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fondements
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chrlsttanisme
"
Les
fondements
chi
christtantsme
C.S. LEWlS
notre esprit et c' est à lui que nous devons nous référer pour
apprécier toute pensée contemporaine. En fait, nous n' avons
pas à naviguer de concert avec l' évolution des temps. Nous
servons celui qui a déclaré : « le ciel et la terre passeront mais
mes paroles ne passeront point » (Citation extraite de Gad in
the dock).
C.S. Lewis a une pensée dense et originale. On retrouve
parfois sous sa plume quelque affirmation surprenante, inha
bituelle. Ce n'est pas le rôle du traducteur ou de l ' éditeur de
censurer un auteur, mais plutôt de lui laisser la responsabilité
de son œuvre. Pour ce livre, il en est comme pour d' autres
domaines de la connaissance humaine : « Examinez toutes
choses et retenez ce qui est bon. »
À travers la lecture de cet ouvrage, beaucoup de personnes
sont venues à Jésus-Christ. Pourquoi n'en serait-il pas de
même pour les lecteurs de langue française ?
Aimé VIALA
Traducteur de C.S. Lewis
Î ( 1 ·'
1 L ;../·
POUR FAlRE CONNAlSSAN CE
Pour autant que j ' en puisse juger d' après les revues et les
nombreuses lettres reçues, le livre, quoique défectueux sous
d' autres aspects, a tout au moins réussi à présenter un chris
tianisme admis par tous ou commun à tous : un christianisme
de base. En ce sens il peut être utile d'imposer silence à ceux
qui affirment qu' en évitant des questions contestées, il ne reste
plus qu'un P.G.C.D. (plus grand commun diviseur) vague et
sans corps. Le P.G.C.D. se révèle non seulement positif mais
mordant, séparé de toutes les croyances non-chrétiennes par
un abîme auquel les pires divisions internes de la chrétienté ne
peuvent en rien se comparer. Si je n'ai pas directement contri
bué à la cause de la réunification, j ' en ai peut-être mis en
lumière la nécessité. Sans aucun doute, j ' ai ressenti bien peu
de ce légendaire Odium theologicum' de la part de membres
convaincus de confessions différentes de la mienne. L'hostilité
est venue davantage de gens marginaux, de l'Église Anglicane,
ou du dehors, d'hommes non intégrés à une confession, quelle
qu'elle soit. C' est�ux à mon avis, mais consolant. Il existe
entre les différentes confessions une communion d'esprit,
_
même s'il n ' y a pas unité de doctrine. Elle vient du cœur de
chacune d' elle� ; elle se développe parmi ses membres les plus
fi�;_ Ç��_i__pr9�ve ��_n_Ji�' au cœur de chacune d' elles,
_
lE BlEN ET lE MAl
ClE DU SENS DE l'UNlVERS
,
LA LOl
DE LA NATURE HUMAlNE
d' instinct et n' avait nul besoin d' être enseigné. Ils ne préten
daient pas, naturellement qu' on ne puisse rencontrer ici et là
un individu excentrique ignorant cette loi, tout comme vous
La loi de la nature humaine 21
pense l ' un ou l ' autre d' entre nous. Si, au sujet de New York
chacun parlait seulement de « la ville qu' il imagine dans sa
tête » , comment l ' un de nous pourrait-il s'en faire une image
plus j uste que l ' autre ? La vérité ou l ' erreur n' entreraient plus
en ligne de compte. De même, si la Règle de conduite morale
signifiait seulement « ce qu' une nation approuve », il n ' y
aurait aucun sens à dire qu' une nation au cours de son histoire
aurait eu un code moral meilleur qu' une autre ; prétendre que
le monde puisse devenir meilleur ou pire sur le plan moral
serait d' ailleurs aussi insensé.
Je conclus donc. Bien que les différences entre les idées des
gens concernant la bonne conduite nous fassent souvent douter
de l' existence réelle d'un code de bonne conduite, ce que nous
sommes contraints de penser au sujet de ces différences
prouve exactement le contraire. Encore un mot avant de termi
ner. J ' ai rencontré des personnes qui amplifient les discordes,
car elles n' ont pas su distinguer entre les différences d' ordre
moral et celles qui touchent à la crédibilité des faits . Ainsi, un
homme m'a dit : « Voici trois cents ans, en Angleterre. on
mettait à mort les sorcières. Est-ce que vous anribuez ceci à la
Loi de la nature humaine ou à celle de la conduite morale ? »
Or ce qui nous empêche indubitablement de faire exécuter des
sorcières, c ' est que nous ne croyons plus en leur existence.
Existerait-il encore autour de nous des gens ayant vendu leur
âme au diable ? Des êtres capables de tuer leur voisin par des
pouvoirs surnaturels, rendre fou ou provoquer des calamités
naturelles ? Si nous y croyions, sûrement alors serions-nous
tous d'accord pour que ces maudits collaborateurs du diable
soient mis à mort. Il n ' y a là aucune différence de principe de
morale : la différence est seulement une question de faits. Ne
plus croire aux sorcières peut être considéré comme un grand
progrès dans le domaine de la connaissance ; il n ' y a. par
contre, aucun progrès à ne pas les exécuter, puisqu' on nie leur
existence. La conduite d'un homme ne serait pas plus humaine
pour autant si, persuadé de l' absence totale de souris dans sa
maison, il n'y installerait plus de souricières.
LA RÉALlTÉ DE LA LOl
donne pas tout l' ombrage désiré. Mais ce que vous voulez
dire, tout bonnement, c'est que la pierre ou l' arbre ne convien
nent pas à l' usage que vous voulez en faire. Et vous ne pouvez
32 Les fondements du christianisme
1 Afin de maintenir cette partie assez courte quand elle fut diffusée à la radio,
j ' ai seulement mentionné la conception matérialiste et religieuse. Mais, pour
être complet, je me dois de mentionner le point de vue intermédiaire appelé en
philosophie : Élan vital, Évolution créatrice ou Transformisme. Si la présenta
tion la plus subtile se trouve dans les œuvres de Bernard Shaw, la plus appro
fondie est chez Bergson. Les adeptes de ce concept disent que les petites
variations par lesquelles la vie sur cette planète « évolua » depuis les formes
les plus rudimentaires jusqu' à l ' Homme furent dues « non à la chance mais
42 Les fondements du christian;sme
aux efforts » ou à la « recherche d ' un objectif » de l ' Élan vital. Quand les gens
lancent cette hypothèse nous devons leur demander si, par Force vitale, ils
pensent à un esprit ou non. Si oui, alors « un esprit donnant la vie et la menant
à la perfection » est vraiment un Dieu et leur point de vue se confond avec
celui des gens religieux. S ' ils font objection, sur quel fondement diraient-ils
alors que quelque chose dépourvu d'esprit « s ' efforce d' atteindre » ou vise
« certains buts » ? Cette remarque ne sonne-t-elle pas le glas de leur concept ?
Une des raisons qui rend si attirante I' Évolution créatrice est qu' elle donne la
consolation émotionnelle de croire en Dieu sans en assumer les conséquences
moins plaisantes. Quand vous vous sentez en pleine forme, que le soleil brille,
et que vous ne voulez pas croire que tout l ' univers n ' est qu' une sarabande
mécanique d' atomes, il est réconfortant de penser à cette grande Force mysté
rieuse, roulant à travers les siècles et vous portant sur la crête de ses flots. Si,
d' autre part, vous avez dans la tête quelque idée mesquine, I ' Élan vital -n'étant
qu' une force aveugle, sans morale ni esprit- ne s' interposera pas, tel ce Dieu
pointilleux dont on nous a parlé quand nous étions gosses. L' Éian vital est une
sorte de Dieu apprivoisé. Vous pouvez recourir à lui à votre convenance, mais
i l ne vous tracassera pas. Sans assumer le prix de votre foi, vous aurez cepen
dant toute la spiritualité vibrante d'un homme religieux. L'Éian vital serait-il
le plus grand accomplissement de l ' imagination que le monde ait jamais vu ?
NOUS AVONS DES M OTIFS DE
NOUS SENTIR MAL À L'AlSE
Mon dernier chapitre s' achève sur l ' idée que, dans la Loi
morale, quelqu' un ou quelque chose, par-delà l 'univers maté
riel, s' intéresse réellement à nous. Je ne doute pas qu' à cette
étape, plusieurs d' entre vous ont éprouvé une certaine contra
riété. Peut-être même avez-vous pensé que je vous ai joué un
tour et estimé que, soigneusement enveloppés dans un embal
lage philosophique, mes propos se révèlent n' être finalement
qu'un nouveau discours religieux
« ». Vous pouvez avoir
consenti à me lire en pensant que j ' avais du nouveau à vous
apprendre ; or, si mes affirmations s' avèrent n' être que reli
gieuses, eh bien, elles sont dépassées et il est difficile de reve
nir en arrière. Si quelqu'un ressent cette impression, j ' aime
rais bien préciser trois points.
Tout d' abord, à propos du recul de l' heure, penseriez-vous
que je plaisante en affirmant qu' on peut retarder une
horloge ? C ' est judicieux de le faire si l 'horloge avance. Mais
j ' écarte volontiers toute idée d'horloge. Ne souhaitons-nous
pas tous le progrès ? Atteindre en quelque sorte le but désiré
implique la volonté. Or, si vous avez fait fausse route, aller de
l ' avant ne vous amènera pas plus près du but. Si vous êtes sur
la mauvaise voie, il faut faire demi-tour pour regagner la
bonne route : dans ce cas, l' homme qui fait volte-face est
celui qui progresse le plus vite. Nous avons tous fait cette
constatation en arithmétique. Si j ' ai mal commencé mon
addition, plus vite je l' admettrai pour recommencer mon opé
ration, plus vite je progresserai dans mon calcul. Aucun
progrès n'est possible si, par un stupide entêtement, on refuse
d' admettre son erreur. Je pense, compte tenu de l' état actuel
du monde, qu' il est assez évident que l'humanité a commis
44 Les fondements du christianisme
ner ? Mais n'extrapolons pas trop vite, car seule une Personne
peut pardonner. Nous n' avons pas encore atteint un Dieu per
sonnel - mais nous constatons une force derrière la Loi
morale, plus semblable à une intelligence qu' à toute autre
chose. Mais peut-être cette intelligence diffère-t-elle encore
largement d'une Personne. Si c'est un pur esprit impersonnel,
lui demander d'être tolérant envers vous ou de vous laisser
quitte a-t-il un sens ? Tout comme prier la table de multipli
cation de vous rejeter si vos opérations sont fausses n'a aucun
sens. On ne peut obtenir qu' un mauvais résultat. Il ne vous
sert à rien non plus de dire que si un tel Dieu existe -une déité
impersonnelle de justice absolue- vous ne l' aimez pas et vous
n'avez nullement à vous en soucier. Mais la difficulté est
qu' une part de vous-même se range de son côté et accepte
sans réserve sa désapprobation de l' avidité, de la fourberie et
de l'exploitation humaine. Peut-être souhaitez-vous qu' il
fasse alors une exception en votre faveur et qu' il vous oublie.
Mais au fond, vous savez que si la puissance transcendante
extérieure au monde déteste vraiment et inexorablement cette
sorte de conduite, elle ne peut être bonne. D' autre part, nous
savons que s ' il existe en vérité une bonté absolue, celle-ci doit
haïr la plupart des actes que nous accomplissons. Telle est la
terrifiante impasse au bout de laquelle nous sommes prison
niers. Si l' univers n'est pas gouverné par une bonté absolue,
alors tous nos efforts seront tôt ou tard voués à l' échec. Mais,
s'il en est ainsi, nous nous posons chaque jour en adversaires
de cette bonté, et il est invraisemblable que nous fassions
mieux demain ; notre cas reste donc sans espoir. Nous ne
pouvons nous passer de ce Dieu pas plus que nous ne pouvons
nous en accommoder. Dieu reste le seul réconfort mais aussi
la terreur suprême : ce dont nous avons le plus besoin est jus
tement ce dont nous voulons nous cacher. C'est donc notre
46 Les fondements du christianisme
CROlENT
CON CEPTI ONS RlVALES
AU SUJET DE DlEU
1 Un auditeur s' est plaint du mot damné comme étant un juron courant. Mais
le terme est bien celui que je retiens -un non-sens affirmant que ce qui est
damné gît sous la malédiction de Dieu et (sauf si la grâce de Dieu opère)
conduira les incrédules à la perdition éternelle.
54 Les fondements du christian;sme
plaignent alors d' avoir la tête qui tourne, et affirment que tout
cela est trop compliqué ! Ils sont sûrs que si Dieu existait réel
lement, il aurait fait élaborer une religion simple. La simpli
cité est si belle, etc. ! Tenez-vous sur vos gardes à l 'égard de
ces gens qui changent d'idée à chaque instant et vous font
perdre votre temps. Remarquez aussi leur notion de Dieu
« élaborant une religion simple Comme si la religion était
».
Les chrétiens croient qu' une puissance mauvaise s' est ins
tituée comme Prince de ce monde dans les temps présents.
Mais naturellement, ce fait suscite des problèmes. Cet état de
choses serait-il en accord avec la volonté de Dieu ? Si oui, ce
Dieu est un Dieu étrange, direz-vous ; dans la négative,
comment peut-il se produire quoi que ce soit de contraire à la
volonté d'un être doté d'un pouvoir absolu ?
Quiconque ayant exercé l ' autorité sait qu' une chose peut
être en accord avec votre volonté dans un certain sens mais
pas dans l ' autre. Il peut être tout à fait valable pour une mère
de dire aux enfants : « Je ne vais pas rester chaque soir pour
vous faire ranger votre chambre. Il vous faut apprendre à la
tenir en ordre tout seuls. » Un soir, elle monte à l' improviste
et trouve l ' ours en peluche, l ' encrier et le livre de grammaire
traînant dans un coin. C ' est un défi à sa volonté. Elle préfére
rait que les enfants aient mis de l ' ordre. Mais d' autre part,
c' est sa décision qui a laissé les enfants libres de mettre la
pagaille. Les mêmes événements se produisent dans tout régi
ment, syndicat ou établissement scolaire. Lorsque vous
rendez une chose optionnelle, plus de la moitiédes intéressés
ne la respectent pas. Ce n ' est pas ce que vous vouliez, mais
�otre volonté l ' a rendu possible.
Il en va probablement de même dans l ' univers. Dieu a créé
d�s êtres pourvus d'une volonté libre. Cela imphgue que des
créatures peuvent opter autant pour le bien gue pour le mal.
Certains pensent qu'on peut concevoir une créature qui , tout
en étant libre, n' aurait pas la possibilité de choisir le mal. Pour
ma part je ne le puis. Si une chose a le droit d' être bonne, elle
a aussi le droit d' être mauvaise. Or c ' est notre volonté libre
62 Les fondements du christianisme
I Aristote et Saint-Thomas ont déjà dit que Dieu était « le premier moteur de
l ' univers ».
64 Les fondements du christianisme
juridique. D ' autre part, si l ' on prend l ' idée de dette, on trouve
beaucoup d' analogie avec une personne disposant de liquidi
tés pour la régler à la place d'un débiteur insolvable. Enfin,
l' expression « payer la rançon » , prise non dans le sens de
subir une punition mais au sens plus général de « payer les
pots cassés » ou de « régler la note » , devient naturellement
une affaire banale : lorsqu' un individu s' est mis dans le pétrin
c' est habituellement un ami bienveillant qui prend la peine de
le tirer de là.
Or, dans quel 12étrin l ' bo.(IlJJlk_ s' e_§t-il mis ? Il a essayé de se
re��!� .a�ton9!J.1�, _ d� _ §_ � _ç_<;>_!_Ilporter comme son propre maître.
-
E� d � �utre.sJennes, 1]!Q!l!l1-1�- ��� � est _ Q_�� _si_!11ple���t une
créature imparfaite qui a besoin d' amélioration, mais un
- -
ré6èllê qui -doÙ -dépo�er les ainiës�--Déposer les armes, se
livrer, dire que l ' on regrette, se-rendre compte que l ' on a suivi
la mauvaise voie, être prêt à recorrlille-ncer la vie à zéro, c ' est
la seule mani�re _de -s�rtir du pé�rip�"Ce- pr_oce��us_��-capitula
tion -cette marche en arrière à toute vit_e sse= _le_s_chrétiens
_
n'en êtes pas l ' auteur. .29.us entretenez seulement une vie _
reçue de quelqu ' un d' autr� Q� _ n1ême, un chrétien peut
p�rdre la vie du Christ gui a été mise enw1 ; il doit faire des
efforts pour la conserver. Même le meilleur chrétien qui ait_
jamais vécu n' agit pas sur sa propre impulsion vitale ; il
nourrit ou protège simplement une vie qu ' il n' aurait jamais
pu acquérir par ses propres efforts. Ceci entraîne des consé-
uences pratiques. Aussi Ion tem s ue la vie naturelle
anime votre corps, e e agira sans arrêt pour réparer ce corps.
E_aites-vous une blessure, et jusqu ' à un certain point, contrai
rement au cadavre, ce cotj)s guérira. Un corps vivant n ' est
pascefui gui jamais ne se blesse, mais celui qui, toutes pro
portions gardées, se répare tout seul. De même, un chrétien
n' est pas un homme qui ne fait j amais le mal ; il est plutôt un
hoiîfrne apte à se repentir, a Serelever et â tout recommencer
76 Les fondements du christianisme
LE COMPORTEMENT
CHRETIEN
'
LES TROl S COMPOSANTES
DE LA M ORALE
loyauté entre les nations, les classes et les individus. Ils n ' ont
en cela que le premier facteur à l ' idée. Quand un homme
explique, au sujet d'une chose qu' il veut faire : « Ce ne peut
pas être mal, puisque ça ne fait de tort à personne », seule la
première composante est prise en compte. « Quelle impor
tance, estime-t-il, si la machinerie du bateau n ' est pas en bon
état, pourvu qu' il ne heurte pas le vaisseau voisin ? » Il est on
ne peut plus naturel, quand nous réfléchissons à la morale, de
commencer par le premier élément, les relations sociales.
C ' est une raison évidente, compte tenu du fait que les résul
tats d' une morale sociale viciée pèsent terriblement sur nous :
guerre, misère, corruption, mensonge, tape-à-l'œil. Aussi
longtemps qu' on s ' en tient à ce premier élément, on n ' a pas à
se faire du souci au sujet de la morale. De tout temps, presque
tous les gens ont admis (en théorie) que les êtres humains
devraient être honnêtes, bienveillants et secourables. Bien
qu' il soit naturel pour chacun de nous d ' y croire, il serait pré
férable de n ' avoir aucune idée, si de telles notions ne devaient
nous conduire plus loin. Et sans l' étape suivante qui se situe
dans la transformation intérieure de chaque être humain, nous
serions toujours déçus. -
À quoi sert-il de dire aux navires comment naviguer pour
éviter les collisions s ' ils ne sont en fait que de vieux rafiots
délabrés et ingouvernables ? À quoi sert-il de coucher sur le
papier des règles de conduite sociale si nous savons qu' en fait
notre avidité, notre couardise, notre mauvais caractère et notre
fatuité nous empêcheront de les observer ? Loin de moi l' idée
que nous cessions de réfléchir intensément aux améliorations
à apporter à notre système social et économique ! Je veux dire
plutôt que tout ne reste que fariboles si nous ne nous rendons
pas compte que seuls le courage et l ' oubli de soi seront
capables d' assurer le bon t'ônctionnement de n' importe quel
système. Il est assez facile d' éliminer les formes particulières
de rapine ou de gouj aterie, de mise dans notre système actuel ;
mais aussi longtemps que les hommes seront des chicaneurs
ou des brutes, ils trouveront quelque nouvelle astuce pour
Les trois composantes de la morale 85
Chacun doit œuvrer d e ses propres mains et, qui plus est,
tout travail doit produire quelque chose de bien. Ainsi dispa
raîtront les manufactures de ridicules objets de luxe et la
publicité encore plus ridicule qui nous incite à les acheter. Il
ne devra y avoir ni « type à l' épate », ni « poire », ni « m' as
tu vu ». À ce degré-là, une société chrétienne ressemblerait
assez à celle que nous considérons maintenant « de gauche » .
Mais, d' autre part, il conviendrait d e toujours insister sur
l' obéissance - obéissance (et marques extérieures de respect)
à l 'égard des magistrats, des enfants pour leurs parents et (j ' ai
peur de me rendre impopulaire) des épouses envers leurs
maris. Ce serait, en troisième lieu, une société enthousiaste,
débordante de chants et de réj ouissances, et considérant
comme un tort l' inquiétude ou l' anxiété. La courtoisie est
l' une des vertus chrétiennes, et le Nouveau Testament hait ce
qu' il appelle les intrigants.
S ' il existait une telle société et que vous ou moi lui ren
dions visite, je pense que nous la quitterions avec une
impression curieuse. Nous éprouverions le sentiment que sa
vie économique est très socialisante et, dans ce sens,
« avancée », mais que sa vie familiale et son code de mœurs
sont plutôt vieux jeu, cérémoniaux ou aristocratiques.
Chacun d' entre nous apprécierait quelques aspects de cette
société, mais je crains que très peu en aimeraient l ' en
semble. C ' est exactement ce qu' on serait en droit d' attendre
si le christianisme concrétisait le plan, à mettre en œuvre,
pour le fonctionnement de la machine humaine. Nous nous
sommes tous éloignés de ce schéma de diverses façons ;
chacun veut prouver que ses propres modifications du plan
original constituent le plan lui-même. Vous retrouverez ce
travers à maintes reprises à propos de tout ce qui est réelle
ment chrétien ; chacun est attiré par des aspects de l' en
semble et désire les isoler du reste. C' est pourquoi nous
n' avançons guère et que des gens visant des buts diamétra
lement opposés peuvent dire de bonne foi qu' ils combattent
pour le christianisme.
96 Les fondements du christianisme
Je l ' ai déjà écrit : nous n' aurons jamais une société chré
tienne à moins que la plupart de ses membres deviennent des
chrétiens convaincus. Cela ne veut pas dire non plus que nous
puissions négliger toute initiative en faveur de cette société
jusqu ' à quelque date fantaisiste dans un avenir lointain. Il en
découle que nous devons entreprendre immédiatement et
conjointement deux tâches : 1 ) étudier comment « Fais ce que
tu voudrais qu' on te fit » peut être mis en pratique dans la
société moderne et, 2) devenir ceux qui mettront en œuvre ce
principe s ' ils savent comment. Voyons maintenant ce qu' est la
vision chrétienne de l' homme bon, susceptible de s' adapter à
la machine humaine.
Avant d'en venir aux détails, je désire attirer votre attention
sur deux autres points d' ordre général. Tout d' abord, puisque
la morale chrétienne s' avère être une technique permettant le
bon fonctionnement de la machine humaine, sans doute aime
riez-vous savoir quelle est sa parenté avec une autre technique
de prétention semblable : la psychanalyse.
À ce propos, il faut distinguer très clairement entre, d' une
part, les théories médicales positives, la technique de la psy
chanalyse et, d' autre part, la conception philosophique géné
rale du monde conçue par Freud et quelques autres. Cette
philosophie freudienne est en contradiction flagrante avec le
christianisme, ainsi qu' avec le grand psychologue Jung.
Quand Freud explique la thérapeutique des névroses, il parle
en spécialiste de son suj et, mais lorsqu' il se lance dans la phi
losophie générale, il discute en amateur. Il est donc tout à fait
raisonnable de lui faire crédit dans un cas mais non dans
l' autre ; c' est là mon opinion. J ' y suis d' autant plus disposé
1 00 Les fondements du christianisme
que l' appétit sexuel, comme tous les autres, s' accroît si l'on
s'y abandonne. Les affamés pensent sans doute beaucoup à la
1 08 Les fondements du christianisme
nourriture, mais les gloutons aussi ; les repus, aussi bien que
les affamés, aiment l'émoustillement.
Et voici le troisième point. Vous trouvez très peu de gens
qui veulent manger des produits non comestibles, ou désireux
d'utiliser la nourriture à d'autres usages que le manger.
Autrement dit, les perversions de l 'appétit, concernant la
table, sont rares. Mais les perversions de l'instinct sexuel sont
nombreuses et effrayantes, difficiles à guérir. Je suis gêné
d' avoir à entrer dans tous ces détails, mais je le dois car vous
et moi, pendant ces dernières décennies, avons été abreuvés
quotidiennement de mensonges tenaces concernant la sexua
lité. On nous répète, j usqu'à satiété, que le désir sexuel est de
même nature que n' importe quel autre désir : si seulement
nous abandonnions la vieille idée stupide de l' époque victo
rienne de le réduire au silence, tout serait délicieux ! Ce n' est
pas le cas. Dès l'instant où vous considérez les faits, en dépit
de la propagande, vous vous rendez compte qu' il n'en est rien.
On nous dit que la sexualité est devenue un gâchis parce
qu'elle a été calomniée. Mais, pendant ces trente dernières
années, elle n'a pas été combattue. On a jacassé à son propos
tout au long du jour. Si l'étouffement avait été la cause de tout
ce trouble, une ventilation aurait rétabli l'ordre normal. Or elle
n'a rien changé. Je pense qu'il faut envisager la question autre
ment. Je crois qu' à l'origine, la race humaine a contrôlé cet ins
tinct sexuel parce qu' il était devenu anarchique. Les gens
modernes proclament sans cesse : « Il n'y a pas lieu d' avoir
honte du sexe Par là ils peuvent avoir deux pensées en tête.
».
Tout d' abord : « Pas de raison d'avoir honte du fait que la race
humaine se reproduit d'une certaine façon, ni que l'acte
procure une jouissance ». Si c'est bien là leur idée, ils ont
raison. Le christianisme dit de même. Ce n'est pas dans l' acte
ni dans le plaisir que réside le problème. Les vieux prédicateurs
chrétiens précisaient que, sans la chute originelle de l'homme,
le plaisir sexuel, au lieu d'être amoindri comme maintenant,
serait en réalité plus grand. Et si quelques chrétiens à l' esprit
confus décrétèrent que le christianisme jetait le discrédit sur la
La morale sexuelle 1 09
général, plus stricts que les autres, mais nous pensons que nous
recevons une aide divine pour leur obéir. /
En second lieu, beaucoup de gens estiment qu' il est impos
sible de se conformer aux principes de la chasteté chrétienne.
Mais lorsqu' il s ' agit d'entreprendre quelque chose, on ne doit
pas toujours l' envisager en fonction du succès ou de l' insuc
cès. Confronté à une épreuve facultative dans un examen, le
candidat se demande s ' il doit la traiter ou non. Tel n' est pas le
cas d' une question obligatoire, pour laquelle il faut répondre
de son mieux. Il se peut que vous récoltiez quelques points
pour une réponse très imparfaite, mais vous aurez un zéro si
vous rendez page blanche. Non seulement au cours d'un
examen, mais dans une ascension, dans l ' apprentissage du
patinage, de la natation, du cyclisme, en boutonnant avec des
doigts gourds un col empesé, les gens font très souvent ce qui
leur semblait impossible. C ' est merveilleux ce qu' on peut réa
liser quand on y est obligé !
Comme on ne peut atteindre la parfaite charité envers les
autres par nos efforts humains, il est tout aussi sûr qu' on n'at
teindra jamais la chasteté parfaite. Il faut demander l' aide de
Dieu. « Mais je l ' ai déjà fait », me direz-vous, « et aucun_
secours neÏÜ'a été donné ». Que cela ne vous troub!e pas. Aprè_s__
chaque échec, implorez le pardon, reprenez courage et essayez
à nouveau. Très souvent, le secours que nous offre Dieu tout
d�d n' est" pas laveffilêile-m�Il).e_ mai_s !� puissance d'eS
sayer a nouveau. Aussi import�nte gue soit la chas�_
courage, la dr01ture ou toute autre vertu- ce proc_essus constit.!:1�,
une éducation de lâme bien plus importante encore. Elle efface
nos illusions sur nous-mêmes et nous enseigne à dépendre de
�ieu. Nous apprenons d'une part que nous ne pouvons avoir
confiance en nous-mêmes à nos meilleurs moments et, d' autre
part, que nous ne devons pas désespérer aux pires moments car
nos échecs sont pardonnés. La seule attitude fatale serait de ne
plus rechercher la perfection.
Troisièmement, les gens méconnaissent l' enseignement de
la psychologie au sujet des « refoulements ». Elle nous
1 12 Les fondements du christian;sme
LE MARlAGE CHRETIEN
1 L'ouvrage a été rédigé avant que la peine de mort soit abolie en France.
Le pardon 1 27
· cëïà l.mpliqÜ. eTmo ;âvis, d' aimer les gens qui n' ont rien
d' aimable en eux. Mais a-t-on soi-même quelque chose d ' ai
mable à présenter en retour ? Vous avez de l' amour pour vous
parce que c' est vous. Or Dieu désire que nous aimions toutes
les créatures pour la même raison ; il nous a donné l' expé
rience de notre cas comme exemple à suivre. Appliquons
donc cette règle à toute autre créature. La tâche sera plus
facile si nous nous rappelons que c ' est ainsi que Dieu nous
aime ; non en raison de certaines qualités séduisantes que
1 28 Les fondements du christianisme
LE GRAND PECHE
N' est-i lpas-ëîffayant que le pire de tous les vices, l' orgueil,
puisse s' immiscer à la dérobée au centre même de notre vie
religieuse ? On devine pourquoi. Les autres vices, moins
mauvais, viennent de l' action du diable au travers de notre
nature animale. Mais, en ce qui concerne l ' orgueil, notre
nature animale n ' y est pour rien. Il s' agit d' une émanation
directe de l' Enfer, d' ordre purement spirituel, entraînant ainsi
des conséquences subtiles et mortelles. Pour la même raison,
on peut souvent se servir de l ' orgueil pour abattre des vices
plus simples. Les enseignants font souvent appel à l ' orgueil
d'un enfant, ou à son amour-propre, pour qu' il se conduise
convenablement. Beaucoup d' individus ont vaincu leur couar
dise, leur concupiscence ou leur mauvais caractère par
orgueil, se persuadant que leurs défauts étaient au-dessous de
leur dignité. Le diable en rit. Il se réjouit de vous voir devenir
chastes, courageux, maîtres de vous, car c ' est par ce biais
qu' il compte vous installer dans la dictature de l' orgueil. Il
serait tout aussi satisfait de vous voir guéri de vos engelures
s ' il lui était permis, en retour, de vous inoculer le cancer. Gar
} '- orgueil est un._ cancer.. spirituel,- il dévore l� possi_!>ili�_mêffië
d' amour, de contentement et de simple bon sens.
- .. . . --- ---=-
-,� . -
Le grand péché 1 33
pour ». Celle-ci est, bien entendu, loin d' être un péché, mais
elle peut aussi signifier que l' individu en cause se rengorge à
propos de son père si distingué, ou de son appartenance à un
régiment d' élite ; ce serait indubitablement un défaut, toute
foi s plus acceptable que d ' être fier de soi-même. Aimer et
admirer quoi que ce soit en dehors de soi-même équivaut à
s ' écarter de la ruine spirituelle totale. Mais nous n ' aurons
jamais une saine spiritualité aussi longtemps que notre amour
et notre admiration ne se porteront pas uniquement sur Dieu.
3) Il ne convient pas de penser que Dieu proh ibe l' orguei l
comme une offense contre lui-même, ou que l ' humi lité serait
requise en tant qu' hommage dû à sa dignité, car il serait alors
lui-même très fier ! Dieu ne se soucie nullement de sa dignité.
Il veut seulement que vous le connaissiez ; il veut se donner à
vous. Or, la nature de son être et la vôtre sont telles que c ' est
en le connaissant -de quelque façon que ce soit- que vous
deviendrez réellement humble . Vous éprouverez alors le sou
lagement infini de vous être débarrassé, une fois pour toutes,
de ce stupide fatras concernant votre dignité qui vous a rendu
si i nquiet et malheureux toute votre vie. Pauvres idiots que
nous sommes ! Dieu essaie de nous rendre humbles pour hâter
le moment où nous enlèverons notre dégui sement de paon
Le grand péché 1 35
LA CHARlTE
L' affection ou l ' amour naturel envers les gens rend plus
facile le fait d' être « charitable » à leur égard. C ' est donc nor
malement un devoir d' encourager nos affections et d' aimer
autrui autant que possible (tout comme il est souvent de notre
devoir d' encourager notre attrait pour l ' exercice physique ou
la nourriture saine) . Cet amour, en soi, reste l ' une des vertus
de la charité, et une aide pour l ' atteindre. D ' autre part, il est
également nécessaire de veiller à ce que notre amour pour
une personne ne nous rende pas injuste à l' égard d' une autre.
Il y a même des cas où notre amour entre en conflit avec
notre charité à l' égard de l ' être aimé : une mère abusive peut
être tentée, par affection naturelle, de « gâter » son enfant et
d' exagérer ses pulsions d' amour aux dépens du futur bonheur
de l ' enfant.
Bien qu' il convienne normalement d' encourager les affec
tions naturelles, penser que la façon de devenir charitable
consiste à essayer de cultiver des sentiments affectueux serait
une grave erreur. Certaines personnes sont « froides » par
tempérament ; ce peut être une infortune pour elles, mais ce
n' est pas plus un péché que d'avoir une mauvaise digestion.
Cela ne les prive pas de la possibilité, ou ne les dispense pas
du devoir d' apprendre l a charité. La règle à respecter unani
mement est parfaitement simple. Ne vous tracassez pas de
savoir si vous « aimez » votre voisin ; agissez comme si vous
l' aimiez. Dès la mise en pratique de ce principe, vous décou
vrirez l ' un des grands secrets. Lorsque vous vous conduisez
comme si vous aimiez une personne, vous en arrivez bientôt à
l ' aimer. De même, si vous blessez quelqu ' un qui vous déplaît,
vous en arrivez bientôt à le détester encore plus. Rendez-lui
un service, vous le détesterez moins ! Mais il y a cependant
une exception. Si vous lui êtes agréable -non pour plaire à
Dieu et obéir à la loi de la charité- mais pour lui montrer
combien vous avez le pardon facile et pour en faire votre débi
teur, et si vous comptez sur sa « reconnaissance », alors vous
serez déçu. Les gens ne sont pas fous ; ils repèrent vite ce qui
est du tape-à-l'œil et du paternalisme. Au contraire, chaque
La charité 1 39
L' espérance est une des vertus théologales. Cela veut dire
que regarder sans cesse vers le monde éternel n ' est pas
comme certains le pensent une forme d' évasion de la réalité
ou de réflexion gorgée d' espoir, mais un des devoirs
imposés au chrétien . Ceci ne signifie pas pour autant que
nous devons abandonner le monde actuel à son triste sort.
En lisant ! ' Histoire, on découvre que les chrétiens ayant
exercé la plus grande influence dans leur temps pensaient le
plus souvent au monde à venir. Les apôtres eux-mêmes
évangélisant l ' Empire romain, les grands bâtisseurs du
Moyen-Âge, les Anglais évangéliques abolitionnistes de la
traite des Noirs, tous ont laissé dans l ' histoire universelle
une trace indélébile car leur esprit était subj ugué par la
pensée du ciel.
Or c ' est depuis que les chrétiens ont, dans une large
mesure, cessé de penser à l' autre monde qu' ils sont devenus
inefficaces dans celui-ci. Aspirez au ciel et aussitôt la vision
du monde vous assaillera : ne pensez qu' à ce monde et vous
n' aurez plus aucune vision du ciel et de la terre. Règle
étrange, n' est-ce pas, mais on peut trouver des effets sem
blables en d' autres domaines. La santé est une grande béné
diction, mais dès l' instant où elle prend pour vous une
importance primordiale et directe, vous commencez à devenir
un maniaque et un « malade imaginaire » . Très vraisembla
blement, vous resterez en bonne forme dès que vous aurez
d' autres désirs : nourriture, jeux, travail, bonne humeur, vie en
plein air. De même nous ne sauverons j amais la civilisation
aussi longtemps qu' elle restera notre but unique. Il nous faut
désirer quelque chose de plus.
1 42 Les fondements du christianisme
dans l ' inconscience. Mais cela ne change rien au fait qu' une
fois allongé sur la table d' opération et qu' on me colle l'hor
rible masque sur le visage, une panique enfantine me saisit. Je
pense que je vais étouffer et j ' ai peur qu' on commence à me
charcuter avant que je ne sois complètement endormi. En
d' autres termes, j e perds la foi dans l ' anesthésique. Ce n ' est
pas la raison qui chasse ma foi ; au contraire, ma foi se fonde
sur la raison. C ' est le fait de mon imagination et de mon
émotion. La bataille se livre entre la foi et la raison d ' un côté,
l ' émotion et l' imagination de l ' autre.
Quand vous réfléchissez à cette remarque, vous découvrez
quantité de cas semblables. Un homme sait de toute évidence
qu' une charmante j eune fille de sa connaissance est menteuse,
incapable de garder un secret et ne mérite aucune confiance.
Mais quand il se trouve avec elle, son esprit perd sa foi dans
ce qu ' il sait d' elle et il se met à penser : « peut-être sera-t-elle
différente cette fois-ci », et à nouveau il se conduit comme un
fou racontant à sa belle ce qu'il ne devrait pas lui dire. Ses
sens et ses émotions ont détruit sa foi en ce qu' il sait perti
nemment être vrai. Prenez l ' exemple d'un garçon qui apprend
à nager. Sa raison sait parfaitement qu' un corps humain non
soutenu ne coulera pas forcément dans l' eau ; il a d' ailleurs vu
des douzaines de gens flotter et nager. Mais toute la question
est de savoir s ' il pourra continuer à y croire quand le moniteur
le lâchera et le laissera nager seul, ou cessant d'y croire, s'il
s ' abandonnera à la panique et coulera.
Or il en est exactement de même au sujet du christianisme .
Je ne demande à personne d' accepter le christianisme si, en
raisonnant sérieusement, il affirme que l' évidence prouve le
contraire. Ce n' est pas sur ce point que la foi intervient. Mais
supposons que la raison d ' un homme le pousse à accepter
l' évidence du christianisme comme irréfutable. Que lui arri
vera-t-il par la suite ? Les ennuis et les mauvaises nouvelles
l ' accablant, le fait pour lui_ de vivre avec des gens ne parta
geant pas sa croyance, feront que ses émotions reprendront le
dessus et écraseront sa foi comme sous un bombardement.
La foi 1 47
Tous les chrétiens seraient d' accord avec moi si j ' avançai s
que le christianisme, quoique semblant à première vue unique
ment axé sur la morale, les devoirs, les règles, la culpabil ité et
la vertu, nous entraîne plus loin vers un au-delà hors de tout.
Dans ce pays, on ne parlera plus de ces choses, sauf peut-être
à titre de plai santerie et chacun tel un miroir inondé de lumière,
débordera de ce que nous appelons la bonté. Cette bonté ne
préoccupera plus les habitants, tellement ils seront occupés ù
contempler la source d'où elle émane. Nous sommes ici près
du point où la route franchit la frontière de notre monde.
Aucun œil ne peut voi r loin au-delà de cette limite, mais bien
des gens ont une vue plus perçante que la mienne.
1 Philippiens : 2 : 1 2
Quatrième partie
AU-DELA DE LA PERSONNE,
'
ou
premier lieu, cette carte est basée sur les découvertes d ' in
nombrables navigateurs ayant traversé l ' Atlantique. Elle est
ainsi l e frui t d ' une somme d ' expériences vécues, tout aussi
réelles que celle que vous avez faite sur la plage ; seulement,
alors que la vôtre n ' est qu' un simple coup d ' œi l i solé, la carte
offre la synthèse de ces diverses expériences.
En second lieu, si vous voulez naviguer, une carte est indis
pensable. Tant que vous vous contentez de promenades sur la
plage, il est plus agréable de regarder la mer que de contempler
une carte. Toutefois, si vous voulez atteindre l ' Amérique, cette
dernière rendra plus de services que les promenades sur la grève.
Or la théologie est semblable à une carte. Se contenter
d' apprendre les doctrines chrétiennes et d ' y réfléchir, c ' est -si
on en reste là- moins réel et moins passionnant que la révéla
tion qu ' eut cet officier au désert. Les doctrines ne sont pas
Dieu, mais seulement une sorte de carte établie d ' après l ex
périence de centaines de gens qui ont réellement eu un contact
avec lui . Tous les frémissements pieux ou les émotions spiri
tuelles que vous et moi sommes susceptibles d' éprouver sont
bien élémentaires et confus, comparés à ces expériences
vécues. En outre, si vous désirez al l er plus loin, il vous faut
utili ser une carte. Voyez-vous, ce qui est arrivé à cet homme
dans le désert peut avoir été réel , très exaltant, mais rien n ' en
est ressorti . On ne peut rien en tirer. Cel a ne conduit nulle
part ; c' est pourquoi une religion floue qui consi ste à retrou
ver Dieu dans la nature est tellement attrayante. Ce n ' est hélas
que de l ' exal tation, sans action , comme la contemplation des
vagues au bord du rivage. Vous n ' atteindrez pas Terre-Neuve
en scrutant ainsi l ' Atlantique, comme vous n ' obtiendrez pas
la vie éternelle en ayant le sentiment de la présence de Dieu
dans les fleurs ou la musique. De même, vous n ' irez nulle part
en regardant des cartes, sans prendre la mer, et vous ne serez
pas en sécurité si vous naviguez sans carte .
En d ' autres termes, et surtout de nos jours, la théologie est
pratique. Autrefois, alors que l ' instruction et le goût de la dis
cussion étaient moins répandus, peut-être était-il possible de se
Créer et engendrer 1 59
Mais créer, c ' est faire quelque chose d ' une nature différente
de soi. Un oiseau fait son nid, un castor construit une digue,
un homme fabrique un téléviseur. Un sculpteur adroit fera
même une statue qui ressemblera à un homme, mais celle-ci
n'en gardera cependant que l ' image et ne pourra j amais ni res
pirer ni penser. Elle ne sera j amais vivante.
Mettons bien ceci au clair ; ce qui est engendré de Dieu est
Dieu, tout comme un homme s ' engendre d ' un autre homme.
Ce que Dieu crée n'est pas Dieu, tout comme l ' homme ne
peut créer un autre homme. C' est pourquoi les hommes ne
sont pas fils de Dieu dans le sens où le Christ l ' est. Il peuvent
être comme Dieu en certains domaines, mais ne sont pas des
êtres de même nature. Ils ressemblent davantage à des statues
ou à des images de Dieu.
Une statue revêt la forme d'un homme, mais elle n' est pas
vivante. De même, l' homme (et je vais m'en expliquer) a la
« forme » ou l ' apparence de Dieu, mais il ne possède pas la
mais qu' elle rythme aussi l ' existence de toutes choses. Il est
donc logique de penser que tout l' univers et Dieu lui-même se
déplacent comme nous du passé au futur. Mais beaucoup
d' hommes instruits ne sont pas de cet avis. Les théologiens
ont émis, les premiers, l ' idée que certaines choses sont totale
ment hors du temps. Plus tard, les philosophes et quelques
scientifiques reprirent également cette idée.
Il est presque certain que Dieu est hq�s_du temps. Sa vie ne
consisi_e pas_ en Jin� sùë__c_ession de moments. Si un million de
personnes le prient ce soir T èîix heures trente� il ne lui est pas
nécessaire de les écouter toute�- dans- ce yetit espace de temps
que nous appelons dix heures trente. Cet instant précis -et tout
autre depuis le commencement du monde- est toujours le
présent pour lui. Si vous préférez, il a toute l' éternité pour
écouter la prière d' une fractiop de s�_ç9_nçle lancée par un
pilote dont l' avion s ' écrase en flammes.
C ' est difficile à saisir, j ' en conviens. Permettez-moi de
vous soumettre un exemple un peu semblable. Supposez ql!e
j ' écrive un roman : « Marie posa son ouvrage ; l' instant
suivant on frappa à la porte ! » Pour Marie qui doit opérer
ciàns le temps imaginaire de mon récit, il n ' y a aucun inter
valle entre l' '!bandon de son ouvrage et le coup frappé à la
-
p.orte. Mais moi, qÙi. iuis le- �réa-tê-ùr de M_arie Je - ne- vis pas du
tout en ce temps imaginaire. Entre les deux parties de la
phrase, j ' ai pu m' arrêter trois heures et réfléchir profondé
ment à Marie. J' aurais pu penser_ à Mane comme si elle était
le seul personnage du roman et cela aussi longtemps qu ' il
rÎl' aurait plu. Les heures ainsi remplies n' apparaîtraient pas
dans le temps de Marie (le temps imaginaire de l' histoire).
-Cë ri' ëst pas unè illustratiÜn parfaite, évidemment, mais
elle peut donner un aperçu de ce que je crois être la vérité .
Dieu n' est pas �ntraîné dans le cours du temps de cet univers,
pas plus que ne le serait un auteur dans le temps imag_inai!:_� .d:e
son roman. Il a une attention infinie à consacrer à chacun
------
d' entre nous. Il n ' a pas à s ' occuper de nous en bloc . Vous êtes
face à face avec lui comme si vous étiez le seul être qu ' il ait
Un temps par-delà le temps 1 71
vous voit simplement en train d' agir. Pour vous, hier est der
rière vous, pour lui, non. Il ne « prévoit » pas ce que vous
ferez demain, il vous voit simplement en train d ' agir ; car si
demain n'est pas encore là pour vous, il est là pour lui . Avez
vous supposé que vos actes du moment présent soient moins
libres à cause de la prescience de Dieu ? Eh bien, il connaît
de même vos actions de demain, parce qu' il est déj à dans ce
demain et peut vous observer tout simplement. �n un sens, il
n�nnaît pas votre action jusqu ' à ce que vous l ' ayez
acs._9..mplie_;_m ais le moment où vous l' avez faite est déj à
<<Jllilintenant » pour lui.
Cette pensée m ' a été d ' un grand secours . Si elle ne vous
aide pas, laissez-la tomber. C ' est une « idée chrétienne » car
de grands et sages chrétiens l ' ont soutenue et il n ' y a rien en
elle de contraire au christianisme. Mais elle ne se trouve pas
dans la Bible ni dans aucun Credo . Vous pouvez être un
excellent chrétien sans l ' accepter ou sans y porter le
moindre intérêt.
LA SAlNE CONTAGl ON
'��
mais créés par lui ; selon notre nature humaine nous ne
c-
sommes pas fils de Dieu, mais seulement, pour ainsi dire, de
simples statues. Nous n' avons pas reçu la vie spirituelle de la
j Zoé, mais seulement le Bios, la vie biologique qui va vers la
f
'
;j décrépitude et la mort. Qr voici l '_ offre exceptionnell� du
( christianisme : nous pouvons, en laissant ag1fU1eu, participer
f"fa vie �st. Si nous le faisons, nous partagerons alor_s
I
.-
':Ee vie gui fut engendrée, non créée, qui a toujours existé �
�
"'
existera toujours. Le Christ est le Fils de Dieu. S i ns
� , part a ce type e vie nous serons aussi fils de Dieu. Nous
, ";' ' aimerons le Père comme le Christ le fait, et le Saint-:EsQr:it se
� \ @.v�l�ra-en_�� _Jés�s vint dans ce monde en tant qu' hom�
'- afin de communi uer utres h sorte de vie ui
était en ui..:..11 l ' a fait par ce que j'appe l le une « saine conta
gion ». Chaque chrétien est appe lé à devenir un petit christ.
Voilà ce que signifie devenir chrétien. Rien d' autre.
'j
SOLDATS DE PLOMB
OBSTINÉS
J'ai fort envie de vous dire -et il en est sans doute de même
pour vous- laquelle de ces deux erreurs est la pire. C ' est le
démon qui nous assaille. Il lance toujours dans le monde des
sophismes par couples, ou par paires de contraires. Il nous
encourage sans cesse à gaspiller beaucoup de temps à cher
cher laquelle est la plus mauvaise. Vous comprenez pourquoi,
n' est-ce pas ? Il compte que votre répulsion pour l' une de ces
erreurs vous incitera progressivement à adopter l' autre. Il
nous faut garder les yeux fixés sur le but et foncer droit entre
les deux. Il n'est pas d' autre attitude à adopter.
FAl SON S COMME Sl . ..
Dieu qui est homme (tout comme vous) et Dieu (tout comme
son Père) est vraiment près de vous à cet instant, commençant
à transformer votre illusion en réalité. Est-ce là simplement un
rappel fantaisiste de votre conscience vous indiquant la
conduite à suivre ? Si vous l'interrogez, vous obtiendrez une
réponse, mais celle-ci sera différente si vous vous souvenez
que vous vous présentez comme Christ. Il y a quantité de
choses que votre conscience ne juge pas irrémédiablement
mauvaises (surtout les pensées de votre esprit) mais vous
comprenez aussitôt ne pas pouvoir continuer dans cette voie
si vous essayez sérieusement d' imiter le Christ. Car alors vous
ne raisonnez plus simplement en termes de bien ou de mal ;
vous tâchez d' attraper la saine contagion d'une Personne.
Cela tire davantage à la ressemblance d'un portrait plutôt qu' à
l a stricte observance des règles. Et, fait étonnant, c'est beau
coup plus difficile en un sens que de respecter les règles ; d'un
autre côté, c'est beaucoup plus aisé.
Le véritable Fils de Dieu se tient à vos côtés. Il commence
à vous transformer en une personne qui lui ressemble. Il com
mence, pour ainsi dire, à injecter en vous sa propre essence de
vie et de pensée. C' est sa vie (Zoé) qui entreprend de changer
le soldat de plomb que vous êtes en homme vivant, et ce qui
en vous n' apprécie pas cette mutation est le résidu du plomb.
Certains parmi vous peuvent penser que cela n'a rien de
commun avec leur propre expérience. Peut-être direz-vous :
« Je n' ai jamais eu l' impression d'être secouru par un Christ
invisible mais j ' ai souvent reçu l ' aide d' autres humains » .
Une telle attitude serait semblable à celle d' une femme qui,
lors de l' autre guerre mondiale, disait n'être pas concernée par
le manque éventuel de pain car chez elle on mangeait toujours
des biscottes. S ' il n'y a pas de pain, il n'y a pas davantage de
biscottes ! Si l'on ne recevait aucun secours du Christ, il n'y
aurait aucun secours à attendre des humains. Le Christ tra
vaille en nous de maintes manières, et pas seulement par le
truchement de ce que nous croyons être notre « vie reli
gieuse » . Il œuvre par le moyen de la nature, par notre propre
1 92 Les fondements du christianisme
corps, par des livres, parfois par des expériences qui semblent
(a priori) anti-chrétiennes. Lorsqu'un jeune homme, ayant
fréquenté l'église par routine, se rend compte honnêtement
qu' il ne croit pas au christianisme et cesse d'assister au culte
-s' il le fait par honnêteté et non simplement pour agacer ses
parents- l'esprit du Christ est sans doute plus près de lui
qu' avant. Mais, par dessus tout, le Christ travaille en nous par
l'intermédiaire des autres.
Les hommes, tels des miroirs, sont des « messagers » du
Christ auprès de leurs semblables, mais n'en sont pas toujours
conscients. Personnellement, j ' ai été conduit au christianisme
par l ' intermédiaire d'incrédules et je pense que « cette saine
contagion » peut nous être transmise par eux. Mais habituel
lement, ce sont ceux qui connaissent le Christ qui l' apportent
aux autres. C' est pourquoi l' Église -corps global des chré
tiens- qui témoigne du Christ aux autres, a tellement d'im
portance. Et lorsque deux chrétiens suivent le Christ
ensemble, ils ne témoignent pas deux fois plus du christia
nisme, mais seize fois plus.
N' oublions pas ceci. Tout comme il est naturel qu'un bébé
absorbe le lait maternel sans connaître sa mère, il est tout
aussi naturel qu' on ne puisse discerner le Christ derrière celui
qui nous aide. Mais il ne convient pas que nous restions des
bébés. Il nous faut croître pour reconnaître le vrai Bienfaiteur.
Ce serait pure folie de ne pas le faire, parce que sinon, nous
aurions à nous appuyer sur des créatures humaines, et nous
serions les dupes. Les meilleurs des hommes font des erreurs
et tous sont mortels. Nous devons être reconnaissants envers
ceux qui nous ont aidés, les honorer et les aimer, mais ne
jamais mettre toute notre foi en aucun être humain, quel qu'il
soit, fût-il le meilleur et le plus sage. Si de belles choses
peuvent être réalisées avec du sable, il n'est pas sage d' édifier
sa maison dessus.
Nous commençons maintenant à comprendre le langage du
Nouveau Testament. Il dit des chrétiens qu'ils sont « nés de
nouveau », « qu' ils ont revêtu le Christ », et au sujet du Christ
Faisons comme si. . . 1 93
n' est qu' une manière imagée de parler pour inciter les chré
tiens à mettre en pratique les paroles du Christ, tout comme
un homme peut étudier les écrits de Platon ou de Karl Marx
pour essayer de les mettre en pratique. Non, ces paroles ont
un sens beaucoup plus profond encore. Elles prétendent
qu'une Personne réelle, le Christ, est ici et à cette heure
même, dans cette pièce où vous priez, et qu' il agit en votre
faveur. Il ne s' agit pas d'un homme bon qui mourut voici
deux mille ans. C 'est un Homme vivant, aussi humain que
vous mais toujours autant Dieu que lorsqu' il créa le monde,
qui vient s' occuper de vous à titre personnel. Il fait mourir en
vous la vieille nature pour la remplacer par sa propre person
nalité, tout d' abord épisodiquement, puis pour de plus
longues périodes. Enfin, si tout va bien, il vous transforme
définitivement en une sorte d'être différent, en un petit christ
nouveau, une créature qui, à sa façon modeste, possède la
même sorte de vie que Dieu. Vous participez alors à sa puis
sance, à sa joie, à sa connaissance et à son éternité. Ceci nous
conduit tout aussitôt vers deux autres découvertes.
1 ) Nous commençons à prendre conscience, non seulement
de nos péchés particuliers, mais aussi de notre propension au
péché ; à nous émouvoir non seulement de ce que nous
faisons, mais de ce que nous sommes. Ceci peut vous paraître
plutôt difficile en effet, aussi vais-je essayer de donner
quelques précisions en m' appuyant sur un témoignage per
sonnel. À l ' heure de ma prière du soir, lorsque je fais le
compte de mes péchés du jour, ceux-ci proviennent neuf fois
sur dix d'un manque de charité : j ' ai boudé, rembarré quel
qu' un, raillé un autre, infligé un affront, ou piqué une colère.
L'excuse qui vient immédiatement à mon esprit, c' est la sou
daineté de la provocation ou le fait que n'étant pas sur mes
gardes, je n'ai pas eu le temps de me ressaisir. Certes, ce peut
être là une circonstance atténuante à propos d' actes particu
liers ; ils auraient été manifestement pires s ' ils avaient été
1 94 Les fondements du christianisme
pourrions même dire que c ' est Dieu qui fait de nous ce qu' il
aimerait que nous soyons. Le Dieu en trois Personnes voit
devant lui, pour ainsi dire, un animal humain égocentrique,
avide et rebelle. Il dit : « Faisons comme s ' il était notre fils et
non une simple créature, et comme s'il était homme comme le
Christ le fut et supposons même qu'il soit comme lui par
!'Esprit. Même s ' il ne l'est pas, traitons-le comme tel. Faisons
semblant, afin de transformer l'illusion en réalité. » Dieu vous
considère comme si vous étiez un petit christ. Et le Christ,
quant à lui, se tient auprès de vous pour vous transformer
ainsi. J' imagine que cette idée de Dieu « faisant semblant »
vous paraît bizarre. Mais est-ce tellement étrange ? C'est de
cette manière pourtant que ce qui est supérieur élève toujours
ce qui est inférieur. Une mère apprend à son bébé à parler en
s'exprimant comme s ' il la comprenait, bien avant qu'il com
prenne. Nous traitons nos chiens comme s ' ils étaient
« presque humains » ; c'est pourquoi, en vérité, ils deviennent
à la fin presque humains !
LE CHRl STIANlSME EST-ll
EXl GEANT OU FACllE ?
CALCULER LA DEPEN SE
Je m' explique. Quand j ' étais enfant, j ' avais souvent mal
aux dents. Je savais que si j ' allais trouver ma mère, elle me
donnerait un calmant pour me permettre de dormir. Mais, tant
que la douleur était supportable, je préférais ne pas aller vers
elle et j ' avais mes raisons : une fois consciente de mon mal,
ma mère se sentirait obligée, le matin suivant, de me conduire
chez le dentiste ! Je ne pouvais obtenir d' elle ce dont j ' avais
besoin sans échapper à une autre initiative que je ne voulais
pas. Je désirais le soulagement immédiat de la douleur, mais
ne pouvais en bénéficier sans subir l' extraction d'une dent.
Or je connais bien ces dentistes : une fois en route avec leurs
instruments, ils se mettent toujours en devoir de soigner des
dents qui ne font pas souffrir. Ils ne peuvent pas laisser les
gens tranquilles. Donnez-leur le petit doigt et ils s'emparent
du bras ! Eh bien, si vous permettez, notre Seigneur leur res
semble étrangement. Donnez-lui votre petit doigt et il s' em
parera de votre bras. Quantité de gens vont à lui pour être
guéris de quelque péché particulier dont ils ont honte
(comme la masturbation ou la frousse) ou qui manifestement
204 Les fondements du chrisaanisme
vous attribuez le mérite des dons que Dieu vous accorde par
le truchement de la nature, et si vous vous contentez simple
ment d'être quelqu' un de bien, vous êtes encore un rebelle ; et
tous ces talents rendront votre chute plus terrible, votre cor
ruption plus complexe, votre mauvais exemple plus désas
treux. Le Diable était un archange autrefois ; ses dons naturels
outrepassaient largement les vôtres, dans la même mesure que
les vôtres surclassent ceux d'un chimpanzé.
Mais si vous êtes une pauvre créature dégradée par une
éducation pitoyable au sein d'un foyer rongé par des jalousies
stupides et de basses querelles -possédée, contre votre gré,
par quelque écœurante perversion sexuelle- aux prises nuit et
jour avec un complexe d'infériorité qui vous aigrit à l'égard
de vos meilleurs amis, alors ne désespérez pas. Le Christ
connaît fort bien tout cela. Vous êtes l'un de ces pauvres qu' il
a bénis. Il sait quelle machine lamentable vous essayez de
diriger. Tenez ferme. Faites de votre mieux. Un jour, il jettera
votre vieille nature sur le tas d' immondices et vous en
donnera une nouvelle. Vous pourrez alors nous étonner autant
que vous-même, car vous l' aurez appris d' une école exi
geante : certains des derniers seront les premiers et quelques
uns des premiers seront les derniers.
Une personnalité saine et complète est excellente. Il nous
faut essayer par tous les moyens médicaux, éducatifs, écono
miques et politiques mis à notre disposition de produire un
monde où le maximum possible d' individus deviennent des
« gens bien », tout comme il faut nous efforcer de bâtir un
monde où chacun ait à manger à sa suffisance. Mais il ne fau
drait pas supposer que si l'on réussissait à faire de tous les
individus de braves gens, on aurait sauvé leur âme. Un monde
de gens charmants, satisfaits de leur propre gentillesse, sans
perspective d' avenir et se détournant de Dieu, aurait tout aussi
désespérément besoin du salut et pourrait même être plus dif
ficile à sauver qu' un monde misérable.
Bien que la rédemption améliore toujours les gens et les
rehausse à un niveau inimaginable, une simple amélioration
Braves gens ou hommes nouveaux ? 217
tels que vous les concevez d' après vos lectures. Ils n' attirent
pas l' attention sur eux. Vous inclinez à croire que vous êtes
aimables à leur égard alors qu'en réalité c'est eux qui mani
festent leur bienveillance envers vous. Ils vous aiment plus
que ne le font les autres mais ils ont moins besoin de vous. (Il
nous faut vaincre cette manie de nous croire indispensables -
qui se manifeste chez les plus zélés, surtout les femmes, car
c'est la tentation la plus difficile à vaincre). Les chrétiens
224 Les fondements du christianisme
Vous lui expliquez que dans votre pays on met du sel dans
tous les aliments. Ne pourrait-il pas croire alors que tous nos
plats ont exactement la même saveur parce que le goût de ces
petits grains est si fort qu' il ôtera celui de tout le reste ? Mais
vous et moi savons bien que le sel produit exactement l'effet
opposé. Loin de tuer la saveur de l' œuf, de la viande et du
chou, il la fait ressortir. Ces mets ne révèlent vraiment leur
goût véritable que s ' ils sont relevés de sel. (Naturellement, ce
n'est pas une très bonne illustration car vous pouvez, après
tout, supprimer les autres goûts en forçant la dose de sel,
tandis que vous ne pouvez faire perdre la « saveur » d'une per
sonnalité humaine en l'imprégnant trop du Christ). J'ai fait de
mon mieux en m'exprimant ainsi.
Il en va un peu de même entre le Christ et nous. Plus nous
nous débarrassons de ce que nous appelons « notre moi » et
laissons le Christ s'emparer de nous, plus nous devenons
vraiment nous-mêmes. Le Christ a une telle intensité et
densité que des millions de « petits christs », tous différents,
seront encore trop peu nombreux pour l'exprimer entière
ment. Il les a tous modelés. Semblable à un auteur qui
conçoit les personnages de son roman, il a inventé des
hommes aussi différents que vous et moi. En ce sens, nos per
sonnalités réelles sont en dépôt en lui et nous attendent. Il est
vain de m'efforcer d' être « moi-même » sans lui. Plus je lui
résiste en essayant de vivre replié sur moi-même, plus je me
trouve dominé par mon hérédité, mon éducation, mon envi
ronnement et mes désirs naturels.
En fait, ce que j ' appelle si fièrement « moi » devient sim
plement le rendez-vous d' événements que je n'ai jamais pro
voqués et que je ne puis arrêter. Ce que j ' appelle « mes
désirs » sont simplement les appétits émanant de mon être
physique, inspirés par les pensées d' autrui, ou suggérés même
par quelque démon. Voyez cet homme dans ce compartiment.
Il vient de décider (et se flatte d' avoir pris une décision per
sonnelle et judicieuse) de courtiser la jeune fille assise en face
de lui. Il oublie que son état euphorique est causé par quelques
226 Les fondements du christian;sme
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AVANT PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
POUR FAlRE CONNAl SSANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1 . La l oi de la n ature humaine... . . . . . . . . . . . . . . . 1 9
2 . Quel q u es obj ecti ons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 5
3 . La réalité d e l a loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
4. Que dissimule l a l oi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
5 . N ous avons d es m otifs d e n ous sentir mal à l 'aise . 43
9. La charité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3 7
1 0. L'espéran ce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 41
1 1 . La foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 45
1 . Créer e t engendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 57
2 . Dieu en Trois Personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 63
3. Un temps par- d el à le temps . . . . . . . . . . . . . . . 1 69
4. La sain e contagion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 75
5. Sol d a ts d e plomb obstinés . . . . . . . . . . . . . . . . 1 81
6. Deux n otes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 85
7. Faisons comme si . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 8 9
8. Le christia nisme est-il exigeant ou fa cile ? . . . . 1 97
9. Calculer l a d épense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
1 O. Braves gens ou h ommes nouveaux ? . . . . . . . . 209
1 1 Les h ommes n ouveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219