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26
Théâtre et réception
parmi les spécialistes du particulièrement sur les
théâtre. Pour la première fois, formes spectaculaires inter-
l’ouvrage propose une étude approfondie artistiques et intermédiales.
Le spectateur postdramatique
Catherine Bouko
de la question postdramatique. S’appuyant
sur une quarantaine d’exemples de théâtre
contemporain, l’auteure examine la théorie Catherine Bouko
postdramatique et fournit une analyse
critique des codes propres à ces pratiques
artistiques.
Les formes postdramatiques, situées au
croisement du théâtre, de la danse, de la
performance, des nouvelles technologies et
des arts plastiques et visuels, invitent le
spectateur à des processus de réception
spécifiques. Cet ouvrage propose
d’interroger la relation que tisse le spec-
tateur avec le spectacle au moyen de
modèles de réception fondés sur des
approches esthétiques, sémiologiques
et sociologiques. Le spectateur y est
abordé sous un angle individuel (personne
singulière) et collectif (membre d’une
communauté).
Les points de vue théoriques, ponctués
de nombreux schémas et photographies,
sont illustrés par l’analyse de productions
significatives, entre autres de Roméo
Castellucci, Jan Fabre, Heiner Goebbels,
Tadeusz Kantor, Jan Lauwers, Wim
Vandekeybus et Kris Verdonck.
ISBN 978-90-5201-653-5
Théâtre et réception
parmi les spécialistes du particulièrement sur les
théâtre. Pour la première fois, formes spectaculaires inter-
l’ouvrage propose une étude approfondie artistiques et intermédiales.
Le spectateur postdramatique
Catherine Bouko
de la question postdramatique. S’appuyant
sur une quarantaine d’exemples de théâtre
contemporain, l’auteure examine la théorie Catherine Bouko
postdramatique et fournit une analyse
critique des codes propres à ces pratiques
artistiques.
Les formes postdramatiques, situées au
croisement du théâtre, de la danse, de la
performance, des nouvelles technologies et
des arts plastiques et visuels, invitent le
spectateur à des processus de réception
spécifiques. Cet ouvrage propose
d’interroger la relation que tisse le spec-
tateur avec le spectacle au moyen de
modèles de réception fondés sur des
approches esthétiques, sémiologiques
et sociologiques. Le spectateur y est
abordé sous un angle individuel (personne
singulière) et collectif (membre d’une
communauté).
Les points de vue théoriques, ponctués
de nombreux schémas et photographies,
sont illustrés par l’analyse de productions
significatives, entre autres de Roméo
Castellucci, Jan Fabre, Heiner Goebbels,
Tadeusz Kantor, Jan Lauwers, Wim
Vandekeybus et Kris Verdonck.
Directeur de collection
Marc Maufort, Université Libre de Bruxelles
Comité scientifique
Christopher Balme, University of Munich
Franca Bellarsi, Université Libre de Bruxelles
Judith E. Barlow, State University of New York-Albany
Johan Callens, Vrije Universiteit Brussel
Jean Chothia, Cambridge University
Harry J. Elam, Stanford University
Albert-Reiner Glaap, University of Düsseldorf
André Helbo, Université Libre de Bruxelles
Ric Knowles, University of Guelph
Alain Piette, École d’interprètes internationaux-Mons
John Stokes, King's College, University of London
Joanne Tompkins, University of Queensland-Brisbane
Assistante éditoriale
Caroline D E WAGTER, Université Libre de Bruxelles
Catherine B OUKO
Théâtre et réception
Le spectateur postdramatique
Dramaturgies
No.26
Cet ouvrage est publié avec le soutien de la Fondation universitaire.
ISSN 1376-3199
ISBN 978-3-0352-6033-5
D/2010/5678/56
Imprimé en Allemagne
Introduction .........................................................................................13
PREMIÈRE PARTIE
LE THÉÂTRE POSTDRAMATIQUE
CHAPITRE I
Polémique autour du théâtre postdramatique ..................................19
Un paradigme aux multiples qualificatifs ........................................19
Un théâtre qui ne condamne pas le drame ? .....................................22
À la recherche d’un paradigme discriminant ...................................25
CHAPITRE II
Le théâtre postdramatique et le drame .............................................47
Le texte-matériau non prescriptif .....................................................48
Des pôles d’émission et de réception pluriels ..................................49
Quand le texte-matériau manipule
la construction spectaculaire dramatique .........................................55
CHAPITRE III
La dramaturgie visuelle postdramatique .......................................... 73
Un théâtre d’images .........................................................................74
Le vide et le plein : esthétique des intensités ...................................77
Perception et dramaturgie visuelle : le regard en construction .........79
CHAPITRE IV
Le traitement postdramatique du corps ............................................91
Quelques présupposés épistémologiques :
le discours-corps et la présence-chair ...............................................91
Le traitement postdramatique du corps ............................................94
Le paradigme postdramatique, un art de la danse ?........................ 105
CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES
Un art de la subversion .....................................................................113
10
DEUXIÈME PARTIE
LE PROCESSUS SÉMIOTIQUE POSTDRAMATIQUE
CHAPITRE V
Le signe théâtral ................................................................................119
Les études théâtrales : entre le texte écrit et la re-présentation ......119
Le double statut du signe théâtral :
entre opacité et transparence ..........................................................122
Référence et négativité ...................................................................127
Axes paradigmatique et syntagmatique. .........................................128
Le signe sémiopragmatique peircien ..............................................130
La phanéroscopie peircienne :
les catégories de la signification.....................................................132
CHAPITRE VI
La pensée iconique postdramatique .................................................143
De l’avis des praticiens : montrer l’invisible..................................143
Interprétations symbolique et poétique ..........................................144
Détournement du banal et pensée iconique ....................................146
La pensée iconique et la subversion des codes dramatiques ..........152
CHAPITRE VII
La dramatisation postdramatique....................................................161
Concrétisation, contexte social et isotopies ....................................162
Le Lector in Fabula d’Umberto Eco :
le lecteur en tant que compétence...................................................166
Le modèle d’Umberto Eco et le théâtre postdramatique ................174
Le modèle de la réception iconique et la théorie des vecteurs .......184
Le processus sémiotique postdramatique complet .........................190
CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES
Le spectateur postdramatique modèle .............................................193
11
TROISIÈME PARTIE
COMMUNICATION THÉÂTRALE ET MODÈLES COOPÉRATIFS
CHAPITRE VIII
La réciprocité de la relation théâtrale .............................................197
Le modèle de la conversation téléphonique ...................................197
Le regard et l’écoute : la réponse du spectateur .............................199
CHAPITRE IX
Approche systémique de la communication théâtrale ....................215
Le processus d’auto-énonciation ....................................................216
L’énonciation collective .................................................................219
Un système de contraintes culturelles préexistantes ......................221
L’approche systémique de l’énonciation théâtrale .........................224
CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES
Une double coresponsabilité .............................................................239
Conclusion générale...........................................................................243
Bibliographie ......................................................................................251
Index ...................................................................................................257
INTRODUCTION
Théâtre, signe, réception
1
Szondi, P., Théorie du drame moderne, Belval, Circé, 2006.
2
Guénoun, D., Actions et acteurs : raisons du drame sur scène, Paris, Belin, 2005,
p. 27.
3
Lehmann, H.-T., Le Théâtre postdramatique, Paris, L’Arche, 2002.
14 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
LE THÉÂTRE POSTDRAMATIQUE
CHAPITRE I
Polémique autour du théâtre postdramatique
1
Lesage, M.-C., « L’interartistique : une dynamique de la complexité », in Registres,
n° 13, Paris, 2008, p. 11-26.
2
Adorno, T., cité dans Lesage, M.-C., op. cit., p. 19.
3
Pavis, P., « Les Etudes théâtrales et l’interdisciplinarité », in L’Annuaire Théâtral,
n° 29, Ottawa, 2001, p. 14.
4
Ryngaert, J.-P., « Du bon usage des cailloux », in Hébert C., Perelli-Contos, I. (dir.),
Théâtre : multidisciplinarité et multiculturalisme, Québec, Nuit Blanche Éditeur,
1997, p. 147.
Polémique autour du théâtre postdramatique 21
13
Guénoun, D., « Les Futurs du drame », in Registres, n° 8, op. cit., p. 89-99.
14
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 143.
24 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
15
Id., p. 249-250.
Polémique autour du théâtre postdramatique 25
16
Id., p. 30.
17
Sarrazac, J.-P., in Guénoun, D., « Quel devenir pour la forme dramatique ? », in
Registres, n° 8, op. cit., p. 90.
26 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
18
Ryngaert, J.-P., op. cit., p. 147.
19
Ostermeier, T., Chalaye, S., Thomas Ostermeier. Introduction et entretien par Sylvie
Chalaye, Paris, Actes Sud Papiers, 2006, p. 52-53.
Polémique autour du théâtre postdramatique 27
20
Fréchette, C., « La place du texte dans le théâtre actuel », in Hébert, C., Perelli-
Contos, I. (dir.), Théâtre : multidisciplinarité et multiculturalisme, Québec, Nuit
Blanche éditeur, 1997, p. 187-188.
21
Guénoun, D., op. cit., p. 74.
28 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
23
Séminaire organisé à l’Université Libre de Bruxelles le 12 décembre 2008 dans le
cadre du programme d’échanges Erasmus Mundus.
30 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Grotowski (né en 1933) ou Barba (né en 1936). Les années 1980 consti-
tueraient un tournant : cette première génération, âgée, cède la place à la
seconde génération d’artistes postdramatiques, née en même temps que
les nouvelles technologies. L’exploration se déplace du travail de
l’acteur comme objet central vers la composition d’un spectacle frag-
menté, au sein desquels différents champs artistiques (danse, perfor-
mance, arts plastiques, vidéo, etc.) sont exploités dans leur autonomie.
Le théâtre que nous qualifions de postdramatique relève de la se-
conde génération. La systématicité du travail de Grotowski ou Barba
s’oppose à la recherche postdramatique de la théâtralité via un dispositif
interartistique fragmenté. La recherche grotowskienne au niveau de la
déconstruction du travail dramatique de l’acteur fait écho à un pan de
l’esthétique postdramatique mais ne constitue pas une condition suffi-
sante pour être intégrée au modèle. Il en va de même pour la recherche
sur le travail de l’acteur menée par Barba. Les divergences observées
dans la méthode et les moyens convoqués afin d’interroger la fonction
de représentation dramatique invalident la prise en compte des artistes
postdramatiques de première et de deuxième génération au sein d’un
même modèle.
3.2.2. Un dispositif opposé à tout textocentrisme
La fragmentation du dispositif scénique résulte directement de
l’opposition farouche à tout textocentrisme. Le drame, énoncé au moyen
du texte, ne constitue plus le cœur du spectacle, au point d’en être
parfois totalement exclu. Dans Inferno, Romeo Castellucci exprime sa
vision de la souffrance par une succession de tableaux scéniques. Cette
dramaturgie visuelle déploie des images dont l’intensité de la puissance
d’évocation est aujourd’hui connue de tous. Libéré du drame comme
principe organisateur, Inferno pulvérise l’organisation concentrique
propre à la logique dramatique.
Richard Schechner24 aborde la question du textocentrisme lorsqu’il
distingue les notions de drame, script, théâtre et performance. Sa théorie
permet de mettre en évidence la spécificité du théâtre postdramatique,
qui ne fait plus du drame son centre névralgique.
Commençons par préciser ces concepts. Chez Schechner, le script
désigne des modèles d’actions intériorisés, dont la fixation et la trans-
mission ne passent pas par l’écrit. Cela concerne par exemple les sché-
mas de mouvements dansés spécifiques à une cérémonie. Aucun texte
écrit ne vient appuyer l’apprentissage de ces mouvements. La transmis-
sion se produit lors d’une interaction entre l’expert et l’apprenant. De
24
Schechner, R., Performance. Expérimentation et théorie du théâtre aux USA,
Montreuil-sous-Bois, Éditions Théâtrales, 2008, p. 27-72.
Polémique autour du théâtre postdramatique 31
performance
théâtre
script
drame
25
Id., p. 31.
32 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
26
Id., p. 36.
Polémique autour du théâtre postdramatique 33
performance
théâtre script
drame
27
Id., p. 38.
36 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
texte dans les années 1950, la notion théâtralité n’a cessé d’être exami-
née. Patrice Pavis28 souligne combien le concept de théâtralité devient de
plus en plus métaphorique, au point de ressembler à une coquille vide.
Ceci s’expliquerait notamment par l’utilisation de cette notion pour des
pratiques qui ne relèvent pas des arts spectaculaires (arts plastiques,
urbanisme, paysages, etc.). Excluons d’emblée cette approche non
spectaculaire pour nous concentrer sur les arts du spectacle vivant.
Deux approches de la théâtralité peuvent être distinguées. Première-
ment, la théâtralité est communément définie comme ce qui est spécifi-
quement théâtral. Il est ici question du langage théâtral, voire drama-
tique : on peut en effet observer un recours fréquent à la catégorie
dramatique pour figer la notion de théâtralité. Pavis la définit comme
« ce qui, dans la représentation ou le texte dramatique, est spécifique-
ment théâtral […]. »29 La théâtralité apparaît comme fortement liée à la
fonction scénique de représentation du texte dramatique. La définition
proposée par Jean-Marie Piemme30 conforte ce point de vue : pour le
dramaturge, la théâtralité concerne en premier lieu l’énonciation du
texte. À côté de cette approche dramatique, la théâtralité est également
définie en opposition à l’autorité du texte. Le point de vue artaudien est
systématiquement convoqué pour illustrer cette définition. L’artiste
prônait la fin de l’assujettissement au texte et la libération de la fonction
de communication linguistique. Plutôt que de représenter le monde, le
théâtre doit agir sur les sens du spectateur et les immerger totalement,
corps et âme, dans la célébration en cours.
L’approche de la théâtralité en tant que langage théâtral comparti-
mente les pratiques scéniques : le théâtre dramatique ou celui
d’inspiration artaudienne relèveraient chacun d’une théâtralité spéci-
fique. Si l’on suit cette logique, chaque esthétique scénique possèderait
sa propre définition de la théâtralité. Il y aurait alors autant de théâtrali-
tés que de pratiques. Ces définitions se contredisent par ailleurs entre
elles : d’après la définition dramatique de la théâtralité, les pratiques
artaudiennes ne relèvent pas du théâtre puisqu’elles négligent le texte.
André Helbo31 souligne combien cette approche pose problème car elle
articule la théorie et ses manifestations concrètes suivant un découpage
préétabli des pratiques, que Marie-Christine Lesage condamne égale-
ment (voir début de chapitre). Le chercheur rappelle la recommandation
émise par Greimas : « Le discours est indifférent, en principe, au lan-
28
Pavis, P., « Les Études théâtrales et l’interdisciplinarité », in L’Annuaire Théâtral,
n° 29, Ottawa, 2001, p. 17.
29
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2004, p. 358.
30
Piemme, J.-M., in Corvin, M., Dictionnaire du théâtre, Paris, Bordas, 2008, p. 1338.
31
Helbo, A., Le Théâtre : texte ou spectacle vivant ?, Paris, Klincksieck, 2007, p. 29.
Polémique autour du théâtre postdramatique 37
n’occupe qu’une partie de cet espace. Aucun objet, aucun siège n’a pour
fonction de démarquer cet espace investi du reste de la salle. Dans cette
performance, Eve Bonneau se déplace fréquemment dans l’espace. Les
spectateurs qui l’entourent suivent le déplacement de l’espace de la
fiction. Celui-ci est sans cesse modulé par la performeuse et les specta-
teurs. Le deuxième clivage concerne la distinction entre la réalité et la
fiction. Il concerne l’action des regardés, qu’ils démarquent consciem-
ment du quotidien. Ce clivage restreint le champ d’application de la
théâtralité au spectacle vivant, au sein duquel l’artiste se met consciem-
ment en scène. La théâtralité émanant du regard du spectateur sur une
action qui ne relève pas d’une mise en scène consciente (une altercation
en rue, etc.) n’obéit pas à ce second clivage. Ici, le regardant et le regar-
dé doivent adopter un point de vue sur l’action qui la distingue du
quotidien. Insistons sur le fait que l’action constitue ici un phénomène
de fiction mais pas forcément de représentation. L’acteur, le danseur ou
le performeur jouent à être un autre, à se détacher de leur identité so-
ciale. Le processus de fiction ne se traduit pas automatiquement par
l’incarnation d’un personnage, par la représentation d’un univers extras-
cénique. C’est au niveau du troisième clivage que le principe de repré-
sentation apparaît. La théâtralité naît de la confrontation entre les di-
mensions pulsionnelle et symbolique de l’énonciation scénique. Lorsque
l’action scénique est symbolique, elle passe de la simple fiction à la
représentation. La scène se transforme en signe. La théâtralité se dis-
tingue ici du spectaculaire. On retrouve ce point de vue sur l’action
partagé entre le regardant et le regardé, conditionné par les trois cli-
vages, dans la définition sémiologique de la théâtralité proposée par
Erika Fischer-Lichte.36 Pour la chercheuse, la théâtralité apparaît quand
l’utilisation de signes est prédominante, et ce tant pour celui qui les
produit que pour celui qui les perçoit.
Les clivages identifiés par Féral affinent au fur et à mesure la notion
de théâtralité : le premier clivage peut concerner toutes les interactions
humaines ; le deuxième concerne les arts du spectacle vivant ; le troi-
sième renvoie à la fonction de représentation que les pratiques de spec-
tacle vivant peuvent contenir. Le théâtre constitue le champ artistique
par excellence au sein duquel la théâtralité se déploie, mais il n’en a pas
l’exclusivité : dans son ouvrage Danse contemporaine et théâtralité
(1995), Michèle Febvre souligne combien les créations dansées peuvent
explorer la théâtralité.
Contrairement à l’idée communément rencontrée, la théâtralité ne
renvoie donc pas à ce qui est spécifiquement théâtral. Il est plus juste
36
Fischer-Lichte, E., « Theatricality Introduction : a Key Concept in Theater and
Cultural Studies », in Theatre Research International, vol. 2, n° 2, Cambridge, 1995,
p. 85-90.
Polémique autour du théâtre postdramatique 39
38
Berforini, A., « Je suis le chevalier du désespoir », in Banu, G., Tackels, B. (dir.), Le
Cas Avignon 2005, Montpellier, L’Entretemps, 2005, p. 172.
Polémique autour du théâtre postdramatique 41
39
Baillon, J., « Billet pour un débat », in Banu, G., Tackels, B. (dir.), op. cit., p. 95.
40
States, B., “The Dog on the Stage: Theatre as Phenomenon”, in New Literary
History, vol. 14, n° 2, Charlottesville, 1985, p. 373 (traduction personnelle de
l’anglais).
42 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
46
Thévoz, M. in Weiss, A. S., « Mouths of Disquietude, Valère Novarina Between the
Theatre of Cruelty and Écrits Bruts », in The Drama Review, vol. 37, n° 2,
New York, 1993, p. 87 (traduction personnelle de l’anglais).
44 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
47
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 146.
Polémique autour du théâtre postdramatique 45
Théâtre postdramatique
4
Kerbrat-Orecchioni, C., « Pour une approche pragmatique du dialogue théâtral », in
Pratiques, n° 41, Metz, 1984, p. 47.
52 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
5
Ubersfeld, A., Lire le théâtre, tome III, Paris, Belin, 1996, p. 33.
6
Mervant-Roux, M.-M., L’Assise du théâtre : pour une étude du spectateur, Paris,
CNRS Éditions, 1998, p. 27.
7
Langhoff, M., in Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 100.
Le théâtre postdramatique et le drame 53
8
Kerbrat-Orecchioni, C., Les interactions verbales, Paris, Armand Colin, 1998, p. 92.
9
Il est seulement question des monologues pour lesquels le spectateur semble être le
seul destinataire. Dans sa classification des monologues, Ubersfeld reconnaît
l’existence de monologues au sein desquels le personnage s’adresse à un absent
(mort, disparu, non présent sur la scène) ou à une instance supérieure (Dieu). Dans
ces deux cas, le destinataire premier est identifié ; le « monologant » est seul sur
54 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
scène pour des raisons pratiques : impossibilité d’être présent (mort, disparu, Dieu)
ou choix scénique (personne aimée, etc.).
10
Ubersfeld, A., op. cit., p. 23.
11
Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 22.
Le théâtre postdramatique et le drame 55
12
Id.
13
Id., p. 110.
56 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
14
Finter, H., “Antonin Artaud and the Impossible Theatre: the Legacy of the Theatre of
Cruelty”, in The Drama Review, vol. 41, n° 4, New York, 1997, p. 31 (traduction
personnelle de l’anglais).
Le théâtre postdramatique et le drame 57
15
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 26.
16
Régy, C., « Un cinéma dans notre monde intérieur », entretien avec Sébastien Derrey
in Théâtre/Public, n° 124-125, Gennevilliers, 1995, p. 114.
58 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
19
Castellucci, R., in Solis, R., « Ce Giulio Cesare tient la corde », in Libération,
15 juillet 1998.
20
Bovet, J., in Hébert, C., Perelli-Contos, I. (dir.), La face cachée du théâtre de
l’image, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 88.
Le théâtre postdramatique et le drame 61
organisation dramatique mais est avant tout élaboré comme une partition
musicale. Avec la musicalité comme principe structurant, le texte de-
vient un outil d’énonciation postdramatique. La construction intrinsèque
de Jaz de Koffi Kwahulé se fonde sur le principe organisationnel de
l’esthétique jazz. D’après Gilles Mouëllic, l’écriture de Kwahulé est un
« mouvement dans lequel coexiste une diversité de figures que l’on ne
retrouve que dans le texte oral : multiples changements de vitesse,
bifurcations soudaines, itérations sur plusieurs niveaux, contradic-
tions. »21 La construction jazz constitue véritablement la matrice de Jaz :
celui-ci présente une architecture ouverte, fragmentée, qui balance entre
le contenu dramatique et le déferlement du rythme. L’écriture de Jaz est
pensée en termes musicaux. Koffi Kwahulé affirme que « ce n’est pas le
sens d’un mot qui m’intéresse – le sens viendra tout seul si le son est
juste, si le rythme est bon. »22
Les mises en scène de Jaz de Koffi Kwahulé et de La Chambre
d’Isabella de Jan Lauwers sont représentatives de la combinatoire du
drame et de la musicalité autonome. Le point commun entre ces deux
spectacles réside dans la préoccupation partagée par leurs créateurs de
faire entendre le texte en tant que son, indépendamment du contenu
narratif.
L’organisation des deux spectacles relève de l’alternance entre des
séquences narratives et musicales. La création lauwersienne se situe par
ailleurs fréquemment à l’intersection de ces deux registres. Pour La
Chambre d’Isabella, la musicalité intrinsèque du texte est fréquemment
soutenue par la musique et la danse qui se superposent à l’énonciation
du texte dramatique. Karel Vanhaesebrouck23 souligne la présence d’une
double vibration, qui provient de l’énonciation du texte et se prolonge
dans la danse et la musique. Le signe linguistique y est travaillé dans sa
sonorité autonome.
Les mises en scène de Jaz par Denis Mpunga et par la compagnie
Les Quatr’elles sont également composées de séquences à la fois tex-
tuelles et musicales. La compagnie Les Quatr’elles insiste sur la dimen-
sion musicale du spectacle lorsqu’elle présente son travail comme une
« forme hybride de théâtre-jazz. C’est le monologue d’une femme
incarné ici par un quintet : quatre femmes et un saxophoniste. »24 Ce
dernier apparaît comme aussi important que l’énonciation verbale.
21
Mouëllic, G., Frères de son, Koffi Kwahulé et le jazz, Montreuil-sous-Bois, Éditions
Théâtrales, 2007, p. 7.
22
Id., p. 24.
23
Vanhaesebrouck, K., op. cit., p. 287.
24
Programme du spectacle consulté sur le site
http://storage.canalblog.com/63/52/205932/30284344.pdf en mai 2009.
62 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
26
Kwahulé, K., cité dans Mouëllic, G., op. cit., p. 50.
27
Artaud, A., cité dans Papin, L., « Théâtres de la non-représentation », in The French
Review, vol. 64, n° 4, New York, 1991, p. 672.
28
Gœbbels, H., Entretien par Nancy Bruchez le 1er mars 2009 pour Scènes Magazine,
consulté sur http://www.scenesmagazine.com/spip.php?article1186 en février 2010.
29
Gœbbels, H., « Text as Landscape », in Performance Research, vol. 2, n° 1,
Aberystwyth, 1997, p. 65.
64 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
30
Perrier, J.-L., « Traverser les portes du visible », in Alternatives théâtrales, n° 85-86,
Bruxelles, 2005, p. 57.
Le théâtre postdramatique et le drame 65
31
Patrice Pavis (Pavis 2004 :141) insiste sur l’absence de traits distinctifs qui compo-
sent la figure. La figure peut être définie en tant que personnage allégorique, opposé
au personnage dramatique inséré dans le drame.
66 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
32
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 171.
33
Liuga, A., “The warld of The Lobster Shop”, in Stalpaert, C. et al., op. cit., p. 153
(traduction personnelle de l’anglais).
Le théâtre postdramatique et le drame 69
34
States, B., op. cit., p. 373-388.
70 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
performeuse semble apparaître sur scène telle qu’elle est, sans incarner
un personnage.
La performeuse de Gonzo Conférence radicalise la manipulation de
la construction spectaculaire lorsqu’elle envahit physiquement l’espace
des spectateurs et les étreint. La distance physique entre la scène et la
salle se rompt. Les contacts réels avec le spectateur, touché dans sa
chair, mettent en péril la distance nécessaire à la construction spectacu-
laire. Cette dernière est grandement fragilisée et risque de céder à tout
instant. Si les spectateurs ne se laissent pas prendre au jeu, s’ils em-
pêchent Fanny de Chaillé de les étreindre, ils n’obéissent pas au rôle
fictionnel qu’elle leur impose et brisent ainsi la construction spectacu-
laire fondée sur le respect des rôles fictionnels de chacun.
3.2.4. La parole-commentaire
Toute une branche du théâtre contemporain interroge la parole théâ-
trale en la présentant en tant que commentaire. Ce procédé n’est en rien
l’apanage du théâtre postdramatique, bien au contraire : si ce travail sur
le texte est central au sein de créations dramatiques contemporaines, il
constitue seulement un aspect du travail postdramatique, dans la mesure
où l’énonciation du texte y est insérée au dispositif interartistique. Le
commentaire peut croiser la parole théâtrale à l’intérieur du même texte.
Dans La Nuit arabe, Roland Schimmelpfennig exploite particulière-
ment cette technique :
Lemonnier : votre clé est toujours dans la serrure. Je sors la clé et je la tends
à mademoiselle Mansour.
Fatima : il me tend la clé, que je coince d’un doigt entre les sacs. Encore
merci, et pour cette histoire d’eau disparue, n’hésitez pas à repasser. 35
Dans ce dialogue, l’action dramatique est vécue et commentée con-
jointement. Ce procédé trouble le croisement des relations intra- et
extrascéniques : le spectateur est le destinataire indirect lors de l’action,
mais devient un personnage fictionnel quand Lemonnier ou Fatima la lui
commente. Dans ce dialogue, chaque phrase implique une relation
scène-salle différente. Cette alternance constante de rapports au specta-
teur malmène les habitudes de perception de ce dernier.
À l’instar de ceux de Schimmelpfennig, les textes de Lauwers mé-
langent parfois l’action et le commentaire sur l’action. Dans ses spec-
tacles, la parole est fréquemment narrative : l’action dramatique est
plutôt racontée que véritablement jouée. La forme privilégiée dans Le
Bazar du homard est celle du récit : seul le troisième acte est essentiel-
lement construit sur la base de séquences dialogiques. Anneke Bonnema
35
Schimmelpfennig, R., Une nuit arabe, Paris, L’Arche, 2002, p. 14.
Le théâtre postdramatique et le drame 71
36
Thiériot, G., « Elfriede Jelinek et les avatars du drame », in Thiériot, G. (dir.),
op. cit., p. 140.
72 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
1. Un théâtre d’images
Le théâtre postdramatique est parfois qualifié de théâtre d’images ou
des images. Ces notions sont utilisées ici en opposition à l’organisation
dramatique : l’image vaut pour elle-même, sans être au service de
l’action dramatique. Il y a toutefois lieu de s’interroger sur la pertinence
du recours à la notion d’image dans le contexte des arts du spectacle
vivant. L’image doit être entendue en tant que composition scénique.
Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos6 font quant à elle usage de
l’expression d’écriture scénique. Inscrite dans une production scénique
interartistique, l’image postdramatique sollicite toutes les fonctions
sensorielles. Elle implique un nouveau rapport au sens : pour Jean-Louis
Perrier, le langage dramatique cède du terrain à « des allégories, des
symboles, des icônes, un tissu de mouvements et de gestes dont les
enchaînements sont requis à signifier. Même le son est image [chez
4
Shklovsky, V., in States, B., op. cit., p. 374.
5
Perrier, J.-L., « Roméo Castellucci : traverser les portes du visible », in Alternatives
théâtrales, n° 85-86, Bruxelles, 2005, p. 58.
6
Hébert, C., Perelli-Contos, I., La face cachée du théâtre de l’image, Sainte-Foy,
Presses de l’Université Laval, 2001, p. 9.
La dramaturgie visuelle postdramatique 75
7
Perrier, J.-L., op. cit., p. 58.
8
Hébert, C., Perelli-Contos, I., op. cit., p. 87.
9
Lauwers, J., http://www.needcompany.org, consulté le 26 janvier 2008.
10
Séminaire organisé à l’Université Libre de Bruxelles le 12 décembre 2008 dans le
cadre du programme d’échange Erasmus Mundus.
76 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Pour son spectacle Theater geschreven met een K is een Kater, Jan
Fabre a choisi de projeter une version manuscrite du texte. La projection
est ici purement artistique : le texte écranique ne constitue pas une
traduction dans une autre langue des paroles verbales. Les signes lin-
guistiques apparaissent ici à la fois en tant que signe et dessin et impli-
quent dès lors une approche du spectateur qui se situe à mi chemin entre
la communication linguistique et l’approche des arts plastiques.
Le texte écranique perd totalement sa signification linguistique dans
Stifters Dinge de Heiner Gœbbels. Projeté sur une surface non plane, les
signes linguistiques sont impossibles à déchiffrer et se mêlent aux autres
images de la scénographie. Le spectateur est contraint de ne pas cher-
cher à les décrypter mais à se laisser porter par l’agencement graphique.
Gœbbels manipule ainsi les habitudes de perception spectatorielle, par
lesquelles le spectateur tente toujours de lire les signes linguistiques, et
ainsi de les ramener à leur fonction de communication.11
11
La lecture des signes linguistiques est résolument un réflexe culturel dont il est
difficile de se débarrasser : il suffit de voir dans quelle mesure le spectateur de ciné-
ma a tendance à porter son attention sur les sous-titres quand il maîtrise la langue
parlée et ne connaît pas celle sous-titrée.
12
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 139.
13
Mittelsteiner, C., « Fragments d’une spéculation sur “HM”: “Hamlet Machine”
(1995) Un projet multimédia de Heiner Müller et Dominik Barbier », in Picon-Vallin,
B. (dir.), op. cit., p. 140.
78 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
14
Schechner, R., op. cit., p. 140.
15
Stalpaert, C., “Beauty as a weapon against the unbearable cruelty of being in Need-
company’s King Lear”, in Stalpaert, C. et al., op. cit., p. 123.
16
Id., p. 124.
La dramaturgie visuelle postdramatique 79
17
Schechner, R., op. cit., p. 260.
18
Morin, E., Science avec conscience, Paris, Éditions du Seuil, 1990.
80 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
19
Klee, P., cité dans Bosseur, J.-Y. (dir.), Musique et arts plastiques, interactions au
XXe siècle, Paris, Minerve, 1998, p. 76-108.
20
Kupka, F., in Bosseur, J.-Y., p. 51-56.
82 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
21
Le spectateur est contraint de rejeter ses connaissances encyclopédiques. Comme
nous le verrons dans le chapitre VII, cet abandon de conventions maîtrisées fait partie
intégrante de l’enjeu spectatoriel : c’est en abandonnant sa connaissance du monde
que le spectateur peut atteindre la pensée iconique.
84 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
the house but did not enter, la scénographie du deuxième tableau est
composée d’une maison de dimension réelle. La scène se produit dans
une obscurité totale ; la lumière provient uniquement des quelques
éclairages de la maison. Pourtant, l’ombre d’un arbre se distingue sur la
façade.
22
Document présentant l’ouverture du Musée Magritte, le 2 juin 2009 à Bruxelles,
p. 37.
86 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
23
Ubersfeld, A., Lire le théâtre, tome II, Paris, Belin, 1996, p. 37.
24
Bernard, M., De la création chorégraphique, Pantin, Centre National de la Danse,
2001, p. 87.
88 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
risque de blessures est réel pour Romeo Castellucci lorsqu’il est allongé
sur le sol le visage découvert (voir photographie [1], chapitre I).
De telles actions performatives maintiennent la réception du specta-
teur dans l’intensité du présent. L’espace-temps se limite à celui de
l’événement ; celui-ci ne renvoie plus à autre chose qu’à lui-même.
L’intensité de telles séquences prend le pas sur toute fonction de relais
dramatique. Le point de vue sur l’action fait la part belle à la performa-
tivité : quand le spectateur est happé par le caractère concret de
l’événement scénique, le réel fait irruption sur le plateau.
L’Orgie de la tolérance de Jan Fabre comprend plusieurs séquences
d’agression sexuelle qui confrontent avec violence les pôles de perfor-
mativité et de représentation : alors que ces sévices s’intègrent au récit et
remplissent une fonction de représentation, elles portent néanmoins
réellement atteinte à l’intimité physique du performeur. La réception du
spectateur balance entre ces deux extrêmes. Celui-ci est alors contraint
d’aborder le spectacle selon deux modes : selon les codes théâtraux de
l’illusion et selon les codes culturels (la morale) s’il considère le spec-
tacle comme un événement réel. Pour de tels spectacles, le spectateur
remplit la fonction de témoin, qui fait appel à son éthique. La responsa-
bilité du spectateur est engagée. White Clouds and Blue Sky Forever de
Ko Siu Lan intègre le questionnement de la morale spectatorielle dans
son dispositif : un aquarium percé contenant un poisson rouge se vide
progressivement de son eau. Choqués par l’asphyxie annoncée de
l’animal, les spectateurs montent sur le plateau pour remplir le bocal au
moyen des bouteilles d’eau disposées dans la salle. Ko Siu Lan oblige
ici le spectateur à aborder le plateau comme un événement réel, sans
quoi le poisson mourra devant ses yeux.
CHAPITRE IV
Le traitement postdramatique du corps
1
Bernard, M., op. cit., p. 18.
92 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
2
Pour Michel Bernard, la notion d’ex-pression est à entendre au sens étymologique du
mot, comme un processus pulsionnel et énergique.
3
Fontanille, J., Soma et sema, figures du corps, Paris, Maisonneuve & Larose, 2004,
p. 22.
4
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 150.
Le traitement postdramatique du corps 93
5
Bernard, M., op. cit., p. 87.
6
Barba, E., in Pavis, P., op. cit., p. 270.
7
Dubois, J., La mise en scène du corps social, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 31.
8
Rivière, J.-L., Comment est la nuit ? Essai sur l’amour du théâtre, Paris, L’Arche,
2002, p. 65.
9
Butler, J., in Klaver, E., « A Mind-Body-Flesh Problem: the Case of Margaret
Edson’s Wit », in Contemporary Literature, vol. 45, n° 4, Madison, 2004, p. 668.
10
Godard, H., « Le geste et sa perception », in Michel, M., Ginot, I., La danse du
XXe siècle, Paris, Larousse-Bordas, 1998, p. 224.
11
Kirby, M., in Berghaus, G., Avant-garde performance. Live Events and Electronic
Technologies, New York, Macmillan Palgrave, 2005, p. 134.
94 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
12
Grossman, E., in Louppe, L., Poétique de la danse contemporaine. La suite,
Bruxelles, Contredanse, 2007, p. 47.
Le traitement postdramatique du corps 95
13
Deleuze, G., Francis Bacon : logique de la sensation, Paris, Éditions de la différence,
1984, p. 36.
96 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
15
Castellucci, R., op. cit., p. 55.
16
Marzano, M., Penser le corps, Paris, PUF, 2002, p. 13.
98 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
17
Hurault, C., « L’empereur de la perte. Fascination et défi », in Alternatives Théâtra-
les, n° 85-86, Bruxelles, 2005, p. 94-95.
Le traitement postdramatique du corps 99
18
Bougnoux, D., La crise de la représentation, Paris, La Découverte, 2006, p. 25.
19
Lepecki, A., « Skin, Body, and Presence in Contemporary European Choreography »,
in The Drama Review, vol. 43, n° 4, New York, 1999, p. 135.
Le traitement postdramatique du corps 101
de vélo sont explorées, etc. Les systèmes scéniques sont ici à interpréter
au sens propre : l’obscénité consiste dans la reproduction des actions
intimes, auxquelles on confère une note humoristique. L’enjeu du signe
obscène réside ici dans la provocation révolutionnaire et non dans la
confrontation du sublime et de l’abject, forces de toute vie. Le corps
obscène s’intègre ici à une didactique de la contestation couplée d’une
esthétique de la provocation. De mystique, le signe obscène est devenu
pédagogique.
Au sein du travail de Jan Fabre, deux esthétiques du corps obscène
peuvent être identifiées. Dans les deux cas, le performeur apparaît
comme un guerrier : la première esthétique renvoie aux guerriers de la
beauté, selon l’expression de Jan Fabre lui-même ; la seconde fait appa-
raître l’acteur comme un guerrier politique. Les deux esthétiques n’appa-
raissent pas comme de qualité égale : tandis que le guerrier de la beauté
déploie une charge poétique en conjuguant les extrêmes de la condition
humaine, le guerrier politique semble limiter son propos à une repro-
duction, voulue humoristique, des gestes qu’il condamne. L’obscène
devient particulièrement puissant quand il tend vers la transcendance et
seule la première esthétique explore celle-ci, dans une quête existen-
tielle.
2.5. Érotisation
À l’instar de Félix Ruckert cité ci-avant, Jan Lauwers aime jouer avec
le désir spectatoriel et interroger la position de voyeur du spectateur. Le
voyeurisme et l’exhibitionnisme – voir et être vu – inhérents à la
création spectaculaire sont au centre du travail lauwersien. Pour Rudi
Laermans20, toutes les créations de la Needcompany interrogent les
possibilités de jeu avec le regard du spectateur, rendu insensible par la
profusion d’images qui caractérise la société contemporaine.
Dans The Snakesong Trilogy, les mouvements de bassin effectués de
dos par la performeuse aux seins nus captivent le regard du spectateur
attiré. La sensualité suggestive du corps féminin présentée à l’arrière-
plan contraste avec l’exhibition agressive du corps mentionnée précé-
demment. La chair est ici partiellement cachée ; c’est au spectateur de
dessiner mentalement les courbes du corps.
Cette technique est également exploitée pour le personnage de Nasty
dans Le Bazar du homard : la courte robe translucide que porte la
performeuse est très suggestive mais empêche néanmoins le dévoile-
ment complet de son corps parfait. Certaines postures corporelles accen-
tuent l’érotisme intrinsèque de la féminité. Ceci n’est bien entendu pas
20
Laermans, R. « The essential theatre of Needcompany », in Stalpaert, C. et al.,
op. cit., p. 207.
102 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
23
Michel, M., Ginot, I., op. cit., p. 214.
24
Kubiak, A., “Disappearance as History: The Stages of Terror”, in Theatre Journal,
vol. 39, n° 1, Baltimore, 1984, p. 87 (traduction personnelle de l’anglais).
104 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
25
Louppe, L., Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, 1997,
p. 97.
Le traitement postdramatique du corps 105
27
Programme du spectacle distribué aux spectateurs.
Le traitement postdramatique du corps 107
29
Bernard, M., op. cit., p. 127.
110 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
30
Febvre, M., op. cit., p. 65
CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES
Un art de la subversion
Fragmentation et cocréation
La dramaturgie visuelle autonome se présente comme un dispositif
fragmenté, multisensoriel, au sein desquels les signes sont émis à profu-
sion. Une mise en tension des intensités peut parfois être observée :
certains systèmes scéniques constituent des points de répit au milieu du
chaos scénique, tels les lents mouvements dansés dans le cinquième acte
du Roi Lear de Jan Lauwers.
La profusion scénique postdramatique est l’objet de certaines cri-
tiques : certains condamnent cette logique de la submersion, qui se
maintiendrait à un niveau superficiel. Il apparaît plutôt que la fragmenta-
tion et la non-hiérarchisation du dispositif scénique laisse une totale
liberté au spectateur pour créer son propre système signifiant. Tout
spectacle théâtral implique la destruction du déroulement scénique par le
spectateur, qui crée son propre montage. Hors de toute cohérence dra-
matique, la création postdramatique amplifie cet aspect de l’activité
spectatorielle. Le spectacle se présente par ailleurs comme une œuvre-
processus, en évolution constante, plutôt que comme un produit abouti
qui fige la représentation d’un drame. Le processus d’actualisation du
sens y est plus important que le sens lui-même : le spectateur est invité à
interroger ses habitudes de réception plutôt qu’à chercher désespérément
un sens précis aux signes scéniques.
L’instance scénique ne transmet aucun message artistique, selon
l’expression d’Anne Ubersfeld. Elle crée des images multisensorielles
qui laissent libre cours à l’interprétation débridée du spectateur.
DEUXIÈME PARTIE
1
Pavis, P., op. cit., p. 354.
2
Serpieri, P., in Pavis, P., op. cit., p. 355.
3
Ubersfeld, A., Lire le théâtre, tome I, Paris, Belin, 1996, p. 13.
120 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
4
Id., p. 19.
Le signe théâtral 121
5
Id., p. 356.
122 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
6
Peirce a proposé la distinction entre le type et le token (voir “Prolegomena to an
Apology for Pragmaticism”, CP 4.537, 1906). Pour Peirce, le type n’existe pas en
tant qu’objet ou événement singulier mais il détermine des objets existants. Le token
est quant à lui défini comme un objet ou événement unique, qui se produit dans un
espace-temps singulier. Le token consiste dans une exemplification du type. Par
exemple, l’article anglais « the » constitue un type. Lorsque ce mot est écrit sur une
page, il devient un token, autrement dit un exemplaire singulier.
124 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
TYPE
univers dramatique du texte écrit
TOKEN 1 TOKEN 2
représentation scénique du drame manifestation concrète sur scène
(fiction) (performance)
signe théâtral
Figure [7] : schéma type/token pour la représentation dramatique
Texte
fiction (token 1) +
performance (token 2) >< performance musicale autonome
transparence opacité
7
Ubersfeld, A., Lire le théâtre, tome II, Paris, Belin, 1996, p. 44.
8
Pavis, P., Voix et images de la scène, Lille, PUL, 1985, p. 72.
126 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
3. Référence et négativité
Pour Ubersfeld, tout signe théâtral est marqué de négativité : tout
élément scénique perd sa qualité d’objet réel pour se transformer en
signe fictionnel. Sur scène, la fonction de signe se substitue donc à la
fonction d’objet. L’objet devient signe au service de la fiction : une
chaise n’est plus une chaise sur laquelle le spectateur pourrait s’asseoir
mais seulement un accessoire de la fiction. La négativité du signe re-
vient à un procédé d’« allègement sémiotique »12 : l’objet n’est pas
abordé en tant que présence mais en tant que relais dramatique, vers un
monde extérieur.
Au théâtre, l’illusion et le phénomène d’identification qui en découle
s’accompagnent du mécanisme de dénégation. Ces deux processus sont
enclenchés simultanément : le spectateur appréhende le monde de la
scène comme un monde possible (identification à l’illusion), tout en
étant conscient que ce monde perçu ne s’inscrit pas dans le réel (dénéga-
tion). C’est la dénégation qui confère une marque de négativité au signe
théâtral.
La notion d’« effet de réel » étudiée par Patrice Pavis13 met en évi-
dence le mécanisme de négativité : dans le cadre d’une représentation
mimétique, le spectateur pense être en contact avec le référent du signe
(identification). Il s’agit en réalité du signifiant du signe, qui devient
porteur de sens via le signifié (dénégation). La négativité implique ce
passage du référent au signifiant.
Les mécanismes d’identification et de dénégation demandent à être
évalués dans le cas du théâtre postdramatique. Au sein de la logique
dramatique, l’objet sur scène vaut en tant que référence à l’objet du
monde extérieur. L’esthétique postdramatique tend à briser cette réfé-
rence et la négativité des signes : ceux-ci sont fréquemment exploités
pour leur matérialité, sans rapport direct au monde extérieur.
12
Bougnoux, D., op. cit., p. 21.
13
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2004, p. 325.
128 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
16
Helbo, A., op. cit., p. 96.
130 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
17
Nicole Everaert-Desmedt (Le processus interprétatif : introduction à la sémiologie
de Peirce, Liège, Mardaga, 1990, p. 39) souligne la différence terminologique entre
le signe et le representamen. Le premier consiste dans la chose donnée ; le second est
la chose-signe intégrée au processus sémiotique. Peirce fait parfois indistinctement
usage de ces notions.
18
Eco, U., « Peirce’s notion of interpretant », in MLN, Baltimore, vol. 91, n° 6, 1976,
p. 1457-1472.
19
Smith, C.M., « The Aesthetics of Charles S. Peirce », in The Journal of Aesthetics
and Art Criticism, Philadelphia, vol. 31, n° 1, 1972, p. 21-29.
Le signe théâtral 131
signe et ne doit pas être confondu avec l’interprète. En tant que signe,
l’interprétant a une existence propre ; l’interprète empirique ne consiste
que dans une exemplification dans le champ des interprétants. Pour
Smith, il est faux de penser que les affects engendrés par l’œuvre ne
peuvent qu’être subjectifs. Chaque interprétant exemplifie un type de
rapport entre l’objet et le representamen. L’ensemble de ces interpré-
tants permet d’identifier les rapports récurrents et de tendre vers l’inter-
prétant final.
Le rapport entre l’interprétant et le representamen dépend des con-
ventions propres à la culture donnée. Le processus sémiotique, théori-
quement illimité, est maîtrisé par l’habitude, qui permet au destinataire
d’attribuer un « interprétant logique final » aux signes. Celui-ci fige tem-
porairement le processus sémiotique. L’interprétant logique final n’est
toutefois pas un interprétant ultime chronologiquement. Tel un phénix,
le processus sémiotique meurt et renaît de ses cendres constamment.
La notion d’habitude renvoie aux lois formulées a posteriori, au
contact de la réalité. Les conventions consistent quant à elles dans des
lois formulées a priori. Tant les lois formulées a priori que celles
élaborées a posteriori bloquent temporairement le processus sémiotique.
Eco souligne dans quelle mesure Peirce vérifie les théories compor-
tementales d’un point de vue sémiotique : une action répétée par rapport
à un signe donné devient à son tour un signe. Le comportement specta-
toriel est déterminé par l’habitude. Au fur et à mesure de sa fréquenta-
tion des théâtres, le spectateur maîtrise de mieux en mieux les conven-
tions théâtrales. Celles-ci influencent, de concert avec les codes culturels
acquis, les interprétants logiques finaux. L’attribution d’un signifié n’est
donc en aucun cas un processus automatique mais consiste dans un
mécanisme pragmatique qui dépend des conventions socioculturelles
maîtrisées par le destinataire.
Les lois communes qui orientent la sémiose constituent selon Peirce,
le « common ground » du processus sémiotique. Ce terme comprend en
son sein la dimension collective de cette notion, selon laquelle différents
individus dans un contexte donné partageraient la connaissance de
certaines lois et auraient ainsi recours à des interprétants semblables.
Le spectateur peut par ailleurs avoir recours à un double interprétant,
quand il aborde Laurence Olivier en tant qu’homme et en tant que
personnage de Hamlet. Si d’autres interprétants ne sont pas à exclure, le
« common ground » composé des conventions théâtrales influence le
spectateur vers une approche essentiellement dramatique des éléments
scéniques.
Du point de vue peircien, l’opacité du signe renvoie à l’impossibilité
de recourir à des codes pour lui conférer un interprétant. Le dispositif
132 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
6. La phanéroscopie peircienne :
les catégories de la signification
sang) pour se réaliser – objet qui singularise les qualités observées dans
la priméité. L’interprétation est obtenue par l’intermédiaire de codes.
6.2. Les catégories de la signification
Les notions d’objet, de representamen et d’interprétant sont toutes
abordées selon les trois catégories. Nicole Everaert-Desmedt20 rappelle
l’articulation des trois catégories dans le schéma suivant :
I 3. 1. rhème
2. dicisigne
3. argument 1. abduction
2. induction
3. déduction
R 1. 1. qualisigne O 2. 1. icône
2. sinsigne 2. indice
3. légisigne 3. symbole
20
Everaert-Desmedt, N., Interpréter l’art contemporain, Bruxelles, De Boeck, 2006,
p. 297.
134 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Les dix catégories sont basées sur les trois possibilités d’approche du
representamen, de l’objet et de l’interprétant. La priméité, la secondéité
21
D’après les deux théoriciens, les interprétants émotionnels, énergétiques et finaux
relèvent tous de l’interprétant dynamique car ils consistent dans des effets concrets
sur le destinataire. Liszka met en évidence dans quelle mesure cette hypothèse mé-
lange la secondéité et la tiercéité. Considérer qu’une action singulière (secondéité)
peut constituer un interprétant final (tiercéité) invalide leur théorie. Un interprétant
logique suppose un rapport triadique entre le representamen et l’objet. Il ne peut donc
pas être une subdivision de l’interprétant dynamique, qui lui implique un rapport
dyadique.
22
Everaert-Desmedt, N., op. cit., p. 295.
136 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
27
Goodman, N., Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Cambridge,
Hackett Publishing, 1988.
138 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
28
Encore une fois, nous insistons sur le fait que les catégories ne sont pas exclusives :
la photographie de mon frère est, dans le portefeuille de ma mère, à la fois icône et
indice. Les catégories peuvent se combiner.
29
Johansen, J.D., op. cit., p. 154.
Le signe théâtral 139
30
L’étude des types accrétifs n’est pas pertinente dans le cadre de notre étude. Il
concerne la priméité comme seconde et comme troisième et se définit à l’inverse de
la dégénérescence, qui aborde la secondéité et la tiercéité au niveau de la priméité.
L’accrétion est une avancée, la dégénérescence un recul.
140 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
31
Deledalle, G., Théorie et pratique du signe, Paris, Payot, 1979, p. 60.
32
La notion de commencement provient directement des théories de la dramaturge et
écrivaine Gertrude Stein. Cette dernière s’opposait au rythme syncopé de la représen-
tation théâtrale et supprimait toute progressivité dans ses œuvres. Son objectif consis-
tait à maintenir le spectateur dans un présent perpétuel, afin qu’il jouisse des images
scéniques dans l’instant, sans se préoccuper d’une quelconque narrativité.
Le signe théâtral 141
33
Everaert-Desmedt, N., op. cit., p. 49.
34
Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 48.
35
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2004, p. 322.
36
Fischer-Lichte, E., op. cit., p. 70.
142 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
37
Id., p. 71 (traduction personnelle de l’anglais).
38
Id., p. 77 (traduction personnelle de l’anglais).
CHAPITRE VI
La pensée iconique postdramatique
sorte qu’on put, dans le même temps, l’emplir d’une nouvelle puis-
sance. »1
Lors du processus de réception iconique, le spectateur abandonne les
conventions dramatiques et se laisse transpercer par l’opacité mysté-
rieuse des signes scéniques. La modification de ses habitudes spectato-
rielles l’invite à une nouvelle perception – iconique –, à une nouvelle
puissance.
Les hypothèses de Brook sont également proches de la pensée ico-
nique. Selon le metteur en scène, l’enjeu du théâtre sacré consiste à
rendre visible l’invisible. Non seulement le théâtre postdramatique
parvient à montrer « l’invisible » mais elle offre les conditions qui
permettent sa perception. Pour Brook, l’invisible se cache sous l’écorce
du monde des apparences, telle une matière bouillante. En ébranlant le
spectateur (et donc ses habitudes de perception), le dispositif scénique
l’ouvre à la vie. Brook prend le happening comme exemple. Il apparaît
que le théâtre postdramatique, par la subversion des codes dramatiques,
poursuit le même objectif. Lorsque que le spectateur atteint la pensée
iconique, il entre en contact avec l’invisible. L’étude de la réception
iconique permet d’approfondir ces réflexions à la lumière des théories
sémiologiques.
1
Brook, P., L’Espace vide. Écrits sur le théâtre, Paris, Seuil, 2001, p. 77.
2
Everaert-Desmedt, N., op. cit., p. 55.
La pensée iconique postdramatique 145
Mystère
PRIMÉITÉ
icône
I pensée de la « ressemblance »
(iconique)
Objet mystérieux
SECONDÉITÉ
I dicisigne
indice
Signe de la porcelaine
sur scène
TIERCÉITÉ
symbole
I rhème
Porcelaine utilisée
sur la scène
Figure [14] : adaptation du diagramme de la pensée iconique
(Everaert-Desmedt) à The Porcelain Project
3
Everaert-Desmedt, N., op. cit., p. 48.
152 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Le drame shakespearien peut être rendu sur scène par des moyens
scéniques non dramatiques. L’énonciation dramatique du texte fait place
à la performance. Ce remplacement implique le passage du processus
authentique au processus dégénéré : le spectateur est confronté à un
spectacle avec peu de texte, qui requiert une approche spectatorielle non
dramatique. Le processus sémiotique dégénéré est illustré par deux créa-
tions : Le Roi Lear par Jan Lauwers et Tempest II de Lemi Ponifasio.4
Dans les deux cas, les éléments extérieurs au spectacle – tant le péri-
texte que l’épitexte – font explicitement allusion au dramaturge. Le titre
constitue assurément la première référence. Le programme qui accom-
pagne le spectacle se réfère également à l’œuvre originale. Ces deux
premières indications font écho au contenu encyclopédique du specta-
teur, qui est ainsi invité à prendre l’œuvre shakespearienne comme cadre
de référence. Le paratexte active ainsi des horizons d’attente déterminés,
qui seront ensuite déjoués.
4.1.1. L’appropriation postdramatique du Roi Lear
et de La Tempête
Dans son appropriation du Roi Lear, Jan Lauwers conserve pour une
grande part le texte original. C’est essentiellement le cinquième acte qui
fait l’objet de l’analyse : le drame shakespearien apparaît sous la forme
d’une performance. Dans cet acte, le dispositif scénique est saturé
d’informations : le son des armes, des pleurs, etc. sont produits par
certains performeurs, tandis que d’autres tentent de faire entendre leur
texte par-dessus la profusion de sons. La dimension performantielle est
ici mise en évidence ; l’énergie de la performance physique supplante la
signification linguistique.
Dans Tempest II, Ponifasio travaille tant sur l’expression que sur le
contenu. L’œuvre originelle est citée sous ces deux aspects. Dans cette
création, le drame a pris la forme d’un « crypto-récit »5, porteur d’une
référence latente. L’esthétique dramatique a pratiquement totalement
cédé la place à la performance. Le texte shakespearien se prête particu-
lièrement à une telle transposition : énigmatique, il contient une part
importante de surnaturel et est considéré par beaucoup comme une
allégorie des sentiments humains. Tout comme dans le texte de Shakes-
peare, la chanson occupe une place non négligeable au sein de Tempest
II. Du point de vue du contenu, l’univers élisabéthain est transposé aux
4
Né dans les îles Samoa, Lemi Ponifasio se frotte aux arts scéniques en Nouvelle-
Zélande, puis en Asie et en Europe. Ses spectacles, situés au croisement du théâtre,
de la danse et des arts visuels, comprennent une forte dimension rituelle et politique.
En 1995, Ponifasio fonde la compagnie MAU, dont le nom évoque les mouvements
en faveur de l’indépendance des minorités du pacifique.
5
Louppe, L., Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, p. 266.
154 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
6
Helbo, A., L’Adaptation, du théâtre au cinéma, Paris, Armand Colin, 1997, p. 24.
La pensée iconique postdramatique 155
Mystère
PRIMÉITÉ
icône
I pensée iconique
performance mystérieuse
SECONDÉITÉ
I dicisigne
indice
moyens scéniques
non dramatiques
TIERCÉITÉ
I rhème
symbole
représentations précédentes
du drame shakespearien /
4 premiers actes du Roi Lear
Figure [15] : la pensée iconique pour Le Roi Lear et Tempest II
I pensée iconique
Approche des sculptures en tant que qualité
Objets mystérieux
SECONDÉITÉ
indice
I dicisigne
La scénographie est indépendante du drame
TIERCÉITÉ
symbole
I rhème
(traits standards de la scénographie
dramatique)
Scénographies dramatiques
précédentes
Figure [16] : adaptation du diagramme d’Everaert-Desmedt
au spectacle Le Bazar du homard de Jan Lauwers
Mystère
PRIMÉITÉ
icône
I pensée iconique
Approche du corps en tant que qualité
Corps mystérieux
SECONDÉITÉ
indice
I dicisigne
L’expressivité du corps est indépendante de
tout discours dramatique
Corps en tension
TIERCÉITÉ
symbole
I rhème
(traits standards du jeu et du personnage
dramatiques)
Personnages dramatiques
déjà rencontrés
Figure [17] : personnage et performance dans Le Bazar du homard
de Jan Lauwers & Needacompany
La pensée iconique postdramatique 159
1
Pavis, P., Voix et images de la scène, Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du
Septentrion, 2007, p. 246.
La dramatisation postdramatique 163
3
Le rôle actif du destinataire dans la création des isotopies est admis au sein des
modèles sémiopragmatiques. Pour Eco (Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset,
1992, p. 127) « un système naît d’une hypothèse interprétative » et non l’inverse. Le
lecteur est autorisé à élaborer sa propre combinatoire de signes sur la base de
l’hypothèse qu’il a formulée, dans la mesure où celle-ci s’appuie sur des éléments du
texte qui ne s’opposent pas aux autres aspects plus explicitement énoncés. Le lecteur
est donc chargé d’assembler certains signes (ou systèmes de signes) pour les articuler
dans un système qui fasse sens. Une interprétation peut paraître « excédentaire » dans
la mesure où elle se fonde sur des signes moins apparents mais elle demeure néan-
moins rattachée au texte et par conséquent légitimée par la stratégie textuelle.
4
Pavis, P., op. cit., p. 229.
La dramatisation postdramatique 165
9
Id., p. 46.
10
Lehmann, H.-T., op. cit., p. 128.
La dramatisation postdramatique 167
11
Eco, U., op. cit., p. 234.
La dramatisation postdramatique 169
16
De Marinis, M., The Semiotics of Performance, Bloomington, Indiana University
Press, 1993.
17
Glass, L., cité dans Vogler, E., Management stratégique et psychologie cognitive,
1995, p. 5, http://www.emlyon.com/france/faculte/professeurs/alpha/vogler/WP9510.
pdf, consulté en septembre 2008
18
Esquenazi, J.-P., Sociologie des publics, Paris, La Découverte, 2003, p. 11.
172 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
21
Pavis, P., L’Analyse des spectacles, Paris, Armand Colin, 2005, p. 232.
La dramatisation postdramatique 175
REPRÉSENTATION
dans son déroulement scénique
DRAMATISATION
SPECTACLE POSTDRAMATIQUE
25
La notion d’idéologème formulée par Pavis (L’Analyse des spectacles, Paris, Armand
Colin, 2005, p. 49-50) est ouverte aux séquences scéniques non dramatiques. La spé-
cificité de celles-ci réside dans leur ouverture au niveau de la forme. Pavis prend
l’exemple d’une création non dramatique de Heiner Gœbbels, qui possède un idéolo-
gème évident au niveau du contenu (l’invasion du territoire de l’homme noir par
l’homme blanc). L’idéologème consiste ici dans une thématique générale. Le carac-
tère explicite que Pavis lui reconnaît paraît discutable mais n’est au demeurant pas
dramatique. La fragmentation de la forme, qui fait appel à des composantes interartis-
tiques, n’impose pas « […] une hiérarchie, un résultat, un parcours et un discours
idéologique. » (id., p. 50). L’idéologème peut ainsi être libéré de l’autorité drama-
tique et se matérialiser dans une forme qui laisse le spectateur libre dans son interpré-
tation.
La dramatisation postdramatique 183
26
Eco, U., Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985, p. 234.
184 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
27
Pavis, P., L’Analyse des spectacles, Paris, Armand Colin, 2005, p. 61.
186 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
DRAMATISATION
VECTORISATION
AUTHENTIQUE
SECONDAIRE
SÉMIOTIQUE
PROCESSUS
symbole
I Pensée de la « ressem-
blance » (iconique) VECTORISATION PRIMAIRE
performance mystérieuse
SECONDÉITÉ
I Dicisigne
indice
(L’énonciation du drame
fait place à la performance.)
I Rhème
symbole
(traits standard
de l’énonciation drama-
tique, codes en jeu, etc.)
représentations précédentes
du drame shakespearien /
4 premiers actes du Roi Lear
Figure [23] : le processus sémiotique postdramatique complet
associé à la théorie des vecteurs pour Tempest II de Lemi Ponifasio
CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES
Le spectateur postdramatique modèle
COMMUNICATION THÉÂTRALE
ET MODÈLES COOPÉRATIFS
CHAPITRE VIII
La réciprocité de la relation théâtrale
INSTANCE SPECTATEUR
SCÉNIQUE
systèmes de communication
(codes linguistiques)
PROCESSUS A
émetteur récepteur
PROCESSUS B
récepteur émetteur
COMMUNICATION
Figure [24] : la réciprocité de la communication appliquée à l’objet théâtral
1
Cabin, P., Dortier, J.-F., La Communication : état des savoirs, Auxerre, Science
Humaines éditions, 2005, p. 10.
2
Mounin, G., Introduction à la sémiologie, Paris, Éditions de Minuit, 1970.
La réciprocité de la relation théâtrale 199
3
Helbo, A., Les Mots et les gestes, Lille, Presses universitaires de Lille, 1983, p. 89.
4
Id., p. 72.
5
Mervant-Roux, M.-M., op. cit.
200 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
respiration du spectacle
6
Id., p. 124.
7
Dullin, C., Souvenirs et notes de travail d’un acteur, Paris, Librairie théâtrale, 1985,
p. 85.
La réciprocité de la relation théâtrale 201
8
Mervant-Roux, M.-M., op. cit, p. 130.
202 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
9
Id., p. 135.
10
Id.
La réciprocité de la relation théâtrale 203
11
Reinhardt, M., cité dans Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 141.
204 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Les quatre lignes noires représentent les écrans sur lesquels William
Forsythe apparaît. Le cercle gris correspond à la scène occupée par
Ivana Jozic. Enfin, la ligne courbe qui entoure la scène schématise
l’emplacement des spectateurs, assis par terre. L’impossibilité de bouger
du spectateur contribue à donner toute sa force à la performance de
Jozic :
12
De Marinis, M., op. cit.
13
Schechner, R., op. cit., p. 241-266.
206 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
14
Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 151.
La réciprocité de la relation théâtrale 209
15
Fischer-Lichte, E., The Semiotics of Theater, Bloomington, Indiana University Press,
1992.
210 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
s’arrête pas aux bords du plateau. Par le son, l’espace scénique peut
s’étendre à la salle et résonner jusqu’à la dernière rangée de sièges.
La création postdramatique manipule la perception de l’espace so-
nore du spectateur. Les divers procédés exploités modifient la relation
théâtrale. Dans la première série d’exemples présentés ci-dessous, le
cadre scénique est déconstruit par l’espace sonore. Dans le second
exemple, l’espace de l’action et des spectateurs s’entremêlent. Ceci
modifie les possibilités de résonance du son.
2.3.2.1. Le principe de synchrèse :
déconstruction du cadre scénique
De nombreux spectacles postdramatiques exploitent le principe de
« synchrèse », étudié par Michel Chion16 : le son s’intensifie progressi-
vement et ouvre ainsi l’espace de jeu. Ce dernier se propage vers la
salle. Inversement, l’espace scénique rétrécit lorsque l’intensité sonore
diminue. Wim Vandekeybus exploite particulièrement ce procédé dans
Menske : lors de certaines séquences, la musique de Daan est diffusée à
grand volume. La diffusion du son au moyen de baffles implique que la
scène n’apparaît plus comme la source du son. Ces scènes contrastent
avec les autres, plus calmes et sans musique. L’alternance entre ces deux
types de séquences rend l’espace sonore élastique : lorsque le volume
est élevé, l’espace scénique s’étend et englobe l’espace des spectateurs.
Ces derniers franchissent le cadre scénique : du point de vue sonore, il
n’y a plus de distinction entre l’espace de l’action et l’espace des specta-
teurs. À l’inverse, ces derniers sont rejetés du cadre scénique lorsque
l’intensité sonore diminue.
Le principe de synchrèse ne se limite pas à l’exploitation de mu-
siques. Il peut également se produire lorsque les performeurs crient le
texte et que leurs sons sont amplifiés. Comme dans Le Roi Lear de Jan
Lauwers, l’intensité de leur performance fait glisser l’espace de l’action
vers la salle.
La confrontation du public à un espace sonore élastique caractérise
les trois derniers spectacles de Jan Lauwers (La Chambre d’Isabella, Le
Bazar du homard et La Maison des cerfs). Dans chacun d’entre eux, des
séquences musicales entrecoupent le jeu des performeurs. Le détache-
ment qui caractérise le jeu des acteurs contraste avec la diffusion musi-
cale du son amplifié : leur jeu détaché n’est pas énergique ; les signes
linguistiques sont généralement énoncés sans apparente conviction ni
relief. L’action scénique ne semble concerner personne, pas même les
performeurs. Dans de telles séquences, l’espace de l’action est limité au
plateau. À l’inverse, l’intensité sonore des parties musicales fait débor-
16
Chion, M., in, Mervant-Roux, M.-M., op. cit., p. 154.
La réciprocité de la relation théâtrale 211
émotions sur leur face perdue et la qualité auditive de leur attention, les
spectateurs assistent la représentation. Lorsque la relation théâtrale est
de bonne qualité, le public se transforme véritablement en assistance, au
sens strict du mot.
Peter Brook s’est fortement intéressé à la relation théâtrale ; cette
thématique apparaît dans la plupart de ses écrits. Pour le metteur en
scène, le spectateur participe activement à la représentation par sa
« présence éveillée. »17 La qualité de son regard est d’une importance
capitale ; il aide véritablement le jeu scénique. Brook souligne la subtili-
té de la participation du spectateur : ce dernier n’a pas besoin
d’intervenir physiquement pour participer (Georges Mounin s’était
limité à cet aspect). Le pouvoir de son regard est tel qu’il suffit pour
influencer l’action scénique.
Brook est conscient de l’importance de la relation théâtrale pour que
la magie du théâtre, art du vivant, s’opère. Si le public regarde passive-
ment le spectacle, l’acteur ne parviendra qu’à créer une répétition des
répétitions. Le théâtre ne peut être vivant qu’à la condition que le spec-
tateur le soit aussi. Le spectateur vivant assiste la représentation : « c’est
grâce à cette “assistance” – l’assistance des regards, des désirs, du
plaisir et de la concentration – que la répétition devient représenta-
tion. »18
Lorsque la répétition se transforme en représentation, l’opposition
binaire entre la scène et la salle s’efface. La relation théâtrale implique
toutes les personnes présentes, tant les acteurs que les spectateurs.
2.5. Vers l’abandon des pôles actif et passif
La qualité de l’écoute et du regard spectatoriels est renvoyée vers la
scène et influence le déroulement de la représentation. Si l’immobilisme
du spectateur le fait paraître passif, l’analyse de sa fonction de résonance
prouve le contraire. La scène ne peut exister sans le spectateur. Sinon,
elle se limite à une énième répétition. Pour que le théâtre soit vivant, il
requiert l’assistance des spectateurs.
Cette théorie de la relation théâtrale va à l’encontre de la théorie qui
aborde le rapport scène-salle comme le rapport entre un pôle actif et un
pôle passif. Le spectateur répond émotionnellement à l’instance scé-
nique, autant que celle-ci lui répond à son tour et modifie le cours de la
représentation. Loin d’un procès de communication construit par ques-
tions/réponses, la relation théâtrale prend plutôt la forme d’une boucle
17
Brook, P., Le Diable c’est l’ennui, Arles, Actes Sud Papiers, 1991.
18
Brook, P., L’Espace vide. Écrits sur le théâtre, Paris, Seuil, 2001, p. 180.
La réciprocité de la relation théâtrale 213
1. Le processus d’auto-énonciation
L’évaluation de l’application du modèle de Jakobson à l’objet théâ-
tral a depuis longtemps mis en évidence en quoi la distinction entre
l’émetteur et le récepteur pose problème. Le spectateur élabore des
systèmes signifiants en sélectionnant et en combinant certains signes
scéniques. Dans le cas d’un spectacle postdramatique, il jouit d’une
liberté accrue dans la mesure où l’organisation des signes n’est pas au
service de l’univers dramatique. Les systèmes de signes sont indépen-
dants les uns des autres et sont combinés sans converger vers le drame.
De plus, de nombreux signes postdramatiques possèdent un haut degré
d’opacité, qui les éloigne encore davantage d’une transmission transpa-
rente.
Liviu Dospinescu1 propose une théorie qui comprend encore
l’opposition entre l’émission et la réception. La co-construction du sens
par le spectateur est cependant intégrée au modèle, au moyen du concept
d’auto-énonciation.
1
Dospinescu, L., Attitudes de recherche en phénoménologie de la réception théâtrale
ou comment une « tourbière » fait figure de réduction phénoménologique »,
www.recherche-qualitative.qc.ca/Num%8Ero%2025/Liviu%20Dospinescu%202.pdf,
téléchargé le 14 décembre 2008
Approche systémique de la communication théâtrale 217
2
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, p. 79.
218 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
2. L’énonciation collective
Plusieurs recherches (De Marinis, Eco, Helbo) ont démontré que le
destinataire n’est pas seulement confronté à un système de signes qui lui
est proposé ; il crée véritablement son propre système signifiant sur la
base des signes émis par l’instance productrice. Pour André Helbo, une
caractéristique majeure du phénomène théâtral, art du vivant, consiste
dans « l’invention et la genèse à la fois collective et provisoire du
sens. »3 La construction du sens implique désormais tous les participants
au phénomène théâtral, regroupés au sein de la notion de collectif
d’énonciation. La linéarité de l’échange a fait place à un « polysys-
tème. »4 Chaque participant n’est plus cantonné à un rôle précis de
producteur ou de récepteur. L’opposition classique entre l’émetteur et le
récepteur se dissipe au profit d’une logique syncrétique. À la notion de
linéarité du processus sémiotique – du producteur vers le spectateur –,
Helbo substitue l’hypothèse d’une double production de systèmes
signifiants : l’instance scénique et le spectateur produisent tous deux
leurs propres « textes spectaculaires ». L’usage de cette notion diffère
quelque peu de celui qu’en fait Pavis.5 Ce dernier aborde la notion de
texte spectaculaire uniquement du point de vue de l’instance scénique :
il consiste dans la combinaison de tous les systèmes signifiants, organi-
sés par la mise en scène. Helbo étend cette notion à l’activité spectato-
rielle : le spectateur détruit le montage proposé par la mise en scène
pour créer son propre montage, et ainsi ses propres systèmes signifiants.
3
Helbo, A., Le théâtre : texte ou spectacle vivant ?, Paris, Klincksieck, 2007, p. 51.
4
Id., p. 65.
5
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2004, p. 357.
220 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
contraintes partagées
contraintes partagées
6
Winkin, Y., Anthropologie de la communication, Paris, Seuil, 2001, p. 88.
222 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
7
Goffman, E., Les Rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 41-42.
8
Id., p. 8.
Approche systémique de la communication théâtrale 223
9
Le respect des règles permet aux participants de ne pas perdre la face. La face de
chaque participant serait en effet en jeu lors des interactions. Lors d’une interaction
réussie, l’individu sauve sa face (action d’amour-propre) et protège celle des autres
participants (action de considération). Selon Goffman, la face, personnelle ou des
autres individus, constitue la condition centrale de l’interaction. La face joue un rôle
crucial dans le maintien de l’ordre : sans ordre social, l’individu perd sa valeur. Res-
pecter l’ordre social revient à respecter sa face et celle des autres participants.
224 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
10
Goffman E., The Presentation of Self in Everyday Life, Londres, Penguin Books,
1990, p. 90 (traduction personnelle de l’anglais).
Approche systémique de la communication théâtrale 225
11
De Marinis, M., op. cit., p. 158-188.
226 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
12
Helbo, A., Le Théâtre : texte ou spectacle vivant ?, Paris, Klincksieck, 2007, p. 69.
228 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
théâtral, porté par l’illusion théâtrale, n’est pas respecté par l’instance
scénique et a fortiori par le spectateur.
Nous avons vu combien le théâtre postdramatique recours à de mul-
tiples procédés pour malmener la construction spectaculaire et donner
l’impression au spectateur d’être en contact direct avec le performeur,
sans l’intermédiaire d’un personnage : autonomisation du langage,
fissuration du personnage dramatique au profit de la figure ou de la
performance physique, exploitation du vécu personnel comme matière
scénique, etc. (voir chapitre II). La construction spectaculaire n’est pas
manipulée par Kantor : le spectateur n’a pas le sentiment d’être en
contact direct avec l’acteur en tant qu’actant réel. Ses acteurs incarnent
des personnages. Ceux-ci, non dramatiques, consistent plutôt dans des
figures.
En manipulant la construction spectaculaire, ces techniques boule-
versent le mode d’adhésion du spectateur. La fissuration du personnage,
qui laisse entrevoir le performeur, freine l’identification. Cette dernière
est interrompue lors des séquences de performance autonome. Le dispo-
sitif interartistique du théâtre postdramatique balance le spectateur d’un
mode d’adhésion à l’autre, souvent abruptement. Lorsque le plateau est
simultanément envahi par l’énonciation du texte et des mouvements
dansés, le spectateur est confronté à deux dispositifs qui requièrent
conjointement les deux modes d’adhésion. Les séquences produisant un
entre-deux, troublant la frontière entre représentation et performance
autonome, obligent le spectateur à questionner constamment le mode
d’adhésion privilégié. La recherche d’un équilibre entre l’identification
et la dénégation devient une problématique esthétique à part entière.
4.1.4. Les savoirs impliqués
Le régime de croyance dépend des savoirs, autrement dit de la con-
naissance des codes en jeu lors de l’énonciation. Helbo mobilise le
concept de « sous-partition » développé par Pavis pour aborder la
question des savoirs impliqués. Celle-ci consiste dans les points d’appui,
les savoir-faire invisibles du travail de l’acteur sur lesquels repose sa
partition scénique. Pour Pavis, si la sous-partition relève du travail de
l’acteur, elle « ne peut se manifester que par l’esprit et le corps du
spectateur. »13 Helbo va plus loin et suggère que le spectateur sollicite
des régimes de croyance et de savoir au sein d’une sous-partition qui lui
est propre14. La sous-partition consiste alors dans le texte spectaculaire
élaboré par le spectateur. Les savoirs mobilisés par l’acteur sont structu-
rés dans sa sous-partition ainsi que dans celle du spectateur. Pour ce
13
Id., p. 94.
14
Id., p. 82.
230 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
dramatisation
Figure [35] : le triple cadrage induit par la création postdramatique
16
Esquenazi, J.-P., op. cit., p. 111.
17
Adolphe, J.-M., « Sur le fond d’Avignon », in Banu, G., Tackels, B. (dir.), op. cit.,
p. 129.
Approche systémique de la communication théâtrale 237
18
Id.
19
Mayen, G., « Mais de quelle danse parlait-on ? », in id., p. 136.
20
Berforini, A., op. cit., p. 170.
21
Corbel, M.-M., « Les “autres” du théâtre », in Banu, G., Tackels, B. (dir.), op. cit.,
p. 150.
22
Perrier, J.-L., « Avignon critique de la critique », in id., p. 195.
23
Adolphe, J.-M., « Sur le fond d’Avignon », in id., p. 33.
238 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
renvoie à la scène par son regard et son écoute. L’énergie renvoyée par
les spectateurs influence à son tour la performance des acteurs. La scène
influe sur le spectateur autant que celui-ci influe sur l’action scénique.
L’émotion est essentiellement de nature dramatique lors de la repré-
sentation d’un drame : elle est inscrite dans le texte et est véhiculée par
les personnages. Le dispositif postdramatique a quant à lui l’ambition de
proposer une pluralité d’énergies simultanées au spectateur, au moyen
d’un dispositif fragmenté : énonciation du texte, mouvements dansés,
musique, arts visuels, projections vidéo, etc.
L’étude de la relation théâtrale au niveau de la circulation des émo-
tions fait apparaître combien le spectateur est coresponsable de
l’énonciation : la qualité de la relation théâtrale dépend de son attention.
De plus, il crée son propre texte spectaculaire, réalise son propre mon-
tage. L’instance scénique et le spectateur composent de concert l’énon-
ciation spectaculaire, tant au niveau du sens que de l’émotion. Loin
d’être réduit à une fonction passive, le spectateur apparaît comme
doublement coresponsable de l’énonciation. La qualité de l’attention est
cruciale pour que la relation théâtrale se réalise. Dans ce cas, le public
assiste véritablement la scène et le spectacle devient vivant.
L’approche systémique de la communication théâtrale permet de dé-
passer le niveau individuel de l’activité spectatorielle en ce qui concerne
la construction du sens. Au-delà de l’encyclopédie personnelle, chaque
spectateur partage un certain nombre de contraintes avec les membres
de sa communauté culturelle.
D’après Charles Lemert1, Goffman nous sort de l’illusion confortable
que notre expérience nous appartient totalement. C’est précisément cette
partie de l’expérience qui « n’appartient pas totalement » au spectateur
de théâtre qu’il convient d’étudier pour parvenir à atteindre le spectateur
empirique et le caractère collectif de la construction du sens.
Le modèle du parcours spectaculaire formulé par Helbo rend compte
du conditionnement de l’activité spectatorielle : le spectateur signe
implicitement le contrat spectaculaire, par lequel il respecte sa fonction
d’observateur silencieux et l’illusion scénique. Les contraintes permet-
tent au spectateur de cadrer son approche du spectacle. La représenta-
tion implique qu’une situation est extraite de son contexte originel pour
être transposée sur la scène. L’illusion dramatique devient une copie de
la situation originelle. Le spectateur est invité à un double cadrage : il a
recours aux cadres primaires pour aborder la situation, ainsi qu’aux
cadres secondaires, qui conditionnent l’énonciation dramatique de celle-
ci. En subvertissant les codes dramatiques, le dispositif postdramatique
1
Lemert, C., Branaman, A. (ed.), The Goffman Reader, Cambridge, Blackwell, 1997,
p. ix.
Une double coresponsabilité 241
2
Longchamp, C., « Une Ambition polychrome », in Banu, G., Tackels, B. (dir.),
op. cit., p. 181.
Conclusion générale
Le théâtre postdramatique
Les pratiques des artistes postdramatiques sont variées et difficile-
ment intégrables à des catégories spectaculaires strictes. Certains appar-
tiennent à la danse (Pina Bausch, William Forsythe, Maguy Marin,
etc.) ; d’autres sont parfois répertoriés dans l’art de la performance. Le
caractère hybride de ces créations interartistiques empêche les catégori-
sations fermes. Le travail de nombre de ces artistes est par ailleurs
protéiforme : Romeo Castellucci, Jan Fabre, Tadeusz Kantor, Jan Lau-
wers, Wim Vandekeybus, Robert Wilson, etc.
Le modèle du théâtre postdramatique proposé par Hans-Thies
Lehmann a l’ambition de prendre en compte la diversité des pratiques. Il
importe de préciser le rapport qu’entretient le théâtre postdramatique
avec le drame : cette forme de théâtre contemporain ne condamne pas le
drame mais centre sa recherche sur les moyens d’expression scéniques
non dramatiques.
Plutôt qu’une typologie, Lehmann propose un paradigme qui, par sa
souplesse, parvient à convenir aux formes postdramatiques plurielles : le
théâtre postdramatique relève d’une constellation de caractéristiques,
qui se retrouvent à des degrés divers dans certaines créations contempo-
raines. Si un modèle souple est indispensable pour rendre compte de ces
244 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
Le signe opaque
Le dispositif postdramatique fragmenté et non hiérarchisé invite le
spectateur à puiser ad libitum dans le spectacle. Ce dernier apparaît
comme un matériau dans son ensemble : les composantes scéniques
sont essentiellement exploitées en tant que présence autonome, qui
interroge son potentiel d’expression non dramatique.
La nature du signe postdramatique appelle une évaluation des théo-
ries du signe théâtral. Les théories du signe théâtral saussurien (modèle
d’Anne Ubersfeld) et l’approche du signe par les plans du contenu et de
l’expression (formulée par Louis Hjelmslev et appliquée par Patrice
Pavis) sont évaluées à la lumière du théâtre postdramatique. Alors
qu’Ubersfeld théorise essentiellement le signe dramatique transparent, la
théorie des plans du contenu et de l’expression permet de prendre en
compte l’opacité des signes postdramatiques.
La dramatisation
Les signes postdramatiques n’appellent pas une interprétation de
type dramatique mais plutôt un processus de dramatisation, lors duquel
le spectateur repère des isotopies multisensorielles et/ou thématiques.
L’élaboration de telles isotopies est favorisée par la nature du signe
postdramatique. Ce dernier est moins transparent que le signe drama-
tique ; le rapport au monde extérieur est ténu, voire inexistant. Le sens
ne provient pas de la mise en rapport d’un signifiant et d’un signifié
précis ; il demeure flottant. La vision du monde inscrite dans les spec-
tacles postdramatiques se limite fréquemment à une allégorie globale :
Menske de Wim Vandekeybus porte sur les problèmes de communica-
tion de la société contemporaine ; End de Kris Verdonck développe
l’allégorie de l’apocalypse.
Le spectateur est libre d’identifier les isotopies de son choix. Celles-
ci ne sont jamais soumises à une validation. Le spectacle postdramatique
crée généralement des images mystérieuses pour lesquelles il ne fournit
pas de clé d’interprétation.
La création des isotopies relève d’un processus dynamique qui com-
prend plusieurs étapes : les premières impressions précèdent l’élabora-
tion constante d’hypothèses en fonction des structures discursives et
idéologiques identifiées. La dramatisation prend la forme d’un circuit,
au sein duquel aucune hypothèse n’est figée.
La pensée iconique
Le processus sémiotique postdramatique est doublement composé.
Lors qu’il déroute le spectateur en subvertissant les conventions drama-
Conclusion générale 247
L’expérience sensible
Selon Patrice Pavis1, la sémiologie théâtrale requiert un modèle qui
prenne seulement en compte les effets produits sur le spectateur afin de
répondre aux critiques formulées à l’encontre de la sémiologie (voir la
partie « sémiologie et performativité »). Il insiste également sur le
danger d’écarter les processus de production de l’analyse. Le modèle du
processus sémiotique postdramatique comprend ces deux pans : la
théorie de la pensée iconique rend compte des effets produits sur le
spectateur au niveau de la priméité, au moyen de procédés scéniques
opaques.
La théorie peircienne de la pensée iconique permet d’intégrer
l’expérience sensible du spectateur au modèle sémiologique de la récep-
tion théâtrale. Lors de la pensée iconique, l’activité spectatorielle est
maintenue au niveau du sensible : les formes mystérieuses ne sont pas
reliées à une signification.
Le modèle de processus sémiotique postdramatique prend en compte
le sensible au niveau systémique : lorsqu’il subvertit les conventions, le
dispositif postdramatique appelle un triple cadrage de la part du specta-
teur. Dépourvue de ses repères habituels, la réception du spectateur se
réalise dans la priméité jusqu’à ce que celui-ci parvienne à remplacer le
cadre dramatique pour structurer son approche du spectacle.
Notre modèle a l’ambition de dépasser le niveau intersubjectif du
sensible car il se fonde sur la transgression des règles partagées par la
communauté culturelle, qui provoque la pensée iconique. Le modèle
affirme par ailleurs la possibilité d’un traitement sémiologique du
sensible, dépouillé de tout psychologisme.
André Helbo souligne l’intérêt de ce type de modèles : « […] le sen-
sible n’est plus traité au niveau des mouvements de l’âme par définition
antérieurs et insaisissables : il s’agit désormais de saisir un processus
1
Pavis, P., Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2004, p. 322.
248 Théâtre et réception. Le spectateur postdramatique
2
Helbo, A., « Le Lisible et le sensible », in Degrés, n° 75-76, Bruxelles, 1993, p. c11.
Conclusion générale 249
Titres parus
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2010, ISBN 978-90-5201-653-5
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ities. Avatars of O'Neillian Realism in Multi-ethnic American Drama (1972-
2003), 2010, ISBN 978-90-5201-033-5
No.24 – Marc MAUFORT & Caroline DE WAGTER (eds.), Signatures of the Past.
Cultural Memory in Contemporary Anglophone North American Drama,
2008, ISBN 978-90-5201-454-8
No.23 – Maya E. ROTH & Sara FREEMAN (eds.), International Dramaturgy.
Translation & Transformations in the Theatre of Timberlake Wertenbaker,
2008, ISBN 978-90-5201-396-1
No.26 – Marc MAUFORT & David O’DONNELL (eds.), Performing Aoteaora.
New Zealand Theatre and Drama in an Age of Transition, 2007, ISBN 978-
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No.21 – Johan CALLENS, Dis/Figuring Sam Shepard, 2007, ISBN 978-90-5201-
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of Place, 2006, ISBN 978-90-5201-036-6
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Aspects of Black and South Asian British Theatre Practice, 2006, ISBN 978-
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No.18 – André HELBO, Signes du spectacle. Des arts vivants aux médias, 2006,
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No.17 – Barbara OZIEBLO and María Dolores NARBONA-CARRIÓN (eds.), Codi-
fying the National Self. Spectators, Actors and the American Dramatic Text,
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No.16 – Rachel FENSHAM, Theatrical Bodies. Corporeality in Performance (pro-
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No.15 – Véronique LEMAIRE, with the help of/avec la collaboration de René
HAINAUX, Theatre and Architecture – Stage Design – Costume. A Biblio-
graphic Guide in Five languages (1970-2000) / Théâtre et Architecture –
Scénographie – Costume. Guide bibliographique en cinq langues (1970-
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www.peterlang.com