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AVRIL-MAI-JUIN 1946
PARIS
i5, RUE MONSIEUR, I5
/1C*>94'û:r.\
LES ORIENTATIONS PRÉSENTES
DE LA PENSÉE RELIGIEUSE
les plus belles réussites sont encore des pis aller. Et la remarque
vaut tout particulièrement lorsqu'il est question d'un auteur
comme Proudhon. Les' passages qu'on nous présente ne sont
pas toujours, à notre avis, les plus caractéristiques ; et, en
définitive, si l'on s'en tenait à eux, on aurait une idée très
insuffisante cle Proudhon. Mais pouvait-il en être autrement?...
On est tout de mêmes surpris de ne pas rencontrer les plus
beaux textes du petit-fils de Tournési concernant la Justice,
le soleil de sa vie, et, comme il le dit clans ses Carnets intimes,
« son Dieu, sa religion et son tout ». Par ailleurs, certains lec-
teurs, de ceux-là mêmes qui unissent Proudhon et Péguy dans
un commun amour, trouveront forcé et quelque peu artificiel
le parallélisme continuel établi entre les deux Français. Que le
fils cle Catherine Simonin et le fils de la chaisière aient, en
effet, de nombrjïux points cle similitude, c'est l'évidence même
et nous l'avons déjà noté : l'un et l'autre participent, si l'on
veut, de la même chaleur vitale ; une même qualité d'âme; un
même refus cle se laisser absorber les ont conduits'l'un après
l'autre sur le chemin de la solitude. Le mot cle Proudhon vaut
pour Péguy : pour n'avoir pas voulu transiger, pour avoir
cherché la Vérité toute nue,, les deux hommes ont été réduits
à une « conspiration solitaire ». Grandeur commune, avec
peut-être faut-il le-'dire? — une pointe d'orgueil commun.
Mais il ne faudrait pas pour autant oublier les divergences :
elles existent, et elles ne sont pas que de surface. Que
M. Alexandre Marc ne les ait pas soulignées, il serait ridicule
de le lui reprocher : cela n'entrait pas dans ses perspectives.
Seulement, on peut regretter qu'un parallélisme de principe
puisse positivement faire croire au lecteur inaverti que ces
différences, essentielles, en fait n'existent pas. Vous me
1. Père de Lubac.
2. Justice, t. I, p. 250.
3. Du vivant même de Proudhon, deux ecclésiastiques s'occupèrent de lui :
l'abbé Maret, ex-directeur de l'Ère nouvelle \\%'i&), fit un cours, peu important,
sur De la Justice en Sorbonne, autour de 1862. L'abbé Lcnoir, ami personnel de
Proudhon, lui consacra aussi quelques pages intelligentes et empreintes d'une
réelle sympathie clans ses courageux ouvrages.
De nos jours, l'abbé Algans, en 1934, défendit une thèse de théologie à l'Ins-
titut catholique de Toulouse, intitulée : Aux Origines du laicisme : Proudhon,
moraliste et théologien. Ce que nous connaissons de cette thèse, restée inédite,
nous permet d'affirmer que le véritable problème de fond posé par la « théo-
logie» de Proudhon n'avait pas été sérieusement abordé jusqu'aujourd'hui.
4. C'est le titre, du livre, édité, chez Spes (412 pages, 1944).
5. Drame..., p. 22.
42 ACTUALITÉ DE PROUDHON
!.-''.
entre Y humain et le divin, entre l'homme et Dieu : hormis
le péché et ses suites, nous prenons tout, persuadés que
l'homme parfait, c'est l'homme divinisé. Le Christ, voilà
notre réponse
D'une transcendance qui serait la négation des droits de
l'homme, — ces droits qui'viennent de Dieu et qui, en dehors
un cauchemar.
Sa voisine ne l'entend même pas, enfermée elle aussi clans
sa coque douloureuse. Le visage enfoui dans son oreiller de
copeaux, elle sanglote à petits cosups, et des frissons de fièvre
la parcourent, des talons à la nuque, dans sa gangue mouillée.
C'est une fermière du Dauphiné, arrêtée parce qu'elle abritait
chez elle des gars du maquis. Trois de ses fils ont été fusillés
sous ses yeux. Et la malheureuse, jetée nue sur une table, a été
fustigée jusqu'au sang. Elle est infirme cependant, le dos
déformé par une déviation cle vertèbres depuis de longues
années ; et comme lui est enlevé son corset de fer, la station
debout est un supplice pour elle et ce travail de terrassement
qu'elle accomplit chaque jour dans la boue du marécage.
Une tête jeune se penche sur sa détresse, mais sans parvenir
à l'atteindre, tant est profonde et détachée, de tout cette
désespérance :
« Il ne faut pas pleurer, maman Jeanne », répète
doucement,
en'earessant la grise tignasse emmêlée, la petite Yvette, une
jeune femme à l'accent bordelais, brune avec des mèches qui
frisent sous les ondées. Elle est bien jeune, mais a souffert déjà.
Veuve de cette guerre, elle a fait preuve d'un beau courag-
LE 1
« MAGNIFICAT » DES FORÇATS 55
— Tu ne te trompes pas?
— Comment le sais-tu? »
Nous sommes une centaines de femmes dans cette salle
.
— Deo gratias. »
La messe est finie. Alors, quelqu'un dans l'assistance, domi-
nant le murmure des conversations qui s'amorcent :
« Si on chantait un Te Deum d'action de grâce pour la déli-
vrance de Paris?
— Oui, oui, un Te Deum\ — Une acclamation unanime.
.
YVONNE PAGNIEZ.
INTELLIGENCE DE LA BIBLE
L' « HISTOIRE SAINTE » DE DANIEL-ROPS
,1
L'Histoire sainte évoque notre première enfance. Tout
petits, nous avons mis en longue file devant une arche cle Noé
des couples d'animaux et de « bonshommes » cle toutes cou-
leurs, ou Contemplé, dans de beaux albums défraîchis, hérités
de nos oncles, la barbe de Dieu le Père balayant le firmament,
l'Esprit-Saint couvant sur les eaux du chaos primordial,
Adam et Eve pris en flagrant défit de gourmandise et de
désobéissance, péchés qu'enfants nous comprenions si bien
et dont nous nous sentions un _peu complices. Toutes ces
belles histoires merveilleuses nous enchantaient par leur
poésie, leur exotisme, le tragique des situations, la vitalité
des héros. Les prodiges abondaient : Dieu, par ses élus, tel
Moïse, asséchait la mer Rouge, faisait jaillir l'eau du rocher
ou fleurir la manne au désert. Mystérieuses aussi, bien sûr;
toutes saintes qu'elles étaient, plus d'une fois elles déconcer-
taient secrètement notre sens du bien et du mal et ne cadraient
que de justesse avec les sains et sévères principes de l'édu-
cation familiale : le sacrifice d'Abraham, inhumain, les ruses
et le mensonge, trop humains, de Jacob le prédestiné, l'inter-
mittente cruauté irascible de Jahveh nous laissaient rêveurs
et en proie à un vague malaise.
Qu'en pensons-nous aujourd'hui?
Soyons sincères. La perspective de nous replonger dans ces
belles histoires, qui ont tour à tour ravi, édifié, étonne nos
yeux et nos coeurs d'enfants, nous effraie un peu. Nous les
sentons liées, sans savoir exactement comment, à des émotions
et à des convictions religieuses que nous ne voulons pa
perdre, ni même ébranler. Pourtant, nous ne sommes pu
des « gosses ». L'homme fait a ses exigences intellectuel e
INTELLIGENCE DE LA BIBLE 63
1. Dans, une note discrète, M. Daniel-Bops remercie ici pour ses consci
M. Robert, l'éminent professeur d'exégèse de l'Institut catholique de Pans
.
â'auteur du manuel bien connu d'Initiation biblique. On est heureux de savoi
-que, pour ces problèmes délicats de critique) d'exégèse et de théologie biW'î >
L'Impopularité du Militaire
A ces raisons profondes sont venues s'ajouter mille autres
causes d'exaspérations et de malentendus.
Il y a eu tout d'abord, il nous est pénible ici de le noter,
l'incompréhension profonde des milieux politiques et mili-
taires du gouvernement de Londres et d'Alger à l'égard de la
situation française réelle.
Ayant pendant quatre ans mené à la radio une politique
d'opposition, trop peu nombreux, hélas ! ont été les chefs
civils et militaires qui ont été capables, après la Libération
de la France, de se hausser jusqu'à cette impartialité néces-
saire à qui assume la responsabilité du gouvernement : trop
de menaces en paroles, trop d'excitation des esprits, paS
MALAISE DANS L'ARMÉE 79
.
L'Épuration et le Dégagement
A la fin des hostilités, la seule armée de terre comptait
environ 40.000 officiers sous les armes, dont seulement moins
de 10.000 étaient réservistes.
Les nécessités budgétaires ayant réduit les effectifs, le nombre
des officiers doit être ramené cette année à. 25.000 environ.
Comment opérer cette compression autrement qu'en met-
tant en oeuvre tout l'arsenal des mesures à la disposition dun
ministre, à savoir ' l'épuration, les avantages offerts aux
départs volontaires (loi de dégagement des cadres), les déga-
gements d'office en vertu d'un autre chapitre de la même loi,
l'abaissement des limites d'âge, la démobilisation de tous
les officiers de réserve en situation d'activité ?
MALAISE DANS L'ARMÉE 83
Anthropoïdes. .'.
Afrique du Sud le groupe des Australopithécidés, Primates fossiles
plus évolués dans le sens humain cju'aucun des Singes actuels', mais
restés en deçà de la limite qui les aurait fait sortir du groupe des
Une curieuse acquisition faite par von Koenigswald dans des bou-
tiques d'apothicaires du Sud de la Chine met sur la piste d'autres
! Deux d'entre elles, des molaires, sont des dents d'Orang; la troisième, une
l'remolaire, est celle d'un homme actuel, ou du moins récent.
&0 DÉCOUVERTE DÉ NOUVEAUX HOMINIENS
. /
faits nouveaux et d'un grand intérêt. A Hong-Kong notamment, il
s'est procuré, au milieu d'une faune qui correspond à celle des
cavernes du Sud de la Chine, trois molaires qui révèlent l'existence
d'un être nouveau, remarquable par sa grande taille : Gigantopi-
thecus Blacki. Apparenté au Pithécanthrope et au Sinanthrope, il
apparaît cependant à mi-distance entre les Anthropoïdes fossiles
et eux. Eii se basant sur la morphologie comparée des Primates,
F. Weidenreich propose de rechercher l'origine de cette forme géante
non vers l'Afrique du Sud et lès Australopithécidés, mais vers les
collines indiennes des Shvaliks où vivaient à la fin du Tertiaire des
espèces géantes de singes, les Dryopithèques. De ces collines du bord
occidental de l'Himalaya, ces types archaïques se seraient propagés
vers l'Est (Gigantopithecus) au Quaternaire ancien et moyen. A partir
du Yunnan, deux courants de migration auraient amené. Giganto-
pithecus ou un de ses descendants d'une part vers le Nord où, dans la
région de Pékin, il aurait évolué vers le Sinanthrope, d'autre part vers
le Sud où, par le Thaïland et Singapour, il a atteint Java pour s'y
transformer en Meganthropus et Pithecanthropus.
Conclusion
Plusieurs notions nouvelles se dégagent de l'étude de ces docu-
ments, d'autres y prennent un- relief plus saisissant..
1° Le groupe du Pithécanthrope rassemble des types divers, net-
tement apparentés, assez différents les uns des autres cependant.
Tandis que le type anciennement connu est très proche du Sinan-
thrope, les formes nouvellement découvertes révèlent des stades
d'évolution plus archaïques, plus simiens que celui du Sinanthrope.
Ainsi, sans que nous puissions' encore parler d'évolution continue,
nous commençons à soupçonner un passage plus graduel de la mor-
phologie des Anthropoïdes.des temps tertiaires à celle des Homi-
niens. Une étude récente de H.-V. Vàllois du crâne de Rabat, décou-
vert par M. Marçais,ne vient-elle pas par ailleurs de révéler la coexis-
tence de caractères de Pithécanthrope et d'Homme de Néanderthal
sur un même individu?
2° L'Hominidé du Sud de la Chine (Gigantopithecus) et les formes
les plus archaïques de Java (Meganthropus et Pithecanthropus
robustus) semblent indiquer que les Hominidés sont passés, au Qua-
ternaire inférieur et moyen, par un stade géant qui aurait précède
A JAVA ET EN CHINE 91
4° La station verticale
.
semble avoir été très nettement réalisée
chez le Pithécanthrope dès le stade de Pithecanthropus robustus,
dont le trou occipital est plus central même que chez le Sinan-
thrope. La posture verticale aurait donc été acquise bien avant que
le crâne ait atteint la morphologie moderne. Les fémurs du Trinil,
si on les attribue au Pithécanthrope, et'par ailleurs ceux du Sinan-
thrope, conduisent à la même conclusion.
1. On sait que de nos jours des hommes de très petite taille, les Pygmées,
coexistent avec des hommes de stature normale.
92 DÉCOUVERTE DE NOUVEAUX HOMINIENS
logiquement plus haut que les Singes actuels dans l'ascension vers
l'humain. Sans doute plus intelligents aussi que les Singes actuels, ils
semblent cependant rester de leur lignée. Les nouvelles formes de
Java et de la Chine méridionale, dont F. Weidenreich vient de nous
donner une si belle étude, posent; au-dessous du groupe Pithécan-
thrope type, Sinanthrope, quelques jalons sur la route montante
qui a mené de la morphologie des Simiens à celle des plus archaïques
des Hominiens, et c'est vers le groupe des Dryopithèques des Siwa-
liks que, d'après ces jalons, F. Weidenreich croit pouvoir regarder
pour enraciner dans les Primates le rameau humain. Mais gardons-
nous, dans l'enthousiasme suscité par ces belles découvertes, de
nous laisser aller à bâtir un schéma trop simple d'évolution. Nos
ignorances restent grandes et plusieurs problèmes sont sans solu-
tion, tel celui des crânes anglais de Piltdown et de Swanscombe,
aussi anciens, semble-t-il, que les restes sino-malais, aussi archaïques "
1. Théâtre des Mathurins : Divines Paroles de Ramon del Valle Inclân, tra-
duction de M. E. Coindreau.
— Studio des Champs-Elysées : la Maison de
Bernarda de Frederico Garcia Lorca, adaptation de J.-M. Creach. Théâtre
—
Gharles-de-Rochefort Mariana Pineda de F. G. Lorca, traduction de M. Moussy.
:
94 CHRONIQUE DU THÉÂTRE
demander jusqu'à la dernière page à quel moment l'intrigue va
se
nouer,, mais il s'interroge sans impatience, et il se laisse retenir par
un déroulement d'images dont la fascination, disons-le en passant,
ne s'exerce parfois qu'à l'aide cle.moyens suspects.
Laureano est un affreux déchet, un idiot difforme, que sa famille
expose sur les chemins, dans les foires, en vue de soutirer à la pitié
publique des aumônes. Il représente un capital dont son oncle et
sa tante se disputent le revenu. Sa mort même n'apaise pas les
appétits.. Décomposé, mais • couronné de fleurs, le cadavre fait la
quête à la porte du cimetière, pour couvrir les frais de son enterrement.
Voilà le sujet, tout au moins le prétexte. On aperçoit sans peine
l'insidieux pouvoir qu'il,recèle.
L'homme n'est que trop disposé à subir l'envoûtement de l'hor-
rible. Le musée Dupuytren a ses fidèles. Si Valle Inclân s'était borné
à solliciter notre imagination, en lui décrivant le chariot où croupit
un monstre vicieux, son oeuvre ne nous retiendrait pas longtemps,
pour peu que nous demeurions attentifs à contrôler les mobiles de
notre curiosité.
Mais son propos est moins restreint : si c'est avec quelque complai-
sance qu'il a installé le nain Laureano au centre du récit, s'il a orga-
nisé en fonction de cette place les allées et venues des autres person-
nages, du moins a-t-il conçu, rassemblant des matériaux divers, un
édifice aux plans contrastés où la lumière pût jouer avec l'ombre.
Construction du genre gothique, dont la gargouille composerait le
motif le plus apparent, mais où l'homme et la femme, escortés de
1
1: De Bernarda aux pères tyranniques de Molière, il n'y a pas si lcjin. ' '
CHRONIQUE DU CINÉMA '
Si l'on met à part Jéricho dont je parlerai dans une prochaine chro-
nique, les films qui paraissent actuellement sur nos écrans sont
dominés, de très haut, par la Bataille du Rail.
CHRONIQUE DU CINÉMA 103
Le mot chef-d'oeuvre s'impose pour désigner cette création éton-
nante.
René Clément, qui n'avait réalisé jusqu'ici que de courts métrages,
en est
l'auteur. La Bataille du Rail appartient à un genre nouveau
qui a reculé les bornes du documentaire et peut connaître une exten-
sion féconde.
Le propos de Clément est de nous montrer la résistance des chemi-
nots. Il le fait sobrement, et avec une telle objectivité que je clas-
serai son oeuvre* non point parmi' les films de propagande-, mais au
nombre des films d'histoire... Les cheminots facilitent les évasions,
dissimulent le courrier secret, transmettent à Londres de précieux
renseignements par radio, cachent des prisonniers en fuite dans les
réservoirs des locomotives, suscitent des grèves perlées et com-
mettent des erreurs volontaires. Ce travail de sape amorce magis-
tralement la lutte ouverte qui va suivre.,
Mais voici le débarquement, et la Résistance grandit. On fait
.
LE MONOPOLE DE L'ENSEIGNEMENT
A. LA CONSTITUANTE ET LA DÉCLARATION
DES CARDINAUX ET ARCHEVÊQUES
ÉTUDES,
avril 1946. -
CCXLTX. — 5
114 HISTOIRE RELIGIEUSE DU TEMPS PRÉSENT
bourgeoisie voltairienne, l'aristocratie sceptique et la majorité des
classes moyennes catholiques pour soutenir une forme désuète de
monarchie et des privilèges de classe. Cette collusion, assez inat-
tendue, était la conséquence de la plus grave erreur de la Révolution
qui, par la Constitution civile du clergé, a scindé la nation en deux et
a rejeté le catholicisme dans lés partis contre-révolutionnaires ; la
religion est devenue un principe de classification politique. D'autre
part, les progrès sociaux, au dix-neuvième siècle,- ont été préconisés
par des groupements politiques qui inscrivaient la violence dans leur
programme et étaient parfois contraints d'en user, d'une manière
d'ailleurs très modérée (journée de juin 1848, pour ne parler point de
la Commune qui n'avait pas un caractère de revendication sociale,
mais était le fait des ouvriers de Paris). De cette violence les catho-
liques ont ressenti une horreur qui était disproportionnée, et, à
l'exception de quelques génies précurseurs, ils ont bouclé le progrès
social pendant tout le dix-neuvième siècle. On s'est donc habitué
à considérer comme synonymes catholicisme et réaction politique et
sociale. Comme le dix-neuvième a cru.au Progrès avec une majuscule,
unef sorte de slogan s'est créée et l'on a fait du catholicisme le lieu de
ceux qui. refusent de communier à la religion naïve du Progrès et de
'
individus libres n'ayant plus à craindre d'être traduits devant des tribunaux pour
y être faussement accusés de trahison.
1- Du 23 mars 46.
2- Du 22 mars 46.
120 * LE MOIS
.
II
QUESTIONS RELIGIEUSES
qui est visible,et un respect qui irait garder est difficile à définir. En Luc,
facilement jusqu'à l'adoration. C'est le xxi, 19, à la traduction ordinaire :
fond, au moins inconscient, de leur « Par votre patience (ou endurance),
croyance et de leur religion. Ils n'au- vous sauverez vos âmes », il a substi-
ront pas la hardiesse de dire : « Je suis tué : « Par votre résistance, vous sau-
«Brahman. » Ils se contentent d'être verez vos vies. » Ce mot de « résistance »
ses serviteurs. L'idée panthéiste n'af- éveille maintenant de telles résonances
fecte pas sérieusement leur foi en que spontanément nous avons pense
Dieu » (p. 179). à l'histoire d'hier. Était-ce une allusion
N'allons pas en conclure que l'Inde voulue par le traducteur? Croyons
est proche de la conversion au christia- plutôt que nous avons dépassé son in
nisme. Le dernier chapitre du livre sur tention. J. H.
les perspectives d'avenir n'olîre rien
qui justifierait une telle inférence. Mgr Paul RICHAUD, évêque de Laval.
Devant les difficultés que présente la — Le Mystère de Pontmain.
mentalité hindoue, et l'immensité d'un Paris, Bonne Presse, 1945. In-16,
continent où les chrétiens ne sont 119 pages.
qu'une infime minorité, l'on est tenté Le mystère de Pontmain, entendons
de se rappeler le vers de Verlaine : par là les leçons que Dieu, par cette
«L'espoir luit comme un brin de paille. » apparition de la sainte Vierge, à
Oui, un brin de paille ; pourtant, il Pontmain, le 17 janvier 1871, a voulu
luit. Joseph HUBY. nous donner. Gestes, paroles, cir-
constances diverses, tout dans ce mys-
Abbé Eugène ROUPAIN. •— Marie térieux événement comporte un sens et
Médiatrice de toutes grâces. Tout donne une leçon. C'est ce que Mgr l'évê-
par Marie, Suinl Bernard. Procure que de Laval, de qui Pontmain dé-
générale du clergé, 1945. In-16, 108 pend, met
en lumière dans ces quinze
pages. méditations. Il n'y aura pas que les
Que Marie soit, de par son union pèlerins à en tirer profit. Les leçons et
intime avec Jésus, la « médiatrice de les conseils pratiques sont pour tous.
toutes grâces », cette croyance n'est pas Elles sont « parfois minimes, concède
nouvelle dans .l'Église, et M. E. ROU- le vénérable auteur, banales et bien
MAIN n'a pas de peine à le prouver sur humbles », mais d'une simplicité évan-
pièces. Mais, depuis quelque temps, ce gélique et d'une grande « richesse spiri-
point de doctrine, et de doctrine pra- tuelle ». A. Bnou.
tique, se précise de plus en plus ; il se
traduit dans le culte officiel et litur- Textes franciscains. Les Opuscules
gique. Cet opuscule, fort bien docu- de suinl François. Texte latin de
menté, contribuera à bâter l'heure où Quaracchi. Présentation et tables
la fête de Marie Médiatrice sera par des FF. MM. de Champfleury. Tra-
Rome étendue à toute l'Église. duction de l'abbé Bnyart. Editions
A. Bnou.
franciscaines, 1945. In-16, 261 pa-
ges. 100 francs.
R- P| UOUHUILLON, O. P.
—
Évangile Les très nombreux fidèles, dévots au
selon saint Luc (Introduction, saint-Pauvre d'Assise, et qui, aujour-
traduction et notes). Editions du d'hui, avec une nouvelle confiance, se
Seuil, 1945. In-16, 127 pages. retournent vers lui pour lui demander
Traduction faite con amore : l'auteur la joie et la paix dans la vie difficile et
a eu le constant souci de rendre toutes incertaine, seront reconnaissants à ses
les nuances du texte. Peut-être n'a-t-il fils de leur donner cette édition ma-
pas toujours évité quelques légers ex- nuelle, pratique, possédant toutes les
cès de lit'téralisme, mais la mesure à garanties de fidélité. J. R.
134 REVUE DES LIVRES
Pierre FERNESOTXE. — De la Civi- unifiant, dans une adhésion de plus en
lisation chrétienne. Collection plus étroite à sa volonté. Cette montée
« Christianisme et Civilisation ». ne se fit pas par un chemin tout uni et
Beauchesne, 1945. In-8, 216 pages. semé de fleurs Mireille Dupouey
; con-
Ce livre sort des conférences de l'au- nut des périodes de souffrance physi-
teur sur la civilisation chrétienne, à que et surtout l'épreuve morale d'une
l'Institut de civilisation. Il étudie en- . séparation d'autant plus vivement sen-
suite l'aptitude toute particulière du tie que son amour pour son mari était
christianisme à inspirer et soutenir une plus profond. Mais à travers toutes ces
civilisation véritable, qui ne soit pas épreuves, ce qui domine, avec la pensée
seulement un" agrégat de coutumes et de son mari vivant au ciel, qui reste un
de réalisations matérielles, mais un appel constant à la perfection, c'est la
épanouissement de ce qu'il y a de meil- volonté d'être entièrement livrée au
leur en l'homme. Le R. P. FERNESÔI.I.E bon plaisir divin. Qu'on lise, par exem-
montre bien en particulier qu'il n'y a ple, l'extrait qui termine le second vo-
aucune antinomie réelle entre l'effort lume, en date du 5 juillet 1921, et l'on
civilisateur et la doctrine chrétienne de sera saisi d'admirationdevant l'humble
l'abnégation. Sa démonstration sur le patience dans la souffrance, la généro-
plan intellectuel se trouve corroborée sité sans réserve dans l'amour de Dieu.
d'ailleurs par un aperçu rapide sur les Qu'il soit cependant permis d'expri-
grandes époques de la civilisation chré- mer un regret : c'est que ces Cahiers
tienne. Un chapitre spécial est consa- n'aient pas été précédés d'une Intro-
cré à la France et à son rôle privilégié duction qui nous eût renseignés un peu
dans ce magnifique développement. plus abondamment sur la vie extérieure
Peut-être aurait-il fallu ajouter à ces de Mireille Dupoiiey après son veuvage
pages éloquentes quelques considé- et nous eût permis de situer cette his-
rations critiques.sur les problèmes déli- toire spirituelle de façon plus concrète
cats que pose cette incarnation de dans le temps et surtout dans l'espace.
l'idéal chrétien sur le plan temporel. Joseph HUBY.
Toute l'existence de l'Église en effet
doit évoluer entre ces deux écuoils : ou
s'écarter du monde et perdre sur lui L'Arche de notre Alliance, par un
toute influence, ou se plonger à l'excès Moine bénédictin. Leitre-préi'acc
du R. P. DEVINEAU, O. M. 1. Edi-
dans le monde et risquer de s'y enliser. do la Source, 1945.
Joseph LECLER. tions
C'est du Grand Betour qu'il s'agit ici.
Mireille DUPOUEY, — Cahiers. T, I : Il y a ou, dans cette manifestation pro-
1915-1919; t. II : 1919-1921. Edi- longée de la dévotion française à la
tions du Cerf, 1944 et 1945. Deux sainte Vierge, autre chose qu'une
volumes in-16, 403 et 339 pages. sorte de randonnée pittoresque de la
Ces recueils des notes spirituelles de Madone de Boulogne à travers la
Mireille DUPOUÉY sont le digne pen- France. Le vieux et solide christia-
dant des lettres de son mari, le lieute- nisme des ancêtres a pu se manifester,
nant de vaisseau Pierre Dupouey, tué dans tout son « dynamisme «latent,
sur le front des Flandres en avril 1915. comme on dit aujourd'hui. Il a eu son
Restée veuve après quatre ans d'un regain de jeunesse. Le contact, s est
mariage dont l'union parfaite rappelle malheureusement relâché entre lui
celle que nous a fait connaître Alice et les masses. A preuve, hélas! le vide
Ollé-Laprune dans Liens immortels, trop accentué des églises. M'ais au pas-
cette jeune femme .nous offre un très sage de Notre Dame, elles se sont rem-
bel exemple do l'ascension d'une âme plies à craquer, nous disent les té-
dans un amour de Dieu de plus en plus moins. La prière commune, catno-
REVUE DÈS LIVRES. 135
lique, s'est ravivée. C'est pour entrete- Il faut que le Christ règne chez nous ;
nir ce renouveau, pour le mieux faire et, où Notre Dame aura passé, espé-
comprendre, que ce livre a été écrit. rons-le, il régnera. A. BROU.
LITTÉRATURE
ROMANS
HISTOIRE
ces pages, mais ils passent, car on guide, ménage bon nombre de ren-
ne sent aucune complaisance ni contres qui instruisent en amusant.
aucune littérature dans le récit de Henri du PASSAGE.
Mlle WANDA. Il est encore trop tôt
pour, décerner un prix de littérature J. PÀUL-BONCOUR.
— \Entre deux
prisonnier, alors que bien des rapatriés Guerres. Pion, 1945. 2 volumes
in-8, 297 et 435 pages. 120 et 173
mettent la dernière main à leurs sou- francs.
venirs, mais Déportée 50 440 mérite, "
tins. »
...
Ces lignes pourraient, à leur manière,
REVUE DES LIVRES 143
JEAN DANIÉLOU
THÉODORE KRALINE
. . .
la Pensée religieuse.
Retour des prisonniers en
'U.R.S.S
...
Les Orientations présentes de
5
22
PIERRE HAUBTMAN.,'
YVONNE PAGINIEZ
. .
.
.
Actualité de Proudhon .
Le « Magnificat » des Forçats.... 37
*§1
. .
PAUL HENRY .
Intelligence de la Bible: l'His-
***
Chroniques
Malaise dans l'Armée.
...
toire sainte de Daniel-Rops. 62
77
....
. .
,'
.
niens à Java et en Chine. 86
HUBERT GIGNOUX Le Théâtre : Série espagnole . 93
...
.
MICHEL DE SAINT-PIERRE Le Cinéma 98
.
ROBERT A. GIUHAM Ce que l'on peut attendre de
l'O.N.U 105
ROBERT ROUQUETTE Le Monopole de l'Enseignement
. .
à la Constituante et la Décla-
.
Le Mois
JEAN DANIÉLOU. Tentation du Communisme. 116
J
.... Réplique au discours de Fulton.. 117
. . . .
R.
RAYMOND JOUVE Sursaut de la Conscience chré-
tienne 119
ROBERT ROUQUETTE Les Réunions oecuméniques à
. . .
Genève 121
Les Livres
I. — II. de LIIBAC : De la Connaissance de Dieu. — L. POUI.IOT :
Etude sur les Relations-des Jésuites de la Nouvelle France (li>32-
1G72). —R. GONNAKD : La Légende du Bon Sauvage. — Chanoine
P. BoiSAiu) : Monseigneur Chaptal, évêque d'Isionda (1861-1943). —
L. YUTANG : Feuille dans la Tourmente. — E. LUDWIG : Staline. •—
H. Hon.Nisono : Pasteur en Pays perdu.— Mgr GRENTE : La Magnifi-
cence des Sacrements 124
II. -— Question:; religieuses : T. R. P. PAUL; E. ROUPAIN; R. P. Goun-
BILLON : Mgr P. RICIIAUD; Textes franciscains; P. FERNESOLLE; M.' DU-
POUEY; L'Arche de notre Alliance . 132
Littérature : R. MOIUÏL ; G. des CARS; R. JOUVE; M. SIÏUI>IIOK;E.-G.
LÉONARD
Romans: A.
HERSCH ; R.
. .
TOUMAMANTZ; M. GKVKRS ;
ROUSSEL
. . '. ......
P. DAN; ,1. CHRISTOPHE ; J.
13»
!•>'
Histoire : V. COWLES; WANDA ; C. DANIÉLOU; J. PAUL-BONCOUR;
Général GOURAUD; A. DUBOSCQ; P. MAZEDIER; F. MITTON; A. GRENIER;
M. de CIIAMBRUN ; L. BERNHARDT,-*.-.
yvA^-;' '' L-.
'
.
;
__—
Le Gérant J. DUMOULIN. /•• àmpr. J. DCMÔUI.IN, 5, rue des Gds-Augustins, Paris (Viw)*
Dépôt légal :
:
2« trimestre 1946. .'|r. '
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C; O. L. 31.1130. N» d'ordre : 140
K''d'É'diteiir',> 16
,
YIE ET PLANÈTES
QUE SE PASSE-T-IL -EN CE MOMENT
SUR LA. TERRE1?
la phase de Planétisation
Les notes qui suivent ont été rédigées par l'aumônier allemand
de la prison de Cologne, auquel tant de Français et de Françaises
gardent une vive reconnaissance et qui a maintes, fois risqué
sa vie pour eux. Le traducteur a respecté la teneur originale
d'un document dont toute adaptation aurait altéré l'accent
d'authenticité. — N.'D. L. R.
que le juge lui avait dit que sa femme avait donné le jour à un
enfant. Il ne savait pas si'c'était une fille ou un garçon, ni où
l'enfant avait pu être envoyé. Il me regarda avec des yeux
étonnés, un peu incrédules, lorsque je lui racontai avoir
moi-même baptisé l'enfant et qu'il se trouvait chez des
bonnes Soeurs, soigné le mieux du monde. Était-il étonnant
que le jeune père voulût voir, une fois, son enfant? Mais
comment obtenir l'autorisation indispensable? Une discus-
sion, dans ce but, avec le directeur en exercice ne donna
aucun résultat. Le directeur, cependant humain, lui-même
père de petits enfants, croyait que, même si les autorités
avaient donné une réponse positive à cette demande du père,
il eût été trop dur pour celui-ci de voir, dans ces conditions,
son bébé et de devoir peut-être s'en séparer pour la vie. Il ne
s'opposa cependant pas à ce que, je fisse venir l'enfant. Les
attaques aériennes avaient fait transporter le bébé dans les
environs assez lointains de, Cologne ; malgré de grandes diffi-
cultés de circulation et en faisant des sacrifices matériels,
aidé d'une bonne employée, nous pûmes le faire venir. Nous
installâmes le père dans une petite pièce et lui apportâmes
l'enfant. Ce fut une vraie joie de voir comment père et fils,
sans aucune timidité, jouèrent ensemble et s'amusèrent, le
père oubliant totalement sa situation et son entourage. On
eût pu croire que père et fils avaient toujours vécu ensemble,
qu'ils n'avaient jamais été séparés. Ils purent rester ensemble
plusieurs heures, puis le fils retourna dans son orphelinat.
A partir 'de ce jour, chaque fois que j'arrivais chez ce petit
ouvrier, l'oeil brillant, il me racontait quelque chose de son
bébé. De longs mois s'écoulèrent ensuite sans qu'il fût possible
LES DÉPORTÉS FRANÇAIS DE LA PRISON DE COLOGNE 181
de renouveler cette visite. Mais lorsque j'appris que le recours
en grâce était rejeté et que ce prisonnier devrait mourir dans
quelques jours, aidé de la bonne employée, je pus, sans qu'il
se doutât de la situation, lui procurer encore une fois la joie
de voir son fils et de jouer avec lui. Il parcourut alors son
dernier chemin avec la force que lui avait donnée cette joie.
Naturellement, par suite de la guerre, j'avais perdu tout
contact avec la mère jusqu'à ce qu'un jour une mission fran-
çaise vînt me trouver pour chercher l'enfant, la mère étant
rentrée chez elle. Peu de jours après cette demande, l'enfant
était en route vers Paris. Je me suis profondément réjoui
d'apprendre, un peu plus tard, combien la mère avait été
heureuse de retrouver son enfant en bon état, si rapidement,
contre son attente. Sa seule déception — son enfant élevé
avec des enfants allemands ne savait pas le français en arri-
vant à Paris — a dû se dissiper depuis.
Trois officiers ont dû, eux aussi, vivre la dernière étape de
leur existence à Cologne. Ils furent amenés au matin à la
prison longtemps après qu'ils eurent reçu, en dehors de
Cologne, leur condamnation'à mort. Le soir, ils furent amenés
séparément devant l'avocat général qui leur communiqua
que la condamnation devait ^ être exécutée le lendemain à
l'aube. Ils accueillirent cette décision en officiers, au garde-
à-vous militaire, sans qu'un trait de leur figure changeât ; ils
partirent ensuite chacun dans une cellule où la nuit s'écoula.
Toute la nuit je la passai avec eux, parlant et priant et les
aidant à préparer leur dernière heure. Cette nuit, les officiers
la vécurent dans un sérieux profond et aArec une fermeté
virile. Vers la fin de la nuit, alors que le jour nouveau com-
mençait à sortir de l'obscurité, j'offris avec eux et pour eux le
saint sacrifice de la messe. Les quelques employés allemands
présents obligatoirement furent saisis et édifiés par la pro-
fonde et virile piété avec laquelle les officiers participèrent
à ce service divin, ils s'y fortifièrent avec le pain de vie pour
pouvoir gravir le chemin de la vie éternelle. Lorsqu'ils quit-
tèrent le lieu du service divin, chacun honora avec un profond
respect les reliques de l'autel, puis nous passâmes ensemble
«J peu de temps qui restait jusqu'à ce qu'ensemble nous
182 LES DÉPORTÉS FRANÇAIS DE LA PRISON DE COLOGNE
soi'tîmes vers le champ de tir. Ils me dirent fraternellement
adieu, puis, comme des officiers, sans crainte et droit dans
les yeux, ils ont regardé la mort.
i
Ramuz est un Vaudois, c'est-à-dire un Suisse de langue
française. Mais si l'on veut mettre à sa juste place ce poète
d'une si foncière originalité, on ne peut le situer dans un can-
ton excentrique de notre littérature, dans une sorte de cha-
pelle latérale. Comme à une autre- époque son compatriote
Rousseau, il occupe le milieu du choeur. Il est l'un des quatre $
ou cinq très grands écrivains français qui ont provoqué cle
nos jours une véritable résurrection de la langue exténuée
et fait rejaillir les sources de la poésie vivante, épique et
populaire.
La poésie avait connu en France, à la fin du dix-neuvième
siècle, un éclat aussi merveilleux que la peinture et la musique.
Baudelaire, Verlaine, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, il
semblait que tout était dit. Le symbolisme s'épuisait clans
les quintessences. La prose se desséchait en analyses. Mais le
miracle se produisit une seconde fois. Fils de Rimbaud,
Claudel réinvente le rythme, crée une forme nouvelle du vers,
secoue la syntaxe et annexe au domaine français la Chine,
le Japon, l'Espagne et la Bible. Péguy, féal de Jeanne d'Arc,
de Corneille et du père Hugo, se martèle une langue scandée
sur la marche au pas, et, .s'emparant du vers libre, en tire les
accents d'« un nouveau Villon1 ». Ramuz, à son tour, découvre
un français tout neuf, parfumé de langue d'oc, imbibé de
toutes les teintes de l'arc-en-ciel et, tel un enchanteur, en
profite pour nous peindre ses villages au bord du lac.
Quand cette histoire commence, c'était l'autre avant-
guerre, entre 1900 et 1914. Époque bénie des pièces d'or, des
Expositions universelles et des cochers de fiacre. On se moquait
de Cézanne, on sifflait Debussy. Renan était prophète, Anatole
Et les poètes muets ont besoin du poète qui parle, qui ressus-
cite sur une toile, par la musique ou dans un livre, les pay-
sages, les saisons, la naissance et la mort de l'homme, ses
amours, sa communion ou sa lutte tragique avec les choses,
ses grands travaux, ses capitales et ses civilisations. « Je vois
qu'ils ont bâti la ville, écrit Ramuz, mais encore faut-il que
quelqu'un vienne dire qu'elle est bâtie, sans quoi la ville n'est
pas bâtie. » C'est pourquoi Ramuz appelle de ses voeux cette
union qu'à connue le moyen âge entre le poète et les fêtes
religieuses et paysannes de la foule. En ce sens, son oeuvre
s'inscrit à l'antipode de celle d'un Mallarmé ou d'un Valéry
poètes d'une élite séparée, théoriciens d'une littérature coupée
de la vie.
Il a célébré son idéal dans le Passage du Poète. Il rêve d'un
monde réconcilié. « Non pas le chant d'un seul, mais le chant
de tous ensemble. Non le poète-individu, mais le poète-
nation. Non une poésie de- mots seulement, mais une poésie.
de tout l'être. »
Une poésie qui ne soit pas une poésie cle nulle part, mais
celle d'un pays donné, avec son cadre naturel, ses habitants,
car c'est le moyen cle retrouver l'authentique humanité.
* •' '
III
Il y a plus. Ramuz n'est pas seulement poète, romancier,
peintre des Vaudois qui vivent au bord du lac. Il s'intéresse
au monde entier.. Il a participé à tous les grands courants
intellectuels du début du siècle. Dans un livre inoubliable,
192 SITUATION DE RAMUZ
étincelant d'humour et de poésie, il a raconté tout ce qu'il
devait à Paris, où il avait pris conscience de son art et de sa
solitude., Et, de plus en plus, il à été amené à s'expliquer,
à s'évader par le coeur et l'imagination, à sortir de son petit
pays, pour comparer les héros de ses drames à ceux du « monde
moderne » où ne régnent plus la montagne, Je lac, l'amour
et la mort, mais l'argent, la science, les machines, l'athéisme,
la bourgeoisie, le marxisme, la politique. Il éclaire les diffé-
rences. Il juge la petite bourgeoisie sans indulgence, et il a
raison. Dans ses Essais : Taille de l'Homme, Questions, Besoin
de Grandeur, il élabore la métaphysique de ses personnages.
Il pense comme eux, mais plus loin qu'eux. Il se pose les
grandes questions qui l'inquiétaient tout jeune : Qu'est-ce
que l'homme dans l'infini? Qu'est-ce que la mort? Ses
réponses sont du même ordre que celles de Péguy, prolongent
l'influence de Péguy de Y Argent, de Situations. Elles sont
assez différentes en ce qu'elles restent à l'état de questions,
mais les questions bien posées, qui cernent les problèmes,
dissipent des équivoques et approfondissent une inquiétude
essentielle.
Aux yeux de celui qui contemple la vie humaine dans
toute sa verdeur primitive, ce qui éclate, c'est son caractère
tragique.
Ce qui est beau, ce qui est grand, — écrit Ramuz,
— c'est le sen-
timent tragique de la vie. Le sentiment tragique de la vie a fait la
grandeur des civilisations. C'est la négation du confort. C'est l'aveu
que la vie est tout ce que l'on voudra, mais qu'elle n'est pas confor-
table. C'est l'acceptation des risques, et il n'y a pas des risques, il n'y
a en somme qu'un risque, et le risque c'est de mourir.
JEAN STEINMANN.
LE JOUEUR DE TALION
Comme une carpe qui saute hors d'une eau lourde et tiède,
un cri parfois se précise, doinine un instant la rumeur. L'appel
mesuré d'un homme au labour. Le zèle intempestif d'un chien.
LE JOUEUR DE TALION 197
Cet homme est seul, dans tout l'empire, à savoir jouer d'un
instrument. Encore le Mangeur cle Roses a-t-il dû, pour l'at-
tacher à sa cour, livrer bataille au Tumulte des Cieux, Car la
musique vient à peine de naître et le jeune prince conservait
jalousement les douze premiers joueurs de flûte que le Bel
Insolent, son ,père, lui avait légués en mourant.
i
une telle ampleur au chant?... Une pause encore, imper-
1 ceptible...
202 LE JOUEUR DE TALION
Le Mangeur de Roses va fixer la peine... Et voici que le
joueur de flûte semble hésitant, désemparé. Lui pour qui
l'âme de son maître ne "recèle aucun mystère, que voit-il
de si troublant ?
PIERRE DE CALAN.
JEUNESSES MUSICALES DE FRANCE
L'INITIATION COLLECTIVE A LA MUSIQUE
Le Terrain
Le but des Jeunesses musicales de France étant d'éveiller
au goût de la musique la jeunesse française, reste à savoir
sur quel terrain s'exerce son action.
On a dit et redit que la France avait donné au monde et
continuait d'ailleurs à lui donner des artistes de génie et de
talent, mais que ceux-ci demeuraient à l'état d'exceptions
isolées dans ,une foule assez peu sensible à la musique. Faut-il
dire que, dans son ensemble, le peuple français n'est pas
musicien? Tout peuple l'est naturellement : il n'est que de
favoriser une tendance latente'à laquelle ne manquent, pour
se manifester, que l'occasion et l'habitude. En-bref, une
civilisation mérite l'épithète de musicienne quand elle compte
Bilan et Conclusion
Voilà, en bref, un mouvement qui a six ans d'âge. Fondé
sur l'initiative privée, parti de rien, il compte aujourd'hui
plus de cent cinquante mille membres de quinze à trente ans
-qu'une Revue de qualité groupe et documente. Malgré les
•difficultés, sans la moindre concession, il ne cesse de croître.
Disons-le très haut : .les Jeunesses musicales de France sont
«ne réussite exceptionnelle, qu'on dirait foudroyante, si les
journalistes n'avaient, par leurs abus, banalisé à l'extrême
«cette épithète.
Sans doute y a-t-il d'autres organismes qui se préoccupent
•de diffuser en France le goût de la musique. Le Comité national
de propagande pour la Musique s'y emploie avec ardeur,
jaotamment dans le cadre des Semaines musicales, à Paris
et hors Paris. L'initiation des enfants à la musique profite
de l'expérience de Mme Arbeau-Bonnefoy. Une émission
sradiophonique hebdomadaire, commentée par Roland-Manuel,
Plaisir de la Musique, s'adresse à la France entière, sans
distinction d'âge ni de public. Enfin, pour revenir aux
J. M:. F., soulignons qu'il ne s'agit pas là d'un grou-
pement isolé;, seul de son espèce en Europe. Une Fédération
internationale réunit les pays — Belgique, France, Suisse,
JEUNESSES MUSICALES DE FRANCE 21ÊS
BERNARD GAVOTY.
QUAND LES CHRÉTIENS S'ACCUSENT
nité... Ils ont perdu le sens de l'Église... A les entendre, on dirait qu'ils en ont
honte 1.
Lui faisant écho, dans une lettre à Temps présent, Georges Ber-
nanos renchérit encore, puis, avec cette manière bien à lui de dédai-
gner l'euphémisme et d^appliquer le fer rouge aux plaies suspectes,
•conclut sans peur : « J'en ai assez de respirer ici un air d'apostasie 2 ! »
L'accusation peut sembler sévère. Mais est-elle vraiment injuste?
]\Tous en ferons juge le lecteur, en lui soumettant quelques textes
significatifs, choisis de manière à illustrer la gamme variée des
erreurs commises. On y décèle depuis le simple abus d'expression,
qui peut paraître dépasser les vraies intentions de l'auteur, jusqu'aux
formules odieuses, portant directement.atteinte à l'honneur chrétien.
Dans un message radiodiffusé, le 25 décembre dernier, Stanislas
Fumet proposait ces quelques réflexions à son auditoire invisible :
Noël n'est pas flatteur pour les chrétiens ; pas plus flatteur pour eux que
pour les autres.
Aux chrétiens, il rappelle que Dieu existe et qu'il demande à vivre chez eux,
•dans leur intérieur, dans leur maison. Ce sont peut-être des chrétiens qui l'en-
voient le plus rudement à la crèche, à l'étable. Chez eux la place est occupée par
toutes sortes de choses et de gens importants. Les non-chrétiens ne savent pas
ce qu'est Noël, mais, s'ils le savaient, ils seraient peut-être moins inhospitaliers
à cette jeune Mère si belle et si diserèlo qui ne trouve pas de logement pour
accoucher, pour mettre au monde le Fils de Dieu 3.
Tout sonne faux dans ce dernier texte : le ton glorieux des impré-
cations, l'insistance avec laquelle l'auteur tient à marquer son
opposition, sa volonté de dissidence à l'égard de l'ensemble des chré-
tiens (Vous parlez, vous dites. J'ai eu vos maîtres, votre philosophie),
•et plus encore cette prétention de « refaire l'Église ». Et que dire
-enfin de cette odieuse invitation, adjurant des fils de se révolter
-contre leur Mère?
Décidément, Bernanos a raison. L'air qu'on respire ici est empoi-
sonné!
Mettons un terme à ces citations qu'il serait, hélas ! aisé de faire
«uivre de beaucoup d'autres. Pareilles outrances — n'est-il pas
vrai? —• éveillent en nous d'humiliants souvenirs : ceux des sombres
jours de la défaite où les « bons Français » de l'époque faisaient la
leçon aux « mauvais Français ». A cette heure même, un Montherlant
« souffletant » sa patrie vaincue, claironnait son orgueil amer de voir
l'événement lui donner raison, saluait la ruée des « hordes païennes »
parmi les champs du « royaume de Clovis » comme un signe des
tfcemps nouveaux (ceux déjà, ô Loys Masson, où l'on allait «refaire
un bon
travail. Une élite de jeunes paysans y apprend son métier
d'homme.
Pour les aider, modestement caché sous l'enseigne J. A. C, l'abbé
Boulard encore vient de publier « l'essai d'un manuel de culture
paysanne » : Paysannerie et Humanisme1. Le titre né fera sourire
que ceux qui confondent l'humanisme avec l'érudition ou le savoir
livresque. Quiconque- pense, avec le P. de Montcheuil, que la vraie
culture, dans la vie comme dans les livres, «nous apprend à déchiffrer
le secret de l'homme », n'aura nulle peine à admettre que nos paysans
puissent aussi bien que d'autres entrer « dans la grande humanité
pensante ». Voire, mieux que d'autres. La « culture » de l'esprit et
.
de l'âme réclame en effet une persévérance d'effort, une capacité
d'émotion et de réflexion, auxquelles la vie-paysanne les dispose
mieux que nos conditions urbaines d'aujourd'hui.
Le lecteur qui ne se laissera pas rebuter par la présentation
,
trop analytique et scolaire de ce livre « si humain et si chré-
tien» en mesurera vite la portée. Après avoir pesé le problème d'une
culture paysanne, il réussit à en donner un programme d'ensemble
aux vues neuves, aux horizons' étendus. Une documentation pra-
tique, riche de suggestions, d'adresses et d'indications bibliogra-
phiques, permet à chacun de poursuivre, sous cle bons guides, sa
culture.
Rien ne montre mieux l'actualité du problème soulevé par Paysan-
nerie et Humanisme que-la parution simultanée d'autres ouvrages
où se retrouve ce même dessein de faire réfléchir les jeûnes sur les
problèmes humains cle leur vie paysanne, de leur inspirer la fierté de
leur condition et le.désir du mieux.
Sous le titre Vie paysanne et Progrès, jin homme jeune qui fut
mêlé de près
aux travaux agricoles, Gabriel Les'oc, publie ses cau-
series aux jeunes. Directes, nourries de faits et réactions du milieu,
elles traitent
tour à tour de la vie paysanne, de l'organisation pro-
fessionnelle, du rôle social du chef d'exploitation, des exploitations
et de recherchés,'Savemiières (Maine-et-Loire).
3. Nous renvoyons au tome II des Problèmes missionnaires de la J1''""
rurale et aux réactions publiées autour... parles Cahiers du Clergé rural.
PROBLÈMES HUMAINS DU MONDE RURAL 227
t On ne méditera pas sans profit les savantes études que M. l'abbé Andrieu-
Guitrancourt lui a consacrées. Essai sur l'Évolution duDécanat rural en Angleterre
d'après les Conciles des xne, xme et xiv° siècles, Siroy, 1935. L'Archevêque
Eudes Rigaud et la Vie de l'Église —
au xme siècle, Sirey, 1939, p. 272 sq.
2. Un vol. in-12, 224
pages, Paris, Aubier.
3- L'Instituteur et les Paysans. Terroir, 1945, septembre-octobre,
p. 1-13;
novembre-décembre, p. 6-13.
230 PROBLÈMES HUMAINS DU MONDE RURAL
action, de constituer avec leurs pairs des communautés vivantes
et actives. Ils ont également conscience que « la besogne d'éduca-
tion la plus urgente » est d'élargir les horizons de la paysannerie
et de « faire naître en elle le sens de l'humain ». Ce faisant, ils vont
au-devant du désir profond d'accéder à sa majorité culturelle et
sociale qui travaille notre jeunesse paysanne. Il importe que tous
ceux qui ont charge d'éducation rurale s'organisent et se mettent
à la tâche, soutiennent et collaborent aux efforts du mouvement
familial rural, à l'action de Foyer rural et de Terroir. Il est grand
temps, car déjà le communisme habile à exploiter de justes aspira-
tions déploie dans nos campagnes une intense activité qui ne se
heurte le plus souvent qu'à la timidité ou à l'apathie. Il dépend de
nous que la communauté et la civilisation paysannes, qui se cherchent,
soient françaises et chrétiennes, ou marxistes.
FRANÇOIS DE DAINVILLE.
CHRONIQUE DE LA POÉSIE
LOYS MASSON ET NOUS
mourant très doux de la biffe, en qui une balle de mauser a fait une
...
Ce
découpure ronde et propre comme un hublot par lequel sa fiancée flottant
auprès de lui aura eu vue sur son âme. (Délivrez-nous, p. 39.)
sous chaque pont dort sur sa hampe de pétrole le grand drapeau de sang chaud
d'un mort. (La Lumière, p. 78.)
avant tout pour lui un décor à refléter son chant passionné. Mais
par l'amour de la terre des hommes et l'attachement juvénile,
quasi instinctif, à la nature ; Masson accède au royaume de la
grande poésie. Dans ses livres palpite l'âme universelle, la vie
pullule, la terre foisonne de germes. Une 'prédilection le ramène
constamment vers les manifestations merveilleuses de la vie, — et
là son exotisme se déploie avec magnificence, — vers le printemps,
les arbres et les oiseaux, les semences, les fleurs sauvages, les
vergers et les moissons..., puis, par contre-coup, vers l'automne
et la mort, selon le cycle éternel. Partout lèvent à profusion et
dans une avalanche d'images
—•
qui déroutent quelquefois, si elles
ne choquent pas,—les spectacles de la nature dans la paix et dans la
guerre, des plus sordides aux plus radieux. Un regard véritable-
ment périscopique fouille la réalité humaine et la profile dans son
champ de vision.
Là-dessus, avivant les images, entraînant le rythme, halète, comme
une mousson et parfois comme un cyclone, un souffle embrasé.
L. Masson n'affiche
que mépris pour l'art et les idées. Peu de poètes
s expriment cle manière aussi directe et franche : « Je suis Loys
Masson. le poète de la tendresse et de la révolution. » L'esthétique
na que faire dans ces cris d'un coeur gonflé à rompre :
Mon poèmen'est pas cet amas stellaire, ce bitume refroidi où dorment des
fondes. C'est un immense, coeur battant sur les terres meurtries, réveillant
les dévastations. (Poèmes d'ici, p. 36.)
234 CHRONIQUE DE LA POÉSIE
Il n'appartient pas, dit-il, à la « race des poètes », c'est-à-dire
des patients sertisseurs d'inspirations et de rythmes, à l'école de
ceux qui montent « à pégase ». Il est homme simplement, et l'homme
.est sa ferveur unique :
Oh! que les amateurs d'art s'amusent à des jeux d'acrobates,
qu'ils grimpent à cette corde à noeuds dont ils nous disent que Dieu en tient
le bout.
Moi je suis comptable de ceux qui pleurent, qui souffrent, qui combattent,..
(La Lumière, p. 43.)
Ce qui grouille en bas, ce nombre tellement plus grand de vrais hommes, des
hommes temporels, et rien que cela, les mangeurs de misère et de vent, ceux qui
justement sont la maçonnerie du mur sur lequel l'artiste ou le savant.se juche...,
une foule... composée de centaines de coeurs qui battent, de centaines d'épaules,
de bras et de jambes... (L'Étoile et la Clef, p. 250.)
h Masson est obsédé, par l'homme 2, et son Christ revêt les traits
1- Voir dans, ce numéro des Études le jugement de 'L. Barjon : « Quand les
Chrétiens s'accusent.
»
2. « Dieu n'est
pas cette absence de l'homme » (la Lumière, p. 83). Et encore :
.
t
En réalité, la foi communiste a rempli en lui une aspiration mys-
tique vidée de son objet premier, le christianisme. Son Christ, a évo-
lué vers un Christ rouge, « dénombrant sa chevalerie dans la luzerne)),
le Christ de Maïakovski, le Christ camarade : « il est le dieu de
l'avance sans répit » (p. 46). L'étoile de Noël devient l'étoile des
Soviets. Et l'Église communiste compte déjà ses saints et ses mar-
tyrs : GabrielPéri, Georges Politzer, Decour, Solomon, les « saintes
de la Roquette », les otages de Châteaubriant... Nous marchons
enfin vers un avenir de bonheur et de fraternité terrestres : « L'Homme
va' régner», et le triomphe d'une nouvelle création rayonnera : «be
premier jour, ce sera le partage des terres à blé... »
1. Cf. encore la « Prièî-e sur la France » (Délivrez-nous, p. 65, et Poèmes. dici7
p. 19), et Délivrez-nous, p. 48.
CHRONIQUE DE LA POÉSIE 239
Or, aux yeux de ce parfait confucéen, cet idéal de vie trouve, dans
la révélation chrétienne et dans l'existence et la vie de l'Église
catholique, la justification la plus éclatante de tout ce qu'il possède
d'humain et d'immortel. Il y trouve aussi un complément de lumière
et de puissance morale. « Les anciens sages de la Chine avaient, avec
prudence, réservé le mystère de l'au-delà », comprenant qu'«il ne
revient pas à l'homme de trancher le mystère du ciel et qu'il faut,
en vénérant la Providence du ciel, attendre que, s'il daigne le faire,
le Créateur lui-même,se..révèle » (p. 100).
Dom Lou, tout heureux de sa découverte du Messie et dans la
lumière reçue de cette conversion « qui n'est pas une conversion,
mais une vocation », voudrait dire à ses compatriotes : « Lisez donc
l'Évangile, les Actes des Apôtres, les Épîtres... ; prenez toutes les
pages de l'histoire de l'Église... Peut-être, alors, vous poserez-vous
la question : «Le Créateur s'est-il révélé» ? (P. 101.) Nous voudrions
pouvoir analyser plus longuement ces approches de- Dieu, ces appels,
ces découvertes lumineuses dont le converti nous parle avec émotion ;
il faut passer à regret.
Maintenant, ce moine déjà vénérable songe à porter en Chine le
secret de cette vie découverte en Occident. Puisse-t-il être l'un de
ceux qui, au cours des âges,- ont travaillé et travaillent à jeter un
pont entre la vie de l'Église et l'âme chinoise! Dans cette tâche,
Dom Lou fixe les yeux sur de grands modèles. Le plus proche est
le P. Lebbe, prêtre belge, mort en Chine, citoyen chinois ; au delà,
CONFUCIUS ET L'ÉVANGILE 245
.
Le livre de Dom Lou fait écho aux désirs des Souverains Pontifes
qui, depuis longtemps, demandent aux Ordres contemplatifs d'Occi-
dent de fonder en Extrême-Orient. L'appel a été entendu par les
trappistes, les carmélites, le P. Lebbe, d'autres encore. Les bénédictins
de Lophem ont fondé au Sseu-tchouan un premier prieuré. Les diffi-
cultés ne manquent pas. Dans les années qui viennent, d'autres
fondations se feront. Dom Lou pourra, espérons-le, y réaliser son
rêve, et, suivant la parole du Saint-Père aux nouveaux cardinaux,
travailler avec tous les missionnaires à implanter l'Église en pro-
fondeur.
YVES HAGUIN.
CHRONIQUE DU THEATRE
SÉRIE AMÉRICAINE
.
\
Arsenic et Vieilles Dentelles, après deux changements de domicile,
poursuit allègrement sa carrière. Cette pièce plaît, par l'angoisse
et la gaieté qu'elle éveille tour à tour, au rythme d'une intrigue bien
menée, fertile en péripéties imprévues. Elle bénéficie peut-être
de la diversité des concours qui ont collaboré à son élaboration :
sombre mélodrame, à l'origine, remaniée par deux ou trois gagmen
.compétents, adaptée enfin par Pierre Brive, elle se ressent de ces
interventions et son style ne laisse pas d'être incertain. On y tue
avec application, mais chaque meurtre est présenté de telle manière
qu'il déchaîne le rire du public. Les interprètes, d'ailleurs, ne semblent
pas s'être mis d'accord pour décider si leur mission était d'effrayer •
ou cle réjouir. Les uns roulent des yeux féroces et rasent les murs,
comme s'ils jouaient la Tour de Nesle, les autres clignent de l'oeil et
semblent dire : « Voyez, je ne suis pas dupe, je ne prends pas cette
aventure au sérieux. Rions ! », d'autres encore adoptent le ton de
la « blague à froid » et en tirent des effets assurés, dont la répétition,
toutefois, est quelque peu .lassante.
Cette diversité est, sans doute, l'une des causes du succès, mais
je lui reprocherai d'entretenir une équivoque assez désagréable par
instants. Je ne suis pas sûr que les cadavres soient de bons person-
nages de vaudeville, ni que les facéties dont ils fournissent, en l'occu-
rence, maints prétextes, dispensent un plaisir très pur.
Ceci dit, je ne m'appesantirais pas davantage sur ce spectacle,
qui témoigne par sa réussite de la faveur dont jouit encore un genre
vénérable, le vaudeville ou le mélo, la pièce habilement fabriquée,
selon les principes de la bonne mécanique théâtrale, si la manière
dont il est joué ne m'offrait l'occasion cle souligner l'influence exercée
-,
par certains procédés comiques américains sur bon nombre cle nos
comédiens « fantaisistes ».
Qu'il évoque les gestes tâtonnants de Laurel, ou, au contraire,
l'affairement confus, la myopie trépidante, dont plusieurs jeunes
CHRONIQUE DU THÉÂTRE 249
premiers d'outre-Atlantique ont fait leur spécialité, ce style de jeu
met enceuvre le même ressort comique : la distraction. Il s'exprime
volontiers par un gag que J.-P. Kerien, l'un des principaux inter-
prètes d'Arsenic, répète vingt fois clans une même soirée : le person-
nage, placé dans un certain état d'esprit, aperçoit un objet, entend
une parole dont la signification devrait éveiller en lui une réaction
prompte,.mais, emporté par l'élan de la pensée qui l'occupait d'abord,
il ne « réalise «'qu'avec un peu cle retard, et, semblable à une auto-
mobile qui freine mais dépasse le point où elle devrait s'arrêter, il
reste, l'espace cle quelques secondes, insensible ou absorbé ; on dirait
qu'il n'a rien vu, rien entendu. Puis il sursaute soudain, comme s'il
éprouvait, alors seulement, une surprise.
Dans la mesure où cette variante de la distraction traduit la
conservation involontaire d'un élan, elle satisfait avec rigueur aux
principes comiques que Bergson a su dégager clans le Rire : c'est bien
« du
mécanique plaqué sur du vivant ». Elle nous a beaucoup divertis
en plusieurs occasions, mais nous commençons à penser que son
efficacité s'amenuise. Aussi bien, nos comédiens ont-ils mieux à faire
que d'imiter un « truc » dont le cinéma nous aura bientôt rassasiés.
Voici la seconde :
« Est-ce qu'on ne pourrait pas être simple? »
HUHF.HT CTGNOUX.
1. Voir l'excellent article de P.-A. Touchard, dans Opéra du 3 avril 191 fi.
HISTOIRE RELIGIEUSE COINTEMPORAINE
JEUNESSE DE L'ÉGLISE
L'ASSEMBLÉE DE BESANÇON
C'est cet esprit qu'on essaye de dégager ici sans entrer dans le détail
des rapports, des discussions et des « carrefours » multiples du Congrès.
tandis que les mystères sacrés seraient réservés aux fidèles parvenus
à ]a majorité religieuse, « à l'âge adulte du Christ ». Évidemment,
dans ce domaine on ne peut exprimer que des désirs, la solution ne
dépendant que de Rome. '
On constate également dans les mêmes milieux de pleine masse la
naissance de ce qu'on appelle les « paraliturgies », c'est-à-dire de fêtes
religieuses célébrées à l'église, en dehors de tout office liturgique,
non pas pour attirer à un sermon, mais pour mettre dans, une atmo-
sphère religieuse, pour faire prier, pour amener peu à peu à prendre
une attitude de charité fraternelle. On retrouve ainsi une vieille tra-
dition, celle des mystères médiévaux, celle aussi des missions qui,
sous l'impulsion de Julien Maunoir, ont transformé pour des géné-
rations la Bretagne païenne du dix-septième siècle.
La question rebondit : cette pratique du seuil, ces paraliturgies
sont encore trop pour l'enfant de. pleine masse. On lui fait jurer
au moment de la communion solennelle de rester fidèle au Christ ;
et par cette fidélité on entend, et l'enfant entend, la pratique régulière
et l'assistance à la messe du dimanche. Or le milieu social rend impos-
sible cette pratique. Ainsi l'enfant prête un faux serment et se sent
définitivement coupé de l'Église et du prêtre. Citons simplement
comme un exemple les méthodes du Petit-Colombes : l'enfant s'en-
gage seulement à rester fidèle au petit groupe fraternel de huit ou
dix membres dans lequel il a reçu renseignement religieux en dehors
de l'église et à venir y parler des choses de Dieu ; pendant un an,
après la communion solennelle, le petit groupe reste en contact
permanent avec le prêtre ; ensuite il est pris en charge par un ménage
de militants qui en est le parrain, de manière que le prêtre puisse
s'occuper des nouveaux. Ainsi l'enfant est mis en attente, on ne le
rejette pas parce qu'il lui est socialerîient impossible d'assister à une
messe qui lui resterait extérieure, peu à peu on le prépare à devenir
capable de la pratique.
La pratique, en effet, doit être un aboutissement,non un commen-
cement, l'épanouissement d'une foi et son aliment, non un argument
apologétique ou un moyen de donner la foi. Mieux vaut, disent les
prêtres de pleine masse, faire prendre, une attitude chrétienne,
c'est-à-dire.une attitude de charité fraternelle concrète,plutôt, que de
hure passer la religion pour une ^affaire de gestes extérieurs inintel-
ligibles ; la pratique sera le résultat de cette attitude chrétienne, elle
I épanouira et lui fournira le moyen clc durer..
262 HISTOIRE RELIGIEUSE CONTEMPORAINE
RAYMOND JOUVE.
ressort, sont liés à notre foi. Quand ces biens supérieurs sont en danger,
' Eglise a le devoir d'en témoigner devant chacun, sans excepter Z'«»-
ll>ritc établie.
266 LE MOIS
i ' '
;Et en mai 1943, quand les autorités . nazies mettaient les juifs qui
avaient épousé un chrétien ou une chrétienne en demeure de choisir
entre la déportation ou la stérilisation, les Églises réformées de
Hollande écrivaient au Commissaire du Reich :
Les commandements de Dieu, Seigneur et Juge de la terre entière
s'appliquent à vous comme à tous les hommes, et à vous d'une manière
particulière puisqu'il se trouve que vous occupez une position élevée...
Nous ne nous faisons pas d'illusion. Nous savons que nous ne pouvons
guère attendre de Votre Excellence qu'elle écoute la voix de. l'Eglise
c'est-à-dire la voix de Dieu. Mais ce qu'on ne peut humainement espérer
oh peut l'espérer dans la foi. Le Dieu vivant a le pouvoir d'incliner
votre coeur à la conversion et à l'obéissance...
Il était nécessaire de rappeler cette fière attitude avant de citer
l'actuelle protestation des Églises réformées de Hollande contre
les injustices de l'épuration dans les Pays-Bas :
Le Synode général de l'Eglise réformée des Pays-Bas, tenant grand
compte du très lourd fardeau que la question des prisonniers politiques
fait peser sur notre gouvernement, se sent obligé de parler au gouver-
nement et au peuple hollandais. Il est reconnaissant de pouvoir le
faire dans un pays libre, en s'adressant aux autorités naturelles.
C'est avec un profond chagrin que le Synode général a constaté qu'au
cours de ces derniers mois'de nombreuses personnes ont été privées de
leur liberté sans que leur cas ait été examiné par aucune autorité légale.
Dans certaines parties du pays, les tribunaux ne fonctionnent pas
encore et il se passera longtemps avant qu'un jugement définitif puisse
intervenir. Selon les principes en usage aux Pays-Bas, les garanties
légales exigent que, dans tous les cas où des. personnes auro?it été pri-
vées de leur liberté et en attendant le jugement définitif, une enquête
provisoire soit menée par un juge impartial.
D'autre part, le Synode se préoccupe vivement du traitement des
internés. Bien qu'il ait constaté avec reconnaissance son amélioration
dans de nombreux camps, il ne saurait admettre que dans d'autres
camps hollandais régnent des conditions contraires aux règles qui,
devraient présider au traitement humain des prisonniers. Dans bien
des cas, les gardiens sont absolument incapables de remplir leur tâche.
C'est au gouvernement qu'il appartient de porter remède à cet état de
choses. Il n'y a de commission indépendante d'inspection que dans très
peu de camps. L'organisation de telles commissions est. une urgente
nécessité.
Enfui, le Synode général insiste sur la nécessité pressante de permettre
.
aux personnes qui ont été libérées de vivre avec leur famille et de reprendre
une place normale dans la société. A ce propos, il faut constater avec
un profond regret que l'on a volé les meubles de nombreux détenus, dont
le cas n'a pas encore été jugé. En cas de non-lieu, il y a injustice fla-
grante à mettre la personne en cause en demeure de renoncer à ses
droits sur les biens dont on l'a dépouillée.
LE MOIS 267
i • •
Karl Marx lui-même, malgré ses outrances, les voyait de façon moins
unilatérale que M. Alexandre Marc. On sait l'importance, d'ailleurs
excessive, qu'il attribuait aux conditions extérieures, aux progrès
techniques, dont les hommes, surtout aux périodes de transition,
sont tributaires. Et il disait-: « Le moulin à bras vous donne la société
avec le suzerain; le moulin à vapeur vous donne la société avec le
capitalisme industriel. »
Sans rien signaler de ces influences, M. Marc se retourne vers les
revendications ouvrières pour lcur> donner son approbation globale
et sans réserve.
« Ainsi, dit-il, les revendications ouvrières les plus « égoïstes » — cl,
qui, même comme telles, seraient déjà suffisamment justifiées —
trouvent leur justification supérieure, non seulement dans leur réfé-
rence aux intérêts des travailleurs d'une entreprise, mais aussi dans
leur influence stimulante sur les intérêts de la profession dont l'en-
treprise en question fait partie. Faisons un pas de plus : par leur
répercussion, elles font participer lès autres professions au progrès
industriel et technique; mieux encore, elles contribuent, en.dernier
ressort, non seulement au développement du bien commun des pro-
ducteurs, mais aussi à celui dû bien commun des consommateurs. »
Et la lutte des classes," dans ces perspectives, a pour effet de « sau-
ver les classes possédantes de la dégénérescence qui les menace, dont
elles manifestent même déjà les symptômes les plus graves : immo-
ralisme, torpeur, bureaucratie, hypocrisie... », tandis qu'elle préserve
l'ouvrier du danger d'« embourgeoisement ».
Ainsi va ce réquisitoire sans nuances..Cesidées ne sont pas neuves.
Elles ont été développées, il y a un demi-siècle, par l'ingénieur
Georges Sorel, que cite M. Marc incidemment, et dont nous commen-
tions les Réflexions sur la Violence voici quelque trente ans. Un autre
maître ici prôné est Proudhon, bien qu'il n'admît pas la lutte des
classes.
Enfin, de façon générale, M. Marc est convaincu que la Confédé-
ration générale du Travail garde encore l'inspiration antiétatique,
antidémocratique qui fut celle de ses débuts. Il reproduit complai-
samment les textes anciens de Pelloutier, etc. Il invoque l'autorité
de Pouget, de Grieffulhes. Ces pionniers, avec leurs tendances anar-
chisantes, sont pourtant des ancêtres. Et le centre d'attraction du
mouvement ouvrier actuel n'èst-il pas en Russie, dont les réalisations,
REVUE DES LIVRES 271
II
ACTUALITÉS
Pierre LYAUTKY. — LET Campagne ses notes ne nous font pas pénétrer la
d'Italie, 1944. Souvenirs d'un G ou-. structure intime des combats et la
mier. l'Ion, 1945. ln-8, 174 pages. psychologie de nos soldats. Cette la-
:
GO francs.
cune est heureusement comblée par
Pierre Ilucor. — Baroud en Italie. Baroud en Italie.
Flammarion. In-8, -153 pages. 70 Aspects de la campagne et de la vio
francs. de nos soldats, après la percée do la
Les notes brèves que Pierre LYAU- ligne Gustav (mai-juin 1944).
TEY, officier de liaison dés Goums ma- La poursuite de l'Allemand sur lo
rocains, rédigeait, chaque nuit, sur ce sol italien constitue le cadre de ce petit
qu'il avait l'ait et vu, nous l'ont con- livre qui n'est pas, à proprement par-
naître cette épopée extraordinaire que ler, un livre de guerre.
vécurent nos goumiers, des rives du « Drôle de guerre », en vérité, où la
Garigliano au nord de Sienne. promenade conquérante parmi les ci-
Elles permettent de saisir l'aide ap- vils italiens cède brusquement le pas à
préciable qu'apportèrent au succès des des combats épuisants, acharnés, con-
Alliés les infatigables fils de la mon- tre un ennemi insaisissable et meur-
tagne berbère, entraînés dans des ma- trier.
noeuvres hardiment, conçues par l'ar- Mais l'humain pénètre les combats
deur de nos officiers. , et les dépasse. Dans des observations
Pierre Lyautey a vu « d'en-haut », et très justes, le chef de section de tirait-
REVUE DES. LIVRES 279
leurs sénégalais, que fut l'auteur, nous Éphémérides sont l'oeuvre d'un jour-
découvre l'âme des chefs et des com- naliste qui a songé à l'avenir. Au temps
.
battants blancs ou noirs à la guerre et de l'occupation, Pierre LIMAGNE, ré-
leur vision des choses et gens d'Italie. dacteur à la Croix et organisateur en
L'évolution de la, mentalité de nos Ardèche de l'Armée secrète unifiée, no-
hommes vis-à-vis des Italiens, hostile tait chaque soir les faits de la journée,
d'abord, puis largement compréhen- les dactylographiait, confiait les feuil-
sivc, l'état d'esprit de^jfeux-ci à notre lets à un camarade qui les enterrait.
égard sont particulièrement intéres Exhumées, ces feuilles forment la ma-
sants. Jacques de DAINVILLE. . . tière de ces Ephémérides qui compor-
teront trois volumes.
Edouard et François MICIIAUT. — Cet énorme travail, mené avec mé-
Esclavage pour une Résurrec- thode, est précieux pour l'histoire du
tion. Editions du Cep, 4 9 * ;J, journal la Croix pendant l'occupation.
255 pages. Il ne le sera pas moins pour l'historien
Le petit livre de ces deux frères qui trouvera là un recueil unique des
déportés est plus qu'un récit : il a si', consignes données à la presse par les
être à la fois un document et un témoi- Allemands ou Vichy et des exemples de
gnage. On retrouve en lui, sans exagé- la façon dont certains journalistes par-
ration et sans emphase, l'exact dérou- venaient à n'en tenir aucun compte.
lement d'une existence auprès de. Une table onomastique, qui paraîtra
laquelle l'Enfer de Dante fait ligure à la fin du tome III, permettra de con-
de lieu de repos. Mais plus encore sulter aisément cet original et remar-
son exactitude même dans le relevé des quable travail. J. B.
faits est un témoignage de courage
•
LITTERATURE
Georges HouniuN. — Mauriac, Ro- romans lient à ce que, derrière les
mancier chrétien. Editions du drames imaginés, il y a toujours « le
Temps présent, 1945. 140 pages. drame intérieur de l'auteur, la lutte du
50 francs. chrétien aux prises avec la grâce, le
Avec ce court mais substantiel vo- tourment du pécheur livré à ses pas-
lume, qui rend pleine justice à Mau- sions, ht misère de l'homme sans
riac romancier et romancier chrétien, Dieu ». Ses personnages sont créés
nous avons, espérons-le, doublé le cap avec sa chair et son sang. Lui aussi « a
de ces temps malheureux oïl l'auteur mis son âme dans ses livres ».
de la Vie de Jésus pouvait écrire dans Voilà pourquoi, « lorsqu'on purle
tes Maisons fugitives (1939) : « Je lisais un jugement sur la valeur de son
ce matin avec mélancolie, sous la oeuvre, il ne faut jamais oublier le
plume d'jun grand chef catholique] : chemin que son auteur a parcouru, et
Un romancier dont les ouvrages mor- cette sorte de découverte continue
bides lie pénètrent ni dans mon foyer, qu'il a faite de la part chrétienne de
ni dans les foyers peuplés de mes lui-même ». De là vient aussi que son
enfants... » apologétique est capable de toucher
M. Georges HOUIIDIN ne restreint ceux « que n'atteignent pas les raison-
pas ses analyses aux dons extraordi- nements d'un Péguy ou les proclama-
naires du psychologue, à la création du tions d'un Claudel »..
personnage nouveau, à la formule « Notre romancier, déclare dans une
neuve du roman : il s'attache à montrer très heureuse formule M. Hourdin,
(le R. P. Rideau, on s'en souvient, ra- s'est engagé tout ' entier dans son
mait naguère dans le môme sens) que le oeuvre. Il a engagé avec lui, qu'il l'ait
calKolicismo fait partie intégrante de voulu ou non à l'origine, le catholi-
l'oeuvre du romancier. Mauriac a tenu, cisme. Là est sa grandeur et le secret
en effet, l'affirmation-programmc d'un de son influence. »
de ses premiers essais : Écrire, c'est se
livrer. Le passionnant intérêt de ses A. de LA CROIX-LAVAL.
4-
REVUE DES LIVRES 281
.
PHILOSOPHIE
Hoberl JACQUIN. — Lettres méta- l'actualité de certains problèmes, le
physiques. Bonne Presse, 1945. renouvellement de certaines questions.
In-16, 225 pages.' Sa docilité aux positions d'Aristote et
Destiné à de futurs bacheliers et de saint. Thomas lui fait condamner
même à un public plus'large, cet ou- sans assez de nuances « la pauvreté
vrage, composé de trente-trois lettres
,
doctrinale de la philosophie moderne ».
adressées à un jeune homme, veut être Peut-être une allusion au moins aux
mie initiation attrayante à la philoso- noms do Bergson, de Blondel, de
pliio : de fait, ses qualités certaines de Le Senne, de Lavellc ou même de
vulgarisation, alimentées par une gran- Sartre eût-elle révélé au lecteur des
de culture générale, le font lire avec perspectives neuves. Et je me défierais
plaisir. Peut-être cependant l'auteur volontiers de certains simplismes :
sous-estime-t-il les exigences intellec- « Le principe de
solution, c'est tout ,
tuelles de notre époque et; méconnaît-il simplement la notion de puissance. »
282 REVUE DES LIVRES
(Si, précisément, la philosophie pou- l'influence du pseudo-Denys aurait
vait évoquer, dans son ordre, le sens du converti en sympathie la méfiance du
mystère!) Et je ne trouve pas non plus christianisme primitil'pour l'art : d'où
une théorie vivante de la personne ni
.
après les anathèmes des Pères et le
d'allusion aux menaces réelles dont elle sommeil de l'esprit créateur, le jaillis-
est l'objet de la part du communisme sement de beauté du moyen âge et de
ou des doctrines totalitaires. Comment la Renaissance, l'alliance du « catho-
ne pas parler du problème du mal en licisme » et de l'art... (Et l'art byzan-
termes plus réels? Comment; énumérer tin, l'iconographie orientale?) « Vint la
les preuves de l'existence de Dieu sans Révolution française » qui, « comme
faire intervenir le rôle de la volonté et toutes les révolutions, portait avec
de la préparation morale? Et est-il dé- elle le désordre, la misère cl. la con-
sormais permis de concevoir une philo- cussion, c'est-à-dire la laideur morale»:
sophie « séparée », qui ne-soit pas net- d'où le « crépuscule de la beauté », con-
tement orientée vers le christianisme? firmé par l'avènement de la science...
Emile RIDEAU. On pourra juger ces vues un peu som-
*.- maires.
Paul OLAGNIEH. — Sur l'Esthétique. Dans une seconde partie, plus con-
Librairie générale (le. Droit et de testable encore, après avoir retracé à
Jurisprudence, 1945. Iri-8, 487 pa- grands traits le développement de lu
ges. faculté esthétique depuis l'âge des ca-
Si érudite qu'elle soit, cette compi- vernes, l'auteur propose comme expli-
lation de textes sur les conceptions de cation l'évolution de la structure du
la beauté dans la civilisation occiden- cerveau ainsi que la distinction do
tale depuis l'Egypte jusqu'à nos jours Léon Daudet entre le Moi. et le Soi
n'atteint jamais à l'intérêt ni à la pro- comme composantes de. l'esprit. On
fondeur de la véritable histoire : une s'étonne enfin que l'auteur ne men-
suite de chapitres, une distinction trop tionne pas certaines recherches récen-
stricte entre « âge métaphysique » et tes, comme celles de Feldman, et
« âge psychologique » ne suffisent pas à n'évoque pas au moins le nom de
faire de cet, ouvrage autre chose qu'un Valéry.
résumé. La thèse y est, développée que Emile RIDEAU.
soin d'un pays qui aurait, répudié les manoeuvrant les masses. Le problème
luttes d'antan. de la démocratie réelle en eût été •
Il est instructif de relire leurs tra- éclairé. Malgré son intérêt, l'ouvrage de
vaux à la lumière des événements ac- M. Parodi reste formel. Ce n'est pas en
tuels. Les vieilles querelles renaissent décrivant la nature abstraite de la
suivant les opportunités électorales. démocratie qu'on nous aidera à résou-
Au Heu du socialisme humaniste, se dre le problème de la démocratie con-
profile à l'horizon une dictature parti- crète.
sane, tandis que se prolonge un ma- On lira au contraire avec profit les
rasme économique et financier qui pages que M. Parodi consacre à l'ana-
menace de tourner à la catastrophe. lyse des causes de la défaite et à la
Les ouvrages de MM. Hauriou et Spire ' critique de la « Révolution nationale ».
seront-ils les témoins de ce que nous Elles sont, sur ces matières, parmi les
avons manqué ? plus sereines. Louis BEIKNAEKT.
Louis BEIHNAIÏHT.
R. P. DJKSQUUYKAT. — Révolution
Dominique PAKOUJ . — Le Problème d'abord. Spes, 1945. In-16, 155
politique de la Démocratie. Pres- pages. 65 francs.
ses universitaires de France, 1945. Comment supprimer -le prolétariat,
In-8, 159 pages. 60 francs. et rendre possible la vie morale et reli-
Dans cet ouvrage, écrit en majeure gieuse de l'ouvrier? Telle est la ques-
au début de l'occupation, tion à laquelle tente de répondre le
.
parti»
M. PARODI décrit et justifie la concep- P. DESQUEYHAT, en traitant successi-
tion démocratique de l'État, recherche vement du minimum vital, du travail
les causes de la défaite, et instaure une formateur et déformateur, des loisirs,
critique de la « Révolution nationale ». du syndicalisme, et de l'intégration de
' Pour lui, la démocratie est la forme la classe ouvrière à la nation. Il n'y a.
même du gouvernement d'un peuple rien de banal dans ce petit livre, dont
adulte, où le citoyen est appelé à con- les analyses pénétrantes se condensent
trôler l'usage que l'autorité fait du souvent en formules frappantes, et. où
pouvoir. Aux lions de fait qui unissent les considérations du théologien sont
les membres de la communauté natio- toujours lestées par les sûres décou-
nale, elle superpose une ratification vertes du sociologue. Et. puis, quelle
consciente qui met en'jeu la raison et satisfaction pour l'esprit que de voir le
la liberté : elle, est un régime de droit. problème social extrait du plan étroi-
La conception de M. Parodi est donc tement économique où on le confine
classique et reste dans la ligne de la trop souvent, et posé en termes de
tradition issue de Rousseau et de la civilisation ! Un livre suggestif et
Révolution française. Une telle démo- intelligent. Louis BEIKNAEUT.
cratie est-elle encore possible dans la
France de 1946, et à quelles conditions; J. ROMAINS. — Retrouver la Foi.
l'est-elle? Ce sont là des questions que. Flammarion, 1945. ln-18, 226 pages.
l'auteur n'a pas abordées. On auraitt . 80 francs.
souhaité qu'il analysât d'une façonî J. ROMAINS a recueilli ici les appels
précise la réalité sociologique que cou- radiophoniques qu'il adressait de New-
lonnè l'édifice politique, et notammentt York à ses compatriotes et une série
qu il prêtât plus d'attention à ce phéno- d'essais sur les problèmes posés par le
mène capital que constitue le parti, ett gouvernement de Vichy et la recons-
le remplacement du contrôle et de lai truction du pays. Malgré un titre pro-
surveillance exercés par le peuple en- metteur, le tout est plutôt décevant,
^lei', par le contrôle et la surveillance
e Nous ne mettons en cause ni la justesse
exercés par une formation disciplinéee générale des idées, ni le patriotisme de
284 REVUE DES Ll-VHES
l'auteur, mais une façon de poser et de répartiteur en augmentant ou en dimi-
résoudre les problèmes qui nous semble nuant la part du salaire de production
dépassée par l'histoire. Ce n'est pas, ou celle du salaire social, les presta-
croyons-nous, de l'humanisme un pou tions pour consommation immédiate
soc et du radicalisme impénitent de ou les immobilisations, etc.
l'auteur des Hommes de bonne volonté Mais n'est-ce pas le dirigisme rejeté
qUe nous pouvons attendre un renou- par ailleurs qui est réintroduit subrep-
veau d'espérance et des solutions ticement par l'intermédiaire de ces
d'avenir. caisses? Si vraiment celles-ci ont
Louis BKIIINÀERT. communication du bilan dos entre-
prises, si elles peuvent assurer la régu-
Jean GAKIUC. — Pour une Économie lation du marché du travail en déci-
réaliste. Librairie de Mcdicis, dant qu'un short, lime doit être insti-
1945. 239 pages. 120 francs. tué, etc., ne sont-elles pas un véritable
organisme, directeur de l'économie,
L'ouvrage de M. GAUHIC constitue intervenant, activement dans le jeu
un exposé accessible de ce néo-libéra- d'un marché que l'on veut par ailleurs
lisme donl.Walter Lippmann a dessiné laisser à lui-môme? Tant il est vrai
les arêtes dans la Cité 'libre. Dans ce qu'il est difficile à un esprit qui a ac-
système, le bien-être du plus grand cepté de poser le problème économique
nombre lin de l'économie ne saurait en termes humains dléehappor à la
être atteint qu'en laissant aux chefs conclusion : le marché ne suffit, pas à
d'entreprise le maximum de liberté, assurer le bien-être du plus grand
l'Etat n'intervenant que d'une façon nombre ; une direction s'impose.
indirecte, pour créer des conditions Louis BEIRNAEHT.
telles que l'intérêt particulier trouve
son profil à se conformer à l'intérêt
général. Louis POMMUUY. — Aperçu d'Histoire
L'auteur l'ait une analyse assez pous- économique contemporaine
(1890-1934). Mcdicis, 1945. In-16,
sée du marché où il voit le véritable 460 pages. 150 francs.
régulateur de l'économie, ce qui l'a-
mène- à répudier fermement le diri- « Aperçu d'Histoire économique con-
gisme. Par ailleurs, la liberté à laisser temporaine... » ou « la Faillite du libé-
aux chefs d'entreprise lui paraît in- ralisme vue par un libéral ». Tel pour-
compatible avec les réformes de struc- rail, en elfet, cire le sous-titre de l'ou-
ture. Mais dans son souci d'augmenter vrage de POMMERY.
le pouvoir d'achat des consommateurs Car, après avoir décrit en un premier
et d'assurer un minimum do bien-être chapitre l'apogée où était parvenue
aux non-producteurs, il est amené à l'économie mondiale durant la période
chercher un moyen de diriger la répar- 1890-1914, l'auteur nous montre en-
tition. Il le trouve dans la création de suite les conséquences qu'a entraînées
« caisses de solidarité », administrées le premier conllit mondial pour le
conjointement par les patrons et les régime économique libéral : hausse des
travailleurs et chargées de financer prix, crise monétaire, rupture avec
tout un ensemble de charges sociales. l'étalon or, crise générale de 1929;
Ces caisses, d'après lui, pourraient durant ces trente dernières années,
jouer le rôle d'institut de conjoncture, l'économie mondiale est tombée dans
par tous les renseignements qu'on leur l'anarchie sous le régime du « laissei-
fournirait, de régulateur de l'économie, fairc, laisser-passer »;
en augmentant, ou en diminuant le L'auteur en l'ait porter toute la
taux des cotisations, en orientant l'uti- responsabilité sur l'Etat coupable, «
lisation de leurs ressources, etc., et de ses veux, d'avoir substitué une (-('""""
REVUE DES LIVRES 285
SCIENCES
JEAN STEINMANN
....
,
....
. . .
Les déportés français de la
prison de Cologne
Situation de Ramuz .... 170
lg/,
PIERRE DE CALAIS
BERNARD GAVOTY
.... Le Joueur de Talion '.. . . .
. . .
Jeunesses .musicales de France.
196
Louis BARJON
. . . . .
Chroniques
.......
L'Initiation collective à la
musique
Quand les chrétiens s'accusent.
203
214
248
RORERT ROUQUETTE
. . .
Jeunesse de l'Eglise : l'Àsseni-
Le Mois
blée de Besançon
.... 257
RAYMOND JOUVE
ROBERT ROUQUETTE
.... Paul Claudel de l'Académie
française
L'Eglise réformée des Pays-Bas
264
. . .
et la Justice politique. . . 267
J.-M. TÉZÉ '. Pour un Art religieux. 268
. . . . . . . .
11.
franc-aine moderne. — V. PoncnÉ : liaiidclaire. Histoire d'une âme. —
A. KOESTI.EK : Le Zéro et l'Infini
— .-1cfMfl!Jf.(t<: : I'. LYAUTEY; P. HUOOT; V,. cl F. MICHAIJT; 1'. LIMAONE; H.
MANS-1'E-IIT; Lord VANSITTAUT; I. VENEZIS
Hn-
'''•
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...
Littérature. : fi. HOIJRDIN ; .1. BKNDA. 2',°
Philosophie. : H. .IACQOIN; P. OI.AGNIEK. 2l '
Questions économiques et sociales: A. HAUIUOU; A. SIUHE; V). P.-uioni ;
R. P. DESOUEYIÎAT; .1. ROMAINS; .1. GARRIC; L. POMMERY; 11 SESMAT; II. SAVA-
' T"Ut ' l'I
Sciences : P. DucAsr.n; J. GAULES. "'
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Le Gérant : J. DUMOULIN. trçpr. J. DÙMom.iii, 5, rue. des Gds-Augustlns, Paris (VI").
Wpût légal S* trimestre 1946. ''.:". CCg\ L. 31.1130. N° d'ordre : 1!TC
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,
LA PAPAUTÉ MODERNE
ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
* *
Il est une maxime courante sur laquelle l'Église n'a jamais
varié depuis ses origines. Toute la tradition catholique la
répète, après saint Augustin : Credere, nonnisi volens, « on ne
croit que si on le veut », pas d'acte de foi yéritable sans le
libre consentement de la volonté. Cette règle a pu être oubliée
ici ou là, au cours des siècles, par l'effet d'un zèle indiscret.
Mais il s'est toujours trouvé des censeurs sévères pour en
blâmer la transgression. Les méthodes violentes de Charle-
magne, par exemple, n'ont pas seulement contre elles le
jugement de l'histoire. Elles suscitèrent en leur temps la
vive opposition de son entourage : « Ce malheureux peuple
saxon, écrit Alcuin, a perdu le sacrement du baptême, parce
qu'il n'a pas eu dans le coeur le fondement de la foi. La foi
est affaire de volonté, non de nécessité. Comment pourrait-on
forcer l'homme à croire ce qu'il ne croit pas? On peut le
pousser au baptême, .non à la foi 1. » L'Église des Croisades
n'a pas démenti ce rappel doctrinal du ministre carolingien :
elle s'est dressée contre l'Infidèle, non pour le convertir de
force, mais pour chasser les Puissances païennes des anciennes
terres de chrétienté. .
' "
f
« Dirons-nous qu'il faut permettre la liberté aux con-
sciences? », se demande encore Théodore de Bèze. « En aucune
façon, répond-il, dans le. sens où est comprise cette liberté,
1. Anli-Bcllius, cité par F. Buisson, Sébastien Castellion. Paris, 1892, t. II,
p. 27. .
2. N. Paulus, Protcslantismus und Toleranz im XVI. Jahrhundert. Freiburg,
1911, p. 13.
ig)!3. Lettre à Gantner, pasteur de Coire, dans Schiess, Bullihgers Korrespondenz
mit den Graubùndnern, Bâle, 1906, t.. III, p. 217.
LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 293
2. "Table Talk, cité par K. Jordan, op. cit., t. II, p. 484. — Sur Cherbury,
ibid., p. 435 et suiv.
LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 297
* *
C'est précisément contre les émules de Bayle et de Voltaire
qu'ont été dirigées les condamnations pontificales, à l'époque
contemporaine. Vers 1830., l'influence de Voltaire est à son
comble dans le monde bourgeois. Jamais ses oeuvres complètes
n'ont connu pareil succès d'édition. Le libéralisme régnant
s'affiche ouvertement comme la victoire du scepticisme et de
l'incrédulité. Il faut avoir présent à l'esprit ce drame spirituel
1. Lettres apostoliques de~\Pie IX, Grégoire XVI et Pie VII. Éd. de la Bonne
Presse, p. 211.
2. Le Pape condamne ici une proposition générale, mais ne traite pas le pro-
blème particulier qui a toujours préoccupé les théologiens : comment pourront
être sauvées, hors de l'appartenance officielle à l'Église, les âmes de bonne
volonté? Sur ce problème, cf. Capéran, le Problème du Salut des Infidèles. Tou-
louse, 1934.
300 LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
: *-
1. Discours édité dans le recueil Des Étals généraux et autres Assemblées natio-
nales. Paris, 1789, t. XII, p. 234.
2. OEuvres de Michel de L'Hospital. Éd. Dufey, Paris, 1824, t. I, p. 470.
3. Exhortation aux Princes, dans les Mémoires de Condè. Paris et Londres,
1743, t. II,p. 633.
302 LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
Comment ne pas voir dans ces manifestes le rappel d'une
vérité imprescriptible : la liberté de l'acte de foi? On pouvait
leur opposer sans doute l'interprétation restrictive du moyen
âge, dont saint Thomas demeurait le témoin : « Garder la foi
reçue, avait-il écrit, est affaire de nécessité. » Mais il restait à
discuter précisément la nature de cette nécessité.-- Que la sta-
bilité dans la foi reçue créât pour la conscience une grave
obligation morale, personne ne songeait à le nier. Qu'elle dût
être assurée par la contrainte corporelle, on avait quelques
motifs de le contester. Comment la foi, libre en ses origines,
perdrait-elle par la suite son caractère de liberté? On a pu
l'admettre, au moyen âge, d'un point de vue moins dogma-
tique que social. Dans, une société temporelle, basée elle-même
sur l'unité de foi, on croyait pouvoir châtier comme un crime
ordinaire toute défection dans la foi. Convenait-il de main-
tenir, au milieu de la crise religieuse, pareilles prescriptions ? Nos
« politiques » avaient de bonnes raisons d'en douter. Non seu-
lement le respect des consciences, mais les exigences du bien
commun lui-même les inclinaient vers la liberté. On a voulu,
observent-ils, conserver à tout prix l'unité religieuse du pays.
Qu'en est-il advenu? Dans l'ordre civil, des guerres inex-
piables, la ruine du.royaume que déchiraient les haines, les
luttes sanglantes, la révolte des sujets contre leur prince.
Dans l'ordre spirituel, la ruine de la religion que l'on prétendait
défendre. L'abbé de Bois-Aubry, Michel de L'Hospital, le
capitaine huguenot François de la Noue insistent à bon droit
sur le péril d'athéisme et de libertinage né du duel acharné
des confessions rivales. La liberté de conscience leur appa-
raissait en définitive comme le fruit d'une sécularisation par-
tielle et légitime de l'État. Inutiles et dangereux les compromis
dogmatiques ; vains les « colloques » pour rétablir l'unité
doctrinale. Il suffisait en somme de tempérer la rigueur du
principe : « Une foi, une loi, un roi. » L'État, société humaine
naturelle, reprenait son autonomie par rapport à l'Église.
La religion catholique restait, la religion du royaume, mais
l'adhésion au culte officiel n'était plus regardée comme une
condition de citoyenneté. La fidélité à la personne du prince
n'exigeait plus absolument la communion avec lui dans une
même religion extérieure. Ainsi prendrait fin cet ordre poli-
LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 303
1. Gai'diner, A History of the greal civil. War. Londres, 1891, t. III, p. 212.
.
LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 305
Une autre liberté que l'on proclame aussi bien haut, écrit-il2,
est celle de la liberté de conscience... On peut l'entendre en ce sens
que l'homme a, dans l'Etat, le droit de suivre, d'après la conscience
de son devoir, la volonté de Dieu et d'accomplir ses préceptes, sans
que rien puisse l'en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté, la liberté
cligne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité
de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute
oppression... C'est cette liberté que les Apôtres ont revendiquée
avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs
écrits, qu'une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur
sang.
* **
La liberté de conscience touche de trop près, croyons-nous,
aux plus graves problèmes de la vie morale et religieuse pour
qu'il soit facile, de réaliser autour d'elle un complet accord
des esprits. C'est une notion complexe et équivoque. Rien ne
sert de la proclamer et d'en faire parade ; il faut encore en
expliquer le sens et la portée véritables. Elle est susceptible
de servir à toutes fins, les meilleures comme les plus funestes.
On peut en faire un instrument de paix et un instrument de
guerre. Déjà au quatrième siècle, Julien l'Apostat proclamait
la tolérance -pour toutes les sectes chrétiennes, dans l'espoir
avoué qu'elles se détruiraient l'une l'autre. L'empereur Julien
a fait école à l'époque moderne. Combien de polémistes ont
exalté la liberté de conscience, dans le but non déguisé de ruiner
les croyances religieuses ou du moins de les déprécier ! Il ne
suffit donc pas de s'élever contre les encycliques pontificales
où cette liberté se trouve condamnée. Il faut se demander
encore en quel sens, pour quels motifs elle l'a été. Il y a là
une grave méprise que nous avons cherché à dissiper.
Une entente est-elle possible en outre sur des bases posi-
tives? Nous le'croyong sans peine. Il est un premier caractère
de la. liberté de conscience qui peut être accepté par tout
homme de bonne foi. Ne doit-elle pas être avant tout un
instrument de paix? C'est pour pacifier les esprits et les
coeurs qu'a été promulgué jadis l'Édit de Nantes. Il faut en
dire autant de la Déclaration des Droits de l'Homme, dans
son inspiration première. Il en est de même enfin des Consti-
tutions américaines, après la guerre de l'Indépendance. Il ne
peut s'agir, bien entendu, d'empêcher toute rivalité entre les
hommes sur le plan religieux et moral. L'État peut veiller
du moins à ce que de telles compétitions ne troublent point
l'ordre civil et n'engendrent aucune tyrannie.
Un second' caractère de la liberté de conscience conditionne
normalement le premier. Elle doit être un respect effectif de la
conscience religieuse, de son mystère intérieur et des actes
externes qui en sont l'expression. Du point de vue. catholique,
n'est-ce pas l'application pure et simple du principe sacré
qu'a rappelé Léon XIII : la foi exige la liberté? N'est-ce pas.
LA PAPAUTÉ MODERNE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 309
La Guerre de Guérillas
Donc les Palous descendent, un million ou presque, de
Yenan vers le Chansi, le Hopeï,le Chantong. Ils s'insinuent entre
les corps japonais qui occupent les villes et les chemins de fer. Ils
inondent les campagnes ; ils occupent les villages ; ils s'assi-
milent les milices paysannes qui menaient la jacquerie contre
l'envahisseur, et ils commencent... la guerre inexpiable. En
réalité, en bien des régions, les Palous ne se battirent que
mollement : leur grand but était de profiter de la guerre pour
occuper le pays et le bolcheviser. Ils ne faisaient que provoquer
les vengeances des Japonais contre-les, paysans et ne s'in-
quiétaient pas des conséquences lamentables pour nos cam-
pagnes. Dans certains quartiers, pourtant, la guerre fut plus
sérieuse ; les Palous, terrés le jour, combattant la nuit, har-
celaient les colonnes japonaises, coupant les routes, tuant les
soldats isolés, arrêtant et brûlant les autos, s'abattant comme
nuées de sauterelles sur un village occupé et massacrant les
envahisseurs : quand une brigade japonaise, alertée par télé-
phone, arrivait de la ville, ils avaient déjà disparu. Et cela
dura huit ans. Guerre toute négative pourtant. Jamais,
les Palous n'ont osé attaquer de front l'armée japonaise. Il
y a eu des escarmouches : pas une bataille, pas une victoire;
ce ne sont pas eux qui ont gagné la guerre. Reste qu'ils
ont gêné considérablement l'ennemi.
Les Japonais avaient beau nettoyer le pays. L'ennemi
fuyait sans cesse et attaquait toujours. Les" armées napo-
léoniennes en Espagne et les colonnes des Bleus en Vendée
n ont pas connu de pire guerre.
314 L'ARMÉE « PALOU » .
Costume Palou
Voyez ces dix ou vingt jeunes gens qui marchent en file
sur le sentier, mouchoir blanc noué sur la tête, veste et pan-
talon de coton jaune, pieds nus dans leurs chaussons de corde,
,
ceinture de cuir avec cartouchières, fusil sur l'épaule : ce sont
des Palous. .Qu'une troupe japonaise paraisse à l'horizon, ils
se dispersent, jettent momentanément leur fusil aux herbes
du fossé, fourrent leur mouchoir dans leur poche, relèvent les
pans de leur veste au-dessus de la ceinture aux cartouches, et
les voilà transformés en inofîensifs paysans ; comment
atteindre ces hommes qui errent isolés dans les champs vers
lesquatre points cardinaux?
En vain les Japonais exigèrent-ils que tout homme en route
316 L'ARMEE « PALOU »
La Doctrine Palou
Il n'y a pas de Dieu. Il n'y a pas d'âme. Il ne faut croire
«
qu'à ce qu'on voit. Il faut chercher son paradis sur la terre.
Après la mort, il n'y a plus rien. La propriété privée doit être
ou supprimée ou limitée. Les enfants sont à l'État. Le respect
des parents est une superstition ; de même la modestie, la
réserve entre les sexes. Égalité absolue. La terre et tous ses
produits- appartiennent à tout le monde ; le seul but de la vie
est d'en jouir. L'athéisme est la vérité; toute religion est foi
aveugle ; toute prière est perte de temps. La chasteté est un
crime contre l'humanité ! »
Au début, les chefs Palous se gardaient bien de mettre en
318 L'ARMEE « PALOU »
L'École Palou
Jusqu'ici, clans ces trois grandes provinces : Hopeï,. Chan-
tong, Chansi, l'Église catholique dirigeait des milliers
d'écoles. Elle était, en somme, la grande promotrice de
l'instruction populaire. Dans certains villages, il y avait aussi
une petite école publique, païenne, confucianiste, nullement
hostile à la religion. Là se perpétuaient encore les traditions
de la vieille Chine : étude des quatre livres classiques, du
calcul, de l'histoire chinoise ; politesse, moralité, réserve, sépa-
ration des sexes. Hélas maintenant presque tout est par terre.
!
Dans les villages, il ne reste guère que les écoles Palous. Certes,
les Soviets se disent partisans de l'instruction. En Russie, ils
ont lutté contre l'analphabétisme. Ici, on remarque assez
souvent qu'un jeune homme illettré, entré dans l'armée Palou,
peut lire le journal au bout d'un an. Mais, en réalité, l'instruc-
tion Palou reste toujours très inférieure. Le grand but est
d'endoctriner l'enfance, de faire des communistes. Filles et
garçons se rassemblent en cour : on les range longuement,
on les fait marcher au pas ; puis ce sont les mouvements de
gymnastique en criant : un, deux, trois ; puis les chants
Palou. Étrange musique, peu de paroles : « Ha, ha, ha, —
wo, wo, wo ! » Imaginez de petits Français qui chanteraient
indéfiniment : « Tra la la déridera!,» Parfois éclate quelque
devise moscovite : A bas ceci! A bas cela! Généralement
aucune mélodie, aucun sentiment même rudimentaire ; les
notes montent, montent, et finissent en un cri sauvage.
Ces exercices physiques prennent la plus grande partie du
temps. L'a formation de l'intelligence est réduite au minimum.
On apprend les lettres, un peu de calcul. Pour le reste, l'élève
Palou jouit d'une ignorance encyclopédique. Pour l'histoire,
c'est table rase. Pour la géographie non chinoise, presque rien.
En définitive, cette école orientée vers la propagande
donne des résultats pédagogiques assez lamentables : l'intel-
320 L'ARMÉE «PALOU »
Le Maréchal-Président Tsiang-Kaï-Shek
et l'Armée Palou
Dans quel sens évoluera la situation actuelle? Il est diffi-
cile de le prévoir : depuis le 15 août 1945, la guerre sino-
japonaise est finie. L'armée ennemie s'est rendue ; la Chine,
comme le prévoyait Tsiang-Kaï-Shek, est sortie indemne de
la terrible épreuve. Mais, hélas ! l'armée Palou ne s'est point
dispersée; elle a tourné son influence et ses forces contre
le gouvernement national, le gouvernement du .maréchal
Tsiang, établi à Tch'oung-King. Les murs de nos villages sont
couverts d'inscriptions injurieuses au maréchal-président.
Partout on célèbre les exploits du grand chef Palou Mao-Tzeu-
Tong. De peur que l'armée nationale ne vienne les attaquer,
les Palous détruisent les chemins de-fer. C'est ainsi qu'entre
Tientsin et Tsinanfou ils ont détruit de fond en comble-
sur plus de 100 kilomètres la grande ligne qui relie Pékin
à Nankin et Changhaï : c'était la trachée artère de la Chine.
De plus, ils ont occupé quantité de villes : Tamingfou, Yen-
chowfou, etc. Jusqu'ici,la capitale du Chantong, Tsinanfou,
ÉTUDES, juin 1946. CCXLIX. — 12
322 L'ARMÉE PALOU " '
« »
î'?l. Tite-Livc, .55. Cum fluvium Oblivionis (milites) transire nollent, raptum
<c
Nous verrons aussi plus loin le rôle des morts dans le choix
des sites de peuplement.
En tout cela, les conditions de site, aussi bien climtttiques
que géologiques, jouent un rôle minime ; c'est à un tout autre
déterminisme que se réfèrent bien des premières installations
humaines.
Même chez les nomades, l'établissement du campement
est souvent une affaire religieuse ; la première nuit d'un douar
marocain se passe en pratiques magiques, les femmes jettent
du sel sur le terrain, chacun ravive son propre feu ; il peut
y avoir des douars qui se révèlent placés d'une façon néfaste,
alors il faut tout transformer, spirituellement parlant, on
change le nom des ustensiles, de la tente, des animaux, des
habitants 1.
Renseignement du R. P. Briault.
1.
J.-M. Dé Groot, The Religious System of China, t. IV, chap. vi."]
2.
Sion, Géographie universelle Japon, p." 211.
3.
Strabon, VI, 1-6. — Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités,
4.
mot Colouia, t. II, p. 1298.
RELIGIONS, SITES ET HISTOIRE DU PEUPLEMENT 335
grecque qui ait été établie sans que les oracles de Delphes,
de Dodone ou d'Hammon eussent exprimé, préalablement
leur avis 1.
En consultant les dieux, les futurs colons étaient assurés
d'obtenir de précieuses indications. Les grands centres reli-
gieux étaient constamment remplis de gens venus de tous
les points de l'horizon qui renseignaient les prêtres et leur
permettaient d'apprécier les chances de succès ; ceux-ci d'ail-
leurs avaient grand intérêt à donner d'utiles renseignements,
ils augmentaient leur clientèle, l'oracle agrandissait sa zone
d'influence de nouvelles villes qui leur enverraient des libé-
ralités proportionnées au succès.
* *
Chacune des étapes de la trilogie illustre, à sa manière, la
tragique confrontation du chrétien, témoin d'une vérité
immuable, éternelle, avec un monde en perpétuel devenir,
emporté selon les lois aveugles du déterminisme historique.
La société bourgeoise dans l'Otage, la race juive dans le
Pain dur, l'Italie révolutionnaire dans le Père humilié,
incarnent cette marche en avant de la matière sous la poussée
de laquelle lès vieux équilibres humains sont appelés à craquer :
exigence de la vie qui veut que les exploités d'hier rejettent
les exploiteurs devenus parasites, comparable à celle qui
régit notre corps où les cellules nouvelles ne cessent de chasser
les cellules mortes
ou appauvries.
La vieille noblesse de France, la catholique Pologne, la
Papauté romaine représentent au contraire cet ordre chrétien,
a
éveillé l'univers à cette soif de liberté qui se fait jour au'
travers des revendications des peuples? Parmi les témoins
possibles de cette tragédie mondiale, Claudel a choisi deux
figures antithétiques : Lumîr et Sichel, ces deux femmes
jalouses de recueillir l'héritage de Turlure. Lumîr, la Polo-
naise, et Sichel, la Juive : figures des nations possédantes et
des nations dépossédées, dont la rivalité s'apparente à celle
qui dressait dans l'Otage Turlure contre Coûfontaine. Louis,
fils de Sygne et de Turlure, aura à choisir entre Lumîr et Sichel
comme jadis sa mère entre Georges et Turlure. Il hésitera
quelque temps entre ces deux femmes, dont l'une, qu'il aime
(la Polonaise), représente une conception du nationalisme
dépassée, une résistance obstinée, à la fois grande et vaine,
contre le mouvement d'un monde où toutes les cloisons sont
renversées, et l'autre, qu'il n'aime pas (la Juive), mais qui
incarne cet effort de l'univers vers une meilleure unité. Malgré
lui, c'est vers la seconde qu'il ira, car il est de ceux qui ne
doivent marcher qu'orientés vers l'avenir. Ainsi, à l'heure
même où Turlure périt, assassiné par son fils, subissant
l'inexorable loi de cet ordre de la matière dont il n'a point su
s'évader, le sang des Coûfontaine continue au travers de Louis,
si misérable qu'apparaisse ce parricide, de poursuivre son
sillon invisible de charité. C'est le sacrifice chrétien de Sygne
qui aujourd'hui encore travaille à l'union des peuples, comme
jadis il s'était voué à l'union des classes. Voici l'alliance
contractée entre la race des Coûfontaine et celle errante et
apatride d'Israël, comme jadis fut scellée l'union entre la
lignée monarchique et la classe bourgeoise des Turlure. Tour
à tour, les masses déshéritées, aspirant à vivre, viennent
convoiter l'héritage, branches étrangères et méprisées, avides
de se voir entées sur le vieux tronc séculaire pour y raviver
tout ensemble et pour y puiser la vie. « Le sang des Coûfon-
taine, dira Louis, qui s'est déjà appuyé un Turlure ; voilà tout
Israël qui débouche dedans » Et cette déclaration, en dépit
!
« dressée
parmi la fumée des sacrifices » dont nous parle le
prince VVronsky, et — plus que ce témoignage de pierre —
l'immense figure du Pape, Père humilié et glorifié tout
ensemble dans ses enfants, comme le Père des Cieux se trouve
à la fois humilié et glorifié dans son Fils.
Louis EARJON.
INCERTITUDES- DE LA CONSTITUTION
D'AVRIL
em définit le
principe ; celle de l'organisation des pouvoirs, j
*
qui en définit les moyens. %
Deux remarques, prélimiiîtaires éclairent cet examen : la
première concerne les conditions politiques' dans lesquelles
fut élaboré le texte. La recheTChe__de l^tnanûnité, malgré
lféebec -final, fut la dominante'des travaux de l'Assemblée. ;
il en est sorti un compromis, un- essai de transaction entre
des tendances parfois opposées.
D'aucuns,, évoluant l'exemple de 1875, diront que le
compromis et la transaction, plus que la rigueur logique-,
font les Constitutions sages, et durables. Il fa-ut nuancer ce
jugement. Entre- des peints de vue qui divergent sans s'oppo-
sai?, le eompiromis peut être un moyen terme hanmonieuix :
mais, entre des systèmes eontïadictoitt'cs;. le compromis, s'il
se réalise en empruntant à l'un et à l'autre des fragments
qu'il juxtapose, a toute chance- d'enfanter un monstre. Celui
de 1875 a pu éviter ce résultat par une autre méthode ; le-
marche-, ici, fut conclu une fois pouir toutes ; il ne s'inscrivit
pas dans le détail de l'amena gemment des institutions : la _,N
*
* *
Constitution pour la liberté ou Constitution pour le pouvoir?
L» préambule répond dans .le premier sens ; mais n'est-ce pas
3e second que l'on choisit en rejetant le principe de la sépa-
ration des pouvoirs?
On peut, certes, discuter la portée de ce principe, sa
valeur logique et pratique ; mais un point reste acquis : tous
;
les régimes qui l'ont adopté ont donné à cette acceptation
le sens d'une prise de- position pour le citoyen contre le pou-
•VO.ÏS. Dans la Constitution de 1946, c'est le pouvoir qui est
préféré ; « l'unité du pouvoir » devient « la règle même de la
démocratie »; formule qui apparente curieusement cette
démocratie à d'autres régimes, qui ont, eux aussi, fait de
l'usnité du pouvoir leur règle même... Et, sans doute, le pou-
voir ne se voit accorder un tel crédit que parce qu'il est ici
3e pouvoir du peuple exercé par ses élus ; mais une analyse
plus poussée du pouvoir n'eût-elle pas conduit à y déceler,
quelle qu'en soit l'origine, quels qu'en soient les titulaires,
isne unité de substance, qui le dresse, menace perma-
.
nente, en face de la liberté? ,
II
Entre la liberté et le pouvoir, les constituants, lorsqu'ils
casent à définir leurs buts, n'ont pas choisi ; sur le principe
de leur oeuvre, sur la démocratie, l'incertitude plane aussi.
Là encore, l'unanimité s'est'faite sur le mot; mais, si l'es-
sence de la démocratie est vraiment dans l'identification du
souverain et du sujet, ou, pour reprendre une formule que les
lecteurs de cette revue connaissent bien, dans « l'identité des
.gouvernants et des gouvernés 1 », on peut dire sans paradoxe
qu'entre le mot et les institutions que l'on met sous son égide
ly aun abîme.
Deux courants se sont partagé, en matière constitution-
nelle, la tradition démocratique française : l'un a nourri les
III
L'incertitude est clans les principes ;' elle ne peut pas, dès
lors, n'être pas dans le dessein des institutions; on a déclaré
celui-ci subtil» : en matière constitutionnelle, ce n'est peut-
«•
être pas un éloge.
La Constituante, onde sait, a systématiquement écarté les
types de- gouvernement classique, et son rapporteur a tenu
à affirmer l'originalité de l'oeuvre : ni régime présidentiel, ni
régime parlementaire, ni gouvernement d'Assemblée, mais,
a-t-on suggéré, « gouvernement à base d'assemblée », assorti
de tout un jeu .« d'équilibres et de contrepoids » ; la formule
a le mérite, ou le défaut, de la nouveauté ; elle ne se relie à
aucun précédent ;-elle n'ajoute rien, en tout cas, à la lisibilité
d'un dessin déjà complexe par lui-même.
Aux adversaires du gouvernement d'Assemblée, ses par-
tisans ont concédé l'existence d'organes étrangers à son prin-
cipe. C'est beaucoup : le seul fait d'exister fait une institution
riche de virtualités insoupçonnées ; mais ces organes se sont vu
refuser la plupart des attributions qui sont, dans les régimes
auxquels on les emprunte, leur raison d'être ; ici encore, le mot
n'emporte pas la chose.
Un seul corps, on l'a vu, est développé jusqu'à l'hyper-
trophie, et c'est l'Assemblée ; tous les autres semblent, à ses
côtés, des embryons ou des survivances.
Le Conseil' de l'Union française est peut-être l'un et l'autre
à la fois : souvenir du Sénat défunt,, embryon d'un'e Chambre
analogue à- celle qui représente, dans les Etats composés, les
collectivités composantes, Sénat américain ou Soviet des
nationalités de l'U. R. S. S. Mais dans cette dernière voie, dont
l'authenticité démocratique pouvait, rare fortune ! invoquer
la double caution soviétique et anglo-saxonne, on s'est arrêté
366- INCERTITUDES DE LA CONSTITUTION D'AVRIL
très tôt : le Conseil n'a reçu, avec des attributions consul-
tatives, que des prérogatives diminuées. M
Le président de la République n'est qu'une survivance. Ici
encore, le verbalisme éclate : on a, pour donner au personnage
un certain volume, allongé la liste de ses attributions par tin
curieux procédé d'amplification verbale : « Il représente,...
il préside,... il communique,... il est tenu informé,... » Quelle
substance, sous les mots? On a déjà relevé l'incertitude de
son rôle dans le choix du chef du gouvernement. S'agit-il de
promulguer la loi? S'il ne l'a pas fait dans les dix jours, le
président de l'Assemblée se substitue à lui; s'agit-il de
communiquer avec le peuple? Le même président et celui du
Conseil exercent sur ses messages une double censure préa-
lable. Dans cette grisaille, une fanfare inattendue : le président
« dispose de la force armée » ; à s'en tenir au texte, il ne peut
rien faire — qu'un coup de force.
Quant au gouvernement, il est certes plus proche d'un
cabinet parlementaire que des simples commis prévus en 1793,.
et, à première vue, on pourrait s'y tromper : le décor de ses
relations avec l'Assemblée reste bien celui du régime parle-
mentaire ; voici un président clu Conseil doué d'une autorité
certaine, voici les techniques de la question de confiance, de la
motion de censure, voici un conseil collectivement respon-
sable, qui définit sa politique, propre, voici même, en ses
mains, le droit de dissolution. La lettre est là, non l'esprit, et
si l'on est tenté de reconnaître clans ce cabinet celui auquel la
IIe République avait habitué le pays, c'est que celle-ci avait
en fait fini par transformer ses cabinets parlementaires en
pouvoirs commispar F Assemblée,étroitement dépendantsd'elle.
Il faut,être juste : le souci de la stabilité gouvernementale
est une des multiples velléités que révèle l'oeuvre de 1946,.
oeuvre de bonne volonté, on l'a dit. Le dispositif est complexe:
c'est d'abord la dissolution; mais on a vu à quoi elle se réduit;
ce sont ensuite, moins inefficaces, les règles destinées à éviter
un vote de surprise; ici encore, le dessin reste mou; la poli-
tique du « oui, mais... » s'affirme.
On ne citera que pour mémoire cet étonnant Conseil supé-
rieur de la magistrature qui est bien la plus paradoxale de
toutes ces institutions : procédant de la volonté de « garantir
INCERTITUDES DE LA CONSTITUTION D'AVRIL 367
i'indépendance de la magistrature », il est, pour finir, aux
mains de l'Assemblée,, qui choisit six de ses membres contre
quatre magistrats ; mais ici encore, que de précautions !
L'Assemblée élira ses représentants « hors de son sein », elle
devra faire porter son choix sur des « personnalités », — et le
mot, naïvement, témoigne d'une bonne intention, :— elle devra,
enfin, pour les élire, dégager une majorité des deux tiers.
Tout cela laisse inchangé le résultat final d'une magistrature
contrôlée par les élus d'un corps politique. Mais les mots
tentent d'émousser le trait, de concilier les inconciliables.
IV
Quel visage eût donné à cet ensemble incertain l'épreuve
de la vie ?
On a beaucoup dit que la Constitution aurait rendu possible
la dictature sans frein d'une majorité, et ce n'est certes pas
inexact. On n'a pas .assez dit, et c'est tout aussi vrai, qu'une
Assemblée décidée à instaurer une démocratie libérale, et non
une démocratie autoritaire, eût pu fonder sur ce texte un
gouvernement équilibré ; on la voit assez bien laissant au
président de la République, par une interprétation large de
son droit de présentation, la désignation effective du chef du
gouvernement, attachant aux avis du Conseil de l'Union
française une valeur impérative et peuplant le Conseil supé-
rieur de la magistrature de juristes éminénts, de militaires
•glorieux, tous farouchement résolus à sauvegarder l'indé-
pendance des juges... Cela eût pu être, et seule la conjoncture
politique permet de penser qu'en fait cela n'eût pas été. Mais
cette indétermination, cette plasticité du texte, portées à ce
degré, ne sont pas un bien. Tout peut naître de tout, certes ;
le devoir du constituant, pourtant, reste de tenter de can-
tonner le jeu des forces et d'imprimer une direction à la masse
inerte des eaux.
On n'a pas assez dit non plus qu'outre les perspectives
classiques : la dictature d'assemblée et l'équilibre, la Consti-
tution, pouvait engager le pays dans une troisième voie : le
chaos. Le rapporteur général évoquait non sans complai-
sance les « équilibres subtils et nombreux » et « l'aména-
gement nuancé des fonctions de l'État » réalisés par le nou-
3'68 INCERTITUDES DE ."LA 'CONSTITUTION .'D'.AVRIL
JEAN RIVERO.
L'INDE A LA CROISÉE DES CHEMINS
...
où la propagande pour l'enrôlement des Indiens dans l'armée se fait
plus intense, que le gouvernement lui permette d'exposer à tout le
pays ses idées sur la guerre.
Très habilement,.il évite de lancer le mot d'ordre d'une désobéis-
sance civile généralisée. Il n'ignore pas que la répression serait impi-
•
toyable. Il s'ait aussi que trop de ses compatriotes ont trouvé, dans
l'armée ou dans les industries de guerre, des avantages tels qu'ils
répugneraient à se jeter da*is là bagarre.. Il imagine donc une lutte
1
d'avant-postes qui tiendra le gros des troupes en haleine : des chefs
bien choisis vont parcourir le pays pour le détourner dé la guerre.
Dès qu'ils seront arrêtés, d'autres prendront leur place. Le pandit
Nehru donne l'exemple. L'un- des premiers, il est mis en prison.
Et cependant, la division continue au sein du Congrès. M. N. Roy,
L'INDE A LA CROISÉE DES CHEMINS ' 373
leader de gauche qui a passé de nombreuses années en U. R. S. S. et
en divers pays d'Europe, est exclu du Parti pour avoir affirmé qu'on :
meurt à Poona, dans le palais de* l'Agha »Khan, où- elle- est venue .par-
tager, la détention de-son inari. Quelle, figure,pathétique .que celle ,cle
cette-Indienne! « "Femme .je suis, pauvrette-et ancienne... » Sans édu-
cation, 'mariée enfant, elle réalise l'idéal de .réponse hindoue qui
<
: EMILE GATHIER.
PRINTEMPS DE GRA€E
semblance originale.
C'est toujours Courteline lui-même, sous des noms d'emprunt, qui
parle ; ce sont ses traits personnels qui nous amusent, nous émeuvent
ou nous choquent. C'est un caricaturiste, il a une « manière » qui
l'entraîne à donner la même allure à des modèles variés. Qu'il
traite d'une conversation mondaine ou d'une querelle d'ivrognes, la
gelée de veau ou le tire-bottes surgissent infailliblement, faisant
pfnce de signature, comme les marguerites de Jean Effel.
Plus près de Caran d'Ache que de Molière, ses meilleures reparties
ont le négligé et la verve incisive dès légendes qu'on lisait sous les
dessins satiriques d'un Léandre, d'un Stenlen ou d'un Forain. Comme
ces hommes au regard aigu et à la main experte,^ c'est, un'maître,
mais dans une branche mineure de son art.
1. Deux chroniques du' protestantisme ont paru dans Cité nouvelle, 1941,
p. «18 à .036 ; 1912,. p. 675 à f>97.
394 ;
BULLETIN DU PROTESTANTISME FRANÇAIS
d'adhésion, assistance plus ou moins régulière au culte, recours aux
actes pastoraux, versement d'une cotisation ». Chiffre qu'il faudrait
réduire encore aux entours de 180.000, puisque dans le nombre qu'on
nous donne sont compris des fidèles,dont l'acte de participation à
l'Église consiste à se marier au temple et à se faire inhumer sous la
présidence d'un pasteur. Dans la région parisienne, il y a ainsi
60 p. 100 d'enterrements de protestants inconnus de l'Église.
Or, en 1872, pour une population plus faible d'un dixième que celle
de la France de 1945, Alsace non comprise, le recensement officiel
donnait 480.000 réformés ; la perte est donc des trois cinquièmes
en' soixante-dix ans; son rythmé s'accentue : en 1943, pour
4.076 baptêmes il y a eu 6.272 décès, donc un déficit d'un tiers de
naissances. D'autre part, le nombre des conversions au protestan-
tisme est insignifiant : 283 prosélytes ont été reçus officiellement dans
l'Église réformée en 1943. /
Le nombre des pasteurs et des paroisses diminue dans la même
proportion : entre. 1905 et 1939, 125 postes dé pasteurs ont été sup-
primés sur 650. En 1939, il y avait 448 paroisses, 480 pasteurs et
38 paroisses vacantes ; en 1945, on prévoyait de 80 à. 100 vacances,
et cependant un assez grand nombre de pasteurs sont de nationalité
suisse (plus de cinquante, soit 10 p. 100 du total). Dans ces condi-
tions^T'Église réformée ne peut plus répondre à l'appel des sociétés
missionnaires.
Cette situation tragique est due à une double cause. D'abord la
disparition du protestantisme rural : les -régions à forte minorité
protestante se dépeuplent au profit des villes, et dans la grande ville
le paysan déraciné est perdu pour l'Église. D'autre part, le protes-
tantisme est la victime des pratiques anticonceptionnelles que ses
moralistes tolèrent. :
.
Numériquement, le protestantisme n'occupe donc plus qu'une place
matérielle minuscule en France. Il a cependant conscience d'avoir
une grande importance dans la nation :
Les protestants forment en France une élite, lisons-nous dans une brochure
officieuse parue en 1932... Dans la plupart des domaines de la vie nationale, cette
élite joue un rôle de premier plaii... Il n'est guère de milieux où les protestants
n'occupent des situations de premier rang. Il y a un certain nombre d'années, les
directeurs de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur appartenaient
tous trois par leurs origines aux' Eglises protestantes. Protestants aussi à une
époque récente dans l'Université de Paris, le recteur de l'Université et quatre
BULLETIN DU PROTESTANTISME FRANÇAIS 395
"''' -"''
de l'état démographique du protestantisme : « Il serait criminelde
faire comme si la situation n'était pas catastrophique », proclamait
M-Marc Boegner'au Synode national de 1943,
vidualisme. ''-.
tion contre deux graves dangers : le libéralisme doctrinal et l'indi-
Le Renouveau dogmatique
La Résistance protestante
Renaissance du Libéralisme
Cependant, l'expérience de ces six dernières années n'a pas été sans
modifier l'édifice de 1938.
D'abord, nous voyons renaître aujourd'hui le libéralisme. Le renou-
veau barthien, si original et si religieux, commence à lasser. L'enthou-
siasme intempérant de trop de ses jeunes disciples, le manque de
souplesse qui marque la pensée protestante, lui donnent, chez les
épigones, une rigidité intégriste et sectaire qui n'est pas sans analogue
avec l'attitude d'un certain nombre de néorthomistes dans le catho-
licisme il y a une vingtaine d'années. La formulation paradoxale de
Barth assenée du haut de la chaire aux fidèles les heurte et les ennuie.
Enfin et surtout, de libres esprits voient la faiblesse de la synthèse
barthienne, colosse aux pieds d'argile, et la dénoncent : il est vain
de réintroduire un dogmatisme si l'on n'admet pas pour le fonder une
Église qui soit l'expression de la volonté de Dieu, l'organe vivant par
lequel le Christ nous atteint; c'est à cette seule condition qu'un
dogme peut s'imposer à des consciences libres.
Aussi, depuis quelques mois, un des journaux réformés, Evangile et
Liberté, a-t-il entrepris une campagne antibarthienne sous l'impulsion
de deux hommes : un vétéran du libéralisme, le pasteur A. N. Ber- .
qui ne répond pas au problème qui était posé de faire participer les
laïques, c'est-à-dire la communauté des fidèles, au ministère du laïc
spécialisé qu'est le pasteur. Le Synode de 1946 a simplement institué
un corps de pasteurs inférieurs ; ils sont considérés comme des
apôtres « laïques » parce qu'ils n'ont pas les parchemins requis pour
entrer dans le corps pastoral ; en fait, ce sont des pasteurs aux études
inférieures. On ressuscite ainsi une expérience qui s'est avérée
malheureuse dans le passé, celle des « Évangélistes », laïcs sans
formation théologique qui remplissaient les fonctions pastorales.
Ils réapparaissent sous le nom d'Assistants de paroisse, soumis au
pasteur ; on leur interdit le port de. la robe pastorale, mais on prévoit
qu'on pourra exceptionnellement leur confier la desserte-complète
d'une paroisse. .
Enfin l'Église réformée vient de créer le. ministère des femmes,
Plusieurs Églises protestantes admettent les femmes au pastorat.
La plupart s'y refusent encore ; c'est ainsi que l'évêque anglican
de Honk-Kong vient d'être blâmé par ses pairs pour-avoir ordonné
une femme prêtre. Cependant, en France, les femmes sont reçues dans
les Facultés de théologie protestante, comme elles peuvent l'être,
d'ailleurs, dans les Facultés de théologie catholique; jusqu'ici, on ne
les avait pas appelées à la consécration pastorale. Toutefois, depuis
longtemps, deux femmes obtenaient le renouvellement permanent
d'une délégation pastorale, c'est-à-dire le droit d'exercer le ministère
pastoral sans être consacrées.
En définitive, l'Église réformée n'a pas donné le titre de pasteur
.
Découverte du Catholicisme
Tel est le bilan de ces six années. Des forces mortelles menacent
du dedans la minuscule Eglise réformée de France ; avec une adriu-
BULLETIN DU PROTESTANTISME FRANÇAIS 413
rable énergie elle lutte contre ces forces de mort. L'avenir nous dira
qui triomphera dans ce duel. S'il n'était pas ridicule et dangereux de
jouer au prophète, je dirais volontiers que le protestantisme subsis-
tera en France ; non pas sous la forme dogmatique qu'un accident
de l'histoire lui fait prendre aujourd'hui, mais,selonre mot célèbre et
profond de Gabriel Monod, comme la série illimitée des formes reli-
gieuses de la libre pensée. Si tel devait être son sort, nous ne pourrions
pas nous en réjouir, car le dialogue si inespérément commencé de nos
jours ne pourrait pas continuer. Peut-être, cependant, que, comme
tel, le protestantisme continuerait à jouer son rôle : il Constituerait
une sorte de complément antinomique du catholicisme et nous
obligerait par ses libres critiques à une fidélité plus grande à l'esprit
de l'Évangile.
ROBEIIT ROUQUETTE.
LE MOIS
Journées universitaires de Paris
Nous étions deux mille universitaires, à Paris, au grand rassemble-
ment pascal qui a renoué heureusement la tradition des Journées
nationales. Deux mille de tous les âges, de tous les coins de France,
de tous les ordres d'enseignement public, réunis pour célébrer lu
liturgie de la semaine de Pâques et pour mettre en commun leurs
expériences et leur espérance. La préparation du travail intellectuel
avait été assurée par la diffusion d'un L allier contenant des question-
naires rédigés par chacun des futurs rapporteurs sur différents
problèmes concernant la liberté. Celui d'Etienne Borne nous fait
regretter vivement que notre ami ait été en fait retenu à Toulouse
par la maladie : il contient un ensemble de vues qui pourraient servir
à toute équipe voulant approfondir la question tant du point de vue
politique que du point de vue philosophique. Quant à la préparation
matérielle, elle avait été rendue difficile par l'afflux des adhésions au
dernier moment. Ne nous plaignons pas trop pourtant de l'acoustique
un peu défectueuse de. l'église de la Cité /universitaire transformée
en salle de réunions : nous avions la chance d'unir dans ce même
cadre notre participation à la'messe et notre attention aux rapports.
Ces Journées furent marquées, comme de coutume, par la joie
" profonde, si fraternelle, des revoir nombreux, y arfois imprévus :
projets échangés, souvenirs évoqués,' — et en particulier celui des
grands initiateurs auxquels la paroisse entend rester fidèle, — prome-
nades en commun, réunions de groupes.
Nous préférons insister sur la note particulière qui marquera dans
notre mémoire ces Journées de 1946 ; bien plus, sur le triple appel
que nous ad essaient les rapports et qui peut et doit susciter, dans
notre vie personnelle comme dans celles de nos groupes, des exigences
nouvelles.
C'est d'abord la façon même dont Marrou a traité un sujet destiné
à Borne, et qui lui est échu du jour au lendemain : les Sources spiri-
tuelles de la liberté. Pas de phrases savantes, ni d'étalage érudit de
philosophie, pas même d'habile édifice dialectique, mais une expres-
sion profondément religieuse d'une réalité vécue par grâce. « Toute
liberté est ou néant ou grâce », disait Borne. Marrou a montré que le
sentiment psychologique de liberté n'avait de valeur que dans une
certaine perspective ; que même le sens métaphysique de la liberté,
cette capacité que nous avons de dire oui à Dieu, n'avait pas une
valeur définitive (étant le propre d'un être plein de néant) ; que
l'essentiel était bien la libération que nous annonce l'Évangile, qui va
jusqu'à affranchir de la loi l'élan surnaturel de notre charité. Puisse
LE MOIS 415
.
Dieu nous donner à tous un peu de cet art à témoigner de sa vie
en nous.
Le rapport de Latreille, professeur d'histoire moderne- à la Faculté
de Lyon, fut plus direct encore. A propos de la Liberté du Maître
;
PAUT.E VERDET.
41 fi LE MOIS
corps, faire le silence sur tout ce que représente pour lui la notion
de Dieu, ne considérer qu'une face de la pensée si complexe et si
complète du philosophe. Pêcher une phrase dans Descartes, une
autre dans Engels ou Marx et les juxtaposer est un procédé artificiel
qui fait preuve de la plus grossière ignorance des méthodes de la
critique historique ou littéraire. Faire de Descartes un révolutionnaire
ou un théoricien de la praxis, n'est:ce pas une exagération, un manque
de cette mesure toute française que nous enseigne précisément
Descartes? La grande leçon de Descartes est la recherche désin-
téressée et sans idée préconçue de la vérité. Or, la probité intellectuelle
ne consiste pas seulement à éviter les contre-vérités, mais à dire
toute la vérité, et rien de plus que la vérité. Certaines omissions ou
certaines amplifications peuvent être des manquements graves. C'est.
ce qu'oublie trop notre époque, avec ses procédés de propagande.
Une telle manipulation des consciences va au rebours de toute la
culture, de toute la tradition philosophique et notamment de la
pensée cartésienne. Une séance comme celle du 2 mai dernier est un
indice d'un abaissement général de l'étiage spirituel humain. On
semble avoir renoncé.à la vérité, et même à la sincérité., et subor-
donner toute connaissance à l'efficacité et à l'utilité. Les chrétiens
doivent se refuser à ce pragmatisme polémique pour rester fidèles à
Celui qui est la Vérité et la Vie.
JKAN-LOUIS DUMAS.
i
Emmanuel MOUNIER. —L'Affrontement chrétien. Neuchâtel, Éditions
de la Baconnière, 1945. 101 pages.
On se rappelle la question posée récemment par « Jeunesse de
l'Église » : le christianisme a-t-il dévirilisé l'homme? Il n'en est
peut-être pas qui se pose aussi fortement à la conscience chrétienne
de ce temps. Dans un petit livre dense et brûlant, où les grandioses
invectives nietzschéennes se dessinent constamment en filigrane,
E. MOUNIER développe sa réponse. Face aux philosophies de l'ab-
surde, il commence par revendiquer pour le christianisme une pléni-
tude tragique que lui donne son sens d'un transcendant toujours
mystérieux et d'un péché toujours présent. D'où chez le croyant
une tension permanente et un double devoir d'engagement et de
dégagement par rapport au monde. Puis, passant à l'homme, chré-
tien d'aujourd'hui, Mounier se demande si, dans ses attitudes psycho-
logiques, il participe aux vertus de l'ordre viril : force d'affirmation
et d'initiative, esprit d'attaque et de risque, puissance vitale. Sa cri-
tique, utilisant largement les données les plus sûres de la psychana- '
lyse, n'a pas de peine à montrer quelles perversions et quelles fai-
blesses se cachent souvent sous des prétextes spirituels. On domes-
tique l'instinct, on le refoule, au lieu de le maîtriser et de s'en servir.
On s'évade vers un spirituel romantique par peur d'engagement réel.
On évacue du christianisme tout esprit d'aventure. On crée des
obsédés du péché au lieu de faire des disciples de la charité. On favo-
rise une obéissance conformiste en place d'une soumission libre et
spirituelle. Bref, il y aurait dans le christianisme vécu de notre temps
une « mauvaise humeur contre la vie », je ne sais quoi de biaisé et de
faux qui ferait de l'homme chrétien un être inefficace et perdu pour
les tâches de ce monde. ''
La critique n'est pas nouvelle, mais elle avait été rarement pré-
sentée avec cette vigueur. Nous ne pouvons qu'y souscrire largement,
moyennant toutefois une réserve importante.
La thèse de Mounier considère le christianisme comme inaugurant
un rapport nouveau avec le monde et les instincts, et comme destiné
à permettre sur le plan temporel une efficacité comparable à celle
qu'inspire l'une des grandes doctrines qui font appel aux instincts.
Or le christianisme n'est-il pas aussi et d'abord un nouveau rapport
422 REVUE DES LIVRES
dont l'axe principal est une route allant de Homs à Bâlis sur l'Eu-
phrate. Ce système défensif-protégeait en seconde ligne les abords de
la grande cité d'Antioche, capitale orientale de l'Empire romain, et
par là l'accès à la Méditerranée.
Dans cette vaste contrée jadis peuplée et remplie de ruines que
les deux savants ont explorée, ceux-ci ne se sont pas contentés de
restituer le tracé des routes, de dater les monuments à l'aide de l'his-
toire, de l'architecture, de la sculpture et des inscriptions, ils ont
voulu aussi mettre en lumière la prodigieuse activité colonisatrice
des Romains grâce auxquels la Chalcidique est devenue alors une
des régions les plus fertiles de la Syrie.
Et l'on voit avec surprise les ouvrages hydrauliques que leurs
ingénieurs ont créés avec une science accomplie pour accroître le
rendement du sol. Ce sont des organes collecteurs qui rassemblent
les eaux de ruissellement dans des bassiiis ou des citernes, des puits
reliés par des canalisations souterraines, des fossés d'irrigation dis-
posés en étoile autour d'un vaste réservoir, de gigantesques travaux
d'adduction,d!eau, comme ce canal qui part d'une source do l'Oronte
et va porter à 100 kilomètres l'eau potable et l'eau de jardinage en
des centres situés ep zone désertique pour y établir- des oa,sis artifi-
cielles de culture.
Les siècles qui suivirent bénéficièrent da tous ces approvi-
sionnements d'eau, et encore de nos jours les découvertes du
P. Poidebard ont profité aux Services hydrauliques syriens qui
ont réaménagé, pour les besoins de la transhumance des tribus
nomades, des installations romaines depuis des siècles enfouies dans
le sable.' '.•
Les inscriptions grecques et syriaques déchiffrées par le P. Mou-
.
II
ACTUALITÉS
nète. En fait, l'auteur a fait porter son de christianisme toute notre vie, d'en
enquête presque exclusivement sur le faire vraiment un témoignage qui nous
catholicisme : rien n'est dit d'une im- engage totalement. En terminant,
mense contrée telle que l'Inde où la R. Kanters, qui, sans être chrétien,
«religion, hindoue ou musulmane, oc- montre sympathie au christianisme, se
cupe le premier plan de la scène. Le demande : « Le .christianisme trou-
catholicisme lui-même n'a guère été vera-t-il ses saints? Le paganisme
étudié que d'ans notre pays. C'est un trouvera-t-il des philosophes? De la
horizon plutôt étroit pour juger des réponse à ces deux questions dépend
perspectives de l'avenir de la religion l'avenir religieux de l'humanité, et si
dans l'univers. les /deux réponses doivent être néga-
Le tableau que R. KANTERS trace tives, c'est de l'homme qu'il faudrait
de la position du catholicisme en désespérer. » A nous de faire que la ré-
France est très sombre, comme dans ponse à la première question soit
l'ouvrage des abbés Godin et Daniel, affirmative.
France,Pays de Mission? auquel il se Joseph HUBY.
réfère.. Il oppose bien à ces ombres
quelques traits lumineux, tels que R. P. LUCIEN, Carme Déchaux. — Pro-
l'attitude des élites, mais sans entre- blèmes sociaux, Attitudes chré-
tenir l'espoir do voir s'arrêter la tiennes. Carmel de Lille, 99, rue
déchristianisation do notre pays. Dis- des Stations, 19441. ln-16, 210 pages.
tinguant religions positives et senti- Il ne s'agit pas ici de morale sociale,
ment religieux, -il pense que, si les mais de spiritualité. Au cours de trois
premières viennent à disparaître, le retraites prêchées à des patrons chré-
second survivra : l'humanité retour- tiens de la région lilloise, le P. LUCIEN
nera à des formes élémentaires do détermine d'abord les exigences de la
REVUE DES LIVRES 433
vie intérieure,' pour en. déduire vitale- casion qui éveilla sa pensée : ce fut
i
duite qui s'impose dans le domaine so- autre « témoignage » sur l'amour, celui
cial. On ne demandera donc pas à ce de F. Mauriac dans Souffrances du
petit volume qu'il donne des indica- Chrétien : « Le christianisme ne fait
tions précises sur les réformes de struc- pas sa part à la chair, il la supprime. »
ture, mais on y trouvera — ce qui est Bonheur du Chrétien atténuait ce thème,
plus précieux — l'esprit dans lequel un mais sans l'expurger d'un certain pes-
chrétien doit aborder le problème so- simisme janséniste et d'une obses-
cial. Le texte du P. Lucien, nourri de sion de la chair. Le- Mauriac d'alors
l'enseignement du Christ et des Pon- — qui n'était pas encore le créateur de
tifes romains, et enrichi de nombreuses la Pharisienne (mais l'auteur Ijdes
références à l'actualité, fournira aux Mal aimés est-il moins sombre?) —
patrons chrétiens d'excellents thèmes semblait professer une réprobation de
de méditation. l'amour, n'y voir qu'essentielle impu-
Louis BEIRNAERT. reté, hostilité à l'esprit.
C'est une thèse plus humaine et plus
Chanoine Henri BARBEAU. — Per- optimiste qu'avec toute la tradition
spectives spirituelles. Lille, chrétienne défend chaleureusement
S.I.L.I.G. H. RAMBAUD : si l'amour peut devenir
Les aumôniers qui exercent leur idolâtrie, il est capable aussi d'être
ministère en milieu estudiantin sont racheté et sanctifié par le sacrement,
parfois embarrassés pour désigner à pourvu que les conjoints cèdent aux
leurs militants et militantes un livre exigences mortifiantes de l'idéal. Et,
de méditations adapté à leur cas. En même souillé, l'amour garde parfois
éditant ces Perspectives spirituelles, le une lueur de charité, une étincelle de
i
vice-recteur des Facultés catholiquesi véritable tendresse.
met à leur disposition de quoi combler Moins polémique et plus apaisée,
leur attente. A lire ces pages alertes et; une seconde partie, qui emprunte son
claires, on est vite convaincu que l'au- titre à VItinéraire de saint Bonaven-
teur, au cours do sa carrière de direc- ture, trace magnifiquement la voie
teur do maisons d'étudiants, a acquis3 sacrée de l'amour et en dévoile le mys-
une expérience approfondie du milieuî tère spirituel. L'auteur note le carac-
auquel il s'adresse. Élèves de lycées, dee tère ineffable et transcendant do
collèges, de Facultés trouveront danss l'union des personnes, qui dépasse
chacun des brefs chapitres de ce recueilil toute idée et toute motivation, le sen-
non seulement des réflexions judi- timent de gratuité dans le don, la
cieuses sur les principaux problèmes dee communion à l'universel et la récréa-
leur vie spirituelle, mais encore desis tion du monde, la nécessité de l'incar-
thèmes capables de nourrir leur oraison n nation, de la tendresse, l'aventure « où
quotidienne. A. de SORAS. l'on embarque tout sans réserve »...
Tout cetidéal est interprété àla lumière
Henri RAMBAUD. — La Voie sacrée. des pages de la Genèse, si riches de
II. Lardanchet, 1946. In-16, 199
90 francs. sens et de symboles. Sans nier les
pages. difficultés du don total, la fragilité et
Voici, à la gloire de l'amour chré- s- la rareté de l'amour, peut-être H. Ram-
tien, un admirable poème en prose, e, baud, optant pour l'idéalisme, n'a-t-il
où un style d'une chaleur mystique le -pas pourtant entièrement aperçu sa
met ses prestiges au service d'un té- é- • tension tragique : il faudrait alors
moignage animé par le christianisme le recourir à la « version » cqmplémen-
le plus profond et le plus humain. n. taire de P. Emmanuel, si bien com-
L'auteur s'explique d'abord sur l'oc- c- mentée ici même.
434 REVUE DES LIVRÉS
Le moment est bien choisi pour le secret de l'incorporation au sacri-
compléter les analyses désespérées fice du Maître bien-aimé, Voici que
d'une certaine phénoménologie existen- le R. P. DSSPLANQUES BOUS fait, avec
tialiste par l'affirmation que l'amour, les Paraboles pour la Seconde Équipe,
aidé par la grâce, peut surmonter pénétrer de plain-pied dans la grande
l'angoisse de la condition humaine et action évangélique : Fin.stauration du
traverser tous les risques jusqu'à la Royaume du Père. Nous, la seconde
splendeur du succès. équipe, militants d'Action catholique,
Emile RIDEAU. ou, si l'on veut, le laïcat chrétien en
action. Nul doute, qu'à la recherche
François DESPLANQUÈS, S. J. -T Para- d'une spiritualité appropriée h notre
boles pour la Seconde Équipe. état, et toute centrée sur l'action et la
Action populaire, Spas, 19.45. In-16, charité, nous ne trouvions' dans ces
224 pages. 90 francs.
pages chaudes encore de la parole du
Après le Christ sur tous nos Clwmins, Maître exactement ce que nous cher-
qui posait le problème de la rencontre chons : l'apostolat devenu comme
divine en pleine vie, après la Messe de « F Ame de toute Prière »!
ceux qui ne sont pas Prêtres, qui livrait S. de LESTAPIS.
POÉSIE
SAINT-POL ROUX.
— Anciennetés, suivi des vers, afin de bien écrire en prose.
d'un Chant des Reposoirs de la Pro-^ L'exercice de la poésie est-il le secret
cession. Le Don des Langues. Edi- du stylo si brillant des auteurs de
tions du Seuil, 1946 Dingley? Je .ne le pense pas, et eux-
Sous une modeste couverture blan- mêmes, sans doute, ne se font aucune
on vient de réimprimer, précédés
.
che, illusion sur la valeur poétique de leurs
d'un Avant-dire de Paul Eluard et « vers d'almanach ». Leur réputation
d'une Introduction parfaite de Rolland n'est pas mise en cause. Simplement,
d'à Renéville, les premiers poèmes du les deux académiciens, ces conteurs-nés
vieux burgrave mort victime des Alle- (qui percera le secret de leur associa-
mands. Il est remarquable que les tion en quelque sorte siamoise?), ont
alexandrins et surtout les proses du rassemblé « diverses fables, apologues
« Magnifique », pavoises d'images flam- et proverbes... et quelques pièces ins-
boyantes et de défis outranciers, gar- pirées des malheurs de ce temps », écrits
dent, après un demi-siècle, une sorte dé au fil de leurs randonnées et marqués
splendeur superbe ; et l'on comprend surtout de sagesse orientale. L'ensem-
que les surréalistes l'aient rangé parmi ble a le charme piquant ou ému de
leurs précurseurs. Toutefois, l'impres- Montesquieu, de Florian et de Franc-
sion dominante reste celle d'un style Nohain. Et, tout compte fait, on ne
défunt, d'un beau catafalque, auquel regrette pas que. J. et J. Tharaud
on associe le souvenir d'un temps ré- (qu'ils nous pardonnent l'expression)
volu, les glorieuses défroques de Barbey aient taquiné la muse.
d'Aurevilly et de Villiers de l'Isle- Xayie* TILHETIE.
Adam. Ces Reposoirs encombrés de gar- Jeanne
LEKGLIN. — L'Ombre d'Else-
gouilles sont bien « gothiques », au sens Prix Alfred DFOuin. Jouve
péjoratif du mot. Xavier TILI-IETTE Ueur.
et C1», 1945. "
ROMANS
A. du DOGNON. <— Le Mal de la rue fille vouée au malheur, un homme qui
Juste. Roman. Flammarion. In-12, se révèle être un homosexuel, un
210 pages 85 francs., ivrogne brutal et dépourvu" de tout .
. .
que sa mauvaise santé a obligée ài niai. Il suffit qu'il soit sincère pour nous
quitter la rampe. Un ami de l'actrice, intéresser. Il l'est. C'est l'histoire toute
lui-même chirurgien célèbre, subit le,3 simple, et même un peu naïve, d'une
charme étrange de la jeune et mysté- jeune buraliste de la région de Smo-
rieuse étoile ; et il l'épouse. Et voici la3. lensk ; l'histoire aussi de sa famille, de
catastrophe : la femme du docteur estt son village. L'arrivée de l'envahisseur
kleptomane ; elle dévalise les bijou- lui fera prendre conscience de son
tiers et jusqu'à ses -plus chers amis,;. appartenance à la grande Russie mena-
Le pauvre mari ne tarde pas à savoir.?. cée. Elle révélera surtout le caractère
Courageusement, il entreprend de gué- j- de sa mère qui retrouvera dans là
rir sa femme. Mais les relations duu lutte toute la verdeur d'une jeunesse
jeune foyer sont empoisonnées... jus- 3- déjà lointaine.
qu'au jour où l'apparition de l'enfant it Dans sa fraîcheur, ce livre nous en
rendra aux deux époux la paix avec la [a apprend plus long sur la Russie d'au-
certitude de la guérison définitive. jourd'hui que les apologies intéressées
A. L. L. et les dénigrements systématiques.
A. L. L.
Robert HENRIQUES. — Capitaine îe
Smith et Gi0. Traduit de l'anglais. s. Annine BARRAN. — Jacques l'hospi-
Paris-Alger, Editions Chariot, 1945. 5. talet. Roman. Bordeaux, Bière,
In-16, 184 pages. 100-francs. 1945.Gr.in-12,234pages, lOOfrancs.
Un capitaine anglais, blessé au cours'Lrs/ Cette histoire d'« un enfant trouvé
du débarquement en Norvège, va va et d'une fille... perdue » est, paraît-il,
mourir. Il rêve et déroule devant nous us une histoire vraie. C'est sûrement là
une vision du monde. Vision étrange ge un grand -mérite pour un livre. On
et familière où la poésie fleurit dans le voudrait que ce rie soit pas le seul.
crépitement des balles et l'odeur du A. L.
REVUE DES LIVRES 437
HISTOIRE
Gaston —L'Alsace fran- Romains
ZELLER. Ro à la IV 6 République, nous
çaise de Louis XIV à nos jours, est racontée dans ce livre. Bien illustré,
A. Colin, 1945. In-16, 150 pages, divisé en chapitres clairs, ihcontribuera
div
65 francs. à ffaire mieux comprendre, aux grands
L'âme alsacienne a-t-elle hésité entre comme aux petits, la terre lyonnaise.
coi
la France et l'Allemagne? ou pris « ...Elle est faite avec de l'histoire;
.
parti? Son choix a-t-il été définitif? no l'aimerions davantage si nous sa-
nous
Ce ne fut pas « dès lès premiers temps vions mieux la comprendre. »
vi(
un de ces mariages délicieux et excep- Jacques GABIN.
tionnels dont parle La Rochefoucauld.
Il y a eu des malentendus, des boude- Lucie L, COBNILLOT, Maurice PIQUARD,
ries, des scènes de ménage », que Gustave DunËM, Georges GAZIER. —
G. ZELLER rapporte, sans rien dissi- Visages de la Franche-Comté.
muler. Démocrate par tempérament, Collection « Provinciales », n° 7.
l'Alsacien ne s'est vraiment donné Horizons de France, 1945. In-4,.
195 pages. 250 francs.
à la France qu'en 1789.
La religion et les affaires sont les On trouvera dans ce beau volume
deux pôles qui commandent toute enrichi de nombreuses illustrations, de
l'histoire de l'Alsace française. Cepen- cartes et de hors texte, une
dant que le problème Ci gravures
protestant au manière d'encyclopédie de l'ancienne
dix-septième siècle, l'affaire de la Comté
] _ de Bourgogne, devenue, au
Constitution civile du clergé après quatorzième siècle, la Franche-Comté.
1791, les menées anticléricales depuis ^ Le texte* lui-même, dépouillé de tout
ont provoqué des malaises sérieux, la appareil technique, est d'une lec-
prospérité économique du dix-huitième trop
ture facile et agréable. Pour la géogra-
siècle, du Ier et du IIe Empire ont favo- phie, il est surtout fait place à ses as-
risé l'union nationale. La question î *peets humains et économiques, y com-
linguistique, souvent mal posée, a tou- *pris les coutumes, les vêtements, et
jours suscité des contradictions : avec *même les réjouissances populaires. On
Louis XIV, l'allemand a paru la langue ' à ce sujet qu'à l'opposé
de Luther ; pour les Jacobins, celle de remarquera provinces
.
françaises, la
des autres
la contre-Révolution. Au dix-neuvième e Franche-Comté garde encore ses in- .
siècle, le français apparaît à l'Alsacien dustries rurales, si répandues jadis dans
la langue de l'irréligion en attendant ,l'ancienne France, et désormais
de devenir après l'annexion le drapeau en
u constante régression.
, Apres ,la géogra-
de sa Fidélité à la France. Est-il besoin phie, les principaux traits de l'histoire
de souligner le profit que les Français politique été brièvement et claire-
ont
trouveront à réfléchir sur ces^leçons ment retracés. Cette province, comme
du passé? l'on sait, a connu bien des vicissitudes
François de DAINVILLE.
avant d'être définitivement incorporée
Henry JOLY. — Petite Histoire du [u au royaume de France, sous Louis XIV,
Lyonnais. Grenoble, Arthaud, d, lors du traité d'Utrecht (1678). Ce
1944. .Un volume 12,5 X 19 de 120 20 passé explique assez bien l'attache-
pages avec 7 cartes et 37 illustra- a" ment du Comtois à sa terre, à ses cou-
tions. 33 francs. tumes et à ses traditions religieuses.
Voici, condensée en peu de pages, es, Une attention particulière a été accor-
l'histoire d'une province moins glo- lo- dée à l'histoire Uttéraire et artistique.
rieuse que d'autres, mais enrichie par >ar On y a ajouté des répertoires détaillés
la cité de Lyon, dont la croissance, desles des- principaux artistes, hommes de
438 REVUE DES LIVRES
lettres et savants qui ont illustré la Mais, libre ou occupée, surveillée ou
province. On ne saurait oublier que la indépendante, en émeute ou pacifiée,
Franche-Comté est le pays de Cuvier, bien portante ou soumise aux pestes
de Pasteur, de Courbet et de Proudhon. venues d'Orient, sans armes ou tenant
Joseph LECLER. garnison, selon les vicissitudes de l'his-
Raoul BUSQUET. — Histoire de Mar- toire de France et des migrations des
seille. R. Laffont, .1946. In-16,- peuples, Marseille n'a cessé de tra-
47C pages, 48 hors-texte en hélio- vailler à sa prospérité commerciale, à
gravure. 450 francs. son bien-être administratif et à son
Ce livre, qui fait honneur à l'édition urbanisme. La vie intérieure de la cité
française, si près de la Libération, ré- nous est contée avec précision et par-
vèle encore mieux les qualités de clarté, fois avec malice, toujours liée à la vie
de synthèse et de culture de nos éru- nationale : succession dès édiles, vi-
dits. Il s'apparente aux travaux d'un comtes, podestats, consuls, viguiers,
Camille Jullian et d'un Jérôme Carco- gouverneurs, préfets, maires, selon les
pino qui, après avoir poussé fort loin temps, percements de rues, asséche-
leurs études de détail, ont écrit sur la chements des marais, creusement du
Gaule et sur Rome des ouvrages élé- port, construction de l'abbaye Saint-
gants, clairs et de lecture courante Victor et de Notre-Dame-de-la-Garde.
1
sans laisser voir l'appareil critique Les Marseillais seront ravis de con-
considérable dont ils étaient le fruit. naître ces transformations de leur
R. BUSQUET, archiviste des Bouçhes- bonne ville et l'origine de leurs monu-
du-Rhône, a de longues années scruté ments, du tracé de leurs rues ; les
les archives et les bibliothèques de croyants, s'ils ont à regretter que la
Provence, publié des livres savants, et venue de Lazare et des saintes Maries
aujourd'hui son Marseille, comme ne soit qu'une belle légende, sauront
la Rome de Carcopino, sort vivant du moins que vers l'an 60 de notre ère
par sa plume des poussiéreux manu- l'inscription de Volus'ianus trouvée
scrits et des débris archéologiques. Ce dans les fouilles signale les premiers
volume, étayé sur la science historique chrétiens à Marseille, et que Cassien
ïa plus sévère, est tout souriant de fonda une abbaye dont les moines
l'amour et de la bonhomie de l'auteur essaimèrent dans toute la région. C'est
devant sa chère ville provençale. De •par de tels ouvrages qu'on fera aimer
l'antique Phocée fondée par les Ioniens leur histoire aux Français.
jusqu'à Marseille d'aujourd'hui, de la Raymond JOUVE.
conquête romaine à l'occupation alle-
mande, du paganisme du douzième Paul COUBTEAULT. Le vieil Hôpital
siècle à la diffusion du christianisme, il Saint-André de— Bordeaux. Bor-
suit les péripéties politiques de la deaux, Picquot, 1945. ln-8, 62 pa-
grande ville commerçante et la situe ges et 25 héliogravures. 145 francs.
dans l'histoire de France. Tour à tour
austrasienne, aux. comtes de Tou- W En une élégante plaquette, le grand
louse, aux comtes d'Anjou, à la maison érudit qu'est M. Paul COURTEAULT
de Naples, au roi René, ce joyau de la retrace l'histoire d'un vieil hôpital
Méditerranée n'a cessé d'être convoité, bordelais. Fondé en 1390 par Vital
comme aux temps où se le disputaient Caries, grand chantre du chapitre ca-
.
SCIENCES
P. de SAINT-SEINE. — Découverte de près des jeûnes en faveur d'un pareil
la Vie. Éditions « Aux Etudiants livre. Mais que diront les autres lec-
de France ». In-16, 160 pages. teurs, les... moins jeunes? Je souhaite
La jeune maison d'éditions « Aux qu'ils souscrivent tous aux deux pages
Étudiants de France » inaugure pour de préface qu'a écrites un maître pour-
ses jeunes clients une collection où des tant exigeant, M. C. Arambourg, pro-
maîtres jeunes leur présenteront l'éter- fesseur au Muséum. D'autres peut-être
nelle jeunesse de la science. commenceront par froncer le sourcil.
Le premier volume est riche de pro- S'ils ne savent pas deviner, sous l'éclat
messes. Découverte de la Vie, en trois, volontaire du style, l'annonce de solu-
étapes : « Vers les Origines de la tions solides et neuves à des problèmes
Vie » ; « l'Insurrection de "la « Vie; fondamentaux, ils feront simplement
« la Venue de l'Homme ». Depuis les preuve de peu de perspicacité. S'ils se
merveilles, si peu connues, de la vie rembrunissent davantage et parlent
végétale jusqu'au grand mystère de à mi-voix d'hypothèses risquées ou
l'apparition de l'esprit, aucun pro- d'idées avancées, nous les interrom-
blème n'est esquivé et la curiosité est prons — nous en avons le droit, étant
sans cesse tenue en éveil par les ques- l'aîné d'un bon nombre, — d'un ton
tions que pose la nature elle-même à plus péremptoire. On a beaucoup dis-
qui la contemple avec sympathie et cuté depuis une douzaine d'années au-
sagacité. tour de l'évolution. A côté de travaux
Ecrire pour des jeunes gens peut excellents (nous ne nommerons per-
paraître facile. Chaleur sentimentale, sonne) la contribution des catholiques
,
échappées poétiques, illustrations, en à cette discussion n'a pas toujours été
couleurs, un petit choix de mots inno- de première qualité : quiconque a fré-
cemment ésotériques : qui repro- quenté d'autres milieux, même non
cherait à l'auteur d'avoir admis tout hostiles, s'en est plus d'une fois trouvé
cela se ferait soupçonner de n'avoir gêné. La biologie ost une science diffi-
jamais été jeune et d'être un piètre cile ; la compétence en d'autres disci-
pédagogue. Les jeunes trouveront dans plines, même réputées supérieures, ne
ce livre tout ce qu'ils aiment. Et si, confère pas le droit de s'aventurer en
grâce à cela, il leur fait aimer la conquérant dans le domaine de la vie.
science et se passionner pour la Seuls le peuvent ceux qui, après avoir
recherche, l'auteur aura atteint son profondément repensé leur philosophie
but. La soumission aux disciplines aus- religieuse, se sont imposé les longues
tères du travail scientifique s'imposera années d'une préparation technique
.
ensuite d'elle-même, ou plutôt c'est austère. Il apparaît vite que P. de
l'amour qui l'imposera et qui la fera SAINT-SEINE est de ceux-là. Bien im-
paraître légère. Et les simples lec- prudent qui attaquerait soit la pureté
teurs, ceux que la science n'aura pas de son orthodoxie, soit la valeur de son
définitivement conquis, auront ab- information. Le présent livre n est
sorbé, sans s'en douter, une forte dose qu'un- coup d'essai : -l'oeuvre magis-
de connaissances scientifiques de bon rale viendra. On en pressent déjà les
aloi : on leur aura donné, sur les ques- traits, comme on devine l'homme dans
tions fondamentales de la biologie et l'enfant. Et nous espérons que des
de la philosophie de la vie, des infor- générations de lecteurs et de disciples
mations à la page et des principes de y puiseront le désir de la science et
jugement auxquels ils pourront se fier. l'amour de la vérité.
Je crois superflue toute réclame au- Christian BURDO.
REVUE DES LIVRES 443
PÉDAGOGIE
Paul DoNcoEun, — Propos de Route. me laisse-t-il incertain? Rien dans cette
Images de Jean Mercey. A l'Oranie, représentation de la nature qui fasse
1946. Un vol. 15x12, 134 pages. place à Dieu. Ce « démon des brumes »
Ce .XVe Carnet de Route s'adresse a quelque chose d'une idole. Et cette
d'abord, directement, aux routiers « auréole du borgne », nimbant le front
scouts de France. Ils y trouveront les du petit isard qui protégera désormais
consignes de marche que leur appor- les femelles, me gêne.
tait la Route de 1941 à juillet 1944, Jean RIMAUD.
' groupées selon quatre points d'orien- Docteur François GOUST. —L'Ado-
tation qui sont quatre buts : santé de lescent dans le Monde contempo-
; la. race, qualité du travail, unité du rain. Collection «Réalités du Tra-
I peuple, rayonnement du Christ. Ces vail social ». Bloud et Gay, 1945.
; consignes ont gardé toute leur actua- In-16, 224 pages.
lité. Non seulement parce que les con- Deux parties. La première étudie
« le drame intérieur de l'adolescent »,
;
:
taire borgne, dont il a tué la femelle vient que la lecture en est facile, peut
!
; préférée. François, son cadet, révient; être quittée et reprise sans qu'on risque
' d'Amériqueéprendre la place de l'aîné. de perdre le fil des idées. Mais l'auteur
Entre la montagne et lui, entre le vieil suppose évidemment qu'après avoir
1
i isard et lui, il y a un compte à régler. lu, son. attention ayant été attirée,
;
Il tuera enfin le « démon des brumes » ; l'assistante sociale s'informera, con-
i mais, au lieu do chanter sa .victoire, il1 suïtera, ne se contentera pas d'indi-
! pleurera, car il a tué « un noble ani- cations ou d'analyses parfois som-
mal qui donnait à la montagne son àc- maires, par exemple sur les troubles
;
.
.
.
386
393
Les Livres
I. — E. MOUNIER : L'affrontement chrétien. — J. THIHAUD : Energie atomique
et Univers. — LANZA DEL VASTO : Principes et Préceptes du Retour à l'Evi-
dence. — R. MOUTERDE et E. POIDEBARD : Le Limes de Chalcis. — Les Fio-
retti -de saint, François. — J. LIÏCI.EH : L'Église et la Souveraineté de l'État.
— J. LAPORTE : Le Rationalisme de Descartes /iai
II. — Actualités : J. LE COUR GIIANDMAISON ; Y. DE MONTCIIEUIL ; R. MAUULANC;
Unité et Pluralisme ; M.-J. BOPP ; P. DELPERRON et G. ANDERSEN ; P. A UGEROPOUI.O. /i2ij
........
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444
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Depot légal : 2« trimestre 1946. i ';i /' t*' /°v fe.4- 31.1130. N" d'ordre 159:
IN* 'd'Éàitour :'&;