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Les médias au Maghreb et en Afrique subsaharienne, 253-270

> LES DISCOURS MÉDIATIQUES


AFRICAINS EN CONFRONTATION

IBTISSEM CHACHOU
Université de Mostaganem, Algérie
DZ-27000
ibtissemchachou@yahoo.fr

CONNIVENCES IRONIQUE ET LUDIQUE


DANS LE DÉTOURNEMENT DE LA PUBLICITÉ
SUR FACEBOOK EN ALGÉRIE : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
CITOYENNE DANS LES RÉSEAUX SOCIAUX

Résumé. — Dans cet article, nous étudions les différents procédés de détournement de
publicités réalisés par des internautes algériens sur le réseau social Facebook. La réflexion
porte sur les procédés de disqualification ironique et parodique des panneaux publicitaires
d’entreprises publiques et privées pendant l’été 2012. Cette disqualification fait suite
à des dysfonctionnements en matière de prestations de services. Les détournements
stylistiques, argumentatifs, iconiques et énonciatifs variés élaborés concernent surtout les
logos, les devises, les slogans, les images, les rédactionnels, les noms de produits et les
noms des entreprises.

Mots clés.  — Internautes algériens, détournement publicitaire, ironie, parodie,


disqualification, Facebook.

253
I. Chachou

L’
objectif de cette contribution est de décrire une forme de créativité ludique
et ironique chez les internautes algériens comme mode d’expression libre
dans l’appropriation des nouvelles technologies de la communication. Il
s’agit du détournement parodique1 de textes publicitaires et d’images à l’aide de
photoshop2. Si l’inventivité des jeunes Algériens dans la production de certaines
pratiques sociodiscursives a déjà retenu l’attention de chercheurs, le numérique
offre de nos jours de nouvelles perspectives d’études dans la saisie des modes
de production, de réception et de circulation de messages verbaux plurimodaux
d’ordre diaphasiques3. Cette créativité se manifeste par les procédés de la re/
siglaison et de la re/nomination, par les créations sloganoïdes et le défigement
des locutions4 propres au milieu des entreprises. Ce détournement concerne
les spots publicitaires des entreprises étatiques et les logos d’entreprises privées
dont le contenu est tourné en dérision à cause des dysfonctionnements de leurs
prestations de service qui ont pénalisé les citoyens durant l’été 2012, notamment
en matière d’électricité et de connexion. La subversion ironique qui vise à ruiner
l’autorité de l’annonceur officiel concerne trois entreprises. À cet effet, les jeunes
internautes ont rivalisé d’ardeur dans la manière de dénoncer les mauvaises
prestations de ces entreprises. Le détournement des publicités commerciales
s’est opéré selon deux procédés : la parodie et l’ironie. L’ironie est définie comme
« un acte d’énonciation » ( Charaudeau, 2006 : 20 ) qui vise à créer la connivence
avec l’interlocuteur et « un acte de discours qui s’inscrit dans une situation de
communication » ( idem : 21 ). L’auteur définit trois types de connivence qui varient
en fonction de l’acte d’énonciation et de la situation de communication, et qu’on
peut retrouver dans une même production. La première connivence, dite ludique,
consiste en « une fusion émotionnelle de l’auteur et du destinataire » ( idem : 36 ),
la seconde, critique, « propose au destinataire une dénonciation du faux-semblant
de vertu qui cache des valeurs négatives » ( ibid. ). Ces catégories se vérifient
surtout dans le sous-corpus de la campagne publicitaire « Mazel Waqfine ». La
troisième et dernière « est la connivence de dérision » qui suggère « l’insignifiance
de la cible » ( ibid. ) par sa disqualification.

Recueil et présentation du corpus


Notre corpus se compose de vingt images détournées à des fins de dérision.
Elles sont conçues par les internautes algériens et échangées sur Facebook. En
tant que membre de ce réseau, nous avons manifesté un intérêt particulier pour

1
  Il consiste en une « transformation ludique, comique ou satirique d’un texte singulier » ( Sangsue,
1994 : 73 ).
2
  Il s’agit d’un logiciel de retouche d’images.
3
  « On parle de variation diaphasique lorsqu’on observe une différenciation des usages selon les
situations de discours ; ainsi la production langagière est-elle influencée par le caractère plus ou
moins formel du contexte d’énonciation et se coule-t-elle en des registres ou des styles différents »
( Moreau, 1997 : 49 ).
4
  Voir I. Chachou ( 2011 : 113-130 ).

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Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

ces parodies en observant régulièrement le mode de détournement des logos


et des slogans de certaines entreprises. À l’image des tags, l’identité des créateurs
est inconnue et est parfois usurpée, ce qui nous amène à les considérer comme
des créations collectives. De façon aléatoire, nous avons constitué le corpus
au fur et à mesure de la circulation et du partage des images sur les pages du
réseau. Sans doute à la faveur des vacances d’été, ces partages se sont accentués
durant les mois de juillet et d’août 2012. Les pages principales sont : Zawaliya
Club : https ://www.facebook.com/zawaliya.club.dz ?fref=ts ( 34676 membres ), et
El qahwa du coin ( café du coin ) https ://www.facebook.com/BlediBOOK ?fref=ts
( 684 membres ).

Les deux premières entreprises publiques prises pour cible par le détournement
de leur logo sont Sonelgaz et Algérie Télécom. La troisième, El-Watanya Télécom,
privée et d’origine koweïtienne, opère dans la téléphonie mobile. Le détournement
repose sur une visée humoristique. Il s’agit pour les internautes de dénoncer le
dysfonctionnement de ces entreprises en jouant sur les connivences ironique et
humoristique. D’après Patrick Charaudeau ( 2006 : 40 ), « la stratégie du discours
humoristique a une fonction libératrice de soi par rapport aux contraintes du
monde avec la complicité de l’autre ». Les jeunes internautes occupent ainsi le
champ symbolique de la dominance en inventant le lexique et en parodiant
les textes institutionnels. Il en résulte que « l’acte humoristique met l’humoriste
dans une position d’omnipotence » ( Bourdieu, 2001 : 145 ). Ce qui permet aux
créateurs d’opérer en toute liberté une mise à distance critique par rapport à
la signification d’origine, surtout par détournement de la matérialité discursive et
iconique. L’analyse que nous proposons porte essentiellement sur les procédés
de détournement par l’introduction de nouveaux éléments linguistiques dans
les textes publicitaires, lesquels mettent en œuvre un régime humoristique et
parodique visant à disqualifier le produit. Nous procéderons par rapprochement,
puis par comparaison de l’image parodiée avec celle d’origine afin de faire
ressortir les dissemblances. Pour des raisons méthodologiques, nous proposons
une catégorisation de notre corpus en trois sous-corpus qui regroupent chacun
les formes parodiées des publicités ou des logos des trois entreprises citées
précédemment.

Les parodies de Sonelgaz


Dans le premier exemple ( F1 ), nous observons que le code iconographique et le
logo des images d’origine sont détournés. Une bougie occupe la moitié du logo
à un niveau tropologique ou figuré. La parodie se décline en un code visuel qui
connote une posture ironique de la part de l’internaute. Ancrée dans le contexte
social en Algérie, l’image suggère dans son contenu les pannes d’électricité

les discours médiatiques africains en confrontation 255


I. Chachou

intempestives qui obligent comme au bon vieux temps le recours aux bougies5
pour s’éclairer. Sur le plan argumentatif, on peut parler d’antiphrase ( Morier,
1981 ), dans la mesure où l’éclairage à la bougie se pose en contresens de la
fourniture de l’électricité par la société qui en a la charge. La prédication positive
sur le produit relève de l’ironie, laquelle consiste en une révélation positive qui
masque une pensée négative. Il en résulte une sorte de jeu entre ce qui est dit
et le contenu qui se profile à l’arrière-plan de l’image. En effet, alors que le fond
du logo officiel beigne dans une couleur vive donc lumineuse, et que tout ce
tableau est encadré par un rectangle de couleur blanche, la réplique parodiée est
envahie par le noir au fond duquel scintille la flamme d’une bougie. L’écart entre
ces deux images contrastées trace les grandes lignes de la posture auctoriale des
internautes algériens face aux irrégularités dans la fourniture en électricité.

Figure 1 : Sonelgaz : Parce que la bougie c’est aussi une énergie et le logo officiel.

Le logo de la même entreprise est représenté autrement dans les images


qui suivent. Contrairement à l’exemple précédent où l’affiche publicitaire est
différente de l’originale, dans ( F2 ), le logo d’origine est conservé à l’identique,
seuls quelques éléments sont ajoutés On observe, dans ce deuxième exemple,
que le détournement est d’ordre lexico-sémantique6. Il repose sur un jeu de mots
autour de « gaz », employé dans l’expression « ça gaze » ( transcrite sans « e »
final ) et qui équivaut à « ça boume ». Cette expression joue sur la rime avec
le nom de l’entreprise « Sonelgaz ». L’expression qui joue sur l’association du
graphisme et du contenu correspond à un « pet » dans le sens figuré et familier.
L’idée sous-jacente est l’équivalent des verbes « éclater » ou « exploser ». Le
travail créatif des internautes porte sur le détournement du logo d’origine dont le
slogan publicitaire est valorisant : « Parce que la bougie c’est aussi une énergie ».
Au niveau du discours publicitaire, la stratégie d’argumentation dithyrambique
est, elle-même, parodiée à des fins d’étiquetage ironisant sur le produit :

5
  L’Algérie est le premier fournisseur de gaz pour la France, le troisième pour l’Europe.
6
  Il est à noter que « la créativité de la langue publicitaire est d’abord lexicale » ( Adam, Bonhomme,
2003 : 159 ).

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Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

Figure 2 : Sonelgaz, ça gaz et le logo officiel.

L’exemple ( F3 ) est une réclamation/contestation autour du même sujet. Cette


dernière est présentée dans l’image suivante comme l’œuvre d’un internaute
étranger aux préoccupations des Algériens, en l’occurrence, le président américain
Barack Obama. L’identité de l’énonciateur rend « absurde » ( Charaudeau, 2006 :
35 ) la nature du propos. L’effet humoristique pour un interprétant algérien
provient de la mise en scène du discours humoristique : figurer le discours
représenté du président américain en arabe algérien sur un sujet brûlant en
Algérie. Cette « incohérence paradoxale » ( idem ) vise à produire un effet de
connivence ludique entre l’auteur/ l’internaute et le destinataire/le public sur la
toile. Il s’agit d’une ironie polyphonique qui atteste la distinction d’Oswald Ducrot
entre le locuteur et l’énonciateur, selon laquelle « parler de façon ironique, cela
revient pour un locuteur L, à présenter l’énonciation comme exprimant la position
d’un énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n’en prend
pas la responsabilité et, bien plus, qu’il la tient pour absurde » ( in Charaudeau &
Maingueneau, 2002 : 331 ). Mais qu’elle soit ludique, humoristique ou critique, la
création peut être plus complexe encore au point de déclencher une polémique
hors des frontières de l’Algérie, en Turquie plus précisément. En effet, diffusée
par la Maison Blanche, cette photo montre le président américain en pleine
conversation avec son homologue turc Tayyip Erdogan. La batte de baseball que
Barack Obama tient dans la main est à l’origine de la polémique. Cette image a
été interprétée par l’opposition en Turquie comme une preuve de la soumission
du président turc à son homologue américain. Il est probable aussi que cette
image représente tout simplement le rapport de force que l’auteur de la parodie
a souhaité reproduire par la copie du dispositif scénique, l’objectif étant d’infliger
une humiliation à l’entreprise Sonelgaz défaillante. Le rapport de force implique
deux acteurs, un président exerçant son autorité sur son interlocuteur qui n’est
autre qu’une entreprise étatique algérienne dont les prestations de service sont
critiquées. L’adverbe algérien « tani » qui signifie « encore » en français, dénote
la répétition de l’incident et témoigne de l’exaspération du citoyen représenté
ici par un personnage public dont l’autorité et la notoriété peuvent aider à faire
aboutir la réclamation :

les discours médiatiques africains en confrontation 257


I. Chachou

Figure 3. Allô Sonelgaz, l’électricité a encore été coupée.

Dans les exemples ( F4 ) et ( F5 ), le logo officiel de l’entreprise se trouve ici soumis à
deux détournements. Le premier remplace le nom de l’entreprise en français par
le slogan « Toujours debout » de l’opérateur de téléphonie mobile El Wataniya
Télécom7. La seconde parodie n’est autre que le célèbre slogan populaire repris
lors des manifestations des « printemps arabes » en Tunisie, en Egypte et dans
d’autres pays : « Le peuple veut la chute du régime »8. Ce slogan est ici remplacé
par : « Le peuple veut la chute de Sonelgaz ». Le terme subverti ici est « régime »,
« en-nidam » en arabe, que les internautes remplacent par « Sonelgaz ». Le slogan
hautement symbolique des révolutions arabes est détourné et recontextualisé
pour faire « dégager » 9 l’auteur des prestations en cause :

Figure 4 : Sonelgaz : On est toujours debout et le logo officiel.

7
  Même si la parodie F4 a sa place dans le deuxième sous-corpus regroupant toutes les parodies
de l’entreprise El Wataniya Télécom, nous avons préféré l’insérer ici parce qu’elle se prête à la
même analyse que F5. Il faut noter que les trois entreprises sont critiquées en même temps. Le fait
d’utiliser un slogan pour une entreprise autre que celle d’origine renforce la connivence critique qui
passe par l’affichage d’un slogan mensonger.
8
  En arabe : « Ech-chaâb yourid isqat en-nidâm ».
9
  « Dégage » est un autre terme-phare de la révolution arabe, utilisé d’abord en Tunisie en décembre
2010, il sera repris puis traduit dans d’autres pays arabophones par le mot « Erhal ».

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Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

Figure 5 : Le peuple veut la chute de Sonelgaz.

Figure 6 : Sonelgaz investit dans les énergies renouvelables – Mots de Tête d’Algérie10.

Concernant10la figure ( 6 ), les bougies occupent, sur le plan iconique, l’ensemble
du territoire national. Le nom de l’entreprise fait l’objet d’un détournement
lexico-sémantique, il est remplacé par « Sonelgag » pour traduire la situation
comique de celle-ci : « SONELGAG » et « Mots de Tête d’Algérie ». Sur le plan
argumentatif, la phrase d’accroche sert de support à la parodie. L’argumentation
est de nature élogieuse, elle est fondée sur un positionnement écologique, une
pratique de plus en plus courante dans l’élaboration des discours publicitaires.
Comme le souligne Marc Bonhomme ( 2013 : 12 ), « c’est la cause écologique

  Il s’agit du nom du site qui diffuse les caricatures de Razen.


10

les discours médiatiques africains en confrontation 259


I. Chachou

qui bénéficie le plus de la sollicitude des publicitaires depuis près de deux


décennies, le développement durable leur fournissant une nouvelle éthique ».
La prédication positive sur l’entreprise relève ici de l’ironie, laquelle consiste en
un dit positif qui masque en même temps qu’il révèle une pensée négative. Il
en résulte qu’une sorte de jeu subtil entre ce qui est dit et ce qui est laissé à
entendre se profile à l’arrière-plan discursif. Les énergies renouvelables que sont
les bougies, imposées en réalité par nécessité et non par souci écologique, sont
opposées dans ce slogan à l’énergie électrique, non fournie par l’entreprise, et à
l’énergie non-renouvelable qu’est le gaz.

La même illustration (  F7 


) s’accompagne d’un slogan qui relève de « la
contextualisation narrative » ( Adam & Bonhomme, 2003 : 132 ). En effet, le
contexte narratif s’y installe par une imitation11 du récit biblique. Il s’agit ici de
la traduction du prologue de l’Évangile selon Jean : « Au commencement était
le verbe »12. Le temps mythique, qui rappelle le rôle de leader de l’entreprise
en matière d’éclairage public en Algérie, justifie la stratégie de promotion de
la marque ou de l’identité de marque à laquelle recourent les publicitaires. Cet
éclairage est illustré par des bougies, dispositif traditionnel toujours en usage en
cas de pannes d’électricité. Ainsi tout se passe comme si la valeur positive liée à
l’ancienneté de l’entreprise se révélait négative, compte tenu de la fréquence des
coupures d’électricité en Algérie :

Figure 7 : L’historique de l’éclairage – Au commencement, il y avait Sonelgaz.

11
  « La publicité se remarque par une prédilection pour les formes textuelles empruntées aux
domaines discursifs les plus divers » ( Adam, Bonhomme, 2003 : 162 ).
12
  Ce texte est très parodié dans différents discours : journalistiques, publicitaires, scientifiques,
littéraires, cinématographiques, etc.

260 les discours médiatiques africains en confrontation


Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

Dans l’exemple (  F8 ), les internautes poursuivent le même objectif de


disqualification de la cible. En effet, la devise qui annonce la stratégie économique
de l’entreprise est empruntée à un opérateur de téléphonie mobile étatique.
L’objectif est de produire un décalage entre le sens voulu par l’opérateur et
celui revisité par les internautes. C’est la mise en regard du nom de l’entreprise,
Sonelgaz, et d’une devise d’Algérie Télécom qui fonde la parodie. Il est important
d’observer ici que c’est la devise d’une entreprise étatique qui sert de contre-
discours ironique pour discréditer une autre entreprise étatique. La devise « Que
chacun parle » est dé-contextualisée et affectée d’une signification nouvelle. De
fait, elle n’invite plus à communiquer librement, comme le suggère son sens
initial13, mais a contrario à contester les prestations de l’entreprise14 :

Figure 8 : Radio ici et là-bas. Sonelgaz. Et que chacun parle. Sonelgaz et que chacun parle :
Pardieu – Où est l’électricité ô bavarde – Merde, vous avez esquinté mon PC et ma télé. Sonelgaz que Dieu la
maudisse. Sonelgaz on éteint la lumière.

Dans l’exemple ( F9 ), la parodie s’appuie sur l’emprunt du genre télévisé ( voir
Adam & Bonhomme, 2003 : 141 ), consistant en l’annonce d’un programme. Le
détournement a lieu sur l’ENTV, télévision étatique, dite l’unique jusqu’à il y
a quelque temps15. La parodie des logos et des panneaux publicitaires de la
Société Nationale d’Électricité atteste l’agacement des internautes algériens
confrontés de manière récurrente aux coupures d’électricité. C’est pourquoi
ils reproduisent le programme télévisé en y insérant une rubrique « coupure
d’électricité » comme si cela allait de soi :

13
  Voir la devise employée dans son contexte d’origine plus bas dans les parodies d’Algérie Télécom.
14
  Voici la traduction des énoncés recensés ( à lire de droite à gauche ) : « Que Dieu maudisse la
religion de votre père », « Où est l’électricité bande de lâches », « Vous m’avez bousillé le PC et
la télé », « Allô Sonelgaz ohé allô », « Sonelgaz, Dieu vous maudisse », « Sonelgaz nous a privés
d’électricité ».
15
  D’autres chaînes étatiques et privées ont vu le jour depuis quelques années. Dans la presse
arabophone, la chaîne ENTV est dite « elyatima », c’est-à-dire l’orpheline.

les discours médiatiques africains en confrontation 261


I. Chachou

Figure 9. Rendez-vous. 19h00 à 20h00 : Publicité. 20h00 à 20h30 : Journal télévisé. 8h30 à 9h30 : Coupure
d’électricité. 9h30 à 12h00 : La suite des programmes. On vous souhaite une très bonne soirée.

Les parodies de Wataniya Télécom


La campagne publicitaire « Mazel Waqfine » ( Toujours debout ) a été produite
à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays qui
a coïncidé avec la date du 05 Juillet 2012. En partant de l’hypothèse que la
célébration de la fête de l’indépendance sert de contexte au déploiement d’une
intense propagande dans les discours officiels, cette campagne est interprétée
par les internautes comme démagogique. Il est donc tout à fait logique que
cette situation serve d’effet déclencheur pour une intense production critique
citoyenne. Les marques de désapprobation explicite du discours officiel dans
celui des internautes sur Youtube et Facebook ne font pas défaut. Les publicités
détournées dénoncent les dysfonctionnements constatés dans la gestion de
différents secteurs de la vie publique et des prestations de services qui y sont
fournies, lesquels contrasteraient avec le discours élogieux du gouvernement
algérien. Il est toutefois important de préciser que la tendance à l’exagération
des traits obéit à un principe de représentation caricaturale de l’objet tourné
en dérision. Les parodies se sont accentuées avec le licenciement d’une
employée suite à un différent avec un chanteur que l’opérateur emploie à des
fins publicitaires. L’affaire a suscité beaucoup de critiques sur les réseaux sociaux,
ainsi qu’un élan de solidarité en faveur de l’employée victime d’une « hogra »
( abus de pouvoir ).

Dans le premier exemple ( F10 ) de cette série, la formule d’accroche « On est
toujours debout » est remplacée par « On dort encore ». Le slogan qui sert de
base au processus de détournement est le suivant : « 50 ans d’indépendance
et l’électricité continue à être coupée ». Cette mouture de base fonctionne en

262 les discours médiatiques africains en confrontation


Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

résonance avec la composante linguistique du logo conçu à l’occasion du 50ème


anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Le texte est une reprise d’une chanson
« Allô tricité », « tricité » résultant d’un processus de troncation du terme français
« électricité ». Le texte original est contestataire16. La composante linguistique du
logo dénonce l’aspect pécuniaire de l’opérateur Nedjma : « Nedjma aime votre
argent ». Le même slogan est repris dans la recréation suivante :

Figure 10 : À gauche : On dort encore. Nedjma : J’aime votre argent.


50 ans et l’électricité continue d’être coupée. À droite : Le logo officiel : On est toujours debout.

La parodie ( 11 ) du slogan « Mazel Waqfine » met en scène trois bougies


qui se consument en entonnant le refrain : « On est toujours debout ». Le
caractère humoristique résulte du choix des interlocuteurs. Les bougies et les
codes iconographiques dénotent la durée de la coupure d’électricité. Le slogan
détourné ne renvoie plus à l’idée d’origine, c’est-à-dire de résistance dont le
peuple algérien a fait preuve durant son histoire. À l’examen de l’image, la
représentation iconographique qui paraît positive s’avère négative, parce qu’en
réalité, elle disqualifie voire démythifie le concept du slogan et la légitimité
historique sur laquelle il s’appuie :

Figure 11. Ôôoooooo Öooooo on est toujours debout.

Les parodies d’Algérie Télécom


Deux slogans, qui sont repris et associés dans la parodie suivante, appartiennent
à deux opérateurs de téléphonie étatique ; mais seul le second est objet
de détournement. En effet, « Algérie Télécom et tout le monde souffre » se

  « Bientôt s’ouvrira la porte, allô triciti, Le pays redeviendra charmant, allô triciti, etc. »
16

les discours médiatiques africains en confrontation 263


I. Chachou

substitue à « Algérie Télécom et tout le monde parle ». Ce dernier est le slogan


de l’entreprise de téléphonie mobile Mobilis17. L’étatique sert à disqualifier
l’étatique dont les prestations de service souffrent d’un dysfonctionnement. Les
lenteurs de connexion sont suggérées par un rapprochement métonymique
avec la figure de la tortue, une image péjorativement connotée. En jouant sur
cette connivence ludique entre l’auteur et le récepteur, l’image est renforcée par
une phrase d’assise à fonction conative18 : « Cliquez sur j’aime, peut-être que
la connexion sera plus rapide ». Le destinataire se retrouve impliqué dans la
réalisation de la parodie. La fonction « j’aime » de Facebook est récupérée à des
fins de dérision. Face à une situation absurde au regard de l’internaute algérien, on
propose une solution absurde attribuée à l’opérateur qui est présenté comme
narcissique, sinon sarcastique19.

Figure 12 : En haut : Algérie Télécom et tout le monde souffre. Cliquez sur « j’aime », peut-être
que le débit de connexion sera meilleur. En bas : Les logos officiels.

Les mêmes lenteurs de connexion sont en cause dans l’exemple suivant.


L’ironie est mise en œuvre ici par un détournement lexico-sémantique sur
l’axe des substitutions20. Littéralement, « Algérie Télécom » donne en arabe
institutionnel « Les communications d’Algérie ». Le terme « itisalet », c’est-à-dire
« communications », est remplacé par « infisalet » qui est l’équivalent en français
du mot « séparations » pour figurer les problèmes de déconnexion. L’image
de la tortue, symbolisant l’entreprise, ironise sur l’état de ses prestations de
service, dans la mesure où la métonymie référentielle renvoie à la lenteur dans
le déplacement de l’animal :

17
  Il est utilisé également dans la parodie ( F5 ).
18
  « R. Jakobson utilise le terme de fonction conative pour désigner la fonction impérative ou injonctive,
qui tend à imposer au destinataire un comportement déterminé » ( Dubois et al., 1994 : 57 ).
19
  Voir la catégorie du sceptique de Sigmund Freud évoquée par P. Charaudeau ( 2006 : 35 ).
20
  Il s’agit de deux mots proches phonétiquement, avec la même syllabe finale.

264 les discours médiatiques africains en confrontation


Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

Figure 13 : Algérie Télécom. Les séparations d’Algérie et tout le monde souffre.

Dans l’exemple ( F14 ), c’est le même procédé de détournement qui est reproduit
en substituant « séparations » à « communications ». Le détournement lexico-
sémantique est opéré ici en arabe institutionnel et en français. « Télécom »,
abréviation de «  Télécommunications » est remplacée par «  Téléconne ».
Le préfixe « télé », signifiant « loin » en grec, est gardé, alors que le terme
« communications » issu du latin communicare qui veut dire « partager » est, lui,
remplacé, par « conne » dont le sens est vulgaire. La disqualification par la re/
nomination dévalorisante s’appuie sur l’incompétence de l’entreprise figurant sur
son enseigne :

Figure 14 : À gauche : Les séparations d’Algérie. ALGÉRIE TELECONNE.


À droite : L’image d’origine.

L’image ( F15 ) comporte, à l’instar des autres publicités parodiées, un condensé


d’éléments d’informations détournées dont : le slogan, la devise, l’image et le
texte où sont explicités les détails de l’offre, le débit, la date de lancement, etc.
La conception de ces éléments participe du détournement des stratégies de
crédibilisation du discours publicitaire ( Lochard & Boyer, 1998, 23 ). La persuasion
commerciale accentue le contraste entre la réalité des offres d’Algérie Télécom
et son discours. La logique d’argumentation procède d’un dispositif d’énonciation
parodique intégrant des procédés linguistiques et iconiques. Ils s’articulent autour
du nom de l’offre « halazoune » qui veut dire en français « escargot ». Le terme
composé est « halazounbox », l’équivalent en français de « escargotbox », en
référence à un boîtier qui permettrait une connexion optimale à l’internet :

les discours médiatiques africains en confrontation 265


I. Chachou

Figure 15 : Algérie télécom introduit enfin la HALAZOUNBOX. Le débit internet qui ne dépasse
pas actuellement les 2 mégas passera à 200 mégas avec HALAZOUNBOX. Série limitée, disponible
exclusivement dans les points de vente, date de lancement 4 Avril 2035.

S’inscrivant toujours dans l’objectif de critiquer les prestations de service d’Algérie


Télécom, les internautes détournent la devise du logo et la phrase d’assise de
l’affiche ( F16 ). Le support iconographique consiste en un escargot, métonymie
référentielle de la lenteur : « avancer comme un escargot ». La phrase d’assise,
elle, consiste en une antiphrase qui associe dans un même énoncé deux idées
paradoxales pour mettre en exergue un contraste important :

Figure 16 : Algérie Télécom. « Tu m’as affaibli » Télécom. Un monde nouveau vous ralentit.

Dans les figures 17 et 18, sont détournés la valeur perlocutoire du slogan ainsi
que l’argumentation métonymique qui s’articule autour de la valorisation du
produit et de l’euphorisation du client ( Adam & Bonhomme, 2003 : 172 ). Le
caractère ironique provient de l’énonciation attribuée à l’opérateur historique
qui s’adresse à ses usagers à travers ces deux énoncés : « Parce que vous n’avez
pas le choix » et « Le seul choix ». Le but est de leur signifier qu’ils sont réduits à
une « mauvaise » extrémité qui ne leur laisse pas d’alternative. Détournée, cette
argumentation induit la dévalorisation du produit et la dysphorisation du client,
ce qui contraste avec la nature de l’argumentation publicitaire :

266 les discours médiatiques africains en confrontation


Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

Figure 17 : Algérie Télécom. Le seul choix.

Figure 18 : Algérie Télécom. Parce que vous n’avez pas le choix.

La même intention caustique apparaît dans l’exemple ( F19 ) où la parodie


ironique est fondée sur la re/dénomination dévalorisante de l’entreprise Algérie
Télécom. L’écran met en scène le moteur de recherche Google qui ne reconnaît
pas le nom de l’entreprise. Après vingt deux secondes de recherche, il suggère
une appellation péjorative. C’est un procédé lexico-sémantique basé sur l’axe
des associations ou celui des substitutions défini plus haut qui est à l’origine de
cette ironie. L’énonciation y est polyphonique :

Figure 19 : Google : Algérie Télécom. Essayez l’orthographe : Les coupures d’Algérie ( Télécom ).

les discours médiatiques africains en confrontation 267


I. Chachou

La dernière image conçue par les internautes est composée de plusieurs


slogans et logos, tous détournés et empruntés à des entreprises nationales
et internationales. Le détournement met l’accent, en employant un concentré
d’éléments, sur la disqualification de la cible Algérie Télécom. Trois slogans sont
détournés, les deux premiers sont ceux d’Algérie Télécom et de Mobilis. Le
troisième est le logo de la marque Nokia :

Figure 20 : Algérie Télécom = Les coupures d’Algérie Télécom. Et tout le monde parle = Et tout le monde
souffre. Fawri Internet Haut débit = Fawri : Déconnecting People. À droite : Les logos officiels.

Conclusion
Il ressort de ces quelques exemples de parodies que les internautes recourent
à des procédés, argumentatifs, iconiques, énonciatifs et linguistiques très variés
et parfois savamment élaborés. Ils consistent notamment en des détournements
de l’argumentation iconique et discursive des textes officiels : logos, devises,
slogans, images, rédactionnels, noms de produits, noms des entreprises, etc. On
y observe particulièrement les détournements des stratégies de crédibilisation
du discours publicitaire, de l’argumentation dithyrambique de ses messages, des
supports médiatiques étatiques et de leurs contenus. Dans certaines créations,
l’argumentation s’appuie sur une mise en discours à thématique écologique.
Les internautes algériens conçoivent des dispositifs d’énonciation complexes et
réfléchis pour disqualifier la cible, à l’image du phénomène de la re/sémantisation
des devises par leur recontextualisation/banalisation, ainsi que de la re/

268 les discours médiatiques africains en confrontation


Connivences ironique et ludique dans le détournement de la publicité sur Facebook en Algérie

nomination dévalorisante des produits et des noms d’entreprises. Ils procèdent


également à la disqualification et à la démythification des idées à l’origine de la
conception des campagnes publicitaires. Dans cette perspective, des prédications
positives à visées ironiques sur les produits et des contre-valeurs dysphoriques
sont pensées et exprimées. Les internautes créent de l’empathie en procédant à
des détournements lexico-sémantiques et à l’emploi de variations diaphasiques.
L’inventivité et le déploiement de compétences parémiologiques, sloganoïdes à
caractère publicitaire sont à la base même de ces réalisations.

Références
Adam J.-M., Bonhomme, M, 2003, L’Argumentation publicitaire, rhétorique de l’éloge et de la
persuasion, Paris, Nathan Université.
Bonhomme M., éd., 2013, Semen, 36, « Les nouveaux discours publicitaires ».
Bourdieu P., 2001, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Éd. Le Seuil.
Chachou I., 2011, « L’algérianisation du français. Vous avez dit sabir ? », Lengas, Revue de
sociolinguistique, 70, pp. 113-130.
Charaudeau P., 2001, « Visées discursives, genres situationnels et construction textuelle »,
Analyse des discours. Types et genres, Toulouse, Éd. Universitaires du Sud, pp. 47-59.
— 2006, « Des catégories pour l’humour ? », Questions de communication, 10, pp. 19-41.
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Seuil.
Cherrad-Benchefra Y., 2002, « Paroles d’étudiants », Insaniyat, 17-18, pp. 111-128.
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lumière des évènements du “printemps noir” 2001 », Revue Insaniyat, 17-18, pp. 17-35.
Dubois J., Giacomo M., Guespin L., Marchellesi C, Marchellesi J.-B., Mével J.-P., 1994,
Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse.
Lochard G., Boyer H., 1998, La Communication médiatique, Paris, Éd. Le Seuil.
Morier H., 1981, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses universitaires de
France.
Taleb-Ibrahimi Kh., 1998, « De la créativité au quotidien, le comportement langagier
des locuteurs algériens », pp. 231-240, in : De la didactique des langues à la didactique
du plurilinguisme, contribution à l’hommage à Louise Dabène, Grenoble, Université
Stendhal, CDL-LIDILEM.

les discours médiatiques africains en confrontation 269

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