Вы находитесь на странице: 1из 17

Fondation Jean Piaget

CHAPITRE III

Quelques aspects
du développement des structures
Chapitre extrait de
L'équilibration des structures cognitives sensori-motrices
Problème central du développement.
Etudes d'épistémologie génétique perceptives et spatiales
Volume XXXIII
(Version originale : Presses Universitaires de France 1975)
Version électronique réalisée sous l'égide de la
Fondation Jean Piaget
pour recherches psychologiques et épistémologiques. § 15 | CONSTRUCTIONS, RÉGULATIONS ET COMPENSATIONS.
La pagination correspond à l'édition originale. – Dans la belle publication posthume de K. Bühler, qu'a fait
paraître l'Académie autrichienne des Sciences, le grand psy-
chologue allemand explique entre autres pourquoi la théorie
de la Gestalt ne lui suffit pas pour suppléer aux lacunes de
l'associationnisme : c'est, nous dit-il, parce que le propre de la
vie mentale n'est pas d'atteindre l'équilibre, mais bien de créer
sans cesse de nouvelles relations et de nouveaux instruments
de pensée. Si l'on conçoit l'équilibre à la manière gestaltiste,
comme la résultante des facteurs constitutifs d'un « champ »
au sens physique du terme, il est clair qu'il est difficile de
concilier de tels modèles limités avec la créativité propre à la
vie de l'esprit, puisque alors la structure de Gestalt demeure la
même à tous les niveaux de développement. Mais, d'autre
part, invoquer sans plus un pouvoir de construction ne sau-
rait satisfaire tant que l'on ne fournit pas les raisons de cette
productivité. Aussi bien la solution que nous avons sans
cesse poursuivie en nos travaux et dont nous espérons nous
être rapprochés en cet ouvrage consiste-t-elle à recourir,
non pas à des formes prédéterminées d'équilibre, mais à des
processus successifs d'équilibration « majorante » (§ 6) entre-
84 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 85

coupés de déséquilibres, de telle sorte que le passage de ceux- cela jusqu'à la constitution d'une nouvelle structure équilibrée
ci ou des formes imparfaites d'équilibre à des formes et au déroulement ultérieur de processus analogues. Quant au
« meilleures » suppose à chaque étape l'intervention de cons- schème considéré comme initial, ou bien il serait acquis et
tructions nouvelles, mais elles-mêmes déterminées par les proviendrait donc lui-même d'un développement semblable
exigences des compensations et des rééquilibrations : en un mais antérieur, ou bien il serait inné et constituerait alors le
tel modèle l'équilibre et la créativité ne sont donc plus anta- produit de régulations ou compensations de nature organique.
gonistes, mais étroitement interdépendantes. Avant de chercher à justifier cette conception, notons en-
Dans les pages qui précèdent, l'aspect de constructivité est core qu'elle représente une synthèse possible du structura-
exprimé par le fonctionnement des interactions de types I et lisme génétique dont tous nos travaux antérieurs sont l'ex-
II (§ 9 à 12), tandis que les diverses formes d'équilibre cor- pression, et du fonctionnalisme en jeu dans l'oeuvre de J.
respondent aux conduites α à γ (§ 13), qui répondent, par Dewey, dans celle de E. Claparède et à bien des égards dans
leurs réactions compensatrices, aux perturbations (ou dés- la psychanalyse freudienne. Selon la perspective fonctionna-
équilibres) s'opposant à ces constructions. Mais pour que liste, en effet, toute activité mentale, et en particulier cogni-
cette conciliation ne demeure pas verbale, il nous reste à tive, procède d'une tendance à satisfaire un besoin, celui-ci
montrer dans les faits que les mises en relation progressives consistant lui-même en un déséquilibre momentané et sa sa-
entre les observables et les nouvelles coordinations qui en tisfaction en une rééquilibration. Le besoin se traduit, par
résultent paliers par paliers exigent toutes deux, et de façon ailleurs, sous la forme d' « intérêts » et cela selon deux aspects
nécessaire, les compensations multiples mais graduelles dont indissociables : d'une part, l'intérêt est une relation entre les
nous faisons l'hypothèse. En d'autres termes, ce qu'il s'agit besoins du sujet et les caractères de l'objet, celui-ci devenant
d'établir maintenant, c'est la correspondance obligée entre les « intéressant » dans la mesure où il répond aux besoins (com-
divers types de mise en relation des observables ou les diver- pensation) ; d'autre part, l'intérêt est, disait Claparède, un dy-
ses variétés de coordinations constructives (en tant qu'infé- namogénisateur qui libère les énergies du sujet et anime l'ac-
rentielles) et les multiples formes de compensations. tion dans la direction de l'objet, ce qui constitue une régula-
L'interprétation que nous allons développer en prolonge- tion à feedback positifs qui rappelle de près les notions de
ment des hypothèses du chapitre I revient donc à admettre « cathexis » et de « charges » énergétiques du freudisme.
que si toute construction, et à tous les niveaux, tend à parve- Or, dans l'interprétation que nous défendons quant aux
nir à une forme d'équilibre que l'on peut considérer comme connexions entre toute construction cognitive et les perturba-
interne par rapport au système construit, c'est que, dès le dé- tions extérieures avec les réactions compensatrices qui en résul-
part, cette construction joue un rôle de compensation par tent (et dont c'est le rôle de la construction que de les engen-
rapport à certaines perturbations, un tel rôle pouvant être vé- drer), il va de soi qu'une place essentielle doit être réservée au
rifié par l'analyse des régulations intervenant au cours de la besoin et par conséquent aux intérêts. D'une part, en effet, l'in-
construction. En d'autres termes, le processus général que l'on térêt est l'aspect motivationnel ou de valeur de tout schème
retrouverait sans exceptions débuterait en chaque cas par d'assimilation, un objet étant intéressant pour ce schème dans
l'exercice d'un schème initial d'assimilation dont l'activation se la mesure où il peut l'alimenter (dans ses études sur l'Attention-
trouverait tôt ou tard entravée par des perturbations   : les cathexis, le meilleur théoricien de la psychanalyse, D. Rapaport
compensations qui en résulteraient se traduiraient alors par a lui-même insisté sur la parenté, qui lui paraissait claire, entre
une nouvelle construction, dont les régulations caractérisant la cathexis et notre notion d'une alimentation des schèmes
ses phases seraient donc à la fois compensatrices, eu égard à la d'assimilation). D'autre part, le besoin est alors l'expression
perturbation (en impliquant ainsi la formation au moins vir- du non-fonctionnement momentané d'un schème et, du point
tuelle de négations) et formatrices par rapport à la construction, et de vue cognitif, il correspond ainsi à une lacune ou à un déficit,
86 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 87

c'est-à-dire à l'aspect négatif des perturbations. En un mot les lacunes (besoin momentané non satisfait, faute de tétée ac-
concepts de déséquilibre et de rééquilibration assurent, tuelle, etc.) (1). En une seconde phase, qui fait la transition en-
comme déjà suggéré au § 5, la possibilité d'une soudure entre tre la précédente et la troisième, la perturbation est liée à ce
les points de vue fonctionnalistes et celui qui est propre à no- que l'on peut appeler les distances spatio-temporelles entre
tre structuralisme génétique. l'objet assimilable et le sujet : par exemple l'objet regardé sort
du champ visuel, ou une modification d'ensemble du champ
§ 16 | LES REGULATIONS SENSORI-MOTRICES. – Pour analy- perceptif fait succéder un nouveau tableau global à celui au
ser les régulations intervenant dans l'enregistrement des ob- sein duquel l'assimilation était en exercice. Enfin, en une troi-
servables et dans leurs mises en relation (voir les Obs. S et O sième phase seulement, et qui est assez tardive (vers le stade
dans les interactions de type II, § 10-12), et pour vérifier IV de nos six stades sensori-moteurs) (2), la perturbation tient
qu'elles orientent bien dans le sens des compensations les à un objet ou à un événement bien délimités et manipulables.
constructions qui leur sont soumises, il est indispensable de Il est donc essentiel de se rappeler cette évolution des pertur-
remonter aux niveaux sensori-moteurs. En effet, en un grand bations elles-mêmes pour pouvoir juger de la nature des régu-
nombre de cas observés en détail, on constate que le sujet lations compensatrices, puisque ce n'est qu'avec la troisième
réussit, au moyen de ses actions elles-mêmes en leur aspect de ces phases que nous retrouverons des situations compara-
simplement pratique et sensori-moteur, à construire certaines bles, du point de vue de la signification des perturbations et
relations et à obtenir certains résultats ou performances, sans compensations, à celles qui ont été analysées dans la Partie I
prendre conscience des moyens qu'il a employés. Rappelons à de cet ouvrage.
cet égard que la prise de conscience ne se borne nullement à Un second fait fondamental domine tout le développement
éclairer les mécanismes de l'action sans leur ajouter rien de des conduites sensori-motrices. Si l'on cherche à les traduire en
plus que cette lumière à elle seule : elle consiste au contraire à termes des interactions de types IIA à C (§ 10-12), on constate
les intérioriser sous forme de représentations, c'est-à-dire à qu'au cours des premiers stades (et précisément aux niveaux où
les interpréter au moyen d'une conceptualisation qui peut être les perturbations restent de types primitifs), les observables
plus ou moins adéquate. Ce que nous avons appelé « obser- enregistrés sur les objets (Obs. O) et sur l'action propre (Obs. S)
vables » (dans les interactions de type II) étant relatif à cette demeurent essentiellement indifférenciés. Par exemple, le nour-
conceptualisation, un problème préalable se pose donc qui risson, avant de considérer ses mains comme des organes dé-
est d'établir ce que sont les régulations proprement sensori- pendant de lui ou de ses intentions et appartenant à un système
motrices : il s'agit d'établir si leurs mécanismes sont analo- bien délimité qui constitue le corps propre, les regarde comme
gues à ceux des paliers supérieurs, mais avec une avance dans des tableaux étrangers parcourant le champ visuel et peut
leur formation en raison de leur caractère plus élémentaire, même en être effrayé quand ces objets non dirigés viennent
ou s'ils constituent des processus orientés de façon diffé- toucher par hasard son visage. Ou lorsqu'il amène un solide à
rente. sa bouche pour le sucer, il ne possède encore aucune con-
naissance de cette bouche ni de sa tête, sinon par voies tactilo-
1° Relevons d'abord le fait que les schèmes d'assimilation
initiaux sont à la fois innés, peu nombreux et très généraux (1) Mais dès ce niveau on observe des compensations par exemple la suc-
quant aux domaines assimilables : sucer (schème qui déborde- cion à vide rappelant les Leerlauf que K. Lorenz a signalés pour tant d'instincts
ra rapidement les frontières de la seule tétée), regarder, écouter chez l'animal.
(2) Voir La naissance de l'intelligence chez l'enfant et La construction du réel chez
et toucher (avec le réflexe palmaire et une activation ultérieure l'enfant. Le stade I est celui des réflexes et des mouvements spontanés ; le
de plus en plus étendue jusqu'à la préhension intentionnelle). stade II celui des premières habitudes ; le stade III celui des réactions circulai-
Il en résulte que les perturbations pouvant faire obstacle res secondaires ; le stade IV celui de la coordination des moyens et des buts ;
le stade V, celui de la découverte des moyens nouveaux et le stade VI celui des
à l'exercice de ces schèmes consisteront d'abord en simples inventions par compréhension soudaine.
88 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 89

kinesthésique ou gustative, et il ne se représente en rien le tandis qu'au stade I ne s'observe aucune coordination entre
trajet spatio-temporel selon lequel l'objet est rapproché de la schèmes ou actions.
bouche. Il n'existe donc, aux niveaux initiaux du développe-
ment sensori-moteur, que des observables globaux, que nous 2° En d'autres termes, avant que puissent se constituer des
pouvons appeler Obs. OS, qui ne sont pas des observables processus conformes au modèle général IIA du § 10 (sous
relatifs aux objets, puisque ceux-ci ne sont pas dissociés des 6°) les débuts de cette équilibration ne présentent que la
propriétés qui les relient au corps propre (= objet à sucer, forme suivante :
etc.), ni relatifs aux actions du sujet puisque celui-ci ne les
connaît pas comme telles, n'en perçoit pas le détail et ignore
tout de son moi ainsi que de son corps en tant que propre.
Pour tout dire, en effet, il ne constitue pas encore un sujet,
pas plus qu'il ne conçoit des objets en tant que permanents,
localisables, etc.(1)
Il va de soi, a fortiori, qu'il ne saurait alors exister, aux dé-
buts de différenciation permettant de distinguer les coordina-
tions entre actions (Coord. S) et entre objets (Coord. O). La
première raison en est que les coordinations causales entre Le passage de ces réactions initiales à celles des interac-
tions de type IIA (avec tous les intermédiaires que l'on pour-
objets apparaissent nettement plus tard qu'entre les actions du
sujet et les objets : c'est même là un des enseignements déci- rait distinguer dans le détail) correspond ainsi à une trans-
sifs de la période sensori-motrice, et la causalité perceptive formation d'ensemble assez radicale sur laquelle nous avons
souvent insisté et que nous avons comparé à une sorte de
visuelle de Michotte n'y change rien, car elle s'appuie sur la
causalité tactio-kinesthésique qui tient aux actions du sujet. En révolution copernicienne durant les premiers mois de l'exis-
tence, l'univers du nourrisson ne consiste qu'en tableaux
second lieu, si les coordinations reliant des objets et des ac- mouvants, sans objets permanents ni causalité entre objets, et
tions du sujet apparaissent donc antérieurement à ces Coord. O
proprement dites, elles n'utilisent d'abord que des Obs. OS, entièrement centrés sur le corps et l'action propres, mais sans
que le sujet s'en doute puisque avant les coordinations Coord.
avant que le sujet réussisse à régler dans le détail ses propres S3 il n'y a même pas de sujet différencié ; au cours de la se-
actions (ce qui permet alors éventuellement un début de prise
de conscience, dans la mesure où ce réglage suppose des choix conde année au contraire, le corps et l'action propres sont
situés dans l'espace-temps d'un univers cohérent, à titre d'ob-
ou une certaine « vigilance »). Mais, en troisième lieu, ces co- jet permanent et de centre de causalité, tous deux parmi les
ordinations fondées sur des Obs. OS (et qui ne consistent
d'abord qu'en assimilations réciproques entre schèmes) ne autres. Or, ce renversement total des perspectives, conduisant
d'un égocentrisme si radical qu'il s'ignore totalement à un sys-
sont elles-mêmes pas immédiates et ne débutent qu'à un stade
II au cours duquel se forment les premières habitudes acquises, tème décentré de transformations solidaires et intelligibles,
tient d'abord à la différenciation des observables OS en obser-
(1) Il est à noter que nous classons les schèmes dans les « observables », au vables de l'action elle-même (Obs. S) et des objets (Obs. O), et
sens du § 8 et non pas dans les « coordinations », puisque celles-ci reposent par conséquent à la constitution des coordinations différen-
sur des inférences considérées comme nécessaires, tandis qu'un schème parti-
culier, tout en demeurant inconscient en tant que schème, se manifeste par les ciées (Coord. S et Coord. O) que cette différenciation rend pos-
analogies que perçoit le sujet lorsqu'il lui assimile un objet. Quant à ce que sible. Le problème est alors, et on voit qu'il était indispensa-
nous appellerons dans la suite des coordinations entre schèmes, elles consti-
tuent la forme la plus élémentaire des coordinations car, tout en ne débutant ble de commencer par là, d'établir si cette vaste construction,
que par des inférences inductives (par exemple un observable sonore permet- dont la portée est considérable pour le développement ultérieur
tant d'escompter la présence d'un observable visuel), elles font intervenir un des fonctions cognitives en leur ensemble, tient déjà elle aussi
lien causal sitôt que la préhension intervient.
90 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 91

à des processus d'équilibration par compensations, et si les Il reste le cas des acquisitions par conditionnement. Or,
régulations en jeu sont significatives à cet égard. Or, il y a là on sait qu'elles soulèvent un joli problème d'équilibre puis-
un premier exemple, et très significatif, d'équilibre général qu'une conduite conditionnée n'est stable qu'à la condition
entre la différenciation des sous-systèmes des schèmes ou de de la « confirmer » périodiquement en présentant à nouveau
ceux-ci chacun à part et l'intégration d'ensemble qui les com- l'excitant absolu à la suite du stimulus conditionnel. Il est
pense et aboutit à la décentration rappelée à l'instant. Mais il donc clair que la soi-disant « association » invoquée par les
reste à examiner le détail des régulations en jeu, d'abord in- auteurs est en fait une assimilation conférant une significa-
dépendantes, puis intérieures à cette intégration globale. tion au signal en l'incorporant dans le schème, dont dépen-
dent le besoin et la satisfaction, et que le propre de la régula-
3° Or, dès le niveau des schèmes innés on voit se consti- tion s'effectuant au cours du dressage consiste à répartir
tuer certaines régulations. En ce qui concerne par exemple la cette satisfaction (donc l'alimentation du schème) en deux
succion il est facile de constater qu'elle est plus assurée après
étapes, grâce à un remplacement momentané de la nourri-
quelques jours qu'au début et surtout que le nourrisson re- ture par son indice annonciateur : en ce cas la perturbation
trouve plus facilement le mamelon s'il a été lâché par hasard : par lacune, ou modification de la distance spatio-temporelle
en ce cas les mouvements tendant à le retrouver s'orientent
(voir sous 10), est compensée par un remplacement ou modi-
en sens inverse de celui qui l'a éloigné de la bouche de l'en- fication de sens contraire (substitution). Dans les interpréta-
fant, ou décrivent des allées et venues d'amplitude décrois- tions actuelles, le signal constituerait même plus qu'un indice
sante. Il y a donc là une régulation motrice assurant une
de nourriture : il serait directement assimilé comme un as-
compensation de type α (pour faibles perturbations : § 13 pect ou une partie du tout initial « nourriture + signal » par
sous 2°). De même, pour l'action de regarder, si un objet fixé une sorte de remplacement pur et simple du stimulus absolu
par le sujet se déplace en périphérie du champ visuel, un léger par le conditionné.
mouvement de la tête et des yeux déplace ce champ jusqu'à
ce que l'objet se retrouve en son centre (même compensation 4° Le problème principal que soulève le niveau suivant est
de type α). celui de la coordination entre schèmes. Les formes les plus
Quant aux premières habitudes (acquises par réactions cir- précoces sont celles qui relient la vision et l'audition (regarder
culaires primaires), qui constituent en fait les constructions dans la direction d'un son pour trouver le tableau visuel cor-
nouvelles (en tant qu'acquises) les plus élémentaires, elles con- respondant), puis la succion et la préhension (amener à la
sistent en de nouvelles actions, mais intégrées en des schèmes bouche ce qui est saisi en dehors du champ visuel). La plus
innés à titre de prolongement de ceux-ci : sucer son pouce par importante (vers 4-5 mois) coordonne la vision et la préhen-
adduction systématique et non plus par hasard, retrouver du sion (saisir ce qui est vu, conduire devant les yeux ce qui est
regard un objet sorti du champ visuel (extension du réflexe atteint sans le secours de la vision et regarder dans la direc-
oculo-céphalogyre), etc. A ne considérer que leur état achevé tion d'une main que l'on retient). Il y a là une assimilation ré-
et consolidé, les compensations qu'elles assurent ne revien- ciproque de schèmes différents et l'explication en est simple :
draient qu'à satisfaire des besoins momentanés, mais à exami- puisque les situations sont fréquentes où un même objet peut
ner les régulations qui président à la formation de telles habi- être à la fois vu et entendu, sucé et touché, ou vu près de,
tudes, on constate que les réactions de début consistent à ra- puis dans la main qui l'a heurté sans le chercher, ces intersec-
mener le pouce dans la bouche quand il vient d'en sortir après tions de schèmes produisent ou laissent alors une lacune
une rencontre fortuite, à prolonger le mouvement réflexe lorsque l'un des deux est activé sans l'autre, c'est-à-dire qu'un
quand l'objet suivi par le regard vient de lui échapper, etc. ; or, objet entendu sans être vu demande à être regardé, etc. (et
ce sont là à nouveau des compensations de type α, mais que dans la suite un objet regardé et saisi sera secoué pour établir
les progrès de la régulation étendent ensuite en amplitude. s'il produit un son). Or, du point de vue des régulations par
92 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 93

tâtonnements qu'il est facile de suivre durant l'acquisition de tient à une théorie un fait inattendu est perturbateur, tandis
ces coordinations (et qui interviennent probablement dès la que pour un autre, dont le but est de la réviser, le même
maturation des connexions nerveuses rendant possibles les contre-exemple est immédiatement assimilable. Or, rappe-
assimilations réciproques), le processus est le suivant : en par- lons-nous deux aspects fondamentaux des débuts de la pé-
tant de la situation d'intersection où les objets considérés pré- riode sensori-motrice. Le premier est le caractère très général
sentent à la fois les propriétés x et y, la situation contraire où des schèmes utilisés : lors de la coordination de la vision et de
les objets sont x sans y ou y sans x est caractérisée par une la préhension, l'essentiel est moins de saisir l'objet que d'exer-
distance spatio-temporelle entre x et y (= sorti du champ vi- cer sur lui les pouvoirs de la main, tels que de le déplacer, le
suel tout en étant entendu, ou à distance des mains tout en rapprocher, etc., et, si la main le fait balancer, cette extension
étant regardé, etc.), et la perturbation constituée par cet éloi- des pouvoirs n'est pas une perturbation mais une généralisa-
gnement est compensée par un mouvement de sens contraire tion inattendue. En second lieu, il n'y a pas encore, à ces ni-
qui relie x et y (compensations qui sont encore de type α   : § veaux élémentaires, de différenciation ou de frontière entre le
13 sous 20). monde des objets (faute de permanence substantielle) et celui
Ces coordinations constituent ainsi la source de nouveaux des actions ou des pouvoirs du moi (faut précisément d'un
schèmes xy en plus des schèmes de caractères x ou y. Il en ré- « moi »). Le balancement de l'objet suspendu n'est donc en-
sulte alors la possibilité des réactions circulaires secondaires qui core qu'un Obs. SO, c'est-à-dire un pouvoir indifférencié, qui
vont en engendrer bien d'autres par différenciation à partir de est à la fois celui de l'objet et celui du sujet. Il est donc très
ces schèmes multiplicatifs xy. Par exemple le sujet, cherchant à normal que la régulation déclenchée par cet événement tende
saisir un objet suspendu, le heurte sans l'entourer de sa main et, à le reproduire ou à le conserver (feedback positifs) et non
s'intéressant en ce cas au spectacle inattendu provoqué par ha- pas à l'annuler en tant que perturbation   : ne nous hâtons
sard s'applique à le retrouver par une assimilation reproductrice donc pas de conclure à l'apparition précoce d'une compensa-
consistant en fait en une suite de régulations ou corrections tion par intégration (conduite β du § 13) puisque, dans le pré-
jusqu'à stabilisation du succès. Or, du point de vue de l'équili- sent cas il n'y a pas eu de conduite antérieure d'annulation,
bre et des relations entre perturbations et compensations, il y a ensuite seulement suivie d'intégration, et bornons-nous à y
là un paradoxe : le fait nouveau, qui est le balancement de l'ob- voir une conduite de transition résultant des coordinations de
jet, représente sans doute au moins pendant un court instant schèmes et annonçant les réactions circulaires tertiaires qui,
une perturbation par rapport à l'intention du sujet, qui était de elles, sont de type β.
le saisir simplement ; néanmoins, il y a aussitôt transfert d'inté-
rêt par substitution et la perturbation supposée semble immé- 5° Pour ce qui est du niveau des différenciations et co-
diatement intégrée, par une conduite annonçant le type β (§ 13) ordinations entre moyens et buts (stade IV), rappelons les
au schème général consistant à déplacer les objets au moyen de premiers exemples observés dans nos études antérieures :
la main, et devient constitutive d'un sous-schème différencié. Il enlever un coussin qui gêne le mouvement de la main pour
y a donc là un problème qui est celui de l'intérêt immédiat s'at- atteindre un objet ou mettre la main d'un adulte dans la
tachant à l'événement perturbateur et le transformant en un direction de l'objet trop éloigné pour l'enfant. Il est alors
but fortement désiré (qu'on se rappelle le fils de Preyer soule- clair que la première de ces conduites consiste à compenser
vant 119 fois de suite le couvercle d'une boîte pour le laisser une perturbation en écartant l'objet perturbateur, tandis
retomber alors qu'il s'agissait apparemment aussi d'une pertur- que, dans la seconde, le sujet utilise la main d'un adulte
bation initiale). pour compenser par le mouvement qu'elle fera une dis-
La solution de cette question consiste naturellement à tance spatio-temporelle perturbant la préhension directe. Il
nous rappeler le caractère relatif de la notion de perturbation est à noter que dans le premier de ces deux cas, nous
et cela encore aux stades les plus évolués : pour un savant qui sommes en présence d'un début des négations construites
94 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 95

par le sujet, tandis que dans le second il s'agit encore de celles paraît solidaire d'un changement total du tableau d'ensemble :
qui sont imposées par l'objet. en cette perspective le sujet ne sait quoi compenser et re-
Quant à la permanence de l'objet, qui se constitue peu nonce. Au fur et à mesure, au contraire, où les schèmes se
après, elle s'élabore en fonction de ces deux mêmes méca- multiplient et permettent des connexions de moyens à buts,
nismes. Aux niveaux précédents, lorsque l'objet désiré est ce changement d'échelle affine les régulations et ce qui pa-
masqué par un écran au moment où il allait être saisi, il y a raissait une grande perturbation devient relatif aux modifica-
bien sûr perturbation, mais sans compensation parce que tions de détail ou locales que les schèmes plus nombreux
l'univers est encore compris comme une succession de ta- permettent d'atteindre. C'est alors que l'intervention d'un
bleaux globaux et que l'objet appartenant au tableau précé- écran est considérée comme une perturbation faible parce
dent s'est simplement résorbé sans retour dans le tableau sui- que partielle et qu'elle devient compensable par la modifica-
vant. Lorsque, au contraire, aux compensations très globales tion inverse. Du point de vue des négations ce changement
des premiers niveaux succèdent les coordinations et multipli- de perspective a son importance : tandis que le simple chan-
cations de schèmes (sous 4°) et les conduites intelligentes co- gement de tableaux ne consiste qu'en différences, le fait d'en-
ordonnant les moyens et les buts, les régulations compensa- lever l'écran conçu comme un obstacle constitue à nouveau
trices qui se différencient alors consistent donc à compenser une négation (quoique entièrement pratique) construite par le
les distances spatio-temporelles perturbatrices par des trajets sujet.
de sens inverse et à déplacer un obstacle ou objet perturba-
teur pour annuler son intervention : en ces cas l'écran qui 6° Ce niveau IV, avec la coordination des moyens et des
masque l'objet désiré n'est plus solidaire de tout un nouveau buts qui marque le début des actes d'intelligence proprement
tableau global, mais est conçu comme un mobile dont on dite et avec les premières formes de permanence de l'objet,
peut corriger la venue en l'écartant ; de même les positions inaugure, d'autre part, la seconde période du développement
successives de l'objet en ses disparitions, après avoir été né- sensori-moteur au cours de laquelle on assiste, et de plus en
gligées (au profit de la position privilégiée où l'action de le plus aux niveaux V et VI, à l'équilibration progressive des
retrouver a réussi une première fois), sont peu à peu compri- différenciations et des intégrations, qui rendra finalement
ses comme des distances spatio-temporelles compensables. compte du renversement total des perspectives rappelé plus
En un mot, la possibilité de rejoindre l'objet en déplaçant haut ; mais il reste à en examiner le détail du point de vue des
l'écran et la réversibilité croissante des déplacements sont au- régulations compensatrices. En son principe cette équilibra-
tant de manifestations d'une généralisation des régulations tion ne constitue d'ailleurs qu'un vaste prolongement des
compensatrices qui vont alors profondément modifier les rapports d'équilibre entre l'accommodation, source des diffé-
conduites au cours des stades V et VI. renciations, et l'assimilation réciproque entre les sous-systè-
Mais quel est le moteur de cette généralisation ? Rappelons mes, source de l'intégration totale, mais toutes deux moyen-
d'abord que les compensations par annulation, au sens des mo- nant de multiples régulations partielles.
difications de sens contraire (§ 13 conduites α), peuvent pren- En ce qui concerne les différenciations, il va d'abord de soi,
dre deux formes distinctes, selon qu'il s'agit de petites ou de qu'avec la bipolarité entre le sujet et les objets, introduite par le
grandes perturbations : dans le premier cas, le déplacement per- début de permanence substantielle attribuée à ceux-ci, les ac-
turbateur est corrigé par un déplacement de direction opposée, commodations vont devenir plus précises, c'est-à-dire vont
tandis que si la perturbation est grande elle est simplement s'accompagner de régulations compensatrices plus poussées,
écartée au sens de négligée. Or, dans le cas des objets disparais- puisqu'il va s'agir de réactions différenciées à des objets indivi-
sant derrière des écrans, la perturbation est conçue comme dualisés existant comme tels de façon stable et non plus à de
grande ou globale dans la mesure où le sujet ne dispose que de simples tableaux perceptifs globaux et mouvants. D'où, d'une
peu de schèmes et où une modification d'effets aussi sensibles part, les accommodations plus différenciées lors des mises en
96 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 97

relation des moyens et des buts. Mais, d'autre part, la perma- compensatrices, que de suivre les débuts de telles conduites ;
nence des objets va de pair avec celle des personnes (qui par exemple, dans le cas du support, l'espèce de suppléance
constituent même les premiers des objets permanents et qui qui, au départ, conduit à s'occuper de celui-ci à la place de
donnent lieu du point de vue affectif à ces « relations objec- l'objectif trop éloigné, puis les corrections des mouvements
tales » dont on a montré le lien avec cette permanence). Or, en fonction du but à atteindre, etc.
comme l'a bien vu J. M. Baldwin, la formation du moi est liée Or, à ces ensembles de différenciations correspondent,
à ces relations interpersonnelles et notamment à l'imitation pas à pas, un ensemble de coordinations assimilatrices con-
qui, nous l'avons suggéré jadis, constitue un prolongement duisant à des intégrations d'ensemble et empêchant cette
des accommodations (avec toutes les régulations détaillées et multiplicité de conduites différenciées d'aboutir au désordre
connues qui président à son acquisition). Tant au pôle du su- ou à la simple juxtaposition de réactions sans liaisons entre
jet qu'à celui de l'objet il y a donc là un premier ensemble elles. Du point de vue des objets devenus permanents, c'est
considérable de différenciations solidaires d'accommodations d'abord la coordination des positions et des déplacements,
avec toutes les compensations qu'elles comportent et les né- aboutissant, au cours des stades V et VI à ce grand système
gations implicites qu'elles impliquent. spatio-temporel qu'est le groupe pratique des déplacements ;
En second lieu, on assiste au stade V à des conduites nou- celui-ci, bien que procédant de proche en proche sans repré-
velles également issues des accommodations à l'objet et qui sentation d'ensemble, confère à l'univers sensori-moteur une
constituent un deuxième facteur important de différencia- unité remarquable de structure décentrée du corps propre.
tions : telles sont les réactions circulaires tertiaires ou « expé- C'est ensuite la causalité qui, de magico-phénoméniste à ses
riences pour voir » avec variations des facteurs. Or, elles re- débuts (parce que liée aux seules actions particulières d'un
viennent par ailleurs à produire des modifications qui, jusqu'à sujet qui s'ignore), se spatialise et s'objective en devenant le
ce niveau, auraient été considérées comme perturbatrices. système des interactions entre les objets eux-mêmes. C'est,
C'est donc dès la période sensori-motrice, mais au plan de la enfin, l'ensemble des assimilations réciproques entre les
seule action pratique sans représentations conceptuelles, que schèmes ou entre les sous-systèmes du sujet lui-même, qui
l'on voit les conduites de type α se transformer en réactions β rend possible les coordinations entre objets.
(§ 13) par intégration des perturbations dans le système cog- Or, il va de soi que chacune de ces intégrations témoigne
nitif considéré et même par variation intentionnelle de fac- de deux sortes d'équilibrations majorantes. Il s'agit d'une part,
teurs qui cessent ainsi d'être perturbateurs par accommoda- en chaque cas particulier, de l'ensemble des régulations né-
tion compensatrice. Il est à noter à cet égard la production de cessaires à la constitution de ces coordinations, et, dans le cas
variations plus ou moins systématique en + et en – (par du groupe des déplacements, elles sont particulièrement clai-
exemple laisser tomber ou lancer une balle de plus ou moins res au cours des tâtonnements qui conduisent à l'acquisition
haut, plus ou moins fort, à gauche ou à droite, etc.), donc de des conduites de retour (réversibilité du groupe) et de détours
différenciations pratiques entre les aspects positifs et négatifs (associativité du groupe). Mais il intervient, d'autre part, un
de l'action. processus plus général d'équilibration entre les différencia-
Il s'ensuit alors un troisième ensemble important de diffé- tions et les intégrations comme telles, en ce sens qu'à toute
renciations prolongeant les précédentes et qui joue un grand accommodation, source de nouveautés différenciées, corres-
rôle dans la conquête du monde des objets : c'est la décou- pond une assimilation qui la relie à des coordinations plus ou
verte de moyens nouveaux, tels que de tirer à soi un objet moins générales, à défaut de quoi les différenciations demeu-
éloigné en se servant comme intermédiaires de celui qui lui reraient à la fois chaotiques et sans effets durables.
sert de support (tapis, etc.) ou de ficelle qui lui est attachée ou Au total ce réexamen des régulations sensori-motrices
finalement d'un instrument proprement dit comme un bâton. semble fournir une première justification de notre hypothèse
Rien n'est alors plus instructif, au point de vue des régulations générale : que la genèse des constructions nouvelles se super-
98 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 99

posant palier par palier n'est pas étrangère aux mécanismes moteur et qu'ainsi l'équilibration graduelle de ces Obs. S (avec
compensateurs puisque l'élaboration de chacune de ces les Obs. O et les Coord. S et O) comporte de nouveaux proces-
structures débute par une phase de régulations, qui sont sus et toute une reconstruction sur le plan supérieur qu'est
compensatrices en même temps que formatrices. On peut celui de la prise de conscience ou conceptualisation. Mais ces
même aller jusqu'à soutenir que la nouveauté d'un compor- observables relatifs aux activités du sujet et a fortiori ceux qui
tement (et c'est peut-être pendant la période sensori-mo- se rapportent aux objets (les Obs. O) supposent en plus une
trice que ces innovations se succèdent le plus rapidement à perception adéquate. Tout au moins le problème se pose
voir le nombre de conquêtes obtenues en 18 mois) est pro- d'établir s'ils sont bien perçus ou pourquoi les insuffisances
portionnelle à l'importance des perturbations qu'il a fallu dont ils peuvent témoigner au début ne trouvent pas un re-
compenser. L'utilisation du bâton, par exemple, qui consti- mède dans les mécanismes perceptifs. Il est donc également
tue la première de ces conduites instrumentales si essentiel- nécessaire, pour parvenir à une interprétation valable des ré-
les dans le développement de l'intelligence pratique et de la gulations portant sur ces observables conceptualisés, de ré-
causalité, débute par un ensemble complexe de compensa- examiner la question des régulations perceptives, que celles-ci
tions : suppléer à l'éloignement de l'objectif par un prolon- suffisent ou au contraire ne puissent parvenir à rendre comp-
gement du bras, corriger les déplacements désordonnés lors te de celles-là.
des premiers contacts du bâton avec l'objet, rectifier les di- 1° Le fait qu'il existe une équilibration perceptive et par
rections non souhaitées par des poussées de sens inverse et conséquent un jeu de régulations propres à ce domaine est
finalement réduire la distance par une adduction suffisam- démontré par l'existence de certains apprentissages améliorant
ment ajustée, il y a là une succession de régulations com- la perception sans aucun recours à des renforcements exter-
pensatrices dont seul un film au ralenti montrerait toute la nes. C'est donc de tels faits qu'il nous faut partir et non pas de
richesse (1). la notion d'équilibre propre à la théorie de la Gestalt, dont
Quant à l'aspect formel de ces régulations, il est clair qu'il l'analyse n'est point psychogénétique et dont l'explication se
se traduit entre autres par la formation de multiples négations réfère trop rapidement à des modèles physiques de champs
qui, quoique demeurant au plan de l'action, constitueront la sans construction par étapes temporelles (contrairement à ce
source d'abstractions destinées à jouer plus tard leur rôle dans qu'auraient pu donner les analogies thermodynamiques), ni
la construction laborieuse des négations conceptualisées. régulations actives (puisqu'en un « champ » il n'y a pas de sujet
et que le réglage est automatique autant qu'instantané).
§ 17 | LES RÉGULATIONS PERCEPTIVES. – Les observa- Lorsque l'on présente à des sujets de différents âges et un grand nom-
bles Obs. S dont nous nous sommes occupés dans la première bre de fois en succession immédiate la même configuration source d'illu-
partie de cet ouvrage (type II d'interactions) supposent tous sions systématiques, comme l'ont fait à notre demande G. Nœlting (figure
une action préalable du sujet, dont les mécanismes de base de Müller-Lyer) et S. Ghoneim (sous-estimation de la diagonale d'un lo-
sont de nature sensori-motrice : il convenait donc de vérifier sange), on observe des réactions assez différentes selon le niveau de déve-
que dès les niveaux sensori-moteurs les constructions struc- loppement. Jusque vers 7 ans l'illusion, mesurée lors de chaque présentation
turales en jeu procèdent par compensations de plus en plus successive (par une méthode d'ajustement, peu rigoureuse mais rapide), ne
change pas de valeur quantitative et oscille simplement autour d'une
fines. Les lacunes ordinairement constatées dans les formes moyenne constante pour chaque sujet. De 7 à 12 ans, on assiste par contre à
élémentaires de ces observables du chapitre II n'en sont alors une amélioration graduelle, assez significative pour presque chaque sujet,
que plus instructives, puisqu'ils se situent au niveau de la concep- mais encore plus pour la population, et qui s'accentue assez régulièrement
tualisation de l'action propre et non pas de son réglage sensori- par année : faible à 7 ans, elle rejoint peu à peu la réaction des adultes.
Chez ceux-ci l'amélioration est en moyenne forte et certains sujets parviennent
(1) Voir à cet égard l'ouvrage de P. Mounoud, Structuration de l'instrument à une annulation complète de l'illusion, bien que naturellement aucun
chez l'enfant, Delachaux, 1970. d'entre eux (et à aucun âge) ne soit informé de ses performances, mesure par
100 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 101

mesure. Notons en outre que l'illusion elle-même, indépendamment des que cette instance ou ce guidage dépendent des structures
répétitions, s'affaiblit avec l'âge, ce qui tient sans doute aux mêmes raisons d'ensemble qui se construisent au cours de cette évolution, ce
que les effets de l'apprentissage, sinon l'amélioration avec cet exercice qui revient à dire de l'intelligence au sens large. Mais il im-
répété devrait être plus sensible chez les jeunes sujets puisqu'ils partent porte de remarquer que ce guidage des activités d'exploration
d'une illusion plus forte.
par l'intelligence présente lui aussi un aspect de compensa-
Ces résultats sont instructifs à deux points de vue au tion, qui renforce simplement ceux des paliers inférieurs. A
moins. En premier lieu, ils montrent qu'à partir d'un certain l'échelon des centrations, chacune est déformante, mais deux
niveau (7 ans) l'exploration durable d'une même configura- centrations distinctes et successives se compensent en partie.
tion perceptive atténue les déformations par des sortes de A l'échelon moyen, l'exploration perceptive tend alors à par-
compensations spontanées (puisqu'il n'y a pas de renforce- courir les parties principales de la figure, de manière à réduire
ment externe par information sur les résultats obtenus). Si peu à peu ces déformations. Quant à un troisième échelon,
ces déformations sont dues à des effets déformants de cen- l'intervention de l'intelligence consiste alors simplement à
tration du regard, comme nous avons cherché à le montrer choisir les points de compensation maximale, fournissant le
(selon une probabilité de « rencontres » entre la vision et les plus d'information avec le moins possible de pertes.
éléments de l'objet perçu et une autre de « couplages » entre
ces rencontres), cela signifierait qu'en multipliant les points 2° Mais à côté des activités perceptives dont les succès
de centrations, l'exploration perceptive conduit à en compen- sont relativement tardifs, il en est d'autres qui évoluent aussi
ser les actions (en rendant plus complets les « couplages »). avec l'âge (et ne contredisent donc pas ce qui précède), mais
En d'autres termes, la réduction des déformations inhérentes sont de formation beaucoup plus précoce et présentent dès le
à l'interaction immédiate des éléments en chaque champ de départ certains mécanismes compensateurs. Telles sont les
centration (= l'ensemble des relations perçues simultané- constances perceptives de la grandeur et de la forme, etc.,
ment) serait due à des activités proprement dites (ici d'explo- dont chacune témoigne effectivement d'un jeu remarquable
ration) comportant donc un mécanisme régulateur. de compensations. C'est ainsi que, dans le cas des grandeurs
Mais, en second lieu, ces régulations se développent avec qui sont perçues selon leurs valeurs réelles jusqu'à un cer-
l'âge. A étudier les mouvements et les centrations du regard tain éloignement malgré le rapetissement de l'image réti-
sur une figure, comme nous l'avons fait avec Vinh Bang, on nienne, et donc de la grandeur apparente ou projective,
constate que les jeunes sujets choissent mal leurs points de cette diminution est compensée par l'augmentation de la
fixation et savent donc relativement peu explorer systémati- distance, comme si la perception corrigeait la grandeur ap-
quement une configuration. L'activité exploratrice s'améliore parente et l'agrandissait en fonction de cette distance. La
donc avec l'âge, et, si l'on en cherche les raisons, il est difficile preuve en est que, si les jeunes sujets (et à nouveau jusque
d'échapper à l'hypothèse selon laquelle, en plus de la percep- vers 7 ans) dévalorisent quelque peu les grandeurs à dis-
tion visuelle qui enregistre plus ou moins bien ce qui est re- tance, on observe ensuite, en certaines situations expéri-
gardé, il intervient une instance supérieure qui décide du choix mentales, une surestimation croissante des grandeurs en
de ce qui doit être centré par le regard pour embrasser le plus profondeur (1), pouvant être considérable chez certains adultes
d'information possible. En d'autres termes il ne suffit pas de comme si leur mécanisme compensateur était renforcé par une
« voir » au sens de percevoir visuellement : il reste à « savoir stratégie de précaution contre l'erreur. Dans le cas de la cons-
regarder » au sens de bien choisir ce qui doit être vu. Comme tance des formes, la déformation perceptive qui intervient
les progrès dans les exercices ou apprentissages précédents ne lorsqu'on modifie la position de l'objet est également compensée
sont significatifs qu'à partir de 7 ans et augmentent régulièrement (1) Par exemple une tige verticale de 8-9 cm à 4 m de distance sera perçue
avec le développement cognitif, on est alors conduit à admettre comme si elle avait 10 cm.
102 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 103

par une correction s'effectuant dans la direction d'un rétablis- Mais il est non moins évident que les conservations ne déri-
sement de la position normale (de face), etc. vent pas des constances, puisque sept bonnes années sépa-
Or, ces constances, avec les régulations compensatrices qu'el- rent ces deux constructions. La raison en est que les conser-
les comportent, se constituent dès la période sensori-motrice et vations sont inhérentes aux transformations de l'objet lui-
les travaux actuels semblent les montrer plus précoces encore même, tandis que les constances ne portent que sur les modi-
que l'on ne l'avait constaté, ce qui laisse ouverte la possibilité fications de position ou de distance entre le sujet et l'objet, les
d'un point de départ inné. Mais, même si c'était le cas, ce méca- corrections compensatrices pouvant donc être effectuées par
nisme initial ne suffirait pas à tout (car il existe toujours une soli- voie de régulation perceptive, tandis que celle-ci ne saurait
darité nécessaire entre la maturation et l'exercice) et deux faits suffire à compenser une modification réelle des objets. Même
demeurent incontestables : le premier est qu'il y a (malgré les dans le cas de la constance des couleurs, où l'objet semble
gestaltistes) amélioration des constances avec le développement modifié par l'éclairement, le jeu des compensations ne porte
des fonctions cognitives, et même parfois jusqu'aux surconstan- que sur les relations entre la perception du pouvoir réflexif de
ces ou surcompensations que l'on a vues. Le second est que dès l'objet éclairé (albédo) et celle de la lumière réfléchie elle-même.
le niveau sensori-moteur il existe des interactions entre ces cons-
tances perceptives et l'intelligence, par exemple entre la cons- 3° Notre problème étant d'établir si les régulations portant
tance de la forme et la permanence de l'objet (1). sur les observables en jeu dans les interactions de types I et II
Cela dit il est clair qu'il faut admettre une certaine conver- (§ 9 à 12) sont réductibles ou non à des régulations percepti-
gence entre les mécanismes compensateurs intervenant dans la ves, nous voyons jusqu'ici que, malgré la généralité remarqua-
formation des constances perceptives et ceux que nous signale- ble et les analogies de formes des mécanismes compensateurs
rons (§ 19) dans la constitution des conservations opératoires aux deux plans de la perception et de l'intelligence, celle-ci est
(y compris la correspondance croissante des variations en + et néanmoins tôt ou tard appelée à compléter celle-là, puisqu'il
en –), et cette homologie est précieuse quant à la généralité des s'agit constamment pour le sujet de savoir quoi regarder (ou
processus d'équilibration propres aux fonctions cognitives. toucher, écouter, etc.) pour atteindre une certaine objectivité
et réduire les déformations perceptives, une perception non
(1) Mais il y a plus. Un dispositif inné peut donner lieu, soit à une réponse
invariable à son stimulus, comme les mouvements de succion au contact du sein, guidée demeurant insuffisante pour remplir entièrement sa
soit à des réponses graduées qui se prolongent ensuite en régulations acquises tel fonction d'enregistrement.
est, par exemple, le réflexe oculocéphalogyre, selon que le mobile qui le déclen- Cela dit, il peut être utile de rappeler encore trois exemples
che passe plus ou moins rapidement devant le sujet. En ce cas la réaction hérédi-
taire est déjà compensatrice à des degrés divers. Or, les constances précoces de la où les inférences de niveaux supérieurs guident ainsi la per-
grandeur observée par Bower font intervenir la parallaxe des mouvements de la ception, mais, en ces cas particuliers, jusqu'à fournir aux activi-
tête, tandis que ni la parallaxe binoculaire, ni les indices de perspective ou de re-
couvrement, etc., ne semblent jouer encore de rôle. Ce que paraît fournir le mé- tés perceptives des méthodes d'exploration qu'elles n'auraient
canisme inné serait donc déjà un jeu de régulations possibles, quoique très in- pas trouvées à elles seules, tandis que dans les cas précédents,
complet. En ce cas, il va de soi que l'appel à l'innéité ne modifie guère les termes le guidage intelligent se borne à compléter les procédés de
du problème. De même que le réflexe oculocéphalogyre n'explique pas la recher-
che de l'objet sorti du champ visuel (trop rapidement ou depuis trop de temps, compensation déjà à l'œuvre dans les mécanismes perceptifs.
etc.), ni surtout la constitution de l'objet permanent, mais constitue le point de
départ d'une série de plus en plus complexe d'acquisitions dans lesquelles il pour- Le premier de ces exemples tient aux mises en référence permettant
ra s'intégrer, de même les constances héréditaires, si elles existent, ne fournissent de percevoir l'horizontalité ou la verticalité d'une ligne droite. On sait que
qu'une étape initiale des constructions ultérieures. Bien plus, comme elles seraient
déjà régulatrices, la question qui se pose à leur sujet comme à propos de tout ces notions, en tant que conceptuelles et opératoires, ne se constituent
mécanisme régulateur inné (y compris les homéostasies physiologiques) est de que vers 9-10 ans, tandis que la perception parvient en ce domaine à des
savoir si le détail même des compensations intervenant en leur fonctionnement réussites approximatives en se référant à la ligne du regard et à la position
est réglé coup par coup de façon héréditaire, ou s'il intervient dès cette étape des du corps. Par contre, dans les situations plus conflictuelles qu'à l'ordinaire
lois générales d'équilibration. On sait, en effet, que celles-ci se retrouvent à tous (elles le sont toujours peu ou prou), on constate l'existence de réactions plus
les niveaux biologiques et constituent même, à celui du génome, une condition
préalable et non pas un résultat de la transmission biogénétique. complexes. Soit par exemple un triangle dont la base est inclinée et près de
104 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 105

laquelle on a dessiné, à l'intérieur de la figure, une droite dont le sujet est naturellement pas être tirée de la seule perception   ; mais,
appelé à percevoir si elle est horizontale ou non. Les plus jeunes enfants d'autre part, et ceci est moins évident, c'est en de nombreux
donnent des réponses relativement bonnes, négligeant le triangle lui-même cas cette conceptualisation elle-même qui oriente les activités
(compensation par annulation!). De 5 à 8-9 ans ils sont par contre progres- perceptives et conduit le sujet à percevoir ce qu'il n'aurait pas
sivement perturbés par le triangle et les erreurs s'accroissent faute de com-
pensations. Vers 9-10 ans, au contraire, ils commencent à chercher des réfé- vu sans elle, ainsi que de compenser les déformations inhé-
rences extra- ou interfigurales et regardent les bords de la feuille de base rentes à la perception non guidée.
qu'on a munis d'un grand cadre bien visible. Pourquoi à cet âge ? L'examen
des mêmes sujets au moyen de l'épreuve opératoire habituelle (prévision de § 18 | LES RÉGULATIONS DE LA REPRÉSENTATION SPATIALE.
l'horizontalité du niveau de l'eau en un bocal dont on annonce qu'on va
l'incliner) montre une corrélation étroite, mais avec une légère avance de – Avant d'en venir à l'examen des régulations portant sur les
l'intelligence : autrement dit il a fallu le guidage effectué par celle-ci pour observables et les coordinations de caractères généraux qui
que la perception se mette à recourir aux indices extérieurs au triangle, de interviennent en nos modèles d'interactions I et II (§ 9-12), il
manière à compenser les actions déformantes dues à ce dernier. est utile de compléter les considérations introductives qui
Un second exemple est celui des relations entre la transitivité opéra- précèdent en réexaminant brièvement les questions de la
toire et la transposition perceptive. On présente une tige verticale éloignée construction de l'espace, mais dans la perspective des régula-
C (10 cm) et une autre proche A (10 cm également), puis on mesure l'er- tions compensatrices que nous avions en partie négligées jus-
reur en profondeur (constance de la grandeur), qui est en général une
sous-estimation jusque vers 7-8 ans et une surestimation au-delà. Après qu'ici sur ce terrain.
quoi on place une tige B (de 10 cm) près de A et ensuite près de C, et, 1° Lorsque l'espace sensori-moteur dont il a été question
dans cette dernière situation on prend une nouvelle mesure sur C compa-
rée à A. Enfin on interroge le sujet sur la transitivité A = C si A = B et B au § 16 et l'espace perceptif commencent à être complétés
= C. Les sujets de moins de 7 ans qui n'ont pas cette transitivité opéra- sur un nouveau palier par l'espace représentatif, on constate
toire donnent, lors de la seconde mesure, une erreur égale à la première. avec quelque surprise qu'aux coordinations sensori-motrices
Les sujets de 9 ans et plus ne font plus d'erreurs lors de l'intervention de déjà précises qui interviennent dans les conduites instrumen-
B. Les sujets de 7 à 9 qui ont déjà la transitivité présentent encore une tales (utilisation de supports, de bâtons, etc.) et dans le
erreur perceptive mais affaiblie : « Je sais que A = C, dit ainsi un sujet, groupe pratique des déplacements, et que, aux bonnes for-
mais je la vois un peu plus petite. » On constate donc, en cette expérience, mes et aux constances perceptives comportant déjà sur ce
une avance et une action de guidage de l'inférence intelligence sur la régu-
lation perceptive et même en un domaine aussi précocement réglé que la plan élémentaire toute une géométrie euclidienne et projec-
constance de la grandeur. tive, ne corresponde encore rien de pareil dans les premières
Un troisième exemple est celui de la perception des configurations représentations spatiales, donc aux plans de la conceptualisa-
sériales. On présente au sujet une trentaine de traits verticaux et parallèles tion verbale ou même graphique : seuls sont retenus les ca-
ordonnés selon leurs grandeurs croissantes, avec différences égales (séria- ractères topologiques d'enveloppements, de continuité, de
tion simple), ou décroissantes (parabole), et l'on demande au sujet de voisinages et séparations, de frontières (avec la fermeture et
comparer les différences entre deux éléments voisins vers le début de la l'ouverture, ou l'intériorité et l'extériorité) et des débuts de
série (ainsi 2-3) et vers la fin (25-26), ou entre des positions variables des
couples. Or, les jeunes sujets se bornent à des comparaisons directes et l'ordre.
commettent diverses erreurs, tandis qu'à un niveau ultérieur ils parcourent Ne revenons pas sur les expériences, longuement décrites
la ligne virtuelle des sommets et corrigent ainsi leurs estimations. ailleurs (1), mais rappelons que le primat initial de cette topo-
Au total on constate combien les régulations et compensa- logie représentative a été contesté, du fait que la distinction
tions perceptives, quoique analogues en leurs formes à celles des traits linéaires ou curvilignes est presque aussi précoce et
des niveaux préopératoires et parfois même opératoires (cons- semble être de nature euclidienne. Or, en une belle étude de
tances et conservations) de l'intelligence, demeurent insuffisan- contrôle qualitatif et statistique de nos résultats, M. Lauren-
tes pour atteindre un enregistrement complet des observables :
d'une part, en effet, la conceptualisation de ceux-ci ne saurait (1) Voir PlACET et INHELDER, La représentation de l'espace chez l'enfant, P.U.F.
106 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 107

deau et A. Pinard (1) ont vérifié le primat du topologique et qualifient l'objet en lui-même indépendamment des référen-
ont montré que la distinction apparemment euclidienne qui ces extérieures, des déplacements et des perspectives, et celles
restait en question pouvait elle-même s'expliquer par des fac- qui par ailleurs (ou par cela même) fourniront les meilleures
teurs topologiques de voisinage et d'enveloppement. compensations aux altérations perturbatrices de tout genre. A
Cela dit, le premier problème d'équilibration et de régula- cet égard, il est essentiel que l'objet forme un tout, enveloppé
tion que soulève la construction de l'espace représentatif est sur lui-même et séparé ou séparable des autres mais non dis-
de comprendre le pourquoi de ce primat des facteurs topolo- loqué en tant que totalité, que ses parties soient voisines et
giques en termes de perturbations et de compensations. Il surtout qu'il possède des frontières assurant sa fermeture et
convient naturellement à cet égard de commencer par repla- protégeant son intérieur. Aussi bien n'est-il pas étonnant que
cer la représentation spatiale dans l'ensemble des processus la représentation graphique d'une forme quelconque, même
qui caractérisent l'assimilation conceptuelle à ses débuts, sitôt quand les modèles présentés au sujet sont des carrés, des
que la constitution de la fonction sémiotique ou symbolique, triangles, etc., distingue avec vigueur les formes fermées et
fondée sur l'imitation intériorisée et les signes verbaux, per- ouvertes, l'intériorité et l'extériorité par rapport aux frontières,
met au sujet d'évoquer des objets absents, ce qui modifie na- etc., mais ne retienne des formes particulières que ces caractè-
turellement aussi l'assimilation des objets présents. A cet res généraux de continuité, fermeture, etc., en négligeant les
égard, l'assimilation représentative naissante consiste essen- angles, certaines droites et les rapports métriques. Il y a donc
tiellement à utiliser les schèmes conceptuels en « compréhen- là une compensation par annulation de caractères perceptibles
sion » et non pas en « extension » (cf. § 20, les difficultés per- et même perçus (puisque les figures euclidiennes sont distin-
sistantes de l'extension dans le cas des collections figurales, guées et reconnues lors des choix perceptifs) et nous revien-
etc.), autrement dit, en présence d'un objet, à le qualifier en drons (§ 22) sur le mécanisme de telles omissions qui sont en
lui reconnaissant les divers caractères d'utilisation ou de con- fait des répressions à des degrés divers, au sein desquelles les
sistance, couleurs, formes, etc., qui permettent de lui appli- schèmes assimilateurs (ici topologiques) jouent un rôle com-
quer le schème. Cela étant, et de façon très générale, les per- pensateur par rapport à ces perturbations alors écartées.
turbations sont constituées par les qualités imprévues, les dif- 2° Les régulations conduisant de ces schèmes topologi-
férences, etc., qui nécessitent une trop grande accommoda- ques à l'espace euclidien sont alors très progressives. La pre-
tion et la compensation revient à écarter les obstacles ou à les mière qui est encore de nature topologique, mais fait la transi-
intégrer dans la mesure du possible. tion avec les niveaux suivants, aboutit à dégager le schème
Qu'en est-il alors des caractères de forme, qui sont spécifi- fondamental d'ordre de ceux de voisinage   : en un ordre
ques de l'espace, mais sont à replacer dans l'ensemble du pro- ABCD..., le terme B est à la fois voisin de A et de C, mais C
cessus assimilateur, puisqu'ils n'interviennent d'abord qu'au ne l'est plus de A, etc. ; or, lorsque le jeune sujet cherche à
sein de ce mécanisme ? Les premières conditions pour qu'un reproduire une suite ordonnée d'objets, on le voit d'abord
objet se montre assimilable sont qu'il soit consistant, continu commettre des erreurs dues au primat des voisinages positifs,
dans le temps et dans l'espace, que ses parties se tiennent, par exemple DCB parce que C est voisin de D comme de B,
qu'il soit isolable et accessible à la manipulation, etc., autant puis les corriger parce que alors B ne serait plus voisin de A ;
de propriétés de nature très générale et intervenant avant que après quoi, mais après de nombreuses corrections (qui sont
le sujet s'intéresse à la forme comme telle et considère ainsi donc des régulations compensatrices), il saura conserver le
ses attributs spatiaux indépendamment des autres. Il devient même ordre, ou sens d'orientation, du début à la fin de la sé-
alors clair que les premières formes retenues seront celles qui rie au lieu d'être victime d'inversions dues à l'absence de
(1) M. LAURENDEAU et A. PINARD, Les premières notions spatiales de l'enfant,
composition des voisinages entre eux.
Delachaux, 1968. Ces régulations d'ordre se complètent, d'un autre côté,
108 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 109

par des partitions, résultant de la synthèse des voisinages et C'est ainsi qu'en comparant une corde et son arc les jeunes su-
des séparations, et revenant, lorsque les besoins s'en font sen- jets les estiment ordinairement de mêmes longueurs puisqu'ils
tir, à introduire des séparations à l'intérieur d'un continu pour ont les mêmes frontières, bien que l'une soit rectiligne et l'autre
en distinguer et ordonner les secteurs. Mais cette partition curviligne. Quant à deux droites parallèles, la plus longue est
préopératoire ne s'accompagne encore nullement d'une con- celle qui dépasse l'autre sans tenir compte des points de départ
servation quantitative du tout. parce que si le sujet se place au point de vue de l'une des direc-
Après quoi vient la conquête essentielle de l'espace eucli- tions, c'est le point d'arrivée qui importe et que rien n'oblige
dien, elle-même condition de bien d'autres, et qui est la cons- d'abord à considérer la direction opposée (les régulations qui y
truction de la droite en tant que conservation des directions. La conduisent ne débuteront en général qu'au niveau des systèmes
notion de direction dérive de celle de l'ordre, puisque celui-ci de références).
est toujours orienté selon une direction ou son opposée, et que Restent les déplacements, mais qui eux aussi procèdent
la régulation transformant les voisinages en ordres consiste d'une construction ordinale, puisqu'ils sont des changements
entre autres à maintenir l'une de ces directions en l'opposant à d'ordre par rapport aux « placements » de départ. Or, à leur
l'autre. Ceci étant, la direction appliquée aux segments d'un tour ils comportent des compensations et qui joueront dans la
continu unidimensionnel ou à une suite d'éléments discrets suite un rôle dans la constitution de la conservation des lon-
mais voisins et successifs n'engendre d'abord qu'une ligne gueurs et surfaces : la place laissée libre est compensée par le
quelconque, et lorsque les jeunes sujets ont à relier deux points nouvel emplacement de la figure déplacée ; autrement dit, en
par un trait ou surtout en disposant des objets discrets entre tout déplacement, l'addition d'espace occupé au terme com-
deux (par exemple de petits arbres le long d'une route suppo- pense la soustraction de cet espace au départ. Or, ce n'est pas là
sée) ils se contentent initialement d'une ligne topologique à un jeu de mots et il s'agit bien de compensations réelles avec les
ondulations irrégulières et non pas encore droite. La régulation régulations qu'elles supposent. Il y a à cela deux raisons. L'une
qui conduit de là à la droite est alors évidente, et se manifeste est que, perceptivement, l'espace vide n'est pas homogène à
entre autres lorsque le sujet utilise ses deux mains pour y par- l'espace plein, ce qui se retrouve assez systématiquement en-
venir, en les plaçant d'un côté et de l'autre de la ligne et en véri- core dans les représentations préopératoires des sujets (jusque
fiant de proche en proche son caractère de droite : les correc- vers 7 ans) (1) : c'est donc par des régulations, lors des déplace-
tions régulatrices consistent en effet à compenser par une mo- ments d'une figure sur son fond ou d'un solide en son espace,
dification inverse toute déviation ou perturbation relativement que le sujet en viendra à compenser les places devenues vacan-
à la direction du but de manière à conserver d'un bout à l'autre tes et celles qui sont nouvellement occupées, donc à homogé-
la même direction. En termes de partition et non plus d'ordre, néiser les espaces vides et pleins (ce qui est fondamental pour
cela revient à dire qu'un segment quelconque découpé sur la les conservations). En second lieu, ce début de régulations sera
droite peut être reporté sur les suivants sans déviation, dans le suivi d'autres analogues, qui conduiront aux conservations des
cas où le point d'arrivée visé ne coïncide pas avec le point de longueurs et surfaces, comme on le verra dans la suite.
départ, tandis que, s'il y a coïncidence des deux, la ligne est cir- 3° Un exemple voisin de ces régulations compensatrices, entre places
culaire. vides et occupées lors d'un déplacement, est celui des compensations analo-
Mais si ces constructions sont donc toutes essentiellement gues lorsque plusieurs objets font irruption du dehors en une surface initia-
lement dégagée. Nous nous sommes servis, pour concrétiser les surfaces
compensatrices en même temps que productrices, la nature égales, de deux cartons verts figurant des prés dont l'herbe est broutée par
même des régulations qui président à leur formation explique des vaches. Sur l'un de ces prés on place une maison en un coin et sur l'autre
leurs limitations   : de ce que la droite s'appuie simplement au centre : reste-t-il alors la même surface verte ? Une seconde maison étant
d'abord sur l'ordre et la direction, la longueur de la droite n'est
initialement évaluée qu'en fonction de son point d'arrivée, (1) Un espace vide compris entre deux objets immobiles A et B est censé
diminuer de longueur si l'on intercale entre eux un objet plein tel qu'un mur
c'est-à-dire selon un critère de frontière en partie topologique. (sauf si le mur a un trou, ce qui rétablit la continuité de l'espace vide !).
110 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 111

juxtaposée à la première dans le premier pré, et une seconde placée n'im- 4° Il convient auparavant de rappeler la vaste construction
porte où dans le second pré, les surfaces vertes demeurent-elles égales? parallèle à la précédente avec laquelle elle synchronise, et qui
Etc. En ce cas, le total des espaces inoccupés est, à chaque introduction est celle de l'espace projectif et de la conceptualisation des
d'une maison sur les deux prés, diminué de deux surfaces occupées égales perspectives. Ici encore, cette conceptualisation est tout autre
(les maisons sont naturellement pareilles) et l'on retrouve donc le pro-
blème précédent, mais avec en plus l'axiome d'Euclide selon lequel il reste chose qu'un processus perceptif, même fondé sur la cons-
des quantités égales lorsqu'on en soustrait deux égales à deux totalités tance de la forme : selon cette dernière, un objet qui habituel-
égales. lement est vu dans la perspective A (de face), conserve la
même forme s'il est vu dans la perspective B, parce que en B
Or, ce problème n'est pas résolu avant 7 ans en moyenne
il est perçu comme s'il était en A (par une compensation per-
et les régulations qui conduisent à sa solution ressemblent ceptive immédiate comme on l'a indiqué au paragraphe pré-
parfois de manière frappante aux compensations invoquées cédent) ; par contre, du point de vue de la compréhension
tout à l'heure : le sujet qui conteste d'abord l'égalité des restes
conceptuelle, la question est d'établir par quelles transforma-
verts déplace, par exemple, une maison située sur le second tions intermédiaires l'objet a passé des états A à B et sous
pré pour la placer en une même position que sa correspon- quelle forme il se présentera, en se fondant sur ces transfor-
dante sur le premier pré et ensuite la replace par étapes jus-
mations, si on le déplace de B dans la nouvelle perspective C
qu'en sa position initiale, ce qui lui fait comprendre que la sur- (qu'il s'agisse d'éloignements pour la grandeur apparente, ou
face soustraite par elle demeure équivalente dans les deux cas. de rotations, etc.).
Ce premier exemple de conservation d'une grandeur spa-
Or, eu égard aux compensations appelées à vaincre les per-
tiale s'accompagne d'autres à ce niveau de 7-8 ans, entre au- turbations constituées par ces changements de position, la si-
tres de celle de la longueur lorsqu'une seule réglette est dépla- tuation est assez parallèle à celle que nous avons décrite pour
cée mais sans dépassements, et après un stade initial où elle
les déplacements, sauf que les perturbations ne portent plus
est censée s'allonger, par indifférenciation entre l'allongement seulement sur les positions occupées par un mobile invariant,
et la translation. Or, ces conservations naissantes, dont la
formation requiert les régulations et compensations habituel- mais aussi sur les modifications de forme ou de grandeur appa-
rente de l'objet comme tel. En effet, de même que, dans le cas
les, permettent alors au sujet de se libérer en partie des quan- du déplacement, il y a compensation entre les espaces occupés
tifications simplement ordinales et d'accéder à la mesure.
et ceux qui sont laissés libres, de même lors d'un changement
Comme on l'a montré ailleurs, celle-ci repose sur une syn- de perspective pour un objet qui tourne sur lui-même, les par-
thèse de la partition et de l'ordre des déplacements d'une par- ties de l'objet qui disparaissent du tableau (visuel) ou passent à
tie choisie comme unité, et elle suppose la transitivité des
l'arrière-plan sont compensées par celles qui apparaissent ou
congruences obtenues par ces déplacements. Il est inutile passent au premier plan ; en cas de simple éloignement, les
d'insister sur les multiples régulations que comporte cette pertes en grandeur apparente des objets sont compensées par
construction complexe, tout entière orientée, comme les con-
le nombre d'objets nouveaux embrassés dans le tableau en
servations qu'elle complète, vers la compensation des nom- fonction de ses dimensions invariantes. Du point de vue des
breuses perturbations provoquées par les altérations locales opérations de sens commun les situations sont donc compara-
comme il s'en produit en toute situation antérieure à la cons-
bles.
titution des invariants. Mais, dans le domaine spatial, le me- En ce qui concerne maintenant les régulations elles-mêmes, on assiste
sure n'est qu'une étape, contrairement à l'achèvement que dans les stades de formation (avant 7-8 ans) à un remarquable effort pour
constitue le nombre sur le terrain des objets discontinus, tenir compte de la perturbation prévue, mais en ne parvenant que partiel-
parce qu'elle doit pouvoir s'effectuer selon trois dimensions : lement aux compensations faute de se représenter le détail de la transfor-
elle se prolongera donc en un système de coordonnées et mation. Par exemple, une montre plate dont on annonce qu'on la présente-
c'est à propos de son élaboration que nous allons retrouver ra non plus de face mais couchée, donc sur sa tranche, est dessinée comme
les questions les plus aiguës de compensations. une demi-lune, le sujet comprenant qu'une partie de la montre va disparaître
112 L'équilibration des structures cognitives Structures sensori-motrices, perceptives et spatiales 113

du tableau visuel mais ne voyant pas encore ce qui la remplacera, et sup- l'autre d'une moitié environ, les sujets jusqu'aux environs de 9
primant donc simplement la moitié de l'objet comme s'il était néanmoins ans considèrent en général ce mouvement comme un allon-
encore vu de face. Un crayon qu'on incline progressivement vers l'arrière gement et une translation indifférenciées, la tige qui dépasse
jusqu'à n'être plus vu que « de bout » est dessiné comme incliné de côté
(de manière à être toujours vu avec sa forme), et tantôt comme se rac- dans le sens du déplacement étant donc devenue plus longue
courcissant simplement, mais tantôt même comme s'allongeant, soit par que l'autre. Il va de soi qu'alors les régulations qui précèdent
indifférenciation entre le déplacement et l'allongement (voir plus haut), l'opération déductive assurant la conservation vont invoquer
soit pour compenser ce qui disparaît par quelque chose de nouveau : il est tôt ou tard (mais avec de nombreuses oscillations) la com-
à noter à cet égard que la position finale (le « bout », correctement vu pensation entre ce qui est gagné vers l'avant par la tige dépla-
comme un petit cercle) est parfois prévue avant les positions intermédiai- cée et ce qui est perdu en arrière, autrement dit l'égalité des
res voisines, sans doute pour cette même raison que la disparition d'une
partie du crayon doit être compensée par une nouvelle autre. deux dépassements de l'une par l'autre dans les deux sens de
Il est à remarquer en outre que dans les problèmes de rabattement par parcours (cf. plus haut l'interprétation des déplacements).
dépliement d'un cube, etc., à parois mobiles, le sujet réagit souvent avant les Mais en un tel exemple, c'est le recours à des références
solutions opératoires en dessinant le début de l'action de déplier (en écar- extérieures qui permet de prouver cette égalité des segments
tant légèrement un côté, etc.). Ici l'accent est donc mis sur la perturbation de tiges qui se dépassent des deux côtés (espaces pleins) ou
elle-même en tant que transformation, mais n'étant pas comprise suffi- des espaces laissés vides par ces dépassements. Il faudrait
samment pour être intégrée (conduites β et γ du § 13), la compensation ne
l'est pas non plus assez pour figurer tous les éléments jusque-là non visibles sans cela recourir à une mesure mais dont le sujet n'aura pas
simultanément : le dessin donnera donc une partie au moins de la forme l'idée avant de faire l'hypothèse de la compensation, ni avant
non dépliée et un ou deux des éléments rabattus. Un exemple ne relevant de supposer que relativement à la table servant de support, la
de la géométrie ni projective ni descriptive est néanmoins intéressant à citer, tige déplacée occupera la même longueur qu'avant le dépla-
parce que relatif aux changements de position : un carré posé sur sa pointe cement (ce que rien ne contraint d'admettre au point de vue
n'est plus considéré par les jeunes enfants comme un carré mais comme un ordinal, qui est ici renforcé par le dépassement).
« double triangle » (losange), etc., en tant que, d'après les sujets, modifié
dans sa forme et même dans ses dimensions : cependant l'essai de compen- Quant au système des coordonnées, né de la généralisation
sation va leur faire admettre que s'ils voient uniquement un losange, l'expé- des mesures à deux ou à trois dimensions, il ajoute à celle-ci
rimentateur placé à 90 degrés d'eux (sur le côté adjacent de la table), voit la considération de références immobiles et, par rapport à
alors bien un carré parce que étant en face de lui. Le déplacement du carré elles, des compensations du même genre que la précédente.
est alors compensé par le déplacement inverse du sujet qui le perçoit. Soient, en effet, deux références immobiles A et B et, entre
5° Au niveau de 9-10 ans la représentation de l'espace at- deux, un mobile passant de l'une à l'autre, la distance entre A
teint deux sortes d'achèvements : du point de vue euclidien la et ce mobile étant de a, et celle qui s'étend entre lui et B étant
généralisation de la mesure à trois dimensions conduit à la de a' : il est alors évident que si la somme a + a' est jugée
constitution d'un système général de références ou coordon- constante, toute diminution de a' est compensée par une
nées orthogonales naturelles et du point de vue projectif le augmentation de a. Or, la difficulté des sujets jusque vers 9
sujet parvient à prévoir les changements dus à la perspective ans à admettre l'égalité des dépassements à l'avant et à l'ar-
pour plusieurs objets à la fois (un ensemble de trois monta- rière lorsqu'une tige dépasse son égale et surtout l'indifféren-
gnes en carton vues des quatre points cardinaux, etc.). Il nous ciation assez résistante entre la translation d'une tige et son
reste donc à montrer que ces nouvelles constructions sont allongement (sauf dans le cas de la mesure où la tige servant
elles-mêmes animées par des processus compensateurs. d'unité médiatrice est appliquée aux parties d'un objet immo-
Pour ce qui est des coordonnées, partons de l'une des situa- bile qui joue alors le rôle de mesuré et non pas de référence),
tions qui conduisent à la question des références extérieures aux montre que l'évidence de cette compensation entre – a' et + a
figures : lorsque l'une de deux tiges, qui sont d'abord constatées n'est pas immédiate et requiert donc un jeu de régulations qui
égales par congruence, est légèrement poussée jusqu'à dépasser intervient dans la construction des systèmes de références.
114 L'équilibration des structures cognitives 115

Celles-ci sont plus délicates et donc plus faciles à observer dans les
deux situations suivantes. La première est contemporaine de cette forma-
tion des systèmes de coordonnées et constitue leur équivalent du point de
vue projectif : coordonner les effets des changements de perspective sur
un ensemble d'objets, par exemple trois montagnes qui, selon les points CHAPITRE IV
de vue, passent du premier à l'arrière-plan ou l'inverse, et de droite à gau-
che ou l'inverse. Les compensations en jeu ne deviennent alors évidentes
qu'après de nombreux tâtonnements que l'on peut suivre de 4-5 ans, où
rien n'est censé changer avec les points de vue, jusque 9-10 ans, où les co-
ordinations de perspectives sont acquises et les compensations comprises.
La seconde situation, dominée seulement au niveau suivant (11-12
Les structures
ans), est celle où il devient nécessaire de coordonner deux systèmes de
références à la fois, dont l'un est mobile et l'autre immobile, les déplace-
logico-mathématiques
ments d'un objet sur le système mobile pouvant être compensés par les
mouvements en sens contraire du système mobile, la position par rapport
au système immobile demeurant inchangée. En ce cas deux sortes de
compensations interviennent   : les unes par inversion (lorsque c'est le
même objet ou système qui se déplace en un sens ou en l'autre), les autres
par réciprocité (entre deux termes distincts), d'où la nécessité d'un groupe
de quaternalité qui coordonne ces deux opérations.
Au total, il semble donc clair que, dès les structures topolo-
giques initiales jusqu'à ces conduites supérieures, toute cons-
truction spatiale, si frappante que soit sa nouveauté par rapport
à celles des niveaux précédents, s'oriente dès le départ dans le
sens d'une compensation, parce que chaque nouveau problème
surgit à l'occasion d'une perturbation relativement aux schèmes
du niveau précédent. De plus, ces perturbations et leurs com-
pensations suivent bien l'ordre des conduites décrites au § 13 :
compensations par modification inverse ou annulation, aux
niveaux inférieurs, puis par intégrations progressives de la per-
turbation, celle-ci devenant l'une des variations du système, et
enfin par symétries, ces variations et leurs inverses étant pro-
mues au rang d'opérations proprement dites. Or, l'un des as-
pects fondamentaux de ce passage des conduites α à γ est l'in-
tériorisation des négations, d'abord imposées du dehors puis
intégrées sous forme de variations en plus et en moins et fina-
lement sous la forme des opérations inverses propres aux
structures opératoires. Mais ce rôle des négations et des affir-
mations est encore bien plus clair dans les compensations en
jeu lors de la construction des structures exclusivement logico-
mathématiques (l'espace participe encore de la géométrie des
objets) et c'est ce que nous allons examiner maintenant.

Вам также может понравиться