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11/04/2018 Primates et Sociétés : La sortie de l’état de nature

Revue de primatologie
4 | 2012 :
Varia
Dossier Primates et Sociétés : La sortie de l'état de nature
1

Primates et Sociétés : La sortie de


1
l’état de nature
Primates and Societies: Getting out of the State of Nature

T R G D B M

Résumés
Français English
Le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau constitue une occasion de rappeler ou
d’introduire ses idées fondamentales ainsi que de les appliquer à des domaines, comme celui de la
primatologie, qui peuvent, de prime abord, sembler bien loin des préoccupations du philosophe
genevois. Ainsi, le concept d’état de nature, élaboré dans la première partie du second Discours, et
la dichotomie sous-jacente entre nature et culture servent de fil conducteur au sein même de
chaque article ainsi qu’entre les différentes perspectives présentées dans ce dossier. Des études
historiques sont combinées à des investigations philosophiques actuelles afin de mettre en avant les
relations complexes que les primatologues entretiennent avec leur sujet d’étude. Si les perspectives
présentées peuvent diverger, toutes s’accordent sur la nécessité d’éviter anthropocentrisme et
ethnocentrisme dans la pratique de la primatologie.

Rousseau’s three centenary is a good opportunity to introduce his fundamental ideas and to apply
them to new domains, such as primatology. The concept of the state of nature, developed in the
first part of the second Discourse, and the dichotomy between nature and culture that it implies are
treated in the different contributions presented in this volume. Historical studies are combined
with philosophical investigations in order to emphasis the complex relations between
primatologists and their object of study. Even though the different perspectives may diverge from
each others, all the contributors insist on the necessity to avoid both anthropocentrism and
ethnocentrism in the context of primatology.

Entrées d’index
Mots-clés : anthropocentrisme, anthropomorphisme, état de nature, ethnocentrisme, primates,
Rousseau, sociétés
Keywords : anthropocentrism, anthropomorphism, ethnocentrism, primates, Rousseau, societies,
state of nature
Thématique : Ethnologie, Philosophie

Historique
https://journals.openedition.org/primatologie/995 1/9
11/04/2018 Primates et Sociétés : La sortie de l’état de nature

Soumis 30 septembre 2012. Accepté 2 octobre 2012

Texte intégral

1 Introduction
1 Le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) constitue une
occasion de rappeler ou d’introduire les idées fondamentales du philosophe genevois,
souvent caricaturé, que ce soit par ses propres contemporains ou, plus récemment, par
l’image véhiculée, par exemple, à travers de nombreux manuels scolaires, survolant une
œuvre riche et complexe. Ainsi, les mots de Voltaire répondant au Discours sur l’origine
et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (abrégé second Discours) dans une
lettre cinglante à Rousseau datée du 30 août 1755 nous viennent immédiatement à
l’esprit : « Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage ». De
même, nous ne pouvons nous empêcher d’évoquer ce réquisitoire maintes fois tenu
contre le philosophe de Genève : Rousseau a écrit Emile ou de l’éducation, mais ce
dernier a abandonné ses propres enfants… Bien entendu, toute caricature n’est pas
forcément négative. L’importance accordée au Contrat social et notamment au rôle de cet
ouvrage dans le contexte révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle en est l’illustration. En
définitive, Rousseau et son œuvre, trois cents ans après la naissance du philosophe, ont
des contours bien flous à force d’exagérations, positives ou négatives, dont ils ont été les
victimes. Les célébrations du tricentenaire peuvent et doivent donc participer à un effort
de clarification de la pensée du philosophe. Or, cette ambition que nous pourrions
qualifier d’historico-pédagogique peut se doubler d’une volonté d’application de certains
pans de la pensée rousseauiste au sein de débats actuels relevant de domaines plus ou
moins éloignés, de prime abord, des préoccupations du Citoyen de Genève. C’est dans
une telle perspective que s’inscrit ce dossier, articulé autour du concept d’état de nature.
2 L’intérêt de Rousseau pour les sciences et sa compétence dans plusieurs d’entre elles
n’est plus à démontrer (Bensaude-Vincent, Bernardi 2003), contrairement à ce qu’une
lecture trop hâtive du Discours sur les sciences et les arts pourrait suggérer. Les
investigations de Rousseau sur la chimie, la botanique, la géographie ou encore
l’astronomie méritent d’être considérées. La zoologie, quant à elle, est notamment
présente dans la première partie du second Discours, consacrée à l’élaboration de l’état
de nature. Si l’animal en tant qu’objet d’étude scientifique est abordé, c’est uniquement
dans un souci anthropologique (Guichet 2003, 2006, 2011). Au contraire de Condillac,
Rousseau ne dédie pas de traité aux animaux, mais ces derniers peuplent ses réflexions
sur la nature de l’homme, prenant à tour de rôle la fonction de modèle ou de contre-
modèle (Guichet 2006). Les primates, quant à eux, ne retiennent pas l’attention du
philosophe sauf dans le cadre de la dixième note du second Discours. En effet, cette
dernière est consacrée aux pongos, nom générique donné aux grands primates au XVIIIe
siècle. Rousseau s’interroge sur ces êtres souvent qualifiés de monstres par les voyageurs
les ayant rencontrés : doivent-ils être considérés comme des animaux ou des hommes ? Si
le philosophe de Genève ne tranche pas la question, il propose un programme empirique
permettant d’y répondre à travers le critère distinguant l’homme des autres animaux, à
savoir la perfectibilité. Rousseau appelle de ses vœux une ethnologie de toutes les
sociétés, y compris celle potentielle des pongos, effectuée par des voyageurs-philosophes
suffisamment éclairés pour ne pas faire preuve d’ethnocentrisme.
3 La reconnaissance par Rousseau d’une potentielle société des Pongos, dont la lettre
capitale marquerait leur statut de peuple, sous-tend les articles sélectionnés pour ce
dossier. De manière générale, le concept d’état de nature et la dichotomie sous-jacente
entre nature et culture servent de fil conducteur au sein même de chaque article ainsi
qu’entre les différentes perspectives présentées dans ce dossier. Rappelons que Rousseau
consacre la première partie du second Discours à l’élaboration de l’état de nature. Ce
dernier est un état hypothétique issu d’une double réduction théologique et artificielle.
L’histoire biblique n’est pas considérée et l’homme est dépouillé de toutes les
modifications, accumulées dès les premières associations, qui empêchent de constater

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son essence même. Rousseau propose une histoire sans faits historiques, basée sur les
simples causes pour faire apparaître la nature même de l’homme et prouver que
l’inégalité ne saurait être naturelle (Goldschmidt 1974). C’est de cet état que l’homme
peut s’extirper puisqu’il est perfectible et libre, tandis que l’animal est condamné tant au
niveau individuel que collectif à une stabilité illustrant l’inertie de l’état de nature. Cette
vision de l’animal, très influencée par Buffon (Starobinski 1971 ; Guichet 2003, 2006,
2011), peut sembler contraster avec l’attitude du philosophe genevois face aux pongos. Ne
nous méprenons pas, Rousseau est un farouche opposant au transformisme naissant. Si
les pongos s’avéraient être humains, ils seraient certes phénoménalement proches de
l’animal mais leur appartenance au genre humain, déterminée par leur perfectibilité, les
distinguerait essentiellement des bêtes. A l’inverse, l’absence de perfectibilité les
ancrerait définitivement du côté des bêtes. Les contributions de ce dossier, que nous
allons brièvement exposer pour clore cette introduction générale, jouent donc toutes
Rousseau contre Rousseau. La brèche ouverte dans la note X, c’est-à-dire la potentielle
appartenance des pongos à l’humanité, est combinée avec notre connaissance actuelle des
grands primates non humains conduisant ainsi à reconsidérer la dichotomie entre nature
et culture. La sortie de l’état de nature ne concernerait dès lors pas seulement les
humains mais tous les primates. A cette conséquence a minima nous pouvons oser
ajouter une conclusion plus ambitieuse : l’extension inexorable de la culture à toute
espèce animale conduisant à une sortie définitive de la notion même d’état de nature
devenue inopérante. Si l’hypothèse rousseauiste de l’état de nature avait pour but de faire
apparaître l’essence même de l’homme, l’ethnologie qu’il appelle de ses vœux pourrait
conduire à prouver la fausseté d’une telle hypothèse et faire apparaître la nature même du
vivant comme culturel.

2 Les pongos et les jockos sont-ils des


animaux ou des hommes ? L’épreuve de
l’incertitude, de Rousseau aux singes
parlants
4 Chris Herzfeld propose un parcours historique de la perception des grands primates du
XVe siècle à nos jours. En effet, dès le XVe siècle, les voyageurs rapportent l’existence de
créatures anthropomorphes dont l’éloignement géographique contribue à leur conférer
un statut quasi-mythologique. Aux confins du monde et de la création, les primates
trouvent leur place parmi les hybrides, les hommes sauvages, les monstres, les satyres, les
faunes et les ondins. Ce n’est qu’au XVIIe siècle, avec la capture et l’arrivée de quelques
primates en Europe, que commence une réelle investigation scientifique empirique. La
question posée est la même qui occupera Rousseau dans la note X du second Discours :
ces créatures sont-elles humaines ? La dissection d’un chimpanzé par Tyson mène à des
conclusions paradigmatiques : si les anthropoïdes sont anatomiquement similaires aux
hommes, ils diffèrent quant à leur spiritualité, essentiellement distincte de celle des
hommes.
5 Le siècle des Lumières voit quant à lui l’amorce d’un conflit entre perspective
discontinuiste et perspective continuiste. La question de la nature humaine sous-tend ce
vif débat. Chris Herzfeld souligne ainsi que le logos (raison et langage) constitue le critère
décisif déterminant l’appartenance ou non des pongos ou autres jockos au genre humain.
Les Encyclopédistes développent alors une vision continuiste et l’idée d’une communauté
essentielle du vivant. Il faut noter que bien que les bêtes soient considérées comme
porteuses de culture, les hommes demeurent toutefois toujours au sommet de l’échelle
des êtres. Cette perspective continuiste se retrouve dans la reconnaissance d’une
possibilité d’éducation des orangs-outans par le lord écossais Monboddo ou le fameux
auteur de L’homme machine, La Mettrie. Toute autre est la théorie de Rousseau, non pas
précisément en ce qui concerne les pongos, mais au sujet de l’animal en général. Ce
dernier est essentiellement distinct de l’homme. Discontinuiste, Rousseau participe à

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l’anthropologie cartésienne qui maintient une distinction radicale entre l’homme et


l’animal.
6 Les singes anthropomorphes menacent de conduire à une révision du statut
taxinomique de l’homme, ce qui pourrait, par extension, entraîner à la remise en question
de son statut métaphysique. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, suivant Camper,
contribuent à écarter cette menace en reléguant les anthropomorphes du côté des bêtes à
travers une classification mathématique basée sur le Beau idéal. L’inclinaison de l’angle
facial des anthropomorphes les démasquent et les écartent d’une humanité de laquelle ils
s’étaient trop approchés. Toutefois, au cours des siècles suivants et jusqu’à aujourd’hui,
l’application des critères d’observation prônés par Rousseau, pourtant discontinuiste, ont
ébranlé la dichotomie nature/culture prouvée mathématiquement par Cuvier et Geoffroy
Saint-Hilaire. Les singes anthropomorphes font preuve d’un devenir-humain analogue au
devenir-animal des enfants sauvages qui ont passionné le XVIIIe siècle. Chris Herzfeld
note toutefois que des différences persistent. Les grands primates non-humains ne
semblent pas avoir institué des règles conventionnelles transmises par éducation. Le
vivre-ensemble des grands primates non-humains diffère de celui des hommes tout
autant que de celui qui peut s’établir entre hommes et animaux non-humains.
7 L’analyse historique de Chris Herzelfd illustre combien ce qui est considéré comme
propre de l’homme est mouvant et jamais définitif. En définitive, une alternative au
continuisme drastique ou au discontinuisme dogmatique est proposée : une liaison entre
discontinuité humaine et continuité essentielle évitant tout anthropocentrisme par le
refus d’une supériorité humaine.

3 Rousseau et les Pongos


8 Thomas Robert se concentre sur l’analyse de la dixième note du second Discours de
Rousseau, consacrée aux Pongos. Les considérations sur ces derniers s’invitent dans la
première partie du second Discours dans laquelle le philosophe genevois élabore son
hypothèse de l’état de nature. Un Rousseau tout à fait conservateur sur la question de
l’animal transparaît des considérations sur l’état de nature. L’animal est une machine
ingénieuse, certes sensible et autonome, mais absolument incapable de progrès. La
perfectibilité et la liberté sont des caractéristiques purement humaines distinguant
toujours déjà essentiellement hommes et animaux malgré une similarité phénoménale
dans l’état de nature.
9 La note sur les Pongos cherche à déterminer l’appartenance ou non à l’humanité de ces
êtres souvent qualifiés de monstres. Pour Rousseau, si les Pongos ne sont assurément pas
des monstres, leur appartenance au genre humain n’est encore ni prouvée, ni infirmée.
Un seul critère peut permettre de trancher la question : la perfectibilité. Si les Pongos
sont capables de se perfectionner, ils sont assurément humains. Les voyageurs ayant
observé les Pongos ne sont pas des témoins suffisamment fiables. Trop bercés de préjugés
européens, ils ont été incapables de rendre compte des caractères essentiels de ces êtres.
Rousseau en appelle alors à l’élaboration, par des voyageurs-philosophes, d’une véritable
ethnologie de toutes les sociétés avérées ou potentielles.
10 Thomas Robert souligne deux points intéressants, pour l’éthologie en général et la
primatologie en particulier, tirés de cette note sur les Pongos. D’une part la question du
préjugé de l’observateur et d’autre part celle de la méthode prônée par Rousseau. En
définitive, l’argumentation du Citoyen de Genève, bien qu’anti-transformiste, est un
plaidoyer contre l’ethnocentrisme et l’anthropocentrisme.

4 Nature et culture entrelacées ou


redéfinies ? À propos des défis de la
primatologie culturelle et de
l’anthropologie socioculturelle.
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11 Gabriela Daly Bezerra de Melo propose d’explorer les points de contact entre
primatologie culturelle et anthropologie socioculturelle. Ces deux domaines attestent, par
leur existence même, de la remise en question de la dichotomie entre nature et culture.
La distinction de ces deux pôles comprend l’opposition entre l’inné et l’acquis, l’objet et le
sujet ou encore l’irrationnel et le rationnel. Avec les travaux de Latour, l’anthropologie
symétrique s’interroge sur le refus de la pensée occidentale moderne de concevoir
l’hybridation entre nature et culture autrement que comme des intermédiaires, vides de
sens, se situant entre ces deux pôles purs. Le renversement de la question, à savoir
comment l’hybridation a permis l’élaboration de ces deux pôles, est suggéré.
12 L’anthropologie sociocultutrelle s’est construite autour d’un anti-réductionnisme
doublé d’un anti-naturalisme. Le dualisme résulte nécessairement d’une telle perspective,
l’homme ne pouvant dès lors qu’être étudié à partir de l’homme et contre l’animal. A
l’inverse, les sciences naturelles se sont développées autour d’une ontologie naturaliste.
Au dualisme de l’anthropologie socioculturelle, discontinuiste, s’oppose donc le monisme
des sciences naturelles, continuiste. La primatologie culturelle relève de cette perspective
continuiste. Développée par des chercheurs japonais dès la seconde moitié du XXe siècle,
elle reste inconnue en occident jusque dans les années 1990. La primatologie culturelle
critique la sous-définition du concept de culture employé par l’anthropologie
socioculturelle. Gabriela Daly Bezerra de Melo relève deux constantes dans les définitions
de la culture par les anthropologues et les primatologues. Ceux-ci considèrent qu’elle peut
être réduite à des variations comportementales, tandis que ceux-là accordent une
importance capitale à la question du sens, de la signification (meaning). La définition des
primatologues débouche sur une culture surnaturalisée. A l’inverse, celle des
anthropologues conduit à une culture sur-socialisée. Là où les anthropologues sont
coupables d’anthropocentrisme, les primatologues sont incapables de rendre pleinement
compte du phénomène culturel animal.
13 A l’anthropocentrisme de l’anthropologie socioculturelle correspond l’ethnocentrisme
de la primatologie culturelle. En effet, toutes deux souscrivent, certes différemment, au
mythe de l’état de nature. L’anthropologie en conclut la dichotomie entre nature et
culture. La primatologie en tire la nécessité d’observer un animal pur, authentique,
dépourvu de toute influence induite par l’observateur. Gabriela Daly Bezerra de Melo fait
alors appel au travail de Viveiros de Castro sur l’animisme. Cette vision non occidentale,
au lieu de poser une continuité à travers une animalité commune, considère une
humanité originelle. A l’état de nature originel est substitué un état de culture originel. Le
statut de personne est accordé aux animaux, ces derniers se considérant eux-mêmes
comme des personnes. Cette subjectivité animale n’est pas inaccessible à la perspective
naturaliste occidentale dans le cas d’animaux suffisamment proches de l’homme d’un
point de vue phylogénique. Gabriela Daly Bezerra de Melo en conclut que la primatologie
culturelle peut suivre cette voie, à l’aide de l’anthropologie socioculturelle.

5 Etat de nature et vie sociale : réflexions


sur les êtres humains et les chimpanzés
14 Eliane Sebeika Rapchan analyse le débat concernant la dichotomie nature/culture en
évitant toute forme de déterminisme, qu’elle soit socioculturelle ou biologique. Ainsi, le
degré d’autonomie et de dépendance du comportement social des chimpanzés aux
nécessités biologiques est recherché. Une telle entreprise réclame de transcender les
frontières de l’anthropologie et de la primatologie afin d’éviter sociologisme et
biologisme.
15 L’état de nature rousseauiste a laissé place, à travers l’anthropologie socioculturelle, à
la reconnaissance de sociétés sans état. Ces dernières sont tout à fait complexes et
semblent pouvoir être étendues aux chimpanzés. Cette complexité a poussé de nombreux
chercheurs à parler de cultures pour décrire le comportement social des différents
groupes de chimpanzés. En s’appuyant sur Ingold, Eliane Sebeika Rapchan souligne que
la culture doit être symbolique et considère que les preuves penchent plus en faveur de la
reconnaissance de sociétés plutôt que de cultures de chimpanzés. Ces sociétés complexes,
sans état, peuvent permettre de substituer à l’état de nature rousseauiste ce que l’on
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pourrait considérer comme une « nature primate ». Changer l’état de nature en « nature
primate » a pour conséquence de contester la dichotomie entre nature et culture. Ainsi, le
propre de l’homme, notion historiquement mouvante, et sa prééminence dans l’échelle
des êtres sont contestés.
16 Les explications à tendance biologisante du comportement des chimpanzés semblent
dominer la littérature scientifique. S’appuyant sur une riche revue de la littérature
récente, Eliane Sebeika Rapchan analyse le degré d’autonomie et de dépendance du
comportement des chimpanzés face aux nécessités biologiques. Ainsi, la question de la
néoténie et sa relation avec l’apprentissage social (qui convoque également la question de
la vocalisation et des expressions faciales) dans une perspective évolutionnaire et
adaptative sont étudiés. En outre, chimpanzés et humains sont comparés, notamment sur
la base des expériences menées au sujet de la théorie de l’esprit mises en relation avec le
comportement social. Eliane Sebeika Rapchan en conclut que la culture est une
caractéristique humaine tout en soulignant qu’une telle affirmation ne doit pas être
doublée d’une interprétation métaphysique impliquant la supériorité de l’homme.

6 A la recherche de l’équilibre intra et


interspécifique
17 Cristina Acasuso Rivero se concentre sur les différences comportementales entre
humains et primates non-humains issues de la densité populationnelle. Dès
l’établissement des premiers groupes sociaux, des conflits n’ont pu manquer de survenir.
En effet, un groupe social implique un statut social pour chacun de ses individus. Ces
derniers doivent dès lors défendre ce statut, ce qui engendre une multiplicité
d’interactions possibles au sein même du groupe social. Plus le groupe s’élargit, plus les
interactions augmentent et se complexifient, nécessitant alors une organisation de plus
en plus structurée du groupe social. Cristina Acasuso Rivero introduit la notion de
pyramide sociale et expose la complexité de l’imbrication des sub-pyramides conduisant à
la construction de la super-pyramide sociale moderne.
18 L’extension des groupes sociaux humains a provoqué un déséquilibre dans la balance
tant intraspécifique qu’interspécifique. Cette transformation des relations a conduit à
l’adoption globale d’une perspective anthropocentriste. La dichotomie entre nature et
culture témoigne de cet anthropocentrisme. Ce dernier peut déboucher sur un manque
d’empathie pour les autres espèces, particulièrement celles distantes de l’homme d’un
point de vue phylogénique. La proximité phylogénique, si elle peut faciliter l’empathie,
peut également conduire à un sentiment de menace, l’homme cherchant dès lors,
nouvelle marque d’anthropocentrisme, à établir une distinction essentielle entre
l’humanité et les primates non-humains. Toutefois, tous les groupes sociaux humains ne
souscrivent pas à l’anthropocentrisme. Cristina Acasuso Rivero conclut son analyse en
exposant la perspective, non anthropocentriste, des Mayas-Lacandons qu’elle a elle-
même rencontrés au Mexique.

7 De l’inégalité parmi les chimpanzés :


Sexe, drogues et individuation
19 David Jaclin présente une ethnographie transpécifique basée sur le parcours de
certains primates non-humains ayant été utilisés par différentes industries
(divertissement, recherche pharmaceutique, etc.) et recueillis dans des sanctuaires
spécialement conçus pour les accueillir. La vie de ces primates non-humains met à mal
toutes les dichotomies : nature/culture, objet/sujet, bourreau/victime. Repensant ces vies
animales en s’appuyant sur ses précédents travaux ainsi que sur ceux de Simondon et de
Massumi, David Jaclin propose une autre voie pour rendre compte de la vie
« humanimale » partagée.
20 La vie de Rachel, une femelle chimpanzé de 30 ans, est un exemple paradigmatique de
ces parcours atypiques de primates non-humains. D’abord animal de compagnie, puis
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cobaye, Rachel vit désormais dans un centre canadien pour chimpanzés rescapés où
David Jaclin l’a rencontrée. Ce centre, tenu par Gloria Grow, directrice de la fondation
Fauna, ainsi que la vie quotidienne des pensionnaires sont décris. L’équipe du centre et
les chimpanzés sont l’exemple même d’une communauté « humanimale ». Le but n’est en
aucun cas de récréer un environnement "naturel". Des interactions nouvelles peuvent
ainsi émerger et constituent un matériel éthologique précieux dont l’intérêt n’est pas
cantonné à la primatologie.
21 Les primates non-humains de la fondation Fauna acquièrent dès lors une nouvelle
identité. Ces derniers cessent d’être les moyens d’atteindre une fin. David Jaclin souligne
à quel point les primates non-humains, et tout particulièrement les chimpanzés, ont servi
à l’avancement des sociétés humaines. Or, si l’apprentissage au contact des animaux est
une constante pour l’humanité, le monde occidental moderne a établi une véritable
exploitation des chimpanzés. En définitive, l’étude de ces chimpanzés au parcours de vie
atypique et de leurs relations avec les humains qui s’en occupent dans un quotidien
partagé tout à fait particulier permet de rendre compte de ce qu’est une existence animale
à partir de conditions de vie inédites.

8 Portrait du philosophe en forme de


singe
22 Dominique Lestel étudie la position particulière du primatologue, primate observant
d’autres primates, et souligne que ce dernier « s’occupe des primates comme s’il ne s’en
occupait pas ». La primatologie se constitue contre l’anthropologie, ce qui représente le
problème fondamental de cette discipline. En effet, l’opposition, qui sous-tend une
dichotomie entre nature et culture, entre biologie et sciences sociales, n’a pas lieu d’être.
Elle est le résultat de l’adoption du paradigme réaliste-cartésien par la grande majorité
des primatologues. A l’objectivisme qui sous-tend le paradigme réaliste-cartésien, dont il
explique les caractéristiques principales, Dominique Lestel oppose une approche bi-
constructiviste pour laquelle le monde n’est pas découvert mais inventé à travers nos
activités. La compréhension de l’animal ne peut dès lors pas être épuisée à travers la
découverte de procédures causales et mécanistes. Afin de comprendre l’animal,
l’éthologue doit inventer des façons de comprendre comment l’animal construit son
propre monde et lui donne un sens. L’opposition est radicale : à une éthologie
ethnocentrée souscrivant à la thèse de l’animal-machine se substitue une éthologie
considérant l’animal comme sujet, voire comme personne et dont l’anthropomorphisme
est assumé.
23 Le désintérêt du primatologue, enfermé dans le paradigme réaliste-cartésien, pour le
primate provient du fait que celui-là s’intéresse non pas à celui-ci comme individu mais
comme porteur de fonctions. L’établissement de relations entre le primatologue et les
primates qu’il étudie est totalement proscrit. Une des causes possibles de ce désintérêt est
peut-être la recherche biomédicale. Dominique Lestel évoque à ce sujet la nécessité
d’établir une éthique de la réciprocité. En définitive, « le primatologue est un être asocial
par profession ». Prisonnier du paradigme réaliste-cartésien, il refuse le statut de
partenaire aux êtres sur lesquels il travaille et réaffirme le propre de l’homme. Dominique
Lestel conclut que la primatologie doit se réinventer en abandonnant tout scientisme et
en se constituant non plus comme une branche de la biologie mais comme une nouvelle
discipline des sciences sociales.

Bibliographie
Bensaude-Vincent B, Bernardi B (2003). Rousseau et les sciences. Paris : L’Harmattan.
Cuvier G, Geoffroy Saint-Hilaire E (1795). Histoire naturelle des Orangs-outangs. Magasin
encyclopédique 1, (3), 451-453
Cuvier G, Geoffroy Saint-Hilaire E (1798). Mémoire sur les orangs-outans. Journal de Physique, de
Chimie et d’Histoire naturelle, III, 46, 185-191

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Goldschmidt V (1974). Anthropologie et politique, les principes du système de Rousseau. Paris :
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Guichet JL (2006). Rousseau l’animal et l’homme. Paris : Cerf.
Guichet JL (2011). Problématiques animales. Paris : Presses universitaires de France.
Latour B (1993). We have never been modern. Cambridge, Mass: Harvard University Press.
Latour B (1996). On interobjectivity. Mind, Culture, and Activity 3, 228–245.
Massumi B (2011). Ceci n’est pas une morsure. Animalité et abstraction chez Deleuze et Guatarri.
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Rousseau JJ (1964). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. In
Œuvres complètes (Gagnebin B, Raymond M, Bouchardy F, Candaux JD, Derathé R, Fabre J,
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Starobinski J (1971). Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle. Paris: Gallimard.
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with that of a Monkey, an Ape, and a Man. To which is added a Philological Essay concerning the
Pygmies, the Cynocephali, the Satyrs and Sphinges of the Ancients. Wherein it will appears that
they are all either Apes or Monkeys, and not Men, as formaly pretended, London, Th. Bennet
Viveiros de Castro E (1998). Cosmological Deixis and Amerindian Perspectivism. The Journal of
the Royal Anthropological Institute 4, 469–488.

Notes
1 Remerciements : Nous tenons à remercier tous les contributeurs de ce dossier ainsi que tous les
relecteurs ayant accepté de donner de leur temps afin d’évaluer les articles. Nous remercions
particulièrement Dominique Lestel, qui nous a poussés à entreprendre l’élaboration de ce dossier,
ainsi que Sabrina Krief et Guy Germain qui nous ont assistés dans la coordination de ce dossier.

Pour citer cet article


Référence électronique
Thomas Robert et Gabriela Daly Bezerra de Melo, « Primates et Sociétés : La sortie de l’état de
nature », Revue de primatologie [En ligne], 4 | 2012, document 1, mis en ligne le 15 décembre
2012, consulté le 11 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/primatologie/995 ; DOI :
10.4000/primatologie.995

Auteurs
Thomas Robert
Université de Genève, Rue de Candolle 4, 1205 Genève, Suisse
Auteur pour la correspondance : thomas-robert@live.fr

Articles du même auteur


Rousseau et les Pongos [Texte intégral]
Article 3
Paru dans Revue de primatologie, 4 | 2012
Gabriela Daly Bezerra de Melo
École Normale Supérieure, Universität Bielefeld, 29 Rue d’Ulm, 75005 Paris, France
gabrieladaly@yahoo.dk

Articles du même auteur


Nature and culture intertwined or redefined? On the challenges of cultural primatology
and sociocultural anthropology [Texte intégral]
Article 4
Paru dans Revue de primatologie, 4 | 2012

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11/04/2018 Primates et Sociétés : La sortie de l’état de nature
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