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« Comme si le néant paraphait le monde »

Author(s): James Petterson


Source: Dalhousie French Studies, Vol. 60, Yves Bonnefoy aujourd'hui (Fall 2002), pp. 117-
123
Published by: Dalhousie University
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40836803
Accessed: 24-03-2019 13:36 UTC

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« Comme si le néant paraphait le monde »
James Petterson

„ H a griffe de la pluie sur la vitre, soudain, / Comme si le néant paraphait le


**~* monde ». La considération de ces deux vers de « La rapidité des nuages », du
recueil Ce qui fut sans lumière (CQFSL 37), exige un retour sur la problématique de la
soudaineté dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy, retour sur tout ce qu'entraîne l'emploi des
mots « soudain » et « néant » dans cette œuvre, retour sur la question : l'immédiat,
cet « éclat du présent », comme le nommait Blanchot (1969 :55), peut-il avoir lieu
en poésie ? Si oui, comme on a tendance à vouloir le croire, comment un tel
événement (si c'en est un) a-t-il lieu ? Pour commencer à répondre à cette question,
entendons-nous sur le lieu ou l'éclat de cet événement dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy.
Événement : mot on ne peut plus glissant où se fait déjà entendre - mais y a-t-il
déjà mésentente sans compréhension ? - ce soudain éclat du présent.
Dès 1958, l'enjeu de l'événement dans l'œuvre poétique d'Yves Bonnefoy figurait
un espoir, l'espoir qu'un mot (en l'occurrence, le mot « Douve ») peut évoquer
« l'informe réalité d'un événement absolu » (Piroué 367). Cet « événement
absolu » prenait la forme de l'informe de la mort qui, comme le constatait Hans
Robert Jauss en 1993, est une constante de la poésie de Bonnefoy depuis Anti-Platon
(1947). Ainsi, dans le cinquième poème de ce bref recueil de jeunesse :
Captif d'une salle, du bruit, un homme mêle des cartes. Sur l'une :
« Eternité, je te hais ! » Sur une autre : « Que cet instant me délivre ! »
Et sur une troisième encore l'homme écrit : « Indispensable mort ».
Ainsi sur la faille du temps marche-t-il, éclairé par sa blessure.
Et Jauss de souligner que « le "captif de la cave" oppose l'aspect libérateur de
l'instant présent à la perfection de l'être, l'affirmation de la mort à l'idée de
l'immortalité »K Jauss permet ainsi de comprendre que l'analyse de l'œuvre récente
d'Yves Bonnefoy ne peut se faire que si l'on tient compte de l'histoire ou de la
biographie de cette œuvre. Retour donc sur l'histoire de ce heurt de l'instant de la mort
et de l'éternel dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy afin de nuancer notre question : l'éclat
du présent, l'instant et le soudain tels que les concevait et les désirait Bonnefoy dans
ses premiers écrits, se présentent-t-ils autrement dans et après Ce qui fut sans
lumière ? D'après une première lecture de « La rapidité des nuages » la réponse
semblerait négative. Mais serrons de plus près. Relisons « La rapidité des
nuages » :

Le lit, la vitre auprès, la vallée, le ciel,


La magnifique rapidité de ces nuages.
La griffe de la pluie sur la vitre, soudain,
Comme si le néant paraphait le monde.
Dans mon rêve d'hier
Le grain d'autres années brûlait par flammes courtes

1 . « Der "Gefangene der Höhle" setzt der Vollkommenheit des ewigen Seins die Befreiung zum
gegenwärtigen Augenblick, der Idee der Unsterblichkeit die Bejahung des Todes entgegen »
(473). Traduction mienne.

Dalhousie French Studies 60 (2002)


- 117-

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118 James Petterson

Sur le sol carrelé, ma


Nos pieds nus l' écart
Ô mon amie,
Comme était faible l
La lame de l'épée du t
Y eût cherché en vai
À première vue - car d
affaire à l'immédiateté
disait si bien Blanchot en 1969 à propos de Bonnefoy et de Hölderlin - la
démonstration de la singularité et de la spécificité est déterminante dans « La rapidité
des nuages » : « Le lit, la vitre auprès, la vallée, le ciel, / La magnifique rapidité de
ces nuages. / La griffe de la pluie sur la vitre, soudain, / Comme si le néant
paraphait le monde ». Cette première strophe semble également relever d'une
stratégie du soudain qui fait que l'éternel se reflète dans l'instant, l'immédiat dans le
médiat, l'infini dans le fini ou, pour citer cet espoir qui clôt Dans le leurre du seuil
(1975): «Les mots comme le ciel,/ Infini/ Mais tout entier soudain dans la
flaque brève »2. L'espoir de cette soudaineté est aussi l'un des leitmotive de Du
mouvement et de l'immobilité de Douve (1953), où elle paraît dès le quatrième poème :
« Le bras que tu soulèves, soudain, sur une porte, m'illumine à travers les âges » (LS
48) ; leitmotiv qui pourtant n'a de cesse de nous rappeler cet aperçu déjà ancien de
Blanchot: « [LJ'espoir n'est qu'espoir » (19??: 5 8 )3. La « tâche d'espérance»
(103), comme s'intitule le poème qui clôt Ce qui fut sans lumière, n'a jamais quitté
l'œuvre de Bonnefoy, il se peut, toutefois, qu 'entretemps cette tâche se soit
singulièrement modifiée.
À relire le troisième vers de « La rapidité des nuages », le mot « soudain »
demeure indéterminé. Ni adjectival ni adverbial, « La griffe de la pluie sur la vitre,
soudain» s'impose sans verbe - sans ce verbe qui se voudrait l'impossible
médiateur par excellence de l'immédiateté de l'être. La griffe s'appose ou s'impose
avant même que l'on ne puisse conjuguer sa présence, avant que nous ne puissions
nous en déprendre dans le même mouvement qui nous permettrait de maîtriser cette
présence, d'en prendre conscience pour la comprendre. « La griffe de la pluie sur la
vitre, soudain » revient donc à dire : l'éclat du présent ne se conjugue pas. Sa façon
d'être est telle que l'éclat du présent n'est pas « verbalement » récupérable, puisque
cet éclat ne se soumet pas à la logique négatrice, copulative, du verbe « être ».
Cependant, le quatrième vers - « Comme si le néant paraphait le monde » -
semble nier et ces conclusions hâtives et la vision si particulièrement définie de la
première strophe. « Comme si le néant paraphait le monde » ne relève pas du
particulier et d'un désir de l'immédiat, tels qu'ils se manifestaient dans les premiers
recueils d'Yves Bonnefoy, mais de l'allégorie : l'allégorie du néant. « La griffe de la
pluie sur la vitre, soudain » ne mènerait donc pas à l'épiphanie d'un instant qui se

2. LS 332. Cette stratégie est une constante de l'œuvre de Bonnefoy comme Ta bien souligné
Gasari an.
3. Dans le sixième poème de Du mouvement et de l'immobilité de Douve nous lisons: «Ce bras
que tu soulèves soudain s'enflamme » (50) ; et dans le septième : « ô dressant dans l'air dur
soudain comme une roche/ Un beau geste de houille» (MID 51). Rappelons le heurt douloureux
de Bonnefoy et de Hegel qu'entrevoyait Blanchot : « [À] peine ai-je dit maintenant qu'en ce seul
mot qui dit à la fois tous les "maintenant" en leur forme générale et en leur présence éternelle,
s'est dérobé cet unique maintenant-ci, l'énigme propre de ce qui s'est dissous en lui et autour de
quoi je puis bien multiplier les singularités, sans rien faire d'autre que de l'altérer davantage en
essayant de le particulariser à l'aide de traits universels et de le surprendre disparaissant par une
saisie qui l'éternisé» (1969:48).

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Le néant 119

voudrait unique
« Comme si le n
« Comme si le
pour ne pas êtr
méfiant de tout
Bonnefoy nomm
...bâtir ! Ne s
Qu'une trace d
Dans l'orgueil
Et c'est rêver
Sans avoir su
II y a donc bien
et une façon bi
l'instant ou de s
et au « néant d
soudain, seul le
instant ne trouv
belle pour ne p
brève »4.
Le « néant » n'est pas rien dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy. Et son enjeu fait que
Ton ne peut pas ne pas comprendre que dans « La rapidité des nuages » il en va de
quelque chose de bien plus étrangement inquiétant que du bruit de quelque pluie sur une
vitre. Si la soudaineté de cette « griffe de la pluie sur la vitre » ne mène plus à
l'épiphanie d'une commune présence, alors peut-être qu'en effet un événement a eu lieu
dans la poésie de Bonnefoy. Pour expliquer ce bouleversement du rôle de la
soudaineté, revisitons l'histoire de cette hantise qu'est le « néant ». En 1953, le
néant figurait l'instant, le soudain et l'être-pour-la-mort du sujet poétique. Il figurait
ce que, dans L'improbable, Bonnefoy appelait alors le vrai discours poétique opposé
au discours mensonger lié, lui, « au concept, qui cherche dans l'essence des choses
qu'elles soient stables et sûres, et purifiées du néant » (I 40). Toutefois, dès 1958
cette façon de concevoir le néant est bouleversée et celui-ci est désormais apparenté
aux ravages du concept. Bonnefoy écrira ainsi dans « L'acte et le lieu de la poésie »
(1959) : « Qu'on ne puisse échapper par la parole au néant qui mange les choses,
depuis le Coup de dés qui a célébré cet irrémédiable, on ne peut plus ne plus le
savoir » (I 154-55)5. Cinq ans plus tard, dans ses propos sur l'œuvre de Raoul Ubac,
dans « Des fruits montant de l'abîme » (1964), et par opposition à cet apparent
appétit destructeur du néant pour les mots, Bonnefoy propose la notion à' absence :
[Q]u'est-ce qu'au juste que l'absence ? Prenons garde que ce n'est pas le
néant, et qu'il y a même là, dans la différence des significations de ces deux
limites nocturnes, le carrefour qui sépare deux formes de connaissance,
deux façons de vivre (ou survivre) et certainement deux sortes d'art. Il y a
néant quand un ordre se perpétue, bien en place, sauf qu'il s'est vidé de tout
contenu [...] l'absence est d'un autre cœur. Elle, on l'éprouve - on s'en
enivre, parfois - lorsque la ruine des médiations, subie souvent comme un

4. Rappelons l'opposition entre beauté et réel dans les premiers recueils d'Yves Bonnefoy ;
opposition qui fait également penser à cette expression de Blanchot à propos des figures
paraissant dans les Poèmes de Samuel Wood de Louis-René des Forêts : « Figures trop réelles
pour durer» (Blanchot 1992: 15).
5. Au sujet de l'influence de Mallarmé sur l'œuvre de Bonnefoy, voir Petterson 1996.

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120 James Petterson

événement de l'histoir
tout ordre humain dan
303)
L'être humain, jeté, soud
perpétué, dans l'absence
aussi heureuse qui relèv
rapidité des nuages » où
« d'un autre cœur ». Elle
soudaineté, cet « éclat d
monde, comme s'il était l
tout contenu » et auquel
est pas tout à fait ains
monde ».
Si le soudain ne nous mène pas hors de la cave ombreuse du néant de la médiation
et vers l'absence libératrice du « silence du monde », il ne nous relègue pas pour
autant au monde de l'anonymat et de l'orgueil absolu que serait ce tableau de rêve
paraphé « Néant ». Nous en sommes, plutôt, à ce qu'en 1964 Bonnefoy indiquait
comme « le carrefour qui sépare deux formes de connaissance » et qui, dans le poèm
de Ce qui flit sans lumière intitulé « La branche », est nommé le carrefour de « tou
instant terrestre » (43). Avançons l'hypothèse qu'en 1987 ce carrefour n'est plus
seulement, comme il l'était en 1964, le lieu ou l'instant qui sépare ces « deux forme
de connaissance », mais aussi le lieu et l'instant de leur partage - jointure e
scission. Partage qui expliquera ou qu'expliqueront peut-être les deux dernières
strophes de « La rapidité des nuages ».
Après le tableau particulier mais particulièrement anonyme de la première
strophe, la deuxième débouche sur le souvenir personnel d'un rêve : « Dans mon rêv
d'hier/ Le grain d'autres années brûlait par flammes courtes / Sur le sol carrelé, mais
sans chaleur. / Nos pieds nus l' écartaient comme une eau limpide ». Cette deuxièm
strophe est composée de ces rêves « serrés / L'un contre l'autre et l'autre encore »
(16) qu'évoque le poème inaugural de Ce qui fut sans lumière, « Le souvenir »7. Cett
strophe est le souvenir d'un rêve d'un souvenir qui, lui aussi, n'aurait été qu'un rêve
Elle suppose aussi que nous soyons réellement sortis du cadre du néant de la première
strophe. Ou peut-être n'y a-t-il plus lieu de distinguer entre sortie réelle et sortie
onirique, puisqu'il y aurait une façon malheureuse et une façon bienheureuse de rêver e
que cette dernière ne se distingue pas d'une sortie réelle, comme l'affirment ces vers d
poème « Le haut du monde » : « Je sors. / Je rêve que je sors » (CQFSL 78).
Cependant, dans la deuxième strophe de « La rapidité des nuages », un temp
spécifique et personnel semble reprendre hors du temps sans temps du néant et d
l'éclat du soudain. Et le sujet semble se souvenir qu'il a rêvé « hier » ou, plutôt, se
souvenir du « rêve d'hier » - on hésite à dire si c'est hier qu'il a rêvé ou si cet hier
n'est pas lui aussi un rêve, un hier rêvé - pour reconnaître que ce rêve était lui-même
le souvenir rêvé d'un passé plus lointain, le souvenir rêvé du « grain d'autre
années » ; le souvenir rêvé d'un autre espoir et d'un autre vécu qui ne se voulait n
anonyme ni solitaire, mais un vécu en commun (« nos pieds nus »). Souvenir rêv
puisque cette strophe est le partage du souvenir et du rêve. Partage également évoqué
par ce « grain » que « nos pieds nus » peuvent écarter, mais qui peut tout aussi bien

6. « Le ciel était scellé, pourtant » (« Le haut du monde » [CQFSL 77]).


7. Ce qui, dans Ce qui fut sans lumiere, s offre comme des rêves, s'avère, dans Le leurre du seuil,
des mondes qui «respirent, pressés,/ L'un contre l'autre» (LS 331).

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Le néant 121

se reformer au
« eau fermée »
déjà si vitale dan
ou joues-tu / En
70).
La deuxième strophe semble ainsi revenir à la question que pose « Le
souvenir » : « Que faire de tes dons, ô souvenir, // Sinon recommencer le plus
vieux rêve,/ Croire que je m'éveille?» (11). Rêve ou souvenir, qui, dans la
troisième strophe, s'avère nostalgie d'un temps révolu, nostalgie de cette communion
de deux corps dans un temps sans faille : « Ô mon amie, / Comme était faible la
distance entre nos corps ! / La lame de l'épée du temps qui rôde / Y eût cherché en
vain le lieu pour vaincre » : nostalgie, en effet, d'un temps sans cette faille qui
cherche à séparer ces corps, et sans la plaie ouverte par cette « lame de l'épée du
temps qui rôde », nostalgie aussi d'un temps où ferait défaut cette « faille » sur
laquelle marchait le captif héroïque et visionnaire, mais aussi anonyme et solitaire,
d' Anti-Platon (1947) : « Ainsi sur la faille du temps marche-t-il, éclairé par sa
blessure » (37). Qu'il s'agisse d'un rêve ou d'un souvenir, « la distance entre nos
corps » demeure « faible ». Qui dit « faible » ne dit néanmoins pas inexistant.
Cette distance eût été assez faible pour parer la blessure de la « lame de l'épée du
temps qui rôde ». Il semble aussi que ce ne sont que la « faille du temps » et sa
blessure qui puissent nous éclairer et parer l'espoir désespéré. Rêve ou souvenir, mais
plutôt souvenir rêvé si l'on est en état d'entendre l'éventualité de ce plus-que-parfait
du subjonctif : « La lame de l'épée du temps qui rôde I Y eût cherché en vain le lieu
pour vaincre ». Si cette « lame » eût cherché en vain, c'est qu'il n'y avait peut-être
pas lieu de chercher. La distance entre « nos corps » n'était pas seulement faible.
L'union, presque, de ces deux corps, comme celle de « nos deux pieds » dans le
« rêve d'hier », s'est faite dans ce lieu sans lieu qu'est l'eau limpide du souvenir rêvé.
Nous n'en sommes donc plus à ces vers, remarquables pour Blanchot, qui ouvrent
Dans le leurre du seuil : « Mais non, toujours / D'un déploiement de l'aile de
l'impossible / T'i t'éveilles, avec un cri, du lieu qui n'est qu'un rêve » (253), mais
plutôt à l'un des derniers vers de ce même recueil : « Aile de l'impossible reployée »
(332), quitte à taire ce cri et à acquiescer au rêve8. Il ne s'agirait donc plus dans « La
rapidité des nuages » d'une poésie où l'homme captif marche sur « la faille du
temps ... éclairé par sa blessure », ni d'une poésie de l'être- pour-la-mort, du cri et de
la griffe soudaine qui auraient pour but de nous jeter absolument hors du « lieu qui
n'est qu'un rêve »9. Plutôt, dans Ce qui fut sans lumière, ce cri et cette griffe soudaine
visent le rêve bienheureux. Ils cherchent à nous faire admettre que la captivité même
de l'homme est un rêve d'où il n'y a pas lieu de sortir.
Pour tâcher de comprendre cette inversion de l'espoir dans l'œuvre récente de
Bonnefoy, revenons à ces deux vers de la première strophe : « La griffe de la pluie
sur la vitre, soudain / Comme si le néant paraphait le monde ». Nous avons dit que
dans « La rapidité des nuages » il en allait de quelque chose de bien plus étrangement
inquiétant que du bruit de quelque pluie « cognant à la vitre » (Breton 31). Ce n'est
donc peut-être qu'à tort que j'ai insisté sur l'immédiateté de la vision dans la première
strophe. Et si les détails de ces premiers vers n'étaient que les fioritures du rêve ? En
effet, la description est telle qu'il semble s'agir d'un tableau rendu, de par sa

8. Blanchot cite ces premiers vers (1980: 200); il ne cite pourtant pas ce dernier vers: «Aile de
l'impossible reployée » : silence qui en dit très long et sur lequel il nous faudra un jour revenir.
9. Pour plus de détails sur le refus de Bonnefoy d'une poétique heideggerienne de l'être-pour-la-
mort du « je » poétique, voir Petterson 2000.

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122 James Petterson

spécificité, plus réel que


d'un lieu ou d'un mome
soudain », surgit donc m
finir avec ce « lieu qui n
instant et comme « la
Ainsi, en 1991, lors de
l'idée que
chaque fois que quelque lumière du ciel physique, ou quelque grand moment de
la vie, nous parlent de l'absolu [...] le besoin de cette parole plonge sa
griffe dans notre esprit, et c'est alors une nostalgie, mais aussi une véritable
espérance, car elle est, à ce moment-là, cette parole impossible, elle est
comme le rayon qui précède l'aube10.
La griffe dans « La rapidité des nuages » est là, soudain, contre la vitre de notre
esprit et de notre conscience de son avènement. Ce qui nous invite à nous tromper et à
nous tremper dans la nostalgie d'une commune présence n'est donc plus issu
seulement des leurres successifs du néant de la langue, mais aussi de cette « lumière
physique du ciel » comme de la griffe de cette pluie. Cette griffe semble donc être
d'une autre lumière que celle du néant, de la soudaineté et de ce cri qui croyait pouvoir
nous jeter hors du « lieu qui n'est qu'un rêve » afin de nous faire subir l'expérience de
cette épiphanie qui eût été le « vrai lieu ».
Cette autre lumière est celle du partage. Lumière du crépuscule qui joint et qui
scinde. Lumière qui est aussi le partage du néant et du soudain, du rêve et du souvenir.
Lumière du partage que Bonnefoy imagine à l'œuvre chez Constable telle qu'il la décrit
dans le poème de Ce qui fut sans lumière intitulé « Dedham, vu de Longham » : « Ô
peintre, /[...]/ de toi dépend [...] que la lumière / Ne soit pas cette griffe qui déchire
toute forme, toute espérance, mais une joie » (66). La griffe qui « déchire toute
forme » aura été celle du désir du soudain éclat du présent nous menant à l'informe de
l'être-pour-la-mort. Mais cette prise de conscience du soudain s'avère sans joie et
tellement prononcée qu'on ne peut s'en déprendre pour le prononcer, pour en faire le
partage. Or - et voici le début d'une réponse à notre question - dans Ce qui fut sans
lumière il ne s'agit plus de cette griffe, ou presque. Car, comme l'indique Bonnefoy à
propos de cette nouvelle lumière dans ce même « Dedham, vu de Longham », « C'est
comme si/ La terre voulait bien que l'esprit rêve» (66). «C'est comme si... » :
comme si la parole impossible de l'événement de la poésie cherchait à conjuguer le
partage, lieu sans lieu, de la terre et du néant, comme celui du souvenir et du rêve.

Wellesley College

OUVRAGES CITÉS
Blanchot, Maurice. 1969. L'entretien infini. Paris : Gallimard.

Bonnefoy, Yves :
AP Anti-Platon. La Révolution la nuit, 2. 1946. Paris : Galerie Maeght,
1962.
CQFSL Ce qui fut sans lumière. Paris : Mercure de France, 1987.
1 L improbable. Pans : Mercure de France, 1959.
IRM L'improbable suivi de Un rêve fait à Nfantoue. Paris : Gallimard, 1980.

10. Stamelman 49. Pour la traduction intégrale en anglais de cet entretien, voir Naughton.

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Le néant 123

LS Dans le leurre du seuil. Poèmes. Paris : Gallimard, 1982.


MID Du mouvement et de l'immobilité de Douve. Paris : Mercure de France,
1953.
Breton, André. Premier manifeste du surréalisme. Paris : Gallimard, 1985.
Des Forêts, Louis-René. Poèmes de Samuel Wood. Montpellier : Fata Morgana, 1988.
Gasarian, Gérard. Yves Bonnefoy : la poésie, la présence. Paris : Champ Vallon,
1986.
Jauss, Hans Robert. « Ein Abschied von der Poesie der Erinnerung : Yves Bonnefoys
Ce qui fut sans lumière ». Memoria : Vergessen und Erinnern. Éd. A. Haverkamp
et R. Lachmann. Munich : Wilhelm Fink Verlag, 1993. 456-91.
Naughton, John T., trad. Ce qui fut sans lumière/ In the Shadow's Light. Par Yves
Bonnefoy. Chicago : University of Chicago Press, 1991.
Petterson, James. 1996. « Yves Bonnefoy : L'absence de mythe ». Zeitschrift für
französische Sprache und Literatur (hiver) : 253-72.

Jacaues Duvin, André du Bouchet. Lewisbure : Bucknell Universitv Press.


Piroué, G. « Yves Bonnefoy ou l'acte de dégager la présence dans l'absence ».
[Entretien avec Yves Bonnefoy 1. Mercure de France (iuin 1958) : 365-68.
Stamelman, Richard. « The Presence of Light / The Light of Presence : Yves
Bonnefoy». Dalhousie French Studies 21 (automne-hiver 1991): 43-59.

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