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25 | 2019 :
Varia
Débat-discussion
Daniel Peraya
Texte intégral
Merci à L. Massou, P. Moeglin, C. Peltier et N. Roy : leurs ressources, leur écoute et leurs avis ont contribué à l’élaboration de ce
texte.
Prologue
1 Aujourd’hui, de très nombreuses recherches en sciences de l’éducation recourent à ce qu’il est convenu d’appeler les Learning
Analytics (LA)1 ou l’« analytique des apprentissages numériques » (Labarthe et Luengo, 2016). Cette approche est mise en œuvre
lorsqu’il s’agit d’étudier, dans des environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH)2 comme dans les dispositifs
de formation partiellement ou entièrement distance, les processus d’apprentissage, les modèles ou les profils d’étudiants, de faciliter
le travail d’encadrement des enseignants et des tuteurs, de soutenir les processus de métacognition et d’autorégulation des étudiants
eux-mêmes, de prédire la persistance de ceux-ci et leurs chances de réussite dans la formation. Plusieurs facteurs ont contribué à
renforcer ce courant : le succès rencontré par les plateformes numériques d’apprentissage et leur large diffusion depuis les années
2000 suivies quelque dix années plus tard par l’explosion des Mooc. Ce contexte a généré des masses importantes de traces relatives
à des apprenants toujours plus nombreux. Poellhuber, Roy et Moukhachen (2017), citant Shah (2015), avancent à propos des Mooc,
au niveau mondial, les chiffres de 35 millions d’apprenants pour cinq cents universités. Il s’agit donc bien d’une masse de données,
un « gisement », terme consacré qui s’inscrit en droite ligne dans la métaphore « minière » du Data Mining (Labarthe et Luengo,
2016). De plus, ces traces, de nature multimodale3 (logs, textes, images, vidéos, etc.), sont recueillies automatiquement par des
dispositifs embarqués dans les plateformes et, de plus en plus fréquemment, ces données sont interopérables.
2 De façon très générale, il s’agit d’utiliser l’importante quantité de traces – on parlera de Big Data4 – laissées par les très nombreux
utilisateurs – ils se comptent en dizaines, en centaines de milliers selon les cours – des plateformes virtuelles d’enseignement et de
mise à disposition de ressources en ligne pour produire, grâce à des méthodes et à des traitements statistiques plus ou moins
sophistiqués (la fouille des données ou Data Mining), des connaissances sur les comportements de leurs utilisateurs. Les premières
définitions qui semblent faire référence sont celles de Siemens : « Learning analytics is the use of intelligent data, learner-
produced data, and analysis models to discover information and social connections, and to predict and advise on learning »
(Siemens, 2010, cité par Dioudi, 2018). Un an plus tard, Siemens reformule sa définition en ces termes : « Learning analytics is the
measurement, collection, analysis and reporting of data about learners and their contexts, for purposes of understanding and
optimising learning and the environments in which it occurs ». (Siemens, 2011, cité par Dioudi, op. cit.). La différence est
d’importance : l’auteur introduit deux nouveaux objectifs : d’une part, la compréhension des processus d’apprentissage et du
contexte à côté des fonctions de découverte et de prédiction et, d’autre part, l’amélioration de ces processus ainsi que des
environnements d’apprentissage. Enfin, la référence aux modèles d’analyse semble moins prégnante. Cette seconde définition
semble réintroduire une dimension humaniste dans la conception des LA.
3 Depuis, les définitions ont évolué et se sont complexifiées, comme l’atteste la définition de Pardo, Poquet, Martinez-Maldonado et
Dawson :
« The areas of learning analytics (LA) and educational data mining (EDM) explore the use of data to increase insight about
learning environments and improve the overall quality of experience for students. The focus of both disciplines covers a wide
spectrum related to instructional design, tutoring, student engagement, student success, emotional well-being, and so on. » (2017,
p. 163).
4 Dans le domaine francophone, les traductions de l’expression anglaise, comme d’ailleurs les définitions, sont nombreuses et il n’y
a pas de consensus parmi les chercheurs (Dioudi, 2018). Seclier (2017) par exemple en propose la définition suivante : « L’analyse
de l’apprentissage (Learning Analytics) est une tendance émergente en France, surtout dans l’enseignement supérieur. Le but des
Learning Analytics est d’analyser les traces numériques laissées par les apprenants afin de mieux les comprendre et d’optimiser
l’apprentissage »5. Cette définition paraît cependant limitative, car l’approche, nous l’avons vu, vise aussi l’amélioration des
environnements dans lesquels prennent place les processus d’apprentissage. Ce dernier aspect est rappelé par Venant (2017 et
2018), soulignant ainsi le lien entre les LA et un courant important en France, celui des recherches portant sur le design des EIAH.
Seclier reviendra d’ailleurs en peu plus tard, en mars 2017, sur sa définition, introduisant alors l’optimisation des environnements
comme un des objectifs des LA (2017).
5 Notons à ce propos que les traductions françaises du terme Learning Analytics, comme d’ailleurs le terme anglais original,
méritent d’être interrogées. La traduction que proposent Labarthe et Luengo, « analytique des apprentissages numériques » ou
encore l’expression « numérisation des activités d’apprentissage » (2016, p. 14) semblent impliquer que l’apprentissage soit
ontologiquement numérique, ce qui n’est pas admissible dans la mesure où il s’agit toujours des processus d’apprentissages
cognitifs, comportementaux, socio-affectifs humains. Certes, ces processus se déroulent dans un environnement partiellement
numérique6 et c’est dans celui-ci uniquement que l’apprenant laisse des traces numériques de son activité. Les fondements de cette
métonymie fondatrice posent donc questions. Elles sont identiques à celles qui ont généré la discussion menée notamment par
Cerisier (2011) à propos du terme de « culture numérique » auquel cet auteur propose de substituer celui de « culture à l’heure du
numérique ». Une seconde traduction, largement partagée par les chercheurs francophones, « analyse de l’apprentissage » (voir ci-
dessus, Seclier, 2017) contient un implicite assurément contestable : l’analyse de l’apprentissage s’identifierait au champ de l’analyse
de l’apprentissage, qui serait par voie de conséquence née avec les environnements et les traces numériques. L’origine disciplinaire
des LA (informatique, mathématiques, statistiques), en dehors du champ de l’éducation, peut expliquer, partiellement en tous cas,
ces dénominations et les implicites qu’elles contiennent.
6 Labarthe et Luengo (2016) parlent aussi de « la science des données de l’apprentissage » qui renvoie sans doute aux expressions
de langue anglaise « Data Sciences » et « Educational Data Mining ». Pour ma part, j’adopterai l’une des trois définitions
proposées, en France, par le groupe de travail de la Direction du Numérique pour l’école (DNE) (Dioudi, 2018, p. 7) : « Analytique
des activités d’apprentissage instrumentées »7, dans la mesure où elle rend mieux compte des caractéristiques majeures des
processus analysés. Cependant, pour alléger la lecture du texte, j’utiliserai aussi souvent l’acronyme LA.
7 L’analytique des activités d’apprentissage instrumentées – basée sur des techniques informatiques, mathématiques et statistiques
– est souvent critiquée par les chercheurs en sciences humaines et, sociales, parmi lesquelles les humanités numériques et les
sciences de l’éducation, pour des raisons épistémologiques et éthiques, dans la mesure où « le principe même du Data Mining est
étranger aux théories sur le comportement humain comme la linguistique, la psychologie ou la sociologie » (Labarthe et Luengo,
2016, p. 6). Néanmoins, les LA suscitent un intérêt croissant depuis les années 1990 et de nombreuses applications sont aujourd’hui
implémentées dans les EIAH, dans les LMS comme dans les ENT, tandis que des chercheurs de plus en plus nombreux y ont recours
pour atteindre des objectifs parfois très différents.
8 Les EIAH, les dispositifs de formation partiellement ou entièrement à distance constituent un terrain empirique privilégié pour
les approches qui relèvent de l’analytique des activités d’apprentissage instrumentées : énormes gisements de données numériques,
massification des apprenants et des usages (songeons aux Mooc). Dans ce contexte se sont renforcées des problématiques propres à
la distance : importance du soutien aux apprenants, nécessité de maintenir leur engagement et leur persistance dans la formation,
adaptation et personnalisation de leur parcours d’apprentissage, etc. Toute la littérature s’accorde donc sur ce point : « Open and
distance learning (ODL) institutions present an ideal context for the use of LA as, with their large student numbers and the
increasing use of the internet and mobile technologies, they already have a very substantial amount of data available for analysis
with analytics. » (Tak Ming Wong, 2017, p. 21).
9 Au fil des numéros de cette année, la rubrique abordera, dans une perspective globale et critique, cette approche émergente dans
le cadre de la formation entièrement ou entièrement à distance : quels en sont les principaux domaines de recherche ? Quels en sont
les avantages, mais aussi les limites ? Quels en sont les enjeux, des points de vue de l’épistémologie, de la pédagogie, de la
méthodologie de la recherche, de l’ingénierie des dispositifs de formation et/ou des EIAH, mais aussi de celui des institutions ? De
quelle(s) vision(s) d’avenir l’analytique des activités d’apprentissage instrumentées est-elle porteuse pour les différents acteurs
(enseignants-chercheurs, apprenants, gestionnaires) ?
« Dans cette perspective, s’impose le recours aux techniques de profilage des étudiants couplant intelligence artificielle et traitement
statistique ; y contribuent des technologies logicielles aptes à – ou, plus exactement, censées être aptes – à analyser quasiment en
temps réel et à l’insu des individus concernés des masses importantes de données hétérogènes et complexes, désignées par le terme
« Big Data. » (Mœglin, 2016, p. 30).
12 Cette approche sous-estime la complexité des processus sociaux et utilise des méthodes quantitatives et le recours à des
indicateurs standardisés. Et c’est pour ces raisons qu’à l’époque déjà elle a fait l’objet de nombreuses critiques (Hargreaves, 1996).
13 Néanmoins, dès 1994, les méthodes issues du Data Mining sont popularisées dans le monde de la recherche en éducation
notamment à cause de leur développement et de leurs succès dans le marketing et le monde de l’entreprise. Dans le premier cas, il
s’agit de mieux connaître les habitudes, les goûts des consommateurs afin de personnaliser l’offre de vente qui leur est destinée
(one-to-one relationship) tandis que dans le second, les Business Analytics9 ont pour objectif de fournir des connaissances utiles à
la prise des décisions relatives à la gestion de l’entreprise. On retrouve d’ailleurs cette tendance aujourd’hui sous le terme
d’Academic Analytics, défini comme « the process of evaluating and analysing organisational data received from university
systems for reporting and decision-making reasons » (Campbell et Oblinger, 2007).
14 Ces approches formelles, qui permettent d’entrevoir une nouvelle approche de l’analyse des processus d’apprentissage, suscitent
donc l’intérêt croissant de chercheurs dans la continuité des travaux relatifs à l’intelligence artificielle, aux tuteurs intelligents et à la
modélisation de l’usager dans la perspective d’un apprentissage adaptatif (Atkinson, 2015). Progressivement la discipline émerge en
2007 « sous le nom d’Educational Data Mining » à la conférence ITS (Intelligent Tutor Systems) de Montréal en 2000 (Gauthier,
Frasson et VanLehn, 2000). Depuis 2008, EDM désigne une conférence internationale annuelle. » (Labarthe et Luengo, 2016, p. 8).
En 2009 naît la première revue consacrée à ce champ. Le Journal of Educational Data Mining (JEDM) puis, en 2011, sont créés la
Society for Learning Analytics Research (SoLAR) et le Journal of Learning Analytics (JLA) ainsi que leur propre conférence
internationale Learning Analytic for Knowledge (LAK).
15 Ainsi se sont constituées deux communautés internationales, majoritairement anglophones, qui, bien qu’elles partagent de
nombreux objectifs communs, développent des approches différentes (Labarthe et Luengo, 2016). Pour les membres d’EDM, la
conception d’algorithmes vise ainsi à donner au logiciel la capacité de prédire les résultats d’un apprenant et de personnaliser sa
stratégie d’apprentissage. Dans le sillon de SoLAR en revanche, modélisation et visualisation des données sont transmises aux
acteurs de l’apprentissage (apprenant, personnels d’éducation, enseignants, etc.). Dans le premier cas, il s’agit donc « de réduire
progressivement le système d’apprentissage à ses composantes principales, en modélisant séparément les apprenants, les tuteurs,
les domaines enseignés » (p. 9), tandis que les chercheurs de la communauté SoLAR privilégieraient une approche systémique qui
viserait à rendre les acteurs plus autonomes. En d’autres termes, concluent les auteurs : les résultats des recherches se trouvent
réinvestis dans la machine, tandis que ceux de SoLAR sont restitués aux acteurs, notamment sous la forme de visualisation, de
tableaux de bord, etc.
Épistémologie et méthodologie
23 L’analyse des activités d’apprentissage instrumentées ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs parce que, Labarthe et Luengo
l’ont rappelé (voir ci-dessus), cette approche exploratoire qui propose une modélisation a posteriori ne correspond pas aux
approches classiques des sciences humaines et sociales (SHS) qui cherchent à valider des hypothèses fondées sur un modèle
théorique a priori. Ce débat touche donc toutes les sciences humaines et doit être envisagé dans le contexte global de l’analyse des
données massives, de la Machine Learning et de l’importance croissante des algorithmes.
24 Les Big Data constituent « une véritable mutation de notre potentiel d’analyse » dans la mesure où elles permettent de faire
émerger de nouvelles données, de nouvelles hypothèses, de « nouvelles façons de penser des problèmes jusque là inaccessibles à
notre entendement ». (Azemar, Ben Henda et Hudrisier, 2015, p. 3). Pour ces auteurs, il s’agit d’un changement technoculturel
majeur, d’un « retournement copernicien de l’intelligence d’analyse» (p. 8) : ils rappellent en effet que l’imprimerie, grâce à ses
progrès techniques (standardisation de la mise en page comme de l’écriture grecque) a rendu possible l’élaboration d’une
connaissance et d’une intelligence collectives sans lesquelles jamais Copernic n’aurait pu faire ses propres découvertes et construire
le modèle astronomique héliocentrique.
25 Avec l’analyse des données massives, les modèles sont issus de l’exploration des données et non de théories préalablement
construites par les disciplines des SHS. Les techniques statistiques utilisées, qui trouvent leur origine dans les méthodes d’analyse
factorielle et de classification hiérarchisée de Benzécri10 (1973) comme dans leurs développements ultérieurs, permettent en effet
« la découverte de modèles à l’aide d’un processus algorithmique d’exploration de modèles » (Saporta, s.d.). Il ne s’agit donc plus
d’estimer ou de tester la validité de modèles construits a priori, mais de mettre en œuvre une « heuristique de la pertinence des
relations liant des ensembles d’items automatiquement proposée par l’outil d’analyse » (Azemar et al., 2015, p. 8).
26 Ces auteurs, qui situent la problématique des données massives dans le contexte général des humanités numériques, affirment,
suivant en cela Homi Bhabha, que « les sciences humaines sont les sciences princeps de l’interprétation » (p. 2). L’interprétation
serait certes la base de la démarche scientifique, mais en même temps, elle générerait aussi, « à travers l’exercice du jugement
d’importants travaux (d’art, de littérature, de musique, de sculpture, d’architecture, etc.) […] de la valeur ajoutée conceptuelle,
sociale et culturelle. » (p. 2). Or, le risque principal que l’analyse des données massives ferait courir à nos fondements
épistémologiques serait de substituer à l’apport épistémique de l’humain, à son esprit critique d’analyse, la puissance de calcul
d’algorithmes automatiques. S’il est vrai que la puissance de calcul et de traitement des données de l’ordinateur est supérieure celle
de l’humain, elle n’en bouscule pas moins nos habitudes épistémiques : il faudra apprendre à composer, à apprivoiser, avec cette
nouvelle force interprétative de l’algorithme.
27 Azemar et al., citant Björn-Olav Dozo (2008), rappellent cependant, dans leur article l’usage que fit de l’analyse factorielle de
correspondances pour la description de l’espace social, dans « La distinction » (1979). Modèles a priori et a posteriori peuvent être
complémentaires et contribuer à une analyse globale qui ne fait fi ni de la science ni de la « force interprétative des sciences
humaines de l’humain » (Azemar, 2015, p. 2).
28 Dans leur présentation du numéro de la Revue française de sociologie, « Big data, sociétés et sciences sociales », Bastin et Tubaro
(2018, p. 375, citant Anderson, 2008) estiment que des raisons épistémologiques que l’on peut considérer comme semblables à
celles évoquées ici fondent l’opposition à l’utilisation des ces données et à ses méthodes. Les tenants de ce courant redoutent
« l’obsolescence et la méthode scientifique d’analyse des données, appelées à être remplacées par des méthodes algorithmiques sans
lien fort avec les théories sociales » (ibid.).
29 Signe de cette évolution, les gisements de données remplaceraient progressivement les données d’enquêtes, questionnaires et
entretiens qui ont constitué longtemps sa « juridiction » sur tout un pan de la connaissance de la société (Bastin et Tubaro, 2018,
p. 376). Il en va sans doute de même pour les psychologues et les pédagogues. Ces derniers, qui ont beaucoup œuvré à systématiser
leurs approches empiriques notamment en développant des approches mixtes et en construisant des dispositifs de recherche semi-
expérimentaux afin d’accéder à plus de crédit, à plus de « scientificité », se verraient-ils ainsi privés de leurs acquis récents par un
« déluge de données » (Anderson, 2018) et des méthodes quantitatives par trop formelles ?
30 Une deuxième interrogation surgit alors dans ce débat, celle de la nature même des données, leur caractère formel, leur validité,
autrement dit leur capacité à mesurer « exactement se qu’elles sont censées mesurer » (Jones, 2000, p. 29). Le danger ne serait-il
pas de voir un champ de recherche dans lequel les hypothèses seraient tributaires de la nature des données disponibles » (Plantin et
Monnoyer-Smith, 2013, p. 61, cités par Ouakrat et Mesangeau, 2016, paragr. 7) ? Les données disponibles dans les plateformes de
distribution de Mooc ou d’un LMS sont en effet celles que l’environnement rend disponibles et le chercheur n’a sans doute aucune
marge de négociation pour en obtenir d’autres, plus adaptées aux recherches particulières. Bastin et Tuparo (2018) soulignent enfin
un autre écueil : les données pourraient être biaisées par les API (Application Programming Interfaces) embarquées dans les
plateformes et, sur lesquelles bien évidemment le chercheur n’a aucun contrôle possible.
31 Les traces brutes telles qu’elles sont captées par les environnements, les « inscriptions » (Settouti, Prié, Marty et Mille,
2007) d’activités, constituent rarement des données immédiatement utiles pour les chercheurs. La nécessité d’une reconstruction
des traces brutes, voire de leur modélisation, à différents niveaux de recherche, est d’ailleurs bien identifiée dans la littérature
(notamment Settouti et al., 2007 ; Peraya, Batier, Paquelin, Rizza et Vieira, 2009 ; Rogers, 2015 ; Champain, Mille et Prié, 2013 ;
Ouakrat et Mesangeau, 2016 ; Pierrot, 2018).
32 De plus, si les données numériques peuvent contribuer à la compréhension et à la modélisation des activités et de comportements
de sujets humains dans les environnements numériques et les plateformes, ces données « demeurent une traduction très partielle et
limitée des pratiques. Elles décrivent des liens sociaux de façon restreinte et circonstanciée et ne représentent qu’un pan de l’activité
des individus. De plus, elles ont tendance à effacer le contexte social et biographique dans lequel s’inscrivent les individus pour se
concentrer sur une forme particulière de l’activité, celle qui peut être enregistrée. Les traces captées et rendues disponibles aux
chercheurs en sciences de l’information et de la communication (SIC) sont construites et redéfinies par les modalités de prélèvement
et de mise en forme de l’information ». Il faut donc « re-socialiser » les données numériques ainsi que les indicateurs construits à
base de traces par une approche qualitative plus classique et en exploitant « la réflexivité que peuvent produire les visualisations de
ces données pour l’enquêteur comme pour l’enquêté » (Ouakrat et Mesangeau, 2016, § 2).
33 Ce qui est vrai pour les chercheurs en sciences de l’information et de la communication l’est tout autant pour ceux des sciences de
l’éducation, en technologies éducatives et en ingénierie. Dans cette perspective, la mise en œuvre, de plus en plus courante d’une
méthodologie mixte11, qui triangule les méthodes quantitatives et qualitatives – on songe, par exemple, aux entretiens d’explicitation
(Vermersch, 1994) – doit être considérée comme la piste la plus prometteuse.
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Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation en formation continue et initiale. Paris : ESF.
Notes
1 Pour être complet, il aurait fallu traiter aussi le développement des Teaching Analytics définis par Prieto, Sharma, Dillenbourg et Jesús (2016)
comme : « the application of learning analytics techniques to understand teaching and learning processes, and eventually enable supportive
interventions ». Cet aspect fera sans doute l’objet d’une prochaine contribution.
2 Peraya et Bonfils (2014) ont proposé de faire la distinction entre les dispositifs de formation et de communication médiatisées, des dispositifs
complexes et multifonctionnels comme les environnements virtuels d’apprentissage ou les LMS d’une part et d’autre part, les dispositifs
particuliers, spécialisés et monofonctionnels (un forum, un chat, etc.). Les EIAH, qui sont à l’origine des situations d’apprentissage instrumentée
(SAI), se rattachent plutôt à cette seconde catégorie.
3 Cette diversité des traces renvoie au deuxième « V » de la définition de Big Data, proposée par Laney en 2001, dite des « 3V » pour volume,
variété et vitesse. D’autres chercheurs ont progressivement rajouté d’autres lettres : un V pour véracité, un autre pour valeur ou un K pour
exhaustivité (cité par Bastin et Tubario, 2018, p. 378).
4 La traduction française officielle de cette expression est « méga-données » et celle alternative, qui semble s’être imposée, est « données
massives » (Bastin et Tubario, 2018, p. 377).
5 Portail du numérique dans l’enseignement supérieur, rubrique « Enseigner avec le numérique » (http://www.sup-numerique.gouv.fr/)
6 L’environnement personnel d’apprentissage (EPA) des apprenants n’est pas exclusivement constitué par des environnements numériques. Ils
possèdent encore un espace physique dans leur lieu d’habitation (d’une part, bureau, table de travail, canapé, lit et d’autre part des documents
imprimés, articles, livres, notes manuscrites, etc.) (Peraya et Bonfils, 2014).
7 Dans un premier temps, j’avais pensé à « Analytique de données relatives à l’apprentissage humain dans un environnement numérique de travail
et/ou d’apprentissage ». Mais cette définition du groupe de travail français de la DNE me paraît bien plus synthétique et la référence aux activités
instrumentées semble suffisamment explicite.
8 Nous empruntons largement l’information de cette introduction à ces auteurs.
9 « Business Intelligence (BI) comprises the strategies and technologies used by enterprises for the data analysis of business information. » (Dedić
et Stanier, 2016 cité dans Dioudi, 2018 p. 3).
10 De nombreux auteurs se réfèrent à la métaphore utilisée par cet auteur, celle de la « pépite » enfouie dans un amas de données et qu’il faut faire
émerger avec des outils statistiques adaptés.
11 Il paraît cependant important de distinguer la nature des données et celle de leur traitement. Les données textuelles peuvent en effet faire l’objet
d’analyses quantitatives (statistique lexicale) autant que qualitatives (approche compréhensive et herméneutique).
12 Les recherches basées sur les mots clés Learning Analytics, analytique de l’apprentissage, Data Mining, fouille des données, etc. renvoient à des
millions de documents qui constituent à leur tour un impressionnant gisement des données : 668.000.000 documents constituent la réponse à la
requête fondée sur le mot clé Learning Analytics et 427.000.000 pour Data Mining (Requête sur Google le 20 février 2019).
13 Par exemple, le marché des tableaux de bord se chiffrait selon des chiffres publiés en 2013 à 2 milliards de dollars (Roberge, cité par Labarthe et
Luengo, 2016, p. 21).
14 https://ec.europa.eu/newsroom/just/item-detail.cfm ?item_id =50083 voir aussi https://cnpd.public.lu/fr/publications/groupe-art29.html On
pourra aussi consulter leur Guidelines adoptées en 2017.
Auteur
Daniel Peraya
TECFA, Université de Genève
Technologies et formes éducatives : entre rupture et continuité, stabilité et évolution [Texte intégral]
Paru dans Distances et médiations des savoirs, 24 | 2018
Les acteurs et leurs représentations au cœur de la forme scolaire : poursuite du débat autour du rôle joué par les technologies dans
son évolution [Texte intégral]
Paru dans Distances et médiations des savoirs, 23 | 2018
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