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LES TERRITOIRES DU
« SENTIMENT OCÉANIQUE »
La collection Éthiques de la Création, créée par l’Institut Charles
Cros (www.institut-charles-cros.eu) est coéditée avec l’Harmattan,
sous la responsabilité éditoriale de Sylvie Dallet, Georges
Chapouthier & Emile Noël. L’Institut Charles Cros traite et
expérimente les relations des arts avec les nouvelles technologies et
les sciences, dans une dimension qui ouvre sur les usages de société
et questionne la transmission des savoirs. Cette collection rassemble
des textes de combat aux formes diverses, dans une dimension
éthique et interdisciplinaire conjuguée, qui valorise une
« recherche-création » attentive aux mutations contemporaines.
Titres disponibles :
LES TERRITOIRES DU
« SENTIMENT OCÉANIQUE »
Remerciements et crédits maquette ouvrage
Les territoires du Sentiment océanique :
Annie Cordelle : maquette texte
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-99152-1
EAN : 9782296991521
Sommaire
- Introduction ............................................................................ 11
- Émile NOËL
La vague et l’océan .................................................................. 17
- Ysé TARDAN-MASQUELIER
L’expérience océanique : une discussion entre Romain
Rolland et Freud ..................................................................... 27
- Boris CYRULNIK
Encore quelques secondes à vivre ........................................... 35
- Sylvie DALLET
Il n’y a plus de faits mais simplement des risques
(De l’Eclair de Spinoza aux extases archaïques) ...................... 41
- Michel CAZENAVE
Le divin, l’océan et la création ................................................ 59
- Régis AIRAULT
À la recherche du sentiment océanique.................................. 65
- Pascale GAY
État idéal de performance en sport et en art… ....................... 75
- Éric DELASSUS
Immanence et créativité pour une éthique du goût et du
dégoût ..................................................................................... 91
- Émile NOËL
Loin, plus loin toujours, au-delà ............................................. 105
- Sylvie DALLET
Vagabonds des étoiles ............................................................. 117
- Marc ROLLAND
Sentiment océanique et romantisme noir : D’Annunzio à
Mishima .................................................................................. 131
- Annie CORDELLE
Ce rêve bleu enfantin.............................................................. 145
- Georges FRIEDENKRAFT
Dix haïkous en suite océanique .............................................. 149
- Émile NOËL
Une proposition de jeu : La quête du sentiment océanique .... 151
INTRODUCTION
1
« Éthiques de la création » réunit, sous la responsabilité de Sylvie Dallet, des
partenaires institutionnels diversifiés : l’Institut Charles Cros, le Centre
d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (Université de Versailles
Saint-Quentin), l’Institut d’Études Scéniques & Audiovisuelles (Université Saint-
Joseph du Liban), l’Institut Atlantique d’Aménagement des Territoires, la Maison
des Sciences de l’Homme Paris Nord, mais aussi le Centre la Gabrielle (Mutuelle
de la Fonction Publique), Médiadix et le Pôle des métiers du Livre (Université de
Paris Ouest Nanterre–la Défense), la Fondation des territoires de demain…
11
Créativités & Thérapies, Éthiques & Mythes de la création2 , Savoirs
créatifs & Savoirs migrateurs…
2
Le séminaire EMC, labellisé par la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord,
a dans une combinatoire de connaissances, conjugué de 2009 à 2011 des
hybridations artistiques et des résurgences symboliques associées concrètement à
des expériences scientifiques.
12
constante. Cette notion d’ « univers-cité » se confronte de plus en
plus, non au localisme des mémoires du village global Mc luhanien,
mais au concret des territoires, dans une fluidité des paysages, des
hommes et des « choses » vivantes, que sont les savoirs
« multivers ». Ces espaces fluides rayonnent bien au-delà des objets
d’étude classiques ou, du moins, participent d’une densité subtile
des traditionnels sujets d’études : le fonds, la forme, l’énergie ou la
dynamique, la valeur relèvent de cet inconnu du cerveau humain et
de la toile pauvre ou chatoyante, qu’il tisse avec son
environnement.
13
9 décembre 2011 quelques spécialistes (mais peut-on être spécialiste
en la matière, puisque nous ressentons ce sentiment comme
Monsieur Jourdain fait de la prose) issu de disciplines différentes,
attentifs aux récits de chacun. Ces témoignages ont été complétés
par des articles sollicités auprès d’amis et de collègues qui ont bien
voulu participer de l’aventure. Leur capacité exploratoire offre au
phénomène océanique de nouvelles approches.
14
d’éblouissement sensoriel et d’extension corporelle, dont il n’avait
jamais ressenti l’existence.
3
Dalaï Lama, Stéphane Hessel, Déclarons la paix ! Pour un progrès de l’esprit,
Indigènes éditions, 2012
15
qui apaise et réconcilie. Cette connaissance aléatoire et
transdisciplinaire prépare, par les récits de fiction, la biologie et les
expériences de connaissance du passé, les savoirs créatifs que
demain exigera de nous. Comme des exercices de résistance qui ne
seraient plus des « arts de la mémoire », mais des « arts de la
création ».
4
The Tree, « My life is a tree, Yoke-fellow of the earth; Pledged, By roots too
deep for remembrance, To stand hard against the storm, To fill by Place. (But
high in the branches of my green tree there is a wild bird singing : Wind-free are
the wings of my bird : she hath built no mortal nest.) »
16
LA VAGUE ET L’OCÉAN
Émile NOËL
17
duelles. Il ne perçoit pas la réalité. Il ne parvient pas à en réaliser le
sens et l’origine qui lui permettraient de découvrir la voie naturelle
du « non-agir » qui marque la fin de l’attachement, des passions, de
l’individualité et permet l’harmonie avec la « vertu efficiente » et
spontanée du Dào.
5
Romain Rolland, lettre à Sigmund Freud, 5 décembre 1927, in Un beau visage à
tous sens. Choix de lettres de Romain Rolland (1866-1944), Paris, Albin Michel,
1967, pp 264-266
6
Éthique V, scholie de la proposition 36
18
Les échanges entre les deux hommes alimentent leurs œuvres
réciproques de l’époque. On peut y voir notamment la genèse de
L’avenir d’une illusion de Freud, qui est une façon de réponse à
l’envoi de Romain Rolland de sa pièce de théâtre Liluli avec, non
sans ironie, la dédicace : « Au destructeur des illusions, le Pr.
Freud ». Spinoza n’y est pas explicitement nommé dans le texte du
psychanalyste, mais il apparaît indirectement dans une citation de
Henri Heine : « Le ciel, nous le laissons aux anges et aux oiseaux ».
La présence de ce philosophe chez ces deux auteurs, pour différente
qu’elle fut, a nourri leurs échanges. Pour Rolland, la révélation de
Spinoza vécue dans sa jeunesse comme une illumination – « le soleil
blanc de la Substance », « océan de l’être » –, annonce peut-être son
élaboration du sentiment océanique. Pour Freud, à la manière de la
critique spinozienne de la religion à remplacer par la philosophie,
c’est par la psychanalyse qu’elle doit être remplacée, science versus
illusion. Et deux ans après cet échange, en 1929, Freud proposera
une lecture psychanalytique de ce sentiment dans Malaise dans la
civilisation : « […] Il n’est pas à l’origine du besoin religieux parce
que celui-ci provient plutôt des sentiments de désaide infantile et
de désirance pour le père, remplacés plus tard par l’angoisse devant
la puissance du destin ».
7
Cf. On peut trouver le développement de cette relation dans « Intervention
d’Henri Vermorel, psychanalyste, lors de sa conférence sur la croyance au Freud
Center for Psychanalytic Studies and Research de Jérusalem (novembre 2008, sur
le site « Créations Mosaïques, Échanges culturels en Méditerranée » ).
19
De nos jours, l’interprétation profane de ce sentiment se
développe, par exemple, dans une lecture neurologique des états
modifiés de conscience, ou encore dans l’affirmation d’un athéisme
philosophique. Ainsi, pour le philosophe André Comte-Sponville :
« Ce ″sentiment océanique″ n’a rien, en lui-même, de proprement
religieux. J’ai même, pour ce que j’en ai vécu, l’impression inverse :
celui qui se sent ″un avec le Tout″ n’a pas besoin d’autre chose. Un
Dieu ? Pour quoi faire ? L’univers suffit. Une Église ? Inutile. Le
monde suffit. Une foi ? À quoi bon ? L’expérience suffit » 8.
8
L’Esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel,
2006
9
Near Death Expérience
20
d’une ignorance de sauvage ». Il était debout dans la foule, « près du
second pilier, à l’entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie ».
« Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma
vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. […] J’avais eu
tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle
enfance de Dieu, une révélation ineffable » 10. Certes, ce sentiment
ne relève pas nécessairement de la religion. Mais, ce vécu
d’étrangeté, cette perte de contact avec la réalité qui vous plonge
10
« [...] J’avais complètement oublié la religion et j’étais à son égard d’une
ignorance de sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre
des livres d’un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu
dans la formation de ma pensée une part prépondérante, Arthur Rimbaud. La
lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d’ Une saison en enfer, fut
pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une
fissure dans mon bagne matérialiste et me donnaient l’impression vivante et
presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d’asphyxie et de
désespoir restait le même.
Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-
Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il
me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un
dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de
quelques exercices décadents. C’est dans ces dispositions que, coudoyé et
bousculé par la foule, j’assistais, avec un plaisir médiocre, à la grand’messe. Puis,
n’ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en
robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet
qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le
Magnificat. J’étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier, à
l’entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie.
Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie. En un
instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un
tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle
certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres,
tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma
foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de
l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. [...] » (1913)
21
dans une autre réalité plus réelle que la prétendue réelle, cette
fulgurance qui vous immerge comme une vague en océan, ce
trouble qui, selon l’expérience, peut laisser un souvenir exaltant
comme une trace horrifiée, ce voyage de l’étrange transforme la
vision du monde du passager qui s’en trouve modifiée en
profondeur. Et il n’est nul besoin d’aller questionner l’inconscient
collectif cher à Jung, les Au-delà et l’idée de Dieu. Le besoin de
croire, même ignoré du sujet lui-même, suffirait-il ? Y retrouverait-
on l’éternelle question de l’inné et de l’acquis ? Y aurait-il du
génétique là-dessous ?
22
pas l’imagination. On pense ici à l’OuLiPo11 notamment. On
pourrait même y voir comme un processus parallèle à une façon de
résilience, la contrainte s’apparentant à l’épreuve à surmonter. Dans
ces circonstances, ces états peuvent-ils survenir sans qu’on s’en
aperçoive, vécus comme une simple intuition créative ?
11
« Ouvroir de littérature potentielle » est un groupe de recherche en littérature
expérimentale fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais
(1901-1984). C’était à l’origine une sous-commission du Collège de Pataphysique
et les membres fondateurs de l’OuLiPo devenaient automatiquement membres
du Collège. Puis la littérature potentielle prit ses distances avec la pataphysique.
L’OuLiPo se situe au carrefour des préoccupations de Queneau pour le langage et
pour les mathématiques, préoccupations qui aboutirent à la création des Cent
mille milliards de poèmes. Il s’agit d’appliquer à la littérature la rigueur et les
techniques des mathématiques de l’analyse combinatoire. L’objectif de cette
recherche est d’inventer de nouvelles règles de composition poétique qui
permettent d’une part de créer des œuvres nouvelles, d’autre part de dégager les
potentialités d’œuvres existantes. L’un des exemples les plus connus de ces
contraintes littéraires est la méthode S + 7 : en remplaçant, à l’aide d’un
dictionnaire, chaque substantif d’un texte par le septième qui suit, on obtient un
nouveau texte.
23
trouvée rapidement12. Je tiens cette anecdote de première main : il
me l’a contée au cours d’une émission que j’ai réalisé avec lui pour
France Culture.
12
Alain Connes : Mathématicien (1947), il révolutionne la théorie des algèbres de
Von Neumann Von Neumann et a résolu la plupart des problèmes posés dans ce
domaine, notamment la classification des facteurs de type III. Pour ces travaux, il
a reçu la médaille Fields en 1982.
13
Cf. NOËL Émile, « Dire, raconter », Institut Charles Cros, Les voies de la
langue, Éditions 24x36, 2007
24
immédiatement à l’inquiétude. Mais, à peine avais-je eu le temps de
me demander, non sans anxiété, ce qui allait m’arriver que je me
suis réveillé. J’étais revenu à la case départ en forme de point
d’interrogation. Pourtant ce rêve m’a marqué. Ce n’est pas tous les
jours qu’on se transforme en comète. Et j’en suis arrivé à cette
réflexion : Si l’on meurt avec pour dernière image celle de son
immortalité, n’a-t-on pas, en fait, atteint l’immortalité ?
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