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M. Foucault (1997), Il faut défendre la société, Cours au Collège de France.

1976,
Hautes Études, Gallimard, Seuil, Paris, p.279

p.14

Voilà pourquoi je pose cette question, et voilà ce que je veux dire par là. Je ne veux
aucunement effacer des différences innombrables, gigantesques, mais, malgré et à
travers ces différences, il me semble qu’il y a un certain point commun entre la
conception juridique et, disons, libérale du pouvoir politique- celle que l’on trouve chez
les philosophes du XVIIIe siècle – et puis la conception marxiste ou, en tout cas, une
certaine conception courante qui vaut comme étant la conception du marxisme. Ce
point commun, ce serait ce que j’appellerais l’ « économisme » dans la théorie du
pouvoir. Et par là, je veux dire ceci : dans le cas de la théorie du pouvoir, le pouvoir est
considéré comme un droit dont on serait possesseur comme d’un bien, et que l’on
pourrait par conséquent transférer ou aliéner, d’une façon totale ou partielle, par un
acte juridique ou un acte fondateur de droit – peu importe pour l’instant- qui serait de
l’ordre de la cession ou du contrat. Le pouvoir, c’est celui, concret, que tout individu
détient et qu’il viendrait à céder, totalement ou partiellement, pour constituer un
pouvoir, une souveraineté politique. La constitution du pouvoir politique se fait donc
dans cette série, dans cet ensemble théorique auquel je me réfère, sur le modèle d’une
opération juridique qui serait de l’ordre de l’échange contractuel. Analogie, par
conséquent, manifeste, et qui court tout au long de ces théories entre le pouvoir et les
biens, le pouvoir et la richesse.
Dans l’autre cas, bien sûr, je pense à la conception marxiste générale du pouvoir :
rien de cela, c’est évident. Mais vous avez dans cette conception marxiste quelque chose
d’autre, qu’on pourrait appeler la « fonctionnalité économique » du pouvoir. «
Fonctionnalité économique », dans la mesure où le pouvoir aurait essentiellement pour
rôle à la fois de maintenir des rapports de production et de reconduire une domination
de classe que le développement et les modalités propres de l’appropriation des forces
productives ont rendue possible. Dans ce cas-là, le pouvoir politique trouverait dans
l’économie sa raison d’être historique. En gros, si vous voulez, dans un cas, on a un
pouvoir politique qui trouverait, dans la procédure de l’échange, dans l’économie de la
circulation des biens, son modèle formel ; et, dans l’autre cas, le pouvoir politique
aurait dans l’économie sa raison d’être historique, et le principe de sa forme concrète et
de son fonctionnement actuel.
Le pouvoir, un mécanisme de répression

p.15

. Alors, l’analyse du pouvoir ne doit-elle pas être d’abord, et essentiellement, l’analyse


des mécanismes de répression ?

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En tout cas, il faut regarder de près ces deux notions, « répression » et « guerre », ou, si
vous voulez, regardez d’un peu plus près l’hypothèse que les mécanismes de pouvoir
seraient essentiellement des mécanismes de répression, et cette autre hypothèse que,
sous le pouvoir politique, ce qui gronde et ce qui fonctionne c’est essentiellement et
avant tout un rapport belliqueux.

Mais l’essentiel du cours sera consacré à l’autre volet, c’est-à-dire au problème de la


guerre. Je voudrais essayer de voir dans quelle mesure le schéma binaire de la guerre,
de la lutte, de l’affrontement des forces, peut effectivement être repéré comme le fond
de la société civile, à la fois le principe et le moteur de l’exercice du pouvoir politique.
Est-ce bien exactement de la guerre qu’il faut parler pour analyser le fonctionnement
du pouvoir ? Est-ce que les notions de « tactique », de « stratégie », de « rapport de
force » sont valables ? Dans quelle mesure le sont-elles ? Le pouvoir, tout simplement,
est-il une guerre continuée par d’autres moyens que les armes ou les batailles ? Sous le
thème devenu maintenant courant, thème d’ailleurs relativement récent, que le pouvoir
a en charge de défendre la société, faut-il entendre, oui ou non, que la société dans sa
structure politique est organisée de manière que certains puissent se défendre contre
les autres, ou défendre leur domination contre la révolte des autres, ou, simplement
encore, défendre leur victoire et la pérenniser dans l’assujettissement ?

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Mais : comment est-ce que les choses se passent au moment même, au niveau, au ras
de la procédure d’assujettissement, ou dans ces processus continus et ininterrompus
qui assujettissent le corps, dirigent les gestes, régissent les comportements.En d’autres
termes, plutôt que de se demander comment la souveraineté apparaît en haut, cherché
à savoir comment sont petit à petit, progressivement, réellement, matériellement
constitués les sujets, les sujets, à partir de la multiplicité des corps, des forces, des
énergies, des matières, des désirs, des pensées, etc... l’instance matérielle de
l’assujettissement en tant que constitution des sujets, cela serait exactement le
contraire de ce que Hobbes avait fait dans le Léviathan, et, je crois, après tout, tous les
juristes, lorsque leur problème est de savoir comment, à partir de la multiplicité des
individus et des volontés, il peut se former une volonté ou encore un corps unique, mais
animés par une âme qui serait la souveraineté. Souvenez-vous du schéma du Léviathan
: dans ce schéma, le Léviathan, en tant qu’homme fabriqué, n’est autre chose que la
coagulation d’un certain nombre d’individualités séparées, qui se trouvent réunies par
un certain nombre d’éléments constitutifs de l’État. Mais au cœur, ou plutôt à la tête de
l’État, il existe quelque chose qui le constitue comme tel, et ce quelque chose c’est la
souveraineté, dont Hobbes dit qu’elle est précisément l’âme du Léviathan. Eh bien,
plutôt que de poser ce problème de l’âme centrale, je crois qu’il faudrait essayer – ce
que j’ai essayé de faire – étudier les corps périphériques et multiples, ces corps
constitués, par les effets de pouvoir, comme sujets.

Le pouvoir, je crois, doit être analysé comme quelque chose qui circule, ou plutôt
quelque chose qui ne fonctionne qu’en chaîne. Il n’est jamais localisé ici ou là, il n’est
jamais entre les mains de certains, il n’est jamais approprié comme une richesse ou un
bien. Le pouvoir fonctionne. Le pouvoir s’exerce en réseau et, sur ce réseau, non
seulement les individus circulent, mais ils sont toujours en position de subir et aussi
d’exercer ce pouvoir. Ils ne sont jamais la cible inerte ou consentante du pouvoir, ils en
sont toujours les relais. Autrement dit, le pouvoir transite par les individus, il ne
s’applique pas à eux.
p.27
Il ne faut donc pas, je crois, concevoir l’individu comme une sorte de noyau
élémentaire, atome primitif, matière multiple et muette sur laquelle viendrait
s’appliquer, contre laquelle viendrait s’appliquer, contre laquelle viendrait frapper le
pouvoir, qui soumettrait les individus ou les briserait. En réalité, ce qui fait qu’un corps,
des gestes, des discours, des désirs sont identifiés et constitués comme individus, c’est
précisément cela l’un des effets premiers du pouvoir. C’est-à-dire que l’individu n’est
pas le vis-à-vis du pouvoir ; il en est, je crois, l’un des effets premiers. L’individu est un
effet du pouvoir et il est en même temps, dans la mesure même où il en est un effet, le
relais : le pouvoir transite par l’individu qu’il a constitué.

Quatrième conséquence au niveau des précautions de méthode : quand je dis : « le


pouvoir, ça s’exerce, ça circule, ça forme réseau », c’est peut-être vrai jusqu’à un certain
point. On peut dire également : « nous avons tous du fascisme dans la tête », et, plus
fondamentalement encore : « nous avons tous du pouvoir dans le corps ». Et le pouvoir
– dans une certaine mesure au moins – transite ou transhume par notre corps. Tout
cela, en effet, peut-être dit ; mais je ne crois pas qu’il faille, à partir de là, conclure que
le pouvoir serait, si vous voulez, la chose du monde la mieux partagé, la plus partagé,
bien que, jusqu’à un certain point, il le soit. Ce n’est pas une sorte de distribution
démocratique ou anarchique du pouvoir à travers les corps. Je veux dire ceci : il me
semble que – ce serait là donc la quatrième précaution de méthode – l’important, c’est
qu’il ne faut pas faire une sorte de déduction du pouvoir qui partirait du centre qui
essaierait de voir jusqu’où il se prolonge par le bas, dans quelle mesure il se reproduit, il
se reconduit jusqu’aux éléments les plus atomistiques de la société. Je crois qu’il faut,
au contraire, qu’il faudrait faire une analyse ascendante du pouvoir, c’est-à-dire partir
des mécanismes infinitésimaux, lesquels on leur propre histoire, leur propre trajet, leur
propre tactique, et puis voir comment ces mécanismes de pouvoir, qui ont donc leur
solidité et, en quelque sorte, leur technologie propre, ont été et sont encore investis
colonisés, utilisés, infléchis, transformés, déplacés, entendus, etc., par des mécanismes
de plus en plus généraux et des formes de domination globale. Ce n’est pas la
domination globale qui se pluralise et se répercute jusqu’en bas. Je ne crois qu’il faut
analyser la manière dont, aux niveaux les plus bas, les phénomènes, les techniques, les
procédures de pouvoir jouent ; montrés comment ces procédures, bien sûr, se
déplacent, s’étendent, se modifient, mais, surtout, comment elles sont investies,
annexées par des phénomènes globaux, et comment des pouvoirs plus généraux ou des
profits d’économies peuvent se glisser dans le jeu de ces technologies, à la fois
relativement autonomes et infinitésimales, de pouvoir. »

p.30
« La bourgeoisie ne s’intéresse pas aux fous, mais au pouvoir qui porte sur les fous ; la
bourgeoisie ne s’intéresse pas à la sexualité de l’enfant, mais au système de pouvoir qui
contrôle la sexualité de l’enfant. La bourgeoisie se moquent totalement des délinquants,
de leurs punitions ou de leur réinsertion qui n’a économiquement pas beaucoup
d’intérêt. En revanche, de l’ensemble des mécanismes par lesquels le délinquant est
contrôlé, suivi, puni, réformé, il se dégage, pour la Bourgeoisie, un intérêt qui
fonctionne à l’intérieur du système économico-politique général. Voilà la quatrième
précaution, la quatrième ligne de méthode que je voulais suivre.

Cinquième précaution : il se peut bien que les grandes machineries du pouvoir se


soient accompagnées de productions idéologiques. Il y a eu sans doute, par exemple,
une idéologie de l’éducation, une idéologie du pouvoir monarchique, une idéologie de la
démocratie parlementaire, etc. Mais à la base, je crois pas que ce soit des idéologies.
C’est beaucoup moins et beaucoup plus. Ce sont des instruments effectifs de formation
et de cumul du savoir, ce sont des méthodes d’observation, des techniques
d’enregistrement, des procédures d’investigation et de recherche, ce sont des appareils
de vérification. C’est-à-dire que le pouvoir, quand il s’exerce dans ses mécanismes fins,
ne peut pas le faire sans la formation, l’organisation et la mise en circulation d’un savoir
ou, plutôt, d’appareils de savoir qui ne sont pas des accompagnements ou des édifices
idéologiques.

En somme, il faut se débarrasser du modèle du Léviathan, ce modèle d’un homme


artificiel, à la fois automate, fabriqué et unitaire également, qui envelopperait tous les
individus réels, et dont les citoyens seraient le corps, mais dont l’âme serait la
souveraineté ; Il faut étudier le pouvoir hors du modèle du Léviathan, hors du champs
délimité par la souveraineté juridique et l’institution de l’État ; il s’agit de l’analyser à
partir des techniques et tactiques de domination. »

p.32
« Or, au XVIIe et au XVIIIe siècle, il s’est produit un phénomène important :
l’apparition – il faut dire l’invention – d’une nouvelle mécanique de pouvoir, qui a des
procédures bien particulières, des instruments tout nouveau, un appareillage très
différent et qui, je crois, est absolument incompatible avec les rapports de souveraineté.
Cette nouvelle mécanique de pouvoir porte d’abord sur les corps et sur ce qu’ils font,
plus que sur la terre et son produit. C’est un mécanisme de pouvoir qui permet
d’extraire des corps, du temps et du travail, plutôt que des biens et de la richesse. C’est
un type de pouvoir qui s’exerce continûment par surveillance et non pas de façon
discontinue par des systèmes de redevances et d’obligations chroniques. C’est un type
de pouvoir qui suppose un quadrillage serré de coercitions matérielles plutôt que
l’existence physique d’un souverain, et définit une nouvelle économie de pouvoir dont
le principe est que l’on doit à la fois faire croître les forces assujetties et la force et
l’efficacité de ce qui les assujettit.
Il me semble que ce type-là de pouvoir s’oppose exactement, terme à terme, à la
mécanique de pouvoir que décrivait ou cherchait à transcrire la théorie de la
souveraineté. La théorie de la souveraineté est liée à une forme de pouvoir qui s’exerce
sur la terre et les produit de la terre, beaucoup plus que sur les corps et sur ce qu’ils
font. Cette théorie concerne le déplacement et l’appropriation par le pouvoir, non pas
du temps et du travail, mais des biens et de la richesse. C’est elle qui permet de
transcrire en termes juridiques des obligations discontinues et chroniques de
redevances, et mas pas de coder une surveillance continue ; c’est une théorie qui
permet de fonder le pouvoir autour et à partir de l’existence physique du souverain et
non pas des systèmes continu et permanents de surveillance. La théorie de la
souveraineté est ce qui permet de fonder le pouvoir absolu dans la dépense absolue du
pouvoir, et non pas de calculer le pouvoir avec le minimum de dépense et le maximum
d’efficacité. Ce nouveau type de type de pouvoir, qui n’est donc plus du tout
transcriptible dans les termes de la souveraineté, c’est l’une des grandes inventions de
la société bourgeoise. »
p.33
« il a été l’un des instrument fondamentaux de la mise en place du capitalisme
industriel et du type de société qui lui est corrélatif. Ce pouvoir non souverain, étranger
donc à la forme de la souveraineté, c’est le pouvoir « disciplinaire ». »

« On a donc dans les sociétés modernes, à partir du XIX° siècle et jusqu’à nos jours,
d’une part une législation un discours, une organisation du droit public articulé autour
du principe de la souveraineté du corps social et de la délégation par chacun de sa
souveraineté à l’État ; et puis on a, en même temps, un quadrillage serré de coercitions
disciplinaire qui assure, de fait, la cohésion de ce même corps social. »

p.34
« Or ce quadrillage ne peut en aucun cas se transcrire dans ce droit, qui en est pourtant
l’accompagnement nécessaire. Un droit de la souveraineté et une mécanique de la
discipline : c’est entre ces deux limites, je crois, que se joue l’exercice du pouvoir. Mais
ces deux limites sont telles, et elles sont si hétérogènes, que l’on ne peut jamais rabattre
l’une sur l’autre. Le pouvoir s’exerce, dans les sociétés modernes, à travers, à partir de,
et dans le même de cette hétérogénéité entre un droit public de la souveraineté et une
mécanique polymorphe de la discipline. Cela ne veut pas dire que vous avez, d’une part,
un système de droit bavard et explicite qui serait celui de la souveraineté, et puis des
disciplines obscures et muettes qui travailleraient en profondeur, dans l’ombre, et qui
constitueraient le sous-sol silencieux de la grande mécanique du pouvoir. En fait, les
disciplines ont leur propre discours. Elles sont elles-mêmes, et pour les raisons que je
vous disais tout à l’heure, créatrices d’appareils de savoir, de savoir et de champs
multiples de connaissance. Elles sont extraordinairement inventives dans l’ordre de ces
appareils à former du savoir et des connaissances, et elles sont porteuses d’un discours,
mais d’un discours qui ne peut pas être le discours du droit, le discours juridique. Le
discours de la discipline est étranger à celui de la loi ; il est étranger à celui de la règle
comme effet de la volonté souveraine. Les disciplines vont donc porter un discours qui
sera celui de la règle : non pas celui de la règle juridique dérivée de la souveraineté ;
mais celui de la règle naturelle, c’est-à-dire de la norme. Elles définiront un code qui
sera celui, non pas de la loi, mais de la normalisation, et elles se référeront
nécessairement à un horizon théorique qui ne sera pas l’édifice du droit, mais le champ
des sciences humaines. Et leur jurisprudence, à ces disciplines, sera celle du savoir
clinique. »

Le pouvoir souverain, un pouvoir obsolète


p.222

Du doit souveraineté de faire mourir ou de laisser vivre au droit de faire vivre et de


laisser mourir.

p.213
Il me semble qu’un des phénomène fondamentaux du XIX e siècle a été, est ce qu’on
pourrait appeler la prise en compte de la vie par le pouvoir : une prise de pouvoir sur
l’homme en tant qu’être vivant, une sorte d’étatisation du biologique…

p.214
Je crois que, pour comprendre ce qui s’est passé, on peut se référer à ce qu’était la
théorie classique de la souveraineté…Dans la théorie classique de la souveraineté, vous
savez que le droit de vue et de mort était un de ses attributs fondamentaux. En un sens,
dire que le souverain a droit de vie et de mort signifie qu’il peut faire mourir et laisser
vivre ; en tout cas, que la vie et la mort ne sont pas de ces phénomène naturels,
immédiats, en quelque sorte originaire ou radicaux, qui tomberaient hors du champs
du pouvoir politique… [Le sujet] est, du point de vue de la vie et de la mort, neutre, et
c’est simplement qu fait du souverain que le sujet a droit à être vivant ou a droit,
éventuellement, à être mort. Le droit de vie et de mort s’exerce que d’une façon
déséquilibrée, et toujours du côté de la mort. L’effet du pouvoir souverain sur la vie ne
s’exerce qu’à partir du moment où le souverain peut tuer… Ce n’est pas le droit de faire
mourir ou de faire vivre. Ce n’est pas non plus le droit de laisser vivre et de laisser
mourir. C’est le droit de faire mourir ou de laisser vivre.
Et je crois que, justement, un des plus massives transformations du droit politique au
XIX e siècle a consisté, je ne dis pas exactement à substituer, mais à compléter, ce vieux
droit de souveraineté – faire mourir ou laisser vivre – par un autre droit nouveau, qui
ne va pas effacer le premier, mais qui va le pénétrer, le traverser, le modifier, et qui va
être un droit, ou plutôt un pouvoir exactement inverse : pouvoir de « faire » vivre et de
« laisser » mourir. Le droit de souveraineté, c’est donc celui de faire mourir ou de
laisser vivre. Et puis, c’est ce nouveau droit qui s’installe : le droit de faire vivre et de
laisser mourir.
p.215
En fait, là ou je voulais suivre la transformation, c’est au niveau non pas de la théorie
politique mais, au niveau des mécanismes, des techniques, des technologies de pouvoir.
Alors, là, on retombe sur des choses familières : c’est que, au XVII e siècle et au XVIII e
siècle, on a vu apparaître des techniques de pouvoir qui étaient essentiellement
contrées sur le corps, sur le corps individuel. C’étaient toutes ces procédures par
lesquelles on assurait la distribution spatial des corps individuels ( leur séparation, leur
alignement, leur mise en série et en surveillance) et l’organisation, autour de ces corps
individuels, de tout un champs de visibilité. C’étaient aussi des techniques de
rationalisation et d’économie stricte d’un pouvoir qui devait s’exercer, de la manière la
moins coûteuse possible, par tout un système de surveillance, de hiérarchies,
d’inspection, d’écriture, de rapports : toute cette technologie qu’on peut appeler
technologie disciplinaire du travail.
Naissance de la biopolitique
p.215
Or, pendant la seconde moitié du XIX e siècle, je crois que l’on voit apparaître
quelque chose de nouveau, qui est une autre technologie de pouvoir, non disciplinaire
cette fois. Une technologie de pouvoir qui n’exclut pas la première, qui n’exclut pas la
technique disciplinaire, mais qui l’emboîte, qui l’intègre, qui la modifie partiellement et
qui va l’utiliser en s’implantant en quelque sorte en elle, et s’incrustant effectivement
grâce à cette technique disciplinaire préalable.
p.216
Ce nouvelle technique ne supprime pas la technique disciplinaire tout simplement
parce qu’elle est d’un autre niveau, elle est à une autre échelle,…
Et puis la nouvelle technologie qui se met en place s’adresse à la multiplicité des
hommes, mais non pas en tant qu’ils se résument en des corps, mais en tant qu’elle
forme, au contraire, une masse globale, affectée de processus d’ensemble qui sont
propres à la vie, et qui sont des processus comme la naissance, la mort, la production, la
maladie,…Donc, après une première prise de pouvoir sur le corps qui s’est faite sur le
mode de l’individualisation, on a une seconde prise de pouvoir qui, elle, n’est pas
individualisante mais qui est massifiante, qui se fait en direction non pas de l’homme-
corps, mais de l’homme-espèce. Après l’anatomo-politique du corps humain, mise en
place au cours du XVIII e siècle, on voit apparaître, à la fin de ce siècle, quelque chose
qui n’est plus une anatomo-politique du corps humain, mais que j’appellerai une «
biopolitique » de l’espèce humaine.

Ce sont ces processus-là de natalité, de mortalité, de longévité qui justement dans la


seconde moitié du XVIII e siècle, en liaison avec tout un tas de problème économiques
et politiques, ont constitué, les premiers objets de savoir et les première cibles de
contrôle de cette biopolitique. C’est à ce moment-là, en tout cas que l’on met en œuvre
la mesure statistique de ces phénomène avec les premières démographies.
p.217
Ce sont ces phénomènes-là [les pandémies] qu’on commence à prendre en compte à
la fin du XVIII e siècle et qui amènent la mise en place q’une médecine qui va avoir,
maintenant, la fonction majeure de l’hygiène publique, avec des organismes de
coordination des soins médicaux, de centralisation de l’information, de normalisation
du savoir, et prend aussi l’allure de campagne d’apprentissage de l’hygiène et de
médicalisation de la population.
p.218
Et c’est par rapport à ces phénomènes-là que cette biopolitique va mettre en place non
seulement des institutions d’assistance (qui existaient, elles, depuis très longtemps,
mais des mécanismes beaucoup plus subtils, économiquement beaucoup plus
rationnels que la grosse la grosse assistance, à la fois massive et lacunaire, qui était
essentiellement rattachée à l’Église. On va voir des mécanismes plus subtils, plus
rationnels, d’assurance, d’épargne individuelle et collective, de sécurité,..

Relation de l’homme à son milieu : le marécage et la ville


Enfin dernier domaine : prise en compte des relations entre l’espèce humaine, les
êtres humains en tant qu’espèce, en tant qu’être vivants, et puis leur milieu, leur milieu
d’existence – que ce soient les effets bruts du milieu géographique, climatique,
hydrographiques : les problèmes, par exemple, des marécages, des épidémies liées à
l’existence des marécages pendant toute la première moitié du XIX e siècle. Et,
également, le problème de ce milieu, en tant que ce n’est pas un milieu naturel et qu’il a
des effets de retour sur la population ; un milieu qui a été créé par elle. Ce sera,
essentiellement, le problème de la ville.

Le nouveau personnage : la population

La première serait celle-ci : l’apparition d’un élément – j’allais dire d’un personnage-
nouveau, qu’au fond ni la théorie du droit, ni la pratique disciplinaire ne connaissent.
La théorie du droit, au fond, ne connaissait que l’individu et la société : l’individu
contractant et le corps social qui avait été constitué par le contrat volontaire ou
implicite des individus. Les disciplines, elles, avaient affaire pratiquement à l’individu
et à son corps. Ce à quoi on a affaire dans cette nouvelle technologie de pouvoir, ce n’est
pas exactement la société (ou, enfin, le corps social tel que le définissent les juristes) ;
ce n’est pas non plus l’individu-corps. C’est un nouveau corps : corps multiple, corps à
nombre de tête, sinon infinie, du moins pas nécessairement dénombrable. C’est la
notion de « population »
p.219
La biopolitique a affaire à la population, et la population comme problème politique,
comme problème à la fois scientifique et politique, comme problème biologique et
comme problème de pouvoir,…

La régularisation, une nouvelle méthode


p.219
Cette technologie de pouvoir, cette biopolitique, va mettre en place des mécanismes qui
ont un certain nombre de fonctions très différentes des fonctions qui étaient celles des
mécanismes disciplinaires. Dans les mécanismes mis en place par la biopolitique, il va
s’agir d’abord, bien sût, de prévisions, d’estimations statistiques, de mesures globales ;
il va s’agir également, non pas de modifier tel phénomène en particulier, non pas
tellement tel individu en tant qu’il est un individu, mais essentiellement, d’intervenir au
niveau de ce que sont les déterminations de ces phénomènes dans ce qu’ils ont de
globaux. Il va falloir modifier, baisser la morbidité ; il va falloir allonger la vie ; il va
falloir stimuler la natalité. Et is s’agit surtout d’établir des mécanismes régulateurs qui,
dans cette population globale avec son champ aléatoire, vont pouvoir fixer un équilibre,
maintenir une moyenne, établir une sorte d’homéostasie, assurer des compensations,
bref, installer des mécanismes de sécurité autour de cet aléatoire qui est inhérent à une
population d’être vivants, d’optimaliser un état de vie : mécanismes, vous le voyer,
comme les mécanismes disciplinaire, destinés en somme à maximaliser des forces et à
les extraire, mais qui passent par des chemins entièrement différents.
p.220
bref de prendre en compte la vie, les processus biologiques de l’homme-espèce, et
d’assurer sur eux non pas une discipline, mais une régularisation ;

Discipline et biopolitique
p.223
On a donc deux séries : la série corps-organisme – discipline – institution ; et la série
population – processus biologique – mécanismes régulateurs – État. Un ensemble
organique institutionnel : l’organi-disciplinaire de l’institution et d’un autre côté, un
ensemble biologique et étatique : la bio-régulation par l’ État…
Ces grandes régulations globales qui ont proliféré au long du XIX e siècle on les trouve,
au niveau étatique mais au dessous aussi du niveau étatique, avec tout une série
d’institutions sous-étatique, comme les institutions médicales, les caisses de secours,
les assurances.

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