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Communications

Le point de vue
Jacques Aumont

Citer ce document / Cite this document :

Aumont Jacques. Le point de vue. In: Communications, 38, 1983. Enonciation et cinéma. pp. 3-29;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1983.1566

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1983_num_38_1_1566

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Jacques Aumont

Le point de vue

Le propre du tableau Quattrocento est de s'organiser autour d'un


point, rarement matérialisé dans la peinture, où convergent les lignes
qui représentent des droites perpendiculaires au plan du tableau. Image
du point à l'infini de cette famille de droites, le point de fuite principal
est aussi défini, géométriquement, comme marque de la position de l'œil
du peintre. Ainsi la perspectiva artificialis conjoint-elle l'image de
l'infini à celle de l'homme, et c'est de ce nœud ombilical que s'organise
la représentation.
Par une remarquable métonymie, ce point géométrique est aussi
appelé, parfois, du même nom que l'emplacement de l'œil du peintre : le
point de vue. Une bonne partie de l'histoire de la peinture, telle qu'elle
s'est écrite depuis cent ans, a visé dès lors à suivre les avatars de ce
« point de vue » : élaboration, lente et hésitante, des règles techniques de
la perspective à centre ; évidence du marquage « humaniste » de ces
données techniques, et de la référence du tableau à un regard qui le
constitue (regard du peintre, auquel celui du spectateur doit topologi-
quement se substituer) ; dissolution de l'un et de l'autre vers le tournant
du siècle.
L'essentiel, dans cette période de l'histoire de la représentation, c'est
donc l'indéfectible solidarité entre le tableau et le spectateur, et plus
précisément, la symétrie entre eux, cet impossible croisement de regards
entre le spectateur et le peintre dont la description, aujourd'hui
classique, se trouve chez Foucault et chez Lacan. Il n'est pas
indifférent de rappeler que, dans la langue française « classique », jusqu'au
XVIIIe siècle disons, l'expression « point de vue » désignait aussi, et très
logiquement, l'endroit où l'on doit placer un objet pour le rendre mieux
visible. Admirable ambiguïté de la langue, qui entérinait la
fondamentale dualité regardant/regardé.

Dans son dispositif même, la photographie a « absorbé » tous ces


points de vue-là. Comme la peinture, la représentation photographique
suppose le choix d'un emplacement de l'œil preneur de vue, la fixation
aussi d'un bon placement de l'objet vu x ; par ailleurs, l'objectif est très
généralement construit de manière à produire automatiquement une
image à point de fuite central. Aussi le cinéma, par le biais de l'image
Jacques Aumont

photographique, est-il hanté par la métaphore du regard, du point de


vue, dans la façon même dont il traite le matériau visuel.

Ce n'est pas tout. En même temps que la peinture apprenait à


maîtriser les effets de cette représentation centrée, la littérature
découvrait peu à peu des phénomènes analogues, et en particulier la
complexité des rapports entre des événements, des lieux, des situations,
des personnages et, d'autre part, le « regard » que porte sur eux
l'instance narratrice ; la littérature moderne est une littérature du point
de vue, de plus en plus obsédée par un départage difficile entre ce qui
relève de Fauteur et s'avoue comme tel, et ce qui sera attribué aux
personnages.
Pour une large part, c'est cette période littéraire qui définit le cinéma
« classique », comme l'héritier d'un système narratif qui a peut-être
culminé au siècle dernier, et qui a posé dans toute leur netteté les
questions du narrateur, de son regard, et de son incarnation sous les
espèces de l'auteur et du personnage.
Ce qui, du cinématographe (ou du kinétoscope) a fait le cinéma, c'est
pour l'essentiel ce souci de l'agencement, de l'ajustement entre instances
narratives concurrentes, entre des points de vue sur l'événement. Dans
l'histoire de la représentation filmique, le premier événement capital a
été sans conteste la reconnaissance du potentiel narratif de l'image, par
le biais de son assimilation à un regard. On sait du reste comment la
période classique du cinéma a hypostasié ce regard, versant personnage
comme versant auteur2.

Une double ligne de partage se dessine ainsi, distinguant d'une part


entre la figuration directe (dans l'image) ou indirecte (dans le récit) d'un
point de vue — et d'autre part répartissant ces points de vue entre les
trois places d'où ça regarde : le personnage, l'auteur, le spectateur qui
les regarde tous deux, et se regarde regarder 3.
Il faut enfin y ajouter ceci, qui n'est pas vrai de la seule langue
française, que l'expression point de vue prête encore à extension
métaphorique : c'est une opinion, un jugement, dépendant du jour sous
lequel on considère les choses, du point de vue (au sens littéral) adopté
sur elles, et qui informe largement l'organisation même de la narration
et de la représentation. Nul point de vue aux trois ou quatre sens
précédents qui ne soit pris à cause de ce point de vue-là.

Résumons cet éventail des significations de la banale locution « point


de vue », en essayant de les spécifier un peu par rapport au cinéma :
1. C'est d'abord le point, l'emplacement depuis lequel on regarde :
donc, l'emplacement de la caméra relativement à l'objet regardé. Le
cinéma apprit très tôt 4 à le multiplier, par le changement et
l'enchaînement de plans, et à le démultiplier, par le mouvement d'appareil. La
Le point de vue

première caractéristique du cinéma de fiction est d'offrir un point de vue


multiple et variable.
2. Corrélativement, c'est la vue elle-même, en tant que prise depuis
un certain point de vue : le film est image, organisée par le jeu de la
perspective centrée. Le problème majeur est ici celui du cadre, plus
précisément de la contradiction entre l'effet de surface (occupation
plastique de la surface du cadre) et l'illusion de profondeur °.
3. Ce point de vue2 est lui-même constamment référé au point de vue
narratif ; le cadre, par exemple, est toujours peu ou prou, dans le cinéma
narratif, représentation d'un regard, celui de l'auteur ou celui du
personnage 6, là encore, l'histoire du cinéma narratif est celle de
l'acquisition et de la fixation des règles de correspondance entre un
PDVi, le PDV2 qui en résulte, et ce point de vue narratif.
4. Le tout, enfin, est surdéterminé par une attitude mentale
(intellectuelle, morale, politique, etc.) qui traduit le jugement du narrateur sur
l'événement. Ce point de vue4 (nous le dirons « prédicatif » ) informe
évidemment, avant tout, la fiction elle-même, (jugements de l'« auteur »
sur ses personnages, etc., qui font le plus clair de la critique ordinaire des
films), mais je m'y intéresserai ici uniquement dans la mesure où il est
susceptible d'avoir également des conséquences sur le travail de
représentation, et de modeler le représentant filmique (pour ne pas
parler tout de suite de signifiant).

Résumons enfin, parce qu'ils ne cessent de peser, les antécédents


historiques de cette notion-valise de point de vue. Je l'ai déjà suggéré,
l'histoire de la peinture du XVe au XXe siècle est celle de la régulation, puis
de la mobilisation du point de vue : de son institution à son excentre-
ment dans le baroque, à sa dilution chez les paysagistes du XIXe et dans
l'impressionisme, à sa multiplication et sa perte dans le cubisme
« analytique » — et c'est à ce point que le cinéma reprend les choses.
Ne donnons qu'un exemple, celui de Degas, définissant le travail du
peintre (ou du sculpteur, voir ses géniales statuettes d'« Études des
mouvements du cheval ») comme une saisie du moment, « de la fraction
de durée qui contient en elle la suggestion du mouvement entier »
(Cohen, p. 28) : soit une conception de la peinture comme une sorte
d'instantané (Degas, on le sait, était aussi 'photographe). Mais en même
temps, nuls tableaux ne sont davantage composés que ceux de Degas,
davantage montés comme dit Eisenstein, et non pas tant en vue de
l'enregistrement d'un mouvement que de l'expression d'un sentiment,
d'un sens, d'un effet plastique. Ce double statut du cadre qu'exhibe
Degas — celui, innocent, de l'instantané tranchant dans le réel, celui,
composé et saturé de sens, de l'image montée — traduit dans la peinture
même, Bazin l'avait bien vu 7, l'opposition photo-cinéma, en ce que le
cinéma est un art du point de vue instantané mais multiple.
D'autre part, je l'ai déjà rappelé, le XIXe siècle et le début du XXe voient
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les avant-gardes littéraires se soucier, entre autres, d'exposer à Tinté-


rieur même de la fiction le procès narratif, par exemple en y insérant,
comme James ou Proust, un personnage-narrateur « self-conscious »,
ou, comme Conrad, un « réflecteur central ». Ainsi le cinéma narratif
apparaît-il précisément au moment où la littérature fait l'expérience de
l'exposition, de la diversification et de la mobilisation du point de vue
narratif. Les emprunts du cinéma narratif à ces modèles littéraires sont
d'ailleurs bien loin d'avoir suivi un chemin linéaire ; on a plutôt
l'impression que c'est en redécouvrant, par ses voies propres, la
problématique du personnage et du point de vue, que le cinéma a pu
devenir, dans sa période « classique », la relève du roman XIXe.
(Entretemps, l'expérimentalisme qui marque le cinéma européen des années
vingt avait nourri, par un courant inverse, de nouvelles générations
d'écrivains, de Joyce à Dos Passos 8.)
Le cinéma, en tant qu'art de la représentation — c'est-à-dire
précisément à partir du moment où il se dégage du spectacle, forain ou
sédentaire, pour devenir art — , est pris à cette double ou triple histoire :
peinture, photo, littérature.
(On s'étonnera peut-être de ne pas trouver ici mention du théâtre :
c'est que, la suite de ce texte le précisera, le point de vue au cinéma n'a
guère à voir avec un « point de vue » théâtral qui est plutôt question
d'architecture, et que, d'autre part, l'histoire de la forme filmique — je
ne dis pas l'histoire du cinéma — n'a pratiquement rien à voir avec celle
du théâtre 9.)

La question du point de vue, on le voit, est donc tout sauf une


question ; elle circonscrit plutôt l'espace d'un nœud de problèmes, qui
sont ceux, centraux, de toute théorie du cinéma prenant en
considération la double nature, narrative et représentative, du film. Encore nous
sommes-nous limité à la gamme des points de vue du producteur, sans
chercher à évaluer comment chacun d'eux entraîne, ou vise à entraîner,
l'adoption symétrique de positions de vision et de lecture déterminées
chez le spectateur (cette question du spectateur fera évidemment retour,
plus ou moins brutalement, dans la suite).
Mon problème, dans ces notes, n'est pas de proposer un modèle
général et abstrait qui viserait à dénouer théoriquement ce nœud ; en
aurais-je d'ailleurs la tentation, que j'en serais dissuadé par l'état de
balbutiement absolu où en sont dans ce domaine toutes les études, y
compris lorsqu'elles sont menées par des chercheurs dont le bagage
linguistique et logique est bien supérieur au mien : aussi bien suis-je
convaincu de l'impossibilité (peut-être provisoire) de construire un
modèle transhistorique du « langage cinématographique ».
Mon but est donc seulement de mettre en évidence, sur quelques
exemples, la dualité fondamentale dans le film, entre les paramètres de
la représentation et de la narration, à propos de la notion de point de
Le point de vue

vue. Cette dualité est très généralement résorbée dans le discours sur le
cinéma, sous le prétexte implicite que le film, étant dans sa conception
habituelle une histoire racontée par l'image (et le son), on rend
suffisamment compte des phénomènes de représentation en les référant
à l'histoire, ou au mieux au récit.

Exemple. Dans Cet obscur objet du désir (1977), un seul personnage


de femme est incarné par deux actrices différentes, de façon
suffisamment complexe pour que le principe qui règle leur substitution ne soit
pas apparent ; or, sans parler même des nombreux spectateurs qui ne
se sont aperçus de rien, je crois que personne n'a été sérieusement
empêché de prendre le film comme un récit normal — ou du moins
dont l'anormalité (le fameux « surréalisme » bufiuelien) est ailleurs.
Autre exemple. Les films « primitifs » se présentent souvent comme
une série de tableaux « décousus », ce qui rend pour nous leur
fonctionnement narratif difficile ; or, dans leur exploitation normale,
ces films étaient accompagnés par un commentateur, qui non
seulement comblait les ellipses du récit, mais encore qualifiait d'un mot, si
nécessaire, le lieu représenté, évitant ainsi qu'on ne confondît le
repaire des brigands et le palais du roi 10.

Ces deux exemples (et cent autres aussi faciles à trouver) pour
souligner, simplement, le privilège spontanément accordé par
l'institution cinématographique au narratif sur le représentatif. Privilège dont
on trouverait la confirmation, apparemment sur le même mode de la
spontanéité et de l'évidence, jusque dans la réflexion théorique et
analytique récente. Il n'y a qu'à relire la plupart des analyses ( «
textuelles » ou non) publiées, pour se convaincre que presque toutes, et
indépendamment de leur qualité, se concentrent de façon «
déséquilibrée » sur l'analyse de l'histoire, au détriment de la réflexion sur le
niveau figuratif et représentatif, qu'on ne convoque que lorsqu'il
apporte de l'eau au moulin narratologique n. Quant aux théoriciens, les
notions proposées récemment de « texte filmique » (Casetti), de «
dynamique communicative » (Colin), voire, et paradoxalement, d'analyse
« paramétrique » (Chateau), ont pour commune caractéristique de ne
retenir de l'image, et par définition, que son pouvoir narratif (fût-il
dysnarratif ) .

D'autre part, cette grande concurrence (ou collaboration) entre


narration et représentation se redouble et se recouvre d'une autre :
l'opposition entre tous ces points de vue partiels (représentatifs et
narratifs), qui sont essentiellement de l'ordre de l'imaginaire — et ce
« point de vue » que nous avons numéroté « 4 », qui se traduit par une
tentative d'inscription du sens dans les films, tentative dans laquelle le
registre du symbolique se voit mobilisé.
Bien des constituants du récit et de l'image (auditive aussi bien)
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prêtent à ce codage qui en fait l'expression d'un point de vue. Toutes les
valeurs plastiques, tous les paramètres iconiques, bien des éléments de la
narration peuvent être investis de cette valeur de signification — de
l'inclinaison de la caméra à la couleur, du typage de l'acteur à la prise en
compte par le film d'un gestus social.
Je l'ai dit déjà : je ne saurais viser à proposer un modèle, une solution
générale de ces problèmes. Reste donc possible d'en rendre compte en
référence à l'histoire (histoire des films et, plus largement, histoire de la
représentation). Naturellement, les dimensions de ces notes n'autorisent
nulle prétention à un vrai travail historique, et ma démarche met à
contribution une supposée histoire du cinéma dont, nous l'apercevons
chaque jour, il n'existe guère que des approximations 12. Ce qui suit se
présente donc comme une série de ponctions, plus ou moins arbitraires,
dans le vaste corpus des films et des théories qui les accompagnent — , à
seule fin de cerner les rapports, permanents et variables, de ces « points
de vue ».

Relisons (dans le livre magistral de Deslandes, par exemple) les


premières annonces pour les séances du cinématographe Lumière (ou de
ses concurrents) : les films y sont des « photographies animées », des
« scènes animées », des « tableaux animés » ou, tout simplement et le
plus souvent, des « vues » . Comment mieux dire ? Le film a d'abord été
une image, un point de vuei, celui de la caméra produisant un point de
vue2, incarné dans un cadrage.
Mieux encore : avant même la séance au Salon indien du Grand Café,
Edison avait construit dès 1894, sur son terrain de West Orange, la
fameuse « Black Maria », studio à ciel ouvert où les vues venaient au
kinétoscope avant que celui-ci n'allât à elles. Le « tableau animé » y
était enregistré, dans un cadrage toujours identique et toujours frontal
(la caméra était fixée une fois pour toutes), sur un fond de papier
goudronné. Deux ans plus tard (1896), un transfuge de chez Edison,
Dickson, faisait construire, sur un toit d'immeuble de Broadway, le
studio de PAmerican Mutoscope Cie, la future Biograph. En plein air lui
aussi, il comportait un perfectionnement : la caméra, enfermée dans une
lourde cabine, pouvait se déplacer sur des rails perpendiculaires à la
scène, autorisant ainsi le changement de cadrage entre deux plans (et
même, le travelling avant, bien qu'il ne semble pas que cette possibilité
ait été à l'époque utilisée) 13.
Pendant quelque temps, réaliser un film, c'était donc poser la caméra
quelque part, et cadrer.
La suite est connue : elle consiste essentiellement en une
mobilisation de ce cadre. On a même souligné depuis longtemps que cette
mobilisation s'est effectuée, de façon privilégiée, bien davantage à partir
de l'invention du montage que par l'emploi de mouvements
d'appareil 14. On peut, de ce semi-paradoxe, donner un exemple tranchant,

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Le point de vue

en comparant deux productions quasi contemporaines : d'une part, les


« vues » du type « Hale's Tour », consistant à placer une caméra à
l'avant d'une locomotive, ou sur la plate-forme arrière d'un train, et à
filmer en continuité ; d'autre part, les premiers, et célèbres, petits films
d'aventures utilisant une succession de plans différents (le fameux Great
Train Robbery d'Edwin S. Porter, et son prédécesseur britannique, A
Daring Daylight Burglary, tous deux de 1903). Dans le premier cas,
malgré la modification incessante du paysage, et l'interminabilité, en
principe, de la vue, celle-ci ne reste, justement, qu'une vue 15. Au
contraire, les deux titres cités, s'ils n'entament guère la fixité du cadre
(et si donc ils mènent nécessairement à l'avènement de la « théâtralité »
du Film d'Art et de Griffith-Biograph), tirent la conséquence, capitale,
de la nature même de la vue cinématographique : puisque celle-ci inclut
le temps, qu'elle se déroule, elle est essentiellement (ontologiquement,
aurait dit Bazin) de l'ordre du récit : elle raconte — et cette narration n'a
pas de raison de s'interrompre à la fin de la vue (du plan).
Apparition, dans les films, d'un point de vue narratif dont les étapes
ont nom Porter et surtout Griffith : noms mythiques, auréolés de
légendes dans le détail ni la critique desquelles je ne puis entrer 16. Ce
qu'il m'importe ici de souligner, c'est, avec cette apparition, et pour
longtemps, la perte de la cohérence de l'espace représenté. En effet, si le
montage a très vite permis un repérage chronologique et causal efficace
et sans équivoque, on n'en peut dire autant de l'espace représenté dans
la succession des plans. Pour garder les exemples célèbres déjà cités : de
Great Train Robbery (où seules les grandes articulations du récit sont
faciles à comprendre) à un quelconque des Griffith de 1911 ou 1912 (An
Unseen Enemy, ou The Battle par exemple), le « progrès » est décisif : le
récit griffithien ne nécessite nulle intervention, nul commentaire : il est
totalement clair. Or, entre les mêmes films, la fragmentation de l'espace
n'a pas vraiment été résorbée. Malgré l'établissement d'une convention
(assez rudimentaire) concernant le passage hors champ par
franchissement du bord latéral du cadre 17, chaque espace continue de valoir pour
lui-même, dans une semi-autonomie, sans que jamais la cohérence de
l'espace diégétique soit garantie, ni par des conventions fortes comme le
seront les codes du raccord classique, ni par un accès plus ou moins
directement ménagé (par un plan d'ensemble, par exemple) au réfèrent
spatial global.
Essayons de traduire autrement ces remarques. Ce dont le cinéma
prend conscience dans ce moment de son histoire, c'est d'abord que
l'enchaînement de points de vue de cadrages sur des lieux différents
produit un déroulement chronologique, un récit dont les modes
s'affineront très vite, à partir par exemple de ces plans de la seconde version
d'Enoch Arden (1911) où Griffith expérimente la relation entre une vue
et un regard, entre un regard et un personnage ; bref, que cet
enchaînement induit un point de vue narratif.
Jacques Aumont

Pour garder l'exemple du système griffithien, on y voit fonctionner un


point de vue narratif relativement diversifié. L'essentiel du récit consiste
à suivre des personnages, en focalisation externe (très apparente dans les
séquences « obligées » de chase ou de sauvetage final) ; à l'occasion, le
point de vue narratif coïncide avec celui du personnage, en focalisation
interne.

Exemple. Dans Enoch Arden, lorsque Annie Lee attend sur la plage le
retour de son époux : tout à coup, son visage prend une expression
horrifiée, ses bras se tendent ; au plan suivant, on voit le naufrage
d'Enoch (il est vrai que parler ici de focalisation interne implique une
certaine croyance à la télépathie). Plus nettement peut-être : dans The
Battle, la scène où le jeune kn.me, fraj .^ le panique, abandonn
poste, inclut un plan sur la tranchée où il ne figure plus, et qui
représente son regard.

Enfin, au narrateur omniscient sont attribués les plans d'ensemble,


certains de ces gros plans d'objets qui sont une des marques stylistiques
de D.W.G., et naturellement tous les cartons qui commentent, anticipent
ou caractérisent l'action. L'usage de tels cartons (du type « Pendant ce
temps-là à Chypre » ou « Plus tard » ) sera abondant dans tout le cinéma
muet, et exemplairement parodié dans Un chien andalou (1928).
Mais en même temps que cette clarté et cette maîtrise narratives, la
mobilisation de la prise de vue fait apparaître, en quelque sorte par
défaut, la nature complexe du point de vue représentatif au cinéma.
Parce que la construction de l'espace filmique implique le temps, parce
qu'elle implique aussi des relations topologiques (d'inclusion, de
connexité par exemple) et des relations d'ordre, le point de vue
cinématographique doit d'emblée être référé, non à la vue immobile,
mais à la séquence de vues. A la différence du modèle pictural, le point
de vue se définit, au cinéma, comme une série ordonnée et mesurée. Et,
dans le cinéma « primitif » , cet ordre et cette mesure sont encore loin de
s'être trouvés. Le souci d'une compréhension cohérente de l'espace dans
la séquence apparaîtrait, par exemple, avec tels moments descriptifs (on
sait qu'en raison même de la nature temporelle du signifiant
cinématographique, la notion de description, qui implique un suspens du temps
de l'histoire, n'est pas évidente dans le film). Ainsi, dans Naissance
d'une nation (1915), de la suite de plans enchaînés comportant deux
longs panoramiques, qui décrit le champ de bataille 18.

Avant qu'on en arrive aux lois à peu près fixes par lesquelles le cinéma
classique a tenté de rationaliser la représentation de l'espace (et dont je
ne dirai rien, car elles sont abondamment étudiées un peu partout), ce
privilège accordé à la clarté du récit continue d'être encore repérable à
travers toute la période muette, ou presque — parfois sous forme
caricaturale, comme dans ce film de 1920, The Chamber Mystery, où les

10
Le point de vue

dialogues sont carrément rendus par des « bulles » analogues à celles de


la bande dessinée, un texte sur fond gris occultant une partie (parfois
presque tout) du personnage censé parler 19.
En même temps se fait jour, petit à petit, un souci nouveau : celui
d'exprimer, dans le récit mais aussi dans l'image, un point de vue de
l'instance narratrice qui aille au-delà du simple jeu sur les divers degrés
de coïncidence entre personnage et narrateur.

De ce point de vue « prédicatif », et de son expression dans l'image, on


trouve déjà les germes dès le cinéma griffithien. Sans même parler du
surmaquillage, utilisé par exemple pour caractériser le villain (et qui
reste un élément d'ordre pro filmique), on pourrait citer les efforts de
Griffith pour rendre signifiant l'usage de sources lumineuses
strictement localisées. Dans The Drunkard's Reformation (1909), la lueur
émanant de la cheminée baigne et définit le bonheur familial des
personnages ; la même année, pour Pippa Passes, Griffith et Bitzer
étudient des caches et des éclairages complexes, destinés à traduire la
douce lumière de l'aube sur le visage angélique de l'héroïne ou, plus
exactement, l'angélisme de ce visage 20. Ces effets de lumière, Griffith
les poussera à un point extrême dans des longs métrages ultérieurs, par
exemple les scènes au bord de la rivière dans The White Rose (1923).
En même temps, ils se banalisent et se figent, devenant l'auréole de
boucles blondes du visage de Mary Pickford, ou mieux encore, le
nimbe obligatoire autour de la figure de Garbo.

Davantage que dans une industrie hollywoodienne qui eut vite fait,
dans sa majorité, de ramener à quelques stéréotypes ces aventures de la
lumière 21, c'est dans le cinéma européen des années vingt qu'il faut
chercher les tentatives les plus nettes (je ne dis pas abouties) d'un
discours de l'image. Tentatives dispersées, au gré des écoles et des
époques, dont je ne puis dresser ici le catalogue. Trois exemples :

Le caligarisme.

Ou ce qu'on appelle encore, le plus souvent, expressionnisme (en


reprenant la commode et vague étiquette proposée dès les années vingt) .
Si on la réfère au développement d'une peinture, plus tard d'une
littérature expressionniste, l'appellation est peu pertinente : elle n'est
pas sans intérêt, pourtant, si on veut bien la rapporter à son sens
étymologique. Elle implique alors une idée d'expression plus ou moins
directe, et en général sur le mode pictural, de significations précises et
particulières à un film.
La première marque de cette école, on le sait, est son picturalisme, et
corrélativement, le caractère extrêmement particulier de la référence au
monde représenté. Voir comment, dans Caligari (1920), se figure en
toile de fond une vue de la ville où est censée se tenir la foire : image

11
Jacques Aumont

manifestement inspirée de figurations moyenâgeuses, où la ville est


accumulation de maisons, adoptant la forme générale d'une sorte de
cône sans souci d'un rendu perspectif ; devant cette toile de fond, sur
une espèce de praticable de théâtre, sont plantés (de biais,
naturellement) quelques éléments de la foire, le joueur d'orgue de Barbarie, le
manège, situés ainsi dans un rapport d'extériorité-intériorité à la ville
qui n'est guère traductible en termes topographiques. Dans les décors
architectures eux-mêmes, l'espace réel où les figurants se déplacent est
déterminé par les nécessités d'une forme plastique qui tend par exemple
à nier, à barrer tout effet perspectif potentiel (cf. les plans à l'intérieur de
la roulotte de Caligari).
Cette picturalité contamine, tendanciellement au moins, toute la
représentation : du maquillage des personnages (les cheveux peints de
Werner Krauss, les peintures sur le corps des personnages de Genuine) à
leurs gestes (le corps, démantelé, de Conrad Veidt dans Caligari, celui,
torturé, de Hans von Twardowski dans Caligari et Genuine), d'un cadre
« surcadré » (comme dans le Dernier des hommes (1924) ou Hinter-
treppe) à un montage « psychotique », par fragments (le meurtre
de l'usurière dans Raskolnikov). Ainsi comprend-on le paradoxe sans
cesse reconduit à propos du cinéma allemand muet, qui veut qu'à la fois
tous les films en soient catalogués comme « expressionnistes » (voir
l'exemple toujours cité du Dernier des hommes), et qu'en même temps
on passe son temps à décerner à tel ou tel la palme de « seul vraiment
expressionniste » (voir Lotte Eisner sur Von Morgens bis Mitter-
nacht).
Quoi qu'il en soit, l'important est ici que tout ce travail plastique vise,
quasi uniquement, à la traduction sensible, sensorielle, de l'idée. Les
décors et les costumes « végétaux » de Genuine matérialisent l'animalité
du personnage (une sorte de traduction de la fameuse phrase de
Baudelaire sur la femme « naturelle, c'est-à-dire abominable »). La
distorsion du décor, déjà très anguleux au naturel, de l'escalier de
l'usurière, donne à voir l'horreur du cauchemar de Raskolnikov. Et on
pourrait citer mille autres exemples, tous démontrant cette inscription, à
même la figuration, d'un signifié global qui qualifie le représenté.
Le vice du système est bien connu — et dénoncé depuis longtemps : ce
signifié est ambigu, il ne permet pas par exemple de distinguer, dans ce
plan de Caligari où Rudolf Klein-Rogge est assis dans sa cellule, au
centre d'une sorte de toile d'araignée, ou d'étoile, blanche sur fond noir,
entre la signification, redondante, de l'emprisonnement, et celle, plus
équivoque, de l'araignée tissant ses complots (à la Mabuse). Les seules
occurrences où cette ambiguïté soit levée sont celles où l'idée manifestée
est évidente, faible. L'ombre du somnambule, au-dessus du lit d'Alan
qu'il s'apprête à étrangler, ne signifie rien d'autre, malgré sa violence
plastique (et sa beauté), qu'une horreur très générique. Plus gravement
peut-être, cette ambiguïté et cette faiblesse prêtent, l'une et l'autre, à

12
Le point de vue

une résorption, peut-être fatale, sous le grand signifié de la Folie, ou plus


précisément, de l'irréalité malsaine opposée à une réalité supposée saine.
On sait d'ailleurs que cette résorption, vivement critiquée dès la sortie de
Caligari22, fut combattue par les cinéastes eux-mêmes, et imposée
finalement par les producteurs, au nom d'un souci du vraisemblable
dont il m'importe surtout ici qu'il se traduise par un recouvrement du
point de vue prédicatif sous le narratif, savoir celui que le film attribue,
en sa fin, aux pensionnaires de l'asile et au bon docteur. Seul reste de
l'opération : la transformation qui affecte le point de vue
représentatif.

L 'impressionnisme.

L'étiquette a encore moins de consistance, si possible. Sans doute


provient-elle d'analogies très superficielles, et ne saurait-elle s'appliquer
qu'à fort peu de films. Indubitablement, à ceux d'Epstein au premier
chef, qui savait dire :

«... le sujet du film Mauprat est le souvenir de ma première


compréhension enthousiaste et très superficielle du romantisme. La
Chute de la Maison Usher (1927) est mon impression en général sur
Poe 23. »

Techniques de l'impressionnisme : la surimpression, le ralenti, le gros


plan, le montage fragmenté. Célèbres images, du visage de Gina Manès
superposé aux eaux du port dans Cœur fidèle (1923), des moments de
vitesse pure dans la Glace à trois faces (1927), du ralenti et du passage
au négatif lorsque meurt Madeleine dans la Maison Usher. Ou, de ce
dernier film encore, le passage qu'analyse Keith Cohen : l'apparition du
visiteur de Roderick, d'abord dans la lande, où le film nous le montre en
plusieurs plans, d'angle et de taille différents, dont aucun ne dévoile son
visage ; puis à l'auberge, où les croisements des regards entre les
personnages nous apprennent tout juste qu'ils participent de la même
scène, mais donnent en même temps la sensation d'un espace indéter-
miné, flottant (Cohen) ; et encore, ces plans de la fin du prologue où une
femme regarde furtivement derrière les fenêtres de l'auberge, et où le
décor et le cadrage se conjuguent pour donner l'impression qu'elle a été
avalée, piégée, enterrée vivante par un lieu maléfique.
Le point commun de ces trois moments, bien différents plastique-
ment, du film d'Epstein, c'est qu'ils ajoutent à l'élaboration du récit et
de la diégèse la figuration — cette fois par le biais du cadre et du
montage — d'un point de vue du narrateur sur l'histoire qu'il raconte,
qui n'est pas seulement un point de vue narratif (un jeu de
correspondances et d'écarts entre l'instance narratrice et les personnages), mais

13
Jacques Aumont

aussi un jugement, une inflexion de ces scènes dans le sens d'une


sensation, ou si l'on veut d'une impression, respectivement de mystère,
d'irréalité et d'angoisse. Certes, ces sentiments sont moins inscrits dans
la représentation que suggérés par elle : mais, pour « atmosphériques »
qu'ils soient, ils n'en demeurent pas moins organiquement intégrés à
l'ensemble de l'histoire (dont ils sont, rappelons-le, l'introduction), et
beaucoup moins équivoques que ma description le laisse peut-être
entendre.
Que se passe-t-il ici ? Non plus, comme dans l'expressionnisme, la
fabrication ex nihilo d'un pseudo-espace visant à une sorte dHdéoplas-
tie, mais le maintien, parfois contradictoire, de la double exigence de
photogénie (la lumière, l'image, doit engendrer, libérer une émotion) et
de pensée. Soit, dans le langage d'Epstein :

« Les beaux films sont construits en photographies et en ciel. J'appelle


ciel d'une image, sa portée morale qui est ce pourquoi elle a été voulue.
On doit limiter l'action du signe à cette portée et l'interrompre aussitôt
qu'il distrait la pensée et dérive l'émotion sur elle-même. Le plaisir
plastique est un moyen, jamais un but. Les images ayant évoqué une
série de sentiments ne doivent plus que conseiller leur évolution
semi- spontanée comme ces flèches conduisent la pensée au ciel 24. »

La ciné- langue.

Paradoxalement, cette école de cinéastes russes qui développa l'idée


qu'il pouvait y avoir une langue du film — et dont on s'attendrait
logiquement à ce que leur système théorique emphatise le pouvoir
scriptural du cinéaste — nous fournira ici un exemple plus ambigu.
Regardons le livre publié en 1929 par Koulechov, et qui reflète de
façon synthétique une décennie d'expérimentation. Outre un discours de
la pratique cinématographique, aujourd'hui assez obsolète, et largement
déterminé par la volonté tactique de faire admettre telles innovations
formelles (gros plan, montage, etc.) — on y trouve une conception du
cinéma dont l'essentiel se laisse résumer en quelques déductions :
a) du fait que le spectateur de cinéma a sur l'événement représenté
un point de vue obligé (au sens de notre PDVi), c'est ce qui se trouve
actualisé sur l'écran, et cela seul, qui signifie ;
b) un plan est ainsi assimilable à un signe (de type
idéographique) ;
c) la lecture de tout film, fût-il documentaire, suppose donc une
organisation 1° interne au plan, 2° entre plans ;
d) d'où la promotion d'un cinéma du montage court, visant à
préserver à chaque plan sa valeur de signe simple, et d'où l'insistance sur
le calcul d'un système de mouvements internes au cadre selon des
directions privilégiées (parallèles au cadre, diagonales), et par consé-

14
Le point de vue

quent d'un jeu des acteurs de type analytique, selon les principes du
typage.
Curieusement, cet auteur dont la postérité a surtout retenu ses
développements en faveur de la ciné-langue et du ciné-idéogramme, a
en fait été l'inspirateur et l'instigateur de ce qui, dans l'expérimenta-
lisme massif des années vingt européennes, se rapproche le plus de la
leçon du cinéma américain : des films dans lesquels le travail du
narrateur consiste moins à porter un jugement sur ce qu'il montre qu'à
le montrer clairement, et dans lesquels l'essentiel du récit est porté par le
corps de l'acteur, mécanisé (biomécanisé) pour plus de sûreté narrative.
C'est bien ce qu'on trouve dans les films aujoud'hui conservés de
Koulechov et son atelier, Mr. West (1924), le Rayon de la mort (1925),
et même Dura Lex (1926) : des films où, pour simplifier le travail de
lecture, on évacue tout ce qui encombre inutilement le récit.
Certes, chez tels de ses contemporains, on accorde davantage
d'attention aux possibilités predicatives du cinéma. Chez Eisenstein, bien
entendu, que nous allons retrouver dans un instant. Même chez son
disciple Poudovkine, dont les films se caractérisent eux aussi par la
linéarité et la limpidité du récit, mais qui se permet à l'occasion de larges
métaphores (voir les finales de Tempête sur VAsie (1929) et de la Mère
(1926)) : un Griffith qui reculerait moins à exploiter la valeur «
symbolique » de son matériau. Du côté des théoriciens « formalistes », on fait
droit également à la figure rhétorique ; « dans le cinéma, le monde
visible est donné non en tant que tel, mais dans sa corrélation
sémantique », pose Tynianov 25, pour qui l'image et les enchaînements
d'images -fragments doivent être calculés en fonction de leur valeur
narrative et, potentiellement, métaphorique.
La conception de la ciné-langue est donc sans doute moins simpliste
qu'on ne l'esquissait avec Koulechov ; elle inclut la possibilité d'une
intervention de l'instance narratrice directement sur le matériau
représenté, sur un mode analogue à ce que les cinéastes allemands ou français
pratiquaient. La métaphore, la figure rhétorique en général, se voit
réserver une place dans la poétique du cinéma 26, comme un des niveaux
possibles de signification de l'image-signe. Pourtant, si l'on recense les
actualisations de ce principe dans les films de Poudovkine et des FEX,
on voit que, malgré la beauté indéniable de certaines, les métaphores se
restreignent, un peu timidement, au jeu sur l'angle de prises de vues, au
montage raccourci, à des comparaisons intra-diégétiques (ce que Mitry
appelle des « symboles impliqués »), et que dans l'ensemble, elles
apparaissent comme des suppléments un peu décoratifs d'une idée que
le récit a à charge de principalement véhiculer.

Mes trois exemples sont tout sauf innocents : ils prennent en écharpe
les manifestations les plus importantes et les plus célèbres de l'esprit
d'expérimentation qui marque généralement le cinéma muet à son

15
Jacques Aumont

apogée en Europe. Ils visaient donc à mettre en évidence la présence,


dans les échantillons les plus conscients de ce courant expérimentaliste,
d'un travail de signification directe de l'image, selon des régimes bien
divers, mais qui reviennent tous à marquer, dans la représentation
même, une qualification du représenté.
Par-delà leur variété, ces exemples ont deux traits communs :
l'imposition d'un point de vue prédicatif, que l'image est chargée de
traduire, entraîne un traitement de l'espace représenté qui, sans porter
fatalement atteinte à la constitution d'un « bon » espace, le marque d'un
sceau ineffaçable : celui de l'insanité, de YUnheimlichkeit, ou de la
littérarité 27. D'autre part, l'espèce de collusion qu'ils opèrent, entre un
point de vue (représentatif) sur l'événement et le point de vue
(prédicatif) qui s'y inscrit, ne se réalise qu'au coup par coup (d'où le flou
des étiquettes et des écoles), sans jamais se soutenir d'une théorisation
générale de ces rapports entre l'espace, la représentation, et l'institution
d'isotopies connotatives.
C'est ici que nous retrouvons Eisenstein.
Ne soyons pas fétichistes : Eisenstein n'est certes pas un génie aussi
solitaire qu'on le dit parfois. Il enracine sa réflexion dans tout un terrain
théorique et pratique, qu'on vient d'ailleurs d'évoquer, et dont il reste
largement tributaire. S'il me paraît naturel de considérer son travail à ce
point précis de mon exposé, c'est uniquement parce que, de cette
problématique de la figure et du sens, il est celui qui a donné la
formalisation la plus poussée.
D'abord, vers la fin des années vingt, avec la réflexion sur les principes
de montage qu'il engage parallèlement à la réalisation d'Octobre (1927)
et de la Ligne générale (1929). Point limite de cette réflexion : la notion
de montage « intellectuel », visant à promouvoir un cinéma-essai où la
fiction ne serait que support, prétexte à enchaîner des représentations
valant principalement par leur charge associative — et le travail du
cinéaste consistant alors à corréler à la fois les éléments fictionnels et,
parmi les « associations » possibles, celles que le discours, la thèse,
retiendra le plus utilement. Selon la formulation un peu extrême
qu'Eisenstein ne craint pas de produire (pour lui-même, il est vrai, dans
des notes de travail), il s'agit de « penser directement en images » ;
formule excessive et d'ailleurs pas tout à fait lucide, l'une des critiques
les plus irréfutables que l'on puisse adresser à cette théorie visant
certainement sa surestimation des équivalences langagières de
l'image 28. A vrai dire, le cinéma « intellectuel » n'est rien d'autre qu'une
défense, radicale mais purement théorique, des possibilités productives
infinies du montage ; aussi bien, de l'avis même d'Eisenstein, le
montage intellectuel n'est-il pas différent, dans sa nature, du montage
« harmonique », c'est-à-dire d'un jeu d'agencements et de relations
capable d'établir, par exemple, la chaîne suivante :

16
Le point de vue

Vieillard triste + voile affalée + tente floue


+ doigts triturant un béret + pleurs dans les yeux

pour dire le deuil, en mobilisant aussi bien des éléments diégétiques que
des paramètres de la représentation. Dans les termes que nous nous
sommes donnés, on a évidemment affaire à une conception du cinéma
qui gonfle démesurément le point de vue prédicatif, au point d'en faire,
tendanciellement, le seul moteur, et le seul principe de cohésion, d'un
discours filmique où le discursif même se voit hypertrophié.
Ce sont ces « excès » qu'Eisenstein s'appliqua à corriger, quelque dix
ans plus tard, dans sa série de textes sur le montage, à travers le concept
central d'imaginicité. Je ne puis revenir ici sur le détail de ces textes, que
j'ai commentés par ailleurs, et qui seront bientôt publiés en traduction
française. La norme esthétique qui s'y voit proposée soumet le film à une
double exigence :
— il doit figurer (représenter) le réel d'une façon vraisemblable, qui
ne heurte pas la vision « normale », quotidienne qu'on peut en avoir ;
exigence vague, mais qui insiste sur la production, d'une part d'un
« bon ■» espace-temps scénique, d'autre part d'un récit raisonnablement
linéaire ; ce travail de représentation (de dénotation) est toujours,
premier, il ne saurait être oublié ;
— il doit véhiculer, à partir de cette représentation et à son sujet, une
image globale, conçue tantôt comme « schéma », tantôt comme «
généralisation » métaphorique, et qui est en fait l'aspect purement prédicatif
de ce cinéma.
Ce rappel un peu squelettique des grands principes exposés au long du
traité de 1937 sur le montage en escamote un peu trop, sans doute, les
méandres, les hésitations, les contradictions — pour mieux faire saillir la
conjonction, portée ici à son point de fusion idéal, du point de vue
représentatif et du discursif 29. Je renvoie le lecteur au texte eisenstei-
nien, pour y apprécier la façon dont ces principes s'incarnent dans une
réflexion sur le cadrage, sur le son, voire sur le jeu de l'acteur, et me
contente de souligner ici une question que cette approche de la forme et
du sens filmiques soulève de manière privilégiée : la question de la
vérité.
L'imaginicité, constitution d'une image abstraite superposée à la
représentation, et l'interprétant, n'a en effet de sens que si cette
auto-lecture du film est 1° unique, 2° légitime. Or ces deux exigences,
pour Eisenstein, n'en font qu'une : c'est parce que l'image globale est
véridique qu'elle est, de surcroît, dénuée d'équivoque. Pour le dire (plus
élégamment) avec Barthes : «L'art d'Eisenstein n'est pas polysémique
(...) ; le sens eisensteinien foudroie l'ambiguïté. (...) Le décoratisme
d'Eisenstein a une fonction économique : il profère la vérité. »
Sans doute, il n'est pas indifférent que cette « vérité » dont Eisenstein

17
Jacques Aumont

se soucie, trouve un critère ultime dans une pragmatique de la lutte des


classes — donc à l'extérieur du film lui-même en tant que discours. On
se souvient des violentes critiques proférées par Eisenstein lui-même à
l'encontre du finale de la Grève (1924), en raison de son inefficacité
concrète, et d'autres cas du même genre, qui devraient suffire à rappeler
que ce n'est certes pas la vérité abstraite des logiciens qui est visée ici.
Néanmoins, si le système eisensteinien me paraît, aujourd'hui encore,
indépassé en quelqu'un de ses points, c'est bien celui-ci, en tant qu'il
pose que la forme filmique (donc, entre autres, toute prise de vue, toute
institution d'un point de vue représentatif) est déterminée par le sens
que l'on assigne au représenté, en vue d'un certain effet dans un contexte
donné. Ce qui est premier dans cette conception, c'est le sens, qui
informe littéralement tout le travail de production — sous la garantie de
bon fonctionnement fournie par un critère de vérité.
Or, cette théorie, qui serait de peu de poids si elle ne rendait compte
que des films du seul Eisenstein, éclaire sans conteste les rapports entre
la forme et le sens dans le cinéma « adverse » de celui-ci. Que se
passe-t-il si l'on ne dispose pas d'un tel critère de vérité, ou, ce qui
revient au même, si l'on dit que ce critère n'a pas à être explicité parce
qu'il est contenu dans les choses elles-mêmes (sous la garantie ultime
,d'un Dieu leibnizien) ? On sait à quoi ressemble la théorie du cinéma
correspondante : elle veut que le sens soit multiple, foisonnant, analogue
dans son « ambiguïté » (Bazin) à la vie même — et donc, que le travail
formel consiste avant tout à « prendre du champ », à faire du cinéma
une « reproduction de la réalité, ininterrompue et fluide comme la
réalité» (Pasolini).
Pour le dire dans les termes de cet article, ce qu'Eisenstein démontre,
directement et indirectement, c'est l'insécabilité du lien entre la
représentation, le point de vuei, et le point de vue4, la signification
imposée. Eisenstein s'efforçait de traduire en métaphores plastiques ses
prises de parti ; défenseur d'un « parti pris des choses », Bazin
demandera que, le « monde » une fois disposé à muettement parler, l'on
n'entrave pas son discours ; en plus des significations que la mise en
scène apporte avec elle 30, l'exigence bazinienne d'un
plus-de-perception, d'un élargissement, d'un approfondissement, d'un allongement,
bref d'un incessant en-plus quantitatif a valeur générique : elle vise à
présenter dans l'image, dans toute image, cette idée d'ambiguïté qui
emporte un jugement essentiel sur la réalité. Paradoxe si l'on veut, mais
pas seulement. Le refus le plus obstiné d'écrire le cède toujours — Daney
l'avait parfaitement montré sur l'exemple de Hawks — à la nécessité
d'écrire ce refus d'une façon ou d'une autre, et l'extrémisme mac-
mahonien qui, en bien des points, dit la vérité du bazinisme, inclut
lui-même cette nécessité dans sa définition de la mise en scène
langienne 31.

18
Le point de vue

Ainsi, et sans désormais entrer plus avant dans la description des


attitudes diverses historiquement adoptées envers cette idée d'un
discours de l'image, ce qui se marque à ce stade de notre réflexion, c'est
la collusion institutionnelle, dans une bonne partie de l'histoire des films
(peut-être dans tout film), entre deux fonctions, ou mieux, deux natures
de l'image. La première est de donner à voir, selon plusieurs modalités
plus ou moins légitimées par l'établissement de conventions propres.
L'image montre. C'est une remarque souvent faite que, devant le film
(en cela semblable au rêve), on ne choisit pas, ou pas entièrement, ce que
l'on voit. J'y reviendrai dans un instant, pour reparler brièvement de
l'épineuse question du spectateur de film — notant simplement pour le
moment cette première et essentielle définition de l'image de film : elle
fait voir quelque chose qui n'est pas là, mais qui est supposé exister
quelque part, et dont elle tient lieu. Elle se structure donc d'abord, en
antériorité logique, comme mime d'un point de vue, comme point de vue
représentatif défini par un rapport entre présence et absence (c'est le
premier sens de la question du cadre : que montrer ? et donc, que
produire dans le hors -champ ?). On ne saurait trop le dire, dans cette
fonction de monstration, l'image est souveraine, même si la maîtrise ne
s'y signe pas aussi matériellement que dans la peinture (où la touche est
toujours la plus directe métonymie du peintre).
En même temps, seconde fonction, ou nature, elle fait sens. Elle
mobilise toute l'épaisseur de la matière iconique, et aussi tous les traits
de la représentation, pour construire du signifié. Ce sens construit,
connoté, peut être maigre (l'ambiguïté bazinienne, le « je-ne-touche-
à-rien » rossellinien, en sont peut-être les exemples extrêmes) ; il peut au
contraire envahir le champ comme une mauvaise herbe, comme les
fleurs de noirceur et de rhétorique du caligarisme : ténu ou opaque,
labile ou consistant, il est toujours là. L'image de film, telle qu'elle a été
produite jusqu'à présent en tout cas, est toujours predicative.
Naturellement, cette collusion entre le donner à voir et le donner à
comprendre (j'allais dire « donner à entendre » : lapsus de protestation,
nul doute, contre le silence que je maintiens à propos de la
représentation sonore), aussi universelle qu'elle m'apparaisse dans les films,
n'existe sans doute pas en dehors du narratif. Si l'on peut lire dans
l'image une qualification du représenté, c'est presque toujours par le
biais, d'une part de la coïncidence entre point de vue représentatif et
point de vue narratif, d'autre part et corrélativement, de l'institution
de schemes narratifs et de fonctions actantielles (de personnages) qui
mobilisent plus directement le registre du symbolique. Le narratif, et
plus spécialement le point de vue narratif, serait ainsi ce qui, s'inscrivant
à la fois en termes iconiques (notamment sous les espèces du cadre) et en
termes de significations et de jugements, opérerait la médiation
nécessaire à toute valeur predicative de l'image.

19
Jacques Aumont

Pourtant, la narration filmique, me semble-t-il, n'a que peu à voir, en


soi, avec l'image. Bien davantage est-elle la reprise de mécanismes
généraux et abstraits, d'ailleurs abondamment étudiés depuis quelques
décennies, et différemment réincarnés dans le cinéma. La difficulté est
évidemment qu'il est impossible d'assigner aucun lieu, dans le discours
filmique, aux processus narratifs : ils glissent à travers les figures de
montage, mais aussi se figent en cadrages, se faufilent « dans » le
représenté lui-même. Ce pourquoi les meilleurs travaux sur le récit
filmique ne peuvent — voir le livre de Vanoye — que viser le récit dans
le film, et jamais vraiment le film (tout le film) comme récit.

Avant de reprendre, une dernière fois, cet entrelacs des points de vue
qui, de l'image, s'offrent au spectateur, je me permettrai, en une ultime
digression, d'essayer de cerner encore ce porte-à-faux du narratif dans le
filmique, qui en fait à la fois la cheville la plus sûre du travail du don, et
la moins spécifique des opérations du discours filmique.
Je prendrai, non sans un certain arbitraire lié aux contingences de la
disponibilité des copies de films, le début d'un film d'Hitchcock réalisé
en 1935, les 39 Marches 32. Plus précisément, j'en considérerai les 51
premiers plans après le générique, qui forment une sorte de prologue du
film ; à l'exception du premier, que j'oublierai, ces plans forment une
seule séquence, dont le rôle dans l'économie narrative du film est
d'organiser la rencontre entre le héros, Hannay, et l'agent secret
Annabella Smith, qui mourra un peu plus tard dans ses bras,
l'engageant ainsi dans l'aventure ; cette rencontre a lieu vers la fin de la
séquence en question, de façon « naturelle », dans le hasard d'une
bousculade. Or, toute la séquence, orientée vers cette fin qui permet
d'embrayer sur la suite du film, est en fait souterrainement
déterminée par une tout autre nécessité : montrer le face-à-face entre Hannay
et Mr. Memory, l'homme à la mémoire phénoménale qui est, on le
comprendra à la dernière séquence du film, le maillon essentiel d'une
chaîne d'espions.
Ainsi, dans cette séquence, le travail de l'instance narratrice est-il
double : il s'agit d'une part de mener le spectateur des tout premiers
plans où, d'abord, sur le mode de la fragmentation, le héros est présenté,
à sa rencontre avec Annabella, en insistant sur le caractère aléatoire,
donc naturel de la succession des événements ; d'autre part, mais « sans
le dire » , il faut marquer le rapport entre Hannay et Memory, le héros et
l'agent secret, que tout le récit va précisément impliquer dans la même
histoire, où ils seront ennemis. C'est ce « sans le dire » qui fait problème,
bien entendu : car si je puis en toute certitude affirmer que le prologue
du film contient ce face-à-face, c'est que celui-ci est bel et bien « dit » à
un certain niveau.
Précisons ce « dire ». La séquence-prologue comporte, en gros, trois
« moments », correspondant à trois types de cadrages :

20
Le point de vue

— des plans anonymes, au sens où Nick Browne parle de nobody's


shots, c'est-à-dire des cadrages assignables, en tant que regard, à
l'instance narratrice et à elle seule ; ce sont les sept premiers plans, au
cours desquels on nous montre, sans nous dévoiler son visage pour
l'instant, le héros pénétrer et s'installer dans le music-hall, puis
l'ensemble de la salle ;
— une série de champs-contrechamps entre la salle et la scène, par
ensembles de sept ou huit plans, relativement peu réguliers (peu de
cadrages sont réutilisés tels quels, en particulier les points de vue depuis
la salle varient sans cesse — peut-être pour mieux coller à cet œil
multiple qu'est le public, peut-être aussi pour mieux noyer le poisson) ;
— enfin, les plans où s'articule la rencontre Hannay-Memory ; ils
constituent un dispositif assez compliqué, incluant 1) la présentation de
Memory, en plusieurs temps, jusqu'à être brutalement projeté à
l'avant-champ, au plan 23, où il salue le public, et nous aussi par la
même occasion, grâce à un fugitif mais net regard- caméra, 2) la
présentation de Hannay, également délayée, incluant, outre les tout
premiers plans où on ne le voit que de dos et en partie, le plan 31 où il
tente vainement de poser sa question pour la première fois (un comparse
mobilise aussitôt l'attention de Memory et du spectateur), et, au prix
d'une nouvelle manifestation de l'arbitraire du narrateur, le plan 41, où
il apparaît soudain, de face, au terme d'un pano, là où on ne l'attendait
plus, enfin 3) le face-à-face proprement dit, au seul et unique plan 43,
où on le voit dialoguer avec Memory.
Toute l'astuce de cette rencontre — ou mieux, le véritable leurre qui
s'y instaure — tient en ceci, que l'actualisation du face-à-face (plan 43)
est traitée de façon tout à fait anodine, exactement comme un plan
pouvant se rattacher, parmi d'autres, à la vaste série de l'échange
scène-salle. Inversement, dans les plans 23 et 31 (je m'excuse de ce
chiffrage), le face-à-face se voit inscrit symboliquement — notamment
par la très nette complémentarité des directions des regards — sans être
diégétiquement actualisé, donc de façon illisible pour le spectateur, mais
en une représentation infiniment plus adéquate de la réalité du rapport
entre les deux hommes (affrontement direct).
Il est peut-être difficile, à qui n'a pas le film en mémoire, d'accepter
telle quelle ma description — mais, à l'analyse du film, il me semble
impossible que ne saute pas aux yeux ce rapport entre deux plans qui
sont, dans tout le morceau, les deux seuls à montrer les personnages de
profil et regardant ostensiblement hors champ.
Comment résumer tout ceci ? D'abord en soulignant la ruse de la
narration, qui présente cette première séquence comme prologue et
embrayeur de la suivante (conversation Hannay-Annabella) via un
événement accidentel (le coup de revolver), permettant ainsi de refouler
la première par la seconde — d'où l'institution d'un leurre narratif par
l'oubli du personnage de Memory, et le masquage de son rôle clef.

21
Jacques Aumont

Ensuite, en redisant que ce qui, dans la première séquence, est articulé


malgré tout quant au rapport Hannay-Memory, l'est dans un registre
directement symbolique (affrontement, topologie des regards dominant/
dominé, enclenchement de la tresse du savoir et de la vérité), relevant
donc de la lecture et non de la simple vision — et d'autre part, se trouve
inscrit dans des données exclusivement visuelles.
J'espère qu'à défaut d'une description parfaite, mon exemple au
moins sera reconnu venir à sa place, dans cette scansion des rapports, du
nœud, entre le représentatif, le narratif et le « symbolique ». (Qu'il soit
pris chez Hitchcock, c'est-à-dire chez un cinéaste dont le souci de la
maîtrise et de l'articulation ne le cèdent en rien à celui d'Eisenstein, ne
doit pas surprendre, mais plutôt faire indice de ce qu'en la matière, les
frontières, s'il y en a, entre l'écriture et la transparence, sont toujours
perméables.)

A travers ce dernier exemple se redit, ainsi, le jeu réciproque des


diverses instances filmiques, des divers « points de vue » ; je voudrais
seulement, pour terminer, situer ces instances, ces données filmiques,
par rapport à leur destinataire : le spectateur. Ce que nous venons de
souligner, après bien d'autres, et que démontre toute traversée de
l'histoire des films, c'est que, comme toute œuvre d'art, le film est
donation. Ce que tout film donne à son spectateur, de façons certes bien
différentes, c'est toujours :
a) La vue sur un espace imaginaire cohérent, lui-même construit à
travers un système de vues partielles (non contradictoires sauf
exception) ; ce premier stade du rapport du film à son spectnteur a été depuis
longtemps reconnu et cerné comme tel. Pour ne pas remonter plus loin,
Souriau et l'école filmologique, puis Mitry notamment, ont marqué entre
autres ce « grand caractère de l'univers filmique » qu'est la constitution
d'un espace 33. Bien entendu, tels cinéastes, ou telles époques, ont insisté
davantage sur l'apparition « filmophanique » (Souriau) des objets —
c'est le sens de la notion de « photogénie » chez Delluc ou Epstein, ou du
gros plan eisensteinien ; mais même le téléphone de la Glace à trois faces
ou le lorgnon du Potemkine (1925) (ou la bouilloire de Muriel (1963))
n'échappent pas totalement à la prise spatiale.
En termes de psychologie, ou de métapsychologie, du spectateur, le
film est d'abord acte de monstration, l'institution du cadre, ses
modifications, sa mobilisation se substituent au regard du sujet-
spectateur ; on a souvent décrit cette fonction de substitution, dans des
visées fort diverses 34, et je voudrais seulement avancer une précision sur
le rapport entre la vue filmique et l'exercice de la pulsion scopique —
rapport qui, pour avoir été mis au centre des théorisations récentes du
dispositif cinématographique, ne me paraît pas avoir été nettement
rattaché au schéma précis par lequel Lacan, dans sa relecture de Freud,
décrit la pulsion. Je ne suis pas certain, en particulier, que l'idée d'une

22
Le point de vue

« identification » du sujet-spectateur à la caméra soit vraiment dégagée


de la perspective empirique (phénoménologique, si l'on y tient) au nom
de laquelle un Mûnsterberg pouvait, dès 1916, assimiler le panoramique
au mouvement de l'œil dans l'orbite. Je ne conteste pas l'idée qu'un
rapport d'identification s'établisse, dans le dispositif
cinématographique, entre un spectateur « tout-voyant » (Metz) et le faisceau du
projecteur, figurant métonymique du regard « projeté » par la caméra
sur le monde. Mais, au cinéma comme dans les autres arts de la vue
(qu'ils s'organisent ou non en spectacles), le spectateur est aussi, et
peut-être avant tout, celui à qui on en donne « plein la vue ». On se
souvient que, dans son analyse de la pulsion scopique, Lacan marque
"açon lacunaire, à son habitude) la véritable suspension du regard
qu opère le tableau (classique). « Le peintre, à celui qui doit être devant
son tableau, donne quelque chose qui, dans toute une partie, au moins,
de la peinture, pourrait se résumer ainsi — " Tu veux regarder ? Eh
bien, vois donc ça " : II donne quelque chose en pâture à l'œil, mais il
invite celui auquel le tableau est présenté à déposer là son regard,
comme on dépose les armes 35. » Certes, le cinéma n'est pas la peinture,
même la peinture de paysages 36. Certes encore, ce qui dans le dispositif
cinématographique évoque le miroir primordial n'a pas été à tort
souligné 37. Le film n'implique-t-il pas, pourtant, une contemplation,
compliquée et contredite par la mécanique narrative, mais supposant
toujours, avant tout autre, l'existence d'un espace filmique dévoilé au
spectateur — sujet « tout voyant », mais aussi, inséparablement, sujet
seulement voyant, dont le regard est canalisé, comme bloqué par la
représentation filmique. Oudart avait marqué avec pertinence, me
semble-t-il, cette « dialectique » entre une relation duelle, identifica-
toire, et la prise signifiante, en pointant successivement comme le sujet
spectateur* avec jubilation et vertige, appréhende l'espace irréel » (c'est
le temps du « tout- voyant », de la relation duelle), puis comment « cet
espace irréel qui était il y a un instant le champ de sa jouissance est
devenu la distance qui sépare la caméra des personnages, qui ne sont
plus là, qui ne disposent plus de l'être-là innocent de tout à l'heure, mais
d'être-là-pour » (pour signifier le champ absent, et la figure même de ce
qu'Oudart nomme l'Absent).
Sans doute Oudart force-t-il beaucoup les choses en assimilant, même
analogiquement, ce tourniquet au modèle ailleurs élaboré pour désigner,
et sur un mode hypothétique, le rapport du sujet à son propre discours.
Aussi bien ce qui me convainc dans ses intuitions n'est-il pas la
valorisation mécanique d'une cinématographie qui « assujettit sa
syntaxe » à la relation d'« éclipse alternative » du sujet à son discours, mais
bien davantage la désignation du rapport topique entre champ et
autre-champ (ou « champ absent ») comme charnière mobile entre la
contemplation et le regard, entre la « satisfaction » de la pulsion
scopique et sa suspension par la vue.

23
Jacques Aumont

b) En même temps, et de façon partiellement contradictoire quant aux


mécanismes psychologiques mis en jeu, le spectateur est mené par un
récit. La place de ce spectateur-là a été fort bien décrite (par Nick
Browne) sous le nom de locus : ce lieu représente une fonction
« habilitante », capable d'établir un lien entre fiction et énonciation, ou
plus précisément, d'assurer entre ces deux instances un passage, un
« tourniquet » qui n'est pas sans évoquer exactement le modèle posé par
Oudart quant à la vue filmique.
Il serait simplificateur d'en déduire que le film institue deux relations
séparées à son spectateur, l'une en tant qu'il donne à voir un espace
imaginaire, l'autre en tant qu'il donne à suivre un récit ; ces deux
relations, nul doute, n'en sont qu'une, et l'approche métapsychologique
que nous effleurons ne saura pas mieux les distinguer que l'approche
phénoménologique précédemment esquissée. Pourtant, cette double
relation m'apparaît comme fortement asymétrique au moins en ceci, que
c'est dans le déroulement du récit que sont produites, pour l'essentiel, les
identifications au sens propre — ces identifications « secondaires » dont
parle Metz (en reprenant le sens freudien), et qui ne sont sans doute
jamais plus puissantes que lorsque les situations représentées sont
simples, abstraites, archétypiques. Ces « identifications secondaires »
sont mal étudiables 38 (et peut-être généralement surestimées) ;
j'aimerais pourtant insister sur l'hypothèse que je viens implicitement de
poser : ces identifications viseraient essentiellement les situations
narratives archétypiques, et les situations représentatives fortement codées ;
la présence concrète (sous la forme par exemple de la surcharge
figurative 39) y ferait au contraire obstacle, provoquant le spectateur à
regarder, et non plus à s'abolir dans une relation duelle qui est toujours
de l'ordre de l'incorporation.
c) Enfin, par rapport à ce régime narratif-représentatif traditionnel, et
au jeu complexe de séduction/identification qu'il propose au spectateur,
l'imposition d'un sens à la représentation filmique, sur le mode de
l'inscription directe de signifiés autonomisables dans l'analogique, ne
peut plus apparaître que comme une perversion. Ici, nous retrouvons, du
moins je crois le comprendre, Lacan et l'énigmatique remarque dont il
conclut son analyse de la fonction du tableau, en posant que « toute une
face de la peinture », la peinture expressionniste, « donne quelque chose
qui va dans le sens d'une certaine satisfaction » de la pulsion visuelle,
d'une certaine « satisfaction à ce qui est demandé par le regard », donc
dans le sens de la perversion.
Ce n'est pas le lieu d'entamer l'exégèse de cette phrase, qui ne m'est
pas entièrement claire (surtout sur la question du « trait pertinent » qui
distinguerait la peinture « expressionniste » dont il est alors question) .
Malgré les précautions dont il convient certainement d'entourer toute
reprise du système conceptuel lacanien (qui n'est nullement articulé en
vue d'une esthétique), il y a peut-être ici l'amorce d'une description

24
Le point de vue

possible du rapport singulier (rapport de consommation, d'usage, et


tendanciellement d'une forme de fétichisme) que soutient, comme
parallèlement aux deux premiers, le film avec son spectateur.

{Juin 1981.)
Jacques AUMONT
Université de Lyon II

NOTES

1. Cf. la « pose » nécessaire aux premières photographies (pendant un demi-siècle) et


les appareils, immanquablement torturants, inventés pour la maintenir.
2. Exemples fort symptomatiques de cette hypostase dans toute la littérature inspirée
par la « politique des auteurs » et son avatar mac-mahonien. Voir Michel Mourlet pour
s'en convaincre. Sur le mode non délirant, et engageant dans une voie plus productive,
on retrouve le même souci dans les premiers textes de Raymond Bellour, le Monde et la
Distance, et surtout Sur Fritz Lang.
3. On y reviendra vers la fin de cet article, la quantité de travaux de qualité consacrés
à cette question me permettant pour l'instant d'être cursif. Outre les classiques (Baudry,
Metz), voir aussi, dans le livre de J.-P. Simon, le paragraphe « Sujet de renonciation et
double identification » (p. 113).
4. Je laisserai complètement de côté ici le débat des « origines », assez généralement
reconnu aujourd'hui comme un peu absurde.
5. La sensibilité à cette contradiction s'est estompée depuis la confirmation de
l'hégémonie du cinéma de la transparence. Elle était encore fort vive à la fin de l'époque
muette, comme en témoigne excellemment le début du livre d'Arnheim.
6. Et il en va souvent de même des autres paramètres de la représentation impliqués
par le sens « numéro 2 ». Voir sur ce point le développement de la problématique
voyant/vu chez Bellour, à partir de son article sur Lang déjà cité, et, d'autre façon, à
partir de son analyse des Oiseaux (1969). Corrélativement, il est instructif de voir à quel
point, pour des auteurs comme Jost (voir son article de Théorie du film, p. 129) ou
Vanoye, la locution « point de vue » est monosémique : elle renvoie toujours au point de
vue narratif.
7. Dans « Théâtre et cinéma » (1951) : « C'est Degas et Toulouse-Lautrec, c'est
Renoir et Manet qui ont compris de l'intérieur, dans son essence, le phénomène
photographique (et même prophétiquement : cinématographique). Face à la
photographie, ils s'y sont opposés de la seule manière valable, par un enrichissement
dialectique de la technique picturale. Ils ont compris, mieux que les photographes et bien
avant les cinéastes, les lois de la nouvelle image, et c'est eux d'abord qui les ont
appliquées. »
8. Voir la remarquable étude de Keith Cohen dans la première partie de son livre.
9. Et si l'histoire du cinéma rencontre celle du théâtre, c'est essentiellement par le
biais des acteurs — c'est-à-dire sur un plan économique ou sociologique bien plus que
sur un plan esthétique.
10. Sur la narration dans les films « primitifs », voir, outre les histoires du cinéma
connues, les travaux de Noël Burch, notamment son article sur Porter, et les ensembles
de textes, inégaux mais irremplaçables, proposés à plusieurs reprises par les Cahiers de
la Cinémathèque.
1 1 . Y compris chez les meilleurs auteurs, comme chacun pourra le vérifier. D'autant
plus remarquable me paraît, dans les analyses de M.-C. Ropars, qui portent pourtant

25
Jacques Aumont

expressément sur la problématique de l'écriture, le soin apporté au relevé et à


l'exploitation des données figuratives.
12. Malgré les progrès enregistrés depuis une quinzaine d'années. Mais les travaux
historiques, à mesure même de leur sérieux, confirment la difficulté : les livres de
Brownlow, ou de Deslandes, par exemple, ont pour effet — secondaire mais
spectaculaire — de désigner nettement tels « trous » dans notre connaissance du passé historique
(cf. Deslandes renonçant, faute de documents fiables, à traiter de la « guerre des
brevets » de 1898, ou Brownlow constatant la perte définitive de tous les films muets de
l'Universal...).
13. Sur la « Black Maria », et les premiers films qui y figurent enregistrés, voir
l'article de Gordon Hendricks, 1959. Sur le studio Mutoscope, voir les photos, p. 282 du
tome II de Deslandes, et p. 28-33 de Brownlow 1979.
14. Metz en a tiré les conséquences esthétiques et sémiologiques dans son article
« Montage et discours », par exemple, qui systématise des remarques de Mitry.
15. Sur le « Hale's Tour » : Brownlow 1979, p. 48-49. On pourrait aussi citer ici le
célèbre « premier travelling », effectué par l'opérateur Promio dans une gondole de
Venise ; Mitry, on s'en souvient, a excellemment montré que ce plan en déplacement
n'est pas équivalent à un « vrai » mouvement de caméra, encore moins à un montage
dans le plan (voir son Esthétique..., p. 151).
16. En particulier, la fameuse querelle sur l'invention ou non par Porter du montage
alterné dans Life of an American Fireman (1902) : bon état de la question établi par
Amengual dans les Cahiers de la Cinémathèque. Sur Griffith, la littérature est encore
plus copieuse ; précieuses anecdotes dans les souvenirs de Linda Arvidson Griffith et de
Karl Brown.
17. J'ai essayé d'examiner plus en détail ces conventions dans mon article sur
Griffith, auquel je renvoie.
18. Dans le découpage réalisé par Pierre Sorlin pour UAvant-scène, ces plans portent
les n°* 310 à 317 (voir la planche d'illustrations, p. 33). Ce même numéro comporte aussi
le découpage de The Battle, que j'ai cité un peu plus haut.
19. Voir description de ce film, et photos, dans l'article de Deutelbaum. Rappelons
que la critique de l'abus des cartons dialogues fut l'un des thèmes majeurs de toute la
critique « intellectuelle » dans les années 10 et 20 ; voir, très symptomatique, Vachel
Lindsay, p. 189-190.
20. Sur ces deux films et le travail d'éclairage, anecdotes éclairantes dans le livre de
Linda Arvidson.
21. Même chez les grands créateurs du cinéma américain muet, la recherche
d'expressivité dans l'image sera toujours soumise, en dernière instance, à une forte
contrainte du vraisemblable. Excellent exemple rapporté par King Vidor (interviewé par
Kevin Brownlow pour sa série télévisée sur Hollywood de la séquence de l'attaque du
bois Belleau dans The Big Parade (1925), où l'aspect mortel de l'action se voit traduit
par l'imposition d'un rythme uniforme et implacable aux mouvements des soldats —
Vidor justifiant cette idée en la référant à des événements réels.
22. Voir notamment la critique de Herbert Jhering reproduite dans Kino Débatte.
23. « De l'adaptation et du film parlant » (1929), in Ecrits, tome I, p. 201.
24. « Les images de ciel » (1928), Ecrits, tome I, p. 190.
25. Dans son article de Poetika Kino (trad, fr., p. 61).
26. C'est, faut-il le rappeler, le titre {Poetika Kino) du recueil d'articles sur le cinéma
publié par les formalistes Chklovski, Tynianov, Eichenbaum, Piotrovski et Kazanski.
Seuls les textes de Tynianov et Eichenbaum sont traduits en français (sur l'ensemble du
recueil, voir par exemple l'article de Christine Revuz).
27. Sur le caractère extrêmement littéraire des métaphores dans le cinéma russe
inspiré des théories formalistes, voir les exemples fournis par Tynianov lui-même,
notamment celui, très frappant, de la séquence du billard dans la Roue du diable, où la
chute des boules dans les poches du billard est destinée à faire métaphore de la « chute »
du héros.

26
Le point de vue

28. Je me permets de renvoyer ici aux pages que j'ai consacrées à ce sujet dans
Montage Eisenstein, où l'on trouvera d'autres références critiques.
29. Pour fixer les idées, je rappelle seulement le célébrissime cadre d'Ivan le Terrible
(1945) où le tzar (tête de profil, en gros plan, à droite du cadre) regarde la procession du
peuple russe (ruban noir se détachant sur la neige, en plan général, gauche cadre). Voici
ce qu'en écrit Eisenstein en 1947 : « Ici, avec le contraste plastique le plus violent
d'échelle et de couleur entre le tzar et la procession, ceux-ci sont unis par le contenu
interne de la scène (l'unité du tzar et du peuple), par l'élément dramatique (la tête qui
s'incline, marquant l'assentiment) et par la concordance des lignes du profil du tzar et
du contour de la procession. » On retrouve bien une situation dramatique, mise en scène
comme telle, et sa « vérité », directement traduite en termes visuels dans l'opposition/
conjonction des divers paramètres.
30. Car Bazin, contrairement à une idée simpliste, n'est pas partisan de quelque
intenable « non-intervention ». Voir, à propos de Welles : « La mise en place d'un objet
par rapport aux personnages est telle que le spectateur ne peut pas échapper à sa
signification (...). En d'autres termes, le plan-séquence en profondeur de champ du
metteur en scène moderne, ne renonce pas au montage, il l'intègre à sa plastique »,
etc.
31. Voir Serge Daney, Vieillesse du Même, et Mourlet, Sur un art ignoré.
32. Fort commode découpage de ce film dans VAvant-scène, n° 249, juin 1980 —
auquel je me réfère ici pour la numérotation des plans.
33. Constitution d'un espace qui n'a lieu, Mitry le note pertinemment, que dans la
mobilisation du point de vue : « [Avec la caméra fixe] ce qui est ressenti, ce n'est pas
l'espace mais seulement Y étendue. L'espace, en effet, ne saurait être éprouvé qu'à partir
du moment où l'on s'y déplace ou — ce qui revient au même — à partir du moment où
on l'envisage de divers points de vue successifs. »
34. Chez Mûnsterberg, par exemple, la visée est en quelque sorte renversée : il
s'intéresse essentiellement à montrer que toutes les caractéristiques du cinéma sont
« mentales », dans la mesure où toute la machinerie représentative du cinéma s'appuie
implicitement sur les lois (pour lui, grosso modo, gestaltistes) de la perception et de
l'appréhension du monde par l'esprit humain.
35. Séminaire XI, p. 93.
36. A propos de laquelle Lacan remarque, quelques lignes avant la citation qu'on
vient de donner, que les tableaux où n'est représentée aucune figure humaine présentent
néanmoins un regard, implicitement.
37. Bien que, sans doute, avec une certaine exagération dans le détail mimique, par
l'insistance unilatérale sur l'immobilité, sur le noir de la salle, surtout sur la position du
projecteur « derrière la tête » (ce qui est loin d'être une donnée universelle).
38. Voir cependant les travaux d'Alain Bergala, dans son Initiation à la sémiologie du
récit en images, et dans le dernier chapitre du Manuel d'introduction à la théorie du
cinéma (à paraître).
39. On pourrait ici rappeler, aussi bien, les remarques de Metz sur le blocage des
identifications, au théâtre, par le fait de la présence physique, dans le même espace que
le spectateur, de l'acteur et du décor. C'est aussi cette « présence » que vise Jean-Louis
Schefer lorsqu'il postule, dans toute une partie du cinéma, un rapport de sidération
entre le film et son spectateur : si le spectateur (qui, chez Schefer, est toujours peu ou
prou un spectateur enfantin) est sidéré, c'est parce qu'il y a quelque chose, une présence,
sur l'écran — et non pas seulement une représentation.

27
Jacques Aumont

RÉFÉRENCES DES TEXTES CITÉS

Barthélémy A.MENGUAL, « Un point d'Histoire : La vie d'un pompier américain et la


naissance du montage », Cahiers de la cinémathèque, n" 17, 1975.
Rudolf ARNHEIM, Film als Kunst, 1932 (rééd. Mûnchen-Wien, 1974).
Linda Arvidson (Mrs. Griffith), When the Movies were young, New York, 1925.
Jacques Aumont, Montage Eisenstein, Paris, 1979.
« Griffith, le cadre, la figure », in le Cinéma américain .'Analyses de films, (sous la dir.
de R. Bellour), Paris, 1980.
André Bazin, « Théâtre et cinéma », Esprit, juin et juillet-août 1951, cité d'après
Qu'est-ce que le cinéma ? (édition « définitive »), Paris, 1975.
« L'évolution du langage cinématographique », ibid.
Raymond Bellour, « Le monde et la distance », Dictionnaire du cinéma, Paris,
1966.
« Sur Fritz Lang », Critique, n" 226, mars 1966.
« Les Oiseaux: analyse d'une séquence», Cahiers du Cinéma, n" 216, octobre
1969.
(Ces trois articles sont repris dans l'Analyse du film, Paris, 1980).
Alain Bergala, Initiation à la sémiologie du récit en images, Cahiers de l'audiovisuel,
1977.
Nick Browne, « The Spectator in the Text : the Rhetoric of Stagecoach », Film
Quarterly, vol. XXII, n° 3, 1975 (trad, fr., Communications n° 23, 1975).
Kevin Brg-WNLOW, The Parade's Gone By, Londres, 1968.
Hollywood, 1979 (trad, fr., Paris, 1981).
Noël BuRCH, « Porter ou l'ambivalence », in le Cinéma américain : Analyses de films,
op. cit.
Keith Cohen, Film and Fiction, New Haven and London, 1979.
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J. Deslandes et Jacques Richard, ibid., vol. H, 1968.
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Deutelbaum,
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d'après * Image » on the Art and Evolution of the Film, op. cit.).
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Jean MlTRY, Esthétique et psychologie du cinéma, tome I, Paris, 1965.
Michel Mourlet, Sur un art ignoré, Paris, 1965.

28
Le point de vue

Hugo MÙNSTERBERG, The Photoplay : A Psychological Study, New York, 1916.


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Christine Revuz, « La théorie du cinéma chez les formalistes russes », Ça cinéma, n° 3,
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Jean-Louis ScHEFER, L'Homme ordinaire du cinéma, Paris, 1980.
Jean-Paul Simon, Le Filmique et le Comique, Paris, 1978.
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