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REVUE PROJET - MONDE

Kamerun! Une guerre cachée


aux origines de la Françafrique
(1948-1971)
Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa - La
Découverte, 2011, 741 p., 25 €

Alors que la France s’apprête à commémorer les cinquante ans de la fin de la guerre


d’Algérie, ravivant une mémoire encore douloureuse et conflictuelle, il est d’autres
pans de l’histoire des décolonisations qui semblent ne pas même devoir être évoqués.
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C’est le grand mérite de Kamerun ! que de dévoiler un épisode complétement passé
sous silence par l’historiographie officielle. On dit les indépendances africaines
paisibles. Or ce livre nous plonge dans les méandres des guerres menées ou
soutenues par la France au Cameroun, de 1955 à 1971, faisant plusieurs dizaines de
milliers de morts : la première contre le mouvement nationaliste, avant
l’indépendance, une autre, pendant dix ans, en soutien à un régime lige installé au
pouvoir à l’orée des années 1960. Au centre de ces conflits se trouvent l’Union des
populations du Cameroun (UPC), son leader Ruben Um Nyobè, sa quête acharnée de
la liberté et son refus de toute compromission.

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L’ouvrage comporte quatre parties particulièrement documentées . La première
analyse l’émergence du mouvement nationaliste et les débuts de la répression. La
deuxième – « Feu sur l’UPC (1955-1958) » – décrit les stratégies déployées par l’armée
coloniale qui, comme en Algérie, applique la doctrine de la « guerre révolutionnaire »,
recourant à la torture et à la répression des civils pour marquer les esprits.
L’affrontement est le signe de l’échec de l’administration coloniale, qui n’a pas réussi à
contrer la montée de l’UPC. Um Nyobè est éliminé en 1958, mais non les capacités de
résistance des nationalistes, qui recueillent l’adhésion d’une grande partie de la
population. L’ombre d’Um a plané sur les combats menés par l’armée nationale de
libération du Kamerun (ANLK), qui se battait encore un an avant l’indépendance. La

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lutte s’internationalise alors et dépasse les clivages ethniques. La troisième partie


explique comment, en 1959-1960, la France va conduire le Cameroun « vers une
indépendance dont elle a elle-même dessiné les contours ». La quatrième montre
qu’une « résistance camerounaise » marquée par des dissensions se déploie par-delà
les frontières. Les nationalistes n’ont pas obtenu l’indépendance qu’ils souhaitaient,
mais ils ont gagné la bataille des idées. Le pouvoir, soutenu par la France, poursuit une
répression qui aura raison d’une rébellion tendant à se réduire, au milieu des années
1960, « à la seule région de l’Ouest » peuplée par les Bamilékés. La répression politique
se double d’une répression ethnique, alors que le président camerounais est engagé
dans un chantier d’unité nationale. S’appuyant sur l’armée, une police secrète et le
parti unique, il enracine une dictature. La contestation nationaliste s’achève
symboliquement en 1971, avec l’exécution d’Ernest Ouandié, un de ses leaders.

Le lecteur est troublé par la gestion de ces événements. Les journalistes français se
sont illustrés par leur silence ou alignés sur la version officielle. Il faudra la
persévérance de l’éditeur François Maspero pour faire lever, en 1977, la censure
décidée en 1972 par Paris à l’encontre du livre Main basse sur le Cameroun de Mongo
Beti, qui brisait l’omerta sur ce pan d’histoire. Comment ne pas mentionner aussi
l’attitude de l’Onu? Alors que la France violait le droit international en ignorant les
termes de sa tutelle sur le Cameroun, l’Onu a été incapable de les faire respecter.
Malgré les appels répétés des nationalistes, seuls des Français ont été auditionnés par
le conseil de tutelle des Nations unies, au plus fort de la répression.

Certaines parties décevront les observateurs avertis : ainsi, les auteurs ne permettent
guère de trancher le débat sur les responsabilités dans les émeutes de 1955, un
tournant décisif dans la lutte contre l’UPC. Ils auraient aussi pu expliciter davantage les
responsabilités propres des Camerounais. Mais en donnant la version des « vaincus »,
cet ouvrage n’en est pas moins, à la suite d’historiens camerounais comme Achille
Mbembe, une contribution majeure à la « nouvelle historiographie africaine ». À partir
de très riches sources écrites et de nombreux témoignages d’acteurs directs et
indirects, ce pavé de plus de 700 pages – qui reste digeste grâce à un style alerte – livre
des informations inédites. Les autorités camerounaises et françaises accepteront-elles
de déclassifier toutes les sources? Beaucoup d’acteurs n’ont pas encore livré leurs
secrets. Espérons que cet ouvrage les aidera à franchir le pas.

Reste que cette histoire est aux racines du néocolonialisme dans lequel se trouvent
enserrés les Camerounais depuis leur indépendance. Et qu’elle reste reniée et
méconnue en France et peu valorisée au Cameroun, où les leaders nationalistes sont
toujours ostracisés.

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1 / . Le titre fait référence au pied de nez fait aux Français par les nationalistes camerounais, qui choisissent le
nom que le protectorat allemand, leur ennemi héréditaire, avait donné au pays en 1884, avant son partage entre
la France et le Royaume-Uni, de 1916 à l’indépendance de 1960.
2 / . Vous pouvez retrouver une partie de ces documents ainsi que des extraits du livre sur le site : www.kamerun-
lesite.com/ .

Zobel Behalal et Jean Merckaert


20 April 2011

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