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Armand Colin

FRAGMENTS D'UNE CRITIQUE DU RYTHME


Author(s): Henri Meschonnic
Source: Langue Française, No. 23, poétique du vers français (septembre 1974), pp. 5-23
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41557679
Accessed: 26-10-2015 06:42 UTC

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Henri Meschonnic, Paris-VIII, Vincennes.

FRAGMENTS D'UNE CRITIQUE DU RYTHME

Peut-oncommencerpar définir ?
Les tensionsen tous sens circonscrivent la multiplicité
des travauxsur
le vers.Ou ils sonttechniques, et ils éludentles problèmesgénérauxdu lan-
gage dont ils présupposent une solution,ou ils sont perdusdans un vague
et dans des erreursqui les déconsidèrent.
Après les travauxhistoriqueset phonétiquesdu début du siècle, les
étudespré-structuralistes des formalistes russeset les applicationsdu struc-
turalisme, les travauxles plus récentsviennentsurtout, d'une partdes mathé-
maticiens,de l'autre,de la linguistique générative, - et des deux domaines
soviétiqueet anglo-américain. A la relativecarencethéorique(et au retard
avec lequel ont été reçus,ici, les formalistes - à peu près le même retard
la
que pour psychanalyse), correspondune carencegrandissante de l'ensei-
gnement. Du secondaire au supérieur, les éléments du rythme,autanten
languequ'en poésie,semblentde plus en plus délaissés.Commeon a cessé
un jour de fairefairede la poésielatine,on a pratiquement cessé de « faire»
de la versification. Cette désuétudeest parentede celle qui a frappéla
rhétorique.Elle provientde l'inadéquationde l'enseignement de la langue
et de la littérature au mouvement contemporain de la littérature,
et à celui
de la linguistique. Si celui-cia faitbeaucoup de chemindepuisSaussureet
la grammaire scolairetraditionnelle, tous deux n'ontpas encoreréaliséleur
rencontre pour renouveler le rapportdes deux enseignements. Ainsile théo-
rique et l'empiriquesont coupés Гun de l'autre.Le secondaireattenddes
formulespour enseignerun théoriquedont il ne comprendpas la multi-
plicité.L'enseignement a besoin de discursivité, non de contradiction : il
n'estpas dialectique.Cettesituationest déjà ancienne(voyezValéry,Œuvres,
éd. Pléiade I, p. 1079). Elle caractérisenotrecivilisation actuelle: Lotman,
en U.R.S.S., s'en plaintaussi. Le structuralisme lui-mêmea déjà passé sa
phaseproductive, et ne montreplus que ses manques,autantpour la théorie
de la syntaxeque pour la théoriedu sujet et de l'histoire.Un linguistene
peut plus se cacherqu'il échoue devantla poésie. Le désarroise reconnaît
commeune « transition » vers ce qu'on ne connaîtpas, et qui confronte
aujourd'huiles théoriespsychanalytiques avec celles du matérialisme histo-
rique et dialectique.C'est le problèmedu rapportentre l'empiriqueet le

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théorique,dans l'illusionque la théorieoù nous sommesest plus théorique
que la précédente.On montreplus loin qu'il s'agit souventd'un empirisme
qui s'est seulementdéplacé.

La poétiqueet le langagepoétique
La poétiquea suivi,depuisles formalistes russes,un trajetqui a semblé
fondrela poéticitéet la littérarité (voyez « Qu'est-ceque la poésie » de
Jakobson, dans Questionsde poétique) la compréhension
, élargissant du poé-
tique au-delà de ,1a poésie, mais au bénéficede la (plutôtd'une) poésie,
et en gardantun privilègede faitaux textes« poétiques». D'où une indis-
tinctionnouvelleentrela poétiqueet le poétique,parallèleau travailmême
de la littérature contemporaine, et culturelle-datée.
Cet élargissement a permis
de poser les problèmestechniquesdu vers sur le terrainde la théoriedu
langage.Ce gain épistémologique a eu pourtantdeux conséquencesqui déter-
minentchacuneun blocageréflexif : successivement l'inclusionde la poétique
dans la linguistique (chez Jakobson),inclusiond'abordnécessairemais dont
les limitations ne peuventplus nous,arrêter(l'absencedu sujet et de l'his-
toire); et l'inclusionplus récentede la poétiquedans la sémiotique(Lotman,
Greimas,etc.), où le présupposéque la poésie se fait avec des signes-
le signeest l'unitéde la sémiotique- est contreditempiriquement. Car le
poème serait traduisibledans sa proprelangue,et il ne l'est pas. Cette
constatation simpleproduitun cercle vicieux,masqué par l'idéologiede la
sciencequi a remplacél'ancienscientisme positiviste: le retourà une expli-
cationde la poésie par la déviation,le surplus , qui nous reporteà la vieille
esthétiqueornementale, formelle.Ainsi le formalismese refermesur un
formalisme qui lui est antérieur,parce qu'il le contenaitencore.Parallèle-
ment,la philosophiea essentialiséla poésie, l'enfermant dans une auto-
allégorieoù elle est hors-langage tout en étantl'essencemême du langage.
Ainsi la poésie échappeà tous les ordres,que ce soit l'ordrephilosophique
ou l'ordrestructural-sémiotique. Non qu'il s'agissed'attraperla poésie,mais
de la comprendre et de l'enseignercommepratiquedu langage.On a cru
la saisirdans l'émotion,puis dans la motivation. Mais la sémantiquen'en est
plus à Empsonni à Valéry.Le structuralisme, n'ayantpas une théorieassez
puissantedu sens(par absenced'unethéoriede l'énonciation et de l'idéologie),
a besoinde la notiond'ambiguïté , qu'il nourritde cohérenceet de complexité
structurelle, mais cettenotiona troiscorrélats: l'immanentisme par clôture
du texte,l'essentialisme, enfinun phénoménologisme dégradéoù réapparaît
le sujetcensuré.Une tellenotiona mené à une grammaire de la poésie.

La poésie et le vers

Langage poétique,langageversifié: les deux termesnous confondent


plus qu'ils ne se confondent. PourtantAristoteavait posé, mais déjà expli-
citementcontre une opinion inverseet répandue,que le vers n'est pas
la poésie : « Il est vrai que les gens,accolantau nom du versle nom de
oi áv0p6>7cot
poésie... 7uXy)v ye auvdcTZTOvTeç тф fjtixpqptò 7toieïv» (Poéti-
que 1447 b, traduction éd. Budé). Mais il n'a pu le dire que dans et par sa

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systématique, et ce qui n'avaitde sensque là s'estperdu.Toute notrehistoire
culturellelie indissociablement le vers et la poésie. P. Guiraud note1 un
changement de définition du mot poésie, du Littréau Robert.Pour Littré:
« Artde fairedes ouvragesen vers », et, Absolument« Qualitésqui carac-
térisent les bons vers,et qui peuventse trouverailleursque dans les vers» ;
Robert: < Art du langage,visantà exprimerou à suggérerquelque chose
par le rythme(surtoutpar le vers),l'harmonieet l'image.» Si la compré-
hensionest plus précise,l'extensiondemeurela même. La notiond'art du
langage ou d'art verbal renvoie à celle de mimesis , avec les difficultés
aujourd'huid'importercettenotion.On aperçoitvite qu'il ne s'agit là que
de parallélismes,compriscomme des « artifices» (Guiraud,p. 62). On
retombesurla question: de quellenormeces artifices sont-ilsles < figures» ?
Une rhétoriqued'avantVico. On dit : с A la limite,la poésie peut fort
bien se passer du vers » (Guiraud,p. 95). On veut connaîtrecettelimite.
Tout ce qu'on peut en savoirc'est qu'elle seraitune с hypostasedu signi-
fiant» (ibid.,p. 55). Propositionqu'on essaieraplus loin de situer.En fait,
la métriqueétantdéfinie« un répertoire des rythmes poétiquesen puissance
dans la langue » (ibid., p. 48), et le mètre« le fondement du rythme»
(ibid., p. 49), la distinction entrela poésie et le vers n'est plus possible.
Une circularitéréelle est à l'œuvrederrièrela distinction verbale.
La versification est-elleparvenueà définirle vers? Suffit-il de poser
que le versfrançaisest « syllabique,riméet césuré» (Guiraud,p. 11) ? Pour
Elwert1 : « Il n'y a qu'un seul critère: le comptedes syllabes» (§ 154).
Pourtantil groupeles vers « d'après leur structure rythmique et leur rôle
historique» (ibid.). Lote écrivait: с La régularitémétriqueest un mythe
dontil seraittempsde débarrasser les manuels» (cité par Spire3,p. 465).
Spire ajoutait: « Les syllabesd'un alexandrin,toutesdifférentes de durée,
d'intensité, de hauteur,de timbre,ne sont identiquesque de nom » (Spire,
ibid.).Si on constatela stabilitédu principesyllabique,c'estpour la corriger
par son insuffisance. La versification françaiseserait donc syllabiqueet
с mi-accentuelle ». Quand on ne se satisfaitplus d'une définition formelle,
on tombedans des définitions sémantiquesvagues : le vers est une « unité
d'attention... ».
Il sembledonc que seule une conceptualisation d'ensembledu travail
du langagequi a lieu dans le poèmepuissedéfinirles unitésde ce langage,
par l'examen de ses élémentslinguistiqueset non linguistiques, intégrés,
commeils étaientintégrés chez Aristote, mais dans notrehistoricité.

des idées sur le rythme


Changement
Les idées reçues peuventvarier,s'opposer,depuis le rythmeordre-
(sur fondde clarté,raisonet géniede la langue),jusqu'au
équilibre-harmonie
rythmeémotion-rupture (sur fond d'alchimie-métamorphose), elles consti-
tuentensembleun barrageà l'étudedu rythme dans la poésie,par l'alliance
des subjectivismes
et de la pressionidéologiquecollective.Il est révélateur

1. La versification
, P.U.F.,p. 46.
2. Traitéde versification
françaisedesorigines
à nosjours,Klincksieck,
1965.
3. Plaisirpoétiqueet plaisirmusculaire,
Corti,1949.
7

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du domainefrançaisque les livresde Grammont(de 1904 et 1908), aux
nationscontestées et infirmées depuiscinquanteans,continuent d'êtreréédités,
alors que des ouvragesfondamentaux plus récents (Spire,Lote) sont épuisés,
et qu'aucunesynthèse nouvellen'estapparue.Ils perpétuent alors le fantôme
d'une éruditiontrompeusequi sévit, répétantses barres de mesure,ses
notionscontrouvéesde vitessedu trimètre, d'isochronie(c La durée de
chaque hémistiche est la moitiéde la durée totale ». Petit traité ..., p. 51)
et qui répandcommeune évidence: « Le rythmeest constituédans toute
versification par le retourà intervalles sensiblement égauxdes tempsmarqués
ou accentsrythmiques » (ibid.,p. 49).
Si une telle notion,privilégiant le Même, a pu régner,on peut poser,
avantd'en arriverà son originephilosophique, que c'est peut-être par une
exigenced'universalité. Il ne pourraity avoir qu'une théoriedu rythmeet
une seule pour tous les rythmes dans le tempset dans l'espace,cosmiques
et humains.On montreplus loin les implicationsde ce primatcosmique.
Il sembleque le résultatempiriqued'un tel présupposésoit de réduirele
linguistique à l'extra-linguistique,et plusparticulièrement pouravoirun déno-
minateur communà la musiqueet à la poésie.Les difficultés de cettecombi-
natoireuniverselleme paraissentdevoir remettrece présupposélui-même
en question,et proposerqu'une théoriedu rythmepoétiquene cesserapas
pourautantd'êtrethéoriesi elle ne concerneque le langage.Les assimilations
à la musiquevirentinévitablement à la méconnaissance du linguistique, à
l'ineffable,au vitalisme,au métaphorisme subjectif.Elles réduisentle rythme
au mètre.Leur logiqueest nivellatrice et asémantique.
Le rythme est un universel anthropologique : « Socialementet individuel-
lement,l'hommeest un animalrythmique4. » Autantque par les psychana-
lystes,il est mis par les ethnologues en rapportavec le plaisiret « la joie
pour la joie » (ibid.,p. 86). Son passé rituelet magiqueen faitun porteur
d'archaïsmesqu'il seraitd'un rationalismedésuetde dénier. La répétition
peut passerpour ce qui restedu formulaire, et de с l'originesociale de la
poésie» (Mauss,Œuvres,éd. Minuit,t. II, p. 252). Le rythme metle lecteur
d'accord.Le rythme, avec en lui le verbalet l'infra-verbal, dépassela saisie
de la linguistique, et requiert,outrela psychanalyse, une théoriehistorique
et comparéedu langagepoétiquedans toutesles cultures,où il semblebien
fonctionner de même.Mais le problèmese pose de savoirsi on peut trans-
later,et comment,les notionsde l'anthropologie, l'échelle de leur perti-
nence,sans tomberdans le vague et le primitivisme du début du siècle,
le mythed'une communion. subconsciente, la communalfunctionque critique
Chatman5,mais avec laquelleon ne les confondrapas. Ce que le métricien
ne peut que reléguerau fatras,resteun problèmeposé pour une théorie
du sujetet de la lecture,et pour la poésie.
Le rythmeest un universelpoétique.C'est là que ses définitions se
diluentjusqu'à le rendrecoextensifà la poésie même. Il est alors insaisis-
sable par aucunmétalangage, car il est diten termesd'expérience, et au bord
de la désémantisation.
L'originephilosophique (généralement oubliée,dégradée,chez les métri-
4. Mauss,Manueld'ethnographie,
Payot,p. 85.
5. S. Chatman,
A Theory éd. Mouton,
of Meter, 1965,p. 222-223.
8

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ciens)du rythme commeharmonieet régularité apparaîtchez MatilaGhykae.
C'est la spéculationpythagoricienne sur les nombres,qui se rattacheau
Timée,d'où une « esthétiquemathématique » (p. 178). On retrouvera cette
fascinationdes nombresdans l'Oulipo,donnantau cosmique(«le cosmos,
c'est-à-direle bon ordre», ditle Górgias , cité p. 77) la fascinationqu'ailleurs
exercele sacré. Le. primatdu cosmiqueme sembleun traitde l'archaïsme
fondamental, par rapportà l'historique. Il est remarquableque sa continuité
contemporaine soitmathématique. Cetteimposition de Vordre(la contrainte -
formelle - estun maintiende l'ordre,une censureet négationdu désordre;
c'estpourquoile métricien-mathématicien refuserale sujetet la psychanalyse),
ce primatdes proportions sur le chaos, possessionainsi du continupar-delà
le discontinu, sembleun détourdu théologique: le discoursdu continuest le
discoursdu divinou de l'unité.Le rythmeest alors l'hypostasedu retour,
il garantitl'identitédu même.C'est pourquoiil rassure: selon Pius Servien,
les rythmes sont « les seuls amis de l'homme» (cité p. 182). L'établissement
de l'étymologie exactedu motrythme par Benveniste n'a pas été sans consé-
quence peut-être sur la place du concept.On est repasséde la « formedu
mouvement» chez Platon7, où Aristoteavait mis l'accent sur la mesure
des alternances, à la formulation de Démocrite,« configuration particulière
du mouvant» (livrecité,p. 333). Ce mouvement versles présocratiques ne
se définitpas commeallantau devenirbergsonien mais commela remontée
contreun courantdédialectiseur versla conceptualisation d'une contradiction
incessante.

Le rythmeet le mètre
La confusionentrele rythmeet le mètreest la conséquencede cette
dépendancephilosophiquenon analysée,qui piège les définitions dans une
circularitésans issue. Cette circularitétientdans la notion de régularité
appliquéeau rythme. Le Dictionnairede linguistique (Larousse,1973) donne
à l'articleRythme: « On appelle rythmele retourrégulier,dans la chaîne
parlée,d'impressions auditivesanaloguescréées par diversélémentsproso-
diques.Dans l'alexandrinclassiquefrançais,le rythme est créé(1) par la rime,
c'est-à-direpar la présenced'une douzièmesyllabeidentiquedans deux ou
plusieursvers,accompagnéed'une retombéede la voix,et (2) par la césure,
c'est-à-direla montéede la voix sur la sixièmesyllabe.» Cettedéfinition du
rythmeest la définition mêmedu mètre(il n'y a pas d'articlemètre),sans
parlerde sa non-pertinence pour décrirel'alexandrin.Le Dictionnaireency-
clopédiquedes sciencesdu langage(Duerot-Todorov,au Seuil, 1972), à l'ar-
ticleVersification,prendses distancespar rapportà une définition qui ferait
du mètreune « successionparfaitement régulièredes syllabesaccentuéeset
non accentuées», alors que le rythmeseraitla « réalisationde ce schème
dans la langue » (p. 242) parce que cette répétitionrégulière« n'arrive
jamais » et que le problèmedemandedonc un « degréd'abstraction » supé-
rieur,que proposentHalle et Keyser(théoriequ'on analyseraplus loin). Mais

6. Essaisurle rythme, 1952(5• éd.; lre,1938).


Gallimard,
7. Benveniste,
Problèmes
de linguistique
générale,éd. Gallimard,
p. 334.
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rienne remplacece qu'on dénonce.On se trouvedonc devantun vide défi-
nitionnel.
Une catégorisationlogique fait du mètrechez Aristoteune espèce du
genrerythme: « car il est évidentque les mètresne sont que des parties
des rythmes - xà » { Poé-
yàp fiirpa 6ti fiópiat&v fí)u0(xõv è<m, cpavepóv
tique 1448 b). Mais cette évidence est inverse apparemment, pour ceux
qui font du rythme une actualisation du mètre. Pour Žirmunskij,« sans
mètreil n'y a pas de rythme» 8. On discerneainsi deux courantsopposés.
I. A. Richardsest aristotélicien: le mètreest pour lui une « formespécia-
lisée du rythme» 9. Ce débatn'estpas formel,ou historique.Il met en jeu
le sens du messagepoétiquetoutentier.Il impliqueune théoriede la signi-
fication.En termesaristotéliciens, J. Thompson10voit dans le mètreune
imitation с des élémentsde base de notrelangueet de leurordre». On rejoint
ici, par cettenotionsubjective-objective de travaildu langage,d'auto-connais-
sancedu langage,la penséeheideggerienne ". Cetteconjonction est essentielle
pour définirnotreactualitéls. A son insu ou non, peu importe,la métrique
générativetouche à ce courant.Or les formalistes et Jakobsonn'ont pas
cessé de s'opposerà la « théoriede l'adéquationabsolue du vers à l'esprit
de la langue» (Questionsde poétique , p. 40) à quoi ils opposaientla с violence
organiséeexercéepar la formepoétiquesur la langue », ou le caractère
cultureldes changements de métriquedans une mêmelangue.
Il y a ceux qui partentdu mètrepour y inclurele rythme,ceux qui
partentdu rythme poury inclurele mètre; ceux qui lientles faitsde rythme
ou mètreà la signification, ceux qui les abstraientde la signification.

La métriquen'a pas le sens


Le métricienvise au rythmepur. Cette puretédéfinitles opérations
où rythmeet mètres'échangent. L'accent mis sur la métriqueñe peut que
désémantiser, car le mètren'a pas de sens.La métriqueest tournéeversune
étude des formesqui a pris des aspectshistoriquesou comparatistes. A la
recherched'universaux spécifiques, elle devientnécessairement une méthodo-
logie de sa propreformalisation. Ainsi elle a pu se consacrerà opposerle
rythme iambiqueau rythme trochaïque 13.
Un paradoxede la métrique, pureopérationde classement (il fautplacer
à partles étudessurl'originedes mètres),est qu'elle préparele structuralisme
en étudiantles « modificateurs structuraux du vers » (Yanacrouse , qui est
l'initiale; la clausule, qui est la finale; la césure, pause obligatoire,- pour

8. Zirmunskij,
IntroductiontoMetrics, éd. Mouton, 1966(lreéd. 1925),p. 71.
9. Principles
of Literary Criticism,
Londres, Routledge, 1963(lreéd. 1924),p. 134.
10.TheFounding of EnglishMetre, Londres, Routledge, 1961,p. 9.
11.« Le rythme estunphénomène * *
organiqueet nepeutêtrepleinement apprécié
queparuneapproche phénoménologique au poème» avecunenoterenvoyant explicite-
ment à Heidegger.
B. Hrushovski,« On FreeRhythms in ModernPoetry », dansStylein
Language, éd.byTh.A.Sebeok, M.I.T.,1968(lreéd. 1960),p. 180.
12.Jerenvoie à l'article
« MauriceBlanchot ou l'écriture
horslangage du
», Cahiers
Chemin, n° 20, Gallimard,janvier1974.
13.Tempsfortinitial: rythme-ou-mètre trochaïque, supposezl'omission d'uneana-
crouse, vousrétablissez
un rythme iambique ; la réciproqueesttoujoursvraie.Jeusans
fin.Le mètrechange selonle postulat.

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Žirmunskij), - c'est-à-dire la positiondes mots, les rapportsentrelimitesde
mots et unitésmétriques.Elle établitdonc que cette positionest un fait
sémantique . La métriquen'a pas cessé,maiscontreelle-même, de contribuer à
l'étudede la structuration spécifiquedu sensqui a lieu dansle langageversifié.
Il est vrai que la confusionentreles unitésmétriques(pieds - poly-
syllabiques)et les unitéslinguistiques (mots,syntagmesavec leurs limites),
qui culminedans l'usagefréquent en françaisdu motpied pour diresyllabe,
a plaqué sur les problèmesdu versfrançaisune pseudo-codification, où un
référent irréelest le refletd'une terminologie : les « iambes» et les € ana-
pestes» du français- compensation peut-être à la croyancedu xix*siècle
que le françaisn'a pas de rythme.Le français,n'étantpas une langue à
accentde mot,mais à accentde groupe,п'д pas de code métriquecomme
l'anglais,l'allemand,le russe.Pas de pentamètre iambique.Ses accentssont
donc doubles: métriques (pourla sixièmeet douzièmesyllabesde l'alexandrin
classique,par exemple),rythmiques pour les autres,- rythmiques signifiant
ici linguistiques et non codifiés,ce qui les a longtemps rendusinvisiblesd'un
pointde vue uniquement métrique.En mêmetemps,la carencedes études
métriques en Francene peutpas ne pas paraîtreliée au caractèrelinguistique
du rythme en français.La tradition a plutôtétudiéici les placesde la césure,
ou l'enjambement, et surtoutune typologiedes rimes,liée à l'histoiremême
de la poésie. Aux périodesde saturationdes structures phoniques(Grands
rhétoriqueurs, Symbolisme) ont correspondu des développements de la taxi-
nomieprosodique(O. Brík,J. Romains-G.Chennevière).
Les questionsque pose la métriquedéfinissent un objet abstrait.Cette
abstraction a permisde distinguer la structure du versde sa réalisationpho-
nique individuelle, avec laquelle elle est confonduedans l'école acoustique
(Lote, Spire, la phonostylistique). Désocialisé (la dictionest historiqueet
culturelle ; ses rapportsavec la structure du vers,avec le formulaire, ne sont
que fragmentairement construits et connus), désémantisé, ce rapportentre
objet et méthodeest lui-mêmeun faitculturelqui a son historicité variable.
Mais la métriquese veutuniverselle.

La combinatoire
et la métriquegénérative
Cette universalitépasse aujourd'huipar deux procédures,celle de la
combinatoire, celle de la métriquegénérative.On les analyse successive-
ment,en essayantde découvrirleur rapportentrethéorieet empirisme. A
travers leurrapportau vers,leurrapportau sens.On les a rapprochées,
parce
qu'elles sont épistémologiquement parentes.
L'analysemathématique du vers a commencéavec Le symbolisme , du
poète André Belyj (Moscou, 1910). Son objectivités'arrêtaitaux tableaux,
maisune tradition russeen est sortie,de TomacHevski
à Kolmogorov(Mathé-
matiqueset poésie, Mosjpou,1962). L'analysestatistique
du nombreet de la
positiondes accentspar vers et par poème, ou des effetsallitératifs par
rapportà la fréquencedes phonèmesdans une langue,sont des étudesde
constantes, de la redondanced'un systèmepar rapportà un autre.Ainsi la
strophe définiepar JiříLevy un « systèmede systèmes» 14
est . A travers

14.JiříLevy,« Die Theoriedes Verses- ihremathematischen », dans


Aspekte
11

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l'apportde la théoriede l'information se dégage une difficulté. La notion
de redondancecontientici une pétitionde principe.Car on constateune
différence entreun texteet un contenuéquivalentdans un « texteen prose
d'égale longueur» 15.Or un tel textene peut pas exister , par la spécificité
mêmede la communication dans le langagepoétiquequ'il s'agitde définir.
Le présupposéthéoriquedissociele contenuet la contrainte formelle.Cette
dernièreest considéréecomme un surplus.
Traiterles formescommedes nombres,c'est en éliminerle sens,ce que
faitexplicitement l'Oulipo, « structurEliste » - : « les aspectssémantiques
n'étaientpas abordés,la signification étant abandonnéeau bon plaisir de
chaque auteuret restantextérieureà toutepréoccupation de structure» w.
L'insistance surles contraintes,procédés,structures ; le volontarisme : « Il n'y
a de littérature que volontaire », dit Queneau (p. 32) ; la confusion par là
entre dire et faire, nostalgied'une performativité généralisée,jouent un
assez grand rôle dans l'expérimentation pour elle-même,pour être ici le
patrond'un rapportentrethéorieet pratique.L'aléatoireest remplacépar
la combinatoire. Le paradoxede la combinatoire est qu'elle éliminele risque.
C'est une sécurisation par la forme . Le reste: « Romantisme toutça, psycho-
logie,bricolage» (p. 155). Tout en remettant à sa place, celle d'un travail
des formes,l'écriture« commejeu » (p. 79).
On situemieux,par ce rappeldu rôle de l'Oulipo,la définition« non
psychologisante du rythme» 17que donne P. Lusson : « Le rythmeest la
combinatoire séquentiellehiérarchisée ď événements considéréssous le seul
aspect du mêmeet du différent » (ibid.,p. 33). C'est pour constituer une
théorieuniverselle.La volonté théorique,l'allure mathématique, couvrent
pourtantune confusioncaractéristique de la combinatoire, entresémantique
et psychologie, rejetantl'une pour l'autre,et l'adoptionnon critiqued'une
théoriede base 18,parcequ'elle favorisela combinatoire. Il s'ensuitun certain
vague19,et derrière le théoriqueun nouvelempirisme.
JacquesRoubaud est celui qui a le plus développéles opérationsde la
combinatoire. L'importance de sa recherche pourla connaissance de la poésie,
et pour l'analysede cetteconnaissance,justifieles questionsqu'on peut lui
poser.Le travailviseà décrireet formaliser des systèmes fermés, par exemple
« une ' grammaire' des formulesde rimes,donnantdes règlesde 4 cons-
truction'... » 20,- décriredes « groupements combinatoires complexes,indé-
pendamment de touteautreindication(prosodie,esthétique, etc.) » (ouvrage

Mathematik undDichtung, éd. parH. Kreuzer et R. Gunzenhaüser, Munich, Nymphen-


burger,1967(lreéd. 1965),p. 228.
15.Helmut Liidtke, « La versification
latine et à la lumière
française de la théoriede
l'information
»,dansLe versfrançais au XX• s.,éd.parM. Parent. Paris, Klincksieck,
1967,
p. 302.
16.Oulipo,la littérature
potentielle,
Paris,Gallimard, Idées,1973,p. 24.
17.Cahiersde poétique comparée, I, 1, p. 49.
18.De même, J.Roubaud (Poétique 7,p. 372),etla fréquence de l'expression« cette
affirmation
ne serapasjustifiée ici » (p. 376).
19.Interviennentdesnotions nondéfinies : groupement,séquence (p. 36),puise(p. 39);
ou vagues: qu'est-cequ'un« rythme peunaturel »? (p. 47).
20.J.Roubaud, « Enquête surles formules strophiquesdes trouvères, I », Cahiers
de poétique
comparée, I, 1,p. 62-79.
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cité,p. 75), à la recherchede contraintes non sémantiquesde sélection.Ce
renouveaude recherchesanciennessur les patronsde rimeset les patrons
de strophesa ceci d'important, pour la poétique,que c'est une pratique
théoriquede la poésie par un poète, instituant une homologieentre ses
poèmeset l'étudede la poésie formalisée des troubadours. La recherchedes
nombres, et du nombredes syllabes,l'emprunt à la métriquesyllabiquejapo-
naise(le 5 + 7 + 5 + 7 + 7 ou tankadans Trenteet un au cube21)informent
la recherche théorique, qui informe la pratiquepoétique.Ce formelnumérique
participed'une idée spéculaire(moderne,on l'a vu) du langagecommepar-
lantde lui-mêmeen parlantd'autrechose : « La littérature parledu langage
en parlantd'autrechose, ne parle d'autrechose qu'en parlantdu langage,
indissolublement...22 » Le nombreest
spatialisé.Michel Butor,étudiantla
prosodie Villon,appelleun huitaind'octosyllabes
de ou un dizainde décasyl-
labes un « versde vers,un versvertical» 23.De Roubaud,s est un « sonnet
de sonnets», Mono no awareun « tankade tankas». La réalisation graphique,
spatiale,de formesqui sont des nombresaboutità une métaphorequi
substantialisele nombre: « Si chaque poèmeest une syllabe,alorsla première
sectiondu livreconstitueun décasyllabe... 24» Le commentaire
métapoétique
dévoilel'idéologiede la démarche: « Si l'écrivainne choisitpas sciemment
les contraintes du discours,c'est son inconscient qui les choisirapour lui... »
(p. 267) - cette procédureéliminerait-elle l'inconscient? La fonctiondu
nombreest d'établir« un systèmede règlesabstraitpourcombattre le hasard
et les souvenirs.Il [Roubaud] a voulu fuir le poème qui colle au poète
commeun vêtement 4
(même splendide') pour chercherdans une structure
à la fois très contraignante et très richeen relationsformelles, un appro-
fondissement de la grammairedu poème » (p. 284). C'est le volontairede
Queneau. Il imported'étudieravec quels conceptsse fait alors la poétique
du vers.
La métriquegénérativese fonde,pour ses concepts,sur la grammaire
générative et la phonologiegénérative.Voici les problèmesqu'elles posent,
pour la poétique,successivement. La grammairegénérativefournitdeux
couples de concepts: compétenceet performance, structureprofondeet
structure superficielle.Le mètrecorrespondrait à la compétence(c un lien
trèsprofond[...] est établientrele mètreet la langue » **); le rythmeréel,
à la performance. On renvoieainsi à la performance, ensemble,le rythme
et la diction.Si, en effet,ce n'estpas la réalisationindividuelle« qu'il s'agit
d'expliquer», - Yeffetde sens du rythme (il est dans le verseinstancede
Jakobson), qui contientstructurellement des variantesde diction,est renvoyé
horsdu champ,pourgarderpur le schéma(versedesign).D'où une scansion
minimale,et un choixnon justifiéentreplusieurspossibles.Le conflitentre
la métriqueet la linguistiquedevientextrême.Ce sont ces élémentsde
conflitqu'on va essayerde comprendre. Il y a un va et viententreune théorie
métriquenouvelleet les théoriesmétriquesanciennes,entrecette théorie
21. Gallimard,
1974.
22.J.Roubaud, « Quelques
thèses surla poétique , n° 6, p. 10.
», Change
23. Critique
n° 310,mars1973,p. 202.
24.J. Oueron,« Jacques
Roubaud: analyse d'undiscours
et d'unpoème», ibid.,
p. 275.
25.J.Roubaud, dansPoétique
, n° 7, p. 366.
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et le plan empiriquede la langue.Dans la théorienouvelle,l'accentuation
des motsen langueestprisecommebase réelle.Ce que la métriquegénérative
veut éliminer,ce sontles théoriesqui ne réussissaient pas à rendrecompte
des versréels,et qui multipliaient les exceptions, donc contrela langue.Mais
les verseinstancessontde la langue.Il n'estdonc pas logiqued'exclureque
deux syllabescontiguësportentl'accent,parce qu'il n'y auraitplus de mètre
(ibid., p. 370, 377). Avant d'en venirà l'analysede la théorieproprement
dite,on peutse demandersi elle est opératoireen français.On discernemal
ce que l'examentraditionnel du décasyllabea de changé dans l'àpplication
qui lui est faitede la métriquenouvelle.Tout se passe commesi la théorie
générativeétait liée à sa langue à accent de mot et prêtaitune illusion
métrique.Etant donné le jeu corrélédes deux positionsaccentuelleset du
syllabisme,l'oppositionstructure profonde/ structure superficielle sembleici
une hypothèseinutile.
On s'étonnedes notionsvagues dont est pénétréela grammaire géné-
rative,malgréson originemathématique. Il ne sembledonc pas inutiled'y
démêlerle scientifique de l'idéologique,pour mieux situerl'analysestruc-
turaledu vers. J'appellenotionvague celle de « compétencepoétique »,
par sa référenceà l'intuition, et circulairepour la démonstration2®. Parents
de l'introspectif« sentiment linguistique», compétenceet sentiment fonc-
tionnent fâcheusement commeparadigmes. C'est qu'à Yintérieur de la gram-
mairegénérative opère encorece contrequoi elle s'est constituée, et qu'elle
a cru barrer,la notion bloomfieldienne de sens comme réponse : « the
ascertaining of particularlinguisticstructures in the poem inducingthese
responsesmay thenbe held to have confirmed and made systematic those
responses» (ibid.,p. 25). Le théoriqueest un écran à Vempirisme.Appels
explicitesà « l'intuition», à « l'impression » 27. Malgrél'apparence,on n'a
pas bougéde l'intuition vulgairede Yécart : une « grammaire indépendante »,
qui « revientà postulerune langueindépendante elle aussi » (Change 16-17,
p. 97). Pour un poème dont toutesles phrasessont engendrables par la
grammairede la langue, « les analysesoffertespar cette grammairene
nous apprendraient rien,ou presque,surle poème» (ibid.,p. 98). Si la gram-
mairepouvait« fairegénérerHe danced his did », ce serait с accroîtreà
tel pointsa complexité qu'elleen deviendrait inutilisable » (ibid.,p. 86). Ainsi
la poésien'estpas la langue.Il fautla paraphraser : « En d'autrestermes...»
(ibid.,p. 183).
La métriquegénérative de Halle-Keyserpose la relationentremètreset
vers comme « l'encodaged'un patronabstraitsimple dans une séquence
de mots », régi par des « règlesde correspondance qui permettent à une
sériedonnéede motsd'êtrevue commeexempled'un patronabstraitparti-
culier» 28.Or la règlede correspondance (par exemplecelle du pentamètre
iambique)est nécessairement tautologiquede la formulemême du penta-
mètreiambique: « a) chaque entitéabstraite(W, S) correspondà une seule
26. S. R. Levin,« Someusesof theGrammar in poeticanalysis
», Problèmesde
l'analyse Paris,Didier,1971,p. 25.
textuelle,
27.J.P. Thorne, « Stylistique
et grammaires génératives p. 94,95
», Change16-17,
et S.J. Keyser, p. 167.
28. M. Halle-S.J.Keyser,
EnglishStress,itsGrowth,anditsRoleinVerse, NewYork,
Harper-Row, 1971,p. 140.W vientde weak , et S vientde strong.
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syllabe; b) les syllabesfortement accentuéesont lieues aux positionsS seule-
mentet à toutesles positionsS » (n° 40, livrecité,p. 165) - dans la for-
muleWSWSWSWSWS.En quoi la règlede correspondance se distingue-t-elle
du patronabstraitlui-même ? La méthodese veutdéductive,alors qu'elle est
inductive , empiriqueà partirdu corpus: « These expectations are, in fact,
borneout » {ibid.,p. 149, n° 19). On n'en est pas surpris.L'effortprincipal
vise à intégrerles possibilitésdites anormalesdans une formuleabstraite,
plus compréhensive que celle des métriquesantérieures, en remplaçantla
notionde pied par celle de positionvocalique. En fait,parlerde « posi-
tion W » ou de « positionS » sembleun changement nominal.Passer à
une définition plus large,légitime,n'est-cepas faire disparaîtrela tension
qu'on voyaitentrele mètreet le vers? Pourtantla notionde « complexité»
(ibid.,p. 177) sembleconserverla métriquedes exceptionsqu'on répudiait.
L'identification du complexeet du rare (ibid., p. 157) fait du contextede
fréquencela norme(c'est la stylistique de Riffaterre),et s'appuie sur « the
commonsense grounds». Pour sauverle patronabstrait,deux monosyllabes
accentuéssontcomptéspour un (ibid.,p. 145) - ils n'étaientpas métriques
pour Roubaud. Enfincette métrique(asémantique)finitpar faire appel à
la signification pourexpliquerun versnon métrique: volontairement, « pur-
posely» (ibid.,p. 171, n° 57). Et commentest constituéel'échelle(de 0 à 9)
de cette « complexitémétrique», sinon en conjoignantla métriqueet la
sémantique ? La notionď « infraction à la règle », qui est un artefactde
la métrique, n'a été épuréequ'en incluantces « exceptions» dans la « règle»,
dontl'encombrement grossit.Si on ne parle plus de « fautespermises», il
n'est pas encore sûr que la notionde règlesde transformation soit plus
économeque la métriqueclassique29.
Le lienentrela métriquegénérative et les problèmesdu langagepoétique
ne peutpas êtreseulement un lienlinguistique.Ce lien,explicitépar Chomsky,
est politique,et montrela nécessitéuniversellequi relie le poétiqueet le
politique.Loin d'êtreétrangerà la poétiquedu vers français,il contribueà
la situer.Répondantà la questionde ce que seraitune « sociologietrans-
formationnelle » 909 Chomskyoppose un « systèmede règles,de principes,
de contraintes », с l'espritde l'espèce », à une « créativité libre», mettant
en évidencedes « structures » du social. L' « aile libertaire
irrationnelles du
marxisme» constituerait une « théoriequi concilierait(sic) toutesles facettes
des scienceshumaines» (livrecité,p. 70). Le substratphilosophique et poli-
tiquede la théoriedu langageet du versrévèleune contradiction entrel'hu-
manismenéo-cartésien, sa sociologiedu consensus,et le rattachement explicite
au libertarisme individuelanarchiste.Les « liens sociaux » remplaceraient
с les chaînessociales» (ibid.,p. 160), refusutopistede la dialectique.Autant
l'activitélinguistique« normale» est « novatrice», commel'a si fortement
montréChomsky,autantl'activitépoétiquenormaleest novatrice.Il y a,
alors,antinomieà poser la créativitédu langageen construisant des règles

29. Unintérêt de la théoriede Halle-Keyser


serait
de montrer
le rapport le vers
entre
populaire(la comptine) et le verssavant(voirJ. Guéron,dans Cahiersde poétique
comparée I, 2). Maislesscansionsarbitraires
demeurent,parle conflit
malposéentrela
métrique - schéma
et la linguistique abstrait
contre de la langue.
prosodie
3U.с nange, Hypothèses,p. 68.

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linguistiques bloquéespar Yidéologiefixistedu possibleà un momentdonné
d'une langue.Règlessur les possibilités de la nominalisation où l'affirmation
théorico-empirique est corrigéepar « si elles devaientexisterdans ces autres
cas, elles seraientsouventparfaitement compréhensibles » (ibid., p. 138).
L'introspection, critèredu grammatical et du non grammatical, combinepara-
doxalement le laxismeet le normatif, qui emprunte à la logiqueses critères de
l'incorrectet du faux. Le dualisme(«un certainaccouplement du son et du
sens », ibid., p. 133), le mélangedu linguistique et de l'extra-linguistique
(on sait que les Watusisontgrands,ibid.,p. 142), l'ambitionde constituer
une .« grammaire universelle » 31, définissentune idéologiede la science,qui
se conçoitcommeopposée à la fois à l'empirisme et au « positivisme du
siècle dernieť» (ibid.,p. 156). Elle est en effetplus prochedu xvin6siècle.
Le substratidéologiquede la combinatoire et de la métriquegénérative,
ses présupposésphilosophiquessur le langage,sa localisationculturellese
laissentdécouvrirdans le dernierappui méthodologique qui la sous-tend,
la phonologiegénérative. Les remarquesqui suiventne posentque quelques
questionsde méthode,tournéesvers (et venues de) la théoriedu langage
poétique.Elles ne sauraientprétendre à critiquerl'apportphonologiquede la
phonologiegénérative.François Dell suppose une séparationentreson et
sens : « si le son de la phraseest la seulechose qui soit transmise de Pierre
à Paul, commentPaul réussit-il à en pénétrer le sens? » 32. Présentation péda-
gogiqueou non,la notionde son est une fictionliée à des présupposés méta-
physiques.De fait,des objets linguistiques sont étudiéscommesi on n'en
connaissaitpas le sens, tout en le connaissant.Une rigueurformellese
développeoù la formalisation occulte la non-rigueur épistémologique. Sa
parentéavec la démarchecombinatoire se marquedans une prédilection à
construire des artefacts, une « languefictive» (livrecité,p. 47), /larp/au
lieu de /pari/; à trouverdes (quasi)-doubletshomophones(vous la
prendrez/ vous VapprendreZy p. 18 ; jeune vaurien/ je ne vaux rien,p. 196) -
isolementsyntagmatique et situationneb omissionfeintedes facteursde dissi-
milationque sontles doublements de consonnes,les pauses démarcatives qui
désambiguïsent. Les cloisonsentrelexique,syntaxe,sémantiqueet phonologie
produisent de faux problèmesqu'on s'occupe ensuiteà résoudre.Une lin-
guistique-fiction est plus proche de la logique que de la linguistique.Sa
démarcheest tautologique: ce n'est pas possibleparce que ce n'est pas
possible.Le sentiment de la langue.Des constructions se fontsur des des-
criptionsanciennesde languesexotiques(celle d'un parlerbantou,faite en
1887, p. 88), qu'on ne peutpas vérifier, en opposantdes /i/ et des /е/, ce
qui laissesceptiquequandon a entenduparlerdes Africains(mêmeproblème
pour les parlersarabes).C'est l'étatde l'ethnologiequand elle se faisaitsur
des descriptions de secondemain,avantMalinowski.A quoi correspondbien
la critiquefaite par Fr. Dell (p. 267) de la répartition des linguistesen
théoriciens et spécialistes d'une langue.C'est laisserla formalisation se déve-

31.Chomsky-Halle, Principesde phonologie Paris,Seuil,1973,p. 10.


générative,
« Grammaire universelle» synonyme de « théorie », c'est-à-dire
linguistique l'inclusion
de la linguistique
et deslangues dansunelogiquetranscendantale.
32.Fr. Dell,Les règleset les sons,Introduction
à la phonologiegénérative,
Paris,
Hermann, 1973,p. 15.
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lopperpour elle-même.Ce qui n'étaitle cas ni de Troubetzkoï,ni de Poli-
vanov.S'il fautque « simplicité maximaleégalegénéralité maximale» (p. 164),
il faut d'autresmoyens.Le générativiste, là encore,est un empiriquepour
qui « tousles moyenssontbons... » (p. 168), humour-écran qui ne parvient
pas à cacherla pauvretéde ce qu'on apprend.L'introspection n'a pas plus
de valeurici qu'en sociologieou en psychologie.Elle confondla structure
et la performance individuelle, la « prononciation ». Accessoirement, elle se
soustrait du mêmecoup à la « discussion». Loin de trouverque cettephono-
logie générativeest trop abstraite(p. 261), on y reconnaîtun bricolageà
tousles niveaux,du corpusà la méthode.Autantd'exceptions que les gram-
mairesanciennes,échec à la simplicité.La bonne volontéà corrigerindé-
finiment les règlesest un indicede plus de l'empirisme et de la non-puissance
de la théorie.Mais l'invaliditéd'ensemblede la méthode,pour une étude
du vers, me semblesurtoutdans son rapportavec son ambitionmajeure.
Car l'universalité justementrequise pour une hypothèsesur le langage se
tourneen métaphysique de l'origine,et de l'origineunique du langage. La
théologieprofondechez Chomskyapparaîten surface,par les « variations
secondairesautourd'un schémafondamental unique » (p. 46) que les compa-
rativesauraientpour tâche de découvrirà travers« ce qui est communà
toutesles langues » (p. 48). Cette universalité mythiqueest culturellement
située,par sa notionde règle, qui joue surplusieursplans,logique,empirique,
normatif. La circularité de cettenotionpermetde mettreà jour la sociologie
de son empirisme: justifierce qui existe.Après l'échec pour définirdes
procéduresde découvertes, le générativistese résoutà définirdes « procé-
dures de justification des grammaires» (p. 168). Ses fictionslocales ne
servaient qu'à justifierl'existant.Cettedernièretautologiene seraitqu'inutile,
si la linguistiquegénérativene partageaitcette particularité avec le culte
puritaindu réel, par exempledans l'hyperréalisme en peinture **,qu'il y a
dans une cultureaméricaine.

La poésie moderneest l'échec de la métrique


Le métricienn'admetle changementqu'à l'intérieurde son système.
Il est de ceux qui ont le plus de mal à reconnaître la poésie moderne.On
sembleplaisamment regretterla mortde l'alexandrin, justeau momentoù il
atteignaitla perfection. Mais on soutientqu'il « restele véritablevers fran-
çais » (Grammont,Petit traité...,p. 147), sans démêlerles problèmesdu
XIXesièclede ceux du xxesiècle.C'est l'académisme.Rien n'a changé.Malgré
une « évolutionnormale,.»,et l'idée d'un « avenirde notrevers » (Le vers
français, p. 461), la nouveautén'a produit« rien qui doive subsister». Il
est vrai que cela date de 1904,mais n'a jamais été corrigé.Cettedénégation
et ce refusplongentdans un maurassismequi condamnaitchez Grammont,
en 1908, les tentatives« faitesen général *par des étrangers ou de mauvais
plaisants» (Petit traité, p. 146) On reconnaîtles qualificatifs qui tou-

33.VoirR. Tissot,Peintureet sculpture


aux Etats-Unis,A. Colin.Voirart.de
« L'hyperpuritanisme
J. Pierre, », La quinzainelittéraire.
№ 183,15 mars1974.
34.Le versfrançais
est de 1904,le Petittraitéde 1908.Ces datesn'apparaissent
plusdansles rééditions ellessontremplacées
actuelles, parun copyrightde 1937dáns

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chèrentApollinaire.La fixationqui sacralisela languecaractériseun inves-
tissement dans la langue-mère qui est exemplairelà où il y a langue sacrée
(l'arabe, l'hébreu). Guiraud remarqueen effetque la structuremétrique
« n'a, quoi qu'on en dise, pratiquement pas changé depuis les origines»
(livrecité,p. 64). Parce qu'elle est liée à la langue{ibid.,p. 110). Etrange
raison.Car les changements phonologiques, morphologiques, syntaxiquesde
la langue ont été considérables. Le passage à une prosodieprochede celle
du langagevéhiculaire,sinon à celle-làmême (non systématiquement, chez
Tardieu,Queneau) réduitle principesyllabique.On ne sait plus ce qu'il faut
compter,exactement.Ainsi s'accroîtraitle caractèreaccentueldu langage
versifié,avec modification de la notiond'intervalle entreles accents.Mais
un telpassagene peutêtreque culturelautantque linguistique. Rapprochant le
langageversifiéde l'énonciation, il le pose commerapportentrele culturel
et l'individuel,
et ses problèmespassent,de la métriqueà laquelleils échappent,
à une théorieglobaledu poétique.C'est pourquoiles métriciens sont dérou-
tés35.
D'un côté, ceux qui comptentles syllabesou la place de la césure;
de l'autre,ceux qui parlentde visiondu monde.Leur oppositionme semble
celle du prévisibleà l'imprévisible. La métriquese voudraitscience de la
prédicabilitédu vers,elle ne peut que postulersa continuité. Quant à ceux
qui privilégient la ruptureet la différence - à une certainelimite,on a
là deuxmythologies. Le rythme compriscommerupturea été confonduavec
l'émotion.La notionde rythmesembleplus vulnérableque celle de mètre,
parce qu'elle est plus liée au sémantiquequ'au sémiotique,à l'énonciation
qu'à la langue.Le vers,devenantpar l'abandondes règlescanoniqueset le
passage à des constantesvariables,une variablede variables , impose une
sémantisation de son étude.La théoriedu langagepoétiqueapparaîtd'autant
plus scindéeentreceux qui renforcent l'oppositionde la théorieà la pratique
et ceux qui la réduisent.Ceux qui renforcent cetteoppositionrendentimpos-
sible son enseignement, ce dont ensuiteils s'étonnent, car ils ont creusé
l'incommunicabilité entrededans et dehors,poème et lecteur,excluantce
dernier.

La métriqueà la recherchedu sens


Musicalepar son origine,cherchant une rythmicité pure,la métriquene
peutpas se débarrasserde la significationdans le langage,commela peinture,
de la figurativité.
Asémantique et traditionnelle,
la métriquerefusele nouveau
parceque le nouveauestdu sens.La seulesémantiqueque Grammont pouvait
admettreétait celle de l'expression, le rythmeс considérécomme moyen
d'expression» : mécanismecirculaire,paraphrastique - le rythmeséman-

l'éditionde 1967du Versfrançais, et de 1965pourle Petittraité. Mais ellessont


inscrites
dansle dialogue des notesavecle texte(notede 1922,p. 202 « un livrequi
étaitd'actualitéil y a vingt ans,quandcelui-cia étéfait»). A sa date,Le versfrançais
estdéjàrétrograde : il a le cultede Hugopoursa virtuosité (p. 51,61, 69); déprécie
violemment Г « écoledécadente » (p. 39, 168,200,460); méconnaît toutce qui est
antérieurau XVIIes... Il estnormatif et subjectif,
distribueles blâmes(p. 358),et les
approbations (p. 180).
35. « ... comme au temps de Fortunat» {Le versfrançaisau XX*s.,p. 310).
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tisépar imitation du sens,d'où sortla notionmêmede son « expression».
Dès Coleridgepourtant entrela formemétrique
apparaîtl'idéede l'interaction
et le sens. Le mètren'existepas plus hors des poèmesqu'aucunestructure
abstraite.L'interprétationdu mètrevient du sens du vers, de même que
du « son » vientdu sens du mot.Finalement,
l'interprétation la fonctiondu
mètreseraitqu'il « symbolisela poésie » (ibid.,p. 221) - ce qui le renvoie
à une fonctionculturellequi peut, variablement, être de médiationou de
substitution,une icône d'aprèsPeirce mais non un signe.La métriquetend
alors à s'intégrerdans une sémiotique.Le structuralisme de Jakobsonavait
tenduà la dissoudredans les conceptsde la poétiqueen général,dans les
parallélismes.A traverstoutson apport,ses étudesde poèmes,Jakobsona,
semble-t-il,privilégiéune syntagmatique du langagepoétique.Il ne pouvait
pas construireune paradigmatique du langage versifié,sans sujet et sans
histoire.

L'excès de sens
La prosodiea été compensatoire de la métrique: en se chargeantde
sens.Une représentation encoremodernede la poésie semblelui fairejouer
dans notrecultureun rôle d'anti-arbitraire du signe.Ce lien avec la langue,
qu'une métriqueaussi postule,devientune procédurede dénudationde la
naturedu langage et de son origine.Et le langage étant lui-mêmedéjà,
naturellement , cettetransparence obscurcieaux choses,la poésie consisterait
à la retrouver. Il y a eu les « crédulités
» paragrammatiques (Change6, p. 89).
On découvremieuxaujourd'huil'associationnisme de cettecrédulité.Il importe
pourla poésiede défairele fonctionnement de cetteillusion,qui semblesans
cesserenaissante (on essayeraplusloin de comprendre pourquoi)chez certains
théoriciens du langagepoétiquesaisispar une hypertrophie du sens.
Comme le mètrel'étaitde la langue,la prosodieseraitune imitation.
Mais une imitation des sensationset des sentiments. Pour éviterde tirerdes
versla signification des sons,Grammontla tirede leur « nature» (Le vers
français, p. 203). Mais cettenatureest à la fois le plan phonétique,articu-
latoireet les termesqui le désignent, qui sont métaphorisés puis réifiés:
réfèrent irréelcréé par le métalangage. Voyelles« aiguës» : c'est « l'impres-
sion de l'acuité» (ibid.,p. 236), douleur,joie, etc., « d'où une méchanceté
que nous pouvonsqualifierd'aiguë » (p. 247)... Une mimétiquegénéralisée
semblesurdéterminer les motsde sorteque le métalangageaussi, secondai-
rement, mimele langagedu texte: indicemêmede la preuve.La rationalité
qui manoeuvre ici (sa causalitémécanisteet magique)est une métaphysique
de l'origineonomatopéiquedu langage. L'expressivitéest une subjectivité
pré-scientifique déguiséen positivisme. Epistémologiquement, elle est contem-
porainedu xviii®siècle.
Elle a prisrécemment une apparenceà la psychanalyse, et renouveléses
termeslinguistiques, chez Fónagy. La procédurerestecelle de Grammont.
Le problèmen'estpas ici celui de sa valeurscientifique, mais du faitsocio-
logique de la crédibilitéqu'il suscite.Avec la vieille с magie du verbe »
où le « son » est à la fois séparé du sens et redondancedu sens, cette
psychologisation des localisationsarticulatoires
se donnepour évidence.Elle
se fondesur une métaphysique régressivedu signequi l'alièneà lui-mêmeen

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le définissantcommeabsencede la chose : « Les signeslinguistiques ne sont
perçusen tantque signesque par référence à d'autresobjets.Ce qui revient
à dire que le signene peut fonctionner, ne peut exister,en tantque signe,
que s'il n'a pas d'existencepropre3e. » Le signe présentécomme négatif
de la chose, déterminela poésie comme tournéecontrele langage,vers
les choses : leur imitation.Avec une réductionde la langue aux mots,qui
ne sont conçus comme mots que s'ils sont seuls. Sa psychologieest une
psychologie du comportement : « la poésie faitnaîtreun sourirede satisfac-
tionsur nos lèvres» (ibid.,p. 110). L'essentielest que la psychanalyse visée
est manquée.Car « dégagerl'arrière-plan inconscient de l'acte phonatoire» 37,
1' « investissementoral » (ouvragecité,p. 106) des gestesde la bouchepeut
sembleren effetla seule compréhension et rationaliténouvellede l'expres-
sivitédes phonèmes.Mais ce travailqui commenceen psychanalyse, avec les
travauxde Fr. Dolto389 n'a ici ni la technicité suffisante en psychanalyse ni
la rigueurlinguistique qui doiventmutuellement se sous-tendre. On retrouve
le métaphorique déjà connu : « La tendresse se reflètedans une plus grande
fréquencedes consonnesL, M 39.» (Elle aime.) Et par rapportà des notions
vagues et subjectives(l'agressivité),à un manque de prudenceméthodolo-
gique*°,- la précautionthéoriquefinale(«il n'y a pas de correspondance
simpleet exclusiveentreune pulsionet un son donné» 41)ne fonctionne plus
que commeune dénégation.

Le rythme
du sens
Le sens du langagepoétiques'estcorporalisé.Explicitement déjà les tra-
vauxde Jousse42avaientfondéle sens sur le corps.Spireavait lié le rythme
au sens- « Pas de sens, pas de rythme, donc pas de poésie43» - et le sens
à la « danse laryngo-buccale » 44.Mais il restreignait
le corps à la psycho-
physiologie,le rythmeà l'émotion,la structure du vers à la réalisationindi-
viduelle.La phonétiqueexpérimentale, sans la phonologie,sans la psycha-
nalyse,sans une théoried'ensembledu langage,bloquaientle verset la poésie
à une conceptionornementale, descriptive,émotionnaliste,liant le plaisirà
l'embellissement.
La tentativela plus récentequi lie le rythme,le sens et le corps est

36.Fónagy, « Le langage poétique, forme et fonction», Problèmesdu langage,


Gal-
limard,1966,p. 100.L'article sur MauriceBlanchot, déjà cité,tented'analyserles
conséquences de cettemythologie.
37. « Les basespulsionnelles de la phonation », Revuefrançaise de psychanalyse
,
1970,n° 1, p. 104.
38.Voirplusloin,dansce numéro, l'article
de PierreDavid.
39.« Les basespulsionnelles... », p. 102.
40.Fónagys'appuieencore en 1965surdes travaux de P. Guiraud dontlui-même
s'estéloigné(.Mathematik undDichtung, déjà cité,p. 268.Ses statistiques
n'ontriende
probant, si on compare les chiffresqu'il donnepour/к/,/t/,/г/,/1/,/m/dans
L'artd'êtregrand-père et Châtiments (ibid.,p. 245).
41. « Les basespulsionnelles », p. 134.
42. VoirMarcelJousse, L'anthropologie du geste,Paris,Resma,1969.Les travaux
de Jousse s'étendentde 1925à 1952.
43. AndréSpire,livrecité,p. 190.
44. Ibid.,p. 322.

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celle de J. Kristeva45.Le problèmequi se pose ici est celui de la médiation
des « bases pulsionnellesde la phonation», de Fónagy, pour intégrerla
psychanalyse à une théoriedu langagepoétique.Cettemédiationest ruineuse.
Elle révèle un des clivagesépistémologiques les plus marquantsde notre
momentculturel,entrela tensionvers la grammaireuniverselle(la sémio-
tique étantle nouveaunom du signifiétranscendantal) et le signifiantsub-
stantialisécoupé de la dénotation, où s'opèrentles permutations ďune kabbale
et qui est devenule lieu d'une sous-rationalitécompensatoire. Voilà pourquoi
ce besoinde Fónagy.La mêmetensionse trouvaitau xviii®siècle,entrele
côté de Leibniz et celui de Court de Gébelin. Ainsi les problèmesd'une
poétiquedu vers,par la conceptualisation du rythme qu'ils supposent, mettent
en jeu les tensionsfondamentales du savoirmoderne.
Il y a donc une nécessitéde méthodeà analyserce dernierrapportentre
mètre,rythme et sens,avantde rassembler des élémentspour une théoriedu
rythme dans la poésie française.
Pour les « grammairiens », le mètreréalisela langue.Dans la tradition
« formaliste », le poèmeest un conflitavec le mètreet la langue.J. Kristeva
se situedans cettetradition.Mais elle scinde le mètreet la langue,- la
« contrainte grammaticale » mise du côté de Г « ego cartésien» (livrecité,
p. 215), la contrainte métriqueposée comme« antérieure et postérieureà la
grammaire»,et « utilisantdes articulationssémiotiquespré-langagières »
(ibid.,p. 215), c'est-à-direles bases pulsionnellesde la phonationqui sont
donnéescommedes « contraintes rythmiques» (p. 213). Contrainte métrique,
contrainterythmique sont prisesl'une pour l'autre.Le mètreet le rythme
sont confondus.Confusionqui apparaîtencoredans la proposition: « On
peut concevoirmaintenant le rythmenon seulementcomme une métrique
classiquede versification,mais commeune propriété immanente au fonction-
nementdu langage» (p. 215). Confondusaussi le subliminalet l'inconscient,
en mettantles « schémasmétriques» sur le mêmeplan préconscient que le
« systèmede la langue » (p. 217), et sur le mêmeplan que les allitérations
et les anagrammes de Saussure.Loin d'êtrepréconscient, le niveaumétrique
(césures,enjambements, etc.) est conscient,connu,reconnu.S'il peutdevenir
sous-jacent commetoutle culturelqui nous imbibe(la venuedu décasyllabe
racontéepar Valérypour Le cimetièremarin),c'est à un niveau spécifique
de l'idéologie.N'étantpas surle mêmeplan que le syllabisme, les « ressources
musicalesde la languenationale» (p. 211) ne s'y opposentpas. Ce cadre
ne les a jamais empêchéesde travailler.L'oppositiondu vers classique
au vers libre n'est pas de « contraintes prosodiquesartificielles » (p. 217)
à une pratiqueplus naturelle.Il me semblequ'elle manifesteun nouveau
rapport,entrel'individuet la collectivité, et par là une crise de la société
et une crisede l'individu.
Le rythme1 mis au « géno-texte», au « plus profond» (on ne peut
pas vérifiers'il est la « conditionde la syntaxe») est restreint au rythme
des timbres,appelé « rythmesémiotique». L'élémentaccentuelduratifest
entièrement omis. La procédureest typiquement sémiotique,en ce qu'elle
faitla pétitionde principedéjà reconnue,de confondrele sémantiqueet le

45.J. Kristeva,
La révolution
du langage , Paris,Seuil,1974,le chapitre
poétique
« Rythmes et sémantiques
phoniques », p. 209-263.

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sémiotiquedans le sémiotíqueseul,d'où la distinction ensuiteest impossible.
On pourraitposer,au contraire, les problèmesdu rythme et du mètrecomme
une contradiction entrele sémantiqueet le sémiotique.La restriction au seul
rythmedes timbresa polir but de privilégierl'inconscientL'inconscient
les répétitions
ignorerait-il accentuelles ? La connotation, coupée de la déno-
tation,devientune « dérive», une écoute flottantepara-psychanalytique,
с musicalisant » le sens (p. 238). La référenceà l'inconscient tientdans le
couple déplacement-condensation, opérantexclusivement à l'intérieurdes
с bases pulsionnellesde la phonation». Sans revenirsur l'importance de
l'enjeu,joué maismanquépar Fónagy,on peutfaireplusieursremarques: sur
le lien établientrele rythmeallitératif qui « branchele sujet sur le procès
inconscient » (p. 212) et l'écriture 48
pulsionnel automatique ;surl'oppositionà
la « languenationaleen tantque messagecommunicatif » 47- Joycetrans-
forméen modèle fait oublierla relationqu'on a avec sa langue,pour un
plurilinguisme qui transcende les langues48; il s'ensuitune politisationdirecte,
mécaniste,volontaire,du travailpoétiquesur les signifiants : 1' « abandon
de la métrique» est reliéau capitalisme(p. 218). La psychanalyse invoquée
est entraînéedans une rationalité mythiquedu langagecommeonomatopée
(p. 222). Une postulation d'un polymorphisme sémantiqueest contredite par
la traduction en faitmonosémiquede l'expressivité 49. Aux
procédésanalysés
déjà chez Grammontet Fónagy,s'ajouteune pratiquedu calembourméta-
linguistiquelacanien. La spécularitéde ce discourspseudo-scientifique lui
réserveune faiblevaleurde connaissance: il joue le rôle d'un fantasme50.
Le plan psychanalytique de la structure du vers et du langagepoétique
est pourtantprimordial. Il ne sauraitêtreméconnupar quelques erreursde
méthode,ou par une confusionavec une métaphysique du langagequi le
fausse.On remarque,une fois sortide l'expressivité, que l'insistancemise
surle vocalisme,le syllabisme ou le numérisme caractérisecertainestendances
métriquesdésémantisantes, - la « formElisation » de Lusson et Roubaud.
Alorsque l'insistance sur le consonantisme mèneà des analysesorientéesvers
la théoriedu sujet,une corporalisation du sens.La répétition est constitutive
46. C'estêtredupedu programme surréaliste.
L'automatisme au contraire bloque
Voirle livrede P. Davidsurla psychanalyse
l'idéation. d'Eluard,à paraîtrechezGalli-
mard.
47.Jerenvoie à H. Meschonnic, Pourla poétique 11,éd. Gallimard, 1973,p. 71-123.
Le recours aux idéesde Mallarmé surle langage,entreautres,y est analysé.
48. On rejoint le mythe duXVIIIes. d'unelangue Unerythmique
universelle. allitéra-
tiverestenécessairement dansla phonologie de sa langue.Des altérations n'ychangent
rien,sinonqu'ellespastichent la schizophrénie,commedéjà les surréalistes. A-t-on les
mêmesassociations inconscientes dans toutelangue ? Il ne peuty avoirle même
rapport qu'il y a en français entremeret mère,dansl'anglaissea-mother, le russe
more-mať , etc.
49. Parexemple la « pulsion urétrale
desconstrictives nonvoisées/f/,/s/,///et
éventuellement la tendance à la phallicisationde cettepulsiondansles constrictives
voisées/v/,/z/,/3/,» (p. 225) - ce que prouvent sansdouteles motsvaginet
verge! Et « la dominance de /s/indique[je souligne, H. Ml] une tension phallique
urétrale» (p. 246). ' .
50.Aufantasme del'origine sejointceluide la priorité
(partransfert mutuel d'avant-
garde): « Pourla première fois,en effet,dansl'histoire,
à traversla langue, se trans-
posentdes fonctionnements » (p. 229).On observe
translinguistiques... le mêmemimé-
tismedes dérapages de l'inconscientdansle métalangage de MichèleMontrelay, dans
« Métrique de l'inconscient », Change6, p. 127-138.
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du moi, liant le plaisirau rythme.Alors le langagepoétiquen'est pas un
surplusau langage51.
L'unitéde la poésie est le poème. Le vers n'en est qu'une sous-unité.
Une théoriedu rythmedans le langagepoétiquedoit contenirles éléments
linguistiques,
psychanalytiques, et de la lecture". On se
culturelsde l'écriture
propose,le lieu manquant ici, d'en développerailleursla logique et la
technique.

51.J.Kristeva : « Les différentielles sontdoncplusquedesphonèmes


signifiantes »,
livrecité,p. 223.
52.Uneesquisse enestdonnée dansPourla poétique Voiraussi« Le
II, p. 269-271.
travail
dulangage dansMémoire deRimbaud n° 31,« Sémiotiques
», Langages textuelles
».
Septembre 1973.

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