Rolland se retranche du reste du

monde en guerre, afin que « sa conscience ne fsoit] point troublée par les passions qui

naissent au centre des combats », et semble n’avoir que mépris hautain pour ceux qui sont

« dans la mêlée ». De plus, Massis insiste volontiers sur l’apparent désintérêt qu’éprouve

Rolland pour les souffrances de la nation française (« alors que son pays souffrait, que ses

frères allaient à la mort... »). Il est d’ailleurs étonnant de constater que même Madeleine, sa

sœur, qui est à Paris, semble lui faire le même reproche, à en croire une lettre adressée par

425 « Romain Rolland parle », article du 24 avril 1915, dans Henri Massis, Romain Rolland conlre la France,
Paris : Floury, juin 1915, p. 5-14, à la p. 5.
426 Lettre à Louise Cruppi*, 13 novembre 1914.

140
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Rolland à sa mère : « Madeleine me dit /... / de n 'être pas trop dur pour « les bêtises de nos

pauvres compatriotes, qui souffrent tant en ce moment. » »427.

Il est vrai que son séjour prolongé à Genève peut paraître suspect, et sa sœur, une

nouvelle fois, n’est pas la dernière à lui en faire la remarque. Ses détracteurs ont beau jeu de

lui reprocher son isolement : Rolland, loin de Paris, ne sait rien de la France en guerre.

« ... il y a des nuances caractéristiques et que tu ne peux saisir là-bas comme si tu

étais sur place ; il est si facile de perdre contact. - Tu vois un Paris, une France belliqueux et

bouillonnant de haine. Que certains journaux en regorgent, que des réfugiés, des habitants

ayant personnellement souffert, l'attisent, soit ; mais non les journaux officiels ; et ce n 'est

plus d'ailleurs l'explosion de haine du début. »42S

Quelques jours plus tôt, Madeleine écrivait à sa mère, alors à Genève :

« Je ne voudrais jamais conseiller à Romain d'abandonner pour de bon ce qu 'il fait à

Genève, mais lui qui ne recule pas devant les voyages devrait, à mon avis, se montrer

quelques semaines à Paris, aller voir ses amis. [...J Puis sa persistance à rester éloigné de

Paris peut trop facilement être interprétée comme de l'indifférence ou de la répugnance. /... J

Il retournerait ensuite à Genève, pouvant dire - et cela ne fait pas de doute - que

Paris n 'a pas besoin de son aide et qu 'il fait plus de bien là-bas. Mais du moins, il aurait

prouvé qu 'il n y met pas de parti pris. »42<J

Car c’est précisément ce qu’on lui reproche : son « indifférence », sa « répugnance »,

à l’égard de Paris et de la France. En un mot, son orgueil. « Orgueil et déraison : voilà le fond

d'une telle attitude », écrit Massis dans son article.430 Et c’est le reproche également formulé

par Maurice Barrés, dans ses Cahiers. Barrés y mentionne à deux reprises l’attitude adoptée

par Rolland, et c’est à chaque fois pour exprimer le même jugement. Une première fois, il

écrit : « Romain Rolland a l'orgueil d'être au-dessus des conflits, eh bien ! non, il est au-

dessous. »431 ; et la seconde fois, évoquant la faillite des intellectuels : « Ils n 'ont pas cherché

à dégager les directives. Un seul, Romain Rolland, osa. Il pécha par orgueil, les autres par

humilité. »432

12 ' Lettre de Romain Rolland à sa mère*, 28 novembre 1914.


42X Lettre de Madeleine à Romain Rolland*, 28 novembre 1914.
429 Lettre de Madeleine Rolland à sa mère*, [10 novembre 1914],
430 Henri Massis, Romain Rolland contre la France, op. cit., p. 8.
431 Maurice Barrés, Mes Cahiers, Paris : Plon, 1938, tome XI (1914-1918), p. 206.
432 Ibid., p. 365.

141
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

On peut penser d’ailleurs que, par son refus de rentrer à Paris, Rolland a sans doute

contribué à forger le mythe de sa propre désertion. En outre, ses paroles auraient peut-être eu

plus de portée, si elles avaient été prononcées en France.

Quel droit à la parole ?

Là est précisément le cœur du problème : de quel droit Rolland prend-il la parole, lui

qui ne combat pas ? Et si encore il ne faisait que prendre la parole, mais non, il s’arroge le

droit déjuger les autres, de « /blâmer] l'humanité » ! « M Romain Rolland parle et la France

se bat » : Henri Massis a clairement compris quel profit il pouvait tirer d’une telle formule.

Rolland, en effet, ne combat pas. De cela, on ne saurait lui en tenir rigueur. Il n’est

plus mobilisable. Pourtant, d’autres écrivains non mobilisables ne s’en sont pas tenus quittes

pour autant : Anatole France, malgré ses 70 ans, a écrit au Ministère de la Guerre pour lui

demander de l’enrôler433 ; Henri Barbusse, bien que dégagé des obligations militaires par son

âge de 41 ans et ses problèmes de santé, s’engage comme simple soldat dès la mobilisation

générale du 1er août 19 1 4434 ; Maurice Barrés, quant à lui, visite les premières lignes : il est le

19 septembre sur les champs de bataille de la Marne, début octobre en Alsace et en Lorraine,

le 21 novembre dans les tranchées de la Somme, ... Du moins Rolland, qui lui-même ne

prend aucune part à la guerre, qui est bien à l’abri en Suisse, dont la vie n’est pas en danger,

aurait dû s’abstenir de parler, de vouloir faire la leçon aux combattants.

Ses détracteurs lui reprochent ses articles du Journal de Genève, écrits en Suisse : les

attaques menées contre lui laissent à entendre qu’il ne sait rien des réalités du conflit, et qu’il

a donc beau jeu de fustiger l’attitude de ceux qui y sont directement confrontés. Il ne sait rien

de la guerre, des souffrances qu’elle entraîne, des cruautés allemandes. Il se permet de

combattre la haine, d’affirmer que jamais il ne reniera ses amitiés allemandes. A l’heure du

bourrage de crâne, de la propagande de haine contre l’Allemagne, Au-dessus de la mêlée, son

appel à la conscience universelle, risque de desservir la cause de la France en guerre. Il est

vrai qu’on pensait alors qu’il fallait, pour vaincre l’Allemagne, mobiliser toute la puissance de

433 « Anatole France est heureux enfin. On t’accepte comme soldat. », JAG, p. 85.
434 Voir sa « Lettre au directeur de L’Humanité », publiée le 9 août 1914 : « Voulez-vous me compter parmi les
socialistes antimilitaristes qui s'engagent volontairement pour la présente guerre ? Appartenant au service
auxiliaire, j ’ai demandé et obtenu d’être versé dans le service armé comme simple soldat d’infanterie. I... J Cette
guerre est une guerre sociale qui fera faire un grand pas - peut-être le pas définitif - à notre cause. ». - Citée
dans Henri Barbusse, Paroles d’un combattant, Paris : Flammarion, 1920.

142
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

haine dont la France était capable. Or, Rolland, en cherchant à excuser les crimes allemands,

brise le moral de la France combattante435. Ces accusations, qui dénotent une certaine

incompréhension du message véritable de Rolland, semblent aujourd’hui quelque peu

outrancières. Mais Rolland est bien trop à l’écart de la guerre, bien trop épargné, pour pouvoir

toucher un large public, et Madeleine l’a bien compris :

« Justement parce qu 'aucun de nous n 'avons à souffrir directement de la guerre, notre

rôle est plus délicat. Hélas, la voix de Romain aurait autrement d'autorité s'il avait un fils sur

le front ou si l'un de nous était forcé de payer de sa personne. » 436

Un mauvais patriote

Une dernière accusation est portée contre Rolland, celle d’« ennemi de la patrie »437.

Installé à Genève, l’écrivain a dès le début été en butte aux attaques qui font de lui un Suisse,

un Allemand, un neutre, ou un apatride.

« L’Action Française et L’Intransigeant me traitent de métèque et de Suisse. »438 C’est

le cas également de La Croix, dans son article « Un pilier de la civilisation » : elle parle du

« Suisse Romain Rolland, qui a professé naguère en Sorbonne, à titre étranger... »439

Rolland est un mauvais Français : la neutralité, en temps de guerre, équivaut en effet,

aux yeux de ses détracteurs, à une trahison : « Une proclamation de neutralité par un citoyen

d'une nation belligérante n 'est pas un acte neutre, mais hostile. »440

Une fois de plus, Henri Massis, dans Romain Rolland contre la France, n’est pas en

reste. Il y dénonce comme coupables « l’humanité », l’idéalisme de Romain Rolland.

« ... M Romain Rolland, de qui c 'est le métier d'aimer les hommes, ne se mêle point à

leur troupe héroïque. Il s'isole et se lamente de ce que l'humanité n 'ait point l'idéal de M. R.

Rolland, le cœur, la noblesse, la « conscience » de AJ. R. Rolland ; et n 'y eut-il que lui, sur les

monts de Suisse, à dire à l'humanité safolie et sa bassesse, il y demeurerait obstinément. »441

435 « L'Allemagne essaie d'assassiner la France : M. Romain Rolland cherche, en artiste, des excuses pour
l'Assassin. », extrait d’un article d’Aulard, paru dans L'Information du 16 janvier 1915, cité dans le JA G, p. 260.
36 Lettre de Madeleine Rolland à sa mère*, [10 novembre 1914],
437 Voir la lettre à Sofia Bertolini citée plus haut.
438 JAG, p. 95.
439 Cité dans ibid., p. 95.
440 Cité dans ibid., p. 796. Cette idée est développée dans l’ouvrage de P. H. Loyson, Êtes-vous neutres devant le
crime ?, op. cit..
441 Henri Massis, Romain Rolland contre la France, op. cit., p. 8.

143
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Et, plus loin : Romain Rolland est un « neutre » , un « citoyen du monde », atteint de

« dilettantisme moral » ; et il blâme également les « attendrissements d'un cœur pitoyable et

morbide ». Romain Rolland est humain, trop humain.

Mais le cœur de Faccusation figure sur la couverture de la brochure, où Massis a placé

en exergue ces mots d’Albert Guinon : « Pendant une guerre, tout ce qu 'on donne d'amour à

l'Humanité, on le vole à la Patrie. ». On a parlé déjà, dans le précédent chapitre, de

l’humanisme de Romain Rolland. C’est cet humanisme qu’on lui reproche, précisément : « Ce

malheureux continue, hors de France, à donner son amour à l'humanité, ce qui est

proprement servir contre la France. »442 Car Rolland a fait état, dans ses articles, de sa

position : il n’hésite pas à dire qu’il faut placer l’idéal d’humanité au-dessus de celui de

patrie. En prenant parti pour l’humanité, Rolland porte atteinte à la cause française.

Les accusations portées contre Rolland sont donc nombreuses : on lui reproche de

n’être point en France, et surtout de ne rien savoir de la situation concrète de la France en

guerre ; demeurant en Suisse, sans prendre part au conflit, il n’a pas droit à la parole. Et son

amour de l’humanité prouve son absence de patriotisme.

3. L’Agence : une réponse aux attaques dont il est l’objet

L’engagement de Romain Rolland au sein de l’Agence de Genève - que l’on a montré,

dans le premier chapitre, essentiellement motivé par des raisons d’ordre idéologique - va

bientôt devenir, dans ce contexte, un moyen de fournir des réponses aux accusations diverses

dont il est victime. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : cette raison n’est nullement à

l’origine de son engagement, antérieur, on l’a vu, aux premières attaques.443

Cependant, il est vrai que le travail accompli à l’Agence permet de répondre point par

point aux attaques dont il est l’objet, aussi Rolland ne va-t-il pas hésiter à faire savoir ce à

quoi il s’emploie à Genève.

442 Extrait de la brochure de Massis, cité dans \c.JAG, p. 357.


444 Un mois sépare le premier jour passé par Rolland à l’Agence (le 24 septembre) et la première attaque
d’Aulard (le 23 octobre).

144
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Le travail à l’Agence justifie sa présence en Suisse

Le 14 novembre 1914, Rolland écrit à sœur, afin de la rassurer :

« Je ne suis plus seul maintenant. L’Humanité, la Bataille Syndicaliste, ont pris

nettement ma défense [...f44. Quoi qu'il arrive, j'ai de nombreux amis qui se passionnent

d'autant plus pour ma cause que je serai plus injustement attaqué ; et comme ils savent

exactement et ce que j'ai écrit, et ce que je fais à Genève, nul ne pourra plus l'ignorer, à

Paris, que ceux qui le voudront. »445

Rolland s’élève, à juste titre, contre l’injustice des attaques dont il est l’objet. Il n’a pas

déserté en Suisse, comme on le lui reproche, et son séjour à Genève s’explique par son travail

à l’Agence des Prisonniers de la Croix-Rouge, vraisemblablement méconnu par ses

détracteurs, peut-être d’ailleurs de bonne foi. Il lui faut donc le faire savoir. La veille, déjà, en

écrivant à son amie Louise Cruppi, il lui avait fait part de son regret de ce que ses anciens

amis (en l’occurrence, Lavisse, qui l’avait vigoureusement soutenu lors du Grand Prix de

Littérature de l’Académie Française) ignorent tout des raisons de son séjour en Suisse :

« Expliquez-lui aussi, au cours de l'entretien, ce que je fais à Genève. Je ne sais pas s'il s'en

doute. »446

Ses amis socialistes contribuent à faire savoir ce à quoi il s’emploie. Le 4 novembre

est paru dans L'Humanité un article de Jean Longuet, consacré à « L’œuvre suisse ». Après

avoir décrit l’Agence des Prisonniers, Longuet termine :

« Parmi ceux qui s'y dépensent sans compter, nous avons eu la joie d'y trouver un

compatriote, notre cher Romain Rolland qui a le grand honneur de se voir actuellement

traîné sur la claie par les chauvins déchaînés et enragés de carnage, dans les deux camps.

Une œuvre comme celle de la Croix-Rouge est la plus belle réponse de l'humanité
. r 447
outragée. »

444 Le 26 octobre, Amédée Dunois a donné à L 'Humanité « Un intellectuel français s’élève éloquemment contre
l’impérialisme » (suivi d’un extrait déAu-dessus de la mêlée) ; le 13 novembre, Henri Guilbeaux a fait paraître
dans Ixi Bataille Syndicaliste une « Lettre ouverte à Romain Rolland » (« la plus vigoureuse défense qu 'on ait
faite de moi », JAG, p. 129).
44' Lettre à Madeleine Rolland*, 14 novembre 1914.
446 Lettre à Louise Cruppi*, 13 novembre 1914.
447 Cité par Romain Rolland dans 1 eJAG, p. 110.

145
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

La Lettre à ceux qui m'accusent

Dans le même temps, Rolland a reçu de ses amis parisiens des lettres affolées, le

suppliant de se taire ou de se rétracter, quant à la position adoptée dans ses articles du Journal

de Genève. Son éditeur parisien, Humblot, s’est joint à ces requêtes, des libraires le menaçant

de boycotter Jean-Christophe, et plusieurs ayant mis déjà leur menace à exécution : il a

proposé à Rolland d’écrire un article où celui-ci exposerait nettement, franchement, ses

pensées sur la situation actuelle, et sur ce qu’il pense de l’état de l’Allemagne. Alfred Capus,

rédacteur au Figaro, s’est offert de le publier dans son journal, avec quelques lignes de

présentation. Rolland, toutefois, hésite. Il craint en effet d’envenimer les choses en écrivant au

Figaro, et en l’obligeant à prendre parti ; car, à l’instar des autres « grands journaux qui se

respectent »448, le Figaro n’a jusqu’alors fait aucune allusion à la polémique entretenue autour

de Rolland, et il est fort probable qu’il prenne alors parti contre lui. De plus, Humblot semble

à présent rasséréné : la menace des libraires se fait moins pressante. Et surtout, « la nouvelle

de [ses] occupations à l'Agence des prisonniers [produitj très bon effet. »449

Il écrit cependant son article: c’est la Lettre à ceux qui m'accusent, datée du 17

novembre 1914, qui doit éclairer l’opinion française, et répondre aux attaques dont il est

l’objet. La Lettre débute ainsi :

« A Genève, où je travaille a l'Œuvre internationale des Prisonniers de Guerre, m'est

parvenu tardivement l'écho des attaques suscitées contre moi dans certains journaux par les

articles que j'ai publiés au Journal de Genève, ou plutôt par deux ou trois passages

artificieusement choisis dans ces articles (car ceux-ci ne sont connus de presque personne, en

France). Ma meilleure réponse sera de les réunir en brochure et de les publier, à Paris. Je

n 'y ajouterai pas un mot d'explication, car il n 'est pas une ligne que je n 'estime avoir eu le

droit et le devoir d'écrire. Et je pense que, d'ailleurs, il y a mieux à faire, en ce moment, qu 'à

se défendre soi-même ; il y a à défendre les autres, les milliers de victimes que fait chez nous

la guerre ; le temps que l'on consacre à répondre à un adversaire est comme un vol que l'on

fait à ces malheureux, à ces prisonniers, à ces familles, dont nous lâchons, à Genève, de

rapprocher les mains qui se cherchent à travers l'espace. »450

On voit que Rolland met résolument l’accent, dès le premier paragraphe - dès la

première phrase - sur ce qui le retient à Genève : son travail à l’Œuvre internationale des

448 Lettre à sa mère*, [16] novembre 1914.


449 Lettre à sa mère*, [16] novembre 1914.
450 Lettre à ceux qui m 'accusent, dans L 'Esprit libre, op. cil., p. 110.

146
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

Prisonniers de Guerre. Il ne répondra pas aux attaques dont il est l’objet : que l’on prenne

connaissance de ses articles, dont il ne renie pas une ligne. Et l’on voit qu’il pose son travail à

l’Agence comme la raison qui lui fait renoncer à se défendre : « le temps que l'on consacre à

répondre à un adversaire est comme un vol que l'on fait à ces malheureux... ». On

remarquera également que Rolland, pour une fois, ne mentionne pas le fait que l’Agence

s’emploie à secourir les malheureux de toutes nations. Il doit, dans cet article destiné au

Figaro, demeurer prudent : aussi va-t-il dans le sens de ses lecteurs potentiels, en se

contentant de faire allusion aux « victimes que fait chez nous la guerre ». Et son premier

paragraphe se clôt par l’évocation de l’œuvre admirable réalisée par la Croix-Rouge, à

laquelle il s’associe (« nous tâchons, à Genève... »).

Rolland revendique donc clairement, et non d’ailleurs sans une fierté un peu hautaine,

son séjour à Genève (le paragraphe est encadré par cette mention, « à Genève »), qu’il estime

avoir suffisamment justifié par l’annonce de son travail auprès de la Croix-Rouge - travail

autrement important que de répondre à de basses attaques !

L’article est envoyé à Capus et à Humblot, Rolland leur laissant le soin de juger de

l’opportunité de sa publication. La réponse de Humblot est sans équivoque : « Ce n'est pas

publiable. L'effet serait déplorable. D'accord avec Capus et avec les amis que j'ai voulu

consulter, l'article est de beaucoup plus dangereux que ceux qui ont mis le feu aux

poudres. »451

Rolland en effet n’y rétracte rien. Au contraire, il y réaffirme explicitement ce qu’il a

écrit dans les articles incriminés (il maintient ses amitiés allemandes, et refuse d’englober

dans la même réprobation le peuple allemand et ses chefs), et la Lettre à ceux qui m'accusent

ne sera pas publiée par le Figaro 452 Madeleine Rolland, d’ailleurs, s’en réjouit, car si elle

partage les opinions de son frère, elle estime que la publication, à ce moment précis, de

l’article, n’aurait nullement servi à le défendre.* 4^

451 Lettre d’Humblot à Romain Rolland, citée par Rolland dans Y Introduction à L 'Esprit libre, p. 29.
4'2 L’article ne sera publié qu’en novembre 1915, dans la brochure Au-dessus de la mêlée, chez Ollendorff, qui
rassemble l’ensemble des premiers articles de Rolland.
453 Lettre de Madeleine à Romain Rolland*, 28 novembre 1914.

147
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

L’Agence : au cœur de la mêlée

Face à l’accusation de demeurer « au-dessus de la mêlée », sans rien savoir du conflit,

Rolland peut rétorquer que, bien au contraire, son séjour en Suisse lui permet, mieux qu’à

quiconque, d’embrasser le vaste ensemble du champ de bataille européen. Et à qui lui

reproche de demeurer insensible aux souffrances de la France en guerre, il peut faire état de

son travail à l’Agence.

On a vu déjà, dans le chapitre précédent, l’importance pour Rolland de se sentir en

communion avec les familles touchées par la guerre. À l’Agence où il est, de façon indirecte,

en contact avec les réalités douloureuses du conflit, il apprend la souffrance endurée dans les

tranchées ou les camps de prisonniers, et la douleur de la séparation. «Nul n'a plus

d'admiration et de pitié que moi pour ces pauvres soldats. Je lis d'eux, chaque jour, à

l'Agence, des lettres poignantes. », écrit-il à sa mère.454 De nombreuses lettres défilent sous

ses yeux453, et il en prend connaissance avec respect, avec émotion - même des plus ingénues.

Dans les tout premiers temps de son travail à l’Agence, prenant en note une de ces lettres, il

remarque : « On reçoit quelquefois des lettres bien naïves. En voici une qui ne saurait guère

être dépassée dans ce genre. Ellefait rire ces messieurs, elle me touche. »456

Aussi, à une amie, Mme Avril de Ste-Croix, qui laisse à entendre que, loin de Paris, il

ne sait rien des souffrances de la guerre, il peut répondre :

« Voici sept mois que je passe mes journées à l'Agence des Prisonniers, plongé dans

cette mer de douleur et de deuil, ces cris d'êtres qui se cherchent, de blessés, d'agonisants,

ces lettres de champ de bataille trouvées sur les cadavres. Je me suis entretenu avec les

grands blessés, avec les évacués civils des prisons d'Allemagne et des départements envahis.

J'ai vu des Juifs galiciens, des Polonais, des Belges, des misérables de toutes les nations. Je

sais ce que c 'est que la misère humaine. »457

Et il est vrai que Rolland prenait à cœur toutes ces misères, qu’il consignait dans son

Journal (lettres recopiées, récits des visiteurs reçus chez lui ou croisés à l’Agence), afin de

pouvoir un jour faire connaître ces témoignages anonymes. À son amie Sofia, il écrit :

«Je voudrais pouvoir vous montrer un jour mes petits cahiers de notes... Toutes ces

âmes, dont j'ai transcrit les lettres, ou les derniers cris, (car j'ai constamment à l'Agence des

454 Lettre à sa mère*, 28 novembre 1914


455 « Dieu sait tout ce qui m'est passé par tes mains, de lettres ou d'esprits douloureux, héroïques, haineux,
généreux, divins et démoniaques ! », lettre à Sofia Bertolini, 19 janvier 1915, Cahier XI, p. 224.
456 JAG, p. 74.
457 Lettre de Romain Rolland à Mme Avril de Ste-Croix*, 21 avril 1915.

148
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

papiers, des reliques trouvés sur le corps des Français ou des Allemands morts dans la

bataille, et qu 'on transmet aux familles), toutes ces âmes sont pleines de Dieu ou du Diable. -

[ .] - Et parmi tant de haine, il y a beaucoup d'amour, et une grande pitié fraternelle,


458
souvent... »

L’œuvre accomplie à l’Agence légitime sa prise de position

« Beaucoup d'amour, et une grande pitié fraternelle »... Ces derniers mots laissent à

entendre que la position adoptée par Rolland dans ses articles n’est pas aussi chimérique qu’il

y paraît. On lui reproche de ne rien savoir de la haine qu’éprouvent les soldats, directement

impliqués dans le conflit, pour leurs adversaires qu’ils combattent. Or Rolland sait de quoi il

parle, au contraire, et tout ce qu’il lit, à l’Agence, l’encourage à poursuivre la lutte. Car

certaines lettres lues pendant son travail sont bien la preuve que la fraternité, l’humanité,

toutes les valeurs auxquelles il croit, ne sont pas mortes, même au sein des armées. Tant de

récits de rapprochements fraternels entre des soldats de deux nations ennemies, tant de blessés

qui refusent d’être pansés avant que leur adversaire le soit, tant de combattants ramassant les

effets d’un soldat de l’armée adverse tué, afin de les faire parvenir à sa famille, tout en

s’excusant du chagrin qu’il vont causer ! Le Journal fourmille de telles anecdotes, que

Rolland consigne avec soin. Et si certains combattants, sur le front, ne connaissent pas la

haine, c’est bien une nouvelle raison de s’affirmer face aux propagandistes belliqueux de

l’arrière.

Son travail auprès de la Croix-Rouge l’encourage à écrire et, dans le même temps, lui

permet de s’exprimer, lui donne le droit de prendre la parole. Il ne reste pas à ne rien faire, il

prend part, même indirectement, à la guerre. Cet engagement humanitaire légitime donc ses

écrits, son engagement politique :

« Je sens combien ma situation à l'Agence des prisonniers me donne de force morale

et de poids à ce que j'écris. Je ne pouvais trouver un meilleur emploi. »459

Un atout supplémentaire face aux polémiques

On a vu déjà que Rolland prenait soin de signaler à tous ses correspondants qu’il

travaillait à l’Agence des Prisonniers dès sa création, ou presque. Mentionnait-il cela pour se

45x Lettre à Sofia Bertolini, 19 janvier 1915, Cahier XI, p 224.

149
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

défendre d’éventuels soupçons qui auraient pu peser sur sa présence en Suisse ? On peut le

penser, même si cela n’est pas certain, car c’est un usage antérieur aux attaques menées contre

lui. Par contre, le fait d’utiliser le papier à lettre de l’Agence pour sa correspondance

privée460, s’explique peut-être par cette volonté de donner - ici, de façon concrète - plus de

poids à ce qu'il écrit, de rappeler, de façon détournée, l’une des raisons de son séjour en

Suisse. Cette hypothèse semblerait confirmée par la remarque suivante. Si l’on observe, par

exemple, les lettres adressées à sa sœur, on remarque qu’elles sont toutes écrites sur du papier

à l’en-tête de l’Hôtel Beau-Séjour, Genève-Champel, où il séjourne. Et il en est de même

concernant les lettres envoyées à sa mère. En revanche, quand il écrit à son ami Jean-Richard

Bloch, mobilisé, il le fait quasiment toujours sur du papier à l’en-tête de l’Agence ; c’est le

cas également avec Stefan Zweig, ou avec son ami Émile Masson ; ce papier est également

employé, mais de façon moins fréquente, quand il écrit à ses amies Sofia Bertolini ou Louise

Cruppi, etc. Les exemples sont nombreux... Une grande partie de sa correspondance, hormis

sa correspondance d’ordre familial, se fait donc sur du papier à en-tête du Comité

international de la Croix-Rouge, sans que l’on sache d’ailleurs si les lettres ont été écrites à

l’Agence, ou à l’hôtel. Il arrive que Rolland raye la mention de la Croix-Rouge, et la remplace

par son lieu de résidence (« Beauséjour, Genève-Champel ») ; le nom de l’hôtel est aussi

parfois simplement rajouté, sans que l’en-tête de l’Agence soit rayé. Il est cependant délicat

de savoir si cette pratique est véritablement délibérée ou non.

Quand une polémique l’oppose à quelque adversaire, toutefois, ce fait n’est peut-être

pas innocent : on peut penser que Rolland cherche ainsi à se prévaloir - indirectement - de la

caution de la Croix-Rouge internationale. Car on a vu, déjà, que l’Agence des Prisonniers est

pour Rolland le moyen de se défendre contre les attaques de ses adversaires. À la diffamation

d'un certain Marius André, agent diplomatique français en Espagne, qui fait de lui un

déserteur, un agent de l’Allemagne461, c’est sur du papier à l’en-tête du Comité international

de la Croix-Rouge - Agence internationale des Prisonniers de Guerre, qu’il répond :

« Je pense, Monsieur, que si vous aviez connu l 'œuvre que nous faisons ici, si vous

aviez pu voir nos travaux et nos peines et les luttes qu 'il nous faut livrer depuis six mois pour

tâcher d'adoucir les horreurs de la guerre462 et pour défendre opiniâtrement les derniers

459 Lettre à sa mère, 21 novembre 1914, Cahier XX, p. 21.


460 Papier à en-tête du Comité international de la Croix-Rouge - Genève (Suisse) - Agence internationale des
Prisonniers de Guerre. Cf. la pièce justificative II : c’est ce type de feuille que Rolland emploie.
461 Voir les détails de l’affaire dans leJAJj, p. 290-291.
462 Cf. le chapitre précédent.

150
« Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ?

lambeaux des droits des gens, qui subsistent encore, - vous auriez regret de ces paroles.

Qu 'en penseraient toutes ces familles de France et leurs fils ou pères prisonniers militaires

ou civils, qui s'adressent journellement à nous et que nous avons pu quelquefois aider ou

consoler ? Ce que je puis faire ici pour mon pays, je ne puis le faire qu 'ici ; et l'on verra plus

lard comment je l'ai servi. Je ne cherche pas à me défendre ; les faits parleront d'eux-
463
memes. »

Cette lettre présente également un autre aspect : en secourant les « familles de France

et leurs fils ou pères prisonniers », Rolland sert, du mieux qu’il peut, son pays. Par son travail

à l’Agence, il estime donc faire œuvre de bon Français, et mériter un jour la reconnaissance

de son action. « La cause de la France ne se distingue pas de celle de l'humanité », écrivait-il

dans la Lettre à ceux qui m'accusent...

Le travail de Romain Rolland auprès de la Croix-Rouge de Genève, qui justifie sa

présence en Suisse, devient donc bientôt un moyen de parer aux attaques dont il est l’objet.

D’un autre côté, les lettres ou les faits dont il prend connaissance à l’Agence, en prouvant que

ce en quoi il croit n’est pas mort, le confortent dans ses convictions, et l’encouragent à

poursuivre l’écriture de ses articles. Sa place est donc bien là, aussi va-t-il chercher à

collaborer plus encore à l’œuvre de la Croix-Rouge.

463
Lettre à Marius André*, 24 mars 1915.

151
Chapitre III : Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

« Je viens de porter au Journal de Genève un nouvel article, intitulé : Inter arma caritas, où j'expose l'œuvre de

l’Agence des prisonniers, en défendant la cause de l’humanité. » - Lettre de Romain Rolland à Madeleine

Rolland*, 29 octobre 1914.

En plus de son travail quotidien à l’Agence des Prisonniers, qu’il prend à cœur,

Rolland souhaiterait également mettre au service de la Croix-Rouge sa notoriété d’écrivain. Il

va donc s’appliquer à faire connaître la cause qu’il défend par des articles : Inler arma carilas

dans le Journal de Genève, ainsi qu’un petit article dans un journal local français, Le

Clamecycois. Par ailleurs, il va faire don à la Croix-Rouge d’une partie de ses droits d’auteur

obtenus pendant la guerre, ainsi que d’une part importante du prix Nobel de littérature, qui lui

est attribué en 1915.

1. Inter arma caritas

Romain Rolland suit avec intérêt l’action menée par la Croix-Rouge internationale,

qu’il défend avec ardeur dans sa correspondance privée. Mais il estime, et ce les premiers

jours déjà, que cette action est par trop méconnue, et bien mal secondée par les

gouvernements. « C 'est une bonne et belle œuvre ; mais on ne suffit pas à la tâche qui n 'est

pas facilitée toujours par l'empressement des gouvernements», écrit-il par exemple à

l’épouse d’un ami, le 3 octobre 19 1 4.464 Aussi faudrait-il passer par-delà les autorités

officielles, et tenter de faire connaître à un vaste public les efforts entrepris par la Croix-

Rouge. C’est à cela qu’il va s’employer. Il a alors déjà acquis, par ses trois premiers articles

du Journal de Genève, une audience non négligeable, qu’il veut mettre au profit de l’Agence

de Genève.

Le 27 octobre, il écrit à Stefan Zweig :

« ... la tâche actuelle de la Croix-Rouge Internationale est si énorme qu 'elle ne peut y

suffire ; et toute tâche nouvelle l'effraie. Je crois d’ailleurs que ses avances, en pareil cas, ne

464 Lettre à Mme Paul Landormy, 3 octobre 1914, publiée dans Fontaine, Paris, n° 41, avril 1945.

152
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

sont pas toujours bien accueillies des gouvernements. C'est sur l'opinion qu'il faut agir

surtout, par des articles. Je tâcherai d'y contribuer. »46;)

D’autre part, la correspondance qu’il échange avec l’écrivain autrichien le rend

sensible à un autre aspect : les journaux autrichiens reproduisent volontiers des entrefilets

découpés dans certains journaux français, dès lors qu’ils relatent des mesures vexatoires, voire

criminelles, infligées aux prisonniers ou aux blessés allemands ; par contre, ces mêmes

journaux omettent de mentionner les déclarations du gouvernement français, qui ordonne à

l’ensemble du personnel soignant de traiter avec équité tous les blessés, y compris ceux des

nations ennemies. Mais cette pratique peut s’observer aussi du côté français, dont les journaux

se plaisent également à ne publier que des informations défavorables à l’adversaire,

notamment le récit de cruautés commises par les Allemands contre les blessés ou les

ambulanciers français466 - voire contre les populations civiles.467

Rolland déplore amèrement le mal que peuvent faire ces articles : en ne citant que des

exemples de mauvais traitements, toujours exceptionnels, et en ne faisant jamais rien savoir

de la majorité des cas, où les blessés et les prisonniers sont traités de façon juste et humaine,

ils créent des « malentendus meurtriers entre les nations »468. Quelles représailles risque

d’entraîner un seul de ces articles, dont les prisonniers ou les blessés des deux pays seraient

alors les premiers à pâtir !467 Aussi aimerait-il à écrire ce qu’il pense du rôle néfaste joué par
une presse qui, en quelques lignes, peut anéantir tous les efforts entrepris par ceux qui tentent,

ici ou là, de diminuer les souffrances dues à la guerre.

« La presse des deux partis fait un mal atroce. Je reçois une longue [...] lettre de

Stefan Zweig, qui me dit la douleur et le saisissement qu 'on éprouve en Autriche, en lisant des

extraits dejournaux français qui engagent à ne pas soigner les blessés allemands. [...]

’ Lettre à Stefan Zweig*, 27 octobre 1914.


46(1 Voir une lettre à Stefan Zweig*, du 10 octobre 1914, ainsi qu’une lettre à Louise Cruppi*, datée du
lendemain.

44.7 « La moitié sont desfaits, relatés par des Petit Journal, Dépêche de Toulouse, et autres usines à mensonges, -
dont j 'ai lu les démentis formels dans les journaux allemands ou suisses, - démentis cjui jamais ne sont
reproduits dans les journaux français. Il est certain qu 'il y a des faits abominables ; mais il y en a
malheureusement dans les deux camps. Le devoir me semble de ne pas les généraliser par haine et d'y ajouter
des inventions monstrueuses, comme cet idiot de Richepin, qui vient d'écrire dans le Petit Journal que les
Allemands ont coupé la main droite à 3000 jeunes garçons, de 15 à 17 ans ! J’estime que de tels articles sont
des crimes : car ils risquent d’en provoquer, qui déshonorent la France. », lettre à Madeleine Rolland*, 29
octobre 1914.

44.8 Lettre à Stefan Zweig*, 10 octobre 1914.


469 Rolland craint que les populations civiles, indignées par ce qu’elles croient être le sort réservé à leurs
compatriotes détenus en pays ennemi, cherchent à se venger sur les prisonniers ou les blessés de la nation
adverse, retenus sur leur territoire, en leur faisant subir le même sort.

153
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

J'écrirais volontiers un article pour combattre ces excitations à la haine dans la

presses des deux pays : leur effet peut être redoutable. Songez aux représailles dont nos

blessés pourraient souffrir, pour quelques abominables paroles d'un hurleur de l’Écho de
Paris470 ou... de l’Homme déchaîné471. »472

Inter arma caritas répond donc à ces deux exigences : faire connaître l’œuvre

qu’accomplit quotidiennement la Croix-Rouge internationale, et faire pendant aux incitations

à la haine de nombreux journaux, en faisant savoir qu’il subsiste encore, de part et d’autre,

bien des actes de bonté et de générosité. Tandis que Barrés, dans L'Echo de Pans, « module

sur la mort et les meurtres ses plus mélodieux chants de flûte » - « il est le rossignol du

carnage »473 -, Rolland met sa plume au service d’une autre cause, celle de l’humanité.

Le 29 octobre, Rolland porte l’article au Journal de Genève, qui le publie dans son

supplément au numéro du 4-5-6 novembre, dont une reproduction est donnée en pièce

justificative IV. Inter arma caritas, dont le titre reprend la devise de la Croix-Rouge, est un

hommage à l’œuvre de l’Agence des Prisonniers de guerre de Genève, dont Rolland a à cœur

de faire connaître le dévouement patient et discret.

Après une introduction critique contre l’Allemagne, et contre « ceux qui chantent /la

guerreJ sans la faire », Rolland évoque d’abord, dans une première partie, la situation des

prisonniers militaires, afin de rassurer les familles inquiètes de leur sort. Car, poursuit-il,

« d'un côté comme de l'autre, circulent trop facilement des légendes odieuses, propagées par

une presse sans scrupule, qui tendent à faire croire que les lois les plus élémentaires de

l'humanité sont foulées aux pieds par l'adversaire »474 ; on voit que Rolland tient à combattre

les articles dont il dénonçait, dans sa correspondance privée, l’influence néfaste. La condition

des prisonniers n’est nullement celle décrite par ces articles (blessés allemands laissés dans

l’abandon, ou blessés français maltraités en Allemagne) ; les gens amenés à recevoir des deux

camps des renseignements dignes de confiance - comme c’est le cas de ceux qui collaborent à

470 L'Echo de Paris est, avec Le Malin, l’un des journaux parisiens les plus belliqueux. Maurice Barrés y donne
un article quotidien, pour soutenir le moral des combattants ; ces articles seront rassemblés dans les Chroniques
de la Grande Guerre (1914-1920 ).
471 Allusion de Rolland à L'Homme enchaîné. - Journal fondé en 1913 par Clemenceau, sous le titre de
I/Homme libre, il devient en 1914, à l’instauration de la censure, L'Homme enchaîné. Clemenceau y dénonce
avec vigueur les scandales et la mollesse de la conduite de la guerre.
472 Lettre à Louise Cruppi*, 11 octobre 1914.
473 JA G, p . 131.
474 Tous les passages cités dans les paragraphes à venir sont extraits de la pièce justificative IV.

154
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

la Croix-Rouge de Genève - ont pour devoir d’affirmer que prisonniers et blessés sont, en

règle générale, bien traités.

Il met également en avant les efforts accomplis pour « concilier l'humanité avec les

exigences de la guerre », en Allemagne comme en France, en s’appuyant pour cela sur les

rapports ou documents auxquels il a eu accès, dans les journaux suisses ou au cours de son

travail à l’Agence. Et il conclut que la situation des prisonniers militaires n’est pas aussi

navrante qu’on pourrait le croire: « il n’est pas totalement abandonné à l’ennemi; les

règlements internationaux le protègent, les Croix-Rouges veillent sur lui, et l ’on n ’est pas

dénué des moyens de savoir où il est et de lui venir en aide. »

Suit alors une description élogieuse de « / ’admirable Agence internationale des

prisonniers de guerre, [...], une vraie Providence », où il précise le nombre de collaborateurs

(plus de 300), l’activité quotidienne (plus de 15.000 lettres par jour transitant par l’Agence,

7000 lettres entre familles et prisonniers transmises quotidiennement, un millier de

renseignements précis communiqués par jour... ), ainsi que les démarches plus occasionnelles.

La seconde partie de l’article - sans doute pour Romain Rolland la plus essentielle -

vise à faire connaître la situation dramatique d’une seconde catégorie de prisonniers, celle des

prisonniers civils, qu’aucun règlement international ne protège. On a vu, déjà, que c’est à la

Section civile que Rolland travaille, et que la volonté de venir en aide à ces malheureux

semble lui tenir particulièrement à cœur. Or, le sort qui leur est réservé est souvent méconnu :

bien des gens ignorent qu’à côté des prisonniers militaires, de nombreux civils ont à souffrir

de l’occupation allemande, ou ont été emmenés en déportation. Rolland, par les lettres lues

quotidiennement à l’Agence, a connaissance de ces conditions effroyables : aussi, il consacre

une longue partie de son article à faire savoir aux lecteurs du Journal de Genève ce qu’il y a

appris, en donnant de nombreux exemples affligeants, pris dans les lettres parcourues au cours

de son travail. C’est donc un bien triste tableau qu’il brosse, mais un tableau véridique, face

aux articles mensongers d’une partie de la presse. « Quelle misère nous révèlent les premières

lettres qui nous sont parvenues des familles internées, en Allemagne ou en France l... j !» Et

ces cris de misère, n’y aura-t-il jamais personne pour les entendre ?

« Heureusement, s'est trouvé un homme au grand cœur [... J, M le docteur Ferrière,

qui s'émut du malheur de ces parias de la guerre. Avec une ténacité patiente et passionnée, il

s’obstina à construire, dans le grand rucher de la Croix-Rouge, une ruche spéciale pour

l’aide à ces malheureux» : la Section civile de l’Agence des Prisonniers de Genève, dont

Rolland décrit brièvement les premières difficultés et les premiers succès.

155
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

Rolland termine son article comme il l’a commencé, par une critique du rôle néfaste

de certains journaux :

« Quand on vient de goûter, après trois mois de luttes fratricides, ce sentiment

reposant de large humanité et qu 'on se retrouve ensuite au milieu de la mêlée, les cris de

haine des journaux aboyants font horreur et pitié. Quelle besogne croient-ils faire ? Ils

veulent punir des crimes et sont eux-mêmes des criminels ; car les mots meurtriers sont les

semences de meurtres. »

Les mots peuvent inciter à la haine, mais ils peuvent aussi la combattre. Et il conclut,

en rappelant que « pour ceux qui continuent d'écrire, il y aurait mieux à faire qu 'à brandir

une plume sanguinaire » :

« Il ne dépend pas de nous que la guerre s'arrête ; mais il dépend de nous qu'elle

devienne moins âpre. Il y a des médecins du corps. Il en faudrait de l'âme pour panser les

blessures de rancune, de vengeance, dont nos peuples sont empoisonnés. Que ce soit notre

office, à nous qui écrivons ! »

Rolland a cherché, par cet article, à alerter l’opinion sur les difficultés que connaît la

Croix-Rouge internationale, dans l’œuvre de paix qu’elle réalise, et les premiers résultats ne

se font pas attendre. Le 12 novembre, il peut écrire à sa mère :

« J'ai eu, en rentrant à l'Agence hier, la preuve immédiate de l'utilité de mon séjour

ici. - D'abord la lettre d'une lectrice de Grandson (anonyme), qui m'envoyait 100 francs

comme remerciement de mon Inter arma caritas, en me priant d'en disposer, au mieux, pour

nos prisonniers. [... / »475

A côté de nombreux dons faits à la Croix-Rouge, Rolland reçoit aussi beaucoup de

lettres de remerciement pour les paroles d’humanité qu’il a prononcées, ou de lettres

l’encourageant à poursuivre l’écriture de tels articles.476 Et d’autres témoins prennent à leur

tour la parole. Dans le Journal de Genève du 13 novembre, un infirmier français, Jean Breton,

cite des traits touchants de fraternité entre soldats allemands et blessés français, qu’il a

recueillis à son hôpital. Et il ajoute : « Je veux dédier cette histoire à Romain Rolland pour le

475 Lettre à sa mère, 12 novembre 1914, Cahier XX, p. 16.


476 Voir par exemple le Cahier XX, p. 44, ou le JA G, p. 131. - Rolland écrira encore Notre prochain, l'ennemi,
qui paraîtra dans le Journal de Genève du 15 mars 1915, article consacré à faire connaître des initiatives
charitables privées. Rolland y décrit les efforts réalisés, en Allemagne et en Angleterre, en faveur des
prisonniers : bureau de renseignements et de secours à Berlin, comité d’assistance pour les étrangers à Londres,
etc.

156
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

remercier d'avoir réussi à faire entendre par-dessus le tumulte de rage dont les journaux des

deux pays enveloppent la bataille, la plainte et l'espérance de l'humanité éternelle. »477


Romain Rolland a donc atteint son but.

2. La lettre dans Le Clamecycois

A côté de son article du Journal de Genève, Romain Rolland donne également une

petite note au Clamecycois, « hebdomadaire républicain libéral-progressiste des Cantons de

Clamecy, Brinon-sur-Beuvron, Corbigny, Lormes, Tannay & Varzy ». Rolland est alors en

relation épistolaire avec Léon Mazetier, le directeur de ce petit journal local, de la région de

Clamecy, dont l’écrivain est originaire.

Dans le numéro du Clamecycois du 27 septembre 1914, une première allusion est faite

à Romain Rolland, à l’occasion de la mort au combat du commandant Boidot, son ancien rival

au collège de Clamecy :

«Il nous souvient de Marcel Boidot, encore enfant, assis sur les bancs de la classe de

cinquième au collège, aux côtés de Romain Rolland, un autre enfant de Clamecy, qui a fait,

lui aussi, quelque bruit dans le monde. Marcel, tout petit, vif, nerveux, remuant, faisait

présager l'homme d'action qu'il fut toute sa vie. Romain, grand, déjà sérieux, penseur

précoce, s'annonçait déjà comme l'écrivain rêveur et artiste, épris des grandes théories

humanitaires, qui écrivait à l'allemand Gerhardt Hauplmann la lettre que tout le monde a

lue, où il s'obstinait à espérer que, malgré toutes les apparences, les intellectuels d'Outre-

Rhin réprouvaient l'horrible guerre déchaînée par leur empereur. »47X

Le 25 janvier 1915, Romain Rolland écrit à sa mère :

« Je reçois une carte de Mazetier, avec ses vœux de Nouvel An, et la prière de vouloir

bien réserver à son Clamecycois quelques pages de mon prochain roman nivernais479, - qu'il

a l'air de croire sur le point de paraître (Ô quiétude de notre Centre français !) »48ü

477 Cité dans 1 tJAG, p. 122-123.


47s Le Clamecycois, numéro du 27 septembre 1914, p. 1.
477 Colas Brugnon, dont Rolland corrigeait les dernières épreuves quand la guerre a éclaté.
4X0 Lettre à sa mère*, 25 janvier 1915.

157
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

Et ce même jour, il adresse une lettre à Léon Mazetier, qui sera publiée dans Le

Clamecycois du 31 janvier - dont une reproduction est donnée en pièce justificative V - , sous

le titre « L’Œuvre de Romain Rolland ». La lettre concerne son « roman clamecycois », Colas

Brugnon, dont la guerre a interrompu la parution : celle-ci aura lieu après la guerre, et Rolland

promet à Mazetier de lui « réserver la primeur de quelques pages ». Toutefois, Rolland

profite de l’occasion pour faire savoir ce à quoi il s’emploie, et il joint un post-scriptum à sa

lettre :

« P. S. — Je travaille à Genève, à /’Agence des Prisonniers de guerre. Si je pouvais

rendre quelque service à un de mes concitoyens, je le ferais de grand cœur, dites-le leur, je
481
vous prie. »

Le 4 février, Romain Rolland fait savoir à sa mère :

« Le Journal de Clamecy482 a publié ma réponse à Mazetier, où j'offre mes bons

services de l'Agence à mes compatriotes. »483

Et deux jours plus tard, il peut se réjouir de ce que sa note du Clamecycois ait déjà

obtenu quelque résultat :

« Ma note dans le Journal de Clamecy m'a déjà valu deux lettres de Clamecycois, -

l’une de Beaurneau [...] qui me demande de faire des recherches sur son fils, blessé le 13

août, dans les Vosges ; - l'autre de Baron jeune fils [... ], qui me demande des renseignements

sur la situation du commandant Mathé (56 ans, vieux colonial), qui est prisonnier à Torgau.

Pour ce dernier, je puis déjà répondre que Torgau est un des meilleurs camps de prisonniers

en Allemagne, grâce à un commandant de place très humain. »484

Le 8 février, il ajoute, à la fin de sa lettre quotidienne : « Encore un Nivernais qui

s'adresse à moi : Charles Maupetit, à Trucy-l 'Orgueilleux, par Corvol. »485 Le 10 février, il

remarque : « Chaque jour m’apporte une lettre nouvelle de Clamecycois ».486 Et l’on pourrait

multiplier les exemples.487

481 Le Clamecycois, numéro du 31 janvier 1915, p. 1 ; voir pièce justificative V. - On se rappelle la compassion
toute particulière qu’éprouve Rolland pour les lettres reçues de son Nivernais natal (voir chapitre premier de
cette deuxième partie).
182 Rolland veut dire Le Clamecycois.
484 Lettre à sa mère*, 4 février 1915.
484 Lettre à sa mère*, 6 février 1915.
485 Lettre à sa mère*, 8 février 1915.
486 Lettre à sa mère, 10 février 1915, Cahier XX, p. 98.
487 Lettre à sa mère*, 6 mars 1915 ; lettre à sa mère, 11 mars 1915, Cahier XX, p. 117 ; etc..

158
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

On voit qu’ici ce n’est pas tant l’œuvre accomplie par l’Agence de Genève que

Rolland tient à faire connaître, que la place qu’il y occupe ! Ceci n’est d’ailleurs pas sans

surprendre, car cette place est bien modeste, et Rolland ne peut entreprendre aucune démarche

particulière pour les personnes qui s’adresseraient à lui. Mais peut-être veut-il simplement

faire savoir à ses concitoyens nivemais que l’Agence existe, et faire bénéficier celle-ci de la

notoriété de son nom : en un mot, n’être qu’un « obligeant intermédiaire », ainsi que l’écrit

Léon Mazetier, entre les familles et la Croix-Rouge. De l’existence de l’Agence, pourtant, ces

familles ont déjà été informées : Le Clamecycois, comme beaucoup de journaux français488, a

signalé à plusieurs reprises les attributions d’une Agence de Prisonniers installée à Genève, et

le moyen de s’adresser à elle.489

Toutefois, l’annonce de Rolland n’est pas inutile. Dans le premier exemple qu’il donne

à sa mère, il cite le cas d’un soldat blessé le 13 août 1914, soit près de six mois plus tôt, dont

le père demande à présent des nouvelles. Sans doute cet homme n’a-t-il pas eu l’idée

jusqu’alors de s’adresser à l’Agence de Genève pour obtenir quelque renseignement au sujet

de son fils, et la note de Rolland, son « distingué compatriote », l’y encourage ; mais l’on peut

penser aussi qu’il réitère sa demande, imaginant que Rolland pourra, cette fois, la faire

aboutir.

3. Les dons de droits d’auteur

La brochure publiée par Amédée Dunois

Rolland, ainsi qu’il a été dit plus haut, est d’abord défendu par plusieurs socialistes.

Parmi eux se trouve Amédée Dunois-Catonné. Le 31 octobre, il écrit une longue lettre à

Rolland, que celui-ci reproduit dans son Journal : Dunois lui fait savoir quel réconfort furent

pour lui les paroles prononcées dans ses articles du Journal de Genève, et lui fait part de sa

déception, quant à l’attitude adoptée par le parti socialiste français, au moment où éclata la

guerre. Et il conclut :

«... c'est ainsi que vous avez eu l'honneur, vous qui n’êtes pas un militant, de faire

entendre le premier le langage de la vérité, de la justice internationale, de la raison humaine.

488 On a vu plus haut l’exemple de L ’Illustration.


489 Le Clamecycois, numéros du 4 octobre 1914, p. 2 ; du 1er novembre 1914, p. 2 ; du 20 décembre 1914, p. 2.

159
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

On ne vous a point entendu. Le Journal de Genève est peu répandu en France490, et nos

journaux français se sont bien gardés naturellement de reproduire vos articles. Ne pensez-

vous pas, en conséquence, qu'il serait nécessaire d'en faire une brochure à dix centimes ? Si

vous le pensez, vous me le direz et j'agirai en conséquence.... »491

L’idée de Dunois de publier en brochure les textes de Rolland ne peut que séduire

celui-ci : ses articles en effet, publiés dans un journal suisse, ne sont pas disponibles en

France, et il le regrette vivement. L’édition d’une brochure, à faible prix, offrirait à

l'ensemble des lecteurs français la possibilité de prendre connaissance de l’intégralité des

articles incriminés. Amédée Dunois, toutefois, a fort à faire avec la censure militaire, qui tarde

à lui donner l’autorisation de publier Au-dessus de la mêlée et Inter arma caritas.4)2

La brochure qui doit réunir ces deux articles sera vendue au profit de l’Agence des

Prisonniers, ainsi que l’explique Romain Rolland à sa mère et à sa sœur.493 Cependant, la date

de parution est sans cesse repoussée. Rolland reçoit les premières épreuves en janvier 1915,

mais plusieurs mois passent, sans que Dunois n’obtienne le visa de la censure.494 Fin mars

1915, le journaliste est mobilisé, à Nevers, comme employé aux écritures dans un hôpital, ce

qui vient encore compliquer les choses.

La petite brochure éditée par Amédée Dunois finit toutefois par paraître, en juin 1915,

non sans de graves mutilations ; les deux articles, Au-dessus de la mêlée et Inter arma caritas,

ainsi que la préface de Dunois, ont subi plusieurs coupures. Au même moment, pourtant, la

censure a laissé passé le pamphlet de Massis, Romain Rolland contre la France, qui donne en

appendice Au-dessus de la mêlée, avec une seule suppression, et Dunois proteste


• • • • , 495

vigoureusement contre cette iniquité.

Comme prévu, la brochure, imprimée par Y Emancipatrice, se vend 0,25 franc, au

profit de l’Agence internationale des Prisonniers de guerre.

4;o C’est par un jeune ami protestant que Dunois a eu connaissance des numéros où figurent les articles de
Rolland.

49] JAG, p. 108-110.


u~ Dunois a déjà fait paraître dans L 'Humanité deux articles à leur sujet : « Un intellectuel français s’élève
éloquemment contre l’impérialisme», suivi d’extraits d'Au-dessus de la mêlée, dans le numéro du 26 octobre
1914, et « Un nouvel appel de Romain Rolland », suivi d’extraits d’Inter arma caritas, dans le numéro du 15
novembre 1914.

493 Lettre à sa mère*, 19 décembre 1914, et lettre à Madeleine Rolland*, 26 décembre 1914.
494 Cahier XX, p. 69 et 126 ; lettres à sa mère* des 2 et 18 février 1915.
495 Voir JA G, p. 421-422, et p. 461.

160
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

On peut s’interroger sur les raisons qui ont pu pousser Rolland à faire don de ses droits

d’auteur à l’Agence de la Croix-Rouge : s’agit-il d’un don purement désintéressé, ou est-ce au

contraire un moyen de se défendre d’éventuelles attaques ? Il semblerait que ce don réponde

surtout à une volonté délibérée de Rolland de ne pas obtenir de profits, quels qu’ils soient, par

ses textes écrits pendant la guerre, de ne pas s’enrichir en raison d’une prise de parole qui se

voulait généreuse. Pouvait-il d’ailleurs agir autrement ? La présence dans la brochure d'inter

arma caritas l’encourage peut-être plus encore à offrir ces quelques revenus à l’Agence de

Genève, revenus dont il n’a d’ailleurs nul besoin ; depuis le début de la guerre, Rolland a pu

vivre uniquement sur les droits d’auteur des éditions nouvelles de Jean-Christophe.4% Mais

Rolland a toujours refusé, durant tout le conflit, toute nouvelle offre de traduction497, ce qui

pourrait confirmer l’hypothèse selon laquelle il aurait également renoncé aux profits des

œuvres nouvelles, écrites pendant la guerre.

Il faut préciser cependant que ce don n’est pas nécessairement lié à son travail au sein

de l’Agence. Le geste de Rolland n’est pas, en effet, un exemple isolé. D’autres écrivains

font, au cours de la guerre, de tels dons, à d’autres œuvres humanitaires. Ainsi, la première

représentation, le 5 mai 1915, de la pièce de Maurice Barrés, Colette Baudoche, est donnée au

bénéfice du Secours en Alsace-Lorraine, un comité constitué sous le patronage de Mme

Raymond Poincaré. Mais il est vrai que les bénéficiaires de ces dons sont toujours des

organismes dont les idées répondent à celles du donateur, ou dont ils se sentent proches. Et les

exemples de Rolland et de Barrés sont, à ce titre, significatifs.

Outre ceux de la brochure, Rolland fait également don des droits d’auteur obtenus

pour une de ses pièces jouée en territoire ennemi.498

Une pièce de Romain Rolland jouée à Vienne (février 1916)

Une lettre de Stefan Zweig, datée du 4 octobre 1915, fait savoir à Rolland que sa pièce

Les Loups, qu’on jouait à Vienne avant la guerre, pourrait être à nouveau représentée. Zweig,

4;6 Lettre à sa mère*, 19 février 1915. - En mars 1916, il vit encore sur les revenus de ses ouvrages, sans avoir
entamé ce qu’ils lui ont rapporté avant juillet 1913 (lettre à Madeleine Rolland*, 1er mars 1916).
U7 Voir par exemple une lettre à Stefan Zweig*, du 17 décembre 1917 : « Je viens de recevoir une demande de
traduction de Jean-Christophe en langue hongroise / ...J -Je ne veux accepter aucune demande de ce genre, tant
que durera la guerre. ».
478 II envisagera également un nouveau don, en décembre 1917, après la traduction par Zweig de son article Aux
Peuples assassinés : « S'il y avait quelques bénéfices (et pourquoi n ’y en aurait-il pas ?) on pourrait indiquer
sur la couverture de la brochure qu 'ils seront versés à une œuvre de bienfaisance internationale, comme la

161
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

qui est vraisemblablement l’instigateur de la première représentation de cette pièce dans la

capitale autrichienne499, craint que ce spectacle ne soit mal interprété, et propose de s’y

opposer, au nom de son ami. Rolland est de cet avis, et accepte volontiers sa proposition : il

lui serait fort reconnaissant de bien vouloir convaincre le directeur du théâtre de remettre ces

représentations à des temps meilleurs. Et il conclut : « — Si vous ne pouvez / ’empêcher, qu 'il

soit bien entendu, tout au moins, que je n'y suis pour rien, et que tous les droits d'auteur

seront versés au profit de la Croix-Rouge internationale. »5(K)

Rolland craint en effet - et à juste titre - que cette pièce jouée en pays ennemi ne soit

le prétexte au déclenchement de nouvelles attaques ; c’est pourquoi il s’empresse de préciser

« qu ’/il n y est] pour rien » ! Et le meilleur moyen de couper court - de façon préventive - à

toute critique est, lui semble-t-il, de faire don de tous les droits d’auteur éventuels à une

œuvre de bienfaisance.

Mais rien n’y fait. Le 14 février 1916, il écrit à sa mère :

« Une note perfide du Matin m'a appris que mes Loups auraient été représentés à un

théâtre de Vienne. Cela me surprendrait, car il me semble que j'en eusse été informé d'autre
. 501
part. »

Cette représentation, qui aurait été antérieure au 14 février, n’est pas mentionnée dans

d’autres lettres. Sans doute l’article signalait-il que Les Loups allaient être représentés

prochainement dans la capitale autrichienne, car ce n’est que le 25 février que la pièce est

jouée à la Volksbühne de Vienne.502 Comme il l’avait annoncé, Rolland abandonne ses droits

d’auteur à la Croix-Rouge.

Ce don est en effet pour lui le seul moyen de défense. Car il a beau répéter qu’il n’a

pas voulu cette représentation, et que d’autres écrivains français ou belges ont été publiés

dans des revues allemandes503, il est fort à craindre qu’on lui reproche de gagner de l’argent

Croix-liouge. », lettre à Stefan Zweig*, 17 décembre 1917.


499 « Je suis bien content de savoir que les Loups vont être montés à Vienne, grâce à vous. », lettre à Stefan
Zweig*, 2 septembre 1913.
500 Lettre à Stefan Zweig*, 15 octobre 1915. - Et, la veille, dans une lettre à sa mère, au sujet de cette même
affaire : « De toute façon, si on persistait à me jouer, je ferais l'abandon de tous droits d'auteur à la Croix-
Rouge. », lettre à sa mère*, 14 octobre 1915.
M)l Lettre à sa mère, 14 février 1916, Cahier XX, p. 243.
502 VoirJ/tG, p. 730.
503 « ...je me demande comment un Français pourraitfaire pour empêcher, pendant la guerre, qu 'on exploite ses
œuvres en Allemagne. - On oublie de dire que les revues de Berlin et de Munich publient constamment du
Claudel, du Suarès, du Francis Jammes, du Gide, du Verhaeren, du Maeterlinck, etc. », Cahier XX, p. 243.

162
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

pendant la guerre, et surtout - ce qui est pire - de l’argent obtenu pour une pièce jouée en

territoire ennemi.

« La presse française nationaliste va japper. On vient de représenter les Loups à la

Volksbühne de Vienne. C 'est contre ma volonté, et j'ai protesté auprès de Zweig, mais je n ’y

puis rien [...]. Tout ce que j’ai pu faire, c’est de faire reporter intégralement mes droits

d'auteur sur la Croix-Rouge internationale. »504

Pourtant, Rolland se fait peu d’illusions, même sur ce don. À un ami, il écrit, le même

jour:

« On vient de jouer mes Loups à la Volksbühne de Vienne. Ceux (les loups) de Paris

vont hurler. Bien que les droits d’auteur doivent être versés intégralement à la Croix-Rouge

internationale, on m'accusera de toucher l'argent de l'Allemagne. »505

Cette affaire est reprise par certains détracteurs de Romain Rolland. Ainsi, un article

d’Alvan Sanbom506, paru dans le Boston Evening Transcript du 10 mai 1916, faisant état de la

germanophilie notoire de Rolland, donne en exemple le fait que le théâtre de Vienne fasse, en

faveur des Loups, exception à la règle de ne rien représenter des auteurs ennemis.307

4. Le don du prix Nobel de littérature

Plusieurs articles existent concernant l’attribution à Romain Rolland du prix Nobel de

littérature, présentés dans la bibliographie. Aussi, il serait inutile d’entrer trop dans les détails,

et on se contentera donc de rappeler les grandes lignes de cet épisode.

Le 9 novembre 1916, l’Académie Suédoise décerne à Romain Rolland le prix Nobel

de littérature pour 1915 :

«L'Académie Suédoise, réunie en séance le 9 novembre 1916, se conformant aux

prescriptions d'Alfred Nobel en date du 27 novembre 1895, a décidé de décerner le prix

Nobel de littérature de l'année 1915 ù Romain Rolland pour lui rendre hommage de

04 Lettre à Madeleine Rolland*, 1er mars 1916.


505 Lettre à Gaston Thiesson*, 1er mars 1916 ; voir aussi la lettre à Madeleine Rolland* du 3 mars 1916. - Gaston
Thiesson est un jeune peintre breton, fidèle ami et ardent défenseur de Romain Rolland, qui s’est installé en
Suisse en octobre 1915.

506 Que Rolland suppose inspiré par son principal adversaire, l’écrivain français Paul-Hyacinthe Loyson, qui l’a
notamment attaqué dans Etes-vous neutres devant te crime ?, op. cit..
507 JAG, p. 798.

163
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

/ ’idéalisme élevé de sa production littéraire, ainsi que de l ’exactitude empreinte de sympathie

avec laquelle il a su peindre les divers types humains. »M)S

Il est difficile de savoir si le prix récompense tout autant Fauteur d’Au-dessus de la

mêlée que celui de Jean-Christophe, œuvre européenne majeure des dix années passées. Sans

vouloir entrer dans le détail de ces controverses, il faut cependant préciser que Rolland aurait

dû obtenir le prix en 1915, et que, suite à de violentes attaques, l’Académie aurait reporté la

remise du prix d’un an.509 Car les détracteurs de Rolland, dans la presse française, ne

craignaient pas de s’attaquer également à l’Académie Suédoise et, au travers d’elle, à toute la

Suède, que sa neutralité rendait déjà suspecte. Dans un article du Matin, par exemple,

« L’unique Français neutre », l’auteur finit sur ces mots :

« C'est de là /GenèveJ qu'il adressa au monde les élucubrations pacifistes que l'on

sait.

Elles viennent de lui valoir la considération et l'argent - des Suédois

bochophiles. »510

Le 13 novembre 1916, Rolland écrit au directeur du Journal de Genève :

« J'ai vu qu'une information de Stockholm reproduite par toute la presse511,

m'attribuait le grand Prix Nobel de littérature pour 1915. Je ne sais ce qu 'ily a d'exact dans

celte nouvelle. Si elle se confirme, je tiens à déclarer dès à présent que mon intention formelle

est de remettre la totalité du prix à diverses œuvres de bienfaisance et d'assistance que je me


r 512
réserve de choisir. »

Il faut dire que Rolland se serait bien passé de cette prestigieuses récompense, qui

risque d’entraver sa liberté, et de lui attirer de nouvelles persécutions. Aussi cherche-t-il à se

défaire au plus vite du montant du prix, avant qu’on ne puisse l’accuser d’avoir gagné de

l’argent grâce à Au-dessus de la mêlée. En 1915 déjà, alors que sa candidature n’était alors

que pressentie, les premières attaques s’étaient déchaînées : l’article du Matin, bien sûr, qui

lui reprochait de recevoir de l’argent des « Suédois bochophiles », mais aussi un article de

508 La médaille d’or et le diplôme ne parviennent à Rolland qu’en 1917 ; le texte du diplôme, cité ici, est daté du
1er juin de cette même année. Voir JAG, p. 1223-1224.
\0) C’est du moins la principale hypothèse expliquant le report du prix de 1915 à 1916.
510 Le Matin, [8 novembre 1915], - Pour des Français, la neutralité qu’affecte Rolland doit s’expliquer par sa
sympathie pour l’Allemagne ; la Suède, en le récompensant, se rend également coupable de germanophilie. Car
les détracteurs de Rolland estiment que c’est Au-dessus de la mêlée qui lui vaut le prix Nobel, et non son œuvre
littéraire.

11 C’est en effet par la presse que Rolland apprend qu’il a obtenu le prix Nobel, avant d’en avoir confirmation
officielle par un télégramme du Ministère des Affaires étrangères de Suède.
512 Lettre à Georges Wagnière*, 13 novembre 1916. - Cette lettre sera publiée dans le Journal de Genève du 16

164
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

Maurice de Waleffe, amené à connaître un franc succès dans les milieux hostiles à l’écrivain -

« Les trente deniers de Romain Rolland » :

« Cette année, le prix Nobel ne sera pas de deux cent mille francs, mais de trente

deniers, puisque c'est M. Romain Rolland qui l'obtient. Trente deniers, n’est-ce pas le prix

dont les Pharisiens payèrent l'apôtre qui avait livré son Dieu ? »513

D’autres attaques faisaient de Romain Rolland, en parodiant son nom, un Germain

Ganelon, ou lui faisaient savoir que, s’il acceptait le prix, il n’aurait plus le droit de poser le

pied sur le sol français.514

On comprend donc que Rolland ait envisagé, dès le début, de se défaire du montant

obtenu, en en offrant la somme à diverses œuvres de bienfaisance. Parmi ces œuvres, bien sûr,

la Croix-Rouge internationale, voire, ce qui est plus surprenant, la Croix-Rouge française. En

décembre 1915, une fois la question du prix Nobel écartée, Rolland écrivait en effet à sa

sœur : « ... pour ma part, je n 'y perds rien, puisque j'étais décidé à en donner la totalité à la

Croix-Rouge française et à l'Agence des prisonniers. »515

Lorsque Rolland obtient finalement le prix, en 1916, il choisit d’offrir l’intégralité de

son montant à la Croix-Rouge internationale, ainsi qu’à diverses œuvres de bienfaisance

françaises (fondations hospitalières de sa ville natale316, Orphelins du Livre, etc.). Mais ce

don n’est pas uniquement motivé par le souci de se défendre contre ses adversaires, à en

croire une lettre adressée à un ami : « Naturellement, je ne veux rien garder de la somme :
S 17

trop de misères la réclament. »

Une fois la somme reçue, en juin 1917, Romain Rolland fait don d’un quart du

montant de son prix Nobel - environ 200.000 francs suisses - à la Croix-Rouge

internationale, soit 50.000 francs. Le 25 juin 1917, il écrit au président du Comité

international de la Croix-Rouge, Gustave Ador, afin de lui faire part de ce don. Une copie de

novembre 1916.

513 Maurice de Waleffe, « Les trente deniers de Romain Rolland », dans Paris-Midi, [novembre 1915], D’autres
articles reprendront ce titre : celui d’Alexandre Zévaès dans Le Petit Dauphinois du 16 novembre 1915, ou celui
de Paul Vergnet, un an plus tard, dans La Libre Parole du 10 novembre 1916.
r'14 Le 9 novembre 1915, L'Œuvre de Gustave Téry porte en manchette : « Si Romain Rolland a le prix Nobel
pourra-t-il rentrer en France ? »
515 Lettre à Madeleine Rolland*, 12 décembre 1915.
516 Voir la lettre au maire de Clamecy*, 18 août 1917.
517 ',*i J '
Lettre à Emile Masson*, 17 novembre 1916. - Emile Masson, écrivain français, traducteur de Carlyle,
collaborateur des Cahiers de la Quinzaine.

165
Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale

cette lettre, dont l’original est conservé à la Division des archives du CICR, est présentée en

pièce justificative VI.

Cette lettre est un très bel hommage rendu par Rolland à l’action de la Croix-Rouge

internationale, « la gardienne de l ’esprit de fraternité humaine dans la souffrance


518
universelle » . Le don est fait plus particulièrement en faveur de l’Agence internationale des

Prisonniers de guerre, « cette œuvre sainte qui aura rendu chers dans le monde entier les

noms de la Suisse et de Genève ». Sur la somme offerte, dix mille francs doivent être mis à la

disposition du Dr Ferrière, qui dirige la Section civile de l’Agence, à laquelle Rolland a eu

l'honneur de collaborer.

Rolland reçoit de « très courtoises et aimables lettres de remerciements », d’abord du

Dr Ferrière (28 juin), puis du vice-président du Comité international de la Croix-Rouge,

Édouard Naville (27 juin), enfin du président, Gustave Ador (29 juin). Ce même jour, Ador
prend congé de l’Agence des Prisonniers ; il vient en effet d’être nommé Conseiller fédéral,

chargé du Département politique, et quitte Genève pour Berne.519 Il prend toutefois le temps

de remercier Rolland, par une lettre personnelle, de ce don fait « par un homme dont [il/

admire le caractère et la noblesse des sentiments ».52()

Ce don donne la mesure du désintéressement de Romain Rolland, et de son

attachement à la Croix-Rouge, estime l’auteur d’un article paru dans la Revue internationale

de la Croix-Rouge : « l’ampleur du don, après tant d’autres marques d’affectueux intérêt,

montre à quel point l’homme se sentait solidaire de la cause à laquelle l’écrivain avait offert

les ressources de son prestigieux talent. »521

Toutefois, la collaboration de l’écrivain à l’œuvre accomplie par la Croix-Rouge

internationale ne se limite pas à ces articles du Journal de Genève ou du Clamecycois, ni à ces

dons de droits d’auteur ou d'une partie du prix Nobel de littérature. Rolland, en effet, veut

faire bien plus.

5,8 Se reporter aux pièces justificatives VI.


1 ; JA G, p. 1251- Voir aussi le Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, tome 48, 1917, p. 276.
520 Cité dans Paul-Émile Schazmann, « Romain Rolland collaborateur de l’Agence internationale des prisonniers
de guerre », dans la Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 434, février 1955, p. 140-143, à la p. 143.
R. M., « Romain Rolland et la Croix-Rouge - En marge d’une exposition », dans la Revue internationale de
la Croix-Rouge, n° 434, février 1955, p. 139.

166
Chapitre IV : L’action personnelle engagée par Romain Rolland

« Il se trouve que je ne suis pas inutile à l'œuvre des prisonniers ; mes relations internationales me permettent,

en bien des cas, d’obtenir rapidement des renseignements que les voies officielles sont impuissantes ou trop

lentes àfournir. » - Lettre de Romain Rolland à Louise Cruppi*, 12 novembre 1914.

Romain Rolland veut mettre plus que sa plume au service de la Croix-Rouge

internationale : il voudrait que celle-ci puisse également bénéficier de son vaste ensemble de

correspondants, originaires de tous les pays européens impliqués dans le conflit. Aussi

l’écrivain va-t-il chercher à intéresser ses amis à l’action menée par l’Agence de Genève, afin

de mettre en place son propre réseau d’informations, qui pourrait, peut-être, seconder

efficacement celui - officiel - de la Croix-Rouge.

Ses nombreuses relations européennes vont l’amener, en outre, à entreprendre des

démarches particulières en faveur de plusieurs intellectuels retenus en captivité.

1. Une campagne en faveur des prisonniers civils

L’Agence de Genève ne peut compter sur le soutien des gouvernements

Dès le début de sa collaboration à l’Agence de Genève, Rolland prend conscience de

la situation critique où se trouvent les prisonniers, et rend hommage aux premiers efforts

entrepris par le Comité international de la Croix-Rouge pour venir en aide à ces malheureux.

Mais la Croix-Rouge doit faire face à des difficultés quasi insurmontables, ainsi qu’il

l’explique à Louise Cruppi :

« ... le plus gros obstacle est que, lundis que l'Allemagne fournil 1res exactement les

listes des prisonniers qu'elle a faits, on ne peut obtenir de la France ces listes qu'avec une

extrême lenteur, - car elles ne sont pas régulièrement tenues : or on ne peut arriver à rien,

sans une parfaite réciprocité entre les deux pays. F22

522
Lettre à Louise Cruppi*, 24 septembre 1914.

167
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Le peu d’empressement de certaines autorités officielles - ici, celle de la France - à

établir et à fournir les listes des prisonniers qu’elles détiennent, ne vient pas faciliter la tâche,

déjà peu aisée, de l’Agence. Et Rolland poursuit :

« Si vous savez quelque moyen de perfectionner le service de renseignements français

ou de presser son zèle, vous rendrez service à bien des pauvres familles inquiètes. »523

Cette requête s’explique par le fait que l’amie de Romain Rolland est l’épouse de Jean

Cruppi, avocat à la Cour, sénateur de Haute-Garonne, ancien ministre des Affaires

étrangères ; il semblerait qu’il occupe, au moment de la guerre, un poste diplomatique, à en

croire les nombreux voyages qu’il fait à l’étranger, accompagné parfois de son épouse. Sans

doute Mme Cruppi a-t-elle de nombreuses relations dans les milieux politiques, voire dans

l’actuel gouvernement, et peut-être pourrait-elle leur signaler les difficultés rencontrées par

l’Agence.

Toutefois, le cas le plus alarmant est celui des prisonniers civils, et Rolland a à cœur

de le faire savoir à ses amis, afin de les rendre sensibles à cette situation dramatique. Le

problème est le même que pour les prisonniers militaires : il est bien difficile de réunir les

listes de prisonniers, et la Croix-Rouge, dans cette tâche, ne peut guère compter sur l’appui

des autorités officielles ; tous les efforts accomplis par les collaborateurs de l’Agence (ces

« hommes et femmes de bonne volonté ») viennent donc se heurter à la mauvaise volonté

évidente des gouvernements à soutenir l’action de la Croix-Rouge internationale. Il faut donc

seconder celle-ci dans son action charitable, en faisant appel aux gens de bonne volonté des

deux pays belligérants :

« Les autorités officielles toutes se dérobant, on ne pourrait agir que par l'initiative

privée, - de bonnes gens des deux nations aux prises / .. ./. »524

Aussi, Romain Rolland va essayer de mettre en place son propre réseau

d’informations, en sollicitant l’aide de ses amis, tant en France et en Allemagne qu’en

Autriche et aux Pays-Bas.

La mise en place, à l’échelle européenne, d’un réseau de renseignements privé

C’est pour chercher à remédier au plus vite à la situation catastrophique des civils que

Romain Rolland souhaite faire appel à ses nombreux amis, en France ou à l’étranger : il pense

523 Lettre à Louise Cruppi*, 24 septembre 1914.

168
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

en effet pouvoir, par son propre réseau d’amitiés, acquérir des renseignements que la Croix-

Rouge internationale tarde à obtenir par les voies officielles, inefficaces ou, du moins, trop
lentes.

Le 12 novembre, faisant une nouvelle fois part à Louise Cruppi de son activité au sein

de l’Agence de Genève, il lui précise :

« Je cherche notamment à me faire envoyer les listes d'internés civils en France et en

Allemagne. Si vous pouvez m'en procurer, dans votre région, je vous en remercie
d'avance. »525

Il s’adresse également à des amis allemands, qui acceptent sans hésiter sa proposition

de collaborer à l’œuvre entreprise par l’Agence de Genève.

«A mon appel pour prendre part à l'Œuvre des Prisonniers, mes amis d'Allemagne

répondent avec enthousiasme, f... / Mme Lili du Bois-Reymond m'écrit : « ... Votre lettre m'a

apporté la première joie, depuis que cette guerre existe. L'idée de travailler en commun avec

vous à l'adoucissement de la misère présente me ressuscite... J'ai aussitôt fait des démarches,

et je vous en dirai le résultat dans quelques jours. Pour aujourd'hui, je veux seulement vous

dire : je m'offre à vous avec toute ma force, mon influence, mes ressources pécuniaires, ma

sympathie la plus entière, pour diminuer cette souffrance humaine ; je n'épargnerai aucune

peine... [...] c 'est la seule activité qui me convienne. » »526

Les premiers résultats ne se font pas attendre :

« Mme Lili du Bois-Reymond m'apprend (Potsdam, 27 octobre) le résultat de ses

premières démarches. Elle a vu l'ambassadeur d'Espagne, qui se charge des intérêts des

prisonniers civils, et qui s'offre à communiquer les renseignements, que nous désirerons. Elle

promet de continuer ses démarches au Ministère de l'Intérieur allemand, j... J Pour

l'Angleterre, elle s'est mise en relations avec l'écrivain Jerome K. Jerome, « qui semble être

humain et objectif », et qui promet de veiller sur le sort des civils allemands prisonniers. »527

C’est donc un véritable réseau international qui, peu à peu, de relations en relations, se

met en place.

524 ,
Lettre à Louise Cruppi*, 11 octobre 1914.
525 * • * .
Lettre à Louise Cruppi*, 12 novembre 1914.
JAG, p. 86. - Au sujet de Lili du Bois-Reymond, on peut se reporter à De Jean-Christophe à Colas Breugnon
- Pages du Journal (1912-1913), op. cil., p. 38-39 (d’après la note 1, Cahier XXVII, p. 152).
527 JAG, p. 99.

169
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

De son côté, Romain Rolland a également averti son ami autrichien, Stefan Zweig, de

la « situation particulièrement cruelle » des prisonniers civils :

« Je lui parle de l'Agence des Prisonniers de guerre, et lui suggère l'idée de faire agir

l'initiative privée, pour dresser dans chaque pays la liste des malheureux civils internés et la

communiquer par l'entremise de la Croix-Rouge. Ce serait, à mon sens, un bel emploi de

l'activité des grands intellectuels dans les quatre nations aux prises. >f2X

On retrouve ici la conception de Rolland quant au rôle des intellectuels durant le

conflit : puisqu'ils ne peuvent combattre la guerre, ils doivent s’efforcer du moins d’atténuer,

tant que possible, les misères et les souffrances qu’elle provoque. Et une autre idée lui tient à

cœur - la réciprocité du service qu’il sollicite. Dans la lettre qu’il résume plus haut, il

explique à son destinataire, au sujet de la « grande œuvre humaine » qu’il s’agit de réaliser :

« ... je ne vois pas en quoi elle pourrait contrarier les desseins de nos gouvernements, -

puisque il y aurait toujours dans l'échange de ces renseignements une exacte réciprocité. »529

Cette idée répond autant à ses motivations idéologiques qu’à des considérations plus

pratiques : ainsi qu’il l’explique à Louise Cruppi dans la lettre citée plus haut, « on ne peut

arriver à rien, sans une parfaite réciprocité entre les deux pays. »

Rolland réitère encore sa demande auprès de Stefan Zweig trois jours plus tard, de

façon plus insistante :

«Je vous récris de l'Agence où je travaille. Il faut absolument que vous nous aidiez

dans notre œuvre d'humanité. [...] L'intérêt de tous les pays est, en attendant qu'on arrive à

obtenir l'échange et le rapatriement de ces malheureux, de savoir d'abord où ils sont, de

pouvoir correspondre avec eux, leur envoyer des secours. Pour suppléer à l'action officielle,

(qui est en ce moment débordée, et se limite presque exclusivement aux prisonniers

militaires^), il est nécessaire de recourir à l'initiative individuelle. Pourriez-vous, par vos

connaissances en Autriche et en Allemagne, chercher à établir la liste des prisonniers civils

internés dans ces deux pays ? Je fais faire les mêmes recherches en France, pour les

prisonniers civils allemands. »x'°

Ainsi, aux recherches de Zweig en faveur des prisonniers français, répondraient les

recherches de Rolland en faveur des prisonniers allemands.

528 JAG, p. 78. - La lettre dont il est question est la lettre à Stefan Zweig* du 10 octobre 1914.
529 Lettre à Stefan Zweig*, 10 octobre 1914.
530 Lettre à Stefan Zweig*, 13 octobre 1914.

170
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Stefan Zweig va suivre avec intérêt faction menée par la Croix-Rouge internationale,

en organisant notamment, à Vienne, un Comité de renseignements pour les prisonniers civils ;

il peut bientôt assurer à Rolland, dans une lettre du 19 octobre, que ceux-ci sont fort peu

nombreux, jusqu’alors, en Autriche, et que la plupart peuvent y circuler librement.x31

Plus tard, à l’occasion d’un séjour en Suisse, il visitera l’Agence des Prisonniers, et

donnera un compte-rendu de cette visite dans un journal viennois, la Neue Freie Presse du 23

décembre 1917, sous le titre « Das Herz Europas - Ein Besuch im Genfer Roten Kreuz » ; une

traduction française paraîtra en 1918, aux éditions du Carmel : Le Cœur de l'Europe - Une

visite à la Croix-Rouge internationale de Genève. Des extraits de l’article original, ainsi que

la couverture de la brochure du Carmel, sont présentés en annexes 20 et 21. On voit que cette

brochure, à l’instar de la brochure éditée par Amédée Dunois, contenant Au-dessus de la

mêlée et Inter arma caritas, est vendue au profit de l’Agence des Prisonniers de la Croix-

Rouge. Il est également donné, en annexe 22, un extrait de la traduction française, où est

mentionnée la collaboration de Romain Rolland.

« Il y avait une autre place encore à cette table de bois étroite et à peine rabotée. On

me la désigna avec un certain respect. C'est ici que Romain Rolland s'est assis durant deux

années, jour après jour, travailleur volontaire au service de l'échange des prisonniers franco-
SI 7
allemands. ... » '

Par ailleurs, Rolland a aussi fait appel à l’écrivain néerlandais Frederik van Eeden.

Celui-ci lui répond, le 21 octobre, qu’il fera tout pour l’assister dans l’œuvre des prisonniers

civils. Lui-même a écrit à son ami, Walther Rathenauf33

L’initiative prise par Rolland - faire appel à l’action charitable privée - trouve donc de

nombreux échos, dans tous les milieux intellectuels européens auxquels il s’adresse. Les

personnes contactées entreprennent des démarches en faveur des prisonniers civils, et

contactent elles-mêmes d’autres personnes. Dès le mois d’octobre, Rolland est parvenu à

mettre en place, pour seconder l’Agence de Genève, une sorte d’« Internationale » des

intellectuels, au service de la Croix-Rouge. Il peut bien s’en féliciter, dans Inter arma caritas :

531 JAG, p. 92.


532 Stefan Zweig, Le Cœur de l'Europe Une visite à la Croix-Rouge internationale de Genève, Genève-Paris :
Ed. du Carmel, 1918, p. 22. — Cf. annexe 22. L’annexe 20 présente le même extrait, en langue originale.
533 JAG, p. 94.

171
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

« En pareil cas, comme en bien d'autres, il y a plus à attendre du zèle charitable des

particuliers que de celui des gouvernements. Les amis auxquels nous nous sommes adressés

en Allemagne, en Autriche, comme en L'rance, nous ont répondu avec empressement, tous

montrant le désir généreux de concourir à notre œuvre. [...] Ah ! comme on se sent tout

proches, amis, ennemis, tous unis, - devant la souffrance commune, que tous les bras

humains ne seraient pas trop pour écarter ! »534

« Les amitiés socialistes »

Le 22 octobre, Rolland reçoit la visite de deux députés socialistes, Jean Longuet et

Pierre Renaudel, qui lui sont amenés par Edgar Milhaud, professeur à l’Université de Genève,

lui aussi membre du parti socialiste français. L’écrivain profite de l’entretien pour intéresser

ses visiteurs à l’œuvre des prisonniers civils, qui lui promettent d’obtenir de Malvy, le

ministre de l’Intérieur, des listes d’internés.535

Ce ne sera pas Malvy, pourtant, qui leur fournira ces listes ; Renaudel et Longuet vont

plutôt mettre en œuvre le réseau socialiste, ce qui va leur permettre d’obtenir bien plus

rapidement les renseignements souhaités. Le 12 novembre déjà, Rolland reçoit un paquet qui

lui est adressé par la Commission d’action du parti socialiste français.

« À la suite de la visite que m'ont faite Longuet et Renaudel, et de ce que je leur avais

demandé pour les prisonniers civils, ils ont, avec un bel empressement, écrit à tous les maires

des communes françaises où je leur signalais des lieux d'internement, afin de réclamer les

listes de prisonniers. Ils ont reçu déjà et m'envoient celles de deux ou trois pays : Moulins,

Elers (Orne), etc. et me promettent la suite. Ainsi, ce que la Croix-Rouge Internationale

n 'avait pu obtenir par les voies officielles, je l'ai eu, du premier coup, par les amitiés

socialistes. »536

Rolland fait part avec fierté du résultat obtenu. Sans être lui-même membre du parti

socialiste, il bénéficie toutefois de son soutien - un soutien précieux. Car la démarche

entreprise par les deux députés a permis d’obtenir, et rapidement, des renseignements que la

Croix-Rouge internationale était impuissante à obtenir par ses propres moyens, c’est-à-dire

par l’intermédiaire des voies officielles. Rolland peut donc doublement se réjouir : d’abord,

534 Voir la pièce justificative IV.


535 JAG, p. 88. - Renaudel, qui dirige alors L'Humanité, est partisan, avec la majorité des socialistes, de la
politique d’Union Sacrée ; Longuet, gendre de Marx, fera partie de la branche minoritaire du parti, favorable à
une paix blanche.
’3<’ Lettre à sa mère, 12 novembre 1914, Cahier XX, p. 16-17.

172
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

ces premiers résultats lui prouvent qu’il est véritablement utile au sein de l’Agence, et qu’il

n’a pas à se reprocher son séjour à Genève ; ensuite - surtout - , l’influence dont il dispose,

qu’il tenait à mettre au service du Comité international, vient seconder, et avec efficacité, les

efforts de celui-ci, en faveur des internés civils. Car c’est pour eux que Rolland agit, et les

premiers résultats sont prometteurs :

« Et cela peut avoir une assez grande importance pour nos civils internés en

Allemagne. Car lorsque nous aurons les listes de France assez complètes, nous piquerons

l'amour-propre allemand, en lui annonçant que la France a pris les devants, en générosité

(jusque-là, nous gardons les listes, nous ne les communiquons pas à l'Allemagne) ; je suis

certain qu 'ils voudront alors faire aussi bien, ou mieux, et que nous saurons enfin où sont ces

milliers de pauvres gens d'Amiens, Douai, Valenciennes, etc. »537

La CGT a également pris part aux recherches effectuées par le parti socialiste. Et le 17

novembre, Rolland écrit à sa mère : « La C.G.T. continue de chercher à dresser les listes de

prisonniers civils allemands en France, et elle réussit à m'en envoyer quelques-unes, pour

l'Agence. »538

L’idée de Romain Rolland - mettre au service de l’Agence ses relations dans les

milieux intellectuels européens, ainsi que dans les milieux socialistes - permet donc d’obtenir

des résultats bien concrets. Mais il ne se limite pas à cette action menée en faveur des civils,

bien que ce soit dans ce service qu’il s’emploie, à l’Agence : il cherche aussi à faire connaître

à ses correspondants le sort des prisonniers militaires, et entreprend quelques démarches en

faveur du personnel sanitaire français retenu en captivité.

2. Quelques démarches en faveur d’autres prisonniers

Faire connaître les rapports de missions de la Croix-Rouge internationale

Il a été montré plus haut, dans le premier chapitre de cette seconde partie, que Romain

Rolland suivait avec beaucoup d’intérêt les missions des délégués de la Croix-Rouge, dont il

lisait, chez le D' Ferrière, les comptes-rendus. Il a également l’occasion de rencontrer,

toujours chez le Dr Ferrière, un de ces délégués, qui lui fait une très bonne impression.

517 , »

Lettre à sa mère, 12 novembre 1914, ibid., p. 16-17.

173
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

«J'ai entendu hier une conférence qui m'a intéressé f ... J : du lieutenant-colonel

suisse de Marval, qui vient de visiter, comme délégué de la + rouge, les camps de prisonniers

allemands en France, Corse, Algérie et Tunisie. [...]

J'ai dîné, le soir, avec A4, de Marval chez le docteur Ferrière [...]. J'ai eu plaisir à

connaître cet homme, qui est vraiment fort intelligent, et d'une vitalité, d'un entrain et d'une

décision, qui ont dû être précieux dans la tâche dont on l'a chargé. >f39

Il ressort de la conférence du délégué suisse que les conditions de vie des prisonniers

militaires, dans les camps visités, sont loin d’être aussi lamentables qu’on pourrait le craindre.

« A part quelques exceptions isolées, - des brutes (des médecins militaires surtout, un

ou deux qui sont des misérables), - exceptions qui ont été impitoyablement châtiées par le

gouvernement, dès qu 'il a eu connaissance du rapport de M. de Marval, l'ensemble montre

chez tous les chefs une bonne volonté évidente et un esprit d'humanité, parfois même des

relations pleines de bonhomie entre eux et les prisonniers. »54()

Or, la presse allemande ou autrichienne ne cesse de répandre des témoignages très

négatifs sur le sort des prisonniers allemands retenus en France : il faudrait donc faire savoir

qu’il ne s’agit là que d’exemples isolés, et que, dans l’ensemble, les prisonniers n’ont pas trop

à souffrir des conditions matérielles de leur captivité. Aussi, Rolland va s’adresser aussitôt à

son ami autrichien, Stefan Zweig. Après lui avoir parlé de la conférence du délégué de la

Croix-Rouge, il poursuit :

« Je souhaiterais beaucoup que M. de Marval pût refaire cette conférence en

Allemagne et en Autriche. Je crois qu'elle contribuerait largement à apaiser les esprits. Four

moi, elle m'a été un soulagement. Il m'a apporté la preuve irréfutable de la bonne volonté de

toutes les autorités civiles et militaires à l'égard des prisonniers, et de leurs relations

humaines souvent pleines de bonhomie familière, avec eux. »>l 1

Le même jour, Rolland écrit aussi à Albert Einstein, et va profiter de cette occasion

pour faire connaître au physicien allemand le résultat des missions de la Croix-Rouge.

Einstein s’est adressé à lui quelques jours plus tôt, afin de lui exprimer son « admiration sans

mélange » pour l’attitude qu’il a eu le courage d’adopter, et de lui partager son

53X Lettre à sa mère*, 17 novembre 1914.


539 Lettre à sa mère, 28 mars 1915, Cahier XX, p. 136-137.
540 Lettre à sa mère, 28 mars 1915, ihid., p. 136.
511 Lettre à Stefan Zweig*, 28 mars 1915.

174
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

incompréhension face à l’aveuglement de tant d’autres intellectuels ; il termine sa lettre en se

mettant à la disposition de l’écrivain français: «Je mets à votre disposition mes faibles

forces, pour le cas où vous penseriez que je puis vous servir d'instrument soit par ma

situation, soit par mes relations avec les membres allemands et étrangers des sciences
, 542
exactes. »

Rolland répond à Einstein que la guerre aura été effectivement une rude leçon pour les

écrivains, penseurs et savants de l’Europe, et qu’ils auraient dû pouvoir empêcher qu’elle ne

les prenne au dépourvu ; il ajoute, en post-scriptum :

« Je crois qu 'une de nos tâches les plus efficaces doit être de répandre les documents

qui peuvent s'opposer à l'esprit de haine. - Dans ce sens, je me permets d'attirer votre

attention sur le rapport (qui va être publié543) du lieutenant-colonel suisse de Marval, délégué

de la Croix-Rouge internationale, sur les camps de prisonniers allemands, qu'il vient de

visiter en France, en Corse, en Algérie et en Tunisie . J'ai entendu hier une conférence de lui

(avec projections), et j'aurais voulu que beaucoup d'Allemands puissent l'entendre aussi. Il

serait très bien que M. de Marval refit sa conférence en plusieurs villes d'Allemagne. Son

témoignage ne saurait être suspect : car un de ses frères est officier dans l'armée

allemande. »544

Romain Rolland ne se limite donc pas, dans sa correspondance privée, à mentionner

l’activité interne de l’Agence de Genève : il cherche également à faire connaître d’autres

actions de la Croix-Rouge internationale, comme les visites de camps de prisonniers par ses

délégués. Ces rapports de missions, qui permettent de mieux connaître les conditions de

captivité des prisonniers, peuvent en effet contribuer à empêcher la propagation de

témoignages mensongers.

De nouvelles démarches, en faveur du service sanitaire français

Vers le milieu de l’année 1915, Romain Rolland aide le D1 Ferrière à obtenir le

rapatriement de membres du service sanitaire français, retenus prisonniers en Allemagne

depuis le commencement de la guerre, contre la convention de Genève. Les efforts personnels

542 Lettre d’Albert Einstein à Romain Rolland*, 22 mars 1915.


543 Voir, dans la collection des Documents publiés à l'occasion de la guerre européenne (1914-1915), Genève :
CICR, les Rapports de MM C. de Marval (3e et 4e voyages), A. Eugster (2e voyage) sur leurs visites aux camps de
prisonniers en France et en Allemagne, 2° série, mai 1915.
544 Lettre à Albert Einstein, 28 mars 1915, Cahier XVII, p. 136.

175
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

de Rolland viennent se joindre aux démarches officielles du Comité international de la Croix-

Rouge : Rolland, une nouvelle fois, alerte ses amis allemands, Mme du Bois-Reymond, Mme

von Mendelssohn, Grautoff, etc. Les démarches aboutissent :

« Après des mois d'instances de la part de notre Croix-Rouge Internationale (ou plus

exactement du If Ferrière, et un peu de moi-même), le gouvernement allemand se décide à

rapatrier 3100 sanitaires français et 300 médecins français /... /. »M:>

D’autre part, Rolland va être lui-même sollicité : il est notamment chargé de retrouver

la trace de plusieurs intellectuels portés disparus, par des amis de ces derniers.

3. Quelques démarches particulières

Dès le début, Rolland s’est attaché à signaler à tous ses correspondants sa présence à

l’Agence, afin qu’ils puissent, en cas de besoin, s’adresser à lui. Dans une lettre à Louis Gillet

déjà citée, il écrivait : « ... je travaille à /'Agence internationale des prisonniers de guerre

[...]. A l'occasion, n'oubliez pas qu'elle existe, et que j'y suis. Adresse: Palais Eynard,

Genève. »Mr> Avec Stefan Zweig, lors de la première mention de son travail à l’Agence, il

termine sa lettre par cette précision : « L'adresse de l'Agence internationale des Prisonniers

de guerre est au Musée Rath, Genève. »M7 Au romancier nivemais Henri Bachelin, qui lui

demande s’il est vrai qu’une fois prisonnier on ne peut donner de ses nouvelles qu’après

cinquante jours, il répond : « En tout cas, la première chose à faire, si cette aventure vous

arrivait, devrait être de m'écrire, a l'Agence, (Musée Rath). »54X Et il écrit encore, à Mme

Louis Gillet : « Si je puis vous rendre quelque service, à l'Agence internationale des

prisonniers de guerre, usez de moi, je vous prie. »549

545 JAG, p. 436. - Voir aussi JAG, p. 384.


546 Cahier II, p. 295.
547 Lettre à Stefan Zweig*, 10 octobre 1914.
54X Lettre de Romain Rolland à Henri Bachelin, 17 décembre 1914, dans Henri Bachelin, Correspondances avec
André Gide et Romain Rolland, Brest : Centre d’études des correspondances - CNRS - Faculté des lettres, 1994,
p. 218.
49 Cahier II, p. 302.

176
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Les recherches confiées à Romain Rolland

Aussi, de nombreuses personnes vont s’adresser à lui, depuis des membres de sa

famille jusqu’à des connaissances plus lointaines. Son oncle Maxime Courot lui envoie des

demandes de renseignements pour des gens de son village, son oncle Edmond Courot le prie

de faire des recherches pour le parent d’un ami, un collègue de son père lui envoie des lettres

à transmettre à son fils prisonnier.550 Le consul général de Suède à Genève lui demande de

faire des recherches au sujet d’André Pirro, professeur d’histoire de la musique à la

Sorbonne.551 Le 9 octobre 1915, c’est Roger Martin du Gard qui fait appel à lui, au sujet du

capitaine Jacques Margaritis, porté disparu le 25 septembre : « Vous qui êtes à la source de

ces renseignements, peut-etre pourrez-vous savoir quelque chose ? » Et l’on pourrait

multiplier les exemples...

Dans la plupart des cas, Rolland ne peut pas grand chose. Lorsqu’il s’agit de retrouver

un soldat porté disparu, il ne peut guère que remplir la fiche de demande, et consulter

régulièrement le fichier, à chaque réception à l’Agence de nouvelles listes de prisonniers, afin

de voir si l’on est parvenu à retrouver sa trace. C’est le cas pour le fils de Louise Cruppi, porté

disparu vers le 17 novembre ; à son amie qui le prie de bien vouloir effectuer des recherches à

son sujet, il répond :

« J'ai reçu votre lettre hier. J'ai fait aussitôt la fiche, et chargé deux services

différents de poursuivre activement les recherches. Malheureusement, il faut encore un peu de

temps avant que les premières listes n arrivent, envoyées par l’Allemagne. Tout ce qu’on

pourra faire, on le fera. J ’y veillerai, je vous promets. »553

Très touché par la disparition qui affecte son amie, il va prendre particulièrement à

cœur cette recherche, et suivre de plus près le cas de Jean Cruppi : « J’ai fait toutes les

démarches nécessaires, et j’aurai soin de réveiller l’attention, de jour en jour. »554 Pour cela,

il va faire une recommandation particulière auprès d’un chef de service : « Je fais, tous les

huit jours, reviser de nouveau les listes reçues, pour y chercher votre cher disparu.

Lettre à sa mère*, 2 mars 1915 ; Cahier XX, p. 85 ; ibid., p. 21.


551 JAG, p. 87.
552 Roger Martin du Gard, Correspondance générale, Paris: Gallimard, 1980. Tome II (1914-1918), p. 85. -
Jacques Margaritis était le frère de Pierre Margaritis, l’un des plus proches amis de Martin du Gard.
553 Lettre à Louise Cruppi*, 24 novembre 1914.
554 Lettre à Louise Cruppi*, 30 novembre 1914.

177
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

D 'ailleurs, une amie de ma sœur, Mlle Blanche Hentsch, qui est préposée à ce service, s'en

occupe très diligemment et me préviendrait aussitôt qu 'elle trouverait quelque chose. »555

En revanche, quand il s’agit de personnes que l’on sait prisonnières, et dont le lieu

d’incarcération est connu, les démarches sont plus aisées : Rolland peut faire intervenir le Dr

Ferrière et, une fois de plus, ses relations.

« Mme Dr Hegglin m'a écrit, pour me recommander le malheureux Dr Studein [...]. Il

est de Trieste, par conséquent de nationalité autrichienne, bien que de cœur passionnément

italien. Il pratique à Tunis. Il y a été arrêté, au commencement d'août, et transféré à la

maison de prison militaire à Lambèse, près Batna, où il languit depuis six mois, suppliant

vainement qu 'on l'emploie dans une ambulance française. [... / J'ai fait télégraphier par le If

Ferrière au commandant du dépôt de Lambèse ; et j'ai écrit à Gabriel Alapetite. »556

Le cas de Max Dauthendey : un échec

Cependant, Romain Rolland ne parvient pas toujours à obtenir les résultats qu’il

souhaite. Les démarches qu’il entreprend pour le poète allemand Max Dauthendey, par

exemple, se soldent par un échec.

Dauthendey, grand voyageur, a été surpris par la guerre alors qu’il se trouvait en

Nouvelle-Guinée ; pour échapper aux Anglais, il est passé aux Indes néerlandaises, à Sumatra,

puis à Java. Il a alors 48 ans, et est très malade ; il souhaite rentrer en Allemagne, mais ne le

peut sans un sauf-conduit de la France ou de l’Angleterre.

« Wilhelm Herzog (Munich, 14 juillet f!915]) me signale le cas du poète allemand

Max Dauthendey [...]. Sa femme, qui est suédoise, prie Herzog de m'écrire. Je fais des

démarches, sans trop d'espoir, auprès de la Croix-Rouge internationale et de lady Courtney

ofPenwith. »5r)1

2,55 Lettre à Louise Cruppi*, 21 décembre 1914.


556 Lettre à sa mère*, 27 février 1915. - Gabriel Alapetite, compatriote clamecycois de Rolland, était résident
général en Tunisie.
JAG, p. 451. - Wilhelm Herzog dirige à Munich la revue mensuelle Das Forum, revue qui se veut réagir
contre le délire des esprits et la folie environnante. Herzog va notamment y publier plusieurs traductions
d’articles de Rolland.

178
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

La comtesse Courtney of Penwith est l’une des fondatrices d’une œuvre de

bienfaisance londonienne, Y Emergency Committee for the Assistance of Germons, Austrians

and Hungarians in Distress.558 Sa réponse à la demande de Rolland d’intervenir en faveur de

Max Dauthendey ne se fait pas attendre ; dès le 3 août, elle lui fait savoir qu’elle a entrepris

quelques démarches, mais qu’elle est très peu sûre de réussir : « Le ministre des Affaires

étrangères a dit à lord Courtney que la question dépendait du Ministère de la Guerre et de la

Marine, et qu 'il était fort douteux que le poète obtînt un traitement de faveur. Néanmoins, le

ministre des Affaires étrangères appuiera la requête. >f5<)

La démarche, en effet, n’aboutira pas. Le 20 août, Rolland écrit à sa sœur: «Je

t'envoie une nouvelle lettre de lady Courtney à traduire. Je vois qu 'elle n 'a pas réussi. »56() Et

la réponse de Madeleine vient malheureusement confirmer cela :

« Lady Courtney te dit en effet qu 'à son grand regret elle n 'a pu obtenir de sauf

conduit pour le poète de Java, tout dépendant de l'autorité militaire, et les poètes allemands

ayant une fort mauvaise presse depuis l'hymne à la haine. Elle termine en disant qu'elle te

souhaite de mieux réussir auprès de ton propre gouvernement, et envoie ses compliments à

son correspondant inconnu et pourtant si bien connu. »561

Mais les démarches de Rolland échouent également : le rapatriement de Dauthendey

s’avère impossible, et celui-ci va mourir à Malang, sur l’île de Java, le 4 septembre 1918.

Dans son Journal, l’écrivain note avec amertume : « Mort du pauvre Max Dauthendey, dont

je m'étais vainement occupé. On l'a laissé périr de nostalgie a Java, sans lui permettre

(l'inoffensif artiste !) de venir, depuis quatre ans, retrouver son pays, sa femme et les
562
siens. »

D’autres démarches, heureusement, s’avèrent plus positives. C’est le cas pour Jacques

Rivière et Julius Meier-Graefe. Pour ces deux prisonniers - un Français, un Allemand - ,

Rolland va solliciter le concours de personnes qu’il connaît, dans les pays où les deux

hommes sont détenus, ainsi qu’il l’avait fait en faveur des prisonniers civils. En outre,

558 Le Comité d’assistance aux Allemands, Autrichiens et Hongrois dans le besoin. - Voir à ce sujet l’article de
Rolland, Notre prochain, l’ennemi, fans L’Esprit libre, op. cil., p. 143-144.
JAG, p. 467. - Voir aussi la lettre à Madeleine Rolland*, du 7 août [1915]; c’est Madeleine, agrégée
d'anglais, qui a l'habitude de traduire pour son frère les lettres reçues de correspondants anglophones.
’6<> Lettre à Madeleine Rolland*, 20 août 1915.
561 Lettre de Madeleine à Romain Rolland*, 21 août 1915.
562 JAG, p. 1596. - Voir également une lettre que Rolland adresse à Vildrac*, le 24 mai 1929, au sujet d’une
exposition d’aquarelles réalisées par Dauthendey à Java, que son épouse a l’intention d’organiser.

179
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Rolland va également chercher à mettre en œuvre, dans le cadre de ces deux recherches, un

principe de réciprocité. Car là est l’idée fondamentale de Rolland : s’il entreprend des

démarches en faveur d’un prisonnier français, il s’engage dans le même temps à entreprendre

des démarches en faveur d’un prisonnier allemand ; et vice versa.

Jacques Rivière

Ayant appris que Romain Rolland travaille à l’Agence des Prisonniers de guerre,

Jacques Copeau, un des fondateurs de La Nouvelle Revue française, lui écrit pour lui

demander de bien vouloir rechercher son ami Jacques Rivière563 :

« Cher Monsieur, en lisant que vous étiez attaché à l'Agence Internationale des

prisonniers de guerre, j'ai poussé un cri de joie. Vous allez donc pouvoir m'aider ! Mon jeune

ami Jacques Rivière, secrétaire de La Nouvelle Revue Française, a disparu. Voici les

renseignements : Jacques Rivière. Sergent. 220e Infanterie de Réserve - 2(f Compagnie, 2e

Section A dû être fait prisonnier le 24 août, vers 5 heures, à Eton (6 kilomètres d'Étain) à la

bataille d'Etain. Un caporal blessé de son régiment, rencontré par Mme Rivière à Bordeaux,

affirme que 450 prisonniers du 22(f sont internés à Stuttgart. C'est donc là qu'il faudrait

jàire porter les premières recherches. Si Rivière n 'est pas à Stuttgart, tâchez d'avoir une piste

par ses camarades prisonniers. »564

Cet exemple est particulièrement représentatif des lettres reçues quotidiennement par

l’Agence de Genève - bien qu’il s’agisse ici d’une sorte de modèle du genre. Les

renseignements sont en effet très précis : nom et prénom du soldat, grade, unité à laquelle il

appartient, date et lieu supposés de la capture. Il est même fournie une première piste,

recueillie par Isabelle Rivière elle-même : d’après un soldat du même régiment, les

prisonniers auraient été emmenés à Stuttgart. Ce renseignement supplémentaire fait état, par

ailleurs, de l'inquiétude et de l’angoisse des personnes restées sans nouvelles de leurs proches

disparus. Isabelle Rivière - comme beaucoup d’autres - cherche par tous les moyens à

retrouver la trace de son mari, en allant pour cela rencontrer des camarades de régiment, afin

d’en obtenir quelques renseignements, aussi minimes soient-ils. Cela n’est d’ailleurs pas sans

M’3 Concernant les rapports de Romain Rolland avec le milieu de La Nouvelle Revue française, on peut consulter
le Cahier Romain Rolland n° 27, présenté et annoté par Bernard Duchâtelet ; voir notamment l’introduction.
Pour la correspondance échangée entre Jacques Copeau et Romain Rolland, depuis la déclaration de guerre
jusqu’à leur brouille en novembre 1915, se reporter aux p. 132-174. On y remarque que Copeau signale à
Rolland de très nombreux cas d’amis ou connaissances portés disparus : on se limitera ici au cas de Jacques
Rivière et, plus loin, à celui d’Alain-Fournier.

180
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

danger, car bien souvent ces renseignements n’ont que peu de valeur (chaque camarade

donnant un autre témoignage), et ne font alors qu’entretenir de faux espoirs.

Le 16 octobre, Rolland répond à Copeau qu’il a fait les démarches nécessaires, et il en

profite pour essayer de le rassurer : si son ami est réellement à Stuttgart, il n’aura pas trop à

souffrir, car les prisonniers français sont en général assez bien traités dans l’Allemagne du

Sud.365 Une fois les premières démarches faites au sein de l’Agence, Rolland va à présent
essayer d’obtenir quelques renseignements par une voie moins officielle, celle de ses relations

à l’étranger. Le 18 octobre, il s'adresse pour cela à un écrivain allemand, de Munich, Karl

Wolfskehl ; il ne partage pas, d’ailleurs, ses idées, par trop belliqueuses, mais il estime que,

justement, soutenir l'action de la Croix-Rouge internationale pourrait représenter le dernier

espoir d’entente entre les belligérants.

« Laissons ces sujets /dont l'avait entretenu l'écrivain allemand dans sa dernière

lettreJ sur lesquels il n'est pas d'entente possible entre nous, et cherchons, Monsieur

Wolfskehl, un autre terrain d'union. - Un jeune écrivain français, Jacques Rivière, secrétaire

de la Nouvelle Revue française, a été fait prisonnier, probablement le 24 août, à la bataille

d'Etain (Meuse), et l'on croit qu'il est interné à Stuttgart. Pourriez-vous, par vos

connaissances, vous informer s'il s y trouve en effet, et dans quel état ? [... j - Et si, de votre

côté, vous recherchez un des vôtres, dites-le moi : nous ferons tout le possible, pour le
. 566
retrouver. »

On voit ici que Rolland tient à ce que le service que pourrait lui rendre son destinataire

soit réciproque. Wolfskehl a d’ailleurs répondu avec enthousiasme à la demande de Rolland,

ainsi que celui-ci le fait savoir à André Gide, qui a joint, le 20 octobre, sa requête à celle de

Copeau :

« Je ferai tout pour tâcher de retrouver Jacques Rivière [... J. [À son sujet], je m'aide

(en dehors de la Croix-Rouge) de relations personnelles. Et voici le mot que j'ai reçu, ce

matin, d'un des jeunes intellectuels allemands les plus mégalomanes, avec qui j'essaie de

discuter: «Ce que vous m'écrivez de Jacques Rivière m'émeut profondément. Je dois

beaucoup à La Nouvelle Revue française, et tout ce qui concerne ceux qui en font partie me

touche aussi de près. J'ai pleuré avec vous, avec beaucoup de mes amis, la mort de Charles

564 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 7 octobre 1914, Cahier XXVII, p. 135.
565 Ibid., p. 139.
566 Lettre de Romain Rolland à Karl Wolfskehl*, 18 octobre 1914.

181
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Péguy.567 Merci de vous adresser à moi pour une tâche de ce genre. J'ai beaucoup d'amis à
Stuttgart, et ils m'aideront à retrouver Rivière, s'il est dans la région. » »568

Une fois de plus, Rolland peut donc se féliciter de Faction entreprise, qui lui fait

espérer que toute entente n’est pas impossible entre la France et l’Allemagne - entre les

intellectuels des deux nations, du moins.

Toutefois, le cas de Jacques Rivière est particulièrement délicat. Isabelle Rivière, de

son côté, a mené de nouvelles recherches. Elle rencontre Paul Claudel, qui est alors employé

au Ministère de la Guerre, à Bordeaux569, et qui, vraisemblablement, lui donne accès à des

listes de prisonniers qui viennent de parvenir, où figurent les noms de soldats de la 20e

Compagnie du 220e . Elle y trouve trace d’un certain Jean Rivière, qui pourrait être son mari,

dont le prénom complet est Jean-Jacques. Elle fait part de cette nouvelle piste, qui semble

sérieuse, à Jacques Copeau, qui en avertit Rolland ; il joint une lettre adressée à ce Jean

Rivière qui, blessé, se trouve dans un lazaret, à Xivry Circourt, à la frontière lorraine, pensant

que Rolland pourrait faire parvenir cette lettre de façon plus rapide et plus sûre.570

Cette précaution n’est pas inutile. Il est en effet très difficile de correspondre avec

ceux qui se trouvent sur le théâtre des hostilités, dans la zone frontière, mais Rolland va tâcher

de faire passer la lettre. D’autre part, il écrit, une nouvelle fois, à Lili du Bois-Reymond, son

amie de Berlin, qui a des relations avec le haut personnel sanitaire, pour la prier de bien

vouloir faire prendre des informations au sujet de ce Jean Rivière.571

Mais entre-temps, Jacques Copeau a obtenu de nouvelles informations. Isabelle

Rivière a en effet reçu une lettre de son mari, datant du 27 août, trois jours après sa

disparition : Jacques Rivière est retenu prisonnier au camp de Koenigsbrück, en Saxe. Copeau

en informe aussitôt Rolland, sa lettre se croisant sans doute avec celle que Rolland lui envoie

le 30 octobre.572

Cependant, Rolland a obtenu, lui, des renseignements plus neufs, au sujet de la

première piste que lui a fourni Copeau :

M’7 On sait que celui-ci a été tué au cours de la bataille de la Marne, à Villeroy, le 5 septembre 1914.
^ Lettre de Romain Rolland à André Gide, 26 octobre 1914, Cahier XXVII, p. 147. - Voir aussi JAG, p. 94.
569 Le gouvernement français s’est transporté à Bordeaux dés le 2 septembre 1914.
570 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 21 octobre 1914, Cahier XXVII, p. 145-146.
’71 Lettre de Romain Rolland à Jacques Copeau, 30 octobre 1914, ihid, p. 151-152. - Le texte de la lettre que
Rolland adresse à Lili du Bois-Reymond, le jour même, 30 octobre, est donné dans la note 1, p. 152.
’72 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 27 octobre 1914, ihid., p. 150.

182
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

« En même temps que votre lettre m’arrive une lettre d’Allemagne du 29 octobre

m'annonçant que Jacques Rivière est, en ce moment, à Stuttgart (et non à Kônigsbrück) et

que selon toutes les probabilités, il est en bonne santé. Vous pouvez lui écrire directement,

(ou, par notre entremise ce qui est encore plus sûr, mais non pas indispensable), à l’adresse

suivante :

Herrn Jacques Rivière, sergéant im 220. Reserve-Infanterie régiment. 20. Komp. 2.

Sektion, Kriegsgefangener, im Gefangenendepôt II, in Stuttgart-Berg. »573

Cette piste paraît plus sérieuse que la piste du Jean Rivière du lazaret de Xivry

Circourt, qui lui n’était que soldat. Ici, tous les renseignements concordent avec la situation

du jeune secrétaire de La NRF. Aussi, Rolland n’hésite pas à envoyer également une dépêche,

afin d’avertir Copeau de manière plus rapide : « Rivière actuellement Stuttgart Berg deuxième

dépôt de prisonniers ».574

Copeau transmet aussitôt ce renseignement à Isabelle Rivière. Il estime que, bien

qu’en contradiction avec de nouvelles lettres reçues par celle-ci, venant toujours de

Koenigsbrück, il est à prendre en compte en priorité, car il s’agit d’un renseignement plus

récent et plus certain.575

Rolland, quant à lui, n’a pas oublié que ce renseignement lui a été fourni par l’écrivain

allemand dont il a sollicité l’aide, Karl Wolfskehl, et il tient à ce que les efforts entrepris par

celui-ci, sur sa demande, soient payés en retour. Le 2 novembre, après avoir donné à Copeau

l’adresse présumée de Jacques Rivière à Stuttgart, il lui fait part de la requête qui lui a été

adressée :

« L'ami allemand de La Nouvelle Revue française, qui m ’a transmis très

obligeamment ce renseignement, s’informe en revanche de la santé d'un ami qui lui est très

cher, un jeune peintre allemand, interné à Châteauroux, au commencement de la guerre.

Voici son adresse :

573 Lettre de Romain Rolland à Jacques Copeau, 2 novembre 1914, ibid., p. 152-153.
74 Dépêche de Romain Rolland à Jacques Copeau, [3 novembre 1914], ibid., p. 154.
375 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 4 novembre 1914, après réception de la dépêche, ibid., p. 154-
155. - La captivité de Jacques Rivière en Allemagne, et son internement en Suisse en 1917, sont très bien
connus, grâce notamment à son propre témoignage : Jacques Rivière, L 'Allemand Souvenirs et réflexions d'un
prisonnier de guerre, Paris : Éd. de la NRF, 1918, ainsi que ses Carnets (1914-1917), Paris : Fayard, 1974, et sa
correspondance (« Correspondance de Jacques et Isabelle Rivière (1914-1917) », dans le Bulletin des Amis de
Jacques Rivière et d'Alain-Fournier, n° 51, 1989). Voir également Hommage à Jacques Rivière, dans La NRF,
n° 139, avril 1925, p. 313-316 et p. 387-391, et «Jacques Rivière et ses amitiés suisses», dans la revue
lausannoise Etudes de Lettres, numéro d’octobre-décembre 1976; ce numéro présente plusieurs documents,
reproduits en fac-similé, concernant la captivité de Rivière : fiche de recherche, fiche de situation et fiche de
rapatriement, établies par l’Agence des Prisonniers de guerre de Genève.

183
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Max Pretzfelder, Châteauroux, Campement des étrangers

Rainer Maria Rilke est aussi l'ami de Pretzfelder. Si vous pouviez par vos amis, avoir

quelques renseignements sur lui et me les communiquer, ce serait de bonne réciprocité, et

cela encouragerait nos correspondants allemands à nous aider dans nos recherches, >f76

Le 5 novembre, venant de recevoir la lettre de Rolland, Copeau lui répond :

« Je vais de mon côté faire tout ce qu 'il me sera possible pour avoir des nouvelles de

Max Pretzfelder. Je suis tout à fait avec vous pour tâcher d'adoucir, autant que cela nous est

permis, les conditions de cette guerre. »'77

L’intention de Rolland - chercher à rapprocher les intellectuels des diverses nations

aux prises, par Y intermédiaire de l’action menée par la Croix-Rouge internationale - est donc

loin d’être utopique.

Rolland lui-même rend également quelques services à Wolfskehl. En février 1915, il

sert d’intermédiaire à l’envoi d’un ouvrage à un ami de l’écrivain allemand, peut-être Max

Pretzfelder : «J'ai fait expédier par la Croix-Rouge, sous pli recommandé, le volume à votre

ami. J'espère qu 'il le recevra bien. On m'en a donné la quasi-certitude. »578

Fin 1916 - début 1917, il note dans son journal : « Karl Wolfskehl de Munich me

demande de bien vouloir l'aider à rechercher un ami, disparu aux récents combats devant

Verdun, le lieutenant Norbert von Hellingrath, éditeur de Hôlderlin. »579 II lui répond sans
tarder :

« Cher Monsieur Karl Wolfskehl, je suis absent de Genève, mais j'ai aussitôt écrit, au

sujet de votre ami disparu ; et l'on fait des recherches. Espérons qu 'on le retrouvera sans

grave blessure. On vous tiendra au courant. yfm

Un cas exemplaire : Julius Meier-Graefe et Auguste Matisse

Rolland effectue le même type de démarche en faveur d’un critique d’art allemand,

Julius Meier-Graefe, suite à la demande qui lui a été formulée par Mme Meier-Graefe. Une

fois encore, Rolland va contacter une personne qu’il connaît, dans le pays concerné.

576 Lettre de Romain Rolland à Jacques Copeau, 2 novembre 1914, Cahier XXIII, p. 153.
377 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 5 novembre 1914, ihid, p. 156.
578 Lettre à Karl Wolfskehl*, 11 février 1915.
579 JAG, p. 1037-1038.
580 Lettre à Karl Wolfskehl*, 3 janvier 1917. - Mais le JA G, p. 1399, fait malheureusement état de la mort du
jeune Hellingrath.

184
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

«J'ai reçu ce matin une dépêche de Berlin. Elle m'est adressée par la femme d'un

écrivain d'art très connu en Allemagne, Julius Meier-Graefe /.../, qui vient d'être fait

prisonnier par les Russes, le 10 février. Il dirigeait une colonne de sanitaires et d'infirmiers

volontaires. Elle me demande de tâcher de savoir où il a été emmené. »5S1

Pour cela, la personne recherchée ayant été fait prisonnière en Russie, il va s’adresser

à la fille aînée de l’écrivain russe Léon Tostoï, Tatiana Soukhotine-Tolstoï :

« Permeltez-moi de me rappeler à votre bon souvenir, en vous demandant, si possible,

de m'aider dans une œuvre de charité.

L'écrivain d'art très connu en Allemagne, Julius Meier-Graefe, vient d'être fait

prisonnier en Russie, près de Sierpt, le 10 février. Il dirigeait une colonne de sanitaires et

infirmiers volontaires. On dit qu 'il a été conduit à Moscou. Sa femme, que je ne connais pas,

mais qui me sait occupé à la Croix-Rouge Internationale de Genève, me télégraphie pour me

demander de tâcher d'apprendre dans quel endroit il est détenu. Si vous aviez quelque moyen

de le savoir, je vous serais infiniment obligé de me le faire dire, ainsi que d'obtenir tous les

adoucissements possibles pour le sort de M. Meier-Graefe. C 'est un large et vivant esprit, qui

a beaucoup contribué à défendre et répandre l'art français en Allemagne. »582

Les démarches de Rolland finissent par aboutir, sans que l’on sache toutefois si

Tatiana Tolstoï y a joué un rôle particulier : fin octobre, Meier-Graefe rentre à Berlin, après

plusieurs mois de captivité passés en Sibérie. Entre-temps, quelqu’un a cherché à intéresser

Rolland au sort du frère du peintre Henri Matisse, Auguste, prisonnier civil à Havelberg, et

Rolland a commencé par s’adresser à un écrivain allemand, Theodor Dàublerf83 Bientôt, il a

l’idée de solliciter l’aide du critique allemand ; le 6 novembre, il écrit à sa mère :

« J'avais fait des démarches pour la libération d'un critique d'art allemand, Meier-

Graefe I ...J. On vient de l'échanger contre un médecin russe5*4 ; et à peine revenu de Sibérie

à Berlin, il m'écrit pour me remercier et me dire qu'il s'est aussitôt employé en faveur d'un

Français prisonnier, dont je m'occupais aussi, le frère du peintre Matisse. Sa femme lui a

envoyé des paquets de provisions ; lui-même va aller le voir à son camp, aussitôt qu 'il pourra

marcher, et il se met à ma disposition pour tout ce que je lui demanderai en faveur de tel ou

tel prisonnier français. Morale : « Un bienfait n 'est jamais perdu. » Si ce système était

581 Lettre à sa mère*, 23 février 1915.


582 Lettre à Tatiana Soukhotine-Tolstoï, 23 février 1915, citée dans le Cahier XXIV.
583 JAG, p. 531, [septembre 1915],
584 Le succès de Rolland s’explique sans doute par le fait que Meier-Graefe était infirmier, donc théoriquement
protégé par la convention de Genève, et susceptible d’être libéré pour cette raison.

185
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

davantage adopté, tout le monde s'en trouverait mieux. Mais par malheur, c 'est le système

contraire, celui des représailles, qui fleurit plus que jamais, »585

Les Meier-Graefe vont effectivement venir en aide à Auguste Matisse. En janvier

1916, Rolland reçoit une première lettre d’Anna Meier-Graefe, à son sujet, et il note dans son

Journal, en avril :

« Mme Anna Meier-Graefe nous communique (30 avril, Berlin) une carte d'Auguste

Matisse, frère du peintre (camp de Havelherg, 30 janvier), disant que, la semaine suivante, il

était remis en liberté, ainsi que les 300 prisonniers civils Bohainois. Nos démarches ont donc
586
réussi. »

Les résultats obtenus par Romain Rolland sont donc tout à fait probants. Pour

terminer, on fera état d’une dernière recherche qui lui a été confiée, celle de l’écrivain Henri

Alain-Fournier.

Henri Alain-Fournier

Cette demande a été adressée à Rolland par Jacques Copeau, le 15 octobre 1914 :

« Il me faut encore avoir recours à vous, et sans doute hélas ne sera-ce pas la dernière

fois...

Il s'agit aujourd'hui du beau-frère de Jacques Rivière, le frère de sa femme :

Lieutenant Fournier

288e d'infanterie

Etat Major 134e Brigade

67e Division de Réserve

3e groupe

disparu le 22 septembre »

Cette demande est incomplète (le lieu de disparition n’est pas mentionné), et Rolland

demande à être mieux informé. Le 21 octobre, Copeau lui envoie des renseignements

585 ''if
Lettre à sa mère, 6 novembre 1915, Cahier XX, p. 205. - Voir aussi une lettre au peintre Gaston Thiesson*, en
date du 6 novembre 1915, qui relate la même chose. C’est vraisemblablement Thiesson qui a intéressé Rolland
au sort d’Auguste Matisse. Voir également JAG, p. 574.
586 Lettre à Gaston Thiesson*, 4 janvier [1916], et JAG, p. 735. - La correspondance et le Journal ne donnent pas
plus de renseignements sur ces 300 prisonniers civils.
’87 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 15 octobre 1914, Cahier XXIII, p. 137-138.

186
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

supplémentaires, obtenus par Isabelle Rivière, sœur du disparu. Ces renseignements ont été

« fournis par un de ses anciens camarades de régiment, capitaine, qui a pris part avec lui au

combat du Bois de St Rémy (devant Verdun), le 21 septembre dernier ». Celui-ci relate que le

lieutenant Fournier commandait une compagnie et résistait à une attaque allemande

extrêmement violente, lorsqu’il fut blessé ; ses hommes ont dû se retirer sans pouvoir

l’emmener, mais le témoin assure qu’une ambulance allemande était postée près de l’endroit

où il est tombé. Sans doute a-t-il été alors ramassé par elle, et est-il actuellement

prisonnier.

C’est à partir de cette lettre que Rolland remplit la fiche au sujet du jeune écrivain, qui

est présentée en pièce justificative III. On remarque qu’il a donné sa propre adresse (« prière

de répondre à Romain Rolland hôtel Beauséjour, Champel »), afin peut-être de pouvoir

prévenir plus rapidement Jacques Copeau, par un télégramme, au lieu du courrier officiel de

l’Agence, qui peut mettre plusieurs jours à arriver, en raison des complications postales dues à

la guerre. Peut-être aussi veut-il, une fois prévenu, entreprendre sur le champ de nouvelles

démarches.

La comédienne Simone Casimir-Périer, qui était alors la maîtresse du jeune homme, le

prie également de rechercher « un jeune romancier soldat blessé et disparu : Henri Alain-

Fournier. »:>89 Et Rolland ajoute : « Elle se recommande « du nom de Péguy » ! »590 La

recommandation tombait en effet mal à propos ; mais sans doute l’actrice ignorait-elle la

brouille survenue entre Péguy et Rolland ! Henri Alain-Fournier avait eu l’occasion de

rencontrer, à plusieurs reprises, Charles Péguy, qui lui avait exprimé son soutien, deux ans

plus tôt, lors de la parution de Portrait

Malheureusement, toutes ces recommandations seront vaines: «Copeau m'apprend

(19 novembre) qu 'Alain-Fournier a été tué », note Rolland dans son Journal,592

588 Lettre de Jacques Copeau à Romain Rolland, 21 octobre 1914, ibid., p. 146. - C’est sans doute Isabelle
Rivière elle-même qui a interrogé le capitaine, tentant pour son frère les mêmes démarches que pour son mari.
5X9 Le Grand Meaulnes avait été publié, de juillet à novembre 1913, à La Nouvelle Revue française, et avait
manqué de peu obtenir, en décembre de la même année, le prix Goncourt.
590 JAG, p. 97.
« Vous irez loin, Fournier, vous vous souviendrez que c 'est moi qui vous t’ai dit. », lettre de Charles Péguy à
Alain-Fournier, septembre 1911, citée dans Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes Miracles, Paris: Garnier,
1986, p. XL.
592 JAG, p. 136. - Un « dossier de la disparition du lieutenant Henri Alain-Fournier», rassemblant notamment
des témoignages de soldats de sa compagnie, figure dans Au pays d Alain-Fournier, Viroflay : Association des
Amis de Jacques Rivière et Alain-Fournier, 1979, p. 58-65. La communication de Michel Algrain, lors d’un
colloque consacré aux écrivains morts à la guerre, tenu à la Sorbonne le 7 novembre 1996, a permis de faire le

187
L’action personnelle engagée par Romain Rolland

Rolland a donc voulu véritablement seconder l’œuvre entreprise par la Croix-Rouge

internationale : il essaie de remédier lui-même aux difficultés que connaît l’Agence, en

contactant ses correspondants ici et là, afin de les intéresser à ce problème et, surtout, de les

faire intervenir personnellement. 11 met en place une sorte de réseau parallèle, privé, qui

obtient de nombreux renseignements, que parfois la Croix-Rouge elle-même est impuissante à

obtenir, et il parvient à faire aboutir quelques démarches en faveur de certains prisonniers.

Mais comment son action est-elle perçue par la Croix-Rouge ? Que pense-t-elle de ce

collaborateur et de toutes ses initiatives, celles abordées dans ce chapitre, mais aussi celles

décrites plus haut ? Il faudrait à présent s’intéresser à cette question.

point sur cette disparition.

188
Troisième partie

Bilan d’une collaboration éphémère

189
Chapitre I : Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au

sein de la Croix-Rouge internationale ?

« Je me sens étouffé, serré aux coudes, dans ce milieu où l'on a peur des personnalités, où la mienne a peut-être

gêné déjà : car je lis, aujourd’hui, bien en vue, dans la salle où nous travaillons, un écriteau nouveau qui

interdit à tous de signer aucune lettre et d’y introduire aucun mot personnel ; ce quejefais constamment...

Comment donc ! Si je dispose d'une autorité personnelle, je ne devrais pas enfaire profiter la cause que je

sers ?... ». - Journal des années de guerre, p. 144.

Il serait intéressant de savoir quel regard portait le Comité international de la Croix-

Rouge sur la présence de Romain Rolland à l’Agence : était-ce pour lui un titre de fierté, ou

craignait-il au contraire que ce collaborateur ne prenne trop d’importance, voire ne porte

atteinte à sa réputation ?

Les sources auxquelles on peut se référer à ce sujet sont très peu nombreuses ; on ne

peut guère citer que le Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, qu’édite chaque

trimestre le Comité, ou les divers rapports ou publications concernant l’activité de l’Agence.

Il faudra donc laisser une large part, une fois encore, à ce qu’en dit Romain Rolland lui-

même, au risque d’en avoir peut-être une appréciation quelque peu déformée.

1. Les premiers témoignages

La première réponse de Gustave Ador, en septembre 1914

On se rappelle de la première réaction du président du CICR, à l’annonce d’une

éventuelle collaboration de Romain Rolland ; l’extrait du .Journal, déjà cité plus haut593, disait
en effet ceci :

«/.../ Il y a quinze jours, j'ai écrit au Président de la Croix-Rouge, Gustave Ador,

pour lui demander de m ’utiliser. Il m 'a répondu (24 septembre), en me remerciant, « qu'il se

ferait scrupule de recourir ù mon concours, estimant que je rends par mes articles des

services plus importants à la cause du libéralisme et au triomphe final des idées de justice et

190
Comment i.a collaboration de: Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

de progrès social. » J'ai insisté et reçu ma convocation. Une heure après mon arrivée à

Genève, je vais à l 'Agence. »594

Rolland aurait donc écrit une première lettre à Gustave Ador, aux alentours du 19

septembre, afin de lui proposer ses services593 ; on a montré qu’à cette date Madeleine

Rolland avait certainement déjà commencé son travail à l’Agence, et qu’elle était pour une

part à l’origine de la décision de son frère. Cette première lettre n’a malheureusement pas été

retrouvée, au cours des recherches effectuées, non plus que la réponse de Gustave Ador, datée

du 24 septembre. Celui-ci, nous dit Rolland, commence par refuser son offre.

Peut-être Gustave Ador se trouve-t-il intimidé, voire embarrassé, par cette proposition

que lui fait un écrivain dont la notoriété n’est plus à faire. Il ne sait pas trop de quelle manière

il pourrait l’employer, n’ayant que des tâches modestes, subalternes, ingrates, à lui offrir.

Aussi, il n’ose accepter sa demande. Il faut dire que la veille de cette réponse, Au-dessus de la

mêlée, second article de Rolland, paraissait dans le supplément au Journal de Genève, et Ador

en avait certainement pris connaissance. Il estime donc que Rolland pourrait se rendre plus

utile par la rédaction de ses articles - ce qui semble d’ailleurs mieux répondre à sa fonction

d’écrivain.

Romain Rolland doit réitérer sa demande, et il est, cette fois-ci, accepté. Il devient

alors l’un des nombreux collaborateurs bénévoles de l’Agence des Prisonniers de Genève.

Que dit-on de cette collaboration dans le Bulletin de la Croix-Rouge ?

Dans le numéro d’octobre 1914 du Bulletin international des sociétés de la Croix-

Rouge, premier numéro de la guerre, une vingtaine de pages sont consacrées à la fondation à

Genève d’une Agence internationale des Prisonniers de guerre.596 Trois pages décrivent le
Service des civils :

«/.../ Un membre du Comité, M. le D' Ferrière, s'intéressa d'emblée à cette catégorie

d'internés et en fit son champ d'action spécial. Il se mit à la tête d'un service bientôt fort

important, dont la tâche délicate, infiniment variée et hérissée de difficultés en l'absence de

593 Voir première partie, chapitre IV.


594 JAG, p. 73, en date du 3 octobre 1914..
5)5 C’est le CICR, on l’a vu, qui dirige l’Agence internationale des Prisonniers de guerre.
596 Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, n° 180, octobre 1914, dans le tome 45, 1914, p. 242-
268.

191
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

normes, consistait à renseigner, à transmettre des nouvelles ou des secours, à aider de toutes

façons dans les cas extrêmement divers qui se présentaient.

A notre demande, adressée télégraphiquement aux Croix-Rouges, les unes, comme

l’Autriche, la Russie, la Grande-Bretagne, se déclarèrent prêtes à s’intéresser à leur sort ; à

les assimiler aux prisonniers proprement dit ressortissants de leur « Commission spéciale ».

Les autres trouvèrent le travail trop considérable et trop dépourvu de base légale pour s'en

pouvoir charger. M. le Dr Ferrière, à la tête d’un département fort bien outillé quant aux

collaborateurs - n ’a-t-on pas vu M. Romain Rolland lui-même s'astreindre des journées

entières à dépouiller la correspondance et à chercher à venir en aide par des conseils ou des

indications ne se laissa point rebuter par ces difficultés ou ces refus, et son dicastère rend

journellement de multiples services. »597

L’auteur se réclame avec fierté de la présence, parmi les collaborateurs de ce service,

de l’écrivain français - présence d’autant plus notable que c’est à un travail modeste que

s’astreint, comme les autres, « M Romain Rolland lui-même ». C’est le seul nom de

collaborateur qui est cité : Romain Rolland, plutôt que bien des personnalités genevoises.

Pourtant, deux ans et demi plus tard, c’est bien froidement qu’il est remercié pour son

don - pourtant considérable - d’un quart du montant de son prix Nobel de littérature. Une

seule mention en est faite, dans le numéro du Bulletin de juillet 1917, dans la rubrique

« Trésorerie et dons » :

« Parmi les dons reçus, et dont nous donnons ci-dessous la liste, nous désirons en

relever deux : l'envoi touchant des Églises protestantes du Boïna jà Madagascar/, produit de

collectes organisées par le missionnaire genevois Rusi/lon, qui montre jusqu 'où s'étend

l'intérêt suscité par notre Agence internationale, et le don princier de M. Romain Rolland,

dont la lettre d'accompagnement, déjà reproduite par la presse, mérite de prendre place ici.

j transcription de la lettreJ »598

On ne pouvait en dire moins. Le « don princier » de Romain Rolland est signalé de

façon fort laconique, plus brièvement que le don des paroisses malgaches, et il n’est même

pas relevé que Rolland est un ancien collaborateur de l’Agence599. Il n’est pas précisé qu’il

s’agit d’un don d’une partie de son prix Nobel de littérature, pour lequel il n’est pas félicité.

597 Ibid., p. 262-263.


598 Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge, n° 191, juillet 1917, dans le tome 48, 1917, p. 297. -
Pour la transcription de la lettre, voir la pièce justificative VI.
599 À cette date en effet, Rolland a déjà quitté l’Agence, ainsi qu’il sera montré dans le chapitre III de cette
troisième partie..

192
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Rolland n’est pas vraiment remercié : on se contente de signaler son don, dans la rubrique la

plus sèche du Bulletin, qui n’est qu’une liste des différents donateurs ; sans aller jusqu’à en

faire l’objet d'un petit article dans une autre rubrique, on aurait pu au moins ajouter quelque

commentaire. Bien sûr, la lettre de Rolland est reproduite, mais elle ne pouvait pas ne pas

l’être, l’ayant été déjà dans d’autres journaux.

Faut-il s’étonner de cette évolution ? Peut-être faudrait-il voir à présent plus en détail

comment la présence de Rolland avait été perçue au sein de l’Agence de Genève.

D’autres témoignages issus du CICR ?

La participation de Romain Rolland au travail de l’Agence n’est pas évoquée dans les

autres documents publiés par le CICR, comme Organisation et fonctionnement de l'Agence

internationale des Prisonniers de guerre à Genève (Genève, février 1915), ou

Renseignements complémentaires sur l'activité de l'Agence internationale des Prisonniers de

guerre à Genève en 1915 et 1916 (Genève, mars 1916). Il est vrai que ces documents sont

destinés à décrire la mise en place de l’Agence, son activité quotidienne, ses difficultés, les

résultats obtenus, et non à faire état de détails plus anecdotiques.

Il faut donc se reporter à des témoignages plus indirects, comme ceux que consigne

Rolland dans son Journal ou sa correspondance, quant au regard porté par le CICR sur sa

collaboration.

2 Un collaborateur trop zélé ?

Romain Rolland n’est pas, assurément, un collaborateur ordinaire. On a vu qu’il a pris

à cœur, dès les premiers jours, son engagement auprès de la Croix-Rouge internationale : il

signale à tous ses correspondants l’œuvre accomplie par l’Agence des Prisonniers de Genève,

il mène auprès d’eux, et même au travers d’un article du Journal de Genève, une véritable

campagne en faveur des prisonniers civils, il cherche à faire intervenir ses amis ou

connaissances en faveur de tel ou tel prisonnier ou soldat porté disparu, etc.. Tout cela n’est

pas sans faire à la Croix-Rouge une certaine publicité, certes, mais en avait-elle vraiment

besoin, et même, le souhaitait-elle seulement ?

193
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

On peut se demander, en effet, si Rolland faisait part au CICR de ses projets le

concernant. Dans le cas & Inter arma caritas, on sait qu’il en avertit au préalable le Dr

Ferrière, qui lui donne la réponse suivante :

« Merci de penser à un article sur nos internés, je suis convaincu que l'action sur les

consciences fait plus que les démarches officielles. »600

Ferrière semble tout à fait favorable au projet de Romain Rolland : aussi celui-ci, fort

de ce soutien, rédige son article, qu’il porte à la rédaction du Journal de Genève le 29 octobre.

Près de deux ans plus tard, il demande une nouvelle fois conseil au Dr Ferrière :

« [... J Je vais recevoir, ces jours-ci, le montant de mon prix Nobel. Je désire que le

premier usage que j'en ferai soit au profit de cette Agence Internationale des Prisonniers de

Genève, dont j'ai pu apprécier, comme humble collaborateur, l'admirable dévouement. Mon

intention est de lui offrir cinquante mille francs, et j 'ai tenu à ce que vous en fussiez le

premier informé. En attendant que j'écrive à M. Ador, pour lui faire part officiellement de

cette intention, je voudrais vous demander conseil. Est-il mieux d'offrir cette somme à

l'Agence, ou à la Croix-Rouge Internationale ? D'autre part, notre section des prisonniers

civils, à laquelle je garde, grâce à vous, une sympathie spéciale, n 'aurait-elle pas

particulièrement besoin d'une aide, et ne pourrais-je l'en faire bénéficier ?

Je vous serai très obligé, cher Monsieur, de me répondre un mot à ce sujet, j. . . j »601

Et Ferrière lui répond, par retour du courrier :

« Votre projet de don à l'Agence est très généreux et je vous en exprime, en mon nom

personnel, ma plus vive reconnaissance. /... /

Je vous proposerais d'adresser votre don au Comité international de la Croix-Rouge

pour l'Agence internationale des prisonniers de guerre de Genève. Si vous voulez, comme

vous me le proposez généreusement, mettre une partie de cette somme à la disposition de mon

service civil, vous pourriez indiquer dans votre lettre : « dont « tant » (une petite partie

seulement) à la disposition du chef de la section civile de l'Agence », ou telle indication

analogue. »602

Ces conseils seront suivis par Rolland, dans la lettre officielle adressée à Gustave
603
Ador. Ainsi, ces deux exemples prouvent que Rolland tenait en général à consulter au

<>0() Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 23 octobre 1914.


(’01 Lettre de Romain Rolland à Frédéric Ferrière, 10 juin 1917, citée dans Marc Reinhardt, « Romain Rolland et
les Ferrière : Visages d’une correspondance », art. cit., p. 153.
602 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 11 juin 1917.
603 Cf. la pièce justificative VI.

194
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

préalable son ami Ferrière, membre du CICR, quand bien même il s’agissait de rendre

quelque service à la Croix-Rouge.

De nombreuses initiatives

Toutefois, il n’est pas certain que Rolland ait toujours trouvé un écho aussi favorable.

On a vu que, les premiers jours, il s’était montré assez critique vis-à-vis de l’organisation

générale de l’Agence. Et l’article du Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge,

numéro d’octobre 1914, cité plus haut, ne disait-il pas que Rolland « [cherchait] à venir en

aide par des conseils ou des indications » ? Si au début, la Croix-Rouge s’en réjouit encore, il

n’en sera pas toujours ainsi.

Rolland semble en effet avoir de nombreuses idées, qui ne sont pas toujours accueillies

comme il le voudrait. Dans la correspondance qu’il échange avec Stefan Zweig, au sujet du

sort tragique des prisonniers, qu’il faudrait améliorer, il note avec regret :

« Pour l ’échange de prisonniers grièvement blessés, j ’en ai déjà parlé, sans trouver

tout l 'écho que j'aurais voulu. »604

Non pas que ses idées soient d’ailleurs forcément mauvaises, ou complètement

utopiques, mais sans doute n’a-t-il pas la même vision des choses que le Comité directeur de

la Croix-Rouge qui, depuis cinquante ans, est de toutes les guerres européennes. Ayant déjà

mis en place plusieurs agences de recherches, celui-ci connaît bien les difficultés et les

moyens les plus sûrs d’obtenir des résultats.

Aussi, l’ensemble des initiatives prises par Rolland pour seconder l’action de la Croix-

Rouge - comme la mise en place d’une sorte de réseau parallèle, faisant intervenir ses

relations dans les différents pays belligérants - n’est pas forcément appréciée par le CICR, qui

ne peut exercer sur ce réseau aucun contrôle.

Une place trop marquée ?

Par ailleurs, l’Agence reçoit parfois des lettres adressées personnellement à Romain

Rolland, lui demandant d’effectuer quelques recherches. Certaines de ces lettres lui sont

<l04 Lettre à Stefan Zweig*, 27 octobre 1914.

195
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

envoyées par des amis, d’autres par des inconnus. Le 13 décembre, par exemple, Rolland fait

savoir à sa mère :

«Je constate que, de différents côtés de France et d'Allemagne, on s'adresse

personnellement à moi pour faire des recherches. ]... J Ainsi, il est déjà bien connu que je suis

à l'Agence de Genève. »6Ü;>

Et encore, dans une lettre à sa sœur :

«J'ai reçu hier, à l'Agence, une lettre /datée du 26 novembre] qui m'était

personnellement adressée, du camp de prisonniers de Zossen, près Berlin, par un caporal,

directeur de l'École supérieure de garçons de Givet, Émile Gerney. (Comment est-on parvenu

à savoir, dans ce camp de prisonniers, hermétiquement clos, que j'étais à la Croix-Rouge de

Genève, et a croire que je pouvais y avoir une influence ?) »606

Ce fait est confirmé par un dossier concernant l’Agence internationale des Prisonniers

de guerre, conservé dans le fonds Romain Rolland de la Bibliothèque nationale : il contient

une soixantaine de lettres écrites par des familles françaises, pour demander des nouvelles de

proches disparus ; certaines de ces lettres sont adressées personnellement à Romain Rolland,

Agence des Prisonniers de guerre, Genève.

La « popularité » de Rolland s’explique peut-être, en partie, par son article du Journal

de Genève, ou, dans une bien moindre mesure, par la note donnée au Clamecycois, où est

mentionné son travail à l’Agence. Toutefois, dans le cas de la lettre provenant d’un camp de

prisonnier, le fait est plus surprenant, et l’étonnement qu’en éprouve Rolland semble assez

légitime.

Il semblerait, au vu de ces exemples, que l’on finisse par attribuer à Rolland une

certaine influence - qu’il n’a pas - au sein de l’Agence. L’écrivain en a fait l’expérience lui-

même :

« Thomas /un ami de son père] m'avait écrit, il y a quelque temps, pour me prier de

m'occuper de deux soldats disparus. J'ai fait les démarches nécessaires. Il me récrit

aujourd'hui, insistant pour que j'agisse personnellement, en leur faveur, et même en

Allemagne. Hélas ! ces braves gens me croient plus influent que je ne suis. »607

<><b Lettre à sa mère, 13 décembre 1914, Cahier XX, p. 40.


606 Lettre à Madeleine Rolland*, 21 janvier 1915.
M)1 Lettre à sa mère*, 14 décembre 1914.

196
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Il n’est certainement pas habituel que l’on s’adresse à une personne précise au sein de

la Croix-Rouge, pour lui demander d’effectuer quelque recherche. N’est-il pas à craindre que

la présence de l’écrivain ne vienne occulter le travail anonyme de tant d’autres personnes ?

Car il semblerait qu’on lui attribue un rôle trop important, au détriment de l’action, plus

discrète, des autres collaborateurs - ce dont certains pourraient prendre ombrage. N’y aura-t-il

pas une journaliste australienne qui ira jusqu’à faire de Rolland le directeur de l’Agence ?

« Dans The Examiner de Launceston (Tasmania), 2 septembre /1916], un long article

de Mme Senac : Switzerland and the War, où l'on me représente ridiculement comme

dirigeant l'Agence internationale des prisonniers, à Genève. »60X

A l’Agence, Romain Rolland se réclame de son nom...

En outre, Rolland ne se plie pas toujours aux contraintes de l’Agence. Il tient par

exemple à faire bénéficier la Croix-Rouge de la notoriété de son nom - ce qui témoigne bien

sûr d’un bon sentiment, mais ce qui risque surtout de déplaire à celle-ci. Car ce refus de

l’anonymat n’est pas nécessairement bien vu par le CICR, et Rolland en est d’ailleurs

conscient, puisqu’il écrit, dans une lettre à sa mère :

« Tu t'étonnes que l'Agence ne parle pas de moi davantage. Je t'ai écrit, je crois,

qu'elle est si timorée qu'elle doit bien plutôt craindre que je ne la compromette par mon

indépendance ; etj'imagine que c 'est un peu a mon adresse qu 'on a affiché dans les salles un

écriteau rappelant qu'aucune lettre ne doit être signée d'un nom individuel. Mais je n'en ai

cure, lorsque je sais que je puis seulement obtenir, par mon action individuelle, un effet que

leur anonymat est impuissant à réaliser. -[...] »609

Les craintes - supposées - du CICR peuvent sembler tout à fait justifiées, même s’il

n’est pas certain que l’écriteau nouvellement affiché vise plus particulièrement Rolland.

L’esprit d’indépendance dont se réclame l’auteur d’Au-dessus de la mêlée, son individualisme

notoire, peuvent-il vraiment s’accorder avec les exigences de l’Agence? L’anecdote

rapportée à sa mère est bien la preuve qu’il refuse de respecter le règlement édicté, qui

recommande l’anonymat le plus formel. L’écrivain n’en fait qu’à sa tête : comme il estime

pouvoir obtenir, par son nom, de grands résultats, il prend donc toute liberté avec les

consignes intérieures de l’Agence.

608
JAG, p. 1029.

197
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Il est vrai que Rolland n’a pas tout à fait tort. L’aide qu’il apporte à la Croix-Rouge est

sans doute plus précieuse que celle de bien des collaborateurs anonymes. Il est possible,

d’abord, que sa présence, parmi les nombreux bénévoles, donne quelque notoriété

supplémentaire à l’Agence. De plus, il cherche à rendre bien des services, en faisant jouer son

influence, non négligeable, en faveur de la Croix-Rouge. Et l’on a vu que son action

personnelle a permis d’obtenir des résultats que la Croix-Rouge n’aurait pas obtenus sans lui,

comme les listes de prisonniers fournies par les députés socialistes Renaudel et Longuet, par

exemple. Il est donc certain qu’il joue un rôle particulier au sein de l’Agence. Aussi, n’est-il

pas à craindre, justement, qu’il ne prenne trop d’importance, au sein d’un organisme dont il ne

connaît pas nécessairement les principes fondamentaux, ni les visées à long terme ?

... et lors d’affaires privées, il se réclame de l’Agence

On a montré plus haut que Rolland mène une action, en son nom propre, tout en se

réclamant parfois de sa présence à l’Agence ; il a l’habitude, notamment, d’écrire une bonne

partie de sa correspondance privée sur du papier à lettre à en-tête du CICR610. Il semble ainsi

parler en leur nom, ce qui ne serait sans doute pas apprécié par le Comité. Par ailleurs, il a

souvent tendance, lorsqu’il parle des affaires de la Croix-Rouge, à employer un « nous » qui

peut laisser à entendre, pour des correspondants mal informés, qu’il occupe une place

importante au sein du Comité directeur, ou que ses idées sont aussi les leurs.

Ces pratiques, ainsi que les libertés qu’il prend avec le règlement, ne peuvent-elles

avoir pour la Croix-Rouge des conséquences négatives ? Son compagnonnage ne peut-il

s’avérer encombrant, dès lors que les premières attaques se déchaînent contre lui ?

3. Une publicité négative ?

Un collaborateur compromettant ?

On a vu plus haut les attaques dont Rolland a à souffrir, à compter du 23 octobre 1914.

Le choix de rester « au-dessus de la mêlée », que certains de ses compatriotes lui reprochent,

6<>; Lettre à sa mère*, 4 décembre 1914.

198
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

est, en Suisse romande également, interprété parfois comme un signe de germanophilie. Ici

aussi, il « commence à devenir dangereux ».611 De plus, il reçoit de très nombreuses lettres

d’insultes, et parmi elles, l’une au moins est envoyée à l’Agence : « Une carte postale,

expédiée par M. Perrin, à Paris, 210 rue Rivoli, à M. Maurice [sicJ Rolland, à la Croix-

Rouge (17 décembre 11914]) :

Vous écrivez de très vilaines histoires dans un style remarquable, comme Français

vous vous rendez méprisable. Un Français qui ne vous salue pas. Perrin. »612

Aussi, la présence de Romain Rolland au sein de l’Agence de Genève ne peut-elle

porter atteinte à la réputation de la Croix-Rouge internationale ? À ce sujet, Rolland a bien

une réponse à donner. Il estime en effet que la Croix-Rouge se refuse à faire état de sa

présence parmi les collaborateurs de l’Agence, pour éviter de se compromettre :

« La peur de se compromettre, même à l'Agence des Prisonniers de guerre. J'ai vu les

tableaux qu'ils ont fait imprimer du personnel de l'Agence. Mon nom n'y figure pas au

Bureau des Prisonniers civils, oùje travaille chaque jour depuis trois mois. »613

D’un autre côté, on a vu qu’il ne craint pas de raconter, dans son courrier, les lettres

lues à l’Agence, ou, surtout, les rapports confidentiels auxquels il a eu accès, ce qui n’est pas

toujours très prudent. Il écrit en effet, au sujet d’un article que vient d’écrire son ami Raoul

Aubry, journaliste au Temps :

« Aubry m'écrit qu'il a parlé dans l’Information de l'Agence des prisonniers et de

moi, en citant certains passages de mes lettres. Je souhaite qu'il n'ait commis aucune

indiscrétion : car il faut prendre garde avec l'esprit timoré de l'Agence et les susceptibilités

du gouvernement allemand. Il suffirait de la moindre révélation un peu secrète pour qu 'on me

priât de quitter l'Agence. (Ils ont une peur de se compromettre !) C’est pourquoi, vous, de

votre côté, gardez pour vous ce que je vous écris des camps de prisonniers. »614

L’Agence aurait pourtant toutes les raisons d’être inquiète, quand on sait que la

correspondance de l’écrivain est, de plus, étroitement surveillée par la censure militaire ! En

matière d’indiscrétion, Rolland n’aurait sans doute aucune leçon à donner !

610 Voir deuxième partie, chapitre II.


611 Cf. le titre du Cahier XX, Je commence à devenir dangereux : ce titre est tiré d’une lettre de Rolland à sa
mère, du 18 décembre 1914.
6,2 JAG, p. 182.
613 Ibid., p. 189.
6,4 Lettre à sa mère, 5 février 1915, Cahier XX, p. 93. - Voir aussi ibid., p. 52, et la lettre à sa mère* du 1er mars

199
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Un engagement controversé dans la presse ?

On a vu, également, que Rolland faisait parfois valoir son séjour à l’Agence pour

justifier son séjour en Suisse, voire ses prises de position, face à ses détracteurs.613 Et si cela

portait atteinte à la Croix-Rouge internationale ? N’a-t-elle pas à craindre que de nouvelles

attaques ne jettent le discrédit sur sa propre action ?

Il semblerait, de prime abord, qu’on ne puisse reprocher à Romain Rolland son travail

à l’Agence, à la différence de ses articles. Et pourtant, cet argument sera, lui aussi, utilisé par

ses détracteurs. Que dit-on en effet, dans la presse française, de son engagement auprès de la

Croix-Rouge internationale ?

Parfois, on en dit du bien : c’est le cas de Jean Longuet, dans L'Humanité du 4

novembre 1914, qui termine son article sur l’Agence en signalant la présence, parmi les

collaborateurs, de l’écrivain français, ou de Raoul Aubry, qui rédige pour l'Information un

article sur le rôle de Romain Rolland à l’Agence.616

Parfois aussi, on n’en dit rien. Louis Dumur, par exemple, consacre un article à

« L’Agence internationale des Prisonniers de guerre à Genève », dans la Revue Bleue, numéro

du 31 juillet-7 août 1915.617 On est surpris de ne pas trouver, dans la liste des notabilités

offrant leur concours à la Croix-Rouge618, le nom de Romain Rolland, que le journaliste

parisien ne pouvait pourtant pas ignorer. Une lettre de Romain Rolland à sa mère vient

expliquer cela : « Avez-vous vu dans le même numéro /des Hommes du jour/ que Fiat n'a

voulu publier dans la Revue Bleue un article de Dumur sur l’Agence des prisonniers de

guerre qu 'à la condition que mon nom n y serait pas prononcé ! »619

1915.

615 Et pas seulement les détracteurs de la presse parisienne. Fin septembre 1915, à l’occasion d’un retour à
Clamecy de sa mère, voulant lui éviter d’avoir à affronter d’éventuelles critiques, il lui recommande : « Je pense
que tu verras peu de personnes. Parle-leur peu ou point de moi. C'est un sujet incommode de conversation ; et si
l'on t'en parle, tâche de te cantonner dans le sujet : Agence internationale des prisonniers /.../», Cahier XX,
p. 154.
616 Concernant l’article de Jean Longuet, voir le chapitre II de la deuxième partie.
617 Un exemplaire est conservé aux archives du CICR, cote 401/V (Correspondance à propos d’articles parus
dans la presse).
6,8 P. 337-338 du tiré à part.
6U Lettre de Romain Rolland à sa mère, 6 octobre 1915, Cahier XX, p. 174-175. - Paul Fiat écrira par la suite un
article hostile à Rolland, « Romain Rolland et sa bande », dans la Revue Bleue, dont il est le directeur, numéro du
25 mars - 8 avril 1916.

200
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Il se trouve aussi quelques détracteurs pour reprocher à Rolland son travail à l’Agence,

et il n’est qu’à voir à ce sujet la « polémique républicaine » opposant, dans Le Bonnet Rouge,

le jeune Jean-Marie Renaitour, qui prend la défense de Rolland, à Stéphane Servant et Paul-

Hyacinthe Loyson, ses adversaires.620

Un premier article de Renaitour paraît dans Le Bonnet Rouge du 18 juillet 1915 : il y

prend la défense de Rolland, notamment contre la brochure de Massis qui vient de paraître,

Romain Rolland contre la France. Cinq articles vont suivre ; dans le dernier, face aux

accusations de désertion portées de divers côtés contre Rolland, Jean-Marie Renaitour

rétorque, le 8 septembre :

« L 'attitude de Romain Rolland est de plus en plus commentée partout. Mais une

fâcheuse surprise nous était réservée : nous venons de lire une lettre ouverte de Paul-

Hyacinthe Loyson, qui est un virulent blâme des articles du Journal de Genève : [il] reprend

contre Romain Rolland les arguments qu'en janvier dernier avait déjà présentés avec

modération Gabriel Séailles621 : « Comment, dit-il, Romain Rolland a quitté la France au

moment où l'ennemi y entrait ? Civilement il est déserteur ? Il tourne le dos à sa mère

attaquée ?... » Et il renouvelle l'expression de ces griefs qui n 'en sont pas. Car enfin, qu'est-

ce que cela veut dire ? Est-ce tout ce dont on trouve à accuser maintenant Romain Rolland,

de s'être retiré quelque temps en Suisse ? Lui qui n'est pas mobilisable, n'aurait-il pas le

droit de voyager où et comme il lui plaît ? Loyson sait-il les raisons personnelles qu'il a eues

sans doute pour se rendre la plutôt qu 'ailleurs ? Et Loyson ne sait-il pas en tout cas qu 'il s y

est occupé avec un magnifique dévouement de cette œuvre éminemment utile qu 'est la Croix-

Rouge de Genève, grâce à laquelle tant de prisonniers civils sont déjà rentrés en

France ? »622

L’article de Renaitour, qui se veut une réplique à la lettre ouverte de Loyson, va être

lui-même attaqué, par un nouvel article, écrit par Stéphane Servant, « bras droit de P. H.

!,2° Une brochure rassemble les articles parus dans Le Bonnet Rouge : Jean-Marie Renaitour, Stéphane Servant,
Paul-Hyacinthe Loyson, Au-dessus ou au cœur de la mêlée ? - line polémique républicaine, Paris : Éd de la
revue L'Essor, 1916. - Paul-Hyacinthe Loyson est un auteur dramatique d’origine genevoise, fils du R. P.
Hyacinthe, célèbre prédicateur de Notre-Dame de Paris, qui sortit de l’Église pour fonder un culte très proche du
jansénisme.
621 Gabriel Séailles, « Lettre ouverte à Romain Rolland », dans La Guerre Sociale, 9 janvier 1915. - Quant à la
lettre ouverte de Loyson, elle a été publiée dans La Revue du 1er septembre 1915.
622 Jean-Marie Renaitour, Stéphane Servant, Paul-Hyacinthe Loyson, Au-dessus ou au cœur de la mêlée ? Une
polémique républicaine, op. cit., p. 27. - On remarque que Renaitour semble ignorer que Rolland se trouvait en
Suisse avant la déclaration de guerre.

201
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

623 • A
Loyson » , et qui paraît dans Le Bonnet Rouge du 18 septembre. Servant y démonte point

par point les excuses invoquées par Renaitour pour défendre Rolland, et son travail à

l’Agence n’est pas épargné :

«[...] J’en viens d'abord à la question de l'opportunité qu'il pouvait y avoir pour R.

Rolland de s'expatrier pendant la guerre. Quoi qu 'en dise M. Renaitour, il ne me paraît pas

qu'il soit loisible à un Français non mobilisable d'aller faire un voyage en Suisse. [...] De

raisons valables à cet étrange exode, ces raisons dont on fait mystère, moi, je n 'en verrais

qu'une, et encore: la prescription de la Faculté d'aller demander à une clinique suisse

(spécialité de ce pays) la guérison de quelque maladie douloureuse. On s'inclinerait devant

ce motif Mais, en ce cas, il fallait laisser sa plume en France. Il fallait se taire, comme le lui

a dit M. Paul Souday624. Il ne fallait certainement pas aller se mettre aux ordres d'une agence

« internationale » de prisonniers, de prisonniers français et allemands, pour afficher sa

« neutralité » incorruptible. [...] »625

C’est le premier de trois articles écrits par Stéphane Servant à l’encontre de Romain

Rolland. En réponse, deux nouveaux articles de Renaitour viennent défendre Rolland. Puis, à

nouveau, un article de Stéphane Servant, dans Le Bonnet Rouge du 18 octobre : il cherche à

rallumer la controverse qui l’oppose à Renaitour, en faisant remarquer à celui-ci qu’il a omis

de s’expliquer sur certains points, dont la question de l’Agence internationale.

« M. Renaitour s'est dérobé à la discussion des points suivants, qu 'il qualifie en bloc

de « griefs de détail » :

1° La fuite de M. Rolland en Suisse, pour, en temps de guerre, se mettre au service des

« Allemands » comme des Français. 2° fetc.f »626

Une fois de plus, on reproche à Rolland sa prétendue « neutralité » - qui ne serait au

fait qu’une façon de masquer sa germanophilie. Ne se met-il pas au service - « aux ordres » -

d’une agence « internationale », afin de pouvoir tenir la balance égale entre Allemands et

Français ; son crime est de vouloir s’occuper tout autant de prisonniers allemands, ennemis,

623 JA G, p. 529.
024 Sans doute dans « Le cas de M. Romain Rolland », article paru dans Le Temps du 30 juillet 1915.
625 Jean-Marie Renaitour, Stéphane Servant, Paul-Hyacinthe Loyson, Au-dessus ou au cœur de la mêlée ? - Une
polémique républicaine, op. cil., p. 38-39. - Voir le JA G, p. 529 : « Parmi les plus outrageantes accusations qui
me sont adressées, le reproche de m'être mis «aux ordres d'une agence internationale de prisonniers, de
prisonniers français et allemands... » ».
626 Jean-Marie Renaitour, Stéphane Servant, Paul-Hyacinthe Loyson, Au-dessus ou au cœur de la mêlée ? Une
polémique républicaine, op. cil., p. 64. - Suivent des points consacrés à d’autres aspects de la polémique.

202
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

que de prisonniers français, « en temps de guerre ». On voit que ce sont ici les mêmes

reproches que ceux que l’on formule à l’encontre de ses articles.

On remarque aussi que l’Agence est ici présentée comme la raison ayant poussé

Rolland à se rendre en Suisse, à « déserter ». Même si elle n’est pas directement attaquée, on

imagine que c’est une publicité dont se serait passé le CICR !

Cependant, la polémique n’est pas finie : d’autres articles paraissent dans Le Bonnet

Rouge, dont quatre de Loyson. Mais Renaitour ne donne aucune réponse à ses contradicteurs,

au sujet de la prétendue désertion de Rolland, et de cette Agence internationale des

prisonniers au service de laquelle il s’est mis.

La réponse, pourtant, sera donnée, mais par un autre défenseur de Rolland, peut-être le

plus ardent, Henri Guilbeaux. Celui-ci avait déjà écrit, dans La Bataille Syndicaliste du 13

novembre 1914, une « Lettre ouverte à Romain Rolland». Le 12 novembre 1915, il publie

une nouvelle brochure, qui est une vigoureuse défense de l’écrivain : Pour Romain Rolland.

Dans cette brochure, il tient à répondre aux accusations diffamatoires portées contre

Rolland, à commencer par celle de désertion :

« L'auteur de Jean-Christophe séjournait depuis quelques mois en Suisse (à Vevey,

plus exactement). Il n 'eut donc pas à se réfugier là quand commença à gronder l'orage. Alors

que les plus fanatiques patriotes demeuraient dans les agréables casemates des salles de

rédaction, aurait-on voulu que Romain Rolland qui, toute sa vie, lutta pour l'Europe,

l'entente universelle et fut toujours antiguerrier, accomplit le geste quelque peu théâtral

d'Anatole France et de M. Gustave Herve27 ? Ne pouvant panser les plaies matérielles ainsi

que l’avait fait le grand Walt Whitman durant la guerre de Sécession, le grand Romain

Rolland tenta de soigner les innombrables et béantes blessures morales. Il s’en vint à

l'Agence internationale des prisonniers de guerre dès la constitution de celle-ci - et il eut

l'occasion de rendre des services en partie aux amis de ceux-là même qui, de leurs propos

malveillants et de leurs injures, le poursuivirent ; et, par une généreuse et encourageante

correspondance il tonifia tous les pauvres gens débilités demandant consolation. »

Et il poursuit, visant cette fois-ci plus particulièrement la critique lancée par Stéphane

Servant :

627 On connaît le revirement spectaculaire, une fois le guerre déclarée, de l’écrivain pacifiste et du plus fervent
des socialistes antimilitaristes.

203
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

« Dans sa rage contre Romain Rolland /.../, M. Stéphane Servant, a l'impudence

d'écrire: «Il ne fallait certainement pas aller se mettre aux ordres d'une agence

« internationale » de prisonniers, de prisonniers français et allemands, pour afficher sa

« neutralité » incorruptible. » Le détracteur de Romain Rolland ne connaît pas apparemment

l'admirable organisme qu 'est l'Agence internationale des prisonniers de guerre ; il ne sait

rien des hommes dévoués qui lui consacrent tout leur temps et leurs efforts, et il ne soupçonne

pas les incomparables services qu'elle a rendus à des milliers des Français. Comme la

plupart des accusateurs de Romain Rolland, M. Servant pêche par ignorance. »628

Henri Guilbeaux tient ici à réhabiliter l’action de l’Agence. Et il parle d’autant mieux

de cet « admirable organisme » qu’il en est lui-même l’un des collaborateurs, ainsi qu’on va

le voir un peu plus loin.

Avant d’aborder ce point, il faut signaler une dernière controverse exprimée dans la

presse, qui concerne plus directement encore l’Agence des Prisonniers. En octobre 1915,

Rolland prend connaissance d’un article de Loyson, déjà ancien :

« Vraiment, l'hypocrite perfidie d'un article comme celui de la Revue du 15 août (que

je viens seulement de lire intégralement) dépasse tout ce qu 'on a fait contre moi ; il y a là une

série de mensonges odieux et ridicules, auxquels j'aurais répondu, si j'en avais eu

connaissance plus tôt ; [... /. Le comble est que Loyson s'appuie sur la lettre qu'il dit avoir

reçue d'une certaine Marie Milliel, travaillant à l'Agence de Genève. Cette Marie Milliet

prétend que je lui ai tenu des propos en faveur de l'Allemagne. Or, non seulement je suis

incapable de raconter ma pensée à des gens qui ne sont pas mes intimes, mais je ne connais

cette Marie Milliet, ni de vue, ni de nom. Je m'en vais faire une enquête discrète, mais ferme,

à l'Agence. C 'est vraiment indigne : il y a là un mélange d'espionnage et de calomnie qui ne

laisse rien a envier aux procédés allemands. »629

On peut se demander, au vu de toutes ces affaires, ce que pensait le CICR de ce

collaborateur peut-être trop célèbre, et à qui certains reprochaient, en même temps que son

séjour en Suisse et ses sympathies germanophiles, son travail à l’Agence des Prisonniers. Le

fait d’être impliqué dans des polémiques de presse ne facilite certainement pas la tâche, déjà

628 Henri Guilbeaux, Pour Romain Rolland', Genève : Jeheber, 1915, p. 39-40
629 Lettre à sa mère, 23 octobre 1915, Cahier XX, p. 187. - Voir aussi la lettre à Louise Cruppi* du 25 octobre
1915, où il relate également ce « vil espionnage mensonger », et la lettre à sa mère* du 1er novembre 1915, où il
l’informe des résultats de son « enquête ».

204
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

délicate, du Comité. Rolland a dû bientôt apparaître, au sein de l’Agence, comme un

collaborateur gênant.

Aussi, lors du don d’une partie du prix Nobel fait au CICR, le Dr Ferrière, que Rolland

a consulté à ce sujet, n’envisage pas sans crainte le risque d’une nouvelle controverse :

« Vous avez tenu à vous montrer avant tout humanitaire dans le sens le plus large ;

combien il est dur pour vos amis de sentir qu 'on vous en fait un grief comme si la générosité

devait normalement être dictée par l'égoïsme des intérêts plus rapprochés. A cet égard je

n 'envisage pas sans angoisse l'accueil qui sera fait dans le public français à votre beau don à

l'Agence internationale de Genève. Mais vous avez renoncé depuis longtemps à suivre une

autre voie que celle que vous estimez juste et généreuse et, pour ce qui me concerne, je ne

saurais vous blâmer d'avoir pitié de toutes les souffrances où qu 'elles se produisent. »630

Henri Guilbeaux collaborateur de l’Agence

Par ailleurs, Rolland introduit à l’Agence un de ses amis, Henri Guilbeaux, dont la

présence pourrait également s’avérer indésirable.

Au début de la guerre, Henri Guilbeaux est à Paris, où il évolue dans les milieux

syndicalistes et socialistes proches de Romain Rolland. En avril 1915, il est appelé par le

service auxiliaire, avant d’être définitivement réformé ; il cherche alors à se rendre en Suisse,

où il pense pouvoir trouver une place dans un journal ou dans l’enseignement, et sollicite

l’aide de Rolland.631 Il semblerait que Rolland lui propose un emploi rémunéré à l’Agence632,

ce à quoi Guilbeaux répond :

« Ah ! si la chose que vous m'annoncez pouvait se réaliser ! Quelle joie pour moi de

vous revoir et d'être à vos côtés. Oui cette chose dont vous parlez me conviendra en tous

points. Je crois être suffisamment actif et débrouillard et je pense bien faire en écrivant par le

même courrier au lf Ferrière pour lui offrir mes services. Si je peux avoir 200 ou 250francs

le petit complément que je pourrai acquérir là-bas par une collaboration si peu payée soit-

elle, ce sera très bien, ce sera parfait. Au reçu de ces lignes ayez l'obligeance, je vous prie, de

dire ou d'écrire un mot au Dr Ferrière afin qu'il accepte mes services. Je lui propose de
i ier - 633
commencer des le 1 juin. »

630 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 11 juin 1917.


631 Voir les lettres de Henri Guilbeaux à Romain Rolland* des 13 et 22 avril, et du 11 mai 1915.
<>32 Les lettres de Rolland à Guilbeaux ne sont pas conservées à la Bibliothèque nationale.
633 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 18 mai 1915.

205
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Dès réception de la lettre, Rolland écrit au Dr Ferrière, à qui il avait déjà parlé de

l’affaire :

« L 'ami dont je vous avais parlé, Henri Guilbeaux, m'écrit que s'il pouvait convenir, à

l'Agence des Prisonniers, dans le poste et aux conditions que vous m'aviez dites, il en serait

très heureux. Il a dû vous écrire que si cela s'arrangeait, il se mettrait à votre disposition, à

partir du 1erjuin.

Sans pouvoir répondre absolument (c 'est toujours hasardeux) qu 'il vous satisfasse, je

puis dire que c'est un garçon loyal, actif et débrouillard, habitué au travail de bureau, [...],

connaissant l'allemand et ayant conservé dans cette guerre un esprit assez impartial.

/-y»634

Il écrit également à Guilbeaux, qui lui répond, le 27 mai :

« Merci infiniment de votre lettre. J'ai reçu en même temps que votre mot un

télégramme du If Ferrière me disant qu 'il était d'accord avec moi et me priant de faire mes

préparatifs.

[-]

Je comprends et approuve totalement tout ce que vous me dites au sujet du poste que

je vais occuper au Bureau des prisonniers civils. Vous pouvez avoir toute confiance en

Les formalités à remplir pour obtenir de séjourner en Suisse sont nombreuses et

compliquées, et Guilbeaux prend quelques jours de retard. Toutefois, le 3 juin, Rolland fait

savoir à sa sœur :

« Guilbeaux est arrivé à Genève, où je lui ai trouvé, à l'Agence, une place rétribuée

de secrétaire du lf Ferrière. Mais je ne suis pas sûr que cela réussisse. Car il est bien jeune

et bouillant ; et quoique je l'aie averti de tenir sa langue et qu 'il me l'ait promis, le terrain est

brûlant. J'en sais quelque chose. »636

C’est donc un poste important que Rolland lui a trouvé, dans la Section des civils où

lui-même travaille. Il n’est pas d’ailleurs sans craintes, quant à d’éventuelles imprudences que

pourrait commettre Guilbeaux. On remarque qu’il ajoute, après avoir dit que « le terrain est

brûlant », qu’il en sait quelque chose, ce qui pourrait laisser à supposer que lui-même aurait

<>34 Lettre de Romain Rolland à Frédéric Ferrière, 22 mai [1915], citée dans Marc Reinhardt, « Romain Rolland et
les Ferrière : Visages d’une correspondance », art. cil., p. 146. - Rolland n’était pas alors à Genève, mais à
Chamby, près de Vevey, où il prenait une semaine de repos. •
635 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 27 mai 1915.
636 Lettre à Madeleine Rolland*, 3 juin 1915. - Voir aussi JAG, p. 386.

206
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

eu quelques dissensions avec le personnel de l’Agence - ce qui ne serait vraiment pas pour

surprendre, au vu de tout ce qu’il a été dit plus haut.

Les craintes de Rolland sont justifiées. Le 22 août, Ferrière informe Rolland, alors à

Thun637, qu’il devra bientôt se passer des services de Guilbeaux, à compter du 15 septembre.

Guilbeaux n’a pas les qualités requises pour la fonction de chef de bureau qui lui a été

confiée, et de plus son emploi est rémunéré, alors que les finances de l’Agence sont

comptées ; or, un autre collaborateur se propose, plus compétent, et « gratuit ». Ferrière

précise que Guilbeaux a eu quelque accrochage avec sa secrétaire, mais que cette circonstance

n’est pour rien dans sa décision de renvoyer le jeune homme.638

Rolland fait part à sa mère de cette nouvelle, dans une lettre qui en dit long sur ses

rapports avec le CICR :

« J'ai la conviction que, pendant l'absence du docteur 39, s'est organisée une petite

cabale pour se débarrasser de Guilbeaux, à cause de ses opinions et surtout de ses articles. Il

y a à l'Agence une séquelle de méchants nationalistes (dont le pire est peut-être Max Dollfus),

qui ont été furieux de me voir installer là ce témoin gênant. Ne pouvant s'en prendre à moi,

ils s’en sont pris à lui. Le bon docteur est faible. Je ne crois pas qu’il dise tout. Je serais

surpris que s’il n’y avait eu vraiment que la question d’économie, il eût cédé : car enfin, il

s'était moralement engagé vis à vis de Guilbeaux ; il pouvait le faire savoir au Comité, qui

n 'en est pas à quelques billets de cent francs. Il sait que Guilbeaux n 'a rien ; il lui donne son

mois : je trouve cela un peu raide, s'il n'y a pas d’autres raisons plus fortes qu 'une prise de

bec avec une subalterne de l 'Agence. Je me demande si Ador, Dollfus etc. n 'ont pas dit au

docteur que Guilbeaux compromettait l 'Agence ; le docteur, qui n 'aura pas eu la force de

résister, aura eu honte d'en convenir avec nous. »640

Rolland semble persuadé que plusieurs membres de l’Agence, nationalistes,

aimeraient à le voir quitter l’Agence. Furieux de voir son ami occuper un poste important, ils

s’en prennent alors à lui. On note aussi qu'il fait au sujet de Guilbeaux la même remarque

qu’il faisait à son propre sujet : le CICR craint que Guilbeaux ne compromette l’Agence,

probablement en raison de ses prétendues sympathies germanophiles.

637 Rolland avait quitté Genève pendant l’été, ainsi qu’il sera montré plus loin.
638 Voir la lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 22 août 1915.
639 Ferrière avait pris quelques jours de repos en juillet.
640 Lettre à sa mère*, 24 août 1915.

207
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

Il faut prendre garde, toutefois, à ce jugement un peu hâtif, peut-être écrit sous le coup

de la colère ou de la déception qu’il éprouve à l’annonce du renvoi de son ami. Cependant, les

rancunes qu’il expose dans cette lettre sont certainement, en partie du moins, fondées - ce qui

viendrait à confirmer les hypothèses faites plus haut : Rolland est perçu, au sein du Comité

directeur, comme un collaborateur gênant, compromettant.

Guilbeaux va pourtant continuer son travail à l’Agence, jusqu’en décembre semble-t-

il, grâce vraisemblablement à une intervention de Romain Rolland auprès du Dr Ferrière.641

En octobre, Rolland note dans son Journal :

« Les imprudences de Guilbeaux m 'inquiètent. Il y a chez lui une sorte de forfanterie

paradoxale révoltée, qui est bien française (et juvénile), mais qui est un danger, en ces temps

d'aliénation mentale et de basse haine. Je sais que Guilbeaux est observé de près. Il y a deux

jours, à l'Agence des Prisonniers, un agent de police est venu s'informer à son sujet, disant

qu'il avait de la correspondance avec l'Allemagne. Le If Ferrière, qui se trouvait là, a

répondu vigoureusement que Guilbeaux faisait partie de l'Agence et avait par conséquent le

droit de correspondre avec l'Allemagne ; ce que le policier a aussitôt admis. Mais on voit à

quel point chacun de ses actes est espionné. »642

Et encore, un mois plus tard :

« Giuilbeaux continue d'être filé. L'autre jour, a l'Agence, les poches de son manteau

ont étéfouillées. »643

Henri Guilbeaux est en effet suspecté d’être un agent de l’Allemagne : on le

soupçonne de fréquenter des Allemands plus ou moins occupés d'espionnage, de correspondre

avec des Français suspects de propagande pacifiste ou avec « quelques faux esprits demeurés

internationalistes malgré le conflit actuel », d’être en rapport avec des déserteurs français.644

En novembre 1915, Guilbeaux doit faire une conférence sur Romain Rolland à

Genève, ce qui n’est pas sans inquiéter ce dernier, ni le Dr Ferrière ! Rolland confie à un ami

commun :

641 « Et je suis à présent persuadé que si je reste à t'agence, je te dois à votre généreuse intervention f j »,
lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, [17 septembre 1915], - D’autres lettres, datées de décembre,
prouvent qu’il poursuit alors son travail à l’Agence.
(A2JAGj, p. 558.
643 Ibid. , p. 583.
644 D’après une note de police confidentielle sur Henri Guilbeaux, 25 mai 1918, dont une copie figure dans le
dossier de la correspondance de Guilbeaux à Rolland, à la Bibliothèque nationale. L’original est aux Archives
nationales : cote F7 13373, dossier Guilbeaux.

208
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

« J'accepte votre proposition d'écrire à Guilbeaux, en votre nom propre, pour lui

conseiller de renoncer à sa conférence, si c 'est encore possible sans inconvénient pour lui.

Sinon, qu 'il soit très prudent et lui donne un caractère plus littéraire que politique. (Je dois

vous avouer que le If Ferrière m'a dit confidentiellement ses inquiétudes à ce sujet). »645

Mais la conférence se déroule sans incident.646 Toujours en novembre, Guilbeaux fait

paraître Pour Romain Rolland, brochure dont il a déjà été question plus haut.

En janvier 1916, Guilbeaux cesse vraisemblablement son travail à l’Agence. Il fonde à

Genève, chez l’éditeur Jeheber, la revue mensuelle Demain, dont le programme, annoncé dans

l’appel préliminaire, est le suivant : au-delà de la guerre, « préparer dès à présent la reprise

des rapports entre les peuples ». Cette revue pacifiste et socialiste kienthalienne647 est bientôt

interdite en France, en Allemagne et en Italie, tant on la juge dangereuse. Rolland y collabore

avec des articles politiques, mais aussi littéraires, bien que l’outrance de ton de Guilbeaux, et

les éloges démesurés qui y sont faits de lui, ne soient pas de son goût ; il essaie de modérer

Guilbeaux par des conseils, ce qui n’est pas sans difficultés.

Le nom d’Henri Guilbeaux ne figure pas dans les listes du personnel de l’Agence,

conservées aux Archives du CICR, bien qu’il ait été un collaborateur rémunéré. Son nom

n’est pas mentionné non plus dans la liste des collaborateurs donnée dans le recueil publié par

le CICR en 19 1 9.648 Faut-il penser que le CICR, au vu de ce qu’il vient d’être dit, ait

réellement préféré taire la présence de ce collaborateur compromettant ? Peut-être faut-il

ajouter que Guilbeaux est de plus lié aux bolcheviks de Suisse, et ami de Lénine. Il est arrêté

et incarcéré en Suisse, en 1918 ; la même année, en France, il est condamné à mort par

contumace, à la suite d’un procès truqué. Relâché par la Suisse, il gagne la Russie, où il aura

des responsabilités dans l’Internationale communiste.649 Tout ceci vient peut-être expliquer

l’absence du nom de Guilbeaux dans les documents du CICR, y compris ceux postérieurs à la

guerre.

645 Lettre à Gaston Thiesson*, 5 novembre 1915.


646 Voir la lettre à Madeleine Rolland* du 13 novembre 1915.
647 Guilbeaux est l’un des quatre Français à participer à la conférence de Kienthal, en avril 1916. - Concernant
Demain, on peut consulter Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie - Les intellectuels et
la Première Guerre mondiale, Paris : La Découverte, 1996, p. 161-162.
648 L'Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), op. cit.. Cf. la pièce justificative I.
649 Voir l’introduction de Jean Albertini aux Textes politiques, sociaux et philosophiques choisis de Romain
Rolland, Paris : Éd. Sociales, 1970, note 3, p. 62-63.

209
Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la Croix-Rouge internationale ?

L’avis du CICR quant à la présence de Romain Rolland est certainement partagé : au

début, sans doute, il est flatté, et se félicite de cette collaboration exceptionnelle, et des

résultats qu’obtient, pas son action personnelle, Romain Rolland. Mais celui-ci ne tarde pas à

mener une action par trop individuelle. En outre, il devient bientôt la cible de nombreuses

attaques, et l’Agence qui l’accueille est indirectement mêlée à des polémiques de presse. Tout

ceci n’est pas sans inquiéter le CICR, dont la discrétion ne saurait s’accorder avec ce

collaborateur finalement peut-être un peu trop présent. De plus, des dissensions politiques

viennent compliquer tout cela. Or, la Croix-Rouge internationale se veut - se doit -

absolument neutre, tant sur le plan politique qu’idéologique.

Dans ces conditions, la collaboration va-t-elle se poursuivre longtemps ? Et qu’en

pense Rolland ? Quel regard porte-t-il sur l’action de la Croix-Rouge internationale ?

210
Chapitre II : Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge

INTERNATIONALE

« Que je regrette de n 'être pas à leur place ! Quej'aimerais à imposer le respect de la Croix-Rouge

internationale, aux puissantes nations qui ne peuvent se passer d’elle ! Et ce serait l’intérêt de tous ». - Journal

des années de guerre, p. 568.

Romain Rolland, de son côté, formule également de nombreuses critiques à l’égard de

la Croix-Rouge. On a vu qu’il a cru trouver en elle un organisme international répondant à ses

aspirations profondes, aux valeurs d’humanité auxquelles il croit, et l’on a montré à plusieurs

reprises l’admiration qu’a l’écrivain pour les résultats obtenus, malgré les nombreuses

difficultés auxquelles doit faire face l’Agence, et pour le remarquable travail accompli par ces

quelques « hommes et femmes de bonne volonté ». Ceci explique le dévouement de Rolland

pour la cause qu’il sert, mais laisse deviner, en revanche, sa déception, dès lors qu’il prend

connaissance des aspects négatifs de cet organisme.

Toutefois, leurs idées sont-elles vraiment faites pour s’accorder ? Rolland a-t-il perçu

la véritable mission de la Croix-Rouge internationale ?

1. Des idées inconciliables ?

La première déception vient peut-être du fait que Rolland pensait sincèrement que

c’est au sein de la Croix-Rouge internationale qu’il pouvait se rendre le plus utile. Or, il

apparaît vite qu’on ne l’emploie pas à sa juste valeur.

Le jugement porté par Romain Rolland sur sa place au sein de l’Agence

On peut penser, en effet, que Rolland aurait souhaité jouer à l’Agence un rôle plus

important, y avoir une place à la hauteur de ses compétences. Peut-être avait-il même songé à

faire partie du CICR, mais il lui faut vite renoncer à cette idée, ainsi qu’il s’en explique dans

une lettre envoyée à sa mère :

211
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

«Quant à m'inscrire dans leur Comité, je ne le crois pas possible : car il n 'est

composé que de Suisses. >/00

Cependant, le rôle d’un écrivain de renom est-il de se borner à accomplir un simple

travail de dépouillement ? Même s’il s’applique avec sérieux à cette tâche, il n’est pas sans

regretter parfois que la direction de la Croix-Rouge ne sache pas s’intéresser davantage à

l’aide potentielle qu’il pourrait fournir. Dans une lettre adressée à sa sœur, le 9 décembre

1914, il écrit :

« Je vois avec peine, mais sans étonnement, que tu trouves à Paris peu d'occupation.

[...] - Ce qui me surprend le moins, c'est que tu ne trouves dans les œuvres même de

bienfaisance gratuites que des besognes insignifiantes, qui pourraient être remplies par le

premier venu. Remarque que c 'est exactement ce qui m'arrive, à moi aussi. A quoi m'occupe-

t-on, à l'Agence? A un dépouillement de correspondance banal et à des réponses

impersonnelles, que n 'importe quel petit employé pourrait faire. Ils se gardent bien de

m'introduire dans leur sanctuaire ; et pourtant, je pourrais, avec mon nom, mon activité, mes

relations, leur rendre de grands services, f... / »651

On a vu plus haut que Rolland, avec « [son/ nom, [son] activité, [ses/ relations », a

effectivement su rendre à la Croix-Rouge « de grands services »652. Mais elle ne le soutient

pas comme il le souhaiterait, et ce n’est pas tant pour lui qu’il le regrette que pour les

personnes qu’il aurait pu ainsi aider. Cette critique — ne pas savoir profiter de l’aide qu’il

pourrait apporter - se retrouve d’ailleurs à d’autres occasions : ainsi, lors de la rencontre

fortuite à Genève d’un jeune diplomate français, Laporte, attaché à l’ambassade de Berne :

«/...y j'ai constaté que je connaissais beaucoup mieux l'Allemagne que ces

diplomates, avec leurs agents secrets. Et pas seulement l'Allemagne intellectuelle, mais même

l'Allemagne politique (et même, sur certains points, l'Allemagne économique). Je lui ai

appris bien des choses, capitales, qu'il ignorait. - Comme on aurait pu m'utiliser, à une

ambassade, ou aux Affaires étrangères ! »653

650 Lettre à sa mère*, 4 décembre 1914.


651 Lettre à Madeleine Rolland*, 9 décembre 1914
652 Cf. deuxième partie, chapitre IV.
653 Lettre à sa mère, 19 mars 1915, Cahier XX, p. 128. — Voir également une lettre à Louise Cruppi*, du 7 juillet
[1915] : «J'aurais beaucoup à dire de ce que j'observe depuis quelques semaines en Allemagne ; mais à quoi
bon ? On ne veut écouter en France que ce qui flatte l’opinion. N’est-il pas étonnant que depuis un an, personne
n’ait eu l’idée, au consulat français de Genève, ou à l'ambassade de Berne, d’avoir le moindre entretien avec
moi ? Ce n 'est pas que je sache grand chose. Mais si peu que celafût, cela pouvait être utile. »

212
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Et Rolland poursuit, dans la lettre à sa sœur du 9 décembre, par une critique amère :

« [...] Mais quand on voit de près ces grandes organisations philanthropiques, on se

rend compte qu 'à part un petit nombre de cœurs généreux, le sentiment qui y règne le plus

n 'est pas l'amour des hommes et la volonté sincère d'améliorer leur sort, mais une certaine

satisfaction d'activité facile, un besoin de se donner de l'importance, et, chez les chefs, une

ambition polie, diplomatique, enfantine des titres et des honneurs qui ne signifient rien. »654

La déception de Rolland s’explique par le fait qu’il pensait retrouver au sein de la

Croix-Rouge les idées qui lui sont chères : « / 'amour des hommes », « la volonté sincère

d'améliorer leur sort ». Mais ce dévouement désintéressé n’est le fait que d’« un petit nombre

de cœurs généreux ». Pour la plupart, il n’y a que la volonté de se donner bonne conscience,

en s’occupant d’une quelconque œuvre de bienfaisance, et le « besoin de se donner de

l'importance ». Certains « chefs » eux-mêmes n’échappent pas à la critique : leur dévouement

n’est mu que par « une ambition polie, diplomatique, enfantine des titres et des honneurs qui

ne signifient rien. »

Parmi les « cœurs généreux », il est certain que Rolland compte le Dr Ferrière, bon et

humain. Il n’est qu’à citer, un exemple parmi tant d’autres, la description élogieuse qu’il en

fait à Stefan Zweig : « Je ne connais pas, dans toute la Suisse française, un esprit plus juste et

un cœur plus généreux. C'est un homme d'une modestie excessive, dont le renom est inférieur

à sa valeur. »655 Le 21 décembre 1914, Ferrière a invité Rolland chez lui, afin de pouvoir lui

raconter en toute tranquillité les impressions de son récent voyage à Berlin, qu’il a fait en

compagnie de Gustave Ador.656 Des relations amicales avec la famille Ferrière se nouent à

l’occasion de ce dîner et, par la suite, Rolland sera à plusieurs reprises l’hôte du docteur, ou

même de ses fils.657

Par ailleurs, on a vu que Rolland a toujours eu, en toutes circonstances, le soutien

précieux de Ferrière, et que celui-ci n’hésitait pas à lui laisser prendre connaissance des

rapports confidentiels des délégués de la Croix-Rouge. Les relations privilégiées qu’il

entretient avec le directeur du Service civil viennent donc heureusement contrebalancer le peu

d’intérêt que lui portent les autres membres du CICR.

654 Lettre à Madeleine Rolland*, 9 décembre 1914.


655 Lettre à Stefan Zweig*, 3 septembre 1915.
656 Voir Cahier XX, p. 32 et 46-47, la lettre à sa mère* du 21 décembre 1914, et JAG, p. 176-178.
657 Voir par exemple la lettre à Madeleine Rolland* du [24 mai 1915],

213
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Les « illusions perdues »

Romain Rolland découvre également que la Croix-Rouge n’est peut-être pas aussi

impartiale qu’elle le devrait : certains collaborateurs de l’Agence se révèlent par trop

patriotiques. Dans une lettre à sa sœur, Rolland signale avec regret la partialité genevoise en

faveur de la France - y compris à la Croix-Rouge :

«/.../ je constate la partialité extrême des Genevois en faveur de la France. Non

seulement le Journal de Genève se refuse systématiquement à publier tout document favorable

aux Allemands ; mais (je te le dis, en confidence, je ne voudrais pas que cela sortît de chez

nousj, la Croix-Rouge de Genève ferme volontiers les yeux sur les plaintes allemandes ; elle

cherche quelque prétexte d'ajourner, de ne pas répondre ; et cela m'a quelquefois serré le

cœur, lorsqu'il s'agissait d'un fait précis et d'un individu coupable, qui peut continuer à

exercer sa malfaisance. Les derniers convois d'internées civiles, qui venaient de l'ouest

français semblaient avoir vraiment beaucoup souffert. Cela me fait de la peine. Je ne dis

rien ; mais je dois enregistrer bien des choses. »6:)8

Et encore, dans une lettre adressée à sa mère :

« [La censure françaiseI laisse passer toutes les lettres de prisonniers en France, qui

écrivent en allemand ; et ces lettres sont souvent du ton le plus injurieux ou le plus

impertinent pour la France. Nous sommes souvent très gênés d'avoir à transmettre de pareils

libelles en Allemagne. Le rôle de la Croix-Rouge internationale n'est pas d'apprécier ces

opinions. (Mais je sais des collègues français de sang ou de sympathies, qui ne se gênent pas

pour les apprécier - et pour les supprimer, au passage. Ceci, tout à fait entre nous.) »659

Bien sûr, ce ne sont que quelques cas isolés, mais ces rares exemples suffisent à

choquer Rolland, qui pensait trouver en la Croix-Rouge un organisme véritablement

impartial.

Une analyse nuancée en fonction de ses propres idées

Ce sont ses propres idées que Rolland cherche à retrouver au sein de la Croix-Rouge

internationale. Par exemple, il voit en elle un organisme qui cherche à discerner, au milieu des

combats, ce qu’il reste d’humain, de fraternel - car c’est ce qu’il cherche, lui. Dans l’article

du Journal de Genève, où il rend hommage à l’œuvre de la Croix-Rouge, il écrit :

Lettre à Madeleine Rolland*, 14 novembre 1914.

214
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

« Elle n 'est pas seulement bienfaisante, en renouant les liens brisés par la bataille

entre le soldat prisonnier et les siens. Par son œuvre de paix, par sa connaissance impartiale

des faits dans les pays en lutte, elle peut contribuer à détendre un peu la haine, exaspérée par

des récits hallucinés, et à montrer chez l'ennemi le plus acharné ce qui reste d'humain. »660

Or, la Croix-Rouge ne cherche nullement à avoir une action politique, à « montrer

chez l'ennemi le plus acharné ce qui reste d'humain ». Sa mission est de venir en aide à

toutes les personnes touchées par la guerre, mais pas de réconcilier les deux camps ennemis.

Aussi, les idées de Rolland ne sont peut-être pas toujours en accord avec celles de la Croix-

Rouge.

Cependant, le désaccord se fait essentiellement au sujet du rôle que devrait jouer le

Comité directeur de la Croix-Rouge.

2. Une direction trop timorée

L’impuissance de la Croix-Rouge internationale

Romain Rolland note, en bien des cas, l'impuissance de la Croix-Rouge internationale,

dont l’action se heurte au mur officiel de l’administration. Bien souvent, en effet, les lenteurs

de cette dernière viennent étouffer les efforts entrepris par l’organisme ; dans son Journal, par

exemple, il consigne avec regret :

« Le If Ferrière avait aussi un entretien avec un personnage important du monde

diplomatique français. Il savait qu'une quantité d'effets pour l'hiver avaient été envoyés

d'Allemagne en France, pour les prisonniers allemands, et que les envois s'amoncelaient

sans qu'on les distribuât. Il demandait qu'on se hâtât. Le personnage répondait que c'était

impossible : les formalités administratives s y opposaient. Le docteur offrait de télégraphier à

la Croix-Rouge allemande, pour hâter l'accomplissement de ces formalités. Mais l'autre s'y

refusa sèchement, déclarant qu 'on devait laisser l'administration suivre son cours. »661

Et bien d’autres exemples ont été recueillis par Rolland :

659 Lettre à sa mère*, 26 janvier 1915.


<’<’0 Romain Rolland, Inter arma caritas, dans le supplément au. Journal de Genève du 4-5-6 novembre 1914. Voir
la pièce justificative IV, 2e colonne.
661 JAG, p. 97.

215
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

« Nous remarquons que les commandants militaires allemands, (surtout des territoires

occupés) sont en général humains. Ils cherchent autant qu 'ils peuvent à nous transmettre les

lettres des Français du pays. Ce sont les ordres d'en haut qui empêchent la transmission. -

Même le consul d'Allemagne en Suisse fait ce qu'il peut pour faire passer les lettres. Mais

elles se brisent au mur de la consigne officielle. »662

D’autre part, les démarches engagées par la Croix-Rouge ne sont pas toujours suivies

d’effets :

« Hélas ! on ne répond pas, de France ni d'Allemagne, neuf fois sur dix, aux

observations que l'on fait. La Croix-Rouge internationale n’est pas une institution officielle.

On s'en sert, quand on pense qu 'elle peut vous être utile. Mais quand elle vous embête, on

l'ignore, simplement. »663

La Croix-Rouge n’a en effet aucun moyen concret de faire appliquer les remontrances

qu’elle adresse, par exemple, à tel ou tel commandant de camp de prisonnier.

Mais le cas le plus flagrant de l’impuissance de la Croix-Rouge est bien l’incapacité à

faire appliquer la convention de Genève. De nombreux membres du service sanitaire sont en

effet retenus prisonniers, aussi bien en France qu’en Allemagne.

« L'Allemagne, comme la France, détient, contre les articles formels de la Convention

de Genève, des médecins prisonniers depuis des semaines (ou des mois). Mais, pour un cas de

ce genre en France, il y en a dix en Allemagne. Or, nous nous sommes convaincus que la

Croix-Rouge de Berlin ignore ces abus allemands, ou ne peut rien contre eux. (On va tâcher

de I'éclairer par une délégation prochaine de Genève à Berlin664 - ceci, entre nous). Contre

les ordres officiels de l'empire, il arrive que des commandants de place s'arrogent le droit

d'interpréter à leur façon ou de violer tranquillement tel article d'une Convention

Internationale. »665

<l62 Lettre à sa mère*, 15 janvier 1915. - Voir aussi la lettre à Louise Cruppi* du 22 janvier 1915 : « Quand on
arrive à faire passer un pli à un commandant de place, il est bien rare qu 'il ne réponde pas avec humanité. C 'est
la chaîne officielle, bureaucratique, qui est impitoyable, ici et là. »
663 Lettre à sa mère, 8 janvier 1915, Cahier XX, p. 68.
664 Le voyage de Ferrière et Ador à Berlin, dont il a été brièvement question plus haut.
665 Lettre à Jean-Richard Bloch, 7 décembre 1914, Cahier XV, p. 303. - Voir également les lettres à sa mère* et à
Louise Cruppi* du 6 décembre 1914, et le JAG, p. 153.

216
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Une direction pusillanime

Face à ces violations flagrantes de la convention de Genève, Rolland estime que la

Croix-Rouge internationale devrait réagir, et protester publiquement. Or, il n’en est rien, et

Rolland formule de nombreuses critiques au sujet du Comité directeur, qui se refuse à faire

entendre sa voix.

« Le même jour, nous avons affaire à la dureté inhumaine des chefs. Les Allemands

(comme les Français) détiennent, au mépris de la Convention de Genève, des médecins

prisonniers. La Croix-Rouge internationale envoie des télégrammes à l'un d'eux et au

Commandant de place d'ingolstadt. Les télégrammes sont retournés refusés. Ce qui est un

second soufflet aux conventions internationales, un refus de reconnaître la Croix-Rouge.

Idem a Grafenhurg. Le If Ferrière, indigné, dit que la Croix-Rouge de Genève doit fermer

ses portes, et le déclarer au monde, si elle n 'obtient pas réparation. Mais le Comité qui la

dirige est conduit par des politiques qui veulent tout ménager. Quelle puissance aurait à sa

tête une personnalité morale intransigeante, un Tolstoï, ou un de ces grands ministres

anglais, forts de la cause qu 'ils représentent et de leurs droits. »666

Si Rolland sait parfois louer « la diplomatie de Ador, sa maîtrise de soi, son habileté et
r > 667
sa fermeté à la fois » , il se montre le plus souvent très critique. Au sujet du rapport d’un

délégué de la Croix-Rouge sur des camps de prisonniers anglais en Allemagne, révélant un

traitement abominable procédant d’une « mentalité bestiale », il note : « X. me laisse prendre

connaissance, en cachette, de cette lettre secrète, que la prudence de M. Ador et de son

Comité engloutira dans le silence. »668

Rolland est en effet persuadé que si la Croix-Rouge internationale intervenait

officiellement et publiait dans les journaux ses réclamations contre les détentions arbitraires

de médecins et d’infirmiers, ceux-ci seraient relâchés. Aussi, il condamne le silence de la

Croix-Rouge, dû à la timidité et à la faiblesse du Comité directeur. Celui-ci manque à sa

mission : il méconnaît la véritable influence qu’il pourrait avoir, et ne prend pas son rôle au

sérieux. A ce sujet, une conversation retranscrite intégralement dans le Journal apporte un

éclairage très intéressant :

« Les violations de la Convention de Genève sont constantes et patentes, f... /

666 JAG, p. 143-144.


667 Voir ibid., p. 176.
668 Voir ibid, p. 273-275.

217
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Je dis à F.669 : « Mais comment ne protestez-vous pas ? — Oh ! dit-il, nous protestons

par lettre, auprès du ministre de la Guerre ; mais il ne nous répond même pas. — Et vous

l'acceptez ! lui dis-je. Mais ce n 'est pas auprès de lui, c 'est auprès de l'opinion publique des

pays neutres de l'Amérique, du monde entier qu 'il faudrait protester ! — Mais que sommes-

nous ? dit-il. La Croix-Rouge internationale n 'a même pas une existence officielle. Elle est

officieuse. Elle n'est pas une personnalité juridique. Elle n'existe qu'à l'ombre des États, et

par leur bienveillance. — Elle existe, en fait, depuis 50 ans, lui dis-je. C'est une vie plus

longue que celle de beaucoup de gouvernements. Elle a fait ses preuves dans de célèbres

campagnes ; elle a de glorieux états de services ; tous les peuples la connaissent ; elle devrait

avoir une conscience plus ferme de sa force. Vous vous plaignez qu'elle manque d'autorité.

C'est votre faute. Il faut d'abord croire en soi pour que les autres y croient. » Le bon F.

paraît affecté, un peu gêné. « Oui, vous avez raison, dit-il. Je crois bien que vous avez raison.

Mais je vais vous dire : nous ne sommes pas assez forts. M. Ador est un homme de grand

mérite, très habile, très intelligent, qui a des qualités de premier ordre, et qui l'a bien

montré ; mais c 'est un parlementaire : il a horreur de tout acte d'autorité ; il évite à tout prix

les difficultés graves ; il les tourne ; parfois, il les résout, par son adresse ; il dit que nous ne

sommes rien, à la Croix-Rouge internationale, rien que les intermédiaires entre les diverses

Croix-Rouges nationales ; nous n'existons pas au-dessus d'elles, mais entre elles comme

simple lien. Les autres membres du Comité de direction ne sont pas des personnalités qui

s'imposent... Alors on se sent faible, on veut surtout ne pas avoir d'histoires... »[...] »67ü

Et Rolland conclut, après avoir abordé une nouvelle fois l’idée de remuer l’opinion

américaine, au moyen de la Croix-Rouge des États-Unis, idée rejetée dans l’immédiat par son
interlocuteur :

« Ces hommes sont bons, dévoués, d'une honnêteté admirable ; mais si timides, si

timorés, sans foi - sans foi dans les principes qu 'ils représentent, sans foi en eux-mêmes ! Ils

sont comme écrasés par le sentiment de leur faiblesse et par le poids des événements. /... / Et

pourquoi ne suis-je pas un neutre, en ce moment, un Suisse ou un Américain ? Quel grand

rôle à jouer, et comme je saurais le tenir ! Je ne permettrais pas un seul acte de violation des

engagements internationaux d'où qu'il vînt - sans le dénoncer publiquement au monde.

J'userais largement de la presse et de l'opinion publique. On verrait bien si les

gouvernements des grands Etats oseraient y faire face ! Je suis convaincu que si la Croix-

Rouge internationale signalait officiellement, dans les journaux de Suisse et d'Amérique, la

669
Probablement le Dr Ferrière.

218
Le jugement porté par Romain Rolland sim la Croix-Rouge internationale

détention arbitraire des médecins et infirmiers, une semaine ne se passerait pas sans qu 'ils

fussent relâchés. »671

Rolland, indigné par les violations de la convention de Genève, ne parvient pas à

comprendre le silence des membres du CICR à ce sujet, et Ton voit de quelle façon il

envisage le grand rôle que lui, à leur place, aurait su jouer !

Au sujet d’une autre affaire, mettant en exergue la mauvaise volonté évidente des

pouvoirs officiels français à l’égard de l’action menée par la Croix-Rouge internationale,

Rolland suggère une nouvelle fois :

« Je dis au docteur [FerrièreJ : « Que ne protestez-vous ! Que ne menacez-vous de

signaler ces actes dans le prochain bulletin de la Croix-Rouge ! » Il baisse le dos,

craintivement ; ils ont tous peur, à la Croix-Rouge de Genève, de « se brouiller avec la

République ». Et ils ne voient pas que cette timidité est précisément une raison pour les faire

moins respecter, et enlève toute autorité à leurs réclamations contre les abus de pouvoir de

l'Allemagne. »672

Romain Rolland a-t-il perçu toutes les exigences du CICR ?

Romain Rolland, qui reproche à la Croix-Rouge son silence, n’a peut-être pas pris

suffisamment en compte les délicates exigences du CICR, qui mène un combat à long terme,

nécessitant une absolue neutralité, et ne pouvant se concilier avec une action plus politique.

Le CICR a en effet une certaine obligation de discrétion, de réserve.

Dans un article de la Revue internationale de la Croix-Rouge, où il est question de

l’accusation portée par Rolland contre le CICR, quant à l’attitude adoptée par ce dernier en

présence de violations flagrantes de la convention de Genève, il est estimé que « le président

du CICR et son adjoint virent sans doute plus loin que la libération immédiate de quelques

représentants du corps médical » :

« On ne peut que se féliciter de l’attitude absolument neutre de G. Ador et du D1

Ferrière. Max Huber, avec toute l’expérience acquise par la Croix-Rouge au cours des deux

guerres mondiales, a confirmé cette attitude lorsqu’il a rappelé, dans Le bon samaritain,

670 JAG, p. 234-235.


671 Ibid., p. 235-236.
672 Ibid., p. 568. - Voir aussi, dans ibid., p. 570, une autre affaire : « [La fiancée d’une personne incarcérée par
erreurI vient à Genève, pour intercéder auprès de la Croix-Rouge, qui est, comme toujours, timide et ne veut
rien faire de crainte de se brouiller avec quelqu 'un. »

219
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

renseignement paulinien : « Le Comité doit aussi savoir se taire. Ses tâches les plus

importantes et les plus pénibles, il ne peut souvent les accomplir que par un travail acharné,

effectué en silence. Le cas échéant, il doit supporter le reproche d’inactivité... [...]» »673

Par ailleurs, d’autres éléments de réponse, permettant d’expliquer ce « silence », sont

fournis par la correspondance échangée entre Romain Rolland et le Dr Ferrière. À une lettre

de Rolland, qui offre à Ferrière de faire partie d’un quelconque comité, le docteur répond en

effet :

« Certainement j'accepte de faire partie du « comité » qui distribuerait aussi

judicieusement que possible le bénéfice de la vente du livre de M. Dupin74 ; toutefois, et

j'espère que ni lui ni vous ne verrez dans cette restriction une lâcheté, mais bien un point de

vue légitime, - je préférerais que, tant que je travaille à l'Agence, mon nom ne figure pas à

propos d'une œuvre qui a une figure politique ou sociale quelconque. J'ai tous les jours à

solliciter le bon vouloir d'autorités diverses, fillisibleJ, ministères, etc., et je tiens à ce qu'on

ignore mon opinion et mes sympathies à cet égard ; je crois que cela a une certaine

importance pour la réussite de nos démarches. /... J »67:)

La réponse de Ferrière fait état de la nécessité, pour les membres du CICR, de ne pas

prendre parti ouvertement, tant dans le domaine politique que social. Concernant l’usage de la

presse, une autre lettre fournit une réponse plus précise :

« Nous répugnons beaucoup à entretenir la presse de notre activité ; sans doute nous

en retirerions des louanges, mais aussi de la défiance de la part de ceux qui nous font leurs

confidences ou de ceux qui ont les responsabilités et se servent de nous pour [abréger ?J le

grand circuit de la voie diplomatique. Ceux auxquels nous cherchons à rendre service nous

connaissent, du reste, et c 'est là l'essentiel ; c 'est au nombre de bien des centaines que,

chaque jour, les lettres arrivent et partent de l'Agence. »676

Et à l’occasion du départ de Gustave Ador, nommé Conseiller fédéral en juin 1917,

Ferrière dresse un portrait élogieux du président du CICR :

« Monsieur Ador prend congé de nous demain, je ne le vois pas partir sans

mélancolie ; son sens si sûr dans l'art du parlementarisme et de la diplomatie, sa plume si

673 Paul-Émile Schazmann, « Romain Rolland collaborateur de l’Agence internationale des prisonniers de
guerre », art. cil., p. 141.
674 Le peintre et écrivain parisien Gustave Dupin, dont Rolland a fait publier La Guerre infernale à Genève, chez
Jeheber, au courant de l’année 1916.
675 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 26 octobre 1916.
676 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 13 septembre 1917.

220
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

précise, sa pensée rapide, son expérience politique de 40 ans en arrière, donnaient à notre

Comité une grande autorité. Les collègues sont, hélas, bien au dessous de lui à cet égard et je

crains que nous naviguions désormais dans une barque sans pilote. Or nos responsabilités ne

sont pas toujours faciles à porter, loin de là, quand même nous ne sommes pas « officiels ».

[ i »677

Les difficultés et les exigences du CICR sont assurément bien plus complexes que ne

se l’imagine Rolland, et la prudence diplomatique du Comité, que condamne l’écrivain,

s’avère en réalité indispensable.

3. La charité, raison d’être de la Suisse

La Croix-Rouge internationale n’est pas aussi impartiale qu’elle le devrait, et ne prend

pas clairement position dans le conflit, ainsi que le lui permettrait son statut d’organisme

neutre ; cette critique, Rolland la formule à l’encontre de toute la Suisse.

La Suisse manque à son devoir

Romain Rolland, dont on a vu plus haut qu’il aurait souhaité pouvoir s’exprimer en

tant que citoyen neutre, Suisse ou Américain - quelle portée alors aurait eu son action ! - , se

montre très critique à l’égard des pays neutres, et de leur non-intervention dans le conflit. Les

neutres ont en effet, d’après lui, une mission à remplir, qui est de proclamer haut et fort la

vérité ; leur neutralité leur offre le moyen de prendre position, sans avoir à craindre qu’on ne

les accuse de se montrer partial en faveur de tel ou tel combattant.

Toutefois, « à l’image un peu idéale de la Suisse, telle que Romain Rolland l’avait

cristallisée dans La Nouvelle Journée (« au milieu de l'Europe avide, l'îlot des 24 cantons »),

[vient] se substituer la réalité, souvent décevante, de la Suisse officielle, qui lui réserve un

accueil mitigé et se refuse à entendre sa voix. »67x

077 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 28 juin 1917.


<)78 Introduction de Sven Stelling-Michaud au catalogue d’exposition Romain Rolland et la Suisse, op. cit., p. 6. -
La Nouvelle Journée est le dixième et dernier tome de Jean-Christophe.

221
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Les premières déceptions sont déjà anciennes. Dès la fin du mois de juillet, soit avant

la déclaration de guerre, Rolland critique la neutralité suisse, trop étouffante, dans une lettre

adressée à sa sœur :

« Comme nous le craignions, la protestation genevoise a totalement avorté. Ces gens

sont écrasés sous la dalle tombale de leur neutralité. »679

De plus, la Suisse est en réalité « écartelée entre ses deux races ennemies »680. Ce pays

placé entre les belligérants ne peut échapper à la tornade européenne : aux sympathies de la

Suisse romande pour la France répondent les sympathies de la Suisse alémanique pour

l’Allemagne, et la guerre secrète que se livrent « les deux Suisses» est révélée à plusieurs

reprises au grand jour - lors d’une affaire d’espionnage par exemple :

« Le procès des deux officiers suisses surexcite l'opinion. Je ne m'emballe point. Je

sais très bien que c 'est un simple épisode de la haine des cantons romands pour Berne, haine

causée par le rude pouvoir et le mépris de Berne pour les cantons romands. On a beau

s'efforcer, depuis dix-huit mois, de donner le change sur la guerre secrète engagée entre les

deux Suisses. Tôt ou tard, elle éclatera au grand jour. Tout incident dévoile l'amas de

rancunes et de « détestation » cachées. »6X1

Aussi, en raison de ces sympathies adverses, la Suisse manque à son devoir

d’impartialité :

« Je continue d'amasser les documents. Je crève de tout ce que je ne puis pas dire.

Car il ne faudrait pas croire que, même ici à Genève, il me soit possible et permis de tout

dire. J'estime (entre nousj que la Suisse française aura beaucoup contribué à égarer

l'opinion française ; car elle est aussi passionnée que la France ; et s'il faut lui en savoir gré,

patriotiquement, - ce n'est certes pas une aide dans la recherche de la vérité. Pauvre
r .., , 682
vente ! »

Car pour Rolland, le rôle moral de la Suisse est de dire, dans ses journaux, la vérité.

Or, le Journal de Genève, par exemple, manque à cette mission. Dès janvier 1915, Rolland

fait savoir à sa mère :

Lettre à Madeleine Rolland*, [28 juillet 1914 ?].


680 Cahier XV, p. 308.
681 Lettre à sa mère, 18 janvier 1916, Cahier XX, p. 217.
682 Lettre à Georges Pioch*, 28 mai 1915. - Georges Pioch, journaliste parisien, directeur de la revue Les
Hommes du Jour.

222
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

« Mais la situation est étouffante pour un esprit libre. Il n'y a aucun doute qu’ici

même, au Journal de Genève, je suis le plus libre, le seul libre, - et que je gêne. Je reçois

chaque jour d'admirables documents, d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre, des pays du nord,

qui montrent d'ardentes aspirations vers une sorte d'union des esprits européens. Le Journal

de Genève se rendrait à jamais glorieux en se faisant la tribune de ces voix venues de toutes

les parties du monde. Mais il n 'en a pas la grandeur. Il est petit-bourgeois timide et

rancunier, incapable de s'élever aux intérêts supérieurs. »683

Et il formule encore la même critique, un an plus tard :

« J'ai eu l'occasion de dire à Seippel avant-hier ce que j'avais sur le cœur, à propos

de la Suisse romande. Il en a été gêné, mais n 'a pu me répondre : car il est trop évident que

ces gens voudraient avoir tous les bénéfices matériels et moraux de l'impartialité, sans en

exercer aucun des devoirs. Le Journal de Genève a une façon de « présenter » et de

« cuisiner » les nouvelles de l'étranger, qui est un modèle de duplicité. Tous les efforts des

modérés hollandais et américains se sont heurtés ici à la plus insigne mauvaise foi. »684

Et Rolland a bien d’autres occasions de formuler ses griefs à l’encontre des

journalistes suisses, qui ne savent demeurer à l’abri de l’aveuglement des passions.683

Aussi, en définitive, Rolland estime que la position de la Suisse se révèle bien

décevante - à l’exception toutefois de la Croix-Rouge internationale.

La Suisse, foyer de la Croix-Rouge internationale

Car toutes les critiques formulées par Romain Rolland à l’encontre du CICR ne

doivent pas faire oublier que l’œuvre de la Croix-Rouge demeure tout de même véritablement

remarquable : dans le domaine de la charité, la Suisse a rempli sa mission.

L’écrivain porte ce jugement dès le mois de décembre 1914. Suite à un article du

Temps qui lui est hostile, où l’on estime notamment que ses articles « s'accordent mal avec la

ligne générale suivie par notre excellent confrère genevois »686, Rolland note :

683 Lettre à sa mère*, 3 janvier 1915.


1,84 Lettre à Madeleine Rolland*, 3 janvier [1916],
685 Voir par exemple la lettre adressée par Rolland à Georges Wagnière*, le directeur du Journal de Genève,
datée du 21 juillet 1915, ou le JAG, p. 615 et p. 1028.
686 * 1 1
« Deux intellectuels », article non signé, dans Le Temps du 17 décembre 1914. - Voir./4G, p. 181.

223
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

« La tactique du Temps ne manque point son effet. Je ne trouve plus aucun

encouragement pour ma lutte, au Journal de Genève. Ces nigauds, qui devraient être fiers de

s’associer à une œuvre de réconciliation européenne, ont peur des polémiques qu’elle

soulève ; ils craignent que je ne les compromette auprès de la presse française. Même ceux

qui, dans le fond du cœur, sympathisent avec moi, évitent de me le dire. Et les autres se font

bruyamment chauvins français, sans risques. En dehors de la Croix-Rouge internationale, je

n 'ai pas appris à estimer beaucoup, depuis cinq mois, la position prise par la Suisse, dans la

guerre européenne. Elle met tout son héroïsme à ne pas se compromettre. »687

Huit mois plus tard, c’est toujours la même remarque :

«[...] Je ne puis dire la déception attristée et méprisante que m ’a causée depuis un an

la Suisse romande. Si elle n 'avait, pour la racheter, le saint dévouement de quelques justes,

qui travaillent à la Croix-Rouge, il faudrait dire qu'elle a joué (avec les États-Unis, gras de

la mort de l'Europe), le rôle le plus détestable ; elle excite haineusement à la haine, sans

risques et sans intérêts : on dirait méchanceté de vieille fille qui s'ennuie. »688

Et dans une lettre à son ami Paul Seippel, il écrit :

« Que désirez-vous au juste que je vous écrive sur la Suisse. Vous savez qu 'en dehors

de son admirable œuvre de charité internationale, je trouve qu'elle n'a pas rempli son vrai

devoir de médiation intellectuelle et morale, dans cette guerre. Mais ce n’est pas à moi, qui

suis son hôte, de le lui dire f... / »689

Citons enfin un dernier exemple. En mai 1916, Rolland reçoit la visite d’un député

russe, de passage à Genève ; après cette visite, il note dans son Journal :

« Ce Russe est convaincu, comme la plupart des Français, que du moins les journaux

suisses disent la vérité. /... j Je vois d'autant mieux la responsabilité morale du Journal de

Genève, de La Gazette de Lausanne et de leurs confrères minores, dans les illusions

meurtrières des peuples. Le vrai droit moral de la Suisse à l'existence était la vérité. Elle n 'a

cessé d’y manquer.

Non ! La Suisse a une autre raison d'être : la charité. Et celle-là, elle la réalise

pleinement. Que le reste soit oublié. »69ü

687 JAG, p. 182. - Voir aussi ibid., p. 206: « Les Suisses craignent de se compromettre et que je ne les
compromette. »
688 Ibid., p. 483.
689 Lettre à Paul Seippel, 6 octobre 1915, citée dans Ursula Pieper-Reutimann, Die Rolle der Schweiz in Romain
Rollandspolitischen Schriften zum Erslen Weltkrieg, Zürich : Zentralstelle der Studentenschaft, 1983, p. 137
690 JAG, p. 805. - Voir également ibid., p. 985 : « Je crois qu 'en effet la Suisse est mieux placée que quiconque

224
Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge internationale

Romain Rolland souhaiterait vraiment rendre de grands services à la Croix-Rouge,

dont il loue l’œuvre admirable, mais sa place reste celle d’un modeste collaborateur ; on ne

sait pas l’employer à sa juste valeur. En outre, il formule des critiques sévères à l’encontre de

la direction qui, bien trop timorée, manque à sa véritable mission.

Ce désaccord serait-il à l’origine du départ précoce de Romain Rolland ?

pour travailler au rapprochement futur des nations. Mais je constate qu 'elle fait bien peu, en dehors de la
charité où elle est admirable, et qu 'au contraire sesjournaux trop souvent enveniment le mai », et p. 1217.
Chapitre III : Un départ précoce

« Hier, il faisait si beau que j'ai fait l'école buissonnière. Parti pour l'Agence je suis allé dans les

champs. C’était une journée merveilleuse, un ciel presque italien, une douceur printanière. J'ai été dans des

prairies, au bord de l'Arve. Le soleil était chaud. Les arbres ont des bourgeons gonflés. » - Lettre de Romain

Rolland à sa mère*, 3 décembre 1914.

Le travail de Romain Rolland à l’Agence de Genève ne s’est pas poursuivi jusqu’à la

fin de la guerre : dès 1916, Rolland cesse de s’employer au musée Rath. Cependant, ce départ

demeure mal connu, et la date précise en est incertaine, de même que les motifs. Bien des

raisons viennent sans doute expliquer que Rolland interrompe si tôt sa collaboration.

1. Une première interruption, à l’été 1915

Romain Rolland quitte une première fois l’Agence à l’été 1915 : il ne s’agit que d’une

interruption momentanée, mais qui a souvent été prise pour le départ définitif. En réalité, dès

la fin de l’hiver 1914-1915, l’écrivain éprouve une certaine lassitude, après l’enthousiasme

passionné des premiers mois (d’octobre à décembre 1914, tout particulièrement).

Les premiers signes de lassitude

Ceux-ci apparaissent dès février 1915. Rolland propose en effet à sa mère de venir le

rejoindre, aux premiers beaux jours :

« Chère maman, mon offre de venir me rejoindre n 'a rien de lointain, ni de

problématique. Viens dès que tu le pourras, dès que la saison sera un peu attiédie et que

commencera le premier printemps. Alors, je n 'hésiterai pas à lâcher pour quelque temps

l'Agence, pour respirer l'air des champs. Vraiment, j'y aurai un peu droit. J 'ai travaillé

bien sagement, cet hiver, pour les autres ; je n 'ai presque pas manqué un jour. Je serai bien
691
content que tu viennes. »

Il réitère son invitation, quelques jours plus tard :

226
Un départ précoce

« J'aspire au printemps, - doublement, parce que je t'attends fermement aux premiers

beaux jours, et que je suis bien décidé à prendre alors la clef des champs. J'y aurai droit,

après six mois d'Agence et de travail acharné. Oh ! comme ce sera bon de respirer un peu, -

si les événements ne viennent encore jeter un nouveau trouble dans nos projets ! »692

La satisfaction de Rolland peut sembler un peu égoïste : il a rempli son devoir, en

travaillant pour les autres, et a droit à présent à prendre un peu de repos.

L’idée de prendre quelque repos dès le printemps le poursuit. Il déplore en effet la

vanité de son action, et souffre de la méchanceté et de la bêtise universelles. Aussi envisage-t-

il de se retirer :

« Mais où pourrais-je aller ? Puisque l'Europe entière est folle. Dans les montagnes ?

Peut-être. J'attends le printemps, pour y faire une cure de repos et d’oubli. - Jet 'assure qu 'il

y a des moments, quandje lis, quandj'acquiers la preuve de plus en plus profonde qu 'aucun

des peuples en guerre ne voulait la guerre, que tous se croient attaqués, que tous sont

exploités et croient imbécilement à toutes les impostures que leur disent leurs exploiteurs, - il

y a des moments où j'en pleurerais ; j'ai le dégoût ou la pitié des hommes, - cette pauvre

espèce humaine, à qui il suffirait d'un petit peu de bon sens pour avoir le bonheur, et qui met

toute sa force, sa vertu, son génie, à se faire souffrir. - Il faudra qu 'au printemps je

m'arrache à ce triste spectacle, oùje me sens impuissant àfaire le moindre bien. »693

Il semble alors bien décidé à prendre congé de l’Agence, peut-être même de façon

définitive.

« Nous allons être expulsés du musée Rath, - nous, les civils. Le militaire continue de

s’étendre. Dieu sait où nous serons relégués, en ville ! [...J Pour moi, cela m’est assez

indifférent, puisque je suis à peu près résolu à prendre mon congé, au printemps. »694

Il ne paraît pas ici envisager un retour ultérieur. Il légitime son départ par le fait qu’il

est devenu moins indispensable à l’Agence : « ... je me ferai d’autant moins scrupule de

prendre congé, au printemps, que le travail a beaucoup diminué, à l’Agence. »695, et qu’un

temps de repos lui serait nécessaire : « Il sera bon que je puisse, au printemps, me reposer et

oublier presque tout àfait, pendant quelques semaines, afin de retremper mes forces. »6%

Lettre à sa mère*, 13 février 1915.


692 Lettre à sa mère*, 17 février 1915.
693 Lettre à sa mère, 19 février 1915, Cahier XX, p. 104-105.
694 Lettre à sa mère*, 21 février 1915.
695 Lettre à sa mère*, 7 mars 1915.
696 Lettre à sa mère, 14 mars 1915, Cahier XX, p. 118.

227
Un départ précoce

La mère de Rolland arrive dans les premiers jours du mois d’avril. Pourtant, il ne

prend pas congé de l’Agence, comme il l’avait prévu, et tous deux restent à Genève, à

l’exception de six jours de repos, fin mai, à la Pentecôte, passés à Chamby, au-dessus de

Vevey.697 Ce n’est qu’en juillet, finalement, que l’écrivain va quitter Genève pour plusieurs
semaines.

La « retraite » de l’été 1915

La majorité des ouvrages sur Romain Rolland indiquent comme date finale de la

présence de l’écrivain à l’Agence le 3 juillet 19 1 5698. Cette erreur est sans doute imputable, de

façon bien involontaire, à Romain Rolland lui-même. On trouve en effet dans son Journal, en

date du 3 juillet 1915, cette mention laconique : «Samedi 3 Juillet. Mon dernier jour de

travail à l'Agence. »699 Dans Y Introduction à. L'Esprit libre, où il reprend visiblement les

dates du Journal, il fait allusion à ses notes du 3-7 juillet 1915 - «derniers jours de mon

travail à l'Agence Internationale des Prisonniers »...700

Or, il faut comprendre, par ces « derniers jours de travail », les dernières journées

passées par Romain Rolland à l’Agence à ce moment précis, c’est-à-dire avant son départ

imminent de Genève, et non les derniers jours pour toute la guerre. Car il n’est alors

nullement question d’interrompre définitivement son travail à l’Agence, ainsi que le prouve

une lettre qu’il adresse le 4 juillet au Dr Ferrière.

«Au moment où je prends congé (momentanément) de l'Agence des Prisonniers de

Guerre, je voudrais vous dire combien j 'ai été heureux de vous connaître et de travailler

auprès de vous depuis neuf mois. Certes, ma collaboration vous a été d'une aide bien

médiocre ; et d'autre part, nous n'avons jamais pu échanger, au milieu du travail, que des

entretiens hâtifs. Mais ces petites causeries journalières m'étaient bienfaisantes, en me

faisant connaître votre large esprit de justice et d'humanité, a la fois sensible à toutes les

iniquités et indulgent à toutes les faiblesses de cette pauvre espèce humaine [...]. A une

époque où presque tous les esprits sont entraînés par les passions de partis, même dans les

697
Voir JAG p. 371 et p. 377.
Dans la chronologie en fin du Romain Rolland par lui-même de Jean-Bertrand Barrère, op. cil. ; dans la thèse
de René Cheval sur Romain Rolland, l'Allemagne et la guerre, op. cil. ; dans Paul-Émile Schazmann, « Romain
Rolland collaborateur de l’Agence internationale des prisonniers de guerre», art. cit. ; dans le récent Romain
Rolland de Pierre Sipriot, Paris : Bartillat, 1997 ; etc.
699 JAG, p. 426.

228
Un départ précoce

pays neutres, ce m'a été un réconfort de trouver une pensée comme la vôtre, avec laquelle je

me sentais toujours en pleine sympathie. »701

Il joint à cette lettre la collection de ses Jean-Christophe. Ferrière lui répond par retour

du courrier, pour le remercier de ses affectueuses lignes et de son beau cadeau, et il ajoute :

« [...] J'ai beaucoup joui de nos courts échanges à l'Agence à propos des mille

détails journaliers ; j'ai été parfois un peu honteux de vous avoir offert un interlocuteur d'une

culture si médiocre, mais vous avez bien voulu ne jamais me le laisser sentir. Je suis heureux,

de mon côté, d'avoir pu contribuer pour une faible part à atténuer pour vous l'énorme

tristesse de ce temps. En ce qui me concerne qu'il me suffise de vous dire que je risque de

travailler avec moins de courage en voyant votre place vide à côté de moi. Vous m'avez plus

aidé que vous ne le pensez et votre généreux bon sens m'a été d'un grand appui, aussi le mot

« temporairement » que je trouve dans vos lignes ne me laisse-t-il pas indifférent, croyez-le

bien, lors même que bien souvent je me suis dit que ce petit travail terre à terre était pour

vous une généreuse perte de temps. »702

Le 5 juillet, Rolland écrit à Stefan Zweig :

« Je me lasse, à la fin. Voici un an que j'essaie de faire entrer un peu de raison et de

pitié fraternelle dans la tête de ces exaltés. J'ai beau user de ménagements et panser les

blessures, de la main la plus douce que je puis. Je ne réussis qu'à me faire accuser par

chaque parti d'être gagné à la cause de l'adversaire. Je ne m'affecte pas beaucoup d'être

injurié ou condamné par tous. Mais, en vérité, je perds mon temps : je n 'ai pas conquis une

âme a la cause que je défends.

Or donc, je me retire : rien à faire contre le fléau, qu 'à le laisser s'épuiser de lui-

même. Je n'écris plus d'articles. Je sens se réveiller en moi le besoin impérieux de la vie

intérieure, - de l'art, que j’ai refoulé depuis un an703. [...]- Bref, je quitte Genève, dans une

700 Introduction à I. ’Esprit libre, op. cil., p . 40.


701 Lettre à Frédéric Ferrière, 4 juillet 1915, citée dans Marc Reinhardt, «Romain Rolland et les Ferrière :
Visages d’une correspondance », art. cit., p. 156-157. - Cf. JAG, p. 426 : « Certes, une des rares bonnes chances
qui m 'aient échu, en cette guerre, a été de me trouver journellement en rapport avec le seul esprit de Genève (je
le crois), qui soit resté juste, impartial et largement humain, au milieu du conflit universel. /... / Une modestie
excessive, une défiance de soi, qui s’exagère certains manques de dons extérieurs, une difficulté (relative)
d’élocution et de style, ont empêché le Dr Ferrière d’avoir la renommée que lui méritaient sa science, son
caractère, sa riche expérience et son grand cœur. »
702 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 5 juillet 1915.
703 Rolland se refusait en effet à écrire toute oeuvre littéraire pendant la guerre. Encore le 22 janvier 1915, il
écrivait à sa mère : « ... je lis et travaille, tout le temps. Pas à une œuvre d’imagination. Décidément, c’est trop
tôt. Il faudrait être trop égoïste. Je ne le pourrai que le jour où les Allemands seront repoussés de France (le
seront-ils ?). » (iCahier XX, p. 82).

229
Un dépar t précoce

huitaine, et je vais chercher, dans quelque haut vallon fermé de la Suisse allemande, auprès

d'un frais ruisseau pour compagnon, le tête ù tête avec l'impassible nature et avec le démon

inconnu, que chacun porte en soi. Il me mord les flancs, en ce moment. Neuf mois de

gestation - neuf mois de travail quasi-ininterrompu à l'Agence de Genève - lui donnent le

droit, qu'il réclame, de montrer son museau à la lumière. Je m'en vais faire mes couches...

Quelle chose singulière que cette force de la vie, indépendante du cœur, plus forte que la

volonté ! »704

Comme toujours, Rolland cherche refuge en la nature et en l’art.705

Le 7 juillet, il fait savoir à son amie Louise Cruppi qu’il compte s’isoler un peu pour

travailler :

« Je laisse l'Agence des Prisonniers, pour quelques mois. Voilà neuf mois en somme

que j y travaille. Je puis m'accorder un peu de temps pour mon travail personnel. Je le sens

qui réclame. Ilfaut lui faire sa part. »706

On a vu, en effet, dans le chapitre IV de la première partie, que le travail à l’Agence

lui prenait, avec le dépouillement de son courrier et la lecture des journaux, l’ensemble de ses

journées, ne lui laissant guère de temps à lui ; à Stefan Zweig, il fait état de « neuf mois de

travail quasi-ininterrompu ». On voit aussi que le travail à l’Agence est la seule raison qui le

retient à Genève, et qu’il se sent tenu de se justifier de son départ : il n’a pas cessé son travail

plus tôt, mais maintenant, après neuf mois, il lui semble bien qu’il a droit à faire œuvre plus

égoïste, et à cesser de travailler pour les autres à l’Agence. Il a fait son dû, il peut à présent

quitter Genève.

Ce départ ne serait d’ailleurs que temporaire : « je laisse l'Agence des Prisonniers,

pour quelques mois ». Rolland prévoit de revenir, ce qui est confirmé par le Journal, dans une

note du même jour : « Je me retire, dans quelques jours, de Genève. Je suspends mon travail,

à l'Agence des Prisonniers, où pendant neuf mois, chaque jour, je m'asseyais à côté du bon

If Ferrière. »707, et par une lettre au peintre Simon Bussy : « Je quitte Genève, je vais un peu
dans la montagne ; je suis fatigué, et je suis pris brusquement d'un besoin d'accoucher. De

quoi ? Je n 'en sais rien. Mais je sens je ne sais quelle œuvre qui me travaille la tête. Il faut

que je m'en délivre. Après, je reprendrai mon service ù Genève. »708

04 Lettre à Stefan Zweig*, 5 juillet 1915. - Voir également JAG, p. 431.


705 Cf. la présentation biographique de la première partie.
706 Lettre à Louise Cruppi*, 7 juillet [1915],
707 JAG, p. 431.
708 Lettre à Simon Bussy*, 13 juillet [1915],

230
Un dépar t précoce

Cette volonté de travailler à nouveau pour lui s’explique aussi par la lassitude qu’il

éprouve quant à la vanité de son action707 : aussi, il veut « oublier [...], pour un temps, ces

folies et ces fous, afin de faire retraite, quelques mois, dans l'art éternel. [...] J'ai assez vu le

monde des autres. J'ai le droit, à présent, de rentrer dans le mien. »71l>

En outre, la brochure d’Henri Massis, Romain Rolland contre la France, vient de

paraître, début juillet ; et une nouvelle accusation diffamatoire - Rolland serait adhérent d’une

ligue patriotique allemande - est portée contre Romain Rolland, dans Le Temps du 7 juillet.711

Pour couronner le tout, un professeur allemand, Dr August Messer, envoie à Y Internationale

Rundschau de Zürich une diatribe contre Rolland, qu’il termine en déclarant que celui-ci se

rend « complice de la prolongation de la guerre ! ».712

C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Rolland est excédé : «Je commence à

en avoir assez de tous ces fous, et je me décide à les envoyer tous paître. »713 Le 17 juillet, il

adresse au directeur de Y Internationale Rundschau une lettre où il fait savoir qu’il renonce

désormais à se faire entendre :

« [... / Je me retire avec lassitude d'une aveugle mêlée, où chacun des combattants

n 'écoute que sa propre passion et redit à tue-tête ses propres arguments, sans chercher le

moyen de les rendre progressivement accessibles aux autres. J'ai voulu le faire pour eux : j'ai

tenté l'impossible. Je ne m'en repens pas, c 'était mon devoir de le tenter ; mais je sens

l'inutilité de persister davantage... »714

Le départ de Genève se fait enfin, le 22 juillet :

« Jeudi, 22 Juillet. Je quitte Genève, où je vis depuis dix mois. Je suis dans un état de

très grande fatigue nerveuse. /. . . j Je vais chercher un peu de repos et de recueillement dans

un coin de montagne, oùje sois seul, à Château d '(Ex. »715

Rolland reste une dizaine de jours à Château d’Œx, dans le canton de Vaud. Le 30

juillet, il écrit à son ami Gaston Thiesson : « J'ai quitté Genève et l'Agence. J’étais écrasé de

1{)) «Je ne me lasse point Je croire. Pas une minute, depuis douze mois, ma foi n’a été ébranlée. Mais je sens
l ’inutilité de la répéter à des hommes qui se sont bouché les oreilles pour ne pas entendre.», JAG, p. 43 1.
710 Ibid., p. 431-432.
711 Voir ibid, p. 440.
712 Ibid., p. 442.
713 Ibid., p. 442,
714 Ibid., p. 442-443. - La lettre est publiée dans le numéro de la revue zurichoise du 20 juillet : « Et aussitôt, les
journaux anti-pacifistes le reproduisent, en jubilant. », ibid., p. 447.
715 Ibid, p. 446.

231
Un départ précoce

fatigue, suffoqué par la bêtise humaine. J'avais besoin de me retrouver seul à seul avec la

nature et avec la source de vie. Il me faut pendant quelque temps respirer et créer. »716

Si Rolland quitte Genève le 22 juillet, il a vraisemblablement cessé son travail à

l’Agence trois semaines plus tôt, le 3 juillet. Cette retraite momentanée, après neuf mois de

travail, est essentiellement due à la lassitude qui s’empare alors de Rolland : il a besoin de se

retirer quelque temps, de cesser d’écrire ses articles, de se réfugier dans l’art ; c’est le départ

de Genève qui s’avère indispensable, et ce départ implique que Rolland suspende également

son travail à l’Agence. Ses légers désaccords avec la direction de la Croix-Rouge ne semblent

pas entrer ici en ligne de compte ; toutefois, il est vrai que le sentiment de lassitude qui

s’empare de lui concerne aussi son activité au musée Rath.

Durant son absence, Rolland reste en contact avec l’Agence

Après Château d’Œx, Rolland séjourne à Thun, en Suisse alémanique (1er août - [6]

septembre), puis à Vevey, sur les bords du lac Léman ([7] septembre - 23 octobre). Sa

« retraite » se déroule tranquillement, entre promenades, lectures et visites717 ; toutefois, il n’a


guère de temps pour son travail personnel718. Le 10 août, alors à Thun, il fait savoir à sa
mère :

« Tu ne te figures pas la quantité de lettres que je reçois, à chaque poste. C'est

effrayant. Je passe une partie de la journée à dépouiller ce courrier et à y répondre. Presque

toutes les lettres sont à propos de ma lettre de retraite, et me supplient de continuer. Il en

vient de partout, de France comme d'Italie (et du front italien). Beaucoup de ceux qui se

taisaient, tandis que j'écrivais, se décident à parler, maintenant que je me tais. - J'ai aussi

plusieurs visites annoncées de jeunes écrivains français connus, qui veulent m'apporter leur

sympathie et celle de leurs amis.719 - Et je crains bien d'en avoir davantage encore, par la

suite (de visites et de lettres), car les journaux de Suisse allemande viennent d'annoncer mon

séjour ici. Mon pauvre travail personnel n 'avance guère. »72<>

6 Lettre à Gaston Thiesson*, 30 juillet [1915],


717 Rolland rend visite à Hermann Hesse à Berne, à Cari Spitteler à Lucerne, reçoit la visite d’Albert Einstein et
d’Henryk Sienkiewicz à Vevey, etc.
718 t J
Rolland prépare notamment la publication en volume de ses articles, qui verra le jour en novembre, à Paris,
chez OllendorfF. - Cf. annexe 19.
719 Notamment René Arcos.

232
Un départ précoce

Rolland reste donc absent de Genève pendant trois mois, durant lesquels il reste

toutefois en contact avec l’Agence. Il a notamment chargé — officieusement - Henri

Guilbeaux, employé à l’Agence depuis le début du mois de juin, de le remplacer. Aussi,

quand Wilhelm Herzog lui signale le cas de Max Dauthendey721, il soumet la requête à son
ami, qui lui répond :

« II est difficile a l'agence de s'occuper de Max Dauthendey. j... ] J'ai soumis le cas

au Dr Ferrière. Celui-ci me dit que le climat de Java n 'est pas très mauvais. Pour pouvoir

retourner chez lui - il faudrait que Max Dauthendey ait l’autorisation de l’Angleterre, de la

h rance et de l'Italie pour pouvoir voyager sur le bateau d'un pays neutre. Je prends note en

tout cas de la carte de M. Herzog et j'ai fait une fiche. Peut etre trouvera t on quelque moyen

/illisibleJ. »722

En septembre, à une demande de renseignement qui lui est adressée par la directrice de

YAssistance par le Travail, Rolland répond :

« Absent de Genève pour un peu de temps encore, j'ai prié mon ami Henri Guilbeaux,

qui me supplée à l'Agence internationale des prisonniers de faire aussitôt les recherches

nécessaires au sujet du lieutenant Jacques Kahn. Aussitôt rentré à Genève, je m'en occuperai

également. » '

Henri Guilbeaux sert également à Rolland d’intermédiaire pour sa correspondance

avec l’Agence. Le 26 juillet, il lui signale : « Je vous enverrai chaque jour la Gazette des

Ardennes que me remettra pour vous Mlle Happia,724 »72:) Et encore, trois jours plus tard :

« J'ai remis à Mlle Appia la lettre que vous m'avez transmise. C 'est entendu pour la lettre

que vous me communiquerez. »726

Romain Rolland reste aussi en relation épistolaire avec le D1 Ferrière. Le 31 août, il lui

fait part de ses projets de retour concernant l’Agence :

720 Lettre à sa mère*, 10 août [1015],


7il Cf. le chapitre IV de la deuxième partie.
7"2 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 26 juillet 1915. - L’absence d’accentuation ou de ponctuation
est imputable à l’auteur.
723 Lettre à Mme R. Mayer*, 24 septembre 1915.
7i4 II s’agit en réalité de Mlle Appia, la plus proche collaboratrice du Dr Ferrière.
725 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 26 juillet 1915.
726 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 29 juillet 1915.

233
Un départ précoce

« [... ] Et je viendrai sans doute vous redemander, en octobre, une petite place à votre

table de l'Agence, où vous distribuez depuis un an aux malheureux de toutes les nations en

guerre les paroles consolantes et l'espérance. »727

Le 2 septembre, Ferrière lui répond :

« Mille merci de me faire espérer votre collaboration si dévouée pour l'automne, cela

me et nous fait plus plaisir que vous ne pensez. Mais ce travail n 'est-il pas bien monotone et
728
terre à terre pour vous ? »

De plus, Rolland cherche toujours à faire profiter la Croix-Rouge de son réseau

d’amitiés européen. Sachant que Ferrière s’apprête à partir, en tant que délégué de la Croix-

Rouge, pour F Autriche-Hongrie, il lui communique l’adresse de son ami autrichien :

« Je sais que vous devez partir pour Vienne, ces jours-ci. Si vous avez quelque

occasion d'y rencontrer mon ami, l'écrivain Stefan Zweig (VIII. Kochgasse 8), veuillez lui

transmettre mes affectueux souvenirs. C 'est un cœur généreux et un esprit vraiment européen.

Il sait beaucoup de choses de la situation actuelle, et je crois que vous pourrez avoir intérêt à

causer avec lui. Il vous connaît et vous respecte ; et je suis sûr qu 'il se mettrait tout à votre

disposition, autant que le lui permettent les exigences de son service : car il doit être occupé,
79Q

au ministère de la guerre. »

De retour à Genève, Ferrière relate à Rolland, avec beaucoup de détails, son voyage en

Autriche-Hongrie ; malheureusement, il n’a pu trouver le temps de rencontrer Stefan

Zweig.730

Même loin de Genève, Rolland ne se désintéresse pas de l’action de la Croix-Rouge, et

continue donc d’être informé, par l’intermédiaire de Ferrière, de l’essentiel de son activité.

A aucun moment, alors, Rolland envisage de ne pas reprendre son travail à l’Agence,

de retour à Genève.

“* * * 7 Lettre à Frédéric Ferrière, 31 août 1915, citée dans Marc Reinhardt, «Romain Rolland et les Ferrière:
Visages d’une correspondance », art. cil., p. 146.
728 Lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland*, 2 septembre 1915.
7 ’ Lettre à Frédéric Ferrière, 31 août 1915, citée dans Marc Reinhardt, «Romain Rolland et les Ferrière.
Visages d’une correspondance », art. cit., p. 138. - Le 3 septembre, Rolland écrit à l’écrivain autrichien : « Vous
verrez sans doute prochainement à Vienne mon excellent ami (et mon chef de service, à l’Agence des prisonniers
de guerre, bureau des civils) le Dr F. Ferrière. [...] Je crois que vous aurez plaisir à causer avec lui. » (lettre à
Stefan Zweig*, 3 septembre 1915).
730 Voir la lettre de Frédéric Ferrière à Romain Rolland* du 26 septembre 1915. - On peut se reporter également
à la collection des Documents publiés à l’occasion de la guerre européenne (1914-1915) : Rapports de MM G.
Ador, Dr F. Ferrière et Dr de Schultess-Schindler sur leurs visites à quelques camps de prisonniers en Autriche-
Hongrie, 4e série, novembre 1915.

234
Un départ précoce

Le 25 août, Roger Martin du Gard, qui vient de prendre connaissance d’Au-dessus de

la mêlée, grâce à la brochure de Massis, Romain Rolland contre la France, adresse à Rolland

une lettre de sympathie, pour le remercier de son article :

« Et cette brochure m 'arrive ce matin. Je parcours l'article de Massis, je cours au


* 731 r v
vôtre. ' Ah, quelle bouffée d'air respirable, enfin, enfin ! J’en suis transformé, rajeuni, plus

que jamais avide de vivre l'avenir ! »732

Rolland lui répond, le 4 septembre, et joint en post-scriptum :

« Je travaille à Genève, à l'Agence Internationale des Prisonniers de Guerre, au

Musée Rath. G 'est là que vous pourrez m'écrire cet hiver. Pour l'instant, je prends un peu de
' i 733
repos à Vevey, Hôtel Mooser. »

Par ailleurs, Rolland écrit à son amie italienne, Sofia Bertolini, le 19 septembre :

« j... J Je vais rester à Vevey encore un mois, puis j’irai reprendre, à Genève, mon

travail à l'Agence des prisonniers. »734

Dans cet extrait, il semblerait même que l’Agence soit la raison qui pousse Rolland à

retourner à Genève.

2 Le départ définitif

Rolland reprend le travail à l’Agence, à l’automne 1915

Après sa retraite de trois mois à la montagne, Rolland reprend le travail à l’Agence,

bien que de façon peut-être moins suivie.

Le dimanche 24 octobre, il quitte Vevey et retourne à Genève. L’une de ses premières

visites sera pour le Dr Ferrière : « Je me promets de rester tranquille demain à Champel.


71C

Mardi, j 'irai voir le bon docteur et les Guilbeaux. » En attendant, il reçoit la visite, à son

hôtel, d’un jeune Français, Charles Baudouin, alors professeur à l’Institut J.-J. Rousseau.

Celui-ci a narré cette première rencontre :

731 La brochure de Massis comportait en annexe le texte, quelque peu tronqué, d'Au-dessus de la mêlée.
732 Lettre de Roger Martin du Gard à Romain Rolland, 25 août 1915, Cahier XXVII, p. 162.
733 Lettre à Roger Martin du Gard, 4 septembre 1915, ibid., p. 164.
34 Lettre à Sofia Bertolini, 19 septembre 1915, Cahier XI, p. 235.
735 Lettre à sa mère*, 24 octobre 1915.

235
Un départ précoce

« D'abord la première rencontre. J'ai 20 ans, ou guère plus. C'est pendant l'autre

guerre, à Genève, à l'Hôtel Beauséjour où Romain Rolland vient de rentrer. Il reprend

demain le service qu 'il a voulu s'imposer à l'Agence des prisonniers de guerre. »736

On note toutefois chez Rolland quelque hésitation, quant à la reprise de son service :

« Demain, je retournerai à l'Agence, sinon pour travailler, du moins pour revoir le docteur et
73*7
les autres. » Le même jour, pourtant, il écrit à son amie Louise Cruppi : « Me voici

réinstallé à Champel. Et je reprends ma tâche à l'Agence des Prisonniers. »738 Le 26 octobre,

il passe une première fois à F Agence739, et le 27, il reprend son travail - dans des conditions
quelque peu différentes :

« J'ai été hier à l 'Agence, et j y ai repris mon travail. On a complètement changé le

local où j'étais. Au lieu de la haute salle, on l’a coupée en deux étages, et je suis dans celui

du dessous (qui reste naturellement un premier, par rapport au sous-sol où sont les fiches).

On y gagne ainsi le double de place, et peut-être plus de chaleur, moins de courant d'air. - Je

suis toujours ù la même table entre le U Ferrière et sa fille. Et j'ai déjà reçu les doléances du

bon docteur sur les difficultés qu 77 a en France. Cela devient presque impossible. - Savez-

vous qu 'on exige des docteurs suisses qui offrent leurs services et leur dévouement gratuits,

en plus des certificats scientifiques et pratiques, un certificat de « francophilie », signé et

légalisé par tels Français qu 'on désigne ? »740

Il ne tarde pas à formuler, à partir des lettres dépouillées, de nouvelles hypothèses :

« Pour la première fois, hier, j'ai eu dans les mains, ù l Agence, une enveloppe avec le

timbre : Maubeuge, Frankreich. Jusque-là, on mettait : Maubeuge (ou telle autre ville des

départements envahis) K. Deutsche Feldpost On ne reconnaissait pas la qualité de Français

aux pays occupés. - Y aurait-il là une indication, pour l'évolution de la politique

allemande ? »741

Il fait également des remarques sur les collaborateurs : « Nous avons maintenant ù

notre table de l'Agence, comme nouvelle collègue, la fille aînée de Spitleler. »742

736 Charles Baudouin, « Rencontres de Romain Rolland », dans Hommage à Romain Rolland, Genève Éd du
Mont-Blanc, 1945, p. 14. - Voir également JAG, p. 557.
717 r
Lettre à sa mère, 25 octobre 1915, Cahier XX, p. 189.
73x Lettre à Louise Cruppi*, 25 octobre 1915.
739 Cahier XX, p. 191.
740 Lettre à sa mère, 28 octobre 1915, ibid, p. 195.
741 Lettre à sa mère, 31 octobre 1915, ibid., p. 198.
742 Lettre à sa mère, 2 novembre 1915, ibid., p. 200.

236
Un départ précoce

Le travail a donc bien repris, de façon régulière semble-t-il : durant tout le mois de

novembre, Rolland fait référence à son travail à l’Agence, de façon assez fréquente.743

Ses relations amicales avec la famille Ferrière ont également repris. Le dimanche 7, il

est l’hôte du docteur : « J'ai déjeûné hier chez le docteur, où l'on se réjouit de voir bientôt

maman. J'étais tout à fait en famille, - en toute petite famille : il n'y avait que deux des

enfants. L'aîné est dans son chalet des Pléiades, et le second (le jeune docteur) à Taschkend,

en mission de la Croix-Rouge. »744

On ne saurait trop insister sur l’amitié et la sympathie qui unit Rolland au Dr Ferrière :

cette amitié est sans doute la raison essentielle qui pousse l’écrivain à continuer son travail à

l’Agence des Prisonniers.

Si pour le mois de novembre, il semble certain que Rolland travaille assez

régulièrement à l’Agence, par la suite, son travail est plus difficile à suivre. La collaboration

se poursuit-elle ? Peut-être de nouvelles dissensions entre Rolland et le Comité directeur

voient-elles le jour.

Il semblerait en effet qu’il y ait quelques tensions, au niveau du courrier par exemple.

Début décembre, Rolland fait savoir à son ami autrichien, qui a l’habitude de lui adresser ses

lettres au musée Rath : « Ecrivez-moi à l'hôtel Beauséjour, Genève-Champel, et non plus à la

Croix-Rouge, où l'on ouvre souvent mes lettres. »745 Déjà, lors de sa « retraite » de l’été 1915,

Guilbeaux lui faisait savoir : « Je fais suivre votre courrier arrivé à l'agence et le fais avec

toute la discrétion nécessaire. »746

Ces dissensions vont peut-être pousser Rolland à quitter l’Agence, ou du moins à y

suspendre son travail. Déjà, il n’est pas certain qu’il y travaille encore tous les jours, comme il

en avait l’habitude avant juillet. Peut-être finit-il pas se décourager. De plus, sa position à

Genève se dégrade.

70 Lettre à Émile Masson* du 3 novembre 1915 ; lettres à sa mère des 6 et 9 novembre 1915, Cahier XX, p. 205
et p. 207 ; lettre à Madeleine Rolland* du 10 novembre 1915 ; lettre à Alphonse Séché du 17 novembre 1915,
Cahier XIII, p. 99; lettre à Gaston Thiesson* du 22 novembre 1915; lettre à Madeleine Rolland* du 27
novembre 1915 ; lettre à Paul Dupin* du 30 novembre 1915 ; etc.
744 Lettre à Madeleine Rolland*, 8 novembre 1915. - Madame Rolland avait eu l’occasion de rencontrer la
famille Ferrière à son dernier séjour à Genève.
745 Lettre à Stefan Zweig*, 6 décembre 1915.
74<> Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 13 août 1915.

237
Un dépar t précoce

La présence de Rolland à Genève devient « indésirable »

En novembre 1915, des bruits commencent à courir à propos du prix Nobel de

littérature, qui serait attribué à Rolland ; celui-ci est l’objet de nombreuses attaques dans la

presse, y compris à Genève : « Ici, le Genevois, organe du parti radical, qui est au pouvoir,

m'a déclaré « indésirable » et compromettant pour le bon renom de Genève. »747 Les attaques

de journaux suisses ne concernent pas que le prix Nobel ; début décembre, l’écrivain signale à

sa sœur : « La Suisse ne laisse passer aucun jour, sans me décocher un entrefilet perfide,

injurieux ou sarcastique. »748

Les dissensions avec Genève sont pourtant plus anciennes. Rolland notait déjà, par

exemple, fin août, lors de son séjour à Thun :

« Je fais une remarque : pas une lettre de France ne m'arrive ici, ouverte ; et il y en a

pourtant sur l'enveloppe desquelles est inscrit : « Maison des syndicats » etc. Au lieu que

les lettres qui m'arrivaient à Genève (ou qui me viennent encore via Genève) sont encore

ouvertes. — Cela laisserait croire, comme on me l'a dit, que c'est au consulat de France

qu'elles passaient toutes, à Genève. Au lieu qu’ici, l'ambassade de Berne me fait confiance. -

En tout cas, la différence de régime est frappante. On devrait pourtant suspecter davantage

des lettres de France, adressées en Suisse allemande. »749

L’inimitié est réciproque. Le 3 novembre, il écrit à son amie Louise Cruppi : « ... il se

peut que je m'en aille passer quelque temps, cet hiver, dans la haute montagne. J'ai peine à

croire que je pourrai rester à Genève, tout l'hiver. Il y a ici trop de commérages, de

médisances - et d'espionnages. /... / »7M) Et encore, fin décembre, à son amie italienne : « [... /

Ce n'est pas seulement le climat, mais l'esprit de Genève qui m'est profondément

antipathique : d'honnêtes gens, certes, mais raidis et durcis par leur pharisaïsme calvinien,

l'odieuse conscience de leur droit, de leur vérité, de leur raison, de leur justice. Aucune

largeur d'esprit, aucune compréhension des autres, aucune tolérance. »7'7 1

Rolland semble envisager sérieusement de quitter une nouvelle fois Genève. Est-ce

que son travail à l’Agence saurait le retenir ?

747 Lettre à Émile Masson*, 13 décembre 1915.


748
Lettre à Madeleine Rolland*, 4 décembre 1915.
749 Lettre à sa mère*, 31 [août 19151.
750 >
Lettre à Louise Cruppi*, 3 novembre 1915. - Concernant Lespionnage dont Rolland est victime à Genève,
voir JAG p. 660.
751 Lettre à Sofia Bertolini, 31 décembre 1915, Cahier XI, p. 237.

238
Un départ précoce

Il semblerait que la possibilité d’un nouveau départ devienne sérieuse dès le mois de

décembre 1915. Le 19 décembre par exemple, à un ami qui lui pose quelques questions

générales au sujet d’un prisonnier, il répond en effet :

«/.../ S’agit-il d’un prisonnier militaire ou civil ? Et dans quel camp ? Pour toute

recherche qu 'on pourrait faire, voulez-vous envoyer les indications précises a Henri

Gui/beawc, à l'Agence internationale des Prisonniers, musée Rath, Genève. (Je ne vous dis

pas : à moi, parce qu 'il est possible que je m'absente de Genève, le mois prochain, que les

lettres qui me suivront toujours - pourraient subir du retard. Mais où que les lettres

m'arrivent, je ferai le nécessaire.) »752

Il n’oublie pas, donc, son travail à l’Agence. Mais celui-ci ne le retiendra pas à

Genève.

Rolland suspend progressivement son travail à l’Agence

Il est difficile de savoir si en décembre Rolland s’emploie encore à l’Agence. La

dernière référence sûre à son travail au musée Rath date du 1er décembre 1915, où il raconte à

sa sœur qu’il a rencontré la veille, à l’Agence, Strawinsky.733

Par la suite, il semble plutôt déléguer ses recherches à Henri Guilbeaux. Le 6

décembre, celui-ci lui fait savoir : « Je me suis occupé de la demande de Jouve. Les résultats

éventuels de l’enquête lui seront transmis directement et dès qu'ils parviendront à

l'agence. »754 Et encore, une semaine plus tard: «Pouvez-vous me téléphoner demain
l'adresse (incorporation) du soldat dont votre mère m'a remis la lettre ? »733

En décembre, probablement, Rolland a progressivement cessé, ou espacé, son travail à

l’Agence. Peu d’indices permettent de nous renseigner. Les lettres à Stefan Zweig et Jean-

Richard Bloch continuent d’être écrites sur du papier à l’en-tête de l’Agence, mais cela ne

prouve pas qu’il y continue son travail736 ; il peut s’agir de papier pris à l’Agence avant son

départ.

7 2 Lettre à Émile Masson*, 19 décembre 1915.


753 Lettre à Madeleine Rolland*, 1er décembre 1915.
754 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 6 décembre 1915. - Le poète français Pierre Jean Jouve est
venu s’établir en Suisse, pour raisons de santé, avec sa femme et son fils, le 2 novembre 1915. Ami du peintre
breton Gaston Thiesson, il sera l’un des soutiens les plus fidèles de Rolland.
755 Lettre de Henri Guilbeaux à Romain Rolland*, 14 décembre 1915.
756 Lettres à Stefan Zweig* des 7 et 25 décembre 1915 ; lettre à Jean-Richard Bloch du 22 décembre 1915,
Cahier XV, p. 332.

239
Un dépar t précoce

Les mêmes problèmes se posent pour l’année 1916 : une nouvelle fois, on ne dispose

guère de sources fiables. On peut toujours signaler la correspondance de l’écrivain sur du


• i 757
papier de l’Agence , mais cette pratique n’est bien sûr pas une preuve. Il est délicat de

formuler toute hypothèse, car le fait que Rolland ne parle plus de l’Agence ne signifie pas

qu’il n’y travaille plus.

Il fait toutefois encore référence à quelques recherches qu’on lui demande de mener,

dont il continue de s’occuper. Le 12 février, par exemple, il fait savoir à sa mère qu’il s’est

occupé d’une demande envoyée par une personne de la famille : « Voulez-vous dire à Mme

Paul Courot que j 'ai remis sa note à Mlle Appia, et qu 'on fera les démarches relatives à la

famille du soldat Armand Gaston. »7:,s Mais l’on voit que ce n’est plus lui qui fait les

premières démarches : il remet la note de renseignement à la collaboratrice du Dr Ferrière,

Mlle Appia.

Le 6 mai, suite à une demande que lui a adressée Marc Elder, il répond :

« Assurément, vous avez très bien fait de vous adresser à moi pour cette recherche.

J'ai pris note aussitôt de vos indications, et on fait une enquête. Si l'on apprend quelque

chose, vous serez prévenu. Bon courage ! »759

Pourquoi ne précise-t-il pas dans cette lettre qu’il ne se trouve plus à l’Agence ? Y

collaborerait-il encore de façon épisodique ? Cela est pourtant peu probable, car on peut

penser qu’il a très vraisemblablement cessé son travail en décembre 1915, et qu’il ne reprend

pas en janvier 1916.

En tout cas, il a des relations suivies avec les Ferrière. Mais il leur rend visite chez

eux760, les reçoit chez lui761, ou en a des nouvelles par téléphone762, ce qui semblerait
confirmer que Rolland n’a plus l’occasion de voir le docteur à l’Agence ; il ne s’agit plus que

de relations privées.

Rolland continue de s’intéresser, par leur intermédiaire, aux missions de la Croix-

Rouge : il est notamment invité à l’occasion du retour d’une mission de quatre mois en Russie

Lettres à Stefan Zweig* des 7, 17 et 30 janvier, et des 18, 24 et 27 février 1916 ; lettre à Jean-Richard Bloch,
19 mars 1916, Cahier XV, p. 345 ; lettre au jeune écrivain, prix Goncourt 1913, Marc Elder*, datée du 3 avril
1916 ; etc.
, s's Lettre à sa mère, 12 février 1916, Cahier XX, p. 240.
759 Lettre à Marc Elder*, 6 mai 1916.
760 Lettre à sa mère* du 19 janvier 1916 ; lettre à sa mère du 8 février 1916, Cahier XX p . 234 , etc.
« Je demanderai au Dr Ferrière, quand je le verrai. Il n'est pas encore venu voir maman. », lettre à
Madeleine Rolland*, 7 mars 1916. - Madame Rolland vient d’arriver à Genève.

762 « Mme Ferrière m'a téléphoné hier soir pour me demander de tes nouvelles. Ce sont bien les plus
affectueuses gens de Genève, à notre égard. », lettre à sa mère, 15 février 1916, Cahier XX, p. 244.

240
Un départ précoce

du jeune Dr Frédéric Ferrière, qui lui relate son voyage.763 Et Ferrière l’informe toujours des

difficultés que connaît la Croix-Rouge :

« Le Dr Ferrière me confie (28 mai 1916) que la Croix-Rouge internationale passe par

des jours critiques. On a été informé que les Croix-Rouges d'Autriche et d'Allemagne, qui

vont se réunir la semaine prochaine a Berlin, doivent, à l'instigation des ministères de la

guerre des deux pays, rompre officiellement tous leurs liens avec la Croix-Rouge de Genève.

Il y a longtemps que la tension existe ; et elles ont dressé une liste de leurs griefs, qui tendent

tous à reprocher à Genève sa francophilie et son intrusion inadmissible dans les droits des

pays belligérants. Malheureusement, ce dissentiment est encore aggravé par le désaccord

scandaleux qui existe entre les deux Suisses. Chacune d'elles ne veut plus admettre la

véracité que du ou des délégués qui sont de chez elle [...]. Si la rupture avait lieu, le dernier

asile de lafraternité internationale disparaîtrait. [...] »764

Rolland n’est donc pas véritablement coupé de la Croix-Rouge. S’il ne travaille plus à

l’Agence, ses relations avec le Dr Ferrière font qu’il peut continuer de s’intéresser à son

action.

Le travail de Rolland à l’Agence prêtait à polémique ; le fait qu’il n’y travaille plus

également :

«/ .../ Quoi que je fasse ou ne fasse pas, on me le reproche et me le reprochera

toujours. [... / il est clair que c 'est à ma personne qu 'on en veut, beaucoup plus qu 'à la cause

que je défends. Dès lors, tous les moyens sont bons. Si je parle, je suis malfaisant et mauvais

citoyen. Si je me tais, je me désintéresse égoïstement des affaires publiques. Si je travaille à

l'Agence, je fais un métier de petite fille. Si je n y travaille pas, je suis ù Genève uniquement

pour mon plaisir, etc. etc. / ...J »

Dans son Journal, au même moment, Rolland note : « Ador, le président de la Croix-

Rouge internationale, dans une conférence qu'il a faite à Paris sur l'Agence des Prisonniers,

ayant évité de prononcer mon nom, on en tire parti pour affirmer que je n 'ai jamais travaillé

à l'Agence. »766

Voir Cahier XX p. 234-235, et p. 238-239 ; lettre à Louise Cruppi du 12 février 1916* ; JAG, p 651-653. -
On peut voir également les Documents publiés à l’occasion de la guerre européenne (1914-1916) : Rapport de
MM F. Thormeyer et Dr F. Ferrière junior sur leurs visites aux camps de prisonniers en Russie (octobre 1915 à
février 1916), 8e série, mars 1916 ; cf. archives du CICR, 432/II/11.
764 JA G, p. 811.
765 Lettre à Madeleine Rolland*, 3 mars 1916. - Les articles dont il est question n'ont pas été identifiés.

241
Un départ précoce

Des raisons particulières à ce départ précoce ?

Aucune véritable indication n’est donnée, ni dans son Journal, ni dans sa

correspondance, sur la date de son départ de l’Agence, ou sur les raisons qui ont pu le pousser

à ce départ. Celles-ci sont à chercher dans tout ce qui a été dit jusqu’à présent : il ne s’agit

sans doute pas d’une raison particulière, mais de plusieurs raisons mises bout à bout.

Le départ de Rolland est surtout dû, semble-t-il, à une certaine lassitude, qui s’installe

peu à peu - peut-être en raison d’un travail finalement trop « terre à terre », ainsi que le

craignait le Dr Ferrière. Il a cru à la grandeur de la tâche à laquelle il a collaboré, mais ses

efforts n’ont pas été pris au sérieux, ses initiatives n’ont pas été soutenues. Il a voulu vraiment

contribuer à soulager les maux de l’humanité, mais la tâche est bien vaste. Peut-être préfère-t-

il, après tout, suivre les premiers conseils de Gustave Ador, et se consacrer essentiellement à

la rédaction de ses articles, qui ont plus de portée, et qui lui permettent de se rendre

véritablement utile.

Les quelques dissensions avec le Comité de la Croix-Rouge, évoquées à plusieurs

reprises, peuvent également expliquer ce départ précoce. Mais il faut aussi mettre en cause la

personnalité particulière de Rolland, qui se fait une certaine idée de la place qu’il devrait

occuper; il ne peut se lier longtemps avec un groupe, quel qu’il soit. La présentation

biographique a en effet montré un Romain Rolland indépendant, solitaire, hostile à tout parti.

Comment pourrait-il alors s’accorder longtemps avec la Croix-Rouge, lui qui tient, en mars

1916, ces propos : « /On ne peutj comprendre que je sois, que je puisse être, que je veuille

être et rester indépendant et isolé, sans attaches avec aucun groupe. »767 Sans doute Rolland

veut-il surtout reprendre sa liberté d’action.

166 JAG, p. 660.


767 Lettre à Madeleine Rolland*, 7 mars 1916. - Rolland fait allusion ici à des membres d’une association l’ayant
inscrit dans leur comité de soutien sans l’en avertir.

242
Conclusion

La collaboration de Romain Rolland à l’Agence cesse donc de façon prématurée, et ne

s’étend pas à toute la durée du conflit. Est-ce à dire pour autant que cette collaboration se

solde par un échec ? Certainement pas. D’une part, l’écrivain reste en relation, après avoir

quitté l’Agence, et même après son départ quasi définitif de Genève, qui se fera le 3 juin

1916, avec le Dr Ferrière et, par son intermédiaire, avec l’Agence. Ces rapports ultérieurs,

pouvant faire l’objet de nouvelles recherches, peuvent pourtant être brièvement évoqués.

Tout d’abord, Rolland continue d’être sollicité par des amis ou d’autres personnes, qui

lui demandent de bien vouloir s’occuper des recherches au sujet de proches prisonniers ou

portés disparus - et ce jusqu’à la fin du conflit ; sans doute ces personnes n’ont-elles pas eu

connaissance que Rolland a cessé de travailler à l’Agence. Rolland transmet ces requêtes,

notamment à Marianne Ferrière, la fille du docteur, en la priant de bien vouloir s’occuper de

ces démarches.

Par les messages et les visites du Dr Frédéric Ferrière, Romain Rolland continue,

jusque dans l’après-guerre, à suivre l’activité de la Croix-Rouge, entre autres à Vienne et à

Salonique, en 1919.

En mars 1917, Rolland est sollicité par Anatole Lounatcharsky, un révolutionnaire

russe établi en Suisse, avec qui il était en relation : celui-ci a élaboré un plan pour retourner en

Russie, nécessitant l’aide des « grands personnages de l'Internationale humanitaire ». Prié de

lui fournir une lettre de recommandation, l’écrivain lui envoie une lettre d’introduction auprès

du Dr Ferrière.769

En juin 1917, on Fa vu, c’est à la Croix-Rouge internationale qu’il choisit d’offrir une

part importante - un quart - du montant de son prix Nobel de littérature. Et lorsque le Comité

international de la Croix-Rouge obtient à son tour un prix Nobel, de la paix cette fois, en

novembre 1917, Rolland écrit au Dr Ferrière pour l’en féliciter, déclarant notamment que le

CICR a été « / 'ange de la Paix en ces affreuses années »77t).

768 Voir notamment les lettres de Romain Rolland à Marianne Ferrière* des 25 et 26 septembre 1917, ou du 28
août 1918.

767 Cf. JAG p. 1119, et René Cheval, Romain Rolland, l’Allemagne et la guerre, op. cit., p. 630.
770 Lettre de Romain Rolland à Frédéric Ferrière, 12 décembre 1917, citée dans Marc Reinhardt, «Romain

243
Conclusion

Toujours en 1917, au mois d’août, Rolland doit intervenir en faveur d’une Œuvre de

Secours des Alliés aux Prisonniers Russes, sur la demande de Wladimir Grunwaldt. A ce

sujet, Rolland note dans son Journal :

« Par égard pour la Croix-Rouge Internationale, dont je me considère toujours un peu

comme le collaborateur, je communique ce rapport au Dr Ferrière, en lui demandant son

avis. Mais la Croix-Rouge Internationale me prie de ne rien faire. Elle tient à traiter elle-

même cette question, comme toutes les autres du même genre. (Elle y met son amour-propre,

bien compréhensible, mais peut-être pas très pratique : son tort, à mon avis, est toujours de
' i 771
décourager les initiatives privées [...]»

Si l’on remarque que Rolland se considère « toujours un peu » comme un

collaborateur de la Croix-Rouge, on note également qu’il formule toujours les mêmes griefs à

son encontre !

Il faut signaler également de nouvelles polémiques de presse. Le 6 février 1918,

lorsque la Croix-Rouge internationale lance une protestation contre l’emploi de gaz toxiques

par les armées, et que son appel est critiqué par certains journaux, Rolland prend alors sa

défense. En outre, l’écrivain est une nouvelle fois attaqué pour avoir occupé une place à

l’Agence internationale des Prisonniers de Genève, dans le pamphlet d’Isabelle Debran, M.

Romain Rolland, initiateur du défaitisme, Genève : H. Jarrys, 1918.

Rolland continue d’entretenir des relations amicales avec la famille Ferrière, même

après la mort, en 1924, du « bon docteur ». Il correspond avec ses trois enfants (Frédéric,

également médecin, Adolphe, célèbre pour ses recherches dans le domaine de la pédagogie, et

Marianne), et échange avec eux de nombreuses visites. En 1925, il a appuyé la candidature

posthume du Dr Ferrière pour le prix Nobel de la paix.

On trouve également des témoignages littéraires postérieurs à la guerre : Rolland fait

mention de l'activité de l'Agence des Prisonniers, de façon laconique, dans ses romans de

l’après-guerre : Clerambault, histoire d'une conscience libre pendant la guerre, Paris :

Ollendorff, 1920, et L'Âme enchantée, Paris : Ollendorff-A. Michel, 1922-1933.

Rolland et les Ferrière : Visages d’une correspondance », art. cil., p. 154.


771 Cf. JAG, p. 1303-1304.

244
Conclusion

En 1928 encore, lorsque Walter Furgler, directeur de « Homeless, Comité mondial

pour la défense des intérêts des gens sans nationalité reconnue », cherche à intéresser Romain

Rolland à son œuvre, se recommandant du nom de la Croix-Rouge, celui-ci écrit au CICR

afin d’obtenir quelque renseignement sur cette organisation.772

* * *

D’autre part, l’action menée par Romain Rolland à l’Agence n’est pas sans faire porter

un regard nouveau sur le rôle joué par l’écrivain durant le conflit. Face à l’image d’un homme

demeuré « au-dessus de la mêlée » se profile, au travers de cette étude, celle d’un homme plus

impliqué dans la guerre, qui a tenu à se rendre utile du mieux qu’il pouvait, en s’employant à

un travail modeste de dépouillement de correspondance, mais aussi en essayant d’intéresser

aussi bien l’opinion que ses amis à la tâche gigantesque dévolue à la Croix-Rouge

internationale.

Sa conception du rôle des intellectuels, à laquelle répondent ses propres prises de

position durant la guerre - au milieu des conflits, s’efforcer à combattre la haine et à

rechercher la vérité - , l’amènent à professer, au lendemain de la guerre, sa fameuse

Déclaration d'indépendance de l'esprit (26 juin 1919), manifeste publié dans L'Humanité et

signé par un millier d’intellectuels et d’écrivains du monde entier.

L’engagement «humanitaire» de Romain Rolland ne cesse pas en 1916. Dans les

années de l’après-guerre, il aura à cœur de soutenir de nombreuses associations de secours,

qu’il aimerait faire bénéficier de la notoriété de son nom, au moyen notamment d’appels

lancés en leur faveur. Un exemple parmi d’autres peut être ici donné. Le 2 décembre 1923, il

fait savoir à Jeanne et Michel Alexandre :

« Voici un Appel que je vous soumets, pour les malheureux d'Allemagne. .Je l'ai rédigé

dans un esprit plus spécialement français que ne l'est devenu le mien; - (en vérité, je ne me

sens plus d'autre patrie que l'humanité). - Mais j'ai cherché à le rendre accessible au plus

grand nombre de Français. Car, en ce moment, il ne s'agit pas d'affirmer des principes; il

s'agit de sauver des vies humaines. Et le temps presse.

a y

772 Trois lettres autographes de Romain Rolland (12 octobre, 3 novembre, 28 novembre 1928) sont conservées à

245
Conclusion

— D’autre part, il est indispensable d’ajouter, à la suite de l’appel, l’adresse à laquelle

les souscriptions pourront être centralisées. Cette adresse doit /'] être celle d'une œuvre au
773
dessus des partis. /.../»

On sait que Rolland sera, durant l’entre-deux-guerres, l’une des figures de proue des

mouvements pacifistes ; il lance notamment avec Henri Barbusse un appel pour un congrès

international contre la guerre, en 1932 (le mouvement Amsterdam-Pleyel). Cet engagement

s’inscrit en continuité de celui de la Première Guerre mondiale : ses articles, bien sûr, mais

également son implication auprès de la Croix-Rouge internationale, qui a donné à son action

plus de poids.

la Division des archives du CICR, CR 163, pièces 20, 25 et 29.


773 Lettre à Jeanne et Michel Alexandre*, 2 décembre 1923. - Voir également les lettres aux Alexandre* de
décembre 1923 et janvier 1924.

246
Pièces justificatives

I. « Liste des personnes ayant travaillé à l’Agence internationale des Prisonniers de

guerre (août 1914 - décembre 1918)», dans L'Agence internationale des Prisonniers de

guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 113 et p. 121. - Archives du CICR.

II. Liste dactylographiée des collaborateurs de l’Agence des Prisonniers de Genève,

établie en octobre 1914 : feuillet 6. - Archives du CICR, 402/1.

III. Trois exemples de fiches établies par Romain Rolland. - Archives du CICR,

fichiers de l’Agence internationale des Prisonniers de guerre.

IV. Romain Rolland, Inter arma caritas, dans le supplément au Journal de Genève du

4-5-6 novembre 1914. - Archives du CICR, 401/V.

V. «L’Œuvre de Romain Rolland», dans Le Clamecycois du dimanche 31 janvier

1915. - Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, JO 12396.

VT. Lettre autographe de Romain Rolland à Gustave Ador, président du Comité

international de la Croix-Rouge, en date du 25 juin 1917. - Archives du CICR, 401/VII.

247
AJ

USTE
DES PERSONNES AYANT TRAVAILLÉ A L’AGENCE INTERNATIONALE

DES PRISONNIERS DE GUERRE


(AOUT 19 M - DECE.Vl ERE 1918)

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n'ayant pas été répi,:liire;r: y r' ' L S

V'e^£. I.-H Armleder. Lucy (Mlle) Bannu art. Fanny (Mlle) Bazaine. Achille (Mme)
•Uv, ->({. V -a (Mlle; Arnoux. Edouard. Baratii n. Francia (Mme» Bazin. Lucy (Mme)
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Achard. Caîrrieüe (M’de) '.rrandel. i li-e. Barhev Ad t. C. (Mme) ' Beau mont (de). A. (Mme)
A. Vr ^ •• Barbe' -A i r. F. (Mme)
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•*- c : ;rv i • m>1. i \r* A^arpuerite (Mlle) Barhev . André. . Bea.m-n! (de). B! (Mlle)
A-hurd. ! . e .V.Be) Arthur, ioitn Barbe* . Georges (Mme» Beat n: (de), Gustave.
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Achard. V. .r.rtc ( M-le) \ \ K’CtluiU. Barbe* . Kavmord Beaumont (de). M (Mlle»
G~ \ V, ’ » ,l- *. r. .* • ’j ber. Ai-v..--Frédéric. Barbier. Albert. Beaumont (de) A (Mme)
Adhentar (J .• !' A- bers r. iaeques. Barbie:r. Alice (Mile) B-. a;n erd Bordel ( Mine )
Adcr. Emiie Aubert ilenr*. Barbie:r E. Becker. Ei-a (Mlle)
Ad r. \?•> (.Mlle) Aubert. HippoKte Barbie:r Juliette t.Mliej Beddoe. Alan Brookman
Aeberhardt. i. (Mite» Aubert. Louis. Barbu: ti (Mlle» Be-dot. Unie (Mlle)
Aeschümann. M. (.Mlle) Aubert. F’atil. Baree’i •ni. Mie (Mlle) Bedot. Marg. (Mlle)
Apuet. Adeline (Mlle) v Aubert Théodore. * Bard. Alice (Mlle) Bedot. Maurice.
Apusrin (d‘). Franco. Aubert. Théodore (Mme) % Bard. i . (Mlle) , BeJot-Diodati. M. (Mme!
Alarv. Jeanne (Mlle) Aubin. Jeanne (Mlle) Bard. EI«sa (Mlle) Bedouret. Félix.
Alhert'ni. P. Audemars. Hélène (.Mme) Ha.rd. Mrrtr. 1 Mme » Beplarian. Nina (Mlle)
Albrecht. Aiice (Mlle) * Audemars. Louise (.Mile) Bard. Vr.’entû'.e (Mme) Beguet. Victor.
Alhrecht. Maurice. Audéoud. EL (Mlle) Barde-. Pr-’ ne ( Mlie) Bckass;' (de). Eva (Mllei
Albrecht. Renée (Mlle) Audéoud. Emilie (Mlle) Barde William (Mme) ‘ Béiart Hélène (Mlle)
A'iaif Paulette (Mlle) Audéoud, Marcelle (Mlle) Bardsb y• J- Belaieff Lvelyn (Mlle)
AMamattd. Albert, appt. Audéoud. Simone (.Mlle) Parel. Alice (Mlle) Belev. .Madeleine (Mlle)
Alioth. 1er lieutenant Audouin. Marcel. B'rlie. rdo’nard. serg niai Reüaielie. Charles.
A Porter Oern.. (Mlle) AumasCoulin. R (Mme) Barnev Aslibcl. Beüeville. losép. (Mlle)
Alvin. F rédvric. Aumont-Dhupuet. S. Mme Bnroliber ! panne (Mlle) \ Belli. A. (Mme)
A rua citer Utîes. A.ur'o! (d'), llenri (Mnie) Barre! Emile Belot. Maurice
Amher-ti. '•m n. (Mlle) Auriol id') .Marie (Mlle) Bar; h. G.--marne (Mlle) Bénard. Théophile.
Amnmna ^a ; Mlle) M:»ran Ruffet. i (Mme) Rart!: ' -'.cne (Mme) Benoit I ueienne ( Mlle)
A n’.'ten i. Ativerpne. Amélie ( .Mlle ) Barth-Î -t reçois. Otarie? Birand. Marp. (Mlle)
Ar.dré Truie. (.Mme) Axtmann. Ch. (Mme) Barth- 'oui. lean. Beiechovirch. Ol. (Mme)
André, flé’ène (.Mlle) Artmann Fréd. Bartho lorti. lean (Mme) Perjrer. Rettv i Mme)
André-M chel. R (Mme) A'imer. R f’artholoni. Renée (Mme) Berperon-Oondet ( Mme)
And res lui le (Mlle) . monier. Fdouard. Barton . A lev and (Mme) FU-rpuer. O. (Mme)
AnpeleM' Jiries-E. Bander Henriette (Mlle) Harv ( de » R Bsrpuer. Renée (Mlle)
Anne*elle. Andrée (A'lie) P.-be! leanne (Mlle) Basile. ! mbse \ Mlle) Berüe ? (M!ie)
Attsernt' z Üeu.r. (A*lie) Eacliebrd (Mme) Basset M Bercer. R., comte.
Anthonv. -S (.Mme) Bichuicn Flvine (Mlle) Passin . H-»iri R-’-hncrhhu. !.. (M»e)
Apoclner <’ i. lean. Vt- • B-clu-fen .Marie (A)me) Pa.-tar ti i P-ari ( A* me » Bernr’iid. Elise (.'Une)
•, r- •>; n * 1 P l\ . « 0 r d Wi’imm Bvni.-üui. Mathi! ( Mlle)
• « l . c. . V . ' 'i | . •V . B-••'h «en 1 nuise (Mlle)
App:a. ( jvncv RM e (A* lie) RîichtoW Oeorp. fusilier Bn’tu i : t «éria (Mme) Bernard A-M ( Mme)
•Vpp:a. Hé’-.,,e (A*lie) BaJ«î. ! ié’ène (Mlle) Ratau! «. Hélène (Mlle) Bernard. AF-v (Mlle)
Arp:;i. P : -i P d«.l 1-betto (Mlle) Batelli . iear. (Mme) Bernard. Gabriel.
'p’^a B.i ’e! ! é<'ii. p.at’ic A'r.-'dîe (Mile) Bernard. Mathilde (Mlle)
*ra;p>na «d ). /un. B n’el ! «mum* ( .NA!ic) ;* «• 1 Berrard V- iF-am.
'rai'io i -i AK < A A11 » P.; ’er. H.mr c-ttv (.Mlle) Bau-.i iennne «Mlle) Berner. Sophie (Mlle)
Arb’pin i B (Mii-, ) B" .Jer. Léon B'-u (1 >i>- • Daniel ( A’ me i Berne*. ( lari-.-e (AfPp)
\i binard Alfred. B;1 i -l!et. 1 'na (Mlle) M.-udr; !" 5 Mar* (Mme) P'rniieim AI set* (Mlle)
' -c,-.: parti ' douar J \^:Minro Pnom. cMMt-l !•••!•;!• nul Ciernt. (Mlle)
Atvkinmd Iran!.. l'a; rati >;i '.• • *\. prince Tî-rmn r;r » b-c.b. (Mlle» v *!»•...ull:. Cn-1.
Ardue: -u Mari (A’iie: 1 ‘ 'f-'iinu ('«-rtr ( Ml’v) R-i-ma n:.. 1 lél'-ne ( Mlle « :ili; I «bannes
'.t t •• (J : • :r;i-n i a- ( iv:»*-pes P.-riMiie < «e-ri.um- (Mlle)
' r. m. • • - / Mîici B- *.t (Mil,.) Rai me 1 V*. ••!. B- - ( \*,!ic)
N r ,:n ’• • * i B .V— • dix ».M1I,m P* ». . Vni-i'ne B -•*•!<•: \ ( Mlle i
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* * ’ Il. ' ! : • * B d:!vu-!, B -he ( Mlle) : Dudlcv ( •••>, .i. i Madel (Mîl-i
ht::'!;' it.Bbz-'T - :t >\ \ • '•>('• l Mile 1 !: ••*}' m i Mann ( Mlie )
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\rm Ilenn l'alldd cr r-miM Md" ; Ga -(• ;• H Vw.lH-, ( M;-t

A rntand-D •hlie ( AMlej Bnllendier ( Mme) % R:: « l"t; I nrb. ( Mme) » Bertrand. Cécile (MB-'
Armao. Irène (Mme) % Bnlmer. N’iolette (Mlle) Ba/tiine A bille. Bertrand-Olivier (Mme)
ï.
,jj . V* r~~r — , i

Roethlisberger, Y/. (Mlle) ^Saran, Renée (Mlle) Schutz-Benoit, J. (Mme) Stauffer, Léa (Mlle)
Rognon (Mme) \ Sarasin, Augusta (Mlle) Schutzle, René Stedter, Elisab. (Mlle)
Rogovine, Israël Sarasin, Bernhard Schwarz-Roumieux, (Mme) Steel, H.-D. (Mrs.)
Roggen, Madeleine (Mlle) Sarasin, Charles (Mme) Schwitzguebel, H. (Mlle) Steffen, Ernest
• Roguin, Juliette (Mlle) \Sarasin, Jean Schwitzguebel, Odette-V. Steffen, Henri
-rRôjoux, Jeanne (Mlle) VSarasin, Marie (Mlle) (Mlle) Steffen, Marie (Mlle)
^ Rolland,.Madeleine (Mlle) Sarasin, Paul (Mme) Schwitzguebel, R. (Mlle) Steffer, E.
V;;:RolIand, Romain Sartoris, A. (Mlle) Scolan, Jeanne-M. (Mlle) Steiger (de), B. (Mlle)
".Royer, Augusta (Mlle) Sartoris, Laure (Mlle) Secretan, Etienne (Mme) Stein, Ottilie (Mlle)
^iRomahn, Elisabeth (Mme) Sartorius, Elisabeth (Mlle) Secretan, Marthe (Mlle) Stempel, baronne
‘^ÉSorméüx^ Anne (Mlle) Saugy (de), Jules Segesser, Marie (Mlle) Stendler, Léonie (Mlle)
leux, Henriette (Mlle) Saugy (de), Jules (Mme) Segond, Alice-F. (Mlle) Stephain, R.
,v Lydie (Mlle) Saulmer, Alice (Mlle) Segond, Clément. (Mlle) Sterckeman, Lucien
Berthe (Mlle) Saussaz, Mande (Mlle) Seguier, Pierre (Baron) Stern, Frédéric
Eugène Saussure (de), F. (Mme) Seguier, Pierre (Baronne) Stern, Hélène (Mlle)
Lydia (Mine) Sautter, Arthur Seguier (Mlle) Stetter, E.-A. (Mlle)
Rondeau, Marcelle (Mlle) Sautter, Arthur (Mme) Seidel, Daisy (Mlle) Stettler, Georges (Mme)
• Ronzière, Angèle (Mlle) Sauvin, Edouard (Mme) Seippel, Charles (Mme) Stevens, S. (Mrs.)
Rosenthal-d’Albert (Mme) Sauvin, Jeanne (Mlle) Seitz, Aline-Marie (Mlle) Stoll, Marian (Mme)
Rosselet, Ida (Mlle) Sauvin, Marthe (Mlle) Selhorst, Dora (Mlle) Stoehr, Max
Rosier, Charlotte (Aime) Savary, Jules, caporal Selliers (de), Gab. (Mlle) Stoutz (de), Edmond
Rosier, Sola (Mlle) Savary, Elisa (Mlle) Selliers (de). L. (Mlle) Stoutz (de). H. (Mlle)
Rosset, Elise (Mlle) Scartaggini, (Aime Vve) Selva. Joséphine (Aille) Stouvenel, Eugène (Mme)
Rossiaud, Marg. (Mlle) Schaerer, Hans Semon, Olga (Mlle) Straessle de Mangell, %
Rossier, Edmond (Mme) Schaffner, Louisa (Mlle) v Senarclens (de), V. Irma (Mme)
Rossier, Edouard Schaller, Ernest v Senarclens (de), V. (Mme) Strasse, Frédérica (Mlle)
• Rossier. Edouard (Mme) Schatz, René Séné, L. (Mlle) Strauss, Otto
Rosso (Mme) Scliazmann, Auguste Senger (de), Ernest Strecker. Xénia (Mlle)
Rosso, Maria (Mile) Scheinmann. Claire (Mlle) Senneville (de), Aymard Streuli, Cécile (Mlle)
... Rosu. Anna (Milç) Schelling, Ernest Sergueyeff, Boris Stricker (Mme)
' Rotach, Otto Schelling, Ernest (Mme) Sergy, Edouard Strohl, E. (Mlle)
Roth, Jeanne (Mile) Schulling, Martha (Mlle) % Serment-Monnier (Mme) Strub, Rosa (Mlle)
Roth, Marguerite (Mlle) Scherrer. Blanche (Mlle) Sesseli, Marie (Mlle) Sturman, Solange (Mlle)
yRoth, Wemer Scheuble, Robert Seton, Remy-D. Studer-Isler. L.
Rotschy, Adolphe Scheuer, Katie (Mme) Sexauer, Lopisa (Mile) Suddaby, William
...Rougemont (de), Louis Schéuer, Alice (Mlle) Shelley, Miss Sués, Marguerite (Mlle)
''•Rouget, Paul (Mme) Scheuer, Martha (Mme) Sick, Marie (Mlle) Sugnaux. Maurice, fusil.
, rf./i Roulet (de), Aïh. (Mme) Scheunig, Charles Sieber, Marie (Mme) Sulzer, R.
^v’R<mlet (de), Hél. (Mlle) Schindleri Clara (Mlle) Siebenmann, J. (Mlle) Surf- (de), Robert
RoufieJ; (de). J. (Mme) Schira, Renée (Mlle) Siegenthaler, Walt., fusil. Suttèr, Efcecl
^fi. Roulfn, Hélène (Mlle) Schlagenwarth, L. (Mlle) Siegrist, James-R. Sutu, Nathalie (Mlle)
V ' Roussin. Gaston Schlesinger-Thurry, (Mlle) Siegrist. Marg. (Mlle) Swift, Lucy (Mlle)
RdùX, Alice (Mlle) Schlumberger, C. Sigg, Ernest Syz. Marie (Mme)
5 AîRoux, Cécile (Mlle) Schlumberger, C. (Mlle) Silberfarb, Israël Szilassy (de). K. (Mlle)
‘^'Roux, John (Mme) Schlumberger, Charles Simon, Emile, fus. Szymanska, H. (Mlle)
•vSRoux, Louis Schlumberger, Edmond Simon, Franç.. fus. Tabarin, Léon
^Powntree, James-Henry Schlumberger, Emmanuel Simon, M.-H. (Mme VveJ Taberlet, Eveline (Mlle)
tubia, Marguerite (Mme) Schlumberger, E. (Mme) Simond, Henriette (Mlle) Tachauer, Fanny (Mlle)
Jhckji, Karl, caporal Schlumberger. J.-C. (Mlle) Simonin, Edgar Tack, Edgard
; Rueff, T. Schmid, Daidy (Mlle) Sinclair, John (Mme) Tapponnier. Albert
>f$' Rueff, Marcelle (Mlle) Schmid, Elisabeth (Mlle) Sinclair. W.-H. Tardy, Hélène (Mme)
• Rueg, G.-L. Schmid, M. Soi ni, René Tasset, Suzanne (Mlle)
Ruegg, Erica (Mlle) Schmidheini. Eisa (Mlle) Sokoloff, Gabr. (Mlle) Taylor, John-Freer
iRuegsegger, J. (Mlle) Schmidt, Marie (Mlle) Soldano, Jane (Mlle) Taylor, Alice (Mlle)
•iRuesch. Nelly (Mlle) Schmuth, Marga (Mlle) Sordat, Alphonse Teding van Berkhout, P.
Rufenacht, Ida (Mlle) Schmutz, Léonie (Mlle) Sordet, Adda (Mlle) ' Teding van Berkhout, P.
. V'Ruff, Théodore Schnaidt. Eisa (Mlle) Sordet, Emma (Mlle) (Mme)
y^Ruh, Oswald • Schneider, E.. sergent Sordét, G. (Mme) ^ Temmel, Marly (Mlle)
• RuSsenberger. Ed. Schneider (Mlle) Soulié, Henry (Mme). Terrier, Aline (Mlle)
Rütishause-, Marc. (Mlle) Schneider-Gobeli, (Mme) Souza (de). J.-P. (Mme) Testaz, Marg. (Mlle)
Rutschmann, Thér. (Mlle) Schneier, Isak Spengler, Anna (Mlle) Teste, Augustine (Mlle)
Ruzicka, Paul Schnyder, Clém. (Mme) Spiegel, Félix Testuz, Laure (Mlle)
Ryhiner. Marguer. (Mlle) Schnyder. Marg. (Mlle) Spiess, Henry (Mme) Teuschcr. Alarie (Mlle)
Ryser, M. Schoch, Emmanuel Spitteler, M. (Mlle) Thévenaz. Jeanne (Mme)
Rÿthner. Auguste, serg. Schoch, Marguer. (Mlle) Spoerri, Irma (Mlle) Théodoroff, Pécha (Mlle)
Sachs-Riboni. Abraham Schcen, Henriette (Mlle) Sprecher (de). H. (Mlle) Théodorovitch. Georges
Sage, Georgette (Mlle) Schoen. René Sprengel. L.-B. (Mlle) Thibaud, C.-Y. (Mlle)
Sagne, Mathilde (Mlle) Schœniaub. J. Stahl-Badel (Mme) Thibaud, Marcelle (Mlle)
Sahli, Louise (Mlle) Schcerer, Hans Stahl, Louisa (Mlle) Thibault. Louise (Mlle)
Saidra-Bally. Sim. (Mme) Scholten, Alfred Stahl, Maria (Mme) Thiemann. Henri
Salathe, Cécile (Mlle) Scholten, Edouard Stamm, Henri Thioly. Pierre
Sallaz', Berthe (Mlle) Schoop. Claire (Mlle) Stammo, Angèle (Mlle) Thomas - Amiet, E. (Mme)*
Salzmann. William Schradin, Henri, fus. Stanga (Mme) Thomas, Emile
Sambuc, Théophile (Mme) Schreiber, Alfred Stanhart. Giv. (Mlle) ' Thomas - Coulin (Mme)
Sanchez, M. Schrietzer. Cécile (Mlle) Stanicheff, Olga (Mlle) Thomas, Gabrielle (Mme)
Sanchez. Pedro Schrodin, H. Starh, R. Thomman, Germ. (Mme)
Sandol-Roy (de), J.-Henri Schugman, Marie (Mlle) Stattelmann, A. (Mme) Thoni, Marie (Mlle)
Sanglerat. Louise (Mme) Schule, G Stauber, H. Thony, Marg. (Mlle)
Sanguinède, Jul. (Mlle) Schulz. Marthe-E. (Mlle) Stauffer, Emma (Mlle)' Thuillier, Ella (Mlle)
Sannet, Oermaine (Mlle) Schulz-Chantre, C. (Mme) Stauffer, Fritz - Thurig, René l ;Vfc
COMITÉ INTERNATIONAL OE LA CROIX-ROUGE

AGENCE DES PRISONNIERS DE GUERRE

ARMA CARITAS

le
octobre* 14. ^

<T.
109 THOMAS COtJLIN Renée Mme 2-6

110 CHATELAIN HENRI 9-12 2-6

111 SCHLUKB ERGKR Emmanuel 2-4 lundi,mer


credi, vendred

112 MORICAND Philippe 9-12 2-5 provisoire^


%

lis MAURICE Pierre a partir du 20 octobre régulièrement»


%
N N
114 DUNANT Jaoquea a partir du 10
«

115 Dr MUTER Eugène 9 - 12

116 ROMAIN ROLLAND 2-5

117 KOCH Ellen 9-12 2-4

116 C0TT3CHALK Eugène


-

9-12 (dactylo»)

119 DARIER L. Mm 9-12 2-6

120 PICTET Auguste 9-12 2-6

121 CARTIER Mme 9-12

122 RSVILLIOD J. 2-4 sauf Jeudi»

123 HSLBLIIïG Paul


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A Monsieur Gustave Ador

Président du Comité international de la Crcix-Rouge

Lundi 25 juin 1917

Cher Monsieur,

La Croix-Rouge internationale a été une des plus


pures lumières qui aient éclairé la nuit de ces tragiques
années. Elle a été la consolatrice de millions de malheureux,
la gardienne de l’esprit de fraternité humaine dans la souf
france universelle. Elle reste pour des milliers d'âmes
l’annonciatrice d’un avenir meilleur.

Je voudrais, au nom de ceux qu'elle a secourus par


son exemple et son action, la prier d'accepter, comme faible
expression de ma profonde gratitude, un don de cinquante
mille francs, pour l’Agence internationale des prisonniers
de guerre. - cette oeuvre sainte qui aura rendu chers dans le
monde entier les noms de là Suisse et de Genève.

Je serais heureux que sur cette somme dix mille


francs fussent mis à la disposition du chef de la section
civile de l'Agence, Monsieur le docteur Ferrière, dont j’ai eu
l'honneur d'être pendant quelque temps le modeste et affec
tueux collaborateur.

Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de ma


haute considération et de mon cordial dévouement

(S) Romain Rolland

(Villeneuve, hôtel Byron.)

P.S. La Banque populaire suisse, où est déposée la somme,


la mettra, cette semaine, a la disposition de la Croix-Rouge
internationale. Je la prie de vous en aviser aussitôt.

Voulez-vous me permettre de vous demander de ne


pas faire connaître mon adresse.

(S) R.R
Annexes

1. Les maisons familiales : Clamecy et Brèves.

2. Bibliographie des œuvres publiées de Romain Rolland (1895-1914).

3. Présentation chronologique : l’été 1914.

4. Gustave Ador, président du Comité international de la Croix-Rouge.

5. Le Comité international de la Croix-Rouge en séance.

6 et 6 bis. Couverture et page de titre de l’ouvrage d’Étienne Clouzot, « Disparus et

prisonniers - L’Agence internationale des Prisonniers de guerre à Genève », tiré à part du

Mercure de France, juin 1916, p. 389-410.

7. Édouard Herriot, « Pour nos soldats prisonniers », dans L ’Illustration du 31 octobre 1914.

8. «L’Agence des Prisonniers de guerre à Genève», dans L’Illustration du 21 novembre

1914.

9. Le dépouillement du courrier à l’Agence de Genève.

10. La réception et l’inscription des listes de prisonniers.

11. Exemples de fiches établies à l’Agence.

12. La recherche au fichier et l’annotation de la fiche-demande.

13. Le classement des fiches.

14. La Section française de l’Agence des Prisonniers.

15. Les listes allemandes.

16. Dr Frédéric Ferrière, directeur du Service civil de l’Agence.

17. La salle de travail du Service civil.

18. Les collaborateurs de l’Agence de Genève.

19. Les premiers articles de guerre de Romain Rolland (1914-1915).

20. Stefan Zweig, « Das Herz Europas - Ein Besuch im Genfer Roten Kreuz », dans la Neue

Freie Presse du 23 décembre 1917.

21. Couverture de la brochure de Stefan Zweig, Le Cœur de l’Europe - Une visite à la Croix-

Rouge internationale de Genève, Genève-Paris : Éd. du Carmel, 1918.

22. Stefan Zweig, Le Cœur de l’Europe — Une visite à la Croix-Rouge internationale de

Genève, Genève-Paris : Éd. du Carmel, 1918, p. 22-23.

Les annexes 4, 5, 9 à 18, 20, 21 et 22, proviennent de la Division des archives du CICR.

Annexe 1 : photographies Claire Basquin.

259
Annexe 1

La maison natale de Romain Rolland à Clamecy, aujourd’hui un des

bâtiments du Musée d’art et d’histoire de la ville.

La maison du grand-père de Romain Rolland, à Brèves.

A gauche, l’ancienne étude notariale.


Annexe 2 :

Œuvres publiées de Romain Rolland (1895-1914)

1895 — Les Origines du théâtre lyrique moderne - Histoire de l ’opéra en Europe, avant Lully

et Scarlatti, Paris : Fontemoing (thèse de doctorat).

— Cur ars picturae apud halos XVI saeculi décident, Paris : Fontemoing (thèse

complémentaire de doctorat).

1897 — Saint Louis, dans la Revue de Paris (1er mars, 15 mars, 1er avril).

1898 —Aërt, dans la Revue d’Art dramatique, représenté au Théâtre de l’Œuvre le 3 mai.

— Les Loups, représenté au Théâtre de l’Œuvre le 18 mai (sous le titre : Morituri),

édition par Charles Péguy chez Georges Bellais.

1899 — Le Triomphe de la raison, dans la Revue d’Art dramatique, représenté au Théâtre de

l’Œuvre le 21 juin.

1900 — Danton, dans la Revue d’Art dramatique, représenté au Cercle des Escholiers le 29

décembre ; nouvelle édition aux Cahiers de la Quinzaine (9 février 1901).

1902 — Le Quatorze Juillet, aux Cahiers de la Quinzaine (mars), représenté au Théâtre de la

Renaissance Gémier le 29 mars.

1903 — Vie de Beethoven, aux Cahiers de la Quinzaine (janvier) ; nouvelle édition, Paris :

Hachette, 1907 ; édition d’art, illustrée, Paris : É. Pelletan, 1909.

— Le Temps viendra, aux Cahiers de la Quinzaine (mars).

— Le Théâtre du peuple, essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, aux Cahiers de la

Quinzaine (novembre) ; nouvelle édition, Paris : Hachette, 1908.

1904-1912 —Jean-Christophe, édition originale aux Cahiers de la Quinzaine :

1. L'Aube, 2 février 1904.

2. Le Matin, 16 février 1904.

3. L’Adolescent, 12 janvier 1905.

4. La Révolte, en trois parties :

- Sables mouvants, 13 novembre 1906

-L’Enlisement, 11 décembre 1906

- La Délivrance, 2 janvier 1907.

5. La Foire sur la place, 17 et 24 mars 1908.

6. Antoinette, 31 mars 1908.

7. Dans la Maison, 16 et 23 février 1909.


8. Les Amies, 25 janvier et 8 février 1910.

9. Le Buisson ardent, 31 octobre et 7 novembre 1911.

10. La Nouvelle Journée, 6 et 20 octobre 1912.

— Publication en 10 volumes de Jean-Christophe, Paris : Ollendorff, 1905-1912.

1905 —Michel-Ange, Paris : Plon (.Les Maîtres de l’Art).

1906 — Vie de Michel-Ange, aux Cahiers de la Quinzaine (1er juillet et 21 octobre) ; nouvelle

édition, Paris : Hachette, 1908.

1908 — Musiciens d’aujourd’hui, Paris : Hachette.

— Musiciens d’autrefois, Paris : Hachette.

1909 — Le Théâtre de la Révolution {Les Loups, Danton, Le Quatorze Juillet), Paris :

Hachette.

1910 — Haendel, Paris : Alcan {Les Maîtres de la Musique).

1911 — Vie de Tolstoï, Paris : Hachette.

1913 — Les Tragédies de la foi {Saint Louis, Aërt, Le Triomphe de la raison), Paris :

Hachette.

d’après René Cheval, Romain Rolland, l’Allemagne et la guerre, Paris : PUF, 1963,

et Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant, Paris : Ollendorff, 1920.


Annexe 3

L’été 1914

dates lieux de séjour et activité de Romain Rolland


2 juin

Vevey

17 juin
Riffelalp, Zermatt
20 juin

28 juin : attentat de Sarajevo Spiez

2 juillet

Genève
8 juillet

Gimel

26 juillet
28 juillet : déclaration de guerre de
28-29juillet : aller-retour à Paris
l'Autriche à la Serbie

1er août : de l Allemagne à la


Russie

3 août : de l Allemagne à la
France

3-4 août : invasion de la Belgique par


l Allemagne
4 août : déclaration de guerre du
Royaume-Uni à l Allemagne
5 août : de 1 Autriche-Hongrie à la
Russie

6 août : de la Serbie à l Allemagne


Vevey
11 août : de la France à l Autriche
12 août : du Royaume-Uni à
l Autriche

2 septembre : Lettre ouverte à Gerhart Hauptmann, dans le Journal de


Genève

6-13 septembre : bataille de la Marne

22-23 septembre : Au-dessus de la mêlée, dans le Journal de Genève


24 septembre : premier jour à l’Agence des Prisonniers

début octobre installation à Genève


Annexe 4

Gustave Ador

Président du Comité international de la Croix-Rouge

L !Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : cicr, 1919, p. 9.
Annexe 5

Lo Comité International do la Crola-Rouge on léance


A Mttling of Ih« Inltmalbnal HtJ Cnu CommiU.t — Eln* Stlzung d„ InUmaDonaUn Komit«« oom Roltn Krtuz
M. Edouard NA VILLE M. Alfred GAUTIER M. Adolphe D’ESPINE M. Frédéric BARBEY-ADOR M. W.ltiaw RAPPARD
Prérident p. iot. Viee-Préaideat. Vice-Ptéaideo».
M.Guitare A DOR
M. Adolphe MOYNIER M. Paul DES GOUTTES.
Président.
Trésorier.
Secrétaire général.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre — Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 11.
Annexe 6

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DISPARUS ET PRISONNIERS
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\

L’AGENCE INTERNATIONALE

DES

PRISONNIERS DE GUERRE A GENÈVE

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JUIN 1916

J
Annexe 6 bis

DISPARUS ET PRISONNIERS 38g

BIBLIOTHÈQUE
V- <?1
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DISPARUS ET PRISONNIERS

l'agence internationale des prisonniers DE GUERRE a GENÈVE

Les facilités de correspondance postale, accordées aux ar


mées dans la guerre actuelle, ont établi depuis le début des
hostilités un échange permanent de nouvelles entre les mobi
lisés, leurs familles ou leurs amis. Ce lien fragile vient-il à se
rompre, au lendemain surtout de batailles meurtrières, l’in
quiétude gagne ceux de l’arrière et va toujours croissant jus
qu’au moment où le sort du combattant leur est connu, prison
nier, blessé ou tué à l’ennemi. L’anxiété, faut-il le dire ? est
de durée variable. Elle se dissipe parfois très rapidement, et
l’on voit des prisonniers prendre contact avec leurs familles
moins d’un mois après l’engagement où ils ont été portés
absents. En tout cas, n’est-il pas curieux de constater le pro
grès accompli depuis les guerres du Premier et même du
I Second Empire, où la campagne se passait souvent presque tout
I entière sans que l’on eût des nouvelles du soldat ? N’est-il pas
intéressant de se demander comment, avec les plus formidables
effectifs que l’humanité ait jamais mis sur pied, les belligérants
parviennent à établir le contrôle individuel de leurs pertes, et A

comment, par contre-partie, des milliers de parents, d’amis, ©

de compagnons d’armes, qui se meurent d’angoisse pour un h

des leurs, peuvent être informés de sa destinée ? C’est certai k

nement une des plus graves questions de l’époque actuelle, une I


de celles qui soulèvent les problèmes les plus compliqués, et i
peut-être une des moins connues, même après vingt mois de
guerre. Il nous a paru opportun de l’envisager dans son

-- -Y)

>
Annexe 7

POUR NOS SOLDATS PRISONNIERS blessé, il convient que les familles des soldats recherchés éta
blissent elles-mêmes les fiches confiées aux soins du deuxième

M. Edouard Herriot, maire de Lyon, sénateur du Rhône, a groupe. Ces fiches doivent être conformes au modèle réglemen
taire établi par l’agence genevoise. Il suffit de découper un
publié dans le Journal l'article suivant, dans lequel il a exposé
morceau de carton ayant pour dimensions : 8 centimètres et
le fonctionnement de VAgence des prisonniers de guerre, créée à
Genève sur l'initiative de M. Gustave Ador, conseiller national ; demi sur 12 centimètres et demi. Le questionnaire portera,
dans l’ordre, les indications suivantes :
Il arrive souvent que des familles nous demandent par quels 1° Nom du militaire.
moyens elles pourront obtenir des nouvelles de soldats retenus 2° Prénoms.
en Allemagne. On sait, en effet, que des philanthropes dignes de 3° Grade.
notre reconnaissance ont institué à Genève, dans les locaux du 4° Unité à laquelle appartient le militaire : régiment, section,
Musée Rath, une Agence des prisonniers de guerre. Des Fran batterie, etc.
çais établis en Suisse et collaborateurs de cette œuvre ont pris 5° Numéro matricule (autant que possible).
ia peine de venir à Lyon pour nous communiquer les renseigne 6° Date et lieu de la disparition. Faire connaître si le prison
ments qui sont de nature à faciliter les recherches souhaitées nier a été blessé.
par tant de parents ou d’amis inquiets. Nous espérons être 7° Nom et adresse de la personne à renseigner.
utile en publiant ces indications. Aucune mention ne doit être inscrite au verso de la fiche. Cette
L’Agence des prisonniers de guerre a commencé ses opéra carte, une fois remplie, il suffit do la mettre à la poste, sous
tions dans les premiers jours du mois do septembre. Au début, enveloppe, avec l’adresse suivante : Comité international de la
un petit nombre de personnes suffisait à assurer son fonction Croix-Rouge, Agence des prisonniers de guerre, Genève.
nement. Depuis, l’acoroissement de la correspondance l’a Au reste, la mairie de Lyon fera établir une série de cartes
obligée à solliciter toutes les bonnes volontés. Actuellement, du modèle type qui seront mises gratuitement à la disposition
deux cents volontaires environ travaillent dans les vastes des intéressés, à l’Hôtel de Ville (deuxième bureau). Nous en
locaux du Musée Rath. Un premier groupe, de cent vingt-cinq adresserons même très volontiers aux municipalités françaises
personnes, classe les lettres reçues ; un second groupe, de trente qui nous en feraient la demande.
personnes, dresse des fiches pour les prisonniers au sujet des Je suis bien sûr d’être l’interprète de tous mes concitoyens
quels les renseignements fournis sont suffisants ; un troisième en remerciant les hommes de cœur qui ont voulu épargner aux
groupe, de quarante personnes, s’occupe uniquement de classer familles, dans la mesure de leurs moyens, les angoisses d’une
les fiches et de les confronter avec les listes de prisonniers four longue séparation sans nouvelles. Une fois de plus, notre voi
nies soit par les gouvernements belligérants, soit par des sine genevoise aura prouvé ses sentiments de sympathie pour
infirmiers ou infirmières, des curés, des pasteurs ou rabbins. la grande nation dont elle parle la langue et honore la culture.
L’organisation est irréprochable, la division du travail par Nombreux sont les Genevois qui travaillent à défendre notre
faite. Cependant, malgré son effort, l’Agence déclare ne pou patrie contre la campagne de fausses nçuvelles et d’imputa
voir suffire à sa besogne si elle n’est aidée par les intéressés tions calomnieuses dont une partie de Ta Suisse est envahie.
eux-mêmes. Pour le même prisonnier, il arrive plusieurs de Ayant elle-même lutté pour son indépendance, la Suisse con
mandes. Le nombre des lettres reçues chaque jour dépasse, naît le prix de la liberté. Il est des nations plus ambitieuses.;
nous dit-on, dix mille. Pour simplifier les difficultés qu’une telle L’Agence des prisonniers de guerre, au Musée Rath, à Genève. il n’en est pas de plus noble, de plus fidèle à la justice et au
accumulation de travail peut créer, pour accélérer les répon droit.
Phot. Detraz.
ses, pour abréger les angoisses de toui ceux qui ont un parent Edouard Herriot, maire de Lyon, sénateur du Rhône.

TOUS LES AMPUTÉS doivent adopter la nouvelle Kl M | m SOUPLE, LÉGÈRE, SILENCIEUSE, IMPERCEPTIBLE sous les vêtements. MM. G. BOS & L. FUEL
JAMBE ARTIFICIELLE NATURA La SEULE qui permet une marche faoile, assurée, normale.
Brochure illustrée franco sur demande ainsi que tous conseils et renseignements, par
Jngénieurs-orthopddisles, brevetés
234, Faubourg Saint-Martin, 234, PARIS.

^Le Directeur: René BaschTT. Imprimerie de L’Illustration, 13, rue Saint-Georges, Paris (9 ). — L’Imprimeur-G^mni : A. Chatenet.

L’Illustration, numéro du 31 octobre 1914


Annexe 8

Le dépouillement de la correspondance. • La salle des fiches de prisonniers français.


l’agence DES PRISONNIERS DE GUERRE A GENÈVE. — Photographia F. Foiiror.no:.

Nous avons déjà exposé,' dans le numéro du 31 octobre (couverture), l'œuvre de Y Agence dis prisonniers de guerre, installée au musée Rath, à Genève : « Plus do cent personnes,
nous écrit M. Baud-Bovy, se reiaienbMans la salle centrale pour dépouiller une correspondance qui atteint actuellement un total de 25.000 plis par jour. Dans une autre partie du
musée s'établissent les fiches qui sont classées dans les galeries du sous-sol. L’agence, chaque jour, correspond avec 500 personnes, envoie 1.000 paquets; elle a déjà permis à
17.000 prisonniers de correspondre avec leurs parents... >

L’Illustration, numéro du 21 novembre 1914.


Annexe 9

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"\ C

Dépouillement du courrier Sorting of letter» Offenen der Poat

Le dépouillement du courrier oc fait dan» un local roiain The sorting of lhe letter» takes place in an annexe ol Das Ocflnen der Poat getchieht in einem Raume. der
du Mutée Rath. Le» lettre» annt ouverte», et, suivant the “ Musée Ralb. Letter* are opened and, accotding sich in der Nïhe de» Musée Ralh belindet. Die Btiele
leur contenu, dirigées toit ver» le» «ervice* de dactylo lo lheir contenta, handed over to lhe typista (or the werden geôlfnet und je luch ibrem Inhalt in die Scbteib-
graphie en vue de rétablistement de» fiches, «oit ver» le* purpose of mailing index catda, or to lhe spécial services msscbinenabteilung befôrdert, wo die entsprechende
services spéciaux qu'elles concernent. which lhey concern. ICarte hergeatellt wird, oder aie gelangen in andere Spe-
zialabteilnngen, die mit ibrer Erledigung betraul aind.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 35.
Annexe 10

LES LISTES DE PRISONNIERS — PRI50NERS LISTS — GEFANGENENL1STEN

Réception de* liste*. Arrivai of Lût». Eingnng der Gef*ng«»*nH*ten.


A l'arrivée du courrier les listes de prisonnier» sont remises immédiatement au service competent*
As saon as tire post cornes in, lists oî prisoaers are imroedtalely Kanded over to the proper section,
Beim Eingang der Post werden die Gefangeneniisten sofor? dem betrcflenden Dienste übergebea.

Inscription des listes. Annotation of List*. Eintragung der Liste».


Les listes sont inscrites sur un registre d'entrée, dstées et cotées avant d’être envoyées à la copie.
Lists art registered, dated and numbered belote being copitd.
Die Listec werden eingetragen und mit Datum und Nutnmer vetseben, bevor sie vetvielfàltigt werden

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 21.
Annexe 11

LA RECHERCHE DES DISPARUS — ENQUIRIES ON MISSING — VERVUSSTEN-NACHKORSCHUNG

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S.302427
N.3U2VJ7

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Miréchai- ies-Logis au 5c# Marécr.al-les-î,ogi3
Cuirassiers.7«# Coap. Classe 0Uira9.rlera.7nia Canp. Cl anse
1910. Ûi3piru le 5 seyseebre IdiU. iHsr tru 1# 3 3eri*;acci,a'~'
1918 oortbafc les Kparjea. la I& ecmcàcie:! ïparro3.
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Fiche-remeignemenl, La hche-iensoi- Fiche-demAPda. - Lorsqu'une (iche-demande
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gie.Tient ne porte que '-le* nom, prénom», rencontre au iicbier ta liche*renaeignemcnt(
gtade, régiment el compagnie.du prisonnier «l correspondante. le numéro de page figurant ri •

l’indication de U page de la.liste ou ae trouve aur cette dernière est simplement ajouté au
le renseignement proprement'dit. Si l'on veut crayon sur ta lie lie-demande qui eji envoyée Fiche-danvanda annotia. — La licha-dcnasde eai
avoir où est interné le prisonnier Caston ainsi annotée au service des listes- «nmplcict pat Ist isdicatia aa parlera la/ U Laa
•Icmanit caramum {dans le eaa piraroi : nom. piano*.
Petit du 5>ne cuirassiers, il iaut se reporter •
Demand-cnrd. - When a demand-card meeta t«gint«&r. ciatsc. liai et dtlc Jf -.«»ui>e) annt toaligaâi.
U page 94.066 dea hile» officielle» allemande». Let ,ndicaliae> auurcllfa - lira ri l*i# À* niiuâact —
ao inlormition-catd in the c»rd-index, the
aanl siautet s-ce *« ien«»i gn##irni propierarat dit —
nformation-card. — The Inlormation-card number ol lhe page il written in pencil oo the siQcovrni — al la data da la
bears noly the aurname, Christian tiame and denaand-card, which >s paaaed un to the List
regimental oarticulara, togeth;er with tha num- section.
Àmnourad d«rnand-card. -- T'rn dcnaad-caid u
ber of lhe page of the liât Where the iniotm- complOed bf ih« mlMnanaii en iha lista. In ihis casa
ation i» to br lound. If the' mine of the place Anfragakarte. — W«nn eine Aniragekarto lha o'if.rw/ ptmculart. t a . turnamc. Chnaiiae n*sv«.
oi internaient ol :he pnaoher Caatan Pstit in der Karlhotek emer enlaprechenden Aua- rrgiracai, clasa, plaça and dii(a ol capture — are efldar-

oi the 3»h Cuirassiers it\Vequsred. relerencc kunftakatte begegnet. »o wird die Seite die tined. - I ha naw piMmUr • place #ad d*i# r*l buth—
Sia sddrd with lha m» itwalia n p-opri. lormur sud presrnl
auf der Letzleren eingetragen ist, sut die
mgsl bc made to page 94,066 of the official plaça a( micrnmtnl—and ihr data whea camatuaicaiad
Geiraan lista. Fiagekarta vermerkt. Diese wird mit de» neueo ikr *»01iJy.
Xagabe an den Listeodieül weitergegeben.
Au»kunftak*rte. — Dieae Karie gibt aur dio Mit £iotragunf«ft «tri»ba#ie Frajakmrt*. Die Fi»|»-
k«rtc wud durci d.< Anfahen d*i L.stan vei*allttandi|t
\ame.Voiname. Kaag. miiit-anache EUnceilung Di* Haaptpanlr* FaU*. Narac. V»#»**«nn. Re-
und Liitenseite an. auf der.sich die Auskunft liment. Jahiga.tg. Ort and Oaira der Olm»i3»kn».
betindet Un z. B. zu ctlahren. wo det Kriega- «•nJen un?rr*iii<h«s. Nrue Aagabeft. GebatUait uro
gelangene Gaatoo Petit vorn 5. Kurasaierzegi- Datum. Iniherci ode» ircxiger Inlanucrwngeait und é*i
D»iu*j d«c Mitlcduag as dia Aai/lgcndea *e«rdan
ment inteioiert iat, wird die Seite 94.066 der
oliuiellca deutachen Lislen nachgeachlageo

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ConD-nj’tication du lenseignement. — Le reaiecgnement relevé a’ir la


liste est ox«u.iq«« aux damaodeuri sur cirtea* formula ira», avec Ui élé
ment» d'idjatiiicaton qui y »ool pirtéa — lieu el date de oaiiaance non
donnnv par le» demandeurs — «t le» sûoraaliea de U liste : sergent (grade
d'iaftnierie correip^ndaOt è caaréchal-daj logis dans la cavalerie).

Communication of Information. — The inlonnatiop Ukeu fiom the liât

is tiaosmitled to tha enquirera on printed lortn», with lhe psrticulera givaa,


«d the spécial pointa mentioned on the liât.

Mitteilung der Auslcunft. — Die auf der Liste angegebeno Auakunft


wird dea Aufragenden aui Formulare oiigeteill mit allea Finzelheiten um
dit IJsutitit fcslzualellea. mit den «twaigcn Fehletn, hier z. B. "Sergent”
(l&lsnlencgrad, d«r bel dor CsvaUene “ tnaiéchal-dex-logis " heiast).

L ‘Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 38.
Annexe 12

LA RECHERCHE DES DISPARUS ENQUtRIES ON MtSSING VERMISSTEN-NACHFORSCHUNÜ

~ m m

La recherche au fichier, — Comparaison de ia fiche-demande (blanche) et de la fiche-renseignement (teintée).

Work nt the tard-index, — Comparison between enquiry-card (wbite) and information-card (coloured).

In der Kartothek. — Vergleichung von weisset Anfragekarte mit farbtger Auskunftskarle.

Annotation de la fiche-demande. - La (iche-demande est comparée au renseignement porté sur la liste. Si le rensei
gnement ne s’applique pas au disparu recherché, le chiffre noté au crayon sur la fiche-demande est simplement biffé d'ur.
irait. Si tout concorde, le renseignement est reporté sur la fiche-demande et communiqué au* demandeurs.

Annotation of the enquiry-card. — The enquiry-card is compared with the information on the list. If thts doe» nui
apply to the roiasing man asked (or. the number matked in pencil on the enquiry-card rs simply crossed ont. 1( everything
coïncides the information is noted on (fie enquiry-card and communicated to the enquirers.

Anmerkungen auf der Anfragekarte. Dir Anfragekarte wird mil der Auskunft der Liste vcrglichen. Wenn di«
Auskunft sich mcht auf den Gesuchten bejtieht, so wfrd die auf der Karte mit Bleiatift eingelragcne Nummer gestnehen
Wenn dagegen «Iles ubereinstiromt, so wird die Auskunft auf die Fragekarle eingetragen und daim dem Anftagende.r
mitgeteilt.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 39.
Annexe 13

Quatre année» durant de» eolUborateut» bcncvoïc* »e For more thnn leur ycara a numbei ol volustaty worker» Seit vîet Jahten bat eine Rethé Irtiwilliger Hîllakrâfte
• ont astreints » la tâche si ingrate du classement de» hâve devoted their apare lime to claaaing lhe card-index, eincr langwierigen Atbeit in der Karlothek mehrere
fiches, s'attachant chacun à la tranche alphabétique qui each persan keeping to the partieular section o( the Stuodea tiglieh gewidmet. Jeder Peraon wurde ein be-
lui était dévolue. alphabet lirai allotted hitn. stimroter Abschnitt de* Alphahele anvertraut.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 49.
Annexe 14

Section fnit(«n< French Section Franzoarache Abteiluog


Le lichier îtanco-belge compte deux million* el demi The Franeo-Uelgian card-mde* comptines Iwo million Die lranxci*i»eh.belgi*che Karlothek eothâlt jrwei und
de liche*. tant demande» ijue renaeignement*. Il occupe and • hall enquiry and information-carda. Tliere are 40 eine iiatbe Million Kaiteu. Anlragcn und Auxlünlte,
40 pet*onne*. dont 30 volontaire*. Chaque petaonnr worker», of wlticli 30 are volontary helper». Lach per*on Sie beschaftigt 40 Perxonen, woran 30 Freiwillige *ind.
e*t tcsponaable d’un cetlain nombre de boîte*. ia in charge ol a certain nurober ol boxe*. Jeder (licier Mitarbeiler i*l îiir eine Aruahl von Schach*
teln verantwortlicb.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 47.
Annexe 15

Ljc* listes de prisonniers irançat* en Allemagne tor- i ne Usts ot rreoch prtaoners toUerman/ torm «collection Die Listen der lianzôsischen Gefangeneu in Deutsch-
roent une collection d’environ 500 volumes de 200 pages of about 500 volumes of 200 pages each. Thèse liste Uod sind in ungeUKr 500 Bander unterbracht, xu je
chaque. Cea liste» mentionnent non-seulement la cap- mention not onljr new captures, but aUo prisoners Iran»* 200 Seiten. Sic geben ntcht nur die Gefangeimahiae an»
tore, mais encoie les transferts d'un camp dans un autre fericd Irom one camp to another or repatriated. sondera «uch die VersetZungen von einem Lager in das
et les rapatriements.
andeie uod die Zutùckbeiôrderungcn in die Heimat.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 29
Annexe 16

Direction de» service» civil et sanitaire

Director of the Civil and Medical Deparimenls LtUung der Zioil- and Sanitàtsabteilungen

M. le Df FERRIERE, Vice-président du Comité International de la Croix-Rouge.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 19.
Annexe 17

Service civil. Civil Department. , Zivilablerlun*.


A govche. leclion de tran»tni»»ion de inertage» enlre Ici On left : Section for (lie trnnsmusion o( t»c»»ttge» lie- Liait» Vermiitlung van Nacbrichten zwt«chcn d«n
Et«t»-Urii« et le» Eut» Centraux; plu» loin, «ection tweea tl>e U. S. A- »od tbe Central Power»; in the Vereioigten Stnaten und d«n Zenlralmâchten, weiter
d'échange de nouvelle» entra primante»» frattçai» et backgroutiil, «ectioe for tltc ««change ot n«w» between binten. Nachtkhlenvermiuluog ?wi»chen gelaogenen Fran-
leor» Urotile* en F'rancc occupée; « droite, «ectiatt* Freneh prUoner* «»d lheir letmlie» in occupied ro»r,n und derert Familion im beteuten Cebiele Frank-
ru«*e et italienne. France; on rigbt : Rt»»ian and italian départaient». reich»; recbt», italienirche und ru«»i»cbe Unlerabteilungea.

L ’Agence internationale des Prisonniers de guerre - Genève (1914-1918), Genève : CICR, 1919, p. 97
Annexe 18

HÉjMMMf

COMITE IHtEMMllML AU CROIX-ftOUBE


Aot*ct ors Mi$OK**gfts o* oufeft.nç ...

ctva.s

*. *$+£*'*- *

A VALUABIE ORGANISATION: THE PRISONERS - OF - WAR AGENCY.

With headquarters in Geneva, a benefirent and very uséiul body, the Prisoners-of-War Agency, and its twelve hundred voluntary helpers,
are doing a kindJy and much-needed work, It was opened in August iqrq, by the Internationa! Committee oi the Red Cross, its
mission bcing to search for missing soidiers of ail grades, civilians, and members of the Sanitary Corps, prison*'rs of war in the
enemy's country. This work involves an enormous arnount of correspondence, thousands oi letters. parcels. and remittances being
deait with daily. M. Paul des Gouttes is the General Secretary, and the address of the Agency is simply Geneva. Our photograph shows
a large number of the 1200 voluntary {Photo, ty PiéU, fMssountiis.)
" ''v' * V; '***•* • ‘ l • •" * *< XARmSKe **

The IllustratedLondon News, numéro du 23 janvier 1915.


Annexe 19

Les premiers articles de guerre de Romain Rolland

(1914-1915)

1. Lettre à Gerhart Hauptmann. - Journal de Genève, 2 septembre 1914.

2. Pro Aris. - Cahiers Vaudois, Lausanne, 10e cahier, 1914 [paraît en janvier 1915].

3. Au-dessus de la mêlée. - Journal de Genève, 22-23 septembre 1914.

4. De deux maux le moindre : pangermanisme, panslavisme ? - Journal de Genève, 12

octobre 1914.

5. Inter arma caritas. - Journal de Genève, 4-5-6 novembre 1914.

6. Au peuple qui souffre pour la justice. - Publié en anglais dans le « King Albert’s Book »,

édité par le Daily Telegraph, Londres, 1914.

7. Les Idoles. - Journal de Genève, 10 décembre 1914.

8. Pour l’Europe : Un manifeste des écrivains et penseurs de Catalogne. - Journal de Genève,

9 janvier 1915.

9. Pour l Europe : Un appel de la Hollande aux intellectuels de toutes les nations. - Journal

de Genève, 15 février 1915.

10. Lettre à Frédéric Van Eeden. - Publiée en néerlandais dans De Amsterdammer, Weckblad

voor Nederland, 24 janvier 1915.

11. Notre prochain, l’ennemi. - Journal de Genève, 15 mars 1915.

12. Lettre au Journal Svenska Dagbladet. - Publié en suédois dans Svenska Dagbladet,

Stockholm, 10 avril 1915.

13. Littérature de guerre. - Journal de Genève, 19 avril 1915.

14. Le meurtre des élites. - Journal de Genève, 14 juin 1915.

15. Jaurès. - Journal de Genève, 2 août 1915.

Ces articles, avec une Lettre à ceux qui m ’accusent (adressée à un quotidien de Paris,

en date du 17 novembre 1914, mais jamais publiée), une Introduction et quelques notes, sont

réunis en un volume :

Au-dessus de la mêlée, Paris : Ollendorff, novembre 1915.


Ont été publiés à part :

Au-dessus de la mêlée et Inter arma caritas. Avec une préface par Amédée Dunois. Paris, juin

1915. - Brochure vendue au bénéfice exclusif de l’Agence internationale des Prisonniers

de guerre.

Articles et traductions, non réunis en volume :

1. Une protestation d’Arthur Schnitzler. - Journal de Genève, 21 décembre 1914.

2. Une lettre de Romain Rolland à VInternational Review de Zurich. - Journal de Genève, 31

juillet 1915.

d’après Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant, Paris : Ollendorff, 1920.
Annexe 20

-nmrijcçi . _
Ç a r i », 21, ,* cgedjifdjçn SPartelèn , n^^^ir^fh^aeâ^anntibltdi Qnf,cm^ffbepnnbtc:
auSgafpiçdjen.'. > :©ie ttitbrben grangofeit mit ber )iefe$ Ccfterrcic^. Aeitie ^o^fdjule ’^ein' bônnte, “:tpo ’allc
aïjrljeiÇg^glfdjen. gtanûtcidj' Staatcn 'ber ;S3clt leriien, mie nalional.gemifdjte 22nbet.
bâ&’ biê^ ^]touTia;bi]Jn '©càen unb beten regiext njerben. î)ie. mûbnic^en 5inri^tnngcn fmb nid#
le?; m^txLiObtxi ODimanbo S, bie untçr eigenetgaljnc ^n&Jupgftbeifc.’- nue cin’ ©eifpteX fn,.ba3 mcitere ^c^tüffe • unbcndjtct gcblicbcn unb PCe, bic $cute an bér ^olitib teil»
—’ i fl ftB^i e .SK i 11 e 1 m 2 dj t c ï 2 m p f e u mitb, mtaffe* ; ©ie .Çgçd#n bürfen'nidjt gügebcn, bafj bic.geinbc nebnicn, roürbcn l'tolg feiri, roenn 'lie ' auf uip.OJQtber1 bcj
oet SJlotwrdjie, roeldje biefeô alte SReidj nidjt blo| gcrftüdicln. ttetenèu ffiîegcn gu bvaucÇbareri CSmbniffen au^tn'.S5^meit
ftfiditrilt fiûlfDius. fonbern aud) roirtfdjaiftli.d) berbcttêln tboüen, gu einer (tonnneu folitcu. Slber bie' cgec^ifcfe Çolitib wrf R^^ùiét.
Ülteinuug gcbtaeïjt »be$en, bie ben &rieg oerldngern mufi. ocr{d)lampen, nidjt unburc^fictjtig luerben uni), burdj
'Smftetbam, 22. îxjemba.
3>ie grangofrn bûrften ou3 ben Œtfa6nmgeu non giueiunb- Jdnbclcicn beu CSrnft unb bie $>erffifclid)hcu cinbilèen. ïie
Jfc- 2Xc .îimcS" ‘mclbeu oui ^cteraburg: 55 a l c b lu uictgig SRonaten roiffen, bab folc^c S?tigabcu cin nidjtigeS Stedien miijicn grüubli(f abredjncu mit unlKimlicf):n
•'çrtKirte, bafj ec ficO tvcgeu feinec. Unocliebttieit «SrOaùftûxh finb unb. ba& bie ïïtonatdpV' auè ben fdjiuerîtcu SJlcujdjcu, bu- djr ikrljfingnié gu merben broljen. $>ic
f -b e n. ' g t o n 11 r u p p e tt, bit ben © c I) o r j a m unb blutigjten Stampfen mit. > unberfef)rtem‘ SBcîijjftanbe aJtonnrdjic mill cincn cljrenuollcn griebdf. Sine- 'Çolitih, i.~
fi.
^eigern, iurüdgiettc. t)cruorgef)c.' SCbcr bie Stnbilburw8braft be3 frangfli'ildjcn bie fid) biejer allgemcinen Sct)nfud|t nid# untfrorbnct,
95adj cinet anbeten dttclbung f)ûbcn ftalebjn unb bie ^olbeô ift lebenbig, bie So^^eifc&bie bet SWiniftecpvâiibcnt ' uergifit ba8 SBort ÎDantcS: 2Ue^e bem, ber^^.baÿ fccriUjrt l
’lrregictung bct Stofalcn abgcbauft, um bie SBilbung CSlemenceau .cn bec SRonatdjie pitjcûbt tjût, 63nntc troÿbcm
jfc.;a t X*e n u f t a i n i f dj e n Soifs*
rt’u n g. 3U etmôglidjen.
?xt4 TVjCA^C üon ement Gnbe gum anbeten unierer SSklt, blutet au» un^
gübligeu ïBunben ber gebreugiate 2eib ©utopaê.. $ier aber V t

fpiptfn iifutë jFriebcnfiànbot ber Ülittclmnibte. ut. Jcblfigt nod) fem |>erg. ®enn çi« antmortet bern roaljrtjaft
unmcnfdjlidjen Seiben bet l,0<^ e'n ©cfüljl:
:sv.
v. il b l n, 22. SDejerabet. ; ^erü'@urop
v.* 8on ®iefan âtûeig. baô mcnfd)lid)c 3Jlitleib.
Jlôltiîfdje Scitung* melbet aus ©etlin':\ 3n bet Unb barum loti Doit biefem .Cjaufe bict crg3bft merben,
l \vf ^attÿfr*biWeii greffe teitb bas ©eriidjt berbrcitet, bajj.rin SJtôgen anbexe. bie . ^ia^ten f^ilbeni, geî^etttn 'i>on bem SRufee Kntl) unb feiner ©cfc^ic^tc im tfrieg. •"r
>' r
i t\ n'eueSrgrtebenSangebot unfctcrjeits üebotiiftubc. bcjubtln, Jî.aifeT^unb^etgo'ge'ÇÜ^mcn— ic^ ^abë * nfc^d * .* • • •

*' gen übcr jei mit allée Isutidjlcbcn.tjcit runb ijctauS gcfetjen in biefeht &riege, waè mit mic^tiger fcf)ienc, ;u m

:<£Véritàit£' -baf} bieS nidjt bec g a i l ift. ©cutfàlaub |'d)itbccn, roürbigct, ct^oben gu roerbeu, alé baé bleine ;.î>auô ©io ©c[cf)idjte be» Diotcu 55veuge8 i[t beinem ©cbilbeien
un^t^fme.S ex b ü n b e t e u Ijabcn nirijt ben. gctingften nuf ber Salace 9icuue m ©enf, bai eljemaligc 3Jlufée UlatlJ. gang fremb. gebet îüeifj, fo glaubc idi, ba& nact) ber 0r^lad#
•-» -^Jtfulaè, i()t fjodjljergiges griebemSaugebot gu luicbctfjolcm ®ie. SBilbçr - finb 'foctgcfdjafft, -aller Sdjmucû ift iljm bei «Solfcrino auf bie Slntcgung bcô ©enfet’Sürgerl îunant
genommeii.'9iur oben auf bem'gttcd)iî^en ©cbfllbe rnc^t cm interuationaler Slîcrein acgrünbet murbe, um |m flriegè»
Sic gncbcnêfccbtngungcu Sanfingë. fade bie 2'cnüunbetcu gu fdjü{jen unb innertjalb ber fcini^>
bie glogge beS SRoten SîreùgeS unb um fcme ©iebcl[tirn
SB a | f) t n fl t o n, 21. Xeiembrr.
fdjlingt jid) au§ blutfarbencn ®uc^ftaben cin gries : JfAgence
lidjcn vlnut’cu cinc neutrale lip^ûte be8*,$)ilfébienftc-J gu
... .. ; SÇeutct’# • melbet : «Slaatèfclictfo Si a n f i n g na.m. Internationale des Prisonniers de Guerre." fr^affrn. 1870 Ijat bicfe gnftitution fid) :l'd)pn bemâljrt unb
Çeuie 311 ben ©efudjtcn non cincm n e u e n b c U t f ci) e n dp :i[t- ein .^auS/--' nid)t grbber'ûlâ aile anbeten bet :m.aitcn.fpatereu .'triegen. îlbcr benuo<4 mer ^at itjrcr fu^
. .. g cl c b e n 8 an b o t gu Sïïeiïjn. djtcn 6teUitng uub ce»; étabt,: nic^t- etftaunlidfj' fonft bur^' éincit Sinn ober cinc bann nod). crinnert ‘ ini grieben ? • 2Bir-finb aüc .— Ijeute,
ntttte4|;bo& paS.ÈtaatSbcpartemcut ba&ou t c i n c St c n n i.- Sdjdnljeit. ,?l6e^ jcljt, in biefetr brei/Sû^tnt; nmr c8 .bie : ipiffcn :»it c» fdjmctglid) urjb tragen biefe Grbenntnié dlô
^ ' n Ps erfjhltlii' Ijabe. ©ie Jgaftuug bet Screinigteu 6taatctf <Scclc, ^ar eôliipô ®‘ûwpa8/3n:unfid)t6arér Sranbuog ; îmfcrc 0d)ulb — feljr ucrgc&îid) gemefen, fe^t Uic^tfcrtig,
fei un»efânbett unb bleibe im Ginllaug mit ‘ben ï)e-: ftrbmt-£)ier jeben ïag bie îingft1 bfe Sorge^ bic ftagenbe .unb feljr glcidjgtiltig. SKtx rnaten nic^t mi&traui’d)'gehug
bingungen .bec Çllliiertcn, baf, © c u t {ü) l a n b SS i c b e ry Üiot, ber fcfjrnenbc «sdirediéh bon SliiOionen silôlbern ferait. bei beu
c •gufanunen&ünften
^ r— “ ber* ©ro&eu, toaren gu .lacmi^tig
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Jl'e r ft c riu.n g unb <£ dj a b J o 8 lj n 11 u u g g c» 3»i unîidjtbûtet Gbbe ftrômt l)iet tfiglic^ .^offpuug, îroft, jiir bie .vilcincn, bie .^>cj}cr unb Sdjmâ^er, bic oom Sniege
jolie. 9jnt[aî}(ag unb 95ait)rie()t gu ben SJtilliùnrn jutiirii. ©Ta.ufjni, tm grieben rebeten lotc bon cincm gujibartmatrii, uub mit
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Neue Freie Presse, numéro du 23 décembre 1917.
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*•^18..tjcmé Uufgerotil)lteu ©efiiblcS. SJÏait bonii cS nirfjt mit


ft?.' **'•••: Kià 1 $lber fie arbeiten uncrmüblid), îag uttb 9iarf|t, nom crften anberen cntgmeicn ? î)ie im ÎDiinbeln ftanbcn/'bilfre^ uu.b
gu ISnbe fcÇauen unb mit enter ©eelc, einer bis juin-leçteti. • . , v « -... •• tatig, abcr nut ber gleidjen tfraft ber Organifation; wr'
•jrmgigcn ]djmanben mcnfd)lid)en 6eele gu Crnbe füljlen. iÿont erften biê jum leçt^t. %<f) moCfte ben Ceitet beS Uebergeugunq unb ber Gntfd)iebenl)eit ? ©uftape Slbp): mufe'
£aufc$, bem icb bon Uiiien ttn^n ©eg^nbefuc^ [c^ulbete, auf<= icb als ben ^rafibenten als erfien nennen. ^r;ift Ejeute m?*
iud)ett.ut\b ftagte, emtretenb, nacb jetnem 3immer. 3Man imifd)en gum au|enpolitifcben Seitet ber Sd)mcig pufgefttcqeu.
.WdjeUe, unb td; berftanb juerft biefe® Sddjeltt ntcf)t. îlber Slber fener ÏÏtann, ber bie ©eele beS ©angen' ift,. beffen %
2DaS ^nnerlidje foldjen ÊinbrucbS, mer libuute cS gang als man'muf) fjtnfütjrte unb tt^ falf, mte p.er ber ojberfte ^nitiatioe bie Slettung ber 3lDllgefanacnen -gu-banien : iftj
r . fen ! îlber fdjon bas Vieujjcic DiefcS ^mufeS Ijat ntid) mt Seiter ber ^uûlabteiluug ln cmcm ungebeuren Seal, mitten ftetjt beute mie am erften Sage an^fétner ëteOe,' 35obtot
^:tStejfftcn bèroegi. ârgenbmie war in mtr (unb toüfjl ut ben nu îutnult ber anberen an eittent grob ge^immerten ^olj* perrière, cm alter SDiann unb, mie man merft memep
Ml meiltenfccin '-8orgcïul)i. Dteje ungei)ciiTC C>rgaiti|attoji, bic tifd) mit fünf anberen fieuten $ufammen arbcitetc, o^ne moefte, ein mübet 2Jlann. üx bat febon im 3anre 1870 als : • i
!$' \ baü • ganje ' eurcpaiidje litenb unirait, mu^te irgeubmte eine .$d)reibtifd.)labe jum c.genen ©eOrgud), nur mit einer fteimiliiget Urgt im ^riege îîtenft geleiftet unb ift bodb.all.*
jctn, ut ,_rtc|igeu '«ttciumen mit gllcn ÎJcqucmlid)’ toi) ge^intmerten .ftnfjette, batin er bie mic^tigftcti îobu> Siebgigidbriger tm iBalhanfiriege bimuucrgefabren gu ben
ft?^e.ten,-~éine Vltt gabrm gur '-6erroertung .bcS tragifct)cu mente birgt : als id) bas fab unbierinneVnb ocrgiicb mit ber bulganfd)en Sd)lad)t[elbem, unb gerabe ber gcgenmdrtigc
Jiatertals. ârf) ermaruje mtr biejes ^pus granbtos tm tïlegqnj unb ©equemltdjfceit
Y V‘. ëmne euter ttoüenDutig bec tedjmidjen tytlfsmiUel;- unb im ba roarb' mit erft bie ®r5&e unb bie rlufopferung biefer
bei bleinften ^riDatbureauS, ^heieg bat if)m eine ihaft gegebeu, mte fie nur baS innerft -Y ^
bemegte ®erüt)t einem mcnfa)ltd)en Serbe uerleibçn banjtv
• ©inné ber yieprdientauon. Vlber es tft nod) gtanD.ojet, als id) ïïlenfdjeri 'benm&t, bic unfictjtbar unb imbeliannt roirben @S ift nidu bie Aeit je^t unb niebt bie ©timbe, ad feine 'i'er*
**. p^steiutc. 2>od) batd) bas (Scgentetl: Duvet) fente iSttt* fiir Unbebannte unb Itnfidjtbare. • bienfte auSeinanbergufe^en, aber i<b glaube, ade, bie Slnteît
•> .-v fadjtjcit, burrf) bte t)ctoifd^c uub guérit faft oeteibigenbe
9fod) ein dnbérrr $laÇ mor an biefem eitgen, un= baben an ben ®efd)tdien ber ©efaugeneu — unb mer bat & . ...• .

Siçtnut fetner ÿîrttel. ladite £>olgmdnbe, ttt V^tlc auf*


geljobelten ^oljtifc^. ïian jeiftte ibfl mir mit, «itter gemiffen nirfjt, mer ift gu abgefptengt auS ber irbtfcben ®emetnfrf)aft ?.
gendjtet, itfatarfien anftatt Didumc, gtobe, gegtinmerte îifdjc — fodtç fief) feinen jîamen banbbat bemabren. Sirb mqn
(S:^rfVird)t. $ier batte Romain ïïlauanb mebr. als jmci ^a^re
oljite ttdjublnben, fdjtniidilos niebetf)ûiigenbe Ülampcn, hdrg=
tagtâglicb Don frtil) bis abenbS fretmiUig tm $)icnfte oeS cinft bas gange @lenb unferer boutigen îage in fetner ganten
lidie ©trobfeffeb allés aufs biliigfte uub emfadjfte qngeîdjajft bcutfd)=frangôfiîd)en ©efangctunauStaufcbeS georbeitet. Unb ©rôffc überblirfien, fo merben audj jene crknnnt merben, 014
ttïtb ailes |o huapp onetnaubet, bat *»tid;t Siaurn ift, fid)
als nntteu tn biefer îdtigûett ber 9îobcU’iJ5rciS im ÎJetrage eS am Icibenfrfjnftlirfjfteu gu milbetn furfjten..--'"v!*
... ! mngubrebeu. günfgig biS fcd)gig .'jilfsarbeiter, - immer * * ’’ 1
non faft emer '«Uiertelmiüion i^m gufiel, ftcdte et tf)» bi* gum
cUbogeunat) im gleidjen Slbteil, • bagmifdjcn Sdjreib* *

le^ten ^ranc* bem ^ilfSmerb gur vcrfügung, bamit fein 2i5ort 30lan tritt auS bem Saufc. .fjed ergldngt bic ©rabt. STuf
mafdjntenge&lappcr, unb über ben iÊüpfcn, auf eiitcnt e;ttr
bielîat unb bie îat fein îtfort begeuge. Ecce homo 1 Eew bem ^|Mnp fdjicfjcn bie Sagcn oorbei, 3){cnfrfjcn fd)rodrmen,
îûdjen, Hiiflcftiidjcncn .'polggeriift nod) ente jmeite (Stage, gu
poetu î
oer ntan auf .fjulgtreppeu bmauffteigt. (îiu ÜtfanbergirïmS lefeu jV’itun9/ Iacfjen, plaubern. Srf)on fpürt. man
.. 5# * ns mieber nidjts pou bem ungebeuren Unalürft', aiiv,
Ijat mebr ft'omjort. UiirgenbS eiu fauteuil, nirgenbs bie
gertugîte, primitiüftc ^xauentlidjlieit. 2>aS Cwngc mie in §qbe bislang bie 9îameu ber 9}lcnfd)en nidjt genannt, beffen Sdjatten man foeben getreten. Î5ic sJîat)e Pergujc
einer lUadjt fyiftig aufgcbaut unb mtr fiir eitten cingigen bie biet in ftitter Slufopferung feit met)r als brei Sobrctt it)t Bic perne, bie ^erne Dergifjt bic 9èdbe. ®S gibt hcinc mtrb> N ""i
îog. Slud) t)ier ift îrgenbiuic tuieber ber glcidjc falfd)e iBerb für bie 'JWenfd)i)<it tun. Slbet id) glaube, mon foüte fie lirfjc 9èad;barfd)aft iii unfeter 3)oppelmdt non b^utc als bas
t&ebanbc fid)tliri), uon ben mtr aile feit 3aj)reii leben, ba& hennen non einem bis gum anbetn ©nbe ber ©tbe. Soit tnnn ©efilbl. ^ur menn mir -nidjt wrgeffen modeit, in (tenant ,-îv;

biefer iftrteg nur ein '4kob.forium jet, ctmaS plücbtiges, 5>or» mirltlidb nur bie SRamen ber Orte unb ber jjelber mifjenf bie ïlugettblich, in beiner ©ebunbe, finb mit pnS pnb ber S53e.fi
;• übergcbcnbçs. îag es nidjt notroenbi^ fei, fid) auf ^at)rc iSlut gctrunben baben bis unter bie là$urgel bes QJetreibes, gere^t. 9iur bann fibnnen mir fie oerffebeu. Unb roit^moJIçn ‘V- SI
,->J' ftut, fiir bic beften 0al)te bes üebenô auf i^n ein^uftellen unb nur bie ber ©ein^dufer ber europdifeben îiugenb ? Unb. nut niebt nergeffeit, mcbtè unb niemanfien im ©uteu unb un
• ïù Wèuri^teu. SDaiilt biefeS fdjoiKn uub futdjtbaren Orttumd bie ionien ber gelbbetrn, bie an affeh StrafeenecUen, auf SBüfen, bamit mir biefe unfere Selt einft fo f^tlbern ^urcïv :i
v.^ vY aibéiten biefe IjUfr^idjen Samaritec t)ier feit brei ^aljren alleu fpia&aten u.nb fàon auf. ben ^tgarrenfc^ac^teln mie fie mirlilicfj roar unb nirfjt, mie fie uns jc^t Dorgetdufcbt
i ;^f ïintçr;Sçî)iitgiingeii, bie ber ntcbrigfle JJJureaufdfreiber cmer prangen ? 9hd)t aud) bie inamen béret, bte un gegenffi&licbcn mirb. ' . ,«)• i
ober eineS licites mit Gmpbnmg jurüàmcifen rolirbe. 0innc aearbêitet baben, miigliibft oiel gu Dereinigen, mo bic © e n f, 2>ejeniber 1917. ... , j • » m

-•«»« < ^-.‘W. V"«>.


Stefan ZWEIG
• i

LE CARMEL
REVUE FRANÇAISE ET INTERNATIONALE j
DE LITTÉRATURE, DE PHILOSOPHIE ET D’ART

a été fondé à Genève le 1er février 1918

pour établir une communion spirituelle entre, des personnall __


également éprises de vérité, de justice et de beauté, et que les que?
• • ‘ r

Le Cœur de l’Enrope
tions du présent peuvent diviser dans la pratique ; v
pour affirmer le droit d’aînesse de la Pensée par opposifro
doctrines de la force brutale.

Dans ses deux premières années, le Carmel a réuni :

1° Des ouvrages et articles inédits de :


AUREL, Charles BAUDOUIN, Paul BRULAT, Emile COTTI- UNE VISITE A LA
NET, Adolphe FERRIÈRE, Dr Auguste FOREL, Pierre GIRARD,
Isabelle KAISER, Albert JOUNET, P.-J. JOUVE, Philéas LE- CROIX-ROUGE INTERNATIONALE
BESGUE, Alexandre MAIRET, Marcel MARTINET, Georges-
Armand MASSON, Victor-Emile MICHELET, Serge MILL1ET, DE GENÈVE

21An ex Eue MORO Y, J.-L. MOUGNARD, Henri MUGNIER, Georges


PÉRIN, M.-C. POINSOT, Ernest RAYNAUD, Edmond ROCHER,
Han RYNER, Romain ROLLAND, Henry ÉP1ESS, JacqOes
TRÊVE, Emile VERHAEREN, Jean VIOLETTE, L. DE WlS-
KOVATOFF, etc,

2° Des traductions inédites d’ouvrages et d’articles (dont plusieurs


furent écrits spécialement pour le Carmel), de : MCMXVII1

Gottfried BOHNENBLUST, Otto BORNGRÆBER, Edward


CARPENTER, F.-W. FŒRSTER, Dr. A-H. FRIED, a HER*
RON, Ellen KEY, NIETZSCHE, Elisabeth ROTTEN, Niçolas
ROUBAKINE, African SPIR, Carl SPITTELER, TOLSTOY,
Otto UMFRID, Franz WERFEL, Stefan ZWEIG, etc.

3° Des gravures hors texte, reproductions et originaux de :


Eugène CARRIÈRE, Lucas CRANACH, GIOTTO, HODLER, GENÈVE
A. LEPÈRE, A. MAIRET, A. SCHMIDT, E. VALLET, James à l’Imprimerie Regginnl
VIBERT, etc. 16, me du Diorama

Le Carmel paraît alternativement en livraisons contenant plu


sieurs urtides et en cahiers contenant chucun une œuvre inédite
unique et complète.
Le prix de la livraison est de 60 centimes ; celui du cahier est va
riable. Le prix de ^abonnement total (livraisons et cahiers) est de
10 fr. par an et 6 fr. par semestre.
Adresse : 16. rue du Diorama, Genève, et 16, rue de VOdéon, Paris. I

PRIX : 50 CENTIMES
— 23 -

rire. Mais lorsqu’on me conduisit à lui, lorsque je vis lement les noms des localités dont le sol est saturé de
travailler ici le chef suprême de cette section, image sang jusque plus profond que les racines du blé, de ces
réduite et complexe de l’Agence entière, dans une vaste ossuaires de la jeunesse européenne? Ou ceux seule
salle, au milieu du tumulte des autres gens, à une table ment des généraux qu’on trouve étalés à tous les coins
grossièrement charpentée où travaillaient cinq autres de rue, sur toutes les affiches et jusque sur les boîtes à
personnes, sans un tiroir pour son usage particulier, cigares ? Pourquoi ne proclamerait-on pas aussi le nom
avec une simple cassette mal dégrossie pour y ranger des hommes qui ont travaillé en sens inverse, dans le
les plus précieux de ses documents, quand je vis cela but d’unir le plus possible là où les autres ont divisé ;
et que je le comparai mentalement à l’élégance et au qui, dans I obscurité, ont accompli leur besogne secou-
confort du moindre bureau privé, c’est alors que je réa rable et active avec la même puissance d’organisation,
de conviction et de décision ?
lisai la grandeur et le sacrifice de ces hommes qui œu
vrent ici, invisibles et inconnus, pour d'autres hommes C’est Gustave Ador que je dois nommer le premier,
inconnus et invisibles. en sa qualité de président. Entre temps il a été élevé
Il y avait une autre place encore*à cette table de bois au poste de chef de la politique extérieure de la Suisse.
étroite et a peine rabotée. On me la désigna avec un M. Edouard Naville, premier vice-président, lui a suc

22An ex certain respect. C’est ici que Romain Rolland s’est assis
durant deux années, jour après jour, travailleur volon
taire au service de l'échange des prisonniers franco-
cédé dans la tâche si lourde et si pleine de responsabi
lités de directeur de la vaste Agence des Prisonniers
militaires.

Quant à l’homme à qui l’on doit l’initiative du sau


allemands.Et lorsqu’au milieu de cette activité le prix
Nobel, d’un montant de près d'un quart de million, lui vetage des prisonniers civils, le Dr F. Ferrière, égale
fut dévolu, il le mit jusqu’au dernier franc à la disposi ment vice-président du Comité international de la
tion de l’Agence des Prisonniers, ainsi que d’autres Croix-Rouge, il est toujours à son poste, comme au
œuvres de secours, afin que sa parole témoignât de premier jour. C'est un homme âgé; à première vue on
son acte, et son acte de sa parole. Ecce homo ! Ecce dirait un homme fatigué. Déjà en 1870 il a servi à la
poeta ! r guerre en qualité de médecin volontaire; ce qui ne l’a
*
*
*
pas empêché, âgé de près de soixante-dix ans, de se
rendre encore sur les champs de bataille bulgares, lors
Jusqu'ici je n'ai nommé aucun des hommes qui, dans de la guerre des Balkans. Enfin la guerre actuelle lui a
un dévouement silencieux de plus de trois années, ac conféré une énergie comme seul peut en donner le sen
complissent ici leur œuvre au profit de l’humanité. timent intime de consacrer ses forces à une œuvre
Mais je crois qu’il faudrait répandre leurs noms d'un d humanité. Ce n'est ici ni le lieu ni le moment de ren
bout à l'autre de l’univers. Faut-il donc connaître seu- dre compte en détail des services qu’il a rendus, mais
Table des matières

Avant-propos 3

Introduction 5

Sources inédites 15

Sources publiées 19

Bibliographie 28

Remarques liminaires 36

Première partie : Romain Rolland au service de l’Agence des Prisonniers de Genève 37

Chapitre I : Romain Rolland - Aperçu biographique 38

L'enfance - les études - les premières œuvres littéraires (1866-1902) 39

Les premiers succès littéraires Jean-Christophe (1903-1913) 58

Romain Rolland en 1914 : un écrivain comblé ? 69

Chapitre II : Romain Rolland à la veille de la guerre 71

Un engagement politique avant la guerre ? 11

Le séjour en Suisse 79

Les premières semaines de la guerre 83

Chapitre III : La Croix-Rouge internationale en 1914 91

Aperçu historique 91

La Croix-Rouge internationale en août 1914 95

Chapitre IV : Romain Rolland à l’Agence des Prisonniers de Genève 97

Les premiers jours à l'Agence 97

Quelques précisions sur l'Agence de Genève 101

Le poste occupé par Romain Rolland 105

Deuxième partie : Pourquoi cet engagement ? 114

Chapitre I : Les motivations premières 115

Des motivations d'ordre idéologique 115

Un intérêt documentaire 120

Un engagement pacifiste ? 125

Chapitre II : « Au-dessus de la mêlée » ou au cœur de l’Europe en guerre ? 129

Romain Rolland en Suisse : au cœur de l'Europe en guerre 129

Les attaques menées contre Rolland, « au-dessus de la mêlée » 137

L'Agence : une réponse aux attaques dont il est l'objet 144


Chapitre III : Un écrivain au service de la Croix-Rouge internationale 152

Inter arma caritas 152

La lettre dans Le Clamecycois 157

Les dons de droits d'auteur 159

Le don du prix Nobel de littérature 163

Chapitre IV : L’action personnelle engagée par Romain Rolland 167

Une campagne en faveur des prisonniers civils 167

Quelques démarches en faveur d'autres prisonniers 173

Quelques démarches particulières 176

Troisième partie : Bilan d’une collaboration éphémère 189

Chapitre I : Comment la collaboration de Romain Rolland est-elle perçue au sein de la

Croix-Rouge internationale ? 190

Les premiers témoignages 190

Un collaborateur trop zélé ? 193

Une publicité négative ? 198

Chapitre II : Le jugement porté par Romain Rolland sur la Croix-Rouge

internationale 211

Des idées inconciliables ? 211

Une direction trop timorée 215

La charité, raison d'être de la Suisse 221

Chapitre III : Un départ précoce 226

Une première interruption, à l'été 1915 226

Le départ définitif 235

Conclusion 243

Pièces j ustificatives 247

Annexes 259

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