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Littérature

Les écoles normales : une liquidation de la rhétorique ? (Littérature


et grammaire dans les programmes de l'école normale de l'an III)
Claude Désirat, Tristan Hordé

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Désirat Claude, Hordé Tristan. Les écoles normales : une liquidation de la rhétorique ? (Littérature et grammaire dans les
programmes de l'école normale de l'an III). In: Littérature, n°18, 1975. Frontières de la rhétorique. pp. 31-50;

doi : 10.3406/litt.1975.1095

http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1975_num_18_2_1095

Document généré le 01/06/2016


Claude Désirât et Tristan Horde, Tours.

LES ÉCOLES NORMALES :


UNE LIQUIDATION DE LA RHÉTORIQUE?
Littérature et grammaire dans les programmes
de l'École normale de l'an III

0.1. Projet

Notre travail porte sur la première apparition de la littérature comme


titre d'une matière d'enseignement dans une institution scolaire d'état, l'Ecole
normale de l'an III. Ce premier établissement de formation des maîtres est
une pièce essentielle dans les projets d'éducation de la Convention
post-thermidorienne- Les cours qui y furent donnés ont fait l'objet d'un compte
rendu sténographique 1.
A cette date, un univers pédagogique se défait et un autre ensemble
scolaire se met en place. Quels choix sont opérés dans des domaines
scientifiques pour constituer des objets pédagogiques ? Quelle hiérarchie s'établit
entre les disciplines, déjà constituées ou encore en formation ? Quelles
relations se construisent entre cette répartition des branches de la connaissance
d'une part, et, d'autre part, la difficile mise en place d'un nouvel appareil
d'état, les mouvements des fractions de la bourgeoisie sur le point d'établir
son hégémonie politique et 1' « élaboration d'une idéologie à la fois
manichéenne et fortement intégratrice » 2 ? Ensemble de questions dont la réponse
supposerait que soit élaborée une théorie des idéologies, et qui restera donc
suspendue 3.
Nous ne retiendrons ici que l'organisation des études littéraires. On
peut lire dans les Séances des Ecoles normales (cf. note 1) comment la
littérature tend à recouvrir les « sciences morales », à investir le territoire des
sciences humaines à venir, à préparer son futur domaine universitaire et
scolaire, au moment où se modifient les formes de sa diffusion extra-

1. Séances des Ecoles normales recueillies par des sténographes et revues par les
professeurs,
n° 4. Cette àédition
Paris, sans
chez date
L. Reynier,
et incomplète
Imprimeur-Libraire,
fut éditée en 1795
rue dupendant
théâtrela desession
l'Egalité,
des
E.N. Une seconde édition, complète, est datée 1800/1801 et porte l'origine : Imprimerie
du Cercle Social, rue du Théâtre Français, n° 4 ; c'est celle que nous citons sous la
référence Leçons : L, Débats : D, accompagnée de la tomaison en chiffres romains et
de la pagination en chiffres arabes. En 1808, une nouvelle et dernière publication des
textes de 1800/1801 est titrée : Cours de Sciences et Arts par des professeurs célèbres,
chez Testu, Imprimeur de l'Empereur, rue Hautefeuille, n° 13. Nous emploierons
indifféremment Ecoles normales ou Ecole normale, comme on le faisait à l'époque.
2. F. Furet, le Catéchisme de la révolution française, in Annales (E.S.C.), mars-
avril 1971, p. 288.
3. Eliseo Veron, « Linguistique et sociologie, vers une " logique naturelle des
mondes sociaux " », in Communications n° 20, p. 246 sqq.

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scolaire. Grammaire et littérature ont partie liée : toutes deux vont prendre
leur place à l'école en imposant un nouvel éclatement au dispositif
rhétorique.

0.2. L'événement : l'École normale de l'an III

L'Ecole normale de l'an III a été fondée par le décret du 2 brumaire ;


en 1895, une plaque commemorative apposée au 45 de la rue d'Ulm établit
une filiation entre l'école de 1795 et l'Ecole normale supérieure. Parenté
équivoque puisque les écoles normales de l'an III furent conçues pour donner
des instituteurs aux futures écoles primaires : « Qu'avez-vous voulu, en effet,
en décrétant les écoles normales les premières, et que doivent être ces
écoles ? » lance Joseph Lakanal aux membres de la Convention nationale,
« Vous avez voulu créer à l'avance, pour le vaste plan d'instruction publique
qui est aujourd'hui dans vos desseins et dans vos résolutions, un très grand
nombre d'instituteurs capables d'être des exécuteurs d'un plan qui a pour but
la régénération de l'entendement humain dans une république de vingt-cinq
millions d'hommes que la démocratie rend tous égaux 4. »
Dans les écoles normales, la Ire République prétendait rassembler les
citoyens les plus sûrs sous la direction des savants les plus célèbres ; en même
temps que l'institution forme une élite intellectuelle d'un nouveau type,
dépendant directement de l'Etat, elle redécoupe le champ du savoir scolaire, le
réorganise à d'autres fins. Le législateur ne crée pas de toutes pièces ; bien
des projets de réforme ont, au cours du xviif siècle, déclaré que « l'éducation
doit être l'apprentissage de ce qu'il faut savoir et pratiquer dans le commerce
de la société* », et de là modifié la distribution des matières d'enseignement6.
Le législateur ne calque pas la division des disciplines sur une répartition
préétablie des sciences existantes. Il institue un nouvel ordre en imposant la
cohabitation de sciences et d'arts, certains exclus des établissements d'ancien
régime (analyse de l'entendement, économie politique, agriculture qui avait
déjà été proposée par les réformateurs), et dont les frontières externes et
internes vont être négociées et discutées, pour répondre aux impératifs d'une
nouvelle pédagogie.

0.3. Sciences, littérature et caetera

Les séances des écoles normales s'ouvrent sur un Arrêté des représentons
du peuple près les écoles normales. L'article 2 fixe la liste des professeurs

4. Rapport sur l'établissement des Ecoles normales, par Lakanal, séance du 2


Brumaire an III de la république, imprimé par ordre de la Convention nationale. Les
instituteurs reçurent leur formation entre le décret du 27 Brumaire an III, qui supprimait
l'obligation scolaire, et la loi Daunou du 3 Brumaire an IV, qui instituait la rétribution
des enseignants par leurs élèves. Ils auraient dû repartir dans leurs provinces et ouvrir
des Ecoles normales régionales pour former les futurs enseignants des écoles primaires.
5. Encyclopédie, article etudes.
6. On sait que Diderot (Plan d'une université pour la Russie, écrit en 1775) insistait
sur la liaison nécessaire entre les sciences pures, les sciences appliquées et les belles
lettres ; que La Chalotais (L.R. Caradeuc de La Chalotais, Essai sur l'Education
nationale, ou Plan d'études pour la jeunesse, 1763) préconisait dès l'entrée à l'école, et tout
au long de la scolarité, l'étude des mathématiques, de la physique, de l'astronomie et de
l'histoire naturelle.

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nommés par la Convention et la répartition de leurs cours dans le temps
(L, I, 13/14) :
Les travaux des Ecoles normales seront distribués dans l'ordre suivant 8 :
Primidi 1° Mathématiques Lagrange et Laplace
et 2° Physique Haùy
sextidi 3° Géométrie descriptive Monge
Duodi 1 ° Histoire naturelle Daubenton
et 2° Chimie Berthollet
septidi 3° Agriculture Thouin
Tridi 1° Géographie Buache et Mentelle
et 2° Histoire Volney
octidi 3° Morale Bernardin de Saint-Pierre
Quartidi 1° Grammaire Sicard
et 2° Analyse de l'entendement Garât
nonidi 3° Littérature Laharpe

La juxtaposition des différents objets d'enseignement est justifiée par les


organisateurs des Écoles normales ; on peut, selon les principes de la
philosophie des Lumières, postuler une homogénéité du savoir puisque toutes les
connaissances dépendent d'un principe unique et peuvent être décomposées
grâce à une seule méthode, la méthode analytique : « cette analyse qui compte
tous les pas qu'elle fait, mais qui n'en fait jamais un ni en arrière, ni de côté ;
elle peut porter la même simplicité de langage, la même clarté dans tous les
genres d'idées ; car, dans tous les genres, la formation de nos idées est la
même, les objets seuls diffèrent » (Lakanal, op. cit.).
On ne peut qu'indiquer ici la liaison complexe de cette homogénéité
méthodologique postulée, avec les instances économiques et politiques ;
l'unicité de principe nous semble être la condition imposée aux sciences et aux
arts pour trouver place dans le système pédagogique : ils doivent être
socialement et moralement utiles. Les théories doivent aboutir à une pratique ; en
1795, les sciences comme les savants sont mobilisées. « // importe d'extraire

7. La mise en œuvre du projet provoque la rupture de l'équilibre du tableau qui


suit. Deux journées restent inchangées : le primidi, consacré aux sciences mathématiques
et physiques ; le quartidi, aux disciplines « littéraires », sous réserve d'importantes
transformations (cf. infra, 2 et 3). Des modifications profondes touchent les journées médianes.
L'ordre des leçons dérangé, dès les premiers jours, sera encore bouleversé, peu de
professeurs remplissant jusqu'au bout leur contrat. Une modification pertinente du
projet sera l'introduction à partir de la 16e séance d'un cours d'économie politique,
assuré par Vandermonde. Si l'on tient compte du retrait provisoire de Bernardin de
Saint-Pierre, c'est-à-dire de l'absence de l'enseignement de la morale, l'économie politique
prend ainsi la place de la morale.
8. Les courtes notices ci-dessous n'identifient que les professeurs qui jouent un rôle
direct dans la mise en place de la littérature aux Ecoles normales.
Garât (Joseph Dominique) 1749-1833 ; avocat au Parlement de Bordeaux ; en
relation avec d'Alembert, Condillac, Rousseau ; député à la Constituante ; ministre de la
Justice puis de l'Intérieur sous la Convention. Membre du Conseil de l'Instruction
publique puis de l'Institut (d'où il sera exclu sous la Restauration). Ambassadeur à Naples,
il aide au 18 Brumaire et est nommé sénateur.
Laharpe (Jean-François), 1739-1803 ; dramaturge peu apprécié ; ouvre un cours de
littérature, en 1786, au « lycée » de la rue Saint-Honoré, cours fréquenté par les
mondains. Suspect, il est arrêté en 1794 ; catholique militant à sa sortie de prison. Publie son
Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne en 1799. Membre de l'Académie
française en 1776.
Sicard (Roch Ambroise) 1742-1822 ; ordonné prêtre à Toulouse. Elève de l'abbé de
l'Epée ; dirige l'école des sourds-muets de Paris à partir de 1785. Prêtre non assermenté ;
emprisonné sous la terreur. Membre de l'Institut. Remis à la direction de l'Institut des
sourds-muets après le 18 Brumaire.

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de la chimie, déclare Berthollet, des notions partielles qui peuvent être le plus
utiles à la société, pour les répandre dans les écoles primaires ■> (L, I, 214).
Nous sommes au temps où l'industrie, surtout militaire, et l'agriculture sont
les mamelles de la France révolutionnaire. « // conviendra d'apprendre à
distinguer les acides des alkalis, de montrer l'usage des premiers pour
reconnaître les terres, et celui des derniers pour la fabrication domiciliaire du savon
et du salpêtre » (ibid).
L'un des points faibles du système paraît être la zone centrale (duodi et
tridi), celle des sciences naturelles et d'une partie des sciences morales et
politiques, dans la mesure où y est posée avec insistance l'urgence d'une
adaptation pédagogique des domaines scientifiques à des objectifs précis —
économiques et politiques.
A partir de là, vont s'opposer diverses tentatives de restructuration de
l'ensemble des disciplines, divers essais pour hiérarchiser partie ou ensemble
des matières d'enseignement sous l'égide de l'une d'entre elles, le but étant
toujours d'inscrire le projet pédagogique dans le politique.

I. La mise au pas des sciences « humaines »

1.1. La littérature, organisatrice des sciences « humaines > ?


Nous examinerons maintenant l'écart entre la place assignée à la
littérature par Y Arrêté (cf. 1.1.) et la situation privilégiée que lui attribue Laharpe
dans son programme :
La littérature est proprement l'étude et la connaissance des belles-lettres, des
lettres humaines, humaniorum litterarum, comme les appelaient les anciens
qui avaient compris que l'homme sans instruction est au-dessous de son espèce,
et n'a pas atteint le complément de sa nature (L, I, 170).

Il s'agit d'une définition en compréhension, fondée sur une tradition pour


laquelle la littérature est savoir et non pas production/ produit. Suit alors, pour
complément ou rectification, une définition en extension qui étend le vieux
terrain des belles-lettres à des matières nouvelles, matières qui font d'ailleurs
pour certaines l'objet d'autres cours à l'Ecole normale :

La littérature, telle que je l'ai conçue, comprend tout ce que les anciens
attribuaient au grammairien, au rhéteur, au philosophe, et n'exclut que les sciences
physiques, les sciences exactes et les arts et métiers ; elle peut se diviser en six
parties principales ;
1. La grammaire raisonnée, ou la métaphysique des langues, qui apprend à
saisir les rapports essentiels entre les opérations de l'entendement, et les
différents modes d'expression ;
2. La poésie, le premier des arts de l'imagination, qui, dans son vaste et
brillant domaine, embrasse tant de genres de composition ou de fiction,
l'épopée, la tragédie et la comédie, le mélodrame, les vers lyriques, la fable, le
conte, la satire, l'épitre, etc. ;
3. L'art oratoire, le grand art des peuples libres, chez qui la parole est une
magistrature ;
4. La philosophie, celle qui s'applique aux notions générales de l'être, aux
actes de la faculté intelligente, aux droits et aux devoirs de l'homme, au
bonheur qui peut résulter des uns ou des autres, ce qui comprend la
métaphysique, la logique, la morale et l'économie politique ;
5. L'histoire, non pas sous le rapport de la chronologie et des annales, ce
qui est proprement de l'historien, mais comme le résumé de l'étude des faits,
qui conduit à la connaissance de l'homme, et de la lecture réfléchie des
historiens, qui enseigne à juger leur manière de penser, de raconter et de peindre ;
6. La critique, c'est-à-dire les principes du goût, fondés sur la raison et les

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convenances, recueillis dans tous les siècles, attestés par les résultats de
l'expérience et la comparaison des objets, et reconnus par le suffrage de toute*
les nations éclairées9 (L, I, 170/171).

Nous avons cité tout au long ce passage de Laharpe, parce que s'opère là,
dans l'énumération des domaines constituant les études littéraires (la
littérature), une délimitation double :
1. A l'intérieur de l'institution scolaire qu'inaugure l'Ecole normale, une
série d'exclusions constitue un reste : 1) une grammaire, ou plutôt des
grammaires particulières après soustraction de « la grammaire raisonnée ou de la
métaphysique des langues •» ; 2) une histoire, celle qui est « sous le rapport
de la chronique et des annales, ce qui est proprement de l'historien * ; 3) une
philosophie, si l'on en croit Laharpe. Ce reste, dont on voit mal le statut, ne
constitue pas un ensemble cohérent et les découpages de Laharpe ne
correspondent pas à l'organisation adoptée, par exemple, pour les écoles centrales,
pas plus qu'ils ne coïncident avec les différentes classes de l'Institut 10.
2. Si les sciences exactes et physiques ont place dans l'école, les arts et
métiers en sont exclus. Il faut ouvrir le champ, au-delà de l'horizon scolaire,
pour repérer la portée de ces réserves : l'étude du corps humain et les
thérapeutiques pour la médecine, la connaissance des lois pour le droit, restent
extérieures à la formation élémentaire du citoyen ". Mais du même coup la
psychologie et l'étude du langage sont coupées des recherches médicales et
la rhétorique de la théorie du droit.
Nous ne prétendons pas que le divorce s'opère au point où nous sommes
et qu'il n'ait pas ses sources ailleurs ; nous constatons qu'il est ici consommé
et qu'aujourd'hui ces terrains, situés à la frontière interne du scolaire (sciences
de l'homme, de la linguistique à la sociologie), restent, administrativement et
par conséquent scientifiquement, un lieu de nomadisation pour les
spécialistes de tout poil 12. La colonisation des sciences morales et politiques, par
la « littérature » au sens de Laharpe, a longtemps interdit et freine encore
la constitution de nouveaux domaines scientifiques. Dans les opérations de
détournement et d'exclusion du marxisme et de la psychanalyse, nul doute
que la situation institutionnelle de l'économie politique et de la psychologie,
fixée dès ce moment, traduise et réalise sur le terrain pédagogique le rapport
de force en faveur de l'idéologie dominante.

1.2. L' « Idéologie ■», unificatrice des sciences


La répartition des domaines n'est pas acquise sans luttes et la littérature
n'a pas gagné sa situation prééminente sans combat ni débat. Une autre
solution propose l'unification de toutes les branches de la connaissance sous la

9. On peut avoir l'impression que Laharpe réintroduit ici les domaines de la


rhétorique aristotélicienne ; cf. infra, 2.1.
10. La loi de création des écoles centrales prévoyait pour chacune 3 sections :
1) dessin, histoire naturelle, langues anciennes et langues vivantes ; 2) mathématiques,
physique, chimie ; 3) Grammaire générale, belles-lettres, histoire, législation. L'Institut
national (loi du 3 Brumaire an IV, comme pour les Ecoles centrales) comprenait 3 classes
divisées en plusieurs sections : 7re classe : Sciences physiques et mathématiques, 10
sections, dont médecine et chirurgie ; 2e classe : Sciences morales et politiques, 6 sections,
dont sciences sociales et législation ; 3e classe : Littérature et Beaux-Arts. Sur ce point,
cf. aussi S. Moravia, // tramonto del illuminismo, Bari, Laterza, 1968, p. 338.
11. Cf. pourtant Daubenson, qui s'efforce de délimiter l'histoire naturelle et
sept autres disciplines : « La chimie, la métallurgie, la botanique, l'agriculture, l'ana-
tomie, la médecine et l'art vétérinaire » (L, I, 97). On comprend que les sciences
naturelles et la chimie, récente, soient, avec les sciences morales et politiques, le
point faible de la chaîne scientifico-pédagogique.
12. E. Veron, art. cité, p. 249.

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domination d'une science « toute nouvelle » : l'analyse de l'entendement, dont
l'enseignement est confié à Garât. C'est cette idée qui sous-tend le rapport
Lakanal sur l'établissement des Ecoles normales (cf. supra 0.2. et note 4) ; c'est
la thèse, semble-t-il, du groupe des « Idéologues », dont le point de vue est
développé, par exemple, par Condorcet 13 et par Garât dans son cours :
Cette méthode ne s'applique pas seulement à quelques genres de connaissances ;
elle s'applique à toutes : chaque science a des signes et des procédés qui lui
sont propres ; mais tous leurs procédés et tous leurs signes, quand ils sont
exacts, sont conformes à cette méthode, qui est celle de l'esprit humain
(L, I, 148).
Les progrès de l'esprit humain tiennent en particulier à la prise de conscience
que les différentes branches du savoir sont régies par un principe unique 14 :
l'analyse de l'entendement « a servi, pour ainsi dire, d'intermédiaire et
d'interprète entre les sciences exactes, physiques et morales, pour leur faire
connaître ce qu'elles avaient de commun sans s'en douter, et pour leur ouvrir
de nouvelles communications, auxquelles elles ne pensaient pas » (L, I, 150).
La mise en rapport des sciences exactes et morales trouve par exemple
l'un de ses moyens dans la mathématisation des phénomènes économiques,
sociaux et politiques, qui est présentée dans le cours de mathématiques. C'est
aux écoles normales que Laplace « résuma les résultats obtenus par ses
prédécesseurs sur le calcul des probabilités et ceux par lesquels il les
Complétait1* ». Ces leçons seront développées dans Y Essai philosophique sur les
probabilités, où Laplace applique la théorie des probabilités aux jeux, aux
sciences naturelles, à la médecine, aux sciences morales et politiques 16.
Dans cette perspective, les sciences sociales sont un territoire assigné à
l'expansion des mathématiques. C'est en fait un autre principe de réduction
du domaine ouvert au xvme siècle.

1.3. Les Idéologues et la fonction de la littérature


La conception de Garât semble avoir inspiré l'ensemble du projet, et la
littérature y est renvoyée à un rôle de prestige, sans privilège sur les sciences
morales et politiques. Une lettre de Garât à Lakanal, datée du 15 nivôse, soit
dix jours avant la parution de X Arrêté, insiste en même temps sur la nécessité
d'un cours de littérature, sur sa portée et sur ses limites :
// faut abolument avoir un cours de littérature. Les gens de lettres jetteraient
les hauts cris, et personne ne crie aussi haut qu'eux. Il est vrai aussi que les
écoles normales seraient incomplètes si elles ne présentaient pas les règles et

13. Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, écrit en 1793 ;
Vrin, 1970.
14. On reconnaît une des préoccupation des Encyclopédistes ; cf. par exemple l'article
elements : « Si nous pouvions apercevoir sans interruption la chaîne invisible qui lie
tous les objets de nos connaissances, les éléments de toutes les Sciences se réduiraient
à un principe unique, dont les conséquences principales seraient les éléments de chaque
science particulière. »
15. F. Picavet, Les Idéologues, Essai sur l'histoire des idées et des théories
scientifiques, philosophiques, religieuses, etc. en France depuis 1789, Paris, F. Alcan, 1891,
p. 169.
16. Les éditeurs du Cours des Sciences et Arts {op. cit., note 6 ; p. XVI) développent
ainsi la section réservée aux sciences morales et politiques : Manière d'adapter le calcul
des probabilités, aux naissances, à la population, aux tables de mortalité, aux bénéfices
et aux chances des établissements de rentes viagères, tontines, caisses d'épargne et
d'assurance, aux résultats de décision d'une assemblée délibérante. » Volney (L, II, 217) propose
d'appliquer le calcul des probabilités à l'histoire pour en assurer la certitude, cf. aussi
Condorcet, probabiliste contemporain de Laplace, in Mathématique et Société, choix de
textes et commentaires par R. Rashed, Paris, Hermann, 1974.

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les modèles de tous les genres d'enseignement ; il faut enfin considérer que
c'est ce qui tient au goût qui est surtout mal enseigné hors de Paris ; que
c'est donc pour ce genre d'enseignement qu'il est le plus nécessaire d'y
former des professeurs ; et que d'ailleurs un cours de littérature sera très
propre à répandre du charme sur la sévérité des sciences exactes et physiques.
Smith, dans l'Université d'Edimbourg, faisait « l'Histoire de l'éloquence »
en même temps que le « Traité sur la richesse des nations ».
// faut que les Ecoles normales soient la première école du monde 11.

L'enseignement de la littérature est présenté, ici, comme indispensable, mais


ne joue nullement le rôle structurant que lui attribuait Laharpe (cf. 1.1.)- Sa
nécessité tiendrait, si l'on accepte les arguments de Garât : 1) à la pression
de l'intelligentsia influente auprès du pouvoir ; 2) à l'extension d'une méthode
unique à tous les genres, y compris la littérature ; 3) au charme exercé par
la littérature sur le public des écoles normales, voire sur les disciplines
scientifiques 18. L'information la plus intéressante porte sur le modèle offert par
l'université d'Edimbourg ; elle tend à montrer que les positions de Garât et
de Laharpe, loin d'être inconciliables, convergent pour ce qui est de
l'enseignement de la littérature. Le cours d'Histoire de l'éloquence de A. Smith
apparaît en effet à Garât comme un enseignement de la littérature ; et Laharpe
à l'Ecole normale réduira de la même façon son objet :
Le professeur traitera de l'éloquence et particulièrement de celle des anciens,
qui ont été les premiers maîtres de cet art, dans les deux genres les plus
importants, le délibératif et le judiciaire ; sous ce rapport, les républiques
sont la patrie de l'éloquence. Il n'est donc pas étonnant qu'elle se soit
matérialisée chez les peuples qui ont été longtemps libres (L, I, 170).

Ce qui nous semble pertinent, c'est le double mouvement qui sépare la notion
de littérature et son enseignement. Chez Laharpe, elle tend à recouvrir une
grande partie de l'ensemble du domaine des sciences morales et politiques,
alors que son cours se restreint, dans son projet comme dans sa réalisation,
à une section très particulière de champ, les autres terrains « littéraires »
étant abandonnés à des spécialistes : Sicard, Volney, Bernardin de Saint-Pierre,
Garât. La délimitation de ces domaines, i.e leur répartition et leur hiérarchie
à l'intérieur du champ littérature, plus particulièrement le nouveau dessin
des disciplines centrales de l'ancien trivium : grammaire/ dialectique/
rhétorique, peut donner de nouvelles indications sur la fonction du littéraire dans
l'organisation de l'école républicaine.

1.4. Jusqu'à maintenant, nous avons tenu l'Ecole normale pour le champ clos
d'un débat où se cristalliseraient des positions antagonistes quant à
l'organisation des sciences et des arts, et aux domaines pédagogiques qui doivent
assurer leur diffusion mais aussi leurs limitations. Les deux projets,
apparemment divergents, cherchent à contrôler le développement des sciences
morales et politiques. Leur prise en charge par la littérature, comme le
voudrait Laharpe, leur assignerait les limites des belles-lettres, réservées à l'âme
et au rhétorique (cf. infra, 2.I.), et interdirait que le corps, renvoyé à la
médecine des écoles de santé, joue le moindre rôle dans leur formation. La

17. In J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d'instruction publique, tome V,


Appendice, p. 684.
18. Plusieurs thèmes sont abordés; l'un des plus importants, que nous traiterons
ultérieurement, est celui du rôle de Paris, comme centre d'élaboration et de diffusion
des « lumières ». cf. Gramsci, in Gli Intellectuali e l'organisazzione délia cultura, cité
par M. Macciochi, Pour Gramsci, Seuil, 1974. Le fonctionnement de l'Ecole normale
(recrutement régional des élèves, rassemblement à Paris, formation des formateurs, etc.)
a pour modèle administratif l'organisation des industries militaires, modèle considéré
comme typiquement révolutionnaire par la Convention nationale.

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méthode analytique ou la mathématisation, selon Garât, issues des sciences
exactes, auraient une fonction identique de surveillance sur l'évolution des
sciences exactes. Si les deux hiérarchies proposées s'opposent quant aux lignes
de partage des disciplines, elles ont une même fonction répressive ; nous ne
sommes pas encore véritablement sortis de ce dilemme, les sciences humaines
balançant administrativement entre les deux cadres, sciences/ lettres-

2. Un débat politique

2.0. Les leçons et débats de l'Ecole normale ont donc concouru, ce qui était
essentiel, à la mise au pas des sciences humaines. On ne peut parler, comme
l'ont fait les historiens de l'école, d'une « absence de résultat concret » ; les
rééditions des Séances des écoles normales indiquent assez que l'on
considérait l'objectif atteint — même si l'enseignement primaire était condamné.
C'est dans ce cadre général, dont nous avons esquissé l'organisation et repéré
les objectifs, que nous examinerons comment le partage du rhétorique et de
la grammaire à l'Ecole normale à contribué à installer la répression
pédagogique.

2.1. Eloquence et littérature


L'accord entre Laharpe et Garât sur la nécessité d'un enseignement de
la littérature masque un temps la divergence sur la définition de l'objet
littéraire, sur sa place dans l'institution scolaire, et finalement sur la relation entre
le littéraire et le politique.
Pour que le débat Laharpe/ Garât ne soit pas confondu avec la « disputa-
tio scholastique », où se réglait la concurrence commerciale entre magisters
et écoliers, il faudrait prendre en compte le lieu institutionnel de ce discours.
Le professeur aux écoles normales est un haut fonctionnaire de l'Etat, appointé
par le pouvoir, souvent membre, en l'occurrence, de l'appareil politique — du
Comité d'Instruction publique, par exemple — , et sa fonction n'est pas de
transmettre un savoir fixé, mais essentiellement d'offrir les solutions
idéologiques de la classe dominante, de poser les choix techniques conformes aux
besoins et aux capacités de la formation sociale, et de fournir des
justifications qui sont aussi bien d'ordre politique que scientifique ou philosophique 19.
Et, comme c'est le cas ici, les propositions des professeurs peuvent être
contradictoires. Pour rester dans le cadre de notre propos, nous travaillerons sur
des couples de positions.
Il n'y eut pas de dialogue à proprement parler entre Laharpe et Garât.
Les deux professeurs avaient donné leur programme respectif le 4 pluviôse,
à la troisième séance des cours de l'Ecole normale ; pendant quinze jours,
tous deux gardent le silence. Le 19 pluviôse, la quatrième séance des débats
est consacrée aux disciplines de la quatrième journée 20 et Garât intervient
pendant l'heure de littérature pour critiquer le programme de Laharpe. Quatre
jours plus tard, il se livre dans son cours, le dernier à figurer dans le journal
des séances, à une attaque violente contre 1' « empire » que l'éloquence et
19. Rapport de Lakanal, op. cit., note 4 : « cet objet [le sytème d'enseignement] doit
'erminer la révolution dans la République française et en commencer une dans l'esprit
humain ».
20. Art de la parole, littérature, analyse de l'entendement. On ne trouve pas dans
le journal des séances le compte rendu du débat consacré à l'analyse de l'entendement ;
au cours d'une leçon postérieure, il est fait état d'une lettre d'élève lue à cette séance ;
le compte rendu sténographique a dû subir le même sort que celui des leçons de Garât
prononcées à l'E.N. mais non reproduites dans le journal sténographique.

38
l'art oratoire « exercent parmi nous ■» (L, II, 36) ; le lendemain, Laharpe,
qui s'était tu le jour du débat, consacre sa leçon à réfuter les arguments de
son confrère. Ce qui est en jeu dans cette polémique locale, c'est le choix
entre deux modes de liaison antagonistes de l'instruction et du politique, choix
décisif pour l'orientation de la politique scolaire du pouvoir, en particulier
pour le maintien ou l'abandon du projet d'écoles primaires.
Dans son programme, Laharpe avait délimité l'objet de son cours (cf.
1.1.)» le restreignant à l'éloquence, conformément au modèle proposé par
Garât dans sa lettre à Lakanal. L'opposition se fait jour sur la définition même
de l'éloquence, que Laharpe borne doublement : 1) à la seule pratique du
discours juridico-politique ; 2) au seul modèle gréco-latin. De ce fait, il
distingue, par un retour inattendu mais parfois critique aux catégories
aristotéliciennes (cf. infra, 2.2.), rhétorique et poétique, renvoyant la poésie — et sous
ce terme toute la littérature de fiction — , à son cours du lycée. L'Ecole
Normale est, pour le professeur de littérature, avant tout le lieu d'inculcation
d'une pratique politique, d'imposition d'un modèle d'intervention dans les
assemblées républicaines. Les poètes, exceptionnellement cités par Laharpe
(Dante, Pétrarque, etc.), sont présentés comme inaptes à fournir des modèles,
donc sans efficace pédagogique et politique. Il n'en reconnaît pas moins la
place de la poésie dans la cité, en citant, pour une fois, un « moderne » :
Voltaire a dit fort à propos le superflu, chose très nécessaire, et cela est
vrai des arts dans l'ordre social et par conséquent dans l'ordre politique, liés
entre eux par des rapports si intimes que jamais un bon gouvernement ne
doit séparer l'un de l'autre (L, I, 176).

L'étude de la poésie, voire d'une poétique, est alors différée au nom de


l'urgence d'une formation politique à la vie républicaine, d'un apprentissage
de la parole publique, qu'il présente comme le dernier rempart à la barbarie
— la Terreur — toujours menaçante.
Garât, non moins anti-robespierriste (cf. L. I, 169), oppose à Laharpe
une autre solution. Comme pour dénoncer la négligence tactique du
professeur de littérature, il fait dans son second cours l'éloge des poètes « qui
ont les premiers donné aux hommes le goût et le besoin du vrai » (L, II, 36).
La poésie aurait sa place, aux côtés de la philosophie, dans le progrès de
l'esprit humain et de ce fait dans le programme de l'Ecole normale ". Du
point de vue de l'idéologue, l'éloquence n'aurait pas le même rapport essentiel
à la vérité ; elle pourrait aussi bien plaider le faux ; et c'est même, selon
Garât, le rôle principal qu'elle a joué jusqu'au xviir* siècle : « La philosophie
et la vérité n'ont pas eu de plus terrible ennemie que l'éloquence » {ibid., 37).

2.2. Eloquence vs Art oratoire


Pour Garât, l'éloquence est une arme à deux tranchants ; faculté humaine
dont le champ s'étend à tout le domaine littéraire, elle ne peut jouer un rôle
bénéfique qu'associée à la philosophie. Mais au service exclusif des passions,
elle a été, au cours de l'histoire, le moyen efficace de répandre les « fausses
religions » ou de faire appliquer des « lois partiales et iniques » {ibid., 37),
donc un instrument de mauvaise politique. L'erreur de Laharpe serait, en
restreignant indûment l'éloquence à l'usage oratoire des anciens, de privilégier

21. Cette critique du programme de Laharpe se retrouve dans le journal animé par
les idéologues : la Décade Philosophique (tome IV, p. 541 sqq.) : « Laharpe a cru devoir
se renfermer dans un cercle moins étendu : il s'est borné à annoncer qu'il traitera de
l'éloquence, ou plutôt comme on le voit par son programme, de Vart oratoire ». On voit
que le débat n'est pas circonscrit à l'intérieur des Ecoles normales.

39
un art de l'erreur et de l'illusion, d'exclure les philosophes modernes en même
temps que les poètes. Ce serait réduire l'éloquence, et du même coup la
littérature, à l'art oratoire qui n'est que l'ensemble des règles régissant le
choix et la disposition des arguments, non leur valeur de vérité. Or
l'éloquence, selon Garât, apparaît à tous les moments de l'histoire et dans tous
les genres — dans les lettres de Mme de Sévigné, les oraisons de Bossuet
ou le discours de Rousseau. Elle découvre et crée des expressions et des
arguments par lesquels on agit sur l'esprit des auditeurs — éloquence de la pensée
— ou sur leur cœur — éloquence de la passion. A l'opposé, l'art oratoire,
fruit d'un apprentissage, est un simple cadre pour l'orateur qui peut être,
éventuellement, éloquent. C'est dire que de ce point de vue, l'art oratoire,
lié à certaines formes de société, peut se perdre, mais non l'éloquence,
constitutive de l'idée de littérature, quel que soit son domaine.
Division tranchée que refuse Laharpe. S'il accepte que l'éloquence soit
une faculté naturelle et l'art oratoire la « théorie des moyens que l'étude et
l'expérience ajoutent à cette faculté » (ibid., 100), il ne voit aucun risque à
utiliser indifféremment l'un ou l'autre terme. C'est qu'il ne retient, pour la
formation des instituteurs, que l'éloquence politique dont, seuls, les orateurs
anciens, devant les assemblées athéniennes ou les tribunaux romains, ont
fourni les exemples, c'est-à-dire les modèles de l'art oratoire. Si Laharpe
reconnaît bien des traces d'éloquence au siècle de Louis XIV, elles ne sont
pas dans la correspondance de Mme de Sévigné, mais uniquement dans
l'oraison funèbre et le sermon, soit des genres parlés avant que d'être écrits ; de
même, au xvnf siècle, les éloges des grands hommes offrent « des vérités
morales et politiques » ; mais, dans les deux cas, cette éloquence relève du
genre démonstratif, exclu de l'enseignement aux écoles normales, au profit
des genres délibératif et judiciaire, qui ont pour objet le politique et le légal,
parce que tous deux sont liés « aux plus grands intérêts de l'Etat » (D, I, 118).
Pour Laharpe, le modèle éloquent et littéraire à l'Ecole normale, c'est une
littérature de combat politique, qui n'a pas d'exemples chez les auteurs
modernes, qui furent plutôt
moralistes éloquents, que véritables orateurs, si nous ne donnons ce titre,
avec les anciens, qu'à ceux qui se signalent dans la lice brillante et périlleuse
des délibérations et des jugements publics, qui soutiennent des combats, corps
à corps ; et après avoir terrassé leurs adversaires, entraînent les hommes
rassemblés à la suite de leurs triomphes (L, II, 103).

L'Ecole normale est un des lieux où se jouent, pour l'école à venir, la place
de la rhétorique et ses chances de résurrection. D'un côté, les sciences
humaines tentent de se construire sur ce terrain déserté : l'analyse de
l'entendement emprunte sans doute à la logique, mais aussi à l'ancien « empire »
rhétorique, les éléments d'une psychologie, d'une anthropologie, voire d'une
épistémologie, et constitue, par rejet, la littérature sur les restes de
l'éloquence 22. Garât indique même la fonction d'une philologie destinée à
conserver les modèles antiques, à les embaumer, pour que puisse s'épanouir en
liberté le génie des modernes. A l'opposé, Laharpe, qui refuse à la rhétorique
statut de science, entend faire revivre, au temps de la liberté reconquise sur
les rois et les terroristes, une pratique oratoire inspirée de Démosthène et de
Cicéron 23.

n° 16.
22. Cf. P. Kuentz, « Le " rhétorique " ou la mise à l'écart », in Communications,
23. Laharpe s'inscrit ainsi à contre-courant du mouvement de la rhétorique à l'âge
classique,
n° 16, p. 159
tel que
: « lel'époque
décrit classique,
G. Genette,particulièrement
« La rhétoriqueen restreinte
France, et», plus
in Communications,
particulièrement
encore au xvnr siècle, hérite de cette situation qu'elle accentue en privilégiant sans

40
2.3. Deux conceptions de l'histoire
Ces divergences quant au contenu de l'éloquence signalent deux
conceptions différentes du politique ; elles aboutissent à des positions fort divergentes
sur la place et la fonction de l'Antiquité dans la formation du citoyen ; les
définitions de l'éloquence, comme art oratoire selon l'un, comme forme
constitutive de toute littérature selon l'autre, ne se dissocient pas de deux concep-
tons opposées de l'histoire Z4.
Pour Garât, la rupture est totale entre les pratiques de l'Antiquité et
celles de l'époque moderne. En particulier, l'art oratoire et l'éloquence ont
changé d'objet, de point d'application. A Athènes, il s'agissait pour l'orateur,
dans un champ restreint aux limites de la cité et aux seuls habitants réunis
sur Yagora, de dénoncer les ennemis de la république. Aux temps modernes,
et surtout sous la République française, la philosophie alliée à l'éloquence
s'attaque à l'ensemble des « erreurs de l'espèce humaine » et doit
révolutionner les institutions et les esprits sur le territoire national, en attendant
de pouvoir s'imposer sur tout le globe. Cette vision dynamique postule le
progrès de l'esprit humain et reconnaît dans l'histoire des peuples la lente
ascension de la raison.
Au contraire, il semble que pour Laharpe l'histoire est « cyclique » : les
anciens ont été les premiers à poser les « principes de l'éloquence et de la
liberté » (D, I, 114) ; les premiers et les derniers, car depuis la mort d'Auguste
et jusqu'au xve siècle, le monde aurait connu une « nuit profonde » dans
le domaine général des lettres, et conjointement les nations auraient succombé
à la barbarie. La liberté retrouvée, l'éloquence, la véritable éloquence, celle
« qui soulève les hommes assemblés avec le levier de la parole » (D. I, 118)
serait ressurgie, à l'Assemblée constituante, avec Mirabeau, conforme à la
pratique héroïque des anciens, modèles politique et rhétorique inchangés,
fondés sur ces règles de la morale et du goût qui ne varient ni dans le temps
ni dans l'espace. Ces règles universelles seraient toujours à étudier chez les
anciens qui, seuls jusqu'alors, sont parvenus à établir des formes politiques
idéales, que les modernes ne peuvent que reproduire.
Dans d'autres institutions, au Lycée par exemple, devant un auditoire
plus averti et moins engagé dans l'action pédagogique, Laharpe donne une
large place à la littérature du siècle de Louis XIV, et ne se limite pas à l'art
oratoire : c'est que les tragiques et les mémorialistes, par exemple, peuvent
porter, comme les orateurs, les mêmes vérités intemporelles ; ils assument
aussi une fonction politique et morale : « adoucir les mœurs » dans les
périodes agitées, « calmer et diriger les esprits » ; mais cette action politique,
ils l'exercent moins directement. Ils sont donc moins efficaces scolairement

cesse le corpus littéraire (et spécialement poétique) sur l'oratoire. Homère et Virgile (et
bientôt Racine) supplantent Démosthène et Cicéron, la rhétorique tend à devenir pour
l'essentiel une étude de la lexis poétique ».
24. Un des points d'appui du débat est le « de causis corruptae eloquentiae » (dit
Dialogue des Orateurs), cité d'abord par Garât (D, I, 122), puis repris par Laharpe
(L, II, 110 sqq.). Dans Communications, n° 16, « Recherches rhétoriques », R. Barthes
décrit ainsi ce texte : « Dans le Dialogue des Orateurs (dont l'authenticité est parfois
contestée), Tacite politise les causes de la décadence de l'éloquence ; ces causes ne sont
pas le " mauvais goût " de l'époque, mais la tyrannie de Domitien qui impose silence
au forum et déporte vers un art inengagé, la poésie : mais par là-même, l'éloquence
émigré vers la " littérature ", la pénètre et la constitue (eloquentia en vient à signifier
littérature) » (p. 182-183). On voit que, dans notre dispute, l'un retient essentiellement les
rapports du politique et de l'éloquence, tandis que l'autre insiste sur la nouvelle
équation, éloquence = littérature. Le même texte sert aussi à engager la discussion sur la
querelle des anciens et des modernes.

41
et n'ont pas la même valeur exemplaire que Démosthène et Cicéron. Aussi,
pour les élèves des écoles normales, chargés de la formation des citoyens,
la littérature sera réduite à ces modèles héroïques, qu'illustrent à la fois leurs
discours et leur mort25.
Cette pérennité du modèle antique, moral, littéraire et politique a des
conséquences pratiques. Laharpe donne à l'étude des langues anciennes une
place fort importante dans l'enseignement. Grâce aux érudits de la
Renaissance, l'Occident est retourné à la source antique, à « notre véritable
nourrice » (L, II, 107). Si la littérature et la liberté ont pu de nouveau s'épanouir
aux temps modernes en Europe, c'est au contact de la culture ancienne. La
République ne peut survivre qu'en préservant ce patrimoine ; elle est défendue
par les hommes de culture, qui profitent du savoir antique, et sans cesse
menacée par les ignorants capables de toutes les erreurs. Sous Robespierre,
la politique de nos tyrans consistait à donner tout pouvoir de mal faire à
cette espèce d'hommes qui sont la lie des grandes nations, à ceux qui n'ont
rien, ne font rien et ne savent rien ; et de cet assemblage de dénuement, de
fainéantise et d'ignorance, se compose ce qu'il y a de pis dans l'humanité
(L. I, 172/3).

Il importe, au premier chef, que la littérature scolaire fournisse aux futurs


citoyens les prémisses de la morale républicaine et les préserve de l'ignorance.
Si les écoles primaires ne peuvent faire place à l'enseignement du grec et du
latin, elles doivent au moins être le lieu de diffusion d'une morale d'exemples
héroïques, qu'on retrouve dans les catéchismes républicains.
Les Idéologues comme Garât n'ont pas échappé à la prégnance du
retour à l'antique. Mais, pour eux, l'histoire n'offre pas de modèle à répéter ;
les formes politiques et littéraires changent puisque l'entendement humain
évolue dans un sens positif. Le cours de Garât s'était d'ailleurs ouvert sur
une rapide esquisse d'histoire des sciences, où, seules, les avancées étaient
prises en compte 26 : Bacon, Locke, Charles Bonnet et Condillac étaient les
jalons de cette « histoire de l'esprit humain », qui ne sépare pas progrès des
sciences et des lettres. La pratique littéraire s'inscrit ainsi dans le mouvement
général des sciences et des techniques, qui ne se sont développées que dans
les sociétés modernes. Le génie humain doit donc s'arracher des modèles
anciens, de l'étude des langues mortes, c'est-à-dire de la préhistoire de
l'entendement : « Le génie ne peut naître, et le goût se perfectionner que dans les
langues vivantes » (D, I, 127).
Au reste, la forme politique du régime d'assemblée, qui semble
essentielle à Laharpe, est moins importante aux yeux des Idéologues que le
développement économique de la nation et le progrès des lumières27. Ce qui est
déterminant pour atteindre ce double objectif, c'est l'imposition à tous les

25. Laharpe : « II ne faut pas oublier non plus en lisant les immortels écrits de ces
auteurs [...] l'espèce d'intérêt que doit répandre sur leur personne la destinée qu'ils ont
eue : elle fut très brillante, elle finit par une mort funeste, si pourtant la mort peut être
funeste, lorsqu'on périt pour la liberté » (L, I, 187). Le modèle héroïque n'est pas passé
de mode comme en témoigne le succès actuel du Chant du Départ, dont le refrain plagie
le vers d'Horace cité par Laharpe à la fin de son premier cours : « Dulce et decorum
est pro patria mori. »
26. M. Fichant (Sur l'histoire des sciences, Maspero, p. 56-66) marque nettement le
lien entre « la fondation d'une discipline scientifique ultime » (la sociologie pour
A. Comte) et la possibilité d'une histoire des sciences. Ici, c'est l'analyse de l'entendement
qui permet d'opérer un choix dans les disciplines scientifiques.
27. Dans l'article d'Isaac Joseph, « Les trois enfermements », (in Temps Modernes,
novembre 1974) sont indiquées les positions des Idéologues sur les institutions
républicaines.

42
Français de la langue unique, véhicule commercial et philosophique ; le retour
aux anciens apparaît comme un obstacle à ce projet.

3. Le partage des études littéraires

3.1. Art de la parole et/ou analyse de l'entendement

De ce débat, le professeur de grammaire, Sicard, semble rester absent.


Ses deux collègues lui offrent place dans leurs disciplines respectives : Garât
projette une théorie du langage où doit s'inscrire la grammaire (L, I, 30) ;
Laharpe définit « la métaphysique des langues, la grammaire raisonnée »
comme partie de la littérature (L, I, 175). Sans prendre parti dans la
polémique, l'abbé Sicard fait son cours ; il multiplie les actes de présence sur la
scène pédagogique. Omniprésent, il bouscule l'ordonnance des journées. A
la fin de cette session de la première Ecole normale, il a tenu quarante
cours et débats ; dans le même temps, Garât et Laharpe n'ont donné chacun
que sept séances 28.
Cette prolifération des cours de grammaire n'est pas le simple effet de
la faconde gasconne du professeur, ni du retrait progressif de ses collègues.
Elle est l'indice du rôle que joue, dans la mise en place du système scolaire,
l'imposition de la langue unique. Mais cette fonction de la grammaire est en
quelque sorte différée par le retard apporté à la fondation des écoles
primaires. Un siècle plus tard, l'école de J. Ferry donnera à l'apprentissage
du français une priorité lisible dans les horaires consacrés à l'enseignement
de la langue « maternelle ». Ce qui se dessine à l'Ecole normale, c'est
justement l'abandon du projet jacobin d'une école élémentaire, au profit de la
formation des cadres bourgeois de la nation dans les écoles centrales (cf.
I. Joseph, article cité).
Cette abondance des cours de Sicard signale un nouvel avatar du trivium
classique dans le cadre de l'école républicaine ". L'extension de la grammaire
s'opère aux dépens de son entourage ; elle provient d'un double jeu qui est
moins du professeur que de la discipline. Le cours de Sicard se dédouble
progressivement ; c'est que l'analyse de la période en propositions offre
bientôt deux pistes : l'inventaire du matériau grammatical et la théorie du signe.
Sicard donne deux cours parallèles, à partir de la vingt-sixième séance.
Les deux sont formellement distincts. La grammaire proprement dite est
réservée au jour fixé par Y Arrêté (le quartidi pour les leçons, le nonidi pour
les débats) ; la théorie du signe est développée dans les empiétements de
l'abbé sur les autres journées ; en outre, elle s'oppose au cours de grammaire
comme la démonstration pédagogique au cours magistral. Ces jours-là, Sicard
donne à voir l'acte d'apprentissage, exhibe ses sourds-muets, les fait parler
ou écrire ; ils rejouent la scène primitive : à l'origine du langage, l'homme
de la nature inventant le signe de ses idées. Lorsque la représentation parvient
à la formation des idées abstraites, Sicard s'exclame : « Voilà citoyens, que

28. Sicard assure ses cours le quartidi avec régularité, mais on peut le voir aussi
certaines décades venir clore la journée de chimie et d'histoire naturelle (les 22 pluviôse
et ventôse, le 12 germinal), ou s'insérer dans le bloc des sciences exactes (21 germinal).
Il est souvent le seul du trio des « arts libéraux » à assurer toute une séance (13 pluviôse,
4 germinal, 17 et 24 floréal) ; à la quarante-deuxième séance, il fait même deux leçons.
29. P. Kuentz signale la réduction du trivium à un bivium, sous l'influence de
Ramus puis de Port-Royal : Logique/grammaire ; nous allons voir qu'avec les Ecoles
normales c'est un autre couple, Art de la parole/art oratoire, qui occupe le terrain.

43
sans en avoir eu l'intention, nous nous trouvons jetés dans toutes les
profondeurs de la science de l'entendement humain » (L, IV, 265).
La grammaire a investi l'analyse de l'entendement. Le problème de
l'origine des idées est à peine esquissé dans la seconde leçon de Garât, quand
Sicard y consacre sept leçons et plusieurs débats ; sur ce point la comparaison
montre clairement le modèle commun et la divergence. Pour le premier,
théorie des idées et du langage figurent après l'analyse des sensations et des
facultés ; l'ensemble fournit la matière et le modèle de la méthode commune
à toutes les sciences et tous les arts. Garât distingue trois opérations de
l'entendement :
qui donnent des idées de trois espèces très distinctes [...] : les idées des
substances, les idées des qualités, les idées des qualités considérées comme si
elles avaient une existence propre (L, II, 26). ,

L'instituteur des sourds-muets semble proposer la même division :


II y a trois sortes d'idées : les idées d'objets matériels, les idées qui
appartiennent aux passions de l'homme, et des idées qui appartiennent à
l'entendement, considéré comme pure intelligence (L, III, 379).

Pour tous deux, la pensée et le langage sont inséparables, mais le lien qui
les unit n'est pas le même. Garât ancre les idées abstraites et leurs signes
dans les sensations, par la chaîne condillacienne des facultés humaines
(attention, imagination, etc.) ; l'entendement préside à toutes les opérations de
l'idéation, à tous ses niveaux30. A l'opposé, Sicard pose au principe de
l'abstraction seule une opération qui est proprement de l'entendement, et qui
n'est liée à la sensation que par l'analogie entre les êtres matériels (perçus
par les sens = vus) et les êtres abstraits (du ressort de la pure intelligence
= « idées »).
Ainsi, j'ai commencé par dire au sourd-muet, pour lui bien faire connaître
la nature de l'âme, qu'il y avait chez nous deux principes d'opérations bien
distincts, qu'il y avait de l'analogie entre les opérations de l'un et les
opérations de l'autre (D, I, 345).

L'entendement, pour Sicard, est le siège de l'opération transcendante ; elle


témoigne de la présence du divin arrachant l'homme aux sensations et aux
passions.
Le déplacement disciplinaire de la théorie des idées et de leurs signes
se solde par un changement d'hypothèse, le spiritualisme de Sicard évacuant
l'idéalisme de Garât. Le cours de Garât avait commencé par poser le progrès
des sciences sous la forme d'une histoire de l'esprit humain. La grammaire
de Sicard y substitue le spectacle de la genèse de l'idée et du signe. Dans cet
espace mythologique, l'entendement devient le jeu des sourds-muets ; on ne
1' « analyse » pas, on le représente. Le mystère s'accroît encore du mode
de multiplication des signes par scissiparité, trois grands types de mots (le
nom, l'adjectif et le verbe) naissant d'un signe unique, originel, sur le modèle
de la sainte trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit 31. L' « idéologie »,
comme science des idées et du langage, est refoulée par le théologique et le
linguistique étroitement conjugués. Exit Garât, suspect, malgré ses dénéga-

30. Garât : « Toutes les opérations de l'esprit ne sont que sensations » (L, II, 22)
et encore : « Toutes [les] facultés [...] n'étaient que la sensation elle-même, prenant
diverses formes, mais ne changeant jamais de nature. » (L, I, 143).
31. Nous traiterons par ailleurs du système grammatical de Sicard, de ses
présupposés et de ses applications pédagogiques.

44
tions, d'athéisme et de matérialisme 32, et avec lui, la tentative épistémologique,
issue du progrès des sciences. A l'analyse de l'entendement, se substituent
l'analyse « logique » et son complément, l'analyse grammaticale.
Cette conquête de l'entendement par la grammaire était déjà au départ,
dans le changement de titre imposé par Sicard : 1' « art de la parole »
recouvre aussi bien « une grammaire philosophique, grammaire d'idées » que
les règles du discours ; pour Sicard, « tout le domaine de la pensée est l'art
de la parole » (L, II) ; du même coup, son cours dévie vers le champ
rhétorique.

3.2. Littérature et grammaire

3.2.1. Les catégories rhétoriques en grammaire


A l'Ecole normale, comme à Port-Royal, un terme du trivium classique
est exclu, mais si la place de la logique reste apparemment vide, les deux
disciplines en présence ne sortent pas inchangées de la réorganisation du
domaine des belles-lettres : la littérature y gagne sa place et occupe l'antique
terrain de la rhétorique, modèle d'action politique ; cependant, il faut bien
constater que la technique rhétorique elle-même est réduite à la portion
congrue, un seul cours étant consacré aux catégories oratoires sur un mode
critique. L'essentiel du cours de Laharpe est un traité de morale politique
par l'exemple.
En contrepartie, les figures rhétoriques de Yelocutio trouvent un champ
d'extension dans l'art de la parole professé par Sicard. P. Kuentz a bien
montré (art. cit.) comment le rhétorique pervertit le noyau de la théorie du
langage à Port-Royal ; le phénomène n'est donc pas nouveau, mais il se
réalise ici sous d'autres modalités.
La généalogie des langues, présentée par Sicard comme une histoire,
est masquée dans l'usage courant, mais révélée par la pratique « naturelle »
des sourds-muets. Les idiomes en usage sont dérivés d'un langage premier par
le jeu de figures empruntées à la rhétorique :
— par les lois de Yellipse : le complément d'objet est le reste de l'ellipse
d'une proposition passive, symétrique de l'active (Sicard est frappant + table
est frappée = Sicard frappe table), de même que la désinence (e) du verbe
est la trace d'un verbe être ellipse ;
— par un surplus, également rhétorique, provenant de l'articulation des
propositions en période : les conjonctions ;
— ou par la substitution d'un terme figuré au terme propre (les pronoms
pour le nom).
Mais c'est surtout la base de l'analyse logique, fondement de la théorie
comme de la pédagogie de la grammaire, qui ressortit au rhétorique ; la
proposition que Sicard pose au début de son cours est avant tout un argument ;
c'est moins une unité logique de la phrase que l'unité de décomposition de
la période, catégorie rhétorique par excellence : le changement d'intitulé du
cours de Sicard trouve ainsi sa seconde justification :
Tout l'art de la parole est dans la période puisque le discours, qui en est
le chef d'œuvre, n'est qu'une grande période lui-même, et qu'une période
réciproquement n'est qu'une sorte de discours M (L, II, 94).
32. Cf. P. Dupuy, L'Ecole normale de l'an 111, Hachette, 1895, p. 171.
33. Cf. J.-Cl. Chevalier, in Langue Française, n° 15, surtout p. 3-4, et, pour tout
ce qui concerne la relation entre théorie grammaticale et pédagogique au xvm" siècle,
sa thèse : Histoire de la Syntaxe. Naissance de la notion de complément dans la
grammaire française, 1530-1750, Droz, 1968.

45
La grammaire décrit donc une boucle partant et ramenant au rhétorique, elle
n'est qu'une dérivation de l'étude du discours. « Nous aurons donc fini notre
cours quand nous saurons l'art de composer, de décomposer et de recomposer
la période » (ibid.). Lorsque des élèves opposent à Sicard la complexité de
l'objet qu'il propose ainsi aux enfants des écoles primaires, il répond :
la première leçon de grammaire suppose, comme je l'ai répété, et comme
cela est imprimé dans mes premières leçons, que l'enfant sait causer ; or, s'il
sait causer, il fait tout seul des périodes avec ceux avec qui il cause (D. I,
320).

On s'aperçoit que la finalité du cours d'art de la parole n'est plus tant


l'apprentissage de la langue unique que la reconnaissance par l'élève de son aptitude
première à produire/ comprendre la période, le discours. Le retour du
rhétorique est lié à la modification du projet scolaire (cf. infra, conclusion).

3.2.2. Le tutoiement, objet littéraire ?


Les modes de retour du rhétorique sont multiples ; ainsi, le professeur
de littérature aux écoles normales traite d'un problème de grammaire ; à la
demande même de Sicard, Laharpe reprend un cours du Lycée, sur la
généralisation du tutoiement pendant la période révolutionnaire. Comme il s'agit
d'un usage linguistique directement articulé sur une pratique sociale et
politique, on comprend qu'il relève moins du grammairien que du littéraire qui,
d'après le programme de Laharpe, doit être à la fois « grammairien,
philosophe, moraliste, historien » (cf. supra, 1.1.).
La longueur de l'exposé, le caractère répétitif des exemples, la violence
du ton, marquent l'importance de l'enjeu ; il s'agit de montrer que :
le tutoiement universel est incompatible avec le génie de notre langue,
incompatible avec la décence des mœurs, incompatible avec les habitudes sociales,
incompatible avec les impressions morales attachées au langage usuel,
incompatible avec celles que nous retrouvons à tout moment dans les livres et au
théâtre (L, III, 122).

A l'époque, et même après thermidor, comme en témoigne la discussion à


l'Ecole normale, certains avaient tiré des études grammaticales, argument
pour généraliser le tutoiement : la valeur plurielle du « vous » interdisait
son application à un être singulier ; à ceux-là, Laharpe rappelle la division
du domaine linguistique : la grammaire universelle est propre à dégager les
principes communs à toutes les langues ; la grammaire particulière doit décrire
l'usage, c'est-à-dire les écarts par rapport à ces principes. En français, dit
Laharpe, le « vous » est employé à la place du « tu » : c'est un gallicisme,
un fait de grammaire particulière, et il en est d'autres ; ainsi, le « nous »
d'emphase (les ordonnances des rois) ou de modestie (les écrits de Port-Royal)
peut se substituer au « je » ; « quand cet usage est une fois établi par le
tems, il constitue ce qu'on appelle le génie d'une langue et devient loi »
(ibid.).
Il suffit, pour (re)connaître cet usage, de lire les œuvres du passé ; les
respecter sera l'indice d'appartenance à la bonne société : on voit que c'est
bien une « discussion à-la-fois morale et littéraire » (ibid., 209). Laharpe
élabore une histoire fictive de l'usage des pronoms, reflet de l'ordre social ;
d'abord, « modèle d'urbanité, marque de déférence sociale, de respect
volontaire ■», le vouvoiement serait devenu « un des moyens les plus riches de l'art
d'écrire » (ibid.). L'usage du « vous » une fois introduit dans les textes, nul
ne peut y revenir. Pour Laharpe, les rapports de subordination à l'atelier, à

46
l'école, la cohésion de la famille, l'inégalité des sexes, subsistent parce qu'ils
ont une existence littéraire.
Les principes du droit bourgeois s'accordent avec l'imposition de cet
usage linguistique, reflet de divisions sociales. La généralisation du tutoiement
repose sur une bévue : les ignorants n'auraient pas compris la signification
du mot égalité inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme. Laharpe
rappelle fortement la distinction entre « l'égalité des droits naturels et civils »
et « l'inégalité morale et sociale » (ibid., 211). Un des rôles assignés aux études
littéraires est de justifier ce partage social. L'enseignement de la littérature
s'appliquera à montrer « par combien de rapports la morale et le goût, les
mœurs et les lettres » (ibid.) sont liés et fondent l'ordre social. Ce qui
condamne l'extension du tutoiement, c'est d'avoir été l'usage de la sans-culotterie,
qui avait ébranlé l'ordre social, qui avait fait trembler une partie des classes
dirigeantes. L'une des tâches des écoles normales est de plonger dans l'oubli
les événements récents en les présentant comme un détour inutile et
monstrueux de la Révolution. Le tutoiement est condamné pour avoir appartenu à
« la langue des Marat, des Hébert, des Chaumette » (ibid., 218). Pour Laharpe,
la correction de l'usage est fonction du statut, social ou politique, de l'énon-
ciateur. Le professeur de littérature est à la fois grammairien, historien et
moraliste, puisqu'il reconnaît son objet à la valeur de sa source d'émission,
collective ou individuelle.

3.2.3. Corpus littéraire et corpus grammatical.


Nous avons déjà signalé (cf. supra, 2.3. et note 25) que le destin
personnel des orateurs — et singulièrement leur mort — n'était pas indifférent
à la qualité de leurs discours : la valeur littéraire du texte est intimement liée
à la valeur morale et politique de l'auteur.
Aussi le corpus littéraire de Laharpe se caractérise-t-il par le rappel de
l'autorité, du fait de l'auteur. Tous les exemples commentés par Laharpe
dans son cours sont des citations, dont la source est toujours nommée. Les
textes retenus démontrent d'autant mieux une vérité morale dite universelle,
ou la validité de préceptes politiques, qu'elles sont mises à jour par un
individu qui les exprime souverainement, individu au sort exemplaire, qui a su
intervenir par ses qualités propres dans le champ de la politique et de la
morale.
On voit, à partir de là, la place que va tenir dans les études littéraires
l'identification des auteurs. La fortune scolaire et extra-scolaire d'une œuvre
en dépend. Aujourd'hui encore, une certaine stylistique s'efforce avant tout
d'établir l'attribution des textes à tel ou tel auteur34. On sait tout l'intérêt
qu'ont apporté le xviil* et le xixe siècles à ces questions (cf. la querelle sur,
les poèmes homériques). Ce n'est pas un hasard si le droit de propriété
littéraire naît au même moment. La figure mythique de l'écrivain apparaît comme
l'avers idéologique du statut en droit de l'auteur 3S. Ainsi se trouve constitué

34. Cf. F. Deloffre, in La Phrase française : « Lorsque le " stylisticien " aura
défini les traits de style qui lui permettent d'identifier objectivement un texte comme
étant de Racine plutôt que de Corneille ou de La Fontaine, il aura prouvé qu'il existe
des styles individuels et qu'il dispose d'une méthode correcte pour les aborder » (p. 12).
35. Cf. J. Proust, introduction à Sur la liberté de la presse, de Diderot, Editions
Sociales, 1964, p. 24-25 : « L'histoire est complexe qui abouti pour la première fois,
en la
de" 1777,
pageà la
25 reconnaissance
: « Mais c'est du
, seulement
droit desen auteurs
1793, sous
et delaleurs
Convention,
héritiers que
», et lesla auteurs
note 1
acouirent le droit exclusif de reproduire leurs ouvrages pendant leur vie, leurs héritiers
conservant ce droit dix ans encore après leur mort. »

47
le couple triomphant de la littérature scolaire et universitaire : l'homme et
l'œuvre.
C'est pourquoi, dans le cours de Laharpe, les exemples de faible
dimension, très rares, sont toujours authentifiés quand il s'agit d'auteurs modernes
(Racine, Voltaire, Vauvenargues) ; mais l'essentiel de son corpus de citations
est constitué de longs extraits de Démosthène et de Cicéron, pouvant atteindre
quatre à six pages. La présentation résume les circonstances de leur production
et le thème du discours entier ; elle prétend donner à l'élève, auditeur/ lecteur,
le moyen de les lire comme des ensembles isolés, détachables de leur contexte.
C'est l'embryon d'un de ces manuels de morceaux choisis, tels que le xixe
siècle les élaborera ; les premiers favoriseront encore la forme oratoire retenue
par Laharpe à l'Ecole normale 36. Ce qui demeurera, pour une bonne part,
c'est la forme du commentaire ; Laharpe réserve peu de place à l'étude des
moyens de l'orateur, mais privilégie l'étude des effets obtenus sur le lecteur,
et ce choix ne tient pas au genre retenu ; dans le Cours de littérature,
l'essentiel du commentaire dégage le pathétique et la vérité du sentiment ; on
retrouve dans les questions de nos manuels de morceaux choisis la même
insistance à valoriser les effets, aboutissant à un exposé fragmentaire et
discontinu d'une psychologie des passions, universellement et éternellement
valable.
D'où aussi la forme pédagogique du cours de littérature : c'est avant
tout une lecture. La « littérarité », du point de vue scolaire et universitaire,
c'est l'appartenance au corpus ; le commentaire est un surplus ; l'essentiel est
dans la reconnaissance du texte et de l'auteur, dans leur vocation à la citation
et à la récitation, dans le respect qui les fige, interdisant à l'élève toute
manipulation du texte qui risquerait de modifier l'image de l'auteur ou son
intention. Toute citation est à la fois littéraire et morale ; ce n'est pas seulement
pour sa valeur poétique qu'un des rares vers français, cité par Laharpe, traîne
encore aujourd'hui dans toutes les copies : « Le jour n'est pas plus pur que le
fond de mon cœur » (L, III, 189).
Pas de surprise si le même vers appartient aussi au corpus grammatical,
à la liste des exemples de Sicard (ibid., 172). Cependant, il convient de
distinguer le statut du même énoncé dans les deux cours, dans les deux corpus.
Présenté par Laharpe, il est situé, plus précisément que par son auteur, par
son attribution fictive à un personnage : « Ce vers d'Hippolyte, dans la
tragédie de Phèdre », et, plus précisément encore, par sa citation devant une
assemblée judiciaire (L, III, 189), le commentaire portant sur la réaction de
l'auditoire. A l'opposé, Sicard ne retient que la forme énonciative du vers,
sans citer sa source ; la citation grammaticale apparaît indéterminée quant à
son origine 37-
Une rapide typologie des exemples littéraires et grammaticaux ferait
apparaître d'autres divergences, qui survivent dans notre pratique pédagogique.
A l'exemple grammatical dont la dimension peut se réduire au mot, voire
à la lettre ou au son, s'oppose la citation littéraire qui comporte au moins

36. Cf. un manuel de Leçons françaises de littérature et de morale (Noël et De la


Place, ouvrage classique adopté par l'Université royale de France, à l'usage des Collèges
et Institutions, Paris, Vve Lenormant) constamment réédité dans la première moitié du
xixe siècle (1838 : 24e édition) qui présente ainsi son choix : « Chaque morceau de ce
recueil, en offrant un exercice de lecture soignée, de mémoire, de déclamation, d'analyse,
de développement oratoire, et de critique, est en même temps une leçon de vertu,
d'humanité ou de justice, de religion, de dévouement au Prince et à la Patrie, de
désintéressement ou d'amour du bien public, etc » (p. XIII).
37. On a vu reparaître la citation signée, parfois titrée, dans les phrases isolées des
exercices de grammaire, ce qui marque l'emprise du modèle littéraire jusqu'à
l'aberration ; ainsi : « J'avais 12 ans et demi et j'entrais en 3e » P. Loti, in Bled, Cours
supérieur d'orthographe, p. 61.

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une phrase, à la rigueur un syntagme, s'il s'agit d'un argument du
commentaire. On peut repérer là un écart entre les champs rhétorique et littéraire,
la rhétorique recensant par exemple mots bas ou tropes (mots pour Fontanier)
dans l'étude de Yelocutio ; mais pour Laharpe, et pour beaucoup de nos
contemporains, ce que le littéraire retient du rhétorique, c'est Yinventio, qui
implique la prise en compte de l'émission et de la réception.
Au contraire, la grammaticalite d'une phrase exige seulement que l'énoncé
soit attesté, ou même qu'il soit conforme au modèle logique sans être énon-
çable. De là provient l'hétérogénéité du corpus de Sicard, constitué de phrases
abstraites (Sicard est frappant table), d'énoncés mimant le prononçable (Un
propriétaire cueille des légumes, dans son jardin) provenant de lieux divers,
de langues vivantes étrangères (anglais, italien) ou mortes (latin), de citations
aussi : les vers (de Racine ou de Gresset) voisinent avec les maximes,
inventées par le professeur, proposées par les élèves, et qui peuvent être reprises
au tableau, répétées par les sourds-muets, décomposées par Sicard. Ce dernier
type d'exemples retrouve une des caractéristiques de la citation littéraire, la
valeur moralisatrice ; il évoque le texte des catéchismes républicains, il
envahira les ouvrages élémentaires de grammaire 38, il partage, avec l'énoncé
littéraire, la vocation de modèle de performance inaccessible.
L'hétérogénéité des exemples grammaticaux tient aussi à l'éclatement du
cours de Sicard et à la diversité de ses finalités. Les longues citations de
textes versifiés n'apparaissent que dans les dernières séances — théorie du
signe et problème de l'apprentissage de la langue écartés. L'analyse
grammaticale caractérise essentiellement « la proposition par rapport au style » (L,
VI, 25). Ce n'est qu'à ce point que « la parole est un ART, et qu'on distingue
de ceux qui ne parlent que parce qu'ils ont entendu parler, ceux qui ont
étudié la langue et qui en connaissent le génie » (ibid.).
Par exemple 39, ce qui est travaillé par Sicard est la relation entre
l'abondance d'un type de compléments et la qualité d'une fable.
Dans le commentaire stylistique de Sicard et le détachement d'un
morceau par Laharpe, nous reconnaissons deux opérations complémentaires. Pour
l'un, le texte est source d'exemples issus d'un individu doué d'un talent
original ; pour l'autre, il est dans la nature de certains hommes de dire le vrai
acceptable par tous, d'inventer ce langage qui « intimide les méchans, [...]
rassure les faibles, [...] encourage les bons » (L, IV, 63/64). La fonction
idéologique de la littérature dans l'institution scolaire s'élabore : ce double travail
du texte s'effectue dans un lieu où sont formés les « professionnels de
l'idéologie ■».

Conclusion

Dès les débuts de la IIP République, lors de la mise en place de


l'enseignement public en France, les projets de la Révolution en matière de
législation scolaire et les institutions créées par la Convention, deviennent
des arguments en faveur de (ou contre) l'obligation, la gratuité, la laïcité,
l'imposition de la langue unique. De nombreuses études s'appliquent non
seulement au système scolaire de la Révolution, mais encore aux institutions

38. Cf. inspirée des travaux de Sicard, La grammaire française exacte et


méthodique, de J. F. Mourier, 2e édition, 1823.
39. Sicard étudie deux fables de La Fontaine, « Le mulet se vantant de sa
généalogie », livre VI, 7 et « L'Oiseau blessé d'une flèche », Livre II, 6.

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de l'ancien régime40. Dans un second moment, la IIIe République, imposant
la réconciliation nationale et l'union sacrée, estompe les traits trop
marqués de ces modèles, quitte à accepter une image négative de la première
révolution et à redorer parfois les blasons de l'ancien régime. Aussi, les
projets scolaires des « Idéologues » furent-ils tenus pour des échecs et, hier
encore, les historiens ne voyaient dans l'Ecole normale de l'an III qu'un
ensemble d'erreurs pédagogiques sans suite.
Pour nous, l'organisation des études littéraires à l'Ecole normale et la
lutte pour les définir, a laissé des marques profondes dans la pédagogie
de la grammaire et de la littérature (la construction des manuels, du
XIXe siècle à nos jours). Aussi bien, la nécessité d'une élémentation des
sciences à l'usage des écoles, si elle n'est pas posée pour la première fois,
s'élabore ici en milieu scolaire, soumise à des impératifs pédagogiques et
politiques dictés par la forme institutionnelle de l'établissement.
Nous n'avons pas voulu, dans les limites de cet article, poser le problème
du texte littéraire hors de l'école, bien qu'alors il soit en relation étroite
avec les pratiques pédagogiques. Nous n'avons pas non plus abordé le rapport
entre la place des intellectuels dans l'appareil d'Etat et l'élaboration de
leur statut légal et commercial d'hommes de lettres, les relations entre les
discours pédagogiques tenus à l'Ecole normale et leur édition comme œuvre
littéraire. Il faudrait encore suivre le sort des idéologues qui avaient conçu
le projet des écoles normales. Beaucoup furent partie prenante dans le coup
d'état du 18 Brumaire. Ils ont développé leurs positions théoriques, tant dans
les domaines scientifiques que pédagogiques — Cabanis et Destutt de Tracy,
par exemple — et poursuivi la tentative de hiérarchiser les sciences, essai
accompli avec le triomphe du positivisme.
Pendant la Révolution, le détournement du projet d'école primaire —
projet venu trop tôt et dénoncé à l'intérieur même des cours par l'idéologue
Volney (L, III) — a permis d'affecter les élèves des écoles normales dans
les écoles centrales, première ébauche de la formation des élites bourgeoises.
La fermeture des écoles normales a été lue comme un échec : trace du
refus de la bourgeoisie à assumer des commencements inavouables ;
orientation d'une historiographie qui n'a longtemps reconnu que le développement
linéaire des événements. L'École normale était un élément dans un ensemble
institutionnel plus vaste, dont d'autres parties subsistent encore : Langues
orientales, Facultés de médecine, Polytechnique, etc. La plupart des
professeurs des écoles normales enseignaient dans ces écoles. La cohérence du
projet interdit donc d'interpréter séparément la disparition d'une de ces
pièces. Point déterminant pour nous : l'Ecole normale a été un des lieux
de rassemblement, le plus large à l'époque, des cadres intellectuels —
professeurs et élèves — et l'un des plus actifs dans l'élaboration d'une idéologie
spécifique de cette couche. La centralisation et la fonctionnarisation des
intellectuels français est un des phénomènes dont Gramsci a signalé
l'originalité et l'importance. Il devient très difficile de parler d'échec, puisque
l'Ecole normale fut une des étapes de la construction de l'hégémonie
bourgeoise, qui, elle, s'est établie victorieusement.

40. Rappelons l'entreprise filiale qu'a été le Dictionnaire pédagogique de F. Buisson ;


voir aussi la monumentale publication des Procès-verbaux du Comité d'instruction
publique par J. Guillaume, la création d'une chaire d'historiographie de la révolution pour
A. Aulard, etc.

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