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- Éditions OUSIA

APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE DU MÉLANGE TOTAL DANS LE


NÉOPLATONISME APRÈS PLOTIN
Author(s): Daniel Cohen
Source: Revue de Philosophie Ancienne, Vol. 25, No. 2 (2007), pp. 67-100
Published by: EURORGAN s.p.r.l. - Éditions OUSIA
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24357997
Accessed: 18-07-2019 18:55 UTC

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE
DU MÉLANGE TOTAL DANS LE NÉOPLATONISME
APRÈS PLOTIN

Données fondamentales de la physique du mélange

L'héritage des physiques aristotélicienne et stoïcienne a joué un


rôle essentiel dans l'élaboration de la synthèse doctrinale que consti
tue en partie la philosophie néoplatonicienne. Dans le De Generatio ne
et Corruptione d'Aristote apparaît une discussion sur le phénomène
physique du mélange, où le Stagirite analyse trois types de phénomè
nes d'association par lesquels différents ingrédients peuvent s'unifier
et constituer une nouvelle entité individuelle. Il y distingue entre :
1) La « composition » (σύνθεσις) et la « juxtaposition » (παρά
θεσις), où les ingrédients sont simplement juxtaposés : ces deux ter
mes désignant un phénomène qui ne peut être assimilé à un véritable
mélange, puisque la nature propre de chacun des ingrédients reste par
faitement distincte, de sorte que les parties peuvent être distinguées
du tout ainsi formé.

2) Différentes formes de faux mélange, à savoir a) le pseudo


mélange par prédominance, où une petite quantité est absorbée dans
une autre plus grande (l'exemple proposé étant celui de la goutte de
vin dissoute dans une plus grande quantité d'eau) ; b) le pseudo
mélange qui constitue une sorte de fusion des ingrédients et dont le
produit forme une nouvelle entité qui n'a ni les propriétés de tel ingré
dient, ni celles de tel autre, de sorte que la distinction entre parties et
tout est impossible (Aristote ne donne pas d'exemple de ce type de
mélange).
3) Enfin, Aristote envisage le cas de ce qui constitue pour lui le
véritable mélange (κράσις ou μίξις), qui suppose une altération réci·

1. Cf. Aristote, De Gen. et Corr. 1,10, 327b30 sq.

REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, XXV, 2,2007

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68 Daniel Cohen

proque des ingrédients2, assura


qui préserve en puissance la di
chacun des composants initia
étant la combinaison de ces com
entité individuelle dont les pro
entre celles des constituants
alors semblable au tout.

Comme celle d'Aristote, la théorie stoïcienne du mélange, géné


ralement attribuée à Chrysippe, distingue entre trois formes de mé
lange 5 :
1) le faux mélange par « juxtaposition » (παράθεσις, équivalente
à la σύνθεσις d'Aristote) ;
2) la « fusion » (σύγχυσις), qui fait perdre aux corps leurs pro
priétés pour former un nouveau produit ;
3) Γ « interpénétration totale » (κράσις δι' όλων).

Bien que les distinctions stoïciennes et aristotéliciennes parais


sent relativement similaires4, la doctrine stoïcienne du mélange total
constitue véritablement un nouveau point de départ dont la fécondité
se manifestera pleinement dans l'usage qui en sera fait dans le
contexte de la métaphysique néoplatonicienne. Pour répondre au pro
blème de la possibilité de la présence de Dieu-Logos (qui est un

2. Le mélange véritable selon Aristote ne correspond pas à une « interpéné


tration totale » au sens où l'envisagent les Stoïciens, la raison étant que, à pro
prement parler, les ingrédients, selon Aristote, ne font que s'altérer mutuelle
ment (sans pour autant être détruits) jusqu'à ce qu'ils atteignent une qualité com
mune intermédiaire entre les qualités contraires. Pour Aristote, un mélange véri
table suppose nécessairement que les composants ne soient pas détruits, bien
qu'ils endurent une certaine altération ; dans le cas de la corruption de tous les
composants ou de certains d'entre eux (par assimilation), on ne peut plus parler
de mélange entre ceux-ci, puisqu'ils n'existent plus en tant que tels.
3. Cf. SVFII 463-481.
4. Pour une analyse et une comparaison plus détaillée des doctrines aris
totélicienne et stoïcienne du mélange, voir H.A. Wolfson, The Pliilosophy of
the Church Fathers [1956], Cambridge (Mass.)-Londres, 1976, pp. 374 sq. et
S. Sambursky, The Physical World of the Greeks, Londres, 1956, pp. 145 sq.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 69

πνεύμα, souffle chaud de nature corporelle5) dans l'Univers (τό όλον


également un corps matériel) et du mode selon lequel se réalise cette
présence, les Stoïciens ont élaboré une théorie du mélange total des
corps" permettant de rendre compte de la manière dont l'agent (τό
ποιούν), identifié au Logos divin, se déploie de façon immanente à
travers toute chose en tant que cause productrice et ordonnatrice de la
matière (ύλη) passive, comprise comme étant une « substance non
qualifiée » (αποιος ουσία)7. D'après le témoignage d'Alexandre
d'Aphrodise \ Chrysippe aurait défendu la possibilité d'un mélange
total où les composantes préservent intégralement leur identité
respective, même si l'un des ingrédients en présence est en quantité
infime, l'exemple le plus connu étant celui de la goutte de vin qui
peut se mélanger totalement à l'océan sans se dissoudre9. La doctrine
stoïcienne, qui s'inscrit dans le contexte d'une physique du continu,
admet ainsi la possibilité d'un mélange où les corps, pouvant se divi
ser à l'infini10 sans être détruits, s'interpénétrent de telle manière que
chaque parcelle infime du produit du mélange contient les propriétés
de chacun des composants mélangés, ces derniers conservant leur
intégrité propre, et ce même dans le cas du mélange entre une petite
quantité et une plus grande. Selon les Stoïciens, la première peut
s'étendre à la totalité de la seconde et être présente dans chacune de
ses parties. Une telle idée est totalement impensable dans le cadre de
la physique aristotélicienne, où les constituants d'un véritable mélan
ge ne conservent leur identité qu'en puissance, et où le résultat d'un
tel mélange est autre chose que les ingrédients mélangés.
La réception néoplatonicienne des théories anciennes du mélange
s'incrit dans le contexte d'une métaphysique hiérarchique, où le
mélange est envisagé comme caractérisant les structures de chaque
niveau du réel, qu'il s'agisse du mélange immatériel de la totalité des

5. Sur la nature corporelle du Dieu stoïcien, voir SVF Π 310, 313, 1028,
1032, etc.
6. Cf. SVF Π 467.
7. Cf. SVF Π 300-304.
8. Cf. SVF II 473.
9. Cf. SVF II 479 et 480.

10. Sur la divisibilité à l'infini des corps chez les Stoïciens, cf. SVF Π 482-491.

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70 Daniel CoheiN

êtres intelligibles (l'Être et la V


ligible (l'Intellect), des mélan
âmes partielles, ou encore d
sont envisagés comme étant à
des trois principes que sont le
et le mixte des deux (συμμισγό
le niveau de l'Être primordia
prototype exemplaire de tous
degrés est déterminé par une f
tions qui définissent la natur
des niveaux supérieurs étant d
plicité. Dès lors, l'utilisation
mélange présuppose une distin
rents contextes ontologiques où
clus formule très clairement le
laquelle nous pouvons nous a
mélange peut être pensé dans le
de la métaphysique néoplatonic
compte les différents cas de figu
mélange, puisqu'en effet le mé
(πολλαχώς τήν μίξιν γίγνεσθ
savoir, d'une part, le mélange q
re et, d'autre part, celui où inte
dernier cas de figure concerna
supérieures et réalités inférieur

11. Cf. Proclus, Théol. Plat. III,


à titre premier est appelé par Pla
l'image (κατ' εικόνα) de cet Être, la
mixte formé de Limitant et d'Illim
Proclus, que le Mixte primordia
(γενέσεως αίτιον).
12. Cf. Proclus, Théol. Plat. III, 8
13. Cf. Proclus, Théol. Plat. III,
p. 35.14 sq.
14. Cf. Proclus, In Tim. I, pp. 384.21-385.17.
15. Cf. Proclus, In Parm. II, 774.37 sq.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 71

1. Le mélange concernant des réalités de même nature

1.1. L'impossibilité de l'interpénétration des corps matériels

Dans la lignée des critiques de Plutarque de Chéronée et de Plotin,


les représentants ultérieurs du Néoplatonisme sont unanimes pour
rejeter formellement la thèse stoïcienne de l'interpénétration totale
des corps. Au niveau des réalités du monde sensible (τά φυσικά),
procédant de l'ordre démiurgique et déterminées par l'activité des for
mes engagées dans la matière (ένυλα είδη), tous les Néoplatoniciens
s'accordent à la position plotinienne. Celle-ci, en accord avec Aristo
te, refuse la possibilité d'une interpénétration totale des corps - c'est
à-dire la possibilité, pour deux corps, d'occuper en même temps la
même place - sans augmentation du volume ni division corruptrice de
l'identité des ingrédients mélangés.
Proclus fournit quelques cas illustrant le principe général selon
lequel des corps matériels sont incapables de se traverser les uns les
autres complètement sans introduire quelque division dans le corps
traversé. Proclus reprend à son compte l'objection d'origine péripaté
ticienne selon laquelle si deux corps s'interpénétrent totalement, ils
seront totalement divisés au point d'être détruits ; il est en effet clair,
dit-il, que, au niveau des réalités sensibles soumises au changement,
toute division (διαίρεσις) est un pâtir (πάθος) qui détruit la conti
nuité (συνέχεια) du divisé, son intégrité et donc sa nature propre
(ιδιώτης) '6.
Dans son Commentaire sur le Premier Alcibiadel7, Proclus, exa
minant les différentes manifestations de l'Amour à travers la « chaîne
érotique » (ερωτική σειρά), et, plus particulièrement, la manifestation
partielle, particularisée et matérielle du Beau, rejette formellement la
thèse stoïcienne de l'interpénétration corporelle, affirmant que les
âmes qui s'attachent à la beauté matérielle sont entraînées non pas
vers l'union mais vers la dispersion :

16. Cf. Proclus, In Remp. II, p. 163.7-8 ; voir également Él. de Théol., 76
et 208, p. 182.12-14.
17. Cf. Proclus, In Ale., pp. 30.5 sq.

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72 Daniel Cohen

Car comment les beautés mat


dre les unes dans les autres
beauté apparente être pure
κρινές), quand elle est mél
μιγές) et est toute infectée de

De façon générale, aucun co


(χωρεΐν) dans un autre corps m
rompre. Les corps, dit Proclus,
sans le « fissurer » La lumiè
corps, ne peut traverser le corp
ve le fait que la Lune lui fasse
qui en résulte manifestent pr
corps entretiennent avec la ma
tration totale sans corruptio
mêmes de la nature matérielle21.

1.2. Doctrine physique des quatr

Le seul domaine matériel où l


cation de la théorie stoïcienne
tretiennent les quatre élément
tardifs. En effet, on sait que Pr
niveau sublunaire, les éléments
lité sensible se présentent touj
corps sublunaires étant des mi
ments. En décrivant ces mixtes sublunaires comme étant constitués

18. Proclus, In Ale., p. 34.8-11, trad. Segonds, légèrement modifiée.


19. Cf. Proclus, In Remp. II, p. 162.8-9.
20. Cf. Proclus, In Remp. II, p. 163.1-4.
21. Ces conditions déterminent ce que Proclus appelle « le mode d'être divi
sé dans les corps et inséparable de la matière » (ή μεριστή περί τά σώματα και
της ΰλης άχώριστος ; cf. Théol. Plat. 1,12, p. 57.15-16).
22. Cf. Proclus, In Tim. II, pp. 8.13-13.14; Simplicius, In Cael., p. 85.
21-31.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 73

par le mélange et la compénétration mutuelle des éléments25, Proclus


et Simplicius paraissent s'accorder à la physique stoïcienne qui, tout
en envisageant la question de la matière et des qualités selon le modè
le du mélange total, identifie, selon eux, éléments et qualités et consi
dère chaque élément comme étant constitué par une seule qualité24.
Cependant, au niveau du monde sublunaire, les Néoplatoniciens
considèrent que le produit du mélange réciproque des éléments ne
préserve pas leur identité respective. Il est en effet impossible, consta
te Proclus, d'appréhender un élément à l'état pur25, puisque, au niveau
des réalités sublunaires, les quatre éléments se présentent toujours sur
le mode du mélange soumis à des changements et des transformations
de toutes sortes et donc à la génération et à la corruption.
Dans le cadre de la physique néoplatonicienne, où, de manière
générale, est rejetée la conception stoïcienne de l'immanence intégra
le des causes26 au profit d'une causalité régie par la double loi de
l'immanence et de la transcendance27, et où, depuis Plotin, est refusée

23. Cf. Proclus In Tim. II, p. 9.2 : χωρεί γαρ πάντα δι' άλλήλων;
Simplicius, In Cael., p. 85.24-27.
24. Cf. Diogène LaËrce, Vie et doctrines des philosophes illustres, VII,
137 : « Assurément les quatre éléments sont, confondus ensemble, la substance
sans qualité qu'est la matière. Mais le feu est le chaud, l'eau l'humide, l'air le
froid et la terre le sec » (trad. Goulet).
25. Cf. Proclus, In Tim. Π, p. 51.20-27 : « En effet, si tu veux bien exami
ner chacun des éléments, tu verras combien il y a en lui du mélange (σύμμιξιν).
L'air par exemple n'est pas simplement subtil, il possède aussi de l'épaisseur, de
la brumosité, de l'aquosité. L'eau non plus n'a pas simplement grande mobilité :
la couche la plus basse de l'eau est limoneuse et difficilement mobile. Du feu
lui-même la partie qui se mêle à l'air a ressemblance avec l'obtusité de l'air, et
cela nécessairement : car il faut bien que le sommet des éléments inférieurs se
relie à la base des éléments supérieurs » (trad. Festugière). Proclus attribue éga
lement cette thèse du mélange des éléments sensibles à Numénius (cf. ibid. II,
p. 9.4-5 = fr. 51 Des Places).
26. Cf. Proclus, In Tim. I, p. 266.26-27 (= SVFII 307).
27. Si, contrairement à ce qu'affirment les Stoïciens, les causes ne sont pas
elles-mêmes immanentes à leurs effets, les Néoplatoniciens, qui transposent ana
logiquement aux causes inférieures l'axiome plotinien selon lequel l'Un est à la
fois « partout et nulle part » (πανταχού και ουδαμοϋ; cf. Plotin, Enn. m, 9 [13],
4.1-9; Porphyre, Sent. 31), envisagent le schème de la fcausalité selon la double

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74 Daniel Cohen

l'identité défendue par les Pér


me (είδος)28, le mode matéri
éléments en tant que tels. En
Or, il ne peut y avoir de méla
pour les Néoplatoniciens, les
les ; ce qui se mélange, ce ne
pas les formes en elles-même
présentes dans la matière. U
conditions ontologiques inhér
conditions qui ne concernent
des éléments29, ce que Proc
τες) des éléments, leurs poin
longement constitue la partie
se aux conditions propres à l'
matériel du mélange concern
(τα ίχνη των στοιχείων), c'e
mode de l'immanence et de
formes engagées dans la mat
(ποιότητες)30, existantes par
μέθεξιν καΐ υλικών) en tant

loi de la transcendance et de l'imm


à la fois « partout » et « nulle pa
88.10-13). Bien que la cause soit e
effets (cf. Proclus, Él. de Théol.,
quent que toujours demeure une t
Cette présence se manifeste sous le
elle-même, en tant qu'elle est imm
se « mélanger » à ses effets sensi
28. Cf. Plotin, Enn. II, 6 [17],
L. Lavaud, dans L. Brisson et J.-
2003, p. 398.
29. Cf. Proclus, In Tim. I, p. 233.24 sq.
30. L'identification des qualités aux formes engagées dans la matière (et
non aux formes en tant que telles) se trouve chez Porphyre, Sent., 5.4 ; cf.
L. Brisson (éd.), Porphyre. Sentences, Paris, 2005, vol. I, p. 116 où le καί de ai
δέ ποιότητες και τά ενυλα είδη est considéré comme épexégétique (voir éga
lement les notes ad loc., vol. II, pp. 391-3).

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 75

(ομοιώματα τών νοητών) ". Le mélange ne saurait donc se rapporter


à la fois à la substance des corps et aux qualités qui déterminent la
nature de ces corps. Dès lors, ce n'est que dans l'ultime degré de la
procession des éléments, lorsqu'ils ont acquis matérialité et donc
masse et extension spatiale, que les éléments se mélangent entre eux
selon un mode tel qu'ils perdent leur identité propre et qu'ils sont
soumis aux lois de la génération et de la corruption12. À ce niveau, ce
sont donc bien les lois de la physique aristotélicienne qui gouvernent
le mode d'être des éléments et donc de leurs mélanges mutuels.
Mais, contrairement aux points de vue des Stoïciens et d'Aristote,
la perspective néoplatonicienne envisage les formes engagées dans la
matière comme étant simplement au service, pour la génération (είς
γένεσιν), des causes proprement dites (τοις κυρίως αίτίοις), trans
cendantes et immuables 33, dont les formes engagées dans la matière
ne constituent que les causes concourantes (τα συναίτια) -14, les cau
ses des réalités physiques (τών φυσικών) assurant l'organisation du
monde sublunaire. Or, pour accomplir cette fonction, chacune de ces
causes concourantes doit se soumettre aux conditions qui déterminent
toute réalité matérielle, à savoir la génération et la corruption15.

31. Cf., par ex., Proclus, In Tim. Π, p. 44.7 et ΠΙ, p. 357.9 sq. (= Jean
Philopon, De Aet. Mundi, XI, 11, p. 364.5 sq. Rabe).
32. Aristote affirme que seuls les êtres qui possèdent une matière sont sou
mis à la génération et à la corruption (cf. Métaph. H, 5, 1044b27-29 ; Λ, 6,
1071 b21 ; N, 2,1088bl4-28).
33. Cf. Proclus, Él. de Théol., 75, p. 70.28-29 et In Parm. IV, 878.1
890.38 ; voir également Syrianus, In Metaph., p. 105.30-35, où le maître de
Proclus reproche à Aristote de penser pouvoir attribuer à Socrate une confusion
entre formes engagées dans la matière et formes transcendantes.
34. Cf. Proclus, In Tim. I, pp. 2.29 sq. Bien que la notion de « causes
concourantes » (συναίτια) fasse partie de la physique stoïcienne, où celles-ci
jouent le rôle de causes contribuant à la production d'un effet que chacune est
incapable de produire toute seule, les Néoplatoniciens tardifs - qui assimilent
également ces causes à des « formes qui se lient à la matière » (πρόσυλα είδη)
- l'utilisent en se référant surtout à la distinction platonicienne (cf. Phédon,
99b2-4) entre causalité réelle (intelligible) et causalité sensible (cf., par ex.,
Proclus, In Parm. VI, 1059.17-19; Damascius, In Parm. ΠΙ, p. 14.19-21 ; III,
p. 74.17-18).
35. Damascius, In Parm. IV, p. 52.19-20, qualifie toute cause concourante

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76 Daniel Cohen

1.3. Mode céleste du mélange

Pour découvrir les quatre él


sans confusion, au sens que re
faut donc remonter plus hau

de « forme engagée dans la mati


ρόμενον είδος ενυλον).
36. Contrairement aux Stoïciens
té selon une perspective polysém
modalités de manifestation, de so
rents modes d'existence d'une mê
ments, qualités fondamentales à l
corps sensibles. Rappelons ici qu
qui constitue l'ultime systématisa
au Néoplatonisme -, les quatre élé
festation (sous le mode matériel)
réel et selon les modalités propre
de croire que les éléments existen
car, affirme Proclus, ils possède
termédiaires (μεσότητες) entre l
Tim. Π, p. 47.2 sq.), Platon aya
« avant » la « naissance » du Cie
σεως) et leur nature « avant ce m
contexte hiérarchique, les élémen
le mode intelligible (νοητός) da
Tétrade primordiale (assimilée à
39el0, que Proclus identifie à la
105.14-107.26) en tant que form
χείων; cf. Proclus, In Tim. I, p.
primordiaux des quatre éléments,
ligibles des Vivants encosmiques
dont parle le Timée de Platon (cf
Plat. ΙΠ, 19, p. 64.14 sq.). À ce niv
existent (προϋπάρχει) sous le
αίτίαν) dans une parfaite indiffér
et cachée » (ένοειδές και κρύφιο
qui ne commence à se distinguer q
Vie, pour se manifester à l'état d
démiurgique. Proclus précise qu

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 77

niveaux où ceux-ci ne peuvent pas encore être qualifiés de « maté


riels ». Le premier de ces niveaux est celui du Ciel (ουρανός), où les
éléments existent sur le mode d'une totalité (όλότης) antérieure à la
dispersion de ses parties au sein de la matière. Car la nature du Ciel est
telle que, bien qu'étant considéré comme un « corps simple » (απλούν
σώμα)17, il n'en demeure pas moins constitué par le mélange des quatre
éléments à l'état pur18, c'est-à-dire de « totalités » (ολότητες) qui sont
« la plus fine pointe » (τό ακρότατον) de ces mêmes éléments.
En effet, écrit Proclus, au Ciel, les éléments n'existent pas sous le
même mode (ού τούτον τόν τρόπον) que dans les corps soumis à la
génération (εν τοις γενεσιουργούς σώμασιν), mais sous un mode
céleste (ουρανίως), c'est-à-dire de façon immatérielle (αύλως), ou

ments « l'un dans l'autre », c'est selon un mode de mélange où leurs distinctions
sont préservées (cf. In Tim. Π, p. 51.29-31 : ό δημιουργός πάντα έν άλλήλοις
έποίησε μετά του διασφζειν τήν διάκρισιν αυτών) ; comme l'écrira
Damascius, In Parm. III, p. 124.15-18, au niveau du Démiurge, les formes
demeurent tout à la fois unifiées (ενωμένα) et distinguées (διακεκριμένα),
« unifiées au maximum » (ένωτο μάλιστα) et « au maximum sans confusion »
(μάλιστα άσύγχυτα). À partir de ces causes immanentes au Démiurge, nous dit
Proclus, « il se fait une procession de ces quatre éléments vers l'Univers », mais
cette procession vers le monde sublunaire n'est pas immédiate: « comment en
effet le plus immatériel (τά άϋλότατα) donnerait-il immédiatement (άμέσως)
substance au plus engagé dans la matière (τών ένυλοτάτων), l'immobile à l'ab
solument mobile? » (In Tim. II, p. 45.12-16,trad.Festugière). Ce n'est donc que
dans une phase ultérieure de la procession que « la démiurgie progresse et fait
exister ce qui, dans les éléments, est le degré le plus bas, ce qui est vraiment
matériel (όντως ϋλαίαν) » (In Tim. III, p. 113.20-22, trad. Festugière).
37. Cf. In Tim. II, p. 50.3-4.
38. Cf. Proclus In Tim. Π, p. 43.20 sq. Cette thèse selon laquelle le Ciel est
le produit du mélange des quatre éléments à l'état pur a été reprise par
Simplicius (cf. In Cael., pp. 66.33-67.5; 85.7-15; 360.33-361.2; 379.5-6;
435.32-436.1); voir à ce sujet les analyses de Ph. Hoffmann, « Simplicius'
Polemics », dans R. Sorabji (éd.), Philoponus and the Rejection of Aristotelian
Science, Ithaca, 1987, pp. 57-83, qui montrent que Simplicius suit fidèlement la
doctrine de Proclus sur le mélange des éléments ; voir également Id., « Sur
quelques aspects de la polémique de Simplicius contre Jean Philopon : de l'in
vective à la réaffirmation de la transcendance du Ciel », dans I. Hadot (éd.),
Simplicius: sa vie, son œuvre, sa survie, Berlin-New York, 1987, pp. 183-221.

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78 Daniel Cohen

du moins, si l'on suit les su


moins de clarté par Proclus, q
possible à des choses maté
lange même s'ils n'y apparais
qui caractérise les mixtes mat
mier mélange », pour le distin
vant les éléments dans un état
leurs formes propres (ταϊς οίκ

1.4. Limites des physiques arist

Ainsi, ce n'est qu'au niveau se


avec la matière que les quatre é
le propre, puisqu'ils ont alors p
séparation42. C'est donc bien l
la κράσις stoïcienne qui caract
tre éléments. Le produit de la
serve nullement l'identité des
d'une multitude d'entités mixt
priétés physiques dérivent de l
dans chaque mélange matériel d
celui qui prédomine (τό επικρο
qui sont compris (περιείληπτα
causal (κατ' αιτίαν)43, c'est-à
pielles (άρχοειδων)44, le rés

39. Cf. Proclus, In Tim. ΙΠ, pp.


40. Sur cette distinction, voir Pr
41. Proclus In Tim. II, p. 49.27-
42. Cf. Proclus, In Tim. II, p. 46.2
43. Cf. Proclus, In Tim. II, p. 43
44. Il s'agit donc bien ici de la con
le produit du mélange est en acte,
en puissance. Toutefois, la notio
Aristote le sens d'une passivité o
ment, s'est chargée d'une significa
dans le cadre de la métaphysique n

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE

actuelle que par participation (κατά μέθεξιν) aux formes immatériel


les, qui constituent les potentialités séminales, les « sommets » des
quatre éléments matériels et dont l'actualisation assure le dynamisme
structurant constitutif des corps naturels (φυσικά σώματα).
Mais si, pour les Néoplatoniciens, c'est bien le modèle du mélan
ge propre à la physique aristotélicienne qui détermine le mode selon
lequel se réalisent les mixtions des éléments matériels, ce modèle
trouve ses limites dès lors que l'on envisage le mode d'existence
immatériel de ces mêmes éléments. C'est à ce moment qu'intervient
la doctrine du mélange total élaborée et assumée par les Stoïciens.
Mais contrairement à la physique du mélange d'Aristote et à celle des
Stoïciens, qui se limitent toutes deux à l'étude des réalités sensibles -
la première avec raison puisque le mélange des corps engendre bien
une entité nouvelle au détriment de l'identité propre des composants,
la seconde à tort (du point de vue néoplatonicien) puisque l'interpéné
tration totale sans confusion, défendue par la physique stoïcienne, ne
saurait concerner les réalités proprement matérielles -, la perspective
plus large de la physique platonicienne possède l'avantage de rendre
compte du double processus (matériel et immatériel) du mélange :

Plotin, cette notion a acquis une connotation plus active (cf., par ex., Enn. II, 5
[25], 3.19-22; V, 3 [49], 15.33-35), sur laquelle les Néoplatoniciens se sont
appuyés pour rendre compte des limites de la physique non seulement stoïcien
ne, mais également aristotélicienne (cf., par ex., Proclus, In Parm. V, 979.1 sq.,
où la doctrine aristotélicienne de la puissance et de l'acte est précisément évo
quée en faveur de la transcendance des principes intelligibles). Proclus établit
clairement la distinction entre la δύναμις « imparfaite » comme potentialité pas
sive (au sens aristotélicien et envisagée du point de vue de la matière) et la
δύναμις comme puissance active (κατ' ένέργειαν δύναμις), cette dernière
caractérisant tous les principes intelligibles et immatériels en tant que causes
génératrices antérieures à leur actualisation (cf. Él. de Théol., 77-79, et les ana
lyses de S.E. Gersh, Κίνησις 'Ακίνητος. A Study of the Spiritual Motion in the
Philosophy of Proclus, Leyde, 1973, pp. 43-8), par opposition à la conception
aristotélicienne qui faisait des principes intelligibles des êtres en puissance et qui
considérait l'acte comme étant, logiquement et ontologiquement, antérieur à la
puissance (cf. Métaph. Θ, 8,1049b23-27). - Sur la présence des principes imma
tériels sous le mode causal dans les effets matériels, voir Él. de Théol., prop. 65,
avec les notes ad loc. de E.R. Dodds, Proclus. Elements ofTheology [1932],
Oxford, 1999, pp. 235-6.

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80 Daniel Cohen

Platon, écrit Proclus, admet les deux choses ; il connaît le


mélange (μΐξιν) des éléments et tout ensemble (...) il fait con
naître à part la nature (φύσιν) de chacun d'eux.45

Autrement dit, pour les Néoplatoniciens, seule la perspective pla


tonicienne permet de rendre compte à la fois du mode du mélange qui
détruit l'intégrité des éléments et de celui, antérieur, qui préserve
leurs natures propres. Le premier de ces modes repose sur la concep
tion - d'origine péripatéticienne, mais réaménagée par Plotin - selon
laquelle la matière, étant incorporelle, dépourvue de toute qualité pro
pre et incorruptible, constitue le substrat auquel s'ajoute, sous l'action
causale des λόγοι immatériels46, telle ou telle détermination formelle,
le « corps » étant précisément un composé mixte de matière et de for
me47. Or, puisque tous les corps ont en commun d'avoir part à la
matière passible (ΰλη ποθητή), ils doivent, en tant que mixtes, être
soumis au changement, à la division et donc à la destruction (φθορά).
Conformément à l'orthodoxie péripatéticienne, les Néoplatoniciens
font ainsi de la corruptibilité des quatre éléments, composants fonda
mentaux de tout mélange physique, la condition sine qua non pour
penser tout véritable mélange physique48. Génération, altération et
destruction constituent bien les lois du mélange physique, telles que
les a établies Aristote dans son De Generatione et Corruptione.
Mais, pour les Néoplatoniciens, il ne saurait être question d'étendre

45. Proclus, In Tim. Π, p. 9.5-7, trad. Festugière.


46. Cf. R.E. Witt, « The Plotinian logos and its Stoic basis », Classical
Quarterly, 25,1931, pp. 103-11 ; J. Laurent, Les fondements de la nature selon
Ρ lotin. Procession et participation, Paris, 1992 ; L. Brisson, « Logos et logoi
chez Plotin : leur nature et leur rôle », Les Cahiers philosophiques de Stras
bourg, 8,1999, pp. 87-108.
47. Cf. Plotin, Enn. Π, 4 [12], 6 et 12.
48. On sait que, pour Aristote, soutenir, à la manière d'Empédocle, l'in
destructibilité des éléments (cf. De Gen. et Corr. I, 8, 325bl9; Me'taph. B, 4,
1000b20) rend impossible l'idée d'un véritable mélange (μίξις), puisqu'il est
alors impossible de rendre compte de leurs alternances et leurs permutations
réciproques, dans la mesure où seule la simple juxtaposition (παράθεσις) et la
simple composition (σύνθεσις) sont alors envisageables. La thèse aristotélicien
ne de la destructibilité des éléments a été reprise par Plotin, Enn. II, 4 [12], 7.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE

la validité de ces lois à l'ensemble du réel : la limite du champ de leur


validité correspond exactement aux limites de la perspective aristotéli
cienne. En effet, déclare Proclus, « le plus souvent, Aristote s'arrête à
la matière et ne va pas plus loin ; c'est par elle qu'il explique les phéno
mènes physiques, et il nous manifeste ainsi combien il reste en arrière
de l'exposé de son maître »"'. La restriction de Proclus fait évidemment
allusion à l'hétérogénéité entre la nature des réalités sublunaires et celle
des réalités célestes, c'est-à-dire au dualisme cosmologique que la per
spective aristotélicienne a substitué au monisme matérialiste de cer
tains physiciens présocratiques. A ce dualisme cosmologique, Proclus
oppose la doctrine de certains « Platoniciens », qui, « repoussés en
arrière par la doctrine d'Aristote, font s'étendre, de bas en haut du
Monde, la même sorte de matière passible pour les éléments, sans assi
gner aucun élément différent au Ciel, dans la pensée que c'est cela que
soutient Platon »J0. La doctrine aristotélicienne en question étant celle
qui fait du « Ciel » un corps essentiellement consitué d'« éther », qui,
contrairement au substrat matériel des éléments sublunaires, est défini
comme étant impassible (απαθές) et préservé de toute corruption". Le
« Ciel » est certes un « corps », mais comme tous les corps célestes, il
est envisagé par Syrianus, Proclus, Damascius et Simplicius comme
étant « immatériel », ou du moins relativement immatériel, c'est-à

49. Proclus, In Tim. I, p. 7.13-16, trad. Festugière. Rappelons que dans le


contexte « concordiste » qui caractérise le Néoplatonisme post-plotinien (Plotin
pouvant être considéré comme le dernier à soutenir l'idée d'une opposition entre
les doctrines de Platon et celles d'Aristote; cf. Ch. Evangeliou, Aristotle's
Catégories and Porphyry, Leyde, 1988, pp. 4-5 et 178), ces limites ne signifient
nullement l'infériorité de la physique aristotélicienne par rapport à celle de
Platon, mais indiquent plutôt la complémentarité des deux points de vue que
Platon et Aristote ont méthodologiquement adoptés pour déterminer leurs modes
d'exposition respectifs, le premier ayant choisi de rendre compte du réel en réfé
rence à l'Intelligible, là où le Stagirite a jugé bon de ne pas s'écarter de la natu
re sensible et d'envisager même ce qui est au-delà de la nature dans son rapport
à celle-ci et en s'appuyant sur la sensation (cf. Proclus, In Tim. I, p. 6.20 sq.;
I, p. 346.15-21 ; Simplicius,//! Cat., p. 6.27-30; In Phys., p. 8.9-15).
50. Proclus, In Tim. II, p. 42.9-12, trad. Festugière.
51. Cf. Aristote, De Caelo I, 3, 270bl sq.; voir également l'exposé de
Proclus, In Tint. Π, pp. 42.9-44.24 sur la nature de cette « autre substance »
qu'est l'éther.

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82 Daniel Cohen

dire, comme le précise Proclu


matière changeante » (ώς προ
mun des réalités sublunaires q
la matière première", et donc
Tout se passe comme si la co
trouvait sa vérité à l'intersect
respectivement aux champs
d'Aristote. En effet, pour r
quatre éléments au niveau de
pénétration totale sans confu
cienne que les Néoplatonicien
matériel et les réalités totalement immatérielles doit exister un

« second substrat » (δεύτερον ύποκείμενον), une « seconde matière »


(δευτέρα ύλη) dont la nature déterminerait le mode d'existence des
réalités qui y ont part. Cette « seconde matière » est assimilée par les
Néoplatoniciens à la notion stoïcienne de « corps non qualifié »
(αποιον σώμα)53 qu'ils transposent, avec quelques réaménagements,
au sein de leur univers hiérarchique pour y désigner une sorte de sub
strat corporel intermédiaire54 situé entre le corps pleinement déterminé

52. Cf. Proclus, In Tim. II, p. 46.17-18. Dans la physique de Proclus, le Ciel
se situe à un niveau intermédiaire entre les réalités véritablemènt engagées dans
la matière et les réalités strictement immatérielles ; il est constitué d'une matière
impassible et donc absolument indivisible. C'est cette doctrine physique qui per
mettra à Simplicius de mener à bien son projet d'harmonisation de la physique de
Platon, fondée sur la théorie des quatre éléments du Timée, et celle d'Aristote,
articulée autour de la doctrine du « cinquième corps », l'éther, considéré comme
étant constitué d'une matière impassible. Voir à ce sujet Ph. Hoffmann, « Sur
quelques aspects de la polémique de Simplicius contre Jean Philopon », art. cit.
53. Cf. SVF Π 320, p. 115.23 ; 326, p. 116.26 ; 794, p. 220.16.
54. Cf. Syrianus, In Metaph., p. 49.13-15 ; Proclus, In Parin. II, 735.33-37,
qui parle d'un substrat non qualifié de corps (τό όποιον [...] τών σωμάτων
ύποκείμενον), situé entre la matière et les formes (μεταξύ της ύλης εστί και τών
ειδών) ; Damascius, De Princ. I, p. 103.7 parle d'« une sorte de matière » (olov
ύλη τις); voir également I, p. 29.3-9 et In Phaed. I, p. 249.8, avec la note ad loc.
de L.G. Westerink, The Greek Commentaries on Plato's Pliaedo, Amsterdam,
1977, vol. II, pp. 150-1 ; Anonyme, Prolégomènes à la philosophie de Platon,
p. 13.13-15.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 83

- qui est un composé de forme et de matière, une « forme matérielle »


(ενυλον είδος) -, et la matière première (πρώτη ΰλη), qui, comme
chez Aristote, constitue le substrat indéterminé de toute réalité phy
sique. Mais, contrairement à Aristote, les Stoïciens envisageaient ce
genre de corps comme étant la réalité primordiale, définissant ainsi
les limites de leur propre perspective, comme le souligne Damascius:

La matière a avant elle la forme matérielle, parce que la matière


tout entière est en puissance de la forme, qu'il s'agisse de la
matière première, découverte selon le dépouillement total de
forme, ou qu'il s'agisse de la matière seconde, établie selon le
corps non qualifié ; et c'est sur celle-ci en premier lieu que natu
rellement s'est aussi fixée l'attention de ceux qui ont cherché à
connaître les choses sensibles, lesquelles, à première vue, leur
ont paru être même les seules à exister55.

1.5. Interpénétration totale des « corps immatériels »

Contrairement au corps matériel, qui est un composé de matière


première et de forme, le « corps immatériel » se caractérise par sa
« simplicité »56 et apparaît comme une sorte de forme pure. N'étant pas
associé à la matière première, le « corps immatériel » n'est dès lors pas
soumis au changement, à la division et donc à la corruption. En faisant
intervenir l'existence de réalités corporelles qui ne sont pas encore
mêlées à la matière (ουπω τη ΰλη συμπεφυρμένων)57 et dont la nature
se situe pour ainsi dire « à mi-chemin » entre la matière première et
l'immatériel au sens strict - des « corps » tels que le Ciel, les corps
célestes58, certains démons « corporéiformes » (σωματοειδεΐς)59, la

55. Damascius, De Princ. I, p. 40.4-8, trad. Combès ; Proclus, Théol. Plat.


1,3, p. 12.13-17 ; cf. déjà Plotin, II, 4 [12], 1.6-14.
56. Cf. Syianus, In Metaph., p. 85.16-17 et 25.
57. Cf. Damascius, In Parm. IV, p. 84.16.
58. Simplicius soutient que les corps célestes pénètrent totalement le corps
terrestre et se mélangent avec les éléments sublunaires, mettant ainsi en éviden
ce la possibilité de l'interpénétration totale des corps (cf. In Phys., pp. 531.3-9 ;
616.23-671.2; 623.32-624.2; 643.18-26; 966.11-12).
59. Ces démons inférieurs assurent la coexistence des corps éternels et des

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84 Daniel Cohen

« lumière »"" ou encore le « lie


notion de « corps immatériels

corps périssables ; cf. Proclus, I


Proclus (In Tim. II, p. 11.10-13), P
certains démons (les moins « mat
plus grande partie de feu dans leu
comportent aucune espèce de rési
ment Jamblique, De Myst. 1,6, p.
se multiplie dans l'unité et se mêl
συμμιγνΰμενον άμιγώς).
60. Les Néoplatoniciens tardifs s'
corporelle de la lumière, s'opposa
[29], 6-7). La lumière est envisagé
celle de la forme la plus pure
Simplicius,//! Cael., 12.28; 16.20
sans le « fissurer », mais capable de
toutefois du corps lunaire (cf. Pr
pénétration totale de la lumière é
Syrianus, In Metaph., pp. 85.15
confusion et sans division des « co
pénétration peut être constatée mê
porelle de la lumière, comme Arist
lui, il est impossible que deux corp
Anima, II, 7, 418bl3-18). - Sur la
Philopon, De Aet. Mundi, XVIII-X
de Proclus Περί φωτός, où aurait
tre les réalités corporelles (πώς δι
61. Le « lieu » (τόπος), pour Pro
rement à ce qu'affirmaient Ari
Stoïciens (cf. SVFII 117 et 331), p
Mais il s'agit, précise Proclus (cf.
d'un corps immobile (άκίνητον
(ουσία) est lumière (φώς), et qui,
(άϋλότατον). La source principale
Commentaire à la République de
199.21) et dans un « Corollaire s
Physique d'Aristote de Simplici
Damascius établit un véritable éta
concernant directement Proclus

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 85

physique plotinienne, plus réticente à la multiplication des intermé


diaires ontologiques" -, des Néoplatoniciens tardifs comme Syrianus,
Proclus et Simplicius ont pu, en s'opposant plus ou moins frontale
ment à l'orthodoxie de la physique aristotélicienne et malgré les cri
tiques plotiniennes, réintroduire l'idée stoïcienne de l'interpénétration
totale et sans confusion de corps au sein même de leur physique61.
Proclus affirme d'ailleurs avoir traité longuement de cette question :

Commentaire sur la République, Paris, 1970, vol. III, pp. 328-48. Simplicius
(/« Pliys., 618.25 sq.) cite également un commentaire que Syrianus aurait com
posé sur le Xe Livre des Lois et où il aurait traité de la question du lieu (Lois X,
893c2). - L'originalité de cette curieuse doctrine a été soulignée par Simplicius
(cf. In Phys., 611.10-14), d'après qui Proclus est le seul à avoir pu soutenir l'hy
pothèse « tout à fait extraordinaire » selon laquelle le lieu possède une nature cor
porelle. Pour une analyse d'ensemble du sujet, voir les études de S. Sambursky,
The Physical WorldofLate Antiquity [1962],Princeton, 1987, pp. 7-9; Id., « Place
and Space in late Neoplatonism », Studies in History and Philosophy of Science,
8, 1977, pp. 173-87 et son anthologie annotée The Concept of Place in Late
Neoplatonism, Jérusalem, 1982 ; voir également Ph. Hoffmann, « Simplicius :
Corollarium de loco », dans Astronomie dans l'Antiquité grecque, Actes du col
loque tenu à l'Université deToulouse-le-Mirail (21-23 octobre 1977), Paris, 1979,
pp. 143-61 et L.P. Schrenk, « Proclus on Space as Light »,Ancient Philosophy,
9,1989, pp. 87-94.
62. Signalons toutefois que Plotin n'ignorait pas la réalité intermédiaire que
les Néoplatoniciens tardifs désignent par ce terme puisqu'il avait considéré que la
notion stoïcienne d'cutoiov σώμα correspondait non pas à la matière primordia
le, comme le prétendent les Stoïciens, mais à la « masse » (όγκος), la matière stoï
cienne étant en effet pourvue d'une certaine grandeur (cf. Diogène Laêrce, Vie et
doctrines..., VII, 135, op. cit., p. 870), ce qui implique déjà une certaine détermi
nation (cf. Posidonius, fr. 92 Edelstein-Kidd) et ne saurait donc correspondre à la
matière au sens où la conçoit Plotin. Dès lors, du point de vue plotinien, la matiè
re stoïcienne constitue en fait une première détermination coiporelle et il est donc
impossible de la considérer, à la manière des Stoïciens, comme une réalité vérita
blement primordiale (cf. Enn. VI, 1 [42], 26.28-29). - Sur la notion de « masse »
chez Plotin, voir L. Brisson, « Entre physique et métaphysique. Le terme ôgkos
chez Plotin, dans ses rapports avec la matière et le corps », dans M. Fattal (éd.),
Études sur Plotin, Paris, 2000, pp. 87-111.
63. Dans un article fondamental, R. Sorabji, « Proclus on Place and the
Interpénétration of Bodies », dans Proclus lecteur et interprète des Anciens, Actes

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86 Daniel Cohen

De fait, dit-il, nous montrion


peut passer à travers un a
χωρεΐν) ; cela n'arrive pas à
tériels passent à travers d
ένύλων), ou les immatériels
« matière » j'entends la dern
subjectée aux derniers corps
μένην) -, et il y a aussi certa
matériels et les immatériels,
subissent eux aussi le sort de
de se traverser l'un l'autre sa

Dans son commentaire sur


sieurs de ces « corps immatéri
ser, sans se diviser, d'autres co
qui se fissure lorsqu'un corps
(οχήματα) pneumatiques des âm
dre les corps célestes - à la man

du colloque international du C.N.


pp. 293-304 (repris et augmenté da
1988, pp. 106-122), a montré comm
(immatériel, assimilé à la lumière s
platonicien d'Er) et en l'identifa
laquelle se tient le Corps du Mond
logiques qu'une telle conception im
cienne de l'interpénétration totale.
64. Proclus, In Remp. II, p. 162.
65. Dans le contexte de la métap
notion de corps pneumatique (πν
niveau corporel, de l'axiome selon
extrême ; le corps pneumatique app
corps matériel, éphémère car intég
άπαν) et le corps « lumineux » (αύ
Proclus, In Tim. Π, p. 60.2-15 ;
notion de « véhicule » (δχημα) de
l'âme, en descendant jusqu'au mond
res planétaires, s'adjoindrait comm
successives les éléments corporel

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APERÇU DE LA RECEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE

(όλόττις) qui lui est propre -, ne « fissurent » en aucune façon les corps
célestes qu'ils traversent pourtant de part en part, de même que c'est
« sans le diviser » (αδιαιρέτως) qu'ils passent à travers le Ciel :

Qu'on n'aille pas s'imaginer (...) ou bien que les véhicules de


toutes les âmes qui montent au Ciel doivent rester sur la Lune,
ou que, ces véhicules montant eux aussi avec les âmes, <le corps
céleste (τό ούράνιον σώμα)> subisse des sortes de fissures, de
même que l'air se fissure quand nous nous mouvons au travers.
(...) Il ne faut pas croire que l'élément divin soit fissuré de
quelque manière par la traversée des véhicules, ou bien qu'il
reçoive une addition quand ils montent ou subisse une soustrac
tion quand ils descendent: non, c'est sans le diviser (αδιαιρέ
τως) que ces véhicules passent à travers lui et vont se placer
dans leurs cercles propres66.

La seule forme d'interpénétration de corps sans confusion admise


par Syrianus, Proclus et Simplicius dans l'ordre des réalités corporel
les, concerne donc des corps immatériels. C'est en opérant une

trouve cette doctrine sous différentes formes chez les Gnostiques, dans l'Her
métisme, dans les Oracles Chaldaïques, chez Numénius, Porphyre et Jamblique.
D'après le témoignage de Proclus, Porphyre aurait été inspiré par des enseigne
ments chaldaïques pour développer sa doctrine de la descente de l'âme, mais
l'origine de cette notion se rapporte évidemment à la notion stoïcienne de « souf
fle » (πνεύμα). Porphyre, s'opposant à la psychologie stoïcienne, avait refusé
l'assimilation du πνεύμα avec l'âme (qui faisait de l'âme un corps) et avait envi
sagé ce « souffle » comme n'étant que l'enveloppe corporelle qui s'associe avec
l'âme lors de sa descente à travers le Ciel (cf. Ad Gaurum, XI, 3). D'après
Proclus, le corps pneumatique de l'âme serait une substance impassible formée
d'un mélange indivisible et immuable de particules d'éther, de soleil, de lune et
d'air, établissant un lien entre l'âme et le corps. - Pour l'histoire du terme όχημα,
voir P. Hadot, Porphyre et Victorinas, Paris, 1968, vol. I, p. 182 n. 1 ; E.R. Dodds,
Proclus. Elements ofTheology, op. cit., App. II, pp. 313-21 ; voir également
J. Trouillard, « Réflexions sur Γδχημα dans les Elements de théologie de Pro
clus », Revue des Études grecques, 70 (1957), pp. 102-7 ; J.F. Finamore, lambli
chus and the Theory of the Vehicle of the Soul, Chico (California), 1985.
66. Proclus, In Remp. II, p. 162.5-24 ; même doctrine chez Syrianus, In
Metaph., p. 85.27-28.

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88 Daniel Cohen

dématérialisation du pneuma st
la notion de véhicule psychiqu
hiérarchique la notion stoïc
conception stoïcienne du méla
même de la physique néoplato
sa transposition au niveau des
incorporelles que la doctrine
féconde.

2. Mélange entre réalités de na

Les Néoplatoniciens tardifs so


mélange total est impossible s
réalités de nature différente, c
relles et réalités corporelles.
Néoplatoniciens aux Stoïciens e
véritables causes et leur tran
Cette thèse relève d'une néc
qui est à la base de toute la m
doit être antérieure à la multip
et la simplicité antérieure à la
envisager, comme le font les S
les effets d'après le modèle du
l'axiome néoplatonicien selon
effets, la relation entre cause e
non d'un véritable mélange : l
rieur sans que le supérieur ait
tologiquement commun avec l

67. Partout, écrit Proclus, les te


exister avant les mélangés (προ τω
termes extrêmes (τοις δκροις) de
gé » (το άμιγές) et le « virginal
diaires (ai μεσότητες) se définisse
(επαφή) avec les êtres engendrés
p. 91.17-18).

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89
APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE

À la suite de Plotin, qui avait rejeté l'idée stoïcienne du mélange


total comme étant inappropriée pour rendre compte du rapport entre
l'âme et le corps (idée dont il s'est pourtant servi, mais pour démon
trer précisément que l'âme est immatérielle), Porphyre cherche à son
tour à rendre compte de la nature des relations entre un corps matériel
et un principe immatériel. Envisageant le rapport entre les réalités
immatérielles et les corps, c'est-à-dire le mode sous lequel se mani
feste une forme (είδος) lorsqu'elle entre en rapport avec la matière
pour constituer un corps, Porphyre prend soin d'écarter tous les types
de mélanges distingués par les Stoïciens : en tant que Γείδος est imma
tériel, il ne peut être question d'envisager son rapport aux corps maté
riels comme relevant de l'une des formes du mélange distinguées par
les Stoïciens, celles-ci n'étant possibles qu'entre des réalités de même
nature, en l'occurrence des corps. On peut dire que Porphyre cherche
à montrer que le mélange entre les réalités intelligibles et les corps
sensibles transcende les oppositions qui existent, au niveau des
mélanges corporels, entre les différents mélanges stoïciens :

Il faut, dans le souvenir du caractère propre de chacun des deux


termes, ne pas s'étonner de ce qui est étrange dans cette
conjonction (εν τή συνόδφ), si tant est qu'on doive parler de
conjonction. En effet, bien sûr, ce n'est pas une conjonction de
corps (σωμάτων σύνοδον) que nous considérons, mais une
conjonction de réalités qui sont totalement distinctes l'une de
l'autre, en ce qui concerne le caractère propre de leur existence
(κατ' Ιδιότητα υποστάσεως). C'est pour cela que cette con
jonction est distincte de celles qu'on est habitué à observer dans
le cas des choses de même essence (επί τών ομοουσίων). Il ne
s'agit donc pas d'une interpénétration (κράσις), ni d'un mélan
ge (μίξις), ni d'une conjonction (σύνοδος), ni d'une juxtaposi
tion (παράθεσις), mais d'un autre mode, qui apparaît à côté des
associations mutuelles (κοινωνίας) de choses de même essence,
de quelque façon qu'elles se produisent, tout en étant distinct de
tous les modes de conjonction qui tombent sous les sens.68

68. Porphyre, Sent. 33.44-53, trad. L. Brisson et alii, légèrement modifiée.


Il est assez curieux de constater que Jamblique, De Myst., I, 8, pp. 23.9-24.14

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90 Daniel Cohen

Sur un mode plus théologiqu


sans mélange (αμικτόν έστι τ
tour explicitement à la thèse
précisant que même les divin
naire ne se mélangent en auc
elles sont les principes :

Touchant tous les dieux q


disons qu'ils n'ont pas leur
re (tfi υλή συμμεμιγμένην
Stoa, (...) et qu'il n'est pas v
pas leur substance mêlée à
tent un mélange avec la m
activités, comme le dit N
façon donc ces dieux-là so
matière, ils ordonnent san
ce qu'il y a de mêlé (μεμιγμ
qui a été engendré, ils main
sés ce qui a été divisé (...)70

2.1. Rapports âme-corps

Un cas paradigmatique de m
est bien évidemment celui de
corps. Plotin écrivait que la l

semble attribuer à Porphyre une c


et les principes incorporels.
69. Jamblique, De Myst. m, 21
70. Proclus, In Tim. ΠΙ, p. 196.
fiée ; cf. Jamblique, De Myst. III
certains prétendent, c'est que les d
rang d'éléments en ceux qu'ils p
temps et du mélange selon le tem
ra en soi les dieux. Mais quelle es
εστι τούτο τό σύμμικτον της υπ
elle ne sera plus de deux un, mais

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 91

de compénétration (τις σύγκρασις)71. Ce τις indique bien une certai


ne prise de distance par rapport au mélange stoïcien, en tant que ce
dernier se réfère à un mélange où n'interviennent que des corps, mais
permet en même temps de discerner que, à la condition de prendre en
compte la nature immatérielle de l'un des composants de ce « mélan
ge », c'est bien la conception stoïcienne du mélange total qui consti
tue le modèle qui permet le mieux de penser le rapport entre l'âme et
le corps. Pour les Stoïciens, le problème des rapports entre matière et
qualités et celui du rapport entre l'âme et la matière trouvent leur
solution dans la doctrine du mélange total, puisque, dans la perspecti
ve stoïcienne, l'union de l'âme et du corps n'est, en définitive, qu'un
cas particulier du mélange total qui unifie matière et qualités n. Mais
pour les Platoniciens, l'âme et le corps ne sont pas de même nature.
La conception néoplatonicienne de l'union de l'âme et du corps
consiste en une relation paradoxale réunissant les propriétés des deux
types de mélange admis par les Stoïciens : la σύγχυσις, parce que la
relation entre l'âme et le corps constitue une unité véritable, effective
ment comparable à une fusion, et la παράθεσις, parce que l'âme ne se
mélange pas au corps de façon à former avec lui, comme le voudrait
le mélange aristotélicien, une entité mixte nouvelle, mais demeure
aussi séparable du corps que ne le sont des éléments hétérogènes jux
taposés73. Cette synthèse entre ces deux formes de mélange permet
d'envisager un type de mélange dont le produit est parfaitement unifié
mais où n'intervient nulle confusion des composants. L'âme et le
corps se « mélangent » ensemble, mais l'âme demeure immuable sans
altération de sa nature. Proclus, à l'occasion du commentaire d'un
syntagme du Timée de Platon, décrit cette relation paradoxale :

Le fait de « ni ne maîtriser ni n'être maîtrisé » indique que


chacun des deux partenaires conserve aussi, dans la rencontre,

γαρ τό συναμφότερον, ουκ εσται εν έκ δυοιν άλλά σύνθετόν τι και συμπε


φορημένον άπό τών δύο) » (trad. Des Places, légèrement modifiée).
71. Cf. Plotin, Enn. III, 3 [48], 4.49.
72. Cf. SVFII451; 471.
73. Cf. H. Dörrie, Porphyrios' « Symmikta Zetemata », Munich, 1959, pp.
54 sq.; P. Hadot, Porphyre et Victorinus, op. cit., vol. I, pp. 109-10.

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92 Daniel Cohen

sa nature. Car la conjonctio


n'a pas impliqué une comm
σιν) comme dans le cas des c
(έπί τών κεκραμένων). Car n
de l'âme ni l'âme dans le cara
l'autre en effet n'assimile à
l'âme n'est maîtrisée par le
« non-âme » - ni elle ne se re
le rend pas incorporel. Dans u
corps en tant qu'elle le main
qu'entravée sous le rapport d
féré, pour les deux verbes, la
nous percevions ce que chacu
sociation (èv tf) κοινωνία) et
mélange (έν τή μίξει)74.

Si la μίξις et la διαπλοκή con


les deux modes traditionnels po
et du corps, Proclus, à la suite
de présence de l'âme dans le co
préfère utiliser le terme σύνοδ
de l'âme et du corps avec une κ
vement les réalités corporelle
mot n'apparaît pas, c'est bien
total qui, bien que réaménagé
nouvelles, permet de concevo
corps. L'unité qui résulte d'une
à une σύγχυσις ; c'est pourquo
ne s'agit pas, dans le cas du m
« destruction mutuelle » (σύμφ
stoïcienne) qui altérerait la natu

74. Proclus, In Tim. HI, p. 326.9-2


75. Cf. Plotin, Enn. 1,1 [53], 3.1
76. Cf. H. Dörrie, op. cit., pp. 74
77. On rencontre ce terme qui dés
santes d'un mélange chez Alexand

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 93

3. Mélanges immatériels

3.1. Mélanges psychiques

Un autre contexte d'application du mélange total est celui de l'étu


de de la nature composée de toute réalité psychique. Pour les Néopla
toniciens, l'âme est « sans parties » (άμερής), au sens de parties quan
titatives. Elle est en effet incorporelle et donc indivisible selon la
quantité. Les distinctions faites par Platon (et Aristote) entre les diffé
rentes « parties » de l'âme sont ainsi comprises comme désignant des
éléments ou aspects qualitatifs, qui constituent les δυνάμεις de l'âme,
les différents organes dont elle se sert dans son rapport aux corps. En
ce sens, disait Plotin, on peut bien parler de la multiplicité des parties
de l'âme, mais à la condition de ne pas envisager cette multiplicité
comme étant d'ordre quantitatif ; cependant, il reste alors à se deman
der de quelle façon il y a lieu d'en envisager la « composition »
(σύνθεσις) et Γ « interpénétration » (κράσις) qui permet de rendre
compte de l'unité psychique78. À cette question traditionnelle, Proclus
apporte la solution suivante : l'âme n'étant ni pleinement indivisible à
la manière des réalités noétiques, ni divisible comme le sont les réali
tés corporelles, il faut comprendre que ces différentes parties demeu
rent simultanément « distinctes » (διακέκριται), « divisées » (μεμέρι
σται) et de façon unitaire (ήνωμένως), de sorte qu'elles se distin
guent « sans danger de se confondre » (άουγχύτως) et qu'elles « se
compénètrent mutuellement » (δι' αλλήλων πεφοίτεκε)79.
Examinant la nature intermédiaire, à la fois une et multiple, de
l'âme, Proclus explique que ni l'unité de l'âme (τό εν τής ψυχής) ne
disparaît (άπόλωλε) à cause de la multiplicité des différentes essences

221.22-23 Bruns. Cf. Proclus, In Tim. II, p. 254.2 et 10 (texte cité infra)·,
Damascius, De Princ. II, p. 187.14 ; In Parm. IV, p. 113.3-4, où le Diadoque pla
tonicien demande si le mélange (τά δμικτα) de l'être et du non-être relève ou
non « d'une destruction ou d'une altération simultanée » (σύμφθαρσιν ή συναλ
λοίωσιν) de l'un et de l'autre ; le terme συναλλοίωσις, dont c'est ici l'unique
occurrence chez Damascius, semble avoir été forgé par Damascius lui-même
(cf. la note 3 ad loc. de J. Combès).
78. Cf. Plotin, Enn. 1,6 [1], 1.50-53.
79. Cf. Proclus, Él. de Théol., 197, p. 172.5-14.

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94 Daniel Cohen

qui sont en elle (δια τάς δ


(πλήθος) n'est détruite du f
mélange psychique se distin
dit-il, transcende l'harmoni
corporels (των κράσεων)8'. I
pos d'un tel sujet, « produis
une commune destruction
(κεκραμένον) à du miel. Ces
fois constitué le mélange (κ
pas comment les réalités ser
rien d'étonnant - mais com
νοντα), elles s'accorderont
μοσθήσεται). Ce lien (δεσμό
pour les termes liés (τοις δ
non pas de commune destru
rale, déclare Proclus, il s'agi
drait l'idée « que les puiss
ou telle qualité des mélan
σεσιν) »83, parce que l'unif
cende l'harmonie qui assure
De la même manière, Procl
de est homéomère, on a pu y
l'Autre, le cercle intérieur et
leverse l'homéomérie (τήν ό
à ce problème en rappelant
ment distingué entre le mél
ce de l'unité que forment le
ment, dans ce texte, Proclu
Porphyre une grave confusio

80. Cf. Proclus, In Tim. II, p


81. Proclus, In Remp. I, p. 15
82. Proclus, In Tim. Π, p. 14.
83. Proclus, In Remp. I, p. 249
84. Cf. Proclus, In Remp. I,
περί το σώμα των κράσεων ά
85. Il est pourtant difficile de c

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 95

Poiphyre, dit-il, se laissant entraîner vers les réalités sensibles et


les mélanges matériels (επί τάς μίξεις τάς ένύλους), bavarde
en long et en large sur les mélanges de lait et de miel (τό
μελίκρατον)86 et de vin et de miel, qui, bien qu'homoéomères
comme touts, produisent, sur des gens différents, un effet diffé
rent : car les uns sont plus affectés par le parfum du vin, les aut
res par la douceur. Mais notre Père (i.e. Syrianus) a considéré
qu'il fallait considérer le mélange des Genres (την μΐξιν των
γενών) d'une façon appropriée aux réalités immatérielles et
incorporelles (τοις άύλοις και άσωμάτοις). Or ce mélange-là
ne se fait pas en vertu d'une confusion des essences ni d'une
destruction simultanée des puissances (f| δέ έστιν ού κατά oûy
χυσις τών ε'ιδων ουδέ κατά σύμφθασιν τών δυνάμεων), mais
résulte, les unes et les autres se conservant, de leur union et de
leur passage les uns dans les autres (καθ' ενωσίν τε και τήν δι'
αλλήλων χώρησιν). Il n'y a destruction et diminution de ces
puissances que dans les choses matérielles (εν τοις ένύλοις),
car la matière est incapable de maintenir en elle les propriétés
différentes (τάς διαφόρους ιδιότητας) dans un état d'inconfu

confusion. Dans son Ad Gaurum, expliquant le mode selon lequel le sperme pater
nel s'associe avec la puissance végétative de la mère, le disciple de Plotin évoque
en effet la κράσις en la qualifiant de « mélange divin et paradoxal » dont la spé
cificité est de préserver l'intégrité des constituants, qui conservent leurs puissan
ces propres (τάς οίκείας δυνάμεις), à la manière, dit-il, des substances non
mélangées qui demeurent distinctes en elles-mêmes (ώς τα δκρατακαί καθ'
έαυτά διακεκριμένα) ; Porphyre indique encore que « sur ce mélange total sans
destruction des parties » (περί μέν της άσυμφθάρτου δι' δλων κράσεως), c'est
dans d'autres « discours sacrés » qu'il entend exposer plus longuement sa pensée.
Par ailleurs, dans ce texte, Porphyre affirme que c'est bien le fait que ce mélange
n'implique pas la destruction des ingrédients qui prouve précisément que ceux-ci
ne sont pas des corps (μή σώματα είναι) et que leurs essences ne sont pas soumi
ses à la condition qui est celle des corps (cf. Porphyre, Ad Gaurum, p. 47.19-28
Kalbfleisch, avec la traduction de A.-J. Festugière, La Révélation d'Hermès
Trismégiste, Paris, 1953, vol. ΠΙ: « Les doctrines de l'âme », pp. 284-5).
86. Aristote avait donné un exemple analogue (le mélange de lait et de
miel) pour décrire la κράσις en tant que produit d'un mélange apparent, où n'in
tervient pas de véritable interpénétration, puisqu'il est possible de distinguer les
propriétés des composants (cf. Métaph. H, 2,1042b. 16-17).

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96 Daniel Cohen

sion (άσυγχύτους) et de pur


propre du mélange immatér
sants demeurent identiqueme
ρημένα), mélangés (συγκεκρα
mais (c'est le propre) du m
mélangés (μεμιγμένα) ne soie
de l'autre : car le mélange (μι
truction mutuelle (κατά σύμφ

Or, poursuit Proclus88, c'est p


l'Ame (τά γένη τής ψυχής)
μέμικται) que ces Genres sont l
qu'ils demeurent tous dans leur
servant ainsi l'Ame à la fois de t
l'unité psychique n'équivaut pas
de l'Ame sont les uns dans les
rendent l'Ame tout entière hom
ψυχήν), de sorte que chaque pa
de ces Genres ; mais en tant qu'
δέ εφ' έαυτών ίδρΰσθαι) et qu'i
οίκείαν καθαρότητα), tel effet
puissance différente de l'Ame,
autre. En effet, précise Proclus
(όμοιομερές) et d'« homogéné
quement dans le cas d'un méla
mêlés et mutuellement détruit
συνεφθαρμένοις εστίν), ce qu
corporel. Or, l'interpénétration
titue une forme paradoxale du

87. Proclus, In Tim. II, pp. 253.2


modifiée.

88. Cf. Proclus, In Tim. II, p. 254


89. Proclus est évidemment bien
mélange psychique. Pour rendre co
mélanges immatériels (άύλους μίξε
exemples plus proches de l'expérien

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elle-même paradoxale de l'Ame, qui est intermédiaire (μέση) entre


l'essence indivisible (της άμερους ουσίας) et l'essence qui devient en
se divisant dans les corps (της γιγνομένης περί τοις σώμασι μερι
στής), de sorte qu'elle peut être dite tout à la fois indivisible et divisée,
ni indivisible ni divisée Ainsi, les conditions du mélange qui
convient à la nature psychique sont telles que le non-mélange (τό
αμιγές) subsiste au sein même du mélange (έν τη μίξει), l'inconfusion
(τό άσΰγχυτον) dans l'entrelacement (έν τη διαπλοκή), la pureté des
éléments (τό καθαρόν) dans leur interpénétration (έν τή κράσει) ; un
tel mélange réalise simultanément compénétration totale (όλα δι' όλων
διήκειν) et permanence de chaque élément isolé en lui-même (έκαστον
έφ' έαυτοΰ μένειν).

3.2. Mélange noétique

C'est encore le mélange immatériel qui détermine le mode d'exis


tence unifié de la multiplicité que constitue le cosmos intelligible,
caractérisé par une compénétration totale des êtres intelligibles et for

prendre le mélange immatériel en considérant le cas des sciences, des principes


créatifs physiques, et de celui du luminaire unique que constitue une multiplicité
de sources lumineuses. En effet, de multiples lampes (φώτα), bien que ne produi
sant qu'une lumière unique, demeurent distinctes (άαύγχυτα) les unes des autres,
de même que les multiples principes créatifs (oi πολλοί λόγοι), bien qu'ils ne for
ment qu'un même ensemble, sont pourtant différents l'un de l'autre du point de
vue de la propriété physique (τήν φυσικήν) de chacun d'eux, de même encore que
les multiples sciences demeurent non mélangées l'une à l'autre (άμιγείς προς
άλλήλας) malgré leur interpénétration réciproque (έν άλλήλαις οΐισαι). Or, dit-il,
les choses confondues (τά συγκεχυμένα) ne peuvent produire dans la pureté leurs
opérations propres (οικείας ένεργείας), alors que les sciences produisent les leurs
en demeurant chacune pleinement isolée en elle-même (cf. In Tint. Π, p. 254.10
20). Nous avons déjà rencontré l'exemple des sources lumineuses chez Syrianus
(cf. supra). La comparaison avec la science avait déjà été faite à plusieurs reprises
par Plotin, Enn. IV, 3 [27], 2.50 sq. ; V, 9, [5], 6.3-9 ; VI, 5 [23], 10.48-52 ; etc. ;
elle a·également été utilisée par Porphyre, Sent., 37 pour décrire l'unité sans
confusion des âmes particulières au sein de l'Ame unique et totale.
90. Cf. Proclus, In Tint. ΠΙ, p. 215.21-23 ; voir également Él. de Théol., 197.

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98 Daniel Cohen

mant un tout organique au s


agit sur tout, obéissant ains
d'intériorité réciproque ». L
apparaît comme l'image dég
sensible n'a rien d'étonnant
peut, par participation, revê
il, plus difficile de compren
vent être unies sans confus
tinguées (διακέκριται) sans
compte de la signification d
la κοινωνία et la συμπλοκή
mun des exégèses néoplaton
gibles préservent la distinc
leurs relations mutuelles.

Contrairement au mélange matériel des corps, qui perdent leur


identité au profit d'une unité nouvelle, dans le monde intelligible,
écrit Plotin, les Intelligibles (οί νόες) ne périssent pas, précisément
« parce qu'ils ne sont pas répartis dans des corps » ; au contraire, en
ce lieu où règne l'intériorité réciproque, « chacun persiste, tous possé
dant, avec leur caractère distinctif, un caractère identique qui est
d'être »92, ce que Syrianus expliquera en déclarant que les Formes
divines (τά θεια είδη) sont totalement unifiées les unes avec les
autres (όλως δέ ήνώσθαι μέν άλλήλοις) et passent les unes dans les
autres (χωρείν δι' αλλήλων) sur un mode pur (καθαρώς) et sans
confusion (άσυγχύτως)93. Proclus, pour sa part, ne manquera pas de
rappeler le parfait accord entre les enseignements platoniciens et ceux
des « pères de la mythologie », expliquant que lorsque ces derniers
parlent de semences, de mariages et des généalogies divines, c'est
pour évoquer « les affinités et concordances qui subsistent entre les
générations chez les dieux » (τάς εν τοις θεοίς τών άπογεννήσεων

91. Cf. Proclus, In Parm. Π, 749.32-39 ; voir également II, 757.4-12 ;


Théol. Plat. I, pp. 88.25-89.1. Sur l'interpénétration des Formes intellectives
(νοερά είδη), voir Théol. Plat. V, p. 11.5 sq. ; Él. de Théol., 176.
92. Cf. Plotin, Enn. IV, 3 [27], 5.5-8, trad. Bréhier ; V, 9 [5], 10.10: ό δε
τόπος εκεί νοερώς τό άλλο έν άλλψ.
93. Cf. Syrianus, In Metaph., p. 119.27-8.

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APERÇU DE LA RÉCEPTION DE LA DOCTRINE STOÏCIENNE 99

όμονοητικάς κοινωνίας), là où Platon parle de « Genres de l'Être »,


d'« interpénétrations » (κράσεις), de « fusions » (συγκράσεις) et de
« mélanges » (μίξεις)w.

Conclusion

Aux niveaux les plus inférieurs, où prédomine la multiplicité et la


division, le mélange peut se manifester selon deux modes : ou bien les
composants d'une totalité préservent leur identité au détriment de l'uni
té du produit du mélange (il ne s'agit alors pas à proprement parler d'un
mélange mais plutôt d'un « assemblage » dans lequel les éléments sont
simplement juxtaposés : il s'agit plutôt de la παράθεσις stoïcienne ou
de la σύνθεσις d'Aristote) ; ou bien le produit du mélange forme une
véritable totalité unifiée, mais alors cette unité est réalisée au détriment
de l'identité des composantes qui s'altèrent et se confondent pour for
mer une entité nouvelle (il s'agit alors de la σύγχυσις stoïcienne ou du
véritable mélange au sens aristotélicien). Au niveau des réalités imma
térielles, c'est sur le modèle stoïcien du mélange total que les Néoplato
niciens envisagent cette paradoxale « fusion sans confusion » qui unifie
toute multiplicité sur le mode de la totalité antérieure à la dispersion de
ses parties au sein de la matière.
Dans la mesure où les jugements que les Néoplatoniciens portent
sur l'héritage philosophique des doctrines anciennes se présentent la
plupart du temps comme une confrontation avec la perspective qui est
supposée être celle de Platon, on peut dire que la réception néoplato
nicienne des physiques du mélange d'Aristote et des Stoïciens aboutit
à la conclusion suivante: les Stoïciens se trompent parce qu'ils ren
dent les causes immanentes et donc mélangées à la matière ; Aristote a
raison, mais il se limite à rendre compte des phénomènes sensibles.
Aristote et les Stoïciens font partie de ce que Proclus qualifiera de
« crème des disputeurs qui, pour avoir observé quelque petite portion
de la nature, pensent pouvoir déchirer Platon »".

94. Cf. Proclus, In Tim. III, p. 248.5-11 ; voir également In Parm. II,
p. 775.3 sq.
95. Proclus, In Tun. ΙΠ, p. 114.7-8 (ce sont surtout Aristote et les Péripa
téticiens qui sont visés dans ce passage).

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100 Daniel Cohen

Ce n'est donc pas le moindre


Néoplatonisme, après avoir re
ne comme n'ayant de validité
vigoureusement critiqué le ma
née la plus fondamentale de l
taient aux Stoïciens de justifi
divine (et donc le matériali
niveaux les plus élevés comme
immatérielles et incorporelle
cette transfiguration doctrina
néoplatonicienne, a été amorc
par Porphyre en ce sens, écri
caractéristiques de la doctrine
Stoïcisme n'est vrai que dans l
sique stoïcienne devenant ains
théorie des mélanges élaborée
que sur le plan intelligible
vérité se découvre avant mêm
noétique, Porphyre lui-même
cienne dans le contexte d'un e
toniciens ultérieurs dans cet o
se tiennent les « corps immat
cienne du mélange total s'est
physique néoplatonicienne au
nal ayant eu pour résultat, d'
cienne de l'interpénétration to
aristotéliciennes de l'acte e
transposition du domaine des
corporelles non encore engagée

Daniel Cohen
Aspirant du FNRS
Université Libre de Bruxelles

96. P. Hadot, Porphyre et Victorinus, op. cit., p. 110 ; cf. également pp. 485 sq.
97. Je tiens ici à remercier Sylvain Delcomminette, Bernard Collette-Ducic,
Ève et Laurence Stévenne pour leur aide précieuse.

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