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de psychiatrie
Pratique clinique
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Préface
Je suis très honoré d’avoir été sollicité pour rédiger la préface de cet
ouvrage collectif, publié sous la direction de Caroline Doucet.
La place des psychologues au sein des services de psychiatrie pose
évidemment la question des identités professionnelles des uns et des
autres, ce qui est un problème d’importance à une époque comme celle
que nous vivons et qui se joue dans un contexte socioculturel difficile.
Savoir qui l’on est n’est pas un luxe de l’esprit, mais bien plutôt une
nécessité vitale.
En tant que pédopsychiatre, j’ai eu à travailler dans différents ser-
vices de pédopsychiatrie, et j’ai moi-même dirigé le service de pédopsy-
chiatrie de l’hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris, de 1986 à 2003, date
à laquelle les deux services de pédopsychiatrie de l’hôpital Saint-Vincent
de Paul et de l’hôpital Necker-Enfants Malades ont été fusionnés en
un seul et même service dont j’assure, depuis lors, la direction sur le
site hospitalo-universitaire Necker-Enfants Malades, à Paris également.
J’ai donc une expérience personnelle des liens entre psychologues et
pédopsychiatres au sein d’un service de pédopsychiatrie, et au sein des
services de pédiatrie concernés par l’activité dite de pédopsychiatrie
de liaison. De ce fait, l’ouvrage coordonné par Caroline Doucet m’a
intéressé au plus haut point, et je le crois fort bienvenu pour faire valoir
une certaine vision humaniste de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie
à laquelle j’adhère, bien sûr, très profondément.
Les liens fonctionnels entre les activités des psychologues et celles
des (pédo)psychiatres ont été longtemps obscurcis par des questions de
pouvoir qui, pour importantes qu’elles soient, ne constituent pourtant
pas, me semble-t-il, le fond du problème. Pour ma part, je suis tout à
fait d’accord avec la position de Caroline Doucet qui insiste sur la res-
ponsabilité des psychologues quant à la préservation d’une dimension
subjectivante de la psychiatrie dont on sait les tentations actuelles de
nature biologisante, voire scientiste. Il me semble toutefois qu’il y a là
un combat commun avec les pédopsychiatres qui, à la différence des
psychiatres d’adultes, parviennent encore à éviter (mais pour combien
de temps ?) que leur identité professionnelle se résume à une qualifica-
tion particulière en matière de prescription de psychotropes ! Le pire
n’est jamais sûr, mais il nous faut, cependant, être très vigilants…
À juste titre, Caroline Doucet pointe deux caractéristiques de l’évo-
lution des idées dans le champ de la psychiatrie : d’une part le passage
progressif, voire insidieux, du concept de psychiatrie à celui de santé
mentale qui comporte par essence le risque d’une évacuation de la
psychopathologie, et d’autre part la fascination des psychiatres par la
VI
1. DSM pour « Diagnostic Statistical Manual » (4e édition) et CIM pour « Classification
Internationale des Maladies » (10e édition).
IX
Introduction
Le champ clinique
Nombreux sont les psychologues qui exercent dans des institutions rele-
vant du champ de la santé mentale. Ils y occupent une place centrale,
conséquence de la dilution progressive de la clinique psychiatrique.
La substitution récente de la psychiatrie par la santé mentale a trans-
porté la clinique psychiatrique dans le registre de la médecine, l’éloi-
gnant ainsi des repères théoriques et cliniques issus de l’expérience
freudienne qui prévalaient jusque-là. La psychanalyse réfute l’hypo-
thèse d’une organogenèse ou d’une psychogenèse à l’origine de la folie.
Elle propose un autre type de causalité : la folie comme phénomène de
pensée, c’est-à-dire de langage. Le langage est à entendre non comme
un outil de communication mais comme un parasite, dont l’être parlant
est serf. Non seulement le langage préexiste au sujet mais le sujet réside
tout entier dans une dépendance première au langage qui marque le
vivant de sa frappe et constitue son traumatisme essentiel. « L’être
parlant est un être vivant, pour la simple raison, écrit Lacan dans son
texte « Petit discours aux psychiatres » (1967), que quelque chose reste
enchaîné précisément à cette origine, à savoir cette dépendance pre-
mière de la chaîne signifiante (…) qu’il y reste fixé en certains points ».
Ces points de fixation, ces traces du signifiant dans le corps, donnent
forme au symptôme particulier et coloration à la folie humaine. Cette
importance attribuée au langage dans la constitution du sujet, la fonc-
tion de la parole ainsi que l’attention donnée au discours du patient,
ont constitué très longtemps le socle de l’interface fructueuse entre psy-
chiatrie et psychanalyse.
Or, depuis quelques années, la pratique psychiatrique s’est détournée
de la clinique au profit d’une psychiatrie du signe et de la pharma-
ceutique : le terme de symptôme se voit remplacé par celui de trou-
ble, tandis que la place dévolue à la parole du patient est sérieusement
négligée dans la compréhension et l’élucidation du symptôme. Le cas
est à présent dissout en série statistique, le sujet réduit à quelques items
symptomatiques.
Parce qu’ils font du fonctionnement psychique leur objet, les psycho-
logues exercent « naturellement » dans le champ psy. C’est pourquoi, si
la place des psychologues dans ces institutions relève de leur condition
XII
L’au-delà de la clinique
Entendue comme « l’observation (et le traitement) du malade à son
chevet » et la classification des phénomènes observés, la clinique n’est
pas l’apanage du psychologue, ni du psychologue clinicien. Alors qu’ini-
tialement la clinique qualifiait cette méthode héritée de la médecine,
consistant à établir des tableaux qui répertorient les caractéristiques
communes des individus, son qualificatif se réduit désormais à désigner
un domaine d’application. Toute autre est la conception de la clinique
que soutient le psychologue formé à et par la psychanalyse. Cette cli-
nique fait fond sur l’irréductible affection de l’être parlant, celle qui
tient au parasite langagier, celle qui objecte à toute santé mentale nor-
mative. La dimension propre du sujet de la parole désigne précisément
ce qui, au cœur de son être, ne souffre aucune comparaison statistique
avec un autre sujet, n’entre dans aucune classification préétablie et ne
se collectivise pas. En cela, le psychologue clinicien s’éloigne d’une
clinique descriptive qui a montré ses limites de buter justement sur la
limite réelle constituée par la radicale singularité du sujet.
La clinique implique la prise en considération du réel, de « l’impossi-
ble à supporter », de « l’impossible à penser » dont chaque être parlant
est une réponse éminemment singulière. Le symptôme est à cet égard
envisagé sur un double versant : la souffrance qui sous-tend la plainte
mais également son caractère de décision éthique, d’invention. Il est le
signe du sujet qui en est porteur. Là réside l’essence de la clinique, voire
son au-delà : maintenir et accueillir la dimension singulière du sujet et
soutenir un usage du symptôme qui tienne compte de sa fonction dans
l’économie psychique.
Le pari de la rencontre
La perspective ainsi dessinée a des conséquences concrètes dans les ins-
titutions envisagées dans leur fonction d’accueil du sujet en souffrance
où il s’agit de toujours privilégier le recueil de la parole du sujet, de
miser sur la rencontre. Cela oppose aux logiques globalisantes préva-
lentes dans bien des institutions, le dessin baroque d’une institution sur
mesure pour le sujet. Lacan avait annoncé dès 1967 que les progrès
XIII
Transversalité de la clinique
Il convient de situer la place des psychologues dans l’institution psy-
chiatrique au regard du changement d’objet en psychiatrie, à savoir le
passage de la maladie mentale à la santé mentale. Depuis la création
de l’hôpital psychiatrique versus asile jusqu’à sa constitution comme
lieu de soin psychique spécifique et au développement du soin ambula-
toire, le psychologue a vu évoluer sa profession au fil de ces mutations,
reposant sans cesse les conditions et enjeux de sa présence en psy-
chiatrie (chapitre 1). Néanmoins, les variations du cadre d’exercice
des psychologues laissent apparaître le caractère transversal de la
clinique.
Pratique clinique
Qu’apporte alors, très concrètement, la présence d’un psychologue
clinicien à l’institution dans laquelle il exerce et au patient qu’il rencon-
tre ? Que vise-t-il et que suscite-t-il ?
La diversité des services, dont certains spécialement créés en réponse
à la subjectivité contemporaine, met en évidence un style clinique dans
l’abord du patient.
Le repérage des structures cliniques, la considération de la causalité
psychique, la clinique sous transfert, caractérisent la pratique du psy-
chologue clinicien. Le psychologue mesure l’efficacité de son acte au
regard d’effets subjectifs qui ne se réduisent pas à la disparition du
symptôme mais permettent au sujet de repérer la logique de ses choix et
XIV
Ce livre s’adresse à ceux pour qui la clinique n’est pas un vain mot.
Il est une contribution à la conceptualisation clinique en psychiatrie,
avec la psychanalyse.
Bibliographie
Lacan, J. (1966). Propos sur la causalité psychique (1946), Écrits, Paris, Seuil.
Lacan, J. (1967). Petit discours aux psychiatres, Inédit.
Lacan, J. (2001). Allocution sur les psychoses de l’enfant (1967), Autres Écrits,
Paris, Seuil.
Caroline Doucet
Place du psychologue dans l’histoire de la psychiatri 1
Chapitre 1
lace du psychologue
P
dans l’histoire de la psychiatrie
Anne G
olse
6. Ce qu’on appelle file active est le nombre de personnes vues au moins une fois dans
l’année, que ce soit une fois en consultation ou qu’elles aient, comme certaines, résidé
toute l’année dans les lieux à temps complet. Cette file active se décompose en trois
composantes : ambulatoire (consultations et visites à domicile.. ;), temps partiel (hô-
pitaux de jour où les malades viennent à la journée, centres d’accueil à temps partiel
qui ont un fonctionnement par plages horaires plus réduites, ateliers thérapeutiques
centrés sur une activité…), temps complet avec une hospitalisation à temps complet.
7. On entend par psychiatrie générale la seule psychiatrie adulte hors les intersecteurs
spécifiques et les secteurs de psychiatrie pénitentiaire créés par le décret de 1986.
8. Pour appréhender l’étendue du champ global de la psychiatrie, il faudrait ajouter un
certain nombre d’autres données : les cliniques privées ont effectué 113 000 hospita-
lisations en 1993, les psychiatres libéraux ont effectué 15 700 000 actes en 1997, soit
17 % de plus qu’en 1992 sans compter le nombre des consultations privées assurées
par de psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes en libéral dont le nombre ne
cesse d’augmenter.
9. Il est intéressant de noter que c’est en 1985 que pour la première fois dans les statis-
tiques annuelles, l’extrahospitalier (temps partiel et ambulatoire) voit sa file active
dépasser celle de l’intrahospitalier.
10. Circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale.
Place du psychologue dans l’histoire de la psychiatri 7
14. Sur ce modèle se créent également des modules de formation pour apprendre à la
famille à vivre avec un individu porteur d’une psychose.
Place du psychologue dans l’histoire de la psychiatri 13
Par ailleurs, le lien qui se noue entre soignants et soignés peut être
caractérisé comme un lien social particularisé, entre socialité primaire
et socialité secondaire, un nouveau rapport social sous la forme de
l’institution « d’un nouveau mode de rapport privé » (Castel, 1980)
de mieux en mieux identifié par les demandes et qui se déploie dans
le registre de la bienveillance, du conseil, de l’écoute, du dialogue, de
l’accompagnement.
Enfin, avec le dispositif de santé mentale, les aides qui transitent par
le dispositif doivent devenir de moins en moins matérielles mais de plus
en plus affectives, normatives et cognitives ; le lien doit devenir de plus
en plus diffus, de plus en plus intériorisé.
15. C’est ainsi que la circulaire de 1960 qualifie la vie sociale extérieure à l’hôpital et son
projet de réinsertion des malades mentaux.
16. Il existe en effet une forte disparité entre les secteurs, cf. M. C
oldefy, J. Lepage, op. cit.
17. Équivalent Temps Plein.
16 Le psychologue en service de psychiatrie
le psychologue est rarement seul sur un secteur. Il a des alter ego avec
lesquels il entre dans un système de répartition des tâches.
Ces transformations du travail des psychologues a pour effet de
promouvoir des formes nouvelles d’organisation du travail entre les
différentes professions qui composent l’équipe et au premier chef, psy-
chiatres, psychologues et infirmiers. Dans la répartition des tâches,
l’activité psychothérapeutique est dévolue aux psychologues dans une
complémentarité avec les psychiatres qui, en ambulatoire, effectuent
si nécessaire le suivi chimiothérapique. Pour le reste, ces derniers délè-
guent ou délaissent aux psychologues la fonction d’écoute selon deux
modèles : le suivi psychothérapeutique, forme relativement codifiée de
travail, ou plus simplement l’entretien de soutien de ceux « qui ont
besoin de parler », qui peut aussi être dévolu aux infirmiers. De son
côté, le psychologue se tourne vers le psychiatre pour ce qui est de son
ressort, la fonction prescriptive et la fonction d’hospitalisation.
La croissance de la file active des CMP a promu d’autres formes
de travail pour les infirmiers, qui ne sont plus cantonnés à des tâches
d’exécution. Ils ont en charge de développer l’accueil, d’effectuer les
premiers entretiens et certains suivis.
18. On peut ajouter que dans la transformation des facteurs de production, de la force
physique à l’immatériel, l’intelligence, ce qui est désormais requis, c’est un bon niveau
de performance dans ce domaine, une bonne capacité d’abstraction, de diplôme et
une adaptabilité permanente à un monde qu’on ne connaît pas car il change plus vite
que nous.
19. La meilleure image de ce modèle nous est donnée par la publicité qui fait miroiter et
chatoyer à l’infini les avantages mais aussi le plaisir d’être dans la norme.
22 Le psychologue en service de psychiatrie
1.5. Conclusion
Bibliographie
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Place du psychologue dans l’histoire de la psychiatri 23
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de la société ? Paris: Belin.
Chapitre 2
En service de psychiatrie
de l’adulte : actualité de
la clinique des névroses
et des psychoses
Michel Normand
““ Cette part intraitable dont il ne peut guérir est cette vérité qu’il
ne veut pas connaître : l’importance de la pulsion sexuelle et le
caractère inconscient du psychisme. (Freud, 1917) »
Il n’est pas rare que, dans cet état, le sujet soit tenté de chercher une issue
par le passage à l’acte, de sortir de la scène par un acte qui renvoie à un
ne rien vouloir savoir de son inconscient. La responsabilité de l’acte du
clinicien est ici requise. Il est de l’ordre non pas du sens mais du non-
sens, celui que vise la coupure interprétative, l’équivoque, mais aussi
bien le calembour, le bon mot, la plaisanterie. C’est par ce « mi-dire de
la vérité » (Lacan, 1957-1958), que l’interprétation a chance d’opérer
sur le symptôme.
Observation 3
Il arrive qu’une telle intervention soit insuffisante aux yeux du sujet. Ainsi,
cette autre patiente venue sur les conseils de son médecin psychiatre pour
demander une « aide psychologique » en soutien à une maladie invali-
dante qui la déprimait. Au cours d’une séance, alors qu’elle s’était plainte
à de nombreuses reprises des comportements agressifs de son adolescente
envers elle, nous l’interrogions sur la part qu’elle-même prenait dans
cette agressivité (à l’occasion des écarts de conduite de sa fille, elle s’était
40 Psychiatrie générale
Observation 4
Roger a demandé à nous rencontrer sur les conseils de son médecin qu’il
a consulté pour une « dépression ». Non sans réticence, et après un temps
d’hésitation, il se décide à évoquer des « pensées qu’il a dans (sa) tête »,
des voix, des hallucinations. Il a aussi le sentiment d’être « transparent »
aux autres, et que l’« on parle de lui ». Il évoque par ailleurs ce qu’il
appelle des « problèmes de communication », ainsi que des moments où il
s’isole et se renferme sur lui-même. Il marque un temps d’arrêt et hésite
à poursuivre. Il nous demande à nouveau ce qu’est une psychothérapie,
puis s’interroge sur son utilité. Nous lui donnons quelques informations
et lui laissons volontiers le temps pour y réfléchir et nous faire part de sa
décision qui lui appartient en propre. Finalement, il entrevoit l’utilité qu’il
y aurait à « se comprendre lui-même », selon son expression. Il accepte une
prochaine rencontre.
Dans la suite, Roger nous adresse une autre plainte : celle de ne pouvoir
s’empêcher d’imiter son interlocuteur du moment. Il donne l’explication
suivante : « Il me prend mon cerveau » et, lui-même « lui prend son cerveau ».
« C’est comme ça. Rien à faire. C’est plus fort que moi », conclut-il résigné.
Ces phénomènes ont des conséquences dans son travail de magasinier.
Non sans une certaine culpabilité, il nous confiera, sa tendance à faire le
pitre et le clown. Il met cette tendance en relation avec ces paroles
moqueuses et railleuses, voire ironiques qu’il a du mal à retenir, alors qu’il
veut se montrer gentil avec ses collègues. Il se compare à Rain Man et
pense qu’il n’est pas normal avec son délire, qu’il est débile mental. Il me
demande mon avis sur ses « difficultés » (« Je veux me contrôler, mais c’est
42 Psychiatrie générale
plus fort que moi. Je ne vois pas mes actes. Je réfléchis pas assez »). On
voit que Roger, n’est pas sans conscience de lui-même et de ses troubles.
Quand bien même la demande se présente sous la forme pédagogique ou
de type conseil en communication, (il cherche à se comprendre, à connaî-
tre sa « psychologie »), il attend de nous une médiation.
Nous lui assurons que ce qu’il nomme ses difficultés ne sont pas cogni-
tives, mais qu’il a sans nul doute à faire face à une relation aux autres
compliquée qui interfère dans ses tâches professionnelles, comme il arrive
souvent dans les relations humaines. Bref, nous consentons à « faire le
psychologue », soit à endosser la figure du semblant qu’il nous attribue. Ce
qui fût pour lui une réponse apaisante qui lui permit de trouver par là un
lieu où adresser ce qui lui fait énigme dans son rapport à l’Autre.
Pour le clinicien, la conduite de ce type de cure nécessite un pragmatisme
de bon aloi propre à s’adapter aux circonstances. Il peut déboucher sur des
trouvailles. Par exemple, lors d’une séance, Roger était arrivé très en retard
et s’était confondu en excuses. En se servant à une station-essence, il avait
oublié le code de sa carte bancaire et n’avait pu payer. Le pompiste avait
alors exigé qu’il laisse en gage sa carte d’identité. Comme il n’avait pas osé
demander une attestation, il avait craint que le pompiste ne le trompe sur
la somme qu’il devait. Devant sa grande anxiété, nous lui avions conseillé
alors de régler ce problème sur-le-champ. Il avait accepté avec soulage-
ment, tout en regrettant le fait qu’il avait des choses à nous dire. À ce
moment-là, nous lui avions proposé de les écrire et de nous en parler lors
de la prochaine séance. C’est ainsi qu’il eut l’occasion d’écrire le résultat
de ce qui se présente comme une introspection et une ébauche d’étude de
sa personnalité dont nous discutions au fur et à mesure de l’avancée de ce
travail d’un genre inédit pour lui.
Observation 5
Cet appel au supposé savoir du psychologue est le biais qu’a choisi égale-
ment Bernard. Ce sujet se plaint de sa grande timidité et de son embarras
dans sa relation aux autres qui le tient dans un isolement qui date de
toujours. Ici, pas de manifestations de phénomènes élémentaires, mais un
sujet sans réelle orientation dans l’existence. Sans idéaux, il s’est toujours
raccroché à ceux des autres (son père, sa mère, ses frères). Docile, il a
toujours fait ce qu’on lui a dit de faire. Bernard se présente à nous tel un
sujet débranché de l’Autre. Il ne sait pas y faire et vient demander conseil.
En effet, il s’est surpris lui-même à se trouver propulsé hors de sa réserve
habituelle lors d’un moment où il était en présence de ses collègues au
café du MIN où il travaille. Les entendants s’esclaffer et rire, il a pensé qu’il
était, lui, l’objet de moqueries de leur part. Il s’est mis soudainement en
colère et a failli en venir aux mains. Depuis, il préfère déjeuner « seul dans
En service de psychiatrie de l’adulte : actualité de la clinique 43
son coin », plutôt que de se mêler au groupe. C’est cet événement qui a
motivé sa demande de rendez-vous au CMP. La trop grande proximité, le
mode de communication de l’équipe avec laquelle il travaille, tout le met
mal à l’aise. Comme le mettent mal à l’aise les femmes, qu’il ne cesse pour-
tant de vouloir rencontrer. Il s’interroge pour savoir s’il est homosexuel… Il
me demande si tout cela est normal et ce qu’il doit faire.
Le clinicien ne doit pas reculer devant cette forme de demande d’un sujet
en quête d’un mode d’emploi, d’un ready-made qui lui dirait comment
s’orienter dans le champ de l’Autre. Son acte passe alors par une déli-
cate intervention qui peut aller d’une forme de suggestion à quelques
indications propres soit à faire limite à sa jouissance dans sa dimension
paranoïaque, soit à anticiper une décision précipitée qui aurait valeur de
passage à l’acte pouvant mettre en péril sa situation professionnelle ou
personnelle. Pour nous, cette intervention prit la forme de ce que l’on
pourrait appeler un code de bonne conduite, valable pour tous, à l’usage
des gens civilisés, qui respecte à la fois la singularité, le « style » de chacun
et les règles minimales qui assurent le vivre ensemble de toute société.
Une des conséquences fût que Bernard apprit ainsi à faire reconnaître
pacifiquement ses droits dans l’entreprise, soit quitter se position de
soumission à l’Autre, sans verser du côté de la surcompensation par une
prestance moïque qui pouvait le faire basculer dans le passage à l’acte
dommageable pour lui et pour les autres.
(« on m’a dit qu’il me fallait prendre rendez-vous avec vous »). Le
patient peut y voir là un moyen de lui donner une preuve de sa bonne
volonté, de lui complaire, et, par là, d’obtenir un bénéfice quelconque
en échange (une sortie, une fin d’hospitalisation plus rapide, etc.). Le
patient peut également utiliser le discours médical pour évoquer le des-
tin implacable auquel le voue sa « maladie » et l’impuissance dans
laquelle elle le plonge. Ce que Freud appelle « la fuite dans la maladie »
(Freud, 1929), est cette résistance où est tenté de se réfugier volontiers
le sujet que le psychologue rencontre et qui, au moins durant le temps
de l’hospitalisation, voue à l’échec annoncé tout traitement possible,
avec ou sans médicament (« je viens vous voir mais à quoi bon »).
Observation 6
Madame A. est hospitalisée une seconde fois pour une tentative de sui-
cide. Lors de la réunion de synthèse avec le médecin psychiatre du ser-
vice qui la suit et l’équipe infirmière, elle est présentée comme délirante,
interprétative, paranoïaque, érotomaniaque. La question du bien-fondé
du diagnostic de psychose se pose néanmoins. En effet, l’observation lors
de l’hospitalisation pose la question de l’hystérie. Mme A fait montre
de « séduction et de manipulation » tant dans son rapport aux autres
patients qu’avec l’équipe soignante. Il est alors proposé qu’elle rencontre le
psychologue. C’est ainsi que nous recevons Mme A. au bureau que nous
occupons une fois par semaine dans le service d’hospitalisation complète.
Mme A nous explique qu’elle a demandé un rendez-vous pour « faire un
bilan psychologique, pour faire le point sur sa vie », bilan qui appuierait
également sa demande de quitter l’hôpital. En effet, elle estime que son
hospitalisation n’est plus justifiée. Elle revient sur les circonstances qui l’y
avaient conduite. Divorcée, elle a trois enfants qu’elle a élevés selon des
principes éducatifs qui sont ceux avec lesquels elle-même a été élevée.
Elle vit avec sa fille qui poursuit des études dont elle est fière. C’est à la
suite d’un conflit avec elle et son petit ami qu’elle s’est trouvée hospitali-
sée. En effet, l’ami de sa fille, selon elle, lui avait « manqué de respect » en
l’appelant au téléphone à minuit. Lors de cet appel téléphonique, il aurait
menacé de « faire un enfant à sa fille » si elle ne les laissait pas tran-
quilles, lui et elle. Mme A aurait alors pris un couteau et aurait tenté de
le retourner contre elle-même. Sa fille a alors appelé les pompiers qu’elle
aurait menacés également. Maintenant, nous dit-elle, elle a compris que
sa fille devait faire sa vie sans elle et qu’elle devait réfléchir à la sienne. Elle
ajoute qu’elle ne pouvait plus être agressive envers elle, que ce n’était plus
d’époque. Mme A précise qu’elle avait reproduit le schéma éducatif de sa
mère et que, dorénavant elle ne pouvait plus agir avec sa fille comme sa
mère l’avait fait avec elle, en étant enfant. Elle demande ce qu’elle doit
faire pour aller mieux, et surtout que sa démarche ici contribue à sa sortie
En service de psychiatrie de l’adulte : actualité de la clinique 45
Observation 7
Hospitalisée depuis quelques jours, après être passée par les urgences,
Roxane, 19 ans, nous est adressée par le psychiatre qui l’a reçue dans
le service. Nous lui demandons les raisons de son hospitalisation. Bien
que souriante, c’est l’occasion pour elle de faire le récit confus de l’ex-
périence énigmatique qui est la sienne et qui la rend encore perplexe,
marquant le déclenchement de sa psychose. Cette dimension de per-
plexité et d’énigme envahit l’ensemble de sa vie. Elle touche ses proches,
son entourage, ceux qu’elle croise au hasard de ses déplacements et va
jusqu’à mettre en question les fondements mêmes de son identité et de
son existence. Dès lors, au cours des conversations que nous lui propo-
sons pour tenter de tirer au clair cette expérience tout à fait particulière,
rencontrer le psychologue va lui permettre de l’ordonner. Ces conversa-
tions mettront en évidence le déclenchement d’une bouffée délirante à
thème romanesque lors d’un atelier d’écriture animé par un enseignant
qui ne lui était pas indifférent. Dans cet état d’énamoration, elle a
entendu quelque chose, un « c’est ma sœur ». Elle s’est dit alors « Oh !
la, la ! J’entends des voix ». C’est à partir de ce syndrome d’hallucination
verbale que Roxane échafaudera un roman familial et un délire de filia-
tion des plus complexes, où apparaîtront les figures emblématiques de ce
qui fait sa jouissance. Elle en donnera la clé au moment de conclure nos
conversations qui coïncidera avec la fin de son hospitalisation : « tout
ça est une façon de répulser mon attirance par rapport à la sexualité »
Elle nous demandera alors si c’est la folie, si elle est schizophrène. Nous
soulignons alors combien la formulation qu’elle a trouvée pour dire son
expérience est déjà une réponse à une question qui reste complexe quand
il s’agit du diagnostic.
Cette question du diagnostic est souvent celle que posent les sujets
psychotiques jeunes, soucieux qu’ils sont de savoir, de nommer ce
qu’il leur arrive. Par exemple, en compulsant les pages médicales des
sites sur Internet. Pour le clinicien, ce questionnement est l’occasion
de conversations cliniques qui sont parties intégrantes de la pratique
46 Psychiatrie générale
Bibliographie
Freud, S. (1967). Études sur l’hystérie. Paris: PUF.
Freud, S. (1971). Malaise dans la civilisation. Paris: PUF.
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Gallimard.
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parole et du langage en psychanalyse » ; « Subversion du sujet et dialectique
du désir dans l’inconscient freudien » ; « D’une question préliminaire à tout
traitement possible de la psychose » ; « La direction de la cure et les principes
de son pouvoir » ; « La science et la vérité) ».
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Paris: Sainte-Anne.
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Zenoni, A. (2009). L’Autre pratique clinique. Psychanalyse et institution thérapeu-
tique. Toulouse: Érès.
Le psychologue entre symptôme et institution : clinique des passages à l’acte 51
Chapitre 3
Le psychologue entre
symptôme et institution :
clinique des passages à l’acte
Alain Le Bouëtté
Observation 1
Dominique, infirmière dans un service d’entrants accueille M. A, âgé de
27 ans. Il est surpris « par la modernité des locaux » et dit « ne jamais avoir
eu d’endroit aussi beau », lors d’autres hospitalisations. Il a l’impression
que les autres devinent ses pensées. Il sait aussi contrôler son cœur et il
ne se sent jamais « en sécurité », notamment l’été. Dominique l’informe
qu’elle doit effectuer l’inventaire de ses affaires. Il en demande la raison
et Dominique répond en reprenant ses signifiants : « c’est une question de
sécurité ». M. A est alors d’accord. Il découvre un DVD à thème érotique
et précise que c’est la mauvaise blague d’un copain. Dominique reste
silencieuse. Le lendemain, M. A vient dire à Dominique qu’il songe à quitter
l’hôpital, précisant qu’il n’y pas de structure à sa mesure. Il conviendra
avec le médecin de sa sortie, tout en ayant l’adresse du Centre d’accueil où
Dominique peut lui donner rendez-vous pour avoir des nouvelles de « sa
sortie ». Il viendra une fois.
M. A nous présente son mode de traitement, celui de devoir s’enfuir tou-
jours, de se séparer de l’Autre, mais il a pu être accueilli par le soin de
Dominique à adopter ses signifiants « tranquillité, sécurité, sortie… ». Le
médecin l’a laissé partir, pour qu’il puisse aller et revenir. Cela réintroduit
de la continuité et lui indique qu’il peut se servir de nous. Il ne s’agit pas
de recoller les morceaux mais d’assurer un nouage entre un dedans et
un dehors. Nous sommes au temps de l’accueil, pas encore à celui d’un
traitement initié par la suite.
Le psychologue entre symptôme et institution : clinique des passages à l’acte 55
Observation 2
Mlle B est une patiente de 30 ans fréquemment hospitalisée. Chez elle, en
famille d’accueil dans l’unité d’hospitalisation, Mlle B se coupe très souvent
et est transférée au CHU. Ses passages à l’acte sont une percée libératrice,
ce n’est pas un appel ni un désir de mourir. Elle ne peut pas proférer une
parole sur ce qui la menace. Ses passages à l’acte ne sont pas une forme
de verbalisation. C’est plutôt le signe d’une absence de verbalisation.
56 Psychiatrie générale
Ce n’est pas une métaphore d’un mal être car elle n’a pas de mot pour dire
cela. Ses passages à l’acte la soulagent. Avant ceux-ci, Mlle B nous appelle
fréquemment pour nous dire que son œil va mal, qu’elle a mal à la tête ou
aux jambes. Elle nous dit : « je ne sais pas quoi faire ». C’est une phrase
interrompue qui appelle le bouclage par le passage à l’acte. Elle amène son
corps par petits bouts, l’œil, le doigt, la jambe et elle passe à l’acte pour
que cela se rassemble et nouer son corps. C’est là où elle est sujet, là où
elle évite le morcellement. « Je ne sais pas quoi faire » nous indique qu’elle
a affaire avec un réel terrible et menaçant qui ne peut pas s’interpréter.
Au-delà de l’angoisse d’avoir un corps qui part par petits bouts, lors de
ses passages à l’acte, Mlle B a affaire avec cette part de nous-même non
symbolisable, hors langage. La pousser à verbaliser la précipite vers le trou
de la signification. Il faut panser ses plaies plutôt que d’aller vers le sens.
Mlle B. a eu l’occasion de me dire que lorsqu’elle est seule, elle pense à ses
passages à l’acte : « je me creuse la tête, puis je me creuse mon corps ».
Son premier traitement est donc une coupure dans le réel de son corps.
Mlle B opère aussi un autre traitement. À la suite de ses passages à l’acte,
souvent elle nous fait un reproche, plaçant la faute de notre côté. Cela
est une avancée considérable. Là on lui permet de s’éloigner du passage
à l’acte. L’insulte, la bouderie, c’est l’envers de la coupure. Cela lui permet
de ne pas entailler son corps en entaillant l’Autre. Répondre en urgence
lorsqu’elle présente une partie de son corps qui va mal, mais en faisant
intervenir un autre interlocuteur peut aussi introduire un léger écart dans
cette loi du tout ou rien et élargir son champ. Nous soutenons également
Mlle B. lorsqu’elle s’achète des bagues pour chaque doigt ou de multiples
piercings qui viennent tenir son corps. Il nous faut aussi faire attention
que la psychiatrie ne devienne pas tout pour elle et nous soutenons sa
demande d’avoir une carte de diabétique, que ces soins-là se réalisent
ailleurs. Nous poursuivons son traitement par la coupure quand nous éla-
borons pas à pas un projet avec elle pour qu’elle soit un temps à l’hôpital,
un temps en famille d’accueil, un temps chez sa mère… Ainsi, aucun de
ses partenaires n’est tout pour elle. À la place de l’entaille qu’elle se fait
sur son corps, il y a un trou dans le savoir de l’Autre. Ce qui fait alors
continuité pour Mlle B, c’est son ordinateur portable qui circule d’un lieu
à l’autre et les lettres qu’elle nous adresse. Dernièrement, elle a fait la
demande d’être hospitalisée en clinique et son médecin a soutenu cette
coupure d’avec notre service.
Observation 3
M. C. est un jeune homme qui fréquente l’hôpital de jour et le Centre
d’Accueil qui sont implantés dans la ville où il habite. Il a choisi un
appartement d’où il peut voir la ville et veiller sur elle. Là où il se sentait
regardé, c’est lui qui regarde et maintient un contact avec Dieu. Parfois
il doit sortir précipitamment dans la rue. Il a la certitude que le monde
entier a été détruit et qu’il est le seul survivant. Sa solution est de circuler
entre différents points : l’hôpital de jour, le centre d’accueil, l’infirmier
qui vient le voir à domicile, le médecin, le psychologue, le Mc Donald… Il
commente et critique ce qui se passe d’un endroit à l’autre, retrouvant là
une place d’énonciation. Il ne vient pas pour parler car le risque de devenir
transparent à l’autre est présent. Ainsi lors d’un entretien, il tient à me
parler du moment du déclenchement de sa maladie lorsqu’il avait 18 ans.
Il met beaucoup d’enthousiasme à me dire précisément ce qui s’est passé.
Je suis surpris mais je n’arrête pas cette prise de parole. Le lendemain, très
en colère, il se plaint à l’hôpital de jour du psychologue qui le pousse à
parler et veut tout savoir. Sa circulation qui cherche à tempérer le désir
de l’Autre de tout savoir de lui s’éclaire. Nous pourrions entendre cela
comme un clivage alors qu’il s’agit plutôt d’un traitement du sujet pour
être moins objet de l’autre. M. C. vient au centre d’accueil pour nous mon-
trer ses nouveaux habits qui lui définissent un style particulier et surtout
pour nous témoigner de l’emprise qu’a pour lui le temps qu’il fait, qui le
persécute. Si nous savons dans une conversation à plusieurs, habiller ce
temps de mots, tel « un vent froid mais vivifiant, un soleil caché mais
58 Psychiatrie générale
Observation 4
Mlle D est hospitalisée dans notre service suite à un passage à l’acte grave
qui a mis sa vie en jeu. Elle cherche à préciser les coordonnées de celui-ci.
Elle est seule chez ses parents. Son ami est loin. Ses neveux sont venus
rendre visite à la famille et ne se sont pas dirigés directement vers elle. Elle
est montée dans sa chambre et s’est connectée sur Internet mais il n’y a
aucun message et personne n’est branché sur MSN. Elle absorbe alors des
médicaments et de l’alcool. Ces coordonnées ne résolvent pas pour Mlle D
l’énigme de son passage à l’acte. C’est bien plutôt que celui-ci l’a résolu.
En faisant résonner ses dires et les détails précis qu’elle apporte, elle peut
alors symptômatiser sa vie, saisir ce qui constitue son originalité, son style
particulier dans son rapport à ses parents, à l’amour, à son choix de travail.
Il ne s’agit ni de l’inviter à résoudre l’énigme, ni de la laisser seule face à
cela. Elle découvrira, au fur et à mesure de nos rencontres, la « gravité de
son mal-être », sa propension à « être une bombe à retardement », ou à
« devenir le petit bouchon des autres » impliquant un suivi à long terme et
un traitement médicamenteux.
Le psychologue entre symptôme et institution : clinique des passages à l’acte 61
Observation 5
J’ai reçu Monsieur E. chaque semaine, dans un centre médico-psycho-
logique pendant quatre ans. Il était venu me rencontrer à cause d’une
consommation excessive d’alcool et une perte de l’élan vital. Nos rencon-
tres pourront prendre fin lorsqu’il aura pu cesser de boire mais surtout
lorsque M. E. aura retrouvé un goût de vivre (Le Bouëtté, 2008).
M. E. est au travail de produire une séparation d’avec ce qui l’envahit.
Assis sur les genoux de sa mère, il a le sentiment d’être englouti dans son
corps. Pour sentir les limites corporelles et limiter le mal, il se donne des
coups. Très tôt, le vol, la fugue seront aussi des tentatives d’extraction. Il
se passionne alors pour l’ordinateur, « extériorité de lui-même ». Le fait
de devenir père de quatre enfants s’accompagne à chaque fois de grands
moments de déréliction et de dépenses sans compter, nécessitant plu-
sieurs hospitalisations en psychiatrie. Il travaille dans le milieu hospitalier
et réalisant que par moments il est en communion avec la souffrance des
patients, il fait en sorte de changer de métier pour devenir responsable
de la maintenance de l’informatique. La tension est forte car un nouveau
directeur ne reconnaît pas son travail. Il est en arrêt longue maladie et
constitue un dossier pour harcèlement. M. E. décide, voilà trois ans, dans
un passage à l’acte, de quitter sa région natale. À la surprise de sa femme
à qui il ne demande pas son avis, ils déménagent. Ce passage à l’acte lui
permet de se séparer de figures parentales mais il a alors le sentiment
d’endosser un costume qui n’est pas le sien, de boire pour deux.
Il se servira de nos rencontres pour concasser le poids de certains mots
qui n’en font qu’à leur tête. Face à ce qu’il appelle « la matérialité du
langage », il s’appuie sur des métaphores toutes faites, des images, des
formules pour alléger ce poids et adoucir la brûlure de la langue. Je m’en
fais le secrétaire et écris sous sa dictée tout en limitant sa propension à
multiplier le sens mais en accusant réception de sa culpabilité face aux
débordements qu’il a fait subir à ses enfants et à sa femme. Il constitue un
tiroir où il range ses mots de la « langue-maman » comme il l’appelle, « la
mémoire corporelle » de ce qu’il a vécu. Il m’adresse aussi sa description
du morcellement de son corps par le traumatisme du langage, parlant de
flash, de rayons, de brûlure, de corps flottants. Je ne soutiendrais pas son
idée de porter plainte contre son ancien employeur et donc sa tentative de
paranoïsation : celle-ci le laisserait être la proie de l’Autre. Il consent alors
à s’en séparer par une mise en invalidité et en me confiant son dossier.
Peu à peu, il retrouve son goût pour aider les autres et son désir d’appren-
dre de nouvelles choses, solutions qui le maintiennent dans l’existence
depuis longtemps, face à l’Autre du langage qui ne tient pas : créer un
site pour l’école de son fils, s’y rendre pour initier les élèves à l’ordinateur,
s’engager dans une formation de pointe en informatique. Venir me parler,
précise-t-il, c’est à la fois trouver dans la parole, un plaisir, un miroir mais
62 Psychiatrie générale
aussi une construction, une ligne directrice. Il dit avoir ainsi « édité »,
« cristallisé », un travail de synthèse. C’est ce chemin vers l’éthique qui lui
permet maintenant de se tenir debout.
Observation 6
Mlle F. est hospitalisée en HO suite à des moments de persécution, d’er-
rance et de grande précarité. Elle est très persécutée par l’autorité psy-
chiatrique, judiciaire, médiatique, technologique. Elle a mis une distance
géographique de mille kilomètres avec sa mère souvent hospitalisée en
psychiatrie. Elle se plaint de dérèglements dans son corps, de dommages
subis et cherche à fuguer. Elle rencontre notre intérêt pour la culture, en
fréquentant les réunions du journal de notre service ou ses ateliers d’écri-
ture. Je croise d’abord Mlle F. lors de réunions d’accueil hebdomadaires
dans l’unité d’hospitalisation. Elle se fait la secrétaire de ces réunions, tape
ces textes à l’ordinateur et aide à organiser ces activités sans y prendre
part tout à fait. Un soir, à l’entrée de l’unité, elle vient me demander si elle
devait faire une psychothérapie. Elle y a déjà pensé mais hésite beaucoup.
Elle énonce qu’elle est un « enfant lithium » car sa mère a été très souvent
hospitalisée en psychiatrie, internée, subissant des électrochocs. C’est sa
mère qui est malade et non pas elle. Elle dit que tout le monde l’a laissée
seule avec sa mère et maintenant qu’elle s’en est séparée, elle ne sait pas
64 Psychiatrie générale
si elle doit reparler de tout cela. Je lui réponds que ce n’est pas obligatoire,
qu’elle peut y réfléchir, que nous pourrions nous rencontrer, mais plutôt
pour converser, comme lors des réunions. Quelques semaines plus tard, sa
sortie est envisagée et elle me demandera un rendez-vous au CMP. Nous
conviendrons ensemble de se voir tous les quinze jours, ou tous les mois.
Mlle F. consent à poursuivre un lien à sa sortie avec le Centre d’Accueil,
ravie de la place que nous lui proposons : être la secrétaire de notre jour-
nal s’articulant à sa formation professionnelle. Cet arrimage répond à
son ennui mais elle perçoit très vite le désir chez l’Autre. Tout son être y
passe. La séparation symbolique avec l’Autre n’est pas assurée. Mlle F. se
met à taper des textes de certains patients et un texte personnel. Le soi-
gnant qui s’en fait le destinataire est accusé d’astuce informatique. Dans
une lettre, elle le dénonce et met fin à son suivi médical et social. Puis,
après des détours, elle apparaît furtivement dans notre centre d’accueil, se
servant un café ou déposant ses poubelles et s’en allant rapidement. Elle
a de nombreux amis avec qui elle converse mais vient parfois au Centre
d’Accueil pour faire une coupure avec eux. Ses brefs passages sont des
moments de pause, de respiration, précise-t-elle. Au centre d’accueil elle
poursuit sa fréquentation de l’atelier d’écriture, y prélevant à chaque fois
une consigne. Nous ne savons pas pourquoi elle vient nous rencontrer
et nous n’avons pas cherché à défaire cette énigme. Elle se sert de nos
rencontres pour saisir le principe qui rend lisible son rapport au monde :
lire quelques lignes de la bible pour en garder en réserve ; venir au centre
d’accueil pour que ses amis ne sachent pas où elle va ; fréquenter tôt le
matin un bar où on ne le drague pas, etc. Elle sait qu’elle doit traiter le
trop et travaille à en faire un style en construisant un monde d’objets
entre elle et l’objet qu’elle ne cesse de risquer d’être.
Mlle F. nous indique sa prudence par rapport à sa demande de psycho-
thérapie et elle a raison. « La vérité sur soi porterait plus à se taire »
écrit J-A Miller (cours inédit du 15 et 29 novembre 2000). Il indique plus
loin : « La pratique de l’écoute spécule en effet toujours sur le pouvoir
propre de celui qui s’installe dans la position de l’auditeur, et elle fait
de l’auditeur, informé de cette propriété… de la position dissymétrique,
un maître, le Maître de l’Autre, le maître de celui qui se fait écouter ».
De cela, Mlle F. se méfie et nous invite à une clinique ironique, afin de
prendre quelque distance avec la réalité collective, celle de la transmission
familiale, celle qui croirait que le sens vient tamponner le Réel. Notre offre
de parole s’appuie sur une orientation précise qui sait les effets ravageurs
que peuvent avoir certains mots, qui ne s’intéresse pas à là où Mlle F.
fut objet, qui s’articule à ses silences, ses ponctuations et à ce qu’elle ne
veut pas dire, pour réintroduire cet écart entre la jouissance et l’Autre,
pour saisir comment elle traite à son tour l’Autre à qui elle joue de bons
tours. Elle s’étonne ainsi que je ne prenne aucune note et vérifie que je ne
transmette rien à l’équipe.
Le psychologue entre symptôme et institution : clinique des passages à l’acte 65
Observation 7
M. G. est hospitalisé suite à des passages à l’acte violent à l’égard de
ses proches et des alcoolisations répétées. Il s’apaise dans le service et
s’étonne ainsi des effets de la parole suite aux entretiens médicaux et psy-
chologiques. C’est dans cette veine que lui a été proposée la présentation
clinique. Il y a fait valoir comment son corps agit à sa guise et n’est pas
connecté à la chaîne signifiante. Même s’il aime parler d’amour, sa vie est
faite de révoltes et d’antagonismes. Il précise ce qui lui est insupportable :
il donne sa confiance, dit le vrai et en retour l’autre le maltraite. L’absence
de distance entre le vrai et le Réel le pousse alors toujours à s’en aller ou
à dire avec violence dans un passage à l’acte. La maison qu’il se construit
est son refuge ainsi que son travail qui implique la mathématique et la
logique. La langue étrangère lui permet aussi d’y loger le malentendu et
de mettre une distance entre le vrai et le Réel. Il aurait souhaité que cette
Le psychologue entre symptôme et institution : clinique des passages à l’acte 67
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Zenoni, A. (2009). Clinique du passage à l’acte. L’autre pratique clinique. Toulouse:
Érès.
Accueillir une jeune anorexique en service de psychiatrie ou comment traiter le rien 69
Chapitre 4
Accueillir une jeune anorexique
en service de psychiatrie
ou comment traiter le rien
Guilaine Panetta
service est saisi d’une attention fébrile : en effet, recevoir un sujet ano-
rexique n’est vraiment pas une mince affaire ; c’est un véritable bras de
fer qui va s’engager avec la patiente et son symptôme, une lutte qui va
monopoliser tout le service dirigé par deux psychanalystes-psychiatres
orientés par l’enseignement de Lacan et la clinique lacanienne.
À une certaine époque, la majorité de l’équipe soignante avait effec-
tué une tranche d’analyse – même la directrice administrative de l’éta-
blissement – ce qui donnait une certaine tonalité aux prises en charge
des patients. Le personnel s’est renouvelé à présent, mais cette atmos
phère psychanalytique a permis d’élaborer une expérience singulière
et un certain savoir-faire qui a muri au cours de toutes ces années, qui
reste en quelque sorte inscrit dans les murs et dans les esprits.
Nous avons eu la chance de revoir une de nos patientes, dix années
après son hospitalisation, totalement guérie de son anorexie mentale.
Nous lui avons proposé de l’interviewer pour témoigner de son « pas-
sage » dans l’établissement.
Notons enfin que nous évoquerons l’anorexie mentale au féminin
car cette affection touche plus fréquemment des femmes, jeunes, pour
lesquelles la question : « Qu’est-ce qu’être une femme ? » – énigmatique
pour tout être humain – se pose de façon particulièrement aiguë. Les
anorexies masculines ne s’inscrivent pas dans le même registre, et sont
le plus souvent en lien avec une structure psychotique ; nous verrons
que c’est la raison pour laquelle il est important d’opérer un repérage
structural pour bien distinguer les différents types d’anorexie, car les
modalités de prise en charge vont alors différer.
4.1.2. Indications
Dans le service, nous ne recevons pas de patientes qui, entre la vie et
la mort, relèvent de soins hypermédicalisés avec des sondes de gavage,
par exemple. En revanche, nous avons accueilli avec un certain succès
des jeunes filles qui avaient le plus souvent épuisé les prises en charge
habituelles car, si elles avaient repris du poids pendant la durée de
leur hospitalisation dans des services de pointe, c’était pour rechuter
aussitôt après leur sortie. Les multiples « contrats de poids » – tant de
kilos pour obtenir « le droit de sortir » – ne traitent pas la cause et
ne font que « tromper la faim » de la patiente, qui croit de bonne foi
qu’elle est guérie – tout comme son médecin se satisfait de la reprise
de poids. À reprendre du poids trop rapidement, on a induit une sorte
de forçage à la hussarde du symptôme, qui finit par céder, tandis que
le sujet n’a pas fondamentalement modifié sa position, ni effectué les
remaniements psychiques nécessaires. Bien souvent, la rechute ne tarde
pas à se manifester avec une recrudescence des troubles alimentaires
et même de leur nette aggravation, assortie fréquemment d’une sur-
charge pondérale et de l’acquisition de nouveaux symptômes tels la
boulimie.
Dans ce contexte, l’admission au sein de l’établissement est alors
vécue comme l’épreuve de la « dernière chance ». La famille a épuisé
toutes les solutions, et a en général rencontré plusieurs spécialistes
de cette très grave affection, sans succès. Le nom du médecin chef
de service, psychanalyste renommée, leur a été glissé comme la seule
planche de salut. Ce point est important à souligner car il participe
de la mise en œuvre du traitement : c’est l’instauration d’un transfert
massif et la constitution du sujet supposé savoir dans la direction de la
cure. L’entourage familial est à bout de nerfs et d’arguments : menacer,
employer la contrainte, cajoler, supplier n’a servi à rien. Famélique, la
jeune patiente continue à dépérir, à ignorer son mal et à mener son exis-
tence tambour battant, comme si les limites du commun des mortels
n’étaient, en aucune façon, valables pour elle.
On remarque avec étonnement que la patiente n’a pas accès à ses
affects, rien ne paraît la toucher, elle ne sent pas concernée par toute
cette agitation et l’affolement autour d’elle. Tout au plus est-elle
Accueillir une jeune anorexique en service de psychiatrie ou comment traiter le rien 73
meilleur des cas, retrouve un peu d’appétit dès lors que le traitement
fait effet.
Plus délicats sont les cas de « psychoses ordinaires » où les sujets ne
sont pas délirants à proprement parler mais pour lesquels la question de
la séparation est difficile à subjectiver d’où une confrontation impossi-
ble au manque. L’anorexie s’inscrit dans un cortège de symptômes qui
le disputent à la boulimie.
Lacan a lui aussi montré que c’est « l’enfant qui a été nourri avec le
plus d’amour qui joue de son refus comme d’un désir ». La force d’iner-
tie, la puissance du refus, et l’insouciance flegmatique de la patiente
sont à la mesure de « l’excès d’insistance » de la part de l’entourage
familial qui « amène un excès de résistance, c’est une loi bien connue
et conforme à l’expérience de tous ». Là encore, ce sont des indications
précieuses pour éviter certains écueils et orienter la prise en charge par
l’équipe soignante qui se gardera donc d’insister.
La malade rentre dans un troisième stade lorsque survient l’amé-
norrhée et que l’état général se dégrade : anémie, faiblesse, vertiges,
syncopes… La jeune fille commence à s’inquiéter de voir « l’affliction
vraie » de ses proches, qui a succédé aux remontrances.
4.2.2. L’isolement
Charcot (1875-1887) préconise l’isolement, pour soustraire le patient
à la sollicitude parentale, laquelle ne fait que « provoquer l’exaltation
de l’état nerveux », et demande de la part des parents, un maintien plus
réservé et plus ferme. Il vante les mérites de l’isolement à travers le cas
d’un jeune homme qui met en évidence la difficulté de l’entourage à se
séparer de l’enfant :
Observation 1
Maud 18 ans, est arrivée à la clinique depuis déjà deux mois, elle trouve
le temps très long et se lamente. Elle a déjà épuisé toute la collection
de romans policiers de la bibliothèque. Je lui porte un livre de Maigret :
« vous lisez très vite ». « On s’ennuie », dit-elle. Je commente les variations
de températures et lui demande si elle n’a pas froid. La jeune fille a un peu
les larmes aux yeux : « on pense à sa famille » dit-elle, « on sait pas ce
qu’ils font » ; sa mère surtout lui manque.
Je remarque qu’elle perd un peu ses cheveux :
� « Excusez-moi ». Maud pense à son grand père qui l’accompagnait à
l’école quand elle était petite et s’occupait beaucoup d’elle. Elle a rêvé
avant-hier. « C’est bon signe ? Je ne rêvais plus depuis le début de ma
maladie » : sa grand-mère lui remet un gros paquet de bonbons – des
sucreries et des nounours acidulés puis elle rentre chez elle... mais Maud
s’aperçoit alors que sa grand-mère a déjà entamé le paquet de bonbons,
ce qui la fait rire. « Tout le monde est très gourmand dans la famille ».
� « Mais oui ». Maud m’assaille de questions :
� « Savez-vous si ça dure longtemps ma maladie ? Comment est-ce que
je vais savoir si je suis guérie ? Et comment vous allez savoir si je suis
guérie ? Combien de temps je vais rester sans pouvoir téléphoner à mes
parents ? Je réponds évasivement :
� « Le temps qu’il vous faudra pour aller mieux ».
Il n’est pas rare que cette angoisse ravalée et ignorée par la jeune
anorexique, se transforme en colère – ce qui est bien naturel. Ainsi
après un début d’hospitalisation tumultueux, après avoir hurlé et voci-
féré après toute cette bande de sombres individus en blouses blanches
qui prétendent la soigner mais qui décidément ne comprennent rien à
rien, et qui plus est, n’accèdent à aucune de ses demandes pourtant bien
inoffensives, il arrive que la patiente, voyant qu’elle perd misérable-
ment du terrain, fasse une « fugue », soupçonnant que les symptômes
auxquels elle tient plus que tout, vont bientôt lui faire défaut. Elle télé-
phone alors désespérée à ses parents qui sont tout aussi décomposés :
ils n’ont pas vus la jeune fille depuis un moment et leur décision de
maintenir l’hospitalisation peut vaciller, tant la force de conviction de
la demoiselle est grande. « C’est un calvaire, elle n’en peut plus, on
veut l’assassiner, elle va se suicider », etc. Pour peu que l’entourage
tienne le coup et conserve sa confiance dans le traitement, la jeune fille
retourne aussitôt dans sa chambre et on peut dire que la partie est alors
quasiment gagnée.
Il faut aussi un lieu où s’élabore tout le travail d’équipe auprès de la
jeune patiente. Les réunions d’équipe permettent d’évoquer l’angoisse
que suscite la jeune fille anorexique et d’éviter ainsi de « malmener »
la patiente, ce qui peut être une des réponses des soignants face à leur
propre angoisse. Par exemple, sous couvert de bonnes intentions, on
pourrait être tenté de « gaver » la fragile jeune fille, ce qui serait un
forçage inutile.
Le passage par l’écrit permet de canaliser l’angoisse tant du côté des
soignants que du côté de la jeune patiente. Un cahier est ouvert par
les soignants où est consigné soigneusement tout ce qui concerne cette
jeune fille, ce qu’elle dit, ce que les soignants répondent et les menus
faits de la vie quotidienne ; nous attachons une grande importance à
ces écrits. La jeune fille écrit elle-même énormément, couvre des pages
entières de ratures et d’écritures, de lettres qu’elle adresse ensuite à son
thérapeute : la valeur de l’écrit est essentielle pour sa guérison.
Observation 2
Marie, la trentaine, qui a effectué un séjour dans l’établissement il y a près
de dix ans, témoigne de son passage :
� Je pesais 35-36 kg à l’époque ; j’étais à bout physiquement, mentale-
ment, épuisée… J’ai très mal supporté mon hospitalisation en endocri-
nologie pendant deux mois. J’ai été hospitalisée d’office, dénutrie, cela a
été très dur le gavage, je n’avais pas le choix : c’était çà ou la tombe. Cela
faisait 10 ans que j’étais là dedans, je n’en pouvais plus.
Je n’avais jamais aimé mon corps en fin de compte. Ce sont des troubles
qui arrivent très vite ; on ne mange plus, on ne grossit plus et je me
faisais vomir si je mangeais trop. Il y avait aussi cette satisfaction de tout
contrôler. Très vite, je n’ai plus eu la notion de mon corps. Je n’avais plus
la notion du temps, je n’avais plus d’amis, tous les jours se ressemblaient,
j’étais incapable de suivre la fac.
J’ai commencé à me faire vomir plusieurs fois en dehors des repas, à plan-
quer la nourriture – j’en mettais dans ma chambre, sous mon lit, pour
pas que les autres ne la voient. Ma vie entière était centrée la dessus :
manger ou ne pas manger. C’était aussi toutes les tactiques pour vomir
sans se faire voir : j’étais arrivée à me faire vomir 12-13 fois par jour, et
me purger avec de l’eau chaude. C’était comme une vie de droguée, on ne
pense qu’à cela…
Je n’avais plus la notion de temps, je n’avais plus d’amis, je n’allais plus à la
fac, tous les jours se ressemblaient, je ne vivais que pour la nourriture.
Marie avait déjà été hospitalisée plus de 5 mois dans un service de
pointe :
� « J’ai fait plein de choses, des activités, des ateliers. J’ai rempli le contrat
de poids pour faire plaisir au médecin, mais je n’avais pas fait de travail
de fond et je n’avais pas l’impression d’être guérie du tout, la preuve, c’est
que j’ai rechuté très vite. J’y pensais pendant mon hospitalisation, je savais
qu’à l’extérieur, il fallait que je contrôle à nouveau mon corps. À peine
quinze jours après être sortie du service, je recommençai. En pire … »
Cinq années plus tard, Marie rencontre le Dr D., en vue d’une nouvelle
tentative d’hospitalisation.
� Quand je suis arrivée à la clinique, j’ai eu très peur. Je suis venue en
visite. J’étais en observation pendant une semaine, je mangeais dans ma
chambre, on m’a dit qu’on allait m’enlever mes affaires que j’allais rester
en chambre pendant plusieurs semaines, j’ai eu très peur du soin, je ne
contrôlais plus rien. J’ai refusé de rester. Mon père qui m’avait accompa-
gnée, est revenu me chercher. Les crises sont reparties de plus belles. Je ne
mangeais plus, j’étais vraiment mal. À la fin de l’été, j’ai rappelé en disant
Accueillir une jeune anorexique en service de psychiatrie ou comment traiter le rien 85
mais en même temps contre moi, mais sans me faire du mal. À un moment,
j’ai lâché prise…
Je n’ai pas vu les mois passer en fin de compte. Je suis incapable de dire ce
qu’il s’est passé dans ma tête, il faudrait que j’écrive un bouquin là-dessus.
Mais je pensais et je réfléchissais beaucoup à toutes sortes de choses, sur
moi, ma vie. J’ai recommencé à manger, j’ai accepté de me reposer, de
réfléchir. Ce n’était pas seulement lié aux médicaments. C’était une sorte
de renaissance : j’ai pu commencer à parler ; il n’y avait pas beaucoup de
discussions avec le personnel soignant, c’est surtout avec vous et le Dr D.
J’ai vite compris que c’était fait exprès. Mais cela m’a fait beaucoup de
bien de me recentrer.
J’ai du rester 4-5 mois sans sortir. C’est cela qui est incroyable : autant
dans le service d’addictologie, je ne traitais pas le fond, autant là, c’est
comme si je l’avais fait toute seule, en étant aidée bien sûr. J’avais le
besoin de me retrouver toute seule, même si vous étiez là pour me donner
les bonnes directions.
Mon corps, j’ai appris à le reconnaître, sans le connaître, car je ne savais
pas combien je pesais, je n’avais pas de miroir de toute manière.
On m’a proposé petit à petit une feuille pour écrire, un livre par semaine.
Au début on priait pour que le livre soit écrit tout petit et que ce soit
un pavé de 900 pages. J’ai découvert des auteurs que je ne connaissais
pas, Tolstoï. Anna Karénine, cela m’a beaucoup marquée, car j’ai lu après
Guerre et Paix. Je devais demander les livres à chaque fois, cela m’a donné
un petit peu d’évasion dans ma vie quotidienne. C’était devenu un rituel
très agréable, j’avais besoin de réfléchir, de rester à penser dans mon lit, à
ne rien faire. Je dessinais des choses abstraites, sans idée précise.
Les choses sont arrivées progressivement, un livre, une feuille, l’atelier
littérature puis la radio. On venait me chercher et je sortais de ma chambre
juste pour assister à l’atelier. Je voyais des personnes que j’avais côtoyées
pendant des mois sans les voir. J’étais heureuse de revoir des gens, très
contente, mais cela ne m’embêtait pas de retourner ensuite dans ma
chambre. Je n’étais plus du tout angoissée.
Un jour le Dr D. m’a dit : « Voilà, vous pouvez sortir de votre chambre » ;
j’ai eu le droit à tout, d’un coup, j’étais un peu perdue ; aussi, je revenais
dans ma chambre régulièrement pour me reposer. Mais je me sentais tou-
jours sereine, pas angoissée. C’était des étapes nécessaires, j’ai vu que cela
se passait très bien, mais j’aurais été incapable de dire quand je devais
sortir, c’est le médecin qui voyait l’évolution. C’était le bon moment, c’est
venu petit à petit, de ne plus être fatiguée, de ne plus avoir les obsessions
alimentaires ; il n’y avait plus à lutter contre la mort. Même avec mon
plateau-repas à la cafétéria, je me suis dit que je n’avais jamais eu de
troubles alimentaires. Dans la cafétéria, il y a moins de monde, ensuite je
suis allée dans la salle à manger avec les autres, toujours avec un plateau,
puis je n’avais plus de plateau. Cela a été progressif, mais je ne l’ai pas
Accueillir une jeune anorexique en service de psychiatrie ou comment traiter le rien 87
vécu comme une contrainte, j’étais sereine, c’était une étape de plus pour
aller mieux. À la différence de ce qui s’est passé en service d’addictologie,
quelque chose s’était transformé en moi, qui m’avait profondément chan-
gée, j’ai eu besoin de ces longs mois pour me retrouver.
J’avais un profond désir d’entreprendre une analyse, c’était très important
pour moi. Je suis restée un an ici, j’avais tout à refaire dans ma vie, au
niveau administratif, rechercher un appartement, refaire ma vie profes-
sionnelle, c’était un challenge pour moi, une volonté de vivre que j’avais
perdue depuis des années, et continuer à me soigner.
À présent, ce sont les angoisses du quotidien mais cela ne m’empêche pas
d’avancer ».
Bibliographie
Charcot, J.-M. (1875-1887). « Leçons sur les maladies du système nerveux, faites à
la Salpêtrière ». Œuvres Complètes, Tome 3, 95–96.
Dewambrechies-La Sagna, C. (2006). « L’anorexie vraie de la jeune fille ». Revue de
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Dewambrechies-La Sagna C. (2007). « L’anorexie des jeunes filles », Revue de la
cause freudienne, n°65, (Transcription de l’entretien avec Jacques Munier sur
France Culture de l’émission consacrée à la clinique psychanalytique contem
poraine : « Les chemins de la connaissance » du 6 septembre 2006).
88 Psychiatrie générale
Freud, S. (1967). L’interprétation des rêves (1900). Chapitre IV. Paris: PUF.
Freud, S. (1936). Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse. Paris:
Gallimard.
Lacan, J. (2001). « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu
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Lacan, J. (1998). « Le Séminaire, Livre V ». Les formations de l’inconscient (1957-
58). Paris: Seuil.
La Sagna P. (1997). « Anorexie, la clinique du rien », Tout ce qui ne va pas est-il
un symptôme ? Section Clinique de Bordeaux, Cours du 14 novembre 1997,
inédit.
Lasègue, E.-C. (1884). « De l’anorexie hystérique ». Études Médicales. Asselin,
Paris: Tome Premier.
Miller J.-A. (1995). Silet, Département de psychanalyse de Paris VII, 1995, inédit.
Miller J.-A., Laurent E. (1997). Séminaire L’Autre qui n’existe pas et ses comités
d’éthique, Département de psychanalyse de Paris VII, leçon du 21 mai 1997,
inédit.
Partie II
Psychiatrie de l’enfant
et de l’adolescent
L’enfant et sa famille : un accueil pluriel, des traitements singuliers 91
Chapitre 5
L’enfant et sa famille :
un accueil pluriel,
des traitements singuliers
Nathalie Georges
1. On trouvera via Google toutes les informations nécessaires sur cette classification des
« troubles » psychiques, en évolution permanente.
L’enfant et sa famille : un accueil pluriel, des traitements singuliers 95
2. C’est le fameux amendement Accoyer, qui a, en 2003, mobilisé les « psys » sur cette
question épineuse.
96 Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Observation n°1
C’est l’été, beaucoup de collègues sont en vacances, et la demande de
consultation en urgence tombe. C’est une adolescente suicidaire – elle a
déjà « passé à l’acte » en absorbant des médicaments – et sa mère qui se
dit affolée. Nous sommes deux psychologues à assurer cette permanence
estivale, nous décidons sur l’instant de les recevoir ensemble, toutes les
deux. Un énoncé de la mère, personnel, me fournit bientôt l’occasion de
lui proposer de poursuivre la conversation avec moi hors de la présence
de sa fille, et ma collègue en profite pour inviter la jeune fille à la suivre
dans un autre bureau. Cette consultation inaugurale a permis, (là était
la « chance ») de « séparer » l’une de l’autre la mère et la fille. Celle-ci
qui vient de quitter le domicile de son père – les parents, en instance
de divorce, sont dans un conflit intense –, se saisit de l’occasion pour
redéfinir sa position dans la famille recomposée par sa mère ; tandis que
cette dernière demande à être reçue pour ses difficultés personnelles,
et prend bientôt rendez-vous en consultation pour chacun de ses trois
autres enfants. En quelques semaines, cinq psychologues de l’équipe sont
concernés. Plusieurs concertations informelles entre praticiens concernés
par cette famille auront lieu, jusqu’à une réunion d’étude de cas, où se
décantera la crise familiale, le père des enfants du premier lit trouvant
enfin le chemin du cmp, pour rendre effective son implication auprès de
ses fils.
Accueillir l’embrouille de cette famille sans s’embrouiller en miroir est
l’enjeu de cette pratique à plusieurs qui se fonde sur l’intérêt porté à
la stratégie inconsciente du sujet, dégagée de toute intentionnalité
supposée. Là où le psychologue mal orienté parlera de « manipulation »,
100 Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Observation n°2
Je reçois Guillaume, amené par sa mère, pour des difficultés de concentra-
tion à l’école. Guillaume vient d’avoir coup sur coup deux frères jumeaux
et une petite sœur. Il me montre dans la salle d’attente de quelle attention
il gratifie ses puînés, avec force gestes de tendresse et d’affection. « Il
est une vraie petite maman », me dit sa mère. Un entretien avec celle-ci,
seule, me fait entendre que la charge de l’éducation des enfants repose
strictement et exclusivement sur elle. Le père apparaît comme un homme
fragile, possiblement violent, qui a peu de contacts avec ses enfants. La
mère, qui se partage entre son métier d’aide-soignante à domicile, son
mari et ses enfants, semble y trouver un équilibre qu’elle ne met pas en
question.
L’enfant, s’il vient volontiers, se montre réservé avec moi. Il me fera pour-
tant le récit d’un rêve où un monstre le poursuit, prêt à le dévorer. Je lui
demande alors s’il n’a jamais pensé qu’il pourrait me présenter son Papa.
Il reste silencieux, mais…
La semaine suivante, lorsque j’arrive au cmp, un homme est là, attendant
à la porte, que je ne connais pas. Je m’efface, il entre et s’installe dans la
salle d’attente. Je reçois les enfants qui ont rendez-vous avec moi, seule
car la secrétaire n’est pas encore arrivée, jusqu’à ce que, au bout d’une
heure, cet homme m’apostrophe, dans un état de fureur mal contenue et
me dise que puisque je n’ai pas daigné le recevoir à l’heure, il s’en va. Je
lui demande alors qui il est et il hurle : « vous m’avez convoqué, je suis
le père de Guillaume ». En entendant claquer comme une balle le mot
« convoqué », j’ai dû réaliser sur-le-champ que Guillaume avait réussi à
faire ce qu’il fallait pour me présenter son père, et j’ai donc appris ce jour-
là que dire à un enfant « quand tu voudras tu pourras me présenter ton
père » pouvait signifier cela. J’ai pu recevoir ce père, en lui présentant mes
excuses, puis, à nouveau Guillaume, la semaine suivante, mais plus sans sa
mère, pour faire écran à la violence du père dont l’enfant se faisait l’objet
en se faisant taper, ce dont elle n’avait jamais pu me parler. La stratégie
de rester attentive à de possibles « mauvais traitements », que l’on nous
enjoint aujourd’hui de « dénoncer » parfois dans la précipitation, remède
L’enfant et sa famille : un accueil pluriel, des traitements singuliers 101
qui peut être pire que le mal, était rendue possible par le transfert positif
de la mère et son désir de tamponner la violence du père, ce à quoi elle
parvint, une fois traitée la crise révélée par Guillaume qui n’avait trouvé
que cette manière : se faire battre, pour faire exister son père pour lui.
La boussole lacanienne m’a permis, ici, de faire la part du « père réel »,
cet homme peu sociable et taciturne que la mère, dans sa passion amou-
reuse, avait choisi comme partenaire, et la fonction paternelle, telle
qu’un maniement du oui et du non dans la parole la produit et qu’elle
endossait seule dans sa famille, trop « honteuse », put-elle me dire, pour
demander quoi que ce fût, au moment où elle put, justement, assumer
ses choix. C’était elle qui avait besoin d’un appui. Je fus donc son parte-
naire, irrégulièrement mais pendant plusieurs années, quand ses enfants
se trouvaient en difficulté et qu’elle avait « besoin de discuter pour y voir
clair » disait-elle.
Avant que l’enfant se perde et se trouve sur le terrain de la lutte ima-
ginaire pour l’appropriation des objets, objets de la demande ou de la
convoitise, articulés à la dialectique de la frustration et de la privation1, il
y a, ignorée de chacun, une dynamique de la langue dans laquelle circulait
le désir incommunicable des parents de l’enfant unique qu’il aura été pour
ces derniers, quoi qu’ils en puissent dire.
En silence, Guillaume s’était saisi de ce que je lui avais dit, et en avait fait
usage, me montrant qu’il avait un savoir-faire avec son père, et s’arran-
geant en effet pour me le présenter de la meilleure façon. C’est moi qui
ai eu un temps de retard, qui, par chance, put être pris en compte. En ce
sens, la clinique nous enseigne sur nos insuffisances, certes, mais au-delà,
sur l’étrangeté du signifiant et sa mise en fonction, surprenantes. Le psy-
chologue a, en principe, un goût pour ces surprises, elles font partie de la
« joie » singulière qui fait son travail (Lacan, 2001).
Observation n°3
J’ai reçu Sylvie, 8 ans, il y a quatre ans, amenée par sa mère. Celle-ci
témoignait d’une difficulté relationnelle majeure avec sa fille aînée, mais
n’en voulait rien dire et compensait ce défaut d’entente par une assis-
tance dans tous les actes quotidiens pour son aînée, tandis que la présence
de sa puînée la restaurait dans sa capacité d’aimer un enfant. Le peu de
choses que la mère me dit en attestait. « Depuis le début cela cloche. Je ne
sais pas m’y prendre avec elle, pas comme avec Diane, avec qui tout est
facile, et pas ma belle-mère que Sylvie adore ». Je ne pus, alors, profiter
de la moindre faille dans ces phrases qui n’ouvraient sur aucune question.
Quelques séances avec l’enfant, seule, ne furent pas plus concluantes. Elle
pleurait en silence, faisant signe qu’elle ne pouvait rien me dire. Le père,
que j’invitai, ne fut pas davantage mobilisable. Quatre ans plus tard, la
secrétaire du CMP me dit que la mère de Sylvie avait repris rendez-vous,
en précisant qu’elle voulait voir « quelqu’un d’autre ». Il me sembla qu’en
quatre ans, j’étais assez devenue « autre » pour pouvoir la rappeler. Au
téléphone, nous eûmes une conversation vive. Si c’était pour se « retrou-
ver devant quelqu’un qui ne disait rien, pas la peine », dit-elle. Je le lui
promis et appris alors que Sylvie, devenue adolescente, avait décidé d’en
faire voir de toutes les couleurs à ses parents. Cela parlait, à cette mère de
son adolescence à elle, de l’espoir qui s’était levé alors pour elle, de vivre,
et des bonheurs qu’elle avait connus alors, jusqu’à son mariage, et jusqu’à
sa maternité. Là avait été pour elle le rendez-vous avec la douleur muette
des mères de sa famille. Elle était, maintenant, prête à l’entendre, et plus
elle l’entendait, plus Sylvie l’exaspérait, jouant sa partie, mettant en cause
l’équilibre de cette famille. Une gifle, la première, lui échappa, qui eut pour
effet un « tu ne m’as jamais aimée, tu as toujours préféré Diane ». Quelle
chance, pus-je lui dire, enfin, Sylvie disait la vérité, de son point de vue,
faisant point de départ d’une nouvelle ère. La mère de Sylvie m’« avoua »
alors que depuis trois générations de femmes, l’enfant premier-né avait
toujours été une fille, qui n’avait pas vécu. Sylvie avait fait exception à la
règle, bien qu’une suspicion de maladie grave ait pesé sur le fœtus qu’elle
« était ». Ramener cette culpabilité démesurée dans le champ du dialogue,
c’était lui apporter un tempérament, en la segmentant en questions et
réponses, dans le temps subjectif de ce sujet en grande souffrance.
Le dispositif est donc variable et imprévisible. Il va de la consultation thé-
rapeutique unique, que Winnicott (1979) a su définir et illustrer, à la prise
en charge régulière au long cours d’un ou de plusieurs membres d’une
même famille. C’est à le construire que le psychologue s’emploie, dans un
premier temps, et ce dispositif n’est rien d’autre que sa première inter-
prétation, en acte.
L’orientation analytique, qui est ici notre boussole, doit donc éviter deux
écueils : l’un, qui est d’écarter le parent, sous le prétexte que l’enfant est
L’enfant et sa famille : un accueil pluriel, des traitements singuliers 103
que par les traces écrites des rapports qui ont accompagné les premiers
moments de leur existence. S’il existe un fossé entre les générations, il
est toujours à reconstruire, en fonction de ces données primordiales,
propres à chaque nouveau cas.
La psychanalyse, encore elle, met en évidence le rapport complexe
que le sujet parlant entretient avec le savoir. Veut-il savoir de quel
malentendu procède sa venue au monde ? Quel est le fantasme à
l’abri duquel il loge sa jouissance ? Ne veut-il pas oublier, surtout, les
angoisses, terreurs et peurs de son enfance, sa déréliction première, ses
cauchemars, son doute ?
Dans un remarquable documentaire Enfants ? Graine de délinquants,
Marina Juliène nous a montré des enfants aux prises avec ces nouveaux
dispositifs qui font l’impasse sur la créativité des enfants, non moins
que sur l’accueil de la singularité de leur venue au monde.
On revisitera ici l’histoire et les vicissitudes des droits du sujet à
s’exprimer dans sa langue propre, et la tension qui de toujours a existé
entre le maître, tenté d’imposer une norme pour tous, et la résistance
de l’individu. Puis, au-delà du droit, on rappellera que le désir se faufile
entre les mots que le sujet, s’il peut prendre appui sur un autre digne de
sa confiance, fera siens, parmi ceux qui lui ont été imposés.
La difficulté est majorée avec l’enfant, car la question est bien sûr
celle de savoir ce qui peut bien pousser des psychologues à « se spécia-
liser dans l’enfant » selon une formule que l’on entend tous les jours.
Il n’en faut pas moins, quand c’est nécessaire, accueillir les interve-
nants extérieurs qui s’angoissent pour les meilleures raisons, et, parfois,
intervenir pour séparer le sujet de partenaires qui, malgré leur bonne
volonté, peuvent être pour lui ravageants.
Observation n°5
Au retour de vacances passées chez son père, séparé de sa mère depuis
sa conception, Julien se fait remarquer à l’école par un comportement
qui affole les enseignants. Assis à sa place en classe, soudain il se lève
et bousculant ses camarades comme s’il ne les voyait pas, s’installe au
tableau, bousculant son maître. Aucune parole d’autorité n’y fait. Bientôt
la mère est convoquée et priée de consulter sans tarder. La consultation
n’apaise pas Julien, mais elle permet de saisir que l’enfant est assailli par
des injonctions intérieures qui lui commandent ces actes erratiques. Elle
permet aussi, dans ce cas, de créer avec sa mère un lien tel que l’adresse
à un collègue pédopsychiatre est possible sans violence faite aux idéaux
éducatifs, mais en relation avec le passé traumatique de cette mère-là.
Une rencontre avec les partenaires de l’école produira une brève accalmie.
Pourtant, force sera de constater que l’équipe pédagogique, mise à mal
par le déferlement des consignes de sécurité interprétée à la lettre par le
chef d’établissement, n’est pas en capacité de surmonter la terreur fasci-
née que Julien inspire. Une éviction scolaire est alors prescrite. La crise est
ici salutaire : une orientation vers un hôpital de jour où l’équipe accueille
l’enfant à temps partiel, tandis qu’un dispositif d’aide aux devoirs à la
maison se met en place, ouvre la voie vers l’apaisement.
Ici, la mobilisation aura été considérable, pour un gain de savoir, du côté
de la mère, d’une part et de l’enfant, de l’autre. La mère ayant pu aperce-
voir l’immense culpabilité qu’elle nourrissait à l’égard de cet enfant dont
la conception n’avait pas eu l’effet attendu de la rapprocher de son mari,
a pu consentir à l’hospitalisation et à la psychothérapie de l’enfant, tandis
que le psychologue et le psychiatre préconisaient un changement d’éta-
blissement scolaire.
5. Ce livre paru en 1947, est une œuvre profondément subversive, écrite pendant la
Seconde Guerre mondiale en manière de résistance au nazisme, aux risques et périls
de son auteur, Victor Klemperer, philologue professeur à l’Université de Dresde.
106 Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
tertii imperii nous rappelle combien nous devons, avec tact et mesure,
ne pas céder sur les principes qui gouvernent nos actions. Une vigilance
particulière est de notre responsabilité, concernant la divulgation de
données cliniques, susceptibles de figurer dans des recueils ou fichiers
dont personne aujourd’hui ne peut savoir l’usage qui en sera fait d’ici
une ou plusieurs décennies. Or, il est exigé aujourd’hui des psychologues
qu’ils établissent, via un logiciel accessible par Internet, le diagnostic
des enfants qu’ils reçoivent et notent scrupuleusement la nature et le
nombre des « actes » qu’ils effectuent.
Certes, le psychologue est assujetti au secret (par extension, comme
tout le personnel hospitalier qui a une activité de consultation), dont
on rappellera qu’il n’est pas opposable au malade mais qu’il l’est aux
membres de sa famille), ainsi qu’à une obligation de réserve, dont la
jurisprudence reste une source essentielle. Notons, toutefois, que secret
médical et secret professionnel ne se recoupent pas. On soulignera ici
que le psychologue, peut se trouver en butte à des apories qui pour-
raient l’angoisser, s’il n’avait la précieuse ressource de son temps FIR
pour se former en permanence et participer à des groupes de travail,
des colloques et des rencontres cliniques où ils sera à même d’inventer,
avec d’autres, des moyens inédits pour faire valoir la clinique du un par
un dans le champ de la santé publique. Œuvrant ainsi au renouveau
des concepts, il ne se soumettra pas, comme à une vérité révélée, aux
nouveaux dogmes qui conduisent à mettre sous Ritaline ou sous Prozac
des enfants dès l’âge de huit ans, sous prétexte de promotion de ladite
santé.
Le psychologue ne saurait donc se cantonner dans son bureau
comme un sphinx détenteur du savoir absolu de l’inconscient, seul à
régir les conduites humaines. Il manquerait à sa mission s’il ne s’intéres-
sait à tous les discours qui sont tenus sur l’enfant, et bien au-delà de ses
partenaires immédiats, dans la société elle-même et dans ses institutions
nationales, européennes, mondiales.
J’aperçois, relisant ce travail, quelle violence traverse la pratique
quotidienne de la consultation psychologique en cmp. Plus elle est tue,
plus elle est réelle, mais la dénoncer ne l’élimine en rien. Il faut avoir
travaillé dans des foyers ou des internats, ou des services de placement
familial, avec des familles d’accueil souvent d’un dévouement et d’une
finesse incroyables, pour savoir que placer un enfant ne résout pas la
question de sa position subjective. Se faire battre ou battre pour trouver
une place dans le désir de l’autre et s’en faire éjecter sont choses si
courantes que certains pourraient les dire « banales ». Or, le mal, inscrit
en chacun de nous, n’est pas banal. Il nous met, au contraire, au défi
de vérifier la part que nous prenons aux désordres du monde. Voulons-
nous la réduire ? Nous en donnons-nous les moyens ? Cela reste, tou-
jours, à démontrer encore. Une jeune adolescente, que je reçois depuis
L’enfant et sa famille : un accueil pluriel, des traitements singuliers 107
Bibliographie
Ferenczi, S. (1975). « Anatole France, psychanalyste ». Psychanalyse 1 (pp. 138–
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Lacadée, Ph. (2003). Le malentendu de l’enfant. Cécile Defaut. Paris: Éditions
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Miller J.-A. L’orientation lacanienne, « Choses de finesse en psychanalyse », leçon
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Winnicott, D. (1979). La consultation thérapeutique et l’enfant. Paris: Gallimard,
Poche.
« Une élaboration soutenue en petit groupe » 109
Chapitre 6
« Une élaboration soutenue
en petit groupe »
Christiane Alberti
3. Cette relation de cas a été rédigée par Agnès Biaggioni et par nous. Elle a fait l’objet
d’une élaboration collective en réunion à laquelle ont contribué : Monique Corbière,
Florence Fabre, Martine Gutknecht, Jeanne Mattéi, Évelyne Rabaud, Audrey Toulze.
116 Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
répond à une nécessité qui ne dépend pas de lui. Mais dans le temps
même où elle apparaît, elle semble répondre à une autre version de
l’urgence : « jouer » revêt ici, nous semble-t-il, la possibilité pour ce
sujet de s’extraire de la demande de l’autre, construire un barrage
contre l’impératif de l’autre. Jouer consiste notamment, via le support
de la maison, à mettre en jeu les limites du corps. Si nous intervenons,
son agitation redouble et il préfère s’extraire de la pièce en hurlant
qu’on ne le laisse jamais jouer.
Cette maison lui permet donc d’échapper à notre regard, lui assure
une protection et lui donne un corps. Une fois à l’intérieur de la maison,
une sédation se produit. Il peut même inviter un autre enfant et lui faire
la lecture4.
Il crée artificiellement le lieu du langage, lieu dans lequel il peut
aussi loger son corps. Dans le fond, le corps et la fiction de l’Autre,
c’est-à-dire un lieu où les signifiants se localisent, sont ici indissociables.
Il montre ainsi comment corps et signifiant, imaginaire et symbolique,
se répondent (clinique borroméenne).
En ce sens, l’urgence n’équivaut-elle pas ici sinon à un minimum de
subjectivation, du moins d’émergence comme moi ? Jouer (maîtriser)
confèrerait à ce sujet une épaisseur d’être, une prise minimale qu’il
acquiert sur son réel. Le moi vaut ici comme « je », lui permettant ainsi
d’être un peu moins « un pur objet ».
4. Ce scénario n’est pas sans faire écho aux dires de la mère de Clément. Le moment des
devoirs est le seul moment de détente et de plaisir, selon ses propres mots, partagé avec
son fils, moment qui échappe à l’impératif du « il faut que ça aille vite ». Le savoir
était pour elle « une bouée lorsque petite elle s’ennuyait, une bouée qui la faisait
exister aux yeux de ses parents ».
« Une élaboration soutenue en petit groupe » 119
qu’il colorie avec précision en lien avec les chevaux qu’il connaît. Ces
objets sont aussi pour Clément une voie d’accès vers les autres. Il peut
s’adresser à l’autre qui n’est plus une présence menaçante, une parole
peut circuler, sur le mode d’un semblant de conversation.
Bibliographie
Lacan J. (1966) « Jeunesse de Gide », Écrits, Paris, Seuil, p. 752. « Faut-il pour
éveiller, leur montrer le maniement d’un masque qui ne démasque la figure qu’il
représente qu’à se dédoubler et qui ne la représente qu’à la remasquer ? ».
Lacan J. (1981), Le Séminaire, livre III, Les psychoses. Paris: Seuil.
Partie III
Prises en charge
spécialisées
En Cellule d’Urgence Médico-Psychologique... 123
Chapitre 7
En Cellule d’Urgence
Médico-Psychologique :
clinique de l’impatience
et réveil singulier
Caroline Doucet
Observation 1
Mme L. vient d’apprendre le décès brutal d’un proche, elle est accompa-
gnée par son mari et sa fille. Elle présente un état de perplexité anxieuse
avec un état d’agitation psychomotrice. Les yeux sont hagards, elle est
dans l’incapacité à verbaliser les événements et pose de façon répétitive
les mêmes questions « Où je suis ? », « Qu’est-ce qui m’arrive ? ». Elle
accepte de s’hydrater car présente une sensation de soif intense. Elle
accepte d’entendre les mots qui lui parlent du deuil mais sans réaliser.
Elle pleure à plusieurs reprises. Lors de l’entretien médical, sa fille évoque
les décès précoces du père et de la mère de Mme L. Son mari précise que
depuis qu’elle a atteint 60 ans, sa femme se pense « en sursis ». Après avoir
resitué avec elle quelques éléments en lien avec la réalité événementielle
récente, elle s’apaise et accepte de s’allonger, couverte afin de diminuer
une sensation de froid. Le flot de « paroles enveloppantes » a permis de
reprendre progressivement le cours des événements. Une consultation est
prévue dans le service quelques jours plus tard.
Observation 2
Un homme de 60 ans est venu consulter à cause de manifestations symp-
tomatiques en lien avec une agression subie un an auparavant. Le patient
décrit les circonstances de l’agression et le caractère insupportable de sa
rencontre avec le risque entraperçu de sa propre mort : dans l’instant, il s’est
vu mourir au point de tomber à genoux, incapable de se relever plusieurs
minutes après le départ de l’agresseur. Mais une chose l’étonne. Pourquoi,
malgré les conseils de son médecin généraliste dont habituellement il suit
à la lettre les prescriptions, pourquoi donc, a-t-il attendu un an avant
de consulter un psychologue ? Il se souvient que lorsqu’il était enfant, il
avait constaté que son père mutilé de guerre ne parlait jamais de ses bles-
sures et ne semblait donc pas en souffrir. Ce constat était à l’origine d’une
théorie demeurée inconsciente jusque-là et qu’il découvrait en parlant : ne
pas parler de son mal était pour lui gage de guérison. Il prit alors le parti
inverse : courir le risque de la parole. Ce qui eut très rapidement des effets
thérapeutiques mais lui permit surtout d’interroger son désir. En effet, outre
l’atteinte durable à l’illusion d’immortalité générée par l’événement trau-
matique – « Vous vous rendez compte, disait-il, j’ai 60 ans. En moyenne les
hommes vivent 73 ans, il me reste 13 ans à vivre ! » – une question devenait
pour lui centrale : pourquoi était-il allé regarder derrière les bâtiments d’où
venaient les coups de feu, ce qui lui avait valu la rencontre – pourtant évita-
ble – avec son agresseur ? Durant un an et demi, de manière appliquée, le
patient est venu élucider les coordonnées de son désir, les effets occasionnés
par cet événement, au regard de ce qui constitue la solitude de son être.
Il convient donc d’envisager le traitement selon une logique de la réponse
plutôt que de la cause. En effet, ce passé que le sujet voudrait oublier, « ce
passé qui ne passe pas » génère « une demande qui part de la voix du
souffrant, d’un qui souffre de son corps ou de sa pensée » (Lacan, 1974).
““ Tout appel est recevable mais tous les appels ne justifient pas
l’intervention immédiate de la CUMP sur les lieux de l’événe-
ment. (Joubrel D., Doucet C., 2008) »
L’enjeu est de contribuer à traiter la crise occasionnée par la surve-
nue de l’événement. Il s’agit de trouver dans l’impasse même de chaque
situation les conditions d’un acte opérant garantissant la préservation
de la communauté touchée. Il n’y a donc pas d’intervention systémati-
sée – sauf dans les cas de déclenchement de la cellule par le SAMU et
autorités préfectorales lors d’un plan rouge par exemple.
Cette vigilance permet notamment de rester attentif à l’instrumentali-
sation possible de l’intervention médico-psychologique. « Nous devons
être vigilants pour ne pas servir d’alibi pour faire taire la juste revendi-
cation, la demande de réparation causée par les dommages subis à qui
en est responsable. Comment rester en éveil par rapport à ces demandes
du social, à ses aspirations sécuritaires, à ses souhaits d’adaptation à la
réalité des individus ? » (Schneider, 2008). Une attention particulière
est portée aux objectifs assignés à l’intervention par le demandeur et
130 Prises en charge spécialisées
suite au suicide de l’une d’elles. Elle ne souhaite pas en dire plus lors
du débriefing mais laisse entendre une souffrance qui demande à se
dire. Le court entretien individuel qui a lieu dans la suite immédiate
du débriefing et celui qui se tient quelques jours plus tard facilitent
l’expression des pensées et affects qui l’ont assaillies à l’annonce du
décès de sa supérieure hiérarchique et notamment le « soulagement »
ressenti à l’annonce du décès, « mon corps s’est détendu, j’ai pensé que
j’étais enfin tranquille ».
Ainsi, il convient d’être attentif aux enjeux psychosociaux et subjec-
tifs du débriefing. Ce dispositif requiert nombres de précautions en ce
qui concerne la présence et l’offre du dispositif de parole, la gestion du
groupe, le repérage des éléments diagnostiques.
Observation 3
M. G. arrive dans le service accompagné d’un proche1. La consultation fait
suite à la confrontation quelques jours auparavant avec le corps de sa
compagne suicidée par défenestration. Il ne prend pas le traitement pres-
crit à la suite de cet événement par le médecin intervenu sur les lieux en
urgence car dit-il « j’ai besoin de comprendre, j’ai besoin d’avoir les idées
claires et de penser ». Il manifeste des crises de larmes ponctuées de silence,
le visage est figé, les yeux dans le vide. Tour à tour abattu ou dans une insta-
bilité motrice, l’entretien infirmier est l’occasion d’évoquer avec précision
et émotion la confrontation avec la situation traumatique. L’inquiétude
ressentie alors qu’il n’arrivait pas à joindre la jeune femme au téléphone,
la vue du corps meurtri ainsi que sa tentative désespérée de la réanimer. Il
décrit un sentiment d’irréalité, d’incompréhension, de culpabilité et, depuis,
la présence de cauchemars tenaces marqués par les images du corps de
la jeune femme. « Je veux comprendre ce qui m’arrive », tels seront ses
premiers mots lors de notre premier entretien. Par la suite, il décrira – à plu-
sieurs reprises en y introduisant des variantes – l’événement traumatique,
136 Prises en charge spécialisées
1. Pour une lecture intégrale du cas : Doucet C., Joubrel D. (2009), Enjeux des théra
piques brèves en psychotraumatologie, Revue Francophone du Stress et Trauma, n˚ 9,
p. 93-7.
Observation 4
Mme K. est arrivée au SPAO accompagnée par une auxiliaire de puériculture
du centre maternel dans lequel elle réside depuis que son compagnon a
fait preuve de violences à son encontre. Au cours de « l’entretien infirmier »
En Cellule d’Urgence Médico-Psychologique... 137
elle se plaint d’insomnie, de fatigue, elle se dit tendue, et évoque les évé-
nements traumatiques passés. Mère depuis quelques semaines d’une petite
fille de l’homme dont elle s’est séparée, d’origine congolaise, elle réside
en France depuis deux ans après avoir quitté son pays clandestinement
suite à l’assassinat de son mari par les milices congolaises et aux violences
subies par elle-même. Elle décrit assez longuement le contexte de ces vio-
lences et précise qu’elle est partie – pour se protéger – en laissant les trois
enfants de son premier mariage, des jumeaux de 12 ans et un autre enfant
de 6 ans. Reçue une nouvelle fois le lendemain pour un entretien avec un
médecin et un infirmier, elle dira ne pas être apaisée par les entretiens :
« Je ne veux plus parler du passé, ni de lui (son compagnon actuel), ça me
fatigue, je répète ses humiliations ». Elle m’est adressée malgré sa réticente
à l’idée de parler à une psychologue. Le suivi durera finalement 7 mois, à
raison d’une séance hebdomadaire. Il a pu se faire parce que j’ai pris au
sérieux une indication donnée par la patiente : elle avait arrêté une prise
en charge avec un autre psychologue parce qu’il lui demandait à chaque
séance de parler des violences subies (violée devant son père, mort sous le
choc, assassinat de son mari, etc.). « Ce sont des plaies qui se retrouvent
à vif chaque fois que je reparle de mon passé ». La présence d’un préjugé
quant au contenu des entretiens – parler de l’événement traumatique –
mais aussi la préoccupation unique du thérapeutique « tend à produire
des thérapies standardisées pour troubles formatés » (Fischman, 2009).
Devenu un temps indispensable pour elle, le lieu – SPAO – comme le cli-
nicien lui ont permis de soutenir son désir d’exister malgré les violences,
humiliations passées, la séparation insupportable d’avec ses enfants et les
difficultés de son quotidien. Cela suppose d’accepter de se faire le parte-
naire du sujet dégagé de toute tentative de normalisation autoritaire qui
conduit à nier le drame de la vie humaine. Cela suppose la mise en place
du transfert, manifeste dans le fait qu’elle était un jour venue au SPAO
me rencontrer alors qu’elle n’avait pas rendez-vous, « J’avais besoin de
vous voir », avait-t-elle précisé. La prise en charge s’arrêtera à la demande
de la patiente sur un mieux être, sur la décision de rencontrer une autre
psychologue dans un lieu plus proche de son habitation. Elle sait qu’elle
peut toujours revenir au SPAO si nécessaire.
Observation 5
M. N arrive au SPAO suite à une agression à son domicile à l’origine d’une
décompensation psychotique, plutôt un déclenchement, chez un sujet
présentant jusque-là une stabilisation relative. Suite à l’agression, le vécu
délirant occupe le devant de la scène : le monde dans son ensemble devient
menaçant, marqué de ce vécu de persécution. L’agression initiale dans le
réel conduit à une généralisation de la menace qui se présente comme un
point de certitude. Le patient vit dans un sentiment de danger suscitant
138 Prises en charge spécialisées
Observation 6
Un infirmier a fait le choix de présenter une situation à l’origine d’un
embarras. Il a reçu en entretien un jeune homme de 30 ans, accompagné
à son insu par sa mère et sa tante dans le service. De plus, la situation l’a
conduit à recevoir ensemble mère et fils, ce qui a modifié le cadre habituel
de sa pratique au SPAO. Il relate les conditions de cet entretien.
Lors de l’entretien infirmier la tension est palpable. M. D. n’a pas de
demande et se dit « ennuyé » d’être dans le service. Au cours de l’entretien,
l’infirmier remarque la présence de troubles du cours de la pensée, de rires
immotivés, de préoccupations délirantes sur la nature avec des réflexions
philosophiques. Les propos du patient sont centrés sur sa passion pour
les plans d’arbres fruitiers qu’il cultive dans son appartement. Il évoque
aussi la fabrication d’objets en bois, l’écriture de livres de science-fiction.
M. D. se déclare « auto-entrepreneur ». Il exprime un mécontentement
concernant ses conditions d’admission à l’hôpital. Il faut préciser que
le patient a été amené à l’hôpital par ses proches qui avaient prétendu
l’amener déjeuner au restaurant. L’infirmier est conduit à poursuivre
l’entretien, chose peu fréquente, en présence de la mère du patient.
Celle-ci, particulièrement inquiète, considère que son fils « est en souf-
france, qu’il a besoin de voir quelqu’un ». Elle précisera peu à peu le motif
de ses inquiétudes : le repli de son fils au domicile, sa disparition pendant
plusieurs jours quelques semaines auparavant, des scarifications au visage
(dont le patient précise qu’il s’agit de traiter des séquelles d’acné) et des
hallucinations auditives. Quant au patient, il ne reconnaît aucun pro-
blème particulier hormis une « mélancolie », un sentiment « moins fort
que la tristesse et relié au romantisme ». Il a déjà pensé au suicide mais
de façon « intellectuelle », « au décours d’une réflexion régulière depuis
plusieurs années sur la vie et la mort ». Sans emploi, il vit actuellement
dans un appartement attenant au logement de sa mère. Il a échoué dans
ses différentes tentatives d’obtenir un diplôme, dont le dernier en date, un
DEUG de droit pour devenir avocat d’une célèbre association humanitaire.
140 Prises en charge spécialisées
Bibliographie
Briole, G. (2005). « Après l’horreur, le traumatisme ». Quarto, n° 84, pp. 16–21.
Briole, G. Lebigot, F. Lafont, B. et al. (1994). Le traumatisme psychique : rencontre
et devenir, Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue française, Paris:
Masson.
Cottet, S. (1996). Freud et le désir du psychanalyste. Paris: Seuil.
Cremniter, D. (2002). « L’expérience traumatique et l’incidence de la parole ».
Letterina. nº 31, 39–42.
Cremniter, D. (2010). « Une cellule a été mise en place », Interview, Bulletin
UFORCA.
En Cellule d’Urgence Médico-Psychologique... 141
Chapitre 8
Psychopathologie en milieu
carcéral : « Un espace hors
temps, hors tout »
Pierre-Paul Costantini
que lui avait infligée le juge, il l’estimait sévère, mais c’était la règle,
« quand on fait une connerie il faut payer ». Mais la prison… tout
ce dont on l’avait informé était là, tout ce qu’on lui avait dit était là,
tout ce qu’on lui avait laissé entendre était là, et pourtant une amer-
tume demeurait, « un goût de rien ». « Telle est l’angoisse des mortels,
conclut Cormach McCarthy.
8.1.1.1. Un temps
8.1.1.2. Un lieu
Si la lettre de cachet est abolie, la figure des lieux d’incarcération devait
aussi accompagner l’élan réformateur. Si le code se transformait, les
lieux d’accueil devaient promouvoir cet élan réformateur. Les nouvelles
peines privatives de liberté devaient être subies dans de nouveaux
établissements.
À la fin du XVIIIe siècle, les architectes qui s’intéressent à la cons-
truction de nouvelles prisons ne connaissent pas le plan panoptique
proposé par Jérémy Bentham, qui avait imaginé qu’en occupant une
position centrale, et à l’aide d’un astucieux système de persiennes,
le surveillant avait ainsi la faculté de voir d’un simple coup d’œil
tout ce qui s’y passe sans être vu. C’est la potentialité du contrôle
et son omniprésence, plus que son effectivité, qui agit sur les consci-
ences et modifie les comportements. A contrario, l’imagerie populaire
désigne, par la dimension terrifiante de la prison, le lieu où est conte-
nue l’horreur des actes répréhensibles des prisonniers, la froideur du
lieu doit dissuader le peuple, par la peur d’enfreindre l’ordre et la loi.
L’exemplarité de la peine doit se voir afin que la peine de détention
soit redoutée.
Le panoptique de Jérémy Bentham devient la figure architecturale de
cette composition.
““ Ce qui punit le plus les détenus dans les centrales, ce qui les
corrige, c’est la règle de conduite, l’assiduité au travail et la
propreté qu’on leur fait observer. (Barbé-Marbois, 1823) »
Michel Foucault (Foucault, 1976) trouvera dans cette sentence
la maxime de l’orthopédie carcérale. L’emprisonnement doit être un
mécanisme différencié et finalisé. Différencié puisqu’il ne doit pas avoir
la même forme, selon qu’il s’agit d’un prévenu ou d’un condamné, d’un
correctionnaire ou d’un criminel. Les différents lieux d’emprisonnement
doivent correspondre en principe à cet ordonnancement. Ils doivent
assurer un châtiment non seulement gradué en intensité, mais diversifié
dans ses buts. La prison a une fin :
““ La loi infligeant des peines plus graves les unes que les autres
ne peut pas se permettre que l’individu condamné à des peines
légères se trouve enfermé dans le même local que le criminel
condamné à des peines plus graves ; … si la peine infligée par la
loi a pour but principal la réparation du crime, elle veut aussi
l’amendement du coupable. (Foucault, 1976) »
La prison devient le siège de ces transformations, effets internes de
l’orthopédie carcérale.
« Le monde des abîmes » dès lors trouve l’espace où il peut s’écrire,
faute de pouvoir être écouté. La lecture devient source d’analyse et
soustrait à la parole son pouvoir, le désert, tels les murs de la prison,
l’entoure.
que le psychologue va devoir travailler. Car c’est dans cet espace que
se croise le rapport le plus étroit du sujet à l’acte qui un temps l’a
rendu le plus étranger à lui-même. Livré à l’impuissance d’en rendre
raison, l’institution et le procès ne peuvent que reconstituer ce qui a
été, ce qui en dehors de toute raison a eu lieu, et tenter par la mise en
série des faits, cerner ce qui aurait pu être une intention. Cependant,
l’acte n’est pas sans faire rupture dans la vie et l’histoire d’un sujet,
même lorsqu’il semble confirmer le destin de celui qui le commet. En
somme, même là où il paraît se nouer un sens qui rende compte du
non-sens dans le lieu le plus intime qui l’accueille, l’acte n’est pas sans
réveiller un désespoir et une angoisse qui ne sont pas sans devoir être
interrogés. Loin d’être le refuge où les mots peuvent se nourrir de leur
propre oubli, dans la quête d’une hypothétique absolution, l’espace
carcéral devient ce lieu où se rencontrent des discours à la rhétorique
subtile : faits de silences et de plaintes, de méfiance et de crainte, il
s’agit d’y porter attention pour préserver l’originalité de cette quête
qui parfois peut se cacher derrière un habillage viril et une provoca-
tion outrancière.
C’est ainsi que, presque par hasard, une rencontre se fait dans l’inter-
valle d’un temps immobile. Des paroles au début hésitantes forment
alors des figures aux contours flous qui illustrent un malaise pesant.
Surpris parfois par tant d’audace, les mots se cachent, se dissimulent,
se réfugiant derrière un acte qui tient lieu d’indice. Faux-fuyant illu-
soire qui fait apparaître sous l’inconfort, l’angoisse. Alors pour fuir
l’exigence de la parole, l’appel aux formes hypnotiques apparaît ; « je
voudrais quelque chose pour ne plus penser… Je voudrais oublier…
Croire un instant que tout cela est un mauvais rêve ». Impuissant à
contenir ce qu’une mémoire avec insistance répète, tout recours à
l’illusion devient une conquête pour échapper à un lieu dont on ne
peut pas fuir. C’est ainsi que, vaincus par une telle impuissance, les
mots parfois reviennent, comme échappés à l’oubli, exigeant cette
fois-ci d’être entendus ; et sous la honte de moments vécus comme
impudiques, se dessinent des récits qui tentent d’articuler ce qui n’a
pu être dit, ce qui n’a pu être entendu. L’indécence du sens qui fuit n’a
d’égal que l’indécence d’un acte dont on ne peut rien dire. Violence de
l’acte conjuguée à la violence de l’incarcération ; violence qui s’inscrit
dans un « hors temps » et un « hors lieu » : « je n’avais jamais connu la
prison ; je ne comprenais pas ce que j’avais fait, commenta Alexandre
après plusieurs entretiens. Me retrouver dans ces lieux, c’est comme si
ce hors moi, que j’avais été dans ce que j’avais fait, devenait réel dans
l’étrangeté que j’éprouvais ». Temps de l’exception qui noue, par la
rencontre du sujet avec la prison, la contingence de son acte au réel
de son expérience ; « comme si tout devenait réel dans l’étrangeté que
j’éprouvais ».
Psychopathologie en milieu carcéral : « Un espace hors temps, hors tout » 155
recours, pour oser dire une vérité sur son acte, le sujet est renvoyé au
silence. Ne pouvant espérer plus, la procédure s’évertue à faire entendre
raison à cet indicible.
N’est-il pas illusoire alors de travailler avec des sujets dont la fer-
meture semble interdire tout commentaire ? N’est-il pas audacieux de
leur proposer un travail ? Est-il possible de ne rien repérer, de ne rien
soupçonner et n’avoir aucune perspective ? Est-il si audacieux de vou-
loir accorder un temps qui puisse désolidariser l’ordonnancement des
faits de l’ordonnancement de la vérité du sujet ?
D’autant plus que, surpris par leur acte, les sujets livrent parfois des
propos qui semblent dérisoires. L’étrangeté de leur geste résiste au sens
et les conduit aux frontières d’horizons qu’ils ne peuvent appréhender.
Cependant, au détour de ce qui se déploie dans l’espace informel de
ces entretiens, des logiques se dénouent et le sens tellement attendu se
dissout au profit d’élaborations ou de constructions qui ne sont pas
sans interroger les fondements de l’acte. C’est donc à ce point d’origine
qu’il faut porter notre attention : là où l’acte imposerait son silence,
ne peut-on qu’y souscrire ? Ce silence a-t-il valeur d’impossible, ou
conduit-il, par l’impossible qui le soutient, à ne rien vouloir faire enten-
dre de l’horreur dont il se nourrit ?
La question mérite d’être posée, car bien souvent ces paroles, que
nous recueillons, semblent sans destinataire. Posées sans intention,
elles s’égrainent, étrangères à celui qui parle. Comme s’il fallait sim-
plement fuir le lieu de son silence, le combler du vide des mots, ne
pas croire en sa propre parole. Comme si au plus près de cet énoncé,
quelque chose échappait, un rien qui répondrait, en écho, au silence de
l’acte. Peut-on entendre alors, ce qui se dit dans l’inconsistance d’un
argumentaire puéril ? C’est ici plus qu’un pari, plus qu’une hypothèse,
c’est restituer à ces énoncés, tout le poids qui les faits exister, c’est
renouer, dans ces trajets incertains, avec l’esprit de la lettre, celle qui
doit « parvenir toujours où elle doit » (Lacan 2001). D’autant plus
que la prison, aussi paradoxale que cela puisse paraître, renvoie les
détenus, par l’impersonnel qui est entretenu dans ce lieu, au-dehors de
leur acte, « ce hors moi ».
dit-il qu’il aurait débuté ses alcoolisations. Il est évident que dans de
telles conditions, la scolarité de Roger s’en ressentira. Peu attiré par les
études, il ne s’épanouira pas dans cet univers. Il est vrai que les diffé-
rents placements, là aussi, n’ont pas participé à son intégration scolaire.
Il sera très rapidement orienté vers un I. M. E.
Si la petite enfance fût marquée par une certaine instabilité, l’ado-
lescence marque le début de la délinquance, avec ses inévitables beu-
veries et autres délits, vols, fugues… Roger évoque cette période sans
nostalgie ; il admet volontiers avoir été violent, coléreux, mais surtout
instable. Les fugues se multiplient, souvent associées à une alcoolisation
importante. Il trouvera cependant « refuge », comme il le dit, chez son
« oncle » et chez sa « tante », le frère de la mère de la famille d’accueil
et son épouse. Ces deux personnes paraissent avoir eu un véritable rôle
apaisant pour le sujet, car il s’y réfugiera souvent. Il commence ses
premiers vols à l’âge de 14 ans. Sans fierté, il égrène une suite de vols
de vélomoteurs et voitures avec lesquels il se contente généralement de
« faire un tour ». Il habitera le domicile de la famille d’accueil jusqu’à
ses 21 ans, vivant de petits travaux et n’ayant aucun loisir, si ce n’est de
s’alcooliser régulièrement.
Il n’effectuera pas son service militaire, car il sera exempté pour des
problèmes de vue. Par la suite, il quittera le domicile familial et effec-
tuera un « Tour de France » dans des conditions précaires. Le vagabon-
dage et la mendicité lui tenant lieu d’expérience initiatique, c’est là qu’il
effectuera ses premiers séjours en prison, pour « de menus larcins »,
selon ses dires. Dès lors, ne pouvant être inscrit dans une généalogie
structurante, il est « conduit » dans une errance pathologique. Vivant
généralement de façon précaire, Roger s’abrite et se réfugie où il peut.
Parfois dans des centres d’hébergement, mais le plus souvent dans des
abris de fortune, tente, cabane, voitures volées. Ces asiles ne lui offrent
pas toute la sécurité nécessaire, mais tout cela constitue de fait la seule
issue dans laquelle il a toujours évolué. N’ayant en somme jamais
connu de lieu dans lequel il puisse se sentir en sécurité, on ne s’étonnera
pas qu’il indique qu’il lui est arrivé d’être armé. Ainsi déshérité sur un
plan identitaire, il retrouve ses « racines » dans un comportement qui
le fige dans l’errance. Loin des lieux habités, il vit à la périphérie des
villes, dans les « déchets des autres… On m’a jamais dit que je pouvais
habiter ailleurs ».
Après ce périple, il revient « s’installer » chez son « oncle ».
L’alcoolisation y est plus intense et la violence apparaît. C’est d’une
façon pathétique qu’il reconnaît que, durant cette période, il a « pété
les plombs ». Ne supportant plus rien, il s’enferme dans un engre-
nage mortifère : alcool et violence devinrent ses seules activités. Par la
suite, il s’installe dans un hôtel, il passe la plus grande partie de son
temps à boire et à faire la manche. Bien qu’il ait des revenus réguliers,
Psychopathologie en milieu carcéral : « Un espace hors temps, hors tout » 159
““ Les miroirs n’y feront rien pour restituer ce visage ! Narcisse tra-
gique le sait parfaitement. Seulement la parole venant avec l’acte
de nommer, l’acte des noms sera dans cette mesure l’acte de déli-
vrer le visage des visages, par fragments. (Fedida, 1995) »
Psychopathologie en milieu carcéral : « Un espace hors temps, hors tout » 161
Situé hors pouvoir, par l’acte qu’il commet, le sujet est alors des-
saisi de lui-même, ceci l’entraîne parfois dans une réflexion à laquelle
il n’avait jamais supposé avoir accès. C’est ainsi que Michel, un
patient incarcéré, résumera, après quelques mois d’entretien, l’expé-
rience qu’il avait acquise lors de son incarcération : « ce que j’ai
compris ici, c’est qu’il faut mourir pour naître à la vie… c’est tou-
jours fuyant comme sentiment, je n’arrive pas à trouver une stabilité
d’être ». L’acte en son dehors, d’un seul geste l’exclut du monde et
de soi, pour le jeter désormais dans un monde sans limites où règne
l’impuissance absolue. « Quand je dis que je fais l’expérience de la
prison, c’est comme si mes mots neutralisaient les sentiments que
j’éprouve, c’est comme si faisant l’expérience, j’étais au dessus. Je
sais pas comment dire tant l’expérience d’ici n’est pas une expérience
de là-bas. Même les mots les plus simples prennent une consistance
que je soupçonnais pas ». Philippe, un autre patient, moins apte à
utiliser les ressources de la langue, put continuer ses réflexions et
déclarer, après plusieurs mois d’entretiens, alors qu’il était préoccupé
par l’image de son père, qu’il n’avait jamais connu, si ses séjours
fréquents en prison n’étaient pas une manière de retrouver son père.
Il ne voulait pas le retrouver physiquement, mais il avait su par une
assistante sociale que son père aussi avait connu la prison. Dès lors,
il parlait de cette présence, au fil des séances, il ne cessait d’imaginer
ce qu’il aurait bien pu lui apporter, ce père, s’il ne l’avait pas aban-
donné : « C’est comme si ça n’a jamais existé pour moi cette espèce
de naissance ». Comme je marquais un étonnement sur « cette espèce
de naissance », il continua sur un ton presque enfantin : « le souve-
nir, le souvenir de m’avoir mis au monde, je devrais avoir quelque
chose, un destin qui aurait dû s’enclencher, là, à ce moment-là de la
naissance. Je ne sais même pas si j’aurais entendu des cris, mes cris
à moi, les miens. L’entendre, quand on vient au monde, je pense pas
qu’on puisse les entendre ». Après un long silence que je décidai de
ne pas rompre : « C’est vrai que j’ai pas d’image de moi. Me voir une
fois, tout petit. Tout petit, je m’aurais souri en moi-même. Quel était
mon premier cri, lorsque je suis venu au monde ? Qu’est-ce que j’ai
crié en venant au monde ? Mais où me situer dans ce cri-là ? » Le
point provisoire d’aboutissement de son parcours nous place non pas
face à l’ambiguïté de l’image, mais celle de l’énigme, interlocuteur
auquel s’adresse le sujet dans son souvenir. « Qu’est-ce que j’ai crié
en venant au monde ? »
La voix peine à se faire entendre dans le brouhaha d’un monde qui
se déchire, promise à l’oubli, elle ne peut qu’émerger avec la prétention
de l’excès laissant supposer, qu’en droit, elle ne peut affirmer que son
propre dehors. Son excès donc se conjugue au temps de son apparition,
toujours en à venir dans son accomplissement même, sans contenu,
162 Prises en charge spécialisées
8.4. Conclusion
« Qu’était-il alors ce sentiment de mon âme ? » interroge St Augustin
(St Augustin, 2000), lorsqu’abordant la question de son être il décou-
vre, sous la forme banale d’un vol qu’il a commis durant son enfance,
la figure d’un moi aux multiples visages, d’un désir troublant, et un
acte qui l’engage, là où il ne croyait pas se trouver. St Augustin dans
l’énigme de son acte, engage la question avec celui qui en lui l’a poussé
à être celui qui a volé, mais aussi soulève l’énigme de celui qui se consti-
tue dans l’image du vol des poires. En ce sens, l’expérience sort du pur
phénomène pour entrer dans le champ de la rencontre avec l’autre de
l’image. Tel est l’appel que St Augustin lance lorsqu’il promeut l’acte
au rang d’un moment de rencontre avec l’Autre. Poussé, reconnaît-il
à commettre un vol sans qu’il en fût obligé par aucune nécessité, mais
tout simplement par pénurie et dégoût de justice, St Augustin offre
au lecteur son dénuement lorsque, se rendant compte que cet acte fût
commis sans aucune volonté de posséder, il n’en avait pas moins été
Psychopathologie en milieu carcéral : « Un espace hors temps, hors tout » 163
objet d’une jouissance indicible que seul l’acte avec sa dimension étran-
gère pouvait révéler.
L’acte, en son impasse, par la solution qu’il propose, s’adjoint d’un rien
qui semblerait le renvoyer à l’insignifiance. Cependant, il n’en existe
pas qui ne tente d’exister dans une parure qui lui donne corps. Il n’en
est pas non plus qui ne tente d’exister par l’excès dont elle se nourrit,
laissant parler l’Hubris (la démesure), dans un dévoilement qui n’isole
pas l’acte de cette pointe signifiante qui lui en donne sa charge. Il s’agit
d’être au plus près de ce qui s’engage même dans la fuite des mots, là
où l’horizon du sens s’éloigne, là où le sujet, dans le dessaisissement de
son être est conduit à faire l’épreuve du réel, épreuve dont il est l’élu et
l’exclu.
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En service d’alcoologie ambulatoire : se faire terre d’accueil... 165
Chapitre 9
En service d’alcoologie
ambulatoire : se faire terre
d’accueil pour la parole
de l’alcoolique
Yves Nougué
social, par exemple, qui sont autant d’aspects essentiels et qui permet-
tent au psychologue de s’en dégager. Sous réserve que ces différents rôles
joués soient des rôles éclairés, c’est-à-dire qui supposent des échanges et
que chacun des intervenants ne s’identifie pas à la place occupée.
9.3.4.1. L’identification
Les patients en général mais les alcooliques en particulier, visent à
établir une relation qui soit personnalisée, ce que l’on peut qualifier
de relation sur l’axe imaginaire qui constitue la relation à l’image, la
recherche d’identification, cherchant à repousser les limites du cadre
clinique pour s’adresser à la personne et non au psychologue. Cela peut
aller de l’invitation, voire de l’incitation à « se mettre à leur place » à
l’invitation relationnelle sans barrière et éventuellement à une demande
de s’occuper concrètement des problèmes présentés. D’où, la nécessité
et l’intérêt du travail à plusieurs. La neutralité bienveillante, proposée
par S. Freud, prend ici tout son sens de non-intervention et sa consis-
tance dans le maintien du cadre clinique et l’invitation à la symbolisa-
tion, à la mise en mots.
Observation 1 : « Je suis ici parce que j’y suis obligé »
Monsieur T. me téléphone pour prendre rendez-vous en précisant que
c’est un conseil de son médecin et que surtout, c’est une obligation de la
justice. Je m’abstiens de tout commentaire et lui propose un rendez-vous.
Lors du premier entretien, il dit n’avoir aucune envie d’être là, attendant
manifestement que je renforce la nécessité de sa venue, voire que nous
rentrions dans une confrontation. Au lieu de cela, je lui réponds qu’il a
certainement raison ou tout au moins de bonnes raisons de ne pas vouloir
être là et qu’il peut me parler de ces (ses) raisons s’il le souhaite, ou aussi
bien ne pas rester là. Je l’invite également à me dire ce qu’il pense de
cette obligation. La reconnaissance de sa position subjective a un effet
immédiat : soulagé, il se décontracte et commence à me parler de son his-
toire de vie où les mauvaises rencontres sont multiples et font de l’Autre,
toujours, le responsable de ce qui lui arrive...
En service d’alcoologie ambulatoire : se faire terre d’accueil... 175
““ Dès l’origine, le cri est fait pour qu’on en prenne acte, voire
pour qu’on ait au-delà, à en rendre compte à un autre. (Lacan,
1956-57) »
Avant même que ne débute un travail clinique, un appel répète les
premiers cris et la manière dont ils furent reçus, et le nouage des appels
et demandes de la vie passée.
Vient ensuite la première rencontre où le patient vérifie la position
éthique du clinicien ; le déroulement ultérieur est déjà inscrit dans ce
premier temps. D’ailleurs, les significations essentielles et les signifiants
déterminants du sujet sont déjà présents... dont nous avons à accuser
réception, ce qui est la seule manière de répondre à la demande de
reconnaissance :
Bibliographie
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En établissement pour Personnes Âgées Dépendantes... 181
Chapitre 10
En établissement pour
Personnes Âgées Dépendantes :
sujet dément et démenti
du sujet
Carine Thieux
10.1.3. Le quotidien
Les soignants ont pour mission première de s’occuper du corps des rési-
dents : toilette, surveillance des selles, aide au quotidien, surveillance
médicale… Leur journée est organisée selon les protocoles. Les jours
de toilettes des résidents sont planifiés. La présence du personnel dans
l’EHPAD, quelle que soit sa fonction, est réglée à partir de protocoles
mis en place dans le souci d’améliorer la qualité d’accueil des résidents
et la productivité du personnel. Le psychologue clinicien ne définit pas
sa pratique à partir d’un mode d’emploi préétabli. C’est à partir de la
place que l’autre lui assigne qu’il doit inventer une réponse en ne se
184 Prises en charge spécialisées
Observation 2
Lors d’un staff, les soignantes se plaignent de l’insupportable de Mlle A.
qui critique sans cesse leur façon de faire. Une soignante évoque Mlle A.
ainsi : « Avec elle ça ne va jamais ! » ; « Si on l’écoute on est le pire établis-
sement de la région ! » ; « Elle dit qu’on la traite comme un chien ! », « Que
même les bêtes sont mieux soignées ! » ; « Elle dit que c’est nous qui l’avons
fait tomber ! » J’interviens sur un ton ironique qui vise à faire sentir la
dimension de semblant : « Mais vous la persécutez ! ». Une aide-soignante
répond et nous renseigne sur le style de Mlle A. : « Ah ça non ! On fait le
mieux pour elle et ça ne marche pas », « et plus on lui demande comment
faire, plus ça l’énerve ». Une troisième aide-soignante intervient : « Un jour
je lui ai parlé de mon chien. Maintenant elle se souvient de moi et quand
j’arrive pour lui faire la toilette, c’est elle qui me demande des nouvelles
de mon chien ». Puis une quatrième : « L’autre jour je suis entrée dans la
chambre alors que tu étais en entretien avec elle. Depuis que tu as fait les
présentations, ça va mieux ! »
Le personnel de l’institution est inquiet des nombreux reportages sur la
maltraitance des personnes âgées diffusés à la télévision. Il est sur ses
gardes. Le moindre signe de risque de maltraitance est traqué. Chaque
plainte est prise du côté de la réalité et les soignants craignent sans cesse
d’être épinglés. L’intervention que je propose fait déconsister l’autre du
discours commun et produit un décalage de la réalité au semblant. Les
signifiants rentrent en jeu sur la scène du semblant. En effet, il n’est pas
question de comprendre trop vite la plainte de Mlle A. sur le versant de la
réalité. Cette plainte vient témoigner de ce qui ne va pas pour elle. Bref,
pas besoin qu’elle soit maltraitée dans la réalité pour se sentir maltraitée.
Nous repérons alors comment la demande de l’autre peut être énervante
pour Mlle A., ce qui permet de mettre à jour les inventions de chacun pour
que Mlle A. ne rencontre pas un « autre méchant ».
Le singulier des témoignages apportés par les aides-soignantes vient réfuter
l’universel de la proposition « On fait le mieux pour elle et ça ne marche pas ».
Nous considérons que « pour ce qui pourrait être la pratique Lacanienne, il
ne faut pas plus aimer le vrai que le beau et le bon » (Miller, 2005, 27). Il me
semble que cela n’est possible qu’en se centrant sur l’invention singulière. Il
ne s’agit plus ici de faire « le mieux », mais d’inventer quelque chose à partir
de la rencontre entre le soignant et la résidente.
même il faut faire quelque chose ! Il faut que la psychologue le voie pour
lui expliquer qu’il est interdit de taper ! ». J’interviens ainsi : « Pas question
de vous laisser taper ! ». Puis j’interroge. « Qui s’est fait menacer ? » Je
demande à ce que l’on me raconte précisément ce qui s’est passé. Une
discussion s’engage ; on m’informe qu’un écriteau « défense d’entrer »
a été placé à l’entrée de la cuisine, mais rien à faire, il insiste ! Un agent
hôtelier me précise : « On lui a dit que c’était comme ça, qu’il n’a plus
droit au vin et qu’il devait sortir de la cuisine ! On lui a montré l’écriteau
mais il a répondu que c’était communal, ici, et qu’on ne pouvait pas lui
interdire ! ». J’insiste : « Pourquoi ce monsieur n’a plus droit au vin ? »
Ce point-là reste énigmatique, en suspens. Je persévère « Expliquez-moi
pourquoi il ne faut absolument pas qu’il rentre dans la cuisine ? ». Le
personnel m’explique par le menu, les risques, les protocoles, l’hygiène…
J’interviens : « Y a-t-il un risque que l’on puisse partager ? Peut-on
décider en commun de le laisser faire son tour dans la cuisine ? Car il
n’est pas question que vous alliez jusqu’à vous faire taper dessus pour
faire respecter cette loi ». J’arrête la réunion. Quelques jours plus tard, au
détour d’un couloir, l’une des participantes me fait part de ceci : elle s’est
autorisée à laisser M. O. entrer dans la cuisine. Il y a fait trois pas puis s’en
est retourné. Pour ce qui est du vin, elle lui a dit qu’elle voulait bien lui en
resservir, mais que pour ça, il fallait l’autorisation de la psychologue ! Le
hasard a fait que j’ai reçu ce monsieur quelque temps plus tard. Dans notre
rencontre, il n’a pas du tout été question de sa consommation de vin !
Ainsi, le personnel hôtelier n’est plus celui qui interdit et qui se dévoue au
respect de la loi. Il peut être d’accord pour resservir du vin. Cependant, il
lui faut l’accord de la « psychologue ». M. O. n’a plus à faire à un autre qui
interdit, mais à un autre qui n’a pas le droit. Le personnel est aux côtés
du sujet. Il n’incarne plus l’Autre qui lui voudrait quelque que chose mais
se réfère à une loi qui s’applique aussi bien à lui qu’à M. O. Voilà donc un
usage de la fonction « Le Psychologue ». Le passage à l’acte est tamponné.
À ce jour, l’équipe supporte cet intrus dans la cuisine !
� ce bloc de mots est parfois remplacé par un « Je reste là », qui s’étiole au
fil des heures pour se réduire parfois à un « lalala » ou à un « jestela », qui
semble pouvoir se répéter à l’infini.
L’un comme l’autre peuvent alterner sans qu’il me soit possible d’en
déduire une logique. Il m’a fallu être attentive aux petits écarts produits
par Mme M. pour apprendre ce qu’est faire le pari du sujet.
Comprendre « je veux aller à la maison », me renvoyait au fantasme du
vieux enfermé dans l’institution, à qui l’on refuserait de partir. Ceci rabat
cet appel du côté de la réalité : elle veut aller à sa maison, elle est en
institution et on l’empêche de partir. Ce point de vue fait disparaître le
sujet de l’énonciation. Il confond le moi et le sujet. Le « je » n’est pas le
sujet. Le sujet est un pari qui permet de pointer mon intérêt sur celui qui
parle. La phrase énoncée est le signe de son existence. Un petit détail me
permet de ne pas tomber dans le panneau du sens. Mme M. est une des
rares résidentes à dire « je veux aller à la maison » sans jamais s’aventu-
rer à l’extérieur de l’établissement. J’imagine que si elle voulait aller à la
maison, elle joindrait la parole à l’acte. Ce petit détail exclut le sens et fait
surgir l’énigme de cette phrase. Ce qu’elle veut dire reste énigmatique. Ce
qui est certain, c’est qu’elle parle. Faire l’hypothèse du sujet, c’est supposer
que ces quelques articulations signifiantes, loin de produire un sens, sont
une représentation minimale du sujet. Il n’y a, pour le psychologue, rien
à comprendre de cette phrase. Cette opération hisse la parole de Mme M.
au rang d’énigme, peut-être insignifiante, qui n’appelle pas forcément à
être déchiffrée. Le « je veux aller à la maison » est donc posé comme
le signe minimal énigmatique d’une présence. Bloc signifiant tout seul,
comme la fumée pourrait être le signe de la présence d’un homme sur une
île. Il ne s’agit pas de céder parce qu’on n’y comprend rien. Au contraire,
c’est à partir de ce « on n’y comprend rien » que naît le désir d’en savoir
plus, d’y comprendre quelque chose. Nous pourrions dire que dans cette
rencontre, l’on part d’un désir de comprendre qui ne fait pas l’impasse
sur l’incompréhensible. L’illusion de la compréhension a conduit certains
d’entre nous à répondre à Mme M. et à son « je veux aller à la maison » en
l’invitant à se rendre à l’extérieur. Ce à quoi Mme M. répond en refusant
de sortir et en s’écriant : « J’ai peur, j’ai peur ». En suivant l’indication
de Daniel Roy, 2003 Roy (2003, 168), je propose la lecture suivante : la
réponse dans la réalité ferait office de « S2 » : elle vient donner un sens à
la phrase « je veux aller à la maison ». Elle l’interprète. Mme M. y répond
par le cri et l’effroi. Cette réponse produit pourtant un petit miracle qui
nous rappelle que la production du sujet ne se fait pas sans angoisse. En
effet, après le premier temps de l’effroi, Mme M. m’interpelle et m’adresse
son « j’ai peur ». Je lui propose que l’on s’assoie un instant pour causer.
Cet événement et le « j’ai peur » qu’il a produit sont alors traités ainsi :
Mme M. donne un sens à cette peur, elle déplie un pan des signifiants de
son histoire : « Ma mère elle était très malade, elle allait mourir et moi
190 Prises en charge spécialisées
j’étais là. » Elle passe progressivement d’un « j’ai peur » à un « j’avais très
peur ». Elle me raconte son histoire. Le passage du présent à l’imparfait
lors de cet échange pointe comment, pour Mme M., les signifiants, leur
ordonnancement en phrase selon les lois de la grammaire sont opérants
pour elle. Ils organisent le monde.
Le temps des déambulations et des ritournelles, cesse parfois. Le « je veux
aller à la maison » ne rythme plus les pas. Mme M., m’interpelle. Elle me
dit fermement : « je veux aller à la maison », me serre la main et tente de
m’amener dans ses déambulations. Je réponds en l’invitant à s’asseoir à
côté de moi et à me dire ce qui lui arrive. Elle évoque alors : « À la maison,
y’a mes frères, ils ont besoin de moi. Y’a mon papa, ma maman est morte,
ils ont besoin de moi, y’a mon papa aussi mais il n’est pas gentil » ; « ils
vont me chercher, ils ont besoin de moi, il faut leur dire qu’ils viennent me
chercher ». Je prends des notes. Elle propose que j’écrive à ses frères. Elle
énumère alors leurs noms, et me dicte une lettre. Elle me dicte à plusieurs
reprises les mêmes phrases. Je ne les écris qu’une seule fois, puis je lui lis
les phrases déjà écrites. Soudain, elle s’exclame : « Bon, ça y est c’est écrit,
on peut rester tranquille ! » Elle rit, moi aussi. J’arrêterai la rencontre à ce
moment-là. Cet après midi-là, Mme M. restera apaisée sur le banc.
À cette fin, reprenons la lecture que J. Lacan propose du schéma L :
de l’existence d’une porte cachée à l’angle d’un mur. Cette porte serait
la preuve irréfutable d’une activité souterraine de la maison de retraite.
Perplexe, je ne réponds pas du côté de l’existence ou non de cette porte,
mais je m’excuse de ne pas la percevoir. Nous passons un long moment
face au mur, elle, cherchant la preuve de l’existence de cette porte, moi,
certifiant que je n’en vois aucune. La séance s’arrête.
Suite à un épisode où elle s’est trompée de chambre et a été retrouvée
dans le lit de son voisin, elle me donne sa version : elle est très angoissée
car elle m’aurait trouvée dans son lit et n’aurait pas eu la place de s’y
coucher. Elle souhaite boire un café mais n’en a pas. Je lui propose
d’aller en chercher un ; elle accepte. Je quitte la chambre un instant, et
lui apporte un café et un biscuit. Je ne m’intéresse pas au scénario de
son délire. Ceci introduit un écart qui clôt quelque chose. À mon retour
dans sa chambre, Mlle A. me congédie. Elle me dit que je dois être
très occupée et qu’il est préférable que j’aille travailler. Le lendemain,
elle n’a pas souvenir de ma visite, et me dit avoir fait « un songe ».
Elle a eu son frère au téléphone dans la soirée et lui a fait part de son
inquiétude : il se serait couché dans son lit sans lui laisser de place. Il lui
a répondu que ce devait être un rêve. Elle dit avoir mangé un biscuit qui
l’a apaisée. Progressivement, les idées délirantes n’occupent plus toute
la place dans les entretiens. Un changement se produit. La certitude de
son délire reposait sur cet axiome : « Moi, je vois bien comment cela se
passe ». Ce point de certitude s’écorne et elle commence à se plaindre :
« Je ne vois pas assez pour identifier et nommer les personnes avec les
quelles j’entre en conflit ».
elle précise ses difficultés de nomination. Elle dit voir les parties mais
pas l’ensemble. Elle me demande de nommer ce qui se trouve en face de
nous : balançoire, arbres, fleurs… Je me prête au jeu. J’en fais même un
mode d’emploi de ma relation avec elle, prenant le parti de présenter,
avec beaucoup de civilité, le personnel que nous croisons. Nos marches
sont pour elle l’occasion de chasser l’odeur d’égouts qui se serait
imprégnée dans ses cheveux, de se débarrasser de la poussière micro-
scopique qui se serait incrustée sur son corps. Lors de nos marches elle
me demande de lui donner le rythme car, dit-elle, elle va plus vite que la
musique. Elle dit : « Je n’ai pas le rythme, il me manque la note. »
Aujourd’hui, c’est Mlle A. qui mène les entretiens, s’inquiétant de
ma charge de travail, de mon état de santé. Elle règle ma présence et
m’a appris qu’il fallait que je sois un autre très occupé, ne pouvant lui
accorder que peu de temps. Elle ne demande rien mais accepte, quand
j’ai quelques minutes, que je lui propose un temps de balade. Voilà
comment Mlle A. parle de l’usage qu’elle a de ma présence et de nos
balades : « Ça me distrait de mes nippes », ça « aplanit la méchanceté
des gens », ça « lui donne le rythme ». Quelque chose a changé pour
Mlle A. Comme nous l’avons repéré lors du staff, le fait que je lui pré-
sente le personnel vient atténuer le caractère persécutif que l’autre peut
incarner pour elle. Le soignant qui s’y prête peut à son tour utiliser ce
savoir-faire. À ce jour, les allées et venues de Mlle A. entre le S.S.R. et
l’EHPAD s’espacent. Mlle A. tisse peu à peu des liens amicaux avec
quelques autres résidents. Après avoir fait les présentations en bonne et
due forme avec l’animatrice, Mlle A. s’est inscrite au cours de gym.
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Postface 201
Postface
Á travers la grande diversité des contextes où elle s’exerce, la pratique
du psychologue clinicien qui est exposée dans cet ouvrage manifeste
une profonde unité d’orientation. On peut dire qu’elle se reconnaît à
ceci que la relation clinique s’y avère être le ressort essentiel, bien
au-delà de toute forme d’examen psychologique et de testing, de l’action
thérapeutique. Et en cela elle ne paraît pas épouser le mouvement
contemporain de « rationalisation » qui a investi la psychiatrie depuis
les années 80.
Depuis cette époque, en effet, la visée de la réduction des coûts en
matière de soins psychiatriques s’est accompagnée, comme si elle en
était la condition, de la résorption complète de ces soins dans le champ
de la médecine. Il en résulte une application aux problèmes de l’exis-
tence humaine des procédures de l’épidémiologie en vigueur dans le
domaine de la santé, comme si ces problèmes n’en constituaient qu’une
branche, celle justement de la dite « santé mentale ». Á procéder de
la sorte, on fait tout simplement comme celui qui, pour dire l’intérêt
et l’originalité d’un roman, le décomposerait dans les quelques « fac-
teurs » censés intervenir dans tous les romans (descriptions du pay-
sage, dialogues, scènes d’amour, affrontements, considérations philoso-
phiques, réflexions politiques, souvenirs d’enfance, etc.) et en fournirait
les scores respectifs. Ceci, bien sûr, au prix de passer à coté de l’enjeu
de ce roman-là.
Pourtant les psychologues cliniciens ne sont pas opposés à une cer-
taine « rationalisation » des mécanismes administratifs de la sécurité
sociale et encore moins au recours à la médication, ou à la prise en
charge hospitalière, bien souvent utiles, sinon nécessaires. Par contre,
ils ne s’inscrivent pas dans ce mouvement de résorption de la psychia-
trie dans l’épidémiologie médicale pour autant qu’il revient à éjecter
la clinique de la scène de la relation pour en faire un objet d’inves
tigation sur des possibles anomalies, génétiques ou neurologiques,
censées en être à l’origine. En psychiatrie, le phénomène clinique est
en effet foncièrement de même nature que la réponse qui le traite, il
est de nature relationnelle, il consiste en une difficulté dans la relation
à l’Autre. Quelle que soit la cause immédiate d’une consultation psy-
chiatrique ou d’une hospitalisation, parfois même sous contrainte – un
passage à l’acte suicidaire ou agressif, une consommation ravageante
d’alcool ou de drogue, des troubles au niveau de l’alimentation, des
1. « Ce n’est pas sa guenille, c’est l’être même de l’homme qui vient à prendre rang parmi
les déchets où ses premiers ébats ont trouvé leur cortège, pour autant que la loi de
la symbolisation où doit s’engager son désir, le prend dans son filet par la position
d’objet partiel où il s’offre en arrivant au monde, à un monde où le désir de l’Autre
fait la loi. » Lacan J., (1966). Écrits, Seuil, Paris, p. 582.
Postface 203
Index
A C
Accueillir 56 cadre symbolique 79
acte 37 cas 57
étrangeté 155 cas par 62
l’énigme 162 construction de 113
passages à l’ 52 étude de 99
raisons de l’ 153 castration 132
rupture 154 angoisse de 38
acting out 38 catastrophe
addictions 85 psychiatrie de 11
adolescence 158 causalité psychique 167
affect 39 centres médico-psychologiques 30
agitation 55 certitude 35, 53
alcoolisme 165 choix 32
alexithymie 165 chronicisation 5
aliéné 3 classifications 9
ambulatoire 6, 52 clinique(s)
anamnèse 47 armée 14
angoisse 33, 36 de la parole 133
anorexie(s) différentielle 115
masculines 71 dispositif 126
mentale 70 du phallus 73
mentale au féminin 71 du traumatisme 123
mentale vraie 70 infantile 110
apaisement 105 phénomène 201
appartements thérapeutiques 30 pratique 47
après-coup 127 psychologie 14
asile 1 structures 113
attachement 77 conflit 34
auto-accusations 132 construction
auto-érotisme 169 de cas 138
automatisme mental 35 délirante 54
Autre consultation 99
angoisse de l’ 77 du psychotraumatisme 134
désir de l’ 47 thérapeutique 102
malveillant 112 continuité des soins 4
maternel 78 conversions hystériques 73
persécuteur 112 corps 36, 56
relation à l’ 201 biologique 181
désubjectivé 197
discipliné 111
B l’image du 46
bouffée délirante 45 crise 10, 48
boulimie 72 culpabilité 37, 41
D extériorité 32
déambulation 184 extime 32
débranchement 54 extrahospitalier(s) 4, 51
débriefing 130
collectif 131 F
psychologique 130 famille 91
déchiffrage 48 fantasme 100
déclenchement(s) 45, 52 féminité 77
décompensation 137 filiation
défense 33 délire de 45
délire 41 fixation 167
de filiation 103 folie 3, 45
mystique 74 fonction paternelle 101
demande 30 forclusion 94
d’amour 77, 175 formation de l’inconscient 177
de l’autre 118 frustration 101
« rien » 74 fugue 83
démence 195
démenti 94 G
dépendant 182 grand renfermement 149
dépression 31 groupe(s) 112, 130
déréliction 104 de parole 70
désir 34, 36, 38 guérir 98
insatisfait 73 guérison 73
dessin 92 demande de 35, 46
deuil 131
diagnostic 36 H
de structure 71 hallucination 63
discours 62 handicap 4
division du sujet 36 Hans 101
honte 132
E hôpitaux de jour 30
écoute 48 hospitalisation
de l’enfant 91 d’office 151
écriture 92 sous contrainte 6
effroi 127 humour 62
élaboration délirante 58 hystérie 34
embarras 140
énamoration 45 I
enfant 92 idéal(aux) 31, 48
enfermement 3 identification 31, 48
énonciation 63 imaginaire 92
entretien(s) 16, 51 impensable 144
collectif 132 implication subjective 131
de « préadmission » 71 inconscient 28, 172
équipe savoir 95
réunions d’ 16 innommable 163
érotomanie 53 institution 29, 111
errance(s) 52, 158 insupportable
état de stress post-traumatique 127 réel 34
éthique 32, 94, 138, 174 internement 3
évaluation 59 intime 32, 60
examen psychologique 201 intrahospitalier 51
expérience initiatique 158 inventions 52
Index 207
ironie 62 regard 58
isolement 52, 69 rien 74
obsessionnel
J symptôme 37
jouissance 36 offre 173
oral
L objet 70
langage 29, 34, 55 oubli 162
langue 58
lapsus 38 P
l’Autre 53 panoptique 145
désir de 38 paranoïa 53
libido 169 paranoïaque
lien 13 sujet 41
social 3 parole 30, 55
souffrance du 11 effets de la 66
offre de 62
partenaire(s) 34, 97
M
passage à l’acte 37
Maître moderne 60
patient 93
malade mental 4
pensées 34, 53
maladie
père réel 101
d’Alzheimer 196
perplexe 54
mentale 1
perplexité 45, 127
manque 78
persécution 115
à être 168
phénomènes élémentaires 40
d’être 168
phobie 59
mécanismes de défense 167
phrase interrompue 63
médecine 3
plainte 30, 41, 46
médicaments
plaisir
psychotropes 4
au-delà du principe de 174
mélancolie 53
pleine
méthode freudienne 93
parole 33
mode de satisfaction 168
pluridisciplinarité 70
moi fort 35
position subjective 106
mort 92
pratique
mutation subjective 126
à plusieurs 47
expertale 150
N pluridisciplinaire 167
narcissisme 169 présentation clinique 52
névrose 36 présentation de malades 87
hystérique 38 prévenir 98
traumatique 127 prévention 4, 10
Nom-du-Père 40, 112 prise en charge 102
nomination 117 privation 101
norme 21 psychanalyse 28
notes 97 appliquée 134
nouage 65 pure 138
psychiatrie
O de liaison 7, 11
objet 36, 38, 101 générale 6
de la demande 101 publique 6
de satisfaction 77 psychologie 14
du don 77 clinique 93
208 Le psychologue en service de psychiatrie
psychologue(s) 13 sexualité 92
clinicien 13 sidération 127
psychopathologie 34 signification 63
psychose 34, 40 singularité 48
ordinaire 66 social
psychothérapie(s) 16, 18, 63 lien 12
institutionnelle 3, 4, 19 socialisation 10
pulsion(s) 28, 92 soin(s)
de mort 114 continuité dans le 52
orale 70 politique de 52
pulsionnels psychiques 2
objets 37 solitude 143
souffrance 10, 34, 46
R psychique 10
réalité 114, 189 sociale 10
recours 168 soutien
rectification subjective 174 entretien de 17
réel 33, 41, 92 stabilisation 137
de la mort 123 structure 36
refoulement 94 subjectivité 21, 31
refus 77 suggestion 37, 43
régression 167 suicide 55
réinsertion 4 sujet 29
relationnel 202 défenses du 128
rencontre 155 dits du 57
répétition 100 d’un dire 57
résistance(s) 44, 174 éthique du 60
réunion 16 intimité du 59
clinique 110 pari du 189
de régulation 16 responsabilité du 95
de synthèse 43 supervision 98
rêves 92 réunion de 16
ritournelles 190 suppléance 177
ruptures 52 supposé-savoir
sujet- 40
S surmoi 35, 59
santé mentale 1, 5 symbolique 46, 92
satisfaction 34 symptôme(s) 33, 36, 38, 59
savoir fonction des 114
désir de 46, 175 médical 170
schizophrène politique du 95
sujet 41 syndrome de répétition traumatique 127
schizophrénie 46 synthèse
science 60 réunion de 16
séances 102
secret 106 T
médical 106 temporalité 127
professionnel 106 temps FIR 96
secteurs 4 thérapeutique
sectorisation 93 entretien 16
ségrégation 60 traitement
semblant 42 de la jouissance 168
séparation 117 moral 2
Index 209
transfert 40, 46 U
érotomanie de 194 urgence 10
négatif 38 clinique de l’ 112
positif 101 psychiatrique 125
traumatique subjective 38, 125
événement 128
traumatisme 96
du langage 61 V
trouble(s) 9 vieillesse 181
du langage 115 voix 53
psychiatrique aigu 9 vrai 66