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Revue de primatologie
4 | 2012 :
Varia
Dossier Primates et Sociétés : La sortie de l'état de nature
1
T R G D B M
Résumés
Français English
Le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau constitue une occasion de rappeler ou
d’introduire ses idées fondamentales ainsi que de les appliquer à des domaines, comme celui de la
primatologie, qui peuvent, de prime abord, sembler bien loin des préoccupations du philosophe
genevois. Ainsi, le concept d’état de nature, élaboré dans la première partie du second Discours, et
la dichotomie sous-jacente entre nature et culture servent de fil conducteur au sein même de
chaque article ainsi qu’entre les différentes perspectives présentées dans ce dossier. Des études
historiques sont combinées à des investigations philosophiques actuelles afin de mettre en avant les
relations complexes que les primatologues entretiennent avec leur sujet d’étude. Si les perspectives
présentées peuvent diverger, toutes s’accordent sur la nécessité d’éviter anthropocentrisme et
ethnocentrisme dans la pratique de la primatologie.
Rousseau’s three centenary is a good opportunity to introduce his fundamental ideas and to apply
them to new domains, such as primatology. The concept of the state of nature, developed in the
first part of the second Discourse, and the dichotomy between nature and culture that it implies are
treated in the different contributions presented in this volume. Historical studies are combined
with philosophical investigations in order to emphasis the complex relations between
primatologists and their object of study. Even though the different perspectives may diverge from
each others, all the contributors insist on the necessity to avoid both anthropocentrism and
ethnocentrism in the context of primatology.
Entrées d’index
Mots-clés : anthropocentrisme, anthropomorphisme, état de nature, ethnocentrisme, primates,
Rousseau, sociétés
Keywords : anthropocentrism, anthropomorphism, ethnocentrism, primates, Rousseau, societies,
state of nature
Thématique : Ethnologie, Philosophie
Historique
https://journals.openedition.org/primatologie/995 1/9
11/04/2018 Primates et Sociétés : La sortie de l’état de nature
Texte intégral
1 Introduction
1 Le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) constitue une
occasion de rappeler ou d’introduire les idées fondamentales du philosophe genevois,
souvent caricaturé, que ce soit par ses propres contemporains ou, plus récemment, par
l’image véhiculée, par exemple, à travers de nombreux manuels scolaires, survolant une
œuvre riche et complexe. Ainsi, les mots de Voltaire répondant au Discours sur l’origine
et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (abrégé second Discours) dans une
lettre cinglante à Rousseau datée du 30 août 1755 nous viennent immédiatement à
l’esprit : « Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage ». De
même, nous ne pouvons nous empêcher d’évoquer ce réquisitoire maintes fois tenu
contre le philosophe de Genève : Rousseau a écrit Emile ou de l’éducation, mais ce
dernier a abandonné ses propres enfants… Bien entendu, toute caricature n’est pas
forcément négative. L’importance accordée au Contrat social et notamment au rôle de cet
ouvrage dans le contexte révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle en est l’illustration. En
définitive, Rousseau et son œuvre, trois cents ans après la naissance du philosophe, ont
des contours bien flous à force d’exagérations, positives ou négatives, dont ils ont été les
victimes. Les célébrations du tricentenaire peuvent et doivent donc participer à un effort
de clarification de la pensée du philosophe. Or, cette ambition que nous pourrions
qualifier d’historico-pédagogique peut se doubler d’une volonté d’application de certains
pans de la pensée rousseauiste au sein de débats actuels relevant de domaines plus ou
moins éloignés, de prime abord, des préoccupations du Citoyen de Genève. C’est dans
une telle perspective que s’inscrit ce dossier, articulé autour du concept d’état de nature.
2 L’intérêt de Rousseau pour les sciences et sa compétence dans plusieurs d’entre elles
n’est plus à démontrer (Bensaude-Vincent, Bernardi 2003), contrairement à ce qu’une
lecture trop hâtive du Discours sur les sciences et les arts pourrait suggérer. Les
investigations de Rousseau sur la chimie, la botanique, la géographie ou encore
l’astronomie méritent d’être considérées. La zoologie, quant à elle, est notamment
présente dans la première partie du second Discours, consacrée à l’élaboration de l’état
de nature. Si l’animal en tant qu’objet d’étude scientifique est abordé, c’est uniquement
dans un souci anthropologique (Guichet 2003, 2006, 2011). Au contraire de Condillac,
Rousseau ne dédie pas de traité aux animaux, mais ces derniers peuplent ses réflexions
sur la nature de l’homme, prenant à tour de rôle la fonction de modèle ou de contre-
modèle (Guichet 2006). Les primates, quant à eux, ne retiennent pas l’attention du
philosophe sauf dans le cadre de la dixième note du second Discours. En effet, cette
dernière est consacrée aux pongos, nom générique donné aux grands primates au XVIIIe
siècle. Rousseau s’interroge sur ces êtres souvent qualifiés de monstres par les voyageurs
les ayant rencontrés : doivent-ils être considérés comme des animaux ou des hommes ? Si
le philosophe de Genève ne tranche pas la question, il propose un programme empirique
permettant d’y répondre à travers le critère distinguant l’homme des autres animaux, à
savoir la perfectibilité. Rousseau appelle de ses vœux une ethnologie de toutes les
sociétés, y compris celle potentielle des pongos, effectuée par des voyageurs-philosophes
suffisamment éclairés pour ne pas faire preuve d’ethnocentrisme.
3 La reconnaissance par Rousseau d’une potentielle société des Pongos, dont la lettre
capitale marquerait leur statut de peuple, sous-tend les articles sélectionnés pour ce
dossier. De manière générale, le concept d’état de nature et la dichotomie sous-jacente
entre nature et culture servent de fil conducteur au sein même de chaque article ainsi
qu’entre les différentes perspectives présentées dans ce dossier. Rappelons que Rousseau
consacre la première partie du second Discours à l’élaboration de l’état de nature. Ce
dernier est un état hypothétique issu d’une double réduction théologique et artificielle.
L’histoire biblique n’est pas considérée et l’homme est dépouillé de toutes les
modifications, accumulées dès les premières associations, qui empêchent de constater
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son essence même. Rousseau propose une histoire sans faits historiques, basée sur les
simples causes pour faire apparaître la nature même de l’homme et prouver que
l’inégalité ne saurait être naturelle (Goldschmidt 1974). C’est de cet état que l’homme
peut s’extirper puisqu’il est perfectible et libre, tandis que l’animal est condamné tant au
niveau individuel que collectif à une stabilité illustrant l’inertie de l’état de nature. Cette
vision de l’animal, très influencée par Buffon (Starobinski 1971 ; Guichet 2003, 2006,
2011), peut sembler contraster avec l’attitude du philosophe genevois face aux pongos. Ne
nous méprenons pas, Rousseau est un farouche opposant au transformisme naissant. Si
les pongos s’avéraient être humains, ils seraient certes phénoménalement proches de
l’animal mais leur appartenance au genre humain, déterminée par leur perfectibilité, les
distinguerait essentiellement des bêtes. A l’inverse, l’absence de perfectibilité les
ancrerait définitivement du côté des bêtes. Les contributions de ce dossier, que nous
allons brièvement exposer pour clore cette introduction générale, jouent donc toutes
Rousseau contre Rousseau. La brèche ouverte dans la note X, c’est-à-dire la potentielle
appartenance des pongos à l’humanité, est combinée avec notre connaissance actuelle des
grands primates non humains conduisant ainsi à reconsidérer la dichotomie entre nature
et culture. La sortie de l’état de nature ne concernerait dès lors pas seulement les
humains mais tous les primates. A cette conséquence a minima nous pouvons oser
ajouter une conclusion plus ambitieuse : l’extension inexorable de la culture à toute
espèce animale conduisant à une sortie définitive de la notion même d’état de nature
devenue inopérante. Si l’hypothèse rousseauiste de l’état de nature avait pour but de faire
apparaître l’essence même de l’homme, l’ethnologie qu’il appelle de ses vœux pourrait
conduire à prouver la fausseté d’une telle hypothèse et faire apparaître la nature même du
vivant comme culturel.
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pourrait considérer comme une « nature primate ». Changer l’état de nature en « nature
primate » a pour conséquence de contester la dichotomie entre nature et culture. Ainsi, le
propre de l’homme, notion historiquement mouvante, et sa prééminence dans l’échelle
des êtres sont contestés.
16 Les explications à tendance biologisante du comportement des chimpanzés semblent
dominer la littérature scientifique. S’appuyant sur une riche revue de la littérature
récente, Eliane Sebeika Rapchan analyse le degré d’autonomie et de dépendance du
comportement des chimpanzés face aux nécessités biologiques. Ainsi, la question de la
néoténie et sa relation avec l’apprentissage social (qui convoque également la question de
la vocalisation et des expressions faciales) dans une perspective évolutionnaire et
adaptative sont étudiés. En outre, chimpanzés et humains sont comparés, notamment sur
la base des expériences menées au sujet de la théorie de l’esprit mises en relation avec le
comportement social. Eliane Sebeika Rapchan en conclut que la culture est une
caractéristique humaine tout en soulignant qu’une telle affirmation ne doit pas être
doublée d’une interprétation métaphysique impliquant la supériorité de l’homme.
cobaye, Rachel vit désormais dans un centre canadien pour chimpanzés rescapés où
David Jaclin l’a rencontrée. Ce centre, tenu par Gloria Grow, directrice de la fondation
Fauna, ainsi que la vie quotidienne des pensionnaires sont décris. L’équipe du centre et
les chimpanzés sont l’exemple même d’une communauté « humanimale ». Le but n’est en
aucun cas de récréer un environnement "naturel". Des interactions nouvelles peuvent
ainsi émerger et constituent un matériel éthologique précieux dont l’intérêt n’est pas
cantonné à la primatologie.
21 Les primates non-humains de la fondation Fauna acquièrent dès lors une nouvelle
identité. Ces derniers cessent d’être les moyens d’atteindre une fin. David Jaclin souligne
à quel point les primates non-humains, et tout particulièrement les chimpanzés, ont servi
à l’avancement des sociétés humaines. Or, si l’apprentissage au contact des animaux est
une constante pour l’humanité, le monde occidental moderne a établi une véritable
exploitation des chimpanzés. En définitive, l’étude de ces chimpanzés au parcours de vie
atypique et de leurs relations avec les humains qui s’en occupent dans un quotidien
partagé tout à fait particulier permet de rendre compte de ce qu’est une existence animale
à partir de conditions de vie inédites.
Bibliographie
Bensaude-Vincent B, Bernardi B (2003). Rousseau et les sciences. Paris : L’Harmattan.
Cuvier G, Geoffroy Saint-Hilaire E (1795). Histoire naturelle des Orangs-outangs. Magasin
encyclopédique 1, (3), 451-453
Cuvier G, Geoffroy Saint-Hilaire E (1798). Mémoire sur les orangs-outans. Journal de Physique, de
Chimie et d’Histoire naturelle, III, 46, 185-191
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Goldschmidt V (1974). Anthropologie et politique, les principes du système de Rousseau. Paris :
Vrin.
Guichet JL (2006). Rousseau l’animal et l’homme. Paris : Cerf.
Guichet JL (2011). Problématiques animales. Paris : Presses universitaires de France.
Latour B (1993). We have never been modern. Cambridge, Mass: Harvard University Press.
Latour B (1996). On interobjectivity. Mind, Culture, and Activity 3, 228–245.
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Philosophie animale française, Hiver 2011(112), 67-91.
Rousseau JJ (1964). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. In
Œuvres complètes (Gagnebin B, Raymond M, Bouchardy F, Candaux JD, Derathé R, Fabre J,
Starobinski J, Stelling-Michaud S, éditeurs). Paris : Bibliothèque de la Pléiade.
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Grenoble : Millon.
Starobinski J (1971). Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle. Paris: Gallimard.
Tyson E (1699). Orang-Outang, sive Homo sylvestris, or, The Anatomy of a Pygmie compared
with that of a Monkey, an Ape, and a Man. To which is added a Philological Essay concerning the
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they are all either Apes or Monkeys, and not Men, as formaly pretended, London, Th. Bennet
Viveiros de Castro E (1998). Cosmological Deixis and Amerindian Perspectivism. The Journal of
the Royal Anthropological Institute 4, 469–488.
Notes
1 Remerciements : Nous tenons à remercier tous les contributeurs de ce dossier ainsi que tous les
relecteurs ayant accepté de donner de leur temps afin d’évaluer les articles. Nous remercions
particulièrement Dominique Lestel, qui nous a poussés à entreprendre l’élaboration de ce dossier,
ainsi que Sabrina Krief et Guy Germain qui nous ont assistés dans la coordination de ce dossier.
Auteurs
Thomas Robert
Université de Genève, Rue de Candolle 4, 1205 Genève, Suisse
Auteur pour la correspondance : thomas-robert@live.fr
Droits d’auteur
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