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Louis-Jean Calvet

Lia Varela

De l'analogique au digital. À propos de sociologie du langage


et/ou sociolinguistique et/ou linguistique
In: Langage et société, n°89, 1999. Ethnométhodologie et analyse conversationnelle. pp. 125-137.

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Calvet Louis-Jean, Varela Lia. De l'analogique au digital. À propos de sociologie du langage et/ou sociolinguistique et/ou
linguistique. In: Langage et société, n°89, 1999. Ethnométhodologie et analyse conversationnelle. pp. 125-137.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1999_num_89_1_2887
De l'analogique au digital

À propos de sociologie du langage

et/ou sociolinguistique et/ou linguistique

Dans un article récent*, Gabrielle Varro revenait sur ce qu'elle pré


sentait comme « toujours le même vieux débat », celui de la distinc
tion entre la sociolinguistique et la sociologie du langage. Nous lai
sserons de côté le prétexte de sa réflexion (deux ouvrages portant le
même titre, Sociolinguistique) pour n'en retenir que l'essentiel. Elle
voyait en effet dans le refus de certains linguistes d'abandonner la
sociologie du langage aux sociologues la trace d'une crainte des pre
miers de se voir envahir par les seconds, ou le refus d'un débat sur les
rapports à la fois entre langue et société et entre linguistique et socio
logie. Le choix exclusif de l'appellation sociolinguistique, l'évitement
de sociologie du langage, constitueraient ainsi une sorte d'exclusion
des sociologues, interdits de séjour sur le territoire de la langue qui
resterait réservé aux seuls linguistes.
Cette façon de poser le problème des rapports entre sociolinguis
tique et sociologie du langage, très marquée par la qualité de son
auteur (une sociologue qui travaille sur le langage), n'épuise pas le
sujet et, surtout, ne le prend pas à sa racine. Nous voudrions repartir
de la "généalogie" des deux syntagmes pour proposer ensuite un
autre regard sur ce débat.

Gabrielle Varro, « "Sociolinguistique" ou "sociologie du langage" ? Toujours le


même vieux débat ? À propos de deux ouvrages intitulés Sociolinguistique », Langage
et société, n° 88, juin 1999 : 91-97.

© Langage et société n° 89- septembre 1999


126 DÉBAT

I - Généalogie des deux termes


Lorsque Marcel Cohen publie en 1956 ses Matériaux pour une sociologie
du langage, il écrit dans son avant-propos: « D fallait tenir compte à la
fois de toutes les espèces de langages et de toutes les espèces de sociét
és, des actions des langages dans et sur la société, des manières dont
les sociétés agissent sur les langages » (tome 1 : 8). Pourquoi « toutes
les espèces de langages » et non pas « de langues »? Et que changerait-
on dans ce passage en remplaçant trois fois langage par langue ? Cohen
ne s'explique guère sur ce point et son avant-propos pourrait laisser
penser que les deux termes sont synonymes. Ce flou terminologique
est étonnant lorsqu'on se rappelle qu'à l'époque dominaient les dis
tinctions introduites par Ferdinand de Saussure entre langage, langue
et parole. Mais Cohen ne cite guère Saussure (qui n'apparaît que
quatre fois dans son livre, une fois en bibliographie et trois fois en
notes de bas de page). Sa longue collaboration avec Antoine Meillet
(qui est lui, cité vingt-cinq fois) en particulier pour la réalisation des
Langues du monde, ainsi que ses positions marxistes (membre du Parti
Communiste Français - Cohen collabore régulièrement à son organe,
l'Humanité) - laissent penser qu'il se situe face à Saussure sur les
mêmes positions critiques que Meillet. Mais quel sens donne-t-il donc
à langue et langage ? Il y a pour lui le langage, les langages et les langues,
sans que la différence entre langages et langues soit très claire. C'est bien
sûr le pluriel qui fait ici problème : on comprendrait une distinction
entre le langage et les langues, mais Cohen parle également des lan
gages. Traitant par exemple, sous le titre « Les compartimentages
sociaux et les variétés de langage », des langues dans la ville, il évoque
à la fois les villes macédoniennes « où des quartiers différents sont
occupés par des éléments de langue slave, grecque, turque, tsigane »,
ou les villes du monde arabe où « les juifs groupés dans un quartier à
part ont un parler arabe différent de celui de leurs voisins musul
mans» (1 : 131) ; toutes ces formes sont donc pour lui des langages, ce
qui reviendrait à dire que le choix de son titre, Matériaux pour une socio
logie du langage, ne fait pas pour lui de sens particulier, ou du moins ne
s'oppose pas à d'autres formulations possibles.
Quinze ans plus tard, dans son additif à l'avant-propos, rédigé
pour la réédition de l'ouvrage (1971) Cohen indique que le terme
DÉBAT 127

sodolinguistics s'est répandu aux USA, qu'il est passé en français,


c'est-à-dire qu'il prend acte de l'apparition d'une autre appellation,
soriolinguistique, et non pas d'une autre science ou d'une autre
approche. Il semble ignorer que le terme sodolinguistics est ancien,
remontant à la fin des années 30, et indique simplement qu' « acces
soirement » il « a reçu droit de cité en français ».
Les deux syntagmes qui nous retiennent sont donc nés l'un en
France et en français {sociologie du langage), l'autre aux Etats Unis et en
anglais {sodolinguistics), ils sont d'abord synonymes puis, ayant cha
cun été traduit vers l'autre langue {sociology of language, sociolinguist
ique), ils sont entrés en concurrence (on aurait pu imaginer que l'un
remplace l'autre, qu'il n'en reste qu'un seul). C'est-à-dire qu'ils n'ont
pas à l'origine été proposés de façon oppositive, comme un certain
nombre de couples (langue/ parole, synchronie /diachronie, syntag-
me/ paradigme, etc.) mais séparément, et qu'ils ont dû coexister.
Ainsi, lorsqu'en novembre 1966, Dell Hymes remet son rapport sur la
sociolinguistique au Social Science Research Council, il signale
qu'elle est enseignée sous les noms de linguistique, langue et culture,
sociolinguistique, sociologie du langage et comportement linguistique...
Cette coexistence, qui ne semble pas gêner outre mesure Marcel
Cohen, a mené d'autres auteurs à les différencier. Joshua Fishman
par exemple publie successivement Readings in the sociology of lan
guage (en 1968) et Sodolinguistics (en 1970) mais il s'arrêtera final
ement à la première formule pour nommer l'ensemble du domaine.
De nos jours cependant, la distinction le plus souvent proposée
entre les deux est radicale : la sociologie du langage serait un secteur
de la sociologie, la sociolinguistique un secteur de la linguistique (ou
une certaine linguistique, ou la linguistique). Mais on ne semble pas
s'interroger sur le fait de savoir si ce n'est pas la dualité lexicale qui
aurait créé cette dualité de territoires ou de sciences de rattachement,
si l'héritage des deux syntagmes (des deux signifiants) n'avait pas
poussé à leur donner des signifiés différents. C'est pourtant, nous
semble-t-il, ce qui s'est produit. Il s'est passé sensiblement la même
chose lorsque, face au couple politique/planification linguistiques (tr
aduction en français de l'anglais language policy et language planning),
les Québécois ont tenté d'imposer en français politique et aménagement
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linguistiques. Ce dernier terme aurait pu remplacer planification, ou


être remplacé par lui, mais les deux coexistent et certains ont
aujourd'hui tendance à distinguer entre politique/ planification/
aménagement. Au demeurant, et quelle que soit la façon dont les
appellations sociolinguistique et sociologie du langage sont apparues, le
débat sur les champs qu'elles désignent, sur les disciplines aux
quelles elles se rattachent et sur les appareils heuristiques qu'elles
impliquent reste légitime, et c'est à ces questions que nous voudrions
maintenant en venir.

2 - Le digital et l'analogique
La vogue dans les années 1950 et 1960 de la linguistique structurale,
discipline qui a servi un temps de modèle à d'autres sciences comme
l'anthropologie, l'ethnologie, la sociologie, voire une certaine psychan
alyse, tenait essentiellement au fait qu'elle donnait l'illusion que les
objets d'étude de ces sciences pouvaient être conçus comme des codes
digitaux. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, Claude Lévi-Strauss
importe-t-il vers sa science des catégories issues de la linguistique.
Dans un article publié dans la revue de linguistique Word en 1945 il
explique que dans l'ensemble des sciences sociales la linguistique
« occupe une place exceptionnelle : elle n'est pas une science sociale
comme les autres, mais celle qui, de loin, a accompli les plus grands
progrès ; la seule, sans doute, qui puisse revendiquer le nom de science
et qui soit parvenue, à la fois, à formuler une méthode positive et à
connaître la nature des faits soumis à son analyse » (Lévi-Strauss 1958 :
37). Lévi-Strauss consacre soixante-treize pages au thème "langage et
parenté". Le modèle structural emprunté à la linguistique apparaît
nettement dans sa description des villages bororo (Id., 1955 : 248 et
sv.), l'emprunt méthodologique est théorisé lorsqu'à propos des
interdits alimentaires il utilise les notions de "marqué/ non marqué"
(Id., 1962 : 134-136), etc. À l'origine de cet engouement est la phonol
ogie,qui ne pouvait vivre que sur l'hypothèse de l'existence d'un
code digital et sur l'idée que les sons du langage sont structurés par un
critère de pertinence, la fonction de communication, c'est-à-dire qu'ils
trouvent le principe de leur organisation à un autre niveau, celui du
sens. Si p et b sont des phonèmes différents en français, c'est parce que
DÉBAT 129

pain et bain, bas et pas, pont et bon, etc., ont des sens différents.
Apparaissait ainsi ce que nous appelerons la pensée digitale. L'éty-
mologie n'est pas ici indifférente. Un code digital, du latin digitus,
"doigt", est un code dont on peut compter les éléments, et la pensée
digitale vit sur le principe du dénombrement des unités constituant
l'objet d'étude (par exemple les phonèmes, chez Martinet comme chez
Chomsky) et sur la recherche des règles qui président à leur organi
sation. Ces unités sont donc, par nécessité, discontinues (discrètes,
digitales). Face à cette "pensée digitale" il en est une autre, que nous
dirons "analogique". Le premier sens de cet adjectif, le plus fréquent,
renvoie à la comparaison. Celui que nous lui donnons ici englobe le
précédent et l'élargit, prenant en compte la possibilité de calcul ana
logique avec des mesures physiques continues.
L'illustration la plus simple de cette distinction est celle d'une
montre, qui peut être analogique (des aiguilles tournent et nous indi
quent l'une les heures et l'autre les minutes, reproduisant dans leur
déplacement la continuité et la circularité du temps vécu) ou digita
le (le cadran affiche des chiffres, traduction digitale de ce temps
vécu). La perception de la différence entre la chaleur du corps et la
chaleur ambiante est un autre exemple de la même distinction. On
peut avoir chaud ou froid, dire qu'il fait chaud, qu'il fait froid, plus
ou moins chaud, très chaud, très froid, en se situant nettement du
côté d'une valeur continue, même si la langue nous impose ici une
traduction digitale (brûlant vs chaud vs tiède vs froid vs glacial, etc.).
Mais on peut aussi dire qu'il fait moins dix degrés Celsius, zéro
degré, dix ou vingt degrés, ou encore qu'il fait vingt-six degrés
Fahrenheit, trente-deux degrés, quarante-six ou soixante-six degrés
en se situant du côté d'un système digital ou d'un autre (Celsius vs
Fahrenheit). Nous passons ainsi de la chaleur à la température, d'une
valeur intensive à une valeur extensive. Le passage de l'analogique
au digital est ici brutal, il peut être plus progressif, comme dans
l'exemple des couleurs. Nous avons tout d'abord, du côté de l'ana
logique, la perception d'un spectre de longueurs d'ondes constituant
un continuum parfait, dans lequel on a effectué des divisions analo
giques (ici au sens le plus courant : "qui relèvent de la comparaison")
en rapprochant par exemple une "couleur" d'une autre expérience
130 DÉBAT

(c'est "vert" comme les feuilles, les herbes, etc.) pour en venir ensuite
à des oppositions digitales (qui peuvent changer d'une langue à
l'autre), en passant ainsi de façon plus progressive d'une valeur conti
nueà des valeurs discontinues.
Ces valeurs continues, ou analogiques, ont été maintenues hors du
champ de la linguistique puisque les unités de la langue constituent
par définition un filtrage digital de l'expérience. C'est à ce prix que la
linguistique pouvait se constituer en science, en s'inventant un objet la
langue, à partir de pratiques multiples qu'il lui fallait ramener à une
structure digitale. « La preuve du pudding, c'est qu'on le mange », écri
vait Friedrich Engels, la preuve des langues c'est qu'on les parle, pour
rions-nous dire, ou encore, en termes saussuriens, la preuve de la
langue c'est la parole. Mais ces pratiques, ces actes de paroles, peuvent
être observés à différents niveaux, à partir de différentes approches, de
la même façon que l'on peut avoir une vue globale d'un paysage, puis
que l'on peut focaliser sur un détail à l'aide de jumelles, et que l'on
peut ensuite se rapprocher de plus en plus et analyser un végétal ou un
échantillon minéral au microscope.
Si une certaine linguistique, la "linguistique consonne-voyelle",
en est restée à ce stade digital (paires lexicales chez Labov, niveaux de
langues chez Martinet...), la science a évolué vers d'autres horizons,
la sociolinguistique remettant dans un premier temps la linguistique
structurale à une place plus modeste. Puis le débat entre sociologie
du langage et sociolinguistique a posé les problèmes d'une façon
encore différente. Pour les uns, la sociologie du langage était l'affaire
des sociologues, la sociolinguistique, celle des linguistes ; pour
d'autres, la sociologie du langage étudiait la société en partant du
langage ou des langues, et la sociolinguistique recherchait les effets
de la société sur la langue et son évolution, pour d'autres encore
(comme Boutet, Fiala et Simonin-Grumbach 1976), la sociolinguis
tique travaillait sur la covariance tandis que la sociologie du langage
étudiait les pratiques langagières, etc. Dans tous les cas, nous avons
donc une division binaire d'abord lexicale qui a cherché ensuite à se
réaliser théoriquement ou disciplinairement.
Le point de vue adopté ici considère ce dernier débat comme mal
posé, et nous partirons d'une autre approche. Les pratiques à partir
DÉBAT 131

desquelles a été "inventée" la langue peuvent être approchées de dif


férents points de vue qui s'échelonnent sur un continuum (une foca
le variable, un zoom) allant de l'analogique au digital, c'est-à-dire à
partir d'analyses qui vont du flou au net. Ces couples (digital /ana
logique, net/ flou) ne sont que des pôles entre lesquels différentes
approches, plus ou moins floues, plus ou moins nettes, sont poss
ibles. Les Mythologies ou les Essais critiques de Roland Barthes par
exemple sont évidemment du côté de l'analogique, mais lorsque le
même Barthes tente (dans Le mythe aujourdlmi, dans les Eléments de
sémiologie et plus encore dans Système de la mode) de théoriser sa pra
tique en construisant un appareil heuristique, il se rapproche du digit
al.De la même façon, lorsque Georges Mounin défend la sémiologie
de la communication, qu'il oppose à la sémiologie de la signification
que pratiquerait Barthes, il se situe lui aussi dans l'opposition entre
digital et analogique en choisissant le pôle digital : nous n'avons pas
ici un réel conflit théorique mais un conflit de positionnement dans
ce continuum, l'une des parties se limitant au pôle digital (par idéo
logie scientiste ou pour toute autre raison) et l'autre revendiquant le
droit d'embrasser l'ensemble.
Un bon exemple de ces différences de positionnement pourrait être
le traitement du code de la route qu'ont donné Prieto (1968), Mounin
(1970) et Barthes (1967). Le premier, dans l'article « Sémiologie » de
l'encyclopédie de la Pléiade, Le Langage, part de la distinction clas
sique entre signal et indice. Le code de la route utilise des signaux
dans lesquels, par commutation, on peut dégager des traits pertinents.
Georges Mounin projette sur le même ensemble le schéma classique
de la communication : il voit dans le code de la route un émetteur (le
législateur, la police, etc.), des récepteurs (piétons, automobilistes,
cyclistes, etc.) des messages « constitués d'unités stables, séparables,
opposables les unes aux autres, dotées d'un signifiant et d'un signi
fié » (Mounin, 1970 : 155). Le code est pour lui constitué des sous-
ensembles (les panneaux, les feux, les gestes...) que l'on peut organi
ser (forme des panneaux, couleur, etc.) en un certain nombre d'unités
discrètes. Dans les deux cas, nous sommes dans le cadre de la "sémiol
ogie des linguistes" (Mounin 1970 : 11) pour laquelle il faut toujours
se poser deux questions : « y a-t-il intention de communication ? » et
132 DÉBAT

« comment prouver qu'il y a intention de communication ? » (p. 14-


15) : on ne peut pas être plus digital. Roland Barthes (1967) reconnaît
dans les feux (rouge, orange, vert) du code de la route un code « non-
linguistique, composé de signifiants visuels », que l'on peut à la
rigueur acquérir par expérience directe, en voyant par exemple les
voitures s'arrêter au rouge et démarrer au vert. Mais il ajoute imméd
iatement que si ce savoir est dû au moniteur d'auto-école (ce qui est
le cas le plus fréquent), qui nous enseigne qu'il faut s'arrêter au feu
rouge et dont la parole « vient relayer le code réel », nous sommes
confrontés à deux codes (code réel, code parlé) et qu'en outre la
parole du moniteur n'est pas neutre, qu'elle ne dit pas simplement
que le rouge est le système de l'arrêt, elle dit aussi le "rôle" du monit
eur(p. 41-42). Il y a donc pour lui un enchâssement de significations
qui vont de la "phraséologie du moniteur" (le système rhétorique) au
"code routier réel" en passant par le système terminologique ("le
rouge est le signal de l'interdiction"). On voit que l'approche de
Mounin ou de Prieto est ramenée par l'approche de Barthes à un sta
tut comparable à celui de la linguistique face à la sociologie du lan
gage et la sociolinguistique. La première se situe uniquement du côté
des signes ou des signaux (du digital, du discret), la seconde part des
indices, de l'analogique, pour aller vers les signes, vers le digital.
Ceci nous mènerait alors à reconsidérer les hésitations terminolo
giques que nous soulignions plus haut chez Marcel Cohen et à les
interpréter de la façon suivante : les langages seraient chez lui du côté
de ce que nous avons appelé l'analogique et les langues du côté du
digital.
Nous pourrions donc résumer tout ceci par une série de continuums
parallèles :
Analogique digital
Flou net
Langage (s) langue
Indice signal
Signification communication
Sociologie du langage ... sociolinguistique... linguistique etc.
au sein desquels, par un effet de zoom, l'analyse peut évoluer de la
gauche vers la droite, de l'analogique vers le digital, du flou vers le
DÉBAT 133

net, de la signification vers la communication, etc. Pour revenir au


thème de cet article, cette variation de focale implique donc que la
sociologie du langage englobe la sociolinguistique qui englobe elle-
même la linguistique, comme le suggère la dernière ligne du tableau.

3 - Du flou au net : focalisation sur Dakar (Sénégal)


Ce qui précède permettrait de postuler une sémiologie des langues,
c'est-à-dire la science des langues au sein de la vie sociale (pour
démarquer la définition de Saussure pour qui la sémiologie étudiait
« la vie des signes au sein de la vie sociale », CLG : 33), qui irait de la
"signification" à la "communication", même si nous n'avons pas
intérêt à multiplier les appellations et si le terme linguistique pourrait
suffire, quitte à distinguer une tendance linguistique digitale et une
tendance linguistique analogique. Il nous paraît plus important
d'illustrer par des analyses concrètes l'effet de zoom auquel nous
avons fait allusion, le passage de l'analogique au digital, du flou au
net, la focalisation. Nous allons nous y essayer à propos d'un
exemple rapide, celui de la capitale du Sénégal, Dakar, qui a été plu
sieurs fois étudiée (y compris par l'un des auteurs de ces lignes) .
La situation de la ville, situation politique (capitale d'un État post
colonial), démographique (importance des migrations de la cam
pagne vers la ville), linguistique (plurilinguisme, existence d'une
langue officielle exogène, le français, d'une langue véhiculaire endo
gène, le wolof), langagière (les discours sur les langues, la politique
linguistique de l'État, celle de la France, etc.), nous donne un premier
ensemble d'informations. Nous avons d'abord une perception de la
ville, de son organisation, de son plurilinguisme, dont nous nous
donnons ensuite une représentation (dans les termes par exemple de
la sociologie du langage) qui constitue un premier pas vers le digital.
Le plan de la ville, la répartition des quartiers par rapport au "pla
teau", ancien lieu de résidence des colons et lieu actuel de résidence
des élites locales et expatriées, est typique d'une capitale d'un pays
anciennement colonisé, comparable à celui d'Abidjan (Côte-d'Ivoire)
ou de Brazzaville (Congo). En se déplaçant dans la ville et en obser
vantl'environnement graphique (Calvet 1992, 1994, Dumont 1998)
on a une image de la répartition géographique et sociale de l'usage
134 DÉBAT

écrit du français et du wolof, de l'usage des alphabets latin et arabe.


L'étude du nom des différents quartiers nous montre en même temps
l'existence de deux paradigmes, l'un, fermé, de noms wolofe tradi
tionnels, l'autre, ouvert très productif, dans lequel on baptise en fran
çais la plupart des nouveaux quartiers (Thiam 1998). Il s'en dégage,
écrit Thiam, « un idée générale qui associe "riche" à habitat modern
e, français et modernité, "pauvre" à quartier traditionnel, wolof et
traditionnalité » (p. 132-133).
Une autre approche est constituée par l'étude de la répartition
sociale des usages - les langues des marchés (Calvet 1994), la trans
mission des langues, la véhicularité (Calvet-Dreyfus 1992), etc., qui se
déplace vers le centre du continuum entre analogique et digital - et
que l'on peut baptiser sociolinguistique. Elle nous montre la force véhi-
culaire du wolof, première langue des marchés, suivie dans cette fonc
tion par le peul et le français, mais statistiquement beaucoup moins
utilisés : 70% des interactions en wolof sur le marché de Sandaga, au
centre de la ville, 18% en peul, 6% en français et 6% en mélange fran
çais /wolof. Elle nous montre aussi que le bilinguisme familial
(lorsque le père et la mère n'ont pas la même première langue) favo
rise le wolof, que la langue de la rue pénètre donc le foyer, même
lorsque certaines "politiques linguistiques familiales" tentent d'assu
rer la transmission des langues grégaires (Calvet-Dreyfus 1992).
Enfin, l'étude de la forme locale du français, de la créativité lexi
cale (Blonde et al. 1979) ou du wolof (Thiam 1990, 1998) nous mène
vers le digital (le "purement" linguistique). Nous voyons par exemple
une opposition de plus en plus marquée entre wolof urbain et wolof
rural qui se manifeste dans le premier par une réduction notable du
système de classes nominales, une seule marque du singulier (la
marque B) tendant à s'imposer sur les sept autres. Et cette restructu
ration du système des classes nominales, associée au taux croissant
d'urbanisation, nous donne à voir une bonne image de l'avenir for
mel de la langue. Mais ces changements de focale ne constituent pas
vraiment des palliers digitaux (sociologie du langage/ sociolinguis
tique/ linguistique) car ce que nous avons décrit du côté de l'analo
giquepèse sur ce que nous avons trouvé au terme d'une analyse digi
tale : la simplification des classes nominales du wolof par exemple
DÉBAT 135

(fait "linguistique") est un produit de sa véhicularisation (fait "socio-


linguistique") qui elle-même est le produit de la situation de la ville,
des migrations, de la nécessité d'une langue véhiculaire d'intégration
(fait "sociologique"). De la même façon, la mauvaise transmission en
famille des langues autres que le wolof est le produit du statut véhi
culaire de cette dernière langue, les appellations des quartiers relè
vent des représentations en même temps qu'elles les nourrissent, etc.

Conclusion
La dictature du digital qui a marqué l'irruption de la linguistique
dans les sciences sociales nous semble avoir eu des effets pervers au
bout du compte plus importants que ses effets positifs. Réduisant la
communication sociale à la seule utilisation de langues, de codes, les
études en ont donné une image appauvrie, limitée. Sans doute était-ce
le prix que la linguistique devait payer pour se constituer en science,
une voie de passage obligé. Mais, le dogmatisme aidant, cette voie
de passage a été transformée en une fin en soi, en but ultime.
Nous avons tenté de montrer que les choses étaient plus compli
quéeset que la déperdition produite par la seule approche digitale
était importante. L'idée de zoom, de focale variable, passant pro
gressivement d'une approche analogique à une approche digitale, ou
du flou au net, nous a permis de postuler une complémentarité de
postures généralement présentées comme inconciliables. On aura
compris qu'il n'y a pour nous aucune nuance dépréciative dans
l'adjectif flou, aucune nuance meliorative dans l'adjectif net Flou ne
signifie pas "imprécis" pas plus que net ne signifie "précis", ils peu
vent même signifier le contraire : une lecture analogique peut être
infiniment plus précise qu'une lecture digitale. Une montre digitale,
par exemple, a une précision limitée par l'échantillonnage du temps
utilisé (la seconde, ou le dixième de seconde, ou le centième de
seconde) tandis qu'une montre analogique a une précision infinie,
à condition qu'on puisse la lire (avec une forte loupe ou tout autre
système grossissant).
De ce point de vue, le concept "langue" peut paraître plus "pré
cis"que le concept "langage", pour la simple raison qu'il est le pro
duit d'une pensée digitale, mais en même temps les informations que
136 DÉBAT

l'observation des langues nous permet d'extraire sont beaucoup


moins complexes que celles que nous extrayons de l'observation des
langages. C'est en ce sens que l'approche digitale s'accompagne,
nous l'avons dit, d'une perte importante d'information, et que
l'approche analogique est plus riche, même si elle pose plus de pro
blèmes heuristiques. Et ce regard nouveau sur un vieux débat cette
façon de situer la question sociolinguistique et/ ou sociologie du lan
gage dans un cadre plus vaste, intégrant la linguistique "pure", celui
du passage de l'analogique au digital, a pour nous l'avantage de la
cohérence et de l'élégance, ce qui ne fait jamais de mal.

Louis-Jean Calvet
louis-jean.calvet@wanadoo. fr
Lia Varela
Université de Buenos Aires

Références bibliographiques

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THIAM Ndiassé (1990) - « L'évolution du wolof véhiculaire en milieu urbain


sénégalais : le contexte dakarois », Plurilinguismes n°2.
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