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M Le magazine du Monde no 414.

Supplément au Monde no 23209/2000 C 81975


SAMEDI 24 AOÛT 2019. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France
métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

Boris, Jo, Rachel et les autres

famille Johnson
L’incroyable
@WorldAndNews. More than 100 editions everyday.
Horizon
L’Ame du Voyage.
louisvuitton.com
5

carte blanche à

Sterling Ruby.
Le pLasticien américain sterLing ruby vient de Lancer sa marque de mode.
jusqu’en septembre, “m” Lui ouvre sa carte bLanche. iL y présente
des œuvres réaLisées avec son épouse, La photographe meLanie schiff.

Serigne au salon Pitti Uomo, 2019.


Melanie Schiff

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


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entre le clan Kennedy et la famille Kardashian, il y a, a priori, pas mal de modèles


familiaux… Éric Albert, collaborateur du Monde basé à Londres, a tout de même trouvé
une drôle de dynastie britannique alliant l’ambition des uns et l’excentricité des autres : les
Johnson. Soit la famille de Boris, premier ministre du Royaume-Uni depuis fin juillet, long-
temps maire de Londres, qui promet un Brexit dur, sans accord, en alternant attitudes désin-
voltes et déclarations provocatrices. Avec la même tignasse blonde mais dans un genre moins
hirsute, il y a Jo, le benjamin, ancien membre du gouvernement de Theresa May et désormais
secrétaire d’État nommé par son frère. Blonde également, voici Rachel, journaliste et chroni-
queuse influente qui s’est également illustrée dans une émission de télé-réalité. Les autres
membres de la famille sont plus discrets. C’est monsieur Johnson père, Stanley, qui fait le plus
de bruit. Jamais avare de bons mots et de confidences distillées dans ses nombreuses interviews
et pas moins de deux autobiographies, il incarne un patriarche fantasque. Cela donne une
famille de la – très – bonne société anglaise unie par l’ambition, un sens certain de la mise en
scène de soi et dont tous les rejetons ont suivi des parcours d’excellence. C’est peu dire que
les Johnson occupent le devant de la scène publique outre-Manche : ils soutiennent avec
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

ardeur l’ascension vers le sommet de l’aîné, bien qu’ils aient tous pris position contre le Brexit,
à la seule exception, évidemment, de Boris, qui en a fait son cheval de bataille. Cela prêterait
à rire si l’avenir du Royaume-Uni – et celui de l’Europe – n’était pas en cause… Comment
dit-on foutraque en anglais? Marie-Pierre LanneLongue

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


24 août 2019

La semaine Les chroniques Le magazine Le portfolio Le style


11 14 23 40 51
Les productions Obama Il est comme ça… Boris & Co. Virginie ou L’âge archi tendre.
débarquent sur Netflix. Matteo Salvini. Tout au long de sa car- l’innocence perdue. 53
15 18 rière, le premier ministre Sally Mann aime profon- Posts et postures
L’Allemagne tracassée Le grand défilé britannique Boris Johnson dément ce sud des États- #minime.
par une question capitale. Christian Jacob. a toujours été entouré par Unis qu’elle n’a jamais 54
16 19 sa famille nombreuse. quitté. Elle y a photo- Librement inspiré
À Chamonix, le trail Il fallait oser Une fratrie d’ambitieux graphié ses enfants, puis Dragée haute.
atteint des sommets. Stade anal. qui fait passer ses diver- des paysages hantés par 55
17 22 gences politiques après le passé esclavagiste. Fétiche
Qui est vraiment ? J’y étais les intérêts du clan. Bureau d’étude.
Robert Herring. Îliens sociaux. 30 56
Comandante patrimoine. Variations
À la tête du Bureau de Paires de famille.
l’historien, Eusebio Leal 57
défend le patrimoine Objet trouvé
de la vieille ville depuis Le nid en vétiver.
plus de cinquante ans. 58
Une manne touristique Un peu de tenues
aux effets pervers. Sonate d’automne.
36 Vol. 1.
L’art de l’entre-deux. 68
Nés en Algérie ou en Circuit court
France de parents algé- Seattle, techno parade.
36 riens, ces artistes contem- 70

Illustrations Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Roland Michaud. Djamel Tatah
porains entretiennent Ligne de mire
des rapports complexes Arc de triomphe.
avec leur double 71
appartenance. Comme si vous (y) étiez
Acide à miner.
72
Une affaire de goût
Étoile du verger.
73
Produit intérieur brut
La reine-des-prés.

Rectificatif. Contrairement à ce que nous écrivions dans l’article sur Djamila


Bouhired dans M daté du 17 août, Houari Boumediene n’a jamais été officier
de l’armée française. Toutes nos excuses à nos lecteurs pour cette erreur.
9

Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus


Directeur du “Monde”, directeur délégué de la publication,
membre du directoire : Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction : Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions : Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction : Philippe Broussard, Alexis Delcambre,
Benoît Hopquin, Franck Johannès, Caroline Monnot, Cécile Prieur
Directrice des ressources humaines : Émilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget

directrice adjointe de la rédaction — Marie-Pierre Lannelongue


directeur de la création — Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone
La culture directrice de la mode — Suzanne Koller
rédaction en chef adjointe — Grégoire Biseau, Agnès Gautheron, Clément Ghys
rédactrice en chef technique — Anne Hazard
74
Raphael Saadiq. rédaction
Et aussi : danse, Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Zineb Dryef, Philippe Ridet,
expo, cinéma. Vanessa Schneider, Laurent Telo.
Style-mode — Chloé Aeberhardt (chef adjointe Style),
80 Vicky Chahine et Caroline Rousseau (chefs adjointes Mode),
Le DVD Fiona Khalifa (coordinatrice Mode)
de Samuel Blumenfeld Chroniqueurs — Marc Beaugé, Guillemette Faure,
“Havana”, Jean-Michel Normand, Philippe Ridet
de Sydney Pollack. Assistante — Christine Doreau
Rédaction numérique — Marlène Duretz, François Bostnavaron,
81 Thomas Doustaly, Pascale Krémer, Véronique Lorelle,
Les jeux Jean-Michel Normand, Catherine Rollot
82 Assistante — Marie-France Willaume
Le totem département visuel
Le mannequin Photo — Lucy Conticello et Laurence Lagrange (direction),
d’Anne Valérie Hash. Hélène Bénard-Chizari, Federica Rossi. Avec Ronan Deshaies et Virginia Power
Graphisme — Audrey Ravelli (chef de studio) et Marielle Vandamme (adjointe).
Avec Aurélie Bert et Lola Halifa-Legrand
Assistante — Françoise Dutech
Photogravure — Fadi Fayed, Philippe Laure. Avec Guillaume Hurel.
édition
Stéphanie Grin, Julien Guintard (chefs adjoints) et Paula Ravaux (adjointe
numérique). Et Boris Bastide, Béatrice Boisserie, Nadir Chougar, Agnès Rastouil.
Avec Safia Bouda, Guillaume Falourd et Joël Métreau.
Révision — Ninon Rosell (chef de section), Adélaïde Ducreux-Picon,
Jean-Luc Favreau. Avec Dominique Martel.

Documentation : Sébastien De l’étranger (33) 1-76-26-32-89 Courriel des lecteurs :


Carganico (chef de service), Promotion et communication : mediateur@lemonde.fr
Muriel Godeau et Vincent Nouvet Brigitte Billiard, Marianne Courriel des abonnements :
Infographie : Le Monde Bredard, Marlène Godet abojournalpapier@lemonde.fr
Directeur de la diffusion et de et Élisabeth Tretiack
la production : Hervé Bonnaud Directeur des produits dérivés : M Le magazine du Monde est
Fabrication:Xavier Loth (directeur), Hervé Lavergne édité par la Société éditrice du
Jean-Marc Moreau (chef de Responsable de la logistique : Monde (SA). Imprimé en France :
fabrication), Alex Monnet Philippe Basmaison Maury imprimeur SA,
Crédit couverture : Directeur du développement Modification de service, réassorts 45330 Malesherbes.
courtesy Rachel Johnson. numérique:Julien Laroche-Joubert pour marchands de journaux :
Directeur informatique groupe : 0 805 05 01 47 Origine du papier : Italie.
José Bolufer Taux de fibres recyclées : 0%.
Responsable informatique m pu blicité Ce magazine est imprimé chez
éditoriale : Emmanuel Griveau Présidente : Maury certifié PEFC.
Coordonnées de la série Un peu de tenues « Sonate d’automne. Vol. 1 », p. 58.
Acne Studios : acnestudios.com — Ami : amiparis.com — A.P.C. : apc.com — Balenciaga : Informatique éditoriale : Laurence Bonicalzi Bridier Eutrophisation : PTot = 0.018kg/
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Piattelli : brunopiattelli.eu — Carel : carel.fr — Carhartt : carhartt.com — Celine par Igor Flamain, Aurélie Pelloux, Goffaux, Tél. 01-57-28-38-98 parution. ISSN 0395-2037
Hedi Slimane : celine.com — Chanel : chanel.com — Chimala : 180thestore.com — Pascal Riguel. (michaëlle.goffaux @mpublicite. Commission paritaire
Christian Dior : dior.com — Church’s : church-footwear.com — Dior Homme : dior.com fr) et Valérie Lafont, 0712C81975. Agrément CPPAP :
— Falke : falke.com — Figaret Paris : figaret.com — Filling Pieces : www.fillingpieces.com diffusion et promotion Tél. 01-57-28-39-21 2000 C 81975. Distribution
— Forte_Forte : forte-forte.com — Gabriela Hearst : gabrielahearst.com — Gucci : gucci. Responsable des ventes (valerie.lafont@mpublicite.fr) Presstalis. Routage France routage.
com — Isabel Marant : isabelmarant.com — Koché : koche.fr — Kule : kule.com — France international : Directeur délégué - activités Dans ce numéro, un encart
Lemaire : lemaire.fr — Louis Vuitton : louisvuitton.com — Maison Kitsuné : Sabine Gude digitales opérations « Histoire et civilisations »
maisonkitsune.com — Maje : maje.com — Maximum Henry : maximumhenry.com — Mirth Responsable commercial spéciales : Vincent Salini destiné aux abonnés France
Vintage : mirth.co — No.6. Store : no6store.com — Pat Areias : patareias.com — Ply- international : métropolitaine.
knits : ply-knits.com — Polo Ralph Lauren : ralphlauren.com — Priscavera : priscavera. Saveria Colosimo Morin 80, bd Auguste-Blanqui, 75707
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therow.com — Todd Snyder : toddsnyder.com — Whistles : whistles.com 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ;

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


10

Ils ont participé


à ce numéro.
Journaliste — Photographe — Illustrateur
Styliste — Chroniqueur — Grand reporter

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. M Le magazine du Monde. Kai Jünemann. Pierre Sorgue. Ramón Espinosa
Éric Albert, journa- roxAnA Azimi, contri- pierre Sorgue, journa- eliAnA Aponte, photo-
liste à Londres et collabora- butrice régulière de M, a liste, plonge dans les rues graphe colombienne, a
teur régulier du Monde, rencontré des plasticiens de la vieille Havane. Pour travaillé pour l’AFP au
raconte pour M Le magazine d’origine algérienne. « Ils le 60e anniversaire de la Panama avant de rejoindre
du Monde, l’histoire de la sont nés de parents algériens, révolution et le 500e de la l’agence Reuters. Installée
famille de Boris Johnson, ont fait leur vie à Paris, ville, il dresse le portrait aujourd’hui à La Havane,
nouveau premier ministre Londres ou Berlin, et comp- d’Eusebio Leal, héros du elle y travaille en indépen-
britannique. À mi-chemin tent aujourd’hui parmi les pays pour avoir sauvé le dante. Pour ce numéro,
entre les Kardashian et les artistes les plus réputés de la centre historique devenu elle a arpenté le centre
Kennedy, elle est au cœur scène française. Un lien indé- une indispensable manne historique de la capitale
du pouvoir politico-média- fectible et complexe les lie pour- touristique : « Entre ses cubaine. (p. 34).
tique du Royaume-Uni. tant à l’Algérie dont ils suivent idéaux sociaux et humanistes
« Tous se sont opposés au avec beaucoup d’espoir les proclamés et les hôtels ou bou-
Brexit voulu par Boris soubresauts politiques. Tous tiques de luxe désormais aux
Johnson. Aujourd’hui, ils le ont une crainte : être réduits à mains des militaires se lisent
soutiennent, au nom de la soli- leurs origines.» (p. 30). toutes les contradictions – et
darité familiale et de leur les hypocrisies – du régime. »
ambition dévorante. Les ren- (p. 34).
contrer offre un aperçu du
fonctionnement de la haute
société britannique.» (p. 23).

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


À leur départ de la
Maison Blanche, Michelle
et Barack Obama avaient
exprimé leur intention de
promouvoir les questions
« de race, de classe,
de démocratie et
de droits civiques ».
Ici, lors du sommet inau-
gural de leur fondation,
en octobre 2017.

1 — Les productions Julia Reichert, il s’agit d’un documentaire


qui relate la reprise par un milliardaire
le biais de leur nouvelle société de
production, Higher Ground, le couple a
Obama débarquent chinois d’une usine automobile dans limité les risques au minimum. Il avait
sur Netflix. l’Ohio, en 2014. Il décrit le choc des
cultures ouvrières entre les nouveaux
repéré ce film aux accents sociaux peu
avant sa présentation au festival de
Scott Olson/Getty Images/AFP

Mercredi 21 août, la plateforMe de streaMing venus et les cols bleus américains, leurs Sundance, en janvier. La négociation
netflix déMarrait la diffusion d’“aMerican espoirs et leurs désillusions. Un film au sur les droits a été tenue secrète
factory”,la première incursion dans le sous-texte évidemment politique, qui durant plusieurs mois, selon la revue
secteur du cinéma de Barack Obama et de entre en résonance avec la crise de l’indus- spécialisée The Hollywood Reporter.
son épouse, Michelle. Un choix de film, qui, trie automobile à laquelle Barack Obama a Si les Obama n’ont pas « produit » au
comme toujours avec le couple, ne doit rien été confronté pendant ses mandats. En sens strict du terme, et ont misé sur
au hasard. Réalisé par Steven Bognar et achetant les droits d’American Factory, par un documentaire qui s’est vu prisé par •••
12

American Factory,
le documentaire dont
le couple Obama a
acheté les droits et qui
est diffusé sur Netflix
depuis le 21 août,
raconte le rachat d’une
usine américaine dans
l’Ohio par un industriel
chinois et le choc des
cultures qui s’ensuit.

personnes noires. En dépit de leur pro-


messe de ne pas utiliser Netflix à des fins
politiciennes, les Obama vont aussi tra-
vailler à la production d’une série adaptée
du livre de Michael Lewis The Fifth Risk
(« le cinquième risque », non traduit), un
ouvrage qui relate l’arrivée au pouvoir de
Donald Trump. Critique de l’imprépara-
tion et de l’incurie du président américain,
ce documentaire soulignera aussi « l’im-
portance du travail de l’ombre effectué
par des héros du quotidien qui guident
notre administration et protègent notre
nation », comme l’a détaillé Netflix. Ces
••• la critique et est aujourd’hui un candi- voir, comme ils s’y étaient engagés à leur projets devraient être mis en ligne au
dat sérieux à un prix aux Oscars en 2020, départ de la Maison Blanche. À cette fin, cours des prochaines années.
ils ont joué le rôle d’entremetteur avec ils se sont dotés d’une équipe marquée Pour Netflix, la PréseNce du label obama
Netflix, honorant ainsi l’accord qu’ils par la diversité. Trois professionnelles à soN catalogue est uN atout de Poids, un
avaient signé avec la première plateforme aguerries aux origines ethniques diffé- moyen de se démarquer de ses concur-
de streaming américaine. Il y a quinze rentes, Priya Swaminathan, Tonia Davis et rents. Ceux-ci se montrent plus détermi-
mois, le couple a ainsi établi un partena- Qadriyyah « Q » Shamsid-Deen, sont cen- nés que jamais à détrôner la société
riat avec la société de Los Gatos, pour sées apporter à Higher Ground Produc- aux 139 millions d’abonnés, et l’automne
un montant secret, s’engageant à pro- tions « de nouvelles voix à même de sera sans nul doute le théâtre d’une
duire « des contenus variés », séries, raconter leurs propres histoires ». « On guerre commerciale. En effet, Disney
documentaires ou docu-fictions. Une espère rapprocher les gens sur la base lance, en novembre aux États-Unis et
décision inédite : les anciens présidents de valeurs communes et d’histoires origi- quelques mois plus tard en Europe,
américains se montrant généralement nales », expliquait Barack Obama lors de son service de streaming, avec
plus friands de conférences à travers le la présentation du trio féminin, en février. les catalogues Disney, Pixar, Marvel,
monde et de projets portés par leur fon- « Notre but n’est pas seulement d’inciter Star Wars ou National Geographic.
dation que d’investissements dans les les téléspectateurs à réfléchir. Il s’agit de Quant à Amazon Prime, Apple ou Hulu,
cercles hollywoodiens. Si les Obama se les amener en dehors de leur zone de ils sont en quête de nouvelles offres.
font applaudir par des salles du monde confort », renchérissait son épouse. Début août, David Benioff et Dan Weiss,
entier, ils ont, pour leur nouvelle entre- Au-delà d’American Factory, les contenus créateurs de la série Games of Thrones,
prise, pu bénéficier de conseils d’acteurs annoncés ces dernières semaines s’inscri- ont signé avec Netflix pour une somme
et de réalisateurs avec qui ils ont tissé vent tous dans une veine antiraciste, estimée à 200 millions de dollars. Ils
des liens lors de leur passage à la Maison progressiste et inclusive, en décalage rejoignaient ainsi une liste de réalisateurs
Blanche ; et compter sur Ted Sarandos, manifeste avec l’Amérique trumpiste. aussi divers qu’Alfonso Cuarón, que Martin
le directeur des contenus de Netflix, Réalisé d’après la biographie signée Scorsese, Steven Soderbergh ou Guillermo
dont l’épouse fut nommée ambassadrice David W. Blight, lauréat d’un prix Pulitzer, del Toro, des personnalités comme Shonda
aux Bahamas par Barack. un film sur la vie de Frederick Douglass, Rhimes, la créatrice de Grey’s Anatomy,
Pour le couple, l’association avec Netflix ancien esclave et intellectuel noir devenu Ava DuVernay (Selma) ou encore Jenji
constitue un moyen de faire de la poli- symbole de la cause abolitionniste au Kohan, celle d’Orange Is The New Black
tique « autrement », au gré des questions xixe siècle, est en préparation. Un autre (l’un des premiers succès originaux de la
« de race, de classe, de démocratie et de projet, Bloom, s’intéresse au monde de la plateforme). Ajoutées à ces valeurs sûres,
droits civiques » qu’ils entendent promou- mode dans le New York d’après-guerre, des œuvres labellisées « Obama » ne
et met en avant le travail des femmes et gâchent rien et leur présence au catalogue
des Noirs. Higher Ground produit égale- s’apparente à une bonne opération de
ment une adaptation de la série du New communication pour la société califor-
York Times intitulée « Overlooked », un nienne : près de trois ans après avoir quitté
ensemble de nécrologies de personnali- la Maison Blanche, la popularité du couple
tés dont le décès n’avait pas été men- démocrate ne se dément pas auprès d’une
tionné dans le quotidien, principalement grande partie de la population des États-
Netflix

parce qu’il s’agissait de femmes ou de Unis. Stéphanie Le Bars

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


EmmaThompson,plusimpérialequejamais Jérôme Garcin - L’Obs
©CARACTÈRES CRÉDITS NON CONTRACTUELS

ACTUELLEMENT AU CINÉMA
14

Ce Milanais préparait,
en buvant des mojitos torse
nu avec des filles guère
plus habillées, une sorte de
coup d’État balnéaire.
branche communiste de la Ligue (ne cher-
chez pas à comprendre, c’est aussi improbable
que le courant léniniste du gaullisme) a déjà
réussi à marquer l’histoire. L’Italie a connu
plus de crises politiques que de vainqueurs
du festival de Sanremo. Mais jamais elle n’en
a vécu au cœur de l’été. Désormais, c’est fait.
« Ma che!? Une crise alors que les valises sont
à peine bouclées pour aller à la mer ? », se
sont offusqués les observateurs et les politi-
ciens. C’est comme « un bourre-pif en pleine
paix » dans un film de Georges Lautner : ça
ne se fait pas. Pays de tradition, la Péninsule
se repose à Ferragosto (fête du 15 août). La
politique aussi. D’ailleurs, on pensait Matteo
Salvini – qui effectuait une harassante tour-
née des plages – plus occupé par son bronzage
que par son destin. On se trompait.
En réalité, à 46 ans, ce Milanais qui n’a
jamais rien fait d’autre que de la politique
(à part une courte expérience de livreur de
pizzas) préparait, en buvant des mojitos
torse nu avec des filles guère plus habillées,
une sorte de coup d’État balnéaire. « Je
veux les pleins pouvoirs », a-t-il lancé dans
une référence explicite à Mussolini qui
nous rappelle que le mythe du Duce
il est comme ça…
– lequel aimait bien montrer aussi ses pec-

Matteo Salvini.
toraux à n’importe quelle occasion – est
toujours vivace et attractif dans ce beau
2— pays. Après avoir sauvé son parti d’une dis-
parition promise en lui faisant enfourcher le
p a r philippe ridet — i l l u s t r a t i o n damien Cuypers cheval de la lutte contre l’immigration,
après l’avoir ramené au pouvoir, Matteo
Salvini hausse la cible de ses ambitions.
Ayant fait siennes les préconisations les
plus faciles à mettre en œuvre de son allié
du M5S, emmené par Luigi Di Maio, en le
“Evviva l’italia.” Vive l’Italie ! Pour le deu- cette crise politique majeure qui pourrait laissant se dépatouiller avec les réformes les
xième été d’affilée, ce pays «de poètes et de conduire à de nouvelles élections cet au- plus compliquées (revenu minimum, baisse
navigateurs » – comme il est écrit au fronton tomne, a décidé de défier le premier ministre. du nombre de parlementaires) pendant
du Colisée carré, dans le quartier romain de Ainsi que son allié du Mouvement 5 étoiles qu’il se contentait de jouer les matamores
l’Exposition universelle de Rome (EUR), (M5S) avec lequel son parti, la Ligue (ex- en interdisant à des bateaux chargés de
voulu par Mussolini – a secoué l’actu assoupie trême droite), constituait l’autre pilier de la migrants de débarquer sur les côtes ita-
du mois d’août. En 2018, un pont autoroutier coalition gouvernementale. Alors que le pays liennes, il veut tout le pouvoir, rien que le
s’écroulait à Gênes ; en 2019, un gouverne- reste encalminé dans le marasme écono- pouvoir. Il croit à son étoile. Et à la réputa-
ment tombe à Rome. Les deux événements mique, que les réformes promises s’enlisent tion de stratège qu’on lui a forgée après
n’ont pas la même gravité ni les mêmes et que la préparation du prochain budget ne qu’il a phagocyté son allié. Mais rien n’est
conséquences, mais ils disent que tout peut sera pas de la tarte, rien de mieux que d’accu- prouvé : dans un combat de Lilliputiens, il
arriver, même parfois le pire, de l’autre côté ser ses partenaires d’être des incapables. Ça suffit de mesurer 2 centimètres de plus que
des Alpes. Matteo Salvini, vice-premier mi- soulage et ça permet de se racheter une virgi- son adversaire pour passer pour Gulliver…
nistre, ministre de l’intérieur et artisan de nité. Ce faisant, l’ancien animateur de la Rendez-vous l’été prochain, Matteo ?

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


L’Allemagne
3— Très belle sur le papier, cette répartition des rôles a
montré ses limites. Selon la loi de 1994, la majorité

tracassée par une des ministères devaient désormais avoir leur siège
principal autour de la Spree, tout en gardant une

question capitale.
antenne secondaire à Bonn, mais la majorité des
emplois, eux, devaient rester sur les bords du Rhin.
L’équilibre n’a pas été maintenu : en 2000, 60 % des
Le débat est ancien. Mais, dans un pays où la part des emplois dans les ministères fédéraux se trouvaient
électeurs citant la protection de l’environnement à Bonn ; aujourd’hui, ils ne sont que 34 %. Une évolu-
comme priorité est passée de 5 à 30 % en deux ans, tion qui donne des arguments aux partisans d’un
il prend aujourd’hui une dimension nouvelle : près regroupement de l’ensemble des activités à Berlin.
de trente ans après la réunification et vingt ans, ce Moins cher, moins polluant, moins fatigant.
23 août, après le transfert officiel du parlement et Mais le lobby bonnois ne l’entend pas ainsi. Inquiet
du siège du gouvernement fédéral de Bonn à Berlin, de la petite musique ambiante, il réclame au gouverne-
l’Allemagne peut-elle se payer le luxe de conserver ment fédéral des garanties. Et notamment la mise en
sept de ses ministères en Rhénanie-du-Nord-West- œuvre d’une loi additionnelle à celle de 1994, afin de
phalie, avec ce qu’une telle partition implique rendre l’ancienne capitale plus attractive pour l’aider
en termes de bilan carbone ? à préserver ses positions. Mentionné dans le « contrat
Les chiffres sont éloquents. En 2018, les fonctionnaires de coalition » scellé, en 2018, par les conservateurs
fédéraux ont emprunté l’avion 229 116 fois pour se (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD), le projet
déplacer à l’intérieur du pays ; 52 % de ces vols reliaient restera-t-il lettre morte ? Jusqu’à présent, le ministre
Bonn et Berlin. Et ce pour une raison simple, liée de l’intérieur, qui devrait le piloter, n’en a pas fait une
à une loi de 1994 – dont la date du 23 août 1999 a été priorité. Et il s’est montré plus préoccupé par le déve-
l’aboutissement – qui a divisé les tâches entre la nou- loppement des Länder de l’ex-RDA, où le sentiment
velle capitale de l’Allemagne réunifiée et l’ancienne de délaissement fait le lit de l’extrême droite, qu’à
capitale de l’Allemagne de l’Ouest : à Berlin, le Bundes- l’avenir de l’ancienne capitale fédérale.
Le quartier du
gouvernement tag, la chancellerie fédérale et huit ministères ; à Bonn, Le débat divise La pLupart des groupes poLitiques. C’est le
fédéral à Bonn, le maintien de sept ministères et l’installation de plu- cas des Verts. Comme l’ont fait valoir plusieurs élus
où se trouvent sept
ministères et de sieurs administrations fédérales, dont la Cour des écologistes, notamment de la région de Bonn, le
nombreux sièges
d’administration, comptes, jusque-là à Francfort. Sachant qu’il faut plus déménagement total à Berlin ne résoudra pas tous les
dont celui de de cinq heures pour se rendre d’une ville à l’autre par problèmes, et pourrait aussi en créer de nouveaux :
la Cour fédérale
des comptes. le train, le choix de l’avion est vite fait. jusque-là les fonctionnaires en poste à Bonn prenaient
le train pour se rendre à Bruxelles ;
s’ils sont transférés à Berlin, c’est
l’avion qu’ils devront prendre pour se
rendre dans la capitale européenne.
Ces arguments ne font pas l’unani-
mité. Et d’autres, chez les Verts, esti-
ment qu’il est temps de mettre fin à
une situation non seulement coû-
teuse financièrement et écologique-
ment mais aussi mal comprise par
l’opinion : selon un sondage réalisé
en avril par l’institut YouGov, 55 %
des Allemands seraient ainsi favo-
rables à un regroupement de
tous les ministères à Berlin. Pour la
présidente de la commission de l’en-
vironnement au Bundestag, Sylvia
Kotting-Uhl (Verts), c’est aussi la
crédibilité de la parole politique qui
Andrey Khrobostov/Alamy Stock Photo/Hemis.fr

est ici en jeu : « Je comprends que le


débat sur un transfert total des
ministères à Berlin ne fasse pas que
des heureux à Bonn. Mais nous
devons nous demander quelle image
nous donnons quand nous incitons
les gens à ne pas prendre l’avion
pour des vols intérieurs et que, dans
le même temps, nous continuons
nous-mêmes à en prendre tout le
temps. » Thomas Wieder
4 — À Chamonix, le trail de haute montagne et créateur du site TVMoutain.com.
atteint des sommets. Mais, depuis, ça a tellement grossi… Alors que notre
société va de plus en plus mal, eux ne prônent qu’une
Qu’importe le dénivelé, ils galopent tels des chamois, chose, l’accélération. On ne contemple plus rien, on
laissant loin derrière les randonneurs éberlués – pour court. Jusqu’ici les gens consommaient des biens,
ne pas dire agacés. En quelques années, les traileurs ont maintenant ils consomment de l’espace et du temps. »
déferlé sur la montagne. Grâce à ces adeptes de la Une philosophie que ne partagent pas la plupart des
course à pied en altitude, Chamonix (Haute-Savoie) adeptes de la randonnée, habitués jusqu’à présent à
s’apprête même à vivre sa «meilleure semaine de l’an- avoir la montagne pour eux seuls, ou presque, en été.
née», selon l’office du tourisme et la mairie. Celle où tous Il leur faut désormais partager : rien qu’en août se
les hôtels, gîtes, restaurants croulent sous les demandes déroulent presque une centaine de trails en France.
de réservation. La semaine de l’UTMB, l’Ultra-Trail du À Chamonix, on estime que, pendant l’UMTB, les
Mont-Blanc, autoproclamé «sommet mondial du trail», 10 000 coureurs viennent accompagnés d’au moins
débute lundi 26 août. Plus de 10000 hommes et deux personnes et restent de quatre à cinq nuits.
femmes, sélectionnés parmi 27000 postulants, soit plus De quoi donner à la ville des petits airs d’arrivée du Tour
que la population de Chamonix ; trois pays traversés de France. « Un baveux hurle jour et nuit sur un podium
(France, Italie et Suisse); sept courses, dont l’épreuve pour des gens qui finissent subclaquants, s’agace le
reine, 171 kilomètres et 10000 mètres de dénivelé positif, guide et écrivain Denis Ducroz. Les hommes courent
a été remportée l’an passé par Xavier Thévenard en cul nu depuis la nuit des temps mais, là, on a inventé
20 heures, 44 minutes et 16 secondes… des tenues à 1 500 euros et une pratique qui dépasse
L’UTMB de Chamonix est né en 2003. «Une seule en narcissisme tout ce que l’alpinisme a produit. Je vais
épreuve, créée par une bande de copains avec 700 par- dans les magasins pour vérifier les raisons de ma
ticipants», se souvient Catherine Poletti. Au côté de son hargne. Ils y vendent des lacets intelligents et la moindre
mari, Michel, elle dirige aujourd’hui la marque déposée paire de chaussettes, tu peux te payer des skis avec ! »
UTMB qui essaime un peu partout dans le monde. Pour le plus grand bonheur des marques : Salomon
Elle défend le plaisir du traileur : «Courir sur des sentiers réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires grâce au
Le 31 août 2018, et non au bord de l’autoroute, vivre autre chose que trail. Et Columbia est sponsor officiel de l’UTMB.
2 300 coureurs métro-boulot-dodo. Sortir ses tripes, exister.» « Résumer ce sport à la compétition, c’est idiot, réplique
se pressaient sur
la ligne de départ Sauf que ces coureurs des cimes n’ont pas que des Catherine Poletti. Le trail, c’est juste la volonté de courir
de l’épreuve reine
de l’Ultra-Trail amis. « Quand il y a eu la première édition, ça a fait en pleine nature, de se sentir le plus léger possible.
du Mont-Blanc sourire, on les a un peu pris pour des bizarres, mais Et c’est rappeler que la montagne est à tout le monde. »
(171 km et 10 000 m
de dénivelé). ça restait entre eux, se souvient David Autheman, guide Mais certaines images témoignent des excès de la
discipline. Fin mai, au-dessus du lac d’Annecy, des
coureurs sont restés immobilisés une heure en pleine
course. Ils étaient trop nombreux (2 000 au départ)
pour passer au même endroit. Les photos montrent
cette absurdité, un bouchon d’athlètes digne
du périphérique parisien.
« J’ai pas mal d’amis qui en font, reconnaît le guide
de haute montagne Fabien Ibarra, autre référence
dans la vallée de Chamonix. Mais je ne comprends pas
les raisons d’un tel engouement. Ou alors si, je me dis
que les valeurs de l’ultra-trail correspondent à certaines
en vogue dans notre société : le dépassement de soi,
l’autovalorisation par le biais les réseaux sociaux…
Les petits trails, pourquoi pas ? Mais ces grands cirques
où on utilise la montagne comme un stade pour se
montrer en photo sur Internet, ça me dépasse. Tout
est balisé. Tout donne l’impression que l’exploit
est à la portée de tout le monde, ce qui est faux. »
Parfois, les relations se tendent, aux sens propre et
figuré. Écrivain, journaliste et alpiniste installé près
de Grenoble, Jean-Michel Asselin raconte que cet été,
en Chartreuse, des câbles ont été retrouvés posés au
travers de sentiers. Facilement repérables par les
randonneurs, ils étaient destinés à provoquer la chute
de traileurs ou d’adeptes du VTT. Lui-même court en
montagne, tous les mercredis soir. Des petites courses,
avec ses copains. Comme il a 67 ans, il part trente
minutes avant les plus jeunes. « C’est très sympa,
mais c’est un autre monde que ces courses à
Jean-Pierre Clatot/AFP

10 000 participants qui ne sont pas plus de la mon-


tagne que le parapente. Peut-être que ça rend aigri
de voir ces jeunes qui courent à fond. Mais franche-
ment, si tu es un montagnard, tu ne viens pas à
Chamonix la semaine de l’UTMB ! » Alexandre Duyck
17

qui est vraiment ?

5— Robert Herring.
le magnat de l’électronique est le créateur
de deux chaînes de télévision, dont one america
news network, qui vient de détrôner Fox news
dans le cœur de donald trumP.
par Gilles Paris

chouchou de la maison blanche. Porte-voix du conservatisme.


Depuis le 8 août, Robert Contrairement à la pro-
Herring le proclame fière- messe de se limiter aux
ment sur son compte « faits bruts sans opinions »,
Twitter : One America Robert Herring ne cesse
News Network (OANN), la d’imposer à ses chaînes ses
chaîne d’information qu’il a convictions conservatrices.
lancée sur Internet en 2013, Il les avait affichées
est devenue « la préférée dès 2005 dans le conflit
du président » Donald très médiatisé qui opposait
Trump. Ce dernier ne cesse le mari d’une jeune femme
en effet de saluer la cou- plongée dans un état végé-
verture très favorable de tatif permanent, Terri
son administration tout Schiavo, aux parents de
en multipliant les critiques cette dernière. Robert Her-
contre la puissante chaîne ring avait offert en vain un
conservatrice du câble million de dollars à Michael
Fox News, qu’il juge régu- Schiavo pour qu’il renonce
lièrement trop critique. à ses démarches visant à
interrompre l’alimentation
Promoteur des nababs. de sa femme.
Cette reconnaissance
trumpienne est une héraut du comPlotisme.
consécration pour ce self- Quinze ans plus tard,
made-man de 77 ans né OANN, dirigée par le fils du
en Louisiane au sein d’une fondateur, Charles, milite
famille modeste et qui a activement contre l’immi-
fait fortune en Californie gration illégale et contre
dans le secteur des toute tentative d’encadre-
circuits électroniques. ment du marché des armes
Après avoir vendu sa à feu. Elle a ouvert son
firme Herco Technology antenne au complotiste
en 2000, Robert Herring Jack Posobiec, relayeur
s’est lancé dans les médias des « MacronLeaks », et
en créant une première propose dans son bouquet
chaîne, Wealth TV, d’abonnement l’accès à la
en 2004, centrée sur le chaîne russe pro-Kremlin
luxe, conçue comme une RT comme au site Infowars,
vitrine permettant de également régulièrement
mener une vie de nabab accusé de propager de
par procuration, puis fausses informations.
Jamie Scott Lytle

OANN.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


18
i
2002, Le moissonneur.
Vous éprouvez un léger incon-
fort en regardant cette image ?
Cela s’explique facilement. En
ce jour d’août, Christian Jacob,
ministre délégué à la famille du
gouvernement Raffarin, est venu
célébrer à Provins, la ville dont
il était maire, la fin des mois-
le grand défilé sons. Il a donc enfilé un chapeau

Christian
de paille, noué autour de
son cou un bandana, comme

6—
John Wayne dans Rio Bravo
ou presque, puis il est monté

Jacob.
sur un tracteur et s’est mis
à sourire benoîtement.
D’où votre léger inconfort.

IL ESt CANDIDAt À LA PRéSIDENCE


DES RéPUbLICAINS. IL SERAIt MêME
LE GRAND fAVoRI DE L’éLECtIoN ii
PRéVUE EN oCtobRE. MAIS A-t-IL 2003, L’expLorateur.
LE Look DE L’EMPLoI ? Un an et demi plus tard,
l’inquiétude a remplacé l’incon-
par marc beaugé
fort. De fait, alors que 25 départe-
ments ravagés par des coulées
de boue ont été classés en état
de catastrophe naturelle et que le
gouvernement, secoué par une
intense polémique, tente d’enter-
rer l’amendement Garraud sur le
iii « délit d’interruption involontaire
2004, L’inspecteur. de grossesse », chacun s’inter-
roge : où est passé Christian
À peine revenu de Guyane,
Jacob ? Première nouvelle rassu-
Christian Jacob est reparti

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Nicolas Tavernier/REA. Ludovic/REA. Hamilton/REA. Stephane Lemouton/Bestimage
rante : il est sagement assis dans
pour de nouvelles aventures
une pirogue sur le fleuve Maroni,
exotiques. Le nouveau ministre
en Guyane. Deuxième nouvelle
délégué chargé des PME est en
rassurante : il est vêtu des cou-
déplacement à Rungis, plus spé-
leurs terreuses typiques de
cifiquement au pavillon de la
l’aventurier, ce qui le met a priori
viande, coiffé d’un chapeau
à l’abri des moustiques.
hygiénique en filet de Nylon
que les amateurs de couvre-
chefs classeront dans la famille
des trilby, en raison de son bord
court, pendant que les béotiens
se poseront une question
simple : entre ça et la charlotte
hygiénique, qu’est-ce qui
est pire ? Dur de trancher.

V
en 2019, La doubLure.
Candidat déclaré à la présidence
des Républicains, favori naturel
face à Guillaume Larrivé et
Julien Aubert, Christian Jacob
doit encore convaincre qu’il
iV peut incarner la modernité. Ce
2011, Le seLf-made-man. manteau sombre, équipé d’une
Sept ans plus tard, Christian Jacob n’est plus ministre et dispose enfin doublure doudoune, jouera-t-il
d’un précieux temps libre. Ici, il en profite pour aller se restaurer dans pour lui ? Ses fans diront que
un établissement médico-social de la ville de Provins, dont il est cette finition est moderne, et
redevenu maire. En retour, les pensionnaires profitent de ce trois- ils auront raison. Les autres
quarts cuir de toute beauté. Espérons qu’ils mesurent leur chance. objecteront que cette modernité
ne fait pas très envie,
et ils auront raison aussi.

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


La première fois que
“Le Monde” a écrit…
taliban. C’était l’une des promesses de cam-
pagne de Donald trump, il semble décidé à la
tenir avant la présidentielle du 3 novembre 2020.
après dix-huit ans de présence en afghanistan,
les États-Unis souhaitent retirer leurs troupes,
soit 14 000 hommes, quitte à signer un accord
avec les taliban. les « étudiants en religion »,
comme on traduit alors littéralement le terme
pachtoun, font leur entrée dans Le Monde daté
du 9 mars 1995. « Derniers venus dans la course
pour le pouvoir en Afghanistan, les taliban ont
implanté un régime coranique (charia) dans les
provinces qu’ils contrôlent. » la journaliste
Danielle Rouard vient d’effectuer la route de
Kaboul à Kandahar. « Le mouvement talib a bel
et bien pacifié cette précieuse voie », constate-
t-elle. « Aussi le soulagement est-il manifeste (…).
Ce sentiment domine, pour le moment, toute
autre préoccupation. » Elle fait notamment allu-
sion aux droits des femmes qui apparaissent
secondaires, au regard du chaos qui règne. « La
priorité absolue paraît ici la paix, le retour à une
vie normale, la réouverture des écoles. » Un
afghan qu’elle interroge lui rétorque : « Ensuite
on se préoccupera du sort des femmes. » Près de
vingt-cinq ans plus tard, on en est toujours là.

il fallait oser

7— Stade anal.
par jean-michel normand

Dans les tribunes, les supporteurs anglais sont réputés pour leurs chants
QUi a Dit ? quasi liturgiques. Les Français seraient plutôt du genre à hurler « ho, hisse,
enculé » lors des dégagements du gardien de but adverse, à « enculer » (déci-
“Je ne suis pas là que dément) la Ligue de football professionnel ou à ranger l’arbitre dans la case
« pédé ». Cet étroit champ lexical ignorant les immenses ressources qu’offre
pour faire joli sur la photo.” la langue française a finalement ému les instances supérieures du ballon
rond, qui, désormais ciblées par les clameurs homophobes, ont chaudement
1 — Jacques Brunel, le sélectionneur
félicité un arbitre ayant brièvement interrompu un match de Ligue 2, le
de l’équipe de France de rugby, au lendemain
16 août. En vérité, la plupart des rencontres le mériteraient. Si les cris de
de la victoire contre l’Écosse, pour faire taire
singe ne passent plus et si, depuis la Coupe du monde féminine, « jouer
les rumeurs faisant de son adjoint et futur
comme une gonzesse » peut être pris pour un compliment, les insultes homo-
Illustrations Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

successeur, Fabien Galthié, le véritable entraîneur


phobes, elles, ne se sont pas tues. Le rapport adressé à la commission de
du XV de France.
discipline de la Ligue au terme du Nantes-Marseille du 17 août en dresse
2 — IsaBelle saporta, journaliste et com- l’ordinaire comptabilité. Cela commence par un « enculé » lancé par la tri-
pagne de Yannick Jadot, au Parisien le 20 août. bune des visiteurs lors de la présentation de chaque joueur et se conclut avec
elle a annoncé qu’elle sera colistière de Gaspard un « gros enculés » braillé par les Nantais à la 92e minute on ne sait trop
Gantzer, candidat à la Mairie de paris. contre qui. Ce torrent d’insultes ne vise pas tant les joueurs que les instances
dirigeantes et les présidents de club. La contestation des élites, y compris
3 — anGela Merkel, lors d’une conférence de
en mode bas de plafond, n’épargne pas le supporteur convaincu d’être
presse avec Viktor orban, le 19 août. Malgré leurs
l’unique dépositaire des morceaux de la Vraie Croix. Heureusement, il existe
dissensions, la chancelière allemande et le pre-
des endroits comme le stade Bauer, haut lieu du Red Star, club de Saint-
mier ministre hongrois célébraient ensemble les
Ouen (Seine-Saint-Denis) évoluant en troisième division. Ici, l’invective
trente ans de la chute du rideau de fer.
Réponse : 2. raciste ou homophobe est inconnue. Si jamais l’arbitre refuse un penalty aux
locaux, s’élèvera un chœur fier et dédaigneux : « Flic, arbitre ou militaire /
Qu’est-ce qu’on ferait pas pour un salaire. »
Inventons demain

Prix Start-Up EDF Pulse 2019 :


donnez votre voix
à l’innovation !
A l’image des artistes ou des sportifs, les startupeurs et innovateurs ont besoin
de grandes scènes pour faire briller leurs inventions aux yeux du public
et des investisseurs ! Depuis six ans, les Prix Start-Up EDF Pulse offrent une
tribune aux meilleurs entrepreneurs français et européens. Ici, pas de solo de
guitare ni de lucarne dans les arrêts de jeux, mais des projets porteurs de sens
et de progrès dans les domaines de la santé, de la maison connectée ou
encore du travail réinventé.
En 2019, les Prix Start-Up EDF Pulse sont de retour, avec l’ambition renouvelée
de mettre en avant des innovations, moteurs indispensables des grands
changements sociétaux. Mobilité électrique, outils numériques, efficacité
et transition énergétique : les start-up imaginent aujourd’hui le monde de
demain. Mais, comme n’importe quel projet naissant, elles ont besoin de
notoriété pour exister. C’est là, précisément, que les Prix Start-Up EDF Pulse
entrent en jeu.

© EDF/SIPA/Camille Froment
CONTENU PROPOSÉ PAR

U NE SCÈNE MYTHIQUE. En cinq années


d'existence, les Prix Start-Up EDF Pulse
ont participé au lancement d’une myriade
de pépites. Plus de 1 500 entrepreneurs
sont entrés dans la compétition. Chacun
d’entre eux portait – et porte toujours pour
la majorité – une technologie au service du progrès. Parmi les plus
emblématiques, DAMAE MEDICAL, qui bouleverse aujourd’hui
le dépistage des cancers de la peau grâce à une technologie
biophotonique non invasive. La start-up britannique HOWZ, elle,
connecte le domicile des seniors et permet à leurs proches d’être
tenus au courant de toute activité anormale. Et les robots de tonte
solaire autonomes de VITIROVER ambitionnent de prendre la
place des désherbants chimiques.

Par leur pertinence et leur ambition, ces jeunes pousses


prometteuses ont transformé les Prix Start-Up EDF Pulse en une
scène incontournable de l’innovation technologique. Les Prix
renforcent chaque année une légitimité propre à lancer de belles fournir de l’énergie électrique au bon endroit, au bon moment !
carrières ! « Pour nos clients, il ne peut y avoir meilleure caution Enfin, SAUREA présente un moteur photovoltaïque autonome,
qu’EDF : si le Groupe nous fait confiance, alors, les élus sont particulièrement adapté aux territoires isolés.
rassurés et suivent. L’effet de communication est considérable »,
rappelle Yves Le Henaff, PDG de KAWANTECH, start-up lauréate La dernière catégorie se penche sur l’avenir du travail et ses
de l’édition 2016 qui propose des solutions d’éclairage urbain transformations. Elle récompense les innovations capables de
intelligent aujourd’hui utilisées par Citelum, filiale d’EDF. concilier performance et réalisation de soi. Elle explore les usines
connectées, la dématérialisation, la maintenance intelligente ou la
UNE TRIBUNE POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES. robotique au service des opérateurs. Les finalistes s’appuient sur
Au-delà de la notoriété, les Prix Start-Up EDF Pulse s’intéressent des technologies de rupture pour inventer le travail de demain.
à la transformation positive de nos sociétés. Avant de se produire D’UN SEUL GESTE transforme la formation au secourisme grâce
sur scène, les start-up en compétition doivent s’inscrire dans une à la réalité virtuelle. GREENWAKE TECHNOLOGIES conçoit le
des trois catégories établies par EDF. En 2019, 332 entreprises capteur industriel autonome, capable de se passer du réseau
ont défendu leur projet. Aujourd’hui, 12 start-up ont passé l’étape électrique traditionnel. KHEOOS est une place de marché
sélective du jury pour s’offrir une grande finale ! intelligente, qui permet aux industriels de vendre des pièces de
maintenance dormantes. Enfin, WATTALPS vient clore un cru 2019
La première catégorie concerne le bien-être connecté. Elle très riche avec des batteries de haute performance pour adapter
récompense les innovations qui améliorent et facilitent le des engins de chantier à l’énergie électrique et réduire ainsi les
quotidien. Parmi les projets en compétition, des technologies émissions polluantes des travaux publics.
de santé plus connectées et performantes, qui facilitent les
diagnostics, mettent à profit la robotique médicale et réinventent UNE SCÈNE TREMPLIN, UNE SCÈNE OUVERTE ! Comme chaque
la téléconsultation. année, EDF souhaite ouvrir les Prix Start-Up EDF Pulse au public et
E-STELLA, par exemple, élabore une intelligence artificielle au vous offre l’occasion de soutenir les innovations de demain.
service des transplantations du foie. GRAPHEAL imagine des Quatre prix sont distribués. Chacun d’entre eux donne accès à une
pansements biostimulants capables de favoriser la cicatrisation campagne de communication et à une dotation financière. Les
et d’alerter en cas d’infection. TED ORTHOPEDICS conçoit une Premier, Deuxième et Troisième Prix sont délivrés par un Grand
genouillère connectée, véritable assistant à la rééducation à Jury, composé de personnalités de la recherche, de l’entreprise et
domicile. Enfin, THERAPANACEA met l’intelligence artificielle des médias. Quant au Quatrième Prix, il est réservé aux votes du
au service de la radiothérapie afin d’améliorer l’efficacité et la public et récompensera la start-up ayant su mobiliser un maximum
réactivité des traitements. de personnes autour de son projet.
Vous voulez ajouter votre pierre au grand édifice d’un futur
La deuxième catégorie s'intéresse aux territoires et à leur souhaitable ? Rendez-vous sur le site https://www.edf.fr/pulse/
durabilité. Elle met en valeur les champions capables de répondre prix-start-up-2019 et plongez-vous dans le détail des projets
aux défis environnementaux ou démographiques. Elle répond finalistes. Vous avez jusqu’au 26 septembre pour voter pour votre
notamment aux enjeux de la gestion des énergies, des nouvelles candidat préféré.
mobilités, du partage de l’espace, des logistiques urbaines. En Vous fonctionnez au coup de cœur ? Votez impulsivement !
© EDF/SIPA/Tristan Reynaud

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qui s’installe facilement sur n’importe quel équipement à l’aide d’informations avant de donner votre voix ! Vous êtes directement
d’une prise électrique. TWAICE invente Digital Battery Twins, concerné par une innovation en compétition ? Plaidez votre cause.
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précision les conditions de fonctionnement et de vieillissement
d’une batterie. MOB-ENERGY crée un robot mobile capable de L’énergie est notre avenir, économisons-la !
22

j’y étais

Îliens sociaux.
par Guillemette Faure

Le 20 août, durant Les préparatifs du 19e festi- lui avec une femme du tiers de son âge rencontrée sur l’île. Le Festival
vaL internationaL du fiLm insuLaire de Groix. international du film insulaire de Groix est parfois l’occasion pour les
Cette année, les problèmes d’organisation du Festival international du bénévoles de s’apercevoir que des réalisateurs invités peuvent suivre
film insulaire de Groix (Fifig), organisé depuis le 21 août et jusqu’au leur héros jusqu’à Trinité-et-Tobago mais se révéler incapables de tra-
25, ont commencé avec les musiciens de l’île de Pâques. Ces derniers verser la gare de Lorient pour trouver la sortie.
avaient prévu de faire une sculpture en guise de remerciement pour Entre insulaires, on se trouve des points communs. Une année, des
l’invitation que l’événement annuel leur avait envoyée. Et pour cela, Groisillons ont emmené un groupe des Marquises voir le menhir de
il leur fallait un tronc de pin de 2 mètres de long sur 80 centimètres de Kermario : émotion, eux aussi parlaient aux pierres. Une bénévole a
diamètre. Non, pas un pin qui pousse sur l’île de Groix, un autre jus- voulu faire manger des radis à un membre du groupe, « puisque vous
tement, un qui pesait près d’une demi-tonne et qu’il fallait trouver le n’en avez jamais mangé ». « Je peux aussi manger ton chien puisque
moyen d’acheminer. Vivre sur une île aiguise la débrouillardise. Sarah je n’en ai jamais mangé », a-t-il répondu. Il blaguait. Sur une île, vous
Farjot, la programmatrice du festival, l’a remarqué. « Sur une île, tu êtes obligé d’être sympathique, puisque vous êtes amené à recroiser
dois faire avec ce que tu trouves sur place… » Il faut composer avec, les gens. D’accord, c’est une généralité, mais être exposé au monde
matériellement et humainement. C’est finalement sur une barge à entier ne met pas à l’abri des généralisations : « Les gens des îles
moules que le tronc a été transporté jusqu’à Groix. d’Europe du Nord, il faut attendre qu’ils aient passé une nuit sur
Sur le port de Port-Lay,une grande maison blanche a appartenu à Ménie place pour les voir détendus… » En en apprenant plus sur d’autres
Grégoire, la conseillère sentimentale de RTL. À présent, on habille ses îles, on peut se convaincre que la sienne est pile de la bonne taille.
volets d’immenses chaussettes blanches. Une fois fermés, cela permet Groix, par exemple, n’est pas trop grande comme Belle-Île (« Ils ont
à la façade de tenir lieu de grand écran pour les projections. des trottoirs ! ») ni trop perdue comme Sein ou Molène (« Nous, on
Cette année, les îles chiliennes sont à l’honneur. Le festival de Groix arrive sur le continent à Lorient, pas au milieu de nulle part »).
a déjà reçu des représentants de Madagascar, de Cuba ou des îles Au loin, un groupe de Chiliens est parti explorer le chemin côtier
siciliennes. Chacun s’imagine l’autre un peu plus insulaire que soi. de Groix. Marie-Pia les regarde : « Le monde vient à nous, c’est
« Vous avez l’électricité à Groix ? », a demandé un participant de vachement sympa ! » Le festival mobilise 160 bénévoles, parmi les-
Nouvelle-Calédonie à Marie-Pia qui gère les logements. « Non, quels, l’an dernier, Dominique Voynet, qui travaillait en cuisine.
a-t-elle répondu, on pédale en hiver… » Tanya Tagaq Gillis, chanteuse On reconnaît les vrais Groisillons à ce qu’ils sont trop occupés pen-

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde


de gorge inuite du Nunavut, avait peur d’avoir trop chaud. L’année de dant le festival pour voir les films. « On se les regardera cet hiver… »
sa venue, elle avait expressément demandé qu’il y ait un climatiseur Enfin, si on a le temps. Thierry, qui travaille à la technique, s’oc-
dans sa chambre… En Bretagne, un climatiseur ! On en rit encore. cupe aussi de Musique à Groix, le festival de musique qui se ter-
Même à la maison de retraite on n’en a pas trouvé (« et c’était après minait deux jours plus tôt, Marie-Pia est membre d’une association
2003 »). Le pharmacien a cru en dégotter un dans ses cartons. C’était de nettoyage des fontaines et lavoirs, quand elle ne tient pas la
un humidificateur. À sa décharge, sur l’île bretonne, il avait eu aussi caisse du cinéma. Les locaux du festival s’engageront dans
peu l’occasion de s’en servir qu’un climatiseur. quelques semaines pour Regards vers l’autre, un cycle de forma-
Cette exigence ne valait pas celle de ce photographe irlandais qui tions aux techniques audiovisuelles qui reprend le mois prochain,
spécifia que, vu son grand âge, il ne pourrait pas venir en avion pour auprès de jeunes en difficulté. Il y a, dit-on sur Groix, une soixan-
quatre jours : il lui fallait se déplacer en bateau et passer au moins deux taine d’associations pour 2 300 habitants. C’est là aussi un effet de
semaines sur place pour ménager ses vieux os. On le crut. Jusqu’à l’insularité. Un Groisillon résume : « Sur une île, si tu veux que
découvrir un fringant sexagénaire qui, en fin de séjour, repartit chez quelque chose existe, c’est à toi de t’en charger. »

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


Ci-dessus, la famille Johnson
en 1972. De gauche à droite,
Boris, Rachel, Leo dans
les bras de sa mère, Charlotte,
et Stanley, tenant son fils Jo.
Ci-dessous, Leo, Rachel, Boris,
Stanley et Jo, en 2012, lors des
municipales à Londres qui virent
la réélection de Boris Johnson.

Boris & Co. Dans la famille Johnson, il y a bien sûr Boris, le nouveau
DR. Andrew Parsons/i-Images/MAXPPP.

premier ministre britannique, qui promet de boucler le Brexit d’ici au 31 octobre.


Avec ou sans accord. Mais il y a aussi les autres, opposés à la sortie de l’Union
européenne. Soit trois frères et une sœur élevés dans la soif du pouvoir par le patriarche,
Stanley. Une drôle de dynastie, entre les Kennedy et les Kardashian, qui lutte pour
s’imposer parmi l’élite britannique. Et pour laquelle la solidarité du clan importe plus
que tout. Quels que soient les désaccords politiques ou les blessures intimes. Éric Albert
par
E
24

n avril 1968, robert McnaMara, ancien politique, et que tout se passe bien, ils peuvent être premier
secrétaire aMéricain à la défense, ministre. » On lui fait remarquer que seuls 7 % des
devient président de la Banque Britanniques passent par ces écoles privées, les autres ne pou-
mondiale. Pour l’occasion, Stanley vant pas se les offrir, et que ce modèle ne s’applique qu’à une
Johnson, haut gradé de l’institution petite frange de la population. «C’est bien ce que je veux dire.»
basée à Washington DC, lui prépare Le mardi 23 juillet, la vision du monde de Stanley Johnson se
un poisson d’avril, qu’il raconte trouve confirmée. Ce jour-là, dans l’auditorium sans fenêtre
encore, l’œil pétillant, cinquante ans du palais des congrès Queen Elizabeth II Centre, à deux pas
plus tard. « Il y a un code de couleurs pour les propositions de de Westminster, où siège le Parlement, le résultat du vote
prêts. Les dossiers complets, à soumettre au comité d’appro- pour la direction du Parti conservateur est sur le point d’être
bation, sont en gris. J’ai donc fait une proposition de couleur annoncé. Trois têtes blondes sont assises au deuxième rang,
grise concernant un prêt de 100 millions de dollars à l’Égypte juste derrière Boris Johnson, 55 ans : Stanley, le père incon-
pour développer le tourisme. À l’intérieur, je suggérais de faire tournable; Rachel, 53 ans, la sœur journaliste-politicienne, qui
construire… trois pyramides supplémentaires. Et, dans les a travaillé pour le Financial Times, The Daily Telegraph ou
bénéfices indirects du projet, j’expliquais que l’armée égyp- l’Evening Standard, à la fois figure et chroniqueuse de la
tienne serait si occupée par leur construction que cela garanti- jet-set londonienne ; et Jo, 47 ans, le frère ministre-député
rait la paix au Moyen-Orient. » Surenchère dans l’absurde, conservateur, le plus cérébral de tous. Les trois Johnson se
Stanley Johnson précisait que le « retour sur investissement » passent un gobelet en plastique rempli d’une boisson sucrée,
de chaque pyramide serait « approximativement de tirant sur la paille multicolore. Il faut afficher son soutien, bien
9,762 % ». Seul indice de la supercherie, sous des apparences sûr, mais surtout se montrer. Être là où se trouve l’événement,
très sérieuses : le dossier était daté du 1er avril. Le père de devant les caméras du monde entier.
Boris Johnson, 79 ans, ne peut pas résister. S’il y a une blague Le plus égocentrique de tous, sur qui tous les regards se jet-
à faire, rien ne l’arrête. Cette affaire a failli lui coûter son tent, celui qui voulait être « roi du monde » quand il était
poste. Robert McNamara, qui avait d’abord discuté avec inté- petit, est bien sûr Boris, qui goûte enfin la récompense
rêt l’idée du prêt, n’avait guère goûté la plaisanterie une fois suprême en cette journée caniculaire de juillet. L’aîné de la
celle-ci comprise. Qu’à cela ne tienne, le Britannique a immé- famille a été tour à tour remarquable journaliste et fabricant
diatement rebondi, grâce à un partenaire de squash qui lui a de fausses informations (à Bruxelles, notamment), drôlissime
décroché un emploi auprès de John Rockefeller III, alors chroniqueur et sinistre pourvoyeur de messages haineux,
l’homme le plus riche des États-Unis. maire centriste de Londres et partisan de la droite dure pen-
Il faut rencontrer le père du nouveau premier ministre du dant la campagne du référendum sur le Brexit. Ses convic-
Royaume-Uni, qui a pris ses fonctions fin juillet sur la promesse tions instinctives, bien que mal définies, sont relativement
d’un Brexit dur, pour commencer à comprendre le fils. Tout y claires : libéralisme économique et libéralisme sociétal. Mais
est, avec un quart de siècle de plus. La touffe de cheveux le vrai fil rouge de sa vie, qui a tout guidé depuis le début, est
blonds devenus blancs en bataille, le nez pointu, l’incapacité à bien plus simple : son ambition personnelle.
répondre directement à la moindre question, une pointe de Le seul absent de la famille Johnson en ce jour d’intronisa-
noblesse oblige, dû à un nom de famille qui, derrière le com- tion, le seul à ne pas être d’une blondeur éblouissante – il
mun « Johnson », est, dans sa version intégrale, « de Pfeffel est châtain très clair –, est le troisième de la fratrie, Leo,
Johnson», donc lointainement aristocrate. Et un besoin insa- 51 ans. Il mène une brillante carrière comme associé au
tiable de faire un bon mot. Cette personnalité larger than life, cabinet de consultants PricewaterhouseCoopers, en tant
ancien député européen, connue du grand public britannique, que spécialiste du développement durable. Il tente d’échap-
qui vient de passer une partie de son mois d’août à nager avec per à la vie publique (« Je suis né sans le gène de l’autopro-
les requins au large de l’Australie, qui passe d’émissions de motion », déclarait-il en 2013), même s’il présente une
télé-réalité trash à de très sérieuses discussions politiques, a un émission de radio. Stanley a eu deux autres enfants d’un
besoin primaire : être au centre de l’attention. On n’écrit pas deuxième mariage, mais ceux-ci évoluent dans d’autres

Brian Smith/Reuters. Finnbarr Webster/Getty/AFP. Stefan Rousseau/Pool/EPA/Maxppp


deux autobiographies sans être un brin mégalo. cercles : Julia, une chanteuse discrète, et Maximilian, un
Il a aujourd’hui un nouveau rôle : il est devenu « First homme d’affaires qui habite Hongkong.
Father », comme il se surnomme, et il trône sur une dynastie « En gros, on est comme les rats. À Londres, vous n’êtes
politique. Les Johnson sont une famille politico-médiatique jamais à plus de quelques mètres d’au moins deux Johnson »,
à mi-chemin entre les Kennedy et les Kardashian, avec un concluait Rachel en 2017, dans un de ses articles. Tous parta-
appétit dévorant du pouvoir et un goût insatiable de la publi- gent leur vie avec des personnalités en vue. Jo vit avec Amelia
cité. Quatre des six enfants de Stanley Johnson, ceux issus de Gentleman, une influente journaliste du Guardian ; Leo par-
son premier mariage avec l’artiste Charlotte Fawcett, sont tage sa vie avec Taies Nezam, une Afghane qui travaille à la
connus, connectés, mariés à d’autres personnalités incontour- Banque mondiale ; Rachel est mariée à Ivo Dawnay, descen-
nables dans les beaux quartiers londoniens. Ils aspirent aux dant d’une vieille famille noble anglaise, journaliste et écri-
feux de la rampe. Ils évoluent depuis leur naissance dans le vain. Quand on a dit à Rachel qu’on allait écrire un article sur
monde à l’air raréfié de la haute société anglaise, avec sa stra- sa famille, elle n’a pas pu s’empêcher un trait d’humour :
tégie habituelle : placer ses rejetons dans les meilleurs – et les « Assurez-vous que les photos de moi soient flatteuses. C’est
plus chers – pensionnats privés. «Il faut comprendre le système tout ce qui m’intéresse. » Il s’agit évidemment d’une blague.
britannique, explique le patriarche patiemment. Pour des Comme son père et ses frères, Rachel est redoutablement
familles comme la mienne, c’est très simple : l’éducation des intelligente, vive et ambitieuse. Mais elle est aussi très sincère.
enfants est bien trop importante pour la laisser aux parents. La soif de célébrité est évidente. « Je dois me rendre à l’évi-
L’évidence est de les envoyer dans les meilleures écoles. Ils vont dence, je suis aujourd’hui surtout connue pour être la sœur de
ensuite dans les meilleures universités et ensuite ils ont de très Boris », lâchait-elle en soupirant lors d’une longue interview
bons emplois. S’il se trouve qu’ils ont choisi comme métier la qu’elle nous avait accordée en novembre 2018. Elle a écrit •••

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


1

À Oxford, en 1986, la ministre En juin, Stanley Johnson (2)


de la culture grecque soutient la candidature de son fils
Melina Mercouri s’entretient à la tête du Parti conservateur.
avec Boris Johnson (1), alors Le 23 juillet, Boris Johnson rem-
président d’Oxford Union, porte l’élection, félicité par son
le club politique des étudiants père, sa sœur Rachel et son frère
de l’université. Tous les enfants Jo (3). Le lendemain, il succède à
de la famille ont fréquenté Theresa May au poste de premier
la prestigieuse institution. ministre du Royaume-Uni.

2
1

Boris, Leo et Rachel avec


leur mère, Charlotte (1),
artiste-peintre séparée de
leur père, Stanley, en 1979.
Boris Johnson a suivi la
« voie royale » britannique. En
fréquentant notamment Eton
(2, avec sa sœur Rachel en 1979).
En 2014, Stanley, Rachel, Boris et
Jo (3) célèbrent la publication
d’un livre de Boris Johnson.

DR. Ian Sumner/REX/Sipa. Andrew Parsons/I-Images/Bureau233


“Être marié à une Johnson, c’est comme
adopter une famille de chiots qui
font beaucoup de bruit, sautent partout
et dont la queue a tendance à faire
tomber les objets délicats des tables.”
Ivo Dawnay, mari de Rachel Johnson
27

••• une demi-douzaine de romans, est chroniqueuse multi- peuvent aller à l’école européenne et devenir de bons petits
carte dans de nombreux journaux britanniques, a été une par- Européens. » La mère de Stanley était à moitié française, ce
ticipante de l’émission de télé-réalité «Celebrity Big Brother» qui fait que le premier ministre britannique qui mène le
(un « Loft Story » pour célébrités) et a de quoi s’assurer un Brexit est à un huitième français. Deux ou trois générations
prénom. « C’est difficile d’avoir une existence propre parce en arrière, on trouve des particules françaises et allemandes,
que [Boris] est cette figure publique incontournable. Ce n’est des racines juives, musulmanes et chrétiennes, un ministre de
pas facile, mais je l’aime. C’est ça, la famille. C’est toujours l’intérieur du sultan de l’Empire ottoman, le traducteur
difficile. » Son mari, Ivo Dawnay, l’a confirmé à sa façon un jour anglais de Thomas Mann… En remontant quelques généra-
dans un entretien : « Être marié à une Johnson, c’est comme tions de plus, les Johnson deviennent même de vagues cou-

A
adopter une famille de chiots qui font beaucoup de bruit, qui sins d’Elizabeth II par le biais de leurs origines allemandes.
sautent partout et dont la queue a tendance à faire tomber les Les quatre enfants parlent tous français couramment.
objets délicats des tables. »
L’union sacrée de ce clan de pouvoir est pourtant mise à mal
par le Brexit. À l’exception de l’actuel premier ministre, tous
ont fait campagne pour rester dans l’Union européenne. moins que la dispute autour du
Après le référendum, Rachel a rejoint le Parti des libéraux- Brexit ne soit qu’une formi-
démocrates, puis Change UK, deux partis à la pointe de la dable mise en scène. Que
lutte contre le Brexit. Elle a même été candidate – malheu- derrière les apparentes fric-
reuse – à la députation européenne en mai, pied de nez évi- tions, les Johnson jouent un
dent à son frère, tout en évitant de le critiquer directement. jeu de pouvoir où l’ambition
Son point de vue sur le Brexit ? « It’s just an enormous catas- dépasse la bataille des idées.
tro-fuck ! » Ça se passe de traduction. « Ce qui compte pour eux est
Jo (qui a refusé de nous recevoir) a démissionné avec fracas d’être au centre de l’attention, au cœur du pouvoir, et la
de son poste de ministre en novembre 2018. Il s’opposait alors raison en est finalement relativement secondaire », estime un
à l’accord proposé par la première ministre, Theresa May, ancien député conservateur qui les connaît bien. Un ancien
pour sortir de l’Union européenne, et revendiquait… un ministre, aujourd’hui député conservateur, qui a travaillé avec
deuxième référendum sur le Brexit, afin d’annuler le résultat Boris et avec Jo, abonde. « Jo est en adoration devant son
du premier. Dans un article, il avertissait directement Boris frère. Quand il a quitté le gouvernement de Theresa May, ça
des dangers du « no deal », une sortie de l’UE sans accord : arrangeait bien Boris. Sa démission a profondément désta-
« Mon message à mon frère et à tous les militants du Brexit bilisé la première ministre. Je suis sûr que Jo avait consulté
est qu’infliger de tels dommages économiques et politiques au Boris avant de prendre cette décision. »
pays laisserait une impression indélébile d’incompétence Le petit frère est aujourd’hui récompensé. Il a été nommé par
dans l’esprit du grand public. » son aîné secrétaire d’État au sein du département des affaires,
Quant au père, Stanley, il a consacré vingt ans de sa vie à la de l’énergie et de la stratégie industrielle et du département
construction européenne. En 1973, quand le Royaume-Uni de l’éducation. Avec le droit exceptionnel d’être présent au
est devenu membre de la CEE, il a fait partie des tout pre- conseil des ministres. Dans la tempête qui a accompagné l’ar-
miers fonctionnaires européens britanniques. « J’étais chef de rivée de Boris Johnson au 10 Downing Street, la nomination
cabinet pour l’environnement et les nuisances », se rappelle- familiale n’a guère causé de remous. Pire encore, en acceptant
t-il dans un excellent français. En 1979, lors des premières de faire partie du gouvernement, Jo a dû promettre de soute-
élections au Parlement de Strasbourg, il devient député sous nir une potentielle sortie de l’Union européenne sans accord,
l’étiquette du Parti conservateur, qui était alors favorable à la le fameux « no deal ». Aurait-il la mémoire courte ? ou ambi-
construction européenne.Alors, quand son fils est devenu pre- tionnerait-il un jour de succéder à son grand frère ? Très pru-
mier ministre, Stanley Johnson était déchiré. « J’étais person- dent, il évite les interventions dans la presse, préférant jouer
nellement très content. Combien de pères ont vu leur fils deve- un rôle actif dans les coulisses du pouvoir.
nir premier ministre ? Mais il y avait aussi une certaine Et que dire de l’omniprésence de Stanley? À chaque discours
ironie. J’étais un euro-enthousiaste, et le travail de mon fils important, à chaque tournant dans la carrière de ses fils, le père
est de défaire les liens avec l’Europe. » se montre. Quand Jo a démissionné, donnant une série d’in-
Ces trois dernières années ont aussi été très douloureuses pour terviews, son père était présent. On l’aperçoit sur une photo, à
Rachel. Le 24 juin 2016 au matin, quand le résultat du réfé- l’arrière-plan, devant la BBC. Quand Boris a lancé sa cam-
rendum sur le Brexit a été connu, elle se trouvait à Nice, de pagne pour être premier ministre, il était également là. « Les
retour d’une conférence sur la publicité. « Je me souviens Johnson forment un clan, à la fois resserré et ultracompéti-
qu’en traversant l’aéroport, rempli de représentants du tif », explique Sonia Purnell, auteure d’une biographie très
monde de la publicité, des médias, de l’industrie du film, les fouillée de Boris Johnson (Just Boris. A Tale of Blond
gens s’écartaient de moi. C’était comme la mer Rouge qui Ambition, édition Aurum Press, 2012, non traduit). « Stanley
s’ouvrait. Certains pleuraient. Personne ne m’adressait la leur a inculqué ce sens de la concurrence, de toujours vouloir
parole après ce que mon frère avait fait au continent. J’étais être le meilleur, le premier. Mais il n’y a pas de valeurs cen-
très très triste. » Aujourd’hui, le cœur gros, elle demande une trales. Ce qui compte est de gagner. »
seule chose : « Play the ball, not the man. » En français : Les Johnson, un clan organisé collectivement à la poursuite
« Attaquez les idées, mais pas la personnalité de mon frère. » du pouvoir ? Stanley lève les yeux au ciel. « Ah, le mythe qu’il
Dans les faits, difficile de faire plus européens que les Johnson. y a de grandes réunions de la famille Johnson ! On est tous
La famille a passé de longues années à Bruxelles, quand tellement pris… On arrive parfois à se réunir dans le
Stanley était haut fonctionnaire puis député. En 1973, quand Somerset, où j’ai une ferme, mais on ne se voit pas souvent.
sa femme s’inquiétait de trouver une école en Belgique pour Et on ne se met certainement pas d’accord entre nous sur la
ses enfants, Stanley s’écriait, comme une évidence : « Ils ligne officielle à tenir. » Il assure nous rencontrer sans en •••

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


28

Rachel, Leo et Boris


avec leur mère, Charlotte (1),
en 2015 à Londres. Les Johnson
au grand complet sur une photo
des années 1970 tirée des
archives familiales, avec de
gauche à droite : Charlotte, Jo,
Stanley, Rachel, Leo et Boris (2). 3
Les Johnson fréquentent de
longue date les événements
mondains de la bonne société 4
anglaise : Boris et sa sœur,
Rachel (3), à l’anniversaire
du vicomte Althorp, en 1985.
Rachel pose en 2009 devant
sa maison de l’Exmoor,
à l’ouest du Somerset,
près de la ferme familiale.
29

••• avoir informé son fils aîné. Rachel confirme. « Tout le La période est ardue. Deux jeunes filles au pair s’occupent
monde me demande à quoi ressemblent les déjeuners du des enfants Johnson. Stanley et Charlotte divorcent en 1979.
dimanche chez les Johnson. Eh bien, je vais vous dire : on ne Dans ses deux autobiographies, qui s’étirent sur quelque sept
parle pas du Brexit, parce que ça deviendrait juste trop tendu. cents pages, Stanley en consacre tout juste trois à la rupture.
Et puis ce ne serait pas juste, parce qu’on serait tous ensemble L’introspection n’est pas vraiment son fort. « C’était une
contre Boris. Ce serait du harcèlement ! » enfance étrange, difficile, explique Sonia Purnell, la bio-
Comme bien des familles de ce genre, il y a pourtant une graphe de Boris Johnson. Les parents étaient très absents. Les
immense déchirure à l’origine. L’indice se trouve dans un enfants semblent tous avoir des symptômes d’un trouble de
dessin d’enfants encadré sur une table basse du salon de l’attention. » Charlotte se remettra progressivement, se
Rachel Johnson. En feutres de couleurs, d’une écriture remariant à un Américain et passant de longues années aux
enfantine – fautes d’orthographe comprises –, le message États-Unis. Aujourd’hui veuve, diagnostiquée dès l’âge de
est un mot d’excuses : « Mama, we are sory that we were so 40 ans de la maladie de Parkinson, elle se déplace avec diffi-
bad to day » (« Mama, on est désolé d’avoir été méchants cultés et ne s’exprime que rarement dans les médias. Elle
aujourd’hui »). Signé : Leo, Rachel et Alexander. Jo était occupe une place énorme, non dite, dans l’histoire de la
trop petit pour participer. Alexander Boris de Pfeffel famille. « N’oubliez pas de mentionner ma mère, confie
Johnson était encore « Al », pour sa famille, bien avant de Rachel. Elle est une femme formidable qui nous a donné le
s’inventer son personnage de bouffon échevelé et de préfé- peu d’humanité qu’on a en nous. »
rer son deuxième prénom. La famille habitait alors Bruxelles À l’université d’Oxford, Annabel Eyre a partagé une maison
avec Rachel Johnson entre 1986 et 1988. Trente ans plus tard,
elle se souvient du clan Johnson comme très uni. « Les frères
et sœur étaient vraiment proches. Boris passait souvent et il

“À quoi ressemblent les était charmant. Je me rappelle que Rachel pouvait être très
maternelle envers les plus jeunes, et Boris était très paternel

déjeuners du dimanche
avec Rachel. » Stanley passait de loin en loin. Lui était claire-
ment le modèle que suivaient les enfants. « Rachel était
extrêmement ambitieuse. Boris aussi, bien sûr, mais il le dis-

chez les Johnson? simulait mieux. Il était toujours affable alors que sa sœur
pouvait être intimidante quand elle le voulait. »

Eh bien, je vais vous


L’apport de Stanley à ses enfants est d’avoir su les pousser
dans le monde. De les avoir fait intégrer le pensionnat
d’Eton, le plus huppé de tous, puis l’université d’Oxford.

dire : on ne parle pas Car, comme toute histoire anglaise, la vérité ne serait pas
complète sans une question de lutte des classes. Les Johnson

du Brexit, parce que


ne sont pas vraiment une famille upper class. Ils n’ont pas
de fortune familiale, ne descendent pas d’une grande lignée
noble issue de Guillaume le Conquérant et n’ont pas de châ-

ça deviendrait juste teau ancestral où se réunir, mais une ferme spartiate dans la
région d’Exmoor (dans le sud-ouest du pays). Bien sûr, leurs

trop tendu.”
ancêtres sont souvent prestigieux et faisaient partie de l’élite.
Mais, pour arriver à leur position, les Johnson ont toujours dû
se battre. Boris est entré à Eton avec une bourse. Rachel et
Rachel, la sœur de Boris Johnson Jo ont gravi les échelons du Financial Times, où ils ont com-
mencé tous les deux leur carrière, avant de vraiment décoller.
La compétition permanente instaurée par Stanley, sous de
faux airs de bonhomie, vient de cette ambition-là.
et la journée avait visiblement été difficile pour la mère. À la rancœur sociale, l’élitisme, l’intelligence aiguë et la bri-
Ces années-là ont été une tempête permanente. Charlotte, sure intime, il convient enfin d’ajouter l’indispensable liant :
Lucy Young/REX/Sipa. DR. Steve Back/ANL/Rex/Sipa. Christopher Jones/REX/Sipa

artiste-peintre, qui avait rencontré Stanley à l’université l’humour. Ou plus exactement, le (faux) sens de l’autodéri-
d’Oxford, souffrait d’une profonde dépression et de troubles sion. La blague de Stanley sur les pyramides égyptiennes
obsessionnels compulsifs. « J’étais devenu phobique, a-t-elle l’illustre parfaitement. Plus tard, l’homme a consacré une
expliqué au magazine britannique Tatler en 2015, dans une large partie de sa carrière à la lutte contre la surpopulation
rare interview. J’étais terrifiée par toute forme de saleté. » Elle et il a écrit six livres sur le sujet. « Un livre par enfant que
passe de longs séjours internée à l’hôpital de Maudsley, à j’ai eu ! », pouffe-t-il, conscient de l’évidente contradiction.
Londres. Il faut dire que la vie qu’elle mène avec Stanley est De même, l’actuel premier ministre s’est fait un nom grâce
chaotique. Le couple a quatre enfants en bas âge et déménage à son humour. Ses mimiques et ses bons mots, notamment
trente-deux fois en quinze ans : New York, Washington, dans des émissions de télévision satiriques sur l’actualité,
Londres, Bruxelles… Et puis Stanley n’est pas l’homme ont largement contribué à sa popularité. Aujourd’hui,
qu’elle pensait connaître. « Les choses étaient difficiles avec l’homme divise fortement, est comparé à Donald Trump,
[lui], poursuit-elle dans Tatler. Je croyais que j’avais épousé flirte parfois avec l’extrême droite, mais, pendant des décen-
un poète, mais il s’était mis à s’intéresser à l’environnement, nies, il a réussi le tour de force d’unir gauche et droite en
il voyageait beaucoup, il aimait ça, et puis un cher ami m’a mettant les rieurs de son côté. « Dans notre enfance, je me
parlé de ça… » « Ça », ce sont les maîtresses de Stanley, qui souviens qu’on passait l’essentiel de notre temps à essayer de
collectionne les infidélités. Son fils Boris, récemment divorcé se faire rire », assure Rachel. Aujourd’hui, alors que l’aîné
pour la deuxième fois et père d’un ou deux enfants illégitimes précipite son pays vers un Brexit sans accord, aux consé-
(il en a reconnu un, pas l’autre), semble reproduire la même quences sans doute catastrophiques, le légendaire humour
attitude des décennies plus tard. des Johnson est peut-être hors de propos.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


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Des touristes dans


une décapotable
américaine devant
un immeuble de
la vieille Havane,
à Cuba, le 8 juillet.

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


Comandante
patrimoine.
Au cœur de la capitale cubaine,
qui fête cette année les cinq cents ans
de sa fondation, le quartier classé
de La Habana Vieja concentre
tous les paradoxes du régime castriste.
L’historien Eusebio Leal a fait
de la sauvegarde de ses bâtiments
le combat de sa vie. Proche
du pouvoir, il a obtenu le droit
d’y développer l’exploitation
touristique dès 1994. Une expérience
“capitaliste” qui a permis
de réhabiliter certains joyaux
coloniaux, mais menace aujourd’hui
de transformer l’âme même
de ces rues. pierre sorgue
par eliana aponte
— photos

D ans la nuit du 15 au 16 novembre,


eusebio leal viendra devant le
“templete”, un petit temple néo-
classique construit au xixe siècle
dans la vieille ville de La Havane.
Il tournera autour de la ceiba,
l’arbre symbolique, pour commé-
morer le jour de 1519 où la ville
aurait été fondée. La célébration n’a aucun fondement histo-
rique, mais qu’importe. Eusebio Leal, qui aura alors 77 ans, le
sait, lui qui dirige la très officielle Oficina del Historiador de la
Ciudad de la Habana, le Bureau de l’historien de la ville, une
organisation tentaculaire qui œuvre à la revitalisation de
La Habana Vieja, le centre historique. Les festivités du
500e anniversaire de La Havane devraient attirer les regards du
monde sur un pays qui aimerait recevoir 5 millions de visiteurs
cette année. Des ressources vitales au moment où l’économie
souffre de l’effondrement du parrain vénézuélien et de l’inter-
minable embargo américain avec lequel Trump a recommencé
à jouer, après une brève détente pendant l’ère Obama.
Pour Eusebio Leal (qui ajoute parfois le patronyme alsacien
de sa mère, Spengler), ces célébrations seront la reconnais-
sance de l’œuvre de sa vie : un demi-siècle à défendre le •••
••• patrimoine de cette vieille ville dont il connaît le moindre Tout le monde connaît Eusebio Leal dans les rues qui décli-
recoin, près de quarante ans à diriger sa réhabilitation grâce nent leurs couleurs de glace à la crème – vanille, pistache,
à un modèle original qui lui a valu les louanges du monde. fraise. Le Bureau de l’historien gère 35 musées, 4 salles de
Dans ce pays où la citation murale élève son auteur au rang concerts, autant de théâtres, 15 centres culturels, 20 biblio-
de héros, où les paroles de Fidel Castro et de Che Guevara thèques, des ateliers… Il dirige aussi le «plan maestro», qui
sont reproduites sur les immeubles, celles d’Eusebio Leal dicte les politiques et les actions sur cette partie de la capitale.
sont affichées sur les palissades de chantier. La sienne est Chaque jour ou presque, on le voit passer dans les ruelles mar-
moins tranchante qu’un « Hasta la victoria siempre » : « Je chant vers un musée ou l’imposant édifice néorenaissance
ne tiens pas rancœur au passé, au contraire, j’ai cru en la hébergeant Habana Radio, la station dévolue à sa cause. Ces
nécessité d’aller vers le futur à partir du passé. » derniers temps, c’est le Capitole, monument emblématique,
On peut y lire la profession de foi de l’infatigable défenseur qui a droit à ses attentions pointilleuses. La restauration, colos-
du patrimoine, du communiste qui préfère la révolution sans sale, doit être achevée pour novembre : «Il appelle sans arrêt,
« table rase » ou du catholique fervent qu’il est aussi. Mais, vient sans prévenir, contrôle les moindres détails, s’inquiète de
comme cette année est aussi celle des 60 ans de la révolution savoir si l’on sera prêt… », dit en souriant Mariela Mulet, la
castriste, ces mots résonnent étrangement lorsqu’ils annon- jeune ingénieure à la tête des travaux.
cent l’ouverture d’un énième hôtel cinq étoiles dans un bâti- Tous les Cubains ont vu au moins une fois à la télé l’homme
ment historique, entre deux boutiques de luxe. Ils pourraient au regard sombre, mince dans sa large chemisette grise
être aussi le constat triste que le pays n’a plus grand-chose explorer places et ruelles pour son émission « Andar La
d’autre à vendre que ses plages ou son passé colonial. Habana » (« parcourir La Havane »). Avec l’éloquence d’un

Eusebio Leal se défend d’être le “capitaliste de


Fidel”. “Nous avons essayé de ne pas restaurer
que pour la beauté ou l’importance historique,
mais aussi pour les gens qui y vivent.”
33

tribun révolutionnaire et l’onction d’un curé faisant un ser-


mon – gentiment moquées par Luis Silva, l’humoriste le plus
populaire de l’île –, il a raconté pendant des années les tré-
sors architecturaux. Il a guidé la visite du pape François en
2015, celle d’Obama en 2016, quand tout Cuba rêvait de
détente. Il est le plus décoré des Cubains à l’étranger. Il est

S
« l’homme qui a sauvé La Havane ».

a propre légende est née un jour de 1967, à


quelques mètres du berceau mythique de la
ville. Devant les arcades d’un palais
baroque court une chaussée pavée de
bois. Ainsi construite, assure la chronique
locale, pour que la sieste de l’épouse d’un
gouverneur ne fût pas troublée par le bruit des roues sur les
pierres. Eusebio Leal, alors historien autodidacte de 25 ans,
avait mis au jour cette rareté partagée uniquement par Paris,
Saint-Pétersbourg et Rome. Quand il apprit que la chaussée
allait être asphaltée pour la venue d’une délégation étrangère,
il se coucha devant les engins de chantier. Le maire dut lui historique. La romancière Zoé Valdés, fille de la vieille Havane Page de
gauche, l’histo-
promettre de rendre la rue à ses fouilles après la visite offi- avant son exil, le fréquenta alors et travailla au musée. Plus rien de la ville
cielle. « C’était une action un peu folle », dit-il. Mais le pre- tard, elle en dessinera un portrait contrasté : d’un côté, un pas- Eusebio Leal
Spengler est
mier acte de désobéissance civile « fut la révolution elle- sionné et un conteur hors pair que les gens du quartier sur- une figure
bien connue
même », relativise celui qui n’oublie pas ce qu’il lui doit. Né nommaient «El Duende» («le lutin»), apprécié des habitants à Cuba.
dans une famille pauvre d’un quartier périphérique, élevé par des solares, mais vivant dans« une magnifique maison en Ci-dessus, la
une mère célibataire et femme de ménage, Eusebio Leal avait pierre de taille » ; de l’autre, un homme qui pouvait se montrer vieille Havane
en pleine
16 ans et aucun diplôme lorsque le dictateur Fulgencio Batista « hautain et désobligeant », obsédé par le pouvoir, avide de reconstruction.
s’enfuit avant que les guérilleros n’entrent dans La Havane. Il séduire Castro qu’il invita à ses nombreux mariages.
courut à l’église sonner les cloches pour saluer la victoire. Très Dès 1982, l’Unesco inscrivit la ville coloniale au Patrimoine
vite, il obtint un emploi municipal au bureau des impôts, pro- mondial de l’humanité : 4 000 édifices, dont 350 du xvie au
fita des possibilités d’éducation offertes aux travailleurs par le xviiie siècle, quatre kilomètres carrés de beauté, un concert
nouveau régime, se goinfra de films étrangers, de littérature et d’influences mauresque, baroque,Art déco, néoclassique, néo-
d’histoire à la bibliothèque publique. Fasciné par les beautés gothique, Art nouveau. Mais, à l’époque, les financements
architecturales du centre historique, il fréquenta le petit internationaux étaient maigres et le tourisme rare : Fidel ne
musée que dirigeait l’intellectuel Emilio Roig de voulait pas que son île soit celle « des femmes de chambre et
Leuchsenring, l’historien de la ville. C’est en charmant des barmans ». La vieille ville continuait à tomber littérale-
l’épouse du monsieur qu’il devint le confident de celui-ci, son ment en ruines. Victor Marín Crespo, un architecte qui tra-
disciple puis successeur, en 1967. vaillait alors pour l’Unesco, se souvient du jour de 1993 où il
La révolution a changé la vie d’Eusebio Leal, elle a aussi accompagnait un journaliste anglais en visite sur la Plaza Vieja.
sauvé la vieille Havane. Depuis les années 1920, les plus « Je lui faisais face pour lui parler, je l’ai vu écarquiller les
riches, partis vers les villas des faubourgs, l’avaient abandon- yeux et dire : “Regardez, ça s’écroule !” J’ai cru que c’était
née, louant aux migrants des campagnes des appartements l’humour britannique, mais non… »
toujours plus exigus dans ces immeubles que les Cubains Paradoxalement, c’est l’effondrement du pays qui a évité celui
appellent solares. « Au moment de la révolution, seuls 500 de la vieille ville. Quand le bloc soviétique vole en éclats au
des 3 000 bâtiments de la vieille ville sont considérés comme début des années 1990, Cuba, privée de soutiens écono-
en bon état », écrit Emmanuel Vincenot dans sa très minu- miques, plonge dans une misère noire. Fidel Castro se lance
tieuse Histoire de La Havane (Fayard, 2016), qui évoque dans la quête des dollars. En 1993, au retour d’une visite à
aussi le plan qu’un urbaniste inspiré par Le Corbusier avait Carthagène, la ville colombienne dont le pays avait rénové le
soumis à Batista afin de « raser une partie de La Habana centre colonial pour en faire une lucrative attraction touris-
Vieja pour y concentrer les activités financières ». Les révolu- tique, El Commandante interroge Eusebio Leal : que faire
tionnaires avaient enterré le projet, réduit les loyers et inter- pour la vieille Havane ? L’historien avance un modèle peu
dit les évictions. Mais ils avaient d’autres chats à fouetter et communiste : l’exploitation touristique pourrait rapporter des
les bâtiments continuèrent à se délabrer. Le centre histo- profits à réinjecter dans la restauration des bâtiments, des loge-
rique ne fut déclaré monument national qu’en 1976. ments et autres infrastructures engrangeant de nouvelles res-
Eusebio Leal approcha le Lider Maximo grâce à une femme : sources…Un an plus tard, Fidel décréta la création de la
Celia Sánchez, la guérillera préférée de Fidel. Passionnée société Habaguanex, du nom d’un Indien Taïno qui donna son
d’histoire, elle protégea le jeune directeur du musée de la ville nom à la ville. Dotée de 1 million de dollars, placée sous le
des apparatchiks du PC, défendit son action auprès de Fidel contrôle du Bureau de l’historien, elle serait la seule dispensée
Castro, dont les historiens ont dit qu’il se défiait de cette ville de verser ses bénéfices à l’État et pourrait négocier directe-
petite-bourgeoise. « Ce n’est pas vrai, c’était un homme de ment avec les investisseurs étrangers.
culture qui prenait soin des choses. Il m’a accordé tout de suite Eusebio Leal et son équipe rouvrent d’abord trois restau-
son soutien total », vante Eusebio Leal qui, en 1981, obtint la rants et l’hôtel Ambos Mundos, celui dans lequel Hemingway
responsabilité des travaux de restauration du centre écrivit Pour qui sonne le glas. Des boutiques sont créées, •••

24 août 2019 — Photos Eliana Aponte pour M Le magazine du Monde


34

••• des palaces retrouvent leur beauté, des rues sont offertes
aux piétons. L’embargo oblige à l’ingéniosité, Eusebio Leal
crée des « ateliers-écoles », auxquels les chantiers passent
commande. Ils ont formé près de 1 600 apprentis depuis L’objectif “social”
de la restauration ne
1992. Ces derniers jours, dans un rez-de-chaussée poussié-
reux, garçons et filles sont mobilisés par la restauration du
Capitole. Diana Piñero, 19 ans, petit anneau dans le nez et
écouteurs dans les oreilles, peint les feuilles d’acanthe de
chapiteaux en plâtre. « Une école qui nous paie pour saute plus aux yeux.
Près du Capitole,
apprendre [environ 8 euros] et nous offre les repas, c’est une
belle chance que nous donne le pays », dit la brune souriante,
qui espère que sa formation lui permettra de trouver un
emploi et qu’elle ne sera pas obligée de quitter son île
comme tant d’autres. Une partie des revenus du tourisme l’implantation
d’un futur hôtel
finance des logements. L’argent est aussi investi dans des
écoles, les centres pour personnes âgées, les dispensaires
médicaux. « Nous avons essayé de ne pas restaurer que pour
la beauté ou l’importance historique, mais aussi pour les gens
qui y vivent », dit Eusebio Leal, qui ne tient pas à être celui de 300 chambres
a entraîné
que certains journaux ont appelé le « capitaliste de Fidel ».
C’est pourtant sous sa direction que Habaguanex a brassé
des millions de dollars, acquis plus de 300 commerces, dont
une cinquantaine de bars et une quarantaine de restaurants,
que le Bureau a étendu son action au Malecón, la promenade le déplacement
des habitants et
en bord de mer, et au quartier chinois. L’initiative privée a
suivi, plus ou moins légalement. Par exemple, il y a dix ans,
Osmani a acheté une pièce dans une maison délabrée. Il n’a
rien demandé à « la bureaucratie », s’est battu avec l’em-
bargo et le marché noir pour trouver ciment, câbles, plombe- la destruction
d’une salle de sport.
rie… Il a retapé une pièce, puis deux, puis les trois étages et
le toit-terrasse d’une maison, dont il a fait une très agréable
casa particular (bed and breakfast version cubaine) qui tra-
vaille avec des agences comme Voyageurs du monde. Il
emploie six personnes, continue à jongler avec les difficultés
d’approvisionnement et les coupures d’électricité. « On nous
a longtemps pris pour des bandits, mais nous aussi nous amé-
liorons La Havane », dit-il. revendeur de cartes pour téléphone ou Internet. À travers les
En 2011, Raúl Castro a autorisé les particuliers à louer ou à grilles des rez-de-chaussée, on vend du rhum, des bananes
vendre leur appartement. De ce fait, dans les rues de la ou les meilleures mangues du monde jusque tard dans la
vieille Havane, les affiches « Se vende » (« à vendre ») fleuris- nuit… Le contraste est saisissant avec le magasin d’État où
sent et les locations Airbnb explosent depuis 2015. Les l’on peut acquérir des produits de première nécessité grâce
vieilles décapotables américaines ne servent plus qu’à pro- à la libreta, le carnet d’approvisionnement et de rationne-
mener les touristes. Tout le monde ou presque se fait coif- ment : quelques bouteilles en plastique à moitié remplies de
feur ou esthéticienne, pizzaïolo, marchand de glace, sucre ou de haricots rouges, cinq boîtes de compote, un
paquet de café et le grand vide des rayonnages autour.
Eusebio Leal a aussi favorisé l’installation de créateurs et d’ar-
tistes. Les rues se sont remplies de galeries, d’ateliers de
peintres ou de tatoueurs, de cours de danse, où les visiteurs
apprennent l’art de la salsa ou la très sensuelle kizomba, venue
d’Angola. La boutique de mode Clandestina, que tiennent
Indanía del Río et Leire Fernández, est devenue le comble du
branché depuis que le président Obama en visite y a com-
mandé des tee-shirts pour ses filles. Aujourd’hui, Clandestina
donne du travail à trente-deux personnes et Indanía, trente-
naire à l’allure d’adolescente, essaie d’affronter sereinement
quelques contradictions : susciter la fierté du pays et les jalou-
sies de ceux qui l’appellent «la capitaliste»; louer le tourisme
qui fait prospérer les affaires, tout en regrettant qu’une ser-
veuse dans un restaurant gagne en trois jours le salaire mensuel
d’un professeur d’université (environ 65 euros après l’augmen-
tation de juin); contribuer à valoriser le centre historique qui,
par conséquent, devient de moins en moins populaire.
Car les inégalités se creusent entre les privilégiés et ceux qui,
dans des appartements délabrés, se partagent les paliers ou

Photos Eliana Aponte pour M Le magazine du Monde — 24 août 2019


inventent des mezzanines dans les pièces suffisamment L’objectif « social» de la restauration ne saute plus aux yeux. Page de
gauche,
hautes de plafond. Eusebio Leal, membre du comité central Tout près du Capitole, l’implantation d’un futur hôtel de des casques
du Parti communiste cubain, n’a d’autre explication à avancer 300 chambres a entraîné le déplacement des habitants et la conservés
à l’école de
que la très peu marxiste loi du marché : « Sur la Plaza Vieja, destruction d’une salle de sport très fréquentée. Les jeunes ne restauration
du Bureau de
par exemple, nous avons fait le maximum pour que les familles pourront plus y disputer leurs tournois de foot. « C’était la l’historien
restent. Puis, quand les édifices restaurés ont pris de la valeur, salle où ils réalisaient leur rêve, qui faisait que ce quartier de La Havane.

avec les changements socioéconomiques que Cuba a connus ces était le leur », constate Pavel García, un « entrepreneur social » Ci-dessus, de
jeunes Cubains
dernières années, des personnes qui ont de l’argent ont acheté qui dirige Barrio Habana, un projet sportif et culturel soutenu participant
leurs logements à ces familles. Je ne peux pas m’opposer à la par une fondation autrichienne. Un cinéma historique a failli

I
au programme
social
liberté de la personne et à son droit à l’usage de sa propriété. » y passer aussi, mais, face aux protestations, Eusebio Leal a Barrio Habana
jouent au
assuré qu’il serait conservé. Depuis le deux-pièces minuscule football dans
qu’il occupe avec sa mère, Yimi Konclase, poète et rappeur un centre
sportif de la
l le peut d’autant moins qu’il a perdu la maîtrise de sa regarde changer les rues qui l’inspirent : « C’est quelque chose vieille ville.
création, Habaguanex. En 2012, une sombre histoire d’agressif, comme si on te jetait des tonnes de médicaments
de détournement de fonds, corruption et trafic de dro- pour guérir en trois jours. »
gue a secoué la compagnie. Eusebio Leal, tombé gra- Eusebio Leal est conscient des contradictions que porte la
vement malade à la même époque, n’a pas été impli- résurrection de la vieille Havane, « le plus grand de ses
qué mais a été débarqué par l’armée, qui a pris le amours ». « Mais nous ne vivons pas dans une forteresse de
contrôle de la société par l’intermédiaire du gigantesque verre. Se passer du tourisme est impossible », dit-il avant de
groupe Gaesa (dirigé par le général Lopez-Callejas, ex-gendre mentionner le yin et le yang chinois, « l’unité de lutte des
de Raúl Castro). Une manière, disent certains observateurs, de contraires » chère au matérialisme dialectique, le péché origi-
compléter sa mainmise sur le tourisme national et l’immobilier nel et la quête de rédemption… Un peu plus tôt, il évoquait
juteux de la vieille ville. Eusebio Leal demeure à la tête du le souvenir glorieux des compañeros de l’après-révolution
Bureau de l’historien, mais c’est une fille de général, directrice « quand, comme dans la Grèce antique, les dieux cheminaient
adjointe, qui lui succédera. Ce népotisme agace la rue. « Ici, dans la rue… Cette époque, je l’ai vécue… Aujourd’hui, les
tu ne peux pas monter une grosse affaire si tu n’es pas de la temps sont différents, mais nous essayons de conserver cette
“famille” », enrage un jeune ingénieur, qui partage les deux mystique ». Les boutiques pour touristes aussi, qui vendent le
pièces de sa maison avec son épouse, son fils et deux amis. visage du Che en pesos convertibles en dollar.
Neïl Beloufa, en
2017, à Sérignan.

a l g é r i e p r i n t e m p s /é t é

L’art de
l’entre-deux.
En Algérie, la société semblait anesthésiée,
les manifestations historiques de ces derniers mois
ont prouvé qu’il n’en était rien. De l’autre côté
de la Méditerranée, des plasticiens regardent
ces événements avec attention et bienveillance.
Qu’ils soient nés en Algérie ou en France de parents
algériens, ces représentants éminents de la scène
artistique hexagonale entretiennent des rapports
complexes avec leur double appartenance.
par Roxana azimi

Mohamed Bourouissa
dans son atelier
d’Asnières-sur-Seine,
en 2018.

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


37
Zineb Sedira,
chez elle,
à Londres,
en 2018.

u moins une fois en ce jours, Algérien pour toujours », déclare en


mois de ramadan, Yazid oulab tenait à retrouver ses compatriotes. Installé à souriant Djamel Tatah, 60 ans, citant feu son
Marseille depuis trente-deux ans, l’artiste franco-algérien de 60 ans connu a m i l e c h a n t e u r R a c h i d Ta h a .
pour ses sculptures et vidéos empruntes de mystique soufie s’est donc « Méditerranéen », lance prudemment Mehdi
envolé en mai pour l’Algérie. Pour éviter les barrages de police dressés Meddaci, né en 1980 à Montpellier. Yazid
chaque vendredi en prévision des manifestations, le plasticien est parti très Oulab, lui, se définit comme « Français,
tôt de Boumerdès. À Alger, il s’est joint aux cortèges réclamant le départ Africain et musulman », quand Neïl Beloufa,
d’Abdelaziz Bouteflika. Porté par la liesse, il a répété les slogans. Des mots le brillant benjamin de 34 ans, fils du réalisa-
qu’il comprenait mais dont le sens politique profond, avoue-t-il, lui échap- teur Farouk Beloufa, lâche : « Je suis pseudo-
pait. Yazid Oulab n’affiche aucune nostalgie pour un pays, si proche, si loin, aspirant universaliste. » Ni totalement fran-
où vit encore sa mère, mais où il ne se rend que rarement. Sa carrière, le çais ni totalement algérien, encore moins
neveu du grand écrivain algérien Kateb Yacine l’a construite depuis la franco-algérien. Tout sauf serein. L’insécurité
France, comme beaucoup de ses confrères d’origine algérienne ayant émergé culturelle, certains la vivent au carré.
au début des années 2000. Quelques décennies après les pays anglo-saxons, L’Algérie, la France. L’évocation de ce vieux
le monde de l’art hexagonal se confrontait alors aux questionnements post- couple réveille un mélange de reconnaissance
coloniaux. Sa vie, leur vie, est à Paris, Marseille ou Montpellier – quand elle et de ressentiment, de passions qu’ils croyaient
n’est pas à Berlin ou à Londres. Pas au bled. enfouies, suscitant chez ces plasticiens qui ont
Ils se prénomment Kader (Attia), Adel (Abdessemed), Zineb (Sedira), Neïl réussi les mêmes réactions épidermiques que
(Beloufa), Mohamed (Bourouissa), Fayçal (Baghriche), Djamel (Tatah), celles qu’on peut rencontrer chez des jeunes
Nanda Gonzague, Julien T. Hamon et Jo Metson Scott pour M Le magazine du Monde

Abdelkader (Benchamma), Katia (Kameli) ou Mehdi (Meddaci). Nés en de banlieue après leur troisième contrôle de
France de parents algériens ou arrivés jeunes d’Algérie, musulmans pour la police de la journée. «C’est difficile, résume la
plupart, ils représentent aux yeux du monde la pointe avancée de la scène vidéaste Zineb Sedira, de grandir avec deux
artistique française, formée dans les meilleures écoles, plébiscitée par les cultures qui s’insultent l’une l’autre.»
musées les plus illustres, VIP des plus grands raouts arty où certains déclinent Comme en témoignent leurs prénoms
discrètement la coupe de champagne ou le verre de vin quand d’autres se arabes, tous ont été élevés dans la différence,
resservent allègrement. Pourtant, qu’ils aient consacré leur œuvre aux ques- souvent dans des familles issues de milieux
tions identitaires ou s’en soient affranchis, ces artistes ont parfois – souvent – les populaires. « Mes parents nous disaient “on
nerfs à vif à l’évocation de leurs racines. L’importation en France de l’islam n’est pas comme les autres et ils ne sont pas
radical, n’en parlons pas. En ce qui concerne le soulèvement populaire algérien comme nous”, se souvient Fayçal Baghriche,
du printemps 2019, que tous regardent attentivement et avec bienveillance, ils arrivé en France à l’âge de 5 ans. Tu sais que
s’interdisent toute ingérence publique. tu es étranger, que tu n’as pas la même
« On n’a aucun conseil à leur donner », assure Kader Attia, 48 ans, qui n’en a culture, pas la même religion, mais, en même
pas moins organisé en mai un forum sur le sujet à La Colonie, un bar et lieu de temps, tes amis sont français. C’est schizoph-
débat qu’il a ouvert en 2016 dans le 10e arrondissement, où il tient à servir de rénique. » Un environnement qui, comme le
la bière et de généreuses planches de cochonnailles. Qu’on les entraîne sur le souligne le dessinateur Abdelkader
terrain de l’appartenance, ils bottent en touche. « Je suis de Blida et français », Benchamma, « n’aide pas à te sentir fran-
lance le plasticien Mohamed Bourouissa, 41 ans, actuellement à l’affiche des çais », même une fois naturalisé. Pas plus
Rencontres photographiques d’Arles, après avoir exposé en 2018 au Musée que les remarques désobligeantes qui les fai-
d’art moderne de la Ville de Paris et au Centre Pompidou. « Français tous les saient partir au quart de tour. « Ma plus •••
38

À gauche, la réali-
satrice et artiste
visuelle Katia
Kameli, dans son
atelier, en 2019.

À droite, Kader
Attia, lauréat
2016 du prix
Marcel-Duchamp.

un temps ou pour de bon. Mais eux avaient


alors d’autres chats à fouetter, des études d’art
à mener, des carrières à bâtir. Fayçal Baghriche

“J’avais l’impression
mettra quatorze ans avant d’y remettre les
pieds, en 2006. «Je n’appartiens pas à l’Algé-
rie», admet le vidéaste Mehdi Meddaci, qui y

qu’on ne me permettait est retourné en 2007 à l’âge de 27 ans pour y


tourner un premier film, Lancer une pierre. Et

d’être artiste qu’à


d’ajouter, tentant de retisser un lien qui s’est
forcément effiloché avec le temps : «Je mime
la possibilité d’un rattachement.»

condition de travailler Baisser la tête ou s’affirmer ? S’assimiler ou


revendiquer à la manière des beurs dans les

sur mes origines.”


années 1980? Au contraire de la génération des
pères et mères qui ne font pas de vagues et
rêvent de repartir au bled, les enfants refusent
Abdelkader Benchamma de courber l’échine devant le racisme, le délit
de faciès et la ségrégation sociale dans ce pays
dont ils sont citoyens. Être esclaves de la psy-
ché blessée de leurs parents, très peu pour eux.
À défaut de résoudre leurs ambiguïtés, l’art
••• grande victoire, c’est d’être sorti du cercle vicieux vers 27 ans, parce que leur a ouvert des fenêtres, et «apporté un sens
sinon, tous les jours, tu peux trouver des exemples qui te confortent dans l’idée critique », selon Mehdi Meddaci. « Ça m’a
que les autres sont racistes », poursuit Benchamma. Pas évident non plus, retiré beaucoup de fils à la patte », admet le
selon Kader Attia, le « rouleau compresseur de la langue française », l’accent peintre Djamel Tatah. Le succès aidant, avec
qu’on vous corrige sans cesse, « les références culturelles comme “nos ancêtres de grands ateliers et des mariages pas endo-
les Gaulois” qui mettent mal à l’aise ». games du tout, le rapport à la France s’est
A fortiori quand la famille a combattu pour l’indépendance, avant de rejoindre détendu, si ce n’est apaisé. «C’est ce pays qui a
l’ancien pays colonisateur pour des raisons économiques. « Mon père nous fait de moi ce que je suis, admet Mohamed
disait qu’il venait chercher son dû, car il avait le sentiment que son pays avait Bourouissa, qui s’est pourtant construit dans la
été spolié », explique Kader Attia, fils d’ouvrier en bâtiment installé en France colère. Peut-être qu’en Algérie je n’aurais pas
depuis les années 1950. Pour lui et pour tant d’autres enfants d’immigrés, la fait le quart de ce que j’ai fait. » Musées et
guerre d’Algérie, c’est un sujet tabou, un chapitre tantôt éludé tantôt mythifié centres d’art contemporain y sont rares, et les
par la famille, vite expédié par les manuels scolaires français. écoles n’encouragent guère la créativité. «En
L’Algérie elle-même reste un territoire que ces enfants ne connaissent qu’à la Algérie, l’art, c’est reproduire ce qui existe déjà,
faveur des vacances d’été chez les cousins. Mais ces souvenirs suffisent à créer Marseille pour moi c’était l’éveil», insiste Yazid
un «lien affectif hyperfort, beau, compliqué», comme l’explique Zineb Sedira. Oulab. Ce qui n’empêche pas les artistes du
Lorsque, à l’âge de 6 ans, Kader Attia débarque à l’aéroport d’Alger, il a d’emblée cru qui se sont fait un nom à l’étranger d’être
«le sentiment d’être à la maison». Dans les bras de sa grand-mère des Aurès, il fièrement érigés en exemple et chroniqués
ressent une chaleur qui lui manque cruellement en France. L’Algérie sera son dans les journaux nationaux comme El Watan.
pays de cocagne, celui des quatre cents coups et des premières cigarettes. Mais, Mais peu à peu, en se créant d’autres cercles de
Margot Montigny

pour lui comme pour les autres, à partir de 1991, les huit années de sanglante pensée, en posant leurs bagages dans d’autres
guerre civile provoquée par l’interruption du processus électoral décidée par le pays, un fossé s’est lentement creusé avec leur
pouvoir qui redoutait la victoire du Front islamique du salut coupent le cordon. famille. Dans une installation vidéo percu-
Le calme militaire revenu, leurs parents y sont pour la plupart retournés, pour tante, Mother Tongue, Zineb Sedira donne à
dédommagement, sujet qu’il n’a cessé de
creuser et d’étirer en mille ramifications, ins-
tallations et questions : peut-on cautériser un
passé mutilé, comme on reconstituait les
visages des gueules cassées de la première
guerre mondiale? Une prothèse compense-t-
elle une perte irrévocable ? Peut-on se réap-
proprier une identité violemment dérobée, ce
« membre fantôme », qui, bien qu’amputé,
n’en finit pas de démanger?
Les plus jeunes, enfin, ont mis les bouchées
doubles pour réussir. « Deux générations au-
dessus de toi se sont bagarrées, toi aussi tu dois
te bagarrer, c’est une responsabilité», lance l’hy-
peractif Neïl Beloufa, qui a enchaîné les écoles
les plus prestigieuses – Arts déco, Beaux-Arts
de Paris, Le Fresnoy – et connu les cimaises du
MoMA, à New York, et de la Biennale de
Venise. La complexité est son terreau, la cri-
tique, une seconde nature. Dans l’installation
qu’il présente actuellement à Venise, il fait
voir l’impossible communication entre les générations : l’artiste comprend le asseoir le spectateur face à des écrans montrant
dialecte algérien de sa mère et l’anglais de sa propre fille élevée à Londres, mais des soldats du monde entier témoignant, sur
entre la petite-fille et sa grand-mère, le lien linguistique s’est rompu et le dialo- Skype, de leur routine meurtrière.
gue est impossible, malgré la tendresse des regards et des gestes. L’artiste et Volontairement, Neïl Beloufa n’a pas enrôlé de
cinéaste Katia Kameli connaît le pays sans doute mieux que beaucoup de ses militaires français ou algériens. «Les rapports
confrères pour y avoir souvent tourné. Mais elle l’admet : «Une partie de ma binaires, ce n’est pas ma manière de voir les
culture algérienne m’échappe toujours, même si j’en connais les codes.» choses, observe Mohamed Bourouissa, qui fait
Ce lien viscéral, elle comme Zineb Sedira se sont pourtant évertuées à le préser- valser les clichés. Tu ne peux pas avancer si tes
ver,faisant de l’Algérie la matière première – mais non exclusive – de leur œuvre. racines deviennent des chevaux de bataille. »
Sedira, qui dans ses films ravive les questions de la lutte anticoloniale et de ter- Les exclus et marginaux auxquels il s’intéresse
ritoire, a créé une résidence d’artistes à Alger, invitant ses confrères de la diaspora sont aussi bien les gosses de banlieues, des
à venir explorer «leur» pays. Katia Kameli, qui évoque dans ses vidéos aussi bien vendeurs à la sauvette que les cavaliers afro-
le raï, les kiosques vendant des cartes postales et l’utopique retour, a même un américains de Fletcher Street, à Philadelphie.

D
temps songé à y créer une boîte de production.Avant de renoncer : «Une femme Il a fallu attendre 2018 pour qu’il tourne en
indépendante vivant seule à Alger, c’est difficile, les voisins te regardent…» Algérie, à Blida, dans un hôpital psychiatrique
où le psychiatre et chantre de la décolonisation
Frantz Fanon a révolutionné les méthodes de
soin dans les années 1950. «Ce qui me fait peur,
’autres ont au contraire profité de l’horizon offert c’est d’être réduit à mes origines», insiste-t-il.
par les écoles d’art pour s’émanciper. Lorsque, aux Lui, comme Zineb Sedira et Neïl Beloufa ont
Beaux-Arts de Montpellier puis de Paris, les certes rejoint le galeriste parisien Kamel
profs conseillent à Abdelkader Benchamma de Mennour,né à Constantine.Par le passé,il avait
travailler sur sa double culture, il se cabre : mis sur orbiteAdelAbdessemed,KaderAttia et
« J’avais l’impression qu’on ne me permettait Djamel Tatah. Ce fils de peintre en bâtiment
d’être artiste qu’à condition de travailler sur mes les comprend. Sans particule ni héritage, lui
origines. » Sciemment, ce dessinateur virtuose aussi a avalé des couleuvres avant de se propul-
opte pour l’abstraction, créant vortex et trous noirs par le seul pouvoir de ser dans le peloton de tête des marchands fran-
quelques traits tracés à l’encre et au feutre. çais. Malgré son faible pour les créateurs d’ori-
Son aîné Djamel Tatah a aussi refusé tout orientalisme. Ses peintures gine algérienne, il refuse toute étiquette
monumentales traitent de l’état de notre monde sans références spatio- «rebeu». «Je suis contre les ghettos, affirme-t-il.
temporelles. Debout ou allongés, prostrés ou avachis, en suspension ou en Je veux raconter une époque et pas une commu-
chute libre, les bras ballants ou les mains enfoncées dans leurs poches, ses nauté.» Spécialiste de la diaspora algérienne,
personnages sont indéterminés. À une exception près, lorsqu’il évoque les l’historienne de l’art Alice Planel confirme :
« hittistes », ces jeunes algérois désœuvrés qui tiennent le mur. Étudiant à «Kamel Mennour montre de grands artistes et
la Villa Arson, à Nice, Fayçal Baghriche s’était lui aussi donné pour mot ils peuvent s’appeler Mohamed Bourouissa
d’ordre de ne pas traiter de l’Algérie : « C’est le domaine privé que je ne veux comme Anish Kapoor ou Daniel Buren, insiste-
pas explorer, mais que j’aimerais un jour développer hors du champ de t-elle. Personne ne se dit aujourd’hui “tel artiste
l’art. » Ses premières œuvres sapent ainsi les questions d’identité et de est algérien, donc il doit être exposé chez lui”.»
frontières. Son installation Envelopments, datant de 2010, se compose de Ce puissant marchand a déjà réussi à imposer
28 drapeaux impossibles à identifier car, une fois enroulés, il n’en reste plus ses ouailles chez les grands collectionneurs
que le fond rouge. Deux ans plus tard, il fait tourner un globe sur son axe, hexagonaux. À quand un de ces artistes pour
effaçant par la vitesse la question des bordures et des continents. représenter la France à la Biennale de Venise?
Sam Mertens

Kader Attia, lui, n’a pas voulu laisser «ses deux identités se regarder en chiens de « Je n’y crois pas, les gens ne sont pas encore
faïence», préférant trouver un terrain de rencontre autour d’un concept central : prêts », estime Mohamed Bourouissa. « Les
la réparation. À comprendre au sens d’une remise en état, mais aussi d’un gens», comprenez… les Français.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


Untitled
(Virginia with
Trumpet Vine).

Virginia, la plus
jeune des trois
enfants de la
photographe
Sally Mann,
pose pour sa
mère, en 1991.

Virginie ou
l’innocence perdue.
Enfants jouant dans la nature, sans contrainte, forêts et clairières
qui semblent habitées par des fantômes… L’Américaine
Sally Mann s’est fait connaître avec les clichés de sa famille
ou ses paysages de Virginie, sa région natale, dont elle montre
qu’elle a été le théâtre de violences et de ségrégation.
Le Jeu de paume, à Paris, lui consacre une rétrospective.
photos Sally Mann — texte Roxana aziMi
41

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


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Ci-dessus, Easter Dress, (1986).

Page de droite, l’artiste


américaine (en 1998, à 47 ans)
a commencé à photographier
Emmett, Jessie et Virginia
en 1985, en Virginie.

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


Q u’est-ce qu’être AméricAine ?
Qu’est-ce qu’une terre
natale ? Ces questions sont
au cœur de l’œuvre de Sally
Mann, qui expose jusqu’au
22 septembre au Jeu de
paume, à Paris. Lectrice assi-
due de William Faulkner,
cette native de Lexington, en Virginie, aime passionnément
ce Sud où elle est née, en 1951, et qu’elle ne s’est jamais
résolue à quitter. Elle n’ignore pourtant rien de l’histoire
bourbeuse auxquelles ses photographies viennent se frotter,
cette mémoire de l’esclavage, ce racisme encore présent
aujourd’hui – Charlottesville en Virginie ayant été le théâtre,
il y a deux ans, d’un rassemblement suprémaciste qui a fait
nounou noire aimante et adorée, prenant soudain la mesure
de « tout ce qu’elle n’avait pas vu, pas connu, pas interrogé ».
Jamais, enfant, elle n’a questionné le quotidien de cette
femme dévouée, qui passa cinquante ans de sa vie au service
de sa famille. De cette prise de conscience tardive résulte une
série de clichés d’une rare tendresse, comme celui de 1991
où l’on voit sa fillette, elle aussi baptisée Virginia, endormie
sur les genoux de sa tendre homonyme aux mains déformées
par l’arthrite et le travail.
Pour faire resurgir les fantômes du passé, Sally Mann use de
procédés anciens, comme le collodion humide sur plaque de
verre, dont les imperfections techniques épousent si bien les
défaillances humaines, de même que la vieillesse et la mala-
die. C’est avec une autre série, Immediate Family, que Sally
Mann a acquis une notoriété dont elle se serait bien passée.
de nombreux blessés et un mort. « Le passé me hante depuis Six ans durant, de 1985 à 1991, elle a chroniqué les divertis-
la nuit des temps », écrit Sally Mann en 2017, indiquant que, sements estivaux de ses trois têtes blondes lâchées nues dans
aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours eu « de la la nature. La petite dernière, au ventre griffé et au visage
honte et un vague sentiment de responsabilité ». maquillé, prend la pose sous les pétales rouges d’un jasmin
Ne pas se fier à la beauté élégiaque de ses paysages de carte trompette. Son frère, le nez en sang, joue à se faire peur. De
postale aux tons mélancoliques bistre et sépia, saisis aux pre- leurs scènes de vie ordinaire percent une trouble insouciance
mières lueurs de l’aube ou du crépuscule. Derrière la végé- et une sexualité latente qui feront scandale. L’Amérique
tation luxuriante, par-delà cette lumière voilée si propre au pudibonde accuse Sally Mann d’exploiter sa progéniture,
Sud, la photographe traque l’identité américaine, façonnée d’abandonner son rôle de mère. C’est ignorer la complexité
par la haine sur les champs de bataille de la guerre de de l’enfance derrière la prétendue innocence. Le scandale
Sécession, dont ne subsistent, pour tout témoin, que de aura un effet : Sally Mann abandonnera peu à peu les portraits
magnifiques arbres centenaires. Elle va la chercher égale- familiaux pour se concentrer sur les seuls paysages de sa terre
ment sur les berges de la rivière Tallahatchie, pour raviver le natale. Des espaces obstinément muets.
souvenir d’Emmett Till, cet adolescent noir de 14 ans sauva-
gement assassiné en 1955 par deux Blancs. « Sally Mann. Mille et un passages »,
La ségrégation, elle la piste jusque dans sa vie intime, avec le Jeu de paume, 1, place de la Concorde, Paris 8e.
personnage de Virginia Carter, surnommée Gee-Gee, sa Jusqu’au 22 septembre. www.jeudepaume.org
Sally Mann. R. Kim Rushing
44

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


Page de gauche :
Bloody Nose (1991).
Ci-dessus, The Alligator’s
Approach (1988).
Sally Mann
46

Ci-dessus,
Fredericksburg (Cedar Trees),
Antietam (Starry Night).
Ci-contre, Cold Harbor (Battle)

Au début des années 2000,


Sally Mann s’intéresse aux
champs de bataille de la guerre
Sally Mann

de Sécession. Elle utilise


un procédé photographique
datant du xixe siècle qui laisse
des traces sur les images.

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


49

Page de gauche,
The Two Virginias (1991).
Virginia, la fille de Sally Mann,
dort sur les genoux de Virginia
Carter, son ancienne nourrice.
Cette Afro-Américaine, petite-
fille d’esclaves a servi la famille
Mann pendant des décennies.
Sally Mann

Ci-dessus, à gauche,
Hephaestus (2008), une mise
en scène de son mari, Larry.
À droite, Jessie #25 (2004).

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


imagine 4-7 octobre 2019

Opéra Bastille - Théâtre des Bouffes du Nord - Cinéma Beau Regard

Programme et inscription sur festival.lemonde.fr


51

L’âge
archi tendre
SouS l’influence d’auteurS pionnierS,
le Secteur de l’édition jeuneSSe
S’intéreSSe de pluS en pluS aux artS,
notamment à l’architecture et au
deSign. domaineS qui repréSentent
un formidable terrain de jeu
pour leS enfantS.
par Marie Godfrain — photos florent tanet

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


A
52

vant d’écrire se plonger dans Habiter le monde (De sera toujours plus vendeur qu’une
des livres La Martinière Jeunesse) ou Des architec- chaise, lancer un livre de design est
sur
jeunesse tures pas comme les autres (Palette…), une vraie prise de risque. »
l’architec- qui recense les bâtiments les plus fous ; Comme toujours avec les succès com-
ture, Didier fondre sur 40 objets iconiques du merciaux de produits pour enfants,
Cornille design (bientôt chez Gallimard Jeunesse) ; l’explication vient d’abord des premiers
était plutôt dévorer le récit du séjour fondateur consommateurs : les parents. Or les
connu pour de l’architecte Charlotte Perriand 30-40 ans sont très friands de design et
son activité de designer diplômé des Arts au Japon, illustré par Charles Berbérian d’architecture. « Ils sont demandeurs de ce
décoratifs de Paris. « Quand j’ai eu des (Éditions du Chêne). type d’ouvrages initiatiques, car il n’existe
enfants, j’ai voulu les intéresser à l’archi- Conçus dans des formats originaux pas d’éducation à ces disciplines à l’école
tecture, un sujet que l’on aborde souvent – pop-up (10 chaises, Les Grandes primaire », estime Alexandra Midal, profes-
de manière trop sérieuse. Alors qu’un Personnes), roman graphique, encyclopé- seure à la Haute École d’art et de design
bâtiment est une aventure ! », confie-t-il. die –, ces livres sont souvent imaginés par de Genève. « Bien sûr, ils achètent d’abord
En 2012 est publié son premier ouvrage, des designers ou des auteurs versés dans ces ouvrages pour eux, mais, en se faisant
Toutes les maisons sont dans la nature les arts appliqués, comme Max Ducos plaisir, ils les transmettent à leurs enfants »,
(Hélium), rapidement décliné (gratte-ciel, (Le Royaume de minuit, Jeu de piste à renchérit Corinne Dacla, fondatrice de la
ponts). Deux ans plus tard, il signe Volubilis, Sarbacane), qui a été élevé par librairie parisienne Les Enfants sur le toit.
Le Vaisseau de verre de Frank Gehry, un père architecte et une mère antiquaire. les plus jeunes demeurent par ailleurs très
sur la Fondation Louis Vuitton, puis « Les illustrateurs sont sensibles à ces dis- sensibles à leur environnement, qu’ils appré-
La Ville, quoi de neuf ? l’an dernier, ciplines car, souvent, ils les ont étudiées », hendent de façon ludique. Qui ne s’est
devenant l’auteur français de référence avance Damien Tornincasa, responsable jamais amusé, enfant, à construire une
de cette nouvelle littérature jeunesse de Ricochet-jeunes, un site web dédié à la cabane ? « Le design est un formidable ter-
consacrée à l’architecture et au design, littérature jeunesse francophone. Quant rain de jeu : les meubles du mouvement
en pleine expansion. aux éditeurs, ce ne sont pas les masto- Memphis ou de Matali Crasset les placent
Cet automne sortira chez Père Castor dontes du secteur (eux préfèrent les his- face à des jouets géants », analyse Max
Ma ville à construire, un livre-album qui toires de sorcières et de dragons), mais Ducos. L’auteur-illustrateur cite aussi
propose aux enfants de positionner des des maisons indépendantes dirigées par l’influence du jeu vidéo Minecraft, sorti
stickers sur des fonds urbains. S’ils man- des passionnés, dont Damien Tornincasa en 2011, qui plonge les joueurs dans un
quent d’inspiration, ils pourront toujours salue le mérite : « Parce qu’un dinosaure monde composé de cubes représentant
différents matériaux (terre, pierre, eau…)
qu’il convient d’assembler dans un esprit
proche des Lego. « Minecraft a permis
à une génération de se prendre au jeu
de la construction. Depuis, ils sont nom-
breux à vouloir devenir architectes. »
Un succès qui devrait se confirmer lors
de la prochaine édition du Salon du livre
et de la presse jeunesse de Montreuil
(du 27 novembre au 2 décembre).
Hélium, www.helium-editions.fr
Père Castor, www.flammarion-jeunesse.fr
Palette…, www.editionspalette.com
Éditions du Chêne, www.editionsduchene.fr
De La Martinière Jeunesse, www.editionsdelamartiniere.fr
Gallimard Jeunesse, www.gallimard-jeunesse.fr
Les Grandes Personnes,
www.editionsdesgrandespersonnes.com
Sarbacane, www.editions-sarbacane.com
Ricochet-jeunes, www.ricochet-jeunes.org

Photos Florent Tanet pour M Le magazine du Monde — 24 août 2019


esprit des lieux

Petit scarabée.
posts et postures

#minime.
par Fiona KhaliFa

Les accros des réseaux sociaux ne cessent de


mettre en scène Leur vie à coups de hashtags
et de seLfies, Lançant La tendance (ou pas).
cette semaine, Les cLones entrent en piste.
par carine bizet — illustration aline zalKo

Le 29 août 1966, les Beatles


clôturent, à San Francisco,
leur dernière tournée. Les réseaux sociaux ont modifié
Les rapports de L’humain à La reproduction.
Parents et enfants sont désormais mis en
scène au fil de pages Instagram, où
chaque mouvement intestinal est trans-
formé en événement majeur. Une vraie
banque d’images et de cas d’étude pour
le tee-shirt.
les psychiatres et psychologues, toutes
Pour enfant, en coton, écoles confondues. #minime (« mini-
Stella McCartney, 60 €.
www.stellamccartney.com moi », en VF) est un des hashtags fami-
liaux les plus populaires et permet aux
parents de présenter leur descendance
comme un appendice photogénique de
leur moi profond et pourtant si superfi-
ciel. Mais tous les #minime ne sont pas
égaux devant l’objectif. Il y a le #minime
le bermuda. ultra-infantilisé. L’enfant est alors décoré
En jean,
Finger in the Nose, 75 €. comme un œuf de Pâques et/ou un sapin
www.fingerinthenose.com de Noël. Les nœuds sur la tête sont quasi
obligatoires dans ce cas précis, mais les
couronnes de fleurs, turbans, bonnets à
oreilles en tout genre sont aussi très pri-
sés. Derrière cet emballage se cache une
les basKets. mère qui en fait aurait préféré un mini-
En cuir, Superstar, Golden
Goose Deluxe Brand, 160 €.
chien type yorkshire, beaucoup moins
fr.smallable.com susceptible de provoquer des vergetures
et beaucoup plus facile à éduquer côté
propreté. Et puis il ne faut pas négliger
les génitrices que l’on a privées de pou-
pées trop tôt. Résultat : elles se vengent le #minime ne ressemble pas spéciale-
sur leur #minime transformé en poupée ment au parent qui l’accompagne. Le
Corolle, changée plusieurs fois par jour hashtag permet alors de revendiquer la
le casque.
Réducteur de bruit, mais qui fait vraiment pipi.À l’inverse, le paternité ou la maternité de la petite per-
Langley Earo, 39,99 €.
www.fnac.com #minime peut s’habiller en « adulte ». sonne. Celle-ci tient alors le rôle du
Mini-costume comme papa pour les gâteau ou du vase en poterie. Ambiance
garçons, mini-robe panthère comme «c’est moi qui l’ai fait». Quoique, dans le
maman pour les filles. Entre stéréotypes cas de l’enfant, le travail est physique
et CV tout tracés, les gamins sont servis mais pas forcément manuel, et il est
d’office. Les parents épris de coordina- interdit de jeter les «brouillons».
tion, eux, ont surtout tendance à Dans tous les cas, on ne saurait trop
confondre progéniture et sac à main. conseiller aux enfants, si Instagram
C’est machinal : le petit est surtout un existe encore quand ils auront l’âge de
nouvel accessoire et il doit absolument se servir d’un smartphone, de garder
Shinko Music/Getty

s’accorder au style de vie des parents. Il précieusement tous ces clichés. Cela
est d’ailleurs également assorti au canapé leur fera un très bon dossier pour faire
et aux rideaux. Enfin, il arrive parfois que culpabiliser les parents.
librement inspiré

Dragée
haute.
vu sur le net

Arômes
antiques.
L’ADAPTATIOn DE “ChArLIE ET LA
ChOCOLATErIE” PAr TIM BUrTOn Dans le cadre de l’exposi-
A nOUrrI LA CrÉATIvITÉ DE tion « The Countless
L’hOrLOGEr rIChArD MILLE. Aspects of Beauty »,
présentée jusqu’au
par isabelle dupont
31 décembre, le Musée
national d’archéologie
En 2005, Tim Burton réalise la deuxième d’Athènes a demandé à la
adaptation au cinéma du roman de l’écrivain marque grecque Korres de
britannique Roald Dahl, Charlie et la chocola- recréer un parfum antique.
terie. Le personnage inquiétant du maître de sucre étant obtenu par de l’émail broyé Des écrits sur tablettes
des lieux Willy Wonka, interprété par associé à du sable fin. Le mouvement, que en terre cuite de l’époque
Johnny Depp, tout comme l’exubérance des l’on devine sous les sucreries, symbolise le mycénienne, ainsi que
décors marquent l’imaginaire de Cécile costume noir de Willy Wonka. «Les ateliers les récits du botaniste
Guenat, directrice artistique de l’horloger des métiers d’art se sont montrés très récep- Théophraste et du phar-
Richard Mille, réputé pour ses innovations en tifs», raconte Cécile Guenat. Car la proximité macien Dioskourides ont
termes de matériaux et de technologies. En entre l’horlogerie et les sucreries est plus permis de retrouver les
joaillerie, où elle a fait ses armes, le choix des naturelle qu’il n’y paraît : tel type de cou- ingrédients et méthodes
thèmes est vaste. Pourquoi ne pas s’autori- ronnes (remontoirs) évoque un cupcake, tel de fabrication utilisés à
ser autant de créativité en horlogerie? autre un cornet glacé. Sans parler de la l’époque. Pour développer
Séduite par les jardins en sucre de la choco- céramique rose, d’aspect meringué, et de ce jus hors du commun,
laterie et les costumes acidulés des ouvriers certains composants au fini noir comme la du cyperus (une plante
pygmées oompas-loompas, elle décide de réglisse. «J’ai mangé beaucoup de bonbons aquatique) de l’île d’Amor-
réaliser une collection inspirée des bonbons, et fait autant de dessins», s’amuse la créa- gos, de la coriandre,
dont le modèle Cerise rassemble «les trice. La collection Bonbon compte dix de la sauge et des pétales
formes les plus drôles», estime-t-elle. Glace modèles, tous équipés de mouvement mai- de rose ont macéré dans
torsadée, sucettes spirales, langues acidu- son squeletté à remontage automatique. du vin du Péloponnèse,
lées, quartiers de citron et d’orange, boules avant d’être mixés à
RM 37-01 Automatic Cerise, boîtier : 34,40 × 52,65 × 13,08 mm,
de gomme : chaque confiserie y est peinte à fond de boîtier en quartz TPT pourpre. Édition limitée de l’huile d’olive de Crète.
l’acrylique et laquée à la main, l’effet cristaux de 30 pièces. Prix sur demande. www.richardmille.com L’ensemble a ensuite
été filtré. Une version
« portable » du parfum est
disponible à la vente
sur Internet, en édition
limitée. C.Dh.
lecture de salon Eau de toilette Rose d’Aphrodite,

Pans d’Afrique.
Pages : 384 — Poids : 1,1 kg
Korres, 59 € les 50 ml. www.korres.fr
Dimensions : 19 x 19 cm
Palette graphique :

Prod DB/Warner Bros. Philippe Louzon. Korres. M Le magazine du Monde


Écailles de tortue, morceaux de sucre, crépuscules d’été :
les créateurs de motifs wax puisent leur inspiration partout.
Dans Wax, 500 tissus, l’anthropologue Anne Grosfilley
retrace l’histoire de ce tissu à travers une galerie de photos
pleine page d’imprimés rangés par période. On y apprend
qu’au xixe siècle ces dessins exprimaient l’idée fantasmée
que l’Europe se faisait des colonies africaines. Une « tradi-
tion inventée » dont l’exotisme plaît aux élites occidentales,
au point que le wax se retrouve au cœur d’une « bataille
technologique » entre les compagnies qui en produisent.
L’Afrique finit par se le réapproprier, pour en faire un éten-
dard de son métissage culturel… Une épopée stylistique
qui raconte ce continent sous un nouvel angle. N. Lq
Wax. 500 tissus, d’Anne Grosfilley, Éd. de La Martinière, 25 €.
55

fétiche

Bureau d’étude.
Comme le pichet Ricard ou l’horloge en Formica, le bureau d’écolier est un
incontournable des brocantes et une madeleine de Proust pour des générations d’élèves.
Produit à des millions d’exemplaires depuis les années 1960, cet archétype fabriqué
par la société Mullca a équipé les écoles primaires jusqu’aux années 1990. Depuis peu,
la jeune entreprise Label Édition le ressuscite en conservant ses détails : porte-cartable,
réglette pour stylo, encrier et casier. Encore confidentielle, la collection, fabriquée en
France, va bénéficier d’un coup de projecteur grâce aux teintes exclusives développées
avec la marque Habitat. Un retour en force dans la mémoire collective. M.Go.
Chaise 510 (145 €) et bureau alban (285 €), label Édition × habitat. www.habitat.fr

24 août 2019 — Photo François Coquerel pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa
56

variations

Paires de famille.
S’il est un phénomène qui perdure, c’est bien celui du clone, quand parents et enfants
sont habillés de la même façon. Ainsi sont nées des déclinaisons en petite taille de
collections adultes. Plusieurs marques ont proposé leur ligne en version réduite :
Armani et Mango en 2013, Givenchy en 2017, Ralph Lauren en 2018 et H & M
cette année. Des chausseurs, comme Adidas, Converse, Repetto ou encore K.Jacques,
ont aussi miniaturisé leurs modèles emblématiques. De quoi parfaire l’effet miroir. F.Kh.
de haut en bas, baskets Gazelle, 54,95 €, adidas OriGinals. zalandO.fr
baskets ChuCk taylOr all star hi, 85 €, COnverse. sarenza.COm
spartiates hOmère, 133 €, k.JaCques. www.kJaCques.fr
ballerines ella, 165 €, repettO. www.repettO.fr

Photo François Coquerel pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa — 24 août 2019
objet trouvé

Le nid
en vétiver.
La designer stefania di
PetriLLo a déniché Pour “M”
des objets du quotidien
à La beauté cachée.
cette seMaine, un Panier
rafraîchissant.

Le vétiver est une plante grasse ressem- propriétés purifiantes, antiseptiques et nom : nid tressé en vétiver
blant à une herbe sauvage, dont les anti-inflammatoires. Depuis des siècles, année de création : existe depuis
racines se développent jusqu’à 4 mètres les Africaines font sécher les longs fila- des siècles en Afrique et en Inde
de profondeur, faisant de cette espèce ments des racines, qu’elles tressent Matériau : racine de vétiver
une excellente alliée pour prévenir ensuite pour créer de petits paniers à origine : Inde, mais la plante s’est
l’érosion et lutter contre les glissements placer dans la maison. Le parfum du développée dans les régions tropicales
de terrain. De la plante elle-même, on vétiver étant un excellent répulsif pour Prix : 15 €
extrait une huile essentielle très les insectes, il suffira d’humidifier le nid empreinte carbone : la racine de vétiver
recherchée par les parfumeurs pour sa pour le raviver. Entreposé dans l’entrée, est naturelle et résiste au temps.
fragrance boisée, terreuse et douce. Elle ce nid peut aussi constituer un élégant
est aussi beaucoup utilisée pour ses vide-poches. www.kabambi.com
Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde. Jojo Factory. Arno Lam

tête chercheuse

Cheffe de classe.
en quête d’un sac pour son fils, la styliste Vanessa naudin regrettait de n’avoir
le choix qu’entre les modèles classiques et coûteux des marques enfantines et
des sacs à l’effigie des héros de dessins animés. La trentenaire parisienne
travaille en parallèle avec son mari florian denicourt, lui-même à la tête d’une
marque de maroquinerie. en janvier 2018, ils décident de lancer jojo factory,
une ligne de sacs en toile pour enfant avec des imprimés graphiques. un an
plus tard, ils fournissent quelque 90 points de vente, et ont même ouvert une
boutique à Paris. cette rentrée, jojo factory lance également une nouvelle
collection unie, dont des sacs à dos bordeaux ou vert sapin estampillés school
bag pour séduire les plus grands… et leurs parents. V.Ch.
Sac à dos à partir de 36 €. jojofactory.com
Ci-Contre, pull en
laine, The Row.
Chemise en Coton,
Polo RalPh lauRen.
pantalon en velours
Côtelé, CaRhaRTT.
Foulard en Cuir,
Chanel. Chaussettes
en laine, Falke.
sandales en Cuir,
ChuRCh’s.

page de droite,
veste et pull en
laine, Chemise
en Coton, jeans,
Celine PaR hedi
slimane.
59

un peu de tenues Sonate d’automne.


Vol. 1

Velours côtelés, laine Vierge, tons sourds…


les classiques bourgeois s’encanaillent aVec du tartan
punk, des coupes eighties et des logos armoiries.
photos THEO WENNER — stylisme MELANIE WARD

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


60

Ci-dessus, de aMi. pantalon en serpent, GaBrieLa page de droite, à


gauChe à droite, velours Côtelé, hearst. gauChe, Chemise
pull en laine et todd snyder. blouse en soie, en denim, chiMaLa.
pantalon en Colliers en métal BaLenciaGa. pantalon en
Coton, Forte_ doré, chaneL. Jeans, re/done. velours Côtelé,
Forte. Chemise et Chaussettes en WhistLes.
robe en soie pantalon en soie, laine, PoLo raLPh moCassins en
brodée, Ceinture LeMaire. Lauren. Cuir, a.P.c.
et bottes en Cuir, Chaussettes en moCassins en à droite, Chemise
Louis Vuitton. Coton, Bruno Cuir, a.P.c. en Coton, kuLe.
top à Col PiatteLLi. blouson en soie, Jeans, re/done.
éCharpe en sandales en Cuir, pantalon en Collier moon en
Coton, church’s. laine et boots en or Jaune, soPhie
PriscaVera. blazer en laine, Cuir, dior hoMMe. Buhai. Ceinture
pantalon en Cuir, Proenza en lézard, Pat
Maje. schouLer. top en areias.
Chaussettes en Coton, acne Chaussettes en
Coton, FaLke. studios. pantalon laine, PoLo raLPh
esCarpins en Cuir, en laine, Maison Lauren. derbys en
careL. kitsuné. derbys Cuir, a.P.c.
Chemise en laine, en Cuir effet

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


63

Page de gauche,
chemise, Pantalon
et chaPeau en
coton, The
AcAdemy new
york. derbys en
cuir effet
serPent, GAbrielA
heArsT.

ci-dessus, à
gauche, Pull en
laine, chAnel.
Jeans, isAbel
mArAnT. à droite,
Polo en coton,
ply-kniTs. Jeans,
sAndro.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


Ci-dessus, à
gauChe,
pull en laine,
pantalon en
velours
et Chaussettes
en laine, SymondS
Pearmain. derbys
en Cuir façon
serpent,
Gabriela HearSt.
à droite,
Chemisier en soie
et pantalon
en laine,
CHriStian dior.
Ceinture en
lézard, Pat
areiaS.
Chaussettes en
Coton, Falke.
moCassins en
Cuir, a.P.C.

page de droite,
veste en laine,
pull en
CaChemire,
Chemise en Coton,
Celine Par Hedi
Slimane.
65

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


Ci-dessus, Chemise
en soie, Basic
Rights. Pantalon
en velours
Côtelé, N o.6
stoRe. Ceinture
en lézard, Pat
aReias. derbys en
Cuir effet
serPent, gaBRiela
heaRst.

Page de droite,
Pull sans
manChes en laine
et Pantalon en
Cuir, Polo RalPh
lauReN. Chemise
en Coton, FigaRet
PaRis. Ceinture en
Cuir, MaxiMuM
heNRy.
Chaussettes en
Coton, Falke.
esCarPins en Cuir,
Reike NeN.
67

mannequins : niKKi @FORD mODeLs, KaiLa eT TOni @THe sOCieTY, anna @miDLanD aGenCY, RaCHeL CHanDLeR @ miDLanD CasTinG — assisTanTs pHOTOGRapHe : DaVe sWeeneY
eT eRiC ZHanG — assisTanTs sTYLisTe : Diana DOuGLas, eRiCa BOisauBin eT miCHaeL aLeXanDeR WHiTe — COiFFuRe : esTHeR LanGHam, assisTée De GaBe JenKins —
maquiLLaGe : aaROn De meY, assisTé De TaYLeR TReaDWeLL — sCénOGRapHie : ian saLTeR — pRODuCTiOn : paTRiCK Van maanen @mOXie pRODuCTiOns

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


1

circuit court

Seattle, techno parade.


les “big four” de seattle – microsoft, amazon, boeing, starbucks – assurent
le dynamisme de la plus grande ville du nord-ouest des États-unis.
et marquent de leur empreinte l’urbanisme et la culture locale.
par Julien Thèves — photos Jenny Riffle

1 – bulles tropicales aux amazon spheres économiques. Depuis les années 2000, c’est sur quatre niveaux. Un ficus de 17 mètres de
Ville pionnière fondée dans les années 1850 aussi la ville d’Amazon, dont le siège social haut y a été transplanté depuis sa Californie
et nommée d’après le chef indien Seathl, occupe… 41 immeubles downtown . natale. Durant les jours ouvrés, les « amazo-
dont la statue trône dans le centre-ville, L’entreprise de commerce électronique ima- niens » (employés d’Amazon) postés dans
Seattle a toujours aimanté les rêves des ginée par Jeff Bezos, l’homme le plus riche l’un ou l’autre des gratte-ciel adjacents s’y
entrepreneurs. Industrie du bois, ruée vers du monde, dispose d’un étendard bien visible retrouvent pour déjeuner ou se détendre
l’or, pêcheries et chantiers navals, essor de au cœur de la métropole. Inaugurées en 2018, dans la moiteur tropicale. Deux samedis par
l’aviation sous l’impulsion de la famille The Spheres ressemblent à d’énormes bulles mois, les sphères sont ouvertes aux visiteurs,
Boeing, miracle de l’informatique incarné par de chewing-gum surgies du sol ou bien aux qui s’y pressent en nombre.
les fondateurs de Microsoft, Bill Gates et yeux multifacettes de quelque insecte géant.
Les Spheres se visitent le premier et le troisième samedi
Paul Allen, la ville se réinvente au gré des Toutes de verre et d’acier, ces serres gigan- du mois, de 10 heures à 18 heures. Sur réservation unique-
évolutions technologiques et des cycles tesques renferment près de 40 000 plantes ment. 2101 Seventh Avenue. www.seattlespheres.com
69
2 – CoCktail visionnaire au M Bar
Dans le quartier de South Lake Union, à
quelques blocs de l’hyper-centre, les bureaux
vitrés des entreprises de technologie ont
remplacé les immeubles industriels. En fin
de journée, quand les food trucks ont baissé
leur rideau, les employés de la tech se
replient sur cette terrasse pour grignoter et
boire un verre, en profitant du coucher de
soleil. Et de la vue : on y embrasse du regard
l’emblème de la ville, la Space Needle, haute
de 184 mètres, et le lac Union, où William
Boeing fit voler son premier hydravion.
De 16 heures à 22 heures (23 heures le week-end),
happy hour jusqu’à 18 heures. Bières à 6 €, cocktails à 14 €
et plats à partir de 15 €. 400 Fairview Avenue North,
au dernier étage. www.mbarseattle.com
3 – vol géant aveC le Boeing tour
La « plus grande usine du monde » n’est
2
qu’à une demi-heure de Seattle. On y
assemble, en quelques jours à peine, les
Y ALLER
En avion : A/R Paris-Seattle via Boeing 747 Cargo, 787 et « triple 7 » qui
Reykjavik, avec Icelandair, à partir s’élanceront bientôt de l’aéroport attenant.
de 732 € (possibilité de faire étape
à Reykjavik). www.icelandair.com
La visite du site se fait en groupe, sous la
houlette d’un employé enthousiaste.
Y DORMIR Comme il faut laisser ses effets personnels
En plein centre de Seattle, à deux
pas du front de mer, le Loews
au vestiaire, on ne peut pas prendre de pho-
Hotel 1000 dispose de fonctionnali- tos. Pour les souvenirs, il faut se rabattre sur
tés high-tech, comme ce détecteur la boutique à la fin du parcours.
de chaleur qui informe le personnel
de ménage de votre éventuelle Tous les jours de 8 heures à 19 heures. Accès en voiture.
présence dans la chambre. À partir 8415 Paine Field Blvd, Mukiteo (Washington).
de 260 €, sans le petit déjeuner. 22 € l’entrée plein tarif. www.futureofflight.org
1000 First Avenue. L’agence Show Me Seattle peut aussi venir vous chercher
www.loewshotels.com/ en ville : www.showmeseattle.com/tour/boeing-tours
hotel-1000-seattle
4 – arChéologie geek au living CoMputers
Ce lieu étonnant, voulu par le cofondateur
de Microsoft Paul Allen, fait de l’ordinateur
un objet de musée, dont on suit l’évolution
comme dans une galerie d’histoire naturelle.
Les premiers appareils sont tellement volu-
mineux et bruyants que c’en est presque
amusant. De rarissimes Apple I, testés en
3 4
1976 dans le garage de Steve Jobs, sont aussi
exposés. On déambule entre les claviers et
les consoles vintage, pour se rappeler que
nos écrans familiers sont le fruit de toute
une histoire.
Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures. 2245 First
Avenue South. 20 € l’entrée plein tarif (16 € sur Internet).
www.livingcomputers.org

5 – Balade rétrofuturiste au seattle Monorail


L’Exposition universelle de 1962 avait pour
thème «l’homme à l’ère spatiale». Elle devait
propulser Seattle vers le futur. La Space
Needle et le monorail datent de cette époque.
Posé au-dessus du trafic, le train aux allures de
manège nous embarque pour un voyage dans
le temps d’à peine deux minutes. Rien ne
semble avoir changé depuis les années 1960,
des banquettes en Skaï au décor chromé de la
carlingue.
Tous les jours, de 7 h 30 à 21 heures (à partir de 8 h 30
le week-end, et jusqu’à 23 heures les vendredi et samedi).
Départ toutes les 10 minutes depuis le centre-ville
(à l’angle de 5th Avenue et de Pine Street) ou depuis la
Space Needle. 2 € l’aller simple. www.seattlemonorail.com

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


70

ligne de mire

Arc de triomphe.
par jean-michel tixier

Illustration Jean-Michel Tixier/Talkie Walkie pour M Le magazine du Monde

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


COMME SI VOUS (Y) ÉTIEZ de tomate souhaite la bienve- digestion va être compliquée.

Acide à miner.
nue à votre palais avant que le Heureusement, les desserts
ceviche de chinchard ne com- vous rattrapent au vol.
mence à jouer sa partition. Chocolat sur chocolat avec
Poisson bleu par excellence, un peu de framboise et de
PAR MARIE ALINE
vous appréciez sa finesse. noisettes (2). Et chez votre
Malheureusement, il nage invitée, un tres leches, gâteau
dans trop de jus d’orange. très gourmand venu d’Amé-
L’acidité de l’agrume, dont ça rique latine, imbibé de whisky,
n’est plus la saison, tue la déli- servi avec des kiwis marinés
catesse de la chair marine. dans de la menthe pour un peu
Les myrtilles et les patates de fraîcheur. Pourquoi pas.
douces sont, elles aussi, Vous repartez, le regard
noyées. Seul l’oignon rouge toujours aussi neutre, mais
garde la tête hors de cet uni- le verbe bien caché. Il ne sert
vers caustique (1). Cela vous à rien d’être mal aimable.
permet de reprendre pied
avant que le lieu jaune ne
tente de vous convaincre.
De l’autre côté de la table, le
cochon du Tarn, aubergine,
shiso, ricotta, est assez clas-
sique, pour ne pas dire sans
surprise. Le lieu jaune, lui, est
d’un nacré qui lui va à ravir.
VOUS ÊTES CET HOMME AU REGARD et un bar à shots, Chinaski est La cuisson est parfaite. Vous 1
NEUTRE ET AU VERBE BIEN PLACÉ. bien ancré dans ce quartier auriez préféré le manger nu.
Lorsque vous arrivez dans folklo-touristique qu’est la rue Car le « riz sauvage, chou kale
2
un endroit, votre bonjour ne Mouffetard, dans le 5e arron- et ail nouveau » cultive lui aussi
trompe personne. Vous êtes dissement de Paris. Comme une acidité déplacée. Le cuisi-
un territoire à conquérir. Les votre invitée l’aura compris, nier en avait parlé à la table
restaurants, vous les connais- vous n’êtes pas ravi. Mais la d’à côté, disant qu’il aimait
sez bien. Plus vous mangez, carte est aussi prometteuse jouer sur cette saveur espiègle.
plus vous êtes exigeant. Avec que l’équipe. Tous anciens du Vous pensez par-devers vous
vous, rien n’est jamais acquis. célébré Dersou, ils se sont que jouer requiert une subtilité
Un pied dans Chinaski, et vous affranchis du chef Taku Sekine absente de cette assiette.
êtes déjà déçu, vous préférez pour monter cette adresse au Vous sentez déjà que la
dîner dehors. Dedans, cela nom inspiré du réalisme sale
ressemble trop à un compte (dirty realism), un mouvement
Instagram. Tables en bois littéraire né aux États-Unis
déglingué collé sur du contre- dans les années 1970-1980. CHINASKI
plaqué, chaises design métal Chinaski, pseudonyme et alter
et bois, vaisselle de Malo, céra- ego fictionnel du romancier
miste en vogue, couteaux Charles Bukowski, est ici le lieu
Pallares Solsona (manche en d’expression de Jean-Adrien
bois, lame en acier oxydable), Buniazet, chef cuisinier passé
cuisine ouverte et luminaires par Dersou, donc, mais aussi 46, rue Daubenton, Paris 5e.
minimalistes si peu éclairants par Darroze et Le Meurice. Ouvert du mercredi au dimanche.
que la salle est sombre alors Vous en attendez du bon, En continu à partir de 9 heures
pour un café et des snacks,
que l’été bat son plein. même si vous êtes d’un naturel de 19 h 30 à 22 h 30 pour dîner.
La terrasse n’est pas des plus pessimiste. Tél. : 01 73 74 74 06.
joyeuses, mais c’est déjà Un verre de vin blanc vous www.chinaskiparis.com

mieux. Entre un échafaudage met en jambes. Le gaspacho

L’ADDITION DÉLIT D ’INITIÉS LES INCONTOURNABLES LES BÉMOLS LA SENTENCE


Chinaski. Marie Aline

Menu dîner à 35 €. La carte des vins vaut le Le gâteau tres leches et le Le ceviche de poisson bleu Chinaski a tout pour lui
détour, venir boire de bonnes bourgogne aligoté Allez et le cochon du Tarn. (casting, CV, décor, presse…),
bouteilles en journée en goûtons de chez Derain. peut-être trop. L’équipe,
grignotant les pitas maison. sincère, gagnerait à remettre
en question son travail
au quotidien.
72

les pêches
pochées
d’alain milliat

Pour 4 personnes

6 belles pêches, brugnons,


ou pêches de vigne, très
aromatiques et bien mûrs
Le jus d’un demi-citron
15 g de mélange Grog des
îles d’Épices Roellinger ou,
à défaut, un mélange de
vanille, gingembre, mus-
cade, cannelle, clou de
girofle (dans un sachet)
1 faisselle de chèvre, très
fraîche et conservée
une affaire de goût

Étoile du verger.
bien au froid
Fleur de sel
(ou autre sel en cristaux)

i
Ouvrir les pêches en deux,
les peler, retirer le noyau et
AlAin MilliAt A longteMps souhAité les couper en segments (six
je vis toujours dAns lA
élever des Moutons et des chèvres. à huit selon la grosseur des
ferMe où j’Ai pAssé Mon pêches). Disposer les mor-
il est devenu producteur de jus de fruits
enfAnce, à Orliénas, au sud de ceaux dans un faitout, ajou-
hAut de gAMMe. son dessert fAvori, siMple ter 20 cl d’eau. Porter à fré-
Lyon : toute l’histoire de ma
et de sAison, Mêle ses deux pAssions. missement, ajouter le jus de
famille est ici. Mes parents, citron et le sachet d’épices.
grands-parents et arrière- par camille labro — photos julie balagué
ii
grands-parents étaient agricul- Poursuivre la cuisson
teurs, notre ferme familiale a été doucement, en remuant
plantée d’arbres fruitiers dès les délicatement pour
ne pas abîmer les fruits.
années 1940. La région des il y a des cycles, des gestations, piochées au hasard dans le Laisser cuire sur feu
coteaux lyonnais était, à l’époque, des naissances. À dix-huit ans, guide Relais & Châteaux. très doux pendant
très riche en production de je suis revenu aider mon père sur Cinquante-cinq sommeliers ont 5 à 10 minutes, jusqu’à ce
que les arômes soient bien
primeurs, j’ai grandi au milieu des notre exploitation, et j’ai peu à répondu positivement… Et c’est diffusés et les pêches entiè-
pêchers, poiriers, cerisiers, peu repris la ferme. J’ai installé ainsi que l’aventure de mes jus rement cuites et très moel-
fraisiers… J’étais de nature assez de nouvelles parcelles de vergers, « de dégustation » a démarré. leuses. Les prélever à l’écu-
moire et réserver à
contemplative, proche des élé- mais je préférais travailler avec Aujourd’hui, les fruits ne provien- température ambiante.
ments. L’année de ma naissance, les moutons. J’aurais bien aimé nent plus de mes vergers, la pro-
en 1965, mon père a planté des devenir éleveur, mais finalement, duction est trop importante, et iii
Dans des bols, disposer
pommiers à foison. Cela a permis le cœur brisé, j’ai dû me séparer je me suis rendu compte que ce environ 80 g de faisselle
de faire vivre la ferme pendant de nos bêtes, car nous n’avions n’est pas parce qu’on cultive soi- bien froide, garnir avec les
pas assez de pâturages pour que pêches compotées tièdes.
une bonne vingtaine d’années. même que la qualité est
Saupoudrer de fleur de sel
Nous produisions notamment cela soit économiquement viable. meilleure : je préfère sourcer les et d’une pincée d’épices
une pomme golden très savou- dAns les Années 1990, lA filière bonnes variétés au bon moment fraîches. Déguster aussitôt.
reuse, avec un profil aromatique « fruits frAis » A été rAttrApéepar de maturité. Je suis toujours en
qui plaisait beaucoup aux pâtis- la mondialisation, les zones de quête du meilleur fruit de saison,
siers. Mon père pratiquait la poly- production changeaient et j’ai la pomme juteuse, le raisin fin, la
culture et avait aussi un élevage décidé de prendre une tangente, poire aromatique. En été, j’adore
de moutons. J’ai toujours adoré en me spécialisant dans les jus. particulièrement les pêches de
les animaux. À quinze ans, je suis J’ai fait mes premiers essais vigne et les brugnons bien mûrs.
parti faire un stage dans un éle- avec les fruits de nos vergers, J’en fais un dessert très simple :
vage de chèvres. On y confec- en passant par un sous-traitant le fruit juste poché, infusé d’un
tionnait des fromages, à com- pour la fabrication. Il y avait peu d’épices pour la note exo-
mencer par les faisselles fraîches six parfums : pomme reinette, tique, une faisselle de chèvre
et légèrement salines – le premier abricot Bergeron, pêche de toute fraîche (ma passion de
stade de la transformation. J’en vigne, pomme-coing, poire toujours) et quelques cristaux
raffolais. Je me suis beaucoup plu d’été williams et poire d’automne de sel qui relèvent tous
à faire ça. Je trouve cela très passe-crassane. J’ai envoyé des les arômes.
apaisant de s’occuper d’animaux, échantillons à soixante adresses www.alain-milliat.com
produit intérieur brut

La reine-
des-prés.
par camille labro
illustration Patrick Pleutin

C’est l’une de ces plantes sauvages, où en


belles et discrètes, que le promeneur non trouver
averti pourrait aisément manquer. Pour- Dans les prairies
tant, aux yeux des botanistes comme à et zones humides,
ceux des cuisiniers modernes, la reine- sur les berges
des rivières…
des-prés, vivace au port altier, est pré-
cieuse. Reconnaissable à ses petites où en
fleurs blanc-jaune mousseuses au parfum goûter
d’amande miellée, à sa tige rougeâtre, à Alan Geaam,
son feuillage en folioles dentées et à ses 19, rue Lauriston,
fruits enroulés en hélice, la Filipendula Paris 6e.
ulmaria, que l’on appelle aussi fausse Délice des sens,
12, boulevard
spirée, barbe de bouc ou herbe aux des Brotteaux,
abeilles, recèle de formidables vertus. Lyon 6e.
On lui attribue de multiples propriétés
médicinales : antalgique, anti-inflamma-
toire, anticoagulante. Cette véritable
« aspirine végétale » contient de l’acide
salicylique, soit le principe actif du
célèbre médicament dont elle est l’an-
cêtre naturel. Elle est aussi riche en gastronome Éric Lenoir aime en voir fleu- consomme aussi en décoction, en sirop,
antioxydants naturels, vitamine C, fer et rir, car sa prolifération indique la bonne en bouillon, en sorbet ou bien frites en
soufre. Tonique, diurétique, cicatrisante, santé des milieux naturels. Il l’utilise sur- beignets, comme l’acacia. Au restaurant
elle améliore la digestion, réduit les rhu- tout comme une épice : séchée et matu- Alan Geaam, la reine-des-prés infuse un
matismes ou encore la cellulite. Les som- rée une année, elle rappelle le mélange caillé de brebis glacé, framboise et mar-
mités fleuries se récoltent en été, mais il cinq épices et assaisonne à merveille jolaine. À la pâtisserie lyonnaise Délice
faut les sécher pour qu’elles accumulent viandes blanches, salades de lentilles, des sens, elle se pavane en ganache sur
tous leurs pouvoirs. Le jardinier pois chiches ou taboulés. On la un chou abricot-passion.

union libre

Bonne pêche.
COumE DEL mAs, AbyssEs, DOmAInE D’ICI LÀ, En mEssIEuRs,
COLLIOuRE, ROuGE, 2017 buGEy, GAmAy, 2018
Ce n’est pas parce que le mer- Premier millésime d’une jeune
lan frit est un plat de poisson vigneronne installée entre
qu’il ne peut pas se marier Rhône et montagnes abruptes,
avec un rouge. Au contraire, ce bugey, vivant, précis, léger
il a tant de caractère qu’un vin et bien assis, s’allie harmonieu-
profond et droit lui va bien. sement avec les produits
Ce jeune collioure a la frin- de la mer. Le merlan révèle
gance qu’il faut. Une alliance davantage son côté gourmand
étonnante, qui tranche. et spontané. L.G.
29 €. Tél. : 04-68-88-37-03. 14 €. Tél. : 06-70-39-32-28.

Pages réalisées par Chloé Aeberhardt, Vicky Chahine et Fiona Khalifa. Et aussi Marie Aline, Carine Bizet,
Claire Dhouailly, Stefania Di Petrillo, Isabelle Dupont, Laure Gasparotto, Marie Godfrain,
Camille Labro, Noémie Leclercq et Jean-Michel Tixier.

24 août 2019 — Illustration Broll & Prascida pour M Le magazine du Monde


Raphael Saadiq,
le 16 juillet, à Paris.
75

Le gospel et le blues sont le terreau


sur lequel poussent ses chansons.
À 53 ans, le chanteur, bassiste
et guitariste américain, producteur
et collaborateur de nombreux
artistes de premier plan,

Raphael
Saadiq
sort son sixième album, “Jimmy Lee”.
Et renoue avec sa jeunesse, cernée
par la drogue, la violence et le racisme
de son pays. Par Clémentine Goldszal — Photos Cédric Viollet

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


Il est le traIt d’unIon entre MarvIn Gaye et
KendrIcK laMar, les Four Tops et Rihanna. À
53 ans, avec six albums studio, dont le nouveau,
Jimmy Lee, sort ces jours-ci, Raphael Saadiq a
l’aura d’un patriarche de la musique noire améri-
caine, de l’un de ses connaisseurs affûtés, et le
bagage de ceux qui l’ont sentie évoluer. Il a vu
naître le hip-hop dans les années 1980, ressusciter

Derrière le style
la soul dans les années 1990 et a pu constater en
quoi le rap est devenu la pop des années 2000.
Mieux : il a vécu toutes ces mutations, avec sa
carrière de producteur, notamment.
Membre d’un groupe de gospel au sortir de l’ado-
lescence, puis proche des pionniers A Tribe
tiré à quatre
Called Quest, il a collaboré avec Mary J. Blige,
Whitney Houston, Lionel Richie, Erykah Badu, Jill
Scott et John Legend. En 2016, il produit l’album
épingles de
A Seat at the Table pour Solange Knowles et co–
écrit la bande originale de la série d’Issa Rae, Raphael Saadiq,
son sourire un
Insecure. Si Raphael Saadiq, de son vrai nom
Charles Ray Wiggins, n’a jamais atteint le succès
de masse de ceux qu’il a pu côtoyer, il est resté,

peu mécanique
au fil des ans, fidèle à sa ligne, un esprit vintage
jamais poussiéreux, ce qui lui vaut le respect de
ses pairs et la fidélité du public.
Pour autant, sur Jimmy Lee, la nostalgie sixties de
ses deux précédents albums, The Way I See It
(2008) et Stone Rollin’ (2011), laisse place à un
et ses
son qui lorgne plus les derniers disques de
Michael Jackson, les années 2000 de Prince ou indéboulonnables
lunettes de vue,
les inspirations funk de Daft Punk que les mélo-
dies accrocheuses de la Motown ou de Chess. La
voix se passe de l’omniprésent autotune, qui défi-

se devine un
gure le hip-hop contemporain. Dans ses albums,
Saadiq sait chanter et ses productions ne se sont
jamais vraiment embarrassées de l’air du temps.
Aujourd’hui, il a encore l’air d’un jeune homme
et, s’il manie avec plus d’agilité la basse et la
guitare que l’art de l’interview, il en dit cepen-
instinct de survie
dant assez pour laisser deviner une rude crise
de la cinquantaine. « Ces dernières années,
confie-t-il, j’ai traversé une période assez
exceptionnel.
sombre. Mon père est mort il y a trois ans, j’ai
été trahi par mon manageur et ai découvert qu’il
avait été aidé par des amis à moi… Tout cela m’a
forcé à penser au passé, à ma jeunesse. »
Pendant cette période de doute, un ami d’en- gospel. « Il est né et a grandi en Louisiane, dit de
fance lui lance : « Ton addiction à toi, c’était la lui Raphael Saadiq. Tout en lui évoque ce son du
basse. » « Il a raison, ajoute Saadiq, nous sommes sud des États-Unis. Il y a quelques mois, alors
tous dépendants à notre manière. » que je travaillais déjà sur l’album, il est venu me
Dans les années 1970 et 1980, à Oakland, ville à trouver. J’ai enregistré avec lui une chanson de
l’est de San Francisco où se côtoient une gospel typique. Je l’ai laissé chanter et je me
vibrante et tumultueuse communauté africaine- suis contenté de faire les chœurs. »
américaine, des émigrés mexicains et des hip- Le gospel et le blues sont les cellules souches à
pies sur le retour, Saadiq grandit entre le son partir desquelles grandissent toutes les chan-
des tubes du moment, qui s’échappent des sons de Saadiq. « Quand mon album Stone
sonos des voitures des caïds du quartier, et les Rollin’ est sorti, en 2011, explique-t-il, tout le
airs de gospel, qu’il entend le dimanche matin à monde me demandait si j’aimais les Rolling
l’église baptiste fréquentée par sa mère. Il n’a Stones… » La réponse est oui (Saadiq a d’ailleurs
pas 10 ans quand l’un de ses frères aînés, guita- collaboré avec Mick Jagger, en 2011, pour une
riste, lui met une basse entre les mains et lui reprise, sur la scène des Grammy Awards, d’Eve-
apprend à jouer You Got The Love, le tube rybody Needs Somebody to Love, de Solomon
disco-funk de Chaka Khan. À la maison, l’un de Burke). « Mais, à travers les Stones, je voulais
ses oncles, révérend dans une église baptiste rendre hommage à Muddy Waters, dit-il, dont
d’East Oakland, l’engage dans son quartette l’un des premiers succès s’intitulait Rollin’ Stone.
77

Dans son nouvel album, Raphael Saadiq trouve un son


plus proche des derniers albums de Prince ou de Michael Jackson
que de la nostalgie sixties de ses précédents disques.

[C’est d’ailleurs pour lui rendre hommage que le se devine un instinct de survie exceptionnel qui
groupe britannique a choisi son nom.] Les l’a tenu éloigné des affres de la drogue ou de la
Anglais ont fait énormément pour la musique et mauvaise vie. Une mise à l’écart qui ne l’a pour-
la culture noires. En intitulant mon album ainsi, je tant pas coupé de ses racines, de cette jeunesse
voulais saluer cette tradition à ma manière. » pas forcément miséreuse mais cernée par la vio-
Huit ans plus tard, en se retournant sur son his- lence et le racisme. « Je n’en ai jamais été décon-
toire personnelle, c’est à un problème de société necté », répond-il crânement.
plus vaste que le musicien a décidé de s’atta- S’il connaît la réalité des quartiers populaires, du
quer : la drogue dans les quartiers populaires. racisme, de la drogue, il ne joue justement jamais
Dans les années 1980, Raphael Saadiq a assisté à la carte de l’artiste torturé. « L’angoisse de la
cette tragédie nationale, qui a emporté deux de page blanche, cela ne veut rien dire pour moi »,
ses frères et nombre de ses amis. Pourquoi eux fanfaronne-t-il. Et ce bon vivant d’ajouter : « Si ça
et pas lui ? Il répond curieusement. « Ils n’avaient m’arrive, cela signifie juste qu’il est temps d’aller
pas l’air bien, et moi je tenais à mon apparence. » faire autre chose, manger un morceau et boire
Car l’allure est primordiale chez celui qui porte un verre de vin. »
des costumes ajustés et ose sous-pulls prune,
Jimmy Lee (Columbia), de Raphael Saadiq.
trench rouille ou veste jaune. Derrière son style
En concert le 19 octobre au festival Nancy Jazz
tiré à quatre épingles, son sourire un peu méca- Pulsations et le 21 octobre à l’Élysée Montmartre,
nique et ses indéboulonnables lunettes de vue, 72, boulevard de Rochechouart, Paris 18 e.

24 août 2019 — Photos Cédric Viollet pour M Le magazine du Monde


Dans El baile, spectacle de Mathilde Monnier
pour douze danseurs argentins créé en 2017
avec la complicité de l’écrivain Alan Pauls, il
y a bien sûr de petites chaussures de tango.
Mais aussi de gros crampons de football. C’est
qu’à Buenos Aires le bandonéon et la clameur
des matchs dans les stades se frottent dans
la même effusion. Lors de rencontres au som-
met, les bandes de supporteurs aux maillots
de couleurs différentes affluent dans les rues.
«L’image de l’Argentine pour les
Le sens du détail.
jeunes générations passe par le
foot», glisse Mathilde Monnier. Sur
Pointes et le plateau de la pièce, répétée dans
crampons. un vieux théâtre déglingué de la
Par Rosita Boisseau capitale argentine, la chorégraphe
évoque la société et la politique,
tout en convoquant les danses tra-
ditionnelles et urbaines comme le
tango, le malambo, le chamamé, la
samba. Entre deux joutes chorégra-
phiques, une passe de football s’intercale, une
cage de but surgit. Le rock de Charly García

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Christophe Martin.


coulisse avec un tango historique d’Osvaldo
Pugliese tandis que le filet évoque tour à tour
une chambre, une prison et même un night-
club. «Qu’est-ce que le corps argentin? s’in-
terrogeait Alan Pauls lors des répétitions. Être
argentin, c’est faire souffrir, danser, chanter,
supplicier, faire jouir.» Et jouer au football.
El baile, de Mathilde Monnier et Alan Pauls. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin-Delano-Roosevelt, Paris 8 e.
Du 5 au 15 septembre. www.theatredurondpoint.fr
79

Plein les yeux. Dame de piques. Par Roxana Azimi

Cinquante ans que Margaret Harrison, née


en 1940, se déMène pour CHanger le regard sur les
feMMes. Cinquante ans que cette féministe prag-
matique, fondatrice en 1970 du London Women’s
Liberation Art Group, dynamite le sexisme
ambiant par un pop art militant. Ses armes ? « Le
grotesque, la mascarade et un humour parfois
grivois », détaille Fanny Gonella, directrice du
Fonds régional d’art contemporain (FRAC)
Lorraine, qui l’expose à Metz jusqu’au 6 octobre.
Dans les années 1970, l’artiste britannique affu-
blait les super-héros d’attributs féminins.
Imaginez Captain America en porte-jarretelles et
talons aiguilles ou Batman en robe à froufrous.
Pis, elle représente Hugh Hefner, fondateur du
magazine Playboy, en costume de Bunny Girl. Sa
première exposition, en 1971, sera fermée pour
indécence. En ce temps-là, on ne joue pas de la
confusion des genres, on ne dévirilise pas les
idoles machistes en leur prêtant une sexualité
trouble. Personne, en revanche, ne trouve rien à
redire, lorsque, en réponse au chroniqueur radio
Jimmy Young, qui, systématiquement, comparait
les femmes à des choses comestibles, Margaret
Harrison dessine une pin-up coincée dans un
hamburger. Féminisme et carrière ne feront pas
bon ménage, et Margaret Harrison mettra du
temps à être reconnue. D’autant qu’elle choisit
des sujets que le bon bourgeois préfère ne pas
voir en peinture, les violences domestiques ou la
prostitution. Dernier détail, elle affectionne
l’aquarelle, un genre lui aussi longtemps consi-
déré comme mineur…
« Margaret Harrison. danser sur les missiles »,
au fraC lorraine, 1 bis, rue des trinitaires, Metz
(Moselle). Jusqu’au 6 octobre. www.fraclorraine.org
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Margaret Harrison

2 Princesses, 2 Hands (2009),


de Margaret Harrison,

Déchiffrage. Benoît Magimel.


53 — Nombre de longs-métrages tournés, dont Une fille facile, de Rebecca Zlotowski,
en salle le 28 août.12 — Âge auquel il tourne son premier film, La vie est un long fleuve
tranquille, d’Étienne Chatiliez. 2016 — Année où il obtient le César du meilleur acteur
dans un second rôle pour La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot. Il avait déjà été nominé
en 1997 pour Les Voleurs, d’André Téchiné, et en 2013 pour Cloclo, de Florent-Emilio Siri.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


Le DVD de Samuel Blumenfeld. “Havana”.

Des sept films tournés par robert


reDforD sous la Direction De
En 1990, Robert Redford
syDney pollack , Havana est, à a 54 ans. C’est la dernière
l’évidence, le plus sous-estimé.
Ce film, point final de la collabo-
fois qu’il s’autorise à
ration entre les deux hommes, a être beau à l’écran, avec
été négligé par rapport à la période dorée des
années 1970 qui les a vus tourner ensemble
la conscience très nette
Jeremiah Johnson et Nos plus belles années. C’est d’être rattrapé par
à cette époque que la star Robert Redford com-
mence à utiliser son image en faveur d’une poli-
le temps qui passe.
tique progressiste, contre la guerre au Vietnam. De plus en plus tourné
Redford est cet acteur au visage parfait, abritant
un individu fragile animé par un idéal fort.
vers la réalisation,
Havana est un film différent, tout simplement depuis les années 1980,
parce que Redford y incarne, pour la première
fois de sa carrière, un héros tragique. Le film
Redford contemple
de Pollack se déroule en 1958, dans le Cuba “Havana” comme son
corrompu du dictateur Batista, à la veille de la
révolution castriste. L’acteur américain incarne un
ultime film. Ce qu’il est.
Son personnage est ici un individu qui vit au jour le
joueur de poker prenant conscience qu’il vieillit,
jour, utilisant son occupation si peu ordinaire de
comme le souligne à merveille le scénario signé
joueur professionnel pour tourner le dos à tout
David Rayfiel et Judith Rascoe. Ce personnage a
idéal, refuser le moindre engagement. S’il se sent
tout à voir avec la star qui l’incarne.
comme un poisson dans l’eau dans La Havane de
1958, c’est parce que la capitale cubaine, avec ce

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. 1990 Universal Studios. All Rights Reserved. 2019 Elephant Films
sens de la liberté absolue allant de pair avec une
profonde corruption, lui sied à merveille. Havana
prend modèle sur Casablanca. Comme dans le film
de Michael Curtiz, Pollack imagine un triangle
amoureux déchiré par l’histoire en marche : une
Suédoise passée par les États-Unis, ralliée à la
révolution, est partagée entre son mari, militant
castriste, et ce joueur de poker, découvrant la
fragilité de la condition humaine et celle des senti-
ments amoureux. Au sein de ce trio, c’est le per-
sonnage, distant et inaccessible, de Redford qui
domine. Sa beauté interpelle par la barrière qu’elle
pose entre elle et le spectateur. La star se retrouve
prisonnière de son corps, comme son personnage
l’est ici de ses choix existentiels malheureux. Le
romantisme de Havana n’avait rien de complaisant
et ne séduisit personne lors de sa sortie. Le cinéma
de Pollack pouvait, à tort, apparaître désuet. Mais
c’était le chemin emprunté par le héros de Havana
qui se révélait déroutant tant il recelait un sens du
tragique insupportable pour le spectateur de
1990 : une vie ratée, un désert amoureux et spiri-
tuel, pour lesquels l’une des stars les plus estimées
de son époque devenait le véhicule idéal.
Robert Redford Havana (2 h 24), de sydney pollack, édité dans
interprète un un coffret DVD et blu-ray par elephant films.
joueur profes-
sionnel au Pages
destin raté, dans
le dernier film coordonnées
qu’il tourne avec par Clément
Sydney Pollack. Ghys
81

Mots croisés g r i l l e n o 41 4 Sudoku n o 414 - difficile


PhiliPPe duPuis yan georget

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Compléter toute
I la grille avec des
chiffres allant de 1
à 9. Chacun ne doit
II être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
III par colonne et par
carré de neuf cases.

IV

VI

Solution de la grille
VII précédente

VIII

IX

X
Bridge n o 414
Fédération Française de bridge

XI

XII

XIII

XIV

XV

Horizontalement I Bien de chez nous. II La dame du raja. Engage dans la voie de la canoni-
sation. III Le bon sens des mots et des termes. A souvent le beau rôle à la Bastille. IV Évitez
de la chercher. Gros fumeur nippon. Ville du Nigeria. V L’anglaise a une bonne mâchoire. Son
Théorème a marqué les esprits. Bout d’intestin. VI Deviennent vite des obsessions. Danois au
service de la marine russe. VII Sacrément protégée. Richement tissé. Donné pour approbation.
VIII Inutilisable. Assurerai le rapprochement. Note. IX Élément reproducteur. Dangereuse-
ment nourris. Article. X Donné par le hautbois. Parfumâtes à la badiane. Possessif. XI Très
sociable. Cité d’Abraham. Femme de lettre. XII Très proche. Vous n’en verrez pas la fin.
XIII Dieu solaire. Traîne sur les fonds. S’est aussi intéressé aux choux-fleurs. Bande. XIV Bien
raide. Très encombrées. Points opposés. XV Donnèrent une dimension sacrée.
Verticalement 1 Biens de chez nous, eux aussi. 2 Rabattais sans vergogne. Saura apprécier.
3 Ont déjà bien vécu. Paresse sous les tropiques. Ouvre les comptes. 4 Rejetés. Encadrent tout.
Préparés avant cuisson. 5 Crieront comme de jeunes piafs. Point matinal. 6 Service à l’ancienne.
Monnaie romaine. Grand lac, mais pas le plus grand.Voyelles. 7 Fraîches au lait cru, en principe.
Maîtrisa le sauvageon. 8 Cours espagnol. Me lançai. Essaie de vivre de ses droits. 9 Le temps
d’un tour. Passer sa chemise. Bout de rideau. 10 Au cœur du Cantal. De l’Oural à l’océan Paci-
fique. Écoles publiques. 11 Atome d’oxygène. Empoisonnée et empoisonnante. 12 S’envole
en partant.Te rendrais. Chemin de halage. Le strontium. 13 Sur la Saale en Thuringe. Romains
chez Vivaldi. Espiègle du Nord. 14 Ridicules en voulant suivre. Chevalier ou chevalière.
15 Évitez de leur tendre le cou. Conjonction.

Solution de la grille no 413


Horizontalement I Spencer. Défaite. II Erreur. Renâcler. III Nié. Ribera. Ténu. IV Sostenuto. Té. Ob. V Irisé.
Couleuvre. VI Bipé. Meule. Rais. VII Ite. Dépravés. Sc. VIII Lelouch. Ira. Ira. EEE. IX Enchanteurs. X Sb. Atèle.
État. XI Aluni. Émotivité. XII Ton. La. Ove. Amas. XIII Eu. Cens. Aso. Ex. XIV Usée. Ouïr. Vieil.
XV Responsabilisée.
Verticalement 1 Sensibilisateur. 2 Priorité. Blousé. 3 Érésipèle. Un. Es. 4 Ne.Tsé. Onan. Cep. 5 Curée. Ductile.
6 Érin. Mèche. Anon. 7 Bucéphale. Sus. 8 Retour. Némo. Ia. 9 Déroulait. Ovarb (bravo). 10 ENA. Levrettes.
11 Fa. Té. Eau. Ovl (vol). 12 Acteurs. Rêva. II. 13 Île. Va. Estimées. 14 Ténorise. Ataxie. 15 Érubescente. Le.

24 août 2019 — M Le magazine du Monde


82

Le mannequin
d’Anne Valérie Hash.
Après Avoir lAncé sA griffe puis Assuré lA direction Artistique
de comptoir des cotonniers, lA styliste frAnçAise œuvre désormAis
pour Bonpoint, mArque de mode enfAntine. ses collections déButent
souvent sur un stockmAn de tAille réduite.
propos recueillis par Vicky chahine

Plutôt que le croquis, j’ai toujours duquel il faut tourner, le rapport est diffé-
préféré l’approche 3D du vêtement. rent. S’approprier son mannequin est
J’aime draper, jouer avec la matière. la première chose que l’on apprend en arri-
Lorsque j’ai lancé ma marque, en 2001, j’ai vant à l’École de la chambre syndicale de
rencontré dans la rue Lou Lesage, qui avait la couture parisienne, où j’ai étudié. Il faut
alors 8 ans. Elle est devenue ma muse et ma marquer les lignes de repère avec du bol-
mannequin. J’utilisais des vêtements exis- duc puis construire les bras avec du carton
tants que je retaillais directement sur elle. et du kapok [une fibre végétale] pour le
Les proportions étaient petites, et elle rembourrage. C’est un exercice difficile
n’avait pas de formes, c’était plus facile de – pour ne pas dire traumatisant ! –, donc
créer des volumes. Quand elle a eu 15 ans, j’ai préféré acheter les bras de celui-ci.
nous avons cessé de travailler ensemble. Je l’ai beaucoup utilisé pour ma marque,
Peu avant, ce Stockman avait fait son appa- notamment pour mes collections haute
rition sur ma table de travail. Ce n’est pas couture et ma ligne Mademoiselle, destinée
un mannequin enfant, car il a des formes aux petites filles. Mais moins chez Comptoir
féminines, il doit plutôt servir de support des Cotonniers [dont elle a assuré la direc-
pour montrer des bijoux. Il est plus facile tion artistique de 2014 à 2016]. Je le gardais
d’exprimer ce que l’on veut sur un petit à la maison, sur mon bureau. J’ai eu beau-
format. C’est comme une maquette, ça me coup de plaisir à le retrouver quand j’ai
rassure et me permet de mieux visualiser. commencé chez Bonpoint, en mars. C’est
Une fois munie de mes épingles, que j’ai sur lui que j’ai imaginé le premier pull
toujours sur moi, et de tissu – du jersey, de et la première robe. Aujourd’hui, il fait les
la soie, du coton, de la laine… –, je m’assois allers-retours entre le bureau et la maison.
Anne-Valérie Hash

et je coince le mannequin entre mes jambes Il m’arrive souvent de me balader avec


pour le manipuler plus facilement. Par rap- dans la rue, ce qui ne manque pas
port à un modèle à taille humaine, autour d’étonner les gens !

M Le magazine du Monde — 24 août 2019


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