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« Comme si le néant paraphait le monde »
James Petterson
1 . « Der "Gefangene der Höhle" setzt der Vollkommenheit des ewigen Seins die Befreiung zum
gegenwärtigen Augenblick, der Idee der Unsterblichkeit die Bejahung des Todes entgegen »
(473). Traduction mienne.
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118 James Petterson
2. LS 332. Cette stratégie est une constante de l'œuvre de Bonnefoy comme Ta bien souligné
Gasari an.
3. Dans le sixième poème de Du mouvement et de l'immobilité de Douve nous lisons: «Ce bras
que tu soulèves soudain s'enflamme » (50) ; et dans le septième : « ô dressant dans l'air dur
soudain comme une roche/ Un beau geste de houille» (MID 51). Rappelons le heurt douloureux
de Bonnefoy et de Hegel qu'entrevoyait Blanchot : « [À] peine ai-je dit maintenant qu'en ce seul
mot qui dit à la fois tous les "maintenant" en leur forme générale et en leur présence éternelle,
s'est dérobé cet unique maintenant-ci, l'énigme propre de ce qui s'est dissous en lui et autour de
quoi je puis bien multiplier les singularités, sans rien faire d'autre que de l'altérer davantage en
essayant de le particulariser à l'aide de traits universels et de le surprendre disparaissant par une
saisie qui l'éternisé» (1969:48).
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Le néant 119
voudrait unique
« Comme si le n
« Comme si le
pour ne pas êtr
méfiant de tout
Bonnefoy nomm
...bâtir ! Ne s
Qu'une trace d
Dans l'orgueil
Et c'est rêver
Sans avoir su
II y a donc bien
et une façon bi
l'instant ou de s
et au « néant d
soudain, seul le
instant ne trouv
belle pour ne p
brève »4.
Le « néant » n'est pas rien dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy. Et son enjeu fait que
Ton ne peut pas ne pas comprendre que dans « La rapidité des nuages » il en va de
quelque chose de bien plus étrangement inquiétant que du bruit de quelque pluie sur une
vitre. Si la soudaineté de cette « griffe de la pluie sur la vitre » ne mène plus à
l'épiphanie d'une commune présence, alors peut-être qu'en effet un événement a eu lieu
dans la poésie de Bonnefoy. Pour expliquer ce bouleversement du rôle de la
soudaineté, revisitons l'histoire de cette hantise qu'est le « néant ». En 1953, le
néant figurait l'instant, le soudain et l'être-pour-la-mort du sujet poétique. Il figurait
ce que, dans L'improbable, Bonnefoy appelait alors le vrai discours poétique opposé
au discours mensonger lié, lui, « au concept, qui cherche dans l'essence des choses
qu'elles soient stables et sûres, et purifiées du néant » (I 40). Toutefois, dès 1958
cette façon de concevoir le néant est bouleversée et celui-ci est désormais apparenté
aux ravages du concept. Bonnefoy écrira ainsi dans « L'acte et le lieu de la poésie »
(1959) : « Qu'on ne puisse échapper par la parole au néant qui mange les choses,
depuis le Coup de dés qui a célébré cet irrémédiable, on ne peut plus ne plus le
savoir » (I 154-55)5. Cinq ans plus tard, dans ses propos sur l'œuvre de Raoul Ubac,
dans « Des fruits montant de l'abîme » (1964), et par opposition à cet apparent
appétit destructeur du néant pour les mots, Bonnefoy propose la notion à' absence :
[Q]u'est-ce qu'au juste que l'absence ? Prenons garde que ce n'est pas le
néant, et qu'il y a même là, dans la différence des significations de ces deux
limites nocturnes, le carrefour qui sépare deux formes de connaissance,
deux façons de vivre (ou survivre) et certainement deux sortes d'art. Il y a
néant quand un ordre se perpétue, bien en place, sauf qu'il s'est vidé de tout
contenu [...] l'absence est d'un autre cœur. Elle, on l'éprouve - on s'en
enivre, parfois - lorsque la ruine des médiations, subie souvent comme un
4. Rappelons l'opposition entre beauté et réel dans les premiers recueils d'Yves Bonnefoy ;
opposition qui fait également penser à cette expression de Blanchot à propos des figures
paraissant dans les Poèmes de Samuel Wood de Louis-René des Forêts : « Figures trop réelles
pour durer» (Blanchot 1992: 15).
5. Au sujet de l'influence de Mallarmé sur l'œuvre de Bonnefoy, voir Petterson 1996.
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120 James Petterson
événement de l'histoir
tout ordre humain dan
303)
L'être humain, jeté, soud
perpétué, dans l'absence
aussi heureuse qui relèv
rapidité des nuages » où
« d'un autre cœur ». Elle
soudaineté, cet « éclat d
monde, comme s'il était l
tout contenu » et auquel
est pas tout à fait ains
monde ».
Si le soudain ne nous mène pas hors de la cave ombreuse du néant de la médiation
et vers l'absence libératrice du « silence du monde », il ne nous relègue pas pour
autant au monde de l'anonymat et de l'orgueil absolu que serait ce tableau de rêve
paraphé « Néant ». Nous en sommes, plutôt, à ce qu'en 1964 Bonnefoy indiquait
comme « le carrefour qui sépare deux formes de connaissance » et qui, dans le poèm
de Ce qui flit sans lumière intitulé « La branche », est nommé le carrefour de « tou
instant terrestre » (43). Avançons l'hypothèse qu'en 1987 ce carrefour n'est plus
seulement, comme il l'était en 1964, le lieu ou l'instant qui sépare ces « deux forme
de connaissance », mais aussi le lieu et l'instant de leur partage - jointure e
scission. Partage qui expliquera ou qu'expliqueront peut-être les deux dernières
strophes de « La rapidité des nuages ».
Après le tableau particulier mais particulièrement anonyme de la première
strophe, la deuxième débouche sur le souvenir personnel d'un rêve : « Dans mon rêv
d'hier/ Le grain d'autres années brûlait par flammes courtes / Sur le sol carrelé, mais
sans chaleur. / Nos pieds nus l' écartaient comme une eau limpide ». Cette deuxièm
strophe est composée de ces rêves « serrés / L'un contre l'autre et l'autre encore »
(16) qu'évoque le poème inaugural de Ce qui fut sans lumière, « Le souvenir »7. Cett
strophe est le souvenir d'un rêve d'un souvenir qui, lui aussi, n'aurait été qu'un rêve
Elle suppose aussi que nous soyons réellement sortis du cadre du néant de la première
strophe. Ou peut-être n'y a-t-il plus lieu de distinguer entre sortie réelle et sortie
onirique, puisqu'il y aurait une façon malheureuse et une façon bienheureuse de rêver e
que cette dernière ne se distingue pas d'une sortie réelle, comme l'affirment ces vers d
poème « Le haut du monde » : « Je sors. / Je rêve que je sors » (CQFSL 78).
Cependant, dans la deuxième strophe de « La rapidité des nuages », un temp
spécifique et personnel semble reprendre hors du temps sans temps du néant et d
l'éclat du soudain. Et le sujet semble se souvenir qu'il a rêvé « hier » ou, plutôt, se
souvenir du « rêve d'hier » - on hésite à dire si c'est hier qu'il a rêvé ou si cet hier
n'est pas lui aussi un rêve, un hier rêvé - pour reconnaître que ce rêve était lui-même
le souvenir rêvé d'un passé plus lointain, le souvenir rêvé du « grain d'autre
années » ; le souvenir rêvé d'un autre espoir et d'un autre vécu qui ne se voulait n
anonyme ni solitaire, mais un vécu en commun (« nos pieds nus »). Souvenir rêv
puisque cette strophe est le partage du souvenir et du rêve. Partage également évoqué
par ce « grain » que « nos pieds nus » peuvent écarter, mais qui peut tout aussi bien
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Le néant 121
se reformer au
« eau fermée »
déjà si vitale dan
ou joues-tu / En
70).
La deuxième strophe semble ainsi revenir à la question que pose « Le
souvenir » : « Que faire de tes dons, ô souvenir, // Sinon recommencer le plus
vieux rêve,/ Croire que je m'éveille?» (11). Rêve ou souvenir, qui, dans la
troisième strophe, s'avère nostalgie d'un temps révolu, nostalgie de cette communion
de deux corps dans un temps sans faille : « Ô mon amie, / Comme était faible la
distance entre nos corps ! / La lame de l'épée du temps qui rôde / Y eût cherché en
vain le lieu pour vaincre » : nostalgie, en effet, d'un temps sans cette faille qui
cherche à séparer ces corps, et sans la plaie ouverte par cette « lame de l'épée du
temps qui rôde », nostalgie aussi d'un temps où ferait défaut cette « faille » sur
laquelle marchait le captif héroïque et visionnaire, mais aussi anonyme et solitaire,
d' Anti-Platon (1947) : « Ainsi sur la faille du temps marche-t-il, éclairé par sa
blessure » (37). Qu'il s'agisse d'un rêve ou d'un souvenir, « la distance entre nos
corps » demeure « faible ». Qui dit « faible » ne dit néanmoins pas inexistant.
Cette distance eût été assez faible pour parer la blessure de la « lame de l'épée du
temps qui rôde ». Il semble aussi que ce ne sont que la « faille du temps » et sa
blessure qui puissent nous éclairer et parer l'espoir désespéré. Rêve ou souvenir, mais
plutôt souvenir rêvé si l'on est en état d'entendre l'éventualité de ce plus-que-parfait
du subjonctif : « La lame de l'épée du temps qui rôde I Y eût cherché en vain le lieu
pour vaincre ». Si cette « lame » eût cherché en vain, c'est qu'il n'y avait peut-être
pas lieu de chercher. La distance entre « nos corps » n'était pas seulement faible.
L'union, presque, de ces deux corps, comme celle de « nos deux pieds » dans le
« rêve d'hier », s'est faite dans ce lieu sans lieu qu'est l'eau limpide du souvenir rêvé.
Nous n'en sommes donc plus à ces vers, remarquables pour Blanchot, qui ouvrent
Dans le leurre du seuil : « Mais non, toujours / D'un déploiement de l'aile de
l'impossible / T'i t'éveilles, avec un cri, du lieu qui n'est qu'un rêve » (253), mais
plutôt à l'un des derniers vers de ce même recueil : « Aile de l'impossible reployée »
(332), quitte à taire ce cri et à acquiescer au rêve8. Il ne s'agirait donc plus dans « La
rapidité des nuages » d'une poésie où l'homme captif marche sur « la faille du
temps ... éclairé par sa blessure », ni d'une poésie de l'être- pour-la-mort, du cri et de
la griffe soudaine qui auraient pour but de nous jeter absolument hors du « lieu qui
n'est qu'un rêve »9. Plutôt, dans Ce qui fut sans lumière, ce cri et cette griffe soudaine
visent le rêve bienheureux. Ils cherchent à nous faire admettre que la captivité même
de l'homme est un rêve d'où il n'y a pas lieu de sortir.
Pour tâcher de comprendre cette inversion de l'espoir dans l'œuvre récente de
Bonnefoy, revenons à ces deux vers de la première strophe : « La griffe de la pluie
sur la vitre, soudain / Comme si le néant paraphait le monde ». Nous avons dit que
dans « La rapidité des nuages » il en allait de quelque chose de bien plus étrangement
inquiétant que du bruit de quelque pluie « cognant à la vitre » (Breton 31). Ce n'est
donc peut-être qu'à tort que j'ai insisté sur l'immédiateté de la vision dans la première
strophe. Et si les détails de ces premiers vers n'étaient que les fioritures du rêve ? En
effet, la description est telle qu'il semble s'agir d'un tableau rendu, de par sa
8. Blanchot cite ces premiers vers (1980: 200); il ne cite pourtant pas ce dernier vers: «Aile de
l'impossible reployée » : silence qui en dit très long et sur lequel il nous faudra un jour revenir.
9. Pour plus de détails sur le refus de Bonnefoy d'une poétique heideggerienne de l'être-pour-la-
mort du « je » poétique, voir Petterson 2000.
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122 James Petterson
Wellesley College
OUVRAGES CITÉS
Blanchot, Maurice. 1969. L'entretien infini. Paris : Gallimard.
Bonnefoy, Yves :
AP Anti-Platon. La Révolution la nuit, 2. 1946. Paris : Galerie Maeght,
1962.
CQFSL Ce qui fut sans lumière. Paris : Mercure de France, 1987.
1 L improbable. Pans : Mercure de France, 1959.
IRM L'improbable suivi de Un rêve fait à Nfantoue. Paris : Gallimard, 1980.
10. Stamelman 49. Pour la traduction intégrale en anglais de cet entretien, voir Naughton.
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Le néant 123
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