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L'Education {de la Volonté'' (Ouvrage traduit en onze langues). Un volume in-8\
broché A
/ . . .... ... . . . ... ... . ........
De la Croyance, In-8yproché. . .
•
■
JULES PAYOT
L'APPRENTISSAGE
DE
L'ART D'ÉCRIRE
CINQUIÈME ÉDITION
f|o nisation.
s . L'état habituel de la pensée, surtout delà pensée
ja de l'enfant, est un état d'anarchie et d'incohé-
, rence. Les impressions du dehors et du dedans
res 1
déclenchent en lui les associations d'idées
Ctl""
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qui se
déroulent suivant leurs lois. Or, penser, c'est les
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L'APPRENTISSAGE
DE L'ART D'ÉCRIRE
LIVRE I
LES PRINCIPES
CHAPITRE I
LA LIGNE DE FAÎTE
DE LA PENSÉE HUMAINE
PROGRAMMES DÉRAISONNABLES
1. Salùjstk.
14
l'apprentissage de l'art tvécrlre
LA CULTURE
SUPERFICIELLE
Nos méthodes tendent à
produire des mondain
élégants, beaux parleurs, capables d'effleurer tous
les sujets sans rien savoir à fond.
Il faut avouer
que cette culture superficielle est
dans les traditions
d'orgueil des théologiens et des
philosophes antérieurs à la méthode expérimentale.
Au xvii" siècle, Descartes
révélait les secrets de l'uni¬
vers depuis la «
chiquenaude » initiale jusqu'aux
phénomènes communs. Il ne craignait pas de donner
une explication
complète et détaillée de l'aimant.
Bossuet écrivait une histoire universelle. Au
xviii0siècle, les écrivains, oublieux de l'admirable
sincérité de Corneille et de La
Fontaine, furent,
avant tout, de brillants
journalistes. « D'Alembert
se trouva chez
Voltaire avec un célèbre
de droit à Genève.
professeur
Celui-ci, admirant l'universalité
de Voltaire, dit à M.
d'Alembert : « Il n'y a qu'en
droit public que je
le trouve un peu faible. — Et
moi, dit d'Alembert, je ne le trouve un
peu faible
qu'en géométrie '. »
La confiance
orgueilleuse en soi, le dédain grand
seigneur de l'exactitude scrupuleuse et de la vérité
sont d'ailleurs
profondément humains. Les « Cen-
drillons » modestes qui
luttent avec ténacité contre
les réalités indociles et
anarchiques, et à qui on
doit les perfectionnements
techniques qui ont renou¬
velé la
civilisation, seraient encore dédaignés si
de nouveaux
ouvriers, patients aussi, persévérants,
minutieux,, exacts, et qu'on appelle des savants de
Un
simple l'ait historique demande, pour être mis
au
point, des mois de recherches. L'interpréta¬
tion d'un texte, d'un chapitre des
évangiles, par
exemple, exige une vie de labeur et la connaissance
du latin, du grec, de l'hébreu, de l'araméen, de
l'arabe, du syriaque, etc.- Elle implique la lecture
attentive de textes innombrables et la
coopération
de centaines d'exégètes armés
critique. d'esprit
Onpeut dire que le travail du savant conscien¬
cieux, comme celui de l'ouvrier d'élite, est une forme
d'ascétisme. Ses joies sont des joies austères : les
joies profondes de l'énergie agissante et créatrice.
Mais l'ascétisme ne sera jamais
populaire 1 Qu'im¬
porte? Nous n'avons pas à nous occuper ici des
routines applicables au troupeau irrémédiablement
médiocre des esprits sans force, mais des méthodes
actives, qui apprendront aux esprits vivants à se
développer. D'ailleurs beaucoup d'intelligences qui
somnolent actuellement, s'éveilleront au contact
d'un enseignement vivifiant.
La tâche sera difficile, car, même en
sciences, une
partie de nos futurs professeurs ont été formés non
par les méthodes héroïques de la découverte per¬
sonnelle, mais par les procédés de la vulgarisation,
qui s'adressent à la mémoire et sont compatibles
avec cette indifférence pour la vérité que Pascal
ture étendue. Mais il faut
qu'il sache qu'on ne devient quelqu'un
qu'en creusant profondément dans une spécialité. Cela ne l'em¬
pêche pas de se tenir- au courant du labeur universel : est-ce
que le mineur, en remontant de sa galerie, est privé de
le soleil et les fleurs?
regarder
Mais on ne comprend rien au labeur d'autrui si 011
n'est soi-
même un bon ouvrier. Se
cultiver, c'est labourer et ensemencer
son champ en reposant souvent les yeux sur l'horizon lointain.
Payot, L'Apprentissage de l'Art d'écrire 2
18 L'APPRENTISSAGE DÉ L'ART D'ÉCRIRE LÉ
i
LES MÉFAITS DE L'INTERNAT ■
S 0
un
jeu, mais comme le support concret, actif, vivant
des notions abstraites de la géométrie, de la phy¬
sique, des sciences naturelles.
Lorsque la conception absurde qu'ont eue les
Jésuites d'esprits, indépendants du corps, cultiva¬
bles en eux-mêmes, abstraitement, aura l'ait place à
celle d'un esprit et d'un corps inséparables, qu'il
faut éduquer harmonieusement, l'internat n'obli¬
gera plus les enfants à gribouiller durant des heures,
l'esprit absent, ou à rêver.
Aux psychologues de protester contre la mutila¬
tion que fait subir à l'intelligence une science super¬
ficielle. Les psychologues de l'école de Cousin reje¬
taient l'hypothèse d'un sens musculaire. Aveugle¬
ment incompréhensible ! Comment ont-ils
pu croire
un instant
que les trois cent soixante-huit muscles
qui font mouvoir nos cent quatre-vingt-dix-huit os
n'ont aucun retentissement dans la vie psycholo-
LES PRINCIPES
Alcan, édit.
3. Ajoutons à ces considérations
que la technique est mère de
la logique rationnelle. C'est la dure
discipline des réalités mate,
riejles qui a discipliné, l'esprit.
22 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
LA TRIPLE SERVITUDE
LA TRIPLE SERVITUDE
LÀ DÉRIVE
A aucune
époque les enfants n'ont été mélés aussi
peu judicieusement à la vie de famille. Ils sont
initiés à nos préoccupations et à notre vie intellec¬
tuelle. Ils ont, en plus, leur travail, leurs
passions
enfantines, les
préoccupations de leur milieu
scolaire. Ils participent nécessairement à l'existence
hâtive, trépidante, brûlée, qui est celle des citadins.
Quand on étudie la journée d'un collégien, comment
ne pas
déplorer la foule de sensations, d'impres¬
sions, de sentiments qui viennent assaillir sa con¬
science? Presque tous ont trois heures de cours le
matin, deux heures le soir : ils ont donc entendu
parler divers maîtres pendant des heures. Après
le débordement de ce torrent de
paroles, passent
devant leur attention les leçons à
apprendre, les
devoirs à faire, les livres à lire. Dans la famille,
l'attention est appelée sur les conversations du
père
et de la mère, sur la guerre actuelle, sur la
question
du Maroc, sur quelque crime nouveau, sur les inter¬
pellations aux Çhppibres. Il est difficile (l'échapper
LES PRINCIPES 29
refuser venait ni au
l'occupation, la pensée qui ne
jour ni à l'heure, plus ardent à la chercher, plus
agile à lapoursuivre, plus habile à la fixer quand le
moment de s'en occuper était venu1. »
Pendant qu'il est occupé d'un objet, le reste
«
langage articulé.
Nous ne pouvons agir au dedans de nous-mêmes
que comme sur le dehors : par des muscles3.
Or le mot est constitué par un petit groupe
musculaire merveilleusement organisé, commode et
« bien en main ». C'est un petit mécanisme qui joue
sans effort.
Instantanément nous pouvons reproduire les mou¬
vements d'articulation qui constituent le mot pro¬
que nul
n'est innocent
d'ignorer. L'homme qui sait insérer
son action dans les
faits, n'y arrive qu'en gardant
la liberté
d'esprit, qui seule nous
intéresse ici.
Lorsque Pasteur vint en Provence pour étudier
la maladie des vers à
soie, Fabre fut frappé de son
ignorance sur la question. Ce fut
cependant cet
ignorant qui, avec ses yeux non prévenus
et son
esprit habitué à la recherche des causes, décou¬
vrit le secret du
mal, invisible aux spécialistes et
48 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
3
aboutit à la guerre sauvage, et par voie de Consé-
;
i
quence, à la misère universelle.
e Pour contrôler l'élan intérieur et lés associations
x
d'idées et de sentiments qui en résultent, l'iils-
11
générale doit être forte. Toute idée, toiite
traction
e
! croyance ne sera acceptée par l'écrivain que comme
i- une hypothèse provisoire,
toujours Offerte aux con-
a
frontations avec les vérités déjà établies. Il ëst
x nécessaire d'avoir « la volonté ferme et constante
'e
toujours de la raison le mieux qu'il est eri
l'user
i; Jotre
pouvoir1 ». « N'avancez rien qui rie puisse
tré prouvé d'une façon simple et décisive. Ayez le
.
lit,, è'
jrit L Descartes, A la fille du roi de Bohême.
2. Pasteur, Inauguration de VInstitut Pasteur, 1888.
i
ON SE LIBÈRE DE LA DÉRIVE
PAR LA CONFRONTATION AVEC LE RÉEL
1. «
Vaga experientia mera palpatio est et homines potius
stupefacit quam informat. • Bacon, Novam Organum, I, Apho¬
risme, p. 100.
2. Claude Bernard, La Science expérimentale, p. 57. J.-B. Baij-
lière, édit.
3. De l'Imagination dans les Sciences.
58 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
LE RESPECT DE LA VÉRITÉ
1. Lettre de 1868.
2. Préface de Pierre et Jean.
3. Correspondance, 4 juillet 1860.
4. Journal des Goncourt, 12 janvier 1865. Fasquelle, édit.
5. Alexandre Dumas fils à Laur, Figaro, janvier 1892.
6. Binet, Le Temps, n" du 30 septembre 1893.
LES PRINCIPES
de la grammaire, de
l'arithmétique, éprouvent une
joie intense quand on les dirige dans leurs observa¬
tions.
Leur amour pour le roman policier a en partie
pour causel'ingéniosité des remarque*. Quand
Holmès remarque aux traces des roues que la
voiture venue vide est repartie pesamment chargée;
quand sur des observations simples il constate que
le meurtrier n'était plus jeune, qu'il venait de se
faire couper les cheveux, qu'il avait un chien à
long
poil rougeâtre, qu'il était gras, affligé d'une calvitie
naissante et qu'il devait être menuisier ou scieur,
les enfants éprouvent une joie amusante.
Chaque
fois qu'on les mène chez quelque artisan, la même
remarque revient dans les comptes rendus des
maîtres : « Leurs
yeux brillaient d'admiration. »
Dans quelques pages enthousiastes, Tolstoï
raconte comment il a éveillé chez ses élèves le sens
MÉTHODES D'OBSERVATION
Le souvenir d'un
objet usuel, d'un encrier, d'une
montre, est une image choisie arbitrairement parmi
des centaines d'autres. Trente
élèves, dessinant un
vase, obtiennent trente dessins
différents, souvent
très dissemblables, du même
objet, parce qu'il est
vu sous des
perpectives différentes.
Il suffit de feuilleter un
traité de
à l'article psychologie
perception ou un traité de dessin à l'ar¬
ticle perspective, pour constater que toute
tion d'un objet implique un choix entre percep¬
une foule
d'images.
Or, on oublie cette vérité capitale dès l'école
élé¬
mentaire, et les descriptions, comme les
leçons de
choses, y sont une confuse promiscuité
d'éléments
disparates. C'est que l'on confond la
œuvre de choix,
description,
qui implique l'activité d'un esprit
ordonné et organisateur, et
l'enquête préalable, qui
doit être non pas
complète, c'est impossible — le
détail de la réalité étant infini — mais qui doit ne
pas omettre l'essentiel,
15
MÉTHODES D'OBSERVATION
de soleil, etc.).
Étinceler.
Être lustré (pierres fines, bois précieux, verni8, feuilles
mouillées, ivoire, nacre, soie, peau humaine, cheveux, œil).
3° Liste des données-du tact.
Douceur (joues d'un enfant).
Chatouillement
j
Irritation /
Écorchure > l'étudier sur chaque partie du corps.
Brûlure \
Déchirure J -
USAGES DE LA CARTE
1. Tolstoï, Au Caucase.
84 L'APPRENTISSAGE DÉ L'ART D'ÉCRIRE
«
Pourquoi aimez-vous les fleurs? » sujet trop
général, qui tournera à rénumération : couleurs
douces ou ardentes, jeux de la lumière sur les
corolles et sur les feuilles, odeurs fraîches ou
douces ou ôthérées — délicatesse et touchante
fragilité —cela fait un ensemble sans ordre. Que
l'exercice porte sur cette notion de fragilité, et l'effort
sera réel. Il faudra subordonner les résultats de
l'enquête à ce sentiment, c'est-à-dire organiser. On
choisira, par exemple, la rose, au coloris fin et
délicat. Si elle est d'une couleur ardente, montrons,
pour qu'il n'y ait pas contradiction, que cet éclat
n'est que l'effort d'une plante
qui va mourir. Insis¬
tons sur la
souplesse un peu chétive de la tige et sur
le ridicule touchant des
épines dont elle se hérisse,
mais qui ne défendent la fleur ni du
vent, ni de la
pluie, ni du soleil brutal... ,
« Le maître a promis à ses élèves de les emmener
en excursion le jeudi de bonne heure. » De bon
matin, Paul s'éveille joyeux à l'idée du départ. Tout
à coup, une inquiétude lui fait battre
le cœur : il a
entendu le vent mugir sous la
porte... Il écoute
anxieux: il entend le bruit de'Teau
qui tombe des
gouttières Il saute à bas du lit, pousse le volet :
hélas, le ciel semble bien gris. La pluie tombe fine
et régulière : ce n'est
pas un orage qui ne durera
qu'une demi-heure! Le réveil de Paul m'a fourni
dans une classe primaire de
lycée une leçon pleine
de jolies
remarques d'enfants.
Ne donnez pas à décrire la maison d'école : ce
serait encourager le
vagabondage de l'esprit. Faites
chercher les détails
qui prouvent que la maison est
vieille. Ils sauront en trouver
auxquels vous n'aurez
90 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
fragiles » ;
lorsque sa couleur devient plus éclatante, après
«
«
gentilles manières et une silhouette élégante
de
et souple, pleine de jeunesse et d'entrain » ,
dont les mouvements sont calmes et souples ».
«
Je passe ma vis en
«
contemplation et en travail.
Il me semble que
jamais je n'ai vu la nature, elle me
paraît tous les jours plus admirable et plus par¬
lante. » Môme à propos de
poires : « Quelle évoca¬
tion, écrit-il, ces belles formes si pleines, vivantes
de toute la sève de l'arbre,
à peine séparées! Devant
elles... j'ai revu les beaux arbres,
les belles lignes
de terrains, les ciels
qui font tant rêver...1 »
Quelle extension du sentiment du beau quand la
pierre calcaire foulée dans le chemin fera surgir
l'idée des millions d'années écoulées
depuis sa for¬
mation, et quand l'outil dont le cantonnier se sert
pour la casser rappellera les milliers de
sages et
d'inventeurs dont le travail a haussé l'humanité de
l'Ége de la pierre polie au siècle du fer 2!
Le jour où l'enfant saura extraire des
choses la
poésie qui y est contenue, comme on extrait l'or du
minerai, il y aura place pour les écrivains exacts,
d'un homme1.
Dès qu'il est arrivé à dessiner le visage de mémoire,
Sem s'évade des apparences et, libéré, il part « à la
recherche des réalités profondes ». Il s'attache à
son
modèle, organise des traquenards, une filature de
policier. Il l'étudié dans les magasins, au cercle,
chez le coiffeur, et gribouille ses croquis sur ses
manchettes, sur un menu ou sur la nappe. Tout cela,
pour surprendre, dans la bousculade, le moment
« oùla physionomie va atteindre son maximum
d'intensité », où le modèle « se livre sans défense
à ce regard embusqué qui le dévore tout vif à son
insu Il croque alors « l'image encore chaude »,
».
Il y a pour
l'expression d'une passion des « lignes
fondamentales caractéristiques que les grands
»
l'adulte.
Ces observations intéressent les enfants : ils
remarquent facilement qu'un chien en colère dresse
les oreilles, fixe le regard, hérisse le poil du cou et
du dos, lève la queue toute droite en l'air et qu'il
queue se hérissent...
Il est facile de passer des animaux familiers à
l'expression des émotions chez le petit frère ou la
petite sœur, chez les camarades et chez les grandes
personnes. On peut avoir recours à l'étude de
tableaux de maîtres. Par exemple, l'étude des œu¬
vres de Raphaël, de Léonard de Vinci ou de Michel-
INTROSPECTION NÉGLIGÉE
TNÛ0I 1EAYTON
Il faut donc
apporter à la culture de l'observation
de soi un
esprit de profonde sincérité et d'entière
loyauté. Nous ne devons pas craindre de montrer
la vérité passions sont fortes, et il est difficile
: nos
de lutter contre la
paresse, la gourmandise, la
1. Albert
Thierry, L'Homme en Proie aux
Enfants, Ollendorf,
éiit,
MÉTHODES D'OBSERVATION 107
t. Théodicée, § 32g,
MÉTHODES D'OBSERVATION 109
misérable de l'observation
psychologique? Les per¬
sonnages de Hugo : Hernani, Ruy Blas, etc., ne sont-
ils pas des fantoches sans vérité?
Cependant, comme le prouvent nos classiques et
nos
philosophes de premier rang, le génie français
réussit admirablement dans
l'analyse de l'âme.
CHAPITRE X
Ce
qu'il i'aut obtenir par l'usage de ces cartes
d'ailleurs très imparfaites, faute d'une classification
scientifique, c'est la rapiditédes conceptions. L'esprit
est tellement habitué à
penser avec le mot seul, qu'il
METHODES D'OBSERVATION
1. Grant, Athénée.
Payot, L'Appr^itinauje de l'Art d'écrire. 8
L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ECRIRE
» Il faut
art imaginer nettement le cadre de l'action :
position sociale, détails caractéristiques dé la vie quo¬
tidienne. Il faut imaginer les rapports intimes entre
la passion et les gestes, les attitudes. Un grand
acteur sait, pour rendre Chaque nuance d'émotion,
ne faire mouvoir que les muscles nécessaires
pour
l'exprimer et il élimine les mouvements illogiques.
Une artiste trouve dans la respiration un moyen
religieuse.
Ce dénigrement a pour corollaire la lente élabora¬
tion d'un sentiment de terreur devant la mort et
devant le risque effroyable qu'elle fait courir à
l'âme
Les Escercices spirituels d'Ignace de Loyola2,
avec leur science profonde des réalités de l'âme,
sont le résumé de toute la science technique des
directeurs d'âme du catholicisme. Ils donnent le
modèle parfait des moyens éducatifs à employer
pour émouvoir dans l'âme les sentiments qu'on
désire y faire naître et y voir grandir. Nous en
tion :
mourrai-je bientôt? Une quatrième répond à
la question : quand? Une cinquième porte sur le
moment terrible qui décide de l'éternité.
Le deuxième exercice comprend deux
contempla¬
tions, l'une sur « mon agonie », la seconde, macabre
et naïve, sur l'état du cadavre
après la mort : naïve
car on semble
supposer que le mort veste conscient
de tant de détails lugubres, de l'humidité de la
terre, de l'odeur infecte, etc.
La première contemplation nous invite à réaliser
en
pensée la scène de notre agonie.
Regardez l'appartement à peine éclairé par la
lueur lugubre d'une lampe; votre lit d'où vous
passerez sous la terre...
Regardez les personnes qui vous entourent :
domestiques mornes, famille en pleurs, prêtre
priant...
Regardez-vous vous-même : vous êtes étendu,
perdant l'usage des sens :
Regardez la lutte, autour de vous, des démons et
des anges...
Écoutez le bruit monotone de l'horlogé qui vous
dit à chaque balancement : te voici d'une seconde
Les écrivains de
génie ont fait la même décou¬
verte. N'est-ce pas
en entrant dans l'âme de ses
personnages que Molière a créé des types d'une
vérité immortelle comme Alceste, comme Tartuffe,
comme Harpagon, et à
un degré plus bas, comme le
malade imaginaire, anxieux de savoir combien il
faut mettre de grains de sel dans son œuf? C'est
en devenant réellement Pauline que Corneille a
découvert les admirables mouvements du cœur de
cette femme aimante et intelligente et qu'il a décrit
la contagion de l'énergie enthousiaste de Polyeucte
sur une âme
préparée par sa droiture au sens des
choses divines. La Fontaine a vraiment vécu de la
vie sentimentale de ses bêtes. Je me souviens d'un
camarade qui essayait d'imaginer les sensations
d'un crustacé en étudiant, les yeux fermés, les
renseignements que lui donnait sur le monde exté¬
rieur l'extrémité d'une canne.
lentement : les
enfants ne'cesseront l'effort
qu'après
avoir évoqué le sentiment qu'ils doivent exprimer.
Ont-ils à décrire deux écoliers batailleurs?
Qu'ils
ne disent
jamais : ils sont « aveuglés parla colère »,
mais ils nous montreront le
visage congestionné,
les ailes du nez
frémissantes, les sourcils contractés,
l'attitude de défi, les poings
serrés. « Chacun, dit
Darwin1, peut faire l'expérience suivante : se mettre
devant un miroir et s'efforcer de
s'imaginer qu'on
a reçu une insulte et
qu'on en demande raison d'une
voix irritée; on se
placera aussitôt, sans s'en rendre
compte, dans une attitude semblable à celle que
nous venons de décrire ».
4. Isaïe, L, 6.
Epistolœ ad Lucilium, XI, 5,
124 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
ÉLARGISSEMENT. DE LA SYMPATHIE
Si l'ôii vêtit
appeler l'attention des enfants sur
les qualités do l'intelligence, il est une carte de
l'atlas général qui m'a rendu des services et
que
je substitue automatiquement aux mots abstraits
comme :
entendement, esprit, talent,pénétration, etc.,
d'un emploi si fi'ëquënt. Si l'ùft dé Ces
mots së pré¬
sente dans une
discussion, instantanément surgit
dans ma mémoire le programme de
psychologie que
j'ai longtemps enseigné1, et sous chacun des titres
généraux, la mémoire par exemple, j'aperçois la
carte détaillée. De la sorte, aucun
point essentiel
ne reste dàhs l'ombre et de riches
associations
d'idées s'évéillëht. DiscUte-t-on de
l'intelligence d'un
enfant? Que se passe-t-il dans la pensée? La plupart
dlitemps, le premier venu des éléments multiples
de l'intelligence
s'émpat-e du champ de l'attention,
cachant les autres éléments.
Pafle-t-on d'édUCatiOn? Aussitôt la discussion
s'amorée au hasard des
préoccupations Ou dès
lectures. Sur cent articles écrits sur cé
il
sUjét,
èn est
quatre-vingt-dix-neuf dônt, manifestement,,
l'auteur a pris la plume sans avoir consulté la carte
du patjs. Chéz moi, le mot éducation fait
apparaître
automatiquement le triptyque : sensibilité, intelli¬
gence, volonté — et à chacUhë de cës cartes géné¬
rales së SUbslituént les cartes
particulières que je
me suis faitës.
(( sensibil té vive,
(
énergie faible.
(LièvredeLa Fontaine; hypocondriaques.)
f sensibilité vive.
'
d'exploration » des réalités sociales, dressées par
l'abbé de Tourville?
Je me souviens que, lors de mes débuts dans
remarque ou un éloge.
Donc, à la condition de n'attribuer aux cartes des
différents atlas qu'une valeur de classement pro¬
visoire, et de ne les considérer que comme des
mémentos, elles rendent des services inapprécia¬
bles ; elles abrègent le temps de la recherche ; elles
donnent à l'esprit aisance, liberté, par une économie
et par une meilleure utilisation de l'énergie.
CHAPITRE XI
RESSEMBLANCES ET DIFFÉRENCES
différence.
Nous n'insisterons pas sur cette catégorie. La
pensée par analogie est la plus répandue : elle est
la plupart du temps une forme de pensée inférieure.
Il n'en peut être autrement, car il a fallu de toute
nécessité mettre de l'ordre dans les données du
monde extérieur et, à cause de l'ignorance, cet ordre
fut artificiel et fondé sur les apparences superfi¬
cielles. L'homme inculte était entouré d'êtres qu'il
concevait comme analogues à lui-même : par exemple
les déchirures que lui faisaient les ronces de la forêt
étaient causées par des esprits mauvais désireux
de sucer son sang. Il vivait dans un rêve où tout
était animé : forêt, vent, des êtres
pluie, feu étaient
sournois, pleins de mauvaises intentions : aussi le
langage se remplit-il d'analogies déraisonnables, et
il est nécessaire de mettre en garde contre elles le
132 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
sens
critique et le tact des enfants. Il faut que la
comparaison s'exerce sur des réalités. Que l'on com¬
mence par les données d'un même sens :
que l'enfant
compare entre elles les diverses odeurs, les sons,
lescouleurs, les formes. Les marins reconnaissent
à l'horizon qu'un navire est un paquebot ou un
cuirassé. Les Indiens discernent la marche d'un
cheval à une grande distance.
L'association des idées par analogie étant la règle
générale, il s'ensuit que les esprits médiocres abon¬
dent en comparaisons superficielles. « Les bons
esprits voient les différences des choses, les esprits
superficiels supposent des ressemblances. » Le
calembour est le thalweg de ce genre
d'esprit, la
ligne d'écoulement la plus basse. Nous n'avons pas
à aider l'enfant dans la voie de ces
associations,
car rien ne lui est
plus naturel : le langage en est
formé comme le douzième du sol français est con¬
stitué par des
carapaces d'ammonites autrefois
vivantes. La tête elle-même tient son nom d'un vase
de terre cuite
(testa) et la pensée de l'acte de peser.
Aussi l'influence du maître s'exercera-t-elle sur¬
1. Bain.
L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
en a trouvé d'heureuses
qui ont fait beaucoup pour
le triomphe de la méthode expérimentale : « La
science est l'interprétation de la natuFe » ; les causes
finales sont des vestales vierges » et par consé¬
«
LE SENS DE LA CAUSALITÉ
1. Voir le
livre de lecture si
passionnante de M. Vidal de La
Blache, La France. Haclietle, édit.
145
MÉTHODES D'OBSERVATION
Daniel de
Foëqui a laissé un chef d'œuvre impé¬
rissable, Robinson Crusoë, et Swift qui a écrit Les
Voyages de Gulliver, sont d'une logique impeccable.
De chaque événement, quelque extraordinaire
LA LOI DE CAUSALITÉ
DANS LE MONDE MORAL
passé.
«
Quelqu'un commet une faute : il la commet
contre lui-même2. »
quête.
LIBERTÉ N'EST PAS ANARCHIE
Réalité dernière.
« L'homme ami du savoir est celuiqui, sans vou¬
loir s'arrêter opinions multiples et particu¬
aux
mus
des sentiments qu'ils croient avoir, tandis
par
que leurs véritables inclinations, par un refus
d'attention, sont exilées dans les régions obscures
de là conscience. C'est la méditation qui va chercher
ces
disgrâciés-pour leur, rendre le pouvoir.
D'ailleurs n'exagérons pas le danger de l'ori¬
LA SOURCE ÉTERNELLE
1. Ch.
Péguy, Victor-Marie, comte Hugo, dans les Cahiers de
la Quinzaine, p. 136, n° du 23 octobre 1910.
2.
Dugard, Emerson, p. 319. Librairie Armand Colin.
MÉTHODES D'OBSERVATION 167
enregistré.
VÉDUCATION ORGANISATRICE
comme
professeur principal la synthèse des ensei¬
gnements divers. C'est à lui que revient la tâche de
« réveiller les héros
qui dorment dans les hommes »
et de réunir en un faisceau de forces d'une unité
puis¬
sante les inclinations par elles-mêmes anarchiques.
Lui seul, centralisant les observations faites sur
un enfant par ses divers
maîtres, parents et sur¬
veillants, peut descendré jusqu'où le moi se con¬
fond avec autrui, jusqu'à la
nappe souterraine
commune à l'humanité,
nappe permanente à laquelle
les grands écrivains descendent
puiser.
LA VÉRITÉ PERMANENTE
Car si les
classiques demeurent proches de nous,
c'est parce que leur pensée s'abreuve à la source
éternelle. Une pièce de Hervieu, fondée sur les résul¬
tats d'un article du code, n'aura
plus de sens, la loi
changée. Au contraire, à cause de l'identité immuable
des réalités humaines, les
classiques italiens, anglais,
espagnols nous sont compréhensibles. Les belles
pages de Platon, de Marc-Aurèle, de Sénèque sem¬
blent écrites pour nous,
quoique les auteurs soient
morts depuis des siècles. C'est en
percevant l'iden¬
tité fondamentale des hommes
que les penseurs
prennent le sentiment d'une mission : ils trouvent
en eux-mêmes la vérité éternelle ; ils en découvrent
un
aspect nouveau et ils en enrichissent notre con¬
science.
C'est ainsi que les Millet, les Corot, les
Harpignies
nous
communiquent quelque chose de leur pieuse
admiration pour la nature. Poussin nous
apporte
l'apaisement et la sérénité de son interprétation.
Un grand poète nous ennoblit, nous pacifie.
172 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
I
fraternité : notre art et notre littérature s'en éloi- !
gnent à l'heure actuelle par la raison que la vie
sociale devient artificielle. « Le sentiment ne
peut
naître dans un homme que si celui-ci vit
pleinement
la vie naturelle et véritable des hommes... En
affranchissant l'artiste des conditions de la lutte
contre la nature pour
l'entretien de sa propre vie
et de celle des autres,
on le prive de l'occasion et
de la possibilité d'apprendre à connaître les senti¬
ments les plus importants et les
plus naturels des
hommes.
« 11 n'y a point de position plus détestable pour
la faculté créatrice d'un artiste
que cette sécurité
absolue et ce luxe qui nous apparaissent aujourd'hui
comme étant la condition du bon fonctionnement de
l'art1. »
Tout est là : partager la vie commune et dire
sincèrement ce que l'on éprouve. Platon et les
plus
grands des classiques, ont simplement écrit ce qu'ils
pensaient. Quiconque descend en lui-même, atteint
le grand courant universel des
pensées et des sen¬
timents communs à tous les hommes.
1. Rivarol.
2. .Essais choisis, Caractéristiques, trad. Barthélémy. Mercure
de France, éiïit.
L'APPRENTISSAGE DÈ L'ART D'ÉCRIRE
L'ORGANISATION DE LA PENSÉE
CHAPITRE XV
LA CULTURE DE LA RAISON
Jusqu'ici,
nous n'-avons
envisagé l'éducation par
la composition qu'en nous référant en quelque
sorte à l'enfant
capable d'un plein développement
humain. Nous avons étudié comment on doit con¬
cevoir la libération de
l'esprit de la triple servitude
qui l'opprime.
Il est
temps maintenant de considérer les élèves
tels qu'ils nous sont donnés, depuis les classes
primaires jusqu'au baccalauréat.
On
remarque aussitôt qu'on peut en
sorte faire passer
quelque
dans cette masse d'élèves un
plan
qui les divise en deux grandes couches
d'une part, la foule des élèves
inégales :
pressés par la néces¬
sité de
gagner de bonne heure leurvie, augmentée
de celle des élèves
d'énergie morale et intellectuelle
médiocre, et d'autre part une minorité d'élèves
intelligents et énergiques.
180 L'APPRENTISSAGE DÉ L'ART D'ÉCRIRË
à l'agrégation d'histoire et de
géographie (concours
de 191.0), le président, M. Jallifier, inspecteur géné¬
ral, écrit1 dans son appréciation sur « l'ensemble des
épreuves écrites » : i
D'autres défauts sont plus graves, car ils dénon¬
«
LE SENS DE LA PREUVE
génie est
un
puissant « réducteur » de la « folle du logis ».
Aussi est-il nécessaire que les esprits jeunes,
trop
aventureux, vivent dans l'intimité de la seréine rai¬
son des
grands génies harmonieux.
Mais comment, dans la pratique,
développer par
la composition française le sens de la
preuve? Rien
n'est plus facile. Voici un élève qui, dans un « dessin
libre » représente la légende antique : Damoclès est
servi par un domestique en livrée moderne, et
l'épée
est suspendue horizontalement sur sa tête ! Le devoir
est corrigé : le maître n'a relevé ni
l'anachronisme,
ni l'absurdité. Il est cependant aisé de faire redresser
de telles erreurs par un appel
aux élèves intelli¬
gents.
Un élève écrit : « La maison d'école est très
ancienne ». Faites trouver la preuve de cette vétusté *
ISS L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
a
esquivé la peine de les mettre au point. Ce qui
rend la chose
comique, c'est qu'il est dans la nature
des « exploités » d'admirer
toujours leurs « exploi¬
teurs », et que l'obscurité est regardée
comme de
la profondeur! »
Interdisons donc aux élèves, comme
malhonnête,
de se servir des
premiers mots abstraits qui leur
arrivent. Notons que ce sont
toujours ceux-là qui
se
présentent, les premiers, de par la loi du moindre
effort. Une phrase, relevée dans une
copie, peut
faire l'objet d'une leçon très intéressante. Donnons
un
exemple : « Les grands hommes honorent leur
patrie. » Il faut « concrétiser » cette phrase1, c'est-à-
dire faire en sorte que cette assertion sans preuves
porte en elle-même sa preuve.
LA PREUVE EN LITTÉRATURE
prouvez
pas! Voyons. Caligula honore-t-il les Romains? (Ici,
Armand Colin.
Universitaire, n° du 15 février 1898. Librairie
2. Du latin :
dilatare, étendre, allonger.
3. Une Victime du
Bavardage, dans Pages libres, n° du 24 août 1902»
LES CYCLES DE L'ORGANISATION DE LA PENSÉE 193
Cet
exemple saisissant emporte la conviction.
Pareillement, jene puis refuser mon assentiment
à l'affirmation
que le style de La Fontaine est
pitto¬
resque, quand on m'a lu quelques fables et
montré
« le héron au
long bec emmanché d'un long cou ».
Vous m'affirmez
que Marot est un poète gracieux ?
Lisez le Rondeau sur le bon
vieux temps ou citez dès
comparaisons comme :
Et m'ont mené, ainsi
qumne espousee, etc.
(Au roy pour sa délivrance.)
ou les jolis vers :
de la main de divers
maîtres, qu'en ceux auxquels
un seul a travaillé1 ». Il est touchant de voir
cet
honnête penseur accumuler les
preuves qui feront
accepter son affirmation :
Ainsi voit-on que les bâtiments
«
qu'un seul
architecte a entrepris et achevés ont
coutume d'être
plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs
ont tâché de
raccommoder, en faisant servir de vieilles
murailles qui avaient été bâties à d'autres
fins. »
Cette preuve
qui suffirait à des écrivains pressés
ne suffit
pas à Descartes. Il continue par
« de ces
l'exemple
anciennes cités qui, n'ayant été au com¬
mencement que des
bourgades, sont devenues par
succession de
temps de grandes villes, et qui sont
ordinairement mal compassées au
prix de ces places
régulières qu'un ingénieur trace à sa fantaisie dans
une
plaine... » Il passe ensuite à la
preuve par
les peuples
sauvages. « Ainsi je m'imaginai que les
peuples qui, ayant été autrefois
ne s'étant civilisés que
demi-sauvages, et
peu à peu, n'ont fait leurs
lois qu'à mesure que l'incommodité des crimes et
des querelles les
y a contraints, ne sauraient être
aussi bien policés
que ceux qui, dès le commence¬
ment qu'ils se sont
assemblés, ont observé les con¬
stitutions de quelque prudent
législateur. » Conti¬
nuant encore son
développement tranquille, il donne
en
exemple « l'état de la vraie religion, dont Dieu seul
a fait les
ordonnances » et qui est «
ment mieux
incomparable¬
réglé que tous les autres ». Puis arrive
l'exemple de Sparte dont les lois furent inventées
par un seul.
1 .^Discours de la
Méthode, 2e partie.
198 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
Il expose ensuite
que les « sciences des livres...
s'étant composées et grossies
peu à peu des opinions
de plusieurs diverses personnes, ne
sont point si
approchantes de la vérité que les simples raisonne¬
ments que peut f&ire naturellement un homme de
bon sens ».
une
tige, des fleurs et des fruits! « A cette
allure,
nous n'avancerons pas! » Les sots! ils refusent de
voir que l'éducation ne vaut
pas par ses produits
directs, qui sont les connaissances acquises, mais
par
ses
sous-produits, qui sont les habitudes acquises et
bien organisées : habitude
d'observer et de rai¬
sonner; esprit philosophique et
appétit de la preuve.
Nulle habitude n'a
plus d'importance que le besoin
de preuve, parce
qu'il implique la meilleure des qua¬
lités de l'esprit : le calme de
l'attention conscien¬
cieuse qui veut
regarder et bien voir. Sous l'ava¬
lanche de livres, de
brochures, de revues et de
journaux, dont le papier dépeuple les forêts de Nor¬
vège et de Sibérie, et qui menace d'étouffer l'intel¬
ligence des peuples civilisés, aucune éducation n'est
plus urgente que celle de l'esprit de la preuve. Au
siècle de l'électricité, la crédulité est
commune. Oui
pourrait dénombrer les niais qui consultent des
somnambules! Que de
gens prêts à enrichir les
charlatans qui leur promettent
qu'une drogue con-
tre-balancera des années de
confinement, de paresse
physique, d'excès de table ou de tares vicieuses !
Beaucoup de ceux qui placent leur argent consi¬
dèrent l'intermédiaire de Bourse
comme un
pro¬
phète, quitte à le maudire s'ils perdent. «
les intermédiaires de Bourse Pourquoi
affirment-ils?.. S'ils
expliquaient simplement, s'ils mettaient les faits
tout nus et tels
quels sous les yeux du client, les
éclairant de la lumière de faits semblables
et passés...
s'ils faisaient des réserves et
parlaient au condi¬
tionnel, le client porterait ses ordres à qui
sait
affirmer. Rien ne pèse autant
à l'homme que la
réflexion... Il n'y a
pas de commission que nous
200 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
donnions si volontiers,
parfois au premier venu,
que celle de vouloir pour nous »
La lecture des journaux est douloureuse
pour
ceux
qui voudraient un avenir meilleur 1 Avocats
d'un parti, placés en dehors des conditions de la
recherche de la vérité, les polémistes
n'essaient que
de « rendre probables des assertions sans nulle con¬
sistance et intrinsèquement bouffonnes ».
On revient à
un état
d'esprit analogue à celui du
moyen âge, dont la tare n'était ni l'ignorance, ni le
défaut de culture, mais un défaut absolu de sens
critique.
LA TRADITION DES GRANDS
FRANÇAIS
Que ne ferait-on pas de nos élèves français si
on les élevait pour la vérité! L'effort vers la
vérité
est vraiment la seule foi
profonde des Français
capables de sentiments supérieurs. Quelle splendide
tradition que celle qui va de
Montaigne à Descartes,
de Pascal, de Boileau, des
religieux de Port-Royal
et de Malebranche â
Montesquieu et à Buffon,
de Condorcet à Claude
Bernard, à Fustel de Cou-
langes, à Pasteur, à Duclaux, etc. « Allons droite-
ment et
honnêtement, comme des hommes qui sont
en plein jour et dont toutes les actions sont
éclairées s. » « La vérité est la première
règle et la
dernière fin des choses3. »
Rompons donc avec les déplorables enseigne¬
mentsd'hier, dont la rhétorique de Joseph-Victor
Leclerc est comme le bréviaire. Ne faisons
plus de
1. L'Or et la Spéculation, dans Revue de Paris, n° du 15 mai 1904.
2. BossuEt, Sur la Haine de là Vérité.
3- Pascal, Pensées^ frag-, 949.
LES CYCLES DE L'ORGANISATION DE LA PENSÉE 201
les principes
de la théologie, est un des fonde¬
ments essentiels et nécessaires de notre
foi », écrit
Bourdaloue. L'Eglise ne s'oppose-t-ellepas aussi aux
superstitions qui renaissent sous forme de spiritisme?
Les adversaires du libre examen sont de véritables !
nihilistes. N'avoir pas confiance en l'intelligence qui
cherche la vérité n'est-ce
pas refuser de croire que
l'ordre et la raison sont au fond des choses?
N'est-ce !
pas le scepticisme absolu? Nous croyons, au con¬
traire, que l'esprit, avec ses lois éternelles, est le
fonds même de l'Univers et
l'unique réalité. Com¬
ment, effet, ne pas constater que la perception
en
la plus élémentaire
suppose l'ordre? « Si la place
de chaque phénomène dans
l'espace et dans le temps I
nous paraît tellement déterminée
par ceux qui le
précèdent ou qui l'accompagnent qu'il nous soit
impossible de l'en ôter par la pensée, cette déter¬
mination nécessaire est sans doute
quelque chose
de distinct de nous,
puisqu'elle s'impose à nous et
résiste à tous les caprices de notre
imagination1. »
Cette nécessité qui est la loi de causalité forme le
fonds commun solide de l'Univers et de la
pensée
et les
distingue d'un rêve.
On le voit, la position des adversaires de la raison
est analogue à celle des esprits bornés qui pensent
que la notion de patrie ne peut supporter la discus
sion. Scepticisme dangereux, car c'est
professer que
la patrie est une croyance sans fondement
raison¬
nable! Étranges apologistes de la
religion de la
patrie que ces incrédules! En face d'un monde
qu'ils conçoivent comme désordre, anarchie et folie,
1. Lacheuer, Du Fondement de l'Induction, p. 51, 4" édit.
édit.
Alcan,
sg
sur notre
lumière, comme Diderot aux théologiens :
«
Égaré dans une forêt immense pendant la nuit, je
n'ai qu'une petite lumière
pour me conduire. Sur¬
vient un inconnu qui me dit : « Mon
ami, souffle ta
bougie pour mieux trouver ton chemin »
Cet inconnu se dit homme de tradition! C'est
parce que,de Socrate à nos jours, les penseurs et
les esprits laborieux ont refusé de souffler leur
petite lumière, que s'est consolidée la vraie tradi¬
tion, celle qui ne redoute rien du choc des disputes
et qui
prend comme devise, la devise cartésienne :
« Ne recevoir
,
jamais aucune chose pour vrai.e que
je ne la connaisse évidemment être telle. »
LE DEUXIÈME CYCLE
DE L'ORGANISATION DE LA PENSÉE
LA CULTURE ARTISTIQUE
I. Musée de Bâle.
LÊS CYCLES DE L'ORGANISATION DE LA PENSÉE 215
L'UNITÉ EN LITTÉRATURE
Us n'oseront
employer un mot abstrait comme
« transformés », mot de paresse, car il n'est pas
LE TRAIT CARACTÉRISTIQUE
Flaubert donnait à Maupassant de bons conseils :
«
Quand vous passez devant un épicier assis sur
sa porte, devant un
concierge qui fume sa pipe,
devant une station de fiacres, montrez-moi cet épi¬
cier et ce concierge, leur pose, toute leur appa¬
rence physique, contenant, indiquée
par l'adresse de
l'image, toute leur nature morale, de façon que
je ne les confonde avec aucun autre épicier ou
avec aucun autre concierge, et
faites-moi voir, par
un seul mot, en
quoi un cheval de fiacre ne res¬
semble pas aux cinquante autres qui le suivent et le
précèdent1. »
Être expressif et rester simple, cest le secret des
maîtres. Dans le désordre des réalités, ils discer¬
nent les éléments caractéristiques qui, groupés et
ordonnés par une intelligence lucide, donneront à
l'expression du sentiment une grande énergie d'évo¬
cation. L'artiste ne vaut que par la puissance de
simplification et il doit connaître l'art des sacrifices
nécessaires. Gela est vrai du théâtre, comme de la
poésie et de l'éloquence. C'est en simplifiant qu'on
met en lumière l'essentiel et qu'on
rend la vision
de la réalité « plus
saisissante et plus probante que
1. Guy de
Maupassant, Préface de Pierre et Jean. Ollendorff,
édit.
230 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
la réalité». Gomme le
vigneron, qui retranche les
pousses inutiles ou chétives pour doubler la vitalité
des rameaux à fruits, le bon écrivain sait
omettre :
talent précieux! Que n'eût
pas fait Lamartine s'il
n'eût confondu la force .avec la facile
abondance des
détails essentiels? Hugo n'est-il
non
pas insuppor¬
table quand il fait étalage d'une érudition aussi
encombrante que suspecte? Que de
fois, par inca¬
pacité d'éliminer des détails oiseux ou
ne détruit-il
pédantesques,
pas l'émotion naissante1?
Quel poète serait l'auteur de Booz endormi s'il
avait eu plus d'esprit
critique, de goût, d'esprit de
finesse !
Le choix
intelligent qui fait les grands écrivains
est aussi celui qui fait les hommes supérieurs.
L'homme supérieur n'est pas, comme
l'érudit, op¬
primé par ses souvenirs; il ne retient que les faits
d'importance et il laisse tomber les autres, faisant
:
de sa mémoire une construction ordonnée.
Munis de ce critérium, il
nous serait possible de
marquer dès maintenant pour l'oubli et la mort iné¬
vitables la plupart des écrivains
trop féconds de
notre
époque! Pour ne parler que d'un écrivain dis¬
paru, que l'on étudie la description du château de
la misère par
Théophile Gautier". On constatera
que pas une image n'est subordonnée à l'idée cen¬
trale : elles sont
juxtaposées et pour la plupart
inutiles ou mal adaptées. Au
contraire, quelle impres¬
sion d'abandon
sait^donner un véritable poète en
1. V. Hugo, Les Contemplations. Voir dans la
page sur la mort
de sa 1111e les vers commençant
par : « Vautour, fatalité », et
bas, les deux
plus
« joueurs'effrayants ».
g. Capitaine Fracasse.
LES CYCLES DE L'ORGANISATION DE LA PENSÉE 231
I. Tennyson, Mariana.
CHAPITRE XVII
PARTIE PRATIQUE
CHAPITRE XVIII
;
Mais une
pareille éducation, toute d'imprégna-
tion, demande des années et chaque année
!
de temps. Elle ne beaucoup
peut être l'œuvre de professeurs
différents, car elle exige la coordination des efforts.
Dans système d'éducation rationnelle, cette
un
œuvre à
longue portée sera dévolue à un éducateur,
déchargé d'un enseignement trop spécialisé et
comme
qui,
un
président du conseil sans
formera le lien des autres portefeuille, j
enseignements. Il agira
de concert avec les autres maîtres, uniquement j
j
occupé de chercher les idées essentielles des ensei- 1
gnements divers pour faire
converger sur elles les
efforts d'attention
pénétrants tels que les impose la
composition comprise comme elle doit l'être.
Il faut trouver du
temps. Rien n'est plus facile que
d'en gagner
beaucoup. Je laisse de côté la question
du latin. Il faudrait
pour la trancher, non des discus- !
sions, mais une vaste expérience et des
raisons entre élèves faites comme compa¬
une
expérience
scientifique, c'est-à-dire avec élimination des facteurs
subjectifs qui vicient les jugements. Seul un ministre
désireux de se
renseigner pourrait instituer une <
littéraireou morale
qui n'ait abouti en définitive à
une leçon de littérature ou à une leçon de
morale,
ajoutée à tant d'autres!' On a le sentiment que le
maître n'est à son aise
qu'au moment où, refaisant
lé devoir, il le rattache à des connaissances théo¬
riques bien classées. Soit le sujet : « Molière a été en
son siècle le
législateur des bienséances 1 ». Le profes¬
seur
justifie par des exemples l'affirmation de Vol¬
taire : les élèves écoutent. La démonstration
devient
une
leçon sur Molière.
Une leçon sur une
pensée de Vauvenargues « Peu
de gens ont assez de
fonds pour souffrir la vérité ou
pour la dire », devient une leçon de morale pleine de
tact et de pénétration, mais elle
s'ajoute aux trente-
deux ou trente-trois
leçons déjà faites dans l'année.
Aberration étrange! On ne vise
qu'à augmenter
les connaissances de
l'enfant, à l'instruire, c'est-à-
dire, en définitive, à remplir sa mémoire, et on viole
d'une façon inexplicable les lois
essentielles de la
mémoire et principalement la
plus importante qui
fait que la conservation d'un souvenir
est en fonc¬
tion du nombre de ses associations. En allant vite,
on
n'oblige pas l'enfant à incruster
le souvenir
que
l'on veut qu'il conserve, dans des rapports nom¬
breux, à le penser sous des aspects
multiples.
D'abord, on ne revient
plus sur un devoir fait.
L'élève doit revoir
copie, et on le prie de la
sa
I Voltaire.
PÀRtiE PRATIQUE 249
du temps de Voltaire
déjà le système de correction
:
était celui que la majorité des
professeurs emploie.
Une telle ténacité dans la routine se
comprend si
l'on se rend compte que nos
professeurs n'ont jamais
été appelés à critiquer leur
pratique et qu'ils font
ce qu'ils ont vu faire
pendant les années de leur
scolarité. Condamnés au régime
-cellulaire, rare¬
ment conseillés par leurs
inspecteurs, ils ^acceptent
la routine professionnelle et ils n'ont aucun moyen
de s'en dégager C'est de cette façon que se trans¬
mettent de génération en
génération des exercices
tels que la dictée. Comme moyen
d'apprendre l'ortho¬
graphe, ce chef-d'œuvre d'absurdité et d'ignorance
psychologique régnait incontesté et vierge de cri¬
tiques jusqu'à la démonstration qui l'a ruinée.
Un progrès cependant a été réalisé
depuis les
premières critiques que j'ai faites de l'enseignement
de la composition française tel
qu'il était unani¬
mement pratiqué vers 1894.
Beaucoup de maîtres
cessent de faire
l'exposé des fautes et des qualités
au hasard des
copies. Ils se donnent une peine con¬
sidérable pour en tirer un plan du
sujet : exercice
assez vain, car un
plan fait par le maître s'adresse
encore à la mémoire de l'élève
qui reste passif, ne
contribuant à l'ensemble que
par l'idée qu'on lui
emprunte. On comprend maintenant qu'un plan fait
1. R.
Dufor, Bulletin de r Académie de Toulouse, n° du 15 mars 1909.
2.
Ducros, doyen de la Faculté des lettres d'Aix, Rapport
annuel, 1912.
PARTIE PRATIQUE
« Les correcteurs de la
composition française se
plaignent unanimement de la faiblesse de cette
épreuve. Peu d'idées, peu ou pas de méthode dans
l'exposition; fautes d'orthographe nombreuses et
grossières; peu ou pas d'accents; absence presque
complète de ponctuation'. »
Le directeur de l'école normale supérieure apprécie
ainsi la composition au concours d'entrée de 1908 :
Les uns se sont bornés à paraphraser le
«
texte,
sans rien accentuer, sans rien
expliquer, révélant à
la fois la faiblesse de leur culture générale et la
débilité de leurs facultés d'analyse.
D'autres se sont hâtés de saisir un aspect du
«
1.
Rapport du doyen de la Faculté des lettre» de Toulouse,
Revue Universitaire, n° du 15 novembre 1B11.
L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ECRIRE
struire un édifice nouveau en
commençant par la
base. »
Il fait
quelques citations inquiétantes : « La pro-
« bité servile du savant. » « La vérité des faits n'est
«
qu'une vérité conventionnelle. La
« vraie que la
» «
poésie est plus
Science, en ce sens qu'elle satisfait
« mieux nos tendances. » Ces formules et d'autres
semblables se retrouvent à
chaque page dans nos
compositions, sans qu'on puisse
soupçonner leurs I
auteurs d'avoir voulu énoncer
des paradoxes.
M.
Bompard, dans le rapport cité, fait une
S
remarque aussi pénible. Le sujet était : « Le
trait de Charles /", por¬
tel que Bossuet l'a tracé, est-il
exact? Les candidats ne
songent pas à se le
demander. Ils ne voient dans le
texteque des
images, des mots, des effets. Ils ne montrent pour
, le sens —
pour la réalité de l'indifférence. »
—
que
Même à
l'agrégation des sciences physiques,
les candidats
ont «
l'indifférence et même le
mépris pour les données et résultats
qui représentent des réalités. Tant
numériques,
que les candi¬
dats travaillent sur des
symboles, tout va bien;
«
Beaucoup d'entre eux considèrent le travail de
laboratoire comme d'un faible rendement au
point
de vue de la
préparation de l'examen. Ils ne se
doutent pas de ce qu'une expérience personnelle
ajoute de netteté et de précision à la connaissance
d'un phénomène et comment,
pour le correcteur, un
mot auquel ils n'attachent eux-mêmes
que peu
d'importance, suffît à déceler l'origine et la sûreté
de leurs connaissances2. »
L'éparpillement, exclusif
de tout approfondisse¬
ment, n'est-il pas proposé à nos futurs professeurs,
dès les débuts de l'école normale
supérieure, comme
la culture par
excellence? « Chaque maître a con¬
sacré ses premières leçons à nous donner des biblio¬
graphies : philologie grecque, philologie latine,
histoire ancienne, littérature
française, etc. Chacune
de ces bibliographies
représenterait, à elle seule, un
effort colossal pendant les trois ans
qui nous
séparent de l'agrégation. » Jugez du désarroi d'un
jeune homme qui arrive avec la foi dans ses
maîtres! Comment pourra-t-il se
reprendre après
ces leçons démentes? Ne conseillent-elles
pas le
travail au galop, la médiocrité
superficielle, la dis-
1. Fabry, Impressions d'un examinateur sur le concours
d'entrée à l'école normale
supérieure, dans le Bulletin de l'Union
des Physiciens, n° de
janvier 1911.
2. Concours de 1908.
de l'abstraction. »
.
264 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
COMMENT FAIRE?
LA CORRECTION A DOMICILE
complète en classe.
« Hélas 1 Latham descend. Il devient de plus en plus
incident ce
réfléchir, et pour faire « rendre » à cet
qu'il contient? Les élèves ont compris clairement
le danger de mort permanent qui menace les avia¬
teurs. Il serait donc logique, pour une jeune fille,
de penser aux mères, aux femmes, aux sœurs, aux
filles d'aviateurs.
le moment de pénétrer plus à fond
N!était-ce pas
dans l'analyse des sentiments que nous éprouvons
en
présence des aviateurs? Nous ne pouvons un
seul instant oublier qu'ils risquent la mort, pis que
cela, d'horribles mutilations, des blessures atroces.
Quand ils s'envolent, notre enthousiasme n'est pas
seulement fait de la beauté de leur aisance et de
leur victoire sur la pesanteur asservissante, elle est
faite surtout de la beauté de leur héroïsme, car eux
aussi ils savent, que nous, ce qui peut arriver,
mieux
et cependant ils s'envolent. C'est leur vaillance
tranquille qui fait notre enthousiasme teinté de
peur, d'anxiété tragique.
L'analyse ainsi faite en commun, nous pren¬
drons tous ensemble la plume. Dans une classe de
jeunes filles intelligentes et déjà expérimentées, le
paragraphe deviendrait quelque chose comme ceci :
« Subitement, Latham cesse de poursuivre le biplan
qui fuit dans l'azur. Il semble redescendre. Oui,
certainement, il descend : 1' « Antoinette » devient
plus distincte. Bientôt même, on aperçoit Latham.
Quelque chose d'imprévu se passe. Une sourde
anxiété étreint tous les cœurs. Qu'y a-t-il? Le
moteur, qui, au départ, ronflait avec une puissante
régularité, fait entendre des détonations précipi¬
tées, qui inquiètent tout le monde. Bientôt la chute
devient vertigineuse. L'hélice s'arrête et peu s'en
282 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
LE TRAVAIL A UtlTUTiE
«
N'y a-t-il pas là une besogne susceptible de tenter
les maîtres intelligents et dévoués? »
C'est qu'en effet, l'élève a besoin d'aide : d'une
aide instantanée, comme le touriste novice qui
franchit un passage dangereux, d'une aide adaptée
à sa personnalité. Il lui faut donc le contact direct
à l'étude, le sbcours toujours prêt. Que de décou¬
vertes précieuses peut faire un professeur dans co^
séances de direction spirituelle et morale ! Quelle
se heurtent et se chassent1 ».
Mais il faut l'effort soit consciencieux.
que
« Mettez-vous à écrire quelque chose de court, mais
écrivez, écrivez... jusqu'à ce que vous arriviez bel et
bien à la fin2... »
CROQUIS ET SIIfCÊMTB
ORDRE ET CLARTÉ
Nous ne
pouvons insister : on trouvera, dans les
livres des directeurs de conscience
catholiques qui
ont exercé une influence
.profonde, d'admirables
modèles de méditations. Nous
renvoyons à l'exemple
tiré de Manrèse 3. Toute
fructueuse doit
préparation
remplir double condition : une vue nette de la
une
fin à réaliser, une attention
patiente et persévérante
orientée vers cette fin et tendue
pour la recherche
Comme le
voit, par quelque côté que nous
on
DE LA LECTURE
1. Concours de 1907.
313
PARTIE PRATIQUE
LE STYLE
nuent à les
employer mortes et comme pétrifiées :
avoir maille à
partir avec quelqu'un, c'était avoir
à partager la
plus petite pièce de monnaie, comme
si aujourd'hui, nous disions «
partager un centime »
—
chose impossible.
Battre comme
plâtre, tirer à boulets rouges, etc.,
sont des
imagés usées qu'un écrivain original refuse
d'employer.
Pousser des cris d'orfraie,
etc., sont des images
pour paresseux, comme un mouvement qui se
dessine,
un rôle très creuse', etc.
Nos élèves écrivent naturellement dans ce
style
banal, où reviennent les prairies émaillées et la
robe blanche de l'innocence.
Qu'on analyse, à titre
d'exercice, le style des trois premières pages d'un
roman d'un futur
académicien, et l'on comprendra
en quoi consiste un
style « usé »
C'est d'ailleurs dans ce
système d'images mortes
qu'écrivent nos romanciers à la mode, et l'Académie,
quand elle couronne des œuvres, semble avoir un
faible pour le style
insignifiant et convenu2.
Le style banal étant la
conséquence de la paresse
d'esprit, les associations habituelles, qui sont celles
du métier, y prédominent.
Il y a un style, militaire
qui procède par affirma¬
tions énergiques,
dépourvues de preuves.
Il y a un style médical
qui, par l'étalage de
néologismes pédantesques, cherche à faire illusion
sur l'ignorance des choses et la médiocrité des
1. H.Bordeaux, La Neige sur les Pas. Pion, édit.
2.Qu'on lise attentivement une
description dans l'Élève Gilles
par André Lafon, Perrin,j édit.,
ouvrage couronné par l'Aca¬
démie française.
partie Pratique 321
le comprenons plus.
Que de jeunes poètes écrivent au courant de la
plume et ne progresseront jamais parce que, seul,
l'effort énergique pour caractériser assure le renou¬
vellement de la pensée. En voici un qui chante la
Méditerranée :
NÉOLOGISMES
Une
dame, dans un roman, se plaint que son
mari lui parle pas à table : « Il
ne
mange tout le
temps sans desserrer les dents. » Un autre écrit
que « la platitude atteint ici son point culminant. »
Un critique déclare que « Pascal tire sa
langue du
fond de son cœur ».
Mais d'autres
catégories d'écrivains tendent aussi
à pervertir le nerveux langage français créé par le
clair génie des
classiques. Tels les sentimentaux,
chez qui la pensée n'a
pas évolué jusqu'à devenir
«
Apprendre le français, cela n'est point facile. Il
ne fois sur dix de dire exactement
m'arrive pas une
ce que je veux dire. Le choix des mots, la place des
a
qu'un petit nombre de mots qui soient clairement
définis, mots de géomètre, de physicien, de chi¬
miste, mots de maçon, de menuisier, de serrurier.
Mais qu'est-ce qu'harmonie? Qu'est-ce que
courage?
Qu'est-ce que prudence? Qu'est-ce que lâcheté?
Qu'est-ce que délation? J'entends bien que vous
savez traduire tous ces mots en
anglais, en allemand,
en russe, en
italien, en espagnol, en chinois, en bre¬
ton, en basque, et en espéranto. Mais cela ne m'ins¬
truit guère. Et ce ne sont toujours là
que dix
manières pour une de parler sans savoir ce
que je
dis '. »
LA CULTURE
FRANÇAISE
Passer du mot à la chose et de la chose au mot,
c'est ouvrir les yeux, observer, comparer;
c'est le
travail de l'écrivain et du penseur.
C'est pourquoi il
est impossible d'écrire dans une
langue étrangère,
car notre
langue constitue notre forme de penser,
notre état d'âme; elle est le résultat de cet ensemble
de qualités et de défauts
qu'on appelle la culture
française. Jamais une langue étrangère ne peut
émouvoir en nous la puissance instinctive
qu'éveil¬
lent les mots populaires que nos
grand'mères et
nos mamans nous ont
appris, et où sont condensés
nos
chagrins d'enfants, nos joies, nos craintes, nos
espoirs... Nous avons reçu certains mots de paysans
observateurs, de marins, de soldats. Il en est qui
nous sont venus avec des
légendes douces ou ter-
1. Alain, Pages Libres, n° du 20 juillet 1907.
PARTIE PRATIQUE 337
classiques.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.
Nos
classiques ont enrichi la langue d'alliances
heureuses de mots :
Racine admirait
l'emploi par Corneille du mot aspirer
qui évoque l'idée de s'élever :
Sortez du
«
temps, dit Bossuet, et aspirez à l'éter¬
nité. » Ces trouvailles font la force du
style et elles
sont la récompense naturelle de l'énergie d'une
attention qui se donne toute à son œuvre.
IMAGES ET ÉPITBÈTES
Le choix des épithètes et des images demande
aussi du soin. Rien n'est plus
individuel, car elles
dépendent de la personnalité : un visuel n'a pas
celles d'un auditif ou d'un
musculaire, ni un sen¬
timental celles d'un géomètre. Elles jaillissent des
associations habituelles.
La règle qui régit les images, les comparaisons,
les métaphores, c'est qu'elles doivent être logiques.
Il est vrai que rien n'est si facile
que de tourner en
ridicule des images poussées à
l'excès, mais une
image poussée est unè image qui a un développe¬
ment étranger au sujet.
L'esprit assoupi de l'écri¬
vain oublie que
l'imago doit être rigoureusement
subordonnée à la pensée qu'elle illustre et si elle est
trop poussée elle est illogique parce qu'une tumeur
340 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
de la métaphore excessive!
l'origine de toute image fausse, on trouve le
A
sommeil de l'attention. De même que pour faire de
l'eau, l'étincelle électrique doit opérer la synthèse
de l'hydrogène et de l'oxygène, pour faire une
pensée complète l'esprit doit par un acte d'énergie
faire la synthèse de l'idée et de l'image. Si l'image
n'est pas fondue dans la pensée de façon à faire
corps avec elle; si elle reste à l'état d'élément dis¬
tinct, c'est que l'énergie de l'esprit n'a pas atteint
le degré d'intensité auquel s'opère la synthèse des
deux éléments. L'idée et l'image, juxtaposées, ne
sont pas plus de la pensée que l'hydrogène et
ENSEIGNEMENTS AUXILIAIRES
quoi.
La physique, qui est la plus admirable des sciences
éducatives, peut rendre des services éminents pour
la précision du langage. Des élèves, même sérieux,
font, par ignorance du français, des confusions
fâcheuses : l'un emploie tout de travers les mots
pensée possible1 ».
Ce qui frappe dans l'enseignement d'un profes¬
seur d'élite, c'est la précision
qu'il exige des élèves
dans leurs réponses, l'application qu'il apporte à leur
faire trouver le terme propre, le mot exact. Tout ce
que l'étude des sciences naturelles peut donner à
l'ésprit d'ordre rigoureux, de finesse d'observation,
de perspicacité, il le tente. Par dès descriptions où
l'essentiel est dégagé de l'accessoire, par des rap¬
prochements, des oppositions, des distinctions de
détails, des analogies, il donne aux élèves l'idée de
ce qu'est la vraie méthode scientifique.
spiritualité supérieure.
Rappelons les principes directeurs qui, organisés
par l'habitude en instincts, nous donneront un tact
presque infaillible pour nous guider dans le choix
des sujets.
Les éducateurs sont les Vestales qui entretiennent
le feu sacré : leur mission est de maintenir dans sa
PARTIE PRATIQUE
plexité.
Être libre, c est obéir aux lois des choses pour les
incliner habilement dans le sens de notre volonté.
La liberté la plus haute n'est pas celle de l'imagina¬
tion déréglée, qui n'est que folie : elle consiste à
insérer habilement l'action dans la réalité, qu'il faut
connaître : aiguiser les sens, cultiver l'esprit d'ob¬
servation des choses du dehors et du dedans; for¬
tifier l'esprit de causalité, créer un besoin de preuve
aussi fort qu'un instinct, tels sont les principes
d'une éducation libérale.
Ils se résument dans la culture de la raison, dans
le développement d'un appétit robuste pour la vérité.
Que l'inexactitude, l'exagération, le mensonge
produisent écœurement et nausée, comme ferait un
aliment pourri. Que l'habitude de l'arôme sain et
leurs propriétés.
II. Sujets concernant les esprits et leurs
—
états de conscience.
III. —
Sujets concernant les rapports de res¬
semblance ou de différence.
IV. —
Sujets tendant à développer le sens des
rapports de cause à effet.
a) dans le monde extérieur.
b) dans le monde intérieur.
Naturellement, le maître, à propos de n'importe
quel sujet, ne perdra jamais de vue la nécessité
d'aider les enfants à organiser leur pensée
en faisant
de tout exercice un
aiguisement du sens logique,
un affinement du sens de la vérité et de la preuve,
une culture de la raison. D'autre part, il leur
communiquera sa propre répugnance pour le bavar¬
dage, pour la curiosité vulgaire et puérile, et il
saura les habituer à donner à tout ce
qu'ils font un
364 L'APPRENTISSAGE DE L'ART D'ÉCRIRE
leurs propriétés.
Dans tout sujet, deux moments se succèdent :
1° l'analyse aussi poussée que possible des don¬
nées de chaque sens ;
2° la synthèse et le choix, l'organisation par une
idée ou sentiment directeur.
par un
La tâche du professeur de composition française
et celle du futur écrivain serait considérablement
ou sourd et
aveugle. Au besoin, on pourra — et cela
amusera
beaucoup les enfants — leur bander les
yeux pour leur faire analyser, par le toucher, un
corps inconnu d'eux, fruit exotique, corps emprunté
au
laboratoire, tissus nouveaux. On peut faire la
nuit et le silence pour
l'analyse des bruits du vent,
de la pluie, d'un orage, pour décrire un «
paysage
d'aveugle » surtout sonore. On peut imaginer un
paysage olfactif et en trouver les éléments. On peut
se
supposer réduit à l'état de Miss Helen, privée de
la vue, de l'ouïe, de l'odorat, et étudier un
paysage
d'été ou d'hiver réduit aux données du tact et de la
température.
L'Univers étale sa beauté, mais, faute d'éduca¬
tion, la plupart passent indifférents devant tant de
splendeurs. Que d'exercices d'observation pour¬
raient contribuer à
développer la capacité d'émo¬
tion et d'admiration! La
description des fleurs, la
recherche du caractère essentiel de chacune d'elles
et la comparaison les autres
avec ; les arbres, dont
chacun à beauté propre,
sa
depuis le chêne robuste
et tourmenté jusqu'au bouleau
argenté, si élégant,
Partie pratique 361
; »■
Admiration Dureté (agres¬ Grandeur d'âme Pusillanimité
i
Amour-propre sion) Gourmandise Remords
I Amour Discorde Gloutonnerie Repentir
Avidité Douleur Humilité
1 Angoisse Recpnnaissanee
Désir Haine Regret
! Avarice Dédain Hardiesse Rire
Allégresse Désolation Honte
■
Sécurité
Audace. Dégoût Indignation Satisfaction de
Abjection Estime Irrésolution soi
:
.
CONCLUSION
dans la masse nagent des blocs qui ont tous les degrés
de consistance entre l'état solide et la fluidité parfaite.
/
CONCLUSION 383
l'exercice aguerrira.
Susciter l'ardeur conquérante de l'esprit, mais
pouvoir de retenir l'affirmation, d'attendre
fortifier le
la clarté de l'intuition avant de juger.
Susciter l'élan, même fougueux, mais veiller à ce
que l'esprit demeure lucide, la volonté maîtresse
d'elle-même, en état de liberté armée.
Contradictoires en apparence, ces deux attitudes
reviennent à l'éducation de la volonté, c'est-à-dire
de l'attention.
L'attention est infidèle et
instable, éphémère,
cependant c'est le degré d'énergie et de persévé¬
rance dont elle est capable qui distingue les sages et
Préface .
LIVRE I
LES PRINCIPES
l'éducation 5
Programmes déraisonnables . . . 6
L'invasion 8
Désastreuse suppression de Port-
Royal 9
La culture superficielle 14
Les méfaits de l'internat 18
Et nos 368 muscles? .
20
Les premières leçons de la vie . . 22
La triple servitude 28
—
III. — La triple servitude 28
La dérive 28
L'automatisme 29
Les bienfaits du mot 32
t La félonie du mot 35
—
IV. — Comment libérer l'esprit?. ... 42
L'attention, outil de la libération. . 43
Ce qu'est un esprit libre 47
392 TABLE DES MATIÈRES
LIVRE II
METHODES D'OBSERVATION
Chapitre VI. — Les objets extérieurs et leurs
propriétés 74
Carte dès données des sens .... 76
Usages de la carte 77
Savoir observer, source de bonheur. 85
—
—
X. — La carte des sentiments. .... 111
Esquisse des sentiments 113
Entrez dans l'âme du personnage. . 119
Élargissement de la sympathie . . . 124
Autres cartes 126
—
XI. — Ressemblances et différences. . 131
—
LIVRE III
LIVRE IV
PAJ(TÎE PRATIQUE
CiiapitkeXVIII.—Les économies nécessaires. . . . 243
Critique des pratiques actuelles , . 247
394 TABLE DES MATIÈRES M
Insuffisance de l'enseignement actuel. 252 S*
Jamais une expérience! 263
Chapitre XIX. — Comment faire? 266
La correction à domicile ..... 266 .
à
f