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EN NEUROSCIENCES
4 e
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
Mark F. Bear • Barry W. Connors • Michael A. Paradiso
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
III
4
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
Traduction et adaptation
André Nieoullon
Professeur de Neurosciences
Université d’Aix-Marseille
Marseille, France
IV
Dédicace
L’éditeur décline toute responsabilité, exprimée ou implicite, y compris toute garantie quant à l’exactitude, la compréhen-
sion ou l’actualité du contenu de l’ouvrage.
Ce travail ne peut en aucun cas se substituer à une évaluation clinique par un professionnel de santé de l’état d’un patient,
considérant, entre autres, que l’évaluation de l’état d’un patient et la prescription médicale doit prendre en compte, à titre indi-
viduel, toute une série de paramètres comme l’histoire individuelle du malade, son âge, son poids, son genre, les résultats d’exa-
mens cliniques et paracliniques, y compris les traitements dont il bénéficie au moment de l’examen et du diagnostic. L’éditeur
ne donne ainsi aucune recommandation ou conseil d’ordre médical et cet ouvrage doit être considéré comme un outil de
référence dans un contexte théorique. Seuls les professionnels de santé, et non l’éditeur, sont habilités à utiliser les informations
contenues dans cet ouvrage afin d’éclairer leur appréciation clinique et de les aider au diagnostic et à la prescription médicale.
Compte tenu de l’avancée rapide des connaissances dans le domaine médical et de la santé, plus généralement, les indi-
cations figurant dans cet ouvrage, notamment en ce qui concerne les médicaments à utiliser et les doses à prescrire, doivent
faire l’objet de vérifications par les professionnels de santé au moment d’une éventuelle prescription. Ainsi, au moment de la
prescription de ces médicaments, les professionnels de santé sont invités à se référer d’abord aux notices d’utilisation associées
à chaque produit par le laboratoire qui le commercialise, pour en vérifier les conditions d’utilisation, les avertissements sur
les éventuels effets secondaires et les associations médicamenteuses, les dosages spécifiques à chaque catégorie de patients,
de même que les contre-indications potentielles, notamment lorsqu’il s’agit d’un médicament nouveau, encore peu prescrit et
dont la gamme d’utilisation thérapeutique en ce qui concerne le dosage est resserrée. Conformément à la réglementation en
vigueur, l’éditeur ne saurait être tenu responsable pour toute atteinte ou dommage à la personne qui résulterait de l’utilisation
abusive et non conforme à la Loi des données figurant dans cet ouvrage.
Éditions Pradel
John Libbey Eurotext
127, avenue de la République
92120 Montrouge
France
e-mail : contact@jle.com
http://www.jle.com
ISBN 978-2-36110-082-7
Tous droits réservés. Ce livre est protégé par copyright. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou communiquée
sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, y compris la photocopie, le scanning, ou d’autres procédés électro-
niques, ou utilisée par un système de recherche, d’archivage et d’information sans l’autorisation écrite du propriétaire du
copyright, sauf pour de courtes citations dans le corps d’un article ou d’une revue.
P R É FAC E À L ’ É D I T I O N F R A N Ç A I S E
Les neurosciences ont acquis une autonomie récente au sein des sciences de
la vie dont elles représentent désormais le plus important domaine de recherche.
Les sciences du cerveau fédèrent des dizaines de disciplines plus ou moins auto-
nomes qui explorent avec des méthodes et des niveaux d’approches qui leur
sont propres la nature du fonctionnement du système nerveux. Boulimiques,
elles absorbent toutes les autres sciences, mathématiques, physique, techniques
de l’information, biologie moléculaire, génomique, etc., jusqu’aux sciences
humaines et sociales. De fait, l’accaparement de toutes les nouvelles technolo-
gies est le moteur d’un développement qui accumule les superlatifs par le nombre
des laboratoires et des chercheurs, des doctorants, des journaux internationaux
(plus de 300). Les publications s’amoncellent d’une manière exponentielle et les
informations accumulées apparaissent à beaucoup d’entre nous sous la forme
d’un mur conceptuellement impénétrable. Cette évolution renforce une tendance
pour chaque chercheur à s’enfermer dans sa propre sous-discipline, elle-même
complexe et en perpétuelle évolution.
À titre d’exemple, il est désormais admis que les connaissances structurales
et fonctionnelles, de plus en plus précises et généralement obtenues à l’aide de
modèles animaux, constituent les bases nécessaires pour appréhender la nature
des dysfonctionnements et maladies psychiatriques. La démarche est conforme
aux principes de la médecine expérimentale depuis Claude Bernard. Dans le sil-
lage de la Decade of the Brain (États-Unis, 1990-2000), des dizaines de milliards
d’euros ont été affectés des deux côtés de l’Atlantique pour découvrir les causes,
les mécanismes physiopathologiques et les traitements de ces maladies, essentiel-
lement à partir d’approches moléculaires et génomiques. « Mieux connaître
pour guérir » est le programme imposé par les agences de financement partout
dans le monde. Cependant, en dépit d’efforts gigantesques, aucune stratégie n’est
présentement disponible pour proposer une conception cohérente des processus
psychopathologiques et corollairement, une neuropharmacologie efficace, restée
en l’état depuis des décennies.
Les neurosciences, globalement, progressent sur les bases du réductionnisme,
le projet mis en œuvre s’exprimant selon deux dogmes. L’un, fondamental,
stipule que tout ce que le cerveau fait (pensées, imaginaire, comportement,
etc.) est explicable à partir de ses composants de base, les neurones ; l’autre, dit
de l’identité, énonce que tout événement mental correspond à un événement
cérébral qui lui est causal, de telle sorte que la connaissance de ce dernier permet
la connaissance du premier. Rien n’arrêtera cette ardente quête pour démon-
ter, pièce par pièce, jusque dans son infime construction, les mécanismes de la
machine cérébrale. Ainsi, de nombreux laboratoires concentrent leurs efforts
pour enfin cartographier les connexions synaptiques d’un seul neurone dans un
cerveau de souris. Au bout de ce gigantesque effort se concrétisera l’espoir de
proposer une « théorie du cerveau » intelligible et à terme, si l’on parvient à
reconstruire un tout à partir des éléments, pourra-t-on résoudre le dilemme con-
naître versus comprendre. Le cerveau humain pourrait alors se comprendre lui-
même. Pour de nombreux chercheurs, cependant, cette quête d’une cohérence
globale, d’une synthèse, est devenue une tâche impossible. Certains parlent d’im-
passe, ou de crise. Ceci n’aurait rien de redoutable : toutes les grandes disci-
plines scientifiques en ont connu avant de renaître sur d’autres bases théoriques,
technologiques et surtout paradigmatiques. Rien de surprenant si l’on considère
que l’on s’adresse à l’ensemble constitué le plus complexe de l’univers, celui qui
permet de connaître tous les mondes possibles. Retenue et modestie sont de mise.
VI Préface à l’édition française
Depuis la nuit des temps la transmission du savoir relève d’un art réservé
à une catégorie particulière d’individus non seulement qui savent et mais sur-
tout, qui ont un esprit clair. Connaître est commun, vouloir transmettre et savoir
transmettre est plus rare. Ici nous sommes dans un autre monde, celui où se
retrouvent tous ceux que nous appelons les Maîtres. Nos Maîtres, de la petite
école jusqu’aux hauts grades, habitent à jamais nos mémoires et continuent de
faire de nous ce que nous serons toujours : des apprentis. Ils paraissaient tout
savoir, mais ils avaient à nos yeux cet esprit critique peu commun qui les rendait
capables d’extraire avec certitude l’essentiel, de déblayer nos esprits des scories
qui naturellement l’encombrent pour nous offrir les bases sur lesquelles nous
avons pu, avec le temps, à notre tour construire. Et l’on entend encore « … il a
été l’élève de… », manière de dire que la personne a hérité d’une certaine forme
de savoir et de l’art de le transmettre. Il est implicitement entendu que le Maître
restera inégalé, entouré d’une respectueuse affection.
L’enseignement, me semble-t-il, n’est plus une activité aussi honorée qu’elle
le fût. Est-il possible d’imaginer qu’il y a quelques décennies, le professeur
entrait dans l’amphithéâtre précédé et annoncé par un appariteur, les étudiants
se levaient, entendaient « asseyez-vous » et le cours commençait avec craie et
tableau vers lequel les têtes étaient orientées, mues en va-et-vient pour transcrire
notes et schémas, dans le silence ; il en était ainsi dans les facultés de sciences
ou de médecine. L’apprenti-enseignant que j’étais s’entendait dire « une heure
de cours, dix heures de préparations ». Il me vient en mémoire que l’une des
nombreuses réformes subies - et enterrées - par notre enseignement supérieur
stipulait que les plus anciens du corps professoral devaient se produire devant
les étudiants nouveaux venus dans l’université. Sage proposition pour ceux qui
devaient recevoir, mais plus encore, pour ceux qui devaient transmettre.
Quel que soit le symbole, des piliers ou de la pierre angulaire, il faut con
struire l’édifice à partir de bases. On ne transmet pas des parcelles, mais un tout
ayant une cohérence de la première à la dernière ligne, reposant sur un chemine-
ment historique, à chaque étape les vérités naissant de contradictions. L’esprit
critique surplombe le savoir. Il faut craindre que ne s’engramment dans les
neurones de nos étudiants des enseignements dispensés à partir de champs précis
et limités de recherche, spécialisés, enracinés dans le présent, coupés de la longue
accumulation temporelle des savoirs, nourris de repères bibliographiques ne
dépassant pas 5 ans. Cela forme des esprits rectilignes peu enclins à exhumer des
contradictions, à formuler des hypothèses nouvelles, à détecter les impasses des
modèles existants de pensée et de représentation et globalement peu aptes
à œuvrer pour des changements de paradigme. La fragmentation du savoir
pourrait s’aggraver en raison d’un clicktivisme qui paraît se généraliser, qui
morcelle au détriment du tout.
Ces quelques réflexions, parmi d’autres, naissaient alors que j’avais sous les
yeux, sur le bureau, ce magnifique ouvrage écrit par Mark Bear, Barry Connors
et Michael Paradiso. Il s’agit d’une quatrième édition revue et actualisée ;
la première datait de 1996. Vingt ans pour parfaire, réécrire, compléter. Elle
rassemble les connaissances fondamentales et actuelles de la discipline. Nos
pensées oscillent entre un monde de publications dont on ne voit pas de fin et un
Préface à l’édition française VII
ensemble précis, rectangulaire, épais de 1 000 pages, un coffret d’un bon poids
que l’on nous offre contenant une cohérence dans le savoir, qui se déroule avec
sagesse de la première à la dernière page. Résultat impressionnant devant lequel
on se sent humble. Cohérence du tout, un tout cohérent. L’immense savoir trans-
formé par la volonté de transmettre, un art de la transmission qui nous saisit
d’émerveillement. Il me revient à l’esprit ces manuscrits de nos grands auteurs,
à la Bibliothèque nationale, les mots remplacés, les lignes réécrites et surtout, ce
qui m’a toujours plongé dans la perplexité, ces pages supprimées par des traits
de plume en croix : jetées comme hors sujet, ou inutiles au propos essentiel, ou
comme source de confusion. L’on imagine ici le tri délicat, la réflexion inquiète
pour les choix nécessaires devant le « mur de données », puis l’écriture, puis les
suppressions au nom de ce qui fait l’âme de l’œuvre : cette « cohérence d’un
savoir ».
Parcourant les chapitres, j’ai vite pris la mesure de tout ce que je ne savais pas
ou que j’avais oublié. Parallèlement, on est saisi par l’émerveillement de décou-
vrir et d’apprendre dans un tel contexte : ce qui était compliqué devient clair,
grâce à des mises en pages attractives, des figures et des encadrés qui propo-
sent autant de béquilles pour la mise en mémoire. Les découvertes de récente
actualité s’intègrent naturellement au socle des matières constitutif du domaine.
Les données expérimentales, certaines datant des deux dernières années sont
transformées en schémas ou graphiques simples et directement compréhensi-
bles. Pénétrant dans l’ouvrage, chacun y trouvera son fil rouge. Les structures
élémentaires, des bases moléculaires aux interactions cellulaires sont clairement
exposées, de même que les apports récents de la génomique. J’ai apprécié une
direction que l’on pourrait dénommer « intégrative », faisant une large part à
la physiologie — au sens classique — c’est-à-dire aux grandes fonctions, dont
les capacités neuropsychologiques. Les exposés combinent des approches « top-
down » et « bottom-up ».
À qui s’adresse ce livre qui paraît être plus qu’un manuel sans être un traité ?
Impérativement à tous ceux qui doivent enseigner les neurosciences, quel que
soit le niveau des diplômes, des classes de fin d’études secondaires à l’ensei
gnement supérieur. Aux étudiants, il apportera un socle de connaissances
fondamentales ayant peu d’équivalents pour les cursus de neurobiologie, de
psychologie scientifique et bien évidemment de neurologie et de psychiatrie.
Tous les membres de ces disciplines commençant par « neuro » auront à cœur
de se procurer l’ouvrage.
Michel Le Moal
Membre de l’Académie des Sciences
Professeur émérite à l’Université de Bordeaux
Neurocentre Magendie, Inserm U1215, Bordeaux
IX
INTRODUCTION
Q U E L Q U E S R E C O M M A N DA T I O N S
POUR MIEUX ABORDER CET OUVRAGE…
E
xploitez au mieux ce que vous apporte Neurosciences, à la découverte
du cerveau, pour conforter et approfondir vos connaissances en neuro
sciences, dans un domaine où les progrès sont rapides. Ce guide d’uti-
lisation est conçu pour vous permette une utilisation optimale de cet ouvrage.
Le sommaire du chapitre
Il s’agit de l’utiliser comme une sorte de « feuille de route », qui vous per-
mettra de suivre l’organisation et la progression des connaissances présentées
sur chaque thématique. C’est aussi un outil particulièrement utile pour réviser
ensuite les connaissances acquises.
Questions de révision
Testez votre compréhension des concepts introduits à chaque chapitre en
répondant à ces questions.
XVI Quelques recommandations pour mieux aborder cet ouvrage…
Questionnaire d’auto-évaluation
Au chapitre 7, ce type de questionnaire est conçu pour vous permettre de
vous familiariser avec l’anatomie du système nerveux.
XVII
REMERCIEMENTS
E
n 1993, lorsque nous avons sérieusement débuté la rédaction de la pre-
mière édition, nous avons eu la chance de travailler en étroite collabo-
ration avec une équipe remarquable, dévouée et talentueuse — Betsy
Dilernia, Caitlin et Rob Duckwall et Suzanne Meagher —, qui nous a réellement
aidés à produire le livre. Betsy a poursuivi sa collaboration avec nous pour les
trois premières éditions. Notre succès doit beaucoup à ses efforts extraordinaires
pour améliorer la compréhension de notre texte et, plus généralement, la qualité
de cet ouvrage. Le départ à la retraite tout à fait justifié de Betsy nous a tous
beaucoup affectés mais, par chance, nous avons travaillé pour cette quatrième
édition avec Tom Lochhass, qui a été recruté à la place de Betsy. Tom, par ailleurs
un auteur reconnu, partage avec Betsy le souci du détail et nous a quelque peu
bousculés pour que nous ne nous endormions pas sur nos lauriers. Nous sommes
fiers de cette quatrième édition et très reconnaissants à Tom de n’avoir jamais
transigé avec l’excellence associée à cet ouvrage. Nous ne saurions aussi évoquer
sa participation sans le remercier pour son extrême patience lorsque les auteurs,
pris par leurs obligations, ne remettaient pas leurs textes dans les délais impartis.
Il est quelque peu incroyable qu’en dépit du temps considérable qui s’est
écoulé depuis le début de ce travail — 21 années ! — nous soyons toujours la
même équipe : Caitlin, Rob et Suzanne. L’agence Dragonfly Media Group de
Caitlin et Rob a produit les illustrations, en collaboration avec Jennifer Clements,
et le résultat parle de lui-même ! Les artistes se sont littéralement emparés de nos
concepts, parfois quelque peu nébuleux, pour en faire une merveilleuse réalité.
La qualité des illustrations a toujours été une priorité pour les auteurs et nous
sommes très satisfaits que cette équipe ait pu nous conforter dans le sentiment
que nous avons produit l’ouvrage en neurosciences le plus accessible et le plus
richement illustré qui soit. Enfin, nous sommes pour toujours extrêmement
reconnaissants à Suzanne, qui nous a assistés en permanence tout au long de
cette aventure. Sans son incroyable dévouement à ce projet et sa totale fidélité,
le livre n’aurait jamais pu être achevé. Suzanne, tu es la meilleure ! Et ceci reste
vrai depuis 1983 !
Pour cette nouvelle édition, nous avons le plaisir de remercier un nou-
veau membre de l’équipe, Linda Francis. Linda est assistante éditoriale chez
Lippincott Williams & Wilkins. Elle a travaillé constamment avec nous, notam-
ment en nous aidant à respecter les contraintes de l’édition. Son efficacité, sa
flexibilité, et sa bonne humeur furent très appréciées.
Dans l’industrie de l’édition, les éditeurs paraissent changer fréquemment.
Pour ce qui nous concerne, nous tenons à remercier chaleureusement l’un des
éditeurs seniors qui a été toujours l’avocat fidèle de notre projet : Emily Lupash.
Merci à vous, Emily, et à tout votre staff ! Cela a été un réel plaisir de travailler
avec vous.
Nous souhaitons encore remercier les fondateurs du cursus de neurosciences
à l’Université Brown. Nous remercions chaleureusement Mitchell Glickstein,
Ford Ebner, James McIlwain, Leon Cooper, James Anderson, Leslie Smith,
John Donoghue, Bob Patrick et John Stein pour tout ce qu’ils ont fait pour
développer les meilleurs enseignements des neurosciences dans cette Université.
Merci aussi à Sebastian Seung et Monica Linden pour avoir contribué à réno-
ver l’enseignement des neurosciences au Massachusetts Institute of Technology
(MIT) à Boston. Monica, qui est maintenant au département de neurosciences
de Brown University, a fait de nombreuses suggestions pour améliorer encore
cette quatrième édition. Et nous l’en remercions chaleureusement.
XVIII Remerciements
IMAGES
Couverture
Image IRM du cerveau humain permettant de révéler la diffusion des molé-
cules d’eau. La diffusion des molécules d’eau dans le cerveau s’effectue de
façon préférentielle en suivant les faisceaux d’axones. Les axones représentent
les connexions « électriques » du système nerveux et conduisent les potentiels
d’action produits par les neurones. Cette image révèle quelques-unes des voies
neuronales par lesquelles s’effectue la communication entre différentes parties
du cerveau. L’image a été obtenue à l’aide d’un algorithme permettant de visua-
liser les faisceaux d’axones à l’aide de pseudo-couleurs. Les couleurs varient en
rapport avec la direction de la diffusion des molécules d’eau dans le cerveau.
(Source : courtoisie de Satrajit Ghosh et John Gabrieli, McGovern Institute for
Brain Research et Department of Brain and Cognitive Sciences, MIT.)
SOMMAIRE SYNTHÉTIQUE
4e PARTIE Neuroplasticité
23 Développement du cerveau................................................................ 798
24 Apprentissage et mémoire.................................................................. 840
25 Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation... 888
Glossaire................................................................................................... 925
Références................................................................................................. 949
Index......................................................................................................... 973
XXIII
Bases théoriques
Concevoir les bases biologiques du fonctionnement cérébral dans l’ère
post‑génomique…..................................................................................... 31
Révision des moles et de la molarité.......................................................... 64
L’équation de Nernst................................................................................ 69
L’équation de Goldman............................................................................ 72
Méthodes d’enregistrement du potentiel d’action..................................... 81
Méthode du patch-clamp..................................................................... 93
Théorie du complexe « SNARE » et libération des neurotransmetteurs.... 121
Potentiels d’inversion................................................................................ 124
« Pomper » les ions et les neurotransmetteurs........................................... 152
Imagerie par résonance magnétique.......................................................... 186
TEP et IRMf............................................................................................ 187
Organisation corticale révélée par imagerie optique et calcique................. 347
Inhibition latérale..................................................................................... 428
Des grenouilles à trois yeux, des colonnes de dominance oculaire
et autres bizarreries…............................................................................... 826
Le concept de période critique.................................................................. 828
Plasticité synaptique : tout est dans le « timing »...................................... 902
Le vaste monde de la dépression à long terme........................................... 907
Focus
Les développements de la microscopie...................................................... 27
Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal........................................ 39
Auto-stop sur le « rétro-rail » :
focus sur transport axoplasmique rétrograde............................................ 44
Retard mental et épines dendritiques........................................................ 46
Comprendre la structure du neurone et sa fonction par la fabuleuse
« Cre »...................................................................................................... 50
Mort par injection létale........................................................................... 76
Anesthésie locale....................................................................................... 101
Sclérose en plaques, maladie démyélinisante............................................. 102
Comportement électrique éclectique des neurones.................................... 104
Le rêve d’Otto Loewi................................................................................ 108
Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…..................................... 129
Des mutations effrayantes et des poisons.................................................. 135
Les endocannabinoïdes de votre cerveau................................................... 158
Ces poisons si excitants : beaucoup trop de si bonnes choses…................. 165
De l’eau dans la tête.................................................................................. 184
Nutrition et tube neural............................................................................ 192
Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate, calcium ou
simplement de l’eau ?................................................................................ 261
Souvenirs d’un repas cauchemardesque…................................................ 270
Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?............................................... 273
XXIV Liste des textes encadrés
L E S AU T E U R S D E S E N C A D R É S
« LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE »
Bases
cellulaires
CHAPITR E 1
Neurosciences : passé, présent et futur 2
CHAPITR E 2
Neurones et cellules gliales 22
CHAPITR E 3
Membrane du neurone au repos 56
CHAPITR E 4
Potentiel d’action 78
CHAPITR E 5
Transmission synaptique 106
CHAPITR E 6
Neurotransmetteurs :
organisation anatomobiochimique du système nerveux 140
CHAPITR E 7
Anatomie du système nerveux 176
Annexe
Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 212
2
CHAPITRE 1 Neurosciences :
passé, présent
et futur
LES NEUROSCIENCES
AUJOURD’HUI
Niveaux d’analyse............................................................................... 12
Chercheurs en neurosciences.............................................................. 13
Démarche scientifique en neurosciences.............................................. 15
Expérimentation animale en neurosciences......................................... 16
Coût de l’ignorance : les maladies du système nerveux........................ 18
CONCLUSION
INTRODUCTION
L’
homme a toujours cherché à savoir comment il voit et comment il
entend ; pourquoi certaines choses sont bonnes et d’autres mau-
vaises ; comment il bouge ; comment il raisonne, apprend, mémorise
et oublie ; quelle est l’origine de la colère et celle de la folie. La recherche dans le
domaine des neurosciences commence à éclaircir ces mystères et les résultats de
tous ces travaux constituent le contenu de cet ouvrage.
Le mot « neurosciences » est récent. La Society for Neuroscience (Société des
neurosciences), association de chercheurs en neurosciences, n’a été fondée qu’en
1970 (en France, la Société des neurosciences a été créée en 1988, elle comprend
plus de 2 500 membres). Cependant, l’étude du cerveau est aussi ancienne que
la science elle-même. Historiquement, les scientifiques qui se sont intéressés au
système nerveux venaient de disciplines diverses : médecine, biologie, psycholo-
gie, physique, chimie, mathématiques. La révolution des neurosciences est venue
du fait que ces scientifiques ont réalisé que le plus grand espoir de comprendre
le fonctionnement du cerveau résidait dans une approche résolument pluri
disciplinaire, une combinaison des approches traditionnelles et de technologies
modernes, pour parvenir à une vision actualisée de l’organisation et du fonc-
tionnement cérébral et ouvrir de nouvelles perspectives. Aujourd’hui, quelle que
soit l’approche qu’ils mettent en œuvre, la plupart des scientifiques impliqués
dans la recherche sur le système nerveux se considèrent comme des chercheurs
en neurosciences. En fait, même si les enseignements de neurosciences peuvent
être dispensés par les départements de psychologie ou de biologie, selon les
universités, et qu’il est alors possible de parler de neuropsychologie ou de neuro-
biologie, le cours porte toujours sur les neurosciences. Actuellement, la Society
for Neuroscience est, dans le domaine de la biologie expérimentale, la plus impor-
tante association de scientifiques et celle qui se développe le plus rapidement.
Loin d’être hyperspécialisé, ce domaine est au contraire presque aussi vaste que
l’ensemble des sciences naturelles, le système nerveux étant le point commun
de toutes les études. Pour comprendre le fonctionnement du cerveau, il est de
fait nécessaire d’acquérir des connaissances dans des domaines variés, depuis
la structure moléculaire de l’eau, jusqu’aux propriétés électriques et chimiques
du cerveau ; mais aussi pour tenter de comprendre pourquoi le chien de Pavlov
salivait en entendant une cloche sonner. C’est dans cette vaste perspective que
cet ouvrage part à la découverte du cerveau.
L’aventure commence par une brève histoire des neurosciences. Comment
le cerveau a-t-il été perçu à travers les âges ? Qui sont les chercheurs en neuro
sciences d’aujourd’hui, et quelle est leur approche dans l’étude du cerveau ?
4 1 – Bases cellulaires
Les origines
des neurosciences
Le système nerveux — cerveau, moelle épinière et nerfs — est vital et per-
met de sentir, de bouger, et encore de penser. Comment l’homme en a-t-il pris
conscience ?
Il est prouvé que, dès la préhistoire, nos ancêtres considéraient le cerveau
comme un organe vital. Les musées archéologiques comptent de nombreux
crânes d’hominidés datant d’un million d’années et plus, qui montrent des traces
de lésions crâniennes mortelles, probablement infligées par d’autres hominidés.
Il y a 7 000 ans, des interventions étaient déjà pratiquées au niveau du crâne
(un procédé appelé trépanation), non pour tuer mais pour guérir (Fig. 1.1). Ces
crânes montrent des signes de guérison, ce qui indique que l’opération était pra-
tiquée sur des êtres vivants et n’était pas seulement un rituel accompli après
la mort. Quelques individus ont, semble-t-il, survécu à plusieurs opérations du
crâne. Le but recherché par ces premiers chirurgiens n’est pas clair, même s’il
est envisageable que ce procédé était utilisé pour traiter les maux de tête ou les
troubles mentaux. Mais peut-être ne s’agissait-il simplement que d’ouvrir une
porte de sortie aux mauvais esprits…
Les écrits des premiers médecins de l’Égypte ancienne, datant de presque
5 000 ans, montrent qu’ils avaient reconnu plusieurs symptômes liés à des lésions
Figure 1.1 – Évidence d’une intervention
cérébrales. Cependant, c’est le cœur et non le cerveau qui était considéré à cette
neurochirurgicale de l’époque préhistorique. époque comme le siège de l’âme et des souvenirs. En fait, alors que le reste du
Ce crâne humain date de plus de 7 000 ans. corps était soigneusement préparé pour la vie après la mort, le cerveau du défunt
Il a fait l’objet d’une intervention du vivant du était simplement retiré par les narines et jeté. L’idée que le cœur était le siège de
sujet. (Source : Alt et al., 1997, Fig. 1a.) la conscience et de la pensée n’a ainsi pas été remise en question à cette époque
et celles qui ont suivi, jusqu’à Hippocrate.
Cerveau Cervelet
1 cm
Figure 1.6 – Substance blanche et
substance grise.
La simple section du cerveau en
deux parties révèle la dualité de la
matière cérébrale.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 7
Hémisphères
cérébraux
Cerveau
Cervelet
Système
nerveux
Moelle épinière central
Système
nerveux
périphérique
Figure 1.7 – Organisation anatomique des deux principales subdivisions du système nerveux. Sillon Lobe
Le système nerveux comprend deux parties : le système nerveux central (SNC) et le système ner- central pariétal
veux périphérique (SNP). Le SNC comprend lui-même le cerveau et la moelle épinière et le cerveau Lobe
Lobe
frontal
est subdivisé en trois parties principales représentées par les hémisphères cérébraux, le cervelet et occipital
le tronc cérébral. Le SNP est représenté par l’ensemble des nerfs et des cellules nerveuses situées
hors du cerveau et de la moelle épinière.
Le cerveau au xixe siècle
À la fin du xviiie siècle, les connaissances sur le système nerveux peuvent se
résumer ainsi :
•• une atteinte du cerveau peut supprimer les sensations, empêcher le mou-
vement, altérer la pensée, et même entraîner la mort ;
•• les nerfs assurent la communication entre le cerveau et le corps ;
•• il est possible de distinguer dans le cerveau des sous-régions qui jouent
probablement des rôles différents ;
•• le cerveau (sinon l’esprit) fonctionne comme une machine et obéit aux lois
de la nature.
Au cours du siècle qui suivit, les connaissances sur l’organisation et les
fonctions du cerveau progressèrent plus que dans toute l’histoire qui avait
précédé. Ces travaux eurent un caractère fondamental, conférant à la recherche
du xixe siècle un rôle essentiel dans le progrès des connaissances sur le cerveau.
À titre d’illustration, quatre éléments déterminants sont évoqués ci-dessous.
Moelle
épinière
Racines ventrales
Racines
dorsales
Pour vérifier cette hypothèse, la même méthode que celle de Bell et Magendie,
cherchant à identifier les fonctions des racines spinales, fut mise en œuvre :
détruire différentes parties du cerveau et observer les déficits sensoriels et moteurs
qui en résultent. Cette approche consistant à détruire des parties du cerveau de
façon systématique pour déterminer leur fonction relève de la neurologie expéri-
mentale. En 1823, le fameux physiologiste français Marie-Jean-Pierre Flourens
utilisa cette méthode sur plusieurs espèces d’animaux (notamment des oiseaux),
pour démontrer que le cervelet joue un rôle évident dans la coordination du
mouvement. Il en conclut aussi que le cerveau est impliqué dans la sensation et
la perception, comme Bell et Galien l’avaient suggéré avant lui. Mais, contraire-
ment à ses prédécesseurs, Flourens fournissait un solide support expérimental à
la théorie de la localisation des fonctions cérébrales.
Que représentent toutes les circonvolutions à la surface du cerveau ? Ont-
elles des fonctions différentes ? Cette idée paraissait évidente au jeune étudiant
en médecine autrichien, Franz Joseph Gall. Pensant que les bosses du crâne cor-
respondaient aux circonvolutions du cerveau, Gall suggéra en 1809 que certains
traits de caractère — tels que la générosité, la réserve, l’instinct de destruction,
etc. — pouvaient être en relation avec la forme de la tête (Fig. 1.10). Pour confor-
ter ses propositions, Gall et ses disciples effectuèrent des mesures sur le crâne de
centaines de personnes représentant un large éventail de personnalités, depuis le
surdoué jusqu’au fou criminel. Cette nouvelle « science », mettant en relation la
structure de la tête avec les traits de la personnalité, prit le nom de phrénologie.
Bien que la plupart des scientifiques n’aient jamais pris au sérieux les déclara-
tions des phrénologistes, ceux-ci ont néanmoins réussi à toucher l’imagination
populaire de leur temps et un manuel de phrénologie fut publié en 1827 et tiré à
plus de 100 000 exemplaires !
Flourens fut un des plus violents opposants de la phrénologie. Sa critique
reposait sur des bases simples. D’une part, il n’y a pas de corrélation entre les Figure 1.10 – Carte phrénologique.
dimensions du crâne et celles du cerveau. D’autre part, Flourens, au moyen des En accord avec les travaux de Gall et de ses
lésions expérimentales, montra que les caractères particuliers ne sont pas isolés disciples, les traits du comportement peuvent
dans les parties du cerveau répertoriées par la phrénologie. Mais Flourens sug- être mis en rapport avec la forme de diffé-
géra aussi que toutes les régions du cerveau sont impliquées de façon équivalente rentes parties du crâne. (Source : Clarke et
dans toutes les fonctions cérébrales, ce qui s’avéra erroné par la suite. O’Malley, 1968, Fig. 118.)
10 1 – Bases cellulaires
C’est au neurologue français Paul Broca qu’il revient d’avoir apporté les élé-
ments les plus déterminants sur la question de la localisation des fonctions céré-
brales (Fig. 1.11). Un jour, il examina un patient qui comprenait les mots mais ne
pouvait pas parler. Lorsque cet homme mourut, en 1861, Broca observa atten-
tivement son cerveau et découvrit une lésion du lobe frontal gauche (Fig. 1.12).
À partir de ce cas et de plusieurs autres cas similaires, Broca conclut que cette
région du cerveau humain était spécifiquement reliée au langage.
Sur la base de ces observations, la localisation cérébrale fit l’objet d’une
intense recherche expérimentale sur l’animal. En 1870, les physiologistes alle-
mands Gustav Fritsch et Eduard Hitzig montrèrent qu’en appliquant de faibles
décharges électriques sur une région précise de la surface exposée du cerveau
d’un chien, de discrets mouvements pouvaient être générés. Le neurologue
écossais David Ferrier reproduisit ces expériences sur des singes et, en 1881, il
démontra que l’ablation de cette partie du cerveau entraînait la paralysie des
muscles. De même, le physiologiste allemand Hermann Munk prouva, au moyen
Figure 1.11 – Paul Broca (1824-1880). de lésions effectuées chez l’animal, que le lobe occipital du cerveau était spécifi-
C’est en étudiant le cerveau d’un homme quement concerné par la vision.
ayant perdu l’usage de la parole après une
Comme cela sera discuté dans la deuxième partie de cet ouvrage, au niveau
lésion cérébrale (Fig. 1.12) que Broca fut
convaincu que les différentes fonctions céré-
cérébral il existe un partage très précis des tâches, les diverses régions étant sus-
brales pouvaient siéger dans des régions ceptibles de remplir des fonctions très différentes. Les cartes actuelles de l’orga-
particulières du cerveau. (Source : Clarke et nisation anatomofonctionnelle du cerveau rivalisent avec celles les plus élaborées
O’Malley, 1968, Fig. 121.) des phrénologistes. La grande différence est, cependant, qu’à l’opposé des phré-
nologistes les scientifiques ont recours à une expérimentation très rigoureuse
Sillon central avant d’attribuer une fonction spécifique à une partie donnée du cerveau ; dès
lors, il semble que l’idée de Gall n’était pas si fausse. Il est alors intéressant
de se poser la question de savoir pourquoi Flourens, le pionnier de la localisa-
tion fonctionnelle cérébrale, s’est trompé en pensant que le cerveau fonctionnait
comme un tout et ne pouvait pas être subdivisé en sous-régions fonctionnelle-
ment différentes. Il est possible que ce chercheur pourtant doué soit passé à côté
de la localisation cérébrale pour plusieurs raisons, mais il est clair qu’une des
raisons principales était son opposition viscérale à Gall et à la phrénologie. Il
ne pouvait en aucune façon accepter l’idée de Gall, qu’il considérait comme un
lunatique ! Cette anecdote nous rappelle alors combien la science, pour le meil-
leur et pour le pire, était et reste véritablement une activité qui ne peut pas être
Figure 1.12 – Photographie du cerveau à totalement dénuée de subjectivité.
partir duquel Broca établit la théorie de la
localisation des fonctions cérébrales. Évolution du système nerveux. En 1859, le biologiste anglais Charles Darwin
Ce cerveau est celui du patient ayant perdu (Fig. 1.13) publia De l’origine des espèces. Cet ouvrage étonnant proposait une
l’usage de la parole avant son décès en 1861. La théorie de l’évolution, à savoir que les espèces se développaient à partir d’un
lésion qui produit ce type de déficit est identifiée ancêtre commun. Selon sa théorie, les différences entre les espèces reposaient sur
par un cercle. (Source : Corsi, 1991, Fig. III, 4.) un processus que Darwin dénomma la sélection naturelle. Dans les mécanismes
de la reproduction, les traits physiques des descendants sont quelquefois diffé-
rents de ceux des parents. Si ces traits sont utiles à la survie, les descendants eux-
mêmes se reproduiront, augmentant ainsi la possibilité de transmettre ces traits
positifs à la génération suivante. À travers plusieurs générations, ce processus a
permis le développement des caractères qui distinguent les espèces de nos jours :
des nageoires pour les phoques, des griffes pour les chiens, des mains pour les
ratons laveurs, etc. Cette seule intuition a révolutionné la biologie. De nos jours,
il est incontestable que les preuves scientifiques, depuis l’anthropologie jusqu’à
la génétique moléculaire, sont en faveur de la théorie de l’évolution par la sélec-
tion naturelle.
Pour Darwin le comportement faisait partie des caractères transmis suscep-
tibles d’évoluer. Par exemple, il remarqua que les réactions de peur étaient les
mêmes chez plusieurs espèces de mammifères : les pupilles des yeux s’agran-
dissent, le cœur s’accélère, les poils se hérissent ; ceci est valable pour les hommes,
comme pour les chiens. Pour Darwin, la similitude de cet ensemble de réponses
prouvait que l’évolution des espèces venait d’un ancêtre commun, qui possédait
Figure 1.13 – Charles Darwin (1809-1882). le même trait comportemental (présumé positif parce qu’il permettait d’échap-
Darwin proposa sa théorie de l’évolution, expli- per aux prédateurs). Puisque le comportement est le reflet de l’activité du sys-
quant comment les espèces évoluent par sélec- tème nerveux, il est vraisemblable que les mécanismes du cerveau qui génèrent
tion naturelle. (Source : The Bettman Archive.) ces réactions de peur soient similaires, sinon identiques, à travers les espèces.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 11
L’idée que le système nerveux des différentes espèces est issu d’un ancêtre
commun et donc que la possibilité existe de mécanismes similaires, permet d’ex-
trapoler à l’homme les résultats obtenus chez l’animal. Ainsi, par exemple, cer-
taines caractéristiques de la conduction des potentiels d’action le long des fibres
nerveuses ont d’abord été étudiées chez le calmar ; mais on sait maintenant
qu’elles s’appliquent aussi à l’homme. Aujourd’hui, la plupart des neurobiolo-
gistes ont recours aux modèles animaux pour étudier les mécanismes des proces-
sus humains. Par exemple, les rats montrent des signes évidents de toxicomanie
si la possibilité leur est donnée de s’auto-administrer de la cocaïne. De ce point
de vue, les rats représentent donc un modèle animal important dans la recherche
consacrée à l’effet des drogues psychotropes sur le système nerveux.
Par ailleurs, de nombreux traits comportementaux sont fortement adaptés à
l’environnement d’une espèce donnée. Par exemple, les singes qui se balancent de
branche en branche ont une vue perçante, tandis que les rats, qui glissent le long
des canalisations souterraines, ont une vision faible mais un sens accru du tou-
cher grâce aux vibrisses présentes sur leur museau. La structure et la fonction du
cerveau de chaque espèce reflètent ces adaptations. En comparant les spécificités
du cerveau des différentes espèces, les neurobiologistes ont ainsi pu identifier les
parties du cerveau correspondant aux différents comportements. La figure 1.14
en montre des exemples chez les singes et les rats.
7 cm
3 cm
Chercheurs en neurosciences
Les chercheurs du domaine des neurosciences se regroupent dans une très
vaste communauté ayant en commun l’étude du cerveau, sous ses différents
aspects. Ces chercheurs sont qualifiés de neurobiologistes, se référant au fait
qu’ils sont d’abord des biologistes. Cependant, leur appartenance à des disci-
plines diverses, du domaine clinique ou encore de la psychologie, par exemple,
amène à les qualifier plus globalement de « neuroscientifiques » (neuroscientists).
Ce terme paraît très impressionnant, un peu comme « spécialiste des fusées »,
mais les auteurs de ce manuel, comme les autres, ont d’abord été des étudiants.
Quelle que soit leur motivation — connaître les causes de sa propre mauvaise
vue ou comprendre pourquoi, à la suite d’un accident vasculaire, une personne
proche ne pouvait plus parler — ces neurobiologistes ont partagé le même désir
de comprendre comment fonctionne le cerveau. Cela sera peut-être aussi le cas
de certains étudiants qui se pencheront sur cet ouvrage.
Le travail du chercheur est gratifiant, mais le parcours est difficile et nécessite
de nombreuses années d’études : d’abord, obtenir un master, puis un doctorat en
sciences ou un doctorat en médecine (ou les deux). Suivent en général plusieurs
années de recherche post-doctorale, pour se familiariser avec les nouvelles tech-
niques et les approches scientifiques modernes, sous la direction d’un chercheur
confirmé. Enfin, le jeune chercheur est prêt à travailler à l’Université, dans un
grand organisme de recherche de type CNRS, INSERM, ou encore CEA en
France, dans un institut ou à l’hôpital.
De façon schématique et quelque peu artificielle, la recherche en neuro
sciences peut être divisée en deux grands domaines : celui de la recherche clinique
et celui de la recherche fondamentale, de caractère souvent expérimental. La
recherche clinique est essentiellement dirigée par des médecins. Chez l’homme,
les spécialités médicales concernant le système nerveux sont représentées par la
neurologie, la psychiatrie, la neurochirurgie et la neuropathologie (Tab. 1.1). De
nombreux chercheurs de ce domaine suivent la tradition de Broca : ils tentent
d’expliquer le rôle des différentes parties du cerveau à partir des troubles du
comportement causés par des lésions cérébrales dans une démarche dite « ana-
tomoclinique ». D’autres orientent leurs études sur les apports et les risques des
nouveaux types de traitements.
14 1 – Bases cellulaires
Spécialiste Fonction
Neurologue Docteur en médecine : diagnostic et traitement des maladies du système
nerveux
Psychiatre Docteur en médecine : diagnostic et traitement des troubles de l’humeur
et du comportement
Neurochirurgien Docteur en médecine : chirurgie du cerveau et de la moelle épinière
Neuropathologiste Docteur en médecine et/ou docteur en sciences : étude des altérations
du tissu cérébral en rapport avec la pathologie
Dénomination Fonction
Neurobiologiste du développement Analyse le développement et la maturation du système
nerveux
Neurobiologiste moléculaire Étudie la nature et la fonction des molécules du cerveau,
notamment à partir du matériel génétique des neurones
Neuroanatomiste Étudie la structure du système nerveux
Neurochimiste Étudie la chimie du système nerveux, notamment la signa-
lisation intra et intercellulaire
Éthologiste Étudie les bases des comportements spécifiques d’une
espèce en milieu naturel
Neuropharmacologue Observe les effets des drogues sur le système nerveux
Neurophysiologiste Mesure l’activité électrique du système nerveux
Psychologue, neuropsychologue, Étudie les fondements biologiques des comportements
comportementaliste
Psychophysicien Mesure quantitativement les capacités de perception
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 15
1. NdT : en France, l’expérimentation animale est sous la tutelle du Ministère de l’agri-
culture, chargé du respect des normes récemment actualisées par une directive européenne
qui définit avec précision les conditions d’utilisation des animaux à des fins de recherche
biomédicale et de formation, sous le contrôle d’une Commission nationale de l’expéri-
mentation animale (CNEA), placée sous la tutelle du Ministère de l’éducation nationale,
de l’enseignement supérieur et de la recherche.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 17
Maladie Description
Maladie d’Alzheimer Maladie dégénérative progressive du cerveau entraînant la sénilité
et la démence
Syndrome autistique Maladie émergeant pendant le développement, caractérisée par
un déficit de communication et des interactions sociales, souvent
accompagnée de comportements limités et répétitifs
Infirmité motrice Trouble moteur causé par une atteinte du cerveau, pouvant interve-
cérébrale nir au moment de la naissance
Dépression Trouble sévère de l’humeur caractérisé par l’insomnie, la perte
d’appétit et le sentiment de découragement
Épilepsie État caractérisé par des troubles périodiques de l’activité électrique
du cerveau pouvant entraîner des crises convulsives, des pertes de
conscience et des troubles sensoriels
Sclérose en plaques Maladie qui affecte la conduction nerveuse, avec des épisodes de
faiblesse, et se traduisant par un manque de coordination motrice et
jusqu’à des troubles du langage
Maladie de Parkinson Maladie dégénérative du cerveau se traduisant par des difficultés de
déclenchement du mouvement volontaire
Schizophrénie Maladie psychotique grave, caractérisée par des illusions, des
hallucinations et un comportement étrange
Paralysie spinale Perte de sensation et de mouvement due à une lésion traumatique
de la moelle épinière
Accident vasculaire Altération de la structure du cerveau causée par l’obturation des
cérébral (AVC) vaisseaux ou, au contraire, par une hémorragie cérébrale. Les AVC
conduisent généralement à un déficit sensoriel, moteur et/ou cogni-
tif plus ou moins définitif, avec des récupérations longues et souvent
très partielles
2. NdT : une étude en 2010 chiffre en Europe le coût des maladies du cerveau et leur prise
en charge, affectant plus d’un tiers des 514 millions d’habitants, à 798 milliards d’euros
(Gustavsson et al. European neuropsychopharmacology 2011 ; 21 : 718-79).
3. National Institute of Neurological Disorders and Stroke. “Parkinson Disease back-
grounder”, 18 octobre 2004.
4. US Department of Health and Human Services, Agency for Healthcare Research and
Quality. “Approximately 5 percent of seniors report one or more cognitive disorders”,
mars 2011.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 19
Conclusion
Les sciences du cerveau représentent un domaine tout à fait particulier de
l’activité humaine. De nombreux chercheurs ont contribué à l’élaboration des
fondements des neurosciences au cours des générations précédentes. Aujourd’hui,
des hommes et des femmes travaillent, à différents niveaux et avec des techno
logies variées, pour tenter d’expliquer le fonctionnement cérébral.
Afin de préciser le rôle du système nerveux, d’intéressantes observations ont
déjà pu être réalisées, sans intervenir sur le cerveau lui-même. Ainsi, en étudiant
le comportement, qui reflète l’activité cérébrale, il est possible d’évaluer pré-
cisément les capacités et les limites du système nerveux. La modélisation des
principes du fonctionnement cérébral par les neurosciences théoriques constitue
également une façon d’aborder la complexité du système nerveux. Un autre type
20 1 – Bases cellulaires
d’analyse porte aussi sur l’étude des ondes du cerveau sur le scalp, ce qui corres-
pond à des évaluations de l’activité électrique en différentes parties du cerveau
en rapport avec leur activité. Enfin, de nouvelles techniques d’imagerie assistée
par ordinateur permettent maintenant aux chercheurs d’explorer la structure
du cerveau in vivo ; et avec des méthodes encore plus sophistiquées, des mesures
sont effectuées de l’activité des différentes parties du cerveau, jusqu’en rapport
avec des activités mentales. Toutefois, quelle que soit leur puissance, aucune de
ces méthodes non traumatiques, ancienne ou nouvelle, ne peut remplacer l’ex-
périmentation sur le tissu cérébral vivant. Objectivement, il n’est pas possible
de tenir compte de signaux recueillis à distance sans savoir comment ils sont
générés, ni ce qu’ils signifient. Pour comprendre comment est organisé et fonc-
tionne le cerveau, il faut ainsi pouvoir ouvrir le crâne et examiner ce qu’il y a à
l’intérieur, que ce soit par les méthodes anatomiques, en neurophysiologie, ou
encore en neurochimie.
La recherche en neurosciences avance à grands pas et fait naître des espoirs
réels pour de nouveaux traitements dans tous les domaines des maladies du sys-
tème nerveux, qui touchent et handicapent des millions de personnes chaque
année. Cependant, en dépit de ces progrès considérables des dernières décennies
et depuis plusieurs siècles, il nous reste encore un long chemin à faire pour com-
prendre comment fonctionne réellement le cerveau. Mais c’est aussi cela qui fait
que cette recherche est si excitante : notre ignorance est telle que chaque pas
dévoile d’étonnantes découvertes.
QUESTIONS DE RÉVISION
CHAPITRE 2 Neurones
et cellules gliales
LA DOCTRINE DU NEURONE
Coloration de Golgi............................................................................ 25
Contribution de Cajal......................................................................... 26
Encadré 2.1 Focus Les développements de la microscopie
ORGANISATION DU NEURONE
Soma.................................................................................................. 27
Encadré 2.2 Bases théoriques Concevoir les bases biologiques du
fonctionnement cérébral dans l’ère
post-génomique…
Encadré 2.3 Les voies de la découverte Modifier les gènes chez la souris,
par Mario Capecchi
Membrane neuronale.......................................................................... 37
Cytosquelette..................................................................................... 37
Encadré 2.4 Focus Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal
Axone................................................................................................. 38
Encadré 2.5 Focus Auto-stop sur le « rétro-rail » : focus
sur le transport axoplasmique rétrograde
Dendrites........................................................................................... 44
Encadré 2.6 Focus Retard mental et épines dendritiques
CLASSIFICATION
DES NEURONES
Classifications basées sur la structure des neurones............................ 47
Classification basée sur l’expression génique...................................... 49
Encadré 2.7 Focus Comprendre la structure du neurone
et sa fonction par la fabuleuse « Cre »
CELLULES GLIALES
Astrocytes.......................................................................................... 52
Cellules gliales et myélinisation........................................................... 52
Autres types de cellules, non neuronales............................................. 53
CONCLUSION
INTRODUCTION
T
ous les organes du corps sont formés de cellules. Les fonctions spéci-
fiques des cellules et leurs interactions déterminent celles des organes que
ces cellules forment. Le cerveau est un organe à part entière — l’organe le
plus sophistiqué et le plus complexe que la nature ait inventé ; mais la stratégie de
base utilisée pour l’étude de son fonctionnement n’est pas différente de celle mise
en œuvre pour explorer le pancréas ou encore le poumon, à titre d’illustration.
L’observation doit d’abord porter sur le rôle propre des cellules, puis, dans un
second temps, il est nécessaire de comprendre comment celles-ci s’assemblent
pour travailler ensemble. Dans le domaine des neurosciences, il n’est pas utile de
vouloir séparer le cerveau de l’esprit ; la compréhension de l’action des neurones,
puis de celle des réseaux qu’ils forment, devrait permettre d’expliquer l’origine
de la pensée créatrice ; en tout cas nous le pensons. Le plan de cet ouvrage illustre
cette « neurophilosophie ». Il est d’abord consacré à l’étude des cellules formant
le système nerveux : leur structure, leur fonction, ou encore leurs modes de com-
munication entre elles. Dans les chapitres suivants, il explique comment ces cel-
lules sont assemblées en circuits, qui sont à la base des sensations, de la percep-
tion, du mouvement, du langage ou encore des processus émotionnels.
Ce chapitre est centré sur la structure des différents types de cellules du
système nerveux : les neurones et les cellules gliales. Les neurones et les cellules
gliales représentent de vastes catégories cellulaires. Dans chacune d’entre elles,
de nombreuses sous-catégories peuvent être distinguées, avec des différences de
structure, de chimie, ou simplement de fonction. Mais, distinguer neurones et
cellules gliales est absolument fondamental. En effet, bien qu’il y ait à peu près
le même nombre de neurones et de cellules gliales dans le cerveau humain adulte
(environ 85 milliards de chaque), ce sont bien les neurones qui sont responsables
des fonctions si particulières du cerveau. En raison notamment de leur contri-
bution aux circuits qui sous-tendent les fonctions cérébrales, ce sont, de fait, les
neurones qui ressentent les modifications de l’environnement, communiquent ces
informations à d’autres neurones et commandent les réponses du corps à ces
sensations. Les cellules gliales contribuent elles aussi aux fonctions du cerveau
mais principalement en isolant, en protégeant et en nourrissant les neurones
situés dans leur entourage. Si le cerveau était, par exemple, comparé à un cookie
au chocolat, les neurones seraient les pépites de chocolat, alors que les cellules
gliales seraient comparables à la pâte qui forme le gâteau et répartit les pépites de
chocolat. En fait, le mot « glie » vient du mot grec qui signifie « glu », suggérant
que la fonction principale de ces cellules est d’empêcher le cerveau de s’écouler
par les oreilles ! Comme nous le verrons plus loin, cette vision des choses plutôt
naïve montre l’ampleur de notre ignorance en ce qui concerne la fonction de ces
cellules gliales. Mais, il est vrai que les neurones jouent le rôle le plus important
dans le traitement de l’information cérébrale.
Enfin, les neurosciences, comme d’autres sciences, ont leur propre langage
et, pour le comprendre, il faut en connaître le vocabulaire. À cette fin, chaque
chapitre est suivi de mots-clés dont il faudra vous assurer que vous en comprenez
bien le sens. Au fur et à mesure de l’avancée de notre découverte du cerveau, le
vocabulaire des neurosciences vous deviendra ainsi plus accessible.
24 1 – Bases cellulaires
La doctrine du neurone
Les scientifiques sont confrontés à un certain nombre d’obstacles dans
l’étude de la structure des cellules du cerveau, le premier étant leur très petite
taille. De fait, la plupart des cellules ont un diamètre de 0,01 à 0,05 mm. Sachant
que, à titre de comparaison, la pointe d’un crayon non taillé est d’environ 2 mm,
les neurones apparaissent ainsi 40 à 200 fois plus petits (le tableau 2.1 présente
une révision du système métrique). Cette taille est à la limite ou au-delà de ce que
l’on peut voir à l’œil nu ; les neurosciences cellulaires n’ont donc pas progressé
jusqu’au développement du microscope, à la fin du xviie siècle. Mais d’autres
obstacles restaient à franchir. L’observation de tissus cérébraux au microscope
nécessite en effet la réalisation de coupes extrêmement fines, l’idéal étant des
coupes à peine plus épaisses que le diamètre des cellules. Or les tissus cérébraux
ont la consistance d’une gelée, c’est-à-dire qu’ils ne se présentent pas de façon
assez ferme pour pratiquer ces coupes très fines. L’observation anatomique du
cerveau restait donc conditionnée par le développement d’une méthode per-
mettant de durcir le cerveau sans altérer sa structure et par l’invention d’un
appareil permettant de réaliser les coupes observables au microscope. Au début
du xixe siècle, les scientifiques ont découvert comment « fixer » les tissus en les
immergeant dans du formol et un appareil appelé microtome a permis de réaliser
des coupes de tissu fixé de très faible épaisseur.
Coloration de Golgi
La coloration de Nissl n’explique cependant pas tout. Un neurone avec colo-
ration de Nissl ressemble à un petit amas de protoplasme contenant un noyau.
Mais les neurones sont beaucoup plus que cela. Il fallut en fait attendre les tra-
vaux de l’histologiste italien Camillo Golgi (Fig. 2.2) pour mieux comprendre
leur rôle. En 1873, Golgi découvrit qu’en mettant du tissu cérébral dans une
solution de chrome argenté, un petit pourcentage de neurones seulement pre-
nait uniformément une coloration sombre (Fig. 2.3). Cette méthode est appelée
depuis coloration de Golgi. Elle a permis de montrer que le corps de la cellule
neuronale, c’est-à-dire la partie du neurone située autour du noyau mise en évi-
dence par la coloration de Nissl, n’est en fait qu’une petite partie du neurone. Les
figures 2.1 et 2.3 montrent comment ces colorations histologiques donnent des
aspects très différents du même tissu. Actuellement, l’histologie reste un domaine
très dynamique des neurosciences, avec son credo selon lequel « les progrès dans
la connaissance du cerveau sont essentiellement liés à sa coloration » (The gain
in brain is mainly in the stain).
Soma
Figure 2.3 – Neurones colorés par la méthode de Golgi.
(Source : Hubel, 1988, p. 126.)
Contribution de Cajal
C’est Camillo Golgi qui mit au point le premier procédé de coloration des
neurones, mais c’est un de ses contemporains espagnol qui en tira le meilleur
profit. Santiago Ramon y Cajal, histologiste brillant et artiste, connaissait la
méthode de Golgi depuis 1888 (Fig. 2.5). Au cours des 25 années suivantes, dans
une remarquable série de publications, Cajal tenta de démontrer l’existence de
Figure 2.5 – Santiago Ramon y Cajal (1852- circuits dans plusieurs régions du cerveau, en utilisant la méthode de Golgi
1934). (Source : Finger, 1994, Fig. 3.26.) (Fig. 2.6). Ironiquement, Golgi et Cajal parvinrent à des conclusions opposées
au sujet du neurone. Golgi proclamait que les neurites des différentes cellules
fusionnent entre eux pour former un reticulum continu ou réseau nerveux, sem-
blable aux veines et aux artères de la circulation. Selon cette théorie dite « réticu-
laire », le cerveau apparaît alors comme une exception dans la théorie cellulaire,
qui établit que la cellule, à l’échelon unitaire, constitue l’unité fonctionnelle élé-
mentaire de tous les tissus animaux. À l’opposé, Cajal soutenait vigoureusement
que les neurites des neurones ne sont pas reliés les uns aux autres, mais qu’ils sont
probablement en contiguïté et non en continuité. C’est en rattachant la nature du
neurone à la théorie cellulaire que fut émis le concept de neurone. Cajal et Golgi
partagèrent un prix Nobel en 1906 mais ils restèrent toujours rivaux.
Les données obtenues au cours des cinquante années suivantes étaient net-
tement en faveur du concept de neurone mais ce n’est que vers 1950 que les pro-
grès du microscope électronique en apportèrent la preuve finale (Encadré 2.1).
L’augmentation déterminante de la capacité de résolution du microscope élec-
tronique a effectivement permis de montrer à cette époque que les neurites des
neurones ne sont pas en continuité les uns avec les autres (Fig. 2.7). Par consé-
quent, notre point de départ de l’exploration de cerveau se doit d’être le neurone
lui-même.
Encadré 2.1 FOCUS
Organisation du neurone
Comme cela a déjà été mentionné, le neurone (encore dénommé cellule ner
veuse) comprend trois parties principales : le soma, les dendrites et l’axone.
L’intérieur du neurone est séparé de son environnement par une enveloppe qui
le délimite, la membrane neuronale, apparaissant comme posée sur un squelette
interne complexe ou cytosquelette, qui donne à chaque partie de la cellule son
aspect particulier tridimensionnel. L’intérieur du neurone et les différentes par-
ties qui le composent peuvent être décrits de la façon suivante (Fig. 2.8).
Soma
La forme du soma est variable, mais le plus souvent sphérique. Le corps cel-
lulaire d’un neurone typique a environ 20 µm de diamètre et le liquide aqueux
se trouvant à l’intérieur de la cellule est dénommé le cytosol. Il s’agit d’une
28 1 – Bases cellulaires
Mitochondrie
Membrane
Noyau
Reticulum
endoplasmique
rugueux Polyribosomes
(RE rugueux)
Appareil de Golgi
Ribosomes
Reticulum
endoplasmique lisse
(RE lisse)
Cône
axonique
Microtubules
Axone
Gène
Gène
Promoteur Terminator
ADN DNA
Exon 1 Exon 2 Exon 3
1 Transcription
Intron 1 Intron 2
ADN
Transcription
Transcrit
d’ARNm (b) ARNm
3 Sortie du noyau
Cytoplasme
(a)
cas des exons spécifiques sont également retirés avec les introns, conduisant à
un épissage « alternatif », qui forme un ARNm particulier. Celui-ci encode réel-
lement une protéine différente. Ainsi, la transcription d’un gène unique peut
donner différents ARNm, et, partant, des protéines différentes.
Les ARNm passent du noyau, au travers des pores de l’enveloppe nucléaire,
jusqu’aux sites de synthèse des protéines situés en d’autres endroits du neurone.
Sur ces sites, les molécules protéiques s’assemblent comme le font les molécules
d’ARNm, en créant une chaîne de plusieurs petites molécules. Pour les protéines,
les blocs de construction sont représentés par les acides aminés, dont il existe
20 sortes différentes. L’assemblage des protéines à partir des acides aminés, sous
le contrôle des ARNm, s’appelle la traduction.
L’étude de ce processus, qui commence avec l’ADN du noyau et se termine
par la synthèse des molécules protéiques dans la cellule, relève de la biologie
moléculaire dont le « dogme central » peut être résumé schématiquement de la
façon suivante :
transcription traduction
ADN ARNm protéine
génétique présente dans nos chromosomes sous forme d’ADN. Nous connais-
sons aujourd’hui l’ensemble des 25 000 « mots » de notre génome et nous savons
où ces gènes peuvent être trouvés sur chacun des chromosomes. De plus, nous
savons aussi quels sont les gènes dont l’expression est spécifique des neurones
(Encadré 2.2). Ces connaissances ont ainsi considérablement accru notre com-
préhension des bases génétiques de plusieurs maladies du système nerveux.
Pipette permettant
de maintenir l’œuf
en place
Œuf de souris
fertilisé
Dans les neurones, plusieurs ribosomes sont attachés à des membranes parti-
culières dénommées reticulum endoplasmique rugueux ou RE rugueux (Fig. 2.10).
Le RE rugueux est très abondant dans les neurones, beaucoup plus que dans les
cellules gliales ou dans toute autre cellule non neuronale. En fait, comme cela
a déjà été mentionné, le RE rugueux est aussi reconnu sous le nom de corps de
Nissl, à cause de ses propriétés de coloration spécifiques. Ce sont en effet ces
structures qui sont colorées positivement par la méthode de Nissl, qui fut mise
au point il y a environ 100 ans.
Noyau Enveloppe
nucléaire
Pore
Ribosomes
Reticulum endoplasmique Figure 2.10 – Reticulum
rugueux (RE rugueux) endoplasmique rugueux.
ARNm
ARNm ARNm
RE rugueux
Ribosome
libre
ARNm
en cours
ARNm
de traduction
en cours
Figure 2.11 – Synthèse des protéines sur un de traduction
Protéine
ribosome libre et sur le reticulum endoplas-
néosynthétisée
mique (RE) rugueux.
Les ARN messagers (ARNm) se fixent aux
ribosomes, initiant par-là la synthèse des
protéines. (a) Les protéines synthétisées sur
les ribosomes libres sont destinées au cyto-
sol. (b) Les protéines synthétisées sur le RE Nouvelle protéine
rugueux sont destinées à être transférées à associée à la membrane
une membrane. Les protéines associées aux
membranes sont insérées dans la membrane (a) Synthèse protéique (b) Synthèse protéique
dès leur assemblage. sur un ribosome libre sur le RE rugueux
Protéine
Reticulum endoplasmique nouvellement
rugueux (RE rugueux) synthétisée Appareil de Golgi
Figure 2.12 – L’appareil de Golgi.
Cet organite complexe est impliqué dans
la récupération des protéines nouvellement
synthétisées et dans leur adressage dans les
régions appropriées du neurone.
rugueux. C’est à ce niveau que les protéines qui sortent de la membrane seraient
soigneusement « repliées », ce qui leur confère leur structure tridimensionnelle.
D’autres régions du RE lisse ne sont pas impliquées dans la synthèse protéique
mais plutôt dans celle des lipides et agissent aussi pour contrôler les concentra-
tions internes de substances telles que le calcium (ceci est particulièrement vrai
pour les cellules musculaires, où le RE lisse représente le reticulum sarcoplas
mique, comme on le verra dans le chapitre 13).
L’ensemble des disques délimité par une membrane dans la partie du soma
la plus éloignée du noyau constitue l’appareil de Golgi, décrit pour la pre-
mière fois en 1898 par Camillo Golgi (Fig. 2.12). Il s’agit d’un site de traite-
2 – Neurones et cellules gliales 37
(a)
Membrane neuronale
La membrane neuronale délimite le pourtour cellulaire. Elle intervient pour
maintenir le cytoplasme à l’intérieur du neurone, mais elle joue aussi un rôle + O2 + CO2
pour contenir certaines substances hors du neurone. Cette membrane a environ
5 nm d’épaisseur et contient de nombreuses protéines. Certaines de ces protéines
associées de la membrane agissent pour maintenir un gradient, c’est-à-dire une
Acide
différence de concentration de différentes substances entre l’intérieur et l’exté- pyruvique
rieur du neurone. D’autres forment les pores, qui sélectionnent les substances Sources
pouvant pénétrer à l’intérieur du neurone. Une des caractéristiques importantes d’énergie
Protéines stockées
du neurone est la composition protéique de la membrane qui varie selon son Glucides
et fournies
appartenance au soma, aux dendrites ou encore à l’axone. Lipides
par l’alimentation
(b)
On ne peut comprendre la fonction des neurones sans connaître la structure
et les fonctions de la membrane et de ses protéines associées. Cet aspect est si
Figure 2.13 – Rôle de la mitochondrie.
important qu’il sera largement repris dans les quatre chapitres suivants : il s’agit, (a) Composants de la mitochondrie. (b) Res-
en fait, de comprendre comment la membrane donne aux neurones la faculté piration cellulaire. L’ATP représente l’énergie
remarquable de véhiculer et de transmettre les messages nerveux, non seulement utilisée par les neurones.
au travers du cerveau, mais également dans tout l’organisme.
Cytosquelette
Précédemment, nous avons comparé la membrane neuronale à la tente d’un
cirque, drapée au-dessus d’un échafaudage interne. Cet échafaudage représente
le cytosquelette, qui donne au neurone sa forme caractéristique. Les « os » de
ce cytosquelette sont constitués par les éléments caractéristiques que sont les
microtubules, les microfilaments et les neurofilaments (Fig. 2.14). Contrairement
à la tente du cirque, cependant, le cytosquelette n’est pas statique. Ses éléments
sont de fait sans cesse régulés et déterminent probablement des changements
permanents de la forme même du neurone. Cette notion est fondamentale et
s’oppose à une image de rigidité de la structure du système nerveux, encore trop
souvent répandue. Pour tout dire, en lisant cette phrase, il est vraisemblable que
vos neurones sont en train de se modifier…
38 1 – Bases cellulaires
Cône axonique
Axone
Jusque-là, nous avons exploré le soma, les organites, la membrane et le
cytosquelette, qui représentent des éléments structurels appartenant à toutes les
cellules du corps. À l’inverse, l’axone est une structure qui n’appartient qu’au
Collatérales neurone, hautement spécialisée dans la transmission de l’information dans le
axoniques
système nerveux.
L’origine de l’axone se situe dans une partie du neurone appelée le cône
Figure 2.15 – Axone et collatérales d’axone.
Un peu à la manière d’un fil électrique, l’axone axonique, qui s’amincit pour former le segment initial de l’axone (Fig. 2.15).
véhicule les messages nerveux à distance, Deux caractères importants distinguent l’axone du soma. Premièrement, le
dans le système nerveux. Le sens de la trans- RE rugueux ne s’étend pas dans l’axone et il ne s’y trouve peu, sinon pas, de
mission de l’information nerveuse est indiqué ribosomes libres. Deuxièmement, la composition protéique de la membrane de
par les flèches. l’axone est fondamentalement différente de celle du soma.
2 – Neurones et cellules gliales 39
Encadré 2.4 FOCUS
100 nm
Qu’est-ce qui peut être à l’origine des altérations de DNF et à la démence. Les espoirs thérapeutiques portent
la protéine tau ? Il n’y a pas encore de réponse claire à alors sur la possibilité de réduire les dépôts d’amyloïde
cette question mais l’attention se porte sur une autre dans le cerveau. Les besoins de trouver des solutions
protéine qui s’accumule dans le cerveau des patients thérapeutiques sont urgents : rien qu’aux États-Unis,
atteints de maladie d’Alzheimer, appelée protéine amy- plus de 5 millions de personnes sont atteintes de cette
loïde. Ce domaine de recherche est en perpétuelle évolu- maladie tragique1 !
tion et les choses bougent très vite. Aujourd’hui, le
consensus se fait sur l’hypothèse selon laquelle la pro-
duction anormale de la protéine amyloïde est l’une des 1. En France cette maladie touche plus de 850 000 per-
toutes premières phases du processus qui conduit aux sonnes et en Europe près de 5 millions, comme aux États-Unis.
2 – Neurones et cellules gliales 41
neurone établit un contact synaptique avec une autre cellule, on dit qu’il innerve
cette cellule.
Le cytoplasme de la terminaison axonique présente plusieurs différences avec
celui de l’axone. Premièrement, les microtubules ne s’étendent pas jusque dans
la partie terminale de l’axone. Deuxièmement, cette partie terminale contient de
nombreuses petites « billes » entourées de membrane, les vésicules synaptiques,
d’un diamètre de 50 nm, environ. Troisièmement, un revêtement particulière-
ment dense en protéines couvre la surface intérieure de la membrane qui fait
face à la synapse. Quatrièmement, une autre caractéristique de la terminaison
axonique est le nombre important de mitochondries que l’on y trouve, ce qui
révèle un grand besoin d’énergie.
Synapse. Les chapitres 5 et 6 sont entièrement consacrés à la transmission de
l’information d’un neurone à l’autre à travers la synapse. Nous n’en donnerons
ici qu’un bref aperçu.
La synapse présente deux éléments distincts, qualifiés de présynaptique et
de post-synaptique (Fig. 2.16). Ces termes indiquent le sens habituel du trajet
de l’information nerveuse, de la partie présynaptique vers la partie post-synap-
tique. L’élément présynaptique est généralement formé d’un bouton terminal,
alors que l’élément post-synaptique peut être représenté par une dendrite ou le
soma d’un autre neurone. L’espace situé entre la membrane présynaptique et la
membrane post-synaptique représente la fente ou espace synaptique. La trans-
mission de l’information d’un neurone à l’autre au niveau de la synapse constitue
une série d’opérations complexes déterminant la transmission synaptique.
Dans la plupart des synapses, l’information, sous forme d’impulsions élec-
triques se propageant jusqu’à l’extrémité de l’axone, est transformée dans le bou-
ton terminal en un signal chimique, qui permet le franchissement de l’espace
synaptique. Au niveau de la membrane post-synaptique, ce signal chimique est
en général à nouveau transformé sous forme d’un signal électrique. Le signal
chimique est lui-même représenté par un neurotransmetteur, stocké et libéré
par les vésicules synaptiques dans la partie présynaptique. Différents types de
neurotransmetteurs correspondent en général à différents types de neurones.
La transformation de l’information nerveuse, d’électrique à chimique puis,
dans un deuxième temps, de nouveau de chimique à électrique, donne aux neu-
rones une capacité d’intégration des informations nerveuses. Ces mécanismes
sont impliqués notamment dans les processus mnésiques et liés à l’apprentis-
sage. Le dysfonctionnement de la transmission synaptique est par ailleurs res-
ponsable de certains troubles neurologiques et mentaux. C’est aussi au niveau de
la synapse qu’agissent la plupart des drogues psychoactives.
Transport axoplasmique. L’absence de ribosomes est une des caractéris-
tiques du cytoplasme des axones, y compris la partie terminale. Puisque les
ribosomes sont impliqués directement dans la biosynthèse des protéines, en leur
absence la synthèse des protéines de l’axone n’a lieu que dans le soma ; puis elles
sont transportées jusqu’à l’extrémité de l’axone. C’est en fait dès le milieu du
xixe siècle que le physiologiste anglais Auguste Waller montra que les axones ne
pouvaient persister lorsqu’ils étaient séparés de leur soma. La dégénérescence
des axones qui suit leur section est ainsi dénommée dégénérescence wallérienne.
Comme celle-ci peut être mise en évidence par une coloration histologique
appropriée, elle est utilisée pour le traçage des voies nerveuses.
La dégénérescence wallérienne intervient car le flux normal de matériel,
notamment de protéines, apporté à partir du corps cellulaire vers les terminai-
sons axoniques, est interrompu. Ce transport de protéines à l’intérieur de l’axone
s’appelle le transport axoplasmique. Le transport axoplasmique a été démontré
pour la première fois dans les années quarante, par les expériences du neurobio-
logiste américain Paul Weiss et ses collègues. Ils découvrirent qu’en nouant un
fil autour d’un axone, des composants cytoplasmiques s’accumulaient du côté
de l’axone le plus proche du soma. En défaisant le nœud, ces composants conti-
nuaient à descendre dans l’axone à l’allure de 1 à 10 mm/j.
2 – Neurones et cellules gliales 43
Direction
du transport
axoplasmique
antérograde
Vésicule
Kinésine
Microtubules
44 1 – Bases cellulaires
Encadré 2.5 FOCUS
Dendrites
Le terme « dendrite » vient du mot grec qui signifie « arbre », indiquant que
ces neurites, dans leur extension depuis le soma, ont une configuration similaire
à celle des branches d’un arbre. L’arborisation dendritique désigne collective-
ment l’ensemble des dendrites d’un neurone ; chaque ramification constitue une
branche dendritique. Les arborisations dendritiques présentent une variété de
formes et de dimensions permettant de classer les neurones en différents groupes,
sur ce critère.
2 – Neurones et cellules gliales 45
Comme les dendrites représentent des sortes d’antennes du neurone, ils sont
couverts de centaines de synapses (Fig. 2.19). La membrane dendritique située
sous la synapse (la membrane post-synaptique) possède de nombreuses molé-
cules protéiques spécialisées, les récepteurs, représentant les sites d’action spéci-
fiques des neurotransmetteurs au niveau synaptique.
Les dendrites de nombreux neurones sont recouvertes de structures particu-
lières, les épines dendritiques, qui reçoivent certains types de synapses. Ces neu-
rones particuliers sont qualifiés de neurones épineux, les épines représentant de
petits diverticules couverts de synapses, disposés préférentiellement sur la partie
distale (éloignée du soma) des dendrites (Fig. 2.20). La morphologie particulière
des épines dendritiques a littéralement toujours fasciné les neurobiologistes et,
cela, depuis leur découverte par Cajal. Elles pourraient contribuer à l’intégration
de l’information nerveuse sous forme de cascades de réactions de signalisation
variées, initiées par certains types d’activation synaptique. De fait, la structure
des épines est sensible au type et à l’intensité de l’activation synaptique. De façon
intéressante, des altérations de la forme et du nombre d’épines dendritiques ont Figure 2.20 – Épines dendritiques.
été mises en évidence à partir de cerveaux de patients ayant souffert de troubles Cette figure représente une reconstruction
cognitifs (Encadré 2.6). tridimensionnelle d’un segment de dendrite
Le cytoplasme des dendrites est, quant à lui, en grande partie comparable à comportant des épines dendritiques, éla-
celui des axones. Il contient des éléments du cytosquelette et des mitochondries. boré par une analyse d’images automatisée.
Cependant, une différence intéressante concerne la présence de polyribosomes La variabilité dans la forme et dans la taille
des épines dendritiques est parfaitement
dans les dendrites, souvent situés juste sous une épine (Fig. 2.21). Cette décou-
visible sur cette représentation. Chaque épine
verte suggère la possibilité d’une régulation de la synthèse des protéines à ce
représente un site synaptique pour une ou
niveau par la transmission synaptique, dans quelques neurones. Dans le cha plusieurs terminaisons axoniques. (Source :
pitre 25, nous verrons combien, en fait, la régulation de la synthèse des protéines Harris et Stevens, 1989.)
est essentielle pour la mémorisation d’informations nouvelles.
Encadré 2.6 FOCUS
Les épines dendritiques reçoivent normalement les épines dendritiques, dépend de façon critique de l’envi-
informations afférentes au neurone, par l’ensemble des ronnement durant la petite enfance. Un environnement
synapses qui s’articulent à leur niveau. Purpura nota « appauvri » durant cette période « critique » du déve-
que les épines dendritiques des enfants retardés étaient loppement peut alors résulter en de sévères altérations
assez similaires à celles des fœtus. Il suggéra que le retard des circuits neuronaux. Cependant, il y a aussi de bonnes
mental reflétait l’impossibilité de la mise en place des nouvelles : la plupart des déficits engendrés par ces
connexions normales des réseaux neuronaux pendant le déprivations au cours du développement peuvent être
développement. Depuis ces travaux princeps, les trente réversés, si la compensation intervient suffisamment
années qui ont suivi ont permis d’établir que le dévelop- tôt ! Dans le chapitre 23, nous montrerons combien l’ex-
pement synaptique normal, incluant la maturation des périence peut influencer le développement cérébral.
Neurone en étoile
Cellule pyramidale
Figure 2.23 – Classification des neurones sur la base de l’organisation de leur arborisation den-
dritique.
Les cellules pyramidales et les cellules en étoile sont parfaitement identifiables sur la base de la
forme de leur arborisation dendritique ; ces deux types de neurones sont représentés au niveau du
cortex cérébral.
Cellules gliales
Dans ce chapitre, il a surtout été fait état des neurones. Cependant, même si ce
choix est justifié par le niveau des connaissances acquises dans ce domaine, cer-
tains scientifiques considèrent les cellules gliales un peu comme les « oubliées » des
neurosciences. Ces chercheurs pensent qu’il sera assez prochainement démontré
que les cellules gliales participent beaucoup plus au traitement de l’information
dans le cerveau qu’il n’est considéré habituellement. Actuellement, il paraît
ainsi évident que les cellules gliales contribuent au fonctionnement cérébral, en
étroite synergie avec la fonction neuronale. De fait, le rôle des cellules gliales
est peut-être secondaire mais, sans elles, le cerveau ne pourrait pas fonctionner
correctement.
50 1 – Bases cellulaires
Encadré 2.7 FOCUS
Parents X
ADN
Descendance
Figure A
Créer une souris présentant le knockout d’un gène sélectivement dans les neurones cholinergiques est réalisé en croisant une souris floxée avec
le gène d’intérêt (gène X) flanqué par deux sites loxP avec une autre souris chez laquelle la recombinase Cre est sous contrôle du promoteur du
gène de la ChAT. Chez les petits, le gène X est délété sélectivement dans les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire les neurones cholinergiques.
2 – Neurones et cellules gliales 51
d’illustration appelons ce gène X. Pour répondre à cette obtient une descendance exprimant le transgène seule-
question nous allons croiser la souris qui comporte le ment dans les neurones cholinergiques, puisque la
gène X floxé avec la souris qui exprime Cre sous le séquence « stop » a été supprimée seulement dans ces
contrôle du promoteur ChAT (la souris « ChAT-Cre »). neurones (Fig. B).
Chez les petits, le gène floxé est éliminé seulement dans Si nous préparons un transgène comportant une pro-
les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire seulement téine fluorescente, nous pouvons utiliser la fluorescence
dans les neurones cholinergiques (Fig. A). pour étudier les connexions de ces neurones choliner-
Il est également possible d’utiliser Cre pour per- giques. En supposant par exemple que le transgène
mettre l’expression d’un nouveau transgène dans les fluorescent n’est actif que lorsque le neurone lui-même
neurones cholinergiques. Normalement, l’expression est en activité, alors il est possible de monitorer l’activité
d’un transgène nécessite qu’il soit inclus dans la séquence des neurones cholinergiques en mesurant des flashes de
d’un promoteur, en amont de la région encodant pour la lumière émis par les neurones. Il est également possible
protéine ciblée. La transcription du transgène n’inter- d’envisager d’utiliser des transgènes qui tuent les neu-
vient pas si une séquence « stop » est insérée entre le rones cholinergiques ou encore qui les rendent inactifs.
promoteur et la séquence encodant pour la protéine. Il est dans ce cas possible d’aborder la fonction de ces
Considérons maintenant ce qui est susceptible d’arriver neurones ainsi mis hors circuit. Dès lors, il n’y a guère
lorsque nous générons une souris transgénique compor- que les limites de l’imagination des chercheurs qui
tant cette séquence « stop » flanquée de deux sites loxP. puissent limiter ce qu’il est possible de faire avec ce type
En croisant cette souris avec la souris « ChAT-Cre », on de technologie !
Parents X
ADN
Descendance
Figure B
Le transgène d’intérêt (transgène X) peut lui aussi être exprimé sélectivement dans les neurones cholinergiques. La première étape est de créer
une souris chez laquelle l’expression du transgène est bloquée par l’insertion d’une séquence stop floxée, située entre un promoteur ubiquitaire
et la région codante du gène. Dans une seconde étape, le croisement de cette souris avec la souris ChAT-Cre produit une descendance chez
laquelle la séquence stop a été supprimée sélectivement dans les neurones cholinergiques, ce qui permet l’expression du transgène seulement
dans ces neurones.
52 1 – Bases cellulaires
Astrocytes
Les cellules gliales les plus nombreuses sont les astrocytes (Fig. 2.24). Ces
cellules comblent l’espace situé entre les neurones. L’espace compris entre les
neurones et les astrocytes mesure environ 20 nm de large, seulement. En consé-
quence, l’extension ou la rétraction des neurites, dont il a été fait état, pourrait
étroitement dépendre des astrocytes. Ces cellules représentent ainsi l’essentiel de
l’environnement dans lequel « baignent » les neurones. Cet environnement est
plus formé par ces cellules que par un liquide présent dans l’espace intercellu-
laire, lequel se trouve, de ce fait, très réduit.
Les astrocytes participent à la régulation de la composition du milieu extra
cellulaire. Ainsi, les astrocytes forment une sorte d’enveloppe autour des jonc-
tions synaptiques (Fig. 2.25), contribuant à réduire la diffusion des molécules
Figure 2.24 – Représentation d’un astrocyte.
de neurotransmetteurs qui ont été libérées. Les astrocytes présentent aussi dans
Les astrocytes sont représentés en grand
nombre dans le système nerveux où ils leurs membranes des protéines spécifiques, qui leur permettent de capter acti-
occupent l’espace entre les neurones et les vement de nombreux neurotransmetteurs et autres molécules agissant dans l’es-
vaisseaux sanguins. pace synaptique. Il a été récemment démontré que les membranes des astrocytes
présentent également des récepteurs à certains neurotransmetteurs qui, comme
les récepteurs situés sur les neurones, peuvent générer des phénomènes élec-
triques et biochimiques dans les cellules gliales. Outre la régulation des taux de
neurotransmetteurs synaptiques, les astrocytes contrôlent aussi la concentration
extracellulaire de certaines substances qui pourraient empêcher le bon fonction-
nement des neurones ; telle la concentration des ions potassium dans le milieu
extracellulaire.
Oligodendrocytes
Feuillets
Axone de myéline
Cytoplasme Nœud
des oligodendrocytes de Ranvier Mitochondrie
Conclusion
L’étude des caractéristiques structurales du neurone laisse percevoir sa fonc-
tion et celles de ses différentes parties, car structure et fonction sont étroitement
corrélées. Par exemple, l’absence de ribosomes dans l’axone laisse supposer,
avec raison, que les protéines présentes dans la terminaison axonique sont pro-
duites dans le soma et transportées dans la terminaison nerveuse via le trans-
port axoplasmique. Le grand nombre de mitochondries dans la partie termi-
nale de l’axone illustre par ailleurs une grande demande d’énergie nécessaire au
fonctionnement synaptique. La structure élaborée de l’arborisation dendritique
paraît, quant à elle, particulièrement adaptée à la réception des informations par
le neurone : c’est en effet l’endroit où la plupart des synapses s’établissent.
Depuis l’époque de Nissl, il est établi que le RE rugueux représente un
élément important des neurones. Mais quelle en est la signification ? Le RE
rugueux est le site de la biosynthèse des protéines, notamment de celles associées
à la membrane. Ces différentes protéines de la membrane neuronale ont alors
été reconnues comme conférant seules au neurone sa faculté exceptionnelle de
recevoir, de transmettre et de stocker l’information nerveuse.
QUESTIONS DE RÉVISION
BASES IONIQUES
DU POTENTIEL DE REPOS
Potentiels d’équilibre.......................................................................... 67
Encadré 3.2 Bases théoriques L’équation de Nernst
Distribution des ions de part et d’autre de la membrane..................... 70
Perméabilité ionique relative de la membrane au repos....................... 71
Encadré 3.3 Bases théoriques L’équation de Goldman
Encadré 3.4 Les voies de la découverte De l’importance des canaux
ioniques dans ma vie,
par Chris Miller
Rôle fondamental de la régulation de la concentration de potassium
extracellulaire..................................................................................... 75
Encadré 3.5 Focus Mort par injection létale
CONCLUSION
INTRODUCTION
P
our aborder de façon relativement simple la question de la propagation
et de la transmission des informations nerveuses dans le système nerveux
central, prenons un exemple simple : posons-nous la question de savoir
à quel problème le système nerveux est confronté lorsque l’on marche inopiné-
ment sur une punaise (Fig. 3.1). La réaction est automatique : un cri de douleur
au moment où l’on se pique le pied et un retrait rapide pour éliminer la cause de
la douleur. Pour que cette réponse simple se produise, le percement de la peau
doit se traduire en signaux neuronaux, qui se propagent rapidement et sûrement
le long des nerfs sensoriels de la jambe. Au niveau de la moelle épinière, ces
signaux sont transmis aux interneurones. Certains de ces neurones sont connec-
tés avec les parties du cerveau qui interprètent les signaux comme étant de nature
douloureuse ; d’autres sont en rapport avec les neurones moteurs qui contrôlent
les muscles de la jambe, permettant de retirer le pied très rapidement. Ainsi, un
réflexe aussi simple que celui-là a recours au système nerveux pour recueillir,
distribuer et intégrer l’information. Un des buts de la neurophysiologie est de
comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de ces fonctions.
Pour transmettre l’information à distance, le neurone utilise des signaux élec-
triques qui se propagent le long de l’axone. En ce sens, les axones ressemblent
à des fils téléphoniques. Cependant l’analogie s’arrête là car le type de signaux
utilisé par le neurone est soumis à l’environnement particulier du système ner-
veux. Dans le fil de cuivre du téléphone, l’information est transportée sur de
longues distances, à grande vitesse (environ la moitié de la vitesse de la lumière)
car le fil téléphonique est un merveilleux conducteur d’électrons, bien isolé et
suspendu dans l’air (l’air étant mauvais conducteur d’électricité). Les électrons
se déplacent donc à l’intérieur du fil au lieu de disparaître en rayonnements.
En revanche, la charge électrique du cytosol de l’axone est transportée par des
atomes chargés électriquement, les ions, au lieu d’électrons libres. Le cytosol
est donc beaucoup moins conducteur que le fil de cuivre. De plus, l’axone n’est
pas particulièrement bien isolé, et il baigne dans un milieu extracellulaire salé,
conducteur d’électricité. Ainsi, si l’activité électrique se propageait passivement
le long de l’axone, elle ne tarderait pas à disparaître.
Par chance, la membrane neuronale présente des propriétés lui permet-
tant de transmettre un type particulier de signaux — l’impulsion nerveuse ou
potentiel d’action — qui surmontent ces contraintes biologiques. Comme nous
le verrons plus loin, le terme « potentiel » se réfère à une distribution différen-
tielle de charges électriques de part et d’autre de la membrane. À l’opposé des
signaux électriques qui se déplacent d’une façon passive, les potentiels d’action
ne s’altèrent pas avec la distance : ce sont des signaux d’amplitude et de durée
fixes. L’information est codée par la fréquence des potentiels d’action de chaque
neurone, ainsi que par la population particulière et le nombre de neurones qui
émettent des potentiels d’action dans un nerf donné. Ce code est semblable au
Morse utilisé en télégraphie ; le message est présent dans le pattern des potentiels
d’action. Les cellules susceptibles de générer des potentiels d’action, tant ner-
veuses que musculaires, ont une membrane excitable. Dès lors, le terme « action »
traduit bien des changements intervenant au niveau de la membrane du neurone.
Lorsqu’une cellule possédant une membrane excitable ne génère pas d’im-
pulsions, elle est dite « au repos ». Dans le neurone au repos, le cytosol de la
…
58 1 – Bases cellulaires
Vers le cerveau
Moelle
épinière
3
Corps cellulaire
d’un motoneurone
Corps cellulaire
d’un neurone sensitif
4
1
2
Axone d’un
neurone sensitif
Axone d’un
motoneurone
(a) H2O = O = +
–
+
H H
+ –
–
–
+
+
+
+ +
+
–
Na+ Cl–
–
+
+ + +
+ –
+
+ –
+
–
+
+
– +
– +
+ –
– + +
+
+ +
+
+ –
–
+
– +
+
+ –
– + – +
+ – + + – – +
+
+ +
+ +
–
– +
+ –
+ –
+
+
+
Na+
+
+
– +
+
– +
– +
Cl– +
–
+
Figure 3.2 – L’eau est un solvant polaire.
–
+ ++ – (a) Représentations de la structure atomique
Na+
+
+
Cl– +
+ –+
Na+
+ +
+
–
– +
Phospholipides membranaires
Comme mentionné ci-dessus, les substances présentant des charges élec-
triques vont se dissoudre dans l’eau à cause de la polarité de la molécule d’eau.
Ces substances comprenant des ions et des molécules polaires ont une « affi-
nité pour l’eau » ; elles sont qualifiées d’hydrophiles. Cependant, les composés
dont les atomes sont associés par des liens de covalence non polaires ne sont pas
susceptibles d’interactions avec l’eau. Un lien de covalence non polaire s’éta-
blit lorsque les électrons sont répartis uniformément dans la molécule, de sorte
qu’aucune partie ne prend une charge électrique nette. Ces composés ne sont
pas solubles dans l’eau ; ils n’ont pas d’affinité pour l’eau et sont ainsi qualifiés
d’hydrophobes. Pour prendre un exemple simple, l’huile d’olive est une substance
hydrophobe. L’huile et l’eau ne se mélangent pas. Plus généralement, les lipides
représentent un type de molécules insoluble dans l’eau, jouant un rôle important
dans la structure des membranes biologiques. Les lipides de la membrane du
neurone contribuent au potentiel de repos et au potentiel d’action en formant
une barrière, qui s’oppose au passage des ions solubles dans l’eau et, en fait, de
l’eau elle-même.
Les principaux constituants des membranes cellulaires sont les phospholi-
pides. Comme les autres lipides, les phospholipides se composent de longues
chaînes non polaires d’atomes de carbone liés à des atomes d’hydrogène. De plus,
les phospholipides comportent à une extrémité de la molécule un groupement
phosphate polaire (un atome de phosphore lié à trois atomes d’oxygène). Les
phospholipides présentent ainsi une « tête » polaire hydrophile et une « queue »
non polaire hydrophobe.
La membrane neuronale est constituée d’une double couche de molécules de
phospholipides. La coupe transversale de la membrane illustrée par la figure 3.3,
montre que les têtes hydrophiles font face à l’environnement aqueux interne et
externe, tandis que les longues chaînes hydrophobes se font face. Cette organi-
sation stable est dite en bicouche de phospholipides ; elle isole effectivement le
cytosol du neurone du milieu extracellulaire.
Figure 3.3 – Bicouche de phospholipides
La bicouche de phospholipides constitue l’élément principal de la structure de la membrane de la
cellule nerveuse et forme une barrière au passage des ions solubles dans l’eau.
Groupements phosphate
représentant la « tête »
polaire
Chaînes hydrocarbonées
constituant une « queue »
non polaire
Extérieur de la cellule
Bicouche
de phospholipides
Intérieur de la cellule
3 – Membrane du neurone au repos 61
Protéines
Le type des molécules protéiques et leur distribution cellulaire différen-
cient les neurones des autres types de cellules. Les enzymes, qui catalysent les
réactions chimiques dans le neurone, le cytosquelette, qui donne au neurone sa
forme particulière, les récepteurs, sensibles aux neurotransmetteurs : tous ces
constituants cellulaires se composent de molécules protéiques. Le potentiel de
repos et le potentiel d’action dépendent aussi de protéines particulières qui sont
incorporées dans la membrane et traversent la bicouche de phospholipides. Ces
protéines représentent des voies de passage sélectif que les ions utilisent pour
traverser la membrane.
Structure des protéines. Pour accomplir leurs nombreuses fonctions dans
le neurone, les protéines présentent une grande variété de forme, de taille et de
caractéristiques chimiques. Avant d’aborder leur diversité, il paraît nécessaire de
revenir brièvement sur la structure de ces protéines.
Comme on l’a vu dans le chapitre 2, les protéines sont des combinaisons de
20 acides aminés différents. La figure 3.4a illustre la structure de base d’un acide
aminé. Tous les acides aminés ont un atome central de carbone (le carbone α),
lié par covalence avec quatre groupes de molécules : un atome d’hydrogène, un
groupement aminé (NH3+), un groupement carboxyl (COO–) et un groupement
variable appelé le groupement R (R pour résidu). Les différences entre acides
aminés proviennent de la taille et de la nature de ces groupements R (Fig. 3.4b).
Les propriétés du groupement R déterminent les réactions chimiques auxquelles
chaque acide aminé peut participer.
La synthèse des protéines se fait dans les ribosomes, au niveau du corps
cellulaire. Dans ce processus, les acides aminés sont assemblés en une chaîne
formée par des liaisons peptidiques, qui associent le groupement aminé d’un
acide aminé au groupement carboxyl du suivant (Fig. 3.5a). Les protéines se
composant d’une seule chaîne d’acides aminés sont également dénommées
polypeptides (Fig. 3.5b).
La figure 3.6 illustre les quatre niveaux de structure d’une protéine. La struc-
ture primaire est comme une chaîne, dans laquelle les groupements R d’acides
aminés sont liés par des liaisons peptidiques. Cependant, tandis que la molé-
cule protéique est synthétisée, la chaîne polypeptidique peut s’enrouler en une
spirale appelée hélice alpha. L’hélice alpha est un exemple de structure secon-
daire d’une molécule protéique. Au sein des groupements R, les interactions
peuvent provoquer des modifications encore plus poussées de la morphologie
tridimensionnelle de la molécule. Ainsi, les protéines peuvent se courber, se plier
et prendre une forme globulaire. Cette forme particulière, propre à chaque pro
téine, est qualifiée de structure tertiaire. Enfin, différentes chaînes de polypeptides
peuvent s’associer pour former une molécule plus importante : cette protéine
présente alors une structure quaternaire. Dans ce cas, chacun des polypeptides
entrant dans la composition d’une protéine comportant une structure quater-
naire est qualifié de sous-unité.
Protéines canaux. La surface exposée d’une protéine peut être chimique-
ment hétérogène. Les parties présentant des groupements R non polaires exposés
sont de caractère hydrophobe et auront tendance à s’associer rapidement avec
les lipides. Les régions comportant des groupements R polaires exposés sont de
caractère hydrophile et auront tendance à éviter l’environnement de lipides. En
conséquence, il est facile d’imaginer des types de protéines en forme de bâtonnet,
avec des groupements polaires à chaque extrémité et des groupements hydro-
phobes seulement au centre de la molécule. Lorsqu’il est incorporé dans une
bicouche de phospholipides, ce type de protéines voit donc sa partie hydrophobe
tournée vers l’intérieur de la membrane et ses deux pôles hydrophiles exposés à
l’environnement aqueux, de part et d’autre de la membrane.
Les canaux ioniques se forment à partir de molécules protéiques de ce type, qui
traversent la membrane. De façon caractéristique, un canal fonctionnel à travers
la membrane correspond à un assemblage de 4 à 6 molécules protéiques sem-
blables, qui forment un pore (Fig. 3.7). La composition des sous-unités varie d’un
type de canal à l’autre et détermine aussi leurs propriétés spécifiques. La sélectivité
62 1 – Bases cellulaires
H
+H –
3N C COO
(a)
H H H H H
+H – +H C COO– +H – +H – +H –
3N C COO 3N 3N C COO 3N C COO 3N C COO
CH CH2 H C CH3 CH2 CH2
H3C CH3 CH CH2 CH2
H3C CH3 CH3 S
CH3
H H H H H H H
+H – +H – +H – +H – +H – +H – +H C COO–
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N
H H H H H H H H
+H +H C COO–
3N
+H – +H – +H – +H – +H – +H – –
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 2N C COO
H CH3 CH2 CH2 H C OH CH2 H2C CH2 CH2
SH OH CH3 CH2 C CH
NH
OH
(b)
ionique, déterminée par le diamètre du pore et la nature des groupements R qui les
tapissent, est une des propriétés importantes de la plupart des canaux ioniques. Il
existe des canaux potassiques, qui sont sélectivement perméables aux ions K+. De
même, les canaux sodiques sont perméables aux ions Na+, les canaux calciques
aux ions Ca2+ et ainsi de suite. Le mécanisme d’ouverture (ou d’activation) des
canaux ioniques (en anglais gating) est une autre propriété importante de la plu-
part de ces canaux. Les canaux qui possèdent cette propriété peuvent s’ouvrir ou
se fermer, en d’autres termes faire fonctionner ce mécanisme d’ouverture, selon
des modifications du microenvironnement local de la membrane.
Ce thème très important sera approfondi dans les chapitres suivants, mais
il est d’ores et déjà essentiel de retenir que la compréhension du rôle des canaux
ioniques dans la membrane neuronale est la clé de la neurophysiologie cellulaire.
3 – Membrane du neurone au repos 63
Liaison peptidique
H R2 H R2 H R4
+H
3N C C N C COO– +H
3N C C N C C N C C N C COO–
R1 O H R1 O H H O H R3 O H H
(a) (b)
Acides aminés
Sérine
Sérine
Leucine
(a)
(c)
Sous-unités
Hélice α
(b)
Figure 3.6 – Structure des protéines.
(a) Structure primaire : elle est représentée par la séquence des acides ami-
nés constituant le polypeptide. (b) Structure secondaire : enroulement du
polypeptide en hélice α. (c) Structure tertiaire : repliement tridimensionnel
du polypeptide. (d) Structure quaternaire : plusieurs polypeptides s’asso-
(d)
cient pour former une protéine plus grosse (polymère).
Milieu extracellulaire
Sous-unité
polypeptidique
Cl– Diffusion
Les ions et les molécules en solution dans l’eau sont constamment en mou-
vement. Ce mouvement erratique dépendant de la température a cependant
tendance à répartir les ions uniformément dans la solution. Ainsi se forme un
(b)
mouvement d’ions, depuis les régions de forte concentration vers les régions de
plus faible concentration ; ce mouvement s’appelle la diffusion. Pour prendre un
exemple concret, si on ajoute une cuillère de lait dans une tasse de thé chaud, le
lait va tendre à se diluer uniformément dans le thé. Si l’énergie thermique de la
dissolution diminue, comme avec du thé glacé, la diffusion des molécules de lait
Na+ Na+ sera considérablement plus longue.
Bien que les ions ne soient pas de nature à traverser directement la bicouche de
phospholipides, la diffusion va tendre à les pousser à travers les canaux situés dans
la membrane. Par exemple, si NaCl est en solution dans le milieu d’un seul côté
Cl– Cl–
d’une membrane comportant des canaux qui permettent le passage de Na+ et Cl–,
les ions Na+ et Cl– vont traverser jusqu’à ce qu’ils soient uniformément répartis
des deux côtés de la membrane (Fig. 3.8). Comme dans l’exemple précédent, le
lait dans le thé, les ions vont se déplacer clairement d’une région de forte concen-
(c) tration vers une région de faible concentration (voir pour révision l’Encadré 3.1
sur les mesures de concentration). La différence entre les concentrations s’appelle
Figure 3.8 – Diffusion.
(a) Une solution de NaCl a été dissoute dans
la partie gauche d’un compartiment séparé Encadré 3.1 BASES THÉORIQUES
par une membrane imperméable. La taille
des lettres Na+ et Cl– indique la concentra-
tion relative de ces ions. (b) Des canaux per-
mettant le passage des ions Na+ et Cl– ont Révision des moles et de la molarité
été insérés dans la membrane. À cause de
la forte différence de concentration (gradient La concentration des substances Une solution millimolaire (1 mM)
de concentration) existant entre les deux représente le nombre de molécules contient 0,001 mole par litre. L’abré
compartiments, les ions Na+ et Cl– vont pas- par litre de solution. Le nombre de viation qui représente la concen
ser des régions de forte concentration vers molécules est exprimé généralement tration s’écrit conventionnel lement
les régions de plus faible concentration, de
en moles. Une mole représente entre crochets. [NaCl] = 1 mM et se
la gauche vers la droite. (c) En l’absence
6,02 × 1023 molécules. Une solution lit : « La concentration de la solution
d’autres facteurs, le déplacement des ions
à travers la membrane cessera lorsque les est dite molaire (1 M) lorsque la de NaCl est de 1 millimolaire ».
concentrations de part et d’autre de cette concentration est d’une mole par litre.
membrane perméable seront égales.
3 – Membrane du neurone au repos 65
Bases ioniques
du potentiel de repos
Le potentiel de membrane — ou voltage de la membrane — d’un neurone est
représenté par le symbole Vm. Il peut être mesuré en introduisant une micro
électrode dans le cytosol. Une microélectrode est le plus souvent constituée d’un
tube de verre très fin, possédant une extrémité effilée obtenue par étirage à chaud
(0,5 µm de diamètre) qui pénètre dans la membrane d’un neurone avec le mini-
mum de lésion. Ce tube est rempli d’une solution conductrice de l’électricité et
connecté à un appareil appelé voltmètre. Le voltmètre mesure la différence de
potentiel entre l’extrémité de cette microélectrode et une deuxième électrode pla-
cée en dehors de la cellule (Fig. 3.11). Cette méthode permet de montrer que la
charge électrique n’est pas équivalente de part et d’autre de la membrane neuro-
nale. L’intérieur du neurone est négatif par rapport à l’extérieur. Cette différence
constante représente le potentiel de repos et se maintient tant que le neurone ne
génère pas de potentiel d’action.
Voltmètre
Terre
Microélectrode
En général, le potentiel de membrane d’un neurone au repos est d’envi- Intérieur Extérieur
ron – 65 millivolts (1 mV = 0,001 volts). Ce potentiel de repos négatif de la de la cellule de la cellule
membrane interne du neurone, Vm = – 65 mV, est une des conditions indispen-
sables au fonctionnement du système nerveux. L’origine de ce potentiel négatif
K+
de la membrane est liée à la nature des ions en présence et à la façon dont ils se
répartissent à l’intérieur et à l’extérieur du neurone. K+
Potentiels d’équilibre
Considérons une cellule hypothétique dont l’intérieur est séparé de l’exté-
rieur par une membrane de phospholipides pure, ne comportant aucune proté-
A– A–
force électrique qui ramène les ions K+ à l’intérieur équilibre exactement la force – +
A–
de diffusion qui les pousse à l’extérieur. Un état d’équilibre se crée, dans lequel les
– + A–
forces électrique et de diffusion sont opposées et égales, et dans ces conditions le
déplacement des ions K+ à travers la membrane s’arrête (Fig. 3.12c). Le potentiel – +
d’équilibre ionique, ou plus simplement potentiel d’équilibre, est la différence de – +
potentiel qui compense exactement un gradient de concentration ionique ; il est – +
représenté par le symbole Eion. Dans l’exemple ci-dessus relatif aux ions potas-
(c)
siques, le potentiel d’équilibre sera d’environ – 80 mV.
L’exemple illustré par la figure 3.12 montre qu’il est assez facile de générer Figure 3.12 – Établissement d’un équilibre
une différence de potentiel constante à travers la membrane. Un gradient de au travers d’une membrane sélectivement
concentration ionique et une perméabilité ionique sélective sont des éléments perméable.
suffisants. Avant d’examiner ce qui se passe avec de véritables neurones, quatre (a) Une membrane imperméable sépare deux
remarques importantes peuvent être faites à partir de cet exemple. compartiments dont l’un contient une très forte
concentration de sels (« intérieur ») et l’autre une
1. De grandes variations du potentiel membranaire sont le résultat de très faibles faible concentration (« extérieur »). (b) L’inser-
modifications de la concentration ionique. Dans l’exemple de la figure 3.12, tion dans cette membrane de canaux sélective-
l’insertion des canaux potassiques a permis l’écoulement des ions K+ hors de ment perméables aux ions K+ induit d’abord un
la cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire passe de 0 mV au potentiel déplacement de ces ions du compartiment le
d’équilibre de ces ions, c’est-à-dire – 80 mV. Cependant, il est notable que plus concentré vers le moins concentré, selon
cette redistribution ionique n’a affecté que faiblement les concentrations de le gradient de concentration ; ici de la gauche
K+ de part et d’autre de la membrane. Pour une cellule de 50 µm de diamètre, vers la droite. (c) L’accumulation des charges
contenant 100 mM de K+, il peut être établi qu’une modification de concen- positives à l’extérieur et de charges négatives
à l’intérieur tend à ralentir le déplacement des
tration d’environ 0,00001 mM est suffisante pour faire passer la membrane
ions K+ de l’intérieur vers l’extérieur. Un équi-
de 0 à – 80 mV. C’est-à-dire que, lorsque les canaux ont été insérés et que les
libre s’établit de telle façon que le déplacement
ions K+ ont migré jusqu’au point d’équilibre, la concentration interne de K+ des ions à travers la membrane s’arrête, contri-
est passée de 100 mM à 99,99999 mM, ce qui représente une différence de buant alors à établir une différence de charge
concentration négligeable. électrique entre les deux côtés.
68 1 – Bases cellulaires
Égal Égal Égal 2. La différence de charge électrique s’opère à la fois sur les surfaces interne et
+,– +,– +,– externe de la membrane. La bicouche de phospholipides est si fine (moins de
5 nm d’épaisseur) qu’une interaction de type électrostatique s’opère entre les
+ – + – + – + – ions situés de chaque côté. De fait, la membrane peu conductrice se com-
– + – + + porte comme une capacité électrique. Ainsi, les charges négatives à l’intérieur
+ + –
– + du neurone et les charges positives à l’extérieur sont mutuellement attirées
+ – +
– – + – + vers la membrane cellulaire, un peu comme, par une chaude soirée d’été, les
+ moustiques sont attirés vers une fenêtre par une lampe éclairée de l’intérieur.
– + – + –
+ –
– – De même, la charge négative à l’intérieur de la cellule n’est pas distribuée de
+ – + – +
+ + – façon uniforme dans le cytosol : elle est plutôt localisée sur la face interne de
– +
+ – + + – la membrane (Fig. 3.13). Cette propriété de la membrane s’appelle la capa-
– + +
– citance.
+ – – + – + –
– + – 3. La quantité d’ions transportés ainsi que la vitesse de transport des ions à travers
– + – + –
la membrane sont proportionnelles à la différence entre le potentiel membra-
Cytosol Milieu naire et le potentiel d’équilibre. Comme cela apparaît sur la figure 3.12, une
extracellulaire fois les canaux insérés, le mouvement de K+ ne s’établit que si le potentiel
Membrane
membranaire et le potentiel d’équilibre diffèrent. La différence entre le poten-
Figure 3.13 – Distribution des charges élec tiel membranaire réel et le potentiel d’équilibre (Vm – Eion) pour un ion parti-
triques de part et d’autre de la membrane. culier s’appelle la force électromotrice. Ce thème sera à nouveau abordé dans
Parce que la membrane est extrêmement fine, les chapitres 4 et 5, en étudiant le déplacement des ions à travers la membrane
les charges situées de part et d’autre sont en au cours du potentiel d’action et de la transmission synaptique.
interaction électrostatique ; ceci contribue à
favoriser la distribution des charges électriques 4. Quand, pour un ion particulier, la différence de concentration entre les deux
de chaque côté de la membrane, l’intérieur côtés de la membrane est connue, il est facile de calculer le potentiel d’équi-
étant négatif par rapport à l’extérieur. Dans ces libre. Dans l’exemple de la figure 3.12, la concentration de K+ était supposée
conditions, tant le cytosol que le milieu extra- plus importante à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur. En partant de cette
cellulaire est électriquement neutre. donnée, il a pu être déduit que le potentiel d’équilibre serait négatif si les
membranes étaient sélectivement perméables à K+. Pour prendre un autre
exemple, avec une concentration de Na+ plus forte à l’extérieur de la cellule
(Fig. 3.14), si la membrane contenait des canaux sodiques, Na+ s’écoulerait
selon le gradient de concentration vers l’intérieur de la cellule. L’entrée d’ions
chargés positivement amènerait le cytosol situé près de la surface interne
de la membrane à se charger positivement. L’intérieur de la cellule, chargé
positivement, ralentirait alors le flux des ions Na+ en tendant à les ramener
en arrière, à travers les canaux. À une différence de potentiel donnée, la force
électrique qui repousse les ions Na+ compenserait exactement la force de
diffusion qui les pousse à l’intérieur. Dans cet exemple, le potentiel membra-
naire à l’équilibre serait positif à l’intérieur de la cellule.
Les exemples des figures 3.12 et 3.14 démontrent que, si la différence de
concentration ionique à travers la membrane est connue, il est alors possible de
calculer le potentiel d’équilibre pour chaque ion. Supposons que la concentra-
Figure 3.14 – Autre exemple d’établissement tion des ions Ca2+ soit plus élevée à l’extérieur de la cellule et que la membrane
d’un équilibre au travers d’une membrane soit sélectivement perméable à Ca2+. Peut-on dire si l’intérieur de la cellule sera
sélectivement perméable. positif ou négatif au point d’équilibre ? Qu’en est-il par ailleurs en supposant
(a) Une membrane imperméable sépare deux
que la membrane soit sélectivement perméable à Cl– et que la concentration de
compartiments, l’un de forte concentration en
sels (« extérieur »), l’autre de faible concen-
tration (« intérieur »). (b) L’insertion dans la
membrane de canaux sélectivement per-
Intérieur Extérieur
méables aux ions Na+ résulte initialement en
de la cellule de la cellule
un déplacement des ions Na+ au travers de
la membrane, selon le gradient de concentra-
tion ; ici, de la droite vers la gauche. (c) L’ac- + – + –
+ –
cumulation de charges positives à l’intérieur Na+
et de charges négatives à l’extérieur, tend à
Na+ Na+ Na+ Na+ Na+
ralentir le mouvement des ions Na+ de l’ex- + –
térieur vers l’intérieur. Un équilibre s’établit + – + –
alors, de telle manière que le déplacement A– + –
A– A– A– A– –
des ions Na+ s’arrête, conduisant à l’établis- + – A
sement d’une différence de charges entre les + –
+ –
deux côtés de la membrane ; dans ce cas, + –
l’intérieur de la cellule est chargé positivement
par rapport à l’extérieur. (a) (b) (c)
3 – Membrane du neurone au repos 69
Cl– soit plus forte à l’extérieur de la cellule ? (dans ces exemples, attention à la
charge ionique !).
Les exemples précédents montrent qu’il existe un potentiel d’équilibre pour
chaque ion, correspondant au potentiel de membrane qui serait obtenu si les
membranes n’étaient perméables qu’à cet ion seulement. Ainsi peut-on parler
du potentiel d’équilibre du potassium, EK ; du potentiel d’équilibre du sodium,
ENa ; du potentiel d’équilibre du calcium, ECa, etc. Enfin, connaissant la charge
électrique d’un ion et la différence de concentration entre les deux côtés de la
membrane, il est possible de déduire que l’intérieur de la cellule sera positif ou
négatif au point d’équilibre. En fait, la valeur exacte du potentiel d’équilibre en
mV peut être calculée en utilisant une équation basée sur des principes de chimie
physique, l’équation de Nernst, qui prend en compte la charge de l’ion, la tem-
pérature et le rapport entre les concentrations ioniques intérieure et extérieure.
L’équation de Nernst permet de calculer la valeur du potentiel d’équilibre d’un
ion donné. Par exemple, si la concentration de K+ est 20 fois plus élevée à l’inté-
rieur d’une cellule par rapport à la concentration externe, l’équation de Nernst
s’écrit : EK = – 80 mV (Encadré 3.2).
L’équation de Nernst
On peut calculer le potentiel d’équilibre d’un ion en À la température du corps (37 °C), l’équation de
utilisant l’équation de Nernst : Nernst pour les ions les plus importants, K+ , Na+, Cl– et
RT [ ion ]e Ca2+, s’écrit plus simplement :
E ion = 2,303 log [ K + ]e
zF [ ion ]i E k = 61,54 mV log +
[ K ]i
dans laquelle :
[ Na + ]e
Eion = potentiel d’équilibre de l’ion E Na = 61,54 mV log
[ Na + ]i
R = constante gazeuse
[ Cl − ]e
T = température absolue E Cl = − 61,54 mV log
[ Cl − ]i
z = charge de l’ion
[ Ca 2 + ]e
F = constante de Faraday E Ca = 30,77 mV log
[ Ca 2 + ]i
log = logarithme de base 10
[ion]e = concentration ionique à l’extérieur de la cel- Pour calculer le potentiel d’équilibre d’un ion donné
lule à la température du corps, il suffit par conséquent de
[ion]i = concentration ionique à l’intérieur de la cel- connaître les concentrations ioniques de part et d’autre
lule de la membrane. Par exemple, dans la figure 3.12, il est
stipulé que la concentration de K+ est dix fois plus élevée
L’équation de Nernst repose sur les principes de à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur :
base de la chimie physique. Rappelons que le point
De ce fait, si
d’équilibre résulte de deux influences : la diffusion, qui [ K + ]e 1 1
assure le mouvement des ions selon le gradient de = et log = − 1,3
[ K + ]i 20 20
concentration, et la charge électrique par laquelle les
ions de charge opposée sont attirés et ceux de charge de alors EK = 61,54 mV × – 1,3 = – 80 mV.
même type, repoussés. L’élévation de l’énergie ther- Notez que, dans l’équation de Nernst, il n’y a pas de
mique de chaque particule accroît la diffusion et, par prise en compte de la perméabilité ou de la conductance
voie de conséquence, la différence de potentiel obtenue ionique. De ce fait, calculer la valeur de Eion ne nécessite pas
au point d’équilibre. Eion est donc proportionnel à T. que l’on connaisse le niveau de perméabilité ou de sélectivité
Par ailleurs, l’augmentation de la charge électrique de de la membrane pour l’ion en question. Il existe un potentiel
chaque particule diminue la différence de potentiel d’équilibre pour chaque ion présent au niveau du milieu
nécessaire pour équilibrer la diffusion. Eion est donc intra et extracellulaire. Eion représente le potentiel de
inversement proportionnel à la charge de l’ion (z) ; il membrane qui compense tout juste le gradient de concen-
n’est pas nécessaire de tenir compte de R et F, qui sont tration de cet ion, de telle manière qu’aucun courant ionique
des constantes. ne soit généré si la membrane est perméable à cet ion.
70 1 – Bases cellulaires
Milieu
extérieur Milieu intérieur
Rapport Eion
Milieu extérieur Milieu intérieur
extérieur/intérieur (à 37 °C)
Na+
Na+ K+
K+
Na+
Na+
+
K+ Na+ K
Na+
Figure 3.16 – Pompe à sodium-potassium.
Cette protéine associée à la membrane trans-
Membrane
porte les ions à travers la membrane, contre
Cytosol un gradient de concentration. Elle utilise de
l’énergie pour effectuer ce transport.
La pompe calcium est aussi une enzyme, qui transporte activement les ions
Ca2+ en dehors du cytoplasme, à travers la membrane cellulaire. Des mécanismes
additionnels réduisent la concentration intracellulaire de calcium ionisé à un
niveau très faible (0,0002 mM), impliquant des protéines qui lient le calcium et
divers organites intracellulaires, tels que les mitochondries et les différents types
de reticulum endoplasmique qui séquestrent des ions calciques cytosoliques.
Les pompes ioniques sont les héros méconnus de la neurophysiologie cel-
lulaire ; elles travaillent à l’arrière-plan pour assurer l’existence et le maintien
des gradients de concentration ionique. Ces protéines n’ont pas le prestige des
canaux ioniques mais sans elles le cerveau ne pourrait pas fonctionner.
L’équation de Goldman
Si la membrane d’un neurone était seulement per- Vm étant le potentiel membranaire, PK et PNa repré-
méable aux ions K+, le potentiel de repos serait égal à sentant respectivement les perméabilités relatives ; les
EK, soit environ – 80 mV. En réalité, le potentiel de repos autres termes étant les mêmes que ceux de l’équation de
de la membrane d’un neurone est d’environ – 65 mV. Nernst.
Cette différence s’explique par le fait que les neurones Si la perméabilité ionique de la membrane au repos
au repos ne sont pas exclusivement perméables aux pour K+ est 40 fois supérieure à celle de Na+, en uti-
ions K+ ; il existe aussi une certaine perméabilité aux lisant les concentrations de la figure 3.15, l’équation de
ions Na+. En d’autres termes, la perméabilité relative de Goldman s’écrit :
la membrane neuronale au repos est plutôt élevée pour
40 (5) + 1 (150)
K+ et plutôt basse pour Na+. Si la valeur des perméabi- Vm = 61,54 mV log
lités relatives est connue, il est alors possible de calculer 40 (100) + 1 (15)
le potentiel membranaire au point d’équilibre en utili- 350
= 61,54 mV log
sant l’équation de Goldman. Soit, pour une membrane 4 015
perméable seulement à Na+ et K+ à 37 °C : = − 65 mV
P [ K + ]e + PNa [ Na + ]e
Vm = 61,54 mV log K
PK [ K + ]i + PNa [ Na + ]i
Canal
potassium
Milieu Shaker
Membrane
extracellulaire
Membrane
Cytosol
Boucle située
au niveau du pore
(a)
(b)
Pour ma part, je n’ai jamais considéré la sur la façon dont ils fonctionnaient et pro-
recherche comme un travail mais plutôt duisaient de l’électricité. Parallèlement, au
comme un jeu. Ainsi, démarrer un nouveau fur et à mesure que je découvrais ce monde,
projet, aussi futile soit-il, m’a toujours paru j’étais submergé de données et horrifié par
un plaisir plutôt égoïste. Et ce n’est que plus la complexité des cellules vivantes. En parti-
tard qu’interviennent les difficultés, sous culier, l’interprétation des données de l’ex-
forme de recherche de financement, de sueur périmentation n’était le plus souvent pas
et de doutes en tous genres, nécessaires pour univoque, notamment au regard d’expé-
attaquer ces problèmes – et parfois résoudre Chris Miller riences réalisées sur des membranes isolées.
ces questions – que nous fournit la nature. C’est ainsi que C’est cette combinaison de fascination et d’horreur face
j’ai passé les 40 dernières années de ma vie avec le plus à cette complexité du vivant qui m’a conduit à m’inté-
fascinant des jouets : les canaux ioniques, ces protéines resser à des membranes artificielles de composition bien
transmembranaires qui font réellement l’activité des neu- définie, développées dans les années 1960 par Paul
rones sous forme de signal électrique. Si l’on considère Mueller. Ces modèles permettaient alors d’envisager
que le cerveau est un peu comme un ordinateur – ce qui d’analyser les caractéristiques de ces protéines particu-
est inexact mais permet une métaphore – alors les canaux lières sorties de leur monde si complexe. J’ai donc tra-
ioniques sont un peu comme des transistors. En réponse vaillé sur une méthode permettant d’insérer ces canaux
aux contraintes biologiques, ces minuscules pores for- ioniques dans des membranes artificielles, et j’ai utilisé
ment des systèmes de diffusion pour les ions Na+, K+, les membranes ainsi équipées de canaux pour enregis-
Ca2+, H+ et Cl–, qui transportent les charges électriques trer l’activité des canaux potassiques au moment même
au travers de la membrane, génèrent et transportent le où commençaient à se développer les méthodes d’enre-
signal nerveux. Je suis littéralement tombé amoureux de gistrement par patch-clamp. Je confesse aujourd’hui que
ces protéines lorsque je me suis accidentellement inté- je m’amusais un peu avec mes premiers enregistre-
ressé à un type de canaux potassiques, alors que je tentais ments… Pouvoir ainsi observer et modifier l’activité de
d’isoler une protéine tout à fait différente, une enzyme simples protéines juste devant mes yeux en temps réel
sensible au calcium. Et au fil des années cet amour s’est était — et reste — tout simplement fascinant !
considérablement développé, à tel point que j’ai mainte- Accessoirement, cette forme de jeu m’a donné l’oc-
nant une vraie collection de ces fascinantes protéines. casion de comprendre qu’il est possible d’aborder des
Ma formation initiale en physique, suivie d’une expé- questions de grande complexité par une approche
rience en tant que professeur de mathématiques dans un quelque peu réductionniste. Au milieu des années 1980,
lycée, m’a permis ensuite d’intégrer une formation doc- j’ai eu la chance d’avoir dans mon laboratoire des
torale dans les années 1970, jusqu’à développer mon post-doctorants de talent – Gary Yellen, Rod MacKinnon
propre laboratoire à Brandeis University, sans réelle for- et Jacques Neyton, parmi d’autres – qui travaillaient sur
mation en neurobiologie ou en électrophysiologie. C’est la sélectivité ionique de différentes catégories de canaux
en parcourant la littérature et grâce à mon entourage à potassiques. Les questions étaient alors de savoir com-
l’université que j’ai pu m’imprégner de cette culture et ment différencier des ions aussi similaires que les ions
que j’ai été de plus en plus fasciné par les canaux potassiques ou les ions sodiques ; et comment cette
ioniques. À cette époque, nous n’avions que peu d’idées sélectivité ionique se maintenait lorsque les neurones
3 – Membrane du neurone au repos 75
Tel est le cas chez une lignée de souris dénommée Weaver. Ces animaux ont les
plus extrêmes difficultés à maintenir leur posture et à se mouvoir correctement. La
mutation a été identifiée comme portant sur un seul acide aminé de la boucle du
pore d’un canal potassique exprimé sélectivement dans un type de neurone par-
ticulier du cervelet, une région de l’encéphale impliquée de façon critique dans la 20
Potentiel de membrane (mV)
coordination motrice. La conséquence principale de cette mutation est que les ions 0
Na+ et K+ passent indifféremment par le canal. L’augmentation de la conductance
– 20
sodique se traduit par un potentiel de repos moins négatif que la normale, altérant
par là le fonctionnement de la membrane (d’ailleurs, ce potentiel de membrane – 40
aux valeurs négatives anormales dans ces neurones est considéré comme à l’ori- – 60
gine de leur mort prématurée). Au cours de ces dernières années, il est ainsi devenu
– 80
évident qu’un certain nombre de maladies neurologiques transmises héréditaire-
ment, comme certaines formes d’épilepsie notamment, pourraient être expliquées – 100
1 10 100
par des mutations de canaux potassiques spécifiques. [K+]o (mM)
Figure 3.19 – Dépendance du potentiel de
membrane de la concentration extracellu
Rôle fondamental de la régulation laire de potassium.
de la concentration de potassium extracellulaire Parce que la membrane neuronale au repos
est principalement perméable aux ions potas-
La membrane du neurone au repos étant essentiellement perméable à K+, sium, une variation de concentration de K+ de
le potentiel membranaire est proche de EK. Pour la même raison, le potentiel 10 fois, de 5 à 50 mM, provoque une dépo-
membranaire est particulièrement sensible aux variations de la concentration de larisation de la membrane de 48 mV. Cette
potassium extracellulaire. La figure 3.19 illustre cette relation. Une augmentation fonction est établie par l’équation de Goldman
de dix fois de la concentration extracellulaire des ions potassium, de 5 à 50 mM, (voir Encadré 3.3).
76 1 – Bases cellulaires
Encadré 3.5 FOCUS
Conclusion
En étudiant les mécanismes du maintien du potentiel de la membrane du
neurone au repos, il apparaît que l’activation de la pompe sodium-potassium
produit et maintient à travers la membrane un gradient de concentration d’ions
potassium important. La membrane neuronale au repos est largement per-
méable à ces ions K+, grâce à la présence des canaux potassiques. Compte tenu
de ce gradient de concentration existant au travers de la membrane, l’intérieur
du neurone est négatif par rapport à l’extérieur.
La différence de potentiel électrique existant à travers la membrane est ainsi
comparable à celle d’une batterie de voiture dont la charge serait maintenue par
le travail des pompes ioniques. Le chapitre suivant est ainsi consacré à l’étude des
mécanismes qui font que cette énergie électrique parcourt notre cerveau.
QUESTIONS DE RÉVISION
PROPRIÉTÉS
DU POTENTIEL D’ACTION
Différentes phases du potentiel d’action............................................. 80
Déclenchement du potentiel d’action.................................................. 80
Encadré 4.1 Bases théoriques Méthodes d’enregistrement
du potentiel d’action
Déclenchement d’une salve de potentiels d’action............................... 82
Enregistrements optogénétiques : contrôle de l’activité neuronale
par la lumière..................................................................................... 83
Encadré 4.2 Les voies de la découverte La découverte
des channelrhodopsines,
par Georg Nagel
POTENTIEL D’ACTION :
LA THÉORIE
Courants et conductances membranaires............................................ 86
Complexité du potentiel d’action........................................................ 87
POTENTIEL D’ACTION :
LA RÉALITÉ
Canaux sodiques dépendants du potentiel.......................................... 90
Encadré 4.3 Bases théoriques Méthode du patch-clamp
Canaux potassiques dépendants du potentiel..................................... 96
Potentiel d’action : vue d’ensemble..................................................... 96
PROPAGATION
DU POTENTIEL D’ACTION
Facteurs influençant la vitesse de propagation.................................... 99
Myéline et conduction saltatoire......................................................... 100
Encadré 4.4 Focus Anesthésie locale
Encadré 4.5 Focus Sclérose en plaques, maladie démyélinisante
POTENTIELS D’ACTION,
AXONES ET DENDRITES
Encadré 4.6 Focus Comportement électrique éclectique des neurones
CONCLUSION
INTRODUCTION
C
e chapitre est consacré au signal qui transmet l’information à distance
dans le système nerveux, le potentiel d’action. Comme cela a déjà été
mentionné, le cytosol du neurone au repos présente une charge négative
par rapport au milieu extracellulaire. Le potentiel d’action correspond au ren-
versement rapide de cet état, de telle sorte que l’intérieur de la membrane devient
transitoirement positif par rapport à l’extérieur. Le potentiel d’action est sou-
vent désigné par les termes d’influx nerveux ou de décharge neuronale.
Les potentiels d’action générés par une cellule ont tous la même amplitude et
la même durée. Ils ne s’affaiblissent pas au fur et à mesure de leur propagation
vers l’extrémité de l’axone. Il faut se souvenir de ce fait essentiel : la fréquence
des potentiels d’action et/ou leur association en bouffées (pattern ou patron de
décharge) représente le code utilisé par les neurones pour transmettre l’infor-
mation d’un endroit à l’autre du système nerveux. Ce chapitre est consacré aux
mécanismes responsables du potentiel d’action et de sa propagation dans la
membrane axonale.
80 1 – Bases cellulaires
40
Dépassement
20
Potentiel de membrane (mV)
0 0 mV
Phase Phase
ascendante descendante
– 20
– 40
Hyperpolarisation
– 60
Potentiel de repos
– 80
0 1 2 3
(a) Temps (ms) (b)
4 – Potentiel d’action 81
Les potentiels d’action générés dans certaines fibres nerveuses de la peau (la
douleur est traitée dans le chapitre 12) sont à l’origine de la perception de la dou-
leur aiguë consécutive à la blessure du pied sur la punaise. La membrane de ces
fibres est considérée comme possédant un type particulier de canal sodique, qui
s’ouvre lorsque la terminaison nerveuse est étirée. Les faits se déroulent donc
ainsi : (1) la punaise pénètre dans la peau ; (2) la membrane des fibres nerveuses de
la peau est étirée et déchirée ; (3) les canaux perméables aux ions Na+ s’ouvrent.
82 1 – Bases cellulaires
Amplificateur
Courant Courant injecté
injecté
+
+
Potentiel de membrane (mV)
+ Terre 0
40
Électrode
Électrode d’enregistrement
0
de stimulation
– 40
– 65
– 80
(a) (b) Temps
Axone
4 – Potentiel d’action 83
– 65 mV
Temps
Enregistrements optogénétiques :
contrôle de l’activité neuronale par la lumière
Comme nous venons de le voir, les potentiels d’action naissent de la dépolari-
sation de la membrane au-delà d’une valeur seuil à laquelle s’ouvrent les canaux
sodiques, ce qui permet l’entrée des ions Na+ dans le neurone. Pour pouvoir contrô-
ler artificiellement la décharge des neurones, historiquement, les électrophysiolo-
gistes utilisaient des microélectrodes pour injecter du courant directement à l’inté-
rieur de ces neurones, cellule par cellule. Cette difficulté a été récemment contournée
par une méthode révolutionnaire nommée optogénétique, qui permet d’introduire
dans les neurones ciblés des gènes particuliers s’exprimant dans les membranes
sous forme de canaux ioniques ayant la propriété de s’ouvrir à la lumière.
Dans le chapitre 9, nous discuterons de la façon dont l’énergie lumineuse
est absorbée par des protéines qualifiées de photopigments pour générer des
réponses dans nos rétines à l’origine de notre perception visuelle. Bien entendu,
la sensibilité à la lumière est une propriété de nombreux organismes. Et c’est
ainsi qu’en étudiant les réponses à la lumière d’une algue verte, des chercheurs
travaillant à Francfort en Allemagne, ont caractérisé un photopigment, qu’ils
ont appelé channelrhodopsine-2 (ChR2). En introduisant le gène de la ChR2 dans
des cellules de mammifères, ils ont alors montré que celui-ci encode un canal Figure 4.4 – Contrôle optogénétique de l’ac-
cationique sensible à la lumière, perméable aux ions Na+ et Ca2+ (Encadré 4.2). tivité neuronale dans le cerveau d’une souris.
Ce canal a la particularité de s’ouvrir rapidement lorsqu’il est exposé à la lumière Le gène encodant la channelrhodopsine-2 a
été introduit dans les neurones du cerveau
bleue et, dans ce cas, le flux cationique qui pénètre les cellules est suffisant pour
de cette souris par l’intermédiaire d’un virus.
entraîner une dépolarisation membranaire au-delà du seuil des potentiels d’ac-
Dès lors, l’activité de ces neurones peut être
tion. L’intérêt majeur de cette méthode fut alors démontré par les chercheurs, contrôlée par une illumination utilisant une
notamment aux États-Unis, en mettant en évidence que le comportement de lumière bleue délivrée localement à l’aide
rats ou de souris peut être modifié de façon spectaculaire en procédant à l’illu- d’une fibre optique. (Source : courtoisie du
mination de neurones dans lesquels le gène de la ChR2 avait préalablement été Dr Ed Boyden, Massachusets Institute of
inséré (Fig. 4.4). Les développements de cette méthode permettent aujourd’hui Technology.)
84 1 – Bases cellulaires
Lorsqu’en 1992, après mon post-docto- recherche des rhodopsines chez Chlamydo
rat à Yale puis à Rockefeller University, je monas. Peter a donc demandé cet ADN et je
suis entré à l’Institut de biophysique du l’ai quant à moi fait exprimer dans les ovo-
Max Planck à l’Université de Francfort, je cytes. Nos premières expériences furent
me suis intéressé aux mécanismes contri- décevantes, et l’addition ou, au contraire, la
buant à maintenir les gradients de concen- suppression d’ions Ca2+ dans la solution
tration ionique au travers des membranes dans laquelle baignaient les ovocytes ne
cellulaires. Le directeur de mon départe- changeait rien au potentiel de membrane
ment, Ernst Bamberg, m’a convaincu de lorsque cette préparation était illuminée,
développer une nouvelle approche basée comme nous aurions pu l’espérer si nous
sur l’utilisation des rhodopsines micro- avions eu un canal calcique sensible à la
Georg Nagel
biennes, protéines connues pour transporter lumière. S’il existait un courant induit par la
les ions au travers des membranes lorsqu’elles absorbent lumière, celui-ci était très faible et n’était pas influencé
de l’énergie lumineuse. Nous avons donc exprimé le gène par de quelconques modifications de la composition
d’une bactériorhodopsine dans des ovocytes de xénope ionique du milieu extracellulaire.
et mesuré ainsi, grâce à des microélectrodes et après Cependant, comme l’idée de l’existence d’un canal
expression du gène, le courant généré par l’illumination ionique dont la conductance serait sensible à la lumière
de ces cellules. Dès 1995, nous avons ainsi montré que continuait à me séduire, idée que la plupart de mes col-
l’illumination de la bactériorhodopsine s’accompagnait lègues rejetaient alors, j’ai poursuivi mes travaux en
d’un flux de protons (H+) au travers de la membrane ; et modifiant encore et encore la composition des milieux
en 1996 nous avons entrepris d’étudier, par une méthode extracellulaires. Je me souviens d’un soir où j’ai soudain
similaire, l’activation du transfert des ions Cl– utilisant obtenu un incroyable courant entrant suite à une expo-
une halorhodopsine. sition à la lumière, en utilisant une solution dont la com-
À cette époque, nous avons reçu de Peter Hegemann, position visait à inhiber les courants calciques. J’ai pensé
de l’Université de Regensburg, l’ADN des chlamyop- qu’il y avait un problème technique, en particulier avec
sines-1 et 2. Elles devaient représenter des photorécep- le tampon utilisé pour préparer la solution. De fait, en
teurs de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii. vérifiant je me suis rendu compte que cette solution était
Malheureusement, comme l’ensemble des laboratoires plutôt de pH acide et donc qu’elle contenait un excès
qui ont reçu cet ADN, nous n’avons pas pu observer de d’ions H+. Mais ce fut un déclic et j’ai réalisé que le cou-
changements de potentiel de membrane induits par l’illu rant que je venais d’enregistrer dépendait des ions H+.
mination. J’ai cependant accepté de tester une nouvelle Ainsi, en acidifiant le milieu intracellulaire de l’ovocyte,
rhodopsine récemment découverte, toujours à partir de j’ai montré que j’étais capable de générer des courants
Chlamydomonas, lorsque Peter m’annonça que cette pro- sortants, déclenchés par l’exposition à la lumière. Dès
téine, qu’il souhaitait nommer chlamyrhodopsine-3, se lors, il m’apparaissait évident que la chlamyrhodop-
comportait comme un activateur dépendant de la lumière sine-3 contrôlait les flux de protons au travers de la
de la conductance calcique membranaire. Bien que cette membrane. Et c’est ainsi que j’ai proposé à Peter
protéine n’ait pas encore été purifiée à cette époque, la Hegemann et à Ernst Bamberg de nommer cette proté-
séquence de la chlamyrhodopsine-3 fut détectée dans un ine channelrhodopsine-1. D’autres expériences ont par
centre de recherche à Kazusa, au Japon, dans une banque la suite révélé que plusieurs cations monovalents transi-
d’ADN séquencé à partir de Chlamydomonas, cette taient par ce canal channelrhodopsine-1. Les faibles
séquence présentant de très grandes similarités avec celle courants que nous avions initialement enregistrés étaient
de la bactériorhodopsine. Ces caractéristiques faisaient simplement liés au très faible niveau d’expression de la
de cette protéine un très bon candidat pour satisfaire la protéine dans les ovocytes.
4 – Potentiel d’action 85
0
Vm
(a) 0
Vm
K+ K+
K+ + + + +
EK = – 80 mV
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – –
IK = gK (Vm– EK) > 0
(b)
0
Vm
– 80
K+ K+
EK = – 80 mV + + + + + + + + + + + + +
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – – – – – – – – – – –
IK = gK (Vm– EK) = 0
K+ K+
(c)
le sens qui rapproche Vm de ENa ; dans ce cas, le courant sodique INa représente
un courant entrant dans la cellule. En supposant maintenant que la membrane
soit beaucoup plus perméable au sodium qu’au potassium, l’afflux d’ions Na+ à
l’intérieur du cytoplasme va dépolariser le neurone jusqu’à ce que Vm soit proche
de ENa, soit + 62 mV.
Ce qui se passe ici est tout à fait remarquable : il suffit de modifier la perméa-
bilité de la membrane de telle manière que celle-ci soit transitoirement plus per-
méable aux ions Na+ que K+ pour inverser le potentiel membranaire. En théorie, la
phase ascendante du potentiel d’action peut alors s’expliquer ainsi : en réponse à
la dépolarisation de la membrane au-delà du seuil, les canaux sodiques s’ouvrent.
Cela permet l’afflux des ions Na+ dans le neurone, ce qui entraîne une dépolarisa-
tion massive jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit proche de ENa.
Comment expliquer maintenant la phase descendante du potentiel d’action ?
En supposant simplement que les canaux sodiques se referment rapidement et
que les canaux potassiques s’ouvrent, la perméabilité ionique dominante de la
membrane est ramenée de Na+ à K+ ; et les ions K+ s’écouleront hors de la
cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit de nouveau égal à EK.
Le modèle théorique choisi pour expliquer les mouvements ioniques interve-
nant lors du potentiel d’action dans un neurone idéal est illustré par la figure 4.6.
Dans ce modèle, la phase ascendante d’un potentiel d’action s’explique par le
passage à travers la membrane d’un courant sodique entrant et la phase des-
cendante par le passage d’un courant potassique sortant. Le potentiel d’action
repose simplement sur le déplacement des ions à travers les canaux dont l’ou-
verture dépend des modifications du potentiel membranaire. Ainsi ce modèle
simple rend compte en grande partie des bases ioniques du potentiel d’action.
Mais qu’en est-il, en réalité, dans les neurones ?
g >> g
K Na
Extérieur
Canal Canal
du neurone
K+ sodique K+ potassique
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + V
m
– – – – – – – – – – – – – – – – – – –
Intérieur
K+ K+
– 80 mV
du neurone
(a)
g >> g
Na K
K+ K+
V
m
– –
Na+ Na+
Entrée de sodium – 80 mV
(b)
g >> g
K Na
Sortie de potassium
K+ K+
– – – – – – –
V
m
+ + + + + + +
– 80 mV
(c)
g >> g
K Na
K+ K+
+ + + + + + + + + + + + + + + + + +
V
m
– – – – – – – – – – – – – – – – – –
K+ K+
– 80 mV
(d) Temps
Milieu I II III IV
extracellulaire
+ + + +
+ + + +
+ + + +
+ + + +
Milieu
intracellulaire
(a)
S1 S2 S3
S4 S5 S6
+
+
+
+
Boucle
(b)
de la région du pore
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ + + +
+ +
+ +
+ +
– 65 mV – 40 mV
Méthode du patch-clamp
L’existence réelle de canaux dépendants du potentiel membrane sous-jacente. Si l’on retire alors l’électrode de
dans la membrane n’était qu’une hypothèse, jusqu’au déve- la cellule, on peut arracher le morceau de membrane
loppement de méthodes permettant d’étudier les protéines (Fig. Ac), et mesurer les courants ioniques tout en appli-
individuelles de ces canaux. Au milieu des années 1970, quant des voltages constants à travers la membrane
deux neurobiologistes allemands, Bert Sakmann et Erwin (Fig. Ad). Avec un peu de chance, il est possible de déter-
Neher, mirent au point une nouvelle méthode révolution- miner les courants qui passent dans un seul canal. Si, par
naire, pour laquelle ils reçurent le prix Nobel en 1991. exemple, la partie de membrane contient un canal
Cette méthode permet d’enregistrer les courants sodique dont l’ouverture est dépendante du potentiel et
ioniques au travers d’un type de canaux. La première si on modifie le potentiel membranaire de – 65 à – 40 mV,
étape consiste à descendre doucement l’extrémité effilée le canal va s’ouvrir et le courant passera à travers (Fig. Ae).
d’une électrode de verre, de 1-5 μm de diamètre, jusqu’à Avec un voltage membranaire constant, l’amplitude du
la membrane du neurone (Fig. Aa), puis à pratiquer une courant reflète la conductance du canal et le temps de
aspiration au travers de la pointe de l’électrode (Fig. Ab). passage du courant reflète la durée d’ouverture du canal.
Légèrement aspirée, la partie de membrane sous-jacente La méthode du patch-clamp montre que la plupart
s’insère à l’intérieur de la pointe de l’électrode et se trouve des canaux basculent entre deux états de conductance,
étroitement associée aux parois de verre. Cet échantillon que l’on peut interpréter comme « ouvert » ou « fermé ».
membranaire dénommé scellement « giga-ohm » (à Le temps d’ouverture est variable, mais la valeur de la
cause de sa grande résistance électrique, > 109 Ω) ne conductance d’un type de canal ne change pas. Les ions
laisse passer les ions présents au niveau de l’électrode peuvent passer au travers de ces canaux à une cadence
qu’au travers des canaux présents dans la partie de étonnante : bien plus d’un million par seconde.
Pipette
Pointe Canal Canal
de la pipette sodium (fermé) sodium (ouvert)
Na+
Neurone
(a)
Échantillon
membranaire
« giga-ohm » (b) (c) (d)
Vm
– 65 mV
Intérieur
(e)
Figure A
94 1 – Bases cellulaires
5 ms
– 40 mV
Vm
– 65 mV
(a)
Canal fermé
Courant
entrant
1 3 4
Courant 2
entrant
(b)
Canal sodique
Na+
Membrane
1 2 3 4
(c)
Effets des toxines sur le canal sodique. Au début des années 1960, des
chercheurs de l’Université Duke ont été à l’origine de la découverte des effets
bloquants de la tétrodotoxine (TTX), une toxine isolée des ovaires d’un pois-
son japonais très particulier, sur les canaux sodiques (Fig. 4.11). Les courants
sodiques, ainsi que les potentiels d’action, peuvent effectivement être bloqués au
moyen de la TTX ; cette toxine virulente obstrue le pore perméable aux ions Na+
en se liant fortement à un site spécifique situé à l’extérieur du canal. Comme cela
4 – Potentiel d’action 95
sera à nouveau mentionné, ce composé est fréquemment utilisé dans les expé-
riences pour bloquer la propagation des influx dans le muscle ou le nerf. La TTX
est fatale lorsqu’elle est ingérée. Pourtant ces poissons sont très appréciés au
Japon et les spécialistes du sushi s’entraînent de nombreuses années et doivent
obtenir une licence du gouvernement pour pouvoir préparer ce poisson, de façon
qu’en le mangeant on ressente un léger engourdissement de la bouche. C’est ce
qui s’appelle se nourrir dangereusement !
La TTX est une des nombreuses toxines naturelles interférant avec les canaux
sodiques dépendants du potentiel. Une autre de ces neurotoxines qui bloque
les canaux est la saxitoxine, produite par les dinoflagellés du genre Gonyaulax.
La saxitoxine est concentrée dans les praires, les palourdes, les moules et autres
coquillages associés à ce genre de protozoaire. Occasionnellement, les dinofla-
gellés se développent, causant ce que l’on nomme une « marée rouge ». Manger
des coquillages à ce moment-là peut s’avérer fatal, à cause de la concentration
anormalement élevée de la toxine.
En plus de ces toxines qui bloquent les canaux sodiques, d’autres substances
interfèrent avec le fonctionnement neuronal en produisant des ouvertures inap-
propriées des canaux ; telle la batrachotoxine, isolée de la peau d’une espèce de
grenouille de Colombie. La batrachotoxine provoque une ouverture des canaux
sodiques à un potentiel plus négatif que la normale. De plus, l’ouverture du
canal est plus longue que normalement, brouillant ainsi l’information codée par
les potentiels d’action. D’autres toxines, telles que la vératridine produite par une
sorte de muguet et l’aconitine extraite du bouton d’or, présentent un mécanisme
d’action similaire. Enfin, l’inactivation des canaux sodiques est aussi affectée par
des toxines de scorpions ou d’anémones de mer.
Que nous apprennent ces toxines ? D’abord, que les différentes toxines
affectent la fonction des canaux ioniques en se fixant sur différents sites de ces
protéines. Ces informations ont ainsi contribué à résoudre la structure tridimen-
sionnelle des canaux sodiques. Ensuite, les toxines peuvent être utilisées comme
des outils pharmacologiques pour étudier les conséquences du blocage des
potentiels d’action. Par exemple, comme nous le verrons plus loin, la TTX est
un agent fréquemment utilisé dans les expériences nécessitant le blocage d’une
activité nerveuse ou musculaire. Enfin, la dernière et sans doute plus importante
leçon tirée de l’utilisation de ces toxines : faites donc attention à ce que vous
mangez !
96 1 – Bases cellulaires
Na +
Sortie
e
Entrée d
de K
+
(a)
(b)
Courants correspondant
Courant sortant
aux canaux potassiques
dépendants du potentiel
(d)
(e)
Sortie de K+
Courant transmembranaire
« net » Courant sortant
Courant entrant
(f)
Entrée de Na+
Propagation
du potentiel d’action
Pour transférer l’information d’un point à un autre du système nerveux, il
est nécessaire que le potentiel d’action qui a été généré se propage dans l’axone.
Ce processus est semblable à ce qui se passe lors de la mise à feu d’une fusée.
Imaginez que vous tenez une fusée de feu d’artifice dans la main et une allumette
enflammée dans l’autre, pour la mise à feu. La fusée décolle quand elle est suffi-
samment chauffée (au-delà d’un certain seuil) à sa base. Puis la chaleur dégagée
par la combustion se propage vers le segment de fusée situé juste au-dessus,
jusqu’à ce qu’il prenne feu à son tour. La flamme va se propager ainsi progres-
sivement tout au long de la fusée, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à brûler. Il est
important de remarquer que la fusée, qui a été allumée à un bout, ne peut brûler
que dans un sens : la flamme ne peut pas revenir sur elle-même car le matériel
combustible à l’arrière a déjà été utilisé.
La propagation du potentiel d’action le long de l’axone est semblable à la
propagation de la flamme le long de la fusée. Lorsque l’axone est suffisamment
dépolarisé pour atteindre le seuil nécessaire, les canaux sodiques dépendants du
potentiel s’ouvrent et le potentiel d’action est initié. L’afflux de charge positive
dépolarise le segment de membrane situé juste devant, jusqu’à ce qu’il atteigne
le seuil à son tour et génère son propre potentiel d’action1 (Fig. 4.13). Ainsi, le
potentiel d’action poursuit son chemin vers l’axone jusqu’à ce qu’il parvienne
à son extrémité dans les terminaisons axoniques et déclenche la transmission
synaptique (voir chapitre 5).
Le potentiel d’action généré à l’une des extrémités de l’axone ne se propage
que dans une seule direction ; il ne peut pas revenir en arrière. Cela provient
de ce que la membrane située juste en arrière est devenue réfractaire, à cause
de l’inactivation des canaux sodiques. Mais, comme la fusée, un potentiel d’ac-
tion peut être généré à partir de l’une ou l’autre extrémité de l’axone et ainsi se
propager dans une direction ou l’autre (bien que, en général, les potentiels d’ac-
tion ne se propagent que dans une seule direction ; celle-ci est dénommée pro
pagation orthodromique. La propagation des potentiels d’action en sens inverse
sur l’axone est dénommée quant à elle propagation antidromique). Parce que la
membrane axonique est excitable (c’est-à-dire capable de générer des potentiels
d’action) sur toute sa longueur, l’influx nerveux se propage régulièrement. Il
en est de même avec la fusée car le matériel combustible s’étend régulièrement
sur toute sa longueur. Cependant, contrairement à la fusée, l’axone présente la
faculté de régénérer sa capacité de mise à feu.
+ +
Temps zéro +
+ +
1 ms plus tard +
+ +
La vitesse de conduction des potentiels d’action est variable, avec une valeur
moyenne de 10 m/s. Comme, du début à la fin, le potentiel d’action ne dure
que 2 ms, la longueur de la membrane concernée par le potentiel d’action à un
moment donné peut être calculée simplement de la façon suivante :
10 m/s × 2 × 10– 3 s = 2 × 10– 2 m
2. NdT : a contrario, l’intervalle entre les nœuds de Ranvier, qualifié de « segment inter-
variqueux », présente une excitabilité moindre et comporte une forte densité de canaux
potassiques.
4 – Potentiel d’action 101
Encadré 4.4 FOCUS
Anesthésie locale
Même si vous avez décidé de résister à la douleur, à Canaux
un moment vous ne pouvez plus la supporter et vous sodiques
allez voir votre dentiste ! Heureusement, le pire qui vous I II III IV dépendants
du potentiel
attend pour traiter votre carie n’est que la piqûre provo-
quée par l’aiguille, qui va lui permettre de vous adminis-
trer l’anesthésique localement. Après l’injection, votre
bouche est rapidement engourdie et vous pouvez rêvas-
ser, alors même que le dentiste fraise votre dent et vous
traite efficacement. Mais qu’est-ce qui a été injecté et
comment cela agit-il ? N
Les anesthésiques locaux sont des agents qui vont C
temporairement bloquer la propagation des potentiels
d’action le long des axones. Ils sont qualifiés de « locaux »
car ils sont administrés à l’intérieur même du tissu à anes-
thésier. Les axones de petit diamètre, qui déchargent à Hélice alpha S6
haute fréquence, sont les plus sensibles au blocage de la
conduction nerveuse par les anesthésiques locaux.
Le premier anesthésique local utilisé en médecine a
été la cocaïne. Ce produit a été initialement extrait des
feuilles de coca en 1860, par le chimiste allemand Albert
Niemann. En accord avec les usages en pharmacologie
de cette époque, Niemann a entrepris de goûter lui-même
son produit, et a constaté un engourdissement de sa
langue. Néanmoins, il s’avéra très vite que la cocaïne C2H5 C2H5
Encadré 4.5 FOCUS
Axone
+ +
Temps zéro
Figure 4.15 – Conduction saltatoire.
La myéline contribue à une diffusion plus large + +
Potentiels d’action,
axones et dendrites
Les potentiels d’action étudiés dans ce chapitre ne concernent que les axones.
En règle générale, la membrane des dendrites et du soma ne génère pas de poten- Neurone
pyramidal
tiel d’action lié au sodium car cette membrane contient peu de canaux sodiques
dépendants du potentiel. Seule la membrane qui contient cette protéine spé-
cifique est capable de générer des potentiels d’action et ce type de membrane
excitable se trouve généralement dans les axones. C’est pourquoi la partie du
neurone qui donne naissance à l’axone à partir du soma, le cône axonique, s’ap-
pelle aussi la zone d’initiation de l’influx nerveux. Dans les neurones du cerveau
ou de la moelle épinière, la dépolarisation des dendrites et du soma causée par
les afférences synaptiques issues d’autres neurones entraîne le déclenchement
de potentiels d’action si la dépolarisation de la membrane du cône axonique Zone d’initiation
dépasse le seuil (Fig. 4.16a). Dans la plupart des neurones sensoriels, toutefois, des influx nerveux :
la zone d’initiation des décharges se trouve près des terminaisons du nerf senso cone axonique
riel, là où la dépolarisation provoquée par la stimulation sensorielle entraîne le
déclenchement de potentiels d’action se propageant le long des nerfs sensoriels (a) Neurone
(Fig. 4.16b). sensoriel
Dans le chapitre 2, il a été mentionné que les axones et les dendrites pré-
sentent une morphologie différente. Ils ont aussi des fonctions différentes, qui
sont entre autres spécifiées au niveau moléculaire par la nature des protéines
existant dans la membrane. Les différents types de canaux ioniques et leur den-
sité dans la membrane expliquent aussi les propriétés électriques caractéristiques Zone d’initiation des influx nerveux :
terminaison nerveuse sensorielle
des différents types de neurones (Encadré 4.6). (b)
Zone membranaire à haute densité
de canaux sodiques dépendants
du potentiel
Encadré 4.6 FOCUS
QUESTIONS DE RÉVISION
DIFFÉRENTS TYPES
DE SYNAPSES
Synapses électriques........................................................................... 109
Synapses chimiques............................................................................ 112
Encadré 5.2 les voies de la découverte Pour l’amour des épines
dendritiques,
par Kristen M. Harris
PRINCIPES
DE LA TRANSMISSION
SYNAPTIQUE CHIMIQUE
Neurotransmetteurs........................................................................... 118
Biosynthèse et stockage des neurotransmetteurs................................ 119
Libération des neurotransmetteurs..................................................... 120
Encadré 5.3 Bases théoriques Théorie du complexe « SNARE »
et libération des neurotransmetteurs
Récepteurs des neurotransmetteurs et leurs effecteurs........................ 123
Encadré 5.4 Bases théoriques Potentiels d’inversion
Recyclage et inactivation synaptique des neurotransmetteurs.............. 127
Neuropharmacologie.......................................................................... 128
Encadré 5.5 Focus Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…
PRINCIPES DE L’INTÉGRATION
SYNAPTIQUE
Intégration des potentiels post-synaptiques d’excitation (PPSE)......... 130
Contribution des propriétés des dendrites à l’intégration synaptique... 131
Inhibition............................................................................................ 134
Encadré 5.6 Focus Des mutations effrayantes et des poisons
Neuromodulation............................................................................... 135
CONCLUSION
INTRODUCTION
L’
un des principaux enseignements des chapitres 3 et 4 a été de montrer
comment l’énergie mécanique — la blessure causée par une punaise —
était convertie en signal nerveux. D’abord, les canaux ioniques spé-
cialisés situés dans les terminaisons du nerf sensoriel laissent entrer des charges
positives dans l’axone puis, lorsque la dépolarisation ainsi induite atteint un
certain seuil, elle génère des potentiels d’action. Comme la membrane axonique
est excitable et contient des canaux sodiques sensibles au potentiel, les potentiels
d’action se propagent régulièrement sur toute la longueur des nerfs sensoriels,
sans perte d’amplitude pour maintenir toute la force de ce signal. Pour que cette
information soit intégrée par tout le système nerveux, il est nécessaire que le
signal soit transmis à d’autres neurones, par exemple les neurones moteurs qui
contrôlent la contraction musculaire, ou encore aux neurones du cerveau et de
la moelle épinière responsables d’une réponse réflexe coordonnée. À la fin du
xixe siècle, il a été établi que ce transfert de l’information d’un neurone à un
autre s’effectue à des sites de contact spécifiques et c’est en 1897 que le physio-
logiste anglais Charles Sherrington donna à ces sites le nom de synapses. Le
processus de transfert de l’information impliquant une synapse est de ce fait
dénommé transmission synaptique.
La controverse sur la nature physique de la transmission synaptique a duré
près d’un siècle. Considérant la rapidité de la transmission synaptique, une des
hypothèses attrayantes suggérait qu’elle pouvait être assimilée à du courant
électrique passant d’un neurone à l’autre. L’existence de ces synapses électriques
fut démontrée à la fin des années 1950 par Edwin Furshpan et David Potter,
deux physiologistes travaillant sur le système nerveux de l’écrevisse à l’Univer-
sity College à Londres et par Akira Watanabe qui travaillait sur les neurones
du homard au japon, au Tokyo Medical and Dental University. Il est admis
aujourd’hui que les synapses électriques sont communes, tant dans le système
nerveux des invertébrés que dans celui des vertébrés, incluant les mammifères.
Une autre hypothèse, datant aussi de la fin du xixe siècle, suggérait que
des messagers chimiques transmettent l’information d’un neurone à l’autre à
la synapse. En 1921, Otto Loewi, chef du Département de pharmacologie de
l’Université de Graz, en Autriche, conforta ce concept de synapse chimique en
montrant que la stimulation électrique des axones innervant le cœur de la gre-
nouille libérait une substance chimique et que cette substance pouvait mimer
les effets de la stimulation du neurone sur les battements du cœur (Encadré 5.1).
Plus tard, Bernard Katz et ses collègues de l’University College à Londres, ont
démontré que la transmission synaptique rapide entre l’axone d’un neurone
moteur et un muscle squelettique était le résultat d’une médiation chimique. En
1951, au moyen d’un nouvel instrument, la microélectrode en verre, John Eccles
de l’Australian National University, a pu étudier la physiologie de la transmission
synaptique dans le système nerveux central (SNC) des mammifères. Ces expé-
riences révélaient que de nombreuses synapses du SNC utilisent également un
neurotransmetteur. Aujourd’hui nous savons que les synapses chimiques repré-
sentent le plus grand nombre des synapses du cerveau et au cours de ces dix
dernières années de véritables révolutions sont intervenues dans la connaissance
de la transmission synaptique, notamment grâce à de nouvelles méthodes utili-
sées dans l’étude de la structure et de la fonction des molécules concernées. Ces
…
108 1 – Bases cellulaires
Encadré 5.1 FOCUS
Synapses électriques
Les synapses électriques présentent une structure et un fonctionnement rela-
tivement simples, permettant au courant ionique de passer directement d’une
cellule à l’autre. Les synapses électriques sont situées en des régions particulières
des cellules, dites jonctions étroites ou gap junctions, en anglais. Les gap junctions
sont présentes entre cellules à peu près dans tout l’organisme et interconnectent
de nombreuses cellules, y compris non neuronales ; par exemple des cellules
épithéliales, des cellules de muscles lisses ou du muscle cardiaque, des cellules
hépatiques, des cellules sécrétrices ou encore des cellules gliales.
Lorsque ces gap junctions interconnectent deux neurones, elles peuvent fonc-
tionner comme des synapses électriques. À ces points de jonction, l’espace entre
les membranes pré et post-synaptiques est de l’ordre de 3 nm et de petites protéines
dénommées connexines forment les éléments moléculaires de ces connexions. Six
connexines se combinent pour former un canal, que l’on appelle un connexon, et
deux connexons (l’un de chaque cellule) se combinent pour mettre les canaux en
continuité (Fig. 5.1). C’est par ces jonctions étroites que les ions passent directe-
ment du cytoplasme d’une cellule au cytoplasme de l’autre. Le pore formé par les
connexons est parmi les plus importants. Avec un diamètre d’environ 1 à 2 nm,
il est assez gros pour que les ions les plus importants ainsi que de nombreuses
petites molécules organiques puissent passer au travers.
Cellule 1 Connexons
cytoplasme
Gap
junction
3.5 nm 20 nm
Connexon
Cellule 2 Connexine
cytoplasme
Ions et molécules Canal formé par l’association
(b) de petite taille de pores présents dans (c)
chacune des membranes
110 1 – Bases cellulaires
Cellule 1
Vm de la cellule 1
Potentiel
0 d’action
Dendrite Enregistrement
du potentiel
de membrane
Vm de la cellule 1 – 65
Enregistrement 0 1 2 3
du potentiel Temps (ms)
de membrane
Gap Vm de la cellule 2
junction – 63
Vm de la cellule 2
– 64 PPS électrique
Dendrite
– 65
0 1 2 3
(a) (b) Cellule 2
Temps (ms)
Figure 5.2 – Synapses électriques.
(a) Microphotographie au microscope électronique d’une gap junction interconnectant deux den-
drites, ce qui constitue une synapse électrique (Source : Sloper et Powell, 1978). (b) Un potentiel
d’action généré dans un neurone provoque un léger courant ionique suivi d’un potentiel post-
synaptique (PPS) électrique dans un second neurone, par l’intermédiaire d’une gap junction.
5 – Transmission synaptique 111
(a)
Avec gap junctions :
Potentiel d’action
Vm de la cellule 1
–0 Enregistrement
de Vm
Oscillations
de la cellule 1
1
– 65 Gap junction
Vm de la cellule 2
–0 2
– 65 Enregistrement
de Vm
de la cellule 2
(b)
Sans gap junctions :
Vm de la cellule 3
Enregistrement
–0 de Vm
de la cellule 3
3
Sans gap
– 65 junction
Vm de la cellule 4
4
–0
– 65
Enregistrement
0 1 2 3 4 5 de Vm
de la cellule 4
Temps (s)
Synapses chimiques
Dans le système nerveux de l’homme adulte, en règle générale, la transmis-
sion synaptique dans son écrasante majorité est de nature chimique ; c’est la
raison pour laquelle ces synapses font ici l’objet d’un examen tout particulier.
Les différents types de synapses chimiques présentent, de fait, un certain nombre
de caractéristiques communes (Fig. 5.4).
À la synapse, les membranes pré et post-synaptiques sont séparées par une
fente ou espace synaptique de 20-50 nm de large, ce qui représente 10 fois la
largeur de l’espace qui les sépare dans les gap junctions. L’espace synaptique est
rempli d’une matrice de protéines extracellulaires fibreuses, qui fait adhérer les
membranes pré et post-synaptiques. L’une des fonctions de cette matrice est de
maintenir associées les parties pré et post-synaptiques de la synapse. Le côté pré
synaptique de la synapse, l’élément présynaptique, est généralement représenté
par une terminaison axonique. De façon caractéristique, la terminaison contient
des douzaines de petites sphères délimitées par une membrane, de 50 nm de
diamètre environ, dénommées vésicules synaptiques (Fig. 5.5a). Ces vésicules
stockent les neurotransmetteurs, qui sont des agents de nature chimique per-
mettant la communication avec le neurone post-synaptique. De nombreuses
terminaisons axoniques contiennent aussi des vésicules de taille plus impor-
tante, d’environ 100 nm de diamètre, appelées granules de sécrétion. Ces gra-
nules contiennent une protéine soluble qui a un aspect compact au microscope
électronique, de sorte qu’ils sont quelquefois dénommés vésicules à cœur dense
(Fig. 5.5b).
Dans les membranes pré et post-synaptique se trouvent accumulées des pro-
téines formant des zones de différenciation membranaire. Du côté présynaptique
les protéines qui se trouvent à la face intracellulaire de la membrane, dans le
cytoplasme de la terminaison axonique, présentent une organisation qui res-
semble à un champ de petites pyramides. Les pyramides et la zone membra-
naire correspondante représentent les sites réels de la libération des neurotrans-
metteurs ou zones actives. Les vésicules synaptiques sont rassemblées dans le
cytoplasme adjacent aux zones actives (Fig. 5.4).
Terminaison axonique
(élément présynaptique)
Granules
de sécrétion
Mitochondries
Récepteurs iq u e
Dendrite post-synapt
Mitochondrie
Terminaison
présynaptique
Élément
post-synaptique Zone active
(a)
Vésicules
synaptiques
Vésicules
« à cœur dense »
(b)
Soma
Dendrite
Axone
Axones
(a) (b)
Terminaisons
présynaptiques
Épine dendritique
post-synaptique
Figure 5.7 – Illustration de différentes formes
et de différentes tailles de synapses dans le
Éléments
système nerveux central. post-synaptiques
(c)
(a) Synapse axoépineuse : une fine terminai-
son axonique contacte une épine dendritique. Axone
Axone
Notez que la terminaison axonique peut être (d)
identifiée de façon caractéristique par la pré- Éléments
sence de nombreuses vésicules synaptiques présynaptiques
et l’élément post-synaptique par les épaissis
sements membranaires (densité post-synap-
tique). (b) La même branche axonique se divise
pour former deux terminaisons présynap-
tiques, l’une de plus grande taille que l’autre,
chacune contactant le soma de la cellule cible.
(c) Représentation d’une situation exception- (a)
nelle où une terminaison axonique de grande
taille englobe littéralement le soma de la cel-
lule sur laquelle elle s’articule. (d) La même
terminaison axonique contacte simultanément
Zones actives
5 éléments post-synaptiques différents. Notez
dans ce cas que les synapses les plus larges Axone
présentent plus de zones actives.
Motoneurone
Fibres musculaires
Gaine de myéline
Axone
Jonction neuromusculaire
Vésicules
synaptiques
Zone active
Espace synaptique
Récepteurs
Appareil
sous-neural
Fibre musculaire
Terminaisons axoniques Région des plaques motrices post-synaptique
(éléments présynaptiques) (éléments post-synaptiques)
Figure 5.9 – Jonction neuromusculaire.
A la jonction entre le nerf et le muscle, la membrane post-synaptique, encore dénommée
plaque motrice, est organisée en de nombreux replis formant un appareil sous-neural où
sont situés les très nombreux récepteurs de l’acétylcholine.
116 1 – Bases cellulaires
La première fois que j’ai réalisé une importée de Norvège, alors qu’il partait
observation au microscope, ce fut pour y d’Harvard pour rejoindre la nouvelle école
voir une épine dendritique. C’était magni- de médecine de Rootstown dans l’Ohio. Je
fique pour une première observation, et cet fus complètement extasiée par les possibili-
amour pour les épines dendritiques ne m’a tés extraordinaires que m’apportait cette
plus quitté depuis. À l’époque, j’étais étu- nouvelle méthode utilisant les sections
diante en neurosciences à l’Université d’Illi- d’hippocampe. Et j’ai tenté de mettre au
nois et c’était dans ce domaine vraiment point une méthode de coloration utilisant
une période fantastique. Je me souviens du l’imprégnation argentique de ces coupes
congrès annuel de la Society for Neuroscience Kristen M. Harris fraîches pour terminer ma thèse de PhD
en 1979, rassemblant près de 5 000 partici- avec Teyler. Cette fois je ne commis pas la
pants (aujourd’hui, environ 25 000…), et même erreur, je préparai les coupes jusqu’à
du numéro de membre qui m’a été attribué à l’époque (et leur observation immédiate. Comme cela apparaît sur la
que j’ai toujours) : le numéro 2 500 ! figure A, visualiser les épines était un ravissement !
Mon projet était de découvrir comment se présen- Malencontreusement, la résolution du microscope
tait une épine dendritique issue d’un cerveau « qui avait optique ne permettait pas d’observer la forme et le
appris », en entraînant des animaux à apprendre, puis nombre de ces épines.
en utilisant la coloration de Golgi pour quantifier les Après ma thèse je me souviens d’avoir parlé de mon
changements potentiels d’épines dendritiques tant en parcours lors d’une école d’été réputée, qui s’est tenue
termes quantitatifs que sur le plan de leur forme. Avec au laboratoire de biologie marine de Woods Hole,
enthousiasme, j’ai préparé les cerveaux d’un grand Massachusetts. Au cours de cette session, j’ai été initiée
nombre de rats en réalisant des coupes histologiques de aux méthodes de reconstitution permettant une analyse
cerveaux entiers, en les traitant par imprégnation argen- tridimensionnelle à partir d’une observation au micros-
tique, puis en les stockant sous butanol. J’ai ensuite cope électronique (3DEM). J’ai été littéralement harpo-
engagé plusieurs étudiants pour monter ces coupes et nnée par cette méthode qui permettait de reconstruire le
les observer au microscope. À notre grand désespoir, détail des dendrites, des axones ou encore des cellules
plusieurs mois après cette étape préparatoire, nous gliales ; et pas seulement de compter et de mesurer les
avons constaté qu’il ne restait plus de dépôt argentique, épines dendritiques. Les observations permettaient aussi
entraînant la fin prématurée et inéluctable de ce si beau de voir comment se forment les synapses et comment les
projet. cellules gliales y contribuent (Fig. B). Objectivement la
C’est alors que j’ai eu la chance de rencontrer le plateforme 3DEM offrait des possibilités considérables.
Professeur Timothy Teyler alors que j’assistais à une Depuis ce temps, ma vie continue d’être centrée sur les
Gordon Research Conference. Il venait de développer processus à la base du développement et de la plasticité
aux États-Unis une méthode d’étude basée sur l’utilisa- des synapses en rapport avec l’apprentissage et la
tion de coupes d’hippocampes de rat in vitro, qu’il avait mémoire.
Terminaison
axonique
Épine dendritique
Rat adulte Cellule
Dendrites gliale Vésicule
Densité
Soma post-synaptique
Épine
du neurone Dendrite dendritique
Axones Axone
Cellule gliale
Dendrites Épine
Mitochondrie
Coloration de Golgi (Harris, 1980) 1 micron
Figure A Figure B
5 – Transmission synaptique 117
Plus tôt dans ma carrière, alors que la biologie molé- (plasticité au cours de la mémorisation, par exemple), ou
culaire révolutionnait notre approche du cerveau, je fus encore en rapport avec le développement de pathologies
l’une des rares personnes à poursuivre mes travaux utili- neurologiques ou psychiatriques touchant jusqu’à
sant la 3DEM. De fait, avec la possibilité d’accéder au l’essence même de ce qui fait l’homme.
niveau moléculaire, chacun s’est attaché à tenter de com-
Représentation tridimentionnelle (3DEM)
prendre comment ces molécules agissent au travers des d’une dendrite avec synapse (en rouge)
organites intracellulaires, y compris dans les dendrites et et ses organelles
les épines, et la 3DEM fut dès lors mise au service de la
description de l’organisation des synapses. Ces possibili-
tés de reconstruction 3D ont suscité l’intérêt de nom-
breux biologistes et neurobiologistes. L’automatisation
des quantifications y a beaucoup contribué. Par exemple,
la figure C illustre une observation récente utilisant des
colorations imagées de diverses organelles liées à la
transmission synaptique au cours du développement.
Les perspectives de ces travaux sont dès lors centrées sur
la compréhension des mécanismes du changement de la
structure des synapses dans les conditions fonctionnelles Figure C
Principes de la transmission
synaptique chimique
Les mécanismes de la transmission synaptique chimique sont complexes. Les
opérations peuvent être décrites en différentes étapes : tout d’abord, les neu-
rotransmetteurs doivent être synthétisés et incorporés dans les vésicules synap-
tiques, puis les vésicules doivent déverser leur contenu dans l’espace synaptique
en réponse à un potentiel d’action présynaptique pour permettre la réponse
électrique ou biochimique du neurone post-synaptique au neurotransmetteur.
Enfin, un mécanisme procède à l’élimination du neurotransmetteur de l’espace
synaptique. Pour être efficace dans la sensation, la perception et le contrôle du
mouvement, il est par ailleurs nécessaire de considérer que toutes ces actions
doivent être effectuées très rapidement. Il n’est donc pas étonnant que les physio-
118 1 – Bases cellulaires
Neurotransmetteurs
Depuis la découverte de la transmission synaptique chimique, la recherche
s’est attachée à identifier les neurotransmetteurs présents dans le cerveau. Il
semble que la plupart des neurotransmetteurs se rattachent à une des trois caté-
gories chimiques suivantes : (1) les acides aminés, (2) les amines, (3) les peptides
(Tab. 5.1). La figure 5.10 en montre quelques exemples. Les neurotransmetteurs
appartenant au groupe des acides aminés et des amines représentent tous de
petites molécules organiques, contenant au moins un atome d’azote ; ils sont
stockés dans et libérés par les vésicules synaptiques. Les neurotransmetteurs
peptidiques représentent des molécules de taille plus importante, qui sont stoc-
kées dans et libérées par les granules de sécrétion. Comme mentionné ci-dessus,
les granules de sécrétion et les vésicules synaptiques sont fréquemment obser-
vés dans les mêmes terminaisons axoniques. En conséquence, très souvent des
neuropeptides sont trouvés dans les mêmes terminaisons axoniques que celles
contenant des amines ou des acides aminés jouant le rôle de neurotransmetteur.
On verra plus loin que ces différents neurotransmetteurs, éventuellement pré-
sents dans les mêmes terminaisons nerveuses, sont libérés dans des conditions
différentes.
HO
O CH3 OH
CH3 C O CH2 CH2 N+ CH3 HO CH CH2 NH2
CH3
(b) ACh NE
Carbone
Oxygène
Azote
Hydrogène
Arg Pro Lys Pro Gln Gln Phe Phe Gly Leu Met Sulfure
(c) Substance P
Peptide Vésicules
précurseur Neuropeptide actif synaptiques
(propeptide) (neurotransmetteur)
Noyau 3 4
1 2
Granules
Ribosome de sécrétion
Appareil de Golgi
Reticulum
endoplasmique Molécule
rugueux précurseur
(a) 1 Enzyme
de biosynthèse
Molécule
de neurotransmetteur
Transporteur
2
vésiculaire
Vésicule
synaptique
(b)
Présynaptique
Vésicules 4
1
synaptiques
Figure 5.13 – Visualisation de la libération
des neurotransmetteurs par l’élément pré
synaptique, à partir de la région post-synap
tique.
(a) Cette microphotographie représente la sur-
face extracellulaire de la terminaison nerveuse,
Canaux
calciques au niveau de la zone active de la jonction neu-
(présumés) romusculaire de la grenouille. (b) Dans cette
vue, l’élément présynaptique a été stimulé de
façon à déclencher la libération du neurotrans-
metteur. Les pores représentent les régions de
fusion de la membrane des vésicules synap-
tiques avec la membrane de la terminaison
(a) nerveuse sous l’effet de l’exocytose, là où le
neurotransmetteur a été libéré. (Source : Heu-
ser et Reese, 1973.)
Pore de fusion
des vésicules
synaptiques
(exocytose)
(b)
Potentiels d’inversion
Nous avons vu dans le chapitre 4 que lorsque les
À des valeurs positives
canaux sodiques sensibles au potentiel de la membrane du potentiel de membrane,
s’ouvrent durant le potentiel d’action, les ions Na+ l’ACh induit un courant sortant
pénètrent dans la cellule, entraînant la dépolarisation
rapide de la membrane vers le potentiel d’équilibre du
Extérieur
sodium, ENa, d’environ 40 mV. À l’inverse des canaux Courant
sensibles au potentiel, toutefois, de nombreux canaux membranaire
ioniques associés aux récepteurs des neurotransmet-
teurs sont perméables à plusieurs types d’ions. Par
exemple, les canaux associés aux récepteurs de l’ACh Potentiel
Tracé de la courbe
de membrane
des jonctions neuromusculaires, sont perméables aux I-V traduisant
ions Na+ et K+. l’action de l’ACh
Influx nerveux
Axone
Terminaison
(a) axonique
Dendrite
post-synaptique
Enregistrement
Molécules de neurotransmetteurs de Vm
Espace
synaptique
PPSE
Vm
Cytosol
– 65 mV
Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
Influx nerveux
Axone
Terminaison
(a) axonique
Dendrite
post-synaptique
Enregistrement
Molécules de neurotransmetteur de Vm
PPSI
Vm
Cytosol
– 65 mV
Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
Les protéines effectrices sont soit des canaux ioniques présents dans la
membrane et qui sont directement sensibles aux protéines G (Fig. 5.17a), soit
des enzymes assurant la synthèse de molécules particulières dénommées seconds
messagers qui diffusent plus loin dans le cytosol (Fig. 5.17b). Les seconds messa-
gers ont la possibilité d’activer d’autres enzymes du cytosol, qui peuvent réguler
le fonctionnement des canaux ioniques et modifier le métabolisme cellulaire. Les
récepteurs couplés aux protéines G jouant un rôle important dans le contrôle
du métabolisme, ils sont aussi désignés parfois sous le terme de récepteurs méta-
botropiques.
Le chapitre 6 étudie de façon détaillée les divers neurotransmetteurs, leurs
récepteurs et leurs effecteurs. Cependant, il faut savoir qu’un même neurotrans-
metteur peut avoir des effets synaptiques divers, selon les récepteurs auxquels
il est associé. L’effet de l’ACh sur le cœur et sur les muscles du squelette est un
exemple de cette diversité. L’ACh ralentit le rythme des contractions du cœur
en provoquant une lente hyperpolarisation des cellules du muscle cardiaque.
Au contraire, dans les muscles squelettiques l’ACh induit la contraction en
provoquant une dépolarisation rapide des fibres musculaires. Cette différence
s’explique par la nature des récepteurs mis en jeu. Dans le cœur, le récepteur à
l’ACh est associé à un canal potassique par l’intermédiaire d’une protéine G
et les fibres du muscle cardiaque sont hyperpolarisées par l’ouverture du canal
potassique. Dans les muscles squelettiques, le récepteur est en revanche un canal
ionique sensible à l’ACh perméable au Na+ et les fibres musculaires sont dépo-
larisées par l’entrée de sodium résultant de l’ouverture de ce canal.
5 – Transmission synaptique 127
Protéine G Protéine G
Seconds
messagers
(a) (b)
3. NdT : cette notion d’autorécepteur est dans certains cas élargie à la présence de récep-
teurs situés sur la partie somatodendritique du neurone, lorsque celui-ci est à même de
libérer le neurotransmetteur à ce niveau par un mécanisme somatodendritique ou qu’il
existe des collatérales de l’axone formant localement des synapses avec les dendrites du
même neurone. L’effet de la mise en jeu de ces récepteurs est également compris comme
exerçant un rétrocontrôle inhibiteur sur l’activité neuronale.
4. NdT : c’est notamment le cas pour les acides aminés excitateurs comme le glutamate,
qui est principalement éliminé de l’espace synaptique par l’action très efficace de diffé-
rents types de transporteurs situés sur les astrocytes associés à la synapse et/ou des trans-
porteurs neuronaux situés principalement dans la partie post-synaptique de la synapse.
128 1 – Bases cellulaires
Neuropharmacologie
Tous les aspects de la transmission synaptique étudiés ci-dessus — la syn-
thèse des neurotransmetteurs, leur stockage dans les vésicules synaptiques, l’exo-
cytose, la fixation des neurotransmetteurs sur leurs récepteurs et l’inactivation
des neurotransmetteurs — sont d’ordre chimique. Il est donc possible d’agir sur
ces mécanismes au moyen d’agents pharmacologiques, de médicaments ou de
toxines spécifiques (Encadré 5.5). La neuropharmacologie est la discipline qui
étudie l’effet de ces drogues5. sur le système nerveux.
Nous avons mentionné précédemment que certains gaz toxiques peuvent
interférer avec la transmission synaptique en inhibant l’activité de l’AChE de
la jonction neuromusculaire. Cette interférence est un des effets des drogues,
consistant à inhiber le fonctionnement normal de protéines spécifiques impli-
quées dans la transmission synaptique ; ces drogues sont qualifiées d’inhibiteurs.
Les inhibiteurs des récepteurs de neurotransmetteurs, appelés antagonistes des
récepteurs, se fixent sur les récepteurs et bloquent le mécanisme normal d’action
du neurotransmetteur. Le curare, par exemple, un poison traditionnellement uti-
lisé par les Indiens d’Amérique du Sud au bout d’une flèche pour paralyser leur
proie, représente un antagoniste de récepteurs. Il se fixe fortement aux récepteurs
de l’ACh présents sur les cellules des muscles squelettiques et bloque les effets de
l’ACh, empêchant ainsi la contraction musculaire.
D’autres agents pharmacologiques se lient aux récepteurs mais, au lieu de les
inhiber, ils imitent les effets des neurotransmetteurs synthétisés naturellement.
Ce sont les agonistes des récepteurs. La nicotine, un dérivé du tabac, en est un
exemple. La nicotine, en se liant aux récepteurs de l’ACh du muscle, entraîne leur
activation. C’est pourquoi les canaux ioniques du muscle sensibles à l’ACh sont
également dénommés récepteurs cholinergiques nicotiniques, pour les distinguer
des autres types de récepteurs à l’ACh, tels que ceux du cœur qui ne sont pas
sensibles à la nicotine6 Il existe aussi des récepteurs cholinergiques nicotiniques
au niveau du SNC. Ce sont d’ailleurs ceux qui sont impliqués dans les effets de
l’addiction et de la dépendance au tabac.
La complexité de la transmission synaptique la rend particulièrement prédis-
posée au corollaire médical de la loi de Murphy, qui dit que si un processus phy-
siologique peut se dérégler, il se déréglera. Lorsque la transmission synaptique
n’est pas correctement assurée, le système nerveux fonctionne mal. Des anoma-
5. NdT : la notion de drogue est ici considérée au sens pharmacologique, c’est-à-dire d’un
agent pharmacologique actif et non au sens populaire qui associe la drogue à la toxico-
manie.
6. NdT : cette seconde catégorie de récepteurs cholinergiques est sensible à un autre
agent, la muscarine ; de ce fait, cette deuxième catégorie de récepteurs est dénommée
récepteurs cholinergiques muscariniques.
5 – Transmission synaptique 129
Encadré 5.5 FOCUS
Principes de l’intégration
synaptique
La plupart des neurones du SNC ont la capacité de recevoir plus ou moins
simultanément des milliers d’informations synaptiques, qui activent différentes
combinaisons de récepteurs-canaux et de récepteurs couplés aux protéines G.
Le neurone post-synaptique intègre tous ces signaux complexes et génère un
signal simple : le potentiel d’action. La transformation de nombreux signaux
synaptiques de nature chimique ou électrique en un seul type d’énergie est à la
base de l’intégration de l’information neuronale, le cerveau effectuant des mil-
liards d’opérations à chaque seconde. Pour comprendre ce phénomène, il faut
alors tenter de rendre compte de certains principes de base de l’intégration des
informations synaptiques. L’intégration synaptique est le processus par lequel
de multiples potentiels d’action afférant au neurone se combinent dans un seul
neurone post-synaptique.
Pas de courant
Sens du courant entrant
Sommation spatiale
Afférence présynatique
PPSE
PPSE
Vm Vm Vm
– 65 mV – 65 mV – 65 mV
d’arrosage percé. L’eau peut prendre deux directions : soit elle se dirige vers l’in-
térieur du tuyau et continue à s’écouler, soit elle sort par les trous. De la même
façon, le courant synaptique peut prendre deux directions : soit il se propage à
l’intérieur de la dendrite vers les régions somatiques du neurone, soit il passe au
travers de la membrane dendritique. À une certaine distance de la zone d’entrée
du courant, l’amplitude du PPSE devient nulle à cause de la dispersion du cou-
rant au travers de la membrane.
L’atténuation de la dépolarisation le long du câble dendritique en fonction
de la distance est représentée par le graphique de la figure 5.20. Pour simplifier
les mathématiques, on considérera ici que la dendrite est infiniment longue, sans
branchement, et de diamètre uniforme. Cette atténuation présente une allure
exponentielle avec l’accroissement de la distance. L’amplitude de la dépolarisa-
tion de la membrane à une distance donnée (Vx) peut être calculée par l’équation
suivante : Vx = Vo/ex/λ, dans laquelle Vo est la dépolarisation d’origine (juste au
niveau de la synapse), e (= 2,718…) est la base des logarithmes, x représente la
distance depuis la synapse, et λ est une constante qui dépend des propriétés de la
dendrite. Quand x = λ, alors Vx = Vo/e ; soit : Vλ = 0,37 (Vo). Cette distance λ,
marquant l’endroit où le taux de dépolarisation représente 37 % de la dépolari-
sation initiale, est dénommée constante de longueur dendritique (souvenez-vous
que cette analyse est volontairement très simplifiée. Les dendrites n’ont pas de
longueur infinie, elles sont très branchées et ont tendance à s’effiler vers les extré-
mités, ce qui affecte la diffusion des courants et, par conséquent, l’efficacité des
potentiels synaptiques).
La constante de longueur est un index de la distance sur laquelle la dépola-
risation peut s’étendre le long d’une dendrite. Plus la constante de longueur est
grande, plus il est probable que les PPSE générés dans des synapses éloignées
dépolariseront la membrane du cône axonique. Dans notre dendrite idéale, élec-
triquement passive, la valeur de λ dépend de deux facteurs : (1) la résistance au
flux du courant longitudinal le long de la dendrite, appelée résistance interne
(ri), et (2) la résistance au flux du courant à travers la membrane, appelée la
résistance membranaire (rm). Le courant passera généralement par la voie où la
5 – Transmission synaptique 133
Vm Vm
Injection
de courant
Enregistrement Enregistrement
de Vm de Vm
Vers
le corps
cellulaire Figure 5.20 – Atténuation passive de la dépo
Câble dendritique larisation avec la distance, le long d’une den
(a)
drite.
(a) Un courant est injecté dans une dendrite
Pourcentage de la dépolarisation
Inhibition
Comme nous l’avons vu, la contribution d’un PPSE à la genèse d’un poten-
tiel d’action dépend de plusieurs facteurs, y compris le nombre de synapses
excitatrices coactives, la distance entre la synapse et la zone d’initiation des
potentiels d’action, ou encore les propriétés des membranes dendritiques. Dans
le cerveau, toutes les synapses ne sont cependant pas excitatrices. Le rôle de cer-
taines synapses consiste à éloigner le potentiel membranaire du seuil du potentiel
d’action ; c’est le rôle des synapses inhibitrices qui exercent un contrôle puissant
sur l’activité neuronale (Encadré 5.6).
Potentiels post-synaptiques d’inhibition (PPSI) et effets de shunt. Les
récepteurs post-synaptiques des synapses inhibitrices sont très semblables à ceux
des synapses excitatrices ; il s’agit dans ce cas aussi de récepteurs canaux. Les
seules différences importantes entre ces récepteurs concernent les neurotrans-
metteurs auxquels ils sont associés et le type d’ions qu’ils laissent passer. Les
récepteurs de la plupart des synapses inhibitrices ne sont perméables qu’à un seul
ion, l’ion Cl–. L’ouverture du canal chlore laisse passer les ions Cl– dans un sens
qui tend vers le potentiel d’équilibre du chlore, ECl, d’environ – 65 mV. De ce fait,
au moment où le neurotransmetteur est libéré, si le potentiel de la membrane est
supérieur à – 65 mV, l’activation de ces canaux produit un PPSI hyperpolarisant.
À l’inverse, si le potentiel de membrane est à ce moment de – 65 mV, l’activa-
tion du canal chlore ne produit aucun PPSI puisque la valeur du potentiel de
membrane est déjà équivalente à ECl (c’est-à-dire le potentiel d’inversion pour
cette synapse ; voir Encadré 5.4). Mais, si aucun PPSI n’apparaît, le neurone
est-il réellement inhibé ? Dans ce cas, on considère en effet que l’action du neu-
rone est réellement inhibée. La figure 5.21 illustre le cas suivant : une synapse
excitatrice est située sur la partie distale d’une dendrite et une synapse inhibitrice
sur une partie plus proximale, plus proche du soma. L’activation de la synapse
excitatrice entraîne un afflux de charges positives dans la dendrite. Ce courant
dépolarise la membrane et se déplace en direction du soma. Cependant, à l’en-
droit où la synapse inhibitrice est active, le potentiel de la membrane est presque
égal à ECl, c’est-à-dire à – 65 mV. Donc, à cet endroit précis le courant positif
passe à l’extérieur de la membrane et ramène Vm à – 65 mV. Cette synapse joue
le rôle d’une dérivation électrique associée à une chute de la résistance membra-
naire ; elle empêche le courant de se propager à travers le soma vers le cône
axonique. Ce type d’inhibition (shunting inhibition) se traduit par le déplacement
vers l’intérieur des ions chlore négatifs, ce qui est formellement équivalent à un
courant positif sortant. Cette inhibition est comparable à l’apparition d’un gros
trou dans le tuyau d’arrosage déjà percé : toute l’eau va s’écouler par cet endroit
de moindre résistance avant d’arriver au jet qui permet d’arroser.
Ceci explique comment les synapses inhibitrices contribuent également à
l’intégration synaptique. Lorsque les PPSI sont soustraits des PPSE, le neurone
post-synaptique est moins susceptible de produire des potentiels d’action. De
plus, l’inhibition réduit de façon drastique rm et par conséquent λ, laissant ainsi
le courant positif passer à l’extérieur à travers la membrane au lieu de passer
dans les dendrites vers la zone d’initiation des potentiels d’action.
Géométrie des synapses excitatrices et inhibitrices. Les synapses inhibitrices
du cerveau dont le GABA est le neurotransmetteur correspondant, ont toujours
une morphologie caractéristique de type II de Gray (voir Fig. 5.8b). Cette struc-
ture contraste avec celle des synapses excitatrices qui utilisent le glutamate et qui
ont toujours une morphologie de type I de Gray. La corrélation entre structure et
fonction a servi à établir les relations géométriques entre les synapses excitatrices
5 – Transmission synaptique 135
Encadré 5.6 FOCUS
et inhibitrices sur les neurones, au plan individuel. En plus de leur présence sur
les dendrites, sur beaucoup de neurones les synapses inhibitrices sont regroupées
sur le soma et près du cône axonique, occupant une position particulièrement
importante pour contrôler l’activité du neurone post-synaptique.
Neuromodulation
La plupart des mécanismes post-synaptiques mentionnés ci-dessus impliquent
des récepteurs qui sont eux-mêmes des canaux ioniques. Les synapses com-
portant des récepteurs-canaux véhiculent la majeure partie de l’information
136 1 – Bases cellulaires
Dendrite
Soma
Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm
PPSE
Vm de la Vm du
dendrite soma
(a)
Dendrite
Soma
Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm
PPSE
Vm de la Vm du
dendrite soma
(b)
Figure 5.21 – Effets d’inhibition.
Le schéma représente un neurone recevant à la fois une afférence excitatrice et une afférence inhibitrice. (a) La stimulation de l’afférence excitatrice
entraîne un courant entrant qui diffuse vers le soma de la cellule où un PPSE peut être enregistré. (b) Lorsque les afférences excitatrice et inhibitrice
sont simultanément mises en jeu, le courant dépolarisant « fuit » au travers de la membrane avant d’atteindre le soma.
Récepteur β Canal
adrénergique NA potassique
Adényl
cyclase
1
2
5
3
Protéine
Protéine G kinase
L’AMPc stimule une autre enzyme, la protéine kinase. La protéine kinase est
le catalyseur d’une réaction chimique appelée phosphorylation, qui se traduit par
le transfert de groupements phosphates (PO3) de l’ATP jusqu’à des sites spé-
cifiques situés sur des protéines cellulaires particulières dénommées phospho-
protéines (Fig. 5.22). La phosphorylation peut modifier la conformation d’une
protéine et donc sa fonction.
Dans certains neurones, une des protéines phosphorylée par l’élévation des
taux d’AMPc est un type particulier de canal potassique de la membrane den-
dritique. La phosphorylation provoque la fermeture de ce canal, réduisant ainsi
la conductance au potassium de la membrane. En soi, cette action sur les canaux
potassiques ne provoque pas d’effet dramatique sur le neurone. Cependant, elle
a une conséquence plus importante : la diminution de la conductance potassique
augmente la résistance de la membrane dendritique et augmente donc la constante
de longueur. C’est comme si on réparait les trous du tuyau d’arrosage percé avec
du ruban adhésif : l’eau s’écoulera davantage par le tuyau et moins par les parois
du tuyau. En augmentant λ, les synapses excitatrices distales, d’action faible sur
la genèse du potentiel d’action, deviennent plus efficaces pour dépolariser la zone
d’initiation des potentiels d’action au-delà du seuil ; la cellule deviendra donc
plus excitable. Ainsi, la fixation de la noradrénaline aux récepteurs β modifie en
elle-même peu le potentiel membranaire mais elle accroît de façon significative
la réponse induite par un autre neurotransmetteur d’une synapse excitatrice. Ce
processus impliquant plusieurs intermédiaires, il prolonge l’activité synaptique
qui peut ainsi durer beaucoup plus longtemps que le très court moment de la
présence effective du transmetteur lui-même dans l’espace synaptique.
Nous avons décrit un récepteur particulier couplé aux protéines G et les
conséquences de son activation dans un type de neurone mais il faut savoir
que d’autres types de récepteurs peuvent induire la formation d’autres types de
seconds messagers. L’activation de chacun de ces récepteurs va initier une série
de réactions biochimiques dans le neurone post-synaptique, sans provoquer sys-
tématiquement de phosphorylation ni de diminution de la résistance membra-
naire. En fait, dans un autre type de cellules, l’AMPc, avec d’autres enzymes,
peut induire sur l’excitabilité cellulaire des changements fonctionnels de carac-
tère inverse de ceux mentionnés précédemment.
Le chapitre 6 abordera plus longuement la modulation synaptique et ses
mécanismes mais il est déjà perceptible que les diverses formes de modulation
de la transmission synaptique offrent un nombre presque illimité de possibilités
de traitement et d’utilisation par le neurone post-synaptique de l’information
codée par le neurone présynaptique.
138 1 – Bases cellulaires
Conclusion
Ce chapitre a présenté les bases théoriques de la transmission synaptique
chimique. Le potentiel d’action, que la punaise a fait naître dans le nerf sensoriel
dans le chapitre 3, s’est propagé le long de l’axone dans le chapitre 4 et a mainte-
nant atteint la terminaison axonique dans la moelle épinière. La dépolarisation
de la terminaison a déclenché l’entrée d’ions Ca2+ à travers les canaux calciques
sensibles au potentiel, ce qui a par la suite stimulé l’exocytose du contenu des
vésicules synaptiques. Le neurotransmetteur libéré a diffusé à travers l’espace
synaptique et s’est fixé à des récepteurs spécifiques situés dans la membrane
post-synaptique. Le neurotransmetteur (probablement du glutamate) a provo-
qué l’ouverture des canaux ioniques, permettant ainsi la genèse d’un courant
positif dans la dendrite post-synaptique. Puisque le nerf sensoriel a initié des
potentiels d’action à fréquence élevée et que plusieurs synapses ont été activées
en même temps, les PPSE se sont additionnés pour amener la zone d’initiation
de la décharge du neurone post-synaptique au seuil de dépolarisation et cette
cellule a généré des potentiels d’action. Si la cellule était un neurone moteur, ce
mécanisme d’action aurait entraîné la libération d’ACh à la jonction neuromus-
culaire et la contraction du muscle. Si la cellule post-synaptique était un inter-
neurone utilisant le GABA comme neurotransmetteur, son action consisterait à
inhiber ses cibles synaptiques. Si cette cellule utilisait enfin un neurotransmet-
teur impliqué dans la neuromodulation comme la noradrénaline, elle provoque-
rait des modifications durables de l’excitabilité ou du métabolisme de ses cibles
synaptiques. C’est la grande variété des interactions synaptiques chimiques qui
explique la diversité et la complexité des comportements (tel qu’esquisser un
mouvement de retrait d’un membre à la suite d’une douleur), en réponse à des
stimuli simples (comme marcher accidentellement sur une punaise).
Il est aussi nécessaire de s’intéresser à la chimie de la transmission synap-
tique de façon plus détaillée. Le chapitre 6 est consacré à l’étude particulière
des divers systèmes de neurotransmetteurs. Enfin, après avoir examiné les sys-
tèmes moteur et sensoriel dans la 3e partie, nous étudierons la contribution des
divers neurotransmetteurs au fonctionnement du système nerveux et cherche-
rons à élucider leur rôle dans le comportement. Il est ainsi tout à fait justifié de
porter autant d’attention à la transmission synaptique car, comme nous l’avons
déjà mentionné, les défauts de la communication intercellulaire sont à l’origine
de nombreux troubles neurologiques et psychiatriques. De plus, virtuellement,
toutes les molécules psychoactives, qu’elles soient d’un intérêt thérapeutique ou
illicite, exercent leur effet par ces synapses.
Les connaissances acquises dans le domaine de la transmission synaptique,
ajoutées aux données sur le traitement de l’information nerveuse et sur les effets
des drogues, donnent une clé supplémentaire pour comprendre les bases cel-
lulaires de la mémorisation et de l’apprentissage : la mémoire des expériences
passées paraît se construire grâce aux variations de l’activité des synapses
chimiques dans le cerveau. Plusieurs possibilités sont envisagées dans ce cha-
pitre pour modifier l’activité synaptique, depuis les variations survenant dans
l’entrée de Ca2+ dans l’élément présynaptique et la libération des neurotransmet-
teurs, jusqu’aux changements intervenant aux récepteurs post-synaptiques ou de
l’excitabilité. Tous ces changements sont susceptibles de contribuer au stockage
de l’information par le système nerveux (chapitre 25).
5 – Transmission synaptique 139
QUESTIONS DE RÉVISION
RÉCEPTEURS-CANAUX
Structure des récepteurs-canaux......................................................... 161
Récepteurs-canaux des acides aminés................................................. 162
Encadré 6.4 Focus Ces poisons si excitants :
beaucoup trop de si bonnes choses…
RÉCEPTEURS COUPLÉS
AUX PROTÉINES G
Structure des récepteurs couplés aux protéines G............................... 167
Caractère ubiquitaire des protéines G................................................. 167
Effecteurs des récepteurs couplés aux protéines G.............................. 169
DIVERGENCE
ET CONVERGENCE
ENTRE LES SYSTÈMES
DE NEUROTRANSMETTEURS
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
e fonctionnement du cerveau humain est basé sur une organisation
méthodique d’innombrables réactions chimiques. De l’ensemble de ces
réactions chimiques, celles qui sont associées à la transmission synap-
tique comptent parmi les plus importantes. Le chapitre 5 a présenté les prin-
cipes généraux de la transmission synaptique chimique, avec des exemples liés
à quelques neurotransmetteurs spécifiques. Ce chapitre explore plus en détail la
variété et le raffinement des grands systèmes neuronaux, tels qu’ils peuvent être
identifiés par leur neurotransmetteur.
Ces systèmes neuronaux se trouvent caractérisés par le fait qu’ils rassemblent
des populations de neurones utilisant un même neurotransmetteur. Les trois
groupes principaux de neurotransmetteurs : les acides aminés, les amines et les
neuropeptides ont déjà été mentionnés dans le chapitre précédent. La liste par-
tielle des neurotransmetteurs connus, comme celle présentée dans le tableau 5.1,
dénombre déjà près de 20 molécules différentes. Chacune d’entre elles définit
un système neuronal particulier. En plus de la présence de la molécule de neu-
rotransmetteur elle-même, ces systèmes neuronaux présentent tous des méca-
nismes moléculaires spécifiques, responsables de la synthèse du neurotransmet-
teur qu’ils expriment, de son stockage dans les vésicules, de son élimination
synaptique et de sa dégradation, et de son action post-synaptique (Fig. 6.1).
La première molécule identifiée comme neurotransmetteur, par Otto Loewi
dans les années vingt, est l’acétylcholine ou ACh (voir Encadré 5.1). Le pharma-
cologue britannique Henry Dale introduisit le terme cholinergique pour qualifier
les cellules qui produisent et libèrent l’ACh (Dale partagea le prix Nobel avec
Loewi en 1936 pour ses travaux sur la neuropharmacologie de la transmission
synaptique). Dale inventa aussi le terme de noradrénergique pour les neurones
associés à l’action de la noradrénaline (NA). Par convention, le suffixe -ergique
est ainsi également utilisé pour les autres neurotransmetteurs identifiés. Il est
donc fait état de synapses glutamatergiques pour les synapses associées au glu-
tamate, de synapses GABAergiques pour celles qui impliquent le GABA, de
synapses peptidergiques pour celles qui utilisent les neuropeptides comme neu-
rotransmetteur, etc. Ces adjectifs désignent aussi plus généralement les divers
systèmes neuronaux utilisant ces neurotransmetteurs. Par exemple, l’ACh et tous
les neurones et mécanismes qui lui sont associés, représentent, collectivement, le
système cholinergique.
Avec cette terminologie, ce chapitre commence l’exploration des systèmes
neuronaux identifiés par le neurotransmetteur qu’ils utilisent dans la communi-
cation intercellulaire : d’abord, il se focalise sur les stratégies expérimentales qui
ont permis de les étudier ; puis il décrit les mécanismes relatifs à la biosynthèse,
au métabolisme et aux effets post-synaptiques des principaux neurotransmet-
teurs. Avec une meilleure connaissance de ces systèmes, il sera alors possible
d’envisager dans le chapitre 15 leur rôle potentiel dans le contexte de leur contri-
bution individuelle à la régulation des fonctions du cerveau et du comportement.
142 1 – Bases cellulaires
Terminaison
axonique présynaptique
Enzymes de synthèse
des neurotransmetteurs
Transporteurs vésiculaires
Transporteurs neuronaux
Enzymes de dégradation
Récepteurs-canaux
Protéines G
Coupe
de tissu
nerveux
Figure 6.2 – Immunocytochimie.
Cette méthode utilise des anticorps marqués pour localiser les molécules à l’intérieur des cellules. (a) La molécule étudiée (un candidat neurotransmet-
teur, par exemple) est injectée à un animal, induisant une réponse immunitaire et la production d’anticorps. (b) Le prélèvement sanguin permet ensuite
d’isoler les anticorps du sérum. (c) Les anticorps, marqués par une molécule permettant de les visualiser, sont appliqués sur des coupes de cerveau.
L’anticorps marqué permet de repérer les cellules contenant l’antigène, c’est-à-dire le neurotransmetteur putatif. (d) Agrandissement d’un complexe
formé par le neurotransmetteur « candidat », l’anticorps et le marqueur permettant de le visualiser.
144 1 – Bases cellulaires
Figure 6.3 – Localisation immunocytochimique
d’un neurotransmetteur peptidique.
(a) Neurone du cortex cérébral marqué par
un anticorps dirigé contre un neuropep-
tide (Source : courtoisie du Dr Y. Amitai et
S. L. Patrick.) (b) Identification de trois diffé-
rents types de neurones sur une coupe histolo-
gique de cortex cérébral utilisant des anticorps
spécifiques dirigés contre trois neurotrans-
metteurs, chacun marqué par une sonde
fluorescente différente (vert, rouge et bleu).
(Source : courtoisie du Dr S. J. Cruikshank et
S. L. Patrick.)
La photographie en (a) a été prise avec un
grandissement plus important qu’à la photo-
graphie en (b). (a) (b)
Neurotransmetteur : ACh
+ + +
Antagoniste : Curare Atropine
– +
–
Figure 6.7 – Neuropharmacologie de la trans-
mission cholinergique.
Récepteur Récepteur Représentation schématique des sites de
Récepteurs : nicotinique muscarinique
liaison de l’acétylcholine (ACh), des agonistes
cholinergiques, qui reproduisent l’effet de
l’ACh, et des antagonistes, qui bloquent les
effets de l’ACh et des agonistes cholinergiques.
Neurotransmetteur : Glutamate
Divers agents pharmacologiques ont aussi été utilisés pour distinguer les
sous-types de récepteurs associés au glutamate. Trois sous-types de ces récepteurs
peuvent être cités : les récepteurs AMPA, les récepteurs NMDA et les récepteurs
kainate, d’après le nom des agonistes chimiques différents pour chacun d’eux
(AMPA pour α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate et NMDA
pour N-méthyl-D-aspartate). Les trois sous-types de récepteurs sont activés
par le glutamate mais l’AMPA agit seulement sur les récepteurs ainsi reconnus
comme AMPA, le NMDA seulement sur les récepteurs NMDA, etc. (Fig. 6.8).
Des analyses pharmacologiques similaires ont permis de distinguer les
récepteurs adrénergiques en deux sous-types, α et β et les récepteurs GABA en
GABAA et GABAB. Le même schéma s’applique à tous les systèmes de neu-
rotransmetteurs et certaines drogues se sont montrées très utiles pour établir des
sous-classes de récepteurs (Tab. 6.1). De plus, l’analyse pharmacologique consti-
tue un outil inestimable pour évaluer la contribution de ces différents systèmes
de neurotransmetteurs aux fonctions du cerveau.
Méthodes de liaison par utilisation de ligands. L’identification des systèmes
neuronaux commence par la caractérisation des neurotransmetteurs correspon-
dants. Cependant, vers 1970, en découvrant que de nombreuses drogues intera-
gissent sélectivement avec les récepteurs des neurotransmetteurs, les chercheurs
ont réalisé qu’ils pouvaient en premier lieu utiliser ces composés pour caractériser
aussi les récepteurs, avant même que le neurotransmetteur soit identifié. Solomon
Snyder, avec son étudiant Candace Pert, de l’Université Johns Hopkins, a été le
pionnier de cette approche en étudiant les récepteurs aux opïacés (Encadré 6.1).
Les opïacés représentent une vaste classe de produits largement utilisés en cli-
nique, mais qui font aussi l’objet d’un usage intensif par les toxicomanes. Leurs
effets permettent en particulier de soulager la douleur mais ces produits sont aussi
euphorisants et entraînent des constipations et des dépressions respiratoires.
148 1 – Bases cellulaires
ces chiffres permettent d’effectuer des calculs intéressants : s’il faut cinq sous-
unités pour former un récepteur GABAA fonctionnel et s’il existe un choix de
15 sous-unités, il y a donc 151 887 combinaisons de sous-unités possibles. Ceci
signifie qu’il y a potentiellement 151 887 récepteurs GABAA différents !
Il faut cependant savoir que la plupart des combinaisons de sous-unités
possibles ne sont jamais élaborées par les neurones et que, si cela était, elles ne
pourraient pas fonctionner correctement. Il est clair qu’une classification des
récepteurs comme celle du tableau 6.1, bien qu’utile, sous-estime considérable-
ment la diversité des sous-types de récepteurs présents dans le cerveau.
Organisation
anatomobiochimique
du système nerveux
Les neurotransmetteurs considérés aujourd’hui comme les plus importants
sont les acides aminés, les amines et les peptides. L’évolution est conservatrice et
opportuniste, et elle utilise souvent des choses banales et familières pour de nou-
veaux usages. Il semble que ce fait s’applique aussi à l’évolution des neurotrans-
metteurs. Ils sont en grande partie comparables aux substances chimiques qui
participent aux fondements de la vie, ces substances mêmes que les cellules de
toutes les espèces utilisent dans leur métabolisme, depuis les bactéries jusqu’aux
girafes. Les acides aminés, qui représentent les éléments de base de la structure
des protéines, sont nécessaires à la vie. La plus grande partie des molécules de
neurotransmetteurs connues à ce jour sont (1) soit des acides aminés, (2) soit
des amines dérivées des acides aminés, (3) soit encore des peptides formés à
partir des acides aminés. L’ACh est une exception : c’est un dérivé de l’acétyl
Co-enzyme A (acétyl CoA), un produit de la respiration cellulaire omniprésent
dans les mitochondries, et de la choline, qui joue un rôle important dans le méta-
bolisme lipidique du corps tout entier.
Les acides aminés et les amines neurotransmetteurs sont respectivement stoc-
kés dans et libérés par, des ensembles de neurones distincts. Selon la règle établie
par Henry Dale, connue comme le principe de Dale, les neurones sont classés en
populations, en fonction du neurotransmetteur qu’ils utilisent (cholinergique,
glutamatergique, GABAergique, etc.). Le principe de Dale énonce qu’un neurone
a une identité unique par rapport à un neurotransmetteur donné. Strictement
parlant, cependant, de nombreux neurones utilisant les peptides comme neu-
rotransmetteur ne respectent pas le principe de Dale car ils contiennent plus
d’un neurotransmetteur : un acide aminé ou une amine, et un neuropeptide.
Lorsque deux ou plus neurotransmetteurs sont libérés par une même termi-
naison nerveuse, ils sont dénommés cotransmetteurs1. De fait, au cours de ces
dernières années de nombreux neurones utilisant des cotransmetteurs ont été
identifiés, incluant ceux qui sécrètent deux neurotransmetteurs de petite taille
(comme le GABA et la glycine, par exemple). Toutefois, de nombreux neurones
ne paraissent libérer qu’un seul acide aminé et une seule amine jouant le rôle de
neurotransmetteur. Dans ce cas, cela permet de classer les neurones en catégories
distinctes, sans chevauchement possible. Ces neurones se distinguent par des
mécanismes biochimiques qui les caractérisent.
1. NdT : il est intéressant de souligner que les associations de neurotransmetteurs dans
les mêmes neurones paraissent respecter certaines règles, faisant que les coneurotransmet-
teurs les plus fréquemment associés avec d’autres sont incontestablement les neuropep-
tides, présents dans de très nombreux cas soit avec le GABA, soit avec des amines ou
encore avec d’autres neuropeptides (association peptide-peptide). En revanche, certaines
associations paraissent moins probables, comme celle des acides aminés avec les amines
dont les exemples sont très rares, même si des données récentes soulignent que des neu-
rones dopaminergiques pourraient libérer aussi du glutamate.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 151
Neurones cholinergiques
L’acétylcholine (ACh) est le neurotransmetteur de la jonction neuromuscu-
laire des vertébrés. Il est synthétisé par tous les neurones moteurs de la moelle
épinière. Les autres cellules cholinergiques contribuent aux fonctions de circuits
spécifiques, dans le système nerveux périphérique et dans le SNC, comme cela
sera évoqué dans le chapitre 15.
La synthèse de l’ACh nécessite la présence d’une enzyme spécifique, la cho-
line acétyltransférase (ChAT) (Fig. 6.10). Comme toutes les protéines présynap-
tiques, la ChAT est élaborée dans le soma, puis transportée jusqu’aux terminai-
sons axoniques par le transport axoplasmique. La ChAT ne se trouve que dans les
neurones cholinergiques et cette enzyme est donc un bon marqueur des cellules
utilisant l’ACh comme neurotransmetteur. L’immunocytochimie utilisant des
anticorps dirigés contre la ChAT peut être un bon moyen d’identifier les neu-
rones cholinergiques. La ChAT synthétise l’ACh dans le cytosol de la terminaison
axonique, puis le neurotransmetteur est concentré dans les vésicules synaptiques
grâce à l’action d’un transporteur d’ACh vésiculaire spécifique (Encadré 6.2).
La ChAT transfère le groupement acétyl de l’acétyl CoA à la choline
(Fig. 6.11a). La choline existe en faible concentration (micromolaire) dans le
milieu extracellulaire et elle est captée par les terminaisons axoniques grâce à un
transporteur membranaire spécifique impliquant un cotransport avec des ions
Na+ (voir Encadré 6.2). Étant donné que la quantité de choline disponible limite
la quantité d’ACh qui peut être synthétisée dans la terminaison axonique, le
transport de choline dans le neurone constitue une étape limitante de la synthèse
de l’ACh. Dans certaines pathologies comportant un déficit de la transmission
synaptique cholinergique, il est parfois prescrit un régime particulier à base de
choline, pour tenter de rétablir les niveaux d’ACh dans le cerveau.
Les neurones cholinergiques produisent aussi eux-mêmes l’enzyme de dégra-
dation de l’ACh, l’acétylcholinestérase (AChE). Cette enzyme est sécrétée dans
l’espace synaptique et se fixe sur les membranes de la terminaison axonique.
Cependant, l’AChE est aussi produite par quelques neurones non choliner-
giques ; elle ne constitue donc pas un marqueur aussi fiable des synapses choli-
nergiques que la ChAT.
Terminaison nerveuse
présynaptique
Transporteur
de choline
Transporteur
d’ACh ChAT Choline
ACh +
Acetyl CoA
Ach
ACh
Vésicule
Choline
AChE
ACh +
Acide acétique
Récepteurs de l’ACh
Élément post-synaptique
Figure A
Terminaison Transporteur Transporteur Terminaison
nerveuse neuronal neuronal de nerveuse
GABAergique du GABA glutamate 1 glutama-
tergique
Transporteur
2 Glu Transporteur
vésiculaire
GABA 2 vésiculaire
du GABA
de glutamate
GABA Glu
H+ H+
Membrane post-synaptique
la base d’un mécanisme de cotransport, dans le cas du médicaments vont agir sur l’action synaptique du neu-
GABA transportant 2 ions Na+ pour une molécule de rotransmetteur, qui pourra par exemple être ainsi pro-
neurotransmetteur. Au contraire, les transporteurs vési- longée. Dans le cas de la sérotonine, de la noradrénaline
culaires utilisent un contre-transport (antiport), qui ou de la dopamine, ceci se traduit par des effets sur
extrait une molécule de neurotransmetteur du cytosol l’humeur et le comportement. Mais l’étude des transpor-
pour la transférer dans la vésicule synaptique pour un teurs révèle aussi que certains dysfonctionnements des
ion H+ extrait de la vésicule. De fait, les membranes transporteurs pourraient rendre compte de troubles de
vésiculaires comportent des pompes à protons qui main- l’humeur ou des comportements, dans certains cas. Les
tiennent leur contenu à un pH très acide. médicaments les plus connus agissant selon ce principe
Quelle est alors la relation entre ces transporteurs et sont représentés par certains antidépresseurs, comme
les maladies ? De nombreuses drogues psychoactives, nous le verrons dans les chapitres 15 et 22. Toutefois,
telles que les amphétamines ou la cocaïne, sont des les relations entre neurotransmetteurs, médicaments,
bloqueurs puissants de certains de ces transports. En troubles de l’humeur et du comportement sont très com-
agissant sur ces transports pour les modifier, certains plexes et restent encore difficiles à établir avec précision.
O
O
CH3C
+ +
CoA HOCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 + CoA
Choline
Acétyl CoA + Choline acétyltransférase ACh
(ChAT)
(a)
O O
+ +
CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OH HOCH2CH2 N(CH3)3
Acétylcholinestérase
ACh Acide acétique + Choline
(b)
2. NdT : l’inhibition de l’AChE ne présente pas que des effets délétères. Chez les patients
souffrant de maladie d’Alzheimer, une démence très fréquente dont le premier facteur de
risque est l’âge, la déficience de la transmission cholinergique dans le SNC est rendue
responsable des troubles cognitifs et comportementaux dans les stades débutants et les
formes modérées de la maladie. L’utilisation de médicaments, développés dans les
années 1990 comme inhibiteurs de l’AChE, a alors pour effet de ralentir la dégradation
de l’ACh libérée et, partant, de contribuer à potentialiser la transmission cholinergique
centrale, avec des résultats satisfaisants.
154 1 – Bases cellulaires
HO Neurones catécholaminergiques
HO La tyrosine, un des acides aminés, est le précurseur de trois neurotransmet-
teurs aminergiques différents possédant en commun une structure chimique
(a) Noyau catéchol appelée noyau catéchol (Fig. 6.12a). Ces neurotransmetteurs sont collectivement
dénommés catécholamines. Ce sont la dopamine (DA), la noradrénaline (NA), et
l’adrénaline (Fig. 6.12b). Les neurones catécholaminergiques se trouvent situés
HO dans les régions du système nerveux impliquées dans la régulation du mouve-
ment, de l’humeur, de l’attention, et des fonctions végétatives, entre autres (voir
HO CH2CH2NH2
chapitre 15).
Tous les neurones catécholaminergiques contiennent la tyrosine hydroxy-
Dopamine (DA)
lase (TH), l’enzyme catalysant la première réaction de la biosynthèse des caté-
HO cholamines : la transformation de la tyrosine en un composé appelé DOPA
(L-dihydroxyphénylalanine) (Fig. 6.13a). L’activité de la TH est dite « limitante »
HO CHCH2NH2 de la biosynthèse des catécholamines. L’activité de l’enzyme est régulée par des
OH signaux variés survenant dans le cytoplasme de la terminaison axonique. Par
Noradrénaline (NA) exemple, une réduction de la libération des catécholamines par la terminaison
axonique entraîne une augmentation réactionnelle de la concentration des caté-
HO cholamines dans le cytosol, ce qui a pour effet d’inhiber l’activité de la TH. Ce
type de régulation est connu sous le nom d’inhibition par le produit de la réaction
HO CHCH2NHCH3 (end-product inhibition, en anglais). Par ailleurs, à l’inverse, lorsque les catécho-
lamines sont libérées dans l’espace synaptique à des taux élevés, l’augmentation
OH
Adrénaline
de [Ca2+]i qui accompagne la libération des neurotransmetteurs accroît l’activité
de la TH ; ainsi la production du neurotransmetteur est ajustée à la demande.
(b) Catécholamines
De plus, des périodes de stimulation prolongée des neurones catécholaminer-
Figure 6.12 – (a) Noyau catéchol et (b) caté- giques sont effectivement suivies d’une synthèse accrue des ARNm codant pour
cholamines. l’enzyme.
COOH
Tyrosine HO CH2CHNH2
Tyrosine
hydroxylase
(TH)
HO COOH
L-Dihydroxy-
(a) phénylalanine HO CH2CNH2
(DOPA)
DOPA
décarboxylase
HO
(b) Dopamine
(DA) HO CH2CH2NH2
Dopamine
β-hydroxylase
(DBH)
HO
Noradrénaline
(c)
(NA) HO CHCH2NH2
OH
Phentolamine
N-méthyltransférase
(PNMT)
HO
(d) Adrénaline
HO CHCH2NHCH3
Figure 6.13 – Biosynthèse des catéchola-
OH
mines à partir de la tyrosine.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 155
Neurones sérotoninergiques
La sérotonine est une monoamine appelée aussi 5-hydroxytryptamine ; en
abrégé : 5-HT. Elle est dérivée d’un acide aminé, le tryptophane. Il se trouve rela-
tivement peu de neurones sérotoninergiques dans le cerveau mais, comme cela
sera abordé dans la 3e partie de ce manuel, il semble qu’ils jouent un rôle tout à
fait déterminant dans les systèmes cérébraux qui régulent l’humeur, l’émotivité
ou encore le sommeil.
La synthèse de la sérotonine s’effectue en deux étapes, comme celle de la
dopamine (Fig. 6.14). Le tryptophane est d’abord transformé en un intermé-
diaire appelé 5-HTP (5-hydroxytryptophane) par l’enzyme tryptophane hydro
xylase. Le 5-HTP est alors converti en 5-HT par une autre enzyme, la 5-HTP-
décarboxylase. La synthèse de la sérotonine est limitée par la quantité de
tryptophane disponible dans le milieu extracellulaire baignant les neurones. La
source du tryptophane présent dans le cerveau est le sang, et la source du trypto-
phane présent dans le sang est l’alimentation (les céréales, la viande et le chocolat
sont particulièrement riches en tryptophane).
Après avoir été libérée par la terminaison axonique, la 5-HT est éliminée
de l’espace synaptique par un transporteur membranaire spécifique, situé sur
la terminaison nerveuse elle-même. Le processus de recaptage de la sérotonine,
comme celui des catécholamines, est sensible à certaines drogues. Par exemple,
plusieurs antidépresseurs, y compris la fluoxétine (commercialisée sous le nom
156 1 – Bases cellulaires
COOH
Tryptophane CH2CHNH2
N
Tryptophane
hydroxylase
COOH
5-hydroxytryptophane
(5-HTP) HO CH2CHNH2
N
5-HTP
décarboxylase
5-hydroxytryptamine HO CH2CH2NH2
(sérotonine, 5-HT)
N
3. NdT : les transporteurs vésiculaires des acides aminés excitateurs ont été clonés. Trois
sous-types de transporteurs, dénommés vGlut1, vGlut2, et vGlut3, présentent une distri-
+
GABA NH3CHCH2CH2COOH bution caractéristique dans le cerveau des mammifères, permettant de distinguer plu-
sieurs sous-populations de neurones glutamatergiques. Les anticorps dirigés contre ces
Figure 6.16 – Biosynthèse du GABA à partir transporteurs permettent un marquage fiable des neurones glutamatergiques par immu-
du glutamate. nocytochimie.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 157
Autres neurotransmetteurs
et messagers intercellulaires putatifs
En plus des acides aminés et des amines, quelques petites molécules pour-
raient jouer le rôle de messagers chimiques, entre les neurones. La recherche
se concentre actuellement sur l’adénosine triphosphate (ATP), une molécule-clé
du métabolisme cellulaire (voir Fig. 2.13), qui est aussi un neurotransmetteur.
L’ATP est concentré dans les vésicules de nombreuses synapses du SNC et du
système nerveux périphérique et il est libéré dans l’espace synaptique dans un
processus dépendant du Ca2+, tout comme n’importe quel autre neurotransmet-
teur. L’ATP est souvent présent dans des vésicules synaptiques où il coexiste avec
un autre neurotransmetteur. Par exemple, les vésicules synaptiques contenant
des catécholamines peuvent contenir jusqu’à 100 mM d’ATP, ce qui est tout à
fait considérable, en plus des 400 mM des catécholamines elles-mêmes. Dans
ce cas, on peut considérer que les catécholamines et l’ATP sont des cotrans-
metteurs. L’ATP est également un cotransmetteur avec le GABA, le glutamate,
l’ACh et divers neuropeptides dans des populations de neurones particulières.
L’ATP excite directement les neurones en activant un canal pour les cations.
En ce sens, il est possible de dire que le rôle de neurotransmetteur de l’ATP est, en
partie, semblable à celui du glutamate et de l’ACh. L’ATP agit au travers d’une
classe de récepteurs qualifiés de récepteurs purinergiques, dont certains sont des
récepteurs-canaux. De nombreux autres récepteurs purinergiques appartiennent
à la classe des récepteurs couplés aux protéines G. Après sa sécrétion dans l’es-
pace synaptique, l’ATP est dégradé par des enzymes extracellulaires, conduisant
à la production d’adénosine. L’adénosine elle-même n’est pas assimilable direc-
tement à un neurotransmetteur, n’étant pas présente dans des vésicules synap-
tiques, mais elle conduit à la stimulation de plusieurs sous-types de récepteurs
spécifiques.
L’une des découvertes les plus intéressantes de ces dernières années sur les
neurotransmetteurs porte sur de petites molécules lipidiques, dénommées endo-
cannabinoïdes, pour cannabinoïdes endogènes. Ces molécules présentent la par-
ticularité d’être libérées par l’élément post-synaptique et d’agir sur l’élément
présynaptique après diffusion (Encadré 6.3). La communication qui en résulte,
de l’élément post-synaptique vers la terminaison présynaptique, est qualifiée de
signalisation rétrograde. Par conséquent, les endocannabinoïdes représentent
des messagers rétrogrades. Les messagers rétrogrades sont considérés comme
véhiculant une information « en retour », après le franchissement du message
4. NdT : à ce jour, 5 sous-types de transporteurs des acides aminés excitateurs ont été
clonés. Les deux transporteurs principaux, dénommés EAAT1 et EAAT2 pour Excitatory
Amino Acid Transporter, sont situés sur les astrocytes et contribuent majoritairement à
l’élimination rapide du glutamate synaptique. Les autres transporteurs sont neuronaux.
Parmi ces trois derniers, le transporteur EAAT3 — encore nommé EAAC1 pour
Excitatory Amino Acid Carrier-1 — est le plus abondant et présente la particularité d’être
situé sur l’élément post-synaptique. L’une des avancées majeures dans le domaine des
transporteurs des acides aminés excitateurs concerne la mise en évidence de mécanismes
régulateurs de leur activité susceptibles d’ajuster finement la recapture du glutamate à
l’activité neuronale.
158 1 – Bases cellulaires
Encadré 6.3 FOCUS
lement impliqués dans les mécanismes des nausées, heureusement des effets secondaires. Le potentiel théra-
l’analgésie, la relaxation musculaire, le traitement des peutique des cannabinoïdes n’a pas encore été exploré
crises d’épilepsie ou encore la réduction de la pression totalement et de nombreuses avancées sont encore
intra-oculaire dans le glaucome. Un antagoniste des possibles, à la condition de pouvoir conserver les effets
endocannabinoïdes a ainsi été récemment testé comme thérapeutiques sans que cela puisse avoir des effets
médicament suppresseur d’appétit, mais il présente mal- psychoactifs ou d’autres types d’effets secondaires.
Terminaison
présynaptique
Récepteur
CB1
Vésicules
Canal Protéine G
calcique
Récepteurs Canal
des neurotransmetteurs calcique
Ca2+ Ca2+
Terminaison
post-synaptique
Enzyme
O
HO
NH
Récepteurs-canaux
Le chapitre 5 a montré que l’ACh et les acides aminés jouant le rôle de
eurotransmetteur servent de médiateurs dans la transmission synaptique
n
rapide, en agissant sur les canaux ioniques. Ces canaux sont en tous points
remarquables. Ainsi apparaît-il qu’un simple canal peut détecter des substances
chimiques spécifiques et qu’il peut être sensible à des variations du potentiel
de membrane. Il peut aussi réguler, avec une très grande précision, le flux de
courants étonnamment grands, il peut filtrer et sélectionner des ions très sem-
blables et son action peut être régulée par d’autres types de récepteurs. Pourtant,
chaque canal mesurant à peine 11 nm de long est à peine visible par l’utilisation
des meilleures méthodes actuelles de la microscopie électronique.
γ
α α
δ β
M1 M3
(a)
M2 Figure 6.18 – Arrangement des sous-unités
constituant le récepteur cholinergique nico-
Sites de liaison de l’ACh tinique.
(a) Vue en coupe du récepteur, avec un agran-
γ dissement montrant comment les quatre
α
α hélices α de chacune des sous-unités sont
assemblées entre elles. (b) Vue de dessus
δ β
montrant la position relative des deux sites de
(b) liaison de l’ACh.
5. NdT : une autre différence entre récepteurs nicotiniques est liée au fait qu’il existe de
nombreuses isoformes des sous-unités formant les récepteurs, en particulier α, β, et γ. Il existe
une régionalisation de l’expression des différentes sous unités dans le SNC, faisant que les
propriétés structurales des différents récepteurs nicotiniques diffèrent selon les structures
cérébrales. Ainsi les sous-unités composant les récepteurs nicotiniques de la jonction neuro-
musculaire et du SNC sont-elles différentes. Ces différences structurales traduisent des pro-
priétés fonctionnelles quelque peu spécifiques, selon les sous-types de récepteurs nicotiniques
considérés. Un intérêt tout particulier est apporté aujourd’hui au sous-type α7, qui est pré-
férentiellement exprimé dans les régions cérébrales impliquées dans les processus cognitifs.
162 1 – Bases cellulaires
Bien que chaque sous-unité présente une structure primaire différente, il existe
des parties de la molécule dans lesquelles les diverses chaînes polypeptidiques
présentent une séquence d’acides aminés similaire. Ainsi, chaque sous-unité pos-
sède quatre segments séparés ayant une structure en hélice α (voir figure 6.18a).
Comme les acides aminés composant ces segments sont principalement hydro-
phobes, ces quatre hélices α sont supposées occuper une position la plus com-
patible possible avec une interaction privilégiée avec les lipides membranaires,
c’est-à-dire une position transmembranaire, de façon similaire aux boucles qui
forment les pores des canaux sodiques et potassiques (voir chapitres 3 et 4).
Les structures primaires des sous-unités de nombreux récepteurs-canaux sont
maintenant connues et il y a des analogies évidentes entre elles (Fig. 6.19). Les
quatre segments hydrophobes qui traversent la membrane sont présents dans
chaque sous-unité et ils occupent à peu près la même position dans la protéine, que
ce soit dans le cas du récepteur cholinergique nicotinique, du récepteur GABAA
ou encore du récepteur de la glycine. La plupart des récepteurs-canaux sont vrai-
semblablement des complexes pentamériques, de façon tout à fait similaire à ce qui
est connu pour le récepteur cholinergique nicotinique. Néanmoins, les récepteurs
canaux du glutamate constituent une exception. Ces récepteurs étant des tétra-
mères, quatre sous-unités sont suffisantes pour former un canal fonctionnel. Il
est par ailleurs vraisemblable que le segment transmembranaire M2 des sous-uni-
tés qui forment les récepteurs ne traverse pas entièrement la membrane mais
représente plutôt une boucle qui entre et ressort à partir de la partie interne de la
membrane (Fig. 6.19c). La structure des récepteurs glutamatergique ressemble en
fait à celle du canal potassique (voir Fig. 3.17). Ceci a conduit à émettre l’hypothèse
quelque peu surprenante que les récepteurs du glutamate et les canaux potassiques
auraient pu évoluer à partir d’un même canal ionique représentant un ancêtre
commun. Les récepteurs purinergiques (de l’ATP) présentent aussi des structures
atypiques. Dans ce cas, chaque sous-unité n’a que deux segments transmembra-
naires et 3 sous-unités seulement pourraient constituer un canal fonctionnel.
Plus que les analogies, ce sont les variations dans la structure de ces récep-
teurs-canaux qui sont intéressantes : différents sites de liaison des neurotransmet-
teurs font qu’un canal répond au glutamate, tandis qu’un autre répond au GABA ;
par ailleurs, la présence de certains acides aminés situés au voisinage du pore font
que celui-ci laisse seulement passer les ions Na+ et K+, qu’un autre sera plus per-
méable aux ions Ca2+ et qu’un autre encore sera seulement perméable aux ions Cl–.
6. NdT : un autre paramètre détermine aussi l’efficacité de la signalisation impliquant ces
récepteurs-canaux, au plan de la cinétique d’activation : la probabilité d’ouverture du
canal, facilitée par des agents agissant de concert avec le neurotransmetteur comme par
exemple des substances endogènes ou d’origine pharmacologique qualifiées de « modu-
lateurs allostériques » qui augmentent la fréquence d’ouverture du canal ; telle l’action
des benzodiazépines sur le récepteur GABAA, comme on le verra ci-après.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 163
M1 M2 M3 M4 Récepteur Sous-unité
ACh α
GABAA α1
GABAA β1
GABAA γ2
Gly α
Gly β
Kainate Gluk1
Kainate Gluk2
Enregistrement
Molécules
de glutamate de Vm
Ca2+ Ca2+
Na+ Na+
Na+ Na+ Na+
PPSE
Vm
– 65 mV
K+ K+ K+ K+ K+
Récepteur Récepteur 0 2 4 6 8
(b) NMDA AMPA (c) Temps à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
7. NdT : les données de la biologie moléculaire suggèrent également une diversité des
récepteurs-canaux des acides aminés excitateurs et des récepteurs AMPA en particulier.
Parmi les sous-unités composant ces récepteurs, la sous-unité nommée GluR2 contrôle
en fait la conductance calcique : sa présence contribue à rendre le canal moins perméable
au calcium.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 165
Encadré 6.4 FOCUS
Récepteurs couplés
aux protéines G
Il existe un grand nombre de sous-types de récepteurs couplés aux proté-
ines G, dans tous les systèmes de neurotransmission connus. Avec ce type de
récepteurs (voir chapitre 5), la neurotransmission implique trois étapes : (1) la
liaison du neurotransmetteur à la protéine formant le récepteur, (2) l’activation
des protéines G et (3) l’activation des systèmes effecteurs.
Neurotransmetteur Récepteurs
Acétylcholine (ACh) Récepteurs muscariniques (M1, M2, M3, M4, M5)
Glutamate (Glu) Récepteurs métabotropiques du glutamate (mGluR1-8)
GABA GABAB1, GABAB2
Sérotonine (5-HT) 5-HT1A, 5-HT1B, 5-HT1D, 5-HT1E, 5-HT2A, 5-HT2B, 5-HT4, 5-HT5A
Dopamine (DA) D1, D2, D3, D4, D5
Noradrénaline (NA) α1, α2, β1, β2, β3
Opiacés μ, δ, κ
Cannabinoïdes CB1, CB2
ATP P2Y2, P2Y11, P2T, P2U
Adénosine A1, A2A, A2B, A3
Protéine Récepteur
effectrice 2
Membrane
γ
β α
Protéine
effectrice 1
Protéine G
(a)
Neurotransmetteur
Protéine
effectrice 2
γ
β α
L’activation de la sous-unité Gα
se traduit par la fixation du GTP
(b)
γ
α
β
Protéine G
(a)
Canal potassique
(ouvert) ACh
Figure 6.25 – Voie rapide.
(a) Les protéines G du muscle cardiaque
sont activées directement par la fixation de
l’ACh sur le récepteur muscarinique. (b) Les
sous-unités Gβγ vont se lier à un canal potas-
(b) sique qui va ainsi être activé.
170 1 – Bases cellulaires
Protéine G
Réactions
intermédiaires
Activation
d’enzymes
situées en aval
NA NA
Récepteur Récepteur α2
β-adrénergique
Adényl
cyclase
γ α α + – α α γ
β β
Protéine G Protéine G
stimulante (Gs) inhibitrice (Gi)
+
(a) Protéine (b)
kinase A
2 PKC
γ
1 PIP2 α DAG
PLC IP3
β
4
Ca2+
Protéine G activée
Reticulum
endoplasmique
lisse Ca2+
soluble dans l’eau, diffuse plus loin dans le cytosol et se fixe sur des récepteurs
spécifiques situés à la surface du reticulum endoplasmique lisse et sur d’autres
organites cellulaires. Ces récepteurs représentent des canaux calciques sensibles à
l’IP3 ; leur activation a pour effet de provoquer une sortie de calcium sous forme
ionisée à partir de ces organites. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’aug-
mentation de la concentration de Ca2+ dans le cytoplasme peut avoir des effets
diversifiés et durables. Un de ces effets correspond à l’activation d’une enzyme,
la protéine kinase calcium-calmoduline-dépendante ou CaMK. La CaMK est une
enzyme impliquée dans de nombreux mécanismes cellulaires, dont en particulier
ceux à la base de la mémorisation (voir chapitre 25).
Phosphorylation et déphosphorylation. Les exemples précédants montrent
que, dans un grand nombre de cascades de seconds messagers, les enzymes
situées en aval sont des protéines kinases (PKA, PKC, CaMK). Comme cela a
été mentionné dans le chapitre 5, les protéines kinases transfèrent le phosphate
de l’ATP cytosolique sur un certain nombre de protéines, au cours d’une réac-
tion appelée phosphorylation. La fixation de groupements de phosphate sur
une protéine modifie légèrement sa structure et donc son activité biologique.
La phosphorylation des canaux ioniques, par exemple, influence fortement leur
probabilité d’ouverture ou de fermeture.
172 1 – Bases cellulaires
Protéine Quelles sont les conséquences de l’activation des récepteurs β sur les cellules
kinase du muscle cardiaque ? L’élévation des taux d’AMPc active la PKA, qui phos-
Protéine Protéine —PO4
phoryle les canaux calciques dépendants du potentiel. Cette phosphorylation
Protéine
phosphatase renforce leur activité. Des ions Ca2+ pénètrent en plus grand nombre dans la
cellule cardiaque et le cœur bat plus fort. Au contraire, la stimulation des récep-
Figure 6.29 – Phosphorylation et déphospho- teurs β-adrénergiques dans plusieurs types de neurones ne semble pas avoir
rylation des protéines. d’effet sur les canaux calciques mais provoque plutôt l’inhibition de certains
canaux potassiques. La diminution de conductance potassique entraîne alors
une légère dépolarisation, réduit la constante de longueur et renforce l’excitabi-
lité du neurone (voir chapitre 5).
L’action des neurotransmetteurs sur la phosphorylation est cependant limi-
tée par l’intervention d’un processus de nature inverse, qui évite que toutes les
protéines soient saturées de groupements phosphate et donc que toute régulation
ultérieure soit impossible. Des enzymes, les protéines phosphatases, contrôlent
la situation, en agissant rapidement pour retirer les groupements phosphate. Le
degré de phosphorylation des canaux dépend ainsi à tout moment de l’équilibre
dynamique entre la phosphorylation par les kinases et la déphosphorylation par
les protéines phosphatases (Fig. 6.29).
Cascades de signaux et voies de signalisation intracellulaires. La trans-
mission synaptique impliquant les récepteurs-canaux est simple et rapide. La
transmission qui passe par les récepteurs associés aux protéines G est plus com-
plexe et beaucoup plus lente. On peut alors se demander pourquoi il existe de si
longues chaînes de réactions dans ce second cas ? Un des avantages importants
est l’amplification du signal : l’activation d’un récepteur associé aux protéines G
peut entraîner l’activation, non pas d’un seul, mais de très nombreux canaux
ioniques (Fig. 6.30).
L’amplification du signal peut se faire en plusieurs endroits de la cascade.
Une seule molécule de neurotransmetteur fixée à un seul récepteur, peut acti-
ver probablement 10 à 20 protéines G ; chaque protéine G peut activer l’adényl
cyclase, qui peut produire à son tour plusieurs molécules d’AMPc qui diffusent
dans la cellule pour activer plusieurs protéines kinases ; chaque kinase pouvant
ensuite phosphoryler de nombreux canaux. Si on regroupait en bloc tous les
composants d’une cascade, la transmission des signaux serait strictement limitée.
L’utilisation de messagers de petite taille, qui peuvent diffuser très rapidement
dans la cellule (comme l’AMPc), permet ainsi une certaine transmission à dis-
tance, dans une vaste région de la cellule. Les cascades de signaux déterminent
aussi l’existence de nombreux sites de régulation et elles offrent des possibilités
d’interaction entre les cascades impliquant divers seconds messagers. Enfin, les
cascades de signaux peuvent générer des modifications durables du métabolisme
cellulaire, ce qui est peut-être à l’origine, entre autres choses, de toute une série
de processus impliqués, par exemple, dans la mémorisation.
Divergence et convergence
entre les systèmes
de neurotransmetteurs
Le glutamate est le neurotransmetteur excitateur le plus commun du cer-
veau, tandis que le GABA constitue l’inhibiteur principal. Cependant, un même
neurotransmetteur peut avoir de nombreux effets différents. Une molécule de
glutamate peut se lier à de très nombreux récepteurs et chacun de ces sous-types
de récepteurs peut exercer des effets différents. La divergence est la capacité d’un
neurotransmetteur à activer plus d’un sous-type de récepteurs et à susciter ainsi
plus d’un seul type de réponse synaptique.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 173
Neurotransmetteur
Le neurotransmetteur
active le récepteur
γ α γ α γ
β β β α
Le récepteur active
les protéines G
Système
Sous-types de récepteurs 3
(a) effecteur Z
Neurotransmetteur A Récepteur A
Neurotransmetteur C Récepteur C
(b)
Conclusion
Les neurotransmetteurs constituent des chaînons essentiels entre les neu-
rones, ainsi qu’entre les neurones et les autres types de cellules effectrices, telles
que les cellules musculaires et encore des glandes endocrines et exocrines. Il
convient de considérer les transmetteurs comme les maillons d’une chaîne d’évé-
nements, stimulant des modifications chimiques à la fois rapides et lentes, et
divergentes et convergentes. Les nombreuses voies impliquées dans la commu-
nication intercellulaire, transférant l’information de l’extérieur à l’intérieur d’un
neurone, constituent une sorte de réseau d’information. Ce réseau est toutefois
en équilibre fragile, réagissant de façon très dynamique pour ajuster le com-
portement aux perpétuels changements de l’organisme et de l’environnement de
l’individu.
Le réseau de transmission des signaux à l’intérieur d’un seul neurone (les
voies de signalisation) ressemble, en un certain sens, aux réseaux neuronaux
du cerveau lui-même. Il reçoit une série d’informations sous forme de signaux
représentés par les neurotransmetteurs qui le sollicitent à des moments et en
des endroits différents. Cette énergie augmente la transmission des informations
dans certaines voies et la réduit dans d’autres ; et la combinaison de ces infor-
mations dans une cascade de signalisation, donne un résultat spécifique, qui est
beaucoup plus que la somme des informations. Les signaux régulent les signaux,
les modifications chimiques peuvent laisser des traces durables de leur histoire,
les médicaments peuvent modifier l’équilibre de la transmission des signaux et,
en un sens, il apparaît bien que le cerveau et ses signaux ne font qu’un.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 175
QUESTIONS DE RÉVISION
ORGANISATION GÉNÉRALE
DU SYSTÈME NERVEUX
DES MAMMIFÈRES
Références anatomiques..................................................................... 179
Système nerveux central (SNC)........................................................... 180
Système nerveux périphérique (SNP).................................................. 181
Nerfs crâniens.................................................................................... 182
Méninges............................................................................................ 182
Système ventriculaire.......................................................................... 183
Nouveaux regards sur le cerveau......................................................... 183
Encadré 7.1 Focus De l’eau dans la tête
Encadré 7.2 Bases théoriques Imagerie par résonance magnétique
Encadré 7.3 Bases théoriques TEP et IRMf
COMPRENDRE
L’ORGANISATION DU SNC
PAR SON DÉVELOPPEMENT
Formation du tube neural................................................................... 190
Les trois vésicules primitives du cerveau.............................................. 191
Encadré 7.4 Focus Nutrition et tube neural
Différenciation du cerveau antérieur................................................... 193
Différenciation du mésencéphale........................................................ 196
Différenciation du cerveau postérieur................................................. 197
Différenciation de la moelle épinière................................................... 200
Mise en place et organisation des structures nerveuses....................... 201
Caractères spécifiques du cerveau humain.......................................... 202
ORGANISATION
DU CORTEX CÉRÉBRAL
Différents types de cortex................................................................... 205
Différentes aires du néocortex............................................................ 206
Encadré 7.5 Les voies de la découverte Le connectome : à la recherche
de l’organisation cérébrale,
par Sebastian Seung
CONCLUSION
ANNEXE : GUIDE
ILLUSTRÉ DE L’ANATOMIE
DU CERVEAU HUMAIN
INTRODUCTION
A
près avoir étudié comment des neurones fonctionnent et communiquent
entre eux, il faut comprendre comment ils sont assemblés pour former
un système nerveux qui permette de voir, d’entendre, de sentir, de bou-
ger, de se souvenir ou encore de rêver. De même que l’observation de la structure
du neurone explique dans une certaine mesure sa fonction, l’abord de la struc-
ture du système nerveux permet d’approcher la fonction du cerveau.
La neuroanatomie a toujours représenté un défi pour de nombreuses généra-
tions d’étudiants car le cerveau humain est extrêmement complexe. Cependant
notre cerveau n’est que la variation d’une organisation de base, commune à tous
les mammifères (Fig. 7.1). Le cerveau humain apparaît d’une grande complexité
car il s’est littéralement enroulé sur lui-même au cours de l’évolution à la suite
de la croissance sélective de certaines parties à l’intérieur du crâne, et parce que
l’homme est bipède et non quadrupède. En suivant l’évolution de cette organi-
sation, la connaissance de l’organisation de base chez les mammifères en géné-
ral permet alors de mieux comprendre la nature des spécialisations du cerveau
humain.
Le chapitre 7 présente d’abord l’organisation générale du cerveau des mam-
mifères, ainsi que la terminologie utilisée pour la décrire. Puis, il explique com-
ment la structure tridimensionnelle du cerveau se met en place au cours du déve-
loppement embryonnaire et fœtal : en suivant le cours de son développement, il
est plus facile de comprendre comment les différentes parties du cerveau adulte
se sont assemblées. Le chapitre se termine par la description du néocortex céré-
bral, une structure propre aux mammifères et particulièrement évoluée chez
l’homme. Le chapitre est suivi d’une annexe descriptive permettant de mieux
apprécier l’organisation du système nerveux.
La neuroanatomie présentée dans ce chapitre servira de cadre à la description
des systèmes sensoriel et moteur dans les chapitres 8 à 14. Les termes nouveaux
ici sont repris systématiquement sous forme de tableaux.
178 1 – Bases cellulaires
Rat
Lapin
1 cm
Rat Chat
Lapin
Mouton
Chat
Dauphin
Mouton
Chimpanzé
Chimpanzé
Homme
Homme
Dauphin
Organisation générale
du système nerveux
des mammifères
Le système nerveux de tous les mammifères est divisé en deux grandes
parties : le système nerveux central (SNC) et le système nerveux périphérique
(SNP). Ce chapitre décrit les principales composantes du SNC et du SNP, ainsi
que les ventricules qui se trouvent à l’intérieur du cerveau et les membranes qui
les entourent.
Références anatomiques
L’exploration du cerveau est comparable à la découverte d’une ville. Pour
s’orienter dans une ville, il est nécessaire d’utiliser des points de références, tels
que la direction du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, ou encore un repérage des
points « haut » et « bas ». Il en est de même pour le cerveau : seule la nomencla-
ture des points de référence — les repères anatomiques — change.
En prenant l’exemple du système nerveux du rat (Fig. 7.2a), le cerveau se
trouve dans la tête et la moelle épinière s’étend le long de la colonne vertébrale
jusqu’à la queue de l’animal. Pour préciser la place des structures, les termes
suivants sont utilisés : les structures situées à l’avant, vers le nez du rat, sont dites
antérieures ou rostrales (du latin rostrum : bec) et à l’arrière, vers la queue du rat,
postérieures ou caudales (du latin cauda : queue) ; vers le haut, elles sont dites dor-
sales et vers le bas, ventrales. La moelle épinière du rat s’étend de la partie anté-
rieure à la partie postérieure du corps. La partie supérieure de la moelle épinière
correspond en fait à la partie dorsale et la partie inférieure, à la partie ventrale.
Vu de dessus, le système nerveux se trouve divisé en deux parties égales
(Fig. 7.2b). La partie droite du cerveau et de la moelle épinière peut être consi-
dérée comme le miroir du côté gauche. Cette caractéristique est connue sous le
nom de symétrie bilatérale. À peu d’exceptions près, la plupart des structures
du système nerveux sont paires, c’est-à-dire situées une à gauche et une à droite.
La ligne de partage au milieu du système nerveux est la ligne médiane ; c’est une
autre référence utile pour préciser l’orientation. Les structures les plus proches
de la ligne médiane sont qualifiées de médianes ; celles qui en sont le plus éloi-
gnées sont dites latérales. En d’autres termes, le nez occupe une position médiane
par rapport aux yeux et ceux-ci sont médians par rapport aux oreilles, etc. En
outre, deux structures situées du même côté sont dites ipsilatérales l’une par
rapport à l’autre ; par exemple, l’oreille droite est ipsilatérale par rapport à l’œil
droit. Si les structures sont situées de chaque côté de la ligne médiane, elles sont
controlatérales l’une par rapport à l’autre ; l’oreille droite occupe une position
controlatérale par rapport à l’oreille gauche.
Moelle
épinière Dorsal Moelle Latéral
Cerveau Cerveau épinière
Antérieur Ligne médiane
Postérieur
ou rostral ou caudal
Médial
(b)
(a) Ventral
antérieur latéral
rostral ipsilatéral
Figure 7.3 – Plans de coupe anatomiques. postérieur controlatéral
caudal plan médiosagittal
dorsal plan sagittal
ventral plan horizontal
ligne médiane plan coronal (ou frontal)
médian
Ganglions
des racines
Racines dorsales
dorsales
Nerfs crâniens
À côté des nerfs qui naissent dans la moelle épinière et innervent le corps,
il existe 12 paires de nerfs crâniens prenant leur origine dans le tronc cérébral
et innervant essentiellement la tête. Un nom et un numéro ont été attribués à
chacun des nerfs crâniens, classés à l’origine par Galien il y a environ 1 800 ans,
de la partie antérieure à la partie postérieure.
Certains nerfs crâniens font partie du SNC, d’autres du SNP somatique, d’autres
encore du SNP viscéral. Plusieurs nerfs crâniens n’ont pas de fonction unique mais
présentent des axones impliqués dans plusieurs fonctions. Les nerfs crâniens et leurs
fonctions sont décrits plus spécifiquement dans l’annexe à ce chapitre.
Méninges
Le SNC, composé de la partie du système nerveux enfermée dans le crâne
et la colonne vertébrale, n’est pas en contact direct avec l’os qui l’entoure. Il est
protégé par trois membranes appelées méninges (du grec meninx : recouvrir). Ces
trois membranes sont la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère (Fig. 7.6).
La plus externe représente la dure-mère. Ce terme illustre avec précision une
consistance semblable au cuir. La dure-mère forme une enveloppe rigide, qui
entoure le cerveau et la moelle épinière. Juste en dessous, se trouve la membrane
arachnoïdienne. Cette couche méningée a l’apparence et la trame d’une toile
d’araignée (arachnoïde, du grec arakhné : araignée). Il n’y a pas d’espace entre
la dure-mère et l’arachnoïde, mais si les vaisseaux sanguins de la dure-mère
sont rompus, le sang se répand à cet endroit, formant un hématome sous-dural.
L’accumulation de fluide dans l’espace sous-dural risque d’interrompre le fonc-
tionnement cérébral en comprimant certaines parties du SNC. Le traitement
consiste à forer un trou dans le crâne, pour drainer le sang.
La pie-mère représente enfin une fine membrane adhérant fortement à la sur-
face du cerveau. De nombreux vaisseaux sanguins parcourent la pie-mère avant
de s’enfoncer profondément dans le cerveau sous-jacent. La pie-mère se trouve
séparée de la membrane arachnoïdienne par un espace rempli de liquide. Cet
espace sous-arachnoïdien contient un liquide salé clair, le liquide céphalorachidien
ou LCR. En un certain sens, on peut donc dire que le cerveau flotte à l’intérieur
de la tête, dans une fine épaisseur de LCR.
7 – Anatomie du système nerveux 183
Dure mère
Espace
sous-dural
Membrane
arachnoïdienne
Espace
subarachnoïdien
Pie-mère
Artère
Cerveau
(a) (b)
Figure 7.6 – Méninges.
(a) Le crâne a été retiré pour montrer l’aspect externe du cerveau entouré par la méninge la plus
externe, la dure-mère (Source : Gluhbegoric et Williams, 1980.) (b) Illustré ici en coupe transverse,
les trois couches méningées protégeant le cerveau et la moelle épinière sont : la dure-mère, la
membrane arachnoïdienne et la pie-mère.
Système ventriculaire
Le cerveau comprend des cavités remplies de liquide et le réseau des canaux
situés à l’intérieur du cerveau forme le système ventriculaire. Ce liquide est
dénommé céphalorachidien, le même que celui de l’espace sous-arachnoïdien. Il
est produit par un tissu particulier, le plexus choroïde, situé dans les ventricules
des hémisphères cérébraux. Le LCR s’écoule des deux ventricules du c erveau vers
une série de cavités isolées reliées entre elles au cœur du tronc cérébral (Fig. 7.7).
À la sortie des ventricules, le LCR pénètre dans l’espace sous-arachnoïdien par Plexus Espace
de petites ouvertures ou orifices, situées près de l’endroit où le cervelet se trouve choroïde subarachnoïdien
rattaché au tronc cérébral. Dans l’espace sous-arachnoïdien, le LCR va être
absorbé par des vaisseaux sanguins, dans des structures particulières appelées Rostral
villosités arachnoïdiennes. Si l’écoulement normal du LCR subit une interrup-
tion, il y a un risque de lésion du cerveau (Encadré 7.1).
À la fin du chapitre, nous reviendrons sur le système ventriculaire avec plus
de détails. Comme nous le verrons, comprendre l’organisation du système ventri-
culaire fournit des clés pour comprendre l’organisation du système nerveux lui-
même.
Encadré 7.1 FOCUS
Bien entendu un cerveau « clarifié » ainsi traité reste un cerveau mort. Cela
évidemment en limite la portée de l’examen, notamment pour diagnostiquer les
maladies neurologiques. Dans ces conditions, il n’est alors pas exagéré de dire
que l’introduction de méthodes permettant d’obtenir des représentations du
cerveau vivant a constitué une véritable révolution dans le champ de la neuro-
anatomie. Quelques illustrations en sont données ci-après.
Figure 7.8 – Méthode pour rendre le cerveau translucide et visualiser des neurones fluorescents
dans les profondeurs du cerveau.
(a) Vue de dessus d’un cerveau de souris. (b) Le même cerveau rendu transparent en remplaçant
les lipides par un gel soluble dans l’eau. (c) Le cerveau translucide est éclairé avec une lumière de
longueur d’onde adaptée, ce qui permet de visualiser en place les neurones qui expriment la GFP
(green fluorescent protein). (Source : courtoisie du Dr Kwanghun Chung, Massachusetts Institute of
Technology. Adapté de Chung et Deisseroth, 2013, Figure 2.)
7 – Anatomie du système nerveux 185
Sillon central
Cervelet
Figure A Figure B
7 – Anatomie du système nerveux 187
TEP et IRMf
Jusqu’à une période récente, les processus cognitifs Dans les faits, lors d’une expérience de TEP-scan,
n’étaient pas accessibles à l’imagerie. Les méthodes le sujet est placé avec sa tête située au niveau d’un dis-
de tomographie par émission de positrons (TEP-scan) positif formé d’un ensemble de détecteurs (Fig. A). Par
et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle un procédé automatisé commandé par ordinateur, les
(IRMf) ont permis d’avoir accès au cerveau en train de photons qui résultent de l’émission de positrons attei-
penser ou de planifier et exécuter une action. gnant chacun des détecteurs sont enregistrés. Cela
Le TEP-scan a été développé dans les années 1970 permet alors de calculer le niveau d’activité de cha-
par deux groupes de physiciens, l’un à l’Université de cune des régions cérébrales, en fonction de l’émission
Washington, dirigé par M. Terpogossian et M.E. Phelps, de ces positrons, et de produire une cartographie sous
l’autre à UCLA, dirigé par Z.H. Cho. Le principe de forme d’images de cette activité cérébrale. Les cher-
base est simple. Une solution radioactive contenant un cheurs ont par exemple mesuré l’activité cérébrale de
atome qui émet des positrons (qui sont des électrons cette manière lors de tâches standardisées, telles que
chargés positivement) est injectée par voie intraveineuse. bouger un doigt ou lire à haute voix. Ces différentes
Les positrons émettent leur rayonnement quel que soit tâches comportementales sont ainsi proposées de
l’endroit du corps où ils se trouvent, par interaction avec façon à mettre en jeu des régions fonctionnellement
les électrons en produisant des photons de radiation différentes du cerveau. Pour mettre en évidence plus
électromagnétique. La localisation des positrons s’effec- facilement la région activée sélectivement, on utilise
tue alors en localisant les photons par des détecteurs une méthode de soustraction qui permet de ne pas
sensibles spécialisés. tenir compte de l’activité « de base » qui existe en per-
L’une des applications les plus importantes du TEP- manence dans le cerveau, y compris lorsqu’il est au
scan est la mesure de l’activité métabolique du cerveau. repos en l’absence de toute stimulation sensorielle.
Dans une méthode développée par Louis Sokoloff et ses Ainsi, pour créer l’image des régions cérébrales acti-
collaborateurs au National Institute of Mental Health, vées par exemple pendant qu’un sujet détaille un
un isotope du fluor ou de l’oxygène est incorporé au tableau, cette activité correspondant à un « bruit de
2-déoxyglucose (2-DG). Ce traceur radioactif est injecté fond » est soustraite de l’activité mesurée pendant la
dans la circulation générale et parvient au cerveau. Les tâche comportementale (Fig. B).
neurones les plus actifs qui utilisent normalement le Cependant, même si le TEP-scan est une méthode
glucose en grande quantité, vont alors capter le 2-DG. d’investigation très importante, elle n’en comporte pas
Le 2-DG est phosphorylé à l’intérieur des neurones, ce moins certaines limites. En particulier, la résolution spa-
qui provoque son accumulation dans les cellules. Par tiale, de l’ordre de quelque 5 à 10 mm3, reste faible, ce
conséquent, l’accumulation de 2-DG et l’émission de qui représente l’activité de plusieurs milliers de cellules.
positrons correspondante sont un index de l’activité Par ailleurs, l’acquisition des données est relativement
métabolique neuronale. lente, de l’ordre de une à plusieurs minutes pour obtenir
Détecteurs
de photons
Photon
Émission
de positrons
– =
un seul scan. Cela, sans compter avec les radiations sente une résonance magnétique différente de celle de la
encourues par le sujet, limite le nombre de scans que déoxyhémoglobine (l’hémoglobine qui a donné son oxy-
l’on peut faire sur un seul sujet dans une période de gène). Comme les régions les plus actives du cerveau
temps raisonnable. Dès lors, le travail réalisé par reçoivent plus de sang, ce sang donne donc plus d’oxy-
S. Ogawa dans les laboratoires Bell, montrant que les gène. L’IRMf détecte les changements d’activité qui
méthodes IRM peuvent être utilisées pour mesurer loca- interviennent localement dans le cerveau en mesurant le
lement les changements de concentration d’oxygène en rapport entre oxyhémoglobine et déoxyhémoglobine. Il
rapport avec la circulation cérébrale, constituèrent une en est résulté une méthode de choix pour l’imagerie céré-
avancée considérable. brale car les scans sont rapides (50 ms) et présentent une
L’IRMf est fondée sur le fait que l’oxyhémoglobine, résolution spatiale très bonne (3 mm3) et qui s’avère
c’est-à-dire la forme oxygénée de l’hémoglobine, pré- complètement non invasive.
mentant localement les flux sanguins porteurs de ces nutriments essentiels pour
les neurones. Ainsi, les changements de débit sanguin détectés par le TEP-scan
ou l’IRMf révèlent les régions du cerveau qui sont les plus actives dans des
circonstances particulières et bien standardisées.
Les avantages fournis par ces méthodes ont ainsi permis aux scientifiques
de pénétrer pour la première fois les mystères du cerveau humain vivant, et cela
représente des moyens d’investigation formidables pour mieux comprendre
les bases des fonctions cérébrales et en particulier des processus cognitifs.
Néanmoins, comme vous pouvez l’imaginer, l’utilisation de ces méthodes néces-
site une parfaite connaissance de l’anatomie cérébrale et c’est la raison pour
laquelle nous la décrivons si longuement dans ce chapitre.
Comprendre l’organisation
du SNC par son développement
Tout le système nerveux prend son origine dans les parois d’un tube rempli de
liquide, qui se forme lors d’une phase précoce du développement embryonnaire
ou tube neural. Le tube lui-même forme la base de ce qui deviendra le système
ventriculaire adulte. L’observation des transformations du tube neural au cours
de l’évolution fœtale permet d’expliquer l’organisation du cerveau et l’ajuste-
ment des différentes parties les unes par rapport aux autres. C’est pourquoi, en
abordant l’étude du développement il est possible de mieux comprendre l’orga-
nisation du cerveau. Le chapitre 23 reviendra sur ce sujet, pour montrer d’où
proviennent les neurones, comment ils s’acheminent vers leur destination finale
dans le SNC, et comment ils établissent entre eux les connexions synaptiques
appropriées.
Les anatomistes utilisent plusieurs termes, qu’il faut connaître, pour dési-
gner les ensembles de neurones et d’axones. Quelques-uns des éléments de cette
nomenclature sont donnés dans les tableaux 7.1 et 7.2.
L’anatomie peut paraître très rébarbative mais elle reprend de l’intérêt
lorsque c’est le rôle fonctionnel des différentes structures qui est examiné. Tous
les chapitres qui suivent sont ainsi consacrés à l’organisation fonctionnelle du
système nerveux mais certaines relations structure-fonctions sont déjà abordées
dans ce chapitre, pour montrer comment différentes parties du cerveau contri-
buent, individuellement et ensemble, au fonctionnement du SNC.
Nom Description/Exemple
Substance grise Terme générique désignant une zone de corps cellulaires neuronaux, dans
le SNC. Lorsque l’on ouvre en deux un cerveau fraîchement disséqué, cette
région des neurones paraît grise
Cortex Ensemble de neurones qui forment une mince couche à la surface du cer-
veau. Cortex signifie « écorce » en latin. Exemple : le cortex cérébral repré-
sente les couches de neurones qui se trouvent juste sous la surface du
cerveau
Noyau Une masse de neurones clairement individualisée, en profondeur dans le
cerveau (à ne pas confondre avec le noyau d’une cellule).
Exemple : le corps
genouillé latéral, défini comme un noyau constitué d’un groupe de cellules
qui transmet l’information de l’œil au cortex cérébral
Substance Groupe de neurones reliés fonctionnellement entre eux dans les profondeurs
du cerveau, mais dont le contour est généralement moins bien délimité que
celui des noyaux. Exemple : la substantia nigra, en latin : substance noire ;
un groupe de cellules du tronc cérébral impliqué dans le contrôle du mou-
vement volontaire
Locus Petit groupe de cellules bien défini. Exemple : le locus coeruleus, en latin :
tâche bleue ; un groupe de cellules du tronc cérébral impliqué dans le
contrôle de la vigilance et de l’éveil
Ganglion Ensemble de neurones du SNP. Ganglion, en grec : nœud. Exemple : les
ganglions de la racine dorsale contiennent les corps cellulaires des axones
sensoriels pénétrant dans la moelle épinière par les racines dorsales. Un
seul groupe de cellules porte ce nom dans le SNC, les ganglions de la base,
structures situées en profondeur, à l’intérieur du cerveau, qui contrôlent le
mouvement
190 1 – Bases cellulaires
Nom Description/Exemple
Nerf Groupe d’axones dans le SNP. Un seul ensemble d’axones du SNC porte
le nom d’un nerf : le nerf optique
Substance blanche Terme générique désignant un ensemble d’axones. Lorsqu’on ouvre en
deux un cerveau fraîchement disséqué, les régions occupées par les
axones paraissent blanches
Voie Ensemble d’axones du SNC dérivant du même site d’origine, ayant la
même destination. Exemple : la voie corticospinale, qui prend naissance
dans le cortex cérébral et se termine dans la moelle épinière
Faisceau Ensemble d’axones situés sur un même tracé mais qui n’ont pas néces-
sairement la même origine, ni la même destination. Exemple : le faisceau
médian du télencéphale, qui relie des cellules dispersées dans le cerveau
et le tronc cérébral
Capsule Ensemble d’axones reliant le cerveau antérieur au tronc cérébral.
Exemple : la capsule interne, qui fait communiquer le bulbe rachidien et
le cortex
Commissure Tout ensemble d’axones qui établit une communication entre les deux
côtés du cerveau
Lemnisque Un faisceau de fibres qui s’insinue dans le cerveau comme un ruban.
Exemple : le lemnisque médian, qui véhicule l’information du toucher, de
la moelle épinière au tronc cérébral
Rostral
Caudal
Gouttière Tube Somites Crête Tube
Plaque Replis
Mésoderme neurale neural neurale neural
neurale
Ectoderme
Rostral
Prosencéphale
ou cerveau antérieur
Mésencéphale
ou cerveau médian
Encadré 7.4 FOCUS
Ventral
Diencéphale
Mésencéphale
Cerveau
postérieur
Diencéphale
Bulbes
Caudal Coupelles optiques olfactifs
(a) Différenciation (b)
Figure 7.14 – Différenciation du télencéphale.
(a) Au cours du développement, les hémisphères cérébraux se développent postérieurement et latéralement, de telle sorte qu’ils enveloppent le
diencéphale. (b) Les bulbes olfactifs émergent de la surface ventrale de chaque vésicule télencéphalique.
7 – Anatomie du système nerveux 195
Télencéphale
Cortex cérébral
Thalamus
Hypothalamus
Diencéphale Télencéphale basal
(a) (c)
Substance
Troisième ventricule blanche corticale
Capsule interne
(b) (d)
Bien que l’hypothalamus soit situé juste sous le thalamus il est fonctionnel-
lement plus proche de certaines structures télencéphaliques, comme l’amygdale
que nous venons de voir. L’hypothalamus remplit de nombreuses fonctions
primitives et n’a donc pas beaucoup évolué chez les mammifères, le terme de
« primitif » ne signifiant pas inintéressant ou sans importance. En fait, l’hypotha-
lamus contrôle le système nerveux (autonome) viscéral, qui régule les fonctions
du corps en réponse aux besoins de l’organisme. Par exemple, si une menace pèse
sur un individu, l’hypothalamus orchestre la réponse viscérale du corps, qui peut
conduire à adopter soit une attitude de combat, soit au contraire un compor-
tement de fuite. Parmi les ordres donnés au système nerveux autonome (SNA),
l’hypothalamus commande l’augmentation de la fréquence cardiaque, un apport
de sang plus important aux muscles en cas de fuite, y compris le fait que les
cheveux se dressent sur la tête. En revanche, après un bon repas l’hypothalamus
témoigne du bon approvisionnement du cerveau par les ordres donnés au SNA
qui augmente le péristaltisme (les contractions du tractus gastro-intestinal) et
oriente le flux sanguin vers l’appareil digestif. Chez les animaux, l’hypothalamus
joue aussi un rôle déterminant dans la motivation à se nourrir, boire, ou s’ac-
coupler, selon leurs besoins. En plus de la mise en jeu des connexions avec le
SNA, l’hypothalamus commande aussi certaines réponses comportementales au
moyen des connexions qu’il établit avec l’hypophyse située sous le diencéphale.
Cette glande très importante communique avec de nombreuses parties du corps,
en libérant des hormones dans la circulation sanguine.
Différenciation du mésencéphale
Contrairement au cerveau antérieur, le mésencéphale se différencie relative-
ment peu pendant le développement (Fig. 7.17). La surface dorsale de la vésicule
mésencéphalique va dériver en une structure appelée tectum (« toit » en latin).
Le plancher du mésencéphale se différencie pour former le tegmentum. L’espace
rempli de liquide entre ces deux structures se rétrécit en un canal étroit, l’aqueduc
cérébral. L’aqueduc est relié dans la partie rostrale au troisième ventricule du dien-
céphale. L’aspect étroit et circulaire de l’aqueduc cérébral tel qu’il apparaît sur les
coupes transversales est un bon repère pour l’identification du cerveau médian.
Relations structure-fonctions du mésencéphale. Pour une structure si simple
d’apparence, les fonctions du mésencéphale sont étonnamment variées. Cette
région de l’encéphale contribue au passage des faisceaux de fibres très impor-
tants, qui relient le cortex cérébral à la moelle épinière et vice versa, mais elle
comporte aussi de nombreux neurones impliqués dans les systèmes sensoriels, le
contrôle du mouvement et plusieurs autres fonctions.
7 – Anatomie du système nerveux 197
Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur
Différenciation
Tectum
Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur
Différenciation
Cervelet
Quatrième
Lèvres rhombencéphaliques ventricule
Pont
Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur
Différenciation
Quatrième
ventricule
Bulbe
Pyramides
bulbaires
Quiz Liste
des structures dérivées du mésencéphale
et du cerveau postérieur
Figure 7.20 – Décussation des pyramides.
Le faisceau corticospinal croise d’un côté à
Vésicule primitive Structures adultes
l’autre, au niveau bulbaire.
Mésencéphale Tectum
Tegmentum mésencéphalique
Aqueduc cérébral
Cerveau postérieur (rhombencéphale) Cervelet
Pont
Quatrième ventricule
Bulbe
200 1 – Bases cellulaires
Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur
Différenciation
Figure 7.21 – Différenciation de la moelle
épinière. Colonnes
La région en forme d’ailes de papillon de la de substance blanche
moelle épinière représente la substance grise,
sous-divisée en cornes dorsale et ventrale, Corne dorsale
et en une zone intermédiaire. Autour de la
substance grise se trouvent localisés les fais- Zone Substance
ceaux de fibres représentant les colonnes de intermédiaire grise
substance blanche qui parcourent la moelle
de bas en haut et de haut en bas, dans l’axe Corne ventrale
rostrocaudal. La région centrale remplie de
Canal
LCR représente le canal spinal (les schémas
spinal
ne sont pas à l’échelle).
7 – Anatomie du système nerveux 201
Bulbe olfactif
Télencéphale Bulbe
Hypothalamus Pont
Diencéphale Rhombencéphale
(cerveau postérieur) Tegmentum
(thalamus)
(b)
Cerveau antérieur
(a)
Ventricule latéral
Aqueduc
cérébral
Canal spinal
Proportions
respectives
Rat Homme
Hémisphères
Hémisphères cérébraux
cérébraux
Cervelet
(a)
Troisième Aqueduc
ventricule cérébral
Télencéphale
Troisième Aqueduc
ventricule cérébral
Quatrième
Télencéphale Quatrième
ventricule
ventricule
Cervelet
Bulbe
Diencéphale
Diencéphale
Mésencéphale
Mésencéphale Pont Pont
(b)
Bulbe Cervelet
Bulbe olfactif
(c)
Bulbe olfactif
Ventricules latéraux
Sillon central
Lobe pariétal
Lobe frontal
Troisième
ventricule
Quatrième
ventricule
Lobe occipital
Lobe temporal
Alligator Rat
Surface
de la pie-mère
Couche
moléculaire
Couche
II
Dendrite
apicale III
Scissure rhinale
Bulbe olfactif
Néocortex
Ventricules
Hippocampe latéraux
Figure 7.27 – Trois types de cortex chez les
mammifères.
Sur cette coupe de cerveau de rat, les ventri-
cules latéraux s’étendent entre le néocortex
et l’hippocampe, de chaque côté. Les ventri-
cules ne sont pas très visibles car, à ce niveau,
ils sont allongés et étroits. Au-dessous du
télencéphale se trouve le tronc cérébral. Pou-
vez-vous identifier la région à laquelle appar- Tronc cérébral
tient le tronc cérébral, notamment en rapport Scissure
rhinale
avec la présence d’un espace central rempli
Cortex olfactif
de LCR ?
au cortex olfactif, le néocortex n’existe que chez les mammifères. C’est pourquoi,
lorsque l’on dit que le cortex s’est développé au cours de l’évolution de l’homme,
cela signifie en fait que c’est le néocortex qui s’est développé. De même, lorsque
l’on dit que le thalamus est le passage obligé vers le cortex, cela signifie que c’est
un relais vers le néocortex. En fait, les scientifiques (et c’est le cas des auteurs…
et du traducteur) sont si concernés par le néocortex, qu’ils utilisent le mot cortex
pour parler du néocortex, à moins de préciser de quelle partie du cortex il s’agit.
Le chapitre 8 décrit le cortex olfactif dans le contexte de l’olfaction. Une
présentation plus approfondie de l’hippocampe fera l’objet de la 3e partie de ce
manuel, en relation avec sa fonction dans le système limbique (chapitre 18) et
dans la mémoire et l’apprentissage (chapitres 24 et 25). Enfin, dans la 2e partie
de l’ouvrage, le néocortex occupe une place essentielle dans la discussion sur la
vision, l’ouïe, la sensation somatique et le contrôle du mouvement volontaire.
Ma carrière est faite de zigs-zags ! plutôt qu’au travers d’un logiciel qui le com-
Lorsque je fus proche de terminer mon mande.
PhD en physique théorique, mon directeur Comme j’avais créé des algorithmes
de thèse m’a envoyé effectuer un séjour permettant à des neurones artificiels d’ap-
dans les laboratoires Bell dans le New prendre, j’ai développé des théories mathé-
Jersey, pour un travail d’été. Le laboratoire matiques du fonctionnement d’un circuit
Bell, bras armé en recherche et développe- neuronal particulier du tronc cérébral,
ment de la compagnie de télécommunica- dénommé « intégrateur oculomoteur ». J’ai
tion AT&T, a produit des prix Nobel pour poursuivi ce travail au Massachusetts
ses découvertes et de nombreuses innova- Institute of Technology, où je suis devenu
tions technologiques, dont les transistors. Sebastian Seung assistant-professeur. Je suis devenu profes-
Lors de mon séjour, j’étais supposé formu- seur en 2004, ce qui aurait du me rendre
ler quelques théories sur la supraconductivité. J’y ai ren- heureux. Paradoxalement, j’étais plutôt déprimé. Ma
contré Haim Sompolinsky, qui rentrait d’une année sab- théorie de l’intégration oculomotrice était intéressante
batique en Israel. Haim avait développé des modèles et même plausible si l’on en croit mon collègue David
mathématiques sur l’interaction des particules dans un Tank à Princeton, qui l’a testée. Mais d’autres propo-
champ magnétique et travaillait maintenant avec saient des théories alternatives, et il y avait ainsi une
enthousiasme sur les interactions entre neurones. Il était absence de consensus sur cette problématique. En fait,
complètement fasciné par les théories sur les réseaux ma théorie supposait l’existence de connexions récur-
neuronaux, et c’est ainsi que je l’ai suivi à Jérusalem rentes entre les différentes parties de l’intégrateur. Mais
pour effectuer mon post-doctorat. Nous avons dès lors après plus de dix ans, je n’étais toujours pas sûr que ces
appliqué les concepts de la physique statistique pour interconnexions existent !
tenter de comprendre ce qu’il se passait lorsque des neu- Lorsque je m’en ouvris à David, il m’a suggéré de
rones artificiels – c’est-à-dire des neurones modélisés – changer de problématique. Dans les années 1990 nous
« apprenaient », non pas graduellement mais au avions travaillé ensemble dans les laboratoires Bell avec
contraire soudainement. Lorsque je n’étais pas pris Winfried Denk, qui avait depuis rejoint l’Institut de
dans mes calculs innombrables, j’apprenais l’Hébreu ou recherche biomédicale du Max Planck à Heidelberg.
encore cuisinais de l’hummus. Winfried avait développé un ingénieux dispositif per-
Après deux années à Jérusalem, je suis retourné aux mettant d’obtenir une représentation d’une coupe de
laboratoires Bell où je fus rattaché au département de tissu nerveux et de réaliser successivement plusieurs
physique théorique 11111, en rapport avec la charte représentations à différents niveaux de ce tissu. En pro-
d’organisation de ce laboratoire. Est-ce à dire que nous gressant systématiquement, il était alors possible d’ob-
étions les meilleurs ? Certainement pas mais la pression tenir une représentation 3D de cette région du cerveau.
était bien là, non pas de produire de nouveaux prix Ce dispositif étant basé sur une analyse d’images en
Nobel, mais bien des applications rentables pour AT&T, microscopie électronique, sa résolution était suffisante
à tel point que l’on nous disait « Plus votre département pour envisager une représentation de toutes les synapses
comprend de 1, moins vous êtes utile »… et de tous les neurones présents dans l’échantillon ana-
Mais les laboratoires Bell sont un peu comme lysé (souvenez-vous que Cajal avec son microscope et la
Disneyland pour ce qui concerne la créativité, avec des méthode de coloration de Golgi ne pouvait voir qu’un
milliers de chercheurs travaillant sur une variété de sujets tout petit nombre de neurones et en aucun cas les
absolument considérables. La plupart d’entre eux lais- synapses). En principe, il était donc possible de procéder
saient leur porte ouverte, de telle manière que les interac- à partir de ces images à la représentation de l’ensemble
tions étaient fréquentes et qu’à n’importe quel moment des connexions présentes dans le tissu nerveux analysé.
vous pouviez poser des questions à des spécialistes. Les Le recueil d’un nombre considérable de données
départements de physique expérimentale et de biologie était la partie la plus longue de notre analyse. Le dispo-
computationnelle étaient pionniers dans l’utilisation de sitif créé par Winfried nous donnait la possibilité de
l’IRM fonctionnelle et de la microscopie pour appréhen- travailler sur un échantillon d’environ 1 mm3, l’équiva-
der l’activité neuronale. A l’autre bout du bâtiment se lent de milliards d’images numérisées. La reconstruc-
trouvaient des informaticiens travaillant sur une machine tion manuelle aurait donc été impossible à envisager.
« à apprendre » : une sorte de dispositif conduisant l’or- J’ai donc décidé de m’attaquer à augmenter la vitesse
dinateur à apprendre à partir de sa propre expérience d’analyse des images en automatisant la procédure. En
7 – Anatomie du système nerveux 209
2006, j’ai débuté une collaboration avec le laboratoire neurones qui sont comme des câbles dans le cerveau
de Winfried pour combiner nos deux méthodes. (Fig. A).
L’automatisation de l’analyse s’avérait être une grande En 2014, Nature a publié la première représentation
amélioration, augmentant à la fois la vitesse de traite- d’un réseau dans la rétine. Cette découverte suggère une
ment des images et la précision des informations dans solution nouvelle à une question restée sans réponse
la reconstruction 3D des neurones. Toutefois, la depuis une cinquantaine d’années : comment les neurones
machine faisait encore quelques erreurs et ne pouvait de la rétine contribuent-ils à la détection des stimuli visuels
en tout état de cause pas remplacer totalement l’inter- en mouvement ? Plusieurs chercheurs ont alors lancé des
vention de l’homme. En 2008, nous avons créé un logi- expérimentations pour vérifier notre théorie. Seul le temps
ciel susceptible de reconstruire les circuits neuronaux. pourra nous dire si nous avons raison. Mais il est clair
Nous avons rejoint le projet « EyeWire » regroupant toutefois que cette technologie de reconstruction des
plus de 150 000 joueurs de plus de 100 pays depuis connexions cérébrales est à même de nous fournir de nou-
sa création en 2012 (http://blog.eyewire.org/about). velles clés pour mieux comprendre le fonctionnement
EyeWire analyse les images en utilisant un jeu qui res- cérébral. Je travaille maintenant au Princeton Neuroscience
semble à un livre à coloriser en 3D. Avec cette méthode, Institute, où je poursuis mes travaux vers ce rêve de recons-
nous avons contribué à reconstruire les branches de truire un jour le connectome d’un cerveau entier.
Figure A – Sept neurones d’une toute petite région de la rétine sont reconstruits avec leurs dendrites à partir d’images obte-
nues en microscopie électronique. Les neurites appartenant à chaque neurone sont colorés de façon différentielle. (Source :
courtoisie du Dr Sebastian Seung, Princeton University, et Kris Krug, Pop Tech.)
primaires, qui sont les premières à recevoir les informations à partir des voies
sensorielles. Par exemple, l’aire 17 correspond à l’aire visuelle primaire appelée
aussi V1 car elle reçoit les informations de l’œil par une voie directe, allant de
la rétine au cortex en passant par le thalamus. Le deuxième type de néocortex
est représenté par les aires sensorielles secondaires, ainsi désignées parce qu’elles
sont étroitement connectées aux aires sensorielles primaires. Le troisième type de
néocortex est représenté par les aires motrices qui, in fine, sont impliquées dans
le contrôle du mouvement. Ces aires corticales reçoivent des informations des
noyaux thalamiques qui relaient l’information à partir du télencéphale basal et
du cervelet, et projettent en retour vers les neurones impliqués dans le contrôle
moteur à partir du tronc cérébral et de la moelle épinière. Par exemple, parce
que l’aire 4 projette directement vers les motoneurones de la corne ventrale de la
moelle épinière, cette aire est désignée comme cortex moteur primaire ou M1. Il
est ainsi suggéré que l’ancêtre commun des mammifères comportait environ une
vingtaine d’aires différentes appartenant à l’une ou l’autre de ces trois catégories.
La figure 7.29 illustre des vues de cerveau de rat, de chat et d’homme sur
lesquelles sont délimitées les aires primaires sensorielles et motrices. Il apparaît
clairement que le développement du cortex chez les mammifères correspond à
la partie comprise entre ces deux territoires. Les travaux montrent alors que ce
210 1 – Bases cellulaires
Moteur Visuel
Somatosensoriel Sensorimoteur
Visuel
Sensorimoteur
Visuel
Bulbe olfactif
Auditif Bulbe olfactif
Auditif
Auditif
Conclusion
La neuroanatomie est seulement effleurée dans ce chapitre. Il est évident que
le cerveau représente la matière la plus complexe de l’univers. Ce qui a été décrit
dans ce chapitre ne donne par conséquent qu’une vision schématique du système
nerveux et de quelques-uns de ses constituants.
Il est cependant indispensable de bien connaître la neuroanatomie pour
comprendre comment fonctionne le cerveau. Aujourd’hui cette neuroanato-
mie connaît un renouveau d’importance avec l’arrivée de méthodes permettant
d’aborder le cerveau vivant (Fig. 7.30).
QUESTIONS DE RÉVISION
NERFS CRÂNIENS
CIRCULATION CÉRÉBRALE
Vue ventrale
Vue latérale
Vue médiale (sans le tronc cérébral)
QUESTIONNAIRE
D’AUTO-ÉVALUATION
INTRODUCTION
C
omme nous le constaterons dans la suite de cet ouvrage, l’une des façons
les plus efficaces d’explorer l’anatomie du système nerveux est de la
considérer sous l’angle fonctionnel. Ainsi, le système olfactif est repré-
senté par les différentes régions cérébrales qui sont impliquées dans l’olfaction,
le système visuel par toutes les régions impliquées dans la vision, et ainsi de
suite. Cette façon d’analyser l’organisation du système nerveux présente de nom-
breux avantages ; toutefois, elle a pour inconvénient de s’opposer à une vision
plus globale du système nerveux, en d’autres termes de ne pas nous permettre
d’apprécier comment tous ces systèmes fonctionnent ensemble pour réaliser les
comportements. L’objectif de ce guide est de présenter l’anatomie des structures
dont nous parlerons dans les chapitres qui suivent. Ici nous nous concentrerons
plus spécifiquement sur les termes anatomiques, notamment la dénomination
des structures nerveuses et des différentes parties du cerveau. Nous verrons aussi
combien toutes ces structures sont reliées entre elles pour former un ensemble,
le cerveau, leur implication fonctionnelle étant décrite dans la suite de l’ouvrage.
Le guide est organisé en six parties principales. La première partie est consa-
crée à l’anatomie générale du cerveau, en particulier aux différentes subdivisions
qui apparaissent déjà lorsque l’on examine macroscopiquement le cerveau entier
ou simplement séparé en deux parties selon la ligne médiane inter-hémisphérique
(plan sagittal médian). Puis nous explorerons l’anatomie du cerveau en décrivant
des coupes anatomiques réalisées dans le plan coronal (frontal) à des niveaux
choisis présentant les principales structures du système nerveux. Les parties 3
et 4 décrivent de façon plus succincte l’organisation de la moelle épinière et du
système nerveux autonome. La cinquième partie du guide est consacrée aux
nerfs crâniens et à leurs fonctions et la dernière partie décrit la vascularisation
cérébrale.
Le système nerveux présente un nombre considérable de structures. Dans
ce guide, nous n’avons pas de prétention exhaustive mais nous voulons plutôt
mettre l’accent sur les régions dont nous discuterons la fonction dans la suite de
l’ouvrage. Néanmoins, rien que pour cela, un nombre très important de struc-
tures nerveuses sera décrit, ce qui suppose d’acquérir un vocabulaire en rapport
avec cette anatomie. Pour vous aider, vous pourrez alors tester vos connaissances
en répondant au questionnaire d’auto-évaluation présenté en fin de chapitre.
214 1 – Bases cellulaires
Postérieur Postérieur
(0,5X) (0,5X)
Hémisphère cérébral
Bulbe olfactif
Cervelet
Tronc cérébral
(1X)
216 1 – Bases cellulaires
Sillon central
(0,5X)
1. NdT : ce qui est nommé ici sillon central correspond à la scissure centrale, encore
dénommée scissure de Rolando. De ce fait, les gyri post-central et précentral corres-
pondent à ce que l’on nomme aussi, respectivement, gyrus post-rolandique et prérolan-
dique. Corrélativement, la scissure de Sylvius présentée ci-après, est encore nommée
scissure latérale.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 217
(c) Lobes cérébraux et cortex insulaire. Par convention, les hémisphères céré-
braux sont subdivisés en lobes, désignés par rapport aux os du crâne qui les
recouvrent. Le sillon central sépare quant à lui le lobe frontal du lobe pariétal.
Le lobe temporal s’étend dans le territoire situé au-dessous et latéralement par
rapport à la scissure de Sylvius. Le lobe occipital représente la partie postérieure
du cerveau, limité dans sa partie supérieure par le lobe pariétal et dans sa partie
inférieure par le lobe temporal. Une partie du cortex est située à l’intérieur des
replis de la scissure de Sylvius. Ce cortex « caché » est dénommé cortex insulaire
ou insula (du latin : « île »). Le cortex insulaire est situé entre le lobe temporal
et le lobe frontal.
Lobe pariétal
Lobe frontal
Lobe occipital
Cortex insulaire
3 1 2
4 5
8 6
7
9 40
10 46 39 19
41
42 17
18
22 37
45
21
11
38 (0,4X)
20
Cortex visuel
(aires 17, 18, 19)
(0,7X)
Cortex préfrontal
Cortex inférotemporal
(aires 20, 21, 37)
Cortex auditif
(aires 41, 42)
Aires motrices
Aires sensorielles
Aires associatives
Cortex gustatif
(aire 43)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 219
Thalamus
Glande pinéale
Hypothalamus
Tegmentum
Pont
Bulbe (1X)
220 1 – Bases cellulaires
(b) Structures du cerveau antérieur. Sur le schéma sont représentées les prin-
cipales structures du cerveau antérieur observables à partir de la face interne,
après avoir séparé les deux hémisphères. La section permet de distinguer le corps
calleux, un énorme faisceau de fibres nerveuses qui relie normalement les deux
hémisphères. Particularité intéressante, lorsque le corps calleux est sectionné
chirurgicalement pour des raisons médicales, cela donne la possibilité aux neu-
ropsychologues d’étudier séparément les fonctions des deux hémisphères (voir
chapitre 20). Le fornix représente un autre faisceau de fibres important, qui
connecte l’hippocampe à l’hypothalamus. Le terme fornix vient du mot latin
signifiant « arche ». Une partie des axones du fornix contribue aux régulations
des processus mnésiques (voir chapitre 24).
Le schéma de la partie basse figure le cerveau en position légèrement pivo-
tée vers le haut pour montrer l’emplacement de l’amygdale et de l’hippocampe.
Cette représentation n’est pas compatible avec leur observation directe car elles
sont enfouies dans le cerveau. Elles sont donc représentées sous forme de « fan-
tômes » puisqu’elles sont recouvertes par le cortex. Nous découvrirons ces struc-
tures plus directement dans les prochaines planches de ce guide. L’amygdale est
une structure nerveuse importante pour la régulation des
états émotionnels (voir chapitre 18) et l’hippocampe
pour la mémorisation (voir chapitres 24 et 25).
Gyrus cingulaire
Fornix
Bulbe olfactif
Scissure
Chiasma optique calcarine
(0,7X)
Amygdale
(recouverte par le cortex)
(0,7X)
Troisième ventricule
Aqueduc cérébral
Quatrième ventricule
(0,7X)
Canal spinal
(0,7X)
Ventricule latéral
(recouvert par le cortex)
Tronc cérébral et cervelet retirés
et cerveau en position légèrement pivotée
222 1 – Bases cellulaires
Bulbe olfactif
Chiasma optique
Tractus optique
Nerf optique
Hypothalamus
Corps
mamillaires
Mésencéphale
Nerfs crâniens
Pont
Bulbe (1X)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 223
Corps calleux
Sillon central
(b) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux. Dans ce cas, c’est le cerve-
let qui apparaît de façon prédominante, notamment si l’on bascule un peu le
cerveau vers l’avant. Le cervelet est une structure essentielle de la coordination
motrice (voir chapitre 14). Il est lui-même divisé en deux hémisphères latéraux et
en une région médiane, dénommée vermis cérébelleux.
Vermis
Hémisphère Hémisphère
cerebelleux gauche cerebelleux droit
(0,95X)
Moelle épinière
(c) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux et le cervelet. Cette interven-
tion permet d’observer la partie supérieure du tronc cérébral. Sur le schéma,
ont été reportées à gauche les principales parties du tronc cérébral, alors que
des structures plus spécifiques sont mentionnées à droite. La glande pinéale, qui
se trouve au-dessus du thalamus, sécrète la mélatonine et est impliquée dans la
régulation des états de sommeil et les comportements sexuels (voir chapitres 17
et 19). Le colliculus supérieur reçoit directement des informations visuelles (voir
chapitre 10) et se trouve impliqué dans la régulation des mouvements des yeux
(voir chapitre 14). Le colliculus inférieur représente une structure importante
du système auditif (voir chapitre 11). Les pédoncules cérébelleux sont de larges
faisceaux d’axones qui connectent le cervelet au tronc cérébral (voir chapitre 14).
Colliculus supérieur
Mésencéphale
Colliculus inférieur
Pont
(1X)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 225
2 1
3
(0,6X)
Sections réalisées au niveau du tronc cérébral
4
5
(0,6X)
7
8
9
226 1 – Bases cellulaires
Lobe frontal
Ventricule latéral
Thalamus
Cortex insulaire
Scissure de Sylvius
Troisième
ventricule
Lobe temporal
(1X)
Cerveau antérieur basal
Hypothalamus
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 227
Structures nerveuses
Groupes de fibres nerveuses
Cortex cérébral
Corps calleux
Aire septale
Substance
blanche corticale Putamen
Capsule interne
Globus pallidus
(pallidum)
(1X)
228 1 – Bases cellulaires
Lobe pariétal
Ventricule latéral
Thalamus
Cortex insulaire
Scissure de Sylvius
Troisième ventricule
Lobe temporal
Fornix
Noyau caudé
Noyau
ventro-postéro-latéral
(VPL) du thalamus
Putamen
Capsule interne
Globus pallidus
(pallidum)
Substance blanche
corticale
Amygdale
Lobe pariétal
Troisième ventricule
Ventricule latéral
Thalamus
Lobe temporal
(1X)
Mésencéphale Aqueduc cérébral
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 231
Pulvinar
Corps genouillé
latéral
Substance
blanche corticale
Hippocampe
(1X)
Corps genouillé médian
232 1 – Bases cellulaires
Substance noire
(2X)
Noyau rouge
4
5
Quatrième ventricule
Cortex cérébelleux
Noyaux du pont
Noyaux du raphé
Olive supérieure
Olive inférieure
7 (2X)
Pyramide bulbaire
234 1 – Bases cellulaires
Quatrième ventricule
Noyaux vestibulaires
Olive inférieure
(2X)
Lemnisque médian
8
Pyramide bulbaire
Lemnisque médian
9 (2,5X)
Pyramide bulbaire
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 235
Queue de cheval
5e nerf lombaire
Surface ventrolatérale
Ce schéma illustre la façon dont les nerfs spinaux sont rattachés à la moelle
épinière et comment les méninges sont organisées au niveau spinal. Dès que
les nerfs pénètrent à l’intérieur de la colonne vertébrale, ils se séparent en deux
faisceaux distincts dénommés « racines ». Les racines dorsales véhiculent les
informations sensorielles. Les axones des neurones sensoriels sont situés dans
les ganglions rachidiens. Les racines ventrales véhiculent les messages moteurs
issus des neurones moteurs situés dans la substance grise de la région ventrale
de la moelle épinière. L’aspect « en ailes de papillons » de la moelle épinière vue
en coupe coronale représente la substance grise, c’est-à-dire principalement les
corps cellulaires des neurones spinaux. Cette substance grise est subdivisée en
régions dorsale, latérale et ventrale, dénommées « cornes »2. Notez que l’orga-
nisation de la substance grise et de la substance blanche de la moelle épinière
est un peu différente de celle du cerveau antérieur. Dans le cerveau antérieur, la
substance grise entoure complètement la substance blanche. Dans la moelle épi-
nière, on note une épaisse coque de substance blanche qui contient les nombreux
faisceaux d’axones parcourant la moelle dans les deux sens, de haut en bas et de
bas en haut. Ces faisceaux de fibres sont divisés en trois colonnes, dénommées
respectivement colonnes dorsales, colonnes latérales et colonnes ventrales.
Colonnes dorsales
Corne dorsale DORSAL
Colonne latérale Canal spinal
Corne ventrale
Corne latérale
Colonne ventrale
Racine dorsale
Ganglion rachidien
Pie-mère spinale
Nerf spinal
Espace
subarachnoïdien
Membrane
arachnoïdienne spinale
Racine ventrale
Dure-mère spinale
Filaments
des racines ventrales
(6X)
VENTRAL
2. NdT : dans une autre nomenclature, on désigne les parties « dorsale » et « ventrale »
de la moelle épinière par rapport à la position de cette dernière. Ainsi désigne-t-on aussi
les régions ventrales comme « antérieures » et les régions dorsales comme « postérieures ».
De ce point de vue, les racines ventrales peuvent être aussi désignées comme « racines
antérieures » et les racines dorsales comme « racines postérieures ».
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 237
Faisceau Système
corticospinal moteur
latéral
Faisceau
rubrospinal
(9X)
Faisceau réticulospinal
bulbaire
Voie spinothalamique
Voie tectospinale
Faisceau réticulospinal
pontique
Système moteur
Faisceau vestibulospinal ventromédian
238 1 – Bases cellulaires
Plan de coupe
Nerf vague
Nerf spinal
Colonne vertébrale
Cœur
Côtes (section)
du côté droit du corps
Estomac
Rein
Intestin grêle
Ganglions sympathiques
Vessie
Prostate
Fibres sympathiques
Fibres parasympathiques
240 1 – Bases cellulaires
Nerfs crâniens
Douze paires de nerfs crâniens émergent de la base du cerveau. Les deux
premiers nerfs font partie du SNC, impliqués dans l’olfaction et la vision. Les
autres nerfs sont équivalents à des nerfs spinaux en ce sens qu’ils contiennent des
axones du système nerveux périphérique. Comme l’illustre le schéma, le même
nerf est souvent impliqué dans plusieurs fonctions à la fois. Une bonne connais-
sance de ces nerfs et de leur fonction est un atout essentiel pour l’aide au dia-
gnostic d’un grand nombre de troubles neurologiques. En effet, il est important
de se souvenir que les nerfs crâniens sont associés à des noyaux correspondants
du tronc cérébral, tant au niveau du mésencéphale que du pont ou du bulbe.
Par exemple, les noyaux cochléaires et vestibulaires reçoivent leur information
de la huitième paire de nerfs crâniens (VIII). La plupart de ces noyaux des nerfs
crâniens ne sont cependant pas illustrés ici car leur fonction n’est pas discutée
dans la suite de cet ouvrage.
I. Nerf olfactif
V. Nerf trigéminal
X. Nerf vague
Nerf olfactif
Nerf optique
Nerf oculomoteur
Nerf trochléaire
Nerf trigéminal
Nerf abducens
Nerf facial
Nerf auditif et vestibulaire
Nerf glossopharyngien
Nerf vague
Nerf spinal accessoire
Nerf hypoglosse
III. Nerf oculomoteur Moteur somatique Mouvements des yeux et des paupières
Moteur viscéral Contrôle parasympathique du diamètre de la pupille
VII. Nerf facial Sensoriel somatique Mouvements des muscles de l’expression faciale
Sensoriel (spécifique) Sensation du goût (2/3 antérieur de la langue)
VIII. Nerf auditif et vestibulaire Sensoriel (spécifique) Audition et équilibre
IX. Nerf glossopharyngien Moteur somatique Mouvements des muscles de la gorge (oropharynx)
Moteur viscéral Contrôle parasympathique des glandes salivaires
Sensoriel (spécifique) Sensation du goût (1/3 postérieur de la langue)
Sensoriel viscéral Détection de la pression artérielle au niveau de l’aorte
Circulation cérébrale
Vue ventrale
Deux paires d’artères irriguent le cerveau : les artères vertébrales et les
artères carotides internes. Les artères vertébrales convergent à la base du pont
pour former l’artère basilaire. Les artères vertébrales et basales irriguent le
tronc cérébral et le cervelet. Dans le mésencéphale, l’artère basilaire se sépare
en plusieurs branches : les artères cérébelleuses supérieures droite et gauche et
les artères cérébrales postérieures. Les artères cérébrales postérieures forment les
artères communicantes postérieures, qui les connectent aux carotides internes. Les
carotides internes, quant à elles, se divisent pour former les artères cérébrales
moyennes et les artères cérébrales antérieures. Les artères cérébrales antérieures
de chaque hémisphère sont interconnectées par l’artère communicante anté-
rieure. Par conséquent, les artères cérébrales postérieures et communicantes, les
carotides internes et les artères cérébrales antérieures et communicantes, forment
un anneau d’artères interconnectées à la base du cerveau. Ce réseau dense repré-
sente le cercle de Willis.
Artère cérébrale
antérieure
Artère communicante
antérieure
Artère cérébrale
moyenne
Artère
carotide interne
Artère
communicante
postérieure
Artère cérébelleuse
postérieure
Artère cérébelleuse
supérieure
Artère basilaire
(1X)
Artères vertébrales
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 243
Vue latérale
L’essentiel de la surface latérale du cerveau est irrigué par l’artère cérébrale
moyenne. Cette artère irrigue également les structures profondes du cerveau
antérieur.
Parties terminales
de la branche corticale
de l’artère cérébrale antérieure
(0,7X)
Artère cérébrale moyenne Parties terminales
de la branche corticale
de l’artère cérébrale postérieure
(0,7X)
Artère cérébrale antérieure
Questionnaire d’auto-évaluation
Les pages suivantes sont organisées comme un livre d’exercices, pour vous
aider à apprendre la neuroanatomie qui vous a été présentée. Les schémas du
guide sont reproduits sans les noms des structures nerveuses. En revanche, les
structures sont numérotées afin que vous puissiez mettre sur la ligne correspon-
dante le nom de la structure à identifier. Cette méthode vous sera très utile pour
tester vos connaissances et vous aider à retenir les termes anatomiques qui seront
utilisés dans les chapitres suivants.
QUESTIONNAIRE
Vue latérale du cerveau
1.
2.
3.
4.
1
4 3
7
8
6
5.
6.
7.
8.
9
9.
5
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 245
2.
3.
4
4.
5
5.
1
QUESTIONNAIRE
Vue latérale du cerveau (suite)
11
12 6.
10
13
9
7.
8.
14
9.
10.
11.
12.
8
15
13.
7 6
14.
15.
246 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE
Aspect interhémisphérique
7
2.
8 3.
4.
5.
6
4 6.
3 9
5 2
1 7.
8.
9.
13 14
12
10.
11.
11 15
10 12.
13.
14.
15.
16.
17.
QUESTIONNAIRE
Aspect interhémisphérique
(c) Ventricules
4 1.
3
2.
2
1
3.
4.
5.
5
Identification des structures
après avoir retiré
le tronc cérébral et le cervelet,
cerveau légèrement pivoté
6.
8.
9
10 9.
10.
11
11.
8
12
12.
13
14
13.
7
15
14.
6
15.
248 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE
Aspect du cerveau vu de dessus
1.
2.
2
3.
4.
5
5.
6.
7
7.
8.
6 8
9.
10.
(c) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux et le cervelet
11.
13 12.
12
14
11 15 13.
10
14.
16
15.
17
16.
17.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 249
QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau de la jonction entre le thalamus et le télencéphale
6
1.
7
2.
3.
8
5 4.
4 5.
9
6.
3
7.
2 1
8.
9.
(b) Principales structures et faisceaux nerveux
10.
13 14
11.
15
12
12.
16
13.
11
17
14.
10
15.
18
16.
17.
18.
250 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau du thalamus moyen 1.
2.
(a) Organisation générale
3.
6 4.
7
5.
5
6.
4 7.
8
8.
9.
3 9
10.
2
1
11.
12.
16 15.
20
16.
15
17.
14 21
18.
19.
13
20.
12 22
11 21.
10 23
22.
23.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 251
QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau de la jonction entre thalamus et mésencéphale
5 1.
2.
4
3.
6 4.
3
5.
6.
2 7.
1 7
8.
10
9
9.
11
10.
12 11.
12.
8
13.
13
14.
14
252 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE
Mésencéphale rostral
4 5
1.
3 2.
3.
2 4.
1 5.
Mésencéphale caudal
8 9
6.
7
7.
8.
9.
6
Pont et cervelet
14
10.
13 11.
12.
12
13.
14.
11
10
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 253
QUESTIONNAIRE
7
6
5
1.
4
2.
3
3.
2
1 4.
5.
Partie centrale du tronc cérébral
6.
14
13 7.
12 8.
11 9.
10
10.
9 11.
8
12.
17 18
14.
15.
16.
16
17.
18.
15
254 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE 1.
2.
5.
6
11
5 6.
12 7.
13 8.
14
9.
4
15 10.
3
11.
2
16
12.
1
13.
17
14.
15.
VENTRAL 16.
17.
20 21 19.
19
20.
22 24 21.
23
22.
23.
25
24.
18
26
25.
27
29
28
26.
27.
28.
29.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 255
QUESTIONNAIRE
Nerfs crâniens
1.
2.
1
3.
2
4.
3 5.
4
6.
5
7.
6
7 8.
8
9 9.
10
10.
11
12 11.
12.
256 1 – Bases cellulaires
QUESTIONNAIRE
Circulation cérébrale
1.
2
7 2.
8
1
3.
4.
9 5.
11
6.
7.
8.
9.
10.
10 12
11.
12.
13.
14.
15.
13
14
15
– 257
2e PARTIE
Systèmes
sensoriel
et moteur
CHAPITR E 8
Sens chimiques 258
CHAPITR E 9
Œil et vision 288
C H A P I T R E 10
Vision : organisation anatomofonctionnelle
des voies centrales 328
C H A P I T R E 11
Audition et système vestibulaire 366
CH APIT R E 12
Système sensoriel somatique 412
CH A PIT R E 13
Contrôle spinal du mouvement 454
C H A P I T R E 14
Contrôle central du mouvement 484
258 2 – Systèmes sensoriel et moteur 258
GUSTATION
Goûts de base.................................................................................... 260
Encadré 8.1 Focus Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate,
calcium ou simplement de l’eau ?
Organes du goût................................................................................ 262
Cellules réceptrices du goût................................................................ 263
Mécanismes de la transduction du goût.............................................. 264
Voies centrales du système gustatif..................................................... 268
Encadré 8.2 Focus Souvenirs d’un repas cauchemardesque…
Codage neuronal du goût................................................................... 271
OLFACTION
Organes de l’olfaction........................................................................ 272
Encadré 8.3 Focus Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?
Récepteurs olfactifs neuronaux........................................................... 274
Encadré 8.4 Les voies de la découverte Canaux ioniques de la vision
et de l’olfaction,
par Geoffrey Gold
Voies olfactives centrales.................................................................... 279
Codage spatial et temporel de l’information olfactive.......................... 281
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
a vie a évolué dans un océan de substances chimiques. Dès le début, les
organismes flottaient ou se déplaçaient dans de l’eau pleine de subs-
tances chimiques, garantie de nourriture pour les uns, de poison ou de
la présence de partenaires sexuels pour les autres. De ce point de vue, les choses
n’ont pas beaucoup changé depuis des milliards d’années. C’est grâce aux sens
chimiques que les animaux y compris les hommes, reconnaissent les aliments
(la douceur du miel, l’odeur de la pizza), les substances toxiques (l’amertume
des alcaloïdes) ou encore leurs partenaires. De tous les systèmes sensoriels, ceux
dévolus à la détection chimique sont les plus répandus et les plus anciens. Même
les bactéries, qui n’ont pas de cerveau, peuvent détecter une source de nourriture
qui leur convient et se déplacer vers elle.
Les organismes pluricellulaires sont capables de détecter les substances
chimiques dans leur environnement, mais aussi dans leur milieu intérieur. La
diversité des systèmes de détection chimique s’est considérablement étendue au
cours de l’évolution. L’air dans lequel l’homme évolue est plein de substances
chimiques volatiles ; nous absorbons par ailleurs de nombreuses autres substances
chimiques pour toute une série de raisons et nous portons en nous un milieu inté-
rieur complexe, sous forme de sang et des autres liquides qui baignent nos cel-
lules. La nature nous a pourvus d’un système approprié pour la détection de ces
substances chimiques présentes dans chacun de ces milieux. Les mécanismes de
la sensation chimique qui, à l’origine, étaient utilisés pour détecter les substances
présentes dans l’environnement, ont évolué considérablement, jusqu’à former
maintenant la base de la communication chimique entre les cellules et les organes,
au moyen des hormones et des neurotransmetteurs. Dans l’organisme, chaque
cellule se trouve être ainsi virtuellement sensible à plusieurs substances chimiques.
Ce chapitre traite des sensations chimiques les plus familières : le sens du
goût ou gustation et celui de l’odorat ou olfaction. Cependant, bien que l’appré-
ciation du goût et des odeurs représente des sensations dont nous avons effecti-
vement conscience, ces sens chimiques ne sont pas les seuls dont nous disposons.
De nombreux types de cellules chimiquement sensibles ou chémorécepteurs,
sont répartis dans tout le corps. Ainsi, certaines terminaisons nerveuses de la
peau ou des muqueuses signalent la présence de substances chimiques irritantes.
De nombreux autres chémorécepteurs rendent compte de façon consciente ou
inconsciente de notre état interne : des terminaisons nerveuses situées dans les
organes digestifs détectent un grand nombre de substances ingérées, des récep-
teurs présents dans les artères au niveau du cou évaluent les niveaux de dioxyde
de carbone et d’oxygène du sang, et des terminaisons sensorielles localisées dans
les muscles répondent à une acidification du milieu en donnant la sensation de
brûlure qui accompagne un effort et exprime un déficit en oxygène.
La gustation et l’olfaction ont un rôle comparable : la détection des subs-
tances chimiques dans l’environnement. En fait, le système nerveux ne peut per-
cevoir les saveurs et les odeurs que par ces deux sens. La gustation et l’olfaction
sont très fortement en rapport direct avec nos besoins fondamentaux, y compris
la soif, la faim, l’émotion, le désir sexuel, ou encore certaines formes de mémoire.
Cependant, ces deux sens sont distincts et différents, depuis la structure et les
mécanismes de leurs chémorécepteurs, jusqu’à l’organisation générale de leurs
connexions centrales et leur influence sur le comportement. L’information sen-
sorielle transmise par chacun de ces systèmes se trouve en fait traitée parallèle-
ment et elle n’est intégrée qu’à des niveaux très élevés, dans le cortex cérébral.
260 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Gustation
Les hommes sont omnivores (du latin omnis : tout, et vorare : manger) depuis
l’origine et ils se sont nourris des plantes ou des animaux qu’ils pouvaient trou-
ver, récupérer ou chasser. Pour faire la différence entre de nouvelles sources de
nourriture et des toxines potentielles, il fallait un système aussi performant que
celui de la détection du goût. Certaines préférences dans le goût sont innées ;
ainsi la préférence du sucré, satisfaite par le lait de la mère. Les substances
amères sont de la même manière instinctivement rejetées et en fait de nombreux
poisons sont détectés par leur goût amer. Cependant, l’expérience personnelle
parvient à modifier fortement nos instincts. Ainsi en est-on venu à supporter
et même à apprécier l’amertume de substances telles que le café ou la quinine.
L’organisme lui-même présente aussi la faculté de percevoir un déficit de certains
aliments qui lui sont essentiels et de susciter l’envie de ces aliments. Par exemple,
privé du sel tout à fait indispensable, l’organisme peut éprouver une sorte de
désir d’aliments salés.
Goûts de base
Le nombre des substances chimiques étant illimité et la variété des saveurs
incalculable, il est vraisemblable que nous ne reconnaissons que quelques goûts
de base. La plupart des scientifiques s’accordent sur le nombre de cinq. Les
qualités des quatre goûts de base sont le salé, l’acide, le sucré et l’amer. Un cin-
quième goût, moins familier, est l’umami, qui signifie « délicieux » en japonais et
se définit par la saveur particulière présentée par un acide aminé, le glutamate (le
glutamate de sodium, qui en est la forme culinaire usuelle). Ces cinq catégories
de qualités gustatives paraissent communes à l’ensemble des cultures humaines
mais il est également vraisemblable qu’il en existe bien d’autres (Encadré 8.1).
La correspondance entre la chimie et le goût est évidente dans la plupart
des cas. Les acides sont presque tous acides et les sels sont salés. Mais la chimie
des substances peut varier considérablement alors que leur goût de base reste
le même. De nombreuses substances sont sucrées, depuis les sucres bien connus
(par exemple le fructose présent dans les fruits et le miel, et le saccharose, c’est-
à-dire le sucre blanc), jusqu’à certaines protéines (comme la monélline, issue
d’une baie cueillie en Afrique) et aux sucres artificiels (tels que la saccharine et
l’aspartame, le second étant constitué de deux acides aminés). Curieusement, les
sucres sont les moins sucrés de toutes ces substances ; gramme pour gramme, les
édulcorants artificiels et les protéines sont 10 000 à 100 000 fois plus sucrés que
le saccharose. Les substances de goût amer vont de simples ions, tels que K+ (le
KCl est en fait à la fois amer et salé) et Mg2+, à des molécules organiques com-
plexes, comme la quinine ou la caféine. De nombreuses substances organiques de
goût amer peuvent être goûtées, même à très faibles concentrations, inférieures
au nanomalaire. Ceci constitue très certainement un avantage, du fait du carac-
tère amer de nombreux poisons.
Mais avec un registre de goûts aussi limité que les doigts de la main, qu’est-ce
qui permet de percevoir les innombrables saveurs des aliments tels que le cho-
colat, les fraises ou encore la sauce du barbecue ? Tout d’abord, chaque ali-
ment active une combinaison différente de goûts de base, qui le rend unique.
Deuxièmement, la plupart des aliments ont une saveur particulière en raison
de leur goût et de leur odeur, qui sont perçus simultanément. Par exemple, sans
l’odeur (et la vue), une tranche d’oignon peut être prise facilement pour un mor-
ceau de pomme. Enfin, d’autres modalités sensorielles contribuent à faire d’un
aliment une expérience particulière. Dans ce domaine, la consistance, la texture
et la température sont des éléments importants et une sensation de douleur est
associée à la saveur brûlante et épicée des aliments assaisonnés de capsaïcine,
une composante majeure des piments rouges. Par conséquent, pour distinguer la
saveur exquise d’un aliment que l’on ne voit pas, le cerveau va réellement devoir
combiner les informations sur son goût, son odeur et sa consistance.
8 – Sens chimiques 261
Encadré 8.1 FOCUS
Pour finir, l’eau ! L’eau est un élément vital pour l’or- décrire le goût de l’eau distillée, elle est souvent qualifiée
ganisme et sa consommation est régulée par la sensation de façon très différente comme sucrée, salée ou encore
de soif. La sensation de moiteur, comme celle liée à la amère, en fonction des conditions du test. Dès lors, un
consommation de nourriture grasse ou encore de bois- récepteur spécifique pour le goût de l’eau pourrait
sons gazéifiées, peut être perçue par le système somato constituer une adaptation très utile, et il existe de nom-
sensoriel. Mais sommes-nous à même de détecter le goût breuses évidences que ce récepteur existe chez les insectes.
de l’eau ? Lorsque l’on demande à une personne de Mais ce n’est pas encore le cas chez les mammifères.
Organes du goût
L’expérience nous montre que le goût passe par la langue. Cependant, bien
Cavité nasale d’autres parties de la bouche, comme le palais, le pharynx et l’épiglotte, sont éga-
lement impliquées (Fig. 8.1). L’odeur de ce que nous mangeons passe aussi par
Palais le pharynx, dans la cavité nasale, où elle est détectée par les récepteurs olfactifs.
Le bout de la langue se trouve plus sensible à la douceur, le fond à l’amertume,
et les côtés de la langue au salé et à l’acidité. Cela ne signifie pas, cependant, que
le bout de la langue est seulement sensible à ce qui est doux, une grande partie
Langue de la langue étant sensible à tous les goûts de base.
Pharynx De nombreux replis de la muqueuse, répartis à la surface de la langue, repré-
sentent les papilles (du latin papilla : éminence), existant sous forme de crêtes
Épiglotte (papilles folliées), de boutons (papilles caliciformes), ou de champignons
(papilles fungiformes) (Fig. 8.2a). L’observation de sa propre langue dans un
miroir permet d’identifier facilement de petites papilles rondes sur la partie
antérieure et sur les côtés de la langue, de plus grosses étant situées à l’arrière.
Figure 8.1 – Anatomie de la bouche, de la
gorge et de la cavité nasale.
Chaque papille présente d’une à plusieurs centaines de bourgeons gustatifs,
Le goût est d’abord une fonction de la bouche visibles seulement au microscope (Fig. 8.2b). Chaque bourgeon gustatif com-
mais d’autres régions comme le palais, le prend de 50 à 150 cellules réceptrices du goût ou cellules gustatives, disposées à
pharynx et l’épiglotte y contribuent égale
l’intérieur du bourgeon comme des quartiers d’une orange. Les cellules gusta-
ment. Notez la position particulière des cavités tives ne représentent que 1 % environ de l’épithélium de la langue. Les bourgeons
nasales, qui permet d’apprécier par le nez et le gustatifs contiennent aussi des cellules basales entourant les cellules gustatives,
pharynx les odeurs des nourritures ingérées. ainsi qu’un ensemble d’axones gustatifs afférents (Fig. 8.2c). Il y a typiquement
environ 2 000 à 5 000 bourgeons gustatifs chez un individu, avec des exceptions
allant de 500 à 20 000.
En utilisant de très fines gouttelettes, il est possible d’exposer une seule papille
à de très faibles concentrations de différents stimuli des goûts de base (seulement
acide en utilisant du vinaigre ou seulement sucré en utilisant du saccharose, par
exemple). Si la concentration est trop faible, aucun goût ne sera perçu ; mais, à
un seuil critique de concentration le stimulus déclenchera la perception de goût :
c’est le seuil de concentration. Avec des concentrations à peine supérieures au
seuil, une grande partie des papilles sont sensibles à un goût de base seulement ;
il y a des papilles sensibles à l’acidité et d’autres à ce qui est sucré. Pourtant,
si la concentration des stimuli du goût se trouve progressivement augmentée,
la plus grande partie des papilles devient moins sélective. Alors qu’une papille
peut répondre seulement au sucré avec des stimuli faibles, elle devient susceptible
de répondre aussi à ce qui est acide et salé si les stimuli sont plus forts. Ainsi
savons-nous maintenant que chaque papille gustative comprend de nombreux
récepteurs et que chaque récepteur est spécialisé pour une catégorie de goûts
particuliers.
8 – Sens chimiques 263
Langue
Papilles Bourgeons gustatifs
fungiformes
(a) (b)
Vm
Cellule 1
Vm
Cellule 2
Vm
Cellule 3
Bourgeon
gustatif
(a)
Figure 8.3 – Réponses des cellules réceptrices
du goût et des axones gustatifs aux goûts de NaCl Quinine HCl Saccharose
base.
(a) Trois cellules différentes sont enregistrées Axone 1
à l’aide de microélectrodes pendant l’appli Cellule Cellule Cellule
1 2 3 Axone 2
cation de sel (NaCl), d’un composé amer
(quinine), d’acide (HCl) et de sucré (saccha
Axone 3
rose). Notez les différences de sensibilité
des deux cellules à l’application de ces sti (b)
muli, traduites par des variations du potentiel
de membrane Vm. (b) Dans ce cas, c’est la
décharge des fibres gustatives afférentes qui
est enregistrée. Les enregistrements sont ici Fibres
de type extracellulaire et chaque déflection gustatives
afférentes
représente un potentiel d’action.
répond à plusieurs goûts de base, même s’il est clair que chacun montre une
sensibilité préférentielle.
La figure 8.4 montre les tracés d’enregistrements semblables dans quatre
50
axones gustatifs chez un rat. L’un de ces axones répond fortement au salé, un
autre au sucré, et deux à tout, sauf au sucré. Pourquoi certaines cellules sont-
elles ainsi sensibles à un seul stimulus alors que d’autres répondent à 3 ou 4 à la
fois ? En fait, les réponses de ces axones dépendent des mécanismes particuliers
0
de la transduction existant dans chaque cellule réceptrice.
Saccharose NaCl HCl Quinine
Na+ Canal
potassique
H+
Canal
sodique
sensible Canal
à l’amiloride aux protons
Dé
D ép
po
Récepteur
olari
larisa
gustatif Récepteur
gustatif
sa
tion me
tion me
mbranaire
mbranaire
Canal sodique
dépendant
du potentiel
Na+ Na+
Ca2+ Ca2+
Figure 8.5 – Mécanismes de transduction (a)
Canal calcique Vésicules Vésicules
de la saveur salée et (b) de la saveur acide. synaptiques synaptiques
dépendant du
Les stimuli gustatifs peuvent interagir directe potentiel
et remplies et remplies
de sérotonine de sérotonine
ment avec les canaux ioniques, soit en pas
sant directement au travers de ces canaux
(Na+ et H+), soit en les bloquant (H+ peut Axone gustatif Axone gustatif
bloquer les canaux potassiques). La consé afférent afférent
quence de cette action sur les canaux est une
élévation du potentiel de membrane qui active
les canaux calciques dépendants du poten
tiel, ce qui accroît la concentration de calcium
intracellulaire et induit la libération des neuro (a) (b)
tansmetteurs.
interne de la membrane de ces récepteurs. Mais ces mécanismes sont encore très
mal connus (Fig. 8.5b). Il est vraisemblable que les ions H+ puissent se fixer et
bloquer un canal particulier sélectif des ions K+. En conséquence, la diminution
de la perméabilité potassique de la membrane conduit à sa dépolarisation. Les
ions H+ peuvent aussi activer un autre type de récepteur, de la superfamille des
TRP (TRP pour Transient receptor potential), les récepteurs TRP étant com-
muns à plusieurs formes de cellules sensorielles. Le courant cationique au tra-
vers de ces récepteurs TRP pourrait aussi dépolariser les cellules sensorielles qui
détectent des goûts aigres. Le pH peut aussi virtuellement affecter tous les méca-
nismes cellulaires et pourrait par conséquent être également l’un des mécanismes
de la transduction des goûts aigres. Mais il est aussi possible qu’en fait ce soit une
sorte de constellation de ces effets qui évoque la saveur aigre.
8 – Sens chimiques 267
Saveur amère. La compréhension des mécanismes de transduction des Récepteurs des goûts amers :
saveurs amère, sucrée, et umami, a progressé considérablement au début des les protéines T2R
années 1980 avec la découverte de deux familles de gènes des récepteurs du goût,
nommés T1R et T2R. Ces gènes encodent une famille de récepteurs particuliers,
couplés aux protéines G, très similaires à ceux du même type qui lient les neu-
rotransmetteurs. Il existe de nombreuses évidences expérimentales pour consi-
dérer que les protéines récepteurs des goûts amer, sucré et umami sont en fait
des dimères, les dimères étant des assemblages de deux protéines fixées l’une à
l’autre (Fig. 8.6). Ce type d’assemblage est en fait commun dans les cellules (voir
Fig. 3.6), que ce soit dans le cas des canaux ioniques (voir Fig. 3.7) que dans celui
des récepteurs-canaux (voir Fig. 5.14), à titre d’illustration.
Chez l’homme, les substances amères sont détectées par 25 récepteurs T2R
différents. Les récepteurs de l’amertume sont des détecteurs de poison et c’est
peut-être en raison de la diversité chimique des poisons qu’il existe autant de
sous types de récepteurs différents. Les animaux, en général, ne sont cependant
pas capables de bien faire la différence entre plusieurs saveurs amères, proba-
blement parce que chaque cellule gustative exprime plusieurs, voire la plupart,
des 25 sous-types de récepteurs T2R. Parce que chaque cellule ne génère bien
entendu qu’un seul type de signal qui va être transmis au cerveau par ses fibres
afférentes quelle que soit la substance amère stimulant l’un ou l’autre de ces
25 récepteurs, la réponse sera essentiellement la même. Le message important
que reçoit le cerveau demeure très simple : « Mauvais ! Ne pas faire confiance à
cette substance, à éviter ». Et le système nerveux apparemment ne distingue pas (a)
un type de substance amère d’un autre type.
Les récepteurs de la saveur amère utilisent la voie des seconds messagers pour Récepteurs des goûts sucrés : T1R2 + T1R3
transférer leur signal aux axones gustatifs afférents. En fait, les récepteurs des
saveurs amères, sucrées et umami, paraissent utiliser la même voie de signalisa-
tion intracellulaire pour transmettre leurs signaux aux axones afférents. Cette
voie de signalisation est illustrée en figure 8.7. Lorsqu’une substance amère (ou
sucrée, ou le glutamate) stimule un récepteur, il en résulte l’activation d’une pro-
téine G particulière, qui va à son tour activer la phospholipase C. Ceci se traduit
par une augmentation de la concentration intracellulaire d’inositol triphosphate (b)
(IP3). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, dans cette voie de signalisation
l’IP3 représente un signal ubiquitaire, présent dans toutes les cellules de l’orga- Récepteurs des goûts umami : T1R1 + T1R3
nisme. Dans les cellules gustatives, l’IP3 active un sous-type particulier de canal
ionique, spécifique de ces cellules, ayant pour conséquence une entrée de Na+
et la dépolarisation de la cellule. L’IP3 peut aussi provoquer la translocation du
calcium intracellulaire à partir de sites de stockage. Ce calcium contribue à la
libération du neurotransmetteur par une voie très particulière. En fait, les cel-
lules gustatives pour les goûts amers, sucrés et umami n’ont pas de neurotrans-
metteur conventionnel présent dans des vésicules synaptiques. Dans ce cas, le
mécanisme paraît être l’activation d’un canal ionique particulier qui, en réponse (c)
à l’augmentation de la concentration de calcium ionisé intracellulaire, permet à Figure 8.6 – Protéines réceptrices du goût.
l’ATP de sortir de la cellule. L’ATP sert ici de transmetteur synaptique et active (a) La famille des protéines impliquées dans
des récepteurs purinergiques situés sur les axones gustatifs post-synaptiques. la détection des goûts amers, dénommées
protéines T2R, comprend 25 membres. Les
Saveur sucrée. Il existe un grand nombre de saveurs sucrées, tant natu- récepteurs qui détectent ces goûts amers
relles qu’artificielles. De façon là encore surprenante, il semble que toutes ces sont probablement des dimères formés de
substances soient détectées par le même récepteur. Les récepteurs de la saveur deux protéines T2R différentes. (b) Il n’existe
sucrée sont très similaires à ceux du goût amer, en ce sens qu’ils sont comme qu’un seul type de récepteur des goûts
eux des dimères couplés aux protéines G. Un récepteur de saveur sucrée néces- sucrés, formé par la combinaison d’une pro
site l’association de deux protéines de type T1R particulières : T1R2 et T1R3 téine T1R2 et d’une autre protéine T1R3. (c) Il
(voir Fig. 8.6). Dans ce cas, si l’une ou l’autre de ces protéines particulières est Bear/Connors/Paradiso Neuroscience
n’existe qu’un seul type de protéine détectant 4e
manquante ou mutée, alors l’animal ainsi traité ne peut plus percevoir la saveur Fig. 08.06
les goûts umami, formé par la combinaison
sucrée. En fait, tous les chats et quelques carnivores n’expriment pas le gène Artist: Dragonfly
d’une protéine T1R1Media
et d’uneGroup
autre de type
encodant pour T1R2 et ces animaux sont ainsi indifférents à toutes sortes de T1R3. 05/17/14 C M Y K
Date:
molécules que nous considérons comme sucrées.
Les substances sucrées se fixent sur le complexe formé par T1R2 + T1R3,
représentant le récepteur des saveurs sucrées, ce qui a pour conséquence d’acti-
ver la cascade de signalisation impliquant les seconds messagers. Dans ce cas,
le système impliqué est le même que pour les saveurs amères (Fig. 8.7). Mais
268 2 – Systèmes sensoriel et moteur
VII
Nerf crânien VII
IX
Nerfs crâniens IX
X X
Langue
Épiglotte
(a)
Ventricules
latéraux
Troisième
ventricule
22
Noyau ventral postéromédian (VPM)
Afférences issues du thalamus gauche
de la langue
et l’épiglotte
Quatrième ventricule
Noyau Bulbe
gustatif
gauche
1 Faisceau pyramidal
(b)
Encadré 8.2 FOCUS
Olfaction
L’olfaction apporte des informations plaisantes mais aussi beaucoup de
désagréables. En se combinant au goût, elle permet de reconnaître les aliments
et accroît le plaisir de les déguster. Mais elle avertit aussi que des substances
sont potentiellement dangereuses (viande avariée) ou que nous nous trouvons
dans des endroits désagréables (odeur de fumée). Dans l’olfaction, les informa-
tions désagréables ont tendance à supplanter celles relatives aux odeurs plai-
santes ; d’après certaines estimations, l’odeur de plusieurs centaines de milliers
de substances est perceptible mais seulement 20 % environ de ces substances
ont une odeur agréable. L’expérience acquise renforce les capacités olfactives
et les parfumeurs professionnels (appelés « des nez »), ainsi que les fabricants
de whisky d’ailleurs, sont par exemple capables de faire la différence entre des
milliers d’odeurs différentes.
L’olfaction constitue aussi un mode de communication. Les substances
chimiques libérées par le corps, appelées phéromones (du grec pherein : porter et
horman : exciter), représentent des signaux importants pour les comportements
liés à la reproduction, permettent de marquer un territoire, l’identification des
individus et indiquent encore l’agression ou la soumission. Bien que les systèmes
de phéromones soient bien développés chez de nombreux animaux, leur rôle
chez l’homme est encore mal connu (Encadré 8.3).
Organes de l’olfaction
Ce n’est pas par le nez que nous sentons les odeurs. C’est plutôt grâce à une
fine couche de cellules située en haut de la cavité nasale, l’épithélium olfactif
(Fig. 8.9). Il y a trois types principaux de cellules dans l’épithélium olfactif. Les
cellules olfactives réceptrices sont le site de la transduction. Contrairement aux
cellules réceptrices du goût les récepteurs olfactifs sont de véritables neurones,
projetant leurs propres axones dans le système nerveux central. Les cellules de
soutien sont comparables aux cellules gliales ; elles contribuent en particulier à
la production du mucus. Les cellules basales sont à l’origine de la production
de nouvelles cellules réceptrices. Les récepteurs olfactifs (comme les récepteurs
gustatifs) croissent continuellement, meurent, puis se régénèrent en un cycle qui
dure de 4 à 8 semaines. En fait, les cellules olfactives réceptrices font partie des
quelques rares types de neurones du système nerveux qui sont régulièrement
remplacés au cours de la vie.
En respirant, l’air pénètre au travers du conduit nasal mais seul un faible
pourcentage de cet air passe sur l’épithélium olfactif. L’épithélium exsude une
fine couche de mucus, qui s’écoule constamment et se reforme toutes les 10 min.
Les stimuli chimiques contenus dans l’air, ou substances odorantes, se dissolvent
dans la couche de mucus avant d’atteindre les cellules réceptrices. Le mucus est
composé d’une base d’eau contenant des mucopolysaccharides en solution (lon-
gues chaînes de sucres), une variété de protéines comprenant des anticorps, des
enzymes et des protéines de liaison des stimuli odorants, et des sels. Les anticorps
présents dans le mucus jouent un rôle critique car les cellules olfactives sont
8 – Sens chimiques 273
Encadré 8.3 FOCUS
Les odeurs influencent certainement l’émotion et font qui avait accepté de ne pas se laver le visage pendant au
naître des souvenirs. Mais quel rôle ont-elles sur le com- moins six heures. Bien entendu, les sujets du groupe
portement humain ? Chaque homme a une odeur particu- receveur n’étaient pas informés de l’origine des cotons et
lière, qui marque son identité aussi sûrement que ses ne percevaient consciemment aucune odeur, à l’excep-
empreintes ou ses gènes. En fait, les différences d’odeurs tion de celle de l’alcool utilisé pour les prélèvements. Les
corporelles sont probablement inscrites dans les gènes. Des résultats ont montré qu’en rapport avec la phase du
chiens aussi performants que les bloodhounds ont beau- cycle menstruel du donneur correspondant, le cycle du
coup de difficulté à distinguer les odeurs de vrais jumeaux, receveur s’allongeait ou, au contraire, se raccourcissait.
mais non celles d’animaux d’une même portée. Pour cer- Ces données montrent que les humains, comme les ani-
tains animaux, l’identité par l’odeur est un fait essentiel : à maux, peuvent échanger des informations à l’aide de
la naissance de l’agneau un souvenir de son odeur spéci- phéromones.
fique se forme chez la brebis, créant un lien durable entre De nombreux animaux proches des hommes ont
eux fortement fondé sur des caractères olfactifs. Chez une recours à un système olfactif accessoire pour détecter les
souris femelle que l’on vient d’inséminer, l’odeur du mâle phéromones et induire diverses attitudes de comporte-
étranger (et non celle de son partenaire récent, dont elle se ment social impliquant la mère, le mâle, le territoire ou
souvient) peut déclencher un avortement. la nourriture. Le système accessoire est parallèle au sys-
L’homme a la faculté de reconnaître l’odeur de ses tème olfactif primaire. Il correspond à une région chimi-
propres semblables. Dès le sixième jour, les nouveau-nés quement sensible située dans la cavité nasale, l’organe
montrent une nette préférence pour l’odeur du sein de voméronasal, qui se projette sur le bulbe olfactif acces-
leur mère par rapport au sein d’autres mères. À leur soire et transmet par là des informations à l’hypotha-
tour, les mères sont capables d’identifier l’odeur de leur lamus. On a longtemps pensé que l’organe voméronasal
nourrisson parmi plusieurs autres. était absent ou à l’état de vestige chez l’homme mais des
Il y a de cela environ une trentaine d’années, Martha recherches récentes indiquent qu’il existe bien chez
McClintock rapporta le fait que des jeunes femmes qui l’adulte. Sa fonction précise n’est cependant pas claire et
passaient beaucoup de temps ensemble, tel que dans des même la présence de neurones à ce niveau est parfois
dortoirs de pensionnats, observaient souvent une syn- contestée.
chronisation de leur cycle menstruel. Cet effet de syn- Napoléon Bonaparte, dans une lettre à Joséphine, lui
chronisation maintenant bien connu implique probable- demandait de ne pas prendre de bain les deux semaines
ment les phéromones. En 1998, Martha McClintock et précédant leur rencontre, afin qu’il puisse se délecter de
Kathleen Stern, à l’Université de Chicago, montrèrent son parfum naturel… Le parfum d’une femme peut être
que des produits inodores d’un groupe de femmes qua- un véritable excitant pour les hommes ayant une cer-
lifié de « donneur » pouvaient influencer la survenue des taine expérience sexuelle, probablement en raison d’as-
cycles d’autres femmes, d’un groupe « receveur ». Les sociations acquises. Mais il n’est pas encore clairement
produits efficaces pour provoquer ces modifications des démontré chez l’homme que des phéromones puissent
dates de survenue des cycles menstruels étaient prélevés favoriser l’attirance sexuelle (quel que soit le sexe) via
sous les aisselles, à l’aide d’un coton placé pendant au des mécanismes innés. Cependant, étant donné les
moins huit heures. Les cotons ainsi imbibés de sueur implications commerciales qu’aurait une telle substance,
étaient ensuite placés sous le nez du groupe receveur, les recherches vont certainement se poursuivre.
parfois la voie directe par laquelle certains virus (comme le virus de la rage) et
les bactéries, pénètrent dans le cerveau. Les protéines de liaison des stimuli odo-
rants sont également très importantes, puisqu’elles vont contribuer à concentrer
les odeurs dans le mucus.
La surface de l’épithélium olfactif constitue un indicateur de l’acuité olfac-
tive d’un animal. L’homme a un sens olfactif plutôt faible (bien qu’il soit capable
de détecter certaines substances odorantes à des concentrations très faibles). La
surface de l’épithélium olfactif chez l’homme est seulement d’environ 10 cm2.
L’épithélium olfactif de certains chiens, en revanche, peut dépasser 170 cm2
et l’épithélium comprend 100 fois plus de récepteurs au cm2 chez le chien que
274 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Cellules de soutien
Cils
Air inhalé des récepteurs olfactifs
chez l’homme. Ainsi, en reniflant les odeurs du sol, les chiens sont capables de
détecter les quelques molécules laissées par une personne trois heures avant ; en
revanche, l’homme est parfois seulement capable de sentir le chien quand il lui
lèche le visage.
Dépolarisation
membranaire
Ca2+
Protéine Golf
Adényl
cyclase Protéine
réceptrice
Mucus de l’odeur
Cil des récepteurs Cil des récepteurs olfactifs
olfactifs
Molécules odorantes
Lorsque les canaux sélectifs pour les cations sensibles à l’AMPc sont ouverts,
le flux du courant est entrant et la membrane du neurone olfactif est dépolarisée
(Fig. 8.10 et 8.11). Avec les ions Na+, le canal sensible à l’AMPc laisse entrer
une grande quantité d’ions Ca2+ dans les cils. Un courant chlore activé par le
Ca2+ pourrait ensuite amplifier le potentiel du récepteur olfactif. Ceci est une
différence par rapport à l’effet habituel des courants Cl– qui, en général, inhibent
les neurones. (De fait, dans les cellules olfactives, la concentration interne en Cl–
doit être exceptionnellement élevée pour qu’un courant Cl– soit susceptible de
dépolariser plutôt que d’hyperpolariser la membrane). Si le potentiel de récep-
teur ainsi initié présente une valeur assez élevée, il atteindra le seuil des potentiels
d’action dans le corps cellulaire et des décharges se propageront tout le long de
l’axone jusqu’au SNC (Fig. 8.11).
La réponse olfactive peut prendre fin pour diverses raisons : soit les stimuli
odorants ne diffusent plus jusqu’à l’épithélium nasal, soit il arrive souvent que
des enzymes présentes dans la couche de mucus les détruisent ou encore que
l’AMPc dans la cellule réceptrice active d’autres voies de transmission, interrom-
pant le processus de transduction. Même en présence d’un stimulus persistant,
cependant, en général l’intensité de l’odeur diminue progressivement. Cela se
produit car les récepteurs eux-mêmes présentent une adaptation rapide à l’odeur,
en environ une minute. Cette diminution rapide de la réponse des neurones alors
même que le stimulus persiste est nommée adaptation. Nous verrons plus loin
qu’il s’agit d’une propriété commune à de nombreux systèmes sensoriels.
La voie de transmission des signaux de l’olfaction présente ainsi deux traits
inhabituels : les protéines de liaison de la substance chimique interviennent au
début du processus, et les canaux sensibles à l’AMPc, juste avant la fin.
Récepteurs olfactifs neuronaux. Les protéines du récepteur olfactif pré-
sentent des sites de liaison pour les stimuli odorants sur leur surface extracel-
lulaire. Parce que vous êtes capable de discriminer plusieurs milliers d’odeurs
vous devez admettre que vous possédez des milliers de récepteurs représentant
autant de protéines différentes. C’est en effet ainsi que cela se passe, des travaux
récents montrant que le nombre de ces récepteurs est effectivement très impor-
tant. Linda Buck et Richard Axel, de Columbia University, ont montré en 1991
qu’il existe plus de 1 000 gènes différents de protéines de liaison pour les stimuli
276 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Nerf olfactif
50 mV
Potentiels
Récepteur d’action
olfactif
50 mV
odorants chez les rongeurs, ce qui en fait la plus grande famille de gènes jamais
découverte. Cette découverte a valu à Buck et Axel de se voir décerner le prix
Nobel en 2004.
Les hommes ont moins de gènes encodant pour les récepteurs olfactifs que
les
rongeurs – environ 350 encodant des récepteurs olfactifs fonctionnels – mais cela
fait encore beaucoup. Les gènes encodant les récepteurs olfactifs représentent
entre 3 et 5 % du total du génome des mammifères. Ces gènes sont dispersés
dans le génome et à peu près chaque chromosome porte au moins quelques-uns
d’entre eux. Chaque gène de ces récepteurs présente une structure unique, ce
qui permet aux protéines ainsi synthétisées de fixer plusieurs types de stimuli
odorants.
Il est également surprenant de constater que chaque cellule olfactive
paraît n’exprimer qu’un nombre très restreint de ces récepteurs, dans certains
cas juste un seul. Ainsi, chez la souris il existe plus de 1 000 types différents
Surface médiane de cellules réceptrices, chacune exprimant un seul gène particulier. L’épithélium
olfactif est organisé en quelques grandes régions et chaque région contient les
cellules exprimant un type donné de récepteur olfactif (Fig. 8.12). À l’intérieur
de chacune de ces zones, les cellules sont dispersées au hasard (Fig. 8.13a).
Les neurones récepteurs de l’organe voméronasal de la souris, du chien, du
chat et de nombreux autres mammifères expriment leur propre jeu de protéines-
récepteurs. La structure des protéines des récepteurs olfactifs et de celles de
l’organe voméronasal est, de façon surprenante, assez différente. Il y a en fait
beaucoup moins de récepteurs dans l’organe voméronasal (environ 180 chez la
souris et peut-être aucun chez l’homme) qu’il n’y a de protéines impliquées dans
les fonctions olfactives. La nature des stimuli des récepteurs de l’organe vomé-
Gènes du groupe 1 ronasal reste encore très mystérieuse, même s’il est vraisemblable que certains
Gènes du groupe 2 d’entre eux sont des phéromones (voir Encadré 8.3).
Gènes du groupe 3 Comme dans le cas des récepteurs du goût, les protéines réceptrices olfac-
tives appartiennent à une « superfamille » de protéines dont tous les membres
Figure 8.12 – Expression différentielle de contiennent dans leur structure sept hélices alpha transmembranaires, la super-
différentes protéines olfactives au sein de
famille des récepteurs couplés aux protéines G. Cette superfamille de protéines
l’épithélium olfactif chez la souris.
comprend aussi une variété de récepteurs des neurotransmetteurs, comme nous
Dans ce cas, trois groupes de gènes sont
reportés sur le schéma, chacun ayant un ter l’avons décrit dans le chapitre 6 ainsi qu’aux récepteurs gustatifs des saveurs
ritoire d’expression différent de l’autre, sans amères, sucrées et umami décrites plus haut dans ce chapitre. Toutes ces protéines
chevauchement. (Source : adapté de Ressler sont associées à des protéines G qui, à leur tour, transmettent un signal à d’autres
et al., 1993, p. 602.) systèmes de seconds messagers à l’intérieur de la cellule. Les récepteurs sensoriels
8 – Sens chimiques 277
Épithélium olfactif
(a)
Citron
est forte, plus elle a tendance à stimuler de récepteurs et à produire une réponse
importante des voies olfactives. Ainsi, chaque cellule réceptrice olfactive reçoit
des informations assez ambiguës vis-à-vis de la nature du stimulus et de son
intensité. C’est alors aux voies olfactives centrales d’utiliser l’ensemble de l’infor
mation disponible à partir de l’épithélium pour décoder le message transmis par
la population de neurones et identifier l’odeur.
Figure 8.14 – Localisation et structure du
bulbe olfactif.
Les axones des récepteurs olfactifs pénètrent
dans le cerveau par la plaque cribriforme et
atteignent le bulbe olfactif. À ce niveau, les
axones se ramifient considérablement et
contactent les neurones olfactifs de second
ordre présents à l’intérieur des glomérules.
Ces neurones du bulbe olfactif distribuent
Plaque Récepteurs olfactifs ensuite l’information olfactive dans d’autres
cribriforme régions du système nerveux.
Épithélum Bulbe
olfactif olfactif
Axone
d’une cellule
réceptrice
olfactive
Bulbe
Glomérule olfactif
olfactif
Axone
d’une cellule
réceptrice
olfactive
(b)
Soma d’une cellule
réceptrice olfactive Glomérules recevant des axones des cellules
réceptrices olfactives exprimant le sous-type
(a) de récepteur olfactif P2
Bulbe olfactif
Glomérule
Épithélium olfactif
Thalamus
Noyau
Cortex
médiodorsal
orbitofrontal
Vers le cortex
olfactif et structures
Tubercule associées du lobe
Bulbe olfactif olfactif temporal
Tractus olfactif
Cellule olfactive réceptrice
Codage des odeurs par une population de neurones. Comme dans le cas de la
gustation, le système olfactif utilise les réponses de larges populations de cellules
réceptrices pour encoder un stimulus particulier. Un exemple est schématique-
ment représenté sur la figure 8.13b. Lorsqu’on expose l’épithélium à une odeur
de citron, aucun des trois récepteurs représentés n’est capable d’identifier cette
odeur particulièrement. En revanche, si l’on s’intéresse à la population des trois
neurones enregistrés, leur réponse respective peut être intégrée par le cerveau et
l’odeur du citron parfaitement distinguée de celle des fleurs, de la menthe ou de
l’amande, à partir de la combinaison de ces décharges. Ainsi, selon ce principe du
codage impliquant des populations de neurones, il est possible d’imaginer com-
ment le système olfactif avec quelque 1 000 récepteurs sensoriels différents peut
effectivement seulement reconnaître plusieurs dizaines de milliers d’odeurs. En
fait, selon une étude récente les hommes seraient à même de reconnaître jusqu’à
un trillion (un milliard de milliard !) de combinaisons d’odeurs.
Cartes olfactives. Une carte sensorielle correspond à un arrangement de
neurones, corrélé à certaines caractéristiques de l’environnement. Les enregistre-
ments par microélectrodes montrent que plusieurs neurones à la fois répondent à
un même stimulus olfactif et que ces cellules sont distribuées très largement dans
l’épithélium olfactif (voir Fig. 8.13). Ceci est en accord avec la distribution très
large des gènes des récepteurs olfactifs dans cet épithélium. Comme nous l’avons
vu, cependant, les axones de ces cellules réceptrices olfactives se regroupent dans
des glomérules particuliers des deux bulbes olfactifs. Un tel arrangement est
la base d’une représentation particulière correspondant à une carte sensorielle,
en rapport avec la réponse de cellules réceptrices particulières à une odeur pré-
cise. Les cartes des régions activées par un stimulus odorant particulier peuvent
être mises en évidence par des méthodes d’enregistrement appropriées. Ce type
43p9 (28p + 1p9 + 14p) x 56p
d’expérience révèle qu’en dépit du fait que plusieurs neurones du bulbe olfactif
sont activés par une seule odeur, la position des neurones forme des assemblées
complexes mais reproductibles sur le plan spatial, telles que celles représentées
sur la figure 8.18 où un stimulus représenté par une odeur mentholée active un
CH3
Faible
réponse
(a) (b) (c)
pattern de glomérules donné alors qu’un autre stimulus plutôt fruité active une
autre population de glomérules. Par conséquent, l’odeur d’une substance par-
ticulière est convertie en une carte spécifique de l’« espace neural ». Cette carte
est présente dans le bulbe olfactif et la forme de la carte dépend de la nature et
de la concentration de la substance odoriférante.
Dans les chapitres suivants, il apparaîtra que chaque système sensoriel pré-
sente en fait sa propre cartographie neuronale, correspondant à des objectifs
bien différents. Dans la plupart des cas, ces cartes sont en relation évidente avec
les caractéristiques du monde sensoriel. Par exemple, dans le système visuel il
existe des cartes de l’espace visuel et dans le système sensoriel somatique, il y a
des représentations dans le cerveau de la surface du corps. Les cartes des sens
chimiques sont inhabituelles en ce que les stimuli eux-mêmes n’ont pas de pro-
priétés spatiales signifiantes : même si en voyant un mufle s’approcher il est pos-
sible de dire de quel animal il s’agit et où il se trouve, en fait l’odeur elle-même ne
peut révéler que la nature de l’animal (en remuant un peu la tête, il est seulement
possible de localiser approximativement l’odeur). La caractéristique majeure de
chaque stimulus odoriférant est bien sa structure chimique et non pas sa position
dans l’espace. Étant donné que le système olfactif n’a pas à fournir, en général,
de références spatiales de l’odeur comme le système visuel doit le faire pour
déterminer les formes d’un objet par exemple, les cartes d’activation neuronale
apparaissant dans l’olfaction pourraient alors avoir d’autres buts, comme la dis-
crimination entre un très grand nombre de substances chimiques. Des études
récentes du cortex olfactif montrent de ce point de vue que chaque odeur active
une population de neurones particulière. Dans l’expérience reproduite à la
figure 8.19, les stimuli représentés par des odeurs d’orange activent un groupe
de neurones globalement très différent de celui activé par un autre stimulus de
type α-pinène (odeur de pin) ou par un stimulus de type hexanal reproduisant
l’odeur de l’herbe coupée (Fig. 8.19).
Mais est-ce que le cerveau utilise réellement ces cartes de représentation des
odeurs pour distinguer entre plusieurs d’entre elles ? La réponse à cette question
n’est pas connue. Pour qu’une carte soit utile, il est nécessaire que quelqu’un la
lise et l’interprète. Avec un peu de pratique, on devrait alors pouvoir « lire l’alpha-
bet » des odeurs à la surface du bulbe olfactif, ce qui donnerait une idée approxi-
mative des fonctions des aires corticales du système olfactif. Cependant, l’idée
d’un codage spatial des odeurs dans le cerveau n’est qu’une hypothèse qui n’a pas
encore été prouvée. Une idée alternative est que ces cartes spatiales n’encodent
pas du tout des odeurs mais qu’en fait ces connexions représentent une façon
pour le système nerveux d’organiser le plus rationnellement possible les relations
entre les cellules réceptrices épithéliales et les cellules glomérulaires. Ainsi organi-
sés, les axones comme les dendrites peuvent alors avoir une longueur minimale ;
et des neurones qui ont des fonctions similaires peuvent s’organiser d’autant
mieux qu’ils ont justement les mêmes fonctions. De ce fait, les cartes spatiales ne
pourraient être que la résultante de contraintes développementales, plutôt que
l’expression d’un mécanisme de codage sophistiqué de l’information sensorielle.
Cortex olfactif
Tractus olfactif
Bulbe olfactif
(a)
CH3
H3C
H 3C
Alphapinène, odeur de pin
H 3C H
Octanal, odeur fruitée
(b)
H3C H
Hexanal, odeur d’herbe coupée
H 3C H
Octanal, odeur fruitée
(c)
Air Odeur
Inspiration
Odeur 1
Odeur 2
Odeur 3
Temps
Conclusion
L’abord des sens chimiques représente une bonne entrée en matière pour
l’étude des systèmes sensoriels. Gustation et olfaction sont les sens les plus pri-
maires mais qui présentent pourtant la capacité de reconnaître et discriminer
des stimuli en nombre astronomique présents dans l’environnement. Les méca-
nismes de transduction analysés au niveau moléculaire sont très similaires des
systèmes de signalisation utilisés par l’ensemble des cellules de l’organisme pour
des fonctions aussi diverses que la neurotransmission ou la reproduction, par
exemple. Nous verrons plus loin que les mécanismes de transduction utilisés par
les autres systèmes sensoriels, très perfectionnés, dérivent aussi de ces mêmes
processus élémentaires. Ainsi, peut-on par exemple souligner que de nombreuses
analogies ont été constatées au niveau moléculaire entre les cellules sensorielles
à la base de l’olfaction et de la vision.
Les principes de codage de l’information au niveau cellulaire peuvent aussi
être étendus, dans une certaine mesure, à celui des réseaux neuronaux. La plupart
des récepteurs sensoriels ne détectent pas des stimuli très précis mais répondent
plutôt de façon diffuse. Cela signifie que le système nerveux utilise le codage au
niveau de populations de neurones pour analyser les informations sensorielles,
conduisant à des perceptions remarquablement précises. Par ailleurs, comme
nous le verrons encore, les populations de neurones sont souvent organisées de
façon à définir des représentations assimilables à des « cartes sensorielles », sur
le modèle de l’olfaction. Enfin, le pattern de décharge des neurones sensoriels
représente manifestement l’un des moyens de codage de l’information sensorielle
pour lui donner une signification mais dans ce domaine beaucoup reste à décou-
vrir. Les chapitres qui suivent sont encore des illustrations de ces grands prin-
cipes, que ce soit en rapport avec les mécanismes de la perception de la lumière,
de celle des sons ou encore du toucher.
8 – Sens chimiques 287
QUESTIONS DE RÉVISION
1. La plupart des goûts, dans la réalité, sont une combinaison des cinq
goûts de base. Quels autres facteurs sensoriels aident à définir les
perceptions spécifiques associées à une nourriture particulière ?
2. La transduction du goût du sel se fait, en partie, par un canal spéci-
fique aux ions Na+. Pourquoi un canal membranaire spécifique du
sucre serait-il un bien mauvais mécanisme pour la transduction de la
saveur sucrée ?
3. Certaines substances qui présentent un goût sucré, amer et umami
activent toutes les mêmes cascades de signalisation intracellulaire.
Dans ce cas, comment pouvez-vous expliquer que le système nerveux
puisse aussi bien distinguer le goût des sucres, des alcaloïdes et des
acides aminés ?
4. Pourquoi la dimension de l’épithélium olfactif d’un animal (et par
conséquent le nombre de cellules réceptrices) serait-il en rapport avec
son acuité olfactive ?
5. Les cellules réceptrices des systèmes gustatif et olfactif passent par un
cycle constant de croissance, mort et maturation. Il faut donc que les
connexions qu’elles établissent avec le cerveau soient constamment
renouvelées. Pouvez-vous proposer un ensemble de mécanismes qui
permette de reconstituer indéfiniment les connexions de manière spé-
cifique durant toute une vie ?
6. S’il est vrai que le système olfactif utilise une sorte de cartographie
spatiale pour le codage d’odeurs spécifiques, comment le reste du
cerveau peut-il lire ces cartes ?
PROPRIÉTÉS DE LA LUMIÈRE
Lumière.............................................................................................. 290
Quelques éléments d’optique.............................................................. 291
STRUCTURE DE L’ŒIL
Organisation générale de l’œil............................................................ 292
Apparence ophtalmoscopique de l’œil................................................ 292
Encadré 9.1 Focus Démonstration des zones aveugles de l’œil
Anatomie de l’œil observé en coupe transversale................................ 294
Encadré 9.2 Focus Troubles de la vision et maladies de l’œil
FORMATION DE L’IMAGE
PAR L’ŒIL
Réfraction par la cornée...................................................................... 296
Accommodation par le cristallin.......................................................... 297
Encadré 9.3 Focus Correction de la vision
Réflexe pupillaire................................................................................ 299
Champ visuel...................................................................................... 299
Acuité visuelle..................................................................................... 300
ANATOMIE MICROSCOPIQUE
DE LA RÉTINE
Organisation laminaire de la rétine..................................................... 301
Structure des photorécepteurs............................................................ 302
Encadré 9.4 Les voies de la découverte Voir au travers de la mosaïque
des photorécepteurs,
par David Williams
Différences régionales dans la structure de la rétine............................ 305
PHOTOTRANSDUCTION
Phototransduction dans les bâtonnets................................................ 308
Phototransduction dans les cônes....................................................... 311
Encadré 9.5 Focus Génétique de la vision des couleurs
Adaptation à la lumière et à l’obscurité............................................... 314
TRAITEMENT DE L’INFORMA-
TION VISUELLE PAR LA RÉTINE
Champs récepteurs............................................................................. 316
Champs récepteurs des cellules bipolaires........................................... 318
Champs récepteurs des cellules ganglionnaires................................... 319
Cellules ganglionnaires photorécepteurs............................................. 324
Traitement parallèle............................................................................ 325
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
a vision représente une fonction remarquable. Elle nous permet à la fois
de détecter des choses aussi petites qu’un moustique posé sur notre
nez ou aussi considérables que des galaxies à des centaines de milliers
d’années-lumière. La sensibilité à la lumière permet aux animaux, y compris
l’homme, de détecter proies, prédateurs et partenaires sexuels. Dans le processus
visuel, c’est la lumière réfléchie par des objets situés à distance qui est localisée
par rapport à l’individu et à son environnement. Bien que tout cela paraisse
se faire quasi automatiquement, sans effort conscient, la vision recouvre pour-
tant un processus d’une extrême complexité. À cet égard, toutes les tentatives de
reproduire de la vision avec un ordinateur, en utilisant ne serait-ce qu’une infime
partie des propriétés du système visuel, se sont révélées très difficiles et jusque-là
assez décevantes.
La lumière constitue un transport d’énergie électromagnétique émise sous
forme d’ondes. L’homme vit sans en avoir conscience ni s’en préoccuper dans
un milieu très fourni en radiations électromagnétiques de toutes sortes, un peu
à la manière d’un esquif sur un océan. Comme tous les océans, celui-ci présente
de grandes et de petites vagues, des vaguelettes et de longs rouleaux. Les ondes
heurtent les objets et se trouvent absorbées, dispersées, réfléchies et déviées. La
nature des ondes électromagnétiques et de leurs interactions avec l’environnement
permet au système visuel d’extraire des informations sur le monde. Mais il s’agit
d’un processus complexe, nécessitant l’intervention de nombreux mécanismes
neuronaux. La dominance de la vision au cours de l’évolution des vertébrés s’est
manifestée avec des résultats surprenants. Elle a inauguré d’autres moyens de
communiquer, induit les mécanismes cérébraux permettant de prévoir la trajec-
toire des objets et le déroulement des faits dans l’espace et le temps, conduit à
de nouvelles formes d’imagerie mentale et d’abstraction, et à la création d’un
monde de l’art. L’importance de la vision peut encore être attestée par le fait que
plus du tiers du cortex cérébral humain est consacré à l’analyse du monde visuel.
Le système visuel des mammifères commence avec l’œil. À l’arrière de l’œil
se trouve la rétine, comportant des photorécepteurs spécialisés pour convertir
l’énergie lumineuse en activité nerveuse. Le reste de l’œil est comparable à un
appareil photographique et contribue pour l’essentiel à former des images nettes
du monde sur la rétine. Comme c’est le cas d’un bon appareil photographique,
l’œil s’adapte automatiquement aux différences de luminosité et met au point
automatiquement sur l’objet qui l’intéresse. L’œil présente en plus d’autres pro-
priétés, que n’ont pas encore les appareils photographiques : il peut suivre l’objet
qui se déplace (grâce aux mouvements de l’œil) et il maintient la netteté des sur-
faces transparentes (grâce aux larmes et au clignement de l’œil).
L’œil est certes en grande partie comparable à un appareil photographique
mais la rétine est beaucoup plus qu’une simple pellicule. Comme cela a déjà
été mentionné (voir chapitre 7), la rétine fait en réalité partie du cerveau (pen-
sez-y la prochaine fois que vous regardez quelqu’un dans les yeux…). En un
certain sens, il y a deux rétines superposées dans chaque œil : l’une est sensible
aux faibles intensités lumineuses, celles que nous connaissons au crépuscule et à
l’aube ; l’autre, à la forte lumière du jour et à la détection des couleurs, du lever
au coucher du soleil. Toutefois, ignorants du moment de la journée, les signaux
de la rétine ne sont pas qu’une fidèle reproduction de l’intensité lumineuse qui
…
290 2 – Systèmes sensoriel et moteur
l’atteint. La rétine est plutôt spécialisée dans la détection des différences d’in-
tensité de lumière qui la frappent en différents points, que de l’intensité absolue.
Le traitement de l’image se fait d’abord dans la rétine avant que l’information
visuelle ne parvienne au reste du cerveau.
Les axones des neurones visuels se rassemblent pour former les nerfs optiques,
qui distribuent l’information (sous forme de potentiels d’action) dans plusieurs
structures cérébrales ayant des fonctions différentes. Certaines cibles des nerfs
optiques sont, par exemple, impliquées dans la régulation des rythmes biolo-
giques synchronisés avec le cycle journalier obscurité-lumière ; d’autres sont
associées au contrôle de la position de l’œil et de l’appareil optique. Cependant,
le premier relais synaptique sur la voie de la perception visuelle se fait dans un
groupe de cellules du thalamus dorsal appelé corps genouillé latéral ou CGL. À
partir du CGL, l’information remonte vers le cortex cérébral pour y être inter-
prétée et mémorisée.
Dans ce chapitre, il est décrit comment la lumière constitue la source d’in-
formation pour le système visuel, comment l’œil forme les images sur la rétine et
comment la rétine convertit l’énergie lumineuse en signaux nerveux apportant
des informations sur les différences de luminosité et de couleur. Le chapitre 10
est plus particulièrement consacré, quant à lui, au traitement central de l’infor-
mation visuelle qui émerge globalement à l’arrière de l’œil et rejoint le cortex
cérébral en passant par le thalamus.
Propriétés de la lumière
C’est la lumière qui permet au système visuel de former des images du monde
dans lequel nous évoluons. Rappelons brièvement quelles sont les propriétés
physiques de la lumière et ses interactions avec l’environnement, fondamentales
pour comprendre les mécanismes de la vision.
Lumière
Les radiations électromagnétiques nous submergent. Elles sont issues de
sources innombrables, que ce soit des antennes radio, des téléphones mobiles,
Amplitude des appareils à rayons X, ou encore bien sûr du soleil. La lumière constitue la
radiation électromagnétique que nos yeux peuvent détecter, susceptible d’être
décrite comme une onde d’énergie. Comme les autres types d’ondes, la radiation
Longueur d’onde
électromagnétique se caractérise par la longueur d’onde, c’est-à-dire la distance
Figure 9.1 – Caractéristiques de la radiation entre deux ondes successives, la fréquence, ou nombre d’ondes par secondes, et
électromagnétique. l’amplitude, c’est-à-dire la différence entre le creux et le pic de l’onde (Fig. 9.1).
L’énergie de la radiation électromagnétique se trouve être proportionnelle
à sa fréquence. Les radiations émises à haute fréquence (ondes courtes) ont le
plus haut degré d’énergie ; les radiations γ émises par certaines sources de maté-
riaux radioactifs et les rayons X utilisés pour l’imagerie médicale, en sont un
exemple, avec des longueurs d’ondes inférieures à 10–9 m (< 1 nm). En revanche,
les radiations émises à basse fréquence (ondes plus longues) ont un degré d’éner-
gie inférieur ; les ondes radar et de la radio en sont des illustrations, avec des lon-
gueurs d’ondes supérieures à 1 mm. Le système visuel de l’homme n’est capable
de détecter qu’une faible partie du spectre électromagnétique : la lumière visible
correspond à des longueurs d’ondes de 400 à 700 nm (Fig. 9.2). Comme l’a
démontré le premier Isaac Newton au début du xviiie siècle, le mélange des lon-
gueurs d’ondes émises par le soleil dans cet ordre de grandeur apparaît comme
de couleur blanche alors qu’une source lumineuse d’une seule longueur d’onde
apparaît comme l’une des couleurs de l’arc-en-ciel. Il est intéressant de souligner
qu’une couleur « chaude » telle que le rouge ou l’orangé, correspond à une lon-
gueur d’onde plus longue et a donc moins d’énergie qu’une couleur « froide »,
telle que le bleu ou le violet. Mais il est clair aussi que c’est le cerveau qui déter-
mine notre perception des couleurs en fonction de notre expérience subjective.
9 – Œil et vision 291
Rayons
Rayons ultra- Rayons Ondes Circuits
γ Rayons X infrarouge Ondes radio AC
violets radar
Lumière visible
Haute Faible
énergie 400 500 600 700 énergie
Longueur d’onde (nm)
Figure 9.2 – Spectre électromagnétique.
Seules les radiations électromagnétiques dont les longueurs d’ondes sont situées entre 400 et
700 nm sont visibles à l’œil nu. Dans ce spectre visible, les différentes longueurs d’ondes appa-
raissent comme des couleurs différentes.
Structure de l’œil
L’œil est un organe spécialisé dans la détection, la localisation et l’analyse de
la lumière. Ce qui suit est consacré à la présentation de la structure de cet organe
remarquable, de son aspect ophtalmoscopique, et à une description de la vue de
l’œil en coupe transversale.
Pupille
Organisation générale de l’œil
Que voit-on réellement lorsque l’on regarde l’œil d’une personne ? La
figure 9.4 illustre ce que sont les structures principales. La pupille constitue l’ori-
fice permettant à la lumière d’entrer dans l’œil et d’atteindre la rétine ; elle paraît
Iris
noire à cause des pigments de la rétine qui absorbent la lumière. L’ouverture de la
Conjonctive pupille est contrôlée par un muscle circulaire, l’iris, dont la pigmentation donne
Sclérotique la couleur à l’œil. L’iris comporte deux muscles qui contrôlent le diamètre de la
pupille ; l’un des muscles permet à la pupille de réduire son ouverture et, l’autre,
d’en accroître le diamètre. La pupille comme l’iris sont recouverts par la cornée,
Nerf optique qui forme la surface externe transparente de l’œil. La cornée se trouve en conti-
nuité avec la sclérotique ou blanc de l’œil, formant la paroi dure du globe oculaire.
Le globe oculaire est inséré dans une loge du crâne dénommée orbite oculaire.
Dans la sclérotique sont insérées trois paires de muscles, les muscles extra-ocu-
laires, qui permettent les mouvements du globe oculaire dans les orbites. Ces
Cornée
Muscles muscles ne sont pas visibles extérieurement car situés derrière la conjonctive, une
extra-
oculaires
membrane qui se replie à partir de l’intérieur des paupières et se rattache à la
sclérotique. Le nerf optique formé par les axones de la rétine quitte l’œil par l’ar-
Figure 9.4 – Anatomie de l’œil. rière, passe à travers les orbites et atteint le cerveau à sa base, près de l’hypophyse.
Disque optique
(tache aveugle)
Macula
Fovéa
Vaisseaux
sanguins
Rétine Rétine
nasale temporale
Encadré 9.1 FOCUS
Figure A
Figure B
Ligaments
suspenseurs
du cristallin Rétine
Iris
Cristallin Fovéa
Lumière
Cornée
Humeur
acqueuse Nerf optique
Muscles
ciliaires
Humeur
vitrée Sclérotique
Encadré 9.2 FOCUS
Vision de loin
Cristallin aplati
(a)
Vision de près
Cristallin dilaté
(b)
Encadré 9.3 FOCUS
Correction de la vision
Lorsque les muscles ciliaires sont relâchés et que le verre ou de plastique convexe devant l’œil (Fig. C). La
cristallin est plat, l’œil est dit emmétrope : les rayons face antérieure convexe de la lentille, comme celle de la
parallèles d’une source de lumière distante convergent cornée, fait dévier la lumière vers le centre de la rétine.
exactement à l’arrière de la rétine (du grec metron : Comme la lumière passe du verre à l’air, l’arrière de la
mesure et ôps : œil). L’œil emmétrope focalise les rayons lentille agit de la même façon (la vitesse de la lumière
lumineux parallèles sur la rétine sans avoir recours à allant du verre à l’air s’accélère et sa trajectoire est déviée
l’accommodation (Fig. A) et l’accommodation est suffi- en s’éloignant de la perpendiculaire).
sante pour focaliser l’image des objets sur une large Si le globe oculaire est trop long plutôt que trop
gamme de distances. court, comme on vient de le voir, les rayons parallèles
Que se passe-t-il maintenant si le globe oculaire est convergent en avant de la rétine, se croisent et donnent à
trop court, de l’avant à l’arrière ? Sans l’accommoda- nouveau une image floue sur la rétine. Ce défaut s’ap-
tion, les rayons de lumière parallèle convergent au-delà pelle la myopie. Il y a plus de réfraction que nécessaire
de la rétine. Ce défaut s’appelle l’hypermétropie ou pres- pour les images des objets situés à une distance rappro-
bytie. De fait, en général l’œil a un pouvoir d’accommo- chée de l’œil, mais même avec le moins d’accommoda-
dation suffisant pour une mise au point correcte en tion possible les objets les plus distants sont toujours
fonction de la distance des objets mais, même dans des mis au point en avant de la rétine (Fig. D). Pour per-
conditions optimales, les objets les plus proches sont mettre une meilleure vision de près, on utilise dans ce cas
parfois mis au point au-delà de la rétine (Fig. B). La des lentilles concaves pour repousser l’image du point
presbytie peut être corrigée en plaçant une lentille de sur la rétine (Fig. E).
Figure A Figure D
Figure B Figure E
Volet cornéen
Figure C Figure F
9 – Œil et vision 299
Il existe parfois des irrégularités dans la courbure de Dans l’hypermétropie et la myopie, le niveau de
la cornée ou du cristallin qui modifient la puissance de réfraction fourni par la cornée est soit trop faible, soit
réfraction, selon que les rayons de lumière pénètrent trop important pour la longueur de l’œil. Les techniques
dans l’œil en suivant un axe horizontal ou vertical. chirurgicales modernes peuvent maintenant permettre
de modifier la réfraction par la cornée. La kératotomie
Ce défaut s’appelle l’astigmatisme ; il est corrigé radiale permet ainsi de corriger la myopie. Il s’agit dans
également avec des lentilles artificielles qui corrigent ce cas de pratiquer une série d’incisions radiales très
sélectivement selon un axe donné. fines, au niveau de la partie périphérique de la cornée.
Ces incisions interviennent alors pour relaxer la partie
Même avec des globes oculaires parfaits et un sys- centrale de la cornée qui s’aplatit, ce qui, par voie de
tème de réfraction symétrique, il est peu probable conséquence, diminue la myopie. Plus récemment, des
d’échapper à la presbytie. Il s’agit d’un durcissement du méthodes utilisant la chirurgie au laser ont été mises au
cristallin lié à l’âge, qui peut s’expliquer par le fait que point pour modifier la forme de la cornée ; ainsi dans la
de nouvelles cellules du cristallin sont générées la vie kératotomie photoréfractive, où le laser est utilisé pour
entière alors qu’aucune ne se perd. Ce durcissement agir sur la surface externe de la cornée. Dans la kérato-
supprime l’élasticité du cristallin, l’empêchant de mileusie in situ au laser, un petit volet de cornée est sou-
s’épaissir suffisamment dans l’accommodation et de levé, de façon à permettre au laser d’agir alors sur la
s’aplatir assez au cours de la relaxation. La correction partie interne de la cornée, et les progrès de ces méthodes
de la presbytie, inventée par Benjamin Franklin, fait permettent maintenant d’envisager d’agir sur la cornée
intervenir une lentille bifocale. Dans ces verres à double de façon réversible (Fig. F). Des méthodes non-chirurgi-
foyer, la partie supérieure de la lentille est concave pour cales ont également été proposées pour modifier la cor-
la vision de loin et la partie inférieure convexe, pour la née par l’utilisation de lentilles de contact qui déforment
vision de près. la cornée et corrigent ainsi les défauts de réfractivité.
Réflexe pupillaire
En plus de la cornée et du cristallin, la pupille contribue aussi aux proprié-
tés optiques de l’œil, par une adaptation continue aux variations d’intensité de
la lumière ambiante. Cette adaptation peut être vérifiée en observant dans un
miroir comment la pupille change de diamètre à la lumière, après un moment
passé à l’obscurité. Le réflexe pupillaire à la lumière dépend des connexions entre
la rétine et les neurones du tronc cérébral qui contrôlent les neurones moteurs
innervant les muscles impliqués dans la variation du diamètre de la pupille. Une
des propriétés intéressantes de ce réflexe est d’être consensuel ; c’est-à-dire que, si
on projette un faisceau de lumière dans un seul œil, on provoque la constriction
des pupilles dans les deux yeux. De ce fait, il est ainsi véritablement exceptionnel 150°
que les pupilles ne soient pas de la même taille. Dès lors, un trouble du réflexe
consensuel de la pupille à la lumière est souvent considéré comme le signe d’une
atteinte neurologique grave du tronc cérébral.
Un effet bénéfique de la constriction pupillaire résultant d’une illumination
intense est d’augmenter la profondeur de champ, de la même façon que la ferme-
ture du diamètre de l’objectif d’un appareil photographique. Prenons l’exemple
de deux points dans l’espace, l’un tout proche et l’autre plus éloigné, lorsque
l’œil produit son accommodation sur le point situé à proximité, alors le second Œil droit
point plus éloigné ne forme plus un point sur la rétine mais plutôt un cercle flou.
En réduisant l’ouverture de la pupille — en diminuant le diamètre — la taille du Figure 9.9 – Champ visuel, à partir d’un seul
cercle flou diminue et son image ressemble davantage à un point. C’est de cette œil.
Le champ visuel représente la partie de l’es-
manière que les objets éloignés apparaissent nets.
pace visuel couverte par la rétine d’un seul œil,
lorsque le regard est fixé vers un point éloigné.
Champ visuel Il faut noter que l’image reçue par la rétine est
inversée, comme dans le cas du crayon sur ce
La structure des yeux, et leur emplacement dans la tête, limite la vision de ce schéma. Le champ visuel s’étend sur environ
qui nous entoure dans une position donnée. Pour explorer l’espace qu’embrasse 100° vers la rétine temporale mais seulement
la vision d’un seul œil, l’expérience suivante peut être réalisée : tenez un crayon d’environ 60° vers la rétine nasale, où la vision
horizontalement dans la main droite, fermez l’œil gauche et regardez un point est bloquée par la présence du nez.
300 2 – Systèmes sensoriel et moteur
droit devant. En gardant l’œil fixé sur ce point, déplacez doucement le crayon
vers la droite dans le champ de vision jusqu’à ce qu’il disparaisse. Refaites l’expé-
rience en déplaçant le crayon vers la gauche, puis vers le haut, et vers le bas. Les
points pour lesquels le crayon disparaît marquent les limites du champ visuel de
l’œil droit. Regardez maintenant le crayon en le tenant horizontalement devant
vous. La figure 9.9 illustre la façon dont la lumière réfléchie par le crayon arrive
sur la rétine. Notez que dans ce cas l’image est inversée ; l’image du champ visuel
Lune
gauche se forme sur le côté droit de la rétine et l’image du champ visuel droit se
forme sur le côté gauche de la rétine. De la même manière la partie supérieure
du champ visuel est représentée sur la partie inférieure de la rétine, et la partie
inférieure sur la rétine supérieure.
o
0,5 d’angle Acuité visuelle
visuel
La faculté que présente l’œil de distinguer deux points très proches est
dénommée acuité visuelle. L’acuité dépend de plusieurs facteurs, mais particu-
lièrement de l’emplacement des photorécepteurs dans la rétine et de la précision
de la réfraction de l’œil.
À travers la rétine, la distance peut être décrite en termes de degrés d’angle
visuel. Ainsi lorsqu’il s’agit d’un angle droit, cela sous-tend par définition un
angle de 90°. La lune, par exemple, sous-tend un angle d’environ 0,5° (Fig. 9.10).
A la mesure de la longueur du bras, votre pouce est à peu près à 1,5° et votre
poing à environ 10°. On parle ainsi de la capacité de l’œil à discerner des points
140 µm séparés par un certain nombre de degrés d’angle visuel. La charte de l’œil de
Snellen, que l’on trouve chez tous les ophtalmologistes, permet de tester la
Figure 9.10 – Angle visuel. faculté à distinguer des lettres et des chiffres à une distance de 6 m environ. La
Au niveau de la rétine, les distances peuvent vision est de 20/20 lorsque l’on peut reconnaître une lettre qui sous-tend un angle
être exprimées en termes d’angle visuel. de 0,083° (équivalent à 5 minutes d’un arc, 1 minute étant 1/60 de degré).
Anatomie microscopique
Axones des cellules ganglionnaires
projetant vers le cerveau antérieur
de la rétine
Cellules
ganglionnaires Après avoir considéré la formation de l’image sur la rétine, il faut aborder la
partie neurobiologique de la vision : la transformation de l’énergie lumineuse en
activité nerveuse. Clairement, le traitement de l’image sur la rétine est en relation
Cellules avec l’architecture cellulaire de cette partie du cerveau.
amacrines
Le processus de base du traitement rétinien de l’information visuelle est
Neurones
illustré sur la figure 9.11. La voie la plus directe de ce traitement implique un
bipolaires transfert de l’information visuelle des photorécepteurs aux neurones bipolaires,
puis aux cellules ganglionnaires. Les photorécepteurs répondent à la lumière et
Cellules ils agissent sur le potentiel de membrane des cellules bipolaires avec lesquelles
horizontales
ils sont connectés. Les cellules ganglionnaires émettent des potentiels d’action
en réponse à la lumière et ces impulsions nerveuses se propagent le long du nerf
optique, jusqu’au reste du cerveau. À côté des cellules de cette voie directe qui
va des photorécepteurs au cerveau, deux autres types de cellules exercent une
influence sur le traitement de l’information visuelle dans la rétine. Les cellules
horizontales, qui reçoivent des informations des photorécepteurs. Ces cellules
comportent des neurites qui se projettent latéralement, pour activer des neu-
Photorécepteurs
rones bipolaires environnants. Par ailleurs, une large variété de cellules amacrines
Figure 9.11 – Processus de base du traite- reçoivent quant à elles des informations des neurones bipolaires et se pro-
ment de l’information rétinienne. jettent latéralement pour activer des cellules ganglionnaires et d’autres cellules
L’information résultant de l’activation des pho- amacrines de leur environnement.
torécepteurs par la lumière passe des neurones
Trois points importants sont à souligner :
bipolaires aux cellules ganglionnaires dont les
axones forment le nerf optique. Les cellules 1. les seules cellules de la rétine sensibles à la lumière sont les bâtonnets et les
horizontales et les cellules amacrines agissent cônes. La lumière n’agit sur les autres cellules qu’au travers d’interactions
sur les neurones bipolaires et les cellules synaptiques directes ou indirectes avec les photorécepteurs. (Nous verrons
ganglionnaires par des connexions latérales. plus loin qu’il existe une exception à cette règle, s’agissant de la découverte
9 – Œil et vision 301
Lumière
Couche
ganglionnaire
Couche plexiforme
interne
Couche nucléaire
interne
Rétine
Couche plexiforme
Nerf externe
optique
Couche nucléaire
externe
Couche
des photorécepteurs
Épithélium
pigmenté
(a) Terminaisons
synaptiques
Corps
cellulaires
Segment
interne
Cône Segment
externe
(b)
Cône
Bâtonnets
Lorsque j’ai débuté mes études supé- sant de la lumière, à partir d’un laser très
rieures en 1975, nous ne connaissions prati- puissant, à la surface d’un miroir laissé sur
quement rien de la topographie des trois la lune par les équipages du programme
classes de cônes, à la base de la vision tri- Apollo. J’ai alors entendu Bob dire
chromatique des couleurs dans l’œil de « Déplacez le faisceau vers la droite et vous
l’homme. Bien que Thomas Young ait éviterez la lumière parasite de la lune ». J’ai
déduit, il y a de cela environ 150 ans, que la soudain réalisé qu’en tâtonnant, nous
vision des couleurs dépendait de ces trois recherchions tous les deux la même chose.
canaux fondamentaux, nous ne connais- Liang et moi sommes rentrés rapidement
sions toujours pas le nombre relatif de ces à l’Université de Rochester et, avec un autre
trois types de cônes, ou simplement com- étudiant post-doctorant, Don Miller, nous
ment ceux-ci étaient organisés dans la rétine. David Williams avons construit le premier système optique
Avec mon directeur de thèse, Don MacLeod, adaptatif permettant de corriger les aberrations
à l’Université de Californie à San Diego, j’ai mis en monochromatiques de l’œil. Ce fut le début d’une miniré-
œuvre des méthodes psychophysiques pour cartogra- volution dans le domaine de l’optométrie et de l’ophtal-
phier la rétine en réponse à une stimulation de couleur mologie, ce simple dispositif corrigeait les principaux
violet. Nous avons alors découvert que les cônes du défauts de la vision comme cela n’avait jamais été pos-
sous-type S (pour short, en anglais), stimulés spécifique- sible jusqu’à présent. La mesure de l’acuité visuelle dans
ment par cette longueur d’onde, étaient répartis de façon ces conditions n’a jamais été meilleure, grâce à ce dispo-
diffuse dans la mosaïque des cônes L (pour long) et M sitif optique adaptatif. Ceci nous a permis de proposer
(pour medium). Nous avons aussi montré qu’une per- d’améliorer la chirurgie laser et de mettre au point des
sonne était à même de détecter un flash de lumière qui lentilles de contact et intra-oculaires plus performantes.
stimulait juste 5 millions environ de cônes de la rétine. Nous avons équipé une caméra avec ce type d’op-
Plus tard, j’ai recentré mon travail sur la topographie tique adaptative pour obtenir des images encore plus
de cette mosaïque de base de la trichromie. Après de nettes de la rétine humaine, tellement précises qu’il est
nombreux échecs pendant plusieurs années, j’ai abouti à possible de distinguer les cônes individuels dans la
une solution venant d’une direction totalement inespé- mosaïque des photorécepteurs. Nous nous sommes
rée. En fait, j’ai toujours eu un intérêt particulier à l’ex- alors interrogés sur la possibilité d’identifier les photo-
ploration des limites de l’acuité visuelle. Alors que j’uti- pigments qui différencient les 3 sous-types de cônes,
lisais diverses technologies pour tenter d’approcher les répondant ainsi à la question que je m’étais posée bien
limites d’une image nette sur la rétine, j’employais des des années auparavant au démarrage de ma thèse. En
optiques légèrement déformantes, généralement utili- combinant cette optique particulière et une autre
sées par les astronomes, pour corriger le flou lié à la tra- méthode, la densitométrie rétinienne, deux nouveaux
versée de l’atmosphère, dans le but de visualiser correc- post-doctorants du laboratoire, Austin Roorda et plus
tement les étoiles. tard Heidi Hofer, ont obtenu la réponse à cette question.
L’une des difficultés d’utilisation de ces optiques est Il se trouve que ces trois classes de cônes sont remarqua-
qu’un tel miroir coûte environ 1 million de dollars… Par blement… désorganisées, contrairement à la mosaïque
chance, j’ai rencontré un ingénieur qui nous a fourni géométrique que l’on trouve dans l’œil de nombreux
un dispositif équivalent. Nous avons eu beaucoup de insectes (Fig. A). De plus, le nombre relatif des cônes M
chance : les expériences conduisant à l’utilisation de ce et L varie considérablement d’une personne à l’autre, en
miroir déformant venaient d’être déclassifiées par les dépit des grandes similarités quant à leur pouvoir de
militaires. Avec mon étudiant post-doctorant, Junzhong
Liang, nous avons été autorisés à visiter le Starfire
Optical Range (SOR), un télescope d’environ 16 mil-
lions de dollars utilisé pour traquer les satellites et
équipé de ce type d’optique adaptative. J’étais décou-
ragé de découvrir la nécessité d’une légion d’ingénieurs
et d’équipements très chers pour le fonctionnement de
Figure A – Arrangement des trois
ce télescope, quand soudain un événement remarquable classes de cônes dans la rétine
se produisit. Bob Fugate, le directeur du SOR, tentait de humaine.
mesurer des aberrations atmosphériques en réfléchis- (Source : Roorda and Williams, 1999.)
9 – Œil et vision 305
détecter les couleurs (Fig. B). Joe Carroll, encore un pour le diagnostic et le traitement de certaines patholo-
autre post-doctorant, a poursuivi ce travail aussi bien gies rétiniennes. De fait, je n’aurais jamais pu imaginer
chez les daltoniens que chez des patients présentant que les progrès de la technologie spatiale auraient pu
diverses mutations génétiques. nous fournir autant d’outils performants pour analyser
Les méthodes utilisant l’optique adaptative ont éga- les mécanismes de la vision… ou même que les ques-
lement été appliquées pour visualiser d’autres types cel- tions que je me posais au tout début de ma thèse sur la
lulaires de la rétine, notamment les cellules ganglion- vision des couleurs puissent trouver une réponse quelque
naires, et ces outils se sont avérés d’un intérêt majeur 20 années plus tard.
HS YY *AN AP nasal
AP temporal MD JP JC
Figure B – Variation du nombre relatif de cônes dans l’œil percevant normalement les couleurs.
(Source : Hofer et al., 2005 ; Roorda and Williams, 1999.)
Tache
Fovéa aveugle
Bâtonnets Bâtonnets
Nombre/mm2
Cônes
L’acuité visuelle est mesurée à partir de la détection des lettres et des chiffres
sur la charte test, qui implique la partie centrale de la rétine et donc, de façon
très majoritaire, les cônes de la fovéa. Souvenez-vous que la fovéa est la partie
de la rétine présentant l’épaisseur la plus fine, au centre de la macula. En coupe,
la fovéa apparaît d’ailleurs comme une sorte de dépression dans la rétine. Cet
aspect est lié au déplacement latéral des cellules qui se situent au-dessus des
photorécepteurs, permettant à la lumière d’atteindre dans cette zone les pho-
torécepteurs directement, sans passer au travers des autres couches de cellules
rétiniennes (Fig. 9.16). Une telle spécialisation structurale maximalise l’acuité
visuelle à la fovéa, en repoussant les autres cellules qui pourraient disperser la
lumière et contribuer à rendre l’image moins nette. Si vous deviez subir un test
d’acuité visuelle tout en regardant légèrement au loin par rapport à la charte gra-
phique, ou encore si vous tentiez de lire les titres d’ouvrages sur une étagère en
utilisant votre vision périphérique, pour avoir les mêmes performances visuelles
qu’en vision centrale, il faudrait que la taille des lettres soit plus grande. De
façon moins évidente que l’excellente acuité spatiale à la fovéa, une autre carac-
téristique de la vision est de considérer que nous sommes moins performants pour
distinguer les couleurs en utilisant notre rétine périphérique, à cause du nombre de
cônes plus réduit qu’au centre de la rétine. Vous pouvez parfaitement le vérifier
en regardant droit devant vous un petit objet coloré et en le déplaçant lentement
sur le côté.
9 – Œil et vision 307
Couche
des cellules
ganglionnaires
Couche nucléaire
interne
Couche nucléaire
externe
Cônes Bâtonnets
Phototransduction
La phototransduction est la conversion, ou transduction, par les photoré-
cepteurs de l’énergie lumineuse en variations de potentiel de membrane. C’est
d’abord la phototransduction par les bâtonnets, 20 fois plus nombreux que les
cônes dans la rétine de l’homme, qui sera décrite ici ; le processus de phototrans-
duction impliquant les bâtonnets étant de plus assez similaire à celui qui s’opère
dans les cônes.
Neurotransmetteur Lumière
Récepteur couplé
aux protéines G
Effecteur Photopigment Effecteur
Membrane cellulaire (enzyme) Membrane (enzyme)
des disques
Protéine G Protéine G
Second Second
messager messager
Segment
interne
Dépolarisation Hyperpolarisation
membranaire membranaire
Segment
Na+ externe
– 30 mV
Vm
– 60 mV
(c) Temps
Opsine Opsine
Figure 9.19 – Activation de la rhodopsine
par la lumière.
La structure de la rhodopsine comprend sept
segments transmembranaires organisés en
hélice α représentant l’opsine, à laquelle est
associée une petite molécule dérivée de la
vitamine A, le rétinal. Lorsqu’il est activé par
la lumière, le rétinal subit un changement Rétinal Rétinal
conformationnel conduisant à l’activation de (inactif) Membrane (actif) Membrane
l’opsine (NdT : l’isomérisation du cis-rétinal des disques des disques
en trans-rétinal sous l’effet de la lumière libère
l’opsine et convertit le rétinal en rétinol).
9 – Œil et vision 311
Rhodopsine Protéine G
(transducine) Phosphodiestérase
« vert » « rouge »
cônes à faible longueur d’onde, ou cônes « bleus », activés de façon optimale par
une longueur d’onde d’environ 430 nm, de cônes à longueur d’onde moyenne ou
cônes « verts », activés de façon optimale par des longueurs d’onde autour de
530 nm, et de cônes à longueur d’onde plus longue ou cônes « rouges », essen-
tiellement activés par une longueur d’onde d’environ 560 nm (Fig. 9.21). Notez
que chaque type de cônes est activé par une assez large gamme de longueurs
d’onde de lumière et qu’il y a ainsi des chevauchements dans la sensibilité spec-
trale, avec des longueurs d’onde qui affectent les trois sous-types de cônes. De 400 450 500 550 600 650
façon courante, ces cônes sont considérés comme bleus, verts ou rouge mais ceci Longueur d’onde (nm)
est un peu abusif puisque plusieurs couleurs sont perçues lorsque différentes Figure 9.21 – Sensibilité spectrale des trois
longueurs d’onde de lumière sont présentes, y compris dans le spectre large d’un différents types de cônes.
type de cônes particulier. Les termes « court », « moyen » et « long » (S pour Chaque photopigment absorbe une large
short, M pour medium et L pour long) sont, de ce fait, mieux appropriés pour gamme de longueurs d’onde du spectre des
désigner les différentes catégories de cônes. couleurs (voir Fig. 9.2).
312 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Perception des couleurs. La couleur que nous percevons est largement déter-
minée par l’activation relative des sous-types de cônes, courts, moyens et longs.
Il y a maintenant plus de 200 ans, le physicien britannique Thomas Young avait
déjà suggéré ce mode de détection des couleurs par le système visuel. En 1802,
Young montra que l’on pouvait recréer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, y
compris le blanc, en mélangeant la lumière bleue, verte et rouge dans des pro-
portions requises (Fig. 9.22). Il pensait à juste titre qu’il existe en chaque point
de la rétine trois types de récepteurs, chacun répondant à un spectre différent de
longueurs d’onde. Les idées de Young furent défendues plus tard au xixe siècle
par Hermann von Helmholtz, un physiologiste allemand influant (parmi ses tra-
vaux, on peut citer l’invention de l’ophtalmoscope, en 1851). Cette théorie de la
vision des couleurs a pris le nom théorie de la trichromie de Young-Helmholtz.
Selon cette théorie, le cerveau identifie une couleur après le décryptage de l’acti-
Figure 9.22 – Mélange de lumières colorées. vité des trois types de cônes. Lorsque tous les types de cônes sont également acti-
Le mélange du rouge, du vert et du bleu vés comme dans le cas d’un spectre de lumière étendu, on perçoit du « blanc ».
conduit à l’activation des trois types de cônes Les autres couleurs proviennent de contributions différentes des sous-types de
et à la perception de la couleur blanche.
cônes. Par exemple, la couleur orange est un mélange de rouge et de jaune, et
cette couleur peut tantôt présenter une dominante rouge, tantôt une dominante
jaune (le rouge, l’orangé et le jaune sont voisins dans le spectre des couleurs).
Mais notez que la perception d’autres mélanges de couleurs est considérée dif-
féremment : par exemple, aucune couleur est à la fois perçue comme rouge et
verte, ou encore bleu et jaune (ces couleurs opposées ne sont pas voisines dans
le spectre des couleurs). Nous le verrons plus loin, ceci pourrait être le reflet de
ce que l’on nomme « l’opposition simple de couleurs », un mécanisme de traite-
ment de l’information visuelle par les cellules ganglionnaires.
La nomenclature de la vision des couleurs peut, ainsi, être quelque peu
déroutante. Dès lors, il faut faire preuve de prudence et ne pas confondre la cou-
leur de la lumière et le nom de la couleur de cônes. Il est faux de penser que la
perception de la lumière comme étant de couleur rouge résulte d’une stimulation
lumineuse représentée par une seule longueur d’onde, ou bien que cette longueur
d’onde n’est absorbée que par les cônes à longueur d’onde longue. La réalité est
que les lumières colorées présentent, en général, un large spectre de longueurs
d’ondes différentes, susceptibles d’activer, tout ou partie, les trois sous-types de
cônes. C’est ainsi le rapport de leur activation respective qui détermine la cou-
leur perçue. Différentes formes de défauts de perception de la couleur résultent
de la perte d’un ou de plusieurs photopigments de ces sous-catégories de cônes
(Encadré 9.5). Et, comme cela a été dit précédemment, si nous n’avions pas de
cônes, nous ne percevrions pas la couleur du tout.
Encadré 9.5 FOCUS
La plupart de ces anomalies résultent de petites pigment, seulement 1 % des femmes ont des problèmes
mutations entraînant soit la perte d’un des pigments similaires.
visuels impliqués dans la détection de l’une ou l’autre Les individus qui présentent l’absence de l’un ou
des couleurs, soit un déplacement de la sensibilité spec- l’autre des pigments, sont considérés comme ne perce-
trale pour un type de ces pigments. La plus commune de vant pas les couleurs. Pourtant ils ont réellement une
ces anomalies porte sur la couleur rouge-vert, anomalie perception colorée et ce ne serait que 0,001 % de la
plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. La population qui n’aurait aucune vision des couleurs.
raison en est que les gènes responsables de la production Dans un des cas connus, ce sont les deux pigments rouge
des pigments rouge et vert sont situés sur le seul chromo- et vert à la fois qui manquent parce que les mutations
some X, alors que le gène qui encode le pigment bleu est des gènes de ces pigments les ont rendus inactifs. Ces
situé sur le chromosome 7. Ainsi les hommes présentent individus ont une vision des couleurs monochromatique,
un défaut de la vision rouge-vert s’il existe une altération et vivent dans un monde qui ne diffère que par l’inten-
du chromosome X, seul hérité de leur mère. En revanche, sité lumineuse, comme les sujets à vision trichromatique
les femmes ne présentent ce défaut de vision des cou- regardant un film en noir et blanc.
leurs que si les deux parents présentent cette anomalie
génétique sur les chromosomes X. Bien que l’achromatopsie (l’absence de vision des
Environ 6 % des hommes présentent un pigment couleurs) soit rare chez les humains, dans l’île de
rouge, ou vert, qui absorbe à une longueur d’onde Pingelap de l’archipel Micronésien, environ 5 à 10 % de
quelque peu différente de celle du reste de la popula- la population présente cette pathologie rétinienne, et
tion. Ces personnes sont souvent appelées « dalto- beaucoup plus d’individus sont des « porteurs sains ». Il
niens », et présentent de fait une vision colorée du est connu que cette maladie est liée à une mutation d’un
monde qui les entoure. Ils sont catalogués comme indi- gène, associée à un développement incomplet des cônes
vidus à vision trichromatique anormale parce que chez de la rétine qui les rend non fonctionnels. Mais pour-
eux la vision des couleurs intermédiaires et du blanc quoi cette achromatopsie est-elle si commune dans l’ile
nécessite différents mélanges de rouge, vert et bleu de Pingelap ? Si l’on en croit les iliens, à la fin du
xviiie siècle un typhon a dévasté l’île, tuant environ 20 %
pour percevoir les couleurs intermédiaires (et le blanc)
par rapport aux autres personnes. La plupart de ces de la population et les patients atteints de cette maladie
individus présentent un gène qui encode pour le pig- sont en fait tous les descendants d’un homme qui était
ment bleu normal, et l’anomalie génétique ne porte en un porteur sain. Et c’est ainsi que cette maladie a été
fait que sur les gènes de l’un ou l’autre des deux autres transmise et qu’elle s’est développée par consanguinité
pigments, rouge ou vert. Mais ils présentent aussi un dans cette population.
gène hybride qui encode une protéine présentant un Finalement, des travaux récents posent la question
spectre d’absorption anormal, entre les pigments rouge de savoir si la vision des couleurs « normale » existe réel-
et vert normaux. Par exemple, une personne ayant une lement ? En effet, si l’on prend un groupe de sujets clas-
anomalie du pigment vert peut percevoir le jaune avec sés comme faisant partie du groupe à vision trichroma-
un mélange de rouge et de vert différent de la normale, tique normale, il est démontré que certains d’entre eux
c’est-à-dire utilisant moins de rouge. Ces personnes utilisent légèrement plus de rouge pour percevoir le
perçoivent le même spectre de couleurs que les indivi- jaune que d’autres, dans la configuration rouge-verte.
dus normaux et ce n’est qu’en de rares occasions Cette différence mineure par rapport aux troubles de la
qu’elles ne sont pas d’accord sur la nuance de la cou- vision des couleurs discutés ci-dessus résulte d’une seule
leur d’un objet, qu’elles décrivent par exemple « bleu » altération du gène du pigment rouge. Ainsi les 60 % des
plutôt que « bleu-verdâtre ». hommes qui présentent une sérine au site 180 du gène
En revanche, environ 2 % des hommes ne possèdent correspondant sont plus sensibles aux longueurs d’ondes
pas de pigment rouge ou vert. Dans ce cas ils ont seule- élevées que les 40 % restants, qui ont une alanine à la
ment une vision des couleurs dichromatique, n’utilisant place de la sérine. Imaginez alors ce qui arriverait si une
que deux types de cônes pour détecter la couleur. Les femme présentait des anomalies sur les gènes des pig-
individus ne possédant pas de pigment vert sont moins ments rouges à la fois au niveau des deux chromo-
sensibles au vert et confondent certaines nuances rouges somes X. Les deux gènes pourraient être exprimés,
et vertes. Un « dichromate vert » peut considérer une donnant deux types de pigments rouges différents,
lumière jaune comme rouge ou verte, aucun mélange dans deux populations de cônes. En principe une telle
n’étant possible. On note qu’en face des 8 % environ des femme aurait une vision des couleurs tétrachromatique,
hommes présentant une telle anomalie ou la perte d’un une rareté dans le monde animal.
314 2 – Systèmes sensoriel et moteur
(a) (b)
(c) (d)
adaptés. Maintenant regardez la croix située au centre du carré plus clair, dans la
partie b de la figure. Du fait de l’adaptation des cônes, vous devriez voir les spots
blancs présents lors de l’adaptation initiale. Le même processus intervient pour
l’adaptation à la couleur. Regardez l’un ou l’autre des carrés jaune ou vert, en
c et d de la figure, et adaptez sélectivement vos cônes à la détection de l’une ou
l’autre de ces couleurs. Maintenant déplacez votre regard vers le carré lumineux
situé dans la partie b. Vous devriez alors percevoir du bleu si vous avez adapté
vos cônes au jaune, ou du rouge si vous les avez adaptés au vert (la couleur
exacte dépend aussi de l’encre qui a été utilisée pour imprimer cette figure). Ces
démonstrations nécessitent des fixations du regard anormalement longues pour
révéler ces processus d’adaptation critiques, qui sont en permanence utilisés
pour conserver les photorécepteurs en état de transmettre une information utile.
Traitement de l’information
visuelle par la rétine
Nous avons vu comment la lumière est transformée en activité nerveuse,
maintenant nous allons examiner les modalités du transfert de cette information
rétinienne au cerveau. La seule source d’information issue de la rétine est repré-
sentée par l’activité des cellules ganglionnaires. L’objectif est alors de tenter de
comprendre quel type d’information est véhiculé par ces cellules ganglionnaires.
Certains aspects de cette information étaient connus bien avant la découverte des
photorécepteurs. Depuis les années 1950, les chercheurs étudient les décharges
des cellules ganglionnaires en réponse à la stimulation par la lumière de la rétine
à l’aide de techniques électrophysiologiques. Les pionniers de cette approche ont
été les neurophysiologistes Keffer Hartline et Stephen Kuffler qui travaillaient
aux États-Unis et Horace Barlow, en Angleterre. Ces chercheurs ont révélé quels
aspects d’une image visuelle sont codés par les décharges des cellules ganglion-
naires. Les premiers travaux, portant sur des crabes et des grenouilles, ont fourni
316 2 – Systèmes sensoriel et moteur
les fondements des études réalisées ultérieurement sur les chats et les singes. Il
devint bientôt clair que moins le cerveau était sophistiqué (ainsi que le système
visuel), plus l’analyse intervenant dans la rétine était élaborée. Néanmoins,
des principes comparables accompagnent le traitement rétinien dans un grand
nombre d’espèces.
Il a fallu plus de temps pour comprendre comment les interactions synap-
tiques dans la rétine conduisent à l’activation des cellules ganglionnaires, en
grande partie à cause du fait que seules les cellules ganglionnaires émettent des
potentiels d’action ; dans toutes les autres cellules de la rétine (à l’exception de
quelques cellules amacrines), la stimulation provoque des variations graduelles
du potentiel de membrane. Les méthodes d’enregistrement intracellulaire de
ces variations graduelles représentent un véritable défi technique, alors que les
potentiels d’action sont facilement détectés avec de simples méthodes d’enregis-
trement extracellulaire (voir Encadré 4.1). Ce n’est en fait qu’au début des années
soixante-dix que John Dowling et Franck Werblin, de Harvard University, ont
pu démontrer comment les réponses ganglionnaires reposent sur les interactions
impliquant les cellules horizontales et les cellules bipolaires.
Dans la rétine, la voie la plus directe du traitement de l’information visuelle
passe des cônes aux cellules bipolaires, puis aux cellules ganglionnaires. À chaque
relais synaptique les réponses sont modifiées par l’activation de connexions
latérales impliquant les cellules horizontales et amacrines. Comme les autres
neurones, les photorécepteurs libèrent des neurotransmetteurs lorsqu’ils sont
dépolarisés. Dans ce cas, le neurotransmetteur est le glutamate. Or, les photo-
récepteurs se dépolarisent dans l’obscurité et sont hyperpolarisés par la lumière.
Contre toute attente, les photorécepteurs libèrent donc moins de molécules de
neurotransmetteur à la lumière que dans l’obscurité ; mais ce paradoxe appa-
rent est bien compréhensible quand on sait que les photorécepteurs sont plus
sensibles à l’obscurité qu’à la lumière. Ainsi, lorsqu’une ombre passe sur un pho-
torécepteur, il répond en se dépolarisant et en libérant le glutamate.
Dans la couche plexiforme externe, chaque photorécepteur est en contact
synaptique avec deux types de neurones rétiniens : les cellules bipolaires et les
cellules horizontales. Souvenons-nous que les cellules bipolaires constituent la
voie la plus directe impliquée dans le transfert de l’information des photorécep-
teurs aux cellules ganglionnaires ; dans la couche plexiforme externe, les cellules
horizontales transmettent l’information latéralement, pour activer les cellules
bipolaires voisines et les photorécepteurs (voir Fig. 9.11 et 9.12). Maintenant,
voyons en détail la réponse des cellules bipolaires, puis des cellules ganglion-
naires, en analysant leurs champs récepteurs.
Champs récepteurs
Supposons qu’à l’aide d’un flash, vous ayez la possibilité de projeter un très
petit spot de lumière sur la rétine, alors même que vous êtes en train d’enregis-
trer l’activité d’un neurone visuel, comme par exemple une cellule ganglionnaire
de la rétine. Vous auriez trouvé que la stimulation lumineuse d’une toute petite
partie de la rétine affecte la décharge de ce neurone (Fig. 9.25a). Cette zone de
la rétine est dénommée champ récepteur du neurone. Toute stimulation lumi-
neuse appliquée en dehors de ce champ visuel n’a aucun effet sur la décharge
de ce neurone. La même procédure peut être appliquée à l’ensemble des neu-
rones de l’œil ou, plus généralement, de n’importe quel neurone impliqué dans la
vision. Le champ visuel est ainsi spécifié par le pattern de lumière appliqué à la
rétine qui déclenche la décharge de ce neurone. Dans le système visuel, les prin-
cipes optiques de l’organisation de l’œil établissent des correspondances entre
les zones de la rétine et les champs visuels. Par conséquent, il est coutumier de
décrire, aussi, les champs récepteurs visuels comme les zones de l’espace visuel
interchangeables avec des zones de la rétine (Fig. 9.25b). « Champ récepteur »
est de fait un terme général, utile pour décrire les spécificités d’un stimulus par
rapport à la décharge neuronale dans l’ensemble des systèmes sensoriels. Par
exemple, nous verrons dans le chapitre 12 que les champs récepteurs dans le sys-
tème somatosensoriel sont identifiés comme de toutes petites régions de la peau
9 – Œil et vision 317
Champ récepteur
de la rétine
Champ récepteur
Nerf optique projeté dans le
champ visuel
Enregistrement
d’une cellule
ganglionnairel
En déplaçant la lumière
sur la rétine, il est possible
(a)
de déterminer la zone
dont la stimulation En déplaçant la stimulation
lumineuse se traduit lumineuse dans le champ visuel,
par la décharge de la cellule il est possible de déterminer
En déplaçant l’aiguille (b) la zone dont la stimulation
sur la peau, il est possible
se traduit par l’activation
de déterminer la zone
Champ récepteur sur la rétine de la cellule ganglionnaire
correspondant à l’activation
du récepteur sensoriel
cutané
Champ
récepteur
cutané
(c)
Figure 9.25 – Champs récepteurs.
(a) Le champ récepteur d’une cellule ganglionnaire est déterminé par l’enregistrement de l’acti-
vité d’un axone dans le nerf optique. Un spot de lumière est projeté sur différentes parties de la
rétine ; le champ récepteur correspond aux sites de la rétine dont l’illumination accroît ou décroît
la décharge de la cellule ganglionnaire. En déplaçant l’électrode, il est possible de déterminer de
cette manière le champ récepteur d’autres neurones du système visuel, ou d’autres cellules réti-
niennes (dans ce cas, il s’agira de mesurer des variations du potentiel de membrane lorsque ces
cellules ne déchargent pas). (b) Un champ récepteur de la rétine correspond à la lumière provenant
d’une partie du champ visuel. (c) Le concept de champ récepteur est étendu à d’autres systèmes
sensoriels ; par exemple, une toute petite zone de la peau correspond à un champ récepteur pour
des détecteurs du toucher.
qui, lorsqu’elles sont touchées, produisent une réponse dans un neurone corres-
pondant (Fig. 9.25c).
Si nous allons plus loin que la rétine dans le système visuel, nous verrons les
modifications des champs récepteurs en termes de formes et de type de stimulus,
rendant les neurones plus actifs. Dans la rétine, des spots de lumière donnent
une réponse optimale des cellules ganglionnaires, mais dans différentes zones
du cortex visuel, les neurones répondent mieux à des lignes brillantes et même à
des formes complexes de signification physiologique, comme des mains ou des
visages. Ces particularités pourraient rendre compte d’importantes différences
de signification des informations à chaque niveau de traitement de l’informa-
tion visuelle (nous en dirons plus sur ce point dans le chapitre 10). L’étude des
champs récepteurs est particulièrement sensible, du fait des interprétations qui
leurs sont parfois données. Un exemple tout à fait instructif est lié aux travaux
initiaux d’Horace Barlow réalisés sur la rétine de la grenouille. Il démontra que
318 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Photorécepteur Photorécepteur
hyperpolarisé hyperpolarisé
Cellule horizontale
hyperpolarisée
Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire
Région des
photorécepteurs Centre Périphérie Zone d’obscurité
Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire
Limite obscurité-lumière
Région des
photorécepteurs Centre Périphérie
50 µm
(a) (b)
Illumination
de la partie
centrale ON
du champ
récepteur OFF
Nombre
de potentiels
d’action
par seconde
Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire
OS
ONL
OPL
INL
Off
On IPL
GCL
100 µm
(a) (b)
Traitement parallèle
Un concept important s’impose à travers cette étude de la rétine : il existe
un processus de traitement parallèle des informations dans le système visuel.
Traitement parallèle signifie que diverses informations visuelles sont traitées
simultanément par des voies différentes. Par exemple, nous percevons le monde
qui nous entoure non pas avec un seul œil mais bien avec les deux yeux, et les
informations issues des deux yeux font l’objet d’un traitement parallèle. Dans
le système nerveux central, ces flux d’informations parallèles sont comparés
en permanence, de façon à renseigner sur la profondeur ou encore la distance
d’un objet. Un autre exemple de traitement parallèle de l’information visuelle
concerne les informations sur l’éclairement et l’obscurité provenant des cellules
ganglionnaires centre-ON et centre-OFF de chaque rétine. Finalement, les cel-
lules ganglionnaires des catégories ON et OFF présentent, elles-mêmes, diffé-
rents types de champs récepteurs et des particularités quant à leurs réponses.
Les cellules de type M peuvent détecter de subtils contrastes d’éclairement inter-
venant au travers de leurs champs récepteurs et contribuent vraisemblablement
à la vision de faible résolution. Les cellules de type P présentent des champs
récepteurs plus restreints, qui sont plus adaptés pour de fines discriminations.
Les cellules de type P et non M-non P sont spécialisées pour le traitement de
l’information issue des cônes rouge-vert et bleu-jaune.
326 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Conclusion
Ce chapitre montre comment l’image de la lumière émise ou réfléchie par
des objets dans l’espace se forme sur la rétine. L’énergie lumineuse est d’abord
transformée en variations de potentiel de membrane de la mosaïque des photo-
récepteurs et, à cet égard, il faut souligner que le mécanisme de la transduction
au niveau des photorécepteurs est très semblable à celui des cellules réceptrices
olfactives, les deux impliquant des canaux ioniques sensibles aux nucléotides
cycliques. Le potentiel de membrane du photorécepteur se transforme en signal
chimique (le neurotransmetteur est le glutamate), qui est à nouveau converti
en variations de potentiel membranaire dans les cellules bipolaires et horizon-
tales, au niveau post-synaptique. Ce processus de signalisation électrique, puis
chimique, puis de nouveau électrique, se répète indéfiniment jusqu’à ce que la
lumière, ou l’obscurité ou la couleur, entraîne une modification de la fréquence
de décharge des potentiels d’action des cellules ganglionnaires.
L’information issue des 97 millions de photorécepteurs est canalisée dans un
million de cellules ganglionnaires. Au centre de la rétine et en particulier dans la
fovéa, quelques récepteurs seulement alimentent chaque cellule ganglionnaire,
alors qu’à la périphérie ce sont des milliers de récepteurs. La représentation du
champ visuel dans le nerf optique n’est donc pas uniforme : dans l’espace neu-
ronal, les quelques degrés centraux du champ visuel sont plutôt surreprésentés.
Cette spécialisation assure une grande acuité à la vision centrale mais suppose
aussi que l’œil bouge pour placer les images des objets qu’il regarde sur la fovéa.
Il semble logique de penser que les différents types d’information issus des
différents types de cellules ganglionnaires sont, du moins dans une première
phase, traités séparément. Des courants d’information parallèles — venant de
l’œil gauche et de l’œil droit — restent séparés au premier relais synaptique, dans
le CGL du thalamus. Il en est de même des relais synaptiques des cellules M et
P, dans le CGL. Dans le cortex visuel, il semble que des voies parallèles traitent
des processus visuels différents. Par exemple, la distinction dans la rétine entre
neurones qui relaient ou non l’information relative à la couleur est préservée au
niveau du cortex visuel. Il est alors possible que chacune des deux douzaines ou
plus d’aires corticales impliquées dans la vision soit spécialisée dans le traite-
ment d’un type différent d’information rétinienne.
9 – Œil et vision 327
QUESTIONS DE RÉVISION
PROJECTION RÉTINOFUGE
Nerf optique, chiasma optique et tractus optique............................... 330
Hémichamps visuels droit et gauche................................................... 331
Cibles du tractus optique.................................................................... 332
Encadré 10.1 Focus David et Goliath
CORPS GENOUILLÉ
LATÉRAL (CGL)
Rôle de l’œil et des cellules ganglionnaires dans la ségrégation
de l’information visuelle...................................................................... 335
Champs récepteurs............................................................................. 336
Informations non rétiniennes du CGL................................................. 337
PHYSIOLOGIE
DU CORTEX STRIÉ
Champs récepteurs............................................................................. 345
Encadré 10.2 Bases théoriques Organisation corticale révélée
par imagerie optique et calcique
Voies parallèles et modules corticaux.................................................. 351
CONCLUSION
INTRODUCTION
B
ien que le système visuel nous donne une image unifiée du monde qui
nous entoure, cette image présente en fait de nombreuses facettes. Les
objets ont une forme et une couleur. Ils sont dans une certaine position
et parfois ils se déplacent. Pour que nous puissions les voir tels qu’ils sont, il
faut qu’en quelque point de notre système visuel que ce soit des neurones soient
sensibles à toutes ces caractéristiques. De plus, comme nous avons deux yeux,
il se forme deux images visuelles dans la tête, qui doivent fusionner d’une façon
ou d’une autre.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 9, l’œil présente des caractéristiques
comparables en partie à celle d’un appareil photographique. Mais, indépen-
damment de la rétine, le système visuel tout entier est beaucoup plus élaboré,
beaucoup plus intéressant, et beaucoup plus performant qu’un appareil photo-
graphique. Ainsi, la rétine ne transmet pas seulement des informations sur les
différences de luminosité ou d’ombre qui la frappent mais elle agit plutôt pour
extraire des informations à partir des différentes facettes de l’image visuelle. Il y
a plus ou moins 100 millions de photorécepteurs dans la rétine, mais seulement
1 million d’axones issus de chaque œil pour transmettre cette riche information
au cerveau. Par conséquent, ce que nous percevons du monde extérieur dépend
des informations recueillies par la rétine, mais aussi de la façon dont celles-ci
sont analysées et interprétées par le SNC. La couleur en est un exemple : elle
n’existe pas en elle-même ; il existe seulement un spectre de longueurs d’onde
de lumière visibles, réfléchies par les objets de notre environnement. Cependant,
à partir des informations recueillies par les trois types de cônes de la rétine, le
cerveau élabore un arc-en-ciel de couleurs, avec lequel il peint le monde.
Dans ce chapitre, il est décrit comment les informations recueillies par la
rétine sont traitées par le système visuel central. La voie de la perception visuelle
consciente comprend le corps genouillé latéral (CGL) du thalamus et le cortex
visuel primaire correspondant à l’aire 17, encore dénommée aire V1 ou cortex
strié. L’information véhiculée par cette voie géniculocorticale emprunte des
canaux de traitement parallèles, spécialisés dans l’analyse des différentes carac-
téristiques des stimuli. Le cortex strié distribue ensuite l’information à plus de
deux douzaines d’aires corticales différentes, hors de la zone striée, dans les lobes
occipital, temporal et pariétal, et nombre d’entre elles semblent associées à diffé-
rents types d’analyse plus ou moins spécifiques.
Ce sont les recherches effectuées d’abord sur le chat, puis sur une espèce de
singe, le Macaca mulatta, qui ont fait le plus avancer les connaissances sur le
système visuel central. La vision joue de fait un rôle important pour la survie du
macaque dans son habitat, comme c’est le cas pour l’homme. En fait, les tests sur
les performances du système visuel des primates montrent qu’à presque tous les
niveaux leur système visuel se trouve comparable à celui de l’homme. Aussi, bien
que le contenu de ce chapitre concerne surtout l’organisation du système visuel
chez le macaque, la plupart des chercheurs du domaine s’accordent à reconnaître
qu’elle se rapproche beaucoup de ce que l’on observe dans le cerveau humain.
Les connaissances acquises sur les mécanismes de la vision ne peuvent pas
encore expliquer tous les aspects de la perception visuelle (la figure 10.1 en donne
quelques exemples intéressants), mais des progrès significatifs ont été accomplis
en trouvant la réponse à cette question fondamentale : comment les neurones
…
330 2 – Systèmes sensoriel et moteur
(a) (b)
Figure 10.1 – Illusions de perception.
(a) Ces deux tables sont de dimensions identiques et sont perçues par des zones de la rétine de taille similaire. Pour vous le prouver, comparez la
dimension de la partie verticale de la table de gauche à celle horizontale de la table de droite. Du fait de la perception en 3D d’une image en 2D,
les dimensions perçues sont très différentes. (b) Cette spirale n’est qu’illusion. Tentez de la suivre avec le doigt. (Sources : partie a adaptée de R. She-
pard, 1960, p. 48 ; partie b adaptée de J. Fraser, 1908.)
Projection rétinofuge
Les fibres du nerf optique correspondent à ce que l’on nomme la projec-
tion rétinofuge. Le suffixe fuge du latin fugere, fuir, est fréquemment utilisé en
neuroanatomie pour décrire une voie qui sort d’une structure et s’en éloigne.
Ainsi, une projection centrifuge s’éloigne du centre, une projection corticofuge
s’éloigne du cortex et la projection rétinofuge s’éloigne de la rétine.
L’exploration du système visuel central comprend l’observation du trajet de
la projection rétinofuge, depuis les yeux jusqu’au tronc cérébral de chaque côté,
ainsi que l’étude des premières étapes de l’analyse des informations recueillies,
de leur distribution et de leur traitement dans des structures spécialisées du tronc
cérébral. Puis nous nous intéresserons à la perception visuelle consciente.
Œil
Nerf optique
Chiasma optique
Hypophyse
Tractus optique
Section
du tronc cérébral
Figure 10.2 – Projection rétinofuge.
Cette représentation du cerveau vu par en dessous permet de localiser les nerfs optiques, le
chiasma optique et le tractus optique.
Point de fixation
Hémichamp Hémichamp
visuel gauche visuel droit
Œil droit
Figure 10.3 – Représentation des hémi-
champs récepteurs droit et gauche.
Nerf optique droit Les axones des cellules ganglionnaires de
Œil gauche chaque rétine responsables de la détection
Tractus des stimuli visuels dans l’hémichamp droit
Nerf optique gauche optique droit se retrouvent dans le tractus optique gauche.
De la même manière, les axones des cellules
ganglionnaires assurant la détection des
Tractus optique gauche Chiasma stimuli dans l’hémichamp visuel gauche se
optique retrouvent dans le tractus optique droit.
332 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Si on regarde droit devant soi avec les deux yeux, puis, alternativement, avec
un œil après l’autre, il apparaît que la partie centrale des deux hémichamps
visuels se forme sur les deux rétines à la fois. Cette partie de l’espace constitue
ce que l’on appelle le champ visuel binoculaire. Il est important de réaliser que
les objets situés dans la partie binoculaire de l’hémichamp visuel gauche sont
reproduits à la fois sur la rétine nasale de l’œil gauche et sur la rétine tempo-
rale de l’œil droit. Comme au niveau du chiasma optique les fibres nerveuses
de la partie nasale de la rétine gauche passent du côté droit, toute l’information
concernant l’hémichamp visuel gauche est transmise au côté droit du cerveau.
Rappelez-vous de cette règle de base : les fibres des nerfs optiques se croisent
dans le chiasma optique, de sorte que l’hémichamp visuel gauche est « perçu »
par l’hémisphère droit et l’hémichamp visuel droit par l’hémisphère gauche. Vous
devez également vous rappeler ici, du chapitre 7, qu’il existe une décussation du
faisceau pyramidal dans le tronc cérébral, de telle manière qu’un hémisphère
cérébral donné contrôle les mouvements de la partie opposée du corps. Pour des
raisons que nous ne comprenons pas, ces décussations sont communes à la fois
dans le système sensoriel et dans le système moteur.
CGL
Radiation optique
Radiation
optique
(a) (b)
Cortex visuel primaire
Section du nerf
optique gauche
Lésion du tractus
optique gauche
(a) (b)
viennent de la partie nasale des deux rétines, la partie du champ visuel perçue
par les deux rétines nasales est atteinte, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de vision péri-
phérique d’un côté ni de l’autre (Encadré 10.1). Ces déficits très caractéristiques
résultent de lésions à des niveaux parfaitement déterminés du système visuel, ce
qui permet aux neurologues et aux neuro-ophtalmologistes de définir les sites
des lésions en fonction des atteintes du champ visuel.
Cibles non thalamiques du tractus optique. Comme cela a déjà été men-
tionné, quelques cellules ganglionnaires émettent des axones qui vont innerver
d’autres structures que le CGL. Des projections directes atteignent une partie de
l’hypothalamus et jouent un rôle important dans la synchronisation d’une série
de rythmes biologiques, y compris le sommeil et l’éveil, ou associés au cycle d’al-
ternance jour-nuit (voir chapitre 19). Des projections directes atteignent aussi
une partie du mésencéphale, le prétectum, où elles participent au contrôle de
l’ouverture de la pupille et à la réalisation de certains mouvements des yeux.
Enfin, environ 10 % des cellules ganglionnaires de la rétine contactent une par-
tie du tectum (ou toit) du mésencéphale appelée le colliculus supérieur (du latin
colliculus, petite colline) (Fig. 10.6).
Le chiffre de 10 % peut paraître faible en termes de projection, mais chez
le primate cela représente tout de même environ 100 000 neurones, l’équivalent
du nombre total de cellules ganglionnaires rétiniennes chez le chat ! En fait, le
tectum représente la cible principale de la projection rétinofuge chez tous les
vertébrés non mammifères (poissons, amphibiens, oiseaux et reptiles). Dans ces
groupes de vertébrés, le colliculus supérieur est dénommé tectum optique. C’est
la raison pour laquelle la projection de la rétine sur le colliculus supérieur est
souvent dénommée projection rétinotectale, y compris chez les mammifères.
334 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Encadré 10.1 FOCUS
David et Goliath
L’histoire de David et Goliath racontée dans l’An- On peut se demander ce que vient faire cette leçon de
cien Testament est bien connue. Les armées des Philistins théologie dans un manuel de neurosciences ? La réponse
et des Israélites s’étaient rassemblées sur le champ de à cette question est que, d’après l’organisation des voies
bataille, lorsque Goliath, un Philistin, s’avança et pro- visuelles, il est possible d’expliquer comment, indépen-
posa aux Israélites de régler le conflit en envoyant le plus damment de l’intervention divine, la situation tourna au
fort parmi eux pour l’affronter dans un combat à mort. désavantage de Goliath. La taille d’un homme dépend
Goliath, semble-t-il, était un homme extrêmement fort, de l’hormone de croissance, sécrétée par le lobe anté-
mesurant près de 3 m ! Il était armé jusqu’aux dents rieur de l’hypophyse. Dans certains cas, le lobe antérieur
d’un bouclier, d’un javelot et d’une épée. Pour affronter est hypertrophié et produit un excès d’hormone, entraî-
ce géant, les israélites désignèrent David, un jeune ber- nant une croissance démesurée. La taille de ces géants
ger de petite taille, armé seulement d’une fronde et de peut atteindre environ 2,50 m.
cinq petites pierres. Voici comment la Bible raconte la L’hypertrophie de l’hypophyse désorganise la vision
scène (1 Samuel 17, 48) : normale. Rappelons que les fibres des nerfs optiques pro-
venant de chaque rétine nasale se croisent dans le chiasma
« Lorsque le Philistin se leva et s’approcha de David optique, qui butte contre la tige de l’hypophyse. Toute
pour l’affronter, David courut à toute vitesse vers la augmentation de volume de l’hypophyse comprime les
ligne de bataille pour affronter le Philistin. Puis David fibres qui décussent à ce niveau, et entraîne une perte de
plongea la main dans son sac, y prit une pierre, la lança la vision périphérique dénommée hémianopsie bitempo-
avec la fronde et frappa le Philistin en plein front ; la rale, ou rétrécissement du champ visuel (vision en tun-
pierre s’enfonça dans son front, et il tomba la face nel). Il semble que David ait pu s’approcher de Goliath
contre terre. » et en triompher car, lorsque David courut vers la ligne de
bataille, le géant l’avait complètement perdu de vue !
Thalamus
Œil
Figure 10.6 – Colliculus supérieur.
Mésencéphale
Le colliculus supérieur est localisé dans le
tectum du mésencéphale. Cette structure est CGL
impliquée dans la production des saccades
oculaires, c’est-à-dire le rapide repositionne- Colliculus
ment de l’œil dans l’orbite, par exemple pour supérieur
scanner une page lors de la lecture.
Niveau de la coupe
histologique
Thalamus
6
5
CGL gauche
6
5
CGL droit 4
6 3
5 2
4 1
3
2
1
Rétine Rétine
nasale temporale
gauche gauche
Rétine Rétine
temporale nasale
droite droite
Champs récepteurs
La figure 9.25 a décrit comment le champ récepteur d’une cellule ganglion-
naire de la rétine peut être déterminé en enregistrant l’activité du neurone et
en déplaçant un spot de lumière sur la rétine. De façon similaire, à l’aide d’une
microélectrode, il est possible d’enregistrer l’activité des neurones des corps
genouillés en réponse à des stimulations visuelles, comme dans le cas de la rétine.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 337
Ipsilatéral 5 5 K5
Type P Parvocellulaire
4 K4
Controlatéral 4
3
K3
Ipsilatéral 3
2
K2
1
Ipsilatéral 2
Type M Magnocellulaire K1
Controlatéral 1
rées au cortex. Par exemple, si nous souhaitons porter soudainement une atten-
tion particulière à une région très spécifique de notre champ visuel, nous pour-
rions renforcer cette focalisation de l’attention en supprimant les informations
provenant de zones de ce même champ visuel situées en dehors de cette région
d’intérêt particulier. Cette discussion sera reprise dans le chapitre 21 lorsque
nous évoquerons les mécanismes des processus attentionnels.
Le CGL se trouve aussi activé par des neurones du tronc cérébral dont l’ac-
tivité est associée à la vigilance et aux processus attentionnels (voir chapitres 15
et 19). L’impression de voir un éclair dans le noir ne vous a-t-elle jamais fait
sursauter ? Cette perception d’un éclair pourrait être provoquée par l’activation
directe des neurones du CGL par cette voie neuronale. Cependant, cet influx ne
déclenche pas toujours directement des potentiels d’action dans les cellules du
CGL mais il peut modifier l’amplitude des réponses du CGL aux stimuli visuels
(voir les paragraphes sur la modulation dans les chapitres 5 et 6). Le CGL ne
constitue donc pas un simple relais sur la voie neuronale qui va de la rétine au
cortex : c’est le premier endroit sur la voie de la perception visuelle où ce que
nous ressentons influence notre perception visuelle.
1 cm Aire 17 1 cm Aire 17
Scissure
calcarine
Macaque Homme
Figure 10.10 – Aire 17.
Comparaison de la représentation du cortex visuel primaire chez le macaque et chez l’homme. Les
deux schémas du haut représentent des vues latérales ; les schémas du bas, des vues médianes.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 339
Rétinotopie
La projection rétinotectale illustre une caractéristique de l’organisation géné-
rale du système visuel central nommée rétinotopie. La rétinotopie reflète une
organisation telle que des cellules voisines de la rétine transmettent des infor-
mations à des sites voisins de leurs structures-cible, dans ce cas le colliculus
supérieur et le cortex strié. Ainsi, l’organisation bidimensionnelle de la rétine est
retrouvée dans ces différentes structures (Fig. 10.11a).
Trois points importants sont à considérer dans la rétinotopie. D’abord, la
cartographie du champ visuel sur une structure où l’on retrouve une rétinoto-
pie est souvent déformée car les cellules de la rétine ne représentent pas toutes
l’espace visuel de la même façon. Ainsi, souvenez-vous du chapitre 9, qu’il y
a beaucoup plus de cellules ganglionnaires dont les champs récepteurs sont
situés dans et près de la fovéa, qu’à la périphérie. C’est pourquoi la représenta-
tion du champ visuel est déformée dans le cortex strié : les quelques degrés du
champ visuel central sont surreprésentés ou amplifiés sur la carte rétinotopique
(Fig. 10.11b). En d’autres termes, beaucoup plus de neurones du cortex strié
reçoivent des informations de la rétine centrale que de la rétine périphérique.
8 9
6 7
4 5
2 3
1
Corps strié
(couche IVC)
2
LGN 1 9
8
Œil gauche
Image
Rétine rétinienne
CGL (gauche)
(a) (b)
5
91
5
Cortex strié
Le second point dont il faut se rappeler est qu’un petit spot lumineux peut
activer de nombreuses cellules de la rétine et souvent plus encore dans la struc-
ture cible, en raison de la superposition des champs récepteurs. La projection
d’un spot lumineux sur la rétine active ainsi une large population de neurones
corticaux ; chaque neurone qui contient ce spot dans son champ récepteur est
ainsi potentiellement activé. Par conséquent, lorsqu’un point déterminé de la
rétine est stimulé par un spot de lumière, l’activité du cortex strié présente une
distribution diffuse, avec un pic correspondant à l’organisation rétinotopique.
Finalement, il faut quand même se méfier du sens du mot « cartographie ».
De fait, il n’y a pas de réelles images dans le cortex strié. Ce qu’il faut com-
prendre est bien que l’arrangement des connexions respecte une organisation
entre la rétine et le cortex V1. La perception visuelle est basée sur l’interpréta-
tion de cette activité neuronale ainsi distribuée et non sur une forme « d’instan-
tané » du monde tel qu’il est (nous reviendrons plus tard, dans ce chapitre, sur le
concept de perception visuelle).
I
II
III
B IV
α
C
β
V
VI
Substance
blanche
Cellules des différentes couches. Des neurones de formes diverses ont été
identifiés dans le cortex strié mais on insistera ici sur deux types principaux, I
caractérisés par l’aspect de leur arborisation dendritique (Fig. 10.13) : les cellules
II
étoilées épineuses, représentant de petits neurones avec des dendrites recouvertes
III
d’épines disposées en rayons autour du corps cellulaire (voir les épines den-
dritiques dans le chapitre 2) ; celles-ci sont surtout trouvées dans les deux tiers
de la couche IVC. En dehors de la couche IVC, il se trouve un grand nombre IVA
de cellules pyramidales. Ces cellules présentent aussi des dendrites couvertes
d’épines, caractérisées par la présence d’une seule grosse dendrite apicale qui se IVB
ramifie en remontant vers la pie-mère et par de nombreuses dendrites basales α
qui se projettent horizontalement. La figure 10.13 illustre la position de l’axone IVC
β
unique issu de chacune de ces cellules pyramidales.
V
Notons que la cellule pyramidale d’une couche projette ses dendrites dans
les autres couches. Pour l’essentiel, seules les cellules pyramidales envoient leur
axone en dehors du cortex strié pour former des connexions avec d’autres régions VI
du cerveau. Les axones des cellules étoilées, difficilement distinguables des den-
drites en figure 10.13, font synapse localement, à l’intérieur du cortex lui-même.
Il existe une seule exception à cette règle : elle concerne les cellules étoilées Figure 10.13 – Représentation de la mor-
épineuses de la couche IVB qui projettent vers l’aire V5 (nous en reparlerons phologie des dendrites de quelques cellules
du cortex strié.
ci-après).
Notez en particulier que les cellules pyramidales
Enfin, en plus de ces neurones épineux on trouve dans le cortex des interneu- se trouvent localisées au niveau des couches III,
rones inhibiteurs, dont les dendrites ne portent pas d’épines. Ces neurones sont IVB, V et VI, et que les petites cellules étoilées
disséminés dans tout le cortex et forment également des connexions locales. épineuses se trouvent dans la couche IVC.
5 Vers le cortex
1
2
Proline
radioactive
Figure 10.15 – Radio-autographie transneuronale.
La proline radioactive ① est injectée à l’intérieur d’un œil où elle est captée par les cellules réti-
niennes ganglionnaires ; la proline est ensuite incorporée ② dans des protéines transportées le
long des axones, jusqu’au CGL ③. À ce niveau, un peu de radioactivité diffuse hors des terminai-
sons nerveuses des cellules d’origine rétinienne et se trouve captée par les cellules du CGL ④, qui
la transportent à leur tour vers le cortex strié ⑤. Les sites marqués par la radioactivité sont révélés
par radio-autographie.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 343
I
II,III
IV Figure 10.16 – Colonnes de dominance oculaire du cortex strié.
V (a) Organisation des colonnes de dominance oculaire de la couche IV
VI
du cortex strié chez le macaque. La distribution des terminaisons axo-
niques des fibres des cellules du CGL relayant les informations issues
(a) d’un seul œil est représentée en foncé. En coupe, cette région spé-
cifique d’un seul œil apparaît comme des stries d’environ 0,5 mm de
large, dans l’aire IV. Si l’aire IV est représentée de telle manière que
les couches superficielles sont retirées, les zones de dominance ocu-
laire apparaissent, vues de dessus, comme des bandes rappelant la
peau d’un zèbre. (b) Coupe histologique au niveau de l’aire IV, traitée
par radio-autographie. Deux semaines avant la fixation des tissus, de
la proline radioactive a été injectée dans un seul œil du singe. Cette
proline radioactive a été transportée jusqu’au cortex strié, après relais
dans le CGL. La figure illustre l’ensemble des terminaisons radioactives
marquées par la proline apparaissant en blanc sur un fond sombre.
(b) (Source : LeVay et al., 1980.)
Colonne de Colonne de
dominance dominance
oculaire de oculaire
l’œil gauche de l’œil droit Figure 10.17 – Combinaison des informations issues des deux yeux
dans le cortex V1.
Les axones des neurones de la couche IVC projettent vers les couches
Couche III supérieures du cortex. La plupart des neurones de la couche III reçoivent
des informations binoculaires, à partir des deux yeux. Mais dans cette
couche III, certains neurones répondent de façon préférentielle à l’œil
Couche IVC droit (rouge) ou à l’œil gauche (bleu), ou encore de façon équivalente à
la stimulation de chacun des deux yeux (violet). Du fait des connexions
Couche VI radiales, les neurones des couches situées au-dessus et au-dessous
de la couche IV sont dominés par le même œil. Les colonnes de domi-
Information Information nance oculaire (entre les lignes pointillées verticales) contiennent des
issue de issue de neurones influencés préférentiellement par un seul œil, et les colonnes
l’œil gauche l’œil droit alternent la dominance par l’œil droit et par l’œil gauche.
344 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Taches révélées
par la cytochrome
oxydase
I
II,III
IV
V
VI
(b)
(a)
Champs récepteurs
Les champs récepteurs des neurones de la couche IVC sont similaires à ceux
des neurones magnocellulaires et parvocellulaires du CGL qui leur fournissent
les informations d’origine rétinienne. Ceci signifie qu’il s’agit généralement
de petits champs récepteurs monoculaires, de type centre-périphérie. Dans la
couche IVCα les neurones sont insensibles aux longueurs d’onde de la lumière,
alors que dans la couche IVCβ les champs récepteurs centre-périphérie sont à
opposition de couleur. En dehors de la couche IVC, d’autres types de champs
récepteurs qui ne sont pas observés dans la rétine ou dans le CGL, sont trou-
vés. Ces champs récepteurs seront décrits ci-dessous en détail, parce qu’ils per-
mettent de comprendre le rôle de V1 dans le traitement de l’information visuelle
et dans la perception visuelle.
Binocularité. Il existe une correspondance directe entre l’organisation des
connexions dans l’aire V1 et les réponses des neurones à la lumière dans les deux
yeux. Chacun des neurones des couches IVCα et IVCβ reçoit des afférences d’une
couche du CGL représentant un seul œil, gauche ou droit. Les enregistrements
électrophysiologiques confirment que ces neurones sont monoculaires, répondant
à la lumière seulement dans l’un des deux yeux. Comme nous l’avons déjà vu, les
axones qui quittent la couche IVC divergent et innervent des couches plus super-
ficielles. L’une des conséquences de cette divergence est de promouvoir le mixage
des informations provenant des deux yeux (voir Fig. 10.17). Les enregistrements
confirment cette organisation anatomique ; la plupart des neurones des couches
situées au-dessus de l’aire IVC sont binoculaires, répondant indifféremment à
la stimulation par la lumière de l’un ou l’autre œil. Les colonnes de dominance
oculaire révélées par la radio-autographie sont reflétées dans la réponse des neu-
rones de V1. Au-delà des regroupements des neurones de dominance oculaire de
la couche IVC, les neurones des couches II et III sont principalement activés par
l’œil représenté dans la couche IVC (par exemple, leur réponse est dominée par
l’un des deux yeux même si, de fait, ils sont bien binoculaires). Dans les aires où
l’on trouve une projection provenant des deux yeux relativement équivalente à
partir de l’aire IV, les neurones des couches superficielles répondent sensiblement
de la même manière à la stimulation lumineuse des deux yeux.
Dans ce cas, on parle de champs récepteurs binoculaires, ce qui signifie que
les neurones présentent chacun objectivement deux champs récepteurs, l’un
dans l’œil ipsilatéral et l’autre dans l’œil controlatéral. La rétinotopie est pré-
servée parce que les champs récepteurs d’un neurone binoculaire sont précisé-
ment situés dans la rétine, de telle manière qu’ils « regardent » le même point du
champ visuel controlatéral. La construction de ces champs récepteurs binocu-
laires est essentielle pour les animaux à vision binoculaire, tels les humains. Sans
cette propriété nous serions probablement incapables d’utiliser les informations
issues des deux yeux pour former une seule image du monde qui nous entoure,
et réaliser ainsi des actions d’une très grande précision nécessitant une vision
stéréoscopique, par exemple enfiler une aiguille.
346 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Stimulus Champ
Écran visuel récepteur
Décharge neuronale
Stimulation
visuelle
Limite du
champ visuel
Microélectrodes
permettant l’enregistrement
de l’activité des cellules
du cortex strié
(a)
même région du cortex strié. L’enregistrement a été Une autre méthode utilise l’imagerie calcique bipho-
obtenu par des techniques optiques mesurant les chan- tons in vivo, qui permet d’apprécier l’activité de milliers
gements de circulation cérébrale qui intervient suite à de neurones avec une résolution de cellule unique.
une stimulation visuelle. Cette photo est en fait la sous- Lorsqu’un neurone produit des potentiels d’action,
traction de deux images, l’une ayant été réalisée quand les canaux ioniques calciques sensibles au potentiel
l’œil droit était stimulé sélectivement, et l’autre quand il s’ouvrent et la concentration de calcium ionisé aug-
s’agissait de l’œil gauche. Par conséquent, les bandes mente dans le soma. Ces changements de concentration
foncées représentent les régions du cortex strié où de calcium ionisé peuvent être mesurés par l’introduc-
dominent les projections de l’œil gauche, et les bandes tion dans les neurones d’un colorant fluorescent sensible
blanches, complémentaires, celles où dominent les pro- au calcium. Ainsi, la fluorescence émise par le neurone
jections de l’œil droit. La figure C est une représentation est corrélée à la quantité de calcium du neurone et, par-
en fausse couleur de la préférence d’orientation, tou- tant, avec son activité électrique. Pour suivre les évolu-
jours dans la même région du cortex visuel. Quatre tions de cette activité à la fois dans l’espace et dans
images ont été recueillies, correspondant à quatre orien- le temps, la microscopie biphotonique est utilisée. La
tations choisies d’un stimulus visuel dans le champ figure D (partie supérieure) illustre une activité liée à
visuel. Chaque couleur illustre la réponse maximale une sélectivité d’orientation, obtenue à partir d’un signal
obtenue pour l’une ou l’autre de ces orientations : bleu, optique généré par le cortex visuel chez un chat. La par-
horizontal ; rouge, 45° ; jaune, vertical ; vert, 135°. tie inférieure de la figure D illustre l’activité de neurones
Conformément à ce qui a été observé avec les techni individuels en réponse à une stimulation lumineuse
ques d’enregistrement électrophysiologiques (Fig. 10.21), impliquant une sélectivité d’orientation. Les colonnes
dans certaines régions du cortex visuel primaire, l’orien- d’orientation sont visibles à partir de l’agglutination de
tation change progressivement avec la direction du sti- neurones de couleur similaire. Les résultats confirment
mulus. Les techniques d’enregistrement optique, cepen- ceux obtenus par d’autres méthodes d’imagerie optique.
dant, révèlent en plus que l’organisation corticale fondée Ainsi les cellules présentant des sélectivités d’orientation
sur l’orientation est beaucoup plus complexe que ne le différentes sont-elles organisées dans des regroupements
suggère le pattern un peu idéalisé des « colonnes » paral- particuliers, confirmant à l’échelon cellulaire les don-
lèles. nées de l’imagerie optique.
Trajectoire de l’électrode
– 30 1 mm
– 60
II, III
Figure 10.21 – Corrélation de l’activité des
neurones du cortex strié avec l’orientation
90 du stimulus dans le champ visuel.
IV
60 Lors de la pénétration tangentielle d’une élec-
V
Orientation (en degrés)
Stimulus visuel
Champ Champ
récepteur Direction du Direction du récepteur
déplacement déplacement
ON
Stimulus
OFF Neurones du CGL
(a) Champ récepteur
d’une cellule simple
(b) Neurone de la couche IVCα
trois neurones du CGL ou plus, avec des champs récepteurs alignés selon un seul
axe (Fig. 10.23b). Hubel et Wiesel ont nommé ces neurones cellules simples. La
ségrégation des régions ON et OFF constitue alors un critère d’identification des
cellules simples, et c’est cette propriété de leur champ récepteur qui leur confère
leur sélectivité d’orientation.
D’autres neurones à orientation sélective de V1 ne présentent pas de telles
régions ON et OFF et, par conséquent, ne sont pas considérés comme cellules
simples. Hubel et Wiesel les ont nommées cellules complexes parce que leurs
champs récepteurs apparaissent effectivement plus complexes que ceux des cel-
lules simples. Les cellules complexes produisent des réponses de type ON ou OFF
à des stimuli présentés sur l’ensemble du champ visuel (Fig. 10.24). Les auteurs
ont alors proposé que la décharge de ces cellules complexes était construite à
partir de quelques neurones à décharge simple. Toutefois cette hypothèse fait
toujours débat.
Les cellules simples et complexes sont typiquement binoculaires et sensibles
à l’orientation du stimulus. Différents neurones présentent une gamme de sensi-
bilité à la couleur et à la direction du mouvement.
Stimulus
visuel
Champ
récepteur
Éclairement
ON
OFF
Enregis-
trement
de l’activité
neuronale
Temps
V1
Taches
II
III
Système
du lobe pariétal MST
(dorsal) MT (V5)
V3A
V3
V1
V2
(a) V4
Aires impliquées dans Figure 10.28 – Aires visuelles du cortex
la reconnaissance des visages humain.
et des objets (a) Par rapport au singe, les aires visuelles
du cortex humain sont déplacées de telle
manière qu’elles sont présentes vers la partie
médiale interhémisphérique du lobe occipital,
et un grand nombre d’entre elles sont enfouies
dans des sillons. Les aires les plus proches
de l’information rétinienne, V1, V2, V3, V3A et
V4, présentent une organisation rétinotopique.
Les aires visuelles situées au-delà dans le lobe
temporal, et impliquées dans la reconnais-
sance des visages et des objets, ne sont pas
rétinotopiques. (b) Une variété d’aires corti-
cales répondant au déplacement des objets
sont présentes sur la partie latérale du cortex.
V5 (perception La plus étudiée de ces aires connue en tant
du déplacement que aire V5 est également dénommée aire MT.
(b)
des objets) (Source : Zeki, 2003, Fig. 2.)
Les propriétés des neurones du système dorsal sont très similaires à celles
des neurones magnocellulaires de V1. De même, les neurones du système ventral
présentent des réponses dont les caractéristiques sont proches de celles des neu-
rones de la région des taches et des régions intertaches de V1. Cependant, chaque
système extrastrié reçoit des informations issues de toutes les voies alimentant le
cortex visuel primaire.
Système dorsal
Les aires corticales contribuant au système dorsal ne sont pas organisées
de façon strictement sérielle, mais plutôt apparaissent comme des aires où se
développent progressivement des représentations de plus en plus complexes ou
spécialisées du monde visuel. Les projections issues de V1 s’étendent aux aires
dites V2 et V3. Nous reviendrons sur le rôle de ces aires corticales.
Aire MT. Il y a de plus en plus d’évidences qu’une aire dite V5, ou aire MT
de par sa localisation dans le lobe temporal moyen (MT pour medial temporal),
contribue de façon prépondérante à la perception du mouvement. La localisa-
tion de l’aire MT du cortex humain est représentée en figure 10.28b. L’aire MT
reçoit des projections d’un certain nombre d’aires corticales, selon une orga-
nisation rétinotopique ; parmi celles-ci, V2 et V3 ou encore la couche IVB du
cortex strié. Souvenez-vous que la couche IVB est caractérisée par des cellules
à champ récepteur large, qui présentent des réponses de caractère phasique aux
stimuli lumineux et une sélectivité de direction. Les neurones de l’aire MT sont
également des cellules à champ récepteur large et répondent au mouvement avec
une grande sélectivité de direction. Ainsi l’aire MT est caractérisée par le fait que
presque toutes les cellules sont sensibles à la direction du mouvement, contrai-
rement aux aires qui précèdent dans le système dorsal ou à n’importe quelle aire
du système ventral.
356 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Système ventral
Parallèlement au système dorsal, à partir des aires V1, V2 et V3, une infor-
mation chemine ventralement vers le lobe temporal. Ce système paraît spécialisé
dans l’analyse des autres caractéristiques de la vision que le mouvement.
Aire V4. L’aire V4 est l’une des aires du système ventral parmi les mieux
étudiées du système visuel (voir Fig. 10.27b et 10.28a pour la localisation de
l’aire V4 dans le cerveau du singe et celui de l’homme). L’aire V4 reçoit des
informations issues de la région des taches et des zones intertaches du cortex
strié, via un relais dans V2. Les neurones de V4 présentent des champs récep-
teurs plus larges que ceux du cortex strié, et de nombreuses cellules sont à la fois
sensibles à l’orientation et à la couleur. Il existe de grandes spéculations sur le
rôle de cette aire mais les idées les plus généralement admises impliquent son
intervention dans la reconnaissance des formes et des couleurs. Si cette aire est
lésée expérimentalement chez le singe, les déficits portent effectivement sur la
reconnaissance de la forme et de la couleur.
Il existe un syndrome clinique rare chez l’homme, dénommé achromatopsie,
caractérisé par une perte partielle ou totale de la vision de couleurs en dépit de
cônes tout à fait normaux au niveau de la rétine. Les patients décrivent ainsi
leur environnement comme terne, formé seulement de nuances de gris. Imaginez
dès lors combien une banane grise serait peu appétissante ! Parce que l’achro-
matopsie est liée à une lésion des aires corticales des lobes occipitaux et tempo-
raux sans atteinte de V1, du CGL ou de la rétine, ce syndrome suggère que le
système ventral intervient dans la perception des couleurs. En rapport avec la
coexistence de cellules sensibles à la couleur et la forme dans le système ventral,
l’achromatopsie est généralement associée à une altération de la reconnaissance
de la forme des objets. Certains chercheurs ont alors proposé que V4 joue un rôle
crucial dans les deux processus de reconnaissance de la forme et de la couleur,
même s’il existe encore un débat pour savoir si c’est bien l’aire V4 qui est atteinte
dans l’achromatopsie humaine où les lésions ne sont en général pas limitées à
l’aire V4.
Aire IT. Après l’aire V4 on trouve d’autres aires dans le système ventral
qui présentent des cellules avec des champs récepteurs complexes. Une sortie
majeure de l’aire V4 est l’aire IT, qui se situe dans le cortex inférotemporal
(voir Fig. 10.27b et Fig. 10.28a). L’une des raisons pour laquelle l’étude de cette
aire suscite un très large intérêt est qu’elle apparaît comme étant la dernière aire
impliquée dans le traitement de l’information visuelle dans le système ventral.
Une large variété de couleurs et de formes géométriques simples sont des stimuli
efficaces pour stimuler les neurones de l’aire IT. Comme cela sera décrit dans
le chapitre 24, cette aire corticale paraît jouer un rôle critique à la fois pour la
perception visuelle et pour les processus liés à la mémoire visuelle. De fait, la
reconnaissance d’un objet implique clairement à la fois de bien le percevoir mais
aussi de le comparer à ce que l’on connaît déjà.
L’une des découvertes les plus intrigantes en ce qui concerne l’aire IT est
qu’un faible pourcentage de ses neurones répond spécifiquement à la présen-
358 2 – Systèmes sensoriel et moteur
tation des visages, comme cela fut décrit initialement par Charles Gross et ses
collaborateurs à Princeton University. Ces cellules peuvent aussi répondre à
d’autres stimuli visuels que des visages, mais ce sont ces derniers et quelques-uns
en particulier, qui donnent les réponses les plus importantes.
Les observations chez le singe sont en accord avec des données obtenues chez
l’homme grâce à l’IRMf. Nancy Kanwisher et ses collègues au MIT ont décou-
vert l’existence dans le cerveau humain d’une toute petite zone impliquée dans
la perception des visages (Encadré 10.3). Cette région est située dans le gyrus
fusiforme et se trouve souvent dénommée aire fusiforme des visages (Fig. 10.29a).
Une telle région cérébrale joue-t-elle un rôle particulier dans la capacité des
humains à reconnaître les visages, ce qui représente un intérêt considérable pour
les humains ? Au-delà, la découverte de ces neurones qui répondent à la présen-
tation d’images de visages présente beaucoup d’intérêt, notamment parce que les
neuropsychologues connaissent bien un syndrome dans lequel les patients ont
des difficultés à reconnaître les visages, dénommé prosopagnosie, alors même que
la vision est normale. Ce syndrome rare résulte en général d’un accident vascu-
laire, et il est associé à des lésions des aires extrastriées du cortex visuel, incluant
possiblement l’aire fusiforme des visages.
stimuli. Afin d’avoir suffisamment de photos de visages, Sugita de la Japan Science and Technology Agency, a
Marvin, Josh et moi-même nous sommes rendus au montré que des singes qui n’avaient pas été exposés à des
bureau des inscriptions d’Harvard, où les nouveaux ins- congénères pendant les deux premières années de leur
crits devaient y déposer une photo d’identité. Nous développement, révélaient dès la première expérience
avons demandé l’autorisation d’utiliser ce registre de des capacités de discrimination des visages, suggérant
photos pour notre expérience et nous avons étudié l’ac- que l’apprentissage des visages n’est pas nécessaire pour
tivité cérébrale de sujets auxquels ces visages étaient le développement de l’aire fusiforme.
présentés avec, à titre d’expérience de contrôle, la pré- Notre décision initiale de travailler sur la reconnais-
sentation de toutes sortes d’objets communs. sance des visages était d’ordre pragmatique, il nous fallait
A notre immense satisfaction, nous avons montré que obtenir très vite des résultats, et cela a fonctionné. Mais la
chez presque tous les sujets étudiés la présentation des découverte dont je suis la plus fière fut celle que nous
visages se traduisait par l’activation d’une région très avons faite plus tard, de façon totalement inattendue, sur
particulière du cerveau, dans la partie latérale du gyrus les cellules de place de l’aire parahippocampique, alors
fusiforme, principalement dans l’hémisphère droit. Les que je travaillais avec Russell Epstein, puis avec Paul
analyses statistiques ont démontré que l’activation liée à Downing sur l’aire de représentation du corps extrastriée.
la présentation des visages était très supérieure à celle Et plus étonnant encore furent pour moi les résultats
obtenue par la présentation des objets. Toutefois, la obtenus par Rebecca Saxe, d’une région du cerveau liée à
région activée n’était pas exactement la même chez tous la simple évocation d’une personne particulière sans pré-
les sujets. Pour tenter d’expliquer cette variabilité anato- sentation de sa photo (ma seule contribution fut de lui
mique et pour rendre notre démonstration incontestable, dire que cette expérience ne marcherait jamais…).
nous avons divisé en deux lots les résultats obtenus chez Ces données montrent que l’esprit humain et le cer-
chacun des sujets. La moitié des résultats était dévolue à veau comportent au moins quelques éléments très spéci-
préciser la région activée par la présentation des visages fiques dévolus à la résolution de problèmes très particu-
par rapport à celle liée à la présentation des objets, et liers. Ces découvertes ouvrent un champ d’investigation
l’autre moitié à quantifier l’amplitude de la réponse dans considérable pour aborder de nouvelles questions.
cette région. Cette méthode avait déjà été utilisée avec Comment des représentations aussi précises s’orga-
succès par des chercheurs intéressés par les aires visuelles nisent dans les aires cérébrales ? Comment sont-elles
situées en amont. Il n’a pas été difficile de franchir le pas encodées par les connexions neuronales ? Quelles autres
pour étendre ce type d’analyse aux aires corticales impli- régions aussi spécialisées existe-t-il ? Comment ces
quées plus loin dans la perception visuelle. régions particulières se mettent-elles en place au cours
Bien entendu, vouloir démontrer qu’une région céré- du développement ? Pour quelle raison certains proces-
brale particulière du cerveau répond sélectivement à la sus mentaux prennent-ils une telle place dans le cerveau
présentation de visages, nécessite plus que la simple humain alors que ce n’est pas le cas d’autres processus
démonstration que celle-ci répond davantage à ce type tout aussi intéressants ? Tels sont les enjeux fascinants
de stimulus qu’à un autre type d’objet. Au cours des dans ce domaine de la recherche de demain.
années qui ont suivi, notre équipe (et d’autres équipes,
en particulier Greg McCarthy et Aina Puce à Yale
University) a testé cette hypothèse de la spécificité de
reconnaissance des visages parmi différentes autres
hypothèses. L’aire fusiforme des visages a finalement
passé tous ces tests avec succès (Fig. A).
D’autres équipes ont utilisé des méthodes différentes
de la nôtre. Ils ont contribué à des découvertes éton-
nantes qui ont considérablement accru notre connais-
sance de cette aire fusiforme. Après avoir démontré par
IRMf l’existence d’une telle aire chez le singe, Doris
Tsao et ses collègues à Harvard ont, par exemple, démon- AFV
tré que la vaste majorité des cellules de cette région
répond quasiment exclusivement à la présentation des
visages. (Je n’avais quant à moi jamais imaginé une telle
AVO
sélectivité !). David Ritcher et ses collègues à l’Univer-
sity College London, ont produit une brève disruption de
l’activité de cette région cérébrale par stimulation Figure A – Représentation de l’aire fusi-
magnétique transcrânienne, prouvant ainsi que cette forme des visages (AFV) de Nancy ;
région est effectivement nécessaire à la perception des AVO = aire des visages occipitale.
visages (mais pas à celle des objets). Finalement Yoichi (Source : courtoisie de Nancy Kanwisher.)
360 2 – Systèmes sensoriel et moteur
anterior
AFP2 AFP2
FFA FFA
OFA OFA
1 cm
(a) (b)
Les données les plus récentes ont révélé qu’il existe en fait environ une
demi-douzaine d’aires corticales, dans et autour de l’aire IT, particulièrement
sensibles à la présentation des visages. De plus, les neurones de ces régions pré-
sentent différents degrés de sensibilité aux visages et répondent aussi différem-
ment selon l’angle de présentation du visage (par la gauche, par la droite, de face
ou par-dessus) (Fig. 10.29b). Ceci implique que le processus de reconnaissance
des visages pourrait mobiliser de nombreuses aires corticales incluant une partie
de l’aire IT. D’autres études d’imagerie fonctionnelle chez l’homme montrent
aussi que d’autres aires corticales pourraient de la même manière être impliquées
dans la représentation des couleurs ou encore d’objets biologiques.
Encadré 10.4 FOCUS
+ =
Dans un autostéréogramme l’« effet papier peint » toujours pas aujourd’hui ce qu’il se passe dans le cortex
est combiné avec l’illusion créée par les points ou les visuel pour extraire cette image de ce patchwork, mais
taches pour créer des bandes verticales contenant un probablement ce processus implique l’activation bino-
pattern de points apparemment disposés au hasard. culaire de neurones du cortex visuel.
L’information sur la profondeur de l’image est donnée
par la position des points et la fréquence de répétition
du pattern. Pour percevoir une image dans ces condi-
tions, vous devez bouger vos yeux de telle manière que
votre regard accroche les bandes à la base de la répéti-
tion du motif. Par exemple, pour voir une tête en 3D sur
la figure C, vous devez relaxer vos muscles oculaires de
telle manière que l’œil gauche voit un motif à gauche, et
votre œil droit, un autre motif à droite en s’alignant sur
les points en haut de l’image. Vous saurez que ça marche,
quand vous verrez un troisième point se former en haut
de l’image. Dans ces conditions continuez à vous relaxer
et vous verrez apparaître le motif recherché.
L’une des choses les plus fascinantes avec les stéréo-
grammes est que vous pouvez percevoir l’image pendant
des secondes voire des minutes, jusqu’à ce que vos yeux
ne puissent plus maintenir leur position « anormale » et
que, par conséquent, le cortex visuel ne perçoive plus
cette image imposée par la correspondance entre les Figure C – Autostéréogramme.
images fournies à partir des deux yeux. Nous ne savons (Source : Horibuchi, 1994, p. 54.)
Cortex visuel
inférotemporal Visage
? Grand-mère
Bien que cela ne soit en aucun cas établi, il y a plusieurs arguments qui vont à
l’encontre de cette théorie selon laquelle la perception est fondée sur des champs
récepteurs d’une spécificité telle que les neurones ne répondraient qu’à la per-
ception de la grand-mère. Tout d’abord, des enregistrements ont été réalisés dans
une grande partie du cerveau de singe, et il n’y a pas d’évidence pour que les
cellules de telle ou telle région soient spécialisées dans la reconnaissance spéci-
fique de l’un ou l’autre des milliers d’objets ou de personnes dont nous sommes
entourés et que nous sommes capables d’identifier. Deuxièmement, une telle spé-
cialisation irait à l’encontre du principe général d’une information diffuse, qui
paraît la règle dans le système nerveux. Les photorécepteurs répondent à une
large gamme de longueurs d’onde ; les cellules simples répondent à plusieurs
orientations ; les cellules de MT répondent au mouvement dans plusieurs direc-
tions ; et les cellules qui reconnaissent les visages répondent en général à plu-
sieurs visages à la fois. De plus, les cellules qui paraissent sélectives de l’une ou
l’autre de ces propriétés (orientation, couleur, mouvement, etc.) répondent aussi
un peu aux autres propriétés. Par exemple, si nous focalisons notre attention
sur les cellules de V1 qui répondent à une orientation préférentielle du stimulus
visuel de telle manière qu’elles sont impliquées sans doute dans la détection de
la forme du stimulus, nous ne faisons que négliger le fait que ces mêmes cellules
peuvent aussi répondre sélectivement à la taille de l’objet, la direction de son
mouvement, etc. Finalement, il serait beaucoup trop « risqué » pour le système
nerveux de dépendre d’une trop grande sélectivité : un coup sur la tête pourrait
instantanément détruire les cinq cellules « de la grand-mère » et faire qu’en un
instant on ne serait plus capable de la reconnaître… Nous poursuivrons cette
discussion lorsque nous aborderons les mécanismes de l’apprentissage et de la
mémoire dans les chapitres 24 et 25.
364 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Conclusion
Dans ce chapitre ont été présentées les grandes lignes de l’organisation géné-
rale de la voie sensorielle de l’œil au thalamus et au cortex. La modalité senso-
rielle appelée la vision se divise, en fait, en un certain nombre de sous-fonctions
liées à la détection de la couleur des objets, de leur contraste, de leur forme,
ou de leur mouvement, qui sont traitées parallèlement par différents groupes
de cellules du système visuel. Le traitement de l’information dans le système
visuel suppose une stricte ségrégation des informations au niveau du thalamus,
une forme de convergence des informations relativement limitée encore dans
le cortex strié, et finalement une divergence de l’information massive dans les
aires corticales supérieures. La nature distribuée de l’analyse corticale de l’in-
formation visuelle est sans aucun doute encore sous-estimée, si on considère que
la projection d’un million de cellules ganglionnaires de la rétine peut solliciter
l’activité de beaucoup plus d’un milliard de neurones corticaux dans les lobes
pariétal, occipital et temporal ! Sans que cela soit bien clair, l’activité corticale,
largement distribuée, se combine pour amener à une perception unique et conti-
nue de l’espace visuel.
Le système visuel constitue un modèle d’organisation à retenir. Comme on le
verra plus loin, les principes de base de l’organisation de ce système – traitement
parallèle des informations, représentation topographique des surfaces senso-
rielles, relais synaptiques dans la partie dorsale du thalamus, modules corticaux et
multiples représentations corticales – sont des caractéristiques que l’on retrouve
dans d’autres systèmes sensoriels, tels que ceux relatifs à l’audition et au toucher.
QUESTIONS DE RÉVISION
OREILLE MOYENNE
Constituants de l’oreille moyenne....................................................... 371
Rôle des osselets dans l’amplification du son...................................... 372
Réflexe d’atténuation......................................................................... 373
OREILLE INTERNE
Anatomie de la cochlée....................................................................... 374
Physiologie de la cochlée.................................................................... 375
Encadré 11.2 Focus Comment les sourds peuvent entendre :
les implants cochléaires
Encadré 11.3 Focus Lorsque l’oreille produit des sons :
les émissions otoacoustiques
MÉCANISMES CENTRAUX
DE L’AUDITION
Anatomie des voies auditives.............................................................. 385
Propriétés des neurones de la voie auditive......................................... 387
CODAGE DE L’INTENSITÉ ET
DE LA FRÉQUENCE SONORES
Intensité du stimulus.......................................................................... 388
Fréquence du stimulus, tonotopie et corrélation de phase................... 388
Encadré 11.4 Les voies de la découverte Capturer le rythme,
par Donata Oertel
MÉCANISMES
DE LA LOCALISATION
DES SONS DANS L’ESPACE
Localisation des sons dans le plan horizontal...................................... 392
Localisation des sons dans le plan vertical........................................... 396
CORTEX AUDITIF
Caractéristiques des réponses neuronales........................................... 397
Conséquences de lésions ou de l’ablation du cortex auditif................. 398
Encadré 11.5 Focus Mais comment fonctionne le cortex auditif ?
Consultez un spécialiste !
Encadré 11.6 Focus Les troubles auditifs et leurs traitements
SYSTÈME VESTIBULAIRE
Appareil labyrinthique........................................................................ 401
Organes otolithiques.......................................................................... 403
Canaux semi-circulaires...................................................................... 405
Voies vestibulaires centrales et réflexes vestibulaires........................... 406
Pathologie vestibulaire........................................................................ 409
CONCLUSION
INTRODUCTION
D
ans ce chapitre, nous décrirons deux systèmes sensoriels aux fonctions
très différentes, mais présentant des analogies surprenantes en termes
de structure et de mécanismes : il s’agit du sens de la perception des
sons ou audition et de celui du maintien de l’équilibre, qui dépend du système
vestibulaire. L’audition est partie intégrante de notre vie et à tout instant on peut
constater son utilité. En revanche, le maintien de l’équilibre se fait de façon tota-
lement inconsciente mais il est tout aussi important dans notre vie quotidienne.
Si un objet n’est pas visible, il est parfois possible d’en détecter la présence,
d’identifier son origine et jusqu’à en recevoir des messages par le son qu’il
produit. Tous ceux qui ont effectué des randonnées en forêt dans une zone où
vivent des ours ou des serpents savent combien le bruit de feuilles froissées attire
l’attention. En percevant un son il est souvent possible d’en identifier la source
et la direction, ce qui représente une information importante s’il faut se dépla-
cer rapidement dans cette direction. Non seulement les sons sont détectables
et localisables mais ils présentent aussi des nuances que l’on peut distinguer.
L’aboiement d’un chien, la voix d’un ami, le bruit d’une vague qui se brise, sont
immédiatement reconnus. L’homme ayant la faculté de produire et d’entendre
une grande variété de sons, le langage parlé et sa perception à travers le système
auditif sont aussi devenus un moyen de communication très important entre les
individus. Chez l’homme, l’audition s’est développée bien au-delà des simples
fonctions utilitaires de communication et de survie : par exemple, à la façon des
artistes qui ont recours aux médias visuels, les musiciens étudient les sensations
et les émotions provoquées par les sons.
Contrairement à l’audition, le sens de l’équilibre représente un processus
personnel, strictement interne. Le système vestibulaire informe le cerveau de la
position de notre tête et de notre corps, plus généralement, et de la façon dont ils
se déplacent. Cette information est utilisée de façon inconsciente pour contrôler
automatiquement la musculature du corps et procéder aux ajustements néces-
saires pour le maintien de la position debout. Elle intervient aussi pour permettre
le maintien de cet équilibre pendant le mouvement, ou encore pour permettre les
ajustements des mouvements des yeux qui assurent la stabilité de notre monde
visuel sur notre rétine, même lorsque notre tête bouge dans tous les sens.
Ce chapitre décrit d’abord les mécanismes qui, dans l’oreille et le cerveau,
transforment les sons de notre environnement en messages nerveux signifiants
pour l’individu. Cette transformation s’effectue en plusieurs étapes. À l’intérieur
de l’oreille interne, des récepteurs auditifs convertissent l’énergie mécanique du
son en réponse neuronale. De même en ce qui concerne les récepteurs du sys-
tème vestibulaire, qui captent les mouvements de la tête, dont les caractéristiques
principales seront décrites à la fin de ce chapitre. Aux autres niveaux de ces
systèmes sensoriels, dans le tronc cérébral et le thalamus, les signaux provenant
des récepteurs sont intégrés avant d’atteindre le cortex auditif ou le cortex ves-
tibulaire. Les caractéristiques de la réponse des neurones aux différents niveaux
de ces voies sensorielles reflètent les relations existant entre l’activité du système
auditif et la perception du son, ou encore du système vestibulaire et du sens de
l’équilibre.
368 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Nature du son
Le son est produit par les variations perceptibles de la pression de l’air. À
peu près tout ce qui se déplace peut générer un son : des molécules, les cordes
vocales du larynx, la vibration de la corde d’une guitare ou le crépitement du
feu. En se déplaçant dans un espace donné, les objets compriment l’air, ce qui
accroît la densité des molécules. Inversement, l’air devient moins dense dans cet
espace lorsqu’un objet s’en éloigne. Cet effet est particulièrement facile à visuali-
ser avec un haut-parleur dans lequel un cône de papier fixé à un aimant émet des
vibrations en rentrant et sortant, ce qui comprime et raréfie l’air, alternativement
(Fig. 11.1). Ces changements de la pression de l’air se propagent à distance du
haut-parleur à la vitesse du son, soit environ 343 m/s dans l’air à température
ambiante.
De nombreuses sources sonores, telles que les vibrations des cordes d’un vio-
lon ou celles d’un haut-parleur retransmettant le son d’un instrument à cordes,
produisent des variations rythmiques de la pression de l’air. La fréquence du son
est le nombre de compressions et de phases de détente de l’air qui atteignent
l’oreille en une seconde. Un cycle sonore correspond à la distance entre deux
plages successives, par exemple de compression de l’air ; la fréquence du son,
exprimée en hertz (Hz), est le nombre de cycles par seconde. Les ondes sonores se
propageant toutes à la même vitesse, avec les ondes à haute fréquence les plages
de compression et de détente de l’air sont plus nombreuses pour un même espace
qu’avec les ondes à basse fréquence (Fig. 11.2a).
Le système auditif est assez performant pour percevoir les sons d’une fré-
quence de 20 Hz à 20 000 Hz (bien que cet ordre de fréquences perceptibles dimi-
nue significativement avec l’âge et l’exposition au bruit, spécialement dans le cas
des plus hautes fréquences). C’est la fréquence qui détermine la perception d’un
son comme de tonalité haute ou basse. Pour rapprocher la notion de fréquence
d’exemples familiers, rappelons que la fréquence de la vibration d’une note basse
d’un orgue est d’environ 20 Hz, et que la fréquence de celle d’une note aiguë d’un
Haut-
parleur Phase de compression de l’air
Un Distance
cycle
Pression de l’air
ondes sonores.
Chacun des diagrammes représente la pres-
sion de l’air en fonction de la distance pour un
son de fréquence et d’intensité constantes.
Notez que l’axe des abscisses représente
(a) aussi le temps du fait du caractère constant
Faible intensité Forte intensité de la vitesse du son. (a) La fréquence corres-
pond au nombre de cycles du son par unité
Pression de l’air
piccolo est d’environ 10 000 Hz. Bien qu’une large gamme de fréquences soit per-
ceptible par l’oreille humaine, il existe des ondes sonores de basse fréquence et de
haute fréquence que l’oreille ne peut cependant pas entendre, comme il existe des
ondes lumineuses électromagnétiques que l’œil ne peut pas voir (Encadré 11.1).
Encadré 11.1 FOCUS
Ultrasons et infrasons
Les ultrasons (les sons situés au-dessus des 20 kHz Bien que l’oreille ne soit pas sensible aux fréquences
qui représentent la limite des sons perceptibles par les plus basses, elles existent néanmoins dans notre
l’homme) sont bien connus car ils sont couramment uti- environnement, et nous pouvons parfois les ressentir
lisés, que ce soit pour les appareils de nettoyage à ultra- comme des vibrations à l’aide de notre système soma-
sons ou pour l’imagerie médicale. De nombreux ani- tosensoriel (voir chapitre 12). Les infrasons sont pro-
maux peuvent entendre ces hautes fréquences. Par duits par des appareils tels que les climatiseurs, les
exemple, les sifflets à chien sont utiles car le chien peut chaudières, les avions ou encore les voitures, et ils
percevoir des fréquences d’environ 45 kHz. Quelques peuvent avoir des effets désagréables inconsciemment.
chauves-souris émettent des sons à des fréquences supé- Ces infrasons intenses ne provoquent pas de surdité,
rieures à 100 kHz, puis écoutent leur écho pour localiser mais ils peuvent provoquer des malaises, des nausées et
les objets (voir Encadré 11.5). Quelques poissons de la des maux de tête. Beaucoup de voitures produisent un
famille du hareng ou de l’alose peuvent détecter des sons son à basse fréquence en roulant rapidement, ce qui
de l’ordre de 180 kHz, ce qui leur permet une écholo provoque des nausées chez les personnes sensibles. À un
calisation des ultrasons générés par les dauphins qui niveau très élevé, le son à basse fréquence peut aussi
veulent en faire leur proie. Évidemment, les dauphins produire des résonances dans les cavités du corps,
peuvent aussi entendre leurs propres cris ultrasoniques. comme le thorax ou l’estomac, susceptibles de provo-
De façon similaire enfin, quelques lépidoptères noc- quer une atteinte des organes internes. À côté des appa-
turnes entendent les ultrasons des chauves-souris affa- reils, le corps lui-même émet des sons à basse fréquence
mées, ce qui leur permet d’échapper à leurs prédateurs. imperceptibles. Lorsque la longueur du muscle change,
Les infrasons, ou sons à basse fréquence, inférieure à les fibres vibrent individuellement en produisant des
20 Hz environ, sont moins connus. Quelques animaux sons à basse fréquence d’environ 25 Hz. Bien que ces
perçoivent pourtant ces fréquences ; l’éléphant, par sons soient généralement imperceptibles, on peut en
exemple, perçoit des tonalités de 15 Hz, imperceptibles faire l’expérience en mettant avec précaution les pouces
pour l’homme. Les basses fréquences sonores émises par dans les oreilles et en refermant la main. Le poing serré,
les baleines paraissent ainsi être un moyen de communi- on entend un grondement sourd produit par la contrac-
cation à distance. La terre émet aussi des vibrations à tion des muscles de l’avant-bras. D’autres muscles, y
basse fréquence, et il est possible que quelques animaux compris le cœur, émettent un son imperceptible, à des
soient assez sensibles pour ressentir l’imminence d’un fréquences proches de 20 Hz.
tremblement de terre à travers ces sons.
370 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Une autre propriété importante du son est à prendre en compte : son intensité,
c’est-à-dire l’amplitude de la variation de pression mesurée entre le maximum
de compression et celui de la phase de détente de l’air (Fig. 11.2b). L’intensité du
son détermine le niveau du son perceptible, les sons plus forts ayant une intensité
plus élevée. La sensibilité de l’oreille à l’intensité est étonnante ; le son le plus fort
que l’homme peut percevoir sans risque pour l’oreille est un milliard de milliard
de fois plus élevé que le son perceptible le plus faible. Si l’oreille était encore plus
sensible, on entendrait le ronronnement constant du mouvement erratique des
molécules d’air.
Dans la réalité, les sons présentent rarement une seule fréquence et une seule
intensité. C’est la combinaison simultanée d’ondes sonores de fréquences et d’in-
tensités différentes qui confère aux instruments de musique et à la voix humaine
leurs tonalités uniques.
Oreille
moyenne
Oreille Oreille
externe interne
Osselets Fenêtre
ovale
Cochlée
Canal Membrane
Pavillon auditif tympanique
cochlée, remplie d’un fluide qui constitue le système générant une réponse ner-
veuse aux vibrations de la membrane placée sur la fenêtre. Les premiers stades
de la voie auditive se déroulent donc de la façon suivante :
Les ondes sonores font vibrer la membrane du tympan →
Le tympan fait vibrer les osselets →
Les osselets transmettent les vibrations à la membrane de la fenêtre
ovale →
Cortex auditif Cortex visuel
Ces vibrations se transmettent au fluide de la cochlée →
La vibration du fluide contenu dans la cochlée génère la réponse
des neurones sensoriels.
CGM CGL
Toutes ces structures, du pavillon à l’oreille interne, forment les différents élé-
ments de l’oreille, laquelle se compose de trois parties : les structures comprises
entre le pavillon et le tympan forment l’oreille externe ; le tympan et les osselets
Neurones Autres neurones
forment l’oreille moyenne ; et l’appareil auditif interne par rapport à la fenêtre rétiniens
du tronc cérébral
ovale, forme l’oreille interne.
La réponse générée par l’appareil auditif de l’oreille interne est ensuite trans-
mise et analysée dans une série de noyaux du tronc cérébral. Cette analyse est
Récepteurs auditifs Photorécepteurs
alors transmise au thalamus, au corps genouillé médian, ou CGM, qui sert de de la cochlée de la rétine
relais vers le cortex. De fait, le CGM se projette sur le cortex auditif primaire
ou A1, situé dans le lobe temporal. Le système sensoriel auditif est ainsi un peu
Figure 11.4 – Comparaison des voies audi-
plus complexe que le système visuel car il y a plus d’étapes intermédiaires entre tives et visuelles.
les récepteurs et le cortex. Cependant, ces systèmes présentent des constituants À partir des récepteurs sensoriels, les deux
analogues, y compris les récepteurs sensoriels, des phases d’intégration précoces systèmes présentent des étages d’intégration
(situées dans la rétine pour le système visuel), l’existence d’un relais dans le tha- précoce, un relais thalamique et une projec-
lamus et une aire corticale sensorielle (Fig. 11.4). tion vers le cortex cérébral.
Oreille moyenne
L’oreille externe conduit le son jusqu’à l’oreille moyenne, une cavité rem-
plie d’air contenant tous les premiers éléments sensibles au son. Dans l’oreille
moyenne, les variations de pression font vibrer les osselets, ce qui correspond à la
première étape de la transformation de l’énergie sonore. Cette section du chapitre
décrit les mécanismes de transformation de l’énergie sonore par l’oreille moyenne.
Base de l’étrier
au niveau
de la fenêtre ovale
Cochlée
Trompe
d’Eustache
Canal Tympan
auditif
Figure 11.5 – Oreille moyenne.
Comme cela est indiqué par les flèches, lorsque la base du marteau est repoussée vers l’intérieur
par le tympan, l’action de levier exercée par les osselets sur la partie plate de l’étrier repousse à
son tour la fenêtre ovale. La pression développée sur la fenêtre ovale est supérieure à celle exercée
sur le tympan, en partie parce que la surface de la partie plate de l’étrier est plus réduite que celle
du tympan.
Réflexe d’atténuation
Deux muscles rattachés aux osselets présentent un effet marqué sur la trans-
mission du son à l’oreille interne : le muscle tenseur du tympan ancré sur l’os
de la cavité de l’oreille moyenne à l’une de ses extrémités et fixé au marteau à
l’autre extrémité (Fig. 11.6) ; le muscle stapedius ancré à une extrémité sur l’os
et de l’autre côté sur l’étrier. Lorsque ces muscles se contractent, la chaîne des
osselets devient beaucoup plus rigide et la transmission du son vers l’oreille
interne est fortement réduite. C’est ce qui se passe en présence d’un fort stimu-
lus sonore. Dans ces conditions les muscles se contractent, ce qui représente un
réflexe d’atténuation. L’atténuation du son se trouve plus marquée avec les basses
fréquences qu’avec les hautes fréquences.
Le réflexe pourrait avoir plusieurs fonctions. L’une d’entre elles est possi-
blement l’adaptation de l’oreille à de hautes fréquences sonores continues. Ces
tonalités trop élevées sont en effet susceptibles de saturer la réponse des récep-
teurs dans l’oreille interne. Elles seraient ramenées à un niveau inférieur à la
saturation par le réflexe d’atténuation, augmentant ainsi l’étendue des fréquences
perceptibles. Le réflexe d’atténuation assure aussi la protection de l’oreille
interne contre des sons trop violents, qui risqueraient de provoquer des lésions.
Malheureusement ce réflexe n’intervient que dans un délai de 50 à 100 ms après
l’arrivée du son dans l’oreille : il n’offre donc pas une grande protection contre
les sons violents intempestifs, une lésion pouvant intervenir avant que les mus-
cles ne se contractent. C’est pourquoi, en dépit de la protection assurée par le
réflexe d’atténuation, une explosion violente (ou la musique d’un baladeur) peut
entraîner des lésions de la cochlée. Comme le réflexe d’atténuation supprime les
basses fréquences plutôt que les hautes fréquences, il est plus facile de discerner
les hautes fréquences dans un environnement sonore de basses fréquences. Cette
faculté nous permet ainsi de suivre plus facilement une conversation dans un
environnement bruyant, que nous ne pourrions le faire sans le réflexe d’atté-
nuation. Il semble aussi que ce réflexe soit activé lorsque nous parlons, de sorte
que nous n’entendons pas le son de notre voix aussi fortement que si ce réflexe
n’existait pas.
Muscle
tenseur
du tympan
Oreille interne
L’oreille interne est considérée comme une partie de l’oreille mais tous ses
constituants ne sont pas en relation avec l’audition. L’oreille interne se compose
en effet de la cochlée, qui fait partie du système auditif, et du labyrinthe, qui n’en
fait pas partie. Le labyrinthe est une partie importante de l’appareil vestibulaire,
contribuant à maintenir l’équilibre du corps. Le système vestibulaire sera pré-
senté dans la deuxième partie de ce chapitre. Seule sera évoquée ici la cochlée et
son rôle dans la conversion des ondes sonores en messages nerveux.
Anatomie de la cochlée
La cochlée (ou limaçon) est enroulée en spirale, comme une coquille d’es-
cargot. La figure 11.6 illustre une coupe au travers de la cochlée. Sa structure
peut être évoquée en enroulant une paille (comme celles dont on se sert pour
boire) deux fois et demie autour de la pointe effilée d’un crayon. Dans la cochlée
les parois du tube creux (représenté par la paille) sont formées d’os. Le pilier
central de la cochlée (représenté par le crayon) quant à lui est une structure
osseuse conique. Toutefois la comparaison s’arrête là, et les dimensions réelles
sont plus petites que celles du modèle représenté avec la paille et le crayon, le
tube creux de la cochlée mesurant environ 32 mm de long pour un diamètre de
2 mm. Au total, la cochlée humaine a environ la taille d’un petit pois. À la base
de la cochlée se trouvent deux trous recouverts d’une membrane : la fenêtre
ovale, localisée sous la partie plate de l’étrier comme nous l’avons évoqué, et la
fenêtre ronde.
Sur une coupe transversale de la cochlée, il apparaît que le tube est divisé
en trois compartiments remplis d’un fluide, encore dénommés « rampes » : la
rampe vestibulaire, la rampe tympanique et le canal cochléaire (Fig. 11.7). Les trois
rampes s’enroulent à l’intérieur de la cochlée à la manière d’un escalier en spi-
rale. La rampe vestibulaire et le canal cochléaire sont séparés par la membrane de
Membrane
Rampe Reissner ; la rampe tympanique et le canal cochléaire, par la membrane basilaire
vestibulaire qui supporte l’organe de Corti situé juste au-dessus, où se trouvent les neurones
de Reissner
Canal
cochléaire
récepteurs auditifs. La membrane tectoriale se trouve tendue au-dessus de l’or-
Membrane gane de Corti. À l’apex de la cochlée le canal cochléaire se referme, alors que la
tectoriale rampe vestibulaire et la rampe tympanique communiquent par un orifice à tra-
vers les membranes, l’hélicotrème (Fig. 11.8). Le fluide de la rampe vestibulaire
se trouve donc en continuité avec celui de la rampe tympanique. À la base de la
Stria cochlée la rampe vestibulaire bute sur la fenêtre ovale, et la rampe tympanique,
vascularis sur la fenêtre ronde.
Le liquide présent dans la rampe vestibulaire et dans la rampe tympanique
Organe
est appelé périlymphe. Sa composition ionique est semblable à celle du liquide
de Corti céphalorachidien : faible concentration d’ions K+ (7 mM) et forte concentra-
tion d’ions Na+ (140 mM). Le canal cochléaire est rempli d’endolymphe dont
Membrane Rampe les concentrations ioniques sont étonnamment semblables à celles du milieu
basilaire tympanique intracellulaire, avec une forte concentration d’ions K+ (150 mM) et une faible
concentration d’ions Na+ (1 mM), alors qu’il est extracellulaire. Cette diffé-
Figure 11.7 – Les trois canaux parallèles de rence peut s’expliquer par l’activation d’un mécanisme de transport actif de la
la cochlée. stria vascularis (l’endothélium qui tapisse une des parois du canal cochléaire ;
Cette représentation en coupe de la cochlée
voir Fig. 11.7), qui réabsorbe le sodium de l’endolymphe et secrète du potas-
illustre la présence à l’intérieur de la structure
sium dans l’endolymphe contre leurs gradients de concentration. En raison de
de trois fins canaux parallèles. Ces canaux,
ou rampes, sont séparés par la membrane de ces différences de concentration ionique et de la perméabilité de la membrane
Reissner et par la membrane basilaire. L’or- de Reissner, l’endolymphe présente un potentiel électrique d’environ 80 mV
gane de Corti contient les récepteurs auditifs ; plus positif que celui de la périlymphe ; c’est ce qu’on nomme le potentiel
il est localisé sur la membrane basilaire et il endocochléaire, représentant un facteur important qui favorise la transduction
est recouvert par la membrane tectoriale. auditive.
11 – Audition et système vestibulaire 375
Cochlée
déroulée
Apex
Base
Physiologie de la cochlée
Malgré la complexité de sa structure, les opérations de base intervenant dans
l’oreille interne sont tout à fait simples. À partir de la figure 11.8 essayons d’ima-
giner ce qui se passe lorsque les osselets font vibrer la membrane qui recouvre
la fenêtre ovale. Ceci fonctionne à la manière d’un piston. La vibration de la
fenêtre ovale repousse d’abord la périlymphe dans la rampe vestibulaire. Si les
membranes se trouvant à l’intérieur de la cochlée étaient totalement rigides,
l’augmentation de la pression s’exerçant sur le milieu liquide au niveau de la
fenêtre ovale se propagerait le long de la rampe vestibulaire, franchirait l’hélico-
trème, et redescendrait le long de la rampe tympanique jusqu’à la fenêtre ronde.
La membrane de la fenêtre ronde serait alors repoussée vers l’extérieur pour
compenser le déplacement de la membrane de la fenêtre ovale vers l’intérieur. Ce
n’est cependant pas exactement ce qui se passe en réalité, mais cette description
montre bien que tout mouvement de la membrane de la fenêtre ovale doit être
associé à un mouvement complémentaire de la membrane de la fenêtre ronde.
Ce mouvement est de fait inévitable car la cochlée est remplie d’un milieu liquide
incompressible se trouvant dans une cavité osseuse rigide. La conséquence de la
pression s’exerçant sur la membrane de la fenêtre ovale est ainsi similaire à ce
qui se passe lorsque l’on exerce une pression sur l’extrémité d’un ballon rempli
d’eau : c’est l’autre extrémité qui se déforme.
Cette description ne correspond cependant pas encore exactement à ce qui
se passe dans la cochlée car les structures à l’intérieur de la cochlée ne sont pas
rigides. En outre, la membrane basilaire est souple et elle s’infléchit en présence
d’ondes sonores.
Sensibilité de la membrane basilaire au son. La sensibilité aux sons de la
membrane basilaire est déterminée par deux propriétés structurales. D’abord,
la membrane est plus large à l’apex qu’à la base, d’un facteur 5 environ.
Deuxièmement, la rigidité de la membrane diminue de la base à l’apex, la base
étant à peu près 100 fois plus rigide. Cette membrane peut être comparée à
la palme d’un nageur dont la base est étroite et ferme, et l’extrémité large et
souple. En repoussant la partie plate de l’étrier contre la fenêtre ovale, le son
entraîne un déplacement de la périlymphe dans la rampe vestibulaire, mais aussi
de l’endolymphe dans le canal cochléaire puisque la membrane de Reissner est
376 2 – Systèmes sensoriel et moteur
très flexible. Les sons peuvent aussi tirer sur la base de l’étrier, réversant alors
le gradient de pression. Les sons produisent ainsi un incessant mouvement de
va-et-vient de la base de l’étrier, à la manière du piston évoqué ci-dessus.
Les travaux du biophysicien américano-hongrois Georg von Békésy ont
permis de mieux comprendre la sensibilité au son de la membrane basilaire. Von
Békésy a démontré que le mouvement de l’endolymphe fait ployer la membrane
basilaire à sa base en initiant une onde qui se propage vers l’apex. L’onde qui
parcourt la membrane basilaire est semblable à celle qui court le long d’une
corde tendue tenue par la main, et que l’on secoue d’un coup sec (Fig. 11.9).
La distance que l’onde parcourt le long de la membrane basilaire dépend ainsi
de la fréquence du son. Avec les hautes fréquences, la base plus rigide de la
membrane vibre considérablement en dépensant beaucoup d’énergie et l’onde
ne se propage pas très loin (Fig. 11.10a). De même, les ondes sonores à basse
fréquence se propagent jusqu’à l’apex flexible de la membrane avant que toute
l’énergie ne soit épuisée (Fig. 11.10b). La réponse de la membrane basilaire éta-
blit de cette manière un codage de site répertoriant les endroits où la membrane
est la plus distendue en fonction de fréquences différentes du son (Fig. 11.10c).
L’organisation systématique des fréquences des sons codées au sein d’une struc-
ture auditive est dénommée tonotopie, de façon analogue à la rétinotopie du
système visuel. De telles cartes tonotopiques existent à la fois sur la membrane
basilaire et dans chaque noyau auditif du système nerveux central, le corps
genouillé médian (CGM) et le cortex auditif. La différence de distance parcou-
rue en fonction des fréquences sonores détermine le codage de l’information.
Endolymphe
Base
de l’étrier Membrane basilaire
Fenêtre
ronde
Hélicotrème
Fréquence produisant
Haute fréquence Basse fréquence la déformation maximale
Figure 11.10 – Réponse de la membrane
Apex : large et
basilaire aux stimulations sonores. souple 500 Hz
La cochlée est à nouveau représentée dérou-
lée. (a) Les sons de haute fréquence pro- 1 kHz
duisent une onde qui va se propager sur la Membrane
basilaire 2 kHz
membrane basilaire, mais qui s’atténuera
très vite dans la partie étroite et rigide de la 4 kHz
membrane. (b) Les sons de basse fréquence
produisent une onde qui va se propager 8 kHz
jusqu’à l’extrémité de la membrane, au niveau
de l’apex, avant de se dissiper. La déformation 16 kHz
de la membrane est ici fortement exagérée,
pour une meilleure illustration du phénomène.
Base : étroite
(c) À chaque endroit de la membrane corres- et rigide
pond une fréquence qui produit une déflexion
(a) (b) (c)
maximale.
11 – Audition et système vestibulaire 377
Lame
réticulaire
Cellule
ciliée
externe
(a)
Stéréocils
Stéréocils des cellules
de cellules ciliées internes
ciliées externes
(b)
Membrane
tectoriale
Lame
réticulaire
Stéréocils
Cellule ciliée
externe
Modiolus
Ganglion spiral
Membrane Piliers Cellules
basilaire de Corti ciliées internes Nerf auditif
Figure 11.12 – Organe de Corti.
La membrane basilaire est la base des tissus qui contiennent à la fois les cellules ciliées internes
et les cellules ciliées externes, ainsi que les piliers de Corti. La membrane tectoriale recouvre les
stéréocils des cellules ciliées.
Les cellules ciliées sont enserrées entre la membrane basilaire et une mince
couche de tissu, appelée la lame réticulaire (Fig. 11.12). Les piliers de Corti se
dressent d’une membrane à l’autre, et forment un support. Les cellules ciliées
situées entre l’axe de la cochlée et les piliers de Corti, sont les cellules ciliées
internes (elles sont au nombre de 4 500 environ, disposées sur un seul rang), et
les cellules situées au-delà des piliers sont dénommées cellules ciliées externes
(environ 12 000 à 20 000 cellules chez l’homme, disposées en 3 rangées). Les sté-
réocils dressés sur les cellules ciliées se prolongent au-delà de la lame réticulaire
dans l’endolymphe pour finir dans la substance gélatineuse de la membrane tec-
toriale (cellules ciliées externes) ou juste au-dessous de cette membrane (cellules
ciliées internes). Pour se souvenir des membranes de l’organe de Corti, on peut
avoir à l’esprit que la membrane basilaire se situe à la base de l’organe de Corti,
que la membrane tectoriale forme un toit sur l’ensemble de la structure, et que la
lame réticulaire se trouve au milieu, reposant sur les cellules ciliées.
Les cellules ciliées forment des synapses sur des neurones dont les corps cel-
lulaires sont localisés dans le ganglion spiral. Les cellules du ganglion spiral sont
bipolaires et leurs neurites se projettent à la base et sur les côtés des cellules
ciliées, où elles reçoivent l’influx synaptique. Les axones des cellules du ganglion
spiral pénètrent dans le nerf vestibulo-auditif (la VIIIe paire de nerfs crâniens),
qui se projette sur les noyaux cochléaires, au niveau bulbaire. Il est aujourd’hui
possible de traiter certaines formes de surdité en implantant de petites prothèses
électroniques pour court-circuiter l’oreille interne et les cellules ciliées et activer
directement les axones du nerf auditif (Encadré 11.2).
11 – Audition et système vestibulaire 379
Encadré 11.2 FOCUS
Nerf auditif
Cochlée
Figure A – Dispositif externe d’un implant cochléaire positionné Figure B – Disposition de l’implant cochléaire à l’intérieur de l’oreille.
au niveau de l’oreille.
380 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Avec de l’entraînement, les patients peuvent parvenir à adultes devenus sourds après l’acquisition du langage.
une compréhension très correcte du langage parlé, y Pour les adultes dont la survenue de la surdité a pré-
compris au cours de conversations téléphoniques. cédé l’acquisition du langage, les implants cochléaires
Lorsqu’ils écoutent au calme dans une pièce, la plupart ne permettent toutefois que l’accès à des sons relative-
des patients peuvent comprendre plus de 90 % des mots. ment globaux. Dès lors il semble que, comme pour les
Toutefois, les résultats cliniques sont très variables, autres modalités sensorielles, l’expérience de l’audition
pour des raisons qui restent obscures. Les chercheurs soit nécessaire au cours du développement précoce
travaillent à l’amélioration de la technologie de ces pour se mettre en place correctement. Ainsi, même si
implants, en les miniaturisant à l’extrême et en éduquant l’audition est quelque peu rétablie chez l’adulte, le fait
mieux les patients à leur utilisation. qu’elle ait été défectueuse pendant le développement
Les très jeunes enfants sont encore les meilleurs précoce hypothèque le développement normal du sys-
candidats pour ce type d’implants cochléaires (certains tème auditif. Cette considération nous ramène au
sont implantés dès l’âge d’un an) mais de nombreuses concept de période critique (que nous verrons dans le
interventions concernent des enfants plus âgés et des chapitre 23).
(a) Cellules ciliées Membrane Piliers de Cellule ciliée (b) Membrane basilaire
externes basilaire Corti interne déplacée vers le haut
Le rôle joué par les cellules ciliées dans la conversion de la déformation méca-
trements des cellules ciliées. Dans les années 1980, A. J. Hudspeth et son équipe 2
alors au California Institute of Technology, ont tenté une nouvelle approche pour
observer in vitro des cellules ciliées de l’oreille interne après les avoir isolées. La 1
méthode d’enregistrement in vitro a fourni un grand nombre d’informations sur
0
le mécanisme de transduction. Les enregistrements des cellules ciliées montrent
ainsi que lorsque les cils sont déplacés dans une direction, la cellule ciliée est –1
dépolarisée, et lorsqu’ils sont déplacés dans l’autre direction, la cellule est hyper-
polarisée (Fig. 11.14a). Lorsqu’une onde sonore provoque le battement des cils – 20 – 10 0 10 20
dans un sens ou dans l’autre, les cellules ciliées génèrent un potentiel de récepteur Déplacement des stéréocils (nm)
qui, alternativement, hyperpolarise et dépolarise la membrane à partir du poten- (a)
tiel de repos, de l’ordre de – 70 mV (Fig. 11.14b).
Pour apprécier l’efficacité de l’oreille, regardez attentivement l’axe des X de Pression
de l’air
la figure 11.14a. Les unités sont en nanomètres (1 nm = 10– 9 m). Le diagramme
illustre le fait que le potentiel de récepteur des cellules ciliées est saturé dès lors
que les stéréocils se sont déplacés de 20 nm sur le côté, ce qui intervient lorsqu’un
son très intense est délivré. A contrario, les sons les plus faibles que nous puis-
Potentiel
sions percevoir déplacent les cils de seulement 0,3 nm de chaque côté. Ceci repré- de
sente une distance incroyablement courte, similaire à environ le diamètre d’un récepteur
gros atome ! Comme chaque stéréocil a lui-même un diamètre d’environ 500 nm
(0,5 μm), un son très doux déplace donc les stéréocils de seulement un millième
de leur propre diamètre et cela suffit pour le percevoir. Mais comment les cellules Temps
ciliées interviennent-elles pour transformer ces phénomènes de si faible énergie (b)
en quelque chose d’audible ?
Figure 11.14 – Potentiel de récepteur des
L’extrémité de chaque stéréocil présente un type particulier de canal ionique cellules ciliées.
dont l’ouverture et la fermeture sont contrôlées par leur inclinaison. Lorsque ces (a) Les cellules ciliées sont dépolarisées ou
canaux de transduction mécanosensibles sont ouverts, un flux ionique entrant hyperpolarisées en fonction de la direction
génère un potentiel de récepteur des cellules ciliées. En dépit d’efforts considé- du déplacement des stéréocils. (b) Le poten-
rables, la nature moléculaire de ces canaux est cependant toujours mal connue. tiel de récepteur est étroitement associé aux
L’une des raisons pour laquelle cette recherche est si difficile, est liée à leur variations de la pression de l’air induites par
rareté. De fait, chaque extrémité des stéréocils ne porte qu’un seul ou deux de un son de basse fréquence.
ces canaux, et une cellule ciliée n’en comporte pas plus de 100. Des expériences
récentes suggèrent que ces canaux ioniques, impliqués dans la transduction du
signal des cellules ciliées, appartiennent à la superfamille des protéines trans-
membranaires (Transmembrane Protein-Like, TMC), mais cette proposition est
discutée, et les travaux sur ce sujet se poursuivent.
La figure 11.15 explique le fonctionnement probable de ces canaux. Chaque
canal est relié par un filament élastique à la paroi du cil adjacent. Lorsque les
cils sont redressés, la tension exercée sur le filament ouvre partiellement le canal,
ce qui permet un flux continu d’ions K+ de l’endolymphe vers la cellule ciliée.
Le déplacement des cils dans une direction accroît la tension sur le filament
qui les relie, augmentant le courant potassique entrant. Le déplacement des cils
dans l’autre direction réduit au contraire la tension sur le filament et le canal se
referme, conduisant à supprimer le courant potassique. L’entrée de potassium
dans la cellule ciliée entraîne sa dépolarisation, ce qui a pour effet de déclencher
l’ouverture des canaux calciques dépendant du potentiel (Fig. 11.15b). L’entrée
de calcium dans la cellule déclenche la libération du glutamate, ce qui a pour
conséquence d’activer les fibres du ganglion spiral en position post-synaptique
par rapport aux cellules ciliées.
Il est intéressant de noter que l’ouverture des canaux potassiques conduit
à une dépolarisation de la cellule ciliée alors que l’ouverture des canaux potas-
siques provoque en général une hyperpolarisation. La différence de sensibilité
entre les cellules ciliées et les neurones s’explique par la concentration excep-
tionnellement élevée d’ions K+ dans l’endolymphe, ce qui donne un potentiel
d’équilibre de 0 mV, comparé au potentiel d’équilibre de l’ordre de – 80 mV des
neurones typiques. Une autre raison pour laquelle le K+ entre dans les cellules
ciliées est la valeur du potentiel endocochléaire, de + 80 mV, qui favorise la créa-
tion d’un gradient de 125 mV au travers de la membrane des stéréocils.
382 2 – Systèmes sensoriel et moteur
K+
Endolymphe
K+ K+
K+
K+ Lame
K+ réticulaire
Canal calcique
dépendant
Dépolarisation du potentiel
Stéréocils
K+ Vésicule
contenant un
neurotransmetteur
excitateur
Neurite Périlymphe
d’un neurone
du ganglion spiral
(b)
Innervation des cellules ciliées. Le nerf auditif est formé par les axones des
neurones dont le corps cellulaire est localisé dans le ganglion spiral. Ces neu-
rones, les premiers sur la voie auditive à émettre des potentiels d’action, four-
nissent toute l’information auditive transmise au cerveau. Il est donc important
de noter qu’il y a une différence considérable entre l’innervation des cellules
ciliées internes et celle des cellules ciliées externes à partir du ganglion spiral. Le
nombre de neurones dans le ganglion spiral est d’environ 35 000 à 50 000. Bien
que le nombre de cellules ciliées externes soit environ trois fois supérieur à celui
Cellules des cellules ciliées internes, plus de 95 % des neurones du ganglion spiral com-
ciliées externes Cellules
ciliées internes muniquent avec le petit nombre relatif des cellules ciliées internes, et moins de
5 % reçoivent des informations par voie synaptique des cellules ciliées externes
alors qu’elles sont beaucoup plus nombreuses (Fig. 11.16). Il en résulte qu’une
fibre du ganglion spiral reçoit des informations d’une seule cellule ciliée interne ;
par ailleurs, chaque cellule ciliée interne communique avec environ dix neurites
du ganglion spiral. C’est l’inverse qui se produit avec les cellules ciliées externes.
Cellules
du ganglion Comme leur nombre est supérieur à celui des cellules du ganglion spiral, une
spiral fibre unique du ganglion spiral forme des synapses avec plusieurs cellules ciliées
Nerf auditif externes.
D’après ces chiffres, il est ainsi possible de conclure que la majeure partie de
Figure 11.16 – Innervation des cellules ciliées l’information provenant de la cochlée est issue des cellules ciliées internes. Mais
à partir des neurones du ganglion spiral. alors, quel est le rôle potentiel des cellules ciliées externes ?
11 – Audition et système vestibulaire 383
Encadré 11.3 FOCUS
Réponse normale
(avec amplification cochléaire)
Protéines
motrices
Apex
(forme
développée)
(a)
Membrane basilaire
(c) Base Réponse enregistrée
Membrane tectoriale pendant l’administration
de furosémide
K+ Lame réticulaire (sans amplification cochléaire)
Apex
Protéines motrices
(forme compacte)
Membrane basilaire
Membrane basilaire
(b) (d) Base
cochléaire. Sans cet amplificateur cochléaire les mouvements les plus amples de
la membrane basilaire seraient environ 100 fois plus faibles.
L’action des cellules ciliées externes sur la réponse des cellules ciliées internes
subit aussi l’influence de neurones, qui n’appartiennent pas à la cochlée. À côté
des afférences du ganglion spiral qui se projettent de la cochlée sur le tronc céré-
bral, il existe environ un millier de fibres efférentes se projetant du tronc cérébral
vers la cochlée. Ces fibres efférentes du cerveau divergent assez pour former des
synapses sur les cellules ciliées externes et elles libèrent de l’acétylcholine. La
stimulation de ces fibres efférentes modifie la forme des cellules ciliées externes
comme nous l’avons vu, ce qui affecte la réponse des cellules ciliées internes.
C’est ainsi que l’information transmise du cerveau à la cochlée pourrait contri-
buer à la régulation de la sensibilité auditive.
Considérant le rôle que jouent les cellules ciliées externes dans l’amplifica-
tion des signaux sonores on s’explique mieux que certains antibiotiques (par
exemple, la kanamycine), en créant des lésions des cellules ciliées, entraînent la
surdité. L’utilisation excessive d’antibiotiques diminue ainsi la sensibilité audi-
tive de nombreuses cellules ciliées internes. Pourtant les antibiotiques sont sur-
tout dangereux pour les cellules ciliées externes et non pour les cellules ciliées
internes ! La surdité due aux antibiotiques serait la conséquence d’une atteinte
de l’amplificateur cochléaire (les cellules ciliées externes), ce qui montre l’impor-
tance de cet amplificateur pour le contrôle de l’audition.
Ainsi la prestine, cette protéine tellement importante pour le mouvement
des cellules ciliées externes, joue également un rôle majeur dans l’amplificateur
cochléaire. De fait, lorsque le gène encodant pour cette protéine est inactivé chez
la souris, les animaux sont pratiquement sourds. Dans ce cas, leurs oreilles sont
environ 100 fois moins sensibles aux sons que dans la situation normale.
Mécanismes centraux
de l’audition
En raison du plus grand nombre de relais synaptiques entre l’organe sen-
soriel et le cortex, la voie auditive paraît plus complexe que la voie visuelle. De
plus, par rapport au système visuel les systèmes de transmission des signaux
d’un noyau à l’autre du cerveau sont plus nombreux. Néanmoins, le traitement
de l’information dans chacun de ces systèmes n’est pas tellement différent si l’on
considère que les cellules et les synapses du système auditif dans le tronc cérébral
sont analogues aux interactions existant dans les différentes couches de la rétine.
Tout au long du circuit auditif, il existe en fait de nombreuses possibilités de
transformation de l’information auditive.
Cortex
3
auditif
Cortex
auditif
3 CGM
CGM
Colliculus
2
inférieur
Colliculus
inférieur 3
2
Lemnisque
latéral Lemnisque
latéral
Noyau cochléaire
dorsal
2
Olive Noyau cochléaire
1
supérieure ventral
1
Noyau Olive
1 cochléaire 1 supérieure
ventral
Nerf auditif
Nerf
auditif
Ganglion
Ganglion Cochlée spiral
spiral
Figure 11.18 – Voies auditives.
Les signaux auditifs transformés dans la cochlée sont véhiculés à partir des neurones sensoriels
du ganglion spiral vers le cortex auditif via différentes voies neuronales. Le schéma de gauche pré-
sente la voie auditive principale et les structures du tronc cérébral impliquées, à droite. Notez que
pour des raisons de simplification, seules sont représentées les connexions neuronales recevant
des informations auditives d’une seule oreille.
Les neurones du colliculus projettent leurs axones vers le corps genouillé médian
(CGM) du thalamus, qui se projette à son tour sur le cortex auditif.
Avant d’évoquer les propriétés des neurones du système auditif, il est néces-
saire de préciser certains points :
1. dans le tronc cérébral il existe des projections et des noyaux qui ne sont
pas mentionnés ci-dessus, mais qui contribuent à la transmission auditive.
Ainsi le colliculus inférieur envoie des axones non seulement vers le CGM
mais aussi vers le colliculus supérieur (qui représente ainsi un lieu d’inté-
gration de l’information visuelle et auditive) et dans le cervelet ;
11 – Audition et système vestibulaire 387
Fréquence
caractéristique
Réponses à
Nombre de potentiel d’action
des stimulations
150 de forte intensité
Réponses à
par seconde
des stimulations
100
de faible intensité Figure 11.19 – Réponse d’une fibre du nerf
auditif, en fonction de stimulations sonores
50 de différentes fréquences.
L’intensité de la réponse de cette fibre du nerf
auditif dépend de la fréquence des sons. La
0 réponse est maximale pour une fréquence dite
500 1000 1500 2000 2500 3000 « caractéristique ». (Source : adapté de Rose,
Fréquence (Hz) Hind, Anderson et Brugge, 1971, Fig. 2.)
388 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Codage de l’intensité
et de la fréquence sonores
Lorsque cesse toute préoccupation, l’individu peut concentrer son attention
sur les sons de l’environnement. Il est alors possible d’entendre des sons igno-
rés jusque-là, et certains peuvent être sélectionnés parmi plusieurs survenant au
même moment. Les sons, par nature, sont très variés : le bavardage des gens, le
bruit des voitures, la radio, ou encore les sons des multiples appareils électriques
et jusqu’à ceux générés par notre propre corps. La perception de chacun de ces
sons ne peut évidemment pas être associée spécifiquement à certains neurones
particuliers du cerveau. Cependant, les sons ont des traits communs comme
l’intensité, la fréquence ou la source d’origine. Chacune de ces caractéristiques
du son est alors représentée dans la voie auditive de façon différente.
Intensité du stimulus
Les informations concernant l’intensité du son sont codées par deux événe-
ments en étroite relation : la fréquence de décharge des neurones et le nombre
de neurones activés. Lorsque l’intensité d’un stimulus sonore augmente, la
membrane basilaire vibre avec une amplitude plus grande, provoquant une
dépolarisation ou une hyperpolarisation plus forte du potentiel de membrane
des cellules ciliées activées. Ceci déclenche des décharges plus fortes dans les
fibres nerveuses qui forment une synapse avec les cellules ciliées. Sur le schéma de
la figure 11.19, la fibre du nerf auditif décharge plus fortement pour les mêmes
fréquences sonores lorsque l’intensité du son augmente. De plus, avec des sti-
muli plus intenses, les vibrations s’étendent sur une plus grande surface de la
membrane basilaire, ce qui provoque l’activation d’un plus grand nombre de
cellules ciliées. Dans une seule fibre du nerf auditif, l’augmentation du nombre
de cellules ciliées activées se traduit par une plus grande échelle des fréquences
auxquelles la fibre est sensible. Le nombre de neurones activés dans le nerf audi-
tif (et tout le long de la voie auditive) et leurs fréquences de décharge sont ainsi
supposés représenter les corrélats nerveux de la perception auditive.
des neurones activés dans les noyaux auditifs est une indication de la fréquence
sonore. Cependant, pour deux raisons il est nécessaire que la fréquence soit codée
différemment qu’en terme simple de site de l’activation maximale sur les cartes
tonotopiques. L’une de ces raisons est que sur ces cartes il n’y a pas de neurone
avec de très basses fréquences caractéristiques, inférieures à environ 200 Hz. De
ce fait, il en résulte que le site d’activation maximale pourrait être le même avec
des sonorités de 50 Hz ou de 200 Hz, et il faut pourtant qu’une distinction soit
possible. La deuxième raison de penser qu’il existe un phénomène autre que la
tonotopie est que, comme cela apparaît sur la figure 11.19, la déformation maxi-
male d’une partie de la membrane basilaire dépend de l’intensité du son, en plus
de la fréquence sonore. À une fréquence donnée, un son plus intense provoquera
une déformation maximale en un point plus éloigné de la base de la membrane
que ne le fera un son moins intense.
Corrélation de phase. La principale source d’information concernant la fré-
quence du son, qui vient en complément de l’information donnée par les cartes
tonotopiques, concerne la relation qui existe entre la décharge neuronale et les
caractéristiques temporelles des ondes sonores. Les enregistrements de neurones
du nerf auditif révèlent une corrélation étroite de cette décharge avec différentes
phases de l’onde sonore, c’est-à-dire que la décharge d’une cellule se trouve tou-
jours ajustée à la même phase de l’onde sonore (Fig. 11.21). C’est ce que l’on
nomme la corrélation de phase. Si une onde sonore est par exemple représen-
tée comme une variation sinusoïdale de la pression de l’air, un neurone présen-
tant une telle corrélation de phase déchargerait soit au pic, soit au creux, ou à
tout autre point constant de l’onde. Aux basses fréquences, certains neurones
génèrent effectivement des potentiels d’action chaque fois que l’onde sonore
atteint une phase particulière du cycle de l’onde sonore (Fig. 11.21a). Il est ainsi
apparemment facile de déterminer la fréquence du son : elle est semblable à la
fréquence de décharge des neurones.
Il est cependant important de savoir que ce type de corrélation peut survenir
même si des potentiels d’action ne sont pas générés à chaque cycle (Fig. 11.21b).
Par exemple, la réponse d’un neurone à un stimulus de 1 000 Hz peut être corré-
lée avec le son, de sorte qu’un potentiel d’action survient dans environ 25 % des
cycles ; avec un groupe de tels neurones, chacun répondant à des cycles différents
du son, il est possible d’obtenir une réponse pour chaque cycle (chaque neurone
de la population répondant à son tour), et donc une mesure de la fréquence du
son. L’idée selon laquelle les fréquences intermédiaires sont représentées par
l’activité d’une population de neurones, chacun présentant un processus de cor-
rélation avec une phase du cycle, est le principe de la volée afférente. La corré-
lation de phase survient avec des ondes sonores dont la fréquence sonore peut
aller jusqu’à 5 kHz. Au-delà, les potentiels d’action sont générés au hasard et ne
sont plus corrélés avec les phases de l’onde sonore (Fig. 11.21c) car la variabilité
de la coordination des potentiels d’action devient comparable à la variabilité
de l’intervalle de temps existant entre les cycles successifs de l’onde sonore. En
390 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Réponse
corrélée à
chaque cycle
du stimulus
(a) sonore
Réponse
corrélée
partiellement
avec les cycles
du stimulus
(b)
sonore
Figure 11.21 – Corrélation de phase de la
décharge des fibres du nerf auditif avec les Onde sonore de haute fréquence
caractéristiques du son.
Les sons de basse fréquence déclenchent
des décharges des fibres du nerf auditif cor-
rélées à certaines caractéristiques des sons :
par exemple (a) une décharge intervient à
un moment bien précis de chaque cycle du
stimulus, ou (b) à des fractions de cycles. À Réponse
haute fréquence, (c) les réponses paraissent non corrélée
ne plus être corrélées à une phase particulière au stimulus
(c) sonore
du stimulus.
d’autres termes, les ondes sonores sont trop rapides pour qu’elles puissent être
directement codées à la fréquence de décharge d’un seul neurone. Au-delà de
5 kHz, les fréquences sont ainsi représentées seulement par la tonotopie.
De nombreux neurones du tronc cérébral présentent des propriétés membra-
naires qui leur confèrent la capacité de répondre précisément en fonction du
moment où intervient l’activation synaptique. De telles adaptations à ce
« timing » sont particulièrement développées dans les neurones des noyaux
cochléaires, comme cela a été démontré par les travaux de Donata Oertel et ses
collègues à l’Université du Wisconsin (Encadré 11.4).
En conclusion, les neurones du tronc cérébral ont des caractéristiques qui
leurs permettent une représentation précise des différentes fréquences sonores. À
très basses fréquences, c’est la corrélation de phase qui représente le mécanisme
de codage ; pour des fréquences intermédiaires, le codage implique à la fois la
tonotopie et la corrélation de phase ; et aux fréquences les plus élevées la tono-
topie seule permet une bonne appréciation des fréquences sonores.
Mécanismes de la localisation
des sons dans l’espace
L’analyse de la fréquence est un élément essentiel de l’interprétation des sons
de notre environnement, mais la localisation du son présente une importance
critique pour la survie. En effet, si un prédateur s’apprête à se jeter sur vous, il est
plus utile de connaître la source du bruit soudain et de s’enfuir que d’analyser les
subtilités du son. L’homme ne craint plus réellement les bêtes sauvages mais dans
d’autres situations la localisation du son peut lui sauver la vie : lorsque l’on tra-
verse la rue sans faire attention, la localisation de l’avertisseur d’une voiture peut
vous sauver la vie. Ce que nous savons des mécanismes permettant la localisation
du son laisse penser que la localisation du son dans le plan horizontal (de gauche
à droite) et dans le plan vertical (de haut en bas) dépend de processus différents.
11 – Audition et système vestibulaire 391
Capturer le rythme
Par Donata Oertel
S’il est indéniable que les potentiels En 1979, avec Bill Rhode et Phil Smith,
d’action émis par les neurones sont le vec- nous nous sommes attaqués à cette ques-
teur de l’information cérébrale, force est de tion en procédant à des enregistrements
constater que les bases de temps qui intracellulaires chez des chats anesthésiés,
régissent l’émission de ces signaux varient mais ces expériences étaient particulière-
considérablement. Les neurones des noyaux ment difficiles. L’une des difficultés était
auditifs du tronc cérébral peuvent déchar- d’atteindre les noyaux cochléaires du tronc
ger avec une précision supérieure à 200 μs. cérébral, situés entre le cervelet, l’oreille
A contrario, certains neurones corticaux interne et la mâchoire. Une autre difficulté
répondant à des stimuli identiques sont était liée au fait que cette région du tronc
Donata Oertel
jusqu’à une centaine de fois moins précis. cérébral était animée de petits « battements »,
Dans le système auditif, le timing des décharges confère en rapport avec les variations de pression artérielle ou
des informations importantes sur le diapason des sons et encore simplement de la respiration, rendant les enre-
sur leur direction d’origine. gistrements intracellulaires très instables. En 1980, j’ai
Dans les années 1960, les ordinateurs ont permis des réalisé que je pouvais peut-être m’affranchir de ces dif-
analyses plus précises des relations entre les phases des ficultés en procédant à des enregistrements intracellu-
ondes des sons et la décharge des neurones. Ces études, laires de l’activité de ces neurones à partir de coupes de
dont certaines effectuées par des collègues de l’Univer- tronc cérébral. Dans des expériences réalisées ex-vivo,
sité du Wisconsin, ont révélé que les neurones auditifs cette méthode était utilisée avec succès pour étudier
encodent la fréquence des sons non seulement par leur l’activité de neurones de l’hippocampe et du tronc céré-
position sur la carte tonotopique, mais également par bral chez le poussin. J’ai alors mis au point une méthode
une décharge en phase avec les sons, par un mécanisme d’enregistrement des neurones cochléaires à partir de
de corrélation de phase. Toutefois, cette dimension tem- coupes de tronc cérébral de souris. Évidemment, cette
porelle du codage n’est plus fonctionnelle à des fré- préparation m’a demandé une longue mise au point. Il
quences supérieures à 5 kHz, du fait d’une imprécision fallait en particulier apprendre comment retirer le tronc
de la décharge neuronale lorsque les périodes des ondes cérébral sans trop étirer le nerf vestibulo-auditif, opti-
sont inférieures à 200 μs. miser la composition du milieu de survie des coupes de
La corrélation de phase présente un réel intérêt pour cerveau frais, et enfin arriver à oxygéner suffisamment
des sons de faible fréquence. Notre capacité impression- les coupes de tronc cérébral sans perturber la pénétra-
nante de pouvoir distinguer des sons à des fréquences tion des neurones par les microélectrodes. L’une des
aussi proches que celles distinguant des sons de 1 000 Hz, premières choses que j’ai découverte est que certains
de ceux de 1 002 Hz, dépend clairement de ce méca- neurones auditifs présentent des résistances membra-
nisme intervenant dans les neurones du tronc cérébral. naires exceptionnellement basses et des constantes de
Les neurones dont la décharge se trouve ainsi corrélée à temps très rapides. De telles propriétés m’ont aidé à
une phase donnée de l’onde sonore, détectent par ce générer des stimuli très rapides, transmettant aux neu-
biais le moment précis de l’arrivée relative de chaque rones une information avec un timing très précis. Les
cycle du son dans les deux oreilles, et ce mécanisme est neurones auditifs présentent la caractéristique unique
important pour la localisation de l’origine des sons dans de transférer une information très rapide. Les synapses
le plan horizontal. quant à elles génèrent des courants exceptionnellement
Mais alors comment imaginer que les neurones audi- amples au travers des récepteurs glutamatergiques
tifs puissent véhiculer l’information auditive avec une ionotropiques parmi les plus rapides, ce qui conduit à
telle précision de 200 μs au travers de voies polysynap- dépolariser très vite les neurones présentant une faible
tiques complexes (des cellules ciliées au ganglion spiral, résistance membranaire.
en passant par les neurones du noyau cochléaire, L’une des propriétés très particulière de quelques
jusqu’aux neurones de l’olive supérieure), seulement neurones auditifs est leur capacité de détection de coïnci-
grâce à des potentiels d’action ou des potentiels synap- dences, c’est-à-dire de détection du moment où deux
tiques dont la durée est de l’ordre de la milliseconde ? « inputs » arrivent exactement au même moment sur le
Pour réaliser cette performance, la décharge des neu- neurone. Deux groupes de neurones auditifs, des neu-
rones post-synaptiques doit impérativement suivre rapi- rones spécifiques du noyau cochléaire et les cellules
dement celle des éléments présynaptiques et sans qu’une principales de l’olive supérieure, représentent de ce point
quelconque variation de délai intervienne. de vue d’excellents détecteurs de coïncidences. Nace
392 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Golding, Ramazan Bal et Michael Ferragamo, dans plus lente (relayant les sons de plus basse fréquence)
mon laboratoire, ont pu démontrer que ces neurones contactent plutôt les régions proches du soma. Comme
particuliers du noyau cochléaire présentaient des canaux les PPSE mettent du temps pour transiter des dendrites
ioniques sensibles au potentiel tout à fait exceptionnel, vers le soma, différents sites synaptiques peuvent com-
conférant à ces cellules de très courtes constantes de penser le délai intervenant dans la cochlée, permettant à
temps et leur permettant de détecter des événements ces neurones particuliers du noyau cochléaire de perce-
survenant dans des délais inférieurs à la milliseconde. voir des sons complexes de façon simultanée et de les
Nace et moi-même étions embarrassés par le fait que traduire ainsi en un seul potentiel d’action. Lorsque
les potentiels synaptiques se somment pourtant sur la Nace a monté son propre laboratoire, il s’est focalisé sur
base de millisecondes, et que, y compris dans les noyaux les neurones de l’olive supérieure qui présentent les
auditifs, les messages afférents du nerf auditif ne soient mêmes propriétés lorsque des sons sont transmis par les
que les informations traduites par la cochlée avec une deux oreilles à la fois. Il démontra alors que l’organisa-
base de temps supérieure à plusieurs millisecondes. tion de base de ces noyaux était très similaire à ce que
McGinley nous a aidés à résoudre cette énigme. Les cel- nous avions décrit pour les détecteurs de coïncidence des
lules en question du noyau cochléaire se caractérisent par noyaux cochléaires. Les deux types de neurones pré-
le fait qu’elles étendent leurs dendrites dans une seule sentent des canaux ioniques spécialisés qui les rendent
direction. De ce fait, le soma de ces cellules envoie des très rapides. Tous ces neurones utilisent des propriétés
dendrites de telle manière que le nerf auditif respecte son dendritiques particulières qui leur permettent de détecter
organisation tonotopique, c’est-à-dire que les messages les PPSE arrivant simultanément ; et l’ensemble de ces
synaptiques les plus rapides (en rapport avec les sons de neurones – qu’il est toujours aussi difficile d’enregistrer
haute fréquence) s’articulent sur les dendrites les plus in vivo ! – ont la capacité d’intégrer ces messages affé-
distales, alors que les informations transmises de façon rents sans interférence avec leur propre décharge.
Les yeux fermés et une oreille obturée, il est toujours possible de localiser
l’oiseau qui chante et vole au-dessus de nous, presque comme si on entendait
avec les deux oreilles. Mais si on tente de localiser le canard qui cancane sur
l’étang à côté de nous, cela est beaucoup moins facile avec une seule oreille. Ces
exemples simples montrent ainsi qu’une bonne localisation du son dans le plan
horizontal repose sur la comparaison des sons atteignant les deux oreilles, ce qui
n’est pas le cas de la localisation dans le plan vertical.
Propagation
des ondes
sonores
(a)
0 ms
0,3 ms
Dans le cas où l’on ne perçoit pas le moment exact où débute un son parce
qu’il s’agit d’une sonorité continue plutôt que d’un bruit soudain, il n’est pas
possible de connaître le moment précis où le son parvient aux oreilles. Les sono-
rités continues posent un problème dans la localisation de l’origine de sons car
elles sont constamment présentes au niveau des deux oreilles. Il est cependant
possible d’utiliser le temps d’arrivée à l’oreille pour localiser le son mais différem-
ment que dans le cas d’un bruit soudain. La seule comparaison possible entre les
sonorités continues correspond au temps auquel la même phase de l’onde sonore
parvient à l’oreille. Imaginons par exemple un son de 200 Hz provenant de la
droite. À cette fréquence un cycle de l’onde sonore couvre 172 cm, c’est-à-dire
une distance très largement supérieure à celle des 20 cm qui séparent les deux
oreilles. Après l’occurrence d’un pic de l’onde sonore dans l’oreille droite il faut
environ 0,6 ms – le temps nécessaire au son pour parcourir 20 cm – avant de
détecter un pic au niveau de l’oreille gauche. Bien entendu, si la source sonore se
situe droit devant, les pics de l’onde sonore atteindront les deux oreilles simul-
tanément. Comme l’onde sonore est beaucoup plus longue que la distance entre
les oreilles, le délai interaural représente dans ce cas une information fiable pour
déterminer la position de la source sonore.
Cependant, les choses sont encore plus compliquées avec des sonorités conti-
nues à hautes fréquences. Supposons que le son qui provient de la droite ait
maintenant une fréquence de 20 000 Hz, ce qui signifie qu’un cycle de l’onde
sonore parcourt 1,7 cm. Lorsque le pic atteint l’oreille droite, faut-il encore
0,6 ms pour qu’un pic parvienne à l’oreille gauche ? Il n’en est évidemment rien
et il faudra beaucoup moins de temps car de nombreux pics de cette onde à haute
fréquence surviennent entre les deux oreilles. Il n’y a donc plus de relation simple
entre le lieu d’origine du son et le moment où les pics de l’onde sonore atteignent
les oreilles. Le temps d’arrivée interaural ne suffit alors plus pour localiser les
sons avec ces fréquences si élevées qu’un cycle de l’onde sonore est plus petit que
la distance entre les deux oreilles (c’est-à-dire supérieure à environ 2 000 Hz).
394 2 – Systèmes sensoriel et moteur
tateurs (PPSE) qui se somment, conduisant à un PPSE plus important, qui excite 300
plus fortement le neurone 3 que ne peut le faire chaque PPSE généré lorsqu’une
Nombre de potentiels
d’action par seconde
seule des deux oreilles est activée. Lorsque le délai interaural est de plus ou moins
0,6 ms, les potentiels d’action n’arrivent pas ensemble et, par conséquent, les 200
PPSE ne se somment pas.
D’autres neurones de l’olive supérieure sont programmés pour d’autres délais 100
interauraux, en rapport avec des différences dans l’organisation des lignes de
délais. Pour mesurer ces différences aussi précisément que possible, de nombreux
neurones et synapses du système auditif sont spécialement adaptés à ces opéra- 0
1 2
tions rapides. Les potentiels d’action et leurs PPSE sont ainsi plus rapides que
Délai interaural (ms)
ceux de la plupart des neurones du cerveau. Il se trouve néanmoins des limites à
des mesures de ce type. Les processus de corrélation de phase sont essentiels pour Figure 11.24 – Neurone de l’olive supérieure
une comparaison aussi précise que possible de l’arrivée des potentiels d’action sensible au délai interaural.
et, parce que les corrélations de phase interviennent seulement à des fréquences Ce neurone présente un délai optimal de 1 ms.
de sons relativement basses, il est alors concevable que les délais interauraux ne
sont utiles que pour localiser les sons de ces basses fréquences.
Le mécanisme décrit à la figure 11.25 est présent chez l’oiseau, mais il n’est
pas sûr que les mammifères calculent le délai interaural exactement de cette
manière. Des travaux récents effectués sur la gerboise ont suggéré que l’inhibi-
tion synaptique, plutôt que des lignes de délais, permette d’adapter les neurones
de l’olive supérieure aux délais interauraux. Mais il est aussi possible que les
deux mécanismes se combinent.
Nerf auditif
Olive supérieure
Transmission indirecte
(réfléchie) du son ;
voie 2
Canal auditif
Transmission directe
du son ; voie 1
Transmission indirecte
(réfléchie) du son ; voie 1
Transmission indirecte (réfléchie)
du son ; voie 3
Transmission directe
du son ; voie 3
Figure 11.26 – Localisation des sons dans le plan vertical, à partir des propriétés du pavillon de
l’oreille.
11 – Audition et système vestibulaire 397
avec précision au son et non à la vue. Bien que les chouettes n’aient pas de
pavillon, elles ont la même technique que celle que nous utilisons pour la locali-
sation horizontale (différences interaurales) car leurs oreilles ne sont pas placées
au même niveau, sur la tête. D’autres animaux sont encore plus performants
dans la localisation du son que ne le sont l’homme ou la chouette. Certaines
chauves-souris émettent des sons qui sont réfléchis par les objets, et ces échos
servent à localiser les objets sans les voir. L’émission et la réception de sons
réfléchis, comme dans le cas du sonar utilisé par les bateaux, sont utilisées par
les chauves-souris pour attraper les insectes. En 1989, James Simmons, de Brown
University, fit une découverte surprenante : les chauves-souris peuvent apprécier
des délais aussi faibles que 0,00001 ms. Cette découverte est un véritable défi
pour notre connaissance du fonctionnement cérébral : en effet, comment le sys-
tème nerveux, avec des potentiels d’action durant presque 1 ms, peut-il réaliser
des discriminations temporelles aussi fines ?
Cortex auditif
Les axones quittant le CGM se projettent sur le cortex auditif via la capsule
interne en un faisceau qui constitue la radiation acoustique. Le cortex auditif
primaire (A1) correspond à l’aire 41 de Brodmann, située dans le lobe temporal
(Fig. 11.27a). La structure de A1 et des aires auditives secondaires est très com-
parable aux aires correspondantes du cortex visuel. La couche I contient peu de
corps cellulaires, et les couches II et III contiennent essentiellement de petites
cellules pyramidales. La couche IV, qui reçoit les terminaisons des axones du
CGM, est composée d’amas denses de cellules granulaires. Les couches V et VI
contiennent essentiellement des cellules pyramidales, généralement de taille plus
importante que celles des couches superficielles.
00 Hz
00 Hz
0 Hz
Hz
0 Hz
z
00 H
500
16 0
8 00
4 00
10
20
(b)
Cortex auditif
primaire
Cortex auditif
(a) secondaire
c onsidérées. D’autres sons, comme les cliquetis, les explosions, des sons avec
modulation de fréquence, et les vocalisations animales, génèrent également des
réponses dans les neurones corticaux, mais l’approche du rôle de ces neurones
répondant à des stimuli aussi complexes constitue encore un défi pour les cher-
cheurs (Encadré 11.5).
Étant donné la grande variété des réponses que les neurophysiologistes ren-
contrent dans l’étude du cortex auditif, on comprend pourquoi il est encoura-
geant d’entrevoir une sorte d’organisation ou de principe unificateur. La repré-
sentation tonotopique mentionnée plus haut est un des principes d’organisation
de nombreuses aires auditives. Un second principe est l’existence dans le cortex
de colonnes de cellules présentant les mêmes propriétés binaurales. Comme aux
niveaux inférieurs du système auditif, on distingue des neurones qui répondent
plus à des stimulations des deux oreilles qu’à la stimulation d’une seule ; et
des cellules qui peuvent être inhibées par la stimulation simultanée des deux
oreilles. Comme nous l’avons vu pour l’olive supérieure, les neurones sensibles
aux différences de délai interaural et d’intensité interaurale jouent sans doute un
rôle dans la localisation du son.
À côté de A1, d’autres aires corticales situées à la surface supérieure du lobe
temporal sont sensibles aux stimuli auditifs. Certaines de ces aires supérieures
présentent une organisation tonotopique, et d’autres probablement pas. Comme
dans le cortex visuel, il existe une tendance pour que les stimuli qui induisent
une réponse importante des neurones soient plus complexes qu’aux niveaux
inférieurs du système. L’aire de Wernicke, que l’on étudiera plus loin (voir cha-
pitre 20), est un exemple de spécialisation. La destruction de cette aire n’altère
pas la perception du son, mais elle affecte gravement la capacité d’interpréter le
langage parlé.
Encadré 11.5 FOCUS
FM
60
CF CF1
1,2
FM Délais
« pa »
30 CF2
0,4
Figure A – Un cri de chauve-souris et son écho. Figure B – Analyse de fréquence de mots du langage humain.
(Source : adapté de Suga, 1995, p. 302.) (Source : adapté de Suga, 1995, p. 296.)
400 2 – Systèmes sensoriel et moteur
fréquence plus basse. Les syllabes sont ainsi formées de sons différentes de CF. C’est en fait comme si le cortex
fréquences variables, avec des combinaisons de parties humain utilisait les mêmes principes que la chauve-sou-
constantes CF et FM, agrémentées de pauses et de ris pour analyser la voix humaine. Interpréter ces sons
patterns particuliers. Par exemple, la syllabe « ka » dif- comme des mots et comprendre les concepts qu’ils sous-
fère de « pa » par une FM différente au début (Fig. B). tendent est cependant encore du domaine de l’imagi-
Les longs « a » et les longs « i » (au moins en anglais…) naire en ce qui concerne le langage, dont les mécanismes
sont ainsi reconnus différemment du fait de combinai- sont discutés dans le chapitre 20.
Encadré 11.6 FOCUS
C’est parce que chacune des deux oreilles envoie des informations au cortex à
la fois dans les deux hémisphères que la fonction auditive est mieux préservée
lors de lésions corticales. Chez l’homme, le déficit primaire résultant d’une perte
unilatérale de A1 se traduit par l’impossibilité de localiser l’origine d’un son. Il
est possible de savoir de quel côté de la tête provient le son, mais il est presque
impossible de le localiser plus précisément. Dans ce cas, cependant, la discrimi-
nation de la fréquence et de l’intensité reste pratiquement normale.
Les études expérimentales réalisées sur les animaux révèlent que des lésions
plus circonscrites peuvent provoquer des troubles de la localisation assez spé-
cifiques. Compte tenu de l’organisation tonotopique de A1, il est possible de
réaliser des lésions corticales restreintes, détruisant des neurones qui présentent
des fréquences caractéristiques dans un ordre de grandeur limité. Dans ce cas
alors, il est intéressant de constater que le déficit de localisation ne concerne que
les sons correspondant pratiquement aux fréquences caractéristiques des cel-
lules manquantes. Ce fait conforte l’idée que l’information issue des différentes
bandes de fréquence est sans doute traitée parallèlement dans les structures
organisées de façon tonotopique.
Système vestibulaire
Curieusement, écouter de la musique ou faire du vélo implique dans les deux
cas des sensations qui sont transmises par des cellules ciliées. Le système ves-
tibulaire informe sur la position et les déplacements de la tête, nous donne le
sens de l’équilibre, contribue à la coordination des mouvements de la tête et des
yeux, et aux ajustements de la posture du corps. Lorsque le système vestibulaire
fonctionne normalement, son intervention est automatique et nous n’avons pas
de perception consciente de son intervention. Toutefois, lorsque des dysfonc-
tionnements interviennent, à ce moment la situation est ressentie de façon désa-
gréable, allant du vertige aux nausées, en passant par des pertes d’équilibre et des
mouvements des yeux de caractère incontrôlable.
Appareil labyrinthique
Les systèmes auditif et vestibulaire utilisent les cellules ciliées comme trans-
ducteur. De ce point de vue, des systèmes biologiques qui utilisent des prin-
cipes de fonctionnement similaires sont souvent liés par des origines communes.
Effectivement, les organes de l’équilibre et de l’audition dérivent tous deux de
l’organe de la ligne latérale présent chez les vertébrés aquatiques comme les pois-
sons et quelques amphibiens. La ligne latérale représente de petits creux ou tubes
présents sur les deux côtés de ces animaux. Chacun de ces dispositifs contient des
amas de cellules sensorielles ciliées, les cils plongeant dans une substance géla-
tineuse ouverte sur l’eau dans laquelle évolue l’animal. Ces organes spécialisés
permettent dans la plupart des cas de détecter des variations de la pression de
l’eau ou des vibrations. Dans quelques cas, ils sont aussi sensibles à la tempé-
rature ou aux champs électriques. Les organes de la ligne latérale ne sont plus
présents chez les reptiles mais ces dispositifs extraordinaires de mesure de la sen-
sibilité mécanique sont restés et ont été adaptés dans des structures de l’oreille
interne, qui dérive de fait de la ligne latérale.
Chez les mammifères, toutes les cellules ciliées sont confinées dans un
ensemble de chambres interconnectées que l’on nomme le labyrinthe vestibulaire
(Fig. 11.28a). Nous avons déjà évoqué la partie du labyrinthe qui a une fonction
auditive, c’est-à-dire la cochlée (voir Fig. 11.6). Le labyrinthe vestibulaire est lui-
même formé de deux types de structures aux fonctions différentes : les organes
otolithiques, qui détectent la force de gravité et les inclinaisons de la tête, et les
canaux semi-circulaires, sensibles aux rotations de la tête. Le rôle ultime de ces
structures spécialisées est de transmettre des informations d’origine mécanique
générées par les mouvements de la tête aux cellules ciliées. Chacune de ces struc-
tures est sensible à différents types de mouvements, non seulement parce que
402 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Nerf vestibulaire
Ganglion de Scarpa
Nerf auditif
Canaux
semi-circulaires Utricule Saccule
Organes Cochlée
(a) à otolithes
30º
Canaux
semi-circulaires
(b)
leurs cellules ciliées sont différentes, mais surtout parce qu’elles appartiennent
à des structures spécialisées pour détecter ces différents types de mouvements.
Les organes otolithiques représentent une paire de chambres de taille rela-
tivement importante, dénommées saccule et utricule, disposées à peu près au
centre du labyrinthe. Les canaux semi-circulaires sont les trois structures en
arceau du labyrinthe. Ils occupent une position relative à peu près orthogonale
les uns par rapport aux autres, c’est-à-dire qu’ils forment entre eux des angles
d’environ 90° (Fig. 11.28b). Il existe bien entendu un labyrinthe vestibulaire par
oreille, de chaque côté de la tête, et ces dispositifs sont disposés de telle façon
qu’ils ont une position « en miroir ».
Chaque cellule ciliée du système vestibulaire forme une synapse excitatrice
avec l’extrémité d’un axone sensoriel du nerf vestibulaire, une branche du nerf
vestibulo-auditif (VIIIe paire de nerf crânien). Dans chacun des deux nerfs
vestibulaires, il se trouve environ 20 000 axones, et leurs corps cellulaires sont
localisés dans le ganglion de Scarpa.
11 – Audition et système vestibulaire 403
Organes otolithiques
Le saccule et l’utricule détectent les changements de la position de la tête et
son accélération linéaire. Lorsque vous inclinez la tête, l’angle formé entre les
organes otolithiques et la direction de la force de gravité change. De même, l’ac-
célération linéaire génère également une force proportionnelle à la masse d’un
objet. Ce type de force est par exemple produit lorsque vous vous trouvez dans
un ascenseur ou un véhicule qui démarre ou qui s’arrête. Au contraire, lorsque
l’ascenseur ou le véhicule se déplace à vitesse constante l’accélération est nulle et
donc il n’y a pas de force produite, sauf la force de gravité. C’est ainsi que vous
pouvez rester immobile dans un avion se déplaçant à quelque 900 km/h ; mais
dans ce cas de soudaines turbulences de l’air qui affectent la vitesse de l’avion
vous déstabilisent brusquement, ce qui est encore un bon exemple des forces
générées par l’accélération linéaire et des mouvements détectés par vos organes
otolithiques.
Chaque organe otolithiques contient un épithélium sensoriel dénommé
macula, orienté verticalement dans le saccule et horizontalement dans l’utricule
lorsque la tête est en position normale (à ne pas confondre avec la macula de la
rétine, qui n’a rien en commun avec celle-ci). La macula du système vestibulaire
contient des cellules ciliées disposées dans un lit de cellules de soutien, avec leurs
cils orientés vers la substance gélatineuse (Fig. 11.29). Les mouvements sont
captés par les cellules ciliées de la macula des deux côtés de la tête lorsque les
faisceaux de cils sont déplacés. Les organes otolithiques sont caractérisés par la
présence d’une fine couche de cristaux de carbonate de calcium dénommés oto-
conia, de 1 à 5 µm de diamètre (otoconia vient d’un mot grec qui signifie « pierre
de l’oreille »). Les otoconia sont incrustés à la surface de la cape de substance
gélatineuse de la macula qui enrobe les cils, et ils sont la clé de la sensibilité de la
macula à l’inclinaison de la tête. En fait, les otoconia ont une densité supérieure
à celle de l’endolymphe qui les entoure.
Lorsque l’inclinaison de la tête change ou quand se produit une accéléra-
tion, une force est exercée sur les otoconia, ce qui a pour conséquence d’exercer
secondairement une force dans la même direction sur la surface de la substance
gélatineuse, qui va donc se déplacer sensiblement et entraîner le mouvement des
cils. Chaque cellule ciliée présente un cil particulier de grande taille, dénommé
kinocil. Le déplacement des cils vers le kinocil va alors générer une dépolarisa-
tion représentant le potentiel de récepteur excitateur ; à l’inverse, le mouvement
des cils dans la direction opposée à celle du kinocil se traduit par une hyperpo-
larisation, qui inhibe le récepteur. Dès lors, les cellules ciliées apparaissent bien
comme sensibles à la direction. Si les cils se courbent perpendiculairement à
leur direction préférentielle, ils vont donc répondre faiblement. Ainsi, le méca-
nisme de transduction des informations mécaniques des cellules ciliées vestibu-
laires est sensiblement le même que celui des cellules ciliées du système audi-
tif (voir Fig. 11.15). Comme dans ce cas, un simple déplacement de très faible
amplitude des cils des organes otolithiques est nécessaire pour générer un signal
nerveux. Dans le cas du système vestibulaire, un déplacement des cils de l’ordre
de 0,5 µm, c’est-à-dire à peu près de la valeur du diamètre d’un cil, est suffisant
pour saturer le récepteur.
La tête peut ainsi s’incliner et bouger dans toutes les directions. Les cellules
ciliées du saccule et de l’utricule sont orientées pour pouvoir capter tous ces mou-
vements. La macula des saccules est orientée plus ou moins verticalement, alors
que celle des utricules est globalement horizontale (Fig. 11.30). Dans chacune
de ces maculae, les cellules ciliées sont orientées pour répondre à une direction
préférentielle particulière, et il y a suffisamment de cellules ciliées dans chaque
macula pour couvrir la plupart des directions. L’orientation « en miroir » des
saccules et utricules de chaque oreille suppose alors que lorsqu’un mouvement
donné de la tête excite les cellules ciliées d’un côté, il tend à les inhiber de l’autre,
dans l’organe otolithique correspondant. Ainsi, toute inclinaison ou accéléra-
tion de la tête excite quelques cellules ciliées, en inhibe d’autres, et n’a pas d ’effet
sur le reste. Dès lors, le système nerveux central, en utilisant simultanément l’in-
formation ainsi fournie par l’ensemble de la population de cellules ciliées des
organes otolithiques, peut interpréter parfaitement ces mouvements linéaires.
404 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Otoconia Kinocil
Cape
gélatineuse
Cellules
ciliées
Cellules
de soutien
Axones
du nerf
vestibulaire
Figure 11.30 – Orientation de la macula.
Direction induisant
(a) Au niveau de l’utricule, la macula est horizontale. (b) Au niveau du saccule, en une dépolarisation
revanche, la macula est verticale. Les flèches issues de chaque macula montrent
comment les cellules ciliées sont polarisées. Les cellules ciliées à proximité de la
flèche sont toutes dépolarisées de la même manière ; leurs stéréocils sont tous
orientés de façon à être inclinés dans la direction de la flèche correspondant à
leur dépolarisation.
Canaux semi-circulaires
Les canaux semi-circulaires détectent les mouvements de rotation de la tête,
du type de ceux que vous faites lorsque vous dodelinez. Comme les organes
otolithiques, les canaux semi-circulaires sont sensibles à l’accélération, mais de
façon différente. Dans ce cas, c’est l’accélération angulaire qui est le principal
stimulus des canaux semi-circulaires.
Les cellules ciliées des canaux semi-circulaires sont disposées dans une lame
de cellules dénommée crista, située sur une protubérance du canal dénommée
quant à elle crête ampullaire (Fig. 11.31a). Les cils sont enchâssés dans une sorte
de capsule formée de fibres gélatineuses, la cupule, qui couple le lumen du canal
avec la crête ampullaire. Toutes les cellules ciliées de cette crête ampullaire ont
leurs kinocils orientés dans la même direction, ce qui signifie qu’ils sont tous
inhibés ou excités ensemble. Les canaux semi-circulaires contiennent de l’en-
dolymphe, la même que celle qui se trouve dans la cochlée. Le déplacement
Cupule
Crête ampullaire
Canal Cils
semi-circulaire
Endolymphe
Cellules ciliées
Axones
du nerf vestibulaire
(a) Repos
Mouvement
de l’endolymphe
(b)
Rotation vers la gauche
des cils intervient lorsque le canal tourne autour de son axe à la manière d’une
de rotation
vestibulaire.
Si la rotation de la tête est maintenue à vitesse constante, la friction de l’en-
dolymphe avec les parois du canal va diminuer, l’endolymphe se déplacer, et
0 60 120 ainsi la cupule va retrouver sa position normale après environ 15 à 30 s. Cette
Temps (s)
adaptation est clairement détectable à partir d’enregistrements de fibres vesti-
bulaires issues des canaux (Fig. 11.32). Néanmoins ce type de rotation à vitesse
constante est quelque chose d’assez peu courant dans la vie de tous les jours,
sauf dans quelques parcs d’attractions. Ainsi, normalement, lorsque la rotation
de la tête et de ses canaux semi-circulaires s’arrête, l’inertie de l’endolymphe
entraîne un mouvement dans la direction opposée et une sensation transitoire
de mouvement de contre-rotation. Ce mécanisme explique pourquoi vous vous
sentiez malade et en perte d’équilibre chaque fois qu’étant enfant vous arrêtiez
brutalement de tournoyer comme une toupie : en fait vos canaux semi-circu-
laires étaient en train d’envoyer des messages au cerveau, selon lesquels votre
corps tournoyait dans la direction opposée.
Ensemble, les trois canaux semi-circulaires situés d’un côté de la tête, en
synergie avec ceux de l’autre côté, sont à même de capter les rotations interve-
nant dans n’importe quelle direction (voir Fig. 11.28b). Chaque canal est disposé
de rotation
dans le même plan que son homologue et répond aux déplacements dans la
Vitesse
même orientation, l’activation des cellules ciliées de l’un des canaux correspon-
0
dant à l’inhibition de celles de l’autre. Au repos, les axones des nerfs vestibulaires
déchargent à haute fréquence, de telle manière que leur activité peut ainsi être
100 modulée à la hausse ou à la baisse, en fonction de la direction de la rotation.
Une telle organisation optimise la détection des mouvements de rotation par le
de décharge
(potentiel/s)
Fréquence
Motoneurones
des muscles
VP du extra-oculaires
Cervelet
thalamus (III, IV, VI)
VIIIe nerf
crânien
Motoneurones Motoneurones
des muscles des muscles
des membres du cou
Rotation de la tête
7 5 7 3
+ +
Noyau
oculomoteur
gauche (III) + Faisceau
4 longitudinal
médian droit
Noyau
abducens
gauche (VI)
– +
Noyau 6 7 2
vestibulaire
gauche
+
1
Rotation
Canal semi-circulaire
horizontal gauche
noyau vestibulaire gauche, qui innerve à son tour le noyau crânien du nerf VI
(noyau abducens) controlatéral (à droite) se trouvant ainsi excité. Les axones des
neurones moteurs du noyau abducens commandent en retour le muscle rectus
latéral de l’œil droit. Une autre projection excitatrice à partir du noyau abducens
croise la ligne médiane vers le côté gauche et emprunte le faisceau longitudinal
médian pour aller commander les motoneurones du noyau crânien du nerf III
(noyau oculomoteur), qui activent à leur tour le muscle rectus médian de l’œil
gauche.
Mission accomplie, les deux yeux tournent bien à droite ! Pour plus de rapi-
dité encore, le muscle rectus médian de l’œil gauche est également excité par une
projection directe du noyau vestibulaire vers le noyau oculomoteur gauche. La
vitesse est enfin optimisée par l’activation de connexions inhibitrices des muscles
qui s’opposent naturellement au mouvement, dans ce cas le rectus latéral et le
rectus médian. Pour pouvoir intervenir pour des mouvements de la tête dans
n’importe quelle direction, le RVO comporte des connexions similaires à partir
du canal semi-circulaire horizontal droit, ainsi qu’à partir des autres couples de
canaux semi-circulaires, qui affectent sélectivement les muscles extra-oculaires et
produisent les mouvements des yeux appropriés.
11 – Audition et système vestibulaire 409
Pathologie vestibulaire
Les causes d’atteintes du système vestibulaire sont multiples, telle par
exemple la toxicité de fortes doses d’antibiotiques comme la streptomycine pour
les cellules ciliées. Les patients porteurs de lésions bilatérales du système ves-
tibulaire ont des difficultés considérables à maintenir leur regard pendant les
mouvements. Dans ce cas, même les pulsations du sang dans les carotides sont
susceptibles de perturber la fixation. Et lorsque les patients ne sont plus à même
de maintenir l’image sur la rétine, ils ont la sensation que le monde se déplace
autour d’eux. Cela a pour conséquence des difficultés pour se tenir debout et se
déplacer. Néanmoins, avec le temps un certain nombre de processus compensa-
toires interviennent, le cerveau apprenant à substituer l’utilisation des informa-
tions labyrinthiques par des informations visuelles et proprioceptives pour leur
permettre de réaliser des mouvements adaptés.
Conclusion
L’audition et le contrôle de l’équilibre utilisent au départ des récepteurs sen-
soriels quasi identiques, les cellules ciliées, qui sont dans les deux cas extraor-
dinairement sensibles à de petites déflexions de leurs stéréocils. Dans l’oreille
interne, ces détecteurs de mouvements sont entourés de trois types de dispositifs
spécialisés dans la transduction de différentes sortes d’énergie mécanique : dans
le cas du son, la vibration périodique de l’air, dans le cas des mouvements hori-
zontaux de la tête, les forces de rotation et, dans le cas de l’inclinaison de la tête,
des forces linéaires. Néanmoins, à l’exception de ces dispositifs de transduction
des forces très similaires tous situés dans l’oreille interne, le système auditif et le
système vestibulaire sont très différents. De fait, si le système auditif capte des
informations de l’environnement, au contraire le système vestibulaire réagit à ses
propres mouvements. Enfin, ces deux systèmes sont entièrement séparés dans le
système nerveux central, sauf peut-être au niveau situé le plus haut hiérarchique-
ment, c’est-à-dire celui du cortex. L’information auditive est ainsi le plus souvent
consciente ; en revanche, le contrôle de l’équilibre intervient en permanence mais
de façon automatique, pour coordonner l’activité des muscles posturaux.
Nous avons vu dans ce chapitre le trajet de la voie auditive de l’oreille au
cortex cérébral, et les possibles transformations de l’information sonore. Les
variations de densité des molécules de l’air sont converties en une vibration des
constituants mécaniques de l’oreille moyenne et de l’oreille interne, qui est trans-
formée en réponse neuronale. La structure de l’oreille et celle de la cochlée sont
de fait hautement spécialisées dans la transduction du son. Cependant, cela ne
saurait masquer les ressemblances considérables existant entre l’organisation
du système auditif et celle des autres systèmes sensoriels. À titre d’illustration,
il existe de nombreuses analogies entre les systèmes auditif et visuel. Dans les
récepteurs sensoriels des deux systèmes, on trouve un processus de codage spatial
de l’information. Dans le système visuel, le code présent au niveau des photoré-
cepteurs est rétinotopique ; l’activité d’un récepteur donné répercute la présence
d’un stimulus lumineux à un endroit donné du champ visuel. Les récepteurs du
système auditif présentent un code spatial tonotopique, en raison des propriétés
uniques de la cochlée. Dans chacun des systèmes, la rétinotopie ou la tonotopie
accompagne les processus de traitement des signaux dans les neurones secon-
daires, le thalamus, et enfin dans le cortex sensoriel.
La convergence des informations venant des niveaux inférieurs confère aux
neurones des niveaux supérieurs des caractéristiques de réponse plus complexes.
Les combinaisons des informations provenant du CGL déterminent des champs
récepteurs simples et complexes dans le cortex visuel ; de même, dans le système
auditif l’intégration d’informations ajustées à différentes fréquences détermine,
au niveau supérieur, des neurones sensibles à des combinaisons de fréquences
complexes. La complexité accrue aux niveaux supérieurs se manifeste aussi
dans le système visuel par la présence de neurones binoculaires sensibles à la
410 2 – Systèmes sensoriel et moteur
c onvergence d’informations provenant des deux yeux, ce qui est important pour
percevoir la profondeur. De même, dans le système auditif les informations issues
des deux oreilles se combinent pour créer des neurones binauraux, associés à la
localisation du son dans le plan horizontal. Ce ne sont là que quelques-unes des
nombreuses ressemblances entre les deux systèmes, mais il est essentiel de consi-
dérer que les principes qui régissent un système sont un moyen de comprendre
les autres systèmes. Gardez cela à l’esprit en abordant le chapitre suivant, vous
pourrez prédire quelques-unes des caractéristiques de l’organisation corticale du
système somatosensoriel.
QUESTIONS DE RÉVISION
LE TOUCHER
Mécanorécepteurs cutanés.................................................................. 414
Afférences sensorielles primaires........................................................ 420
Organisation générale de la moelle épinière........................................ 422
Encadré 12.1 Focus Herpès, zona et dermatomes
Voies des colonnes dorsales et du lemnisque médian.......................... 425
Voies trigéminales sensorielles............................................................ 427
Cortex somatosensoriel...................................................................... 427
Encadré 12.2 Bases théoriques Inhibition latérale
Encadré 12.3 Les voies de la découverte Les barils corticaux,
par Thomas Woolsey
LA DOULEUR
Nocicepteurs et transduction du message nociceptif........................... 437
Encadré 12.4 Focus Misère d’une vie sans douleur
Encadré 12.5 Focus Attention : très pimenté !
Démangeaisons.................................................................................. 440
Afférences primaires et mécanismes spinaux....................................... 442
Voies nociceptives ascendantes .......................................................... 443
Contrôle de la douleur........................................................................ 445
Encadré 12.6 Focus La douleur et l’effet placebo
LA THERMOCEPTION
Thermorécepteurs.............................................................................. 449
Voies de la thermoception.................................................................. 451
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
es systèmes sensoriels sont source des expériences les plus agréables de
notre vie, mais également des plus dramatiques. Les sensations soma-
tiques permettent à notre corps de percevoir l’environnement et de savoir
en permanence ce qu’il est en train de faire. Notre corps est sensible à de nom-
breux types de stimuli : la pression des objets sur la peau, la position des mus-
cles et des articulations, la distension de la vessie, et jusqu’à la température des
membres et du cerveau lui-même. Lorsqu’une stimulation devient trop intense
et qu’elle risque d’endommager l’organisme, les informations somatiques sont
aussi responsables d’un autre type de perception plus désagréable mais vitale :
la douleur.
Le système sensoriel somatique diffère des autres systèmes sensoriels, au
moins sur deux points. D’abord, ses récepteurs sont distribués dans tout le corps
et non en des endroits spécialisés comme c’est le cas pour les autres systèmes de
ce type ; ensuite, parce qu’il répond à plusieurs types de stimuli, il apparaît plus
comme représentant au moins quatre sens distincts plutôt qu’un seul : le sens
du toucher, de la perception de la température, de la douleur, et de celle de la
position du corps dans l’espace. En fait, parce que chacun de ces quatre sens peut
être subdivisé en plusieurs sous-types, le système sensoriel somatique apparaît
comme étant réellement à même de capter absolument toutes les informations
issues du milieu environnant et générées par le corps lui-même, autres que celles
liées à la vision, l’audition, la perception du goût, de celle des odeurs et du sens
de l’équilibre. L’idée communément admise selon laquelle nous disposons de
cinq sens paraît ainsi objectivement très simpliste.
Lorsqu’un sujet touche inopinément un objet avec son doigt sans le voir, il
est immédiatement à même d’identifier la partie du corps qui a touché l’objet, la
durée et la force du contact, voire la texture et la forme de l’objet rencontré. S’il
s’agit d’une punaise, il y a peu de chance pour que l’objet puisse être identifié
comme un marteau. Si le contact avec l’objet se déplace du doigt vers le poignet,
puis jusqu’au bras et à l’épaule, le sujet est également capable de dire le trajet
du contact en évaluant la vitesse et la position instantanée du contact. Comme
le sujet ne voit pas l’objet, cette sensation se trouve entièrement dévolue aux
systèmes sensoriels du bras. Ainsi, un seul récepteur sensoriel paraît à même de
coder toutes les caractéristiques du stimulus telles que son intensité, sa durée, sa
position et, quelquefois, sa direction. Cependant, un simple stimulus active géné-
ralement un très grand nombre de récepteurs sensoriels. La tâche du système
nerveux est alors d’intégrer et d’interpréter les informations générées par une
large frange de stimuli, et d’utiliser ces informations pour établir une perception
cohérente de la situation.
Dans ce chapitre, nous allons successivement nous intéresser aux sensations
somatiques, sous deux aspects : tout d’abord nous étudierons le sens du toucher,
puis nous aborderons la douleur. Comme nous le verrons, ces différents types
de sensations dépendent de récepteurs spécialisés, de voies neuronales particu-
lières, et de centres nerveux qui leur sont propres. Nous aborderons également les
mécanismes de la perception des démangeaisons et ceux des variations de tem-
pérature (ou thermoception), en dehors de la douleur. La proprioception, c’est-
à-dire le sens de la position du corps, ne sera abordée que dans le chapitre 13,
où nous verrons comment l’information sensorielle est utilisée pour contrôler
l’activité réflexe.
414 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Le toucher
Le sens du toucher commence avec la peau (Fig. 12.1). La peau ne consti-
tue pas un tissu homogène, comme le montre le simple examen de la main : le
dos et la paume représentent par exemple des régions respectivement pourvues
et dépourvues de poils (glabres), illustrant les deux principaux types de peau
recouvrant notre corps. La peau est constituée d’une couche externe, l’épiderme,
et d’une couche interne, le derme. La peau a un rôle essentiellement protecteur,
notamment vis-à-vis des effets de déshydratation liés à la nature sèche de l’envi-
ronnement dans lequel nous évoluons. Mais la peau sert aussi d’interface avec cet
environnement et, à ce titre, représente l’organe sensoriel le plus développé dont
nous disposons. Imaginez la plage sans la sensation des grains de sable entre les
orteils… ou surprendre un baiser sans en avoir personnellement l’expérience…
La peau est extrêmement sensible. Elle peut percevoir la pointe d’un objet dont
la taille n’excède pas 0,006 × 0,04 mm ! À titre d’illustration, par exemple, la
taille d’un caractère de l’écriture braille est 167 fois plus importante.
Dans cette première partie du chapitre, nous allons voir comment le fait de
toucher la peau va être transformé en signaux nerveux, et comment ces signaux
sont transférés au système nerveux central où ils sont intégrés pour être perçus
comme une sensation organisée.
Mécanorécepteurs cutanés
La plupart des récepteurs sensoriels du système somatique sont des mécano-
récepteurs sensibles à des stimuli mécaniques, tels que l’étirement ou le mouve-
ment des articulations. Présents sur l’ensemble du corps, ils contribuent à infor-
mer le système nerveux des contacts avec la peau, de la pression intracardiaque
et dans les vaisseaux sanguins, des contractions des organes digestifs et de la
vessie, ou encore de la pression exercée au niveau des dents à l’intérieur de la
mâchoire. Le centre du dispositif de réception des informations sensorielles est
ici constitué dans chaque cas de terminaisons nerveuses amyéliniques sensibles
aux déformations, que ce soit un étirement, une courbure, une variation de pres-
sion ou encore une vibration. Les mécanorécepteurs de la peau sont représen-
tés sur la figure 12.1. La plupart d’entre eux ont pris le nom des histologistes
allemands et italiens qui les ont découverts au xixe siècle. Les plus importants
et les plus étudiés sont les corpuscules de Pacini situés dans le derme, et qui
peuvent atteindre la taille de 2 mm et avoir un diamètre de presque 1 mm. Chez
Récepteur
de Merkel
Épiderme
l’homme, chaque main comporte environ 2 500 corpuscules de Pacini, avec une
densité particulièrement élevée dans les doigts. Les corpuscules de Ruffini, mis
en évidence à la fois dans les zones pileuses et glabres, sont quant à eux assez
semblables aux corpuscules de Pacini. Les corpuscules de Meissner sont environ
dix fois plus petits que les corpuscules de Pacini et sont localisés dans les zones
glabres, notamment à l’extrémité des doigts, à l’endroit de la région correspon-
dant aux empreintes digitales, par exemple. Les disques de Merkel sont localisés
dans l’épiderme et représentent des terminaisons nerveuses associées à une cel-
lule épithéliale non neuronale, la cellule de Merkel. Les bulbes de Krause, enfin,
représentent des mécanorécepteurs situés dans les contours des régions de peau
sèche et des muqueuses (autour des lèvres et des organes génitaux, par exemple),
se présentant sous forme de terminaisons nerveuses qui ressemblent à des séries
de perles enfilées.
La peau peut être soumise à des vibrations, elle peut être pressée, piquée,
ou recevoir des coups, et par ailleurs ses poils peuvent être repoussés ou tirés.
Toutes ces actions représentent différents types de stimulations mécaniques que
nous pouvons parfaitement ressentir et distinguer entre elles. En accord avec la
diversité de ces sensations, les différents types de mécanorécepteurs répondent
préférentiellement à l’une ou l’autre de ces stimulations, et se distinguent égale-
ment entre eux par leur aptitude à répondre à des stimulations répétées, par leur
réponse en fonction de l’intensité de la stimulation, ou encore par la dimension
de leur champ récepteur. Le neurobiologiste suédois Åke Vallbo et ses collè-
gues ont développé des méthodes d’enregistrement à partir de fibres uniques
des nerfs sensoriels chez l’homme. Ainsi ces chercheurs ont-ils été à même de
mesurer simultanément, par exemple, la sensibilité des mécanorécepteurs de la
main et d’évaluer les perceptions produites par différents stimuli mécaniques
(Fig. 12.2a). Lorsque la pointe du stimulateur touche la surface de la peau et se
déplace autour du point de contact, le champ récepteur correspondant à un seul
mécanorécepteur peut être établi. Les corpuscules de Meissner et les disques de
Merkel présentent des champs récepteurs de petite taille, de seulement quelques
millimètres, alors que les corpuscules de Pacini et ceux de Ruffini ont des champs
récepteurs plus larges, pouvant couvrir jusqu’à un doigt entier ou même la moi-
tié de la paume de la main (Fig. 12.2b).
Stimulateur Électrode
d’enregistrement
Champ Nerf
récepteur médian
(a)
Décharge
axonale
Disque de Merkel Terminaison de Ruffini
Lente
Corpuscule de Meissner
1 000
Zone de peau stimulée (µm)
100
10
Corpuscule de Pacini
1
10 50 100 300 1 000
Stimulateur
Axone
Corpuscule
intact
Capsule
Potentiel
de récepteur
Temps
(a)
Axone
Corpuscule
dénudé
Potentiel
de récepteur
Temps
(b)
Force
Milieu intracellulaire
(a)
Protéine extracellulaire
Na+ Ca2+
Force
font synapse sur des terminaisons axoniques. Il apparaît que, dans ce modèle,
ce sont à la fois la cellule de Merkel et la terminaison axonique qui ont des pro-
priétés mécanosensibles. Les cellules de Merkel présentent des canaux ioniques
mécanosensibles nommés Piezo2, qui s’ouvrent en réponse à la pression sur la
peau et dépolarisent la cellule. La dépolarisation déclenche la sécrétion d’un
neurotransmetteur dont la nature reste à ce jour inconnue, qui va à son tour
dépolariser la terminaison nerveuse. De façon surprenante, il apparaît que la ter-
minaison nerveuse est également mécanosensible, du fait qu’un second type de
canal ionique mécanosensible (dont la nature reste là aussi inconnue) est localisé
dans sa propre membrane. Par conséquent, les actions de ces différents types de
dispositifs mécanosensibles coopèrent pour contribuer à l’activation des disques
de Merkel et des axones qui leurs sont associés.
Discrimination sensorielle. Notre capacité à discriminer les détails d’un sti-
mulus particulier n’est pas la même en tout point de notre corps. Ce pouvoir
discriminatif peut être évalué simplement, par la mesure de la résolution de deux
points, en utilisant par exemple un trombone servant habituellement d’épingle
à papier. Si vous prenez la partie opposée à celle en forme de U, et que vous
dégagez les deux extrémités libres du trombone, vous disposez d’un moyen d’ap-
pliquer simultanément sur la peau une stimulation en deux points, par exemple
au bout d’un doigt. Dans ce cas, en conservant la position respective de ces deux
420 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Gros extrémités, vous n’avez aucun mal à percevoir que la stimulation est effective-
orteil ment appliquée en deux points. Ramenez maintenant ces deux extrémités l’une
Plante du pied
vers l’autre, en pliant un peu le trombone. En procédant progressivement par
étapes de cette manière, vous atteindrez une distance entre les extrémités pour
Mollet laquelle vous ne serez plus à même d’indiquer qu’il y a effectivement deux points
de stimulation au niveau du doigt. Renouvelez ensuite cette expérience simple
sur le dos de la main, les lèvres, ou encore sur différentes parties de la jambe, puis
comparez vos résultats à ceux rapportés à la figure 12.7.
Le niveau de discrimination entre deux points varie d’un rapport d’au moins
Dos 1 à 20 entre les différentes parties du corps. C’est à l’extrémité des doigts que le
pouvoir discriminatif est le plus élevé. À cet égard il est notable que les dimen-
42 mm sions des caractères de l’écriture Braille sont d’environ 1 mm sur 2,5 mm, six
éléments au plus formant une lettre, et un lecteur expérimenté dans ce domaine
Lèvres est capable de lire environ 600 lettres à la minute à la pointe de son index, c’est-
à-dire à peu près autant que vous pouvez le faire vous-même. Les lecteurs du
braille utilisent l’extrémité de leurs doigts pour scanner les pages du fait de la
Avant-bras sensibilité particulière de cette région de la peau et de son haut degré de réso-
lution spatiale. La pratique augmente aussi les performances au travers d’une
Pouce forme d’apprentissage et de mémoire, et les lecteurs expérimentés présentent la
Index
particularité d’accroître encore ce pouvoir discriminant de l’extrémité des doigts.
Pour rendre compte de cette faculté extrême de discrimination de l’index dans
Figure 12.7 – Niveau de discrimination de la lecture en braille par rapport à d’autres parties du corps, il faut savoir que :
deux points en différentes régions du corps. •• c’est à l’extrémité des doigts que se trouve la plus forte densité en méca-
Les limites illustrent la distance minimum
norécepteurs ;
nécessaire pour percevoir deux points stimu-
lés simultanément en différents endroits du •• les extrémités des doigts possèdent principalement des mécanorécepteurs
corps. Notez que la sensibilité de l’extrémité à champ récepteur restreint (par exemple, les disques de Merkel) ;
des doigts est beaucoup plus élevée que celle •• les régions de cerveau impliquées dans le traitement de l’information sen-
du reste du corps. sorielle issue de cette partie de la peau sont proportionnellement beaucoup
plus importantes que celles correspondant à d’autres parties du corps ;
•• il existe des mécanismes spécifiques du traitement des informations néces-
sitant un haut degré de discrimination.
Substance blanche
Substance grise
Racine
dorsale
Ganglion de la racine dorsale
Récepteur
sensoriel
Racine Nerf
ventrale spinal
Les axones des afférences primaires sont de diamètre très variable. Le dia-
mètre des fibres sensorielles peut être directement mis en rapport avec le type de
récepteur sensoriel auxquels correspondent ces axones, et à partir de là les choses
auraient pu être simples si la terminologie utilisée pour les désigner n’était pas si
compliquée. En effet, pour les distinguer les axones de différents diamètres sont
désignés par une nomenclature double utilisant soit des lettres empruntées à la
fois à l’écriture arabe et à l’écriture grecque, soit des chiffres romains. Comme
cela est illustré sur la figure 12.10, par ordre de diamètre décroissant, les axones
provenant des récepteurs cutanés sont regroupés en fibres de groupes Aα, Aβ,
Aδ et C, et les axones de même diamètre, mais issus des muscles et des tendons,
sont reconnus comme appartenant aux groupes I, II, III, et IV. Le groupe C (ou
IV) représente le contingent des fibres amyéliniques, par définition ; les autres
fibres étant toutes myélinisées.
Cette nomenclature complexe révèle cependant l’existence de choses simples.
Si vous vous souvenez que le diamètre de l’axone, et la présence de myéline, condi-
tionne la vitesse de conduction des potentiels d’action, les axones du groupe C,
amyéliniques et de plus fin diamètre (environ 1 μm), représentent les fibres les
plus lentes. Leur vitesse de conduction est d’environ 0,5 à 1 m/s et ces fibres
sont impliquées dans la nociception, les démangeaisons et dans la sensation de
la température. Il est possible d’avoir une idée de la lenteur de leur conduction.
Par exemple, faites un pas assez large, comptez jusqu’à deux, puis effectuez un
second pas. Vous aurez ainsi une idée assez précise de la vitesse de conduction
des fibres C. En revanche, les sensations correspondant au toucher, véhiculées à
partir des mécanorécepteurs cutanés, sont transmises par des axones de relati-
vement gros diamètre, du type Aβ, qui peuvent conduire les potentiels d’action
à des vitesses supérieures à 75 m/s. À titre de comparaison, un bon joueur de
base-ball professionnel peut envoyer une balle à la vitesse de 45 m/s, ce qui donne
une idée là encore de la vitesse de propagation des influx nerveux dans ce groupe
de fibres très rapides.
Axones Aα Aβ Aδ C
sensoriels
Moelle
1 épinière
2
3 C2 Vertèbres
Moelle 4
cervicale 5
Cervical
6
7
8
1 T1
Moelle 2
3
thoracique 4
5
6
7 Thoracique
8
9
10
11
12
Moelle L1
lombaire 1
2
Moelle Lombaire
sacré
3
5 Sacré
S1
1
2
3
4
5
Nerfs spinaux
C2
C3
C4
C5
C2 C6
C3 C7
C4 Cervical C8
C5 T1
T1 T2
T2 T3
T3 T4
T4 T5
T6
T5 T7
T6 T8
T9
T7 Thoracique T10
T8 T11
T12
T9 L1
L2
T10 L3
T11 L4
L5
T12
C5 L1
S1
S2–S4 S2 C6
C6 S3
C7 S4
L2 S5 C7
C8 L3 C8
L4
Lombaire
L5
S1
S2
L3
L5
L4
Sacré
S1
L5
Figure 12.12 – Dermatomes.
Les schémas illustrent les limites approximatives de chaque dermatome.
424 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Corne
dorsale
Axone Aβ
Encadré 12.1 FOCUS
Les axones myélinisés de gros diamètre de type Aβ, qui relaient l’information
relative au sens du toucher de la peau, pénètrent dans la moelle épinière par la
corne dorsale, puis se divisent. Certaines des branches de l’axone se terminent
dans les couches profondes de la corne dorsale et font synapse avec les neu-
rones sensoriels de second ordre. Ces connexions peuvent relayer ou intervenir
pour modifier toute une série de réflexes rapides et de caractère inconscient. Les
autres branches des axones sensoriels Aβ cheminent vers le cerveau. Ces projec-
tions ascendantes sont celles qui sont impliquées dans la perception consciente,
nous permettant de porter un jugement sur les stimuli qui ont touché notre peau.
Cortex somatosensoriel
primaire (S1)
Bulbe
Lemnisque
2 médian
Les axones issus des neurones des noyaux des colonnes dorsales se retrouvent
au sein d’un faisceau de fibres très dense dénommé lemnisque médian. Le lem-
nisque médian traverse le bulbe, le pont et le mésencéphale, et ses axones se
terminent dans le noyau ventral postérolatéral (VPL) du thalamus. Ici il faut se
souvenir qu’aucun type d’information sensorielle n’atteint directement le cortex
sans relais thalamique (à l’exception de l’information olfactive). Les neurones du
VPL projettent vers des territoires corticaux spécifiques représentant le cortex
somatosensoriel primaire, ou S1.
Il est tentant de suggérer que l’information sensorielle est simplement trans-
férée sans modification, à travers les noyaux du tronc cérébral et du thalamus,
jusqu’au niveau cortical où s’effectuerait seulement la véritable intégration de
ces informations sensorielles. C’est ce qui transparaît des termes noyaux de relais
souvent utilisés pour désigner les noyaux sensoriels spécifiques du thalamus tel
que le VPL. Les résultats des études électrophysiologiques prouvent qu’il en est
autrement. De nombreuses transformations des signaux interviennent tant dans
les colonnes dorsales que dans le thalamus. En règle générale, l’information est
transformée chaque fois qu’elle franchit un certain nombre de synapses du sys-
tème nerveux. En particulier, il existe des interactions inhibitrices entre groupes
de fibres de la voie des colonnes dorsales et du lemnisque médian, qui inter-
viennent pour accroître la réponse aux stimuli tactiles (Encadré 12.2). Comme
nous le verrons ultérieurement dans ce chapitre, un certain nombre de synapses
de ces systèmes sensoriels voient leur efficacité se modifier en fonction de leur
activité. Enfin, les neurones du thalamus, ou des noyaux des colonnes dorsales,
reçoivent aussi des messages descendant du cortex, qui modulent leur activité.
De ce point de vue il est remarquable que les messages issus du cortex puissent
exercer un contrôle sur les informations qui lui arrivent !
Cortex somatosensoriel
Comme pour l’ensemble des autres systèmes sensoriels, le niveau d’intégra-
tion le plus achevé des informations somatosensorielles intervient dans le cortex
cérébral. L’essentiel du cortex somatosensoriel est localisé dans le lobe pariétal
(Fig. 12.17). À ce niveau, les aires somatosensorielles primaires (S1) sont faciles
à identifier chez l’homme, occupant une région du cortex qui couvre le gyrus
post-central (à droite du sillon central). Le cortex somatosensoriel est formé par
l’aire 3b de Brodmann (voir aussi la figure 7.28 illustrant la répartition des aires
de Brodmann). Cette aire 3b est flanquée d’autres aires corticales participant
également à l’intégration des informations sensorielles : les aires 3a, 1 et 2 du
gyrus post-central, et les aires 5 et 7 du cortex pariétal postérieur (Fig. 12.17).
428 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Inhibition latérale
L’information subit en général un certain nombre de décharge de la cellule « d » augmente pour atteindre
transformations en passant d’un neurone à l’autre, au 10 impulsions/s. Si l’on considère que le message de sortie
niveau des synapses. C’est le cas dans les systèmes sen- des noyaux des colonnes dorsales est équivalent au mes-
soriels. L’une de ces transformations consiste en une sage d’entrée (gain synaptique : x 1), on peut donner une
amplification des différences d’activité entre neurones valeur arbitraire à ce message : le message d’entrée en « d »
voisins, ce que l’on nomme augmentation de contraste. est par exemple de 10 et le message de sortie en « D » est
Ce type de mécanisme a d’ailleurs déjà été évoqué pour donc également de 10. Dans ce cas, le relais synaptique
les champs récepteurs, dans la rétine (voir chapitre 9). n’augmente pas les différences entre les neurones les plus
Dans ce cas, si tous les photorécepteurs innervant une actifs, notés ici par exemple « d », et les autres qui sont
cellule ganglionnaire sont indifféremment illuminés, la autour. Le contraste entre l’activité du neurone « D » et ses
cellule va répondre assez fortement. En revanche, s’il neurones voisins « C » et « E », par exemple, est donc bien
s’avère qu’il y ait un effet de contraste de ligne, c’est-à- de 10 impulsions/s versus 5 impulsions/s.
dire une illumination différentielle de tous ces photoré- Si l’on considère maintenant la situation décrite à la
cepteurs du champ récepteur, à ce moment-là, la réponse figure B, un certain nombre d’interneurones inhibiteurs
de la cellule ganglionnaire se trouve fortement modulée. sont intercalés entre le neurone sensoriel primaire et le
L’augmentation du contraste représente donc l’un des neurone sensoriel de second ordre, en projetant latérale-
mécanismes généraux de l’intégration de l’information ment pour inhiber les cellules voisines, comme illustré
dans les voies sensorielles, y compris somatosensorielles. sur le schéma. Dans ce cas, supposons maintenant que
Parmi ces mécanismes qui contribuent à l’augmentation le gain d’efficacité des synapses inhibitrices (triangle
du contraste, l’inhibition latérale est l’un des plus connus, noir) est de – 1. Le gain d’efficacité synaptique des
par lequel les cellules voisines s’inhibent entre elles. synapses excitatrices (triangle blanc) est indiqué sur le
Le principe de ce mécanisme est décrit par le modèle schéma. Vous pouvez alors calculer l’activité de chaque
suivant : si l’on considère la situation présentée à la cellule en multipliant l’entrée synaptique par le gain de
figure A, les neurones d’un ganglion rachidien, notés de la synapse, puis en sommant l’effet de toutes les synapses
« a » à « g », relaient l’information sensorielle vers les neu- sur la cellule. Si vous effectuez ce calcul, vous verrez qu’à
rones des noyaux des colonnes dorsales notés de « A » à ce moment-là, il y a une augmentation très significative
« G ». Dans ce modèle, tous ces neurones déchargent spon- du contraste entre l’activité de chaque cellule : la diffé-
tanément à la fréquence de 5 impulsions/s (potentiels d’ac- rence entre l’activité de la cellule « d » et ses voisines a
tion émis par seconde), y compris en l’absence de stimula- été considérablement amplifiée au niveau de l’activité de
tion. Considérons maintenant ce qui est la conséquence de sortie de la cellule « D » correspondante. Le contraste
l’application d’un stimulus dans un champ récepteur d’un entre l’activité du neurone « D » avec celle de ses voisins
de ces neurones, ici le neurone « d » de la figure A. La « C » et « E » est maintenant de 20 impulsions/s.
Figure A Figure B
12 – Système sensoriel somatique 429
Cortex somatosensoriel
primaire
Thalamus
Noyau trigéminal
principal
2
1
Axones de gros diamètre.
Issus des mécanorécepteurs
du visage
Nerf trigéminal
(Ve paire de nerfs crâniens) Figure 12.16 – Voies trigéminales.
Cortex somatosensoriel
Sillon primaire (S1) (aires 1, 2, 3a, 3b)
central
Cortex pariétal
postérieur (aires 5, 7)
Sillon Gyrus
central post-central
1 7
3b
2 5
Figure 12.17 – Aires somatosensorielles du cortex.
L’ensemble des aires illustrées sur ce schéma est situé
3a
dans le lobe pariétal. Le schéma du bas montre que le gyrus
post-central comprend l’aire 3b, représentant le cortex S1.
430 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Les raisons pour lesquelles l’aire 3b est qualifiée de cortex sensoriel primaire
sont les suivantes :
•• cette aire reçoit des afférences très denses depuis le VPL du thalamus ;
•• ses neurones répondent de façon intense aux stimuli somatosensoriels
(mais pas aux autres types d’informations sensorielles) ;
•• les lésions de S1 affectent les sensations somatiques ;
•• la stimulation électrique de cette aire corticale évoque des sensations sen-
sorielles somatiques. Les afférences thalamiques se terminent principa-
lement dans l’aire corticale 3b mais l’aire 3a reçoit également de fortes
projections thalamiques. Toutefois, cette aire 3a n’est pas concernée par
les informations cutanées relatives au toucher mais plutôt par celles infor-
mant sur la position des membres par rapport au corps.
L’aire 3b projette à son tour vers les aires 1 et 2. La projection de 3b
vers
l’aire 1 paraît renseigner plutôt sur la texture de la stimulation, alors que
la projection vers l’aire 2 est en rapport avec la taille du stimulus et sa forme. De
fait, de petites lésions des aires 1 ou 2 produisent des déficits prédictibles dans
les processus de discrimination de la texture, de la forme et de la taille des objets.
Le cortex somatosensoriel, comme les autres aires corticales, est organisé
sur un mode laminaire. Comme dans le cas du cortex visuel ou auditif, les pro-
jections issues du thalamus et qui se terminent dans le cortex S1 atteignent la
couche IV. Les neurones de la couche IV du cortex, quant à eux, transmettent les
informations vers les autres couches du cortex. Une autre similarité importante
avec les autres régions corticales est l’organisation en colonnes, où chaque cellule
de S1 qui reçoit des informations similaires et produit des réponses équivalentes,
est confinée dans les différentes couches de la même zone de S1 (Fig. 12.18). En
fait, le concept de colonne corticale, si magnifiquement illustré par les travaux
de Hubel et Wiesel au niveau du cortex visuel, a été initialement proposé pour
rendre compte de l’organisation anatomofonctionnelle du cortex somatosenso-
riel par Vernon Mountcastle, qui travaillait à l’Université Johns Hopkins.
Somatotopie corticale. La stimulation électrique de la surface de l’aire S1
peut être à l’origine de sensations somatiques susceptibles d’être localisées pré-
cisément aux différentes parties du corps selon le site exact de la stimulation.
Neurones Ainsi, lorsque l’on déplace systématiquement l’électrode de stimulation sur les
à adaptation
rapide différentes régions de S1, la sensation est véritablement de se déplacer au niveau
Neurones des différentes parties du corps. Le neurochirurgien américano-canadien Wilder
à adaptation
lente Penfield, qui exerça à l’Université McGill à Montréal des années 1930 aux
D3 années 1950, développa cette méthode pour explorer systématiquement le cortex
de ses patients simplement sous anesthésie locale du scalp, du fait de l’absence de
D2
récepteurs sensoriels dans le cerveau lui-même. Penfield établit de cette manière
les cartes somatotopiques du cortex sensoriel humain. Une autre méthode utili-
D1
sée pour étudier l’organisation du cortex somatosensoriel consiste à enregistrer
l’activité unitaire des neurones et à déterminer pour chacun d’entre eux le champ
récepteur correspondant au niveau du corps. Les champs récepteurs de la plupart
des neurones de S1 sont ordonnés de telle manière qu’il existe véritablement une
Thalamus représentation des différentes parties du corps dans le cortex sensoriel primaire.
Cette organisation conduisant à reconnaître pour chaque point du cortex une
partie correspondante du corps est dénommée somatotopie. Comme nous l’avons
Noyau vu précédemment, il existe d’autres types de représentations sensorielles dans
de la colonne
dorsale différentes régions cérébrales, telles que celles déterminées par les stimulations
lumineuses de différents points de la rétine (rétinotopie), ou par des stimulations
auditives de différentes fréquences au niveau de la cochlée (tonotopie).
Organes génitaux
Hanche
Jambe
Tronc
Av
Cou
Tête
Co
Pied
Bras
an
Or
ude
t-b
tei
ras
Ma
ls
Do
in
igt
Po
s
uc
e
Œ
il
Ne
z
Fa
ce
su
pé Lèvr
rie e
ur
Lèvr e
es
Lèvre in
férieure
Dents
Gencives
Machoire
ue
Lang
x
ryn
in es
a
Ph
m èr
x
au
od isc
ab V
les bras et les jambes sont beaucoup moins représentés (Fig. 12.20). La repré-
sentation corticale relative de chacune des parties du corps est corrélée avec la
densité des informations sensorielles issue de chacune d’entre elles. La taille de la
représentation corticale est aussi en rapport avec le rôle plus ou moins important
joué par les informations sensorielles issues de ces différentes parties du corps.
Par exemple, les informations sensorielles concernant l’index de la main sont plus
utiles que celles relatives au coude. Ceci est facile à comprendre ; mais alors pour-
quoi les informations sensorielles relatives à la bouche paraissent-elles jouer un
rôle aussi important ? Il semble en fait que les informations sensorielles relatives
à la bouche jouent un rôle particulièrement important dans la production de la
parole, alors que les lèvres et la langue (que ce soit sur le plan de la sensation ou
de la détection du goût) paraissent représenter les dernières lignes de défense
quand vous décidez qu’une bouchée est délicieuse ou au contraire quand vous
la rejetez. Comme nous le verrons dans un moment, l’importance des entrées
sensorielles issues d’une zone du corps et la taille de sa représentation au niveau
Figure 12.20 – Homonculus. du cortex reflètent également son degré d’utilisation.
L’importance de la représentation corticale des différentes parties du corps
varie beaucoup selon l’espèce animale considérée. Par exemple, les vibrisses des
rongeurs (les moustaches) sont très représentées dans le cortex S1, alors que les
doigts des pattes ne font l’objet que d’une très faible représentation (Fig. 12.21).
De fait, chacune des vibrisses active des neurones localisés dans une région par-
ticulière du cortex S1, identifiée comme une partie cylindrique ressemblant à un
tonneau ou à un baril1. Cette organisation est facilement reconnaissable sur des
coupes du cortex S1 : les 5 rangées de vibrisses sont représentées sous forme de
5 rangées de barrels de chaque côté du cerveau (Encadré 12.3). Ces études sur les
« barrels corticaux » chez le rat et la souris ont considérablement fait progresser
nos connaissances sur les fonctions du cortex sensoriel.
Vibrisses
Follicules
2 mm
(b)
Barrels
au niveau de S1
(a)
Figure 12.21 – Représentation somatotopique
des vibrisses au niveau du cortex somato
sensoriel de la souris.
(a) Position des vibrisses du museau de la
souris. (b) Représentation de l’organisation
somatotopique du cortex somatosensoriel S1
chez la souris. (c) Illustration des barrels (c) 1 mm
(barils, en français) du cortex S1. Le schéma
en bas à droite représente la position relative
de l’ensemble des barrels, disposés en cinq
rangées qu’il est facile de comparer à la dis-
position réelle des vibrisses implantées sur la
face de l’animal. (Source : adapté de Woolsey 1. NdT : le terme anglais de barrel est en général utilisé pour identifier ces zones de repré-
et Van der Loos, 1970.) sentation des vibrisses.
12 – Système sensoriel somatique 433
Au milieu des années 1960, je terminais organisée la couche IV. C’est alors que j’ai
à l’Université du Wisconsin une étude phy- eu la chance d’effectuer un stage dans le
siologique de l’organisation du toucher, de laboratoire d’H. Van der Loos à Johns
l’audition et de la vision dans le cerveau de Hopkins. J’ai préparé des échantillons de
la souris, alors même que je n’avais pas cortex, dans la région où j’enregistrais les
encore entrepris mon projet de thèse. À réponses aux stimulations de la face de la
cette époque, nous procédions à une étude souris, et j’ai réalisé des coupes plus épaisses
histologique systématique de tous les cer- qu’il était l’usage à cette époque. C’est par
veaux étudiés. Après ma première année de un beau matin de printemps, après avoir
médecine, je repris l’étude de ces coupes Thomas Woolsey bataillé pour monter les coupes histolo-
histologiques et j’ai remarqué une caracté- giques, que je me suis dirigé vers la pièce où
ristique commune de l’organisation de la couche IV du se trouvait mon microscope. J’ai alors eu la surprise
cortex, là où j’avais enregistré les réponses aux mouve- de constater que l’arrangement des neurones de la
ments des vibrisses. Les corps cellulaires étaient répartis couche IV reproduisait celui de l’arrangement des
de façon plus ou moins aléatoire, mais cela n’était pas moustaches sur la face de l’animal. J’ai immédiatement
nouveau. De nombreux auteurs, dans des articles, alerté Van der Loos et je lui ai montré les coupes. Il fut
presque oubliés, publiés au cours des 50 dernières dès lors la seconde personne au monde à savoir que le
années, l’avaient déjà montré. Mais c’était avant que l’on cerveau avait imprégné dans le cortex l’image de la
puisse enregistrer l’activité de ces neurones et ainsi per- répartition des moustaches de la souris. Nous avons
sonne n’avait encore spéculé sur la fonction du cortex. nommé ces groupes de cellules « barils corticaux » (bar-
Le cortex est généralement étudié en coupes perpen- rels en anglais). Plus tard l’hypothèse fut émise que
diculaires à la surface. Procéder à des coupes parallèles chaque barrel était associé à une vibrisse unique et que
à la surface, ce qui n’avait été que rarement fait, pouvait chacun était une partie d’une colonne corticale fonc-
me donner une meilleure idée de la façon dont était tionnelle.
Aire
Membre 3b 1
postérieur
Plant
du pied
Cuisse
Tronc
Membre
antérieur
Poignet
Paume Aire
Figure 12.22 – Représentations somatotopi de la main 3b 1
ques multiples du cortex S1. Menton
Les enregistrements ont été effectués à partir Vibrisses
des aires 3b et 1, chez le singe. (a) Les don- caudaux
nées montrent qu’il existe dans chaque aire Lèvre
une représentation somatotopique distincte. inférieure
(b) Un examen plus approfondi de l’aire de la
Lèvre
main montre que les représentations somato- 1 mm
supérieure
topiques sont en miroir. Les régions colorées Coussinet
du schéma illustrent les parties dorsales des Dents Vib. C. palmaire
mains et des pieds, et les régions claires, les Vib. M.
parties ventrales. (Source : adapté de Kaas (a) (b)
et al., 1981.) Doigts
Corps
Postérieur Antérieur
Face
Cortex
somatosensoriel
primaire
D5
D4 D5
Figure 12.23 – Plasticité de la somatotopie D4
des cartes sensorielles. D2 D2
(a, b) Par stimulation procédant d’une explo- D1 D1
ration systématique de la peau des doigts
(c) Réorganisation des cartes corticales Après réorganisation
d’une main, il est possible de cartographier
après amputation du troisième doigt (D3) du cortex somatosensoriel
chez le singe le cortex S1 et de déterminer le
territoire de chacun de ces doigts. (c) Après D5
amputation du doigt n° 3, le cortex se ré D4 D5
organise comme le montrent les enregistre- D3 D4
D3
ments réalisés après quelque temps, de telle D2
manière que les territoires de représentation Disque D2 D1
des doigts 2 et 4 sont plus étendus qu’initiale- représentant D1
le stimulus
ment. (d) Si, au contraire, dans une autre série
d’expériences, les doigts 2 et 3 sont sélecti- (d) Réorganisation des cartes corticales
vement activés, leur représentation corticale après sur-utilisation des deux doigts dans
s’accroît. une tâche comportementale conditionnée
12 – Système sensoriel somatique 435
n° 3) est amputé. Après plusieurs mois, le cortex S1 est à nouveau exploré par
les microélectrodes. Dans ces conditions, les enregistrements montrent que la
région du cortex qui recevait initialement les informations sensorielles du doigt
amputé répond maintenant à la stimulation des doigts adjacents (Fig. 12.23c).
Clairement, une réorganisation du cortex somatosensoriel est intervenue, qui a
modifié la somatotopie.
Dans le cas de cette expérience d’amputation d’un doigt, l’origine de cette
réorganisation est manifestement la suppression des informations venant du
doigt qui a été amputé. Mais que se passerait-il si, à l’inverse, l’activité senso-
rielle issue d’un doigt venait à être augmentée ? Pour répondre à cette question,
dans une autre expérience les singes sont entraînés à utiliser sélectivement cer-
tains de leurs doigts, pour réaliser une tâche comportementale pour laquelle ils
reçoivent une récompense. Après plusieurs semaines d’entraînement, le cortex
est exploré. Les résultats montrent que les zones recevant les informations des
doigts « sur-utilisés » sont plus larges que chez les témoins, et qu’elles se sont
étendues par rapport à celles recevant des informations des doigts qui ne sont
pas impliqués dans la tâche comportementale (Fig. 12.23d). Ces expériences
révèlent que les « cartes » corticales présentent un caractère dynamique, ajustant
la représentation au niveau d’informations sensorielles. D’autres expériences,
qui ont suivi, ont révélé des phénomènes de plasticité similaires, que ce soit dans
le cortex visuel, le cortex auditif ou le cortex moteur, démontrant que ce proces-
sus concerne de larges zones du cerveau.
Ces résultats chez l’animal ont incité les chercheurs à analyser le cortex
humain pour savoir si de tels phénomènes de plasticité des représentations pour-
raient également intervenir. L’une des illustrations les plus intéressantes pro-
vient de l’étude de sujets amputés. Une sensation commune de ces sujets est
la perception de sensations provenant du membre amputé, notamment lorsque
d’autres parties du corps sont touchées. Ces sensations, qui correspondent à
ce que l’on nomme les « membres fantômes », sont en particulier évoquées par
le toucher des zones qui bordent la représentation corticale voisine de celle du
membre amputé ; par exemple, à partir de la zone de la face pour une amputa-
tion du membre supérieur. L’imagerie fonctionnelle révèle chez ces sujets que les
régions corticales recevant initialement des informations sensorielles du membre
amputé sont maintenant activées par les informations sensorielles issues de la
région de la face. Bien que ce type de plasticité puisse être de caractère adaptatif
en ce sens que le cortex pourrait simplement ne pas rester inutilisé, le décalage
qui existe entre les stimulations sensorielles et les perceptions chez les amputés
montrent qu’il peut conduire à des confusions sur la façon dont les signaux de
S1 peuvent être interprétés.
Même si les amputés présentent des réorganisations corticales, cela ne leur est
pas forcément bénéfique. En revanche, nous avons des exemples montrant que
le développement des zones de projection sensorielle peut bénéficier à certains
sujets. Tel serait le cas chez les musiciens professionnels ! En effet, les violonistes
et autres joueurs d’instruments à cordes utilisent considérablement et séparé-
ment chacun des doigts de leur main gauche ; en revanche, l’autre main, qui tient
l’archet, utilise les doigts de façon plus globale et moins intense. Là encore, les
enregistrements effectués dans le cadre d’expériences d’imagerie fonctionnelle
montrent que les régions de S1 recevant des informations des différents doigts de
la main gauche sont beaucoup plus étendues que celles recevant les informations
des doigts de l’autre main ou existant chez des sujets témoins, non musiciens
professionnels. Ainsi apparaît-il que l’utilisation intensive de ces doigts génère
des informations sensorielles qui contribuent en permanence à une « reconfi-
guration » du cortex S1. Il est vraisemblable que ce phénomène représente une
version « exagérée » d’un processus de reconfiguration permanente des cartes
corticales intervenant dans le cerveau de chacun, en rapport avec son expérience
personnelle.
Les mécanismes de cette plasticité des cartes corticales ne sont pas connus,
comme nous le verrons dans le chapitre 25. Néanmoins, ils pourraient être en
rapport avec l’apprentissage et la mémorisation.
436 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Cortex pariétal postérieur. Comme nous l’avons vu, la ségrégation des dif-
férents types d’informations sensorielles est la règle dans le système nerveux
et le système sensoriel somatique ne fait pas exception. Néanmoins, ces infor-
mations sensorielles de types différents ne peuvent pas être séparées jusqu’au
bout et un niveau d’intégration doit exister. Lorsqu’un sujet perçoit la présence
de sa clé dans sa poche, en général il ne détaille pas les différentes caractéris-
tiques de cette clé : sa taille et sa forme particulière, ses contours arrondis, ses
surfaces planes et dures, son poids particulier. Au contraire, sans réfléchir trop
il s’assure rapidement en touchant l’objet avec sa main qu’il y a une clé dans
sa poche, plutôt que des pièces de monnaie ou tout autre objet. Les différents
aspects de cette clé représentant autant de stimuli différents sont confrontés
pour permettre son identification rapide. Nous ne savons pas encore avec pré-
cision comment cela est possible à partir de nos systèmes sensoriels, mais nous
savons qu’il est nécessaire que les différentes sensations se combinent pour
aboutir à une image mentale parfois complexe. La plupart des objets présentent
des formes, des sons ou encore des odeurs différents et le mélange de toutes ces
sensations est nécessaire pour vous les représenter, comme par exemple votre
animal domestique favori.
Ce que nous devons savoir, en fait, c’est que les caractéristiques des champs
récepteurs se modifient dès lors que l’information arrive au cortex. Ainsi les
champs récepteurs sont-ils par exemple susceptibles de s’agrandir. Avant d’arri-
ver au cortex et jusque dans les aires 3a et 3b, les neurones ne sont pas sensibles
à la direction du stimulus sur la peau, alors que les cellules des aires 1 et 2 le
sont. Dès lors, les stimuli auxquels les neurones deviennent les plus sensibles sont
de plus en plus complexes. Certaines aires corticales, comme le cortex pariétal
postérieur, paraissent être des régions où les informations de différents types
convergent pour générer des représentations neuronales très complexes. Par
exemple, lorsque nous avons étudié le système visuel nous avons noté la com-
plexité des champs récepteurs de l’aire IT. Le cortex pariétal postérieur présente
en ce qui le concerne des propriétés similaires. Ses neurones se caractérisent par
des champs récepteurs très larges, avec des réponses préférentielles à des stimuli
Dessin
qui sont extrêmement difficiles à caractériser, compte tenu de leur complexité.
Modèle
Modèle Dessin du patient
du patient De plus, cette aire traite non seulement des informations en rapport avec la sen-
sibilité somatique, mais aussi avec la planification du mouvement, le système
visuel, et même les processus attentionnels.
Des lésions des aires corticales pariétales postérieures produisent des syn-
dromes neurologiques particuliers, parmi lesquels l’agnosie. L’agnosie est une
difficulté à reconnaître les objets alors même que les processus sensoriels de base
paraissent normaux. Les patients souffrant d’astéréognosie ne sont plus à même
de reconnaître les objets en les prenant dans leur main (par exemple, une clé)
alors que leur sens du toucher est normal et qu’ils ne présentent aucune diffi-
culté à identifier les objets qu’ils voient ou les bruits qu’ils entendent. En général
les déficits sont limités au côté du corps controlatéral par rapport à la région
corticale lésée.
Les lésions du cortex pariétal peuvent aussi être à l’origine d’un syndrome
de négligence, dans lequel une partie du corps ou une partie du monde envi-
ronnant (le champ visuel) est ignoré ou supprimé, au point que son existence
même est déniée (Fig. 12.24). Dans son ouvrage L’homme qui prenait sa femme
pour un chapeau, le neurologue récemment disparu Oliver Sacks décrit le cas
d’un tel patient (L’homme qui tombait de son lit). Après un accident vasculaire
cérébral ayant probablement détruit une partie de son cortex, l’homme assurait
que quelqu’un lui avait fait une farce macabre en plaçant une jambe amputée sur
Figure 12.24 – Exemple d’un syndrome de
son lit. Dès lors qu’il tentait d’enlever cette jambe de sur son lit, lui et la jambe
négligence sensorielle.
Ce patient présente un accident vasculaire
tombaient du lit. Bien entendu il s’agissait de sa propre jambe mais ce patient
siégeant dans le cortex pariétal postérieur. Il n’était pas capable de la reconnaître comme étant une partie de son corps. Un
n’est plus capable de reproduire le dessin qui patient présentant un syndrome d’héminégligence peut aller jusqu’à ignorer la
lui est soumis, notamment en ce qui concerne nourriture qui se trouve dans une moitié de l’assiette placée devant lui. Ce type
les éléments figurés dans la partie gauche du de syndrome est plus souvent observé après une lésion qui touche l’hémisphère
schéma. (Source : Springer et Deutsch, 1989, droit et, heureusement, les patients récupèrent spontanément plus ou moins,
p. 193.) avec le temps.
12 – Système sensoriel somatique 437
Le cortex pariétal postérieur paraît ainsi jouer un rôle essentiel pour la per-
ception et l’interprétation des relations spatiales entre les objets, la perception
du schéma corporel, et l’apprentissage de tâches impliquant la coordination du
corps dans l’espace. Cela implique une intégration complexe d’informations
somatosensorielles avec celles de différentes autres sources, en particulier du
système visuel.
La douleur
À côté des mécanorécepteurs, les sensations somatiques dépendent aussi
fortement de l’activité des nocicepteurs, représentant des terminaisons libres et
très arborisées de fibres amyéliniques qui signalent qu’une partie du corps a
été endommagée ou qu’un traumatisme, qui risque de porter préjudice à l’in-
tégrité de l’organisme, va se produire. L’information nociceptive chemine vers
le cerveau par des voies neuronales qui sont très différentes de celles utilisées
par l’information issue des mécanorécepteurs. Par conséquent, l’expérience sub-
jective produite par l’activation de ces deux ensembles de voies, est différente.
L’activation sélective des nocicepteurs peut ainsi conduire à une perception
consciente de la douleur. Par ailleurs, il est notable que la nociception, comme la
douleur, présente un caractère vital (Encadré 12.4).
Il ne faut cependant pas confondre douleur et nociception, qui sont deux
choses bien différentes. La douleur représente la sensation ou la perception
d’effets irritants, pénibles, lancinants ou insupportables, provenant d’une partie
du corps. La nociception constitue quant à elle le processus sensoriel à l’origine
des signaux nerveux qui déclenchent la douleur. Alors même que les nocicep-
teurs peuvent décharger sauvagement et continuellement, la douleur peut aller et
venir ; et la réciproque est vraie : la douleur peut être très intense, sans activation
des nocicepteurs. Il est alors important de noter que, plus que dans tout autre
système sensoriel, les fonctions cognitives peuvent contrôler la nociception.
Encadré 12.4 FOCUS
Encadré 12.5 FOCUS
Démangeaisons
Les démangeaisons sont définies comme une sensation désagréable, qui
déclenche un besoin de se gratter ou un réflexe de grattement. Les démangeai-
sons et le grattement qu’elles déclenchent peuvent servir de défense naturelle
contre un certain nombre de parasites ou de toxines végétales affectant la peau
ou le scalp. Les démangeaisons sont en général d’assez brève durée et provoquent
des désagréments plutôt mineurs. Mais elles peuvent aussi devenir chroniques et
présenter alors un handicap majeur. Les démangeaisons chroniques peuvent être
causées par de nombreuses situations comme des réactions allergiques, des infec-
tions, des infestations, ou le psoriasis. Elles peuvent aussi résulter de troubles ne
concernant pas directement la peau, comme certains cancers, une déficience en
12 – Système sensoriel somatique 441
Figure 12.25 – Médiateurs périphériques de
la douleur et hyperalgie.
Favorise Cellules mastocytaires
l’œdème
Substance P
Bradykinine
Prostaglandines
K+
Histamine
Signal
nociceptif
Ganglion
des racines dorsales
Signal
Capillaire nociceptif
sanguin
Substance P
Moelle épinière
Temps
Afférences primaires et mécanismes spinaux
Stimulation Les vitesses de conduction des fibres Aδ et C étant différentes, les informa-
nociceptive tions véhiculées par ces deux groupes de fibres n’atteignent pas les structures
centrales de façon synchrone. Cela explique que l’activation des nocicepteurs
Figure 12.26 – Douleur rapide et retardée.
La sensation de douleur qui suit une stimu- de la peau se traduit par la perception de deux types distincts de douleur : une
lation nociceptive est relayée par les fibres douleur rapide et aiguë, de caractère fulgurant, qualifiée de douleur rapide, sui-
rapides Aδ. Puis interviennent les fibres vie d’une douleur plus diffuse et plus lente mais de caractère plus persistant,
lentes de type C, qui relaient une douleur plus qualifiée quant à elle de douleur retardée. La douleur rapide est transmise par les
durable. fibres Aδ ; la douleur retardée, par l’activation des fibres C (Fig. 12.26).
Comme dans le cas des fibres Aβ des mécanorécepteurs, les fibres de petit
diamètre ont leur corps cellulaire dans les ganglions des racines dorsales et
pénètrent de là dans la corne dorsale de la moelle épinière. Les fibres se divisent
immédiatement à ce niveau, parcourent une courte distance vers le haut ou vers
le bas dans une région dénommée zone de Lissauer, puis se terminent dans la
région externe de la corne dorsale dénommée substantia gelatinosa (Fig. 12.27),
où elles font synapse.
Zone
de Lissauer
Racine dorsale
Fibre C
Racine ventrale
Vers le cerveau
Axones des
afférences primaires
Viscère
Ganglion
sympathique
du système
nerveux autonome
Axones
des afférences
primaires Figure 12.29 – Convergence des informa
tions nociceptives issues des viscères et de
la peau.
Cortex
somatosensoriel
primaire
(S1)
3
Thalamus
(noyaux intralaminaires
et VPL)
Bulbe
Axones
2
des racines dorsales Colonne
de fin diamètre dorsale
Faisceau
spinothalamique
Moelle épinière
1
Figure 12.30 – Voie spinothalamique.
C’est la voie principale qui conduit au cortex cérébral les informations périphériques relatives à la
douleur et à la température.
Thalamus
Lemnisque
médian
Bulbe
Noyaux
Moelle épinière
des colonnes
dorsales
Faisceau
Colonne spinothalamique
dorsale latéral
Axone
Axone
des racines
des racines
dorsales
dorsales
(Aα, Aβ, Aδ)
Ligne (Aδ, C) Ligne
médiane médiane
Toucher, vibrations, discrimination Douleur, température, Figure 12.31 – Organisation d’ensemble des
fine, proprioception quelques sensations relatives deux principales voies sensorielles soma
au toucher tiques ascendantes.
rielles de petit diamètre présentes dans le nerf trigéminal font d’abord synapse
sur des neurones de second ordre du noyau spinal trigéminal du tronc cérébral.
Les axones de ces cellules croisent ensuite la ligne médiane et remontent vers le
thalamus par le lemnisque trigéminal.
À côté des voies spinothalamique et trigéminothalamique, d’autres systèmes
neuronaux relaient les informations nociceptives et relatives à la perception de
la température, et envoient des informations vers une série de structures du tronc
cérébral, à tous les niveaux, avant d’atteindre le thalamus. Certains de ces sys-
tèmes sont particulièrement importants pour générer des sensations de douleur
lentes, telles que des sensations de brûlure, alors que d’autres sont, au contraire,
liés à des dispositifs plus généraux d’éveil comportemental et d’alerte.
Thalamus et cortex. Le faisceau spinothalamique et les axones des voies
lemniscales trigéminales atteignent des régions thalamiques plus larges que celles
atteintes par les fibres véhiculées au travers du lemnisque médian. Certains des
axones se terminent dans le thalamus ventropostérieur, exactement comme ceux
du système du lemnisque médian mais, dans ce cas, les informations relatives au
toucher et à la douleur restent tout de même ségrégées dans des territoires du
noyau anatomiquement séparés. D’autres axones des fibres spinothalamiques
se terminent dans les noyaux intralaminaires du thalamus (Fig. 12.32). À partir
du thalamus, les informations nociceptives et relatives à la sensation de la tem-
pérature sont transmises à diverses aires corticales. Comme dans le thalamus,
ces voies couvrent un territoire plus large que celui concernant le système des
colonnes dorsales.
Contrôle de la douleur
Depuis un certain nombre d’années, nous savons que la perception de la dou-
leur présente un caractère extrêmement variable. Par exemple, en rapport avec
le degré de transmission parallèle d’informations sensorielles non douloureuses
et le contexte comportemental, le même degré d’activité d’un nocicepteur ne va
pas conduire à la perception de la même douleur, qui va ainsi paraître plus ou
moins intense. Comprendre les mécanismes de cette modulation présente alors
un caractère essentiel, en ce sens que cela pourrait permettre de lutter plus effica-
cement contre la douleur et notamment la douleur chronique, qui affecte jusqu’à
20 % de la population des adultes.
446 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Postérieur
Régulation afférente. Nous avons déjà évoqué l’idée qu’une stimulation sen-
sorielle même légère peut conduire à des phénomènes d’hyperalgie. De façon
intéressante, nous savons aussi que la perception de la douleur peut à l’inverse
être réduite par l’activation simultanée de mécanorécepteurs sensoriels de bas
seuil, de type Aβ. Vraisemblablement, c’est la raison pour laquelle il est utile
de se frotter la peau après une contusion. Cela peut aussi rendre compte des
effets bénéfiques de certaines stratégies thérapeutiques fondées sur une stimu-
lation électrique de la peau pour certaines formes de douleurs chroniques et
irréductibles. Dans ce cas, des électrodes sont placées à la surface de la peau et
la douleur se trouve réduite lorsque le patient lui-même active le stimulateur
électrique, réglé pour stimuler sélectivement les fibres sensorielles de bas seuil,
au diamètre élevé.
Dans les années 1960, Ronald Melzack et Patrick Wall, qui travaillaient
alors au MIT, proposèrent une hypothèse pour rendre compte de ces phéno-
mènes. Leur théorie du portillon (gate control) propose que certains neurones de
la corne dorsale de la moelle épinière, qui relaient les informations du faisceau
spinothalamique, sont activés par des afférences sensorielles de gros diamètre,
ainsi d’ailleurs que par des fibres amyéliniques, qui relaient les informations
nociceptives. Les neurones de projection sont aussi soumis à l’action inhibi-
trice de certains interneurones qui seraient quant à eux à la fois excités par les
fibres sensorielles primaires de gros diamètre et inhibés par les axones des fibres
nociceptives (Fig. 12.33). De ce fait, les informations véhiculées par les axones
nociceptifs seuls ont pour effet d’exciter au maximum les neurones de projection,
contribuant à une transmission maximale de ces informations nociceptives vers
le cerveau. En revanche, lorsque les fibres sensorielles de gros diamètre sont
également activées, celles-ci contribuent à l’activation des interneurones spinaux
et, par voie de conséquence, à la réduction des signaux nociceptifs ascendants.
Contrôle descendant. Les histoires de soldats, d’athlètes ou encore d’indi-
vidus torturés soumis à d’atroces blessures mais apparemment sans douleur ne
manquent pas. Des émotions fortes, le stress ou encore une détermination toute
stoïcienne, peuvent contribuer efficacement à la suppression de la sensation de
douleur. Plusieurs structures cérébrales ont été impliquées dans ce processus
(Fig. 12.34), parmi lesquelles une zone de neurones située dans le mésencéphale,
dénommée substance grise périaqueducale. La stimulation électrique de cette
région de l’encéphale peut induire une analgésie profonde, ce qui a conduit à des
applications neurochirurgicales en clinique humaine.
La substance grise périaqueducale reçoit normalement des afférences de très
nombreuses structures nerveuses, la plupart d’entre elles liées à l’intégration
des processus émotionnels. Les neurones de la substance grise périaqueducale
projettent vers divers noyaux bulbaires de la région médiane, et parmi eux les
noyaux du raphé (où se trouvent localisés la plupart des neurones à sérotonine).
Certains de ces neurones bulbaires projettent à leur tour vers la corne dorsale de
la moelle épinière, où ils peuvent effectivement contribuer à réduire l’activité des
neurones nociceptifs.
12 – Système sensoriel somatique 447
Moelle Axone Aα ou Aβ
épinière (mécanorécepteur)
Corne dorsale
Fibre C
(messages
Vers les colonnes dorsales nociceptifs)
+ Interneurone
–
+ –
Neurone
+ de projection
Mésencéphale
3
2 3
Bulbe
Noyaux
2 du raphé
Moelle épinière
Corne dorsale
1
Encadré 12.6 FOCUS
La thermoception
Comme dans le cas du toucher et de la douleur, la perception non doulou-
reuse de la température prend son origine au niveau de récepteurs spécialisés,
situés dans la peau (mais pas seulement). De même, cette perception dépend du
cortex cérébral pour ce qui concerne ses aspects conscients. Ce qui suit décrit
brièvement l’organisation de ce système particulier.
Thermorécepteurs
Parce que la vitesse des réactions chimiques dépend de la température, le
fonctionnement de toute cellule de l’organisme est sensible à la température.
Les thermorécepteurs, cependant, représentent des neurones particulièrement
sensibles aux variations de température, du fait de propriétés spécifiques de leur
membrane. Par exemple, ces neurones sont à même de détecter des variations
de température de la peau aussi minimes que celles correspondant à des chan-
gements de 0,01 °C. Dès lors, les neurones sensibles à la température situés tant
dans l’hypothalamus que dans la moelle épinière, sont tout à fait importants
pour relayer les réponses physiologiques qui maintiennent stable la température
du corps. Mais ce sont les thermorécepteurs de la peau qui contribuent apparem-
ment à la perception de la température de notre environnement.
Bien que nous ne connaissions encore que peu de choses de la structure des
thermorécepteurs cutanés, nous savons cependant que la sensibilité à la tempé-
rature n’est pas une propriété uniforme de l’ensemble de la peau. Par exemple,
vous pouvez utiliser une petite sonde chaude ou froide et tester vous-même la
sensibilité de différentes parties de votre peau à des changements de température.
Ainsi vous verrez que certaines zones, d’une surface d’environ 1 mm de diamètre,
ne sont sensibles qu’au chaud ou au froid, mais pas aux deux. Cela illustre alors
le fait que des récepteurs différents sont impliqués dans la détection du chaud et
du froid. De même, de petites régions situées entre ces zones sensibles au chaud
ou au froid paraissent insensibles aux variations de température.
La sensibilité d’un neurone aux variations de température dépend du type
de canaux ioniques qu’il exprime. La découverte des canaux responsables de la
perception d’augmentations de température douloureuses, supérieures à 43 °C
(voir Encadré 12.5), a amené à se poser la question de l’existence de canaux
proches de ceux-là, susceptibles de détecter d’autres gammes de température. Un
peu comme les ingrédients des sauces pimentées ont contribué à l’identification
de protéines récepteurs sensibles à ces épices fortes, images de certains récepteurs
« au chaud », dénommées TRPV1, le menthol a été utilisé pour caractériser
d’éventuels récepteurs « au froid », en rapport avec le caractère rafraîchissant de
la menthe. Le menthol, qui produit cette sensation de froid, active effectivement
un type de récepteur particulier, nommé TRPM8, qui se trouve également activé
par des baisses de température non douloureuses au-dessous de 25 °C.
Nous savons aujourd’hui que les thermorécepteurs comprennent six sous
types de canaux TRP distincts, qui leur confèrent des sensibilités à la tempéra-
ture différentes (Fig. 12.35). En règle générale, différents thermorécepteurs appa-
raissent n’exprimer qu’un seul sous type de canaux, ce qui explique pourquoi
différentes régions de la peau peuvent présenter des sensibilités différentes à la
température. Il existe toutefois une exception concernant certains récepteurs au
froid, qui expriment aussi des canaux TRPV1, et se trouvent de ce fait également
sensibles à des augmentations de température au-delà de 43 °C. Si une telle tem-
pérature est appliquée sur de larges surfaces de peau, elle est perçue comme dou-
loureuse. En revanche, si la zone exposée à la chaleur est restreinte à des régions
ne comportant que des récepteurs au froid, cette élévation de température peut
alors produire une sensation paradoxale de froid. Ce phénomène met en exergue
le point suivant : le système nerveux ne reconnaît pas quel type de stimulus (dans
ce cas la chaleur) active le récepteur, mais il continue à interpréter le signal éma-
nant de ses récepteurs au froid comme une réponse au froid.
450 2 – Systèmes sensoriel et moteur
(a)
TRPM8 TRPV4
Activité du canal
TRPV3
TRPA1
TRPV1 TRPV2
0 10 20 30 40 50
38° 38°
Température
32° de la peau (°C)
Récepteur
au froid
Récepteur
au chaud
5s
Voies de la thermoception
L’organisation des voies sensorielles qui relaient les sensations liées aux
variations de température est virtuellement identique à celles impliquées dans la
transmission des informations nociceptives décrites ci-dessus. Les récepteurs au
froid utilisent des fibres Aδ et de type C, alors que les récepteurs au chaud n’uti-
lisent que des fibres de type C. Comme cela a déjà été mentionné, ces fibres font
synapse dans la substantia gelatinosa de la corne dorsale de la moelle épinière.
Les neurones de second ordre décussent immédiatement et cheminent dans le
faisceau spinothalamique situé du côté controlatéral à la source d’information
sensorielle (voir Fig. 12.30). Ainsi, si la moelle épinière subit une transection
d’un côté, la perte de la sensibilité à la température (ainsi qu’à la douleur) est
confinée du côté opposé à la lésion, spécifiquement dans les territoires cutanés
innervés par les segments spinaux situés en dessous de la lésion.
Conclusion
Ce chapitre termine la description que nous avons donnée des systèmes sen-
soriels. Bien que chacun de ceux que nous avons évoqués soient spécifiquement
placés à l’interface entre le cerveau et des formes différentes d’énergie liées à l’en-
vironnement, les systèmes sensoriels présentent tous des similarités frappantes
de leur organisation et de leur fonction. Les différents types d’information soma-
tique sensorielle demeurent séparés dans les nerfs spinaux, car chaque axone
est connecté seulement à un seul type de récepteur sensoriel. La ségrégation des
informations sensorielles persiste dans la moelle épinière, et elle est largement
maintenue tout au long de leur trajet vers le cortex cérébral. À cet égard le sys-
tème somatosensoriel exprime des propriétés que l’on retrouve dans l’ensemble
du système nerveux : l’existence de plusieurs canaux d’information en rapport
les uns avec les autres mais pas identiques, cheminant en parallèle au travers
d’une série de structures cérébrales. L’intégration de ces informations s’effectue
tout au long du trajet des fibres vers le cortex mais de façon très judicieuse, et
452 2 – Systèmes sensoriel et moteur
elle est achevée seulement dans le cortex cérébral qui représente le plus haut
niveau de ces structures d’intégration. Cette organisation parallèle du transfert
des différentes informations sensorielles existe aussi, comme nous l’avons vu,
dans le système visuel, le système auditif, et pour les sens chimiques comme la
gustation et l’olfaction.
Comment ensuite toutes ces informations sont intégrées par le système ner-
veux pour aboutir à la perception, aux images, et aux idées, demeure pour le
moment complètement obscur, comme la recherche du Saint-Graal. La seule
chose que nous sachions est que la perception d’un objet quel qu’il soit implique
la coordination étroite de toutes les facettes de l’information sensorielle soma-
tique. Un oiseau dans la main est de forme arrondie, chaud, doux et léger ; les pal-
pitations de son cœur sont perceptibles contre les doigts ; ses griffes égratignent ;
et ses ailes caressent doucement la paume de la main. Quelque part, le cerveau
sait qu’il s’agit d’un oiseau, même sans le regarder ou l’entendre crier, et l’utili-
sation de toutes ces informations est telle qu’il y a vraiment peu de chance pour
que cet oiseau soit pris pour un crapaud. Les chapitres suivants sont consacrés
à l’étude des processus à la base de l’utilisation de cette information sensorielle,
pour élaborer une réponse motrice adaptée à la perception de ces sensations.
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Imaginez que vous frottiez l’extrémité de vos doigts sur une vitre lisse
ou sur une brique rugueuse. Quels types de récepteurs de la peau vous
aident à distinguer les deux surfaces ? Sur la base des informations
perçues, quelles sont les différences existant entre les deux surfaces
ainsi explorées ?
2. Quel est le rôle des encapsulations de certaines terminaisons ner-
veuses de la peau ?
3. Si quelqu’un vous met brutalement une pomme de terre très chaude
dans la main, quel type d’information arrivera d’abord à votre cer-
veau : la notion qu’il s’agit d’une pomme de terre très chaude, ou bien
qu’il s’agit d’un objet plutôt lisse ? Pourquoi ?
4. À quels niveaux du système nerveux tous les types d’informations
sensorielles somatiques sont-ils représentés du côté controlatéral : la
moelle épinière, le bulbe, le pont, le mésencéphale, le thalamus ou le
cortex ?
5. Quel lobe cortical comporte les principales aires sensorielles soma-
tiques ? Où se trouvent les aires correspondantes des systèmes visuel
et auditif ?
6. Quels sont les mécanismes de la modulation de la douleur à partir de
la périphérie ?
7. Dans quelle région du système nerveux convergent les informations
concernant le toucher, la forme, la température ou encore la douleur ?
8. Imaginez l’expérience suivante : remplissez deux seaux d’eau, l’un
d’eau plutôt froide, l’autre d’eau chaude. Remplissez maintenant un
troisième seau avec une eau tiède, de température intermédiaire. Pla-
cez votre main gauche dans l’eau chaude et votre main droite dans
l’eau froide, pendant environ une minute. Maintenant plongez bru-
talement les deux mains dans le troisième seau contenant l’eau tiède.
Essayez de prédire quel type de sensation de température vous obtien-
drez à partir de chacune des deux mains. Pensez-vous que les sensa-
tions seront les mêmes ? Pourquoi ?
12 – Système sensoriel somatique 453
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454 2 – Systèmes sensoriel et moteur 454
SYSTÈME MOTEUR
SOMATIQUE
MOTONEURONE
Organisation segmentaire des motoneurones..................................... 459
Motoneurones alpha ......................................................................... 460
Différents types d’unités motrices....................................................... 462
Encadré 13.1 Focus Sclérose latérale amyotrophique (SLA) :
glutamate, gènes et maladie de Lou Gherig
COUPLAGE EXCITATION-
CONTRACTION
Structure des fibres musculaires......................................................... 465
Encadré 13.2 Focus Myasthenia gravis
Bases moléculaires de la contraction musculaire................................. 468
Encadré 13.3 Focus Dystrophie musculaire de Duchenne
CONTRÔLE SPINAL
DES UNITÉS MOTRICES
Proprioception à partir des fuseaux neuromusculaires........................ 471
Motoneurones gamma........................................................................ 473
Encadré 13.4 Les voies de la découverte La régénération nerveuse
ne permet pas
une récupération totale,
par Timothy C. Cope
Proprioception à partir des organes tendineux de Golgi...................... 476
Interneurones spinaux........................................................................ 478
Générateur spinal des programmes moteurs de la locomotion............ 480
CONCLUSION
INTRODUCTION
C
e chapitre est consacré au système moteur qui, en réponse à une infor-
mation sensorielle, va être à l’origine d’un comportement réactionnel
adapté. Le système moteur est formé de l’ensemble de la musculature du
corps et des neurones qui commandent la contraction de ces muscles. Son impor-
tance est tout à fait considérable, comme le soulignait le neurophysiologiste
anglais Charles Sherrington en 1924 dans Linacre lecture : « Bouger les choses
représente tout ce que le genre humain peut faire… avec pour seul instrument le
muscle, que ce soit pour chuchoter une syllabe ou abattre une forêt. » Cependant,
le système moteur se trouve être d’une incroyable complexité, la réalisation des
comportements dans un environnement en perpétuel changement nécessitant
l’action coordonnée de nombreux muscles parmi les quelque 700 qui sont les
nôtres.
Connaissez-vous l’expression « courir comme un canard sans tête » ? Elle
est basée sur l’observation que des comportements complexes (courir autour de
la basse-cour, au moins pour un court instant) peuvent être obtenus indépen-
damment du cerveau. De fait, il existe dans la moelle épinière de très nombreux
circuits locaux susceptibles de permettre une activité motrice coordonnée, tels les
mouvements stéréotypés (répétitifs) de la locomotion. C’est au début du siècle
dernier que les neurophysiologistes anglais Charles Sherrington et Graham
Brown ont établi que des mouvements rythmiques des membres inférieurs pou-
vaient encore être obtenus chez le chat et le chien après une transection de la
moelle épinière séparant la partie basse de celle-ci du reste du système nerveux
central. Aujourd’hui il apparaît que la moelle épinière est à même d’exprimer par
elle-même une série de programmes moteurs à la base de mouvements coordon-
nés, programmes moteurs dont l’exécution est normalement sous la dépendance
d’influences descendantes issues du cerveau. Par conséquent, le contrôle moteur
peut, schématiquement, être divisé en deux parties : (1) la commande motrice
coordonnée de la musculature par les circuits spinaux, et (2) la commande cen-
trale descendante et le contrôle par le cerveau des programmes moteurs spinaux.
C’est le système moteur somatique périphérique qui fait l’objet de ce cha-
pitre, comprenant une description des articulations, des muscles squelettiques,
des motoneurones et de comment ces ensembles sont connectés entre eux, le
chapitre 14 qui suit étant, quant à lui, plus spécifiquement consacré au contrôle
descendant de l’activité de la moelle épinière.
456 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Fibres
musculaires
Axones provenant
de la moelle épinière
Muscle
(biceps)
Humérus
Biceps brachii
Flexion
Brachialis
Radius
Triceps
brachii Cubitus Figure 13.2 – Principaux muscles de l’articu-
lation du coude.
Extension
Le biceps et le triceps représentent deux
muscles antagonistes. La contraction du
Anconeus
biceps provoque la flexion de l’articulation du
coude ; celle du triceps, son extension.
458 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Extenseur Fléchisseur 1
Fléchisseur 2
Flexion
Extension
Motoneurone
La musculature somatique est innervée par les motoneurones, situés dans
la corne ventrale de la moelle épinière (Fig. 13.4). Ces cellules sont quelquefois
dénommées neurones moteurs inférieurs, pour les distinguer des neurones moteurs
supérieurs, à l’origine des voies motrices descendantes vers la moelle épinière.
Seuls les motoneurones, que Sherrington avait définis comme représentant la
voie finale commune du contrôle des comportements moteurs, sont impliqués
dans la commande de la contraction musculaire.
Racine
ventrale Corne
Motoneurones
ventrale
Nerf
mixte Fibre
Figure 13.4 – Innervation des muscles par musculaire
les motoneurones.
Les motoneurones innervant les muscles
squelettiques sont localisés dans la corne
ventrale de la moelle épinière.
13 – Contrôle spinal du mouvement 459
Bulbe
Moelle
épinière
Dilatation Corne
cervicale ventrale
(C3–T1)
Corne
ventrale
Corne
ventrale
Dilatation
lombaire
(L1–S3)
Motoneurones alpha
Dorsal Les motoneurones de la moelle épinière peuvent être subdivisés en deux
Fléchisseurs catégories : les motoneurones alpha (α) et les motoneurones gamma (γ) (voir
plus loin). Les motoneurones α sont directement responsables de la production
Muscles de la force par les muscles. Un motoneurone α et toutes les fibres musculaires
axiaux qu’il innerve, représentent l’unité de base de l’organisation du contrôle moteur,
Muscles ce que Sherrington a appelé l’unité motrice. La contraction musculaire résulte
distaux
de l’action individuelle, ou combinée, de ces unités motrices. L’ensemble des
motoneurones qui innerve un muscle déterminé (par exemple le biceps) forme
Extenseurs une population de motoneurones homogène, ce que l’on nomme en anglais, un
Ventral
Médial Latéral
pool de motoneurones (Fig. 13.7).
Muscle
Figure 13.7 – L’unité motrice et la population des motoneurones commandant un muscle parti-
culier.
(a) Une unité motrice représente le motoneurone et l’ensemble des fibres musculaires qu’il innerve.
(b) Une population de motoneurones représente l’ensemble des motoneurones innervant un seul
(b)
muscle.
13 – Contrôle spinal du mouvement 461
musculaire. Une contraction plus soutenue des fibres musculaires nécessite une
décharge répétée de potentiels d’action du motoneurone. Dans ce cas, comme
pour d’autres catégories de synapses, la décharge neuronale à haute fréquence
provoque une sommation temporelle des réponses post-synaptiques. La som-
mation de toutes les séquences d’alternance rapide de contraction-relaxation
augmente la tension des fibres musculaires et harmonise la contraction du mus-
cle (Fig. 13.8). Par conséquent, la fréquence de décharge des motoneurones, et
donc des unités motrices, représente donc bien un facteur important par lequel
le système nerveux central contrôle de façon graduée la contraction musculaire. Enregistrement
de l’activité
Un autre moyen dont dispose le système nerveux central pour contrôler des motoneurones
la contraction musculaire est de recruter des unités motrices synergistes addi-
tionnelles. Le supplément de tension qui se trouve apporté par le recrutement Mesure de la contraction musculaire
d’unités motrices additionnelles dépend du nombre d’unités motrices présentes
dans le muscle en question. Dans les muscles antigravitaires de la jambe par (a)
exemple (les muscles qui s’opposent à la force de gravité lorsqu’on est debout),
chaque unité motrice tend à être de taille importante, avec une innervation de
l’ordre de 1 000 fibres musculaires innervées par un seul motoneurone α. En Contraction musculaire 5 Hz
revanche, s’agissant des petits muscles qui contrôlent les mouvements des doigts
ou la rotation des yeux dans l’orbite, ils sont caractérisés par le fait que chaque
Force
motoneurone innerve un nombre limité de fibres musculaires, aussi faible que
3 fibres musculaires pour un seul motoneurone α, dans les cas extrêmes. En
Activité du motoneurone
général les muscles possédant un grand nombre d’unités motrices de petite taille
sont contrôlés plus finement par le système nerveux central.
La plupart des muscles présentent des unités motrices de taille différente et Potentiels d’action enregistrés
au niveau extracellulaire
ces unités motrices sont recrutées, dans l’ordre, d’abord les plus petites, puis les
plus grandes. Ce type de recrutement hiérarchisé explique pourquoi les mou- Temps
vements sont plus faciles lorsque la tension musculaire est faible alors qu’ils
10 Hz
sont plus difficiles quand leur tension est déjà forte. Les petites unités motrices
comportent des motoneurones α de petite taille, et les unités motrices de grande
taille présentent des motoneurones de plus gros diamètre. De ce fait, l’un des
Force
moyens par lequel le recrutement hiérarchisé peut intervenir pourrait être lié
à la géométrie des neurones et de leur arborisation dendritique, les motoneu-
rones α de petite taille ayant ainsi la capacité d’être plus facilement excités par les
influences descendantes du système nerveux central. Cette idée d’un recrutement
hiérarchisé des motoneurones α lié à des différences de leur taille, proposée par
le neurophysiologiste Elwood Henneman de l’Université de Harvard à la fin des
années 1950, est nommée principe de taille. Temps
sont contrôlés par des afférences nerveuses faisant synapse dans des cornes ven-
trales. Comme le montre la figure 13.9, les motoneurones α sont seulement soumis
à trois types d’afférences nerveuses. L’un de ces contingents de fibres provient des
neurones des ganglions sensoriels des racines dorsales, véhiculant les messages
sensoriels issus d’un détecteur sensoriel spécialisé du muscle lui-même dénommé
fuseau neuromusculaire. Comme cela sera mentionné plus loin, les fuseaux neu-
romusculaires renseignent le système nerveux sur la longueur du muscle. La Temps
Information provenant Enfin, le troisième type d’afférence des motoneurones α, qui est aussi le plus
des interneurones développé, a pour origine les interneurones spinaux. Ces interneurones peuvent
Information sensorielle
provenant des fuseaux
être soit excitateurs, soit inhibiteurs, et ils font partie de circuits impliqués dans
neuromusculaires les programmes moteurs spinaux.
Force (grammes)
60
50
50
0
0 2 4 6 15
40
Unité motrice rapide résistant
Unité motrice à la fatigue
30
Force (grammes)
rapide fatigable
Force (grammes)
30 20
10
20 0
0 2 4 6 50
Figure 13.10 – Trois types d’unités motrices
et leurs propriétés contractiles.
Unité motrice Unité motrice lente
Force (grammes)
fibre musculaire reçoit une innervation à partir d’un motoneurone rapide, elle
développera les caractéristiques d’une fibre rapide ; de même si l’innervation
implique un motoneurone lent.
Cette question a été étudiée par John Eccles et ses collaborateurs travaillant à
l’époque à l’Australian National University. Ces chercheurs ont supprimé l’inner-
vation d’un muscle rapide et l’ont remplacée par une innervation normalement
destinée à un muscle lent (Fig. 13.11). Cette procédure est suivie d’un change-
ment des propriétés des fibres musculaires qui, de rapides, deviennent lentes.
De façon intéressante, il est notable que ces changements ne portent pas que
sur les caractéristiques de la contraction (lente ; résistance à la fatigue), mais
également sur les caractéristiques biochimiques des fibres. Ces résultats sont en
faveur d’un changement de phénotype des fibres musculaires (leurs caractéris-
tiques physiques), se traduisant notamment par une modification des protéines
exprimées par les fibres. Des travaux ultérieurs, réalisés par Terje Lømo et ses
collaborateurs en Norvège, ont montré que ce changement de phénotype peut
être induit simplement en modifiant les caractéristiques d’activité du motoneu-
rone déchargeant normalement à haute fréquence (bouffées occasionnelles de 30
à 60 potentiels d’action) et dont la dite activité peut être ramenée à une décharge
lente et régulière de 10 à 20 potentiels d’action par seconde. Ces données sont
particulièrement intéressantes car elles suggèrent que les neurones peuvent
modifier leur phénotype en fonction des informations synaptiques (l’expérience)
qui leurs parviennent, ce qui peut être discuté en terme d’apprentissage et de
mémorisation (voir chapitres 24 et 25).
À côté de ces changements susceptibles d’être attribués au type de décharge des
motoneurones qui les innervent, il apparaît que les fibres musculaires sont éga-
lement sensibles aux variations globales d’activité les concernant. Par exemple,
une activation prolongée (liée notamment à un exercice isométrique) induit une
hypertrophie ou une croissance exagérée des fibres musculaires, comme cela
se voit chez les adeptes du bodybulding. Inversement, une inactivité prolongée
conduit à l’atrophie voire la dégénérescence des fibres musculaires, comme c’est
le cas lors d’une longue immobilisation d’un membre en raison d’une fracture,
par exemple. Ainsi apparaît-il clairement une relation étroite entre le motoneu-
rone et la fibre musculaire qu’il innerve (Encadré 13.1).
464 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Encadré 13.1 FOCUS
dismutase est une enzyme clé du métabolisme, qui trans- lette. Des études utilisant des analyses génétiques glo-
forme les radicaux superoxydes en leur faisant perdre bales (Genome wide association studies ou GWAS) à
leurs électrons surnuméraires et en les transformant à grande échelle qui visent à déterminer si des variations
nouveau en oxygène. Par conséquent, la perte d’activité du génome sont associées à la maladie, ont montré que
de la superoxyde dismutase conduit à une accumulation deux mutations de deux gènes différents pourraient
des radicaux libres et, partant, à des lésions cellulaires, effectivement être la cause de certaines formes de SLA.
particulièrement dans les cellules ayant un métabolisme Dans ce contexte, l’idée émergente est que la SLA est
très actif. La mort des motoneurones paraît par ailleurs clairement une maladie polyfactorielle et que le syn-
dépendre des cellules gliales qui les entourent. De fait, drome clinique caractérisé par des symptômes cliniques
d’autres mutations ont été rapportées dans quelques cas similaires, représente plus l’expression d’un groupe de
de la maladie. maladies plutôt que d’une seule.
Les travaux les plus récents dans ce domaine ont Dès lors, beaucoup reste à faire pour comprendre les
contribué à caractériser des mutations sur environ mécanismes de la mort sélective des neurones moteurs
15 gènes différents, qui peuvent être impliquées dans dans la SLA. Ce que nous avons appris nous oriente
une forme ou une autre de SLA. Ces mutations affectent vers de nouveaux traitements possibles, y compris la
toute une série de mécanismes fondamentaux de l’acti- transplantation de cellules souches pour remplacer les
vité cellulaire. Certaines d’entre elles se traduisent par neurones et/ou les cellules gliales affectés par la maladie,
des pertes d’activité de protéines impliquées dans la ou vers des applications de la thérapie génique pour
liaison des ARN pendant la transcription. D’autres supprimer les effets des mutations. Transposer ces idées
affectent des protéines impliquées dans le trafic vésicu- en clinique est un objectif pour les chercheurs mais à
laire, la sécrétion des protéines, la division cellulaire, la ce jour il reste un idéal qui n’est pas atteignable dans
production d’ATP ou encore la dynamique du cytosque- l’immédiat.
Couplage excitation-contraction
Comme cela a été mentionné plus haut, la contraction musculaire est ini-
tiée par la libération synaptique de l’ACh à la jonction neuromusculaire par les
terminaisons axoniques des motoneurones α. L’ACh déclenche un PPSE de la
fibre musculaire par activation des récepteurs cholinergiques nicotiniques. Il s’en
suit une activation des canaux sodiques voltage-dépendants de la membrane de
la fibre musculaire, ce qui a pour effet de provoquer un potentiel d’action cor-
respondant à l’excitation (mais voir aussi Encadré 13.2). Le potentiel d’action
(l’excitation), du fait de l’existence d’une relation entre excitation de la membrane
et contraction musculaire (la contraction), est à l’origine de la contraction. Ce
processus est dénommé « couplage excitation-contraction ». Il se traduit par une
libération d’ions Ca2+ à partir d’organites intracellulaires de la fibre musculaire,
ce qui entraîne la contraction de la fibre. La relaxation de la fibre intervient
lorsque les concentrations de Ca2+ retournent à la normale, par incorporation
dans les organites cellulaires qui le libèrent. Pour bien comprendre ce qu’il se
passe, il est ainsi nécessaire de procéder à une analyse plus précise de la structure
des fibres musculaires.
Tubules T
Reticulum
sarcoplasmique
Ouvertures
des tubules T
Sarcolemme
Encadré 13.2 FOCUS
Myasthenia gravis
La jonction neuromusculaire représente une synapse duit des anticorps contre leurs récepteurs nicotiniques.
d’une efficacité remarquable. Chaque potentiel d’action Les anticorps se fixent ainsi sur les récepteurs, interfé-
arrivant à l’extrémité des axones moteurs provoque la rant avec l’action normale de l’ACh sur ses récepteurs à
libération d’acétylcholine (ACh) dans l’espace synap- la jonction neuromusculaire. De plus, la fixation des
tique, à partir de centaines de vésicules synaptiques. Les anticorps sur les récepteurs conduit secondairement à
molécules d’ACh ainsi libérées vont agir sur les récep- une dégénérescence de certaines des jonctions neuro-
teurs nicotiniques localisés sur les fibres musculaires. Le musculaires, affaiblissant encore la commande motrice.
résultat est une dépolarisation sous forme d’un potentiel L’un des traitements efficaces consiste en l’adminis-
post-synaptique d’excitation (PPSE) qui va déclencher tration d’agents inhibant la dégradation de l’ACh libé-
un potentiel d’action musculaire et, partant, la contrac- rée, par inhibition des acétylcholinestérases (AChE).
tion de la fibre. Souvenez-vous des chapitres 5 et 6, les AChE contri-
Dans le cas de patients souffrant de myasthenia gravis, buent à l’inactivation de l’ACh dans l’espace synaptique.
l’ACh libéré est moins efficace, et la transmission synap- A faibles doses, les inhibiteurs des AChE renforcent la
tique ne s’effectue pas correctement. Le nom de la mala- transmission cholinergique en prolongeant la durée
die est dérivé du Grec et signifie « grave faiblesse muscu- d’action de l’ACh libérée dans la synapse. Mais ces dro-
laire ». La maladie est de fait caractérisée par une faiblesse gues sont très imparfaites et la fenêtre thérapeutique est
musculaire et une fatigabilité des muscles engagés dans très étroite. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 5
des mouvements volontaires, y compris les muscles de la (voir Encadré 5.5), trop d’ACh conduit à une désensibi-
face. Elle devient fatale lorsque les muscles respiratoires lisation des récepteurs et à un blocage de la transmission
sont affectés. La maladie touche environ 1 personne sur synaptique neuromusculaire. De plus, différents muscles
10 000, de tout âge et de tout groupe ethnique. L’une des répondent de façon différentielle à la même dose
caractéristiques inhabituelles de la maladie est qu’elle se d’agents anticholinestérasiques. Enfin, le niveau élevé
traduit par des fluctuations de la faiblesse musculaire, d’ACh, qui résulte de leur administration, peut aussi
parfois même sur le déroulement d’une seule journée. affecter le système nerveux autonome, induisant des
La myasthenia gravis est une maladie auto-immune. effets secondaires comme des nausées, des vomisse-
En 1973, Jim Patrick et Jon Lindstrom, qui travaillaient ments, des crampes abdominales, des diarrhées ou
au Salk Institute en Californie, ont découvert que des encore des sécrétions bronchiques. Un autre traitement
lapins injectés de protéines de récepteurs cholinergiques communément proposé consiste à réduire l’efficacité du
nicotiniques purifiés, produisaient des anticorps contre système immunitaire, soit par des médicaments, soit
leurs propres récepteurs cholinergiques et développaient encore par la suppression du thymus.
une forme de myasthenia gravis. Pour des raisons que Dans des conditions où les traitements des patients
l’on ne comprend toujours pas, le système immunitaire sont strictement contrôlés, le pronostic à long terme est
de la plupart des patients souffrant de la maladie pro- favorable et l’espérance de vie normale.
13 – Contrôle spinal du mouvement 467
Fibre musculaire
Myofibrille
Reticulum
sarcoplasmique
Tubule T
Sarcolemme
Strie Z
Filaments
fins
Filaments
épais
Poids
2+
Ca
Relaxation complète Contraction
Filament Filament
d’actine de myosine
Ca2+
Lorsque le muscle est au repos, la myosine ne peut pas interagir avec l’actine
car les sites de liaison de la myosine avec l’actine sont occupés par un complexe
formé de deux autres protéines : la tropomyosine et la troponine. La fixation de
Ca2+ sur la troponine expose les sites de fixation de la myosine avec l’actine et
la contraction se poursuit tant qu’il y a du Ca2+ et de l’ATP disponibles. La
relaxation de la fibre intervient lorsque les concentrations de Ca2+ diminuent par
séquestration dans le reticulum sarcoplasmique, cette séquestration dépendant
de l’activité d’une pompe à calcium qui nécessite la présence d’ATP.
Ainsi, les différentes étapes du processus excitation-contraction peuvent être
résumées de la façon suivante.
Excitation :
1. un potentiel d’action se propage sur l’axone d’un motoneurone α ;
2. l’ACh est libérée au niveau de la jonction neuromusculaire par la terminai-
son nerveuse de cet axone ;
3. l’ACh agit sur les récepteurs nicotiniques, ce qui a pour effet de dépolariser
(production de PPSE) le sarcolemme de la fibre musculaire ;
4. les canaux sodiques voltage-dépendants du sarcolemme sont activés, un
potentiel d’action est généré dans la fibre musculaire et se propage le long
du sarcolemme et dans les tubes T ;
5. la dépolarisation des tubules T entraîne une libération massive de Ca2+ à
partir du reticulum sarcoplasmique.
Contraction :
1. le Ca2+ se fixe sur la troponine ;
2. la tropomyosine change de position et les sites de fixation de la myosine et
de l’actine sont exposés ;
3. les têtes de la myosine fixent l’actine ;
4. les têtes de la myosine pivotent ;
5. les têtes de la myosine se désengagent au prix d’une consommation d’ATP ;
6. le cycle se poursuit tant qu’il y a du Ca2+ et de l’ATP disponibles.
Relaxation :
1. comme le PPSE prend fin, le sarcolemme et le tubule T retournent à leur
potentiel de repos ;
2. les ions Ca2+ sont à nouveau séquestrés par le reticulum sarcoplasmique
par un mécanisme dépendant de l’ATP ;
3. les sites de fixation de la myosine à l’actine sont à nouveau occupés par la
tropomyosine.
Il est ainsi possible de mieux comprendre pourquoi la mort entraîne une
perte d’élasticité des muscles, ce que l’on appelle la rigidité cadavérique. La pri-
vation du muscle d’ATP empêche de fait le détachement des têtes de myosine
470 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Encadré 13.3 FOCUS
Contrôle spinal
des unités motrices
Nous avons vu comment les potentiels d’action véhiculés le long des axones
des motoneurones α contribuent à l’activation de la jonction neuromusculaire
et à la contraction des fibres musculaires des unités motrices. Nous allons main-
tenant étudier comment l’activité des neurones moteurs est elle-même contrô-
lée. Ceci nous ramène à l’évocation de la principale source d’afférences aux
motoneurones α évoquée plus haut, c’est-à-dire le retour sensoriel à partir des
muscles eux-mêmes.
Capsule Fuseau
fibreuse neuromusculaire
sur à peu près tous les motoneurones impliqués dans l’innervation du muscle où
était localisé le fuseau.
Réflexe myotatique. Le rôle de l’information sensorielle dans la moelle épi-
nière a été initialement démontré par Sherrington par ses expériences d’étirement
du muscle induisant sa propre contraction. Le fait que ce réflexe myotatique,
encore dénommé parfois réflexe d’étirement, implique les afférences sensorielles
a été démontré par des expériences de section des racines dorsales, conduisant à
la suppression de ce réflexe d’étirement et à la perte du tonus musculaire, en dépit
du fait que les motoneurones α ne soient pas affectés par la lésion. Sherrington
a déduit de ces expériences que les motoneurones reçoivent en permanence des
informations du muscle, et des travaux ultérieurs ont bien montré que la décharge
des fibres sensorielles Ia est directement en rapport avec la longueur du muscle. Si
le muscle est étiré, la fréquence de décharge des fibres sensorielles augmente ; si au
contraire le muscle se contracte, leur fréquence de décharge diminue.
Les fibres Ia et les motoneurones α sur lequel elles agissent constituent l’arc
réflexe myotatique monosynaptique ; monosynaptique car il se trouve une seule
synapse entre l’afférence sensorielle primaire et le motoneurone. La figure 13.18
montre comment un tel arc réflexe joue un rôle fondamental dans les processus
antigravitaires. Lorsqu’un muscle est étiré, par exemple sous l’action d’un poids
qu’il supporte, les fuseaux neuromusculaires sont également étirés. L’étirement
de la région équatoriale du fuseau entraîne la dépolarisation des axones des
Fuseau neuromusculaire
Axone Ia
Poids
Motoneurone
Muscle alpha
Décharge de la fibre Ia
Motoneurone alpha
Figure 13.18 – Réflexe myotatique.
Le schéma illustre la réponse d’une fibre Ia et d’un motoneurone lors d’une manœuvre d’étirement soudain d’un muscle.
13 – Contrôle spinal du mouvement 473
Motoneurones gamma
Les fuseaux neuromusculaires sont constitués par des fibres musculaires
modifiées, incluses dans une capsule fibreuse. Ces fibres musculaires particu-
lières sont dites fibres intrafusales, pour les distinguer des fibres beaucoup plus
nombreuses, dites extrafusales, formant l’essentiel du muscle. Il est important
de noter que seules les fibres extrafusales reçoivent une innervation à partir des
motoneurones α, les fibres intrafusales étant quant à elles innervées par un autre
type de motoneurones spinaux, dénommés motoneurones γ (Fig. 13.20).
Afférence la
Motoneurone α
Quadriceps
Motoneurone α
Motoneurone γ
Fuseau
neuromusculaire
Tendon
du quadriceps
Fibres
extrafusales
Fibres
intrafusales
Motoneurone γ
La percussion du tendon juste au-des- contacté les bons récepteurs sensoriels péri-
sous du genou provoque la contraction phériques. Il était bien connu que les fibres
d’un muscle et se traduit par une élévation sensorielles qui régénéraient après section
de la jambe par voie réflexe. Le circuit neu- des nerfs, réinnervaient indistinctement les
ronal de ce réflexe monosynaptique est cibles. Cela signifie qu’un nombre réduit
illustré à la figure 13.19. Vous ne serez pas d’axones Ia pourraient être à même, après
surpris d’entendre que la section des nerfs récupération, de détecter l’état des muscles
sensoriels ou moteurs interrompt ce réflexe. et d’exciter en retour les motoneurones.
Toutefois, les nerfs périphériques ont par- Même si cela était le cas, un contingent
fois la faculté de se régénérer. Qu’est-il alors assez important d’axones Ia devrait inter-
Timothy C. Cope
possible d’attendre de ces régénérations venir pour réinnerver leurs cibles naturelles.
d’axones susceptibles de réinnerver les mus- Lorne Mendell et ses collaborateurs avaient
cles ? La réponse est claire et surprenante : la perte du montré qu’environ 40 % des fibres Ia recontactaient des
réflexe myotatique ne se récupère pas, même si les fuseaux neuromusculaires. Même si l’excitation fournie
contractions musculaires ont un regain de force. La par ces fibres régénérées reste trop faible pour exciter les
question est alors de savoir pourquoi. De fait, chaque motoneurones pendant l’étirement, il est envisageable
élément de ce circuit peut faire l’objet d’analyse, y com- que les informations transmises par les fibres Ia puissent
pris la mesure de la décharge Ia qui encode la longueur néanmoins accroître significativement la force de
du muscle, la décharge des motoneurones eux-mêmes, la contraction du muscle réinnervé. Au laboratoire, Brian
force produite par la contraction du muscle et des mus- Clark et moi-même n’avons pas été capables de mettre
cles synergistes, et même les PPSE produits par les en évidence une quelconque modulation des unités
synapses entre les axones Ia et les motoneurones. Cette motrices par l’étirement des muscles réinnervés. Notre
question m’a fasciné pendant plus de 20 ans. Elle m’a collègue Richard Nichols, avec des méthodes différentes,
permis de tenter de comprendre comment un circuit a conclu de la même manière. Ainsi les résultats étaient
neuronal produit des comportements normaux, com- clairs mais problématiques : l’étirement du muscle
ment il réagit à une blessure et quels sont les facteurs qui n’était pas suivi du recrutement des motoneurones après
limitent dans ce cas les récupérations fonctionnelles. récupération d’une section de nerf.
La question de la récupération fonctionnelle s’est Mais alors qu’elle pouvait être la raison de cette
posée principalement sur le versant sensoriel du circuit. absence de récupération du réflexe myotatique après
Ce n’était pas un problème moteur de motoneurones ou traumatisme du nerf ? L’explication est venue de l’étude
de muscle lui-même, puisque le muscle continuait à se des PPSE intervenant pendant l’étirement naturel d’un
contracter normalement lorsque d’autres types de muscle ayant subi cette dénervation. Les décharges Ia
réflexes que celui myotatique étaient mis en jeu. La pre- étaient plus faibles que la normale, du fait que seule-
mière hypothèse était que les fibres sensorielles, qui ment la moitié environ des axones Ia étaient redevenus
avaient régénéré après la section des nerfs, n’avaient pas fonctionnel. Dans leur laboratoire, Edyta Bichler et
13 – Contrôle spinal du mouvement 475
Axone Ia
Terminaison Ia
régénérée
Fuseau
neuromusculaire
Muscle
Corne ventrale
Synapses Ia
de la moelle épinière
Partie de l’axone Ia
dégénérée
L’étirement du muscle
produit un PPSE
Motoneurone alpha
L’étirement du muscle
Figure A ne produit pas de réponse synaptique
Katie Bullinger ont également montré que ces PPSE aide à comprendre la persistance de certains troubles
réduits n’étaient trouvés que dans environ la moitié des des mouvements, y compris après régénération nerveuse.
motoneurones étudiés, alors que le reste des motoneu- Nos conclusions permettent certaines extrapolations
rones ne montrait aucune réponse (Fig. A). Normale sur des réorganisations de circuits neuronaux extra
ment, les axones des fibres Ia produisent des PPSE dans spinaux. Par exemple, la question est de savoir si des
tous les motoneurones innervant le même muscle. Ces réorganisations similaires interviennent dans les voies
observations mettaient alors en évidence le fait suivant corticospinales après lésion des voies motrices descen-
concernant la régénération des fibres Ia : alors que cer- dantes, pouvant avoir des incidences thérapeutiques de
taines de ces fibres réinnervent les fuseaux neuromuscu- lésions de la moelle épinière. Dès lors, nos résultats nous
laires du muscle dénervé, elles paraissent déconnectées encouragent à poursuivre nos travaux en vue de mieux
de nombreux motoneurones de la moelle épinière. comprendre les processus biologiques qui sous-tendent
Récemment une explication a été fournie, sur la base les dégénérescences neuronales.
de travaux anatomiques, au fait que le réflexe myota- De nombreux collègues ont participé à ces travaux, y
tique ne récupère pas après la lésion du nerf. Ces travaux compris les étudiants en thèse et les chercheurs post-
ont été conduits par Francisco Alvarez et ses collabora- doctoraux. C’est grâce à eux tous que ces études ont pu
teurs, avec notre propre groupe. Une sonde permettant être conduites. Je suis intimement convaincu que ce n’est
l’identification des terminaisons des fibres Ia au micros- qu’en équipe que l’on peut avoir la prétention de tenter
cope a permis de révéler que la lésion du nerf était suivie de comprendre la complexité des fonctions du cerveau et
d’une perte d’environ 70 % des synapses Ia sur les den- de ses pathologies. C’est au travers de ces collaborations
drites proximales des motoneurones. Nous avons égale- qu’émergent des idées nouvelles et que sont formées de
ment montré dans ce contexte que les axones des fibres Ia nouvelles générations de chercheurs.
qui ont régénéré, rétractent leur contact avec les régions
où se trouvent normalement les corps cellulaires et les
dendrites des neurones moteurs. Ainsi, c’est à la fois la Références
perte synaptique et la rétraction des axones qui explique Bullinger KL, Nardelli P, Pinter MJ, Alvarez FJ, Cope
que la régénération des fibres Ia dans le muscle ne se TC. Permanent central synaptic disconnection of pro-
traduit pas par une récupération du réflexe myotatique. prioceptors after nerve injury and regeneration. II.
Quelle est l’importance de cette découverte ? Les cir- Loss of functional connectivity with motoneurons.
cuits du réflexe myotatique jouent un rôle considérable Journal of Neurophysiology 2011 ; 106 : 2471-85.
durant les mouvements normaux, en ajustant la contrac- Haftel VK, Bichler EK, Wang QB, Prather JF, Pinter
tion musculaire aux contraintes mécaniques du corps et MJ, Cope TC. Central suppression of regenerated
des membres pour conserver l’équilibre. La réorganisa- proprioceptive afferents. Journal of Neuroscience
tion des circuits neuronaux après lésion des nerfs nous 2005 ; 25 : 4733-42.
476 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Fibres extrafusales
Fibres intrafusales
Axone la
Activation du Activation du
Figure 13.21 – Fonction des motoneurones γ. moto- moto-
(a) L’activation des motoneurones α provoque neurone α neurone γ
la contraction des fibres musculaires extra-
Axone du
fusales. (b) Si le fuseau neuromusculaire se
motoneurone γ
détend, il devient inefficace pour transmettre
des informations sur la longueur du muscle. Axone du
(c) L’activation des motoneurones γ a pour motoneurone α
effet de faire se contracter les fibres situées
aux deux extrémités du fuseau, contribuant
(a) (b) (c)
ainsi à préserver leur efficacité.
Potentiels
d’action
Organe Organe
tendineux tendineux Figure 13.23 – Organisation des propriocep-
Axones Ib Axone Ib
de Golgi de Golgi teurs musculaires.
(a) Les fuseaux neuromusculaires occupent
Axones Ia Axone Ia une position parallèle par rapport aux fibres
musculaires extrafusales. Les organes ten-
dineux de Golgi, au contraire, sont placés
Fuseau en série par rapport à ces mêmes fibres, du
Fibres Fuseau
neuromusculaire
musculaires neuromusculaire fait de leur localisation entre les fibres extra-
Axone fusales et leur point d’attachement. (b) Les
extrafusales
Axone du motoneurone α organes tendineux de Golgi répondent à une
du motoneurone α (actif)
tension accrue du muscle et transmettent leur
(inactif)
information à la moelle épinière via les fibres
sensorielles Ib. Compte tenu du fait que le
muscle ne change pas de longueur dans cette
(a) (b) situation, les afférences Ia ne déchargent pas.
Os
Organe tendineux
de Golgi
Afférence Ib
Interneurone
inhibiteur
Interneurones spinaux
Les effets des informations véhiculées par les afférences Ib issues des organes
tendineux de Golgi sur les motoneurones α sont toujours polysynaptiques, pas-
sant par un ou plusieurs interneurones spinaux. De fait, les motoneurones α
sont principalement innervés à partir de ces interneurones, qui reçoivent quant à
eux des afférences sensorielles primaires, des influences descendantes des régions
supérieures du système nerveux, et des collatérales axoniques de motoneurones.
Les interneurones sont ainsi intégrés dans des réseaux permettant la coordina-
tion des programmes moteurs en réponse à des influences d’origine multiple.
Afférences inhibitrices. Les interneurones jouent un rôle critique, y compris
pour la réalisation de réflexes simples. Si l’on reprend l’exemple du réflexe myo-
tatique à titre d’illustration, la compensation de l’allongement d’un groupe de
muscles comme les fléchisseurs du coude implique la contraction des fléchisseurs
au travers du réflexe myotatique, mais également la relaxation des muscles anta-
gonistes, c’est-à-dire les muscles extenseurs du coude. Ce mécanisme est connu
sous le terme d’inhibition réciproque, l’activation d’un groupe de muscles étant
accompagnée de la relaxation du groupe des muscles antagonistes. L’inhibition
réciproque joue un rôle fondamental dans la réalisation des comportements
moteurs : il est en effet difficile d’imaginer ce que serait la vie si chaque mouve-
ment devait en plus s’opposer à ses propres muscles, par exemple dans le cas où
une charge doit être soulevée. Dans le cas du réflexe myotatique, l’inhibition réci-
proque est mise en jeu à partir des collatérales des afférences Ia, qui contactent
des interneurones dont le rôle est d’inhiber les motoneurones α commandant les
muscles antagonistes (Fig. 13.25).
Interneurone
inhibiteur
Afférence Ia
Fuseau
neuromusculaire
Motoneurone α
Muscles Interneurones
fléchisseurs excitateurs
+ + +
– + +
+
+ –
Flexion Flexion
Extension
Extension
Si maintenant vous êtes en train de marcher et que vous posez le pied sur un
petit clou, en accord avec le réflexe de flexion, vous retirerez brutalement le pied
du clou. Dans ce cas, si ce réflexe n’était pas intégré dans un comportement d’en-
semble, il est probable que vous chuteriez par terre. Fort heureusement ce réflexe
est intégré dans un ensemble amenant, par voie réflexe coordonnée, l’activation
des muscles extenseurs du membre controlatéral, accompagnée d’une inhibition
des fléchisseurs. Ce réflexe est dit d’extension croisée. Il est impliqué dans la
compensation de la charge représentée par le soulèvement de la jambe, impo-
sée aux muscles extenseurs antigravitaires du membre controlatéral (Fig. 13.27).
La situation est à nouveau ici celle d’une inhibition réciproque, l’activation des
fléchisseurs d’un côté de la moelle épinière s’accompagnant d’une inhibition des
muscles fléchisseurs situés de l’autre côté.
Application de glutamate
10 mV
2s
(a) (b) (c) (d)
Glu
Interneurone Motoneurone
excitateur du fléchisseur
Interneurones
Influence descendante inhibiteurs
permanente issue des Potentiels d‘action
niveaux supraspinaux
Interneurone Motoneurone
excitateur de l’extenseur
Conclusion
A partir des discussions précédentes sur le contrôle spinal des mouvements,
nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions. De fait, beaucoup de ce
que nous savons sur le contrôle moteur a été acquis au niveau spinal, par la
mise en œuvre de méthodes aussi diverses que celles ayant trait à la biochimie,
à l’électrophysiologie, à la génétique, à la biophysique, jusqu’au comportement
animal. Pour avoir une idée générale du contrôle spinal des mouvements, que ce
soit des mécanismes qui sous-tendent le couplage excitation-contraction ou de la
13 – Contrôle spinal du mouvement 483
QUESTIONS DE RÉVISION
Kernell D. The Motoneurone and its Muscle Fibres. New York : Oxford
University Press, 2006.
Lieber RL. Skeletal Muscle Structure, Function, and Plasticity, 2nd ed.
Baltimore : Lippincott, Williams & Wilkins, 2002.
Poppele R, Bosco G. Sophisticated spinal contributions to motor control.
Trends in Neurosciences 2003 ; 26 : 269-76.
Schouenborg J, Kiehn O. The Segerfalk symposium on principles of
spinal cord function, plasticity, and repair. Brain Research Reviews
2001 ; 40 : 1-329.
Stein PSG, Grillner S, Selverston AI, Stuart DG. Neurons, Networks, and
Motor Behavior. Cambridge, MA : MIT Press, 1999.
Windhorst U. Muscle proprioceptive feedback and spinal networks.
Brain Research Bulletin 2007 ; 73 : 155-202.
484 2 – Systèmes sensoriel et moteur 484
VOIES MOTRICES
DESCENDANTES
Système moteur latéral....................................................................... 487
Système ventromédian........................................................................ 489
Encadré 14.1 Focus Parésie, paralysie, spasticité et Babinski
PLANIFICATION
DU MOUVEMENT PAR
LE CORTEX CÉRÉBRAL
Cortex moteur.................................................................................... 493
Contribution des aires pariétales postérieures et du cortex préfrontal. 495
Corrélats neuronaux de l’organisation centrale du mouvement........... 496
Encadré 14.2 Focus Neurophysiologie comportementale
Neurones miroirs................................................................................ 497
GANGLIONS DE LA BASE
Organisation anatomique des ganglions de la base............................. 500
Voies « directe » et « indirecte » des ganglions de la base................... 502
Encadré 14.3 Focus Est-ce que dans certaines pathologies des
ganglions de la base les neurones se suicident ?
Encadré 14.4 Focus Lésions et stimulations cérébrales :
des méthodes thérapeutiques utiles
pour les maladies neurologiques
INITIALISATION
DU MOUVEMENT PAR LE
CORTEX MOTEUR PRIMAIRE
Organisation des afférences et des efférences de l’aire motrice M1..... 509
Codage du mouvement par l’aire M1.................................................. 510
Encadré 14.5 Les voies de la découverte Codage distribué dans
le colliculus supérieur,
par James T. McIlwain
CERVELET
Anatomie du cervelet.......................................................................... 516
Encadré 14.6 Focus Mouvements involontaires :
du normal au pathologique
Boucle motrice impliquant le cervelet latéral....................................... 519
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
e chapitre précédent est consacré à l’organisation du système somato-
moteur périphérique : les articulations, les muscles squelettiques, et leur
innervation sensorielle et motrice. Ainsi le motoneurone α apparaît-il
comme la voie finale commune dont l’activité est sous l’influence des afférences
sensorielles et des interneurones spinaux. Dans ce contexte, les réflexes révèlent
toute la complexité de ce système spinal de contrôle du mouvement. Ce nouveau
chapitre est consacré à l’étude du contrôle central du mouvement volontaire,
s’attachant à analyser comment le cerveau influence l’activité spinale.
Le système moteur est organisé de façon hiérarchique, avec d’un côté le cer-
veau antérieur jouant un rôle prépondérant et, à l’autre extrémité, la moelle
épinière. Cette organisation hiérarchique peut schématiquement être subdivisée
en trois niveaux (Tab. 14.1). Le niveau le plus élevé est représenté par les aires
associatives du néocortex et les ganglions de la base. Il est impliqué dans la
définition des stratégies motrices : les objectifs du mouvement et les stratégies
comportementales à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs dans les meil-
leures des conditions. Le niveau intermédiaire, représenté par le cortex moteur
et le cervelet, contribue à spécifier les paramètres du mouvement pour mettre en
œuvre de façon adaptée les stratégies définies en amont. Il définit la séquence des
contractions musculaires sous son aspect spatiotemporel, contribuant à la réali-
sation d’un acte moteur adapté parfaitement aux objectifs à atteindre. Le niveau
le plus bas, représenté par le tronc cérébral et la moelle épinière, est impliqué
dans l’exécution de l’acte moteur : l’activation des motoneurones et des interneu-
rones qui génèrent le mouvement, et la réalisation de l’ensemble des ajustements
posturaux qui accompagnent le mouvement.
1. NdT : une analyse similaire peut être faite s’agissant d’un joueur de football qui s’ap-
prête à déclencher un tir au but (pénalty) face à un gardien de but. Le joueur a l’initiative
de l’angle du tir, de la force, de la trajectoire, voire du pied à utiliser pour mieux tromper
son adversaire, et du moment le plus propice pour déclencher son tir, en rapport avec son
expérience personnelle.
…
486 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Figure 14.1 – Illustration de l’organisation
hiérarchique du contrôle moteur.
En analysant les différentes phases du jeu, ce
joueur de base-ball s’apprêtant à lancer une
balle décide de la trajectoire, par exemple
lobée, qu’il va lui donner ; et ce n’est qu’après
avoir décidé et préparé un mouvement dans
ce sens qu’il va lancer la balle. Cette situa-
tion simple évoque les différentes étapes d’un
processus moteur hiérarchisé, de l’intention à
l’action.
la stratégie sont basées sur la mémoire des informations sensorielles relatives aux
mouvements précédents, et au niveau le plus élémentaire, le feedback sensoriel
permet le maintien postural et contribue à déterminer la longueur et la tension
des muscles avant et après chaque mouvement volontaire.
Ce chapitre est consacré à la description de cette organisation hiérarchique
de la commande motrice, s’attachant notamment à analyser comment chaque
niveau de la commande centrale contribue au contrôle du système moteur péri-
phérique. La première partie est axée sur la description des voies motrices qui
influencent les neurones moteurs à l’échelon spinal ; puis sont abordés les autres
niveaux de la commande motrice, dans une perspective intégrative. Une partie
de ce chapitre sera également consacrée à la description des pathologies du mou-
vement.
Faisceau Système
corticospinal moteur
latéral
Faisceau
rubrospinal
Faisceau
Figure 14.2 – Voies motrices descendantes.
réticulospinal Le système latéral, formé des faisceaux cor-
Faisceau bulbaire ticospinal et rubrospinal, contrôle les mouve-
tectospinal ments volontaires de la musculature distale.
Faisceau
Faisceau réticulospinal Le système ventromédian, formé par les
vestibulospinal pontique faisceaux réticulospinaux, vestibulospinal et
tectospinal, contrôle l’activité des muscles
Système ventromédian posturaux.
488 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Cortex
moteur
2
1
Thalamus Capsule
interne
4
Mésencéphale
Pédoncule
cérébral
3 Noyau
rouge
droit
Bulbe
2
Pyramide
bulbaire
Décussation
Faisceau des pyramides
corticospinal
Moelle
épinière
1 Faisceau
rubrospinal
(a) (b)
Une autre composante du système moteur latéral est représentée par le fais-
ceau rubrospinal dont l’origine est, dans le mésencéphale, le noyau rouge ainsi
dénommé à cause de son apparence rosâtre sur des coupes de cerveau fraîche-
ment disséquées (rubro provient du latin pour « rouge »). Les axones issus du
noyau rouge décussent au niveau du pont et rejoignent presque immédiatement
ceux du faisceau corticospinal dans la colonne latérale de la moelle épinière
(Fig. 14.3b). Le noyau rouge reçoit des informations du cortex frontal, une
région corticale qui contribue aussi massivement au faisceau corticospinal. De
façon intéressante, il est notable qu’au cours de l’évolution des primates cette
voie cortico-rubrospinale indirecte a été largement remplacée par la voie cor-
ticospinale directe. Ainsi, alors que le système rubrospinal contribue de façon
importante au contrôle moteur chez beaucoup d’espèces de mammifères, son
rôle chez l’homme apparaît des plus réduit, la plupart de ses fonctions ayant été
prises en charge par le système corticospinal.
Effet des lésions du système latéral. C’est à la fin des années 1960 qu’ont
été précisées les idées sur le rôle du système moteur latéral, grâce aux travaux
de Donald Lawrence et Hans Kuypers. Des lésions expérimentales du système
latéral incluant les deux composantes corticospinale et rubrospinale chez le singe
les rendaient incapables de réaliser des mouvements indépendants des différentes
parties du bras et de la main. Ces animaux n’étaient ainsi plus à même de mobi-
liser séparément l’articulation de l’épaule, du coude, du poignet ou les doigts de
la main. Par exemple, ils pouvaient attraper de petits objets avec leur main, mais
seulement en utilisant globalement l’ensemble de leurs doigts. Les mouvements
volontaires étaient dans ce cas plus lents et moins précis. Toutefois, en dépit de
cela, les animaux étaient toujours capables de s’asseoir correctement ou encore
de se tenir debout dans une posture normale. Par analogie, un homme porteur
d’une lésion du système moteur latéral devrait être à même de prendre la pos-
ture d’un lanceur de balle de base-ball, mais devrait être incapable de saisir et de
lancer correctement la balle.
Chez le singe, les lésions du faisceau corticospinal seul causent des déficits
moteurs du même type que ceux observés après lésion plus globale du système
latéral. Cependant, il est notable que, dans ce cas, une récupération de fonction
plus ou moins importante intervient progressivement dans les mois qui suivent
la chirurgie. En fait, le seul déficit permanent qui subsiste est une faiblesse mus-
culaire des fléchisseurs distaux et une incapacité à mobiliser les doigts indépen-
damment les uns des autres. Une lésion secondaire du faisceau rubrospinal chez
ces animaux supprime alors tout effet de récupération fonctionnelle, suggérant
que le faisceau cortico-rubrospinal est à même de compenser progressivement les
déficits moteurs consécutifs à la destruction du faisceau corticospinal.
Les accidents vasculaires qui affectent le cortex moteur ou le système corti-
cospinal sont fréquents en clinique humaine. Leur conséquence immédiate est
en général une paralysie du côté controlatéral mais on observe le plus souvent
une récupération très importante, dans les cas les plus favorables (Encadré 14.1).
Comme dans le cas des singes de Lawrence et Kuypers, ce sont les mouvements
des doigts les plus fins qui récupèrent le moins bien.
Système ventromédian
Le système ventromédian est constitué de quatre faisceaux descendants
dont l’origine se situe dans le tronc cérébral, et qui influencent les interneurones
spinaux contrôlant préférentiellement la musculature proximale et axiale. Ces
quatre composantes sont, respectivement, les faisceaux vestibulospinal, tecto
spinal, réticulospinal d’origine pontique, et réticulospinal d’origine bulbaire.
Les voies du système ventromédian reçoivent prioritairement des informations
sensorielles en rapport avec le sens de l’équilibre, de la position du corps et l’en-
vironnement visuel. Elles contribuent ainsi au maintien de l’équilibre et de la
posture du corps de façon réflexe.
Faisceau vestibulospinal. Le faisceau vestibulospinal, comme le faisceau
tectospinal, agit pour maintenir la tête en position correcte par rapport aux
épaules pendant que le corps se déplace dans l’espace, et pour orienter la tête en
490 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Encadré 14.1 FOCUS
Colliculus
supérieur
2
3
1
Noyaux
vestibulaires
Bulbe
2
Faisceau
vestibulospinal Faisceau
tectospinal
Moelle
épinière Figure 14.4 – Organisation anatomique des
voies (a) vestibulospinale et (b) tectospinale.
3 Ces deux faisceaux, composantes du sys-
tème ventromédian, sont impliqués dans le
(a) (b) maintien de la posture de la tête et du cou.
Cervelet
Pont 3 Formation
réticulaire pontique
3
2
1
Formation
réticulaire bulbaire
Bulbe 2
Cortex
moteur
Cortex
Faisceau
cortico-
spinal
Figure 14.6 – Représentation schématique
Moelle épinière de l’organisation des différentes compo
santes des voies motrices descendantes.
Planification du mouvement
par le cortex cérébral
Même si le cortex moteur est assimilé aux aires 4 et 6, il est essentiel de consi-
dérer que le contrôle du mouvement volontaire implique presque toutes les aires
du néocortex. En effet, la réalisation de mouvements dirigés vers un objectif
dépend des informations relatives à la connaissance de la situation du corps dans
l’espace dans lequel il évolue, des objectifs à atteindre, et de la sélection d’une
stratégie pour y parvenir. Dès que la stratégie a été sélectionnée, elle doit être
mémorisée jusqu’au moment approprié. Finalement, des instructions doivent
être données pour déclencher le mouvement. D’une certaine façon, ces diffé-
rents aspects du contrôle moteur peuvent être mis en rapport avec des régions
particulières du cortex cérébral. La première partie de ce qui suit est axée sur la
contribution de différentes aires corticales à la planification motrice. Puis seront
envisagés les mécanismes de la transformation du plan moteur en action motrice.
Cortex moteur
Le cortex moteur représente une région très localisée du lobe frontal. L’aire 4
est située dans le gyrus précentral, juste en avant du sillon central. L’aire 6 s’étend
immédiatement en avant de l’aire 4 (Fig. 14.7). La démonstration définitive que
ces aires corticales constituent le cortex moteur a été apportée par le neuro-
chirurgien canadien Wilder Penfield. Dans le chapitre 12 étaient mentionnées
les expériences de stimulation électrique du cortex que Penfield réalisait chez
les patients au cours d’interventions situées au niveau cortical. La stimulation
était utilisée pour tenter d’identifier les régions qui devaient être préservées de
la chirurgie. Au cours de ces interventions, Penfield a découvert que des sti-
mulations de faible intensité de l’aire 4 du gyrus précentral déclenchaient des
activations musculaires très localisées de la musculature du corps controlatéral.
Par une analyse systématique de cette région corticale, il a ainsi été démontré
chez l’homme l’existence d’une organisation somatotopique du cortex moteur
du gyrus précentral, similaire à celle reconnue dans les aires somatosensorielles
494 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Aire 4
Aire 6 Aires 1, 2, 3 Cortex
Sillon
M1 central pariétal
APM S1 postérieur
AMS Aire 5
Cortex
préfontal Aire 7
du gyrus post-central (Fig. 14.8). L’aire 4 est dénommée aussi cortex moteur pri-
maire ou aire M1.
Les fondements des découvertes de Penfield remontent à plus d’un siècle.
En 1870, les travaux de Gustav Fritsch et Eduard Hitzig avaient en effet montré
que la stimulation du cortex frontal chez le chien anesthésié induisait des mou-
vements de l’hémicorps controlatéral (voir chapitre 1). Puis, au début du siècle
dernier, David Ferrier et Charles Sherrington démontrèrent que le cortex moteur
des primates était situé dans le gyrus précentral. C’est alors en comparant l’his-
tologie de cette région chez les singes de Sherrington avec celle du cortex humain
que l’anatomiste australien Alfred Walter Campbell est arrivé à la conclusion
que le cortex moteur est représenté par l’aire 4.
he
Poig
nc
Coude
Pe
Tronc
Épaule
Ha
An
tit
Ma
net
nu
do
M
in
la
aj
igt
eu
ire
In
d
Po ex r
uc
Co
u
e Genou
So
ur
cil
Pa s
et u p Cheville
i
œil es è r
Doigts
Visa de pieds
g e
Lèvres
Mâchoire
Langue
on
lutiti
Dég
Campbell spécula par ailleurs que l’aire corticale 6, située juste rostralement
par rapport à l’aire 4, pouvait être une aire spécialisée dans la réalisation de
mouvements volontaires nécessitant une habilité particulière. Cinquante ans
plus tard, Penfield vérifia cette hypothèse en démontrant que la stimulation de
l’aire 6 chez l’homme peut évoquer des mouvements complexes, des deux côtés
du corps. Penfield démontra l’existence de deux types de représentation somato-
topique dans l’aire 6 : une dans la région latérale, qu’il dénomma aire prémotrice
ou APM ; l’autre dans la région médiane, appelée aire motrice supplémentaire
ou AMS (voir Fig. 14.7). Ces deux aires paraissent engagées dans des actions
similaires, mais portant sur différents groupes de muscles. Ainsi, alors que les
axones issus de l’aire motrice supplémentaire contrôlent directement la muscu-
lature distale au travers des motoneurones de la moelle épinière, l’aire prémo-
trice influence principalement la musculature proximale, notamment cette fois
au travers des voies réticulospinales.
une série de mouvements du pouce, les régions corticales suivantes sont activées :
les aires somatosensorielles et pariétales postérieures, l’aire 8 (partie du cortex
préfrontal), et les aires 4 et 6. Ces régions représentent les territoires dont il est
supposé qu’ils jouent un rôle majeur dans l’intention, et pour convertir l’inten-
tion en action. De façon particulièrement intéressante, il est noté que lorsque la
consigne est donnée au sujet de répéter le mouvement mentalement sans l’effec-
tuer réellement, l’aire 6 est toujours activée, mais pas l’aire 4.
Encadré 14.2 FOCUS
Neurophysiologie comportementale
Démontrer que des lésions cérébrales sont suivies de microélectrodes était fixé sur le crâne, au-dessus d’une
déficits comportementaux ou, qu’à l’inverse, des stimu- ouverture située au niveau des régions à étudier. Après
lations du système nerveux induisent des mouvements, récupération de l’anesthésie, les animaux tolèrent
n’apporte pas d’information directe sur la façon dont le parfaitement ce type de dispositif expérimental, tout
cerveau contrôle effectivement les mouvements. Pour comme l’insertion de microélectrodes dans le cerveau
tenter d’approcher cette question, il est nécessaire d’étu- (souvenez-vous du chapitre 12 qu’il n’y a pas de nocicep-
dier en plus l’activité neuronale au cours du mouvement. teur dans le cerveau). Evarts et ses collaborateurs ont
Les études utilisant la caméra à positrons ou l’imagerie alors pu enregistrer l’activité unitaire des neurones du
par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) se sont cortex moteur au cours de la réalisation du mouvement
récemment révélées d’une extrême utilité pour analyser volontaire conditionné. Dans l’exemple ci-dessus, il
les changements d’activité plus globaux au cours des est possible d’apprécier les changements d’activité du
mouvements, mais leur manque de résolution tempo- neurone enregistrés au cours du mouvement, lorsque
relle ne permet pas pour le moment d’approcher les l’animal pointe sa main vers la cible lumineuse.
changements d’activité de neurones individuels milli Ceci est une illustration de cette neurophysiologie
seconde par milliseconde comme le font les études élec- comportementale basée sur l’enregistrement de l’activité
trophysiologiques. La meilleure technique se révèle être neuronale au cours du comportement. En adaptant des
celle utilisant des enregistrements extracellulaires à protocoles expérimentaux particuliers, ce type d’ap-
l’aide de microélectrodes métalliques (voir Encadré 4.1) proche permet d’analyser de nombreux mécanismes,
chez des animaux éveillés en préparation chronique. incluant notamment les processus attentionnels, la per-
Mais comment cela peut-il être réalisé sur des animaux ception, l’apprentissage, et le mouvement. Il est notable
vigiles, libres de leurs mouvements ? que ces méthodes sont applicables à des sujets humains
Ce type de méthode a été particulièrement développé consentants, en particulier lors d’interventions neuro-
par Edward Evarts et son équipe au NIH. Des singes chirurgicales ou par l’utilisation d’électrodes implantées
étaient entraînés à réaliser une tâche motrice simple. à des fins thérapeutiques.
Lorsque celle-ci était correctement effectuée, les ani- Récemment ces méthodes ont évolué, permettant
maux recevaient du jus de fruit en récompense. Par chez l’animal des enregistrements simultanés de l’acti-
exemple, pour analyser les mécanismes de mouvements vité de plusieurs neurones (d’une douzaine de neurones
de la main et du bras, les singes devaient déplacer leur et jusqu’à une centaine à la fois), grâce à des électrodes
main sur un écran, vers les points les plus lumineux. Le multiples placées, éventuellement, dans plusieurs régions
pointage correct était récompensé par le jus de fruit. du cerveau à la fois. De fait, ces approches ont considé-
Après apprentissage de cette tâche motrice, les animaux rablement fait évoluer notre façon de concevoir les
étaient anesthésiés et, au cours d’une intervention processus d’intégration et de codage des informations
chirurgicale, un dispositif permettant de placer des nerveuses.
Neurones miroirs
Nous avons déjà mentionné que quelques neurones de l’aire 6 ne répondaient
pas seulement lorsque le mouvement était exécuté, mais également lorsque le
mouvement était simplement imaginé, c’est-à-dire répété mentalement. De
façon remarquable, quelques neurones du cortex moteur ne déchargent pas seu-
lement lorsque le singe effectue lui-même un mouvement particulier, mais aussi
lorsqu’il observe un congénère ou même un homme, effectuant le même type de
mouvement (Fig. 14.10). Ces neurones ont été dénommés « neurones miroirs »
par Giacomo Rizzolatti et ses collègues travaillant à l’Université de Parme en
Italie, au début des années 1990. Les neurones miroirs paraissent représenter
des actes moteurs particuliers comme atteindre un but avec la main, tenir un
levier ou encore déplacer un objet, indépendamment du fait que le singe réa-
lise le mouvement lui-même ou qu’il observe un autre singe ou un chercheur le
réaliser. Chaque neurone présente ainsi une spécificité de réponse. Un neurone
miroir qui répond lorsque le singe saisit une friandise, répond également lorsque
l’animal en observe un autre effectuer une action similaire, mais ne répond
pas, en revanche, lorsque ces animaux secouent leurs mains sans but précis. De
498 2 – Systèmes sensoriel et moteur
(a)
Stimulus
d’instruction
Stimulus
d’instruction
(b)
Signal
de déclenchement
du mouvement
Signal
de déclenchement
du mouvement
(c)
ombreux n
n eurones miroirs répondent même sélectivement aux sons produits
par les animaux lors de comportements spécifiques, tels que ceux produits lors
de l’extraction d’une pistache de son enveloppe, ici encore que ce comportement
soit réalisé par l’animal lui-même ou un congénère. De façon générale, les neu-
rones miroirs paraissent encoder une information liée aux objectifs spécifiques
d’une action, plutôt qu’un simple stimulus sensoriel.
Il est ainsi vraisemblable qu’il existe des neurones miroirs dans le cortex pré-
moteur de l’homme, et même dans d’autres régions corticales, bien que les don-
nées pour les mettre en évidence, principalement basées sur des études en IRMf,
soient très indirectes pour arriver à cette conclusion (voir Encadrés 7.2 et 7.3).
14 – Contrôle central du mouvement 499
Le singe saisit
(a) une cacahuète
(d)
Le singe voit l’expérimentateur
saisir une cacahuète avec l’aide d’une pince
Les neurones miroirs pourraient représenter une partie d’un système très
sophistiqué visant à comprendre les actions et même les intentions des autres.
Cette hypothèse est très séduisante et suppose que nous utilisions les mêmes
circuits neuronaux à la fois pour planifier nos propres actions et pour com-
prendre celles des autres, y compris en termes d’intentionalité. Ainsi, lorsqu’un
joueur de base-ball (ou de football) observe un autre joueur réaliser un lancer
de balle (ou un tir au but), il est susceptible d’activer le même circuit neuronal
que celui qui tire réellement. En un sens, il est juste en train d’apprendre (ou de
répéter) son propre mouvement en activant mentalement le programme moteur
qu’il devra ultérieurement réaliser dans les mêmes conditions. Cette hypothèse a
fait l’objet d’autres développements, allant jusqu’à dire que les neurones miroirs
500 2 – Systèmes sensoriel et moteur
nous permettaient de lire les émotions sur le visage des autres et qu’ils pouvaient
ainsi être à la base de l’empathie. Quelques auteurs ont même suggéré qu’un
dysfonctionnement des neurones miroirs pouvait rendre compte de certains défi-
cits comportementaux tels que ceux liés à des symptômes de l’autisme, comme
par exemple l’incapacité à comprendre les intentions, les émotions, les pensées
ou encore les sentiments des autres (voir Encadré 23.4). Cependant, aussi inté-
ressantes que soient ces hypothèses, pour le moment les preuves sont difficiles
à réunir pour les vérifier. Mais il est vraisemblable que le développement des
méthodes permettant de mieux enregistrer l’activité des neurones chez l’homme
permettra rapidement de faire la part des choses.
Si nous revenons maintenant au joueur de base-ball2, nous pouvons consi-
dérer par exemple qu’il a pris la décision d’envoyer une balle lobée. Cependant,
le batteur n’est pas prêt et se trouve encore en train de nettoyer sa batte… Le
lanceur doit alors attendre qu’il ait terminé, mais il a déjà préparé son action,
muscles tendus et très concentré. Le lanceur est ainsi « prêt ». Une population
particulière de neurones du cortex prémoteur (celle qui organise la séquence
musculaire qui permettra le lancer de la balle) décharge en anticipation du mou-
vement de projection de la balle. Dès lors que le batteur est lui aussi prêt à jouer,
le lanceur agit, se donnant l’ordre « Partez ! » alors même que les conditions sont
réunies pour réussir la partie. Cette dernière commande fait intervenir des infor-
mations issues de structures sous-corticales, qui influencent également l’aire 6, et
l’action sera réalisée par le cortex moteur primaire.
Ganglions de la base
L’aire 6 reçoit des informations d’origine sous-corticale, issues principalement
d’un noyau du thalamus dénommé noyau ventrolatéral (VL). La partie du VL qui
projette vers l’aire 6 est elle-même dénommée VLo, recevant ses afférences prin-
cipales des ganglions de la base, structures nerveuses très volumineuses situées
dans le télencéphale. Les ganglions de la base reçoivent des informations issues
de larges zones du cortex cérébral, notamment des aires frontales, préfrontales,
et pariétales. Ainsi les informations d’origine corticale sont-elles à même d’être
traitées par une « boucle » impliquant les ganglions de la base3, le thalamus, et
un retour vers le cortex cérébral, particulièrement l’AMS (Fig. 14.11). L’une des
fonctions de cette boucle est vraisemblablement de sélectionner et de déclencher
les mouvements volontaires.
2. NdT : la transposition avec le joueur de football face au gardien de but est tout à fait
similaire. Le gardien de but doit lui-même se préparer à arrêter le tir du joueur qui est en
face, au coup de sifflet de l’arbitre qui déclenchera le tir.
3. NdT : l’ensemble formé par les ganglions de la base et le thalamus porte le nom de
« noyaux gris centraux ».
4. NdT : une partie ventrale du striatum est représentée par une structure nommée noyau
accumbens, impliquée plus dans le traitement des informations limbiques et représentant
un centre d’interface entre système moteur et système limbique.
14 – Contrôle central du mouvement 501
Cortex
Ganglions
VLo*
de la base
Faisceau
cortico-
spinal
Noyau ventrolatéral
du thalamus
Ganglions de la base
et structures associées :
Noyau
caudé
Striatum
Putamen
Globus
pallidus
Noyau
Substance sous-thalamique
noire
5. NdT : dans une conception récente, on admet que le noyau sous-thalamique reçoit
également des afférences corticales, et que ces afférences jouent un rôle considérable dans
le traitement des informations par les noyaux gris centraux. De même, il a été montré que
certains noyaux thalamiques, en particulier centre médian-parafasciculaire, projettent
directement sur le striatum par une voie thalamostriatale, en court-circuitant le cortex.
14 – Contrôle central du mouvement 503
AMS
VL
Globus
pallidus
Neurone
du cortex frontal
Putamen
Substance Noyau
noire sous-thalamique
Voie Voie
« directe » « indirecte »
Cortex cérébral
Striatum Substance
(putamen, noyau caudé) noire
Globus pallidus
externe
Noyau sous-
thalamique
Globus pallidus
interne
Excitateur
Thalamus
Inhibiteur
directe de neurones corticaux et ses projections excitent les neurones du GPi, qui
in fine inhibent les neurones thalamiques.
Alors que l’activation de la voie directe par le cortex tend à faciliter l’activité
du thalamus et le transit de l’information qui l’utilise, l’activation de la voie indi-
recte par le cortex tend au contraire à inhiber l’activité thalamique. En général, la
voie directe est considérée comme facilitant la sélection de certains types de com-
portements moteurs, alors que la voie indirecte supprime simultanément les pro-
grammes moteurs inappropriés et entrant en compétition les uns avec les autres.
Pathologies associées aux ganglions de la base. L’idée que cette boucle
motrice impliquant les ganglions de la base agit pour faciliter le déclenchement
des mouvements volontaires peut également être mise en rapport avec plusieurs
types de maladies. Si on accepte ce modèle, il apparaît qu’une inhibition trop
importante du thalamus consécutive à des dysfonctionnements siégeant dans les
ganglions de la base, est à l’origine d’un ralentissement moteur ou hypokinésie ;
a contrario, une réduction de l’influence inhibitrice sur le thalamus en rapport
avec une réduction de l’influence des ganglions de la base sur le thalamus, se
traduit par un excès de mouvement nommé hyperkinésie.
La maladie de Parkinson est un exemple de ces pathologies. Elle affecte envi-
ron 1 % de la population au-delà de 60 ans. Cette pathologie est caractérisée par
une hypokinésie, c’est-à-dire une réduction considérable de la capacité à réaliser
des mouvements. Les symptômes sont typiquement : un ralentissement moteur
(bradykinésie), une difficulté à déclencher des mouvements volontaires (akinésie),
une augmentation du tonus musculaire (rigidité), et un tremblement des mains et
parfois de la mâchoire, qui prédomine au repos lorsque le patient ne produit pas
de mouvement. De nombreux patients souffrent par ailleurs de troubles cognitifs
au fur et à mesure de la progression de la maladie. La maladie de Parkinson est
associée à une dégénérescence de la voie neuronale liant une partie de la substance
noire (différente de la partie réticulaire de la même structure), dénommée pars
compacta, au striatum, qui utilise la dopamine comme neuromédiateur ; cette
dopamine exerçant normalement un rôle facilitateur sur la boucle motrice directe
par une action sur les neurones du putamen (Encadré 14.3). Les effets de la dopa-
mine sont complexes du fait de sa liaison à plusieurs sous-types de récepteurs
membranaires (voir Fig. 14.14). Les synapses dopaminergiques se terminent sur
les neurones du striatum et sont situées à proximité des synapses corticostriées.
Dans ce contexte, la dopamine est susceptible de renforcer l’action corticale sur
la voie directe. La dopamine facilite la voie motrice directe par l’activation des
neurones du putamen (qui à leur tour libèrent le VLo de son inhibition provenant
du GPi). Par conséquent, la déplétion en dopamine peut être considérée comme
bloquant le système d’activation de l’AMS à partir des ganglions de la base et
du VLo. Dans le même temps, la dopamine inhibe les neurones du striatum qui
influencent négativement le mouvement au travers de la voie indirecte, vers le GPe.
Dans la maladie de Parkinson, l’objectif principal des traitements est de pro-
mouvoir l’action de la dopamine déficiente dans le striatum. Cet objectif peut être
atteint par l’administration aux patients de L-DOPA (L-dihydroxyphénylalanine,
introduite au chapitre 6), un précurseur de la dopamine. La L-DOPA traverse la
barrière hématoencéphalique et facilite la biosynthèse de dopamine par les neu-
rones de la substance noire encore intacts, produisant ainsi une amélioration de
l’état des patients. Une autre possibilité est l’administration aux patients d’ago-
nistes dopaminergiques, agissant directement sur les récepteurs du neurotrans-
metteur. Cependant, le traitement par L-DOPA ou agonistes dopaminergiques
n’est que de type symptomatique : il n’agit pas sur le décours de la maladie,
ni sur la dégénérescence des neurones de la substance noire. De plus, ces trai-
tements présentent des effets secondaires qui limitent leur utilisation. (Il sera
à nouveau fait référence aux neurones dopaminergiques dans le chapitre 15).
Certains patients sont par ailleurs traités par des thérapeutiques basées sur des
lésions ou des stimulations intracérébrales (Encadré 14.4). D’autres stratégies de
type expérimental sont aussi en développement. Par exemple, est-il envisagé de
pouvoir traiter la maladie en procédant à la greffe intrastriatale de cellules non
neuronales, mais modifiées génétiquement de façon à ce qu’elles produisent et
sécrètent de la dopamine. De même, l’utilisation de cellules souches humaines
14 – Contrôle central du mouvement 505
Encadré 14.3 FOCUS
Substance
noire
Noyau
caudé
Putamen
Encadré 14.4 FOCUS
130 à 180 Hz (stimulation à haute fréquence). Comme Les traitements par stimulation cérébrale profonde
ces paramètres ne correspondent pas à une activité neu- ont été proposés pour d’autres pathologies, au-delà de la
ronale normale, comment peut-on alors imaginer l’ac- maladie de Parkinson. Ainsi, au-delà de la maladie de
tion de la stimulation cérébrale profonde ? Beaucoup de Parkinson, de telles stimulations pourraient être utiles
travaux ont été consacrés à cette question mais la réponse pour d’autres pathologies telles que la dépression,
est encore peu convaincante. Dans certains cas, il est certaines formes de troubles obsessivocompulsifs (les
proposé que la stimulation à haute fréquence s’oppose à TOC), le syndrome Gille de la Tourette, la schizophré-
certains rythmes anormaux de la décharge des neurones. nie, l’épilepsie, les douleurs chroniques ou encore la
Dans d’autres cas, il est envisagé que celle-ci puisse litté- maladie d’Alzheimer. Chaque pathologie implique des
ralement « absorber » ou même supprimer les rythmes sites de stimulations bien spécifiés. Mais il s’agit encore
de décharges neuronales anormaux. Ou encore la stimu- d’une stratégie thérapeutique en développement, qui
lation à haute fréquence pourrait activer certains inter- nécessite de poursuivre les travaux pour savoir jusqu’où
neurones inhibiteurs qui supprimeraient l’activité neu- le bénéfice de cette neurochirurgie fonctionnelle contre-
ronale anormale ; et enfin moduler la libération de balance les possibles inconvénients de la méthode.
neurotransmetteurs particuliers qui moduleraient l’acti-
vité des neurones et des cellules gliales. Par ailleurs, il est
envisagé aussi que le mécanisme de la stimulation céré- Electrode implantée
brale à haute fréquence puisse être différent, en fonction à demeure
des zones cérébrales stimulées. Dès lors, la question de
savoir comment cette stimulation produit ses effets thé-
rapeutiques reste ouverte.
Si, à ce stade, la stimulation cérébrale profonde peut
effectivement être une solution thérapeutique envisa-
geable dans certains troubles hypokinétiques et hyper-
kinétiques et que, de ce point de vue, elle peut être une
solution thérapeutique pour améliorer la qualité de vie
des patients, il est important aussi de considérer qu’en
tout état de cause elle n’est pas une panacée universelle.
En particulier, si elle exerce des effets positifs sur le com-
portement moteur, elle n’agit pas sur les autres symp-
tômes, spécialement les troubles non moteurs comme
ceux de la cognition, de l’humeur, ou encore sur la pos-
ture et la parole. De plus, les risques liés à la chirurgie
existent et ne doivent pas être minimisés. Enfin, les bat-
Stimulateur
teries doivent être régulièrement changées, bien que les
dispositifs les plus actuels utilisent des accumulateurs
rechargeables. Figure A
Initialisation du mouvement
par le cortex moteur primaire
L’AMS est très largement interconnectée avec le cortex moteur primaire M1,
c’est-à-dire l’aire corticale 4 du gyrus précentral (voir Fig. 14.7). La désigna-
tion de l’aire 4 du gyrus précentral comme étant le cortex moteur est toutefois
quelque peu arbitraire, en ce sens qu’elle n’est pas la seule aire corticale contri-
buant au système pyramidal ou au mouvement. Cependant, depuis l’époque
de Sherrington cette zone corticale est reconnue comme celle où la stimulation
électrique est à même de produire des mouvements avec la plus basse intensité
de stimulation. En d’autres termes, des stimulations électriques qui ne sont pas
efficaces pour produire des mouvements à partir des autres aires corticales, sont
encore actives pour déclencher des mouvements à partir de l’aire 4. Ces don-
nées renforcent l’idée d’une association étroite des neurones de l’aire 4 avec les
motoneurones et les interneurones moteurs de la moelle épinière. Les stimula-
tions focales de l’aire 4 évoquent des contractions musculaires très localisées,
montrant que la musculature somatique est effectivement représentée dans cette
aire corticale encore dénommée bande motrice, comme cela a déjà été mentionné.
Cortex moteur
Neurones corticospinaux
de la couche V
Faisceau corticospinal
90° 90°
Fréquence de décharge
40
(impulsions/s)
180° 0° 180° 0°
20
0
270° 270° 0° 90° 180° 270° 0°
(b) Direction du mouvement
Vecteur de direction
180°
Direction du mouvement
(a)
135°
90°
45°
0°
60 40 20 0
(c) Fréquence de décharge (impulsions/s)
de population évoquée plus haut dans le cas des informations sensorielles, où les
nombreux neurones répondaient de façon plutôt non spécifique à un stimulus
(voir par exemple au chapitre 8). La notion de codage de population appliquée
au système moteur implique dès lors que des groupes de neurones répondent de
façon assez globale pour encoder différentes caractéristiques du mouvement.
Pour tester la réalité de cette hypothèse selon laquelle la direction du mou-
vement est codée au niveau d’une population neuronale et non au niveau indi-
viduel, Georgopoulos et son équipe ont enregistré l’activité de plus de 200 neu-
rones de l’aire M1 chez le singe. Pour chacun de ces neurones, ils ont construit le
diagramme d’activation préférentielle en fonction de la direction du mouvement,
tel que cela est illustré sur la figure 14.16b. À partir de ces données, les chercheurs
déterminent le degré d’implication de chaque neurone pour un mouvement effec-
tué dans une direction déterminée. L’activité de chaque cellule est représentée sous
forme d’un vecteur pointant dans la direction la meilleure pour chaque neurone,
à titre individuel ; la longueur du vecteur représentant le niveau d’activation de
chacune de ces cellules pour un mouvement de direction déterminée (Fig. 14.16c).
Les vecteurs représentant l’activité neuronale individuelle pour chacune des
directions de mouvement testées sont alors reportés sur un même diagramme,
et moyennés pour faire apparaître ce que les chercheurs appellent le vecteur de
population (Fig. 14.17). Ils démontrèrent alors une excellente corrélation entre ce
vecteur moyen, représentant l’activité de populations cellulaires au niveau de M1,
et la direction effective du mouvement que l’animal réalisait (Fig. 14.18).
512 2 – Systèmes sensoriel et moteur
Droite + =
Haut + =
Gauche Haut Droit Bas
180° 90° 0° 270°
Direction du mouvement
(a)
(b)
90°
180° 0°
270°
Ces données amènent à formuler trois types de conclusions sur la façon dont
l’aire M1 commande les mouvements volontaires : (1) une large zone corticale
est active pour chaque type de mouvement ; (2) l’activité de chaque cellule prise
individuellement représente une simple participation au codage d’une direction
particulière du mouvement ; (3) la direction du mouvement est déterminée par
une intégration (et une moyenne) de l’activité propre de chaque élément, au
niveau d’une population neuronale. Même si après ces expériences l’existence
d’une telle population susceptible de coder la direction du mouvement reste
encore hypothétique pour l’aire M1, les expériences effectuées au niveau du colli-
culus supérieur par James McIlwain à Brown University et David Sparks à l’Uni-
versité d’Alabama, amènent toutefois à conclure de façon plus convaincante à
un tel codage des mouvements des yeux dans cette structure (Encadré 14.5).
Plasticité des cartes corticales motrices. Une hypothèse intéressante résul-
tant de cette conception du contrôle moteur peut être résumée de la façon sui-
vante : plus la population neuronale impliquée dans la réalisation d’un type
de mouvement particulier est importante, plus il apparaît envisageable de le
contrôler finement. À partir des cartes corticales représentées notamment sur
la figure 14.8, il est alors possible de prédire que les contrôles les plus élaborés
concernent les mouvements des mains et ceux de la face, ce qui est effectivement
le cas. Bien entendu, des mouvements très fins d’autres parties de la musculature
peuvent être appris, tels les mouvements des doigts, du poignet, du coude et de
l’épaule, que doit par exemple réaliser un violoncelliste. Cela signifie-t-il que les
cellules corticales de M1 peuvent passer de leur contribution à un type de
mou-
vement à un autre, par apprentissage ? La réponse à cette question paraît être
positive. John Donoghue, Jérôme Sanes, et leurs étudiants de Brown University
ont obtenu chez l’adulte des évidences d’une telle plasticité du cortex moteur.
Par exemple, dans une série d’expériences de microstimulation corticale chez le
rat, ils ont démontré que la région de M1 normalement impliquée dans la com-
mande des mouvements des vibrisses (Fig. 14.19a), peut déclencher des mouve-
ments du membre antérieur lorsque les nerfs moteurs qui innervent les muscles
du museau sont sectionnés (Fig. 14.19b). Ces neurobiologistes ont alors spéculé
que des réorganisations similaires du cortex cérébral pourraient être à la base des
apprentissages moteurs pour des mouvements fins.
4,5 4,5
3,5 3,5
2,5 2,5
1,5 1,5
0,5 0,5
– 1,5 – 0,5 0,5 1,5 2,5 3,5 4,5 – 1,5 – 0,5 0,5 1,5 2,5 3,5 4,5
Coordonnées postéro-antérieures (mm) Coordonnées postéro-antérieures (mm)
(a) (b)
Les dimensions importantes des champs récepteurs avec ses limites (trop simple et incomplet), décrit l’une
et des champs de mouvement des neurones du colliculus des manières, parmi d’autres, par laquelle le colliculus
supérieur signifient que l’information relative à la loca- supérieur pourrait accomplir sa fonction. La seule chose
lisation d’un point dans le champ visuel, ou d’une sac- dont nous puissions être certain est que la détection de
cade, implique une large population de neurones. Le la position de la cible et l’encodage des paramètres de la
modèle de la figure A illustre comment les neurones du saccade oculaire impliquent bien un codage d’activité de
colliculus encodent la position de la cible. Ce modèle, populations de neurones.
5
15 10 20 30 40
10
5
Cible 2
0 Horizontale
-5 Cible 1
-10
-15
Figure A
Cervelet
Commander aux muscles de se contracter n’est pas suffisant. Envoyer une
balle lobée nécessite une séquence détaillée de contractions musculaires, chacune
d’entre elles devant intervenir avec une grande précision. Cette fonction parti-
culièrement critique du contrôle moteur est dévolue au cervelet, dont il a déjà
été question dans le chapitre 7. Le rôle du cervelet dans cet aspect du contrôle
moteur est particulièrement bien révélé par l’analyse des effets des lésions céré-
belleuses ; les mouvements perdent totalement leur coordination et deviennent
imprécis, ce qu’on appelle une ataxie.
Un test très simple permet d’évaluer les fonctions cérébelleuses : il est demandé
aux sujets de laisser leurs mains sur les genoux, puis de venir se toucher le nez avec
un doigt d’une main. Dans un deuxième temps, il leur est demandé d’effectuer le
516 2 – Systèmes sensoriel et moteur
même geste les yeux fermés. En général, il n’y a pas de problème et le geste est réa-
lisé correctement dans les deux situations. Les patients qui présentent des lésions
du cervelet sont incapables de réaliser ce mouvement simple. Au lieu d’effectuer un
geste harmonieux qui implique la mise en jeu simultanée de l’épaule, du coude et
du poignet pour amener le doigt de la main au contact du nez, ces patients réalisent
le mouvement par la mise en jeu séquentielle des différentes articulations : d’abord
l’épaule, puis le coude, et finalement le poignet. Ce type de séquence pathologique
qualifiée de dyssynergie décompose le mouvement pluri-articulaire. Un autre défi-
cit caractéristique de ces patients est représenté par le fait que le mouvement du
doigt est dysmétrique : soit le doigt n’atteint pas sa cible, soit au contraire il vient
frapper violemment le nez comme si la cible n’était pas à sa place et située plus
en arrière. Ces mouvements sont extrêmement caractéristiques et s’apparentent
aux mouvements observés lors d’une intoxication alcoolique sévère. De fait, la
maladresse et la gaucherie qui accompagnent l’excès d’alcool sont directement en
rapport avec ses effets dépresseurs sur l’activité cérébelleuse (Encadré 14.6).
Anatomie du cervelet
L’anatomie du cervelet est schématiquement représentée sur la figure 14.20.
Le cervelet repose sur de puissants pédoncules, qui s’élèvent depuis le pont. La
partie visible est constituée par une fine lame représentant le cortex cérébelleux,
formant de très nombreux replis. Deux profondes scissures divisent le cervelet
dans le sens antérolatéral en un lobe antérieur, un lobe postérieur, et un lobe dit
flocculonodulaire, et la surface dorsale est caractérisée par la présence d’une
série de circonvolutions peu profondes. De plus, des coupes sagittales effectuées
au niveau du cervelet révèlent la présence de scissures, divisant la structure en
10 lobules. Au total, lobes et lobules contribuent à accroître considérablement
la surface du cortex cérébelleux, de la même manière que les gyri du cortex
cérébral. De nombreux neurones sont enfouis profondément dans la substance
blanche du cervelet, formant ce que l’on nomme les noyaux cérébelleux profonds,
qui représentent un relai entre le cortex du cervelet qui les innerve et de nom-
breuses structures du tronc cérébral. Le cervelet ne représente qu’environ 1/10e
seulement de l’ensemble du cerveau, mais son cortex contient un nombre éton-
namment élevé de neurones. La majorité de ces neurones sont de petites cellules
excitatrices connues comme les cellules granulaires, dont les corps cellulaires sont
situés dans la couche dite granulaire du cortex (Fig. 14.21a, b). Le nombre de ces
(b)
Hémisphère Vermis
Lobules
Follicules
cérébelleux
Cortex
cérébelleux
Noyaux
cérébelleux Quatrième
(a) (c)
ventricule
Noyaux
Bulbe Moelle épinière pontiques
Figure 14.20 – Cervelet.
(a) Vue dorsale du cervelet humain montrant le vermis et les hémisphères. (b) Vue sagittale du
cerveau montrant les lobules cérébelleux. (c) Section transversale du cervelet montrant le cortex
et les noyaux profonds.
14 – Contrôle central du mouvement 517
Encadré 14.6 FOCUS
Flexion Normal
Anormal
Tremblement
physiologique
Extension 1s
Tremblement de repos
1s
Tremblement intentionnel
1s
Départ Arrivée
Chorée
Anormal Normal
10 s
Athétose
10 min
518 2 – Systèmes sensoriel et moteur
cellules granulaires est considéré comme étant équivalent à celui de toutes les
autres cellules du cerveau. Les neurones de grande taille du cortex cérébelleux
sont les cellules de Purkinje, inhibitrices des neurones des noyaux cérébelleux
profonds, qui reçoivent une information excitatrice des cellules granulaires dans
la couche moléculaire du cortex (Fig. 14.21c).
Contrairement au cerveau, le cervelet n’est pas divisé en deux hémisphères
par une scissure centrale. La partie médiane, s’étendant d’avant en arrière,
constitue le vermis cérébelleux. Elle ne présente pas de latéralisation et contri-
bue à séparer les parties latérales de la structure, constituant deux hémisphères
cérébelleux. Ces deux régions, vermis et hémisphères (NdT : séparées par une
zone dite intermédiaire ou interposée), représentent des subdivisions du cerve-
let fonctionnellement très importantes. Le vermis projette vers les structures du
tronc cérébral qui contribuent au système ventromédian de la moelle épinière,
contrôlant de façon primordiale la musculature axiale. Les hémisphères sont, de
la même manière, mis en rapport avec les structures motrices formant le système
moteur latéral, et en particulier avec le cortex cérébral comme décrit ci-après
pour le contrôle de la musculature des membres.
Follicules cérébelleux
Couche moléculaire
Couche granulaire
(a)
Couche moléculaire
Cellules de Purkinje
Couche granulaire
(b)
Aire Aire
6 4
Cortex
Ganglions Pont,
VLo VLc
de base cervelet
Faisceau
cortico-
spinal
6. NdT : qui prend son origine dans le noyau latéral du cervelet, encore dénommé noyau
dentelé, et les noyaux intermédiaires ou interposés.
520 2 – Systèmes sensoriel et moteur
que ces mouvements ont été appris. Par conséquent, le cervelet représente une
autre s tructure importante pour l’apprentissage moteur, une structure où ce qui
est programmé est comparé à ce qui est produit. Lorsque cette comparaison ne
permet pas d ’espérer la réalisation de ce qui est attendu, l’activité cérébelleuse
change de façon à créer des compensations.
« Programmer » le cervelet. D’autres indications sur l’organisation céré-
belleuse et la façon dont elle peut être modifiée par l’expérience seront données
dans le chapitre 25. Pour le moment, envisageons simplement les mécanismes de
l’apprentissage d’une nouvelle habileté motrice (par exemple apprendre à skier, à
jouer au tennis, au piano, à jongler, ou encore à lancer une balle lobée). D’abord
il est nécessaire que le sujet se concentre sur les nouveaux mouvements à réaliser,
qui seront effectués au début en général de façon malhabile et mal coordonnée.
C’est l’entraînement qui va permettre de les améliorer : au fur et à mesure que
l’habilité nouvelle sera acquise, le mouvement sera fluide, et éventuellement il
deviendra quasi automatique. Cette procédure représente en fait la mise en place
de nouveaux programmes moteurs, qui vont être à même de générer les séquences
nécessaires au mouvement à la demande, sans l’aide d’un contrôle conscient.
Le cervelet joue alors le rôle d’une structure régulatrice contrôlant de façon
inconsciente que le programme moteur correspondant à l’habilité motrice sera
correctement réalisé. Dans le cas où ce programme n’est pas exactement adapté,
le cervelet interviendra par ailleurs pour l’ajuster, jusqu’à ce que son exécution
permette la réalisation du mouvement attendu.
Conclusion
Si nous reprenons pour terminer l’exemple du joueur de base-ball (NdT :
ou, par transposition, de notre joueur de football devant le gardien de but),
les différentes opérations que doit réaliser ce joueur pour effectuer son geste
peuvent maintenant être mises en place. Considérant tout d’abord la position de
repos, le joueur est en attente du déroulement de la partie ; ses réflexes extenseurs
contrôlant la posture érigée sont actifs et coordonnés par la mise en jeu des voies
motrices descendantes du système ventromédian.
Soudain, le joueur s’empare d’une balle dans sa main tendue. Cette charge
contribue à activer plus les muscles fléchisseurs du bras, pour compenser la
charge. Les afférences Ia deviennent plus actives et induisent, par voie réflexe
monosynaptique, une activation des motoneurones innervant les fléchisseurs.
Les muscles se contractent pour maintenir la main portant la balle en l’air,
contre la gravitation.
Le joueur est maintenant prêt à lancer la balle. Son néocortex est pleinement
engagé dans l’action et il attend du joueur devant attraper la balle qui lui fait
face, le signal de la main l’enjoignant de lancer la balle. Au même moment, le
système ventromédian agit pour maintenir sa posture. Bien que le corps soit
encore immobile, les neurones de la corne ventrale de la moelle se trouvent très
activés sous l’influence de la voie ventromédiane.
Par un signe discret, le joueur devant attraper la balle demande une balle
lobée. Cette information est captée par le lanceur et elle est communiquée à son
cortex pariétal et préfrontal. Ces régions corticales et l’aire 6 commencent alors
à élaborer une stratégie de mouvement.
Le batteur devant intercepter la balle est maintenant prêt. L’activité cérébrale
du lanceur de balle est transmise aux ganglions de la base, déclenchant le mou-
vement par l’intermédiaire de l’AMS et de l’activation secondaire du cortex M1.
Maintenant les informations sont transmises à la moelle épinière par le système
latéral. Le cervelet, activé par la voie cortico-pontocérébelleuse, utilise ces ins-
tructions pour coordonner temporellement la séquence des activations muscu-
laires nécessaires au mouvement. Les informations d’origine corticale atteignant
la formation réticulée permettent alors de libérer les muscles à fonction antigra-
vitaire de leur implication dans les réflexes posturaux. Finalement, les signaux
véhiculés par la voie latérale atteignent les motoneurones et les interneurones de
14 – Contrôle central du mouvement 521
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Énumérez les différentes composantes des systèmes moteurs, latéral
et ventromédian. Quels types de mouvements chacune de ces voies
motrices contrôlent-elles ?
2. Vous êtes neurologue et il vous est présenté le patient suivant : le s ujet
n’est pas capable de bouger indépendamment les orteils du pied
gauche mais ne présente aucune altération d’autres mouvements, tels
que marcher ou mobiliser séparément les différents doigts de la main.
Vous pensez à une lésion de la moelle épinière. À quel niveau ?
3. La tomographie par émission de positrons (TEP scan) est habituelle-
ment utilisée pour mesurer les variations de débit sanguin cérébral du
cortex cérébral. Quelles parties du cortex sont activées quand il est
demandé à un sujet d’évoquer, sans le réaliser, un mouvement de ses
doigts de la main droite ?
4. Pourquoi la L-DOPA est-elle utilisée pour traiter la maladie de Parkin-
son ? Comment agit-elle pour réduire la symptomatologie ?
5. Les cellules de Betz du cortex cérébral déchargent pour une large
gamme de mouvements réalisés dans des directions différentes. Com-
ment imaginez-vous qu’elles puissent contribuer à la commande d’un
mouvement particulier ?
6. Remémorez-vous la boucle motrice passant par le cervelet. Quels
types de déficit moteur résultent de son altération ?
3e PARTIE
Cerveau et
comportement
CH A PI T R E 15
Cerveau et comportement :
aspects
neurochimiques 524
C H A P I T R E 16
Motivation 552
C H A P I T R E 17
Cerveau masculin, cerveau féminin 582
C H A PI T R E 18
Mécanismes centraux des processus émotionnels 620
CH A PI T R E 19
Rythmes du cerveau et sommeil 650
CHAPITR E 20
Langage 690
C H A P I T R E 21
Cerveau au repos, processus attentionnels
et conscience 726
CH A PI T R E 22
Troubles mentaux 762
524 3 – Cerveau et comportement 524
CHAPITRE 15 Cerveau et
comportement :
aspects
n
eurochimiques
HYPOTHALAMUS SÉCRÉTOIRE
Organisation de l’hypothalamus......................................................... 527
Relations hypothalamo-hypophysaires................................................ 528
Encadré 15.1 Focus Stress et cerveau
SYSTÈME NERVEUX
AUTONOME
Organisation du système nerveux autonome (SNA)............................ 535
Neurotransmetteurs et pharmacologie des fonctions autonomes........ 539
SYSTÈMES MODULATEURS
DIFFUS DU CERVEAU
Organisation anatomofonctionnelle des systèmes modulateurs diffus. 541
Encadré 15.2 Focus « Dites-moi ce que vous mangez, je vous dirai
qui vous êtes… »
Encadré 15.3 Les voies de la découverte L’exploration des neurones
noradrénergiques centraux,
par Floyd Bloom
Psychotropes et systèmes modulateurs diffus..................................... 548
CONCLUSION
INTRODUCTION
P
our bien comprendre comment fonctionne le cerveau, il est évident qu’il
faut connaître l’organisation de ses connexions synaptiques. Ce n’est pas
par amour du grec et du latin que nous en abusons en neuroanatomie !
Les connexions décrites dans les chapitres précédents sont précises et spécifiques,
et il ne serait pas possible de lire ces lignes s’il n’y avait dans le système nerveux
central une très fine cartographie représentée au niveau neuronal des stimuli
lumineux frappant la rétine ; autrement comment percevoir ce point d’interro-
gation ? Pour cela, l’information est transmise au cerveau où elle est distribuée
dans de nombreuses parties pour y être analysée, en parfaite synergie avec les
neurones moteurs qui contrôlent très précisément les six muscles des deux yeux
parcourant cette page.
Dans ce type de communication organisée « point par point » des systèmes
sensoriels et moteurs, à la précision anatomique s’ajoutent des mécanismes qui
limitent la communication intercellulaire à la synapse, entre la terminaison axo-
nique et sa cible. Le glutamate libéré dans le cortex somatosensoriel n’a évidem-
ment pas pour fonction d’activer tous les neurones du cortex moteur ! De plus,
il faut aussi que la transmission soit assez brève pour permettre une réponse
rapide aux nouvelles informations sensorielles qui se succèdent. Aussi, au niveau
des synapses, de très petites quantités de neurotransmetteurs sont libérées avec
chaque impulsion nerveuse, et ces molécules sont ensuite rapidement détruites
par une enzyme ou éliminées par réabsorption par les cellules voisines, de façon
à permettre la transmission de nouveaux signaux. Les effets post-synaptiques
impliquant les récepteurs-canaux sensibles au neurotransmetteur ne durent eux-
mêmes que le temps où le neurotransmetteur est présent dans la fente synap-
tique, c’est-à-dire quelques millisecondes au plus. À cet égard, de nombreuses
terminaisons axonales présentent en plus des « autorécepteurs » présynaptiques1
qui détectent la concentration de neurotransmetteur dans la fente et en inhibent
la libération si la concentration devient trop élevée. Par des mécanismes d’auto-
régulation de ce type, la transmission synaptique est alors fermement confinée et
circonscrite dans l’espace environnant la synapse et dans le temps.
Les réseaux neuronaux parfaitement « cablés point par point » peuvent être
quelque peu comparés au système des télécommunications. Les réseaux télé-
phoniques permettent de communiquer très précisément d’un endroit à l’autre ;
votre mère, d’où elle se trouve, peut vous appeler là où vous êtes, et ne s’adresser
qu’à vous pour vous rappeler que son anniversaire était la semaine passée ; les
lignes téléphoniques ou les communications par téléphones cellulaires sont com-
parables à des connexions synaptiques précises. Un seul neurone (votre mère) a
pour cible un petit nombre de neurones (dans ce cas, vous seulement), son mes-
sage embarrassant étant seulement destiné à vos propres oreilles… En réalité,
un seul neurone des systèmes moteur et sensoriel influence quelques douzaines
à des centaines de cellules avec lesquelles il forme des synapses. Il s’agit alors
plutôt d’une véritable conférence téléphonique, mais elle est encore relativement
spécifique.
1. NdT : le concept d’autorécepteur présynaptique réfère à des récepteurs situés sur la
terminaison nerveuse, avec l’idée que ces récepteurs sont sensibles au neurotransmetteur
qui est libéré par la même terminaison.
…
526 3 – Cerveau et comportement
(a)
Hypothalamus sécrétoire
Comme cela a été décrit dans le chapitre 7, l’hypothalamus est situé sous le
thalamus, le long des parois du troisième ventricule. Il est relié par la tige pitui-
taire à l’hypophyse, suspendue à la base du cerveau au-dessus de la voûte repré-
sentant le palais de la bouche (Fig. 15.2). Bien que ce petit groupe de noyaux
ne représente que 1 % de la masse du cerveau, son impact sur la physiologie de
l’organisme est considérable. Il est ainsi nécessaire d’aborder quelques éléments
de l’anatomie de l’hypothalamus, puis on insistera sur certaines des voies par Thalamus Troisième
lesquelles il exerce sa puissante influence. dorsal ventricule
Organisation de l’hypothalamus
L’hypothalamus est adjacent au thalamus dorsal, mais sa fonction est très
différente de celle du thalamus. Comme cela apparaît dans les chapitres précé-
dents, la partie dorsale du thalamus se trouve sur le trajet des voies sensorielles,
typiquement organisées selon un mode « point par point », et qui y transitent
pour se terminer dans le néocortex. Par voie de conséquence, la destruction d’une
zone localisée du thalamus dorsal peut provoquer un petit déficit sensoriel ou
moteur : une petite tâche aveugle, ou un manque de sensibilité à un endroit pré-
cis de la peau. En revanche, l’hypothalamus intervient pour intégrer les réponses Chiasma Hypophyse Hypothalamus
motrices viscérales et somatiques, en fonction des besoins du cerveau. Une petite optique
lésion de l’hypothalamus peut ainsi produire des désorganisations dramatiques, Figure 15.2 – Localisation anatomique de
et quelquefois fatales, de l’une ou l’autre des multiples fonctions de l’organisme. l’hypothalamus et de l’hypophyse.
Homéostasie. La vie a ses contraintes. Chez les mammifères, cela se mani- Représentation sur une coupe sagittale de
feste entre autre par une faible variation de la température du corps et de la cerveau humain. Notez que l’hypothalamus
composition du sang. L’hypothalamus contrôle ces niveaux en fonction des fluc- forme la paroi du troisième ventricule et
qu’il se situe juste sous le thalamus dorsal.
tuations de l’environnement de l’individu. Ce processus de régulation s’appelle
Les lignes en pointillé indiquent les limites
l’homéostasie, correspondant au maintien de conditions internes constantes, approximatives de l’hypothalamus.
pour des conditions externes variables.
Considérons la thermorégulation. Dans de nombreuses cellules du corps, les
réactions biochimiques sont précisément programmées pour survenir à 37 °C.
Une variation supérieure à quelques degrés de plus ou de moins peut ainsi avoir
des conséquences dramatiques. Dans l’hypothalamus, des cellules sensibles à la
température détectent les variations de la température du cerveau, et orchestrent
les réponses appropriées. Par exemple, si le corps est exposé sans protection au
froid et à la neige, l’hypothalamus donne des ordres qui se traduisent par des fris-
sons (pour générer de la chaleur dans les muscles), un aspect de chair de poule
sur la peau (tentative futile de faire dresser sur la peau une fourrure inexistante
— le reste d’un réflexe de nos lointains ancêtres poilus), et la couleur bleue de la
peau (le sang se retire de la périphérie glacée pour maintenir la chaleur de l’inté-
rieur, plus sensible, du corps). En revanche, avec un excès d’exercice sous les tro-
piques, l’hypothalamus active des mécanismes de déperdition de chaleur qui font
rougir le visage (le sang est ramené à la périphérie pour que la chaleur irradie à
l’extérieur) et active la transpiration (pour rafraîchir la peau par l’évaporation).
528 3 – Cerveau et comportement
Latéral
Médian
Hypo-
thalamus
Périven-
triculaire
Troisième
ventricule
Relations hypothalamo-hypophysaires
Telle que nous l’avons décrite, l’hypophyse paraît suspendue à la base du
crâne, ce qui est exact si le cerveau est soulevé au-dessus de la tête. Néanmoins,
dans les conditions normales, l’hypophyse vient se nicher confortablement
dans un berceau osseux situé à la base du crâne. Cette protection particu-
lière est nécessaire car l’hypophyse est en grande partie le « porte-voix » par
lequel
l’hypothalamus communique avec le corps. L’hypophyse est formée de
deux lobes, postérieur et antérieur, contrôlés chacun de façon très différente à
partir de l’hypothalamus.
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 529
Neurones
sécrétoires
magnocellulaires
Hypothalamus
Chiasma optique
Lobe
postérieur
de
l’hypophyse Figure 15.4 – Cellules neurosécrétoires magno
cellulaires de l’hypothalamus.
Le schéma illustre une vue en coupe sagittale
de l’hypothalamus et de l’hypophyse du cer-
veau humain. Les neurones neurosécrétoires
magnocellulaires libèrent de l’ocytocine et de
Lobe antérieur la vasopressine directement dans les capil-
de l’hypophyse Capillaires sanguins
laires sanguins, au niveau du lobe postérieur
de l’hypophyse.
530 3 – Cerveau et comportement
Organe
subfornical
Hypothalamus
Hypophyse
Angiotensine II
Vaisseaux,
rein
Vasopressine
Angiotensine I
Figure 15.5 – Interrelations existant entre les
reins et le cerveau. Rénine
Dans une situation où le volume sanguin, ou
la pression artérielle, diminue sensiblement, Angiotensinogène
le rein libère la rénine dans la circulation san-
guine. La rénine contribue à la production
d’un peptide, l’angiotensine II, qui active les
neurones de l’organe subfornical. À son tour,
l’organe subfornical active l’hypothalamus, ce Foie
qui a pour effet de provoquer une libération Pression artérielle
accrue de vasopressine et une sensation de faible
soif. Rein
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 531
Neurones
sécrétoires
parvocellulaires
Capillaires Libération
sanguins des hormones
Lobe antérieur hypophysiotropes
de l’hypophyse
Hypothalamus
Autres régions
cérébrales
Hypophyse
Figure 15.7 – Réponse au stress.
Dans des conditions de stress physiologique, Cortico-
émotionnel ou psychologique, le système ACTH surrénale
périventriculaire de l’hypothalamus libère la
corticotropin-releasing hormone (CRH) dans Médullo-
Cortisol
le système porte hypothalamo-hypophysaire. surrénale
Cette hormone déclenche la libération de
l’hormone adrénocorticotrope (ACTH) dans
la circulation générale. À son tour, l’ACTH
stimule la sécrétion de cortisol à partir de la
corticosurrénale. Le cortisol peut agir directe-
ment sur les neurones hypothalamiques, mais
aussi sur beaucoup d’autres neurones situés Rein
en dehors de l’hypothalamus.
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 533
Encadré 15.1 FOCUS
Stress et cerveau
Le stress de caractère physiologique est créé par le stérone. Quelques semaines après, ces cellules commen-
cerveau, en réponse à des stimuli réels ou imaginaires. çaient à mourir. Un résultat similaire a été obtenu par
Les nombreuses réponses physiologiques associées au l’exposition des rats à un stress chronique.
stress contribuent à protéger le corps et le cerveau des Plus tard, les études de Sapolsky sur les babouins du
dangers qui sont à l’origine du stress. Mais le stress chro- Kenya ont révélé les dommages du stress chronique. À
nique aussi peut avoir des effets délétères plus insidieux. l’état sauvage, la vie des babouins est organisée selon
Les scientifiques commencent seulement à déterminer une hiérarchie sociale complexe, et les mâles de rang
les relations qui existent entre le stress, le cerveau, et les inférieur restent à l’écart des mâles dominants, s’ils le
atteintes du cerveau. peuvent. Pendant un an, pour diminuer la population de
Le stress provoque la sécrétion de cortisol, une hor- babouins et les empêcher de détruire les récoltes, les vil-
mone stéroïdienne, à partir de la glande corticosurrénale. lageois en ont enfermé plusieurs dans des cages. Dans
Le cortisol circule dans le sang jusqu’au cerveau et se fixe l’impossibilité de s’écarter des « chefs babouins » dans
aux récepteurs présents dans le cytoplasme de nombreux les cages, plusieurs mâles subalternes sont morts — non
neurones. L’activation de ces récepteurs se communique pas de blessures ou de malnutrition, mais, semble-t-il,
au noyau de la cellule, stimule la transcription génique, et à la suite d’un stress sévère et soutenu accompagné
enfin la synthèse des protéines. L’une des conséquences d’ulcères gastriques, de colites, d’une augmentation de
de l’action du cortisol est qu’un plus grand flux d’ions Ca2+ la taille des surrénales, ainsi que d’une dégénérescence
passe dans les neurones, à travers les canaux dépendants extensive des neurones de l’hippocampe. Les effets du
du potentiel. Ceci pourrait provenir d’une modification cortisol et du stress sont, de ce point de vue, compa-
directe de ces canaux, ou bien résulter, indirectement, de rables à ceux de l’âge sur le cerveau. Il est d’ailleurs
changements du métabolisme énergétique de la cellule. prouvé que le stress chronique provoque un vieillisse-
Quel que soit le mécanisme, le cortisol agit rapidement ment prématuré du cerveau.
sur le cerveau et lui permet de mieux réagir au stress, peut- On ne sait pas encore très bien si les résultats des
être en l’aidant à imaginer une façon de l’éviter ! recherches faites sur l’animal peuvent s’appliquer à
Mais qu’en est-il des effets du stress chronique et iné- l’homme, mais ce qui précède prête à réfléchir. La vie
vitable ? On a vu dans le chapitre 6 qu’un excès de cal- moderne est une source de stress important et durable
cium pouvait être néfaste. Si les neurones sont surchar- pour tant de personnes. De fait, l’exposition aux horreurs
gés de calcium, ils meurent (par excitotoxicité). On peut de la guerre, les viols, et toutes sortes d’extrême violence,
alors se poser la question : le cortisol peut-il tuer ? Bruce induit ce que l’on nomme un stress post-traumatique,
McEwen et ses collègues de l’Université Rockefeller, et avec un tableau d’anxiété généralisée, de troubles mné-
Robert Sapolsky et ses collègues de l’Université de siques, et de pensées intrusives. Dans ce cadre, les don-
Stanford, ont étudié ce problème sur le cerveau de rat. nées de l’imagerie cérébrale montrent bien des dégénéres-
Ils ont découvert que des injections quotidiennes de cences centrales, en particulier dans l’hippocampe. Nous
corticostérone (le cortisol du rat), pendant plusieurs verrons dans le chapitre 22 combien le stress et la réponse
semaines de suite, faisaient dépérir les dendrites de nom- au stress jouent manifestement un rôle clé dans la surve-
breux neurones possédant des récepteurs de la cortico nue de plusieurs maladies psychiatriques.
Constriction
Dilatation de la Nerf
pupillaire pupille oculomoteur
(III)
Stimulation de
Inhibition de la salivation et de
Œil la production
la salivation et Nerf
de la production des larmes
facial (VII)
des larmes
Vasoconstriction
Accélération de la Ralentissement de
fréquence cardiaque la fréquence cardiaque
Cœur
Activation
de la synthèse
Foie
et de la sécrétion
Thoracique de glucose Thoracique
Estomac
Stimulation de
la libération Pancréas
d’adrénaline et
de noradrénaline Stimulation du
à partir de la pancréas pour la
médullosurrénale sécrétion d’insuline et
d’enzymes digestives
Lombaire Lombaire
Relaxation de Stimulation de la
Chaîne la vessie contraction de
sympathique la vessie
Organes
reproducteurs Neurones à NA
2. NdT : cette vue est un peu schématique, et les influences exercées réellement par ces
deux composantes du SNA sont beaucoup plus complexes.
538 3 – Cerveau et comportement
Vaisseau
Axone
sanguin
Intestin
grêle
Plexus
de Meissner
(sous-muqueuse)
Figure 15.10 – Système entérique.
Ce schéma représente une coupe réalisée
au niveau de l’intestin grêle où apparaissent
les deux principales subdivisions du système
Plexus
entérique : le plexus myentérique et le plexus
d’Auerbach
sous-muqueux. Ces deux parties du système (myentérique)
entérique comportent des neurones senso-
riels entériques et des neurones moteurs qui
contrôlent les fonctions des organes digestifs.
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 539
sanguins dans cette partie du corps. Prenons, par exemple, le cas d’une pizza pas
encore tout à fait digérée, qui se fraye un chemin dans l’intestin grêle. Le plexus
myentérique est responsable de la sécrétion d’un mucus lubrifiant et d’enzymes
digestives, et du péristaltisme des muscles qui agissent pour bien mélanger la
pizza et les enzymes, et jusqu’à l’augmentation du débit sanguin intestinal per-
mettant d’obtenir une source de fluide suffisante, et de transporter les substances
nouvellement assimilées dans le reste du corps.
Le système entérique n’est pas complètement autonome. Il reçoit des infor-
mations du « vrai » cerveau, par l’intermédiaire des axones des systèmes sympa-
thique et parasympathique, qui assurent un contrôle supplémentaire et peuvent,
dans certaines circonstances, se substituer aux fonctions du système entérique,
comme dans le stress aigu.
Contrôle central du SNA. Comme cela a déjà été souligné, l’hypothalamus
est le régulateur essentiel des neurones préganglionnaires du système autonome.
Cette petite structure parvient à intégrer les diverses informations qu’elle reçoit
sur l’état du corps, à anticiper une partie de ses besoins, et à donner un ensemble
coordonné d’ordres neuronaux et hormonaux. Les connexions de la région
périventriculaire de l’hypothalamus avec le tronc cérébral et les noyaux de la
moelle épinière, où sont localisés les neurones préganglionnaires des systèmes
sympathique et parasympathique, jouent à cet égard un rôle de premier plan
dans le contrôle du système autonome. Le noyau du faisceau solitaire, situé dans
la région bulbaire et relié à l’hypothalamus, représente un autre centre de contrôle
important du système autonome. En fait, certaines fonctions autonomes sont
indépendantes des connexions entre le tronc cérébral et les structures situées
au-dessus, y compris l’hypothalamus. Le noyau du faisceau solitaire intègre les
informations sensorielles provenant des organes internes et coordonne les ordres
envoyés aux noyaux autonomes à partir du tronc cérébral.
Neurotransmetteurs et pharmacologie
des fonctions autonomes
Même ceux qui ne connaissent pas le terme de neurotransmetteur, savent ce
que signifie « poussée d’adrénaline » (adrénaline pour nous et les Anglais, épiné-
phrine pour les Américains). Historiquement, le SNA est la partie du corps qui
a certainement le plus contribué à la connaissance du rôle des neurotransmet-
teurs. Le SNA étant relativement simple comparé au SNC, il est plus facile à
étudier. De plus, les neurones périphériques du SNA siégeant à l’extérieur de la
barrière hématoencéphalique, toutes les drogues qui circulent dans le sang les
influencent directement. La simplicité et la vulnérabilité relatives du SNA ont
permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des drogues affectant la
transmission synaptique.
Neurotransmetteurs préganglionnaires. Le neurotransmetteur le plus impor
tant des neurones périphériques autonomes est l’acétylcholine (ACh), le neuro
transmetteur utilisé par ailleurs par les jonctions neuromusculaires squelettiques.
Les neurones préganglionnaires des deux systèmes, sympathique et parasympathique,
libèrent de l’ACh. L’ACh se fixe immédiatement aux récepteurs cholinergiques
nicotiniques, représentant des récepteurs-canaux sensibles à l’ACh, et induit un
PPSE rapide qui déclenche généralement un potentiel d’action dans la cellule
post-ganglionnaire. Ces mécanismes sont très comparables à ceux intervenant à
la jonction neuromusculaire squelettique, et les drogues qui bloquent les récep-
teurs cholinergiques nicotiniques des muscles squelettiques, telle que le curare,
bloquent également la transmission des informations dans le système autonome.
L’ACh du neurone ganglionnaire est cependant plus actif que l’ACh de la
jonction neuromusculaire. Il active en plus des récepteurs muscariniques, repré-
sentant des récepteurs métabotropiques (couplés aux protéines G), qui modulent
l’ouverture et la fermeture des canaux ioniques, et qui provoquent des PPSE et
des PPSI très lents. Ces événements synaptiques de type muscarinique ne sont
en général pas évidents, sauf si le nerf préganglionnaire est stimulé de façon
répétitive. En plus de l’ACh, quelques terminaisons préganglionnaires libèrent
540 3 – Cerveau et comportement
Systèmes modulateurs
diffus du cerveau
Que se passe-t-il lorsqu’on s’endort ? Les ordres internes « Vous devenez
somnolent » et « Vous tombez de sommeil » sont des messages qui intéressent
de nombreuses régions cérébrales. La transmission aussi large de cette infor-
mation se fait par l’intermédiaire de neurones présentant un réseau d’axones
particulièrement étendu. Il existe dans le cerveau plusieurs regroupements de ce
type de neurones, utilisant chacun un neurotransmetteur particulier, et formant
un réseau de connexions très étendu, de caractère diffus. Au lieu de transmettre
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 541
les détails des informations sensorielles, ces neurones ont souvent des fonctions
de régulation : ils modulent l’activité de larges populations de neurones (dans le
cortex cérébral, le thalamus, et la moelle épinière) impliquées dans des actions
plus spécialisées, pour les rendre plus ou moins excitables, ou encore pour que
leur activité soit plus ou moins synchronisée, etc. Globalement, ces neurones
modulateurs (ou régulateurs) sont un peu comparables aux boutons de réglage
du volume, des aigus, et des basses d’un appareil de radio : leur manipulation ne
change pas le lyrisme ou la mélodie d’un chant, mais améliore considérablement
son écoute. De plus, il semble que différents de ces systèmes jouent un rôle essen-
tiel dans certains aspects du contrôle moteur, de la mémoire, de l’humeur, de la
motivation, ou encore du métabolisme. Enfin, les systèmes modulateurs sont
affectés par de nombreuses drogues psychotropes dont ils sont la cible, et de ce
fait, au moins, ils occupent une place de choix dans les théories actuelles sur les
bases biologiques de certains troubles psychiatriques.
Organisation anatomofonctionnelle
des systèmes modulateurs diffus
Les différents types de systèmes modulateurs diffus présentent des structures
et des fonctions différentes, mais ils ont aussi des caractéristiques communes :
•• typiquement, chaque système est constitué d’un petit ensemble de neu-
rones (quelques milliers) ;
•• les corps cellulaires des neurones des systèmes diffus sont localisés pour
presque leur totalité dans le tronc cérébral ;
•• chaque neurone en influence beaucoup d’autres, car son axone très « bran-
ché » peut être en contact avec plus de 100 000 neurones post-synaptiques
distribués dans tout le cerveau ;
•• les contacts synaptiques établis par nombre de ces systèmes semblent des-
tinés à libérer les molécules de neurotransmetteur dans le milieu extra-
cellulaire pour qu’elles puissent diffuser au contact de nombreux neu-
rones, plutôt que d’agir dans le voisinage de la fente synaptique. Ainsi
ces contacts synaptiques ne présentent-ils pas, dans leur vaste majorité,
des profils ultrastructuraux de synapses classiques, tels qu’ils peuvent être
définis à partir du modèle de la jonction neuromusculaire des muscles
squelettiques3.
Les principaux systèmes modulateurs du cerveau sont associés aux neu-
rotransmetteurs suivants : la noradrénaline (NA), la sérotonine (5-HT), la dopa-
mine (DA), ou l’acétylcholine (ACh). Nous avons vu dans le chapitre 6 que tous
ces neurotransmetteurs, au niveau cérébral, activent pour l’essentiel des récep-
teurs métabotropiques spécifiques (couplés aux protéines G) ; par exemple, le
cerveau présente de 10 à 100 fois plus de récepteurs métabotropiques choliner-
giques muscariniques que de récepteurs nicotiniques, de type récepteurs-canaux.
Le rôle exact de ces systèmes sur le comportement n’est aujourd’hui encore
pas connu avec précision malgré une multitude de travaux qui se poursuivent
assidûment dans ce domaine, ce qui fait que seules quelques généralités peuvent
à cet égard être avancées. Il apparaît cependant clairement que l’influence de
ces systèmes neuronaux dépend, comme pour les autres catégories de neurones,
de leur activité électrique, et ainsi de leur capacité à libérer plus ou moins de
neurotransmetteur (Encadré 15.2).
Neurones noradrénergiques du locus coeruleus. La noradrénaline est un
neurotransmetteur du système nerveux autonome périphérique, mais elle se
trouve aussi localisée dans une petite structure du pont, le locus coeruleus (ce qui
signifie « tache bleue » en latin, nommée ainsi à cause du pigment contenu dans
ses cellules). Chez l’homme, le locus coeruleus contient environ 12 000 neurones,
et il y a un locus coeruleus de chaque côté du pont.
3. NdT : le terme de « transmission volumique » a été avancé dans la littérature pour
rendre compte de cette action diffuse des neurotransmetteurs des systèmes modulateurs
diffus, encore dénommés neuromodulateurs.
542 3 – Cerveau et comportement
Encadré 15.2 FOCUS
Une avancée déterminante a été faite au début des années 1960 lorsque Nils-
Ake Hillarp et Bengt Falck, au Karolinska Institute à Stockholm, ont développé
une technique histologique permettant la visualisation des neurones catéchola-
minergiques (noradrénergiques et dopaminergiques) sur des coupes de cerveau
(Fig. 15.11). Cette analyse a révélé que les axones issus du locus coeruleus for-
ment plusieurs faisceaux, puis se dispersent et innervent presque chaque partie
du cerveau : le cortex cérébral, le thalamus, l’hypothalamus, le bulbe olfactif,
le cervelet, le mésencéphale, et la moelle épinière (Fig. 15.12). Le locus coeru-
leus a probablement les connexions parmi les plus diffuses du cerveau, si l’on
considère qu’un seul de ses neurones peut présenter jusqu’à 250 000 synapses,
et qu’un même axone peut, par ses différentes branches, se projeter à la fois
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 543
Figure 15.11 – Neurones à noradrénaline du
locus coeruleus.
La réaction de la noradrénaline présente dans
les tissus avec la formaldéhyde (sous forme
de vapeurs imprégnant les coupes de tissu)
produit une fluorescence de couleur verte,
permettant alors la localisation anatomique
des neurones contenant le neurotransmetteur
et l’étude de leur projection dans le cerveau
(courtoisie du Dr Kjell Fuxe.)
Système noradrénergique
Néocortex
Thalamus
Dès les années 1930, il était acquis que la par la formaldéhyde, rendant les mono
noradrénaline (NA) était le neurotransmet- amines (NA, dopamine et sérotonine)
teur de la composante sympathique du fluorescentes lorsqu’elles sont illuminées
système nerveux autonome, mais sa carac- par une lumière de longueur d’onde adé-
térisation comme neurotransmetteur du quate. Mais, curieusement, dans les condi-
système nerveux central a encore demandé tions d’humidité des laboratoires du NIH à
une trentaine d’années. À la fin des années Washington, je fus incapable de reproduire
1950, la transmission synaptique, impli- ces résultats. Je me suis alors rendu à Yale
quant les neurotransmetteurs dans le sys- Floyd Bloom pour y tester d’autres méthodes basées sur
tème nerveux central, était conçue comme des observations en microscopie électronique
une extension au cerveau de ce que nous savions du couplées à de l’autoradiographie (voir chapitre 6), afin
fonctionnement de la jonction neuromusculaire, la de déterminer quel type de terminaison nerveuse pou-
synapse jusque-là la mieux étudiée et la mieux connue. vait concentrer la NA, comme venait de le montrer
À ce niveau, l’acétylcholine avait satisfait aux quatre Julius Axelrod pour l’innervation sympathique de la
critères d’identification principaux des neurotransmet- glande pinéale.
teurs : la localisation, la reproduction des effets physio- De retour au NIH en 1968, j’avais suffisamment
logiques de la synapse (la contraction musculaire), la appris pour tester l’hypothèse selon laquelle les fibres
caractérisation pharmacologique et les changements de noradrénergiques pouvaient innerver les cellules de
perméabilité ionique. La question se posait alors de Purkinje du cortex cérébelleux. À cette époque, cette
savoir quel autre type de neurotransmetteurs utilisait région du cerveau était parmi les mieux connues sur le
dans le cerveau les synapses qui ne fonctionnaient pas plan de l’organisation des réseaux cellulaires. Avec Barry
avec l’acétylcholine ? À ce moment-là, la NA avait été Hoffer, qui avait étudié le développement du cervelet, et
détectée dans le cerveau et nous savions que certaines George Siggins, lui-même expert de l’innervation sym-
régions étaient plus riches que d’autres (des taux élevés pathique de la circulation sanguine, nous avons entre-
dans l’hypothalamus, des taux beaucoup plus faibles pris des expériences pour savoir comment les cellules
dans le cortex, par exemple). En d’autres termes, sa dis- de Purkinje répondaient à une application de NA. La
tribution intracérébrale n’était pas homogène et de ce réponse était claire : la NA produisait un ralentissement
fait ne pouvait rendre compte, par exemple, d’une simple de la décharge des cellules de Purkinje. Cet effet était
association du neurotransmetteur avec une fonction bloqué par des antagonistes des récepteurs adréner-
limitée au contrôle de la circulation cérébrale, dans les giques et était au contraire potentialisé par l’administra-
vaisseaux sanguins. Mais alors, quel pouvait être le rôle tion d’inhibiteurs de la capture de NA. L’ensemble de
de cette NA cérébrale ? ces effets n’était plus observé chez des animaux dont les
Lorsque j’ai intégré le NIH en 1962, pour éviter neurones noradrénergiques avaient été préalablement
d’être affecté à une mission en tant que médecin mili- détruits par une injection de 6-hydroxydopamine2.
taire, j’ai passé deux ans à tenter de comprendre com- Alors que j’effectuai un séjour au Karolisnka Institute
ment réagissaient les neurones de l’hypothalamus, du de Stockholm en 1971, l’année où Julius Axelrod a reçu
bulbe olfactif ou encore du striatum, à répondre à une son prix Nobel, j’ai appris avec Lars Olson et Kjell Fuxe
application ionophorétique de NA1. Les résultats appa- que le locus coeruleus situé dans le tronc cérébral au
raissaient comme quelque peu liés au hasard : un tiers niveau du pont était à l’origine de l’innervation noradré-
des neurones était excité, un tiers paraissait inhibé et le nergique du cervelet et aussi de l’ensemble du cerveau
tiers restant paraissait insensible à l’application de NA. (Fig. A). Lorsque Siggins, Hoffer et moi-même stimu-
À cette époque, l’information qui nous manquait était lions électriquement le locus coeruleus, nous produisions
de savoir si les neurones testés étaient naturellement un ralentissement de la décharge des cellules de Purkinje,
innervés par des fibres noradrénergiques. Cette informa- en parfait accord avec ce que nous observions par appli-
tion est devenue accessible lorsque les Suédois Nils-Ake cation ionophorétique de NA sur ces neurones. Ces
Hillarp et Bengt Falck eurent mis au point la méthode
d’histofluorescence, basée sur l’imprégnation des tissus
2. NdT : il s’agit d’une substance neurotoxique qui détruit
1. NdT : il s’agit d’étudier la décharge neuronale lors d’appli- les neurones catécholaminergiques lorsqu’elle est administrée
cations, au contact de la cellule, de faibles quantités de molé- localement dans les structures qui contiennent ces neurones,
cules de la substance, dont on veut étudier l’effet. dopaminergiques ou noradrénergiques.
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 545
effets étaient bloqués par l’inhibition pharmacologique avions observé chez le rat, où l’innervation noradréner-
de la tyrosine hydroxylase (enzyme de synthèse de la gique apparaissait comme très diffuse en particulier au
NA) et par la destruction des neurones noradréner- niveau cortical, chez le singe des différences régionales
giques du locus par injection locale de 6-hydroxydopa- apparaissaient, notamment dans les aires cingulaires et
mine. Nous fûmes alors convaincus que la NA était bien orbitofrontales du cortex. Cette distribution spécifique
un neurotransmetteur dans le cerveau. Toutefois, il des fibres noradrénergiques suggérait que le locus coeru-
apparaissait aussi que cette NA n’agissait pas exacte- leus avait une influence majeure sur les processus spa-
ment comme les autres neurotransmetteurs à action tiaux et visuomoteurs, plus que sur la détection de chan-
« rapide » connus jusque-là. Plutôt que d’exercer une gements subtils au plan sensoriel. Mon intérêt pour les
action excitatrice ou inhibitrice, il apparaissait que la systèmes catécholaminergiques centraux et leurs proces-
NA avait pour effet de « renforcer » l’action d’autres sus pathologiques associés se poursuit avec toujours
afférences innervant la même cible neuronale. Menahem autant d’intensité. J’ai ajouté à mes méthodes des tra-
Segal, avec qui je travaillais au NIH, arrivait aux mêmes vaux utilisant les neurosciences computationnelles et
conclusions s’agissant cette fois de l’action de la NA sur théoriques, en particulier en rapport avec les comporte-
l’hippocampe. ments, y compris avec leur modification avec le vieillis-
Après avoir intégré le Salk Institute à San Diego, j’ai sement.
travaillé avec Steve Foote et Gary Aston-Jones, sur l’en-
registrement de l’activité des neurones du locus coeru-
leus chez des rats vigiles, libres de leurs mouvements,
et chez des singes écureuils. Ces expériences nous ont
appris que les neurones du locus coeruleus répondaient
par des décharges brèves à toute une série de stimuli sen-
soriels de diverses modalités, qui s’atténuaient lorsque
l’animal était moins vigile et qui disparaissaient pendant
les phases de sommeil paradoxal. Le caractère phasique
ou tonique des réponses était corrélé avec le type de
récepteur adrénergique concerné, soit de type alpha, soit
de type bêta.
Plus tard, en utilisant des méthodes immunohisto-
chimiques basées sur la visualisation de la dopamine-
bêta-hydroxylase spécifiquement présente dans les
neurones noradrénergiques, avec Steve Foote, John
Figure A – Mise en évidence des neurones noradrénergiques du
Morrison et Davis Lewis, nous avons proposé une pre- locus coeruleus chez le rat (coupe sagittale) par fluorescence
mière cartographie de l’innervation noradrénergique du (verte). (Source : courtoisie du Dr Floyd Bloom, The Scripps Research
cerveau chez le singe. Contrairement à ce que nous Institute.)
Système sérotoninergique
Ganglions de la base
Néocortex Thalamus
veille-sommeil, ainsi que dans les mécanismes des différentes phases du sommeil.
Mais il faut noter que beaucoup d’autres systèmes neuronaux interviennent de
façon coordonnée dans cette fonction cérébrale. On verra plus en détail dans le
chapitre 19 la contribution des systèmes modulateurs diffus dans les processus
liés au sommeil et à la vigilance.
Les neurones sérotoninergiques du raphé jouent aussi un rôle dans la régula-
tion de l’humeur et de certains types de comportements émotionnels. On revien-
dra sur la sérotonine et l’humeur en parlant de la dépression, dans le chapitre 22.
Neurones dopaminergiques de la substance noire et de l’aire tegmentale
ventrale (ATV). Pendant de nombreuses années, les chercheurs ont pensé que
la dopamine n’existait dans le cerveau que comme précurseur métabolique de
la noradrénaline. Ce sont les travaux d’Arvid Carlsson, dans les années 1960, à
l’Université de Göteborg en Suède, qui ont démontré le rôle clé de la dopamine
elle-même dans le fonctionnement cérébral. Cette découverte lui a valu le prix
Nobel de médecine en l’an 2000.
Bien que les neurones contenant de la dopamine soient distribués dans tout le
SNC, y compris quelques-uns dans la rétine, le bulbe olfactif et la partie périventri-
culaire de l’hypothalamus, deux groupes très proches de ces cellules présentent les
caractéristiques des systèmes modulateurs diffus (Fig. 15.14). L’un d’eux a son
origine dans la substance noire (substantia nigra), dans le mésencéphale. Comme
on l’a vu dans le chapitre 14, ces neurones se projettent sur le striatum (noyau
caudé et putamen) formant le système dopaminergique nigrostrié. La dopamine,
dans le striatum, facilite l’initialisation des mouvements volontaires ; et la dégé-
nérescence des neurones dopaminergiques de la substance noire est responsable
des troubles moteurs progressifs et redoutables de la maladie de Parkinson (voir
chapitre 14). Cela ne signifie cependant pas que l’on connaisse parfaitement le
rôle de la dopamine dans le contrôle moteur, mais on sait qu’elle facilite le déclen-
chement des réponses motrices à partir de stimuli environnementaux.
Le mésencéphale est aussi à l’origine d’un autre système modulateur diffus,
représenté par un groupe de cellules très proche de la substance noire, siégeant
dans la partie ventrale du tegmentum mésencéphalique identifiée comme aire
tegmentale ventrale (ATV). Les axones issus de ces neurones vont innerver une
zone bien définie du télencéphale, comprenant le cortex frontal et certaines par-
ties du système limbique (voir chapitre 18). Cette projection dopaminergique du
mésencéphale est connue sous le terme de système dopaminergique mésocortico-
limbique4. Différentes fonctions ont été attribuées à cette projection complexe.
4. NdT : c’est dans le laboratoire de Jacques Glowinski au Collège de France à Paris que fut
découverte, dans les années 1970, la composante corticale de la voie mésocorticolimbique.
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 547
Lobe Striatum
frontal
Substance
noire
Figure 15.14 – Systèmes dopaminergiques
nigrostrié et mésocorticolimbique.
La substance noire et l’aire mésencépha-
lique tegmentale ventrale sont situées dans
des régions voisines du mésencéphale. Les
Aire tegmentale ventrale
axones des neurones dopaminergiques issus
de ces régions projettent, respectivement,
vers le striatum (noyau caudé et putamen) et
vers les parties limbique et frontale du cortex.
Thalamus
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons étudié trois constituants du système nerveux,
qui se caractérisent par la large dispersion de leurs influences, contrairement aux
systèmes plus spécifiques que nous avons abordés jusqu’alors. L’hypothalamus
et le système nerveux autonome communiquent avec d’autres cellules de toutes
les parties du corps, et les systèmes modulateurs diffus agissent sur des neu-
rones situés dans de nombreuses parties du cerveau. Ces systèmes neuronaux se
caractérisent aussi par la durée de leurs effets, qui peut aller de quelques minutes
à plusieurs heures. Enfin, ils sont caractérisés par des neurotransmetteurs spé-
cifiques. De nombreux exemples montrent que c’est le neurotransmetteur qui
définit le système. Par exemple, pour la périphérie on utilise indifféremment les
mots « noradrénergique » et « sympathique ». On peut dire la même chose pour
« raphé » et « sérotonine » dans le cerveau antérieur, et pour « substance noire »
et « dopamine » dans les ganglions de la base. Ces idiosyncrasies chimiques ont
permis une interprétation de l’effet des drogues sur le comportement, que l’on
ne peut se permettre avec la plupart des autres systèmes neuronaux. On sait ainsi
quelle est la partie du cerveau sensible à la cocaïne et aux amphétamines, et à
quel endroit de la périphérie ils agissent pour faire monter la pression artérielle
et la fréquence cardiaque.
À un niveau plus détaillé, chacun des systèmes étudiés dans ce chapitre exerce
différentes fonctions. Mais, d’un point de vue plus général, ils contribuent tous
ensemble à l’homéostasie cérébrale : ils contrôlent différents processus physiolo-
giques, dans certains domaines. Ainsi, le SNA régule la pression artérielle pour
qu’elle reste au bon niveau, mais les variations de la pression artérielle contri-
15 – Cerveau et comportement : aspects neurochimiques 551
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Les blessés de guerre qui ont perdu beaucoup de sang ont souvent
très envie de boire de l’eau. Pourquoi ?
2. Vous avez veillé une grande partie de la nuit pour remettre un travail
à temps. Vous tapez maintenant frénétiquement sur votre ordinateur,
avec un œil sur l’article que vous rédigez, et un autre sur l’heure. Com-
ment la partie périventriculaire de l’hypothalamus orchestre-t-elle la
réponse physiologique du corps au stress de cette situation ? Donnez
une description détaillée.
3. Une « crise addisonienne » décrit une constellation de symptômes qui
incluent une faiblesse extrême, une confusion mentale, une somno-
lence, une chute de la pression artérielle et des douleurs abdominales.
Quelle est la cause de ces symptômes et que peut-on faire pour traiter
ce syndrome ?
4. Pourquoi dit-on fréquemment que la glande médullosurrénale est
l’analogue d’un ganglion sympathique modifié ? Pourquoi ne peut-on
pas en dire autant de la corticosurrénale ?
5. Un grand nombre d’athlètes et d’animateurs célèbres sont morts
accidentellement après avoir pris de grandes quantités de cocaïne.
La cause de la mort est généralement un arrêt cardiaque. Comment
expliquez-vous l’action périphérique de la cocaïne ?
6. Quelles sont, selon vous, les différences entre les systèmes « point par
point » et les systèmes modulateurs ? Donnez au moins 4 types de
différences.
7. Dans quelles conditions particulières sont activés les neurones du
l ocus coeruleus ? Et les neurones noradrénergiques du système nerveux
autonome ?
CHAPITRE 16 Motivation
HYPOTHALAMUS,
HOMÉOSTASIE ET
COMPORTEMENTS MOTIVÉS
RÉGULATION À COURT
TERME DES CONDUITES
ALIMENTAIRES
Avoir de l’appétit, manger, digérer et ne plus avoir faim...................... 564
Encadré 16.2 Focus La marijuana et la stimulation de l’appétit
Encadré 16.3 Focus Diabète mellitus et choc insulinique
POURQUOI
MANGEONS-NOUS ?
Renforcement et récompense.............................................................. 568
Encadré 16.4 Focus Autostimulation du cerveau humain
Rôle de la dopamine dans les processus motivationnels...................... 568
Encadré 16.5 Focus Dopamine et addiction
Encadré 16.6 Les voies de la découverte Apprendre à désirer…
par Julie Kauer
Sérotonine, prise alimentaire et humeur.............................................. 571
AUTRES COMPORTEMENTS
MOTIVÉS
La soif................................................................................................ 575
Régulation de la température corporelle............................................. 577
CONCLUSION
Encadré 16.7 Focus Neuroéconomie
INTRODUCTION
N
otre vie est une succession de comportements. Pour quelle raison ?
L’objectif de cette troisième partie de l’ouvrage est de tenter d’expli-
quer pourquoi se réalisent les comportements. Dans la deuxième par-
tie, nous avons vu comment un certain nombre de réponses motrices sont sus-
ceptibles d’être élaborées. Par exemple, au niveau le plus élémentaire, les réflexes
sont déclenchés de façon inconsciente et automatique, à partir d’une stimulation
sensorielle ; telle la dilatation de la pupille lorsque la lumière diminue, le retrait
du pied lorsque l’on marche sur une punaise, etc. Au niveau le plus élaboré, on
trouve à l’inverse des mouvements volontaires très sophistiqués, comme ceux qui
président à la frappe de ce texte sur l’ordinateur, et qui supposent une séquence
d’événements très précise, impliquant notamment le lobe frontal. Ce type de
mouvement volontaire répond à une exigence. Il est sous-tendu par une motiva-
tion. Une telle motivation peut avoir un caractère abstrait (le « besoin » d’aller
faire de la voile par une belle et chaude journée d’été), mais elle peut présenter
au contraire un aspect tout à fait concret (par exemple, le « besoin » d’aller aux
toilettes lorsque votre vessie est pleine).
La motivation peut ainsi être perçue comme une force qui vous amène à réa-
liser un comportement. Par analogie, considérons la force ionique qui amène les
ions sodium à traverser une membrane semi-perméable telle que la membrane
neuronale (une analogie un peu osée, peut-être, mais pas pour un ouvrage sur
les neurosciences…). Comme nous l’avons vu dans les chapitres 3 et 4, la force
ionique dépend d’un certain nombre de facteurs, incluant notamment la concen-
tration de l’ion de part et d’autre de la membrane, ou encore le potentiel de
membrane. Les variations de cette force ionique entraînent ainsi un courant
ionique dans l’une ou l’autre des directions, mais la force ionique elle-même
n’est pas suffisante pour provoquer le courant : le courant ionique nécessite
l’activation de canaux spécifiques qui s’ouvrent et permettent le passage des ions
au travers de la membrane.
Bien entendu, le comportement humain ne peut pas être réduit à la loi
d’Ohm… Certes, il est évident que la nature du comportement et son déclenche-
ment vont dépendre des forces qui le déterminent, et si une motivation particu-
lière est nécessaire pour réaliser le comportement, elle ne garantit pas son succès.
L’analogie avec les processus membranaires nous permet en plus de mettre en
exergue qu’une partie essentielle du contrôle de tel ou tel comportement est en
fait liée à la capacité de choisir en conscience parmi plusieurs de ces comporte-
ments motivés, aux intérêts souvent opposés ; par exemple, aller faire de la voile
alors même qu’il est urgent de préparer un texte à l’ordinateur.
En dépit de progrès considérables, les neurosciences ne sont toujours pas
à même d’expliquer concrètement pourquoi on a finalement décidé d’être
raisonnable et de travailler sur le texte de ce chapitre, plutôt que d’aller faire de
la voile… Néanmoins, des avancées ont été réalisées pour expliquer au moins ce
qui motive les comportements qui sont nécessaires à la survie.
554 3 – Cerveau et comportement
Hypothalamus, homéostasie
et comportements motivés
Dans le chapitre 15, nous avons introduit l’hypothalamus et la notion
d’homéostasie. Souvenez-vous que l’homéostasie réfère à des mécanismes qui
maintiennent un certain nombre de paramètres internes de l’organisme dans
des limites physiologiques étroites. Même si le maintien de ces constantes
physiologiques implique de façon plus ou moins réflexe de nombreuses régions
du système nerveux, l’hypothalamus occupe une place centrale dans ces régula-
tions, en intervenant notamment pour la régulation de la température du corps,
l’équilibre hydrominéral ou l’équilibre énergétique.
L’intervention de l’hypothalamus dans la régulation des processus homéos-
tasiques débute avec la transduction des signaux sensoriels. Ainsi, par exemple,
dans le cas de la régulation de la température, des neurones sensoriels spéciali-
sés interviennent et les écarts de température par rapport aux normes physio-
logiques sont détectés par un groupe de neurones particulier situé dans la zone
périventriculaire de l’hypothalamus. Ces neurones orchestrent une réponse inté-
grée de l’organisme, qui ramène les valeurs de la température du corps autour de
la normale. Dans ce cas, la réponse présente en général 3 composantes :
1. une réponse humorale : les neurones hypothalamiques répondent aux
signaux sensoriels en stimulant ou en inhibant la production des hor-
mones hypophysaires au niveau de la circulation générale ;
2. une réponse viscéromotrice : les neurones hypothalamiques répondent aux
stimuli sensoriels en ajustant l’activité des deux systèmes a priori antago-
nistes, sympathique et parasympathique, du système nerveux autonome ;
3. une réponse motrice somatique : les neurones hypothalamiques, particuliè-
rement ceux de l’hypothalamus latéral, répondent aux signaux sensoriels
en déclenchant la réponse somatique motrice la plus appropriée à la situa-
tion.
Envisageons maintenant une situation où vous avez froid, vous êtes déshy-
draté, et globalement hypoglycémique. Les réponses humorales et viscéromotrices
se déclenchent automatiquement. Vous tremblez, le sang afflue vers les parties
profondes de l’organisme (ce qui explique la pâleur), la production d’urine est
inhibée, les réserves de graisses de l’organisme sont mobilisées, etc. Néanmoins,
le moyen le plus rapide et le plus efficace pour lutter contre l’hypothermie reste
de rechercher la chaleur ambiante, de boire chaud, de manger, et surtout de bou-
ger. Ces différents comportements représentent dès lors des réponses motrices
somatiques déterminant globalement un comportement motivé, sous contrôle de
l’hypothalamus latéral. L’objectif de ce chapitre est ainsi de décrire les méca-
nismes nerveux d’un tel type de comportement et, pour illustrer le propos, on
tentera de comprendre qu’est-ce qui nous pousse à nous nourrir.
régulateurs complexes sont mis en œuvre par l’organisme pour stocker l’énergie
et la rendre disponible lorsque cela est nécessaire. L’une des motivations prin-
cipales pour se nourrir est alors de maintenir ces réserves à un niveau suffisant
pour faire face à une baisse brutale d’énergie.
Équilibre énergétique
Les réserves énergétiques de l’organisme sont reconstituées par la prise de
nourriture. Cette condition au cours de laquelle le sang transporte des nutri-
ments est dénommée état prandial (du mot latin qui signifie « déjeuner »).
Pendant cette période, l’énergie est stockée sous deux formes : le glycogène et les
triglycérides (Fig. 16.1). Les réserves de glycogène ont une capacité limitée et se
trouvent principalement dans les muscles et le foie. Les réserves en triglycérides
se trouvent quant à elles dans le tissu adipeux (ce que l’on nomme les graisses), et
sont au contraire virtuellement illimitées. L’assemblage des molécules pour for-
mer le glycogène et les triglycérides à partir de précurseurs simples est dénommé
anabolisme, ou métabolisme anabolique.
Juste après l’absorption de nourriture, pendant une période que l’on nomme
état post-absorption (ou état post-prandial), les molécules de glycogène et de tri
glycérides stockées sont hydrolysées pour fournir continuellement à l’organisme
les substrats nécessaires au métabolisme cellulaire, à la manière d’un « carbu-
rant » (le glucose pour toutes les cellules, les acides gras et les cétones pour toutes
autres cellules que les neurones). Le processus qui conduit à la dégradation de
ces molécules complexes pour fournir de l’énergie est dénommé catabolisme ou
métabolisme catabolique ; il est exactement l’opposé de l’anabolisme. Ce sys-
tème est en équilibre lorsque les réserves sont reconstituées au même rythme
moyen que celui qui préside à l’utilisation de l’énergie. Si la prise de nourriture et
le stockage dépassent les besoins, la masse graisseuse (tissu adipeux) augmente,
résultant éventuellement en une situation qualifiée d’obésité (le terme « obèse »
est dérivé du mot latin qui signifie « graisses »). Si, au contraire, la prise de nour-
riture ne couvre pas les besoins de l’organisme, une déperdition du tissu adipeux
Muscle
squelettique
Sang
Triglycérides Triglycérides
(a) Anabolisme durant la phase prandiale (b) Catabolisme durant la phase post-prandiale
Équilibre Réserves se produit, résultant éventuellement en un état que l’on dénomme cette fois ina-
énergétique graisseuses nition. La figure 16.2 résume le concept d’équilibre énergétique et de stockage
(a) de la graisse dans l’organisme.
Prise = dépenses Normal Pour que le système reste en équilibre, il est nécessaire de réguler le compor-
alimentaire énergétiques
tement alimentaire en rapport avec les réserves énergétiques et leur vitesse de
renouvellement. Au cours des dernières décennies, des avancées considérables
ont été faites sur la connaissance des mécanismes de régulation de ce comporte-
ment, et ce n’est pas trop tôt compte tenu du fait que les problèmes d’obésité et
de malnutrition sont devenus des questions de société. Il est maintenant clair que
(b)
ces mécanismes complexes agissent soit à court terme pour réguler directement
Prise > dépenses Obésité la prise alimentaire et sa fréquence, soit à long terme pour maintenir les réserves
alimentaire énergétiques
énergétiques de l’organisme.
500
les années 1960 par Douglas Coleman et ses collègues des Laboratoires Jackson
400
à Bar Harbor, dans le Maine (États-Unis), travaillant avec une souris rendue
300 génétiquement obèse. L’ADN d’une souche de souris obèses ne contient pas les
copies d’un gène particulier dénommé gène ob, et les souris en question sont donc
200 reconnues comme souris ob/ob. Coleman a proposé que la protéine résultant de
0 30 60 90 120 150 180
Temps (jours)
l’expression du gène ob soit une hormone renseignant le système nerveux sur
l’état du tissu adipeux. Dès lors que les souris ob/ob n’expriment plus les gènes
Figure 16.3 – Maintenance du poids autour ob, le cerveau ne reçoit plus de signal disant que le tissu adipeux est normal.
d’une valeur moyenne. Dans ce cas, le cerveau serait « trompé », en imaginant que le taux de graisses
La masse corporelle est normalement stable. est bas, et cela aurait pour conséquence de provoquer chez ces animaux une
Si l’on force un animal à manger, il va grossir.
prise de nourriture anormalement élevée. Pour tester cette hypothèse, les cher-
Cependant, dès que l’on stoppe cette forme
cheurs ont imaginé une expérience de parabiose. Cette expérience consiste en la
de gavage et que l’animal se nourrit à nou-
veau librement, il retrouve son poids initial et réalisation d’une « fusion » anatomique et physiologique de deux animaux, telle
autorégule sa prise alimentaire. De façon simi- qu’elle intervient chez les jumeaux siamois. Dans cette expérience, une fusion
laire, une perte de poids pendant une période chirurgicale qui conduit à la production d’animaux partageant la même circula-
de jeûne est rapidement compensée lorsque tion générale, est réalisée. Coleman et ses collaborateurs montrent que la fusion
la prise alimentaire redevient normale. parabiotique d’une souris ob/ob avec une souris normale conduit à réduire consi-
16 – Motivation 557
Lésions
de l’hypothalamus Normal
latéral Lésions
de l’hypothalamus
ventromédian
Troisième
ventricule
Noyau
paraventriculaire
Hypothalamus
Aire hypothalamique
latérale
Noyau arqué
(a) (b)
Encadré 16.1 FOCUS
Noyau paraventriculaire
Troisième
ventricule
Aire
hypothalamique
latérale
Inhibition du
comportement
alimentaire
Noyau paraventriculaire
Troisième
ventricule
Inhibe la sécrétion des
hormones hypophysiotropes
qui contrôlent la production
d’ACTH et de TSH Aire
hypothalamique
latérale
Gros Maigre
Nourriture
Signaux
orexigéniques
et de satiété
Repas Repas
Temps
Encadré 16.2 FOCUS
Récepteur CB1
Cellule Synapse
granulaire glutamatergique
inhibitrice excitatrice
Récepteurs
olfactifs
Figure A – L’activation des récepteurs CB1 par le THC, l’agent psychoactif de la marijuana, accroît les capacités olfactives en réduisant dans le
bulbe olfactif la libération de glutamate par les terminaisons d’origine corticale contactant les interneurones inhibiteurs (cellules granulaires).
(Source : adapté de Soria-Gomez et al., 2014.)
566 3 – Cerveau et comportement
Pourquoi mangeons-nous ?
Dans ce qui précède, nous avons étudié la nature des signaux qui sont à la
base du comportement alimentaire, mais nous n’avons pas discuté de leur signifi-
cation en termes psychologiques. Objectivement, nous mangeons d’abord parce
que nous aimons la nourriture. Cet aspect de la motivation présente ainsi une
connotation hédonique. Le plaisir que nous prenons à manger dérive ici de l’as-
pect de la nourriture, de son odeur, de son goût bien sûr, et du fait que l’idée
même de la consommer est agréable. Bien sûr, nous mangeons aussi parce que
nous avons faim et que nous voulons manger. Ce dernier aspect de la motiva-
tion peut alors être réduit à une simple réponse à un manque, qui va inciter
16 – Motivation 567
Encadré 16.3 FOCUS
Renforcement et récompense
Dans des expériences réalisées dans les années 1950, James Olds et Peter
Milner, à l’Université McGill de Montréal, ont implanté à demeure des électro-
des directement dans le cerveau de rats, de façon à étudier les effets des stimu-
lations cérébrales sur le comportement. Les animaux ainsi implantés pouvaient
se déplacer librement à l’intérieur d’une cage d’expérimentation, mais chaque
fois qu’ils passaient par l’un des coins de la cage, ils recevaient une stimulation
électrique au travers de l’électrode. Olds et Milner ont alors constaté que lorsque
l’électrode était positionnée dans certaines régions très particulières du cerveau,
les animaux passaient beaucoup plus de temps dans la zone de la cage associée à
la stimulation cérébrale ; et très vite les animaux ne quittaient guère cet endroit
de la cage où ils recevaient la stimulation. Dans une seconde partie de cette expé-
rimentation, ces chercheurs ont modifié leur protocole en utilisant une seconde
cage dans laquelle les animaux disposaient d’un levier dont l’appui déclenchait
directement la stimulation intracérébrale (Fig. 16.15). Dès lors, les animaux
naïfs, qui n’avaient pas conscience de cette capacité qui leur était donnée de
commander la stimulation et qui pressaient le levier par inadvertance, revenaient
Figure 16.15 – Dispositif expérimental d’au pour appuyer frénétiquement sur le levier déclenchant la stimulation, de façon
tostimulation chez le rat. volontaire. Ce comportement a été dénommé autostimulation électrique, tradui-
Lorsque l’animal presse sur le levier placé sant le caractère volontaire du déclenchement de la stimulation intracérébrale.
devant lui, il reçoit une brève décharge élec- Parfois les animaux devenaient alors tellement dépendants de ce comportement
trique dans la région du cerveau où est située qu’ils ne prenaient plus le temps ni de manger ni de boire, ne stoppant leur appui
l’électrode préalablement implantée.
sur le levier que par épuisement (Encadré 16.4).
L’effet de l’autostimulation est vraisemblablement d’être à l’origine d’une
sensation de récompense qui renforce alors le comportement d’appui sur le levier
Aire basale et induit qu’il soit reproduit à l’infini. En déplaçant systématiquement l’élec-
du cerveau antérieur trode de stimulation pour explorer différentes régions cérébrales, les chercheurs
ont alors été à même d’identifier avec précision les sites qui produisaient ce ren-
forcement. Il devenait dès lors évident que les régions les plus efficaces pour
produire l’autostimulation étaient celles qui suivent le trajet des fibres dopami-
nergiques, dont l’origine est l’aire tegmentale ventrale (voir chapitre 15), et qui
traversent l’hypothalamus latéral pour atteindre les régions antérieures du cer-
veau (Fig. 16.16). Les drogues bloquant les récepteurs dopaminergiques rédui-
saient le comportement d’autostimulation, suggérant que les animaux agissent
en fait pour stimuler la libération de dopamine dans le cerveau. Cette hypothèse
a été renforcée par la découverte que les animaux pouvaient appuyer sur le levier
pour recevoir une injection intraveineuse d’amphétamine, une drogue qui pro-
Aire tegmentale ventrale voque la libération de dopamine dans le cerveau. Par conséquent, il ne subsiste
que peu de doute sur le fait que c’est bien la libération de la dopamine qui pro-
voque le comportement d’autostimulation. Ces expériences suggèrent alors que
Figure 16.16 – Système dopaminergique méso les comportements à l’origine des récompenses naturelles (la nourriture, l’eau,
corticolimbique. le sexe) sont liés à l’activation du système dopaminergique. Ainsi un rat affamé
La mise en jeu du système dopaminergique va presser le levier pour obtenir de la nourriture, mais ce comportement sera
mésocorticolimbique est associée à la mise considérablement atténué par des agents pharmacologiques qui bloquent les
en jeu des comportements motivés. récepteurs dopaminergiques.
Encadré 16.4 FOCUS
Cette idée simple a néanmoins été remise en question au cours de ces der-
nières années. De fait, la destruction des axones dopaminergiques passant par
l’hypothalamus latéral n’altère pas les réponses hédoniques lors de la prise de
nourriture, y compris lorsque l’animal s’arrête de manger. Si l’on place un mor-
ceau de nourriture particulièrement plaisant sur la langue d’un rat qui a subi une
telle lésion, l’animal continue de se comporter comme si la nourriture lui don-
nait autant de plaisir que s’il avait son système dopaminergique intact (l’équi-
valent de se lécher les babines), et le rat avale la nourriture en question. En fait,
l’animal qui a subi la lésion dopaminergique se comporte comme s’il aimait
toujours autant la nourriture, mais qu’il ne la désire pas. L’animal paraît ainsi
manquer de motivation pour rechercher sa nourriture, même s’il semble l’appré-
570 3 – Cerveau et comportement
Encadré 16.5 FOCUS
Dopamine et addiction
Que peuvent bien avoir en commun des drogues Le rôle exact de la dopamine dans les comporte-
comme l’héroïne, la nicotine, ou encore la cocaïne ? Ces ments motivés est toujours un sujet de débats. Toutefois,
drogues agissent en fait sur des systèmes de neurones de nombreuses évidences ont été obtenues, montrant
utilisant différents types de neurotransmetteurs : les sys- une relation étroite entre les comportements motivés et
tèmes utilisant les peptides opioïdes pour l’héroïne, les une action de la dopamine dans les structures lim-
systèmes cholinergiques pour la nicotine ou encore les biques. Par conséquent, les comportements qui sont
systèmes dopaminergiques et noradrénergiques pour la associés avec l’administration de drogues stimulant la
cocaïne. Ces drogues produisent par ailleurs des effets transmission dopaminergique sont toujours très renfor-
psychotropes totalement différents. Néanmoins, et c’est cés. Toutefois, la surstimulation de ce système « de
ce qui les rapproche, ces différentes substances ont en récompense » produit une réponse homéostasique :
commun d’être à l’origine de processus liés à l’addiction. dans ce cas, le système adapte son activité et fonctionne
Cela est expliqué par le fait qu’elles agissent sur les mêmes de façon anormalement basse. Cette réponse adaptative
circuits de la motivation des comportements, en l’occur- se traduit sur le plan comportemental par un phéno-
rence ici du comportement de recherche de drogue. mène de tolérance à la drogue, c’est-à-dire qu’il faut de
L’abord des processus liés à l’addiction est un bon modèle, plus en plus de drogue pour obtenir l’effet désiré. Ainsi,
qui nous apprend en fait beaucoup sur les mécanismes de l’arrêt de l’administration de l’agent psychotrope chez
la motivation, en général. Réciproquement, nous pou- un animal soumis à une addiction est accompagné par
vons apprendre beaucoup de l’addiction en nous intéres- une libération de dopamine très faible dans le noyau
sant à la motivation. accumbens et, par conséquent, le syndrome de sevrage
Les rats, comme les humains, développent des straté- qui accompagne l’arrêt de la drogue est accompagné
gies d’auto-administration de drogues et montrent claire- par un puissant phénomène « de manque » pour la
ment des signes de dépendance aux drogues. Les expé- drogue en question.
riences d’administration intracérébrale de ces drogues ont
permis de caractériser les régions cérébrales où l’agent
agit pour produire l’addiction. Dans le cas de l’héroïne et
de la nicotine, le site d’action le plus important est repré-
senté par l’aire tegmentale ventrale (ATV), dans le mésen- Représentation du cerveau de rat en coupe sagittale
céphale, là où se trouvent les corps cellulaires des neu-
rones dopaminergiques qui projettent vers le cerveau Antérieur Postérieur
antérieur en passant par l’hypothalamus latéral. Ces neu-
rones dopaminergiques expriment à leur membrane à la
fois des récepteurs nicotiniques et des récepteurs aux
opiacés. Dans le cas de la cocaïne, le site le plus important Noyau
Neurones
accumbens
correspond au noyau accumbens, l’une des cibles majeures + + +
dopaminergiques
des neurones dopaminergiques de l’ATV (Fig. A).
de l’aire tegmentale
ventrale
Cocaïne
Souvenez-vous (voir chapitre 15) que la cocaïne agit en Héroïne
Nicotine
prolongeant l’action de la dopamine sur ses récepteurs.
Par conséquent, ce qui réunit ces trois agents psychotropes, Figure A – Les drogues psychotropes qui déclenchent une addiction
c’est leur capacité à stimuler la transmission dopaminer- agissent au niveau du système dopaminergique mésocorticolimbique,
gique ; dans le cas de l’héroïne et de la nicotine, en stimu- qui prend son origine dans l’aire tegmentale ventrale du mésencéphale
lant la libération de dopamine ; dans le cas de la cocaïne, et se termine principalement dans le noyau accumbens, dans le cer-
en augmentant son action dans le noyau accumbens. veau antérieur. (Source : adapté de Wise, 1996, p. 248, Fig. 1.)
16 – Motivation 571
(% de la libération basale)
de ses possibles traitements, mais aussi sur la façon selon laquelle les représenta-
tions se forment dans le cerveau (Encadré 16.6). Cette discussion sera poursuivie
200
Electrode
d’enregistrement Jus de fruit (récompense)
dans l’ATV
Signal lumineux
Dispositif
de contention
léger de
l’animal
Enregistrement
effectué avant
que l’animal ait
appris la relation
entre le signal
lumineux et
la récompense
Récompense annoncée,
récompense délivrée
Enregistrements
effectués après Signal lumineux Récompense
que l’animal ait
appris la relation Récompense annoncée,
entre le signal mais non délivrée à l’animal
lumineux et
la récompense
1 2s
Signal lumineux Pas de récompense
délivrée
Apprendre à désirer…
Par Julie Kauer
position aux drogues d’abus induit des altérations du par le stress, déclenche à nouveau le comportement de
fonctionnement de certains circuits neuronaux impli- recherche de drogue.
qués dans la motivation, notamment de la projection Mais comment peut-on imaginer que nos données si
dopaminergique mésolimbique entre l’aire tegmentale réductionnistes sur des changements d’activité synap-
ventrale (ATV, voir chapitre 15) et la partie ventrale du tique puissent avoir quelque chose à nous apprendre sur
striatum, le nucleus accumbens. Ces travaux nous ont des comportements aussi complexes, tels que ceux liés
conduits à nous poser la question des bases cellulaires et à l’addiction ? Nous avons réalisé de nombreuses expé-
moléculaires de l’addiction. riences pour tenter de démêler l’écheveau et de com-
Les animaux ont une propension à s’auto-adminis- prendre quel type de molécule et quelle voie neuronale
trer les mêmes drogues que les humains. Leurs compor- sont impliqués dans le fait que le stress puisse bloquer la
tements de recherche de drogues sont très similaires à LTP des synapses inhibitrices de l’ATV. Parmi les fac-
ceux des drogués. Il est ainsi remarquable d’observer teurs impliqués, les récepteurs kappa des opiacés appa-
que lorsque des rats doivent appuyer sur un levier pour raissent jouer un rôle déterminant : l’administration d’un
s’auto-administrer de la cocaïne, par exemple, ils vont bloqueur des récepteurs kappa bloque les effets du stress
actionner ce levier y compris dans des conditions où sur l’inhibition de la LTP. Dès lors, nous avions un outil
l’obtention de l’injection s’accompagne d’un choc élec- pharmacologique pour empêcher les effets du stress aigu
trique douloureux sous leurs pattes, de la même façon sur l’activité de cette synapse inhibitrice particulière. La
que les drogués sont prêts à subir toutes sortes de consé- question se posait alors de savoir si ces antagonistes des
quences pour obtenir leur produit. L’idée est alors que récepteurs kappa étaient également à même de supprimer
la dépendance à la drogue s’accompagne d’une stimula- le comportement de recherche de drogue. Chris Pierce et
tion importante de l’activité du système dopaminer- Lisa Briand, à l’Université de Pennsylvanie, ont reproduit
gique mésolimbique, dont il est admis qu’il est une com- le protocole d’auto-administration de cocaïne chez des
posante essentielle des processus motivationnels, et, de rats, suivi d’une phase de sevrage pendant laquelle l’appui
ce fait déclenche un besoin irrépressible de la drogue sur le levier ne délivre plus de drogue, se traduisant, après
d’abus, pouvant se rapprocher d’un besoin de boire pour quelques jours, par un appui de moins en moins fréquent
quelqu’un d’assoiffé. De façon surprenante, nous avons sur le levier. Puis les animaux étaient soumis à une très
montré que, dans ces conditions, les synapses inhibi- courte exposition de stress intense, provoquant, comme
trices GABAergiques sur les neurones dopaminergiques prévu, un nouveau comportement d’appui frénétique sur
perdaient leur capacité normalement exprimée de pro- le levier, y compris lorsque celui-ci n’entraînait pas
duire une LTP après une administration unique de d’administration de cocaïne. Dans ce cas, si l’agent
drogue. Il était connu, déjà depuis quelque temps, que bloqueur des récepteurs kappa était administré à l’animal
toutes les drogues d’abus avaient pour effet d’activer les avant le stress, alors le comportement d’appui sur le levier
neurones dopaminergiques de l’ATV, et la perte de la n’apparaissait pas. Ces données très excitantes suggèrent
LTP de cette influence inhibitrice GABAergique pou- que les récepteurs kappa des opiacés sont normalement
vait contribuer à l’activation anormale des neurones. activés pendant le stress et qu’ils contribuent à la réinstal-
Plus tard, nous avons fait deux autres découvertes lation du comportement de recherche de drogue chez
importantes. D’abord, nous avons montré que toutes l’animal, et peut-être chez l’homme. De ce fait les blo-
les drogues d’abus supprimaient la LTP des synapses queurs des récepteurs kappa ont peut-être une utilité en
GABAergiques de l’ATV ; ensuite, nous avons décou- clinique humaine pour traiter les patients et éviter leur
vert qu’un stimulus stressant, comme placer des rats rechute après désintoxication. C’est ainsi qu’en dépit de la
dans de l’eau glacée pendant 5 minutes, avait exacte- complexité du cerveau et des comportements, l’approche
ment le même effet. Quelle pouvait être l’interprétation d’une partie du processus peut permettre d’avancer.
d’un tel phénomène, la signification des stimuli entre Travailler avec cette équipe de chercheurs hors pair pen-
l’effet de récompense de la drogue et celui aversif du dant toutes ces années a été pour moi une expérience
stress lié la plongée dans l’eau était si différente ? Divers fantastique et tellement plaisante. Ensemble, nous avons
travaux antérieurs avaient montré que, chez des rats qui partagé les hauts et les bas inhérents à la démarche scien-
avaient « récupéré » l’auto-administration de cocaïne tifique, les moments de doute sans résultat et ceux extra
(dans ce cas, l’appui sur le levier ne délivre plus de ordinairement excitants de la découverte. Notre démarche
drogue et les animaux l’apprennent vite), une toute illustre bien le fait que l’analyse d’un processus complexe,
petite dose de cocaïne ou un stress rétablissent immédia- brique par brique, peut réellement nous apprendre com-
tement le comportement de recherche de drogue. Cette ment le cerveau fonctionne et comment il est éventuelle-
situation est très proche de ce que vivent certains dro- ment possible d’en contrôler certains aspects. De fait,
gués, plus ou moins désintoxiqués, qui disent avoir à bien qu’elle soit résolument réductionniste, notre
nouveau basculé dans la toxicomanie après un stress ou approche a clairement débouché sur de possibles straté-
une prise unique de drogue. L’idée est alors que l’activa- gies thérapeutiques susceptibles d’améliorer le sort des
tion des processus motivationnels, par la drogue ou personnes atteintes d’addiction.
16 – Motivation 575
La soif
La nécessité de boire dépend de deux types de signaux. Comme nous l’avons
vu dans le chapitre 15, l’un de ces signaux correspond à une diminution du
volume sanguin ou hypovolémie ; l’autre signal correspond à la concentration
des substances dissoutes dans le sang (solutés) ou hypertonicité. Ces deux types
de stimuli déclenchent la soif par des mécanismes différents.
La soif déclenchée par l’hypovolémie est qualifiée de soif volumétrique. Dans
le chapitre 15, nous avons utilisé l’exemple d’une diminution du volume sanguin
pour illustrer quand et comment la vasopressine est sécrétée par l’hypophyse
postérieure à partir des neurones sécrétoires magnocellulaires de l’hypothalamus.
La vasopressine, encore appelée hormone antidiurétique (ADH), agit directement
sur les reins pour augmenter la rétention d’eau et inhiber la production d’urine.
La sécrétion de vasopressine associée à la soif volumétrique est déclenchée par
deux types de stimuli (Fig. 16.19). Premièrement, une augmentation des taux
sanguins d’angiotensine II, qui se produit en réponse à une réduction de l’afflux
sanguin vers les reins (voir Fig. 15.5, chapitre 15). L’angiotensine II circulante
agit au niveau des neurones de l’organe subfornical, dans le télencéphale. En
retour, cela stimule directement les cellules neurosécrétoires magnocellulaires de
l’hypothalamus, qui sécrètent la vasopressine. Deuxièmement, les mécanorécep-
teurs situés dans la paroi des principaux vaisseaux sanguins et du cœur signalent
la chute de pression artérielle qui accompagne une réduction du volume sanguin.
Ces signaux atteignent l’hypothalamus au travers du nerf vague et du noyau du
faisceau solitaire.
576 3 – Cerveau et comportement
Organe subfornical
Hypothalamus
Noyau du faisceau
solitaire
Nerf vague
Cellules neurosécrétoires
magnocellulaires
OVLT à vasopressine
Flux sanguin
artériel
Figure 16.20 – Réponse hypothalamique à la
déshydratation.
Lorsque le sang devient hypertonique par
réduction du volume d’eau, cette hypertoni-
Lobe postérieur cité est détectée par des neurones de l’organe
de l’hypophyse vasculaire de la lame terminale (OVLT). L’OVLT
active les cellules neurosécrétoires magno
cellulaires de l’hypothalamus et des neurones
de l’hypothalamus latéral. Les cellules neuro
sécrétoires sécrètent de la vasopressine dans
Flux sanguin la circulation, et les neurones de l’hypotha-
veineux
lamus latéral déclenchent la soif osmotique.
l’absence de sécrétion de vasopressine, les reins ne retiennent plus l’eau qui passe
à partir du sang dans les urines de façon trop abondante. La déshydratation qui
en résulte déclenche une soif intense, mais l’eau absorbée passe très rapidement de
l’intestin dans les urines. Par conséquent, le diabète insipide est caractérisé par une
soif intense couplée à une excrétion urinaire trop abondante, donnant des urines
très claires. Le traitement consiste alors à donner de la vasopressine aux patients.
Une élévation de la température est détectée à l’inverse par les neurones sen-
sibles au chaud de la même région de l’hypothalamus antérieur. En réponse, le
métabolisme est ralenti en réduisant l’effet de la TSH, et le sang est réparti plutôt
vers la surface du corps par vasodilatation afin de faciliter la déperdition de cha-
leur ; enfin, un comportement de recherche de fraîcheur est initié. Chez quelques
espèces de mammifères, la réponse motrice involontaire est le halètement ; chez
l’homme, c’est la transpiration, qui aide à refroidir le corps.
Le parallélisme qui existe entre le contrôle hypothalamique de la balance
énergétique, équilibre hydrominéral et la température, devient dès lors plus clair.
Dans chacun des cas, des neurones spécialisés détectent des variations spéci-
fiques de paramètres régulés et c’est l’hypothalamus qui orchestre les réponses
nécessitées par ces régulations, se traduisant toujours par des comportements
adaptés. Le tableau 16.1 résume quelques-unes des réponses hypothalamiques
discutées dans ce chapitre.
Conclusion
Dans les chapitres consacrés au système moteur dans la seconde partie de
cet ouvrage, nous avons traité de la question du « Comment » : comment les
comportements se réalisent ? Comment les muscles se contractent ? Comment
sont coordonnées les activités des différents muscles ? Le chapitre sur les com-
portements motivés permet d’aborder la question du « Pourquoi » : pourquoi
ressent-on l’envie de manger lorsque les réserves énergétiques diminuent ?
Pourquoi ressent-on la nécessité de boire lorsqu’on est déshydraté ? Pourquoi
recherche-t-on la fraîcheur lorsqu’on a chaud ?
Des réponses concrètes sur le « comment » et le « pourquoi » de ces comporte-
ments ont été obtenues au niveau périphérique. Les muscles se contractent parce
que les neurones moteurs libèrent de l’acétylcholine à la jonction neuromusculaire.
Nous buvons de l’eau parce que nous avons soif, et nous avons soif lorsque les taux
d’angiotensine II s’élèvent en réponse à une réduction du flux sanguin au niveau
des reins. Toutefois, ce qui nous manque encore, c’est de comprendre l’articulation
du « comment » et du « pourquoi » dans le cerveau. Dans ce chapitre, nous avons
choisi l’exemple de la prise de nourriture, en partie parce que les mécanismes cen-
traux sont relativement bien connus. La découverte des peptides orexigènes dans
16 – Motivation 579
QUESTIONS DE RÉVISION
Encadré 16.7 FOCUS
Neuroéconomie
L’économie (NdT : plus précisément l’économie poli- De leur côté, les neurophysiologistes et les psychologues
tique) est née en 1776, avec la publication de The Wealth ont adhéré à certaines théories des économistes pour
of Nations (Recherches sur la nature et les causes de la interpréter leurs résultats sur les mécanismes des prises
richesse des nations) par l’économiste britannique Adam de décision. C’est l’attraction réciproque de ces cher-
Smith. Les économistes ont pour réflexion de com- cheurs qui a conduit au développement d’une nouvelle
prendre comment sont effectués les choix en rapport avec discipline désignée comme le champ de la neuroécono-
la répartition des richesses. Au xixe siècle, l’économie mie. L’objectif principal de cette discipline est alors de
était qualifiée de « morne science », essentiellement parce combiner les approches de l’économie, des neurosciences
que ses prédictions étaient que l’humanité était vouée à et de la psychologie pour déterminer comment sont
une pauvreté sans fin, les ressources alimentaires n’étant prises les décisions en matière d’économie. L’histoire des
pas suffisantes pour nourrir une population qui se déve- sciences nous apprend que de grandes avancées sont
loppait alors de façon galopante. Mais une telle assomp- intervenues lorsque des disciplines traditionnelles colla-
tion pouvait aussi attester de la difficulté de prédire com- borent au service d’un problème commun, abordé de
ment les hommes effectuent des choix, dans le domaine façon pluridisciplinaire. Dans ce cas, il n’y a peut-être
de l’économie ou dans tout autre domaine (Fig. A). pas de questions plus urgentes aujourd’hui que de com-
La question est de savoir comment le cerveau prend prendre le comportement humain. Plus que tout autre
une décision ? Les avancées dans le domaine des neuro facteur, nos comportements individuels et collectifs sont
sciences, que ce soit pour avoir accès à son activité ou à même de déterminer l’avenir de notre espèce et de
par des méthodes de stimulation chez l’animal ou chez notre planète. Même si rien n’est moins sûr quant aux
l’homme, y compris chez des sujets vigiles en dehors de résultats, la seule certitude est que la compréhension des
toute anesthésie, permettent d’avoir quelques informa- comportements passe par les progrès des neurosciences.
tions sur les mécanismes de la prise de décision. Au Pour en savoir plus
cours de ces dernières années, les économistes se sont Glimcher PW, Ferh E. Neuroeconomics: decision
rapprochés des neurosciences, ne serait-ce que pour tes- making and the brain, 2nd ed. San Diego, CA : Academic
ter la validité d’un certain nombre de leurs hypothèses. Press, 2014.
Figure A – To sail or not to sail ? (Jouir de cette belle journée… ou se résoudre raisonnablement à terminer
son travail ?).
16 – Motivation 581
Berridge KC. « Liking » and « wanting » food rewards : brain substrates and
roles in eating disorders. Physiology and Behavior 2009 ; 97 : 537-50.
Flier JS. Obesity wars : molecular progress confronts an expanding epide-
mic. Cell 2004 ; 116 : 337-50.
Friedman JM. Modern science versus the stigma of obesity. Nature
Medicine 2004 ; 10 : 563-9.
Gao Q, Hovath TL. Neurobiology of feeding and energy expenditure.
Annual Review of Neuroscience 2007 ; 30 : 367-98.
Kauer JA, Malenka RC. Synaptic plasticity and addiction. Nature Reviews
Neuroscience 2007 ; 8 : 844-58.
Schultz W. Getting formal with dopamine and reward. Neuron 2002 ;
36 : 241-63.
Wise RA. Dopamine, learning, and motivation. Nature Reviews Neuros-
cience 2004 ; 5 : 483-94.
NdT : la référence suivante peut également être utile au lecteur : Nieoul-
lon A. Dopamine and the regulation of cognition and attention. Prog
Neurobiol 2002 ; 67 (1) : 53-83.
582 3 – Cerveau et comportement 582
SEXE ET GENRE
Identité génétique............................................................................... 584
Développement des organes reproducteurs et différenciation sexuelle. 586
POURQUOI ET COMMENT
LES CERVEAUX MASCULIN
ET FÉMININ SONT-ILS
DIFFÉRENTS ?
Dimorphisme sexuel du système nerveux central................................. 602
Dimorphisme sexuel et cognition........................................................ 603
Hormones sexuelles, cerveau et comportement................................... 604
Encadré 17.2 Focus Oiseaux chanteurs et cerveaux d’oiseaux…
Influence directe du génome sur la différenciation sexuelle du cerveau 609
Encadré 17.3 Focus David Reimer et les bases
de l’identité sexuelle…
Effets activationnels des hormones sexuelles....................................... 612
Orientation sexuelle............................................................................ 617
CONCLUSION
INTRODUCTION
S
ans sexe, il n’y a pas de reproduction humaine ; et sans descendance,
aucune espèce ne peut survivre. Voilà de simples faits de la vie, et c’est ainsi
que des millions d’années d’évolution nous ont pourvus d’un cerveau par-
faitement adapté à notre survie. La force qui nous anime pour nous reproduire
peut être assimilée à la puissante motivation que nous mettons à nous nourrir
ou à boire, discutée dans le chapitre 16. En ce qui concerne ces fonctions vitales,
que ce soit pour la survie de l’individu dans le cas de la prise alimentaire ou de
la survie de l’espèce dans le cas du comportement reproducteur, ces fonctions
ne sont pas entièrement sous le contrôle de la volonté. Plus précisément, elles
font l’objet d’une régulation par les structures sous-corticales, mais elles peuvent
aussi être influencées fortement par le cortex cérébral.
Dans ce chapitre, nous allons voir ce qui est connu sur le contrôle du com-
portement reproducteur par le cerveau. Notre intention n’est pas de décrire ce
qui se passe chez les oiseaux ou les abeilles, considérant que vous avez acquis un
minimum de bases par vous-même sur la façon dont procèdent les humains…
L’objectif est plutôt de vous donner des précisions sur les mécanismes nerveux
qui sont à la base de ce comportement chez l’homme. Pour l’essentiel, le contrôle
nerveux des organes sexuels utilise les mêmes systèmes neuronaux moteurs et
sensoriels que nous avons étudiés dans les chapitres précédents. Clairement, le
comportement sexuel et les mécanismes de la reproduction sont différents chez
l’homme et chez la femme. Dans ces conditions, la question se pose de savoir si
les cerveaux des deux sexes présentent aussi des différences ? Dans ce cas, il sera
aussi intéressant d’aborder la question de savoir si les différences entre cerveau
masculin et féminin ne concernent que le comportement reproducteur ou si, plus
généralement, ces différences rendent également compte de comportements ou
de capacités cognitives sensiblement différentes.
À l’origine, bien sûr, la plupart des différences entre mâles et femelles
dépendent des chromosomes fournis par les parents. Sous l’influence de certains
gènes, l’organisme va produire des hormones sexuelles, en petit nombre, qui vont
influencer la différenciation sexuelle, le comportement sexuel et la physiologie
de la reproduction chez l’adulte. Les organes reproducteurs (les ovaires et les
testicules), qui sécrètent les hormones sexuelles, se trouvent à l’extérieur du cer-
veau. Néanmoins, leur activité est sous contrôle cérébral. Souvenez-vous (voir
chapitre 15) que l’hypothalamus contrôle la sécrétion de diverses hormones à
partir de l’hypophyse antérieure. Ainsi, dans le cas de la reproduction, ce sont
les hormones libérées par l’hypophyse antérieure qui régulent la sécrétion des
hormones sexuelles à partir des ovaires et des testicules. Les hormones sexuelles
ont des effets sur le corps, mais, comme nous allons le voir, elles influencent aussi
le cerveau. Cet effet s’exprime non seulement sur le modelage grossier du cer-
veau, mais intervient aussi beaucoup plus finement, par exemple sur la pousse
neuritique, et jusqu’à pouvoir peut-être protéger le cerveau de certaines maladies
neurologiques…
Un autre point qui sera abordé ici est celui concernant le sens de l’identité
masculine et de l’identité féminine. La question qui est posée maintenant est de
savoir quels sont les déterminants du genre : les gènes, l’anatomie ou le compor-
tement ? La réponse n’est pas simple car il existe des exemples où, justement,
l’identité du genre n’est pas corrélée avec les facteurs biologiques ou compor-
…
584 3 – Cerveau et comportement
Sexe et genre
Les mots sexe et genre réfèrent tous deux à l’état d’être masculin ou féminin,
et sont souvent utilisés indifféremment l’un pour l’autre. Cependant, ces termes
sont sujets à polémique, et il existe un désaccord sur le sens de chacun d’eux.
Afin de clarifier cette question, nous proposons de partir des définitions adop-
tées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Le sexe est ainsi défini
comme l’état biologique des mâles et des femelles. Il est déterminé par les chro-
mosomes, les hormones et les caractères sexuels caractéristiques (Fig. 17.1). Le
terme de genre est associé à l’expression d’un certain nombre de comportements
reconnus par une culture comme correspondant à ceux d’un homme ou d’une
femme (masculin versus féminin). Bien entendu, il n’est pas toujours facile ou
même possible de déterminer si tel ou tel type de comportement d’un individu
est déterminé par sa biologie ou sa culture, ou les deux à la fois. Comme nous le
verrons plus loin, il existe des situations dans lesquelles la détermination du sexe
et du genre est clairement en conflit.
C’est dès la naissance que s’établissent les implications comportementales et
culturelles d’un individu. De fait, l’une des premières questions que l’on pose
à des parents qui vous apprennent la naissance de leur enfant est de savoir si
c’est un garçon ou une fille ? Toutefois, en y réfléchissant bien, cette question
n’a pas de sens, eu égard à l’égalité des sexes dans notre société. Si elle est posée,
c’est en fait parce qu’elle nous ramène plutôt à notre propre imagination de ce
Figure 17.1 – Différences biologiques et que deviendra l’enfant plus tard. Dans le cas des adultes, la question ne se pose
comportementales entre individus d’une (en général) pas : il suffit de se fier à l’apparence de quelqu’un pour s’adresser
même espèce de sexe différent. directement à lui en tant qu’homme ou en tant que femme. Néanmoins, à ce
Les faisans représentent une belle illustration moment, identifier quelqu’un comme homme ou comme femme implique de
des différences majeures pouvant intervenir prendre en compte à la fois sa nature biologique et les traits comportementaux
entre individus de même espèce de sexe dif- associés à son genre. Cela peut cependant s’avérer risqué car, par exemple, les
férent. Le mâle est très coloré avec de lon-
comportements spécifiques au sexe masculin ou féminin résultent d’interactions
gues plumes et une grande queue ; il ne joue
complexes entre des facteurs extrêmement différents, tels que sa propre person-
pas un rôle majeur dans la prise en charge
des petits. À l’inverse, la femelle est de taille nalité, les attentes de la société dans laquelle nous vivons, la génétique ou encore
plus petite et de couleur plutôt uniforme et les hormones. Ces comportements sont en rapport avec l’identité du genre, qui
assez terne, mais c’est elle qui a en charge correspond en fait à l’idée que nous nous faisons de notre propre genre. Dans ce
d’élever les petits. (Source : ChrisO, English qui suit, nous allons plus particulièrement nous intéresser aux aspects génétiques
Wikipedia.) et développementaux du déterminisme du sexe de l’individu.
Identité génétique
Dans le noyau de chaque cellule humaine c’est l’ADN qui fournit toutes les
informations nécessaires à la construction de l’individu. L’ADN est organisé en
46 chromosomes : 23 provenant du père et 23 de la mère. Chacun d’entre nous
possède ainsi deux versions des chromosomes 1, 2, 3 etc. jusqu’à 22, convention-
nellement notés par ordre de taille décroissante (Fig. 17.2). Il existe cependant
une exception à ce système d’appariement : les chromosomes sexuels X et Y.
Par conséquent, il est habituellement considéré que nous possédons 22 paires
de chromosomes, soit 44 autosomes, et 2 chromosomes sexuels. Les individus de
sexe féminin présentent 2 chromosomes X, issus chacun d’un des deux parents,
alors que ceux de sexe masculin possèdent un chromosome X issu de leur mère et
un chromosome Y qui leur vient de leur père. C’est pourquoi le génotype féminin
est noté XX et le génotype masculin XY. Ce sont de ce fait ces génotypes qui
déterminent le sexe génétique d’un individu. Puisque la mère contribue au déter-
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 585
minisme des deux sexes indifféremment par un chromosome X, le sexe d’un indi-
vidu est en fait déterminé par le chromosome sexuel X ou Y, fourni par le père.
Cela est vrai pour l’espèce humaine mais ne peut être généralisé. Par exemple,
chez les oiseaux le sexe des petits est déterminé par la femelle. 1 2 3 4 5
Les molécules d’ADN qui constituent les chromosomes sont parmi les plus
grosses molécules connues. Elles contiennent les gènes représentant les unités de
base des caractères héréditaires. Chacun des gènes est à l’origine de la produc-
tion d’une protéine spécifique. Il est admis aujourd’hui que le génome humain
6 7 8 9 10 11 12
comprend environ 25 000 gènes, même si ce nombre peut légèrement varier en
fonction de la méthode utilisée pour les identifier (voir Encadré 2.2).
Comme cela est illustré sur la figure 17.2, le chromosome X a une taille beau-
coup plus importante que le chromosome Y. En rapport avec cette différence de 13 14 15 16 17 18
taille, il est admis aussi que le chromosome X contient environ 800 gènes, alors
que le chromosome Y en contiendrait environ 50. Cela implique que les hommes
sont un peu floués génétiquement par rapport aux femmes, et, en un sens, cela 19 20 21 22 XY
est vrai. En fait, le génotype XY est à l’origine de pathologies spécifiques. Si
Figure 17.2 – Les chromosomes humains.
l’un des chromosomes X présente des défauts, chez les femmes ceux-ci sont sus-
Ces 23 paires de chromosomes sont celles
ceptibles d’être compensés par l’autre chromosome X dans le cas où celui-ci est
d’un homme. Notez la petite taille du chromo-
normal. Ceci n’est pas le cas chez l’homme et les mutations sur le chromosome X some Y, par rapport à celle du chromosome X.
peuvent être à l’origine de troubles du développement considérables. De telles (Source : Yunis et Chandler, 1977.)
pathologies sont en rapport avec ce que l’on nomme les maladies liées à l’X, qui
sont nombreuses. Un exemple de ces pathologies est décrit dans l’Encadré 9.5,
qui réfère à une vision qui ne détecte pas les couleurs dans le rouge-vert, ce qui
est relativement courant chez les garçons. Une autre de ces maladies est l’hémo-
philie, qui atteint beaucoup plus souvent les garçons que les filles ; ou encore la
dystrophie musculaire de Duchenne.
Par rapport au chromosome X, le chromosome Y est de taille beaucoup plus
petite et ses fonctions paraissent plus limitées. Toutefois, ce qui est beaucoup plus
important pour le déterminisme sexuel, est que ce chromosome Y contient ou
non un gène dénommé SRY, pour sex-determining region du chromosome Y, qui
est responsable de la production d’une protéine particulière, dénommée TDF,
pour testis-determining factor (facteur de déterminisme des testicules). Ainsi, un
individu qui présente à la fois un chromosome Y et le gène SRY se développe
comme un homme, alors que s’il ne présente pas le gène SRY, il se développe
comme une femme. La localisation du gène SRY sur le bras court du chromo-
some Y a été précisée en 1990 par Peter Goodfellow, Robin Lovell-Badge et
leurs collaborateurs du Medical Research Council à Londres (Fig. 17.3). Si cette
portion de chromosome Y est, par exemple, artificiellement incorporée dans le
Chromosome Y
SRY
Yp
Gonades
Rein
Uretère
Canal wolffien
Canal müllerien
Ovaires
Reins
Testicules
Uretères
Figure 17.4 – Développement des organes
Canal wolffien Canal wolffien reproducteurs.
(vas deferens) dégénéré (a) Le système urogénital primitif, indifféren-
Vessie cié, présente à la fois le canal müllerien et
Canal müllerien
Canal müllerien (oviducte)
le canal wolffien. (b) En présence d’un gène
dégénéré SRY, le canal wolffien se développe en organe
Urètre Urètre Utérus
reproducteur mâle. (c) Si le gène SRY n’est
Vagin pas exprimé, c’est le canal müllerien qui se
développe en appareil reproducteur féminin.
(b) Mâle (c) Femelle
(Source : adapté de Gilbert, 1994, p. 759.)
L’appareil reproducteur externe des mâles, comme celui des femelles, se déve-
loppe à partir de la même structure urogénitale indifférenciée. C’est la raison
pour laquelle il est possible qu’une personne naisse avec des organes génitaux
de forme intermédiaire entre celle caractéristique du sexe masculin ou du sexe
féminin, ce que l’on nomme l’hermaphrodisme.
Contrôle hormonal
des comportements sexuels
Les hormones sont des molécules sécrétées dans la circulation sanguine, qui
interviennent pour réguler les processus physiologiques. Les glandes endocrines
qui nous intéressent ici de façon primordiale sont, d’une part, les ovaires et les
testicules impliqués dans la sécrétion des hormones sexuelles et, d’autre part,
l’hypophyse, impliquée dans la régulation de la sécrétion de ces hormones par les
gonades. Les hormones sexuelles jouent un rôle clé pendant le développement.
Elles influencent le développement et le fonctionnement des organes reproduc-
teurs et du comportement sexuel. Ces hormones sont des stéroïdes (comme cela
a été brièvement mentionné dans le chapitre 15), et certaines d’entre elles sont
assez connues, comme la testostérone ou les œstrogènes. Les stéroïdes repré-
sentent des molécules synthétisées à partir du cholestérol, avec quatre cycles de
588 3 – Cerveau et comportement
Mésencéphale
Corps calleux
Cervelet
Bulbe olfactif
Hypophyse
Aire préoptique Hypothalamus
Figure 17.6 – Distribution des récepteurs de l’œstradiol, vus sur une coupe sagittale du cerveau
de rat.
Les concentrations les plus importantes de ces récepteurs sont trouvées dans l’hypophyse et
l’hypothalamus, incluant la région préoptique de l’hypothalamus antérieur. Ces régions se trouvent
impliquées dans les comportements reproducteurs et sexuels.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 589
sés, la testostérone est aussi responsable de la calvitie chez l’homme. Les taux
de testostérone chez la femme sont environ de 10 % de ceux de l’homme. Chez
le mâle, les taux de testostérone varient au cours de la journée sous l’influence
de nombreux facteurs, tels que le stress, l’exercice ou encore l’agressivité. Il n’est
cependant pas clair de savoir si une augmentation des taux de testostérone est
la cause ou l’effet de ces comportements, mais l’élévation des taux de cette hor-
mone est clairement corrélée à des challenges sociaux, à la colère ou à des situa-
tions conflictuelles.
Les principales hormones féminines sont représentées par l’œstradiol et la
progestérone. Elles sont sécrétées par les ovaires. Comme cela a déjà été men-
tionné, l’œstradiol est un œstrogène. La progestérone, quant à elle, est un membre
d’une deuxième classe d’hormones féminines dénommées progestines. Les taux
d’œstrogènes sont très bas au cours de l’enfance et augmentent de façon bru-
tale à la puberté. Ces œstrogènes sont responsables de la maturation du système
reproducteur féminin et du développement des seins. Comme chez l’homme, les
concentrations d’hormones circulantes sexuelles chez la femme sont très fluc-
tuantes. Cependant, alors que chez l’homme ces fluctuations interviennent rapi-
dement chaque jour, chez la femme les hormones féminines fluctuent selon un
cycle d’une durée régulière d’environ 28 jours.
Influences
psychologiques
et sensorielles
Hypothalamus
GnRH
Hypophyse
antérieure
LH
FSH
Ovaires
(ou testicules)
Œstradiol ou
testostérone
Cibles cellulaires
de l’organisme
ont pour effet d’accroître la formation d’un petit nombre de follicules représen-
tant les compartiments ovariens dans lesquels se trouvent les ovules (les œufs).
Après l’expulsion des œufs, dans la phase lutéale les petites cellules qui entourent
ces œufs entrent dans un processus de modification chimique dénommé luté-
inisation, qui dépend de la sécrétion de la LH par l’hypophyse. La durée des
phases folliculaire et lutéale du cycle reproducteur varie selon l’espèce, chez les
mammifères. Chez les primates, la durée de ces phases est sensiblement la même.
Chez les autres mammifères qui ne sont pas des primates, par exemple chez
le rat ou la souris, la phase lutéale du cycle œstral est plus courte. Chez d’autres
animaux, comme le chien, le chat, ou les animaux de ferme, les phases ont une
durée sensiblement égale. De nombreux animaux présentent seulement un cycle
par an, généralement au printemps, ce qui permet de penser que la naissance
des petits va se faire à un moment où la nourriture et les conditions climatiques
seront optimales pour leur survie et leur développement. À l’autre extrême, on
trouve des animaux tels que les rats, qui sont dits à polyœstrus, présentant des
courtes périodes d’œstrus (les « chaleurs ») tout au long de l’année.
Bases neurales
des comportements sexuels
L’abord du comportement sexuel chez l’homme n’est pas simple et même
quelque peu provocateur compte tenu de ses connotations sociétales, allant d’un
traitement de la question purement mécanique par les biologistes, jusqu’à des
analyses sociologiques complexes incluant les pratiques culturelles. Dans ce qui
suit, ne sera traitée qu’une toute petite partie du sujet, sous l’angle biologique.
Tout d’abord, on abordera la structure et le fonctionnement des organes géni-
taux, puis des différentes stratégies de copulation. Enfin, seront abordés certains
aspects du contrôle nerveux, qui paraissent importants pour le déterminisme de
la monogamie et du comportement parental.
Centres nerveux
Trompe Lombaire
de Fallope
Utérus
Vessie
Urètre Rectum
Vagin
Col
de l’utérus
Clitoris
Lèvres
Sacré
Vessie
Vésicule
séminale
Prostate
Voies parasympathiques
Voies sympathiques
Tissus Voies sensorielles
érectile Rectum
Glande bulbo-urétale
Urètre Testicule
Je n’avais jamais entendu parler des nouveau venu utilisant l’une de ces nou-
campagnols, et encore moins rencontré l’un velles techniques pouvait se ruer à la pail-
d’entre eux ! Ma formation initale est celle lasse.
d’un médecin, devenu psychiatre. Après ma Mais dans les années 1980, les neuro
formation de clinicien, je n’avais vraiment sciences au NIH étaient très courues et
aucune idée de ce qu’était la recherche. quelque peu envahissantes. Il y avait là de
Presque par hasard, j’ai obtenu un poste jeunes chercheurs talentueux travaillant sur
au NIH (National Institute of Health) à les bases du stress, de la tristesse ou encore
Bethesda dans le Maryland. Au début des de la douleur. Par instinct, j’ai toujours été
années 1980, le NIH me paraissait avoir un tenté de m’écarter de ces terrains trop cou-
Thomas Insel
prix Nobel travaillant quasiment à tous les rus pour me concentrer sur des questions
étages et l’environnement intellectuel, en particulier scientifiques, sans pour autant avoir à me préoccuper de
pour les neurosciences alors un champ en plein dévelop- cette compétition. Comme je n’avais pas de formation
pement, était contagieux. Les neuropeptides faisaient particulière dans le domaine de la recherche, il me fallait
fureur et pratiquement un nouveau neurotransmetteur objectivement du temps pour appréhender les dures
de cette classe ou un nouveau de leurs récepteurs, était leçons de la science… C’est alors que j’ai intégré le labo-
découvert chaque mois ! De même les méthodes pour ratoire Brain, Behavior and Evolution fondé par Paul
étudier la signalisation rapide et la signalisation plus McLean au NIMH (National Institute of Mental
lente évoluaient rapidement, de telle manière que chaque Health) dans une ferme de Poolesville, dans le Maryland.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 597
J’ai choisi de travailler sur le stress mais en rapportde ces animaux à la fois en laboratoire et dans leur milieu
avec le développement, à la lumière de données récentes, naturel, afin de préciser leur préférence s’agissant des
à l’époque, faisant état d’émissions ultrasoniques par les accouplements et leur façon d’élever leurs portées. En
petits séparés de leur mère. Ma carrière de chercheur combinant notre expertise en neurosciences avec les
comportementaliste semblait ainsi se dessiner, jusqu’à connaissances en biologie des comportements de Sue
l’arrivée de ma première étudiante post-doctorante, qui Carter, nous avons été à même de démontrer le rôle
rentrait de son congé de maternité. L’idée d’écouter les fondamental de la vasopressine et de l’ocytocine dans
petits crier après la séparation de leur mère n’était, de ce
les comportements maternels et l’attachement au parte-
fait, pas le projet idéal pour elle. Marianne Wambolt naire.
suggéra, je dois dire avec bonheur, que, plutôt de nous L’histoire est devenue encore plus intéressante après
intéresser à la détresse de ces rats nouveau-nés, nous que nous ayons rejoint Emory University en 1994. Avec
pourrions étudier les conséquences de ces naissances sur Larry Young et Zuoxin Wang, nous avons développé des
leur mère. approches transgéniques et utilisé des virus, afin de pro-
À ce moment-là, peu de chercheurs s’intéressaient à céder à des expériences de transfection de gènes à l’aide
la neurobiologie des comportements « positifs », comme de vecteurs viraux, pour tenter de préciser les méca-
le comportement maternel, l’affiliation ou encore l’atta- nismes d’action de la vasopressine et de l’ocytocine sur
chement de la mère à ses petits. En revanche, de nom- les comportements sociaux et la cognition sociale. Deux
breux chercheurs travaillaient sur le comportement principaux résultats furent alors acquis. D’abord, il
reproducteur chez les rongeurs, avec un intérêt particu- apparaissait que la modification de l’expression régio-
lier pour le rôle des stéroïdes sexuels et des neuropep- nale des récepteurs dans le cerveau pouvait modifier
tides ; mais l’essentiel des recherches était consacré aux l’organisation sociale de ces animaux, facilitant, ou au
aspects sensorimoteurs de ces comportements et très contraire inhibant, la relation monogame entre les par-
peu de travaux concernaient les aspects émotionnels ou tenaires. Ce fut un choc pour nous car il apparaissait
l’expérience affective. Avec la découverte que des neu- que la sécrétion d’un même peptide pouvait avoir des
ropeptides comme l’ocytocine pouvaient modifier effets complètement différents dans diverses espèces.
le comportement parental, et à l’aide d’un nouveau Lorsque nous comparions ainsi des espèces monogames
post-doctorant qui s’intéressait au comportement à d’autres qui ne l’étaient pas, nous avons noté des
maternel, nous avions tout pour aller dans cette direc- choses surprenantes. Par exemple, chez les rongeurs
tion. En utilisant des méthodes nous permettant de monogames, comme chez les primates, les récepteurs de
visualiser les récepteurs de l’ocytocine dans le cerveau, l’ocytocine étaient préférentiellement exprimés dans les
nous avons pu démontrer que certaines voies neuronales régions du cerveau associées à la récompense, comme si
jouaient un rôle critique dans le développement de ce ce simple récepteur était le lien entre le comportement
type de comportement maternel, un changement pro- social et les circuits de la motivation ; et aujourd’hui
fond intervenant juste après la mise bas des petits. encore l’ocytocine est étudiée dans le contexte de sa
possible contribution à l’autisme ou à la schizophrénie.
Ces travaux nous ont aidés à mieux comprendre les
Bien entendu le travail sur les campagnols a posé la
mécanismes neuronaux du comportement maternel et
question de la monogamie chez les humains. J’ai, en ce
nous nous sommes alors posé la question de savoir ce
qui me concerne, été toujours très prudent quant à l’ex-
qu’il en était s’agissant de l’attachement entre adultes.
trapolation des données obtenues chez le campagnol à la
Évidemment les rats et les souris n’étaient pas les sujets
souris, et a fortiori du campagnol à l’homme ! Mais ceci
rêvés pour étudier cette question, du fait de la non-
ne signifie pas que les données obtenues chez le campa-
exclusivité de leurs relations avec les partenaires. Nous
gnol n’ont pas de sens pour rendre compte de certains
avions alors besoin d’une espèce formant des relations
aspects du comportement humain. « La nature est un
durables et monogames entre partenaires. Là encore, j’ai
cadeau pour les neurosciences sociales », et nous devons
rencontré par hasard une éminente endocrinologiste,
nous souvenir que l’approche de la distribution des
Sue Carter, qui travaillait à l’Université du Maryland.
récepteurs est certainement un facteur important pour
Sue m’a vraiment tout appris s’agissant de la biologie
comprendre la fonction. Merci donc au campagnol des
des comportements et m’a vanté les mérites de son
prairies, grâce auquel les bases neuronales des compor-
modèle préféré, le campagnol des prairies.
tements d’attachement représentent maintenant un
Si la nature a imaginé un modèle idéal pour étudier champ très actif des neurosciences ! Et quel que soit le
le comportement social, alors clairement le campagnol rôle réel de l’ocytocine et de la vasopressine dans les
des prairies représente ce modèle. Ces animaux sont comportements humains, ces travaux nous ont au moins
sociables, faciles à élever en laboratoire, et profondé- permis d’établir quelques pistes pour mieux comprendre
ment monogames. Sue Carter a étudié le comportement les relations entre cerveau et comportement.
598 3 – Cerveau et comportement
Pourquoi et comment
les cerveaux masculin et
féminin sont-ils différents ?
La reproduction sexuée dépend de toute une variété de comportements indi-
viduels et sociaux : la recherche du partenaire, l’attraction sexuelle, la formation
du couple, la copulation, le comportement maternel et paternel, etc. Dans chaque
cas, le comportement des mâles et celui des femelles se trouve être notoirement
différent. Comme le comportement dépend de l’organisation et du fonctionne-
ment du système nerveux, il est possible de prédire que le cerveau des mâles et
des femelles est, pour certains aspects, différent, c’est-à-dire qu’il présente un
dimorphisme sexuel (du grec dimorphos, qui signifie « qui a deux formes »). Une
autre bonne raison pour prétendre que le cerveau de l’homme diffère de celui
de la femme est de remarquer que leurs corps eux-mêmes sont différents. Ainsi
les parties du corps qui sont propres à chaque sexe font nécessairement l’objet
d’un contrôle spécifique par le système nerveux. Par exemple, les rats mâles pré-
sentent une masse musculaire à la base du pénis et leur moelle épinière est dotée
d’un pool de motoneurones qui contrôle l’activité de ces muscles particuliers.
Les femelles, quant à elles, ne présentent pas ce type de muscles et, bien entendu,
les neurones moteurs spinaux correspondants sont absents. La taille et la forme
générale du corps varient également avec le sexe de l’individu et, par conséquent,
les représentations sensorielles et motrices qui en découlent sont différentes.
Le dimorphisme sexuel varie très largement avec l’espèce. Dans le cerveau,
des éléments portant à illustrer un tel dimorphisme sexuel sont parfois mis en évi-
dence, mais s’ils ont un sens chez certaines espèces, ce n’est pas forcément le cas
chez d’autres. Un exemple de ce dimorphisme existe chez l’épinoche d’Islande.
Chez ce poisson, le cerveau du mâle a une taille réellement plus importante que
celui de la femelle, peut-être parce que la demande cognitive nécessaire pour la
construction du nid, la parade nuptiale et l’élevage des petits, spécifiquement
pris en charge par le mâle, est d’importance majeure (Fig. 17.13). Chez les ron-
geurs, avec un peu d’expérience il est facile de reconnaître un cerveau mâle d’un
cerveau femelle, grâce aux différences de structure de l’hypothalamus. L’origine
de ce dimorphisme n’est pas connue avec précision mais pourrait correspondre à
l’évolution de comportements sexuels particuliers. Ainsi, chez quelques espèces
d’oiseaux chanteurs, seul le mâle chante et présente, par conséquent, les struc-
tures nerveuses qui lui permettent d’exercer spécifiquement cette fonction. En
revanche, dans l’espèce humaine, les différences entre le cerveau de l’homme et
celui de la femme sont loin d’être évidentes ; et lorsqu’elles ont été mises en évi-
dence, elles sont plutôt subtiles et, qui plus est, d’interprétation difficile. Ainsi, un
petit noyau hypothalamique chez la femme pourrait être de taille légèrement plus
Corps calleux
Commissure antérieure
Troisième ventricule
Noyau présentant
Chiasma optique un dimorphisme
sexuel
Troisième
ventricule
Noyau présentant
un dimorphisme
sexuel
Chiasma optique
Cette différence existe aussi dans l’aire préoptique du cerveau humain mais elle
est moins évidente. En fait, on peut reconnaître 4 groupes de neurones, dénommés
noyaux interstitiels de l’hypothalamus antérieur (ou INAH, pour interstitial nuclei
of anterior hypothalamus). INAH-1 serait l’analogue du SDN du rat, bien que le
dimorphisme sexuel de ce noyau ne soit pas accepté par tous. INAH-1, INAH-2 et
INAH-3 sont cependant de taille environ deux fois plus importante chez l’homme
que chez la femme, comme l’illustrent plusieurs études. C’est en fait INAH-3 qui
présente le dimorphisme le plus clair, étant environ deux fois plus important chez
l’homme que chez la femme, comme le montrent les travaux de Laura Allen, Roger
Gorski et leurs collègues de UCLA. Mais le fait que ces noyaux soient impliqués
dans le comportement reproducteur repose sur des données encore très indirectes.
Ainsi, chez le singe mâle adulte, certains neurones de l’aire préoptique médiane
déchargent de façon très soutenue pendant des phases bien déterminées du com-
portement sexuel, incluant l’excitation sexuelle et la copulation. De plus, il pour-
rait y avoir de légères différences de taille de certains noyaux hypothalamiques en
rapport avec la préférence sexuelle, mais cela reste encore discuté.
En dehors de l’hypothalamus, il n’a pas été mis en évidence chez l’homme
d’autres régions cérébrales présentant un possible dimorphisme sexuel, bien que
de nombreuses publications aillent dans ce sens. Plusieurs de ces travaux portent
sur le corps calleux, pour lequel des différences sont notées ou ne sont pas notées,
en fonction du sexe. Le corps calleux représente un énorme faisceau de fibres assu-
rant principalement la connexion entre les deux hémisphères cérébraux. De nom-
breuses mesures ont été effectuées, tant à l’autopsie sur des coupes histologiques
que par IRM sur des sujets vigiles. Un certain nombre de ces travaux ont rapporté
que le corps calleux de l’homme était, en moyenne, de section supérieure à celle de
la femme. Plusieurs autres études ont également souligné que la partie caudale du
corps calleux, dénommé splenium, est au contraire de taille plus importante chez la
femme que chez l’homme. Toutefois, même s’il existe effectivement une différence
dans la taille de ces faisceaux interhémisphériques entre homme et femme, qu’est-ce
que cela prouve ? Tout ce que l’on peut faire, c’est proposer des hypothèses, mais
en considérant toutefois qu’il est notoire que le corps calleux n’a pas d’implication
directe dans le comportement sexuel et qu’il pourrait être impliqué en revanche
dans une variété de fonctions cognitives qui nécessitent une activité coordonnée
des deux hémisphères. Des observations réalisées chez des patients ayant subi des
accidents vasculaires cérébraux suggèrent ainsi que les fonctions cognitives des
femmes sont moins latéralisées que celles des hommes, c’est-à-dire dépendant plus
d’un hémisphère que de l’autre. Mais même cette conclusion est
discutée.
Finalement, dans ce domaine la conclusion la plus acceptable concernant le
dimorphisme sexuel est qu’il y a objectivement très peu de différence entre cer-
veau d’homme et cerveau de femme. Cela n’est pas surprenant si l’on considère
que le comportement des individus des deux sexes est quand même très similaire,
voire identique. L’anatomie générale du cerveau ne donne cependant qu’une vue
très grossière de l’organisation cérébrale et il est probable que, si des différences
existent, il faudra se doter des moyens d’aller les rechercher à un niveau plus élé-
mentaire, en particulier dans l’organisation fine des réseaux nerveux, tant sur le
plan anatomique que fonctionnel, notamment en prenant en compte l’influence
des hormones sexuelles sur le développement cérébral.
(a) Donnez une liste de mots De nombreuses études tendent à montrer que les femmes sont meilleures que
commençant par la lettre B. les hommes dans les épreuves verbales. Dès l’âge de 11 ans, les filles sont supé-
rieures aux garçons dans les épreuves de compréhension du langage et d’écriture,
boîte, berlingot, boutique, brut,
bastide, bassin… et il semble que ces capacités supérieures dans ce domaine soient également per-
ceptibles jusqu’au lycée et même après. Peut-être ces capacités différentes sont-
elles en rapport aussi avec une vitesse de développement du cerveau, qui ne serait
(b) Pouvez-vous dire si ces deux formes pas la même dans les deux sexes ? Ainsi, les tâches dans lesquelles les femmes
sont les mêmes ? paraissent supérieures aux hommes sont par exemple de dénommer des objets
de la même couleur, de donner rapidement des noms d’objets commençant par
la même lettre, ou encore dans l’utilisation de la mémoire verbale (Fig. 17.15a).
Dans d’autres types de tâches, ce sont les hommes que l’on dit supérieurs aux
femmes. Les tests en question sont ici relatifs par exemple à la lecture de cartes,
l’apprentissage de labyrinthes ou le raisonnement mathématique. Les chercheurs
ont ainsi spéculé sur le fait que ces avantages perceptibles chez l’homme seraient
liés à leur propension à utiliser des pistes lorsque, dans les temps reculés, ils chas-
saient les animaux sauvages. L’une des différences le plus couramment rapportée
Figure 17.15 – Tâche cognitive favorisant porte sur des tests de rotation mentale d’objets dans lesquels les hommes seraient
légèrement l’homme ou la femme.
supérieurs aux femmes (Fig. 17.15b).
(a) Les femmes seraient bien meilleures que
les hommes pour trouver une liste de mots Globalement ainsi, les résolutions de tâches spatiales paraissent effective-
commençant par la même lettre. (b) En ment favoriser les hommes. Mais avancer qu’il existe un dimorphisme sexuel
revanche, les hommes présenteraient des nécessite quelques précautions. Ainsi, toutes les études ne rapportent pas des dif-
aptitudes à résoudre des tâches de rota- férences entre les deux sexes et dans quelques cas la variance des résultats pour
tion spatiale comme celle illustrée ci-des- un même sexe est supérieure à celle mesurée entre les deux sexes. Ceci traduit
sus, par exemple pour décider si ces deux alors plus l’existence de différences interindividuelles que de différences inter-
objets représentés de façon tridimensionnelle sexes. Enfin, peut-on considérer que l’origine de ces différences, si elles existent,
sont identiques ou non. (Source : adapté de est génétique ou en rapport avec des apprentissages différents ? De fait, hommes
Kimura, 1992, p. 120.)
et femmes présentent souvent des stratégies différentes pour résoudre des pro-
blèmes, et il n’est alors pas exclu que ces stratégies différentes puissent influencer
la circuiterie neuronale.
Une interprétation couramment avancée pour rendre compte de ces diffé-
rences de performance en rapport avec le sexe consiste à dire que, l’environne-
ment hormonal du mâle et de la femelle étant différent, cela peut induire des
fonctionnements différentiels de certaines parties du cerveau. Ainsi les andro-
gènes ou les œstrogènes pourraient respectivement favoriser certaines des tâches
cognitives étudiées et en pénaliser d’autres. Cette hypothèse est renforcée par
des résultats montrant que, dans certaines tâches spatiales, les performances de
la femme sont meilleures au moment du cycle œstral où les taux d’œstrogènes
sont les plus bas. Il a également été rapporté que l’administration de testostérone
facilite les performances spatiales chez l’homme âgé, qui présente normalement
des taux de cette hormone assez bas. Néanmoins, cette vision des choses est
un peu réductrice et les processus cognitifs ne peuvent se limiter à l’action des
hormones. De fait, il n’est pas noté de corrélation entre performances verbales
et spatiales et taux d’hormones circulant. Cela ne signifie pas que les hormones
n’affectent pas les performances cognitives, mais nous devons faire preuve de
prudence avant de généraliser cette proposition.
Terminaison nerveuse
(présynaptique)
s
ct
re Dendrite
di Épine
t s dendritique
Effe
(post-synaptique)
OH
Œstradiol Enveloppe
nucléaire
HO Ef
fe
ts
in
di
re ADN
c ts
Récepteur
des œstrogènes/
facteur de
transcription
Encadré 17.2 FOCUS
Mâle Femelle
Syrinx Syrinx
Figure A – Localisation et contrôle des régions impliquées dans le contrôle du chant (en bleu) chez le chardonneret mâle et femelle.
608 3 – Cerveau et comportement
Encadré 17.3 FOCUS
Droit Gauche
masculin. Chez les femelles qui n’expriment pas le gène fru, le cerveau se déve-
loppe normalement, mais l’organisation intime des connexions cérébrales est
telle que ces femelles ne présentent pas de comportement sexuel inné. Si le gène
fru est absent du cerveau mâle, le comportement de parade nuptiale est très atté-
nué, voire absent. A contrario, les femelles qui expriment le gène fru sont à même
de développer une parade nuptiale et résistent à celle des mâles.
Un autre gène impliqué dans le dimorphisme sexuel est le gène dsx (pour
double sex). Le gène dsx joue un rôle important dans le dimorphisme sexuel
de l’organisme, en particulier pour le contrôle du développement de l’appareil
génital mâle et femelle. Il interfère aussi avec le gène fru pour ce qui concerne
la différenciation sexuelle du cerveau et l’expression des comportements liés au
sexe. Dans le cas de fru, le gène est exprimé par les mâles et non par les femelles.
En revanche, le gène dsx est exprimé à la fois par les mâles et les femelles, mais un
processus d’épissage alternatif conduit à l’expression de protéines spécifiques du
mâle ou de la femelle. Comment les structures cérébrales influencées par ces deux
gènes fru et dsx conduisent à des comportements sexuels spécifiques, demeure en
l’état de nos connaissances une énigme à résoudre.
(a)
prise en charge des petits. Pendant les premiers mois de leur vie, c’est notam-
ment lui qui les transporte. Nous savons, par ailleurs, que de tels comportements
complexes, parfaitement orientés vers un objectif précis comme c’est le cas ici,
sont liés à l’activité du cortex préfrontal. Il est également établi que l’environne-
ment peut influencer l’activité et la structure même des neurones. Par exemple,
les arborisations dendritiques et la densité des épines dendritiques sont plus
nombreuses chez des animaux élevés dans un environnement dit « enrichi », par
rapport à des animaux élevés dans des cages banales. Pour tenter de mesurer
l’impact du comportement paternel sur la structure cérébrale, l’équipe d’Elisa-
beth Gould a comparé la structure du cortex préfrontal des pères ouistiti, à celle
d’individus qui n’avaient pas encore élevé de petits. Les résultats ont fourni deux
indications intéressantes : d’une part, la densité des épines dendritiques des cel-
lules pyramidales était significativement plus importante chez les ouistiti-pères ;
et d’autre part, il apparaissait que les épines comportaient plus de récepteurs à
la vasopressine que celles des témoins non-pères. Les conséquences fonction-
nelles de ces modifications structurales ne sont pas connues, mais elles suggèrent
que, dans d’autres espèces, le cerveau des parents très impliqués dans la prise en
charge des petits, que ce soit le père ou la mère, soit également fortement modifié
par ce comportement.
Effets des œstrogènes sur les fonctions neuronales, la mémoire et les patho-
logies. Les œstrogènes ont des effets activateurs considérables sur la structure et
la fonction des neurones. Dans les quelques minutes qui suivent une application
d’œstradiol, l’excitabilité neuronale est ainsi affectée dans de larges régions céré-
brales. En modulant le flux d’ions potassium, l’œstradiol dépolarise les neurones
et active leur décharge. Un exemple de ce que les œstrogènes peuvent contribuer à
faire sur les neurones est illustré par la figure 17.19. Dominique Toran-Allerand,
à Columbia University, a démontré qu’un traitement à l’œstradiol de tissus préle-
(a) vés dans l’hypothalamus de souris nouveau-nées augmente considérablement la
croissance des neurites. D’autres travaux ont montré que l’œstradiol augmente
la viabilité cellulaire et la densité des épines dendritiques. Dès lors, l’ensemble de
ces données suggère que les œstrogènes jouent un rôle clé pour la formation des
réseaux neuronaux, pendant le développement.
Elizabeth Gould, Catherine Woolley, Bruce McEwen et leurs collègues, à
Rockefeller University, ont rapporté un extraordinaire exemple de l’effet acti-
vateur des stéroïdes, au niveau cellulaire. Ces auteurs ont compté les épines
dendritiques de neurones de l’hippocampe chez le rat femelle et ils ont montré
que le nombre de ces épines dendritiques fluctuait considérablement pendant
(b)
les 5 jours du cycle œstral. La densité de ces épines et les taux d’œstradiol sont
Figure 17.19 – Effets des œstrogènes sur la maximaux au même moment, et l’injection d’œstradiol a pour effet d’accroître le
croissance neuritique dans l’hypothalamus. nombre d’épines chez des animaux dont le taux d’œstradiol est maintenu artifi-
La partie basse de chacune de ces photo- ciellement bas (Fig. 17.20). Comme les épines dendritiques sont les sites majeurs
graphies illustre une zone de l’hypothalamus de connexions des synapses excitatrices avec les dendrites (voir chapitre 2), ce
provenant d’une souris nouveau-née. (a) Cet résultat permet d’entrevoir pourquoi l’excitabilité de l’hippocampe suit le même
animal n’a pas été traité aux œstrogènes, ce décours pendant le cycle œstral. Ainsi a-t-on pu constater que l’hippocampe
qui se traduit par un développement relative-
des rats déclenche plus facilement des crises d’épilepsie lorsque le taux d’œstro-
ment limité des neurites apparaissant sur la
gènes augmente (Fig. 17.21). Notez que les taux d’œstradiol et de progestérone
coupe histologique. (b) L’addition d’œstro-
gènes stimule fortement la croissance neuri- sont à leur pic au moment de la phase de pro-œstrus (Fig. 17.21a, b) et qu’à ce
tique. (Source : Toran-Allerand, 1980.) moment-là le seuil de déclenchement des crises d’épilepsie est à son minimum
(Fig. 17.21c). Woolley et McEwen ont montré que c’est l’œstradiol lui-même
qui déclenche l’augmentation du nombre d’épines et que, lorsque les neurones
hippocampiques présentaient plus d’épines, ils étaient plus excitables et présen-
taient plus de synapses excitatrices.
Mais comment expliquer l’effet de l’œstradiol sur le nombre d’épines dendri-
tiques et de synapses excitatrices dans l’hippocampe ? Même si tous les détails de
ces mécanismes ne sont pas encore complètement élucidés, il semble que l’effet
activateur de l’œstradiol sur les épines dendritiques passe par plusieurs voies. En
présence d’œstradiol, les réponses post-synaptiques au glutamate, par exemple,
sont plus importantes que lorsqu’il n’est pas présent. Comme nous le verrons
dans le chapitre 25, un tel effet de l’œstradiol sur les synapses excitatrices contri-
bue à renforcer leur activité. L’œstradiol pourrait aussi affecter l’activité hippo-
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 615
Témoin
10 µm
Traitement à l’œstradiol
50 µm
50
30
20
10
0
(a) E D D P E
20
10
Figure 17.21 – Corrélations existant entre
fluctuations des taux de stéroïdes circulant 0
pendant le cycle œstral et seuil de déclen-
E D D P E
chement des crises d’épilepsie au niveau de
(b)
l’hippocampe.
Les taux circulants de (a) œstradiol et (b)
progestérone varient pendant le cycle œstral.
Les taux des deux hormones atteignent un 250
niveau maximal pendant la phase pro-œstrus.
Seuil des décharges
Orientation sexuelle
Même si cela est très variable, il est admis qu’environ 3 % de la population
des États-Unis est homosexuelle. Au regard des différences de comportement
existant entre les hommes hétérosexuels et homosexuels, peut-on en déduire que
le cerveau des homosexuels est différent de celui des hétérosexuels ? Ou bien
encore, qu’il y a des causes biologiques à l’homosexualité ? Si l’on s’en tient à
la relation qui existe entre cerveau et comportement, alors bien entendu cette
démarche est justifiée. Mais, à ce stade de nos connaissances, il n’existe aucune
évidence que l’orientation sexuelle présente un quelconque rapport avec les
effets activationnels des hormones chez l’adulte. Par exemple, administrer des
androgènes ou des œstrogènes chez l’adulte n’a aucun effet sur leur orientation
sexuelle. Alternativement, cependant, peut-être que les cerveaux des individus
hétérosexuels ou homosexuels sont différents structurellement, du fait des effets
organisationnels des hormones ?
Nous avons vu plus haut que, chez l’animal, il existait des différences liées
au sexe dans l’hypothalamus antérieur. Chez le rat, le SDN (sexually dimorphic
nucleus) de l’aire préoptique de l’hypothalamus antérieur est plus développé
chez le mâle que chez la femelle. Après une lésion expérimentale de ce noyau, il
se trouve que les mâles ainsi lésés passent beaucoup plus de temps avec d’autres
mâles qu’avec des femelles sexuellement actives, ce qui correspond à un compor-
tement inverse de celui qu’ils avaient avant la chirurgie. Une autre observation est
tirée d’une étude des moutons à longues cornes des Montagnes Rocheuses aux
États-Unis, où environ 8 % de la population des mâles préfère monter d’autres
mâles que des femelles. Dans ce cas, le SDN de ces animaux parait en moyenne
avoir une taille deux fois moins importante que celle du même noyau de mâles
dont l’orientation sexuelle va vers les femelles. Par conséquent, il semble que,
chez certains animaux, la taille de noyaux hypothalamiques déterminés puisse
être mise en rapport avec la préférence sexuelle. Malheureusement, la relation
causale entre la taille du SDN et l’orientation sexuelle n’est pas claire.
Chez l’homme, le noyau INAH-3 (l’un des noyaux interstitiels de l’hypo-
thalamus antérieur) a une taille deux fois plus importante que chez la femme,
une différence qui pourrait rendre compte du dimorphisme des comportements
sexuels dans les deux sexes. Certains travaux tendent à montrer qu’il existe des
différences entre INAH des cerveaux des individus hétérosexuels et homosexuels,
qui pourraient dès lors être mises en relation avec l’orientation sexuelle. Les tra-
vaux les plus convaincants ont été réalisés par Simon LeVay, alors qu’il tra-
vaillait au Salk Institute, en Californie. Il a montré que le INAH-3 d’individus
homosexuels mâles est de taille deux fois inférieure environ à celui de l’homme
hétérosexuel (Fig. 17.22). En d’autres termes, LeVay montre que le noyau INAH-3
de l’homme homosexuel est de taille similaire à celui de la femme hétérosexuelle.
Néanmoins, aussi importante que soit cette découverte, il est quand même dif-
ficile de l’interpréter en termes de bases biologiques de comportements aussi
complexes. De plus, d’autres travaux n’ont pas retrouvé par la suite la corrélation
entre la taille du INAH-3 et l’orientation sexuelle.
D’autres données encore ont montré que la commissure antérieure et les
noyaux suprachiasmatiques des homosexuels mâles étaient de taille supérieure à
celle des hétérosexuels. Une autre étude paraît montrer que le bed nucleus de la
stria terminalis est de taille plus importante chez l’homme que chez la femme, et
que les transsexuels mâles convertis en femmes, ont alors un noyau comparable à
celui de la femme. Prises de façon globale, ces données tendent à vérifier collecti-
vement que les aspects les plus complexes du comportement humain pourraient
se réduire à des différences structurales du cerveau. Néanmoins, compte tenu
des difficultés de l’analyse, aussi bien d’ailleurs que de l’histoire du dimorphisme
sexuel du cerveau, il est suggéré qu’il faut en ce domaine, peut être plus que dans
tout autre, être d’une prudence extrême, jusqu’à ce qu’un consensus soit établi.
618 3 – Cerveau et comportement
3
4
1 Noyau
2 paraventriculaire
Troisième
ventricule
Chiasma optique
Conclusion
La relation entre sexe et cerveau est l’un des sujets les plus délicats dans le
domaine des neurosciences. Le thème du sexe et du cerveau est aussi perverti
par l’implication de facteurs à la fois biologiques et culturels qui influencent
le comportement sexuel. Dans l’espèce humaine en particulier, les différences
anatomiques entre cerveaux d’hommes et cerveaux de femmes ne sont pas évi-
dentes, de même que, d’une façon générale, leurs comportements ne sont pas
très différents ; et là où interviennent quelques différences anatomiques subtiles
entre sexes opposés, il est difficile de percevoir clairement quelles en sont les
implications comportementales. Enfin, en tout état de cause, il n’existe encore
aujourd’hui aucune évidence en faveur de différences qui pourraient rendre
compte de facultés cognitives différentes chez l’homme et chez la femme.
Toutefois, la nécessité biologique que représente la reproduction sexuée et la
procréation est fondée sur un comportement très différent selon le sexe, notam-
ment en ce qui concerne la copulation et la naissance. Pour ce qui concerne les
organes génitaux externes, les différences sont telles qu’il est relativement aisé
de caractériser les spécificités, y compris au niveau du contrôle moteur spinal
(par exemple en ce qui concerne les muscles et les neurones moteurs qui com-
mandent le pénis ou encore les afférences sensorielles du clitoris). Par ailleurs, le
rôle déterminant des hormones sexuelles est également facilement identifiable en
ce qui concerne le développement et la régulation du comportement sexuel. Mais
il faut bien considérer qu’il existe encore de nombreux aspects du comportement
sexuel qui nous échappent et qui restent très mystérieux.
Ce chapitre n’a pas de prétention à l’exhaustivité sur le thème du sexe et du
cerveau. Beaucoup de questions restent encore sans réponse, notamment parce
que ce sujet se heurte encore à certains tabous, y compris pour les scientifiques.
Néanmoins, le comportement sexuel est l’un des plus fondamentaux de l’homme,
et tenter d’en comprendre les mécanismes reste un défi pour les scientifiques.
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Supposez que vous venez d’être capturé par des Aliens qui arrivent tout
juste sur la Terre et qui veulent étudier les humains. Les Aliens, qui sont
tous du même sexe, sont alors intéressés par les humains des deux sexes,
qui les intriguent. Pour gagner votre liberté, tout ce que vous devez faire,
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 619
c’est de leur indiquer comment distinguer les hommes des femmes. Quels
seraient alors les tests biologiques et comportementaux que vous leur
recommanderiez de réaliser à cette fin ? Attention de bien leur indiquer
tous les tests qui lèvent toute ambiguïté, de façon à éviter leur colère !
2. La figure 17.18 décrit une observation intéressante mais pour laquelle
nous n’avons pas encore d’explication : pendant la période de lacta-
tion chez un rat femelle, il existe un accroissement de la zone du cortex
sensoriel correspondant à la représentation de la région des mamelles.
Pouvez-vous spéculer sur la nature des mécanismes de cette plasticité ?
En quoi, selon vous, cette réponse constitue un avantage pour le rat ?
3. L’œstradiol est habituellement décrit comme une hormone sexuelle fémi-
nine mais tout porte à croire qu’il joue aussi un rôle essentiel dans le dé-
veloppement du cerveau masculin. Pouvez-vous argumenter cette dernière
assertion ? Et dire pourquoi les choses sont différentes chez les femmes en
ce qui concerne les effets de l’œstradiol au même stade de développement ?
4.
Où et comment les hormones stéroïdiennes influencent-elles les
neurones, au niveau cellulaire ?
5. Pouvez-vous donner des arguments en faveur de l’hypothèse selon
laquelle la différenciation sexuelle du corps et du cerveau n’est pas
entièrement sous contrôle des hormones sexuelles ?
6. Imaginez qu’une équipe de chercheurs proclame qu’un obscur noyau du
tronc cérébral, le noyau X, présente un dimorphisme sexuel et qu’il serait
essentiel pour certains comportements sexuels spécifiquement mâles.
Discutez ce type de résultat et ce que vous souhaiteriez que cette équipe
démontre afin que vous acceptiez ce résultat sans ambiguïté, notamment
en ce qui concerne : a) la réalité du dimorphisme ; b) les définitions de
ce qu’ils dénomment « comportement sexuel spécifiquement mâle » ;
c) l’implication du noyau X dans ces comportements sexuels.
PREMIÈRES THÉORIES
DES MÉCANISMES DES
PROCESSUS ÉMOTIONNELS
Théorie de James-Lange...................................................................... 622
Théorie de Cannon-Bard..................................................................... 623
Processus émotionnels inconscients.................................................... 624
Encadré 18.1 Focus Des papillons dans l’estomac…
CONCEPT DE SYSTÈME
LIMBIQUE
Lobe limbique de Broca...................................................................... 627
Circuit de Papez................................................................................. 628
Encadré 18.2 Focus Phineas Gage
Difficultés posées par le concept d’un système de l’émotion unique.... 630
PEUR ET AMYGDALE
Syndrome de Klüver-Bucy................................................................... 636
Anatomie de l’amygdale..................................................................... 637
Effets de lésion ou de stimulation de l’amygdale................................. 638
Circuit neuronal de la peur apprise..................................................... 639
COLÈRE ET AGRESSIVITÉ
Amygdale et agressivité...................................................................... 641
Encadré 18.4 Focus Lobotomie frontale
Au-delà de l’amygdale, les circuits de la colère et de l’agressivité......... 644
Sérotonine et régulation de la colère et de l’agressivité........................ 646
CONCLUSION
INTRODUCTION
P
our en apprécier la valeur, il suffit d’imaginer ce que serait une vie sans
émotion. Au lieu « des hauts et des bas » dont nous faisons l’expérience
chaque jour, la vie ne serait qu’une morne plaine immense… L’expression
des émotions représente une caractéristique fondamentale de l’être humain. Les
Aliens et les robots, notamment ceux des films de science-fiction, ressemblent
souvent à des Terriens ; mais ils apparaissent toutefois bien inhumains, en ce sens
certainement qu’ils n’expriment aucune émotion.
L’approche par les neurosciences des processus liés au ressenti émotionnel
représente un domaine de recherche très actif, consacré principalement à l’étude
des bases neuronales des mécanismes des émotions et du contrôle de l’humeur,
parfois identifié comme le champ des neurosciences de l’affect. Ce chapitre est
consacré à l’approche des bases neuronales des processus émotionnels. Les
troubles de l’humeur, qualifiés aussi de troubles affectifs, seront traités dans le
chapitre 22. Mais comment étudier un phénomène aussi éphémère et intangible
que sa propre émotion ? Lorsque vous étudiez un système sensoriel, par exemple,
vous pouvez matériellement présenter un stimulus et rechercher les neurones
qui y répondent. Dès lors vous pouvez manipuler ce stimulus, pour savoir par
exemple si ses caractéristiques en termes de fréquence ou d’intensité modifient
la perception. Étudier les émotions chez les animaux, qui ne peuvent rapporter
leurs sentiments, est autrement plus complexe. Ce qui est observé dans ce cas
n’est que la manifestation comportementale d’émotions intérieures. Il s’impose
donc de distinguer soigneusement l’expérience émotionnelle de l’expression émo-
tionnelle. Ce que nous savons des mécanismes nerveux de l’émotion repose sur la
synthèse d’études des émotions chez l’animal et de cas cliniques qui ont donné
un aperçu sur les mécanismes des sentiments émotionnels chez l’homme. Chez
l’animal, les effets de lésions localisées du cerveau ont été étudiés sur l’expression
des émotions et, dans des cas très particuliers, l’activité de certains neurones a
été enregistrée dans des situations émotionnelles, même s’il n’est évidemment pas
possible de mesurer le ressenti des animaux. Les études effectuées chez l’homme
ont été axées principalement sur l’étude de l’activité cérébrale en rapport avec
des processus émotionnels induits, ou lors de tests de reconnaissance par le sujet
de l’état émotionnel d’autres personnes.
Aujourd’hui les avancées des connaissances ne sont pas encore telles que l’on
puisse prétendre connaître aussi bien les systèmes impliqués dans le traitement
des émotions que ceux véhiculant par exemple les informations sensorielles.
Néanmoins, comme nous le verrons, les théories initialement proposées pour
rendre compte des processus émotionnels et notamment l’existence d’un sys-
tème unique du traitement des émotions, ou même de plusieurs systèmes prenant
chacun en charge un aspect des émotions, ont été progressivement remplacées
par de nouvelles théories, où interviennent des réseaux neuronaux multiples
fonctionnant le plus souvent en parallèle pour traiter des différents aspects des
émotions.
622 3 – Cerveau et comportement
Premières théories
des mécanismes des
processus émotionnels
Les émotions — l’amour, la haine, le dégoût, la joie, la honte, la jalousie, la
culpabilité, la peur, l’anxiété, et bien d’autres — sont des sentiments que nous
éprouvons à un moment ou un autre de notre vie. Mais qu’est ce qui définit pré-
cisément ces sentiments ? S’agit-il de messages sensoriels de notre corps, d’activi-
tés diffuses de notre cortex cérébral, ou encore d’autre chose ? Au xixe siècle, des
savants renommés, dont Darwin et Freud, se sont penchés sur le rôle du cerveau
dans l’expression des émotions (Fig. 18.1). À partir d’observations minutieuses
de l’expression émotionnelle chez l’animal et chez l’homme, et de l’expérience
émotionnelle chez l’homme, des théories se sont développées, rapprochant
expression émotionnelle et expérience émotionnelle. Ces propositions peuvent
nous apparaître comme banales aujourd’hui, mais Darwin a réalisé une obser-
vation fondamentale en constatant que les peuples, dans leur diversité culturelle,
présentent les mêmes émotions, et que les animaux eux-mêmes expriment cer-
taines des émotions que l’on connaît dans l’espèce humaine. Plus tard, à la fin
du xixe siècle et au début au xxe siècle, les chercheurs développèrent des théo-
ries sur les bases physiologiques des émotions et sur les relations existant entre
l’expression des émotions et l’expérience émotionnelle.
Théorie de James-Lange
Parmi les premières théories de l’émotion figure celle que proposa en 1884
le fameux psychologue et philosophe américain, William James, très proche
de celle du psychologue danois, Carl Lange. La théorie de l’émotion, connue
aujourd’hui sous le nom de théorie de James-Lange, proposait que l’émotion
traduise la réponse aux modifications physiologiques intervenant dans le corps.
Pour comprendre pourquoi de nombreux contemporains de James et de Lange
considéraient cette idée comme paradoxale, il suffit de prendre l’exemple sui-
vant : supposons qu’un matin en vous éveillant vous trouviez juste au-dessus de
votre tête une araignée malicieuse au bout de son fil… Si vous connaissez des
personnes atteintes d’arachnophobie, vous pouvez imaginer leur réaction, faite
de changements du rythme cardiaque, de la tension musculaire ou encore de la
respiration (voir chapitre 15). En accord avec la théorie de James-Lange, votre
système visuel transmet au cerveau une image de cette maudite araignée et, en
retour, votre cerveau déclenche ces réactions par l’intermédiaire du système ner-
veux somatique et du système nerveux autonome. Dans ce cas, les réponses de
l’organisme résultent directement de l’information visuelle qui a été transmise
au cerveau, sans composante émotionnelle réelle. L’émotion que vous ressentez
dans cette situation résulte des changements induits par la réponse de l’orga-
nisme. En d’autres termes, plutôt que de sauter de votre lit parce que vous êtes
effrayé, vous pouvez réellement ressentir cette frayeur du fait de l’augmentation
du rythme cardiaque et des autres signes associés. Cette approche de l’émotion
est toutefois considérée aujourd’hui comme un concept dépassé, comme ce fut
Figure 18.1 – Expressions de colère.
Ces représentations sont tirées de l’ouvrage
de Darwin « Expression des émotions chez
l’homme et l’animal ». Elles étaient utilisées
comme argument de sa théorie selon laquelle
les émotions fondamentales sont universelles.
Darwin a été l’un des premiers à étudier exten-
sivement l’expression des émotions. (Repro-
duit avec la permission de John van Wyhe, ed.
2002. The complete work of Charles Darwin
online, http://darwin-online.org.uk/).
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 623
d’ailleurs déjà le cas du temps de James et Lange. Jusqu’à cette théorie, il était
communément admis qu’une émotion est générée par une situation donnée, et
qu’elle se traduit par une réponse comportementale ; vous êtes effrayé lorsque
vous voyez une araignée et alors votre organisme réagit. La théorie de James-
Lange prétend exactement l’inverse.
Considérez une des expériences suggérées par James. Imaginez que vous
êtes fou de colère à cause de quelque chose qui vient d’arriver. Tentez de faire
abstraction de toutes les modifications physiologiques associées à cette émo-
tion. Les battements du cœur se calment, les muscles se détendent, et le visage
retrouve une couleur normale. Comme le disait James, il est difficile de penser
que l’on est encore en colère si tous ces signes physiologiques ont disparu.
Même s’il est vrai que l’émotion est intimement liée à un état physiologique,
cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne puisse pas être ressentie en l’absence
de signes physiologiques évidents (un point admis par James et Lange eux-
mêmes). Mais dans le cas d’émotions fortes spécifiquement associées à des réac-
tions physiques, il existe objectivement une relation étroite entre l’émotion et la
manifestation physiologique correspondante, sans que l’on sache très clairement
qui cause quoi.
Théorie de Cannon-Bard
La théorie de James-Lange eut un certain succès au début du xxe siècle, mais
elle fut bientôt contestée. En 1927, le physiologiste américain Walter Cannon
publia un article critiquant de manière irréfutable la théorie de James-Lange et
proposa une nouvelle théorie. La théorie de Cannon fut développée par Philip
Bard, et la théorie de Cannon-Bard de l’émotion, d’après le nom qu’on lui donna,
prétendait que l’expérience émotionnelle pouvait intervenir indépendamment de
l’expression émotionnelle.
L’un des arguments de Cannon contre la théorie de James-Lange venait de ce
que les émotions peuvent être ressenties sans percevoir de modifications physio-
logiques. Pour étayer son propos, il présentait les résultats de travaux effectués
sur des animaux dont la moelle épinière avait été sectionnée. Il est connu que
cette procédure chirurgicale supprime toute sensation dans les parties du corps
situées en dessous de la section ; mais cela ne semblait pas supprimer l’émotion.
Dans la mesure où un contrôle musculaire pouvait encore s’exercer sur la partie
supérieure du corps ou de la tête, les animaux manifestaient des signes d’émo-
tions. De même, Cannon mentionnait des cas de patients porteurs de lésions
de la moelle épinière chez qui l’émotion persistait. Si l’expérience émotionnelle
survient lorsque le cerveau perçoit les réactions physiologiques du corps, comme
le soutient la théorie de James-Lange, l’élimination de ces sensations devrait
supprimer les émotions ; or il n’en est rien.
Cannon observait aussi, en contradiction avec la théorie de James-Lange,
qu’il n’y a pas de corrélation fiable entre l’expérience de l’émotion et l’état phy-
siologique dans lequel se trouve le corps. Par exemple, la peur s’accompagne
d’une fréquence cardiaque plus élevée, de troubles de la digestion, et de transpi-
ration accrue. Cependant, les mêmes réactions physiologiques accompagnent
d’autres émotions, comme la colère, et même des conditions non émotionnelles
liées à la maladie, telle que la fièvre, par exemple. Comment la peur pourrait-elle
être la conséquence de changements physiologiques quand ces mêmes change-
ments sont associés à d’autres états que la peur ?
La théorie de Cannon était centrée sur l’idée que le thalamus joue un rôle
particulier dans la perception émotionnelle. Selon cette théorie, le cortex reçoit
une information sensorielle, et active en retour certaines réponses comporte-
mentales. Selon Cannon, cependant, les circuits neuronaux mis en jeu dans
cette association stimulus-réponse ne sont pas en rapport avec l’émotion. Les
émotions surviennent lorsque les signaux atteignent le thalamus directement à
partir des récepteurs sensoriels, ou indirectement à partir du cortex cérébral. En
d’autres termes, le caractère de l’émotion est déterminé par le mode d’activation
du thalamus. Un exemple aide à préciser la différence entre les deux théories.
Selon la théorie de James-Lange, on est triste parce qu’on pleure ; si on pouvait
624 3 – Cerveau et comportement
Expérience
émotionnelle (frayeur)
de
o rie rd
é -Ba
Th non
n
Ca
Figure 18.2 – Comparaison schématique des
théories de James-Lange et Cannon-Bard,
des processus émotionnels.
Selon la théorie de James-Lange (flèches
rouges), l’individu perçoit la présence de l’ani-
mal effrayant, puis réagit. C’est ce comporte-
Th
ment, déclenché en réponse à la perception Stimulus é or
Stimulus ie de
de l’animal, qui lui fait ressentir la frayeur. sensoriel Jam
perçu es-L
Selon la théorie de Cannon-Bard (flèches ange
bleues), la frayeur résulte de la perception du
stimulus, et ensuite seulement il y a une réac- Expression émotionnelle
(somatique, réponse viscérale)
tion comportementale.
Encadré 18.1 FOCUS
Figure A – Représentation de la perception au niveau du corps de 6 émotions fondamentales. L’estimation de l’implication des diffé-
rentes parties du corps s’étend de faible (couleur bleue) à forte (couleur jaune). (Source : adapté de Nummenmaa L, Glerean E, Hari R,
Hietanen JK. Bodily maps of emotions. Proceedings of the National Academy of Science 2014 ; 111 : 646-51, Figure 1.)
626 3 – Cerveau et comportement
Dans une autre expérience, ce sont des successions de visages expressifs qui
sont montrées aux sujets, sans stimulus masquant. Mais dans chacune des séries
il y avait au moins une expression de colère. Et à chaque présentation de ce visage
particulier les sujets recevaient sur leur doigt une faible décharge électrique.
Après un tel conditionnement aversif, chaque fois que ce type de visage coléreux
était présenté, les sujets présentaient une altération de l’activité de leur système
autonome, par exemple une augmentation de leur conductance cutanée due à
une transpiration accrue. Les auteurs ont alors recherché ce qui se passerait si
le visage exprimant la colère était maintenant présenté avec un stimulus mas-
quant. De façon surprenante, le sujet exprimait dans ces conditions une réponse
électrodermale, c’est-à-dire une réponse du système sympathique, alors même
qu’il déclarait ne pas percevoir le visage de la personne en colère. Ces résultats
indiquent que le sujet répond à l’expression de la colère comme si celui-ci était
aversif, même s’il n’est pas conscient d’avoir perçu de visage. Le concept d’émo-
tion inconsciente est basé sur cette observation.
Puis les sujets se voient présenter des visages coléreux, en association ou non
avec des sons désagréables (Fig. 18.3). Comme auparavant, les sujets ne per-
çoivent toujours pas le stimulus en présence d’un stimulus masquant. Toutefois,
là encore les mesures de conductance électrodermale montrent que les sujets
répondent lorsque le stimulus a été associé au son désagréable. De plus, des
études en tomographie par émission de positrons (TEP scan) ont été réalisées
lors de la présentation des photos. Les données de l’imagerie cérébrale montrent
que les visages coléreux conditionnés par les stimuli désagréables, produisent
une réponse plus importante que ceux qui n’ont pas été conditionnés, dans une
région particulière du cerveau, l’amygdale. Pour le moment, notons simplement
que la mesure de la réponse électrodermale et l’activation de l’amygdale sont
corrélées avec la présentation des images de visages coléreux lorsque celle-ci a
été conditionnée par un stimulus désagréable, en dépit du fait que ces photos ne
sont pas perçues consciemment.
Si les stimuli sensoriels peuvent ainsi avoir un impact émotionnel de façon
inconsciente, alors ceci écarte les théories des émotions postulant que l’expé-
rience émotionnelle est nécessaire pour qu’existe une expression émotionnelle.
(b) Test
(a) Conditionnement
(c) Activité du cerveau
Cependant, il faut rester prudent car, même après avoir dit cela, il se trouve
encore de nombreuses possibilités pour traiter les informations de caractère
émotionnel. C’est ce que nous allons aborder dans ce qui suit, où nous ver-
rons comment le cerveau intègre les informations sensorielles pour élaborer la
réponse émotionnelle qui caractérise l’expérience de l’émotion. Nous verrons
également qu’il n’existe pas une seule forme d’émotion, mais que différentes
formes d’émotions empruntent différents circuits neuronaux, et que certaines
parties du cerveau sont critiques pour la plupart des émotions.
Gyrus cingulaire
Section
du corps
calleux
Figure 18.4 – Lobe limbique.
Broca a défini le lobe limbique comme formé
des structures disposées autour du tronc
cérébral et du corps calleux, sur la partie
interne du cerveau. Les principales structures
du lobe limbique indiquées ci-dessus sont le
gyrus cingulaire, le cortex temporal médian,
Section
Lobe temporal et l’hippocampe. Sur ce schéma, le tronc
du tronc
(surface médiane) cérébral cérébral n’a pas été représenté, de façon à ce
que la surface interne du lobe temporal soit
Hippocampe visible.
628 3 – Cerveau et comportement
Néocortex
Néocortex Coloration émotionnelle
Fornix
Cortex
cingulaire Cortex Expérience émotionnelle
cingulaire
Thalamus Hippocampe
antérieur
Thalamus
antérieur
Fornix
Figure 18.5 – Circuit de Papez.
Papez pensait que l’expérience émotionnelle était liée à l’activité du cortex cingulaire, et indirectement aux autres aires corticales. L’expression émo-
tionnelle, quant à elle, était supposée être liée à l’activité de l’hypothalamus. Le cortex cingulaire projette vers l’hippocampe, et l’hippocampe sur
l’hypothalamus par une voie dénommée le fornix. L’influence de l’hypothalamus est transmise au cortex par le relais des noyaux thalamiques antérieurs.
Circuit de Papez
C’est vers 1930 que certaines structures limbiques furent impliquées dans
les processus émotionnels. Partant des travaux précédant de Cannon, Bard et
d’autres auteurs, le neurologue américain James Papez suggéra l’existence d’un
« système de l’émotion », situé sur la paroi médiane du cerveau, qui relie le cor-
tex à l’hypothalamus. La figure 18.5 montre l’ensemble des structures reconnues
comme circuit de Papez, chaque élément étant connecté à un autre par les fibres
d’un faisceau majeur.
À l’instar de nombreux scientifiques aujourd’hui, Papez pensait que le cortex
est véritablement impliqué dans l’expérience de l’émotion. Dans certaines aires
corticales, une lésion provoque de graves altérations du comportement émo-
tionnel, et pourtant peu de changements dans la perception ou l’intelligence
(Encadré 18.2). De plus, des tumeurs siégeant près du cortex cingulaire sont
associées à des troubles des émotions, telles que la peur, l’irritabilité, et d’autres
associées à la dépression. Papez pensait que les aires corticales activées à partir
du cortex cingulaire donnent plus de « nuance » aux émotions.
Encadré 18.2 FOCUS
Phineas Gage
Les lésions cérébrales peuvent avoir quelquefois des explosa. Le Dr John Harlow décrivit l’accident et ses
conséquences surprenantes sur l’expression émotionnelle conséquences pour le patient dans un article publié en
d’un individu, sans changement majeur des autres com- 1848 sous le titre « Passage d’une barre de fer à travers la
posantes du comportement, par ailleurs. Une des études tête ». En explosant, la charge projeta la barre de fer d’un
les plus fameuses jamais réalisées sur l’influence du cer- mètre de long et d’un poids de 6 kg dans la tête de Gage,
veau sur l’émotion est le cas de Phineas Gage. Le 13 sep- juste sous l’œil gauche (Fig. A). Après avoir traversé le lobe
tembre 1848, alors qu’il bourrait un trou d’explosif au frontal gauche le pieu ressortit par le sommet de la tête.
moyen d’une barre de fer pour provoquer une explosion Transporté sur un char à bœufs, Gage, contre toute
sur le site de la construction d’une voie ferrée dans le attente, resta redressé pendant tout le trajet jusqu’à un
Vermont, il commit l’erreur de détourner son regard. Le hôtel proche, et fut capable de monter une longue volée
pieu de fer qu’il tenait toucha un rocher, et la poudre d’escaliers pour rentrer dans l’hôtel. Harlow rapporta ce
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 629
Activations distinguant
la peur et la tristesse
tous dans une action complexe (par exemple faire un swing lors d’une partie de
golf, ou procéder à une figure élaborée dans une danse).
Ainsi, une alternative à ces théories relatives aux émotions fondamentales
telles que nous venons de les voir, est représentée par des théories dites théories
dimensionnelles des émotions. Ces théories sont cette fois basées sur l’idée que
les émotions, y compris les émotions fondamentales, peuvent être dissociées
en éléments plus petits, susceptibles d’être combinés entre eux et en quanti-
tés différentes, un peu à la manière de ce qui forme le tableau périodique des
éléments à base de protons, électrons et neutrons. À titre d’illustration, des
exemples de dimensions affectives sont donnés par la valeur du sentiment émo-
tionnel ressenti (agréable-désagréable), ou par son intensité relative (émotion
forte-émotion faible). Imaginez dès lors que nous soyons en présence d’un
graphe à deux dimensions où sont portés sur un axe la valence de l’émotion et
sur l’autre son intensité (Fig. 18.7). Bien entendu, pour chaque émotion parti-
culière, comme dans le cas de la joie ou de la tristesse, il se doit d’y avoir une
gamme étendue de son intensité. Dans les différentes théories, il se trouve un
nombre différent de dimensions, parfois exprimées avec les mêmes termes. Si
nous revenons ainsi à la figure 18.6, nous avons d’abord considéré sur chacune
des coupes de cerveau des zones activées, susceptibles de contribuer à un réseau
représentatif d’une certaine émotion basique. Dans ce cas, peut-on encore ima-
giner que les zones activées, plutôt que de représenter des éléments d’un circuit
particulier, pourraient juste coder le degré du plaisir (ou du déplaisir) apporté
par l’émotion en question, ou encore son intensité, ou même encore d’autres
dimensions de ces émotions non considérées ici ? La réponse à cette question
est loin d’être évidente.
Les théories psychologiques constructionnistes des émotions sont une variante
des théories dimensionnelles. De fait, elles sont similaires aux théories dimen-
sionnelles, en ce sens qu’il est affirmé que les émotions mettent en jeu des
« briques » élémentaires formant des ensembles aux propriétés fonctionnelles.
Mais la différence essentielle est que, dans les modèles constructionnistes, les
dimensions ne portent pas le poids de l’affect. Au lieu de faire état de dimen-
sions telles que le plaisir, ici un état émotionnel est construit à partir de proces-
sus physiologiques qui, d’eux-mêmes, ne sont pas impliqués seulement dans les
émotions. Des exemples de ces composantes psychologiques à dimension non
Émotions
Positive
Bébé
souriant fondamentales
Peur
Valence
Chaise Colère
Dégoût
Serpent
Violation
morale Nourriture
Funérailles avariée
Négative
Il semble que la simple clarté d’un organisme en réponse, par exemple, à une
concept ou d’une hypothèse scientifique menace ou à une opportunité. De façon très
soit déterminante quant à son acceptation différente, les sentiments représentent des
et à l’impact de cette idée sur la commu- expériences mentales des états du corps,
nauté. Mais, pas si vite ! Les mots utilisés incluant, bien entendu, ceux qui ont été
pour désigner le concept ou l’hypothèse créés par les émotions. Que ces deux types
jouent un rôle déterminant pour sa récepti- de phénomènes soient distincts est un
vité. Trois exemples issus de mon propre simple fait qui ne se discute pas, bien que le
travail illustrent ce constat. grand public, sans vouloir citer quelques
D’abord, au cours des vingt dernières Antonio Damasio chercheurs, persiste à les regrouper comme
années j’ai insisté sur la distinction entre les s’ils étaient similaires. Pire encore, lorsque
1
concepts d’émotion et de sentiment . Les émotions certains font bien la distinction, ils nomment le phéno-
représentent des programmes d’action qui modifient mène de façon erronée, c’est-à-dire qu’ils parlent d’émo-
rapidement l’état de différentes composantes de notre tions en voulant évoquer des sentiments et réciproque-
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 635
ment… Pourquoi tant de confusion ? Certainement, il de problèmes pour que mes idées soient acceptées.
ne s’agit pas que de simples imprudences. Bon, il arrive Approximativement peu près, au même moment, les
que, du fait de ces amalgames, ce soit le même terme qui termes de « hub » et de « rayon » ont été utilisés pour
soit utilisé pour décrire un sentiment ou une émotion rendre compte de cette même organisation cérébrale.
spécifique d’un état affectif particulier. Lorsque j’utilise Mais plutôt que de préciser la réalité de ces réseaux neu-
le mot « peur », celui-ci peut se référer indifféremment ronaux, ou encore le rôle fonctionnel que pouvait sous-
soit à l’émotion créée par la peur, soit au sentiment qui tendre tel ou tel aspect de cette organisation, « hub » et
résulte de l’évocation de cette émotion. Et là encore, « rayon » illustraient plutôt le flux des échanges dans ces
pire : l’un de mes héros préféré, William James, qui est à réseaux. De façon plutôt cocasse, après des années de
l’origine des premières esquisses sur la physiologie des dérégulation du trafic aérien aux États-Unis, où les
émotions et sur la manière dont cela peut conduire à avions volaient dans toutes les directions de façon
l’expérience de l’émotion, s’est rendu coupable de confu- quelque peu anarchique, une nouvelle organisation est
sion des deux termes dans un texte dans lequel il tentait intervenue, justement recentrant les vols à partir de
d’expliquer la distinction. Dès lors, la leçon est qu’il est grands « hub » focalisés sur quelques grandes villes du
nécessaire d’utiliser des termes dépourvus d’ambiguïté pays, connectés par un réseau secondaire reliant les
pour désigner des phénomènes différents. villes de moindre importance à ces hub principaux, à la
Second exemple : utiliser des termes dépourvus d’am- manière des rayons d’une étoile contribuant à rationali-
biguïté est nécessaire pour promouvoir des idées nou- ser l’organisation des voies aériennes. Devinez quoi :
velles. Si la terminologie est très claire, le message qui sera « hub » et « rayons » sont les termes qui ont été utilisés
retenu sera lui-même très clair. Dans le même temps que pour décrire l’organisation cérébrale. Et c’est ainsi que
précédemment où je m’efforçais d’expliquer la distinction le terme universellement utilisé de « hub », en particu-
entre émotion et sentiment, j’ai aussi proposé une hypo- lier, a remplacé avantageusement ce que j’avais décrit
thèse sur le fait que l’affect — émotions et sentiments, avec les mots « convergence » et « divergence ».
conscients ou non — intervenait, pour le meilleur ou Qui a-t-il alors dans le mot ? Évidemment beaucoup
pour le pire, dans les processus de prise de décision, et, de choses… Nommer une rose par un autre mot ne
plus encore, comment il était nécessaire de les prendre en change rien. Mais ce nouveau terme sera moins évoca-
compte dans les processus décisionnels alliant connais- teur de l’odeur de la rose. Je pense que le plus que j’ai
sance et raison pure. J’ai nommé cette proposition, hypo- rencontré dans ce domaine pour véhiculer une idée est
thèse des marqueurs somatiques2. Pourquoi utiliser le l’utilisation du terme « neurones miroirs ». Mais, ironi-
terme « somatique » ? Simplement parce que les émo- quement, les neurones miroirs dépendent des propriétés
tions modifient l’état du corps, le soma, et que les senti- de convergence-divergence des réseaux neuronaux orga-
ments prennent leur origine dans ce même corps. Et pour- nisés selon des « hub » et un système de distribution des
quoi le terme « marqueur » ? Du fait que l’état affectif du connexions utilisant des rayons à partir de ces hubs5.
corps, par simple vertu ou de par ces propriétés naturelles,
« montre » qu’il est satisfait, mécontent, ou qu’il adopte
une attitude neutre. Les gens doivent ainsi se référer à cela
et captent alors l’essentiel de l’idée à partir du terme uti-
Références
lisé pour la désigner. J’avais trouvé une niche.
Troisième illustration : je n’eus pas plus de chances 1. Damasio AR. Descartes’ Error. New York : Penguin
lorsque j’utilisai les termes « convergence » et « diver- Books, 1994.
gence » pour décrire les subtilités de l’architecture céré- 2. Damasio A, Carvalho GB. The nature of feelings:
brale, avec deux caractéristiques différentes : (a) les neu- evolutionary and neurobiological origins. Nature
rones projettent hiérarchiquement du cortex sensoriel Reviews Neuroscience 2013 ; 14 : 143-52.
primaire vers des zones corticales associatives de plus en
3. Damasio AR. The somatic marker hypothesis and
plus petites, conduisant à ce que l’information converge
the possible functions of the prefrontal cortex.
vers des territoires de plus en plus limités ; et (b) d’autres
Transactions of the Royal Society (London) 1996 ;
neurones présentent des caractéristiques strictement
351 : 1413-20.
opposées, partant des zones les plus limitées pour inner-
ver de larges territoires3. La réalité de cette organisation 4. Damasio AR. Time-locked multiregional retroacti-
anatomique dans le cortex du cerveau humain est une vation: a systems level proposal for the neural subs-
évidence. Par exemple, ce type d’organisation permet de trates of recall and recognition. Cognition 1989 ; 33 :
comprendre comment fonctionne la mémoire, en termes 25-62.
d’apprentissage et de rappel des souvenirs. Le sens des 5. Meyer K, Damasio A. Convergence and divergence
termes « convergence » et « divergence » n’est pas plus in a neural architecture for recognition and memory.
en question. Et là encore ces termes ont posé pas mal Trends in Neurosciences 2009 ; 32 (7) : 376-82.
636 3 – Cerveau et comportement
Peur et amygdale
Comme nous l’avons vu, il se trouve de nombreuses incertitudes quant aux
mécanismes de la représentation mentale des émotions. Les études en imagerie
cérébrale fonctionnelle nous donnent des informations sur les zones cérébrales
susceptibles d’être mises en jeu dans des émotions particulières. Mais ces images
ne nous disent pas comment ou quelle zone cérébrale contribue réellement au
ressenti des émotions, ou même à leur expression comportementale. Elles nous
disent tout au plus qu’une structure parmi d’autres contribue plus que ses voi-
sines à ces processus émotionnels : l’amygdale. Dès lors, même si nous allons
maintenant étudier l’implication de l’amygdale dans la peur, souvenez-vous que
d’autres structures cérébrales participent également à ce type d’émotion… et
que l’amygdale est par ailleurs impliquée dans bien d’autres états émotionnels.
Syndrome de Klüver-Bucy
Peu après la proposition de Papez d’un circuit de l’émotion dans le cerveau,
Heinrich Klüver et Paul Bucy, de l’Université de Chicago, découvrirent que
l’ablation des lobes temporaux, ou lobectomie temporale, chez les singes Rhésus
a un effet tout à fait considérable sur la réponse de l’animal confronté à une
situation de peur intense. La chirurgie produit des anomalies bizarres du com-
portement, formant le syndrome de Klüver-Bucy.
Après la lobectomie temporale, les singes présentaient une bonne percep-
tion visuelle mais se trouvaient dans l’incapacité de les reconnaître. Placés dans
un environnement nouveau, les animaux se déplaçaient pour explorer les objets
qu’ils voyaient. Les animaux opérés prenaient et exploraient chaque objet en le
touchant ou en le portant à la bouche. Ils semblaient ainsi se servir de la bouche
au lieu des yeux pour identifier chaque objet. Des morceaux de nourriture étaient
examinés de la même façon, puis avalés. Par exemple, si on présentait à un singe
affamé un groupe d’objets qu’il avait déjà vus mêlés à de la nourriture, le singe
continuait à prendre chaque objet pour l’examiner, alors que, bien entendu, un
singe affamé normal placé dans les mêmes conditions, serait allé directement à
la nourriture. Quelques animaux montraient aussi une exacerbation du compor-
tement sexuel.
Chez les singes atteints du syndrome de Klüver-Bucy, les troubles émotion-
nels se manifestaient par une diminution apparente de la peur, ainsi que de
l’agressivité. Par exemple, un singe normal à l’état sauvage évite les hommes et
certains animaux. En présence de l’expérimentateur, le singe va s’accroupir dans
un coin de sa cage et ne plus bouger ; si on s’approche, il s’enfuit dans un coin
plus sûr et peut alors adopter une posture agressive. Cette forme de peur et de
comportement ne se retrouvait pas chez les singes ayant subi des lobectomies
temporales bilatérales : non seulement les singes de l’expérience s’approchaient
et touchaient l’homme, mais ils se laissaient aussi caresser et attraper par lui. Ils
étaient devenus doux, apprivoisés et ils n’étaient plus du tout effrayés par la pré-
sence de l’homme. Les singes montraient la même audace en présence d’animaux
qu’ils craignent habituellement. Après s’être approché d’un ennemi naturel des
singes, par exemple un serpent, et après qu’il ait été agressé par ce serpent, le
singe opéré revenait pour l’examiner. On peut penser qu’il s’agit de stupidité
ou d’une perte de mémoire plutôt que de courage, mais il y a d’autres évidences
pour penser qu’il s’agit bien d’un affaiblissement des émotions. De même, les
vocalisations et les expressions de la face généralement associées à la peur étaient
significativement réduites. Il apparaissait ainsi que l’expression de la peur, tout
comme son expérience, était fortement réduite par la lobectomie temporale.
Virtuellement tous les symptômes du syndrome de Klüver-Bucy rapportés
chez le singe ont également été observés chez l’homme souffrant de lésions du
lobe temporal, et plus spécifiquement de lésions des amygdales. De plus, à côté
des problèmes de reconnaissance visuelle, des tendances orales, et d’une hyper-
sexualité, ces patients paraissent ne présenter que des réponses émotionnelles
très faibles.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 637
Anatomie de l’amygdale
L’amygdale est située dans la partie inféromédiane du lobe temporal, sous le
cortex. À cause de sa forme en amande, on lui a donné le nom d’amygdale, du
grec amugdalé, « amande ».
Chez l’homme, l’amygdale représente un complexe de plusieurs noyaux, divisé
en trois groupes : les noyaux basolatéraux, les noyaux corticomédians et le noyau
central (Fig. 18.8). Les voies afférentes de l’amygdale ont des origines très variées,
y compris le néocortex à partir de tous les lobes cérébraux, l’hippocampe et le
gyrus cingulaire. Il est particulièrement intéressant de remarquer ici que l’infor-
mation issue de tous des systèmes sensoriels converge vers les noyaux amygda-
liens, notamment les noyaux basolatéraux. Chaque système sensoriel présente une
projection particulière sur les noyaux amygdaliens, et l’intégration des informa-
tions issues des différents systèmes sensoriels est assurée par les interconnexions à
l’intérieur même de l’amygdale. L’amygdale est reliée à l’hypothalamus par deux
voies neuronales majeures : la voie ventrale amygdalofuge et la stria terminalis.
Amygdale Amygdale
Hippocampe Hippocampe
(a) Ventricule
latéral Noyaux corticomédians
Thalamus
Noyau
central
Noyaux
basolatéraux
Néocortex
Troisième Amygdale
ventricule Hypothalamus
(b)
Figure 18.8 – Représentation de l’amygdale.
(a) Vues latérale et médiale du lobe temporal montrant l’emplacement de l’amygdale, par rapport
à l’hippocampe. (b) Vue en coupe frontale, au niveau de l’amygdale. Les noyaux basolatéraux (en
rouge) reçoivent des informations visuelles, auditives, gustatives et tactiles. Les noyaux cortico
médians (en violet) reçoivent des afférences olfactives.
638 3 – Cerveau et comportement
du visage. Lorsque l’amygdale est lésée, cette interaction n’est plus possible et les
mouvements des yeux anormaux de S.M. ne lui permettent pas de reconnaître
l’expression de la peur.
Si l’ablation de l’amygdale diminue l’expression et la reconnaissance de la
peur, que se passe-t-il si on stimule électriquement cette structure cérébrale ?
Selon le site, la stimulation de l’amygdale peut entraîner un état de vigilance
et d’attention plus intense. Chez le chat, la stimulation de la partie latérale de
l’amygdale peut susciter un mélange de peur et de violente agressivité, et chez
l’homme la stimulation de l’amygdale conduit à un sentiment d’anxiété et de (a)
peur. Ainsi, de façon non surprenante, dans le cadre des théories avancées pour
rendre compte des troubles liés à l’anxiété, l’amygdale occupe une place centrale,
comme nous le verrons dans le chapitre 22.
Les données de l’imagerie cérébrale fonctionnelle démontrent que l’activité
de l’amygdale est bien en rapport avec le traitement des émotions, et en par-
ticulier de la peur comme cela apparaît à la figure 18.6. Dans une expérience
récente effectuée par Breiter et ses collaborateurs, les sujets sont placés dans un
dispositif permettant d’étudier l’activité cérébrale par IRMf, et exposés à des
stimuli représentés par des photographies de visages exprimant la joie, la peur,
ou n’exprimant aucun sentiment (Fig. 18.9a). La mesure de l’activité cérébrale (b)
révèle que, dans les conditions de présentation de visages exprimant la peur,
l’activité de l’amygdale augmente considérablement par rapport à la présenta-
tion du stimulus neutre (Fig. 18.9b). L’activation de l’amygdale est spécifique
de la présentation de la peur puisque aucune différence d’activité n’est détectée
entre la présentation d’un stimulus neutre ou d’un visage heureux (Fig. 18.9c).
D’autres études ont démontré des activations de l’amygdale en réponse à l’ex-
pression faciale d’émotions diverses, telles que la joie, la tristesse ou encore la
colère. Le rôle que joue l’amygdale dans ces émotions diverses n’est pas encore
tout à fait compris, mais tout converge pour laisser penser que l’amygdale joue
un rôle essentiel pour détecter les stimuli créant des craintes et des peurs. (c)
Noyau
central
Réponse du système
Hypothalamus
autonome
Noyaux basolatéraux
Substance
Réponse
grise
comportementale
périaqueducale
Cortex
somatosensoriel
Décharge électrique
Cortex Expérience
cérébral émotionnelle
Amygdale
Cortex
Son
auditif
Dans une autre expérience utilisant cette fois l’imagerie par tomographie
par émission de positrons (TEP), Hamann et ses collaborateurs présentaient des
séries de clichés aux sujets placés dans le dispositif d’enregistrement de l’activité
cérébrale. Certaines de ces images étaient de caractère agréable (animaux sym-
pathiques, clichés érotiques, nourriture appétissante, etc.) ; certaines étaient au
contraire effrayantes, (animaux venimeux, corps mutilés, scènes violentes, etc.) ;
d’autres enfin étaient de caractère neutre (paysages, plantes, etc.). Les stimuli
déclenchant des réponses émotionnelles pouvaient être appréciés par la mesure
des changements physiologiques intervenant dans la fréquence cardiaque, ou la
conductance électrodermale. Par rapport aux objets neutres, les stimuli agréables
comme ceux qui sont désagréables, produisaient des réponses comportementales
telles que l’accélération de la fréquence cardiaque ou encore un changement de
résistance cutanée. Dans ce cas, des changements d’activité concomitants pou-
vaient être perçus dans l’activité de l’amygdale, qui se trouvait augmentée. Ces
mesures confirment alors le rôle de l’amygdale dans le traitement des processus
émotionnels, ce que nous avons déjà établi. Dans une seconde phase de l’expé-
rience, les sujets étaient de nouveau placés dans le dispositif d’enregistrement Figure 18.11 – Activation de l’amygdale
par TEP et des séries d’images étaient présentées, comme précédemment. Les associée à une mémoire émotionnelle.
sujets devaient alors dire qu’elles étaient selon eux les images qui leur avaient Les sujets sont placés dans un dispositif de
déjà été présentées lors de la première série de tests. Comme cela était attendu, mesure d’activité cérébrale par émission de
les sujets se remémoraient mieux les clichés à composante émotionnelle, que positrons. Des photographies de visages
ceux représentant des stimuli neutres. Dans ce cas, le souvenir pour ces photos à inexpressifs ou représentant des états émo-
charge émotionnelle était corrélé à une activation de l’amygdale (Fig. 18.11), les tionnels sont présentées aux sujets. Quelques
stimuli neutres n’évoquant aucun souvenir ni aucune activation particulière des minutes plus tard, des séries d’images sont
structures cérébrales. à nouveau présentées, parmi lesquelles
certaines étaient déjà connues du sujet,
présentées pendant la première partie de
l’expérience, et d’autres étaient nouvelles.
Le souvenir des visages exprimant les états
émotionnels se traduit alors par une réponse
Colère et agressivité cérébrale accrue (couleur jaune), détectable
dans l’amygdale. (Source : Hamann et al.,
1999.)
La colère représente une émotion de caractère fondamental. Elle a de nom-
breuses causes : la frustration, le sentiment d’être blessé, le stress, etc. L’agressivité
n’est pas une émotion mais représente l’une des possibles expressions compor-
tementales de la colère. Ainsi l’alcoolisation peut être source de colère et se tra-
duire par un coup-de-poing porté à une personne sans plus de raison. Dans des
études réalisées chez l’homme, l’agressivité et ce sentiment que nous nommons
la colère peuvent être parfaitement distingués ; et il est facile de demander à
quelqu’un s’il est en colère, même s’il ne l’exprime pas. Comme nous l’avons
déjà évoqué, l’abord des émotions est plus difficile chez les animaux, car nous ne
sommes pas à même de les questionner sur leur état, nous ne pouvons que mesu-
rer l’expression comportementale de ces sentiments. Nous pouvons seulement
inférer que l’animal est en colère du fait de son comportement agressif matéria-
lisé, par exemple, par des vocalisations sonores, une expression facile ou encore
une posture procédant de la préparation à l’attaque. Dès lors, chez l’animal ces
deux aspects doivent être discutés de concert.
Amygdale et agressivité
L’agressivité comme trait de caractère, et les actes d’agression violente, sont
perçus chez l’homme avec quelque ambiguïté. Pour lui, par exemple, le meurtre
est un délit capital, mais le fait de tuer à la guerre n’est pas seulement admis-
sible, mais honorable. Il est ainsi clair que l’agressivité prend différentes formes
chez l’homme. Chez l’animal aussi différents types d’agression sont reconnus.
Par exemple, l’animal manifeste son agressivité envers un autre pour plusieurs
raisons : il peut tuer pour se nourrir, pour défendre ses petits, pour conquérir
un partenaire, ou encore pour effrayer un adversaire potentiel. Bien qu’il n’y ait
pas vraiment de preuves, il semble ainsi que différents modes d’agression sont
régulés de façon différentielle par le système nerveux.
642 3 – Cerveau et comportement
Encadré 18.4 FOCUS
Lobotomie frontale
Depuis les découvertes de Klüver, Bucy et bien
d’autres, montrant que les lésions du cerveau peuvent
altérer le comportement émotionnel, les cliniciens ont
tenté d’utiliser la chirurgie pour traiter les troubles
graves du comportement humain. Aucune opération n’a
été aussi couverte par les média que la lobotomie fron-
tale. Que ce soit dans des ouvrages de science-fiction,
ou des chants de punk rock, l’histoire parle d’opérations
modifiant la personnalité. Aujourd’hui il est difficile
d’imaginer que la destruction d’une grande partie du
cerveau ait pu avoir un but thérapeutique, mais, en 1949
le prix Nobel de médecine fut attribué au Dr Egas
Moniz pour le développement de la lobotomie frontale.
Il est encore plus étrange de savoir qu’un de ses patients
a tiré sur Egas Moniz, qui a été atteint à la colonne ver-
tébrale et est resté partiellement paralysé — tragédie ou
simple justice, selon les points de vue. On ne pratique
plus de lobotomies, mais des dizaines de milliers ont été
effectuées après la Seconde Guerre mondiale. Figure A
La lobotomie avait peu de bases théoriques. Dans les
années 1930, John Fulton et Carlyle Jacobsen, de l’Uni-
versité de Yale, ont montré que les lésions du lobe fron- y compris des états de psychose, de dépression et de
tal avaient un effet apaisant sur les chimpanzés. On pen- diverses névroses. Les patients rapportaient que la
sait que cet effet provenait de la destruction de structures chirurgie les avait délivrés de l’anxiété et de leurs idées
limbiques, et en particulier des connexions avec le cortex insupportables. Plus tard seulement, on parla de résul-
frontal et cingulaire. Moniz proposa que les ablations du tats plus inquiétants. Si le QI et la mémoire ne subis-
cortex frontal puissent être efficaces pour traiter les saient pas d’altérations majeures du fait de cette loboto-
maladies psychiatriques. mie frontale, des modifications apparemment associées
Une variété effrayante de techniques a été utilisée au système limbique contribuaient à émousser les
pour pratiquer des lésions dans le lobe frontal. Avec la réponses émotionnelles et affectaient la composante
technique décrite sous le nom de lobotomie transorbi- émotionnelle du raisonnement. De plus, on constata
tale (Fig. A) la méthode devint routinière. Un bistouri souvent que les personnes lobotomisées développaient
particulier désigné comme « leucotome », représentant un « comportement inadapté » ou une diminution appa-
une tige d’acier d’environ 12 cm de long, était introduit rente des valeurs morales. Comme Phineas Gage, les
à travers la fine paroi osseuse du sommet de l’orbite. patients avaient beaucoup de mal à faire des projets et à
En faisant tourner le manche latéralement, on détruisait les réaliser, présentaient des difficultés à se concentrer, et
alors les cellules et les voies nerveuses. Des milliers de étaient facilement distraits.
gens ont subi ce type de lobotomie car il était si simple Enfin, compte tenu de nos modestes connaissances
qu’on pouvait le pratiquer dans le cabinet du médecin ! sur les mécanismes nerveux de l’émotion et des autres
Avec cette technique, dénommée « la chirurgie du pic à fonctions du cerveau, rien ne justifiait la destruction
glace », le chirurgien ne voyait pas ce qui était détruit, d’une aussi grande partie du cerveau. Heureusement, le
mais cela ne laissait pas de cicatrice. traitement par la lobotomie fut rapidement délaissé, et
On sait que la lobotomie frontale avait des résultats les thérapies médicamenteuses d’aujourd’hui sont utili-
positifs sur des personnes présentant certains troubles, sées en priorité dans les troubles émotionnels graves.
644 3 – Cerveau et comportement
Cortex
cérébral
Faisceau longitudinal
dorsal Cortex cérébral
Substance
grise périaqueducale
Amygdale
Comportement
(a) (b) d’agressivité
Conclusion
Nous savons tous ce que représentent les émotions, ces sentiments que nous
nommons joie, tristesse, etc. Mais que représentent réellement ces sentiments ?
Comme cela a été formalisé par les quelques théories majeures évoquées, il existe
encore de nombreuses incertitudes quant à la réalité de ces théories. Plus de cent
ans après la proposition de James-Lange, de nombreuses controverses persistent
sur la question de savoir si ce sont les émotions qui induisent les changements
comportementaux, ou si ce sont ces changements qui induisent les émotions.
Nous savons, à partir des études d’imagerie cérébrale fonctionnelle, que les
émotions sont associées avec de très larges modifications de l’activité cérébrale.
Quelques-unes des structures impliquées sont manifestement des régions céré-
brales appartenant au système limbique. Mais de nombreuses autres structures
n’en font pas partie. Ainsi, y compris avec ces méthodes sophistiquées d’étude
de l’activité cérébrale en rapport avec différents états émotionnels par imagerie,
identifier les mécanismes neuronaux de l’émotion reste une tâche difficile. Nous
ne savons pas, en fait, lesquelles des structures cérébrales qui sont activées sont
responsables des sentiments. Est-ce le fait des zones ainsi activées, ou quelque
chose d’autre ? Parmi ces structures, certaines sont-elles spécifiquement mises
en jeu dans des types d’émotions particulières ? Ou, de façon plus générale, en
rapport avec les processus émotionnels dans leur ensemble ? Dans ce cas pou-
vons-nous aussi considérer que l’expression des sentiments est en rapport avec
telle ou telle activation cérébrale, ou bien est-ce que les sentiments représentent
plutôt des sensations émergentes basées sur la combinaison de la mise en jeu de
réseaux de neurones, sans relation directe avec l’émotion elle-même ?
Dans ce chapitre, nous nous sommes focalisés sur quelques structures céré-
brales contribuant à l’évidence aux processus émotionnels, comme le montre les
données convergentes des études de lésion, de stimulation ou encore d’imagerie
cérébrale fonctionnelle. Les expériences émotionnelles sont le résultat d’inter
actions complexes entre les stimuli sensoriels, les réseaux nerveux, l’expérience
passée et l’activité de neurotransmetteurs divers. Au regard de cette complexité,
il n’est donc pas surprenant de constater que les hommes puissent exprimer un
très large spectre de troubles émotionnels et de l’humeur, comme nous ne verrons
dans le chapitre 22.
Lorsque nous pensons aux mécanismes des processus émotionnels, il nous
faut avoir à l’esprit que les structures cérébrales apparemment impliquées dans
ces processus peuvent avoir également d’autres fonctions. Longtemps après que
Broca ait défini le lobe limbique, il a été admis que celui-ci participait aux pro-
cessus olfactifs. Et même si notre perspective a changé quant à la fonction de ces
zones, il n’en reste pas moins vrai que différentes régions impliquées dans le trai-
tement des informations olfactives sont considérées comme faisant partie du sys-
tème limbique. Nous verrons dans le chapitre 24 que certaines de ces structures
sont également impliquées dans les processus mnésiques et d’apprentissage. Les
émotions représentent des expériences quelque peu insaisissables qui influencent
notre cerveau et nos comportements de nombreuses façons, de telle manière
qu’il paraît logique de considérer que le traitement des émotions est étroitement
associé à celui de nombreuses autres fonctions.
QUESTIONS DE RÉVISION
3. Que faut-il faire pour provoquer une réaction de rage anormale chez
un animal de laboratoire ? Comment sait-on que l’animal ressent de
la colère ?
4. Quels changements Klüver et Bucy ont-ils observé après une lobec-
tomie temporale ? Parmi les nombreuses structures anatomiques
enlevées, quelle est celle qui semble avoir le plus de rapport avec les
modifications de l’humeur ?
5. Pourquoi l’ablation bilatérale de l’amygdale sur le mâle dominant
d’un groupe de singes le ramène-t-elle à un rang inférieur ?
6. Sur quelles hypothèses concernant les structures limbiques se fonde le
traitement chirurgical des troubles émotionnels ?
7. La fluoxétine (Prozac®) est un inhibiteur du mécanisme de recapture
de la sérotonine, au niveau synaptique. Comment ce médicament
est-il à même de modifier le niveau d’anxiété et d’agressivité chez les
personnes qui en consomment ?
8. Quels sont les éléments qui distinguent les théories des émotions
fondamentales de celles qualifiées de dimensionnelles et du domaine
de la psychologie constructionniste ?
9. En quoi diffèrent les « patterns » d’activation cérébrale relatifs à la
tristesse et à la peur ?
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650 3 – Cerveau et comportement 650
ÉLECTRO-
ENCÉPHALOGRAMME
Enregistrement des ondes cérébrales.................................................. 652
Rythmes de l’EEG............................................................................... 655
Encadré 19.1 Les voies de la découverte Le puzzle des rythmes
du cerveau,
par Stéphanie R. Jones
Mécanismes et signification de l’activité rythmique du cerveau............ 659
Crises d’épilepsie................................................................................ 661
SOMMEIL
États fonctionnels du cerveau............................................................. 664
Cycle veille-sommeil............................................................................ 665
Encadré 19.2 Focus Marcher, parler et gémir pendant le sommeil !
Pourquoi dormons-nous ?.................................................................. 668
Encadré 19.3 Focus La plus longue journée d’éveil
Fonctions du rêve et du sommeil paradoxal........................................ 670
Mécanismes neuronaux du sommeil.................................................... 672
Encadré 19.4 Focus Narcolepsie
RYTHMES CIRCADIENS
Horloges biologiques.......................................................................... 680
Une horloge dans le cerveau : le noyau suprachiasmatique.................. 683
Encadré 19.5 Focus Les horloges des hamsters mutants
Mécanismes du noyau suprachiasmatique........................................... 686
CONCLUSION
INTRODUCTION
T
out notre environnement sur la terre est fait de rythmes. La température,
les précipitations, et la lumière du jour, varient avec les saisons ; la lumière
et l’obscurité se succèdent chaque jour ; la marée monte et descend. Pour
s’adapter, et donc pour survivre, le comportement d’un animal doit respecter les
cadences de son environnement. Pour réaliser cet objectif, le cerveau a développé
divers systèmes de contrôle de l’activité rythmique. Le sommeil et l’éveil sont les
comportements périodiques les plus marquants, mais certaines activités dont le
rythme est contrôlé par le cerveau, telle l’hibernation et bien d’autres, présentent
de plus longues périodes, alors que d’autres, comme le cycle respiratoire, le pas
dans la marche, les phases répétitives d’une nuit de sommeil, ou les rythmes
électriques du cortex cérébral, ont des périodes beaucoup plus courtes. Si le rôle
de certains de ces rythmes est clair, il est plus obscur pour d’autres, et certains
rythmes sont pathologiques.
Dans ce chapitre, nous étudierons quelques-uns de ces rythmes cérébraux,
en commençant par ce qui est rapide, pour aller vers ce qui est plus lent. Le cer-
veau antérieur, et plus particulièrement le cortex cérébral, produit une activité
électrique dont on peut facilement mesurer les rythmes rapides, qui est en cor-
rélation avec certains comportements intéressants, y compris le sommeil. Nous
parlerons de l’électroencéphalographie ou EEG, représentant une méthode
classiquement utilisée pour enregistrer l’activité électrique du cerveau, essen-
tielle dans l’étude du sommeil. L’analyse du sommeil sera particulièrement
développée, car il s’agit d’un état complexe, qui est une de nos préoccupa-
tions. Puis suivra une présentation plus brève de ce que l’on sait aujourd’hui
sur les horloges qui régulent l’élévation ou la diminution de nos sécrétions
hormonales, de la température du corps, de la vigilance, et plus généralement
des variations du métabolisme. Les fonctions physiologiques du corps varient
presque toutes avec les cycles quotidiens appelés rythmes circadiens. Les hor-
loges qui contrôlent les rythmes circadiens se trouvent dans le cerveau ; elles
sont réglées par la lumière du jour au travers du système visuel, et agissent
profondément sur notre état de santé et notre bien-être.
652 3 – Cerveau et comportement
Électroencéphalogramme
Souvent l’étude de la forêt est assurément plus intéressante que celle des
arbres… De même, il est le plus souvent moins déterminant d’observer l’activité
de neurones individuels plutôt que celle d’une large population de neurones, pour
en tirer des leçons sur le fonctionnement du cerveau. L’électroencéphalogramme
(EEG) correspond à la mesure de l’activité électrique recueillie à la surface du
scalp, qui reflète celle du cortex cérébral sous-jacent. Les travaux du physiolo-
giste anglais Richard Caton, en 1875, sont à l’origine de l’EEG. Caton réalisa des
enregistrements électriques à la surface du crâne de lapins et de chiens, au moyen
d’électrodes faites de fil électrique et de longues lanières qui jetaient des ombres
mouvantes sur le mur pour traduire les émissions électriques. Mais c’est bien le
psychiatre autrichien Hans Berger qui décrivit le premier l’EEG chez l’homme,
en 1929. Berger découvrit que les tracés d’EEG enregistrés pendant l’éveil et le
sommeil étaient nettement différents. La figure 19.1 illustre l’un des tout pre-
miers enregistrements publié à cette époque et enregistré chez son fils Klaus
âgé de 15 ans. Aujourd’hui, l’EEG est essentiellement utilisé pour le diagnostic
de certains états pathologiques, particulièrement les crises d’épilepsie, et dans
la recherche, spécialement pour l’étude des différents stades du sommeil et des
corrélats électrophysiologiques de certains processus cognitifs pendant l’éveil.
EEG
Cz
Droite
A2 Amplificateur
C3
F3 P3
Fp1 T4
T3 F8 T6
F7 T5
O1
Fp2 F4 C4 P4 O2
Cz 50 µV
F3 C3 P3 O1
Fp1
F7 1s
T3 T5
A1
Gauche
Amplificateur d’EEG
–
+
Électrodes d’EEG
Scalp
Crâne
Dure-mère
Arachnoïde
Espace
subarachnoïdien
Pie-mère
–
–
Synapses actives
– –
Axone afférent
+ +
+ +
+ +
Axone
efférent
Figure 19.4 – Champs électriques générés par les courants synaptiques au niveau des cellules pyramidales.
Dans ce cas, la synapse se trouve dans la partie supérieure de la région dendritique. Quand l’axone afférent est activé, la terminaison axonique libère
son neurotransmetteur, le glutamate, conduisant à l’ouverture de canaux cationiques. Des courants entrants positifs pénètrent dans la dendrite, ce qui
rend le milieu extracellulaire légèrement négatif. Le courant diffuse à partir de la dendrite vers le soma du neurone et l’extérieur de la cellule, faisant
alors que le milieu extracellulaire est à ce niveau légèrement positif. L’électrode d’EEG (mesurant des courants par rapport à une seconde électrode du
même type située à une certaine distance) perçoit le signal généré par le dipôle électrique, au travers des différentes couches de tissu qui la séparent
du neurone activé. Ce n’est alors que si des milliers de cellules corticales sont activées en même temps que le signal atteint une valeur suffisante pour
être détecté à la surface du scalp (notez que, par convention, les signaux négatifs de l’EEG sont représentés par des signaux évoluant vers le haut).
654 3 – Cerveau et comportement
Décharge irrégulière
Électrode d’EEG
1
2
3
4
5
6
Sommation
= EEG
(b)
Décharge synchronisée
1
3
1 6 2
3
4
4
2 5
5
6
Sommation
= EEG
(a) (c)
Figure 19.6 – Magnétoencéphalographie (MEG).
(a) Photographie illustrant un dispositif d’enregistrement par MEG. (b) Le minuscule signal
magnétique produit par les neurones du cerveau est détecté par une série de 150 capteurs très
sensibles. (c) Les chercheurs utilisent ce signal pour calculer la source de l’activité neuronale,
retranscrite par un code de couleur sur cette image. (Source : partie a : http://infocenter.nimh.
nih.gov/il/public_il/image_details.cfm?id=80 ; parties b et c : Los Alamos National Laboratory.)
(a)
produit par les neurones au milieu de ce « bruit magnétique » qui nous entoure
est un peu comme tenter de capter les bruits de pas de quelqu’un qui s’approche
dans un concert de rock ! Cela est cependant aujourd’hui possible, en se plaçant
dans une pièce isolée du champ magnétique parasite, et en utilisant un appa-
reil extrêmement onéreux susceptible de capter les champs magnétiques les plus
faibles à l’aide de détecteurs particuliers placés notamment dans un environne-
ment d’hélium liquide, à – 269 °C (Fig. 19.6).
Les enregistrements par MEG sont complémentaires de ceux effectués avec
d’autres types de dispositifs permettant d’apprécier l’activité cérébrale chez
l’homme. La MEG présente une meilleure
(b) (c) résolution spatiale que l’EEG pour
localiser les sources des signaux, en particulier lorsqu’il s’agit de neurones situés
sous la surface corticale. Comme l’EEG, la MEG permet d’enregistrer des
signaux rapides, qui sont bien trop rapides pour être détectés par IRMf ou par
TEP (voir Encadré 7.3). Toutefois, la MEG ne donne pas une résolution spatiale
aussi bonne que celle de l’IRMf mais, comme l’EEG, elle donne un index direct
de l’activité neuronale alors que IRMf et TEP détectent des changements du
flux sanguin ou de métabolisme qui accompagnent l’activation cérébrale mais
peuvent être influencés par d’autres facteurs. La MEG trouve ses principales
applications pour l’étude des fonctions cognitives, par exemple, ou pour aider au
diagnostic de l’épilepsie ou des troubles du langage (Encadré 19.1).
Rythmes de l’EEG
Les rythmes de l’EEG varient fortement et sont corrélés à des comportements
particuliers (tels que le niveau attentionnel, de sommeil, ou d’éveil) ou des états
pathologiques (crises épileptiques ou coma). La figure 19.7 montre une partie
d’un EEG normal. Le cerveau peut générer des rythmes qui sont soit très lents,
de l’ordre de 0,05 Hz, soit très rapides, atteignant 500 Hz et plus. Les rythmes
enregistrés sont classés selon leur bande de fréquence, et chaque bande porte le
nom d’une lettre grecque. Les rythmes delta (δ) sont lents, inférieurs à 4 Hz et
sont souvent de grande amplitude. Ils sont typiques du sommeil profond. Les
rythmes thêta (τ) présentent une fréquence de 4 à 7 Hz et peuvent être détectés
soit pendant le sommeil, soit pendant la veille. Les rythmes alpha (α) ont une
fréquence située entre 8 et 13 Hz et sont présents principalement dans les aires
occipitales du cortex. Ils sont associés avec des états de quiétude pendant l’éveil.
656 3 – Cerveau et comportement
J’ai toujours aimé un bon puzzle… Et la MEG et surtout des principes de l’élec-
quel meilleur puzzle y aurait-il que de tenter tromagnétique qui sous-tendent le recueil
de comprendre comment notre cerveau des données à partir du cerveau. J’ai ainsi
forme ses perceptions et prépare ses appris que les signaux qui parcourent les
actions ? Mais ce n’est pas ce puzzle que j’ai longues dendrites des neurones pyramidaux
choisi au moment où j’ai débuté ma car- sont les principaux générateurs des signaux
rière. En fait, ma nature analytique m’a électromagnétiques enregistrés. J’ai appris
poussée initialement à préparer une thèse de plus que les neurones pyramidaux du
en mathématiques à l’Université de Boston. cortex somatosensoriel primaire sont idéa-
J’avais envisagé d’étudier les mathéma- Stephanie R. Jones lement disposés pour produire des signaux
tiques de la théorie du chaos. Mais, comme MEG lors de tapotements sur les doigts, à la
cela est très fréquent, j’ai bifurqué vers d’autres centres condition de se placer dans la zone de la représentation
d’intérêt de façon totalement inattendue. Pendant l’an- de la main dans ce cortex S1. Ceci nous a permis d’effec-
née de mon master, la mathématicienne Nancy Kopell a tuer de nombreuses études sur les générateurs des
créé un centre de recherche sur la biodynamique, dont rythmes cérébraux.
l’un des axes de recherche était d’appliquer les théories Comme dans tous les enregistrements MEG (et
des systèmes dynamiques à l’étude des phénomènes bio- EEG), les activités dominantes de S1 sont représentées
logiques, incluant les neurosciences. Après avoir assisté par des rythmes de basse fréquence et de grande ampli-
à quelques séminaires de neurosciences, j’ai compris que tude, incluant les rythmes bêta de 15 à 29 Hz. Nous
c’était à ce puzzle-là que je souhaitais m’attaquer ! Pour avons ainsi découvert que lorsqu’un sujet dirige son
mon bonheur, Nancy m’a prise pour étudiante et j’ai attention vers son doigt avant qu’il n’effectue la tâche
entrepris d’utiliser les mathématiques pour aborder les motrice, le rythme bêta de l’aire de la main de S1 tend à
activités rythmiques du cerveau dans des modèles sim- diminuer par comparaison à ce qu’il se passe lorsque
plifiés de réseaux neuronaux, comme par exemple le son attention est dirigée ailleurs. L’augmentation de l’at-
générateur central qui commande la nage chez l’écre- tention pour la tâche motrice et la réduction des rythmes
visse. Alors que je terminais mon doctorat en mathéma- bêta étaient alors corrélées à une meilleure capacité du
tiques, je devenais passionnée par les neurosciences et sujet à détecter une légère tape sur le doigt. Nos résultats
je décidais d’appliquer mes connaissances pour com- étaient en accord avec d’autres obtenus sur le cortex
prendre la dynamique du cerveau humain. J’avoue que visuel, suggérant que les rythmes bêta pourraient consti-
j’étais loin de savoir combien de pièces comprenait ce tuer un signal de processus inhibiteurs intervenant dans
puzzle ! les aires sensorielles du cortex. Mais pourquoi ? Qu’en
Dans la décennie qui a suivi, j’ai abordé le fonction- est-il de ces rythmes qui les relient à une réduction de la
nement du cerveau humain au travers de la magnétoen- perception sensorielle ? Et pourquoi, dans des condi-
céphalographie (MEG) dans le centre d’imagerie du tions telles que celles de la maladie de Parkinson, ces
Massachusetts General Hospital à Boston (MGH). J’y ai rythmes sont-ils exagérément présents dans le cortex
rencontré de fabuleux mentors et de nombreux collè- moteur avec pour corrélat une réduction des capacités
gues. Mon plus proche collègue à ce moment-là fut le motrices ?
neurophysiologiste Chris Moore, qui était également Pour aller plus loin et répondre à ces questions je suis
post-doctorant au MGH. Chris m’a convaincue que les revenue à mes bases en mathématique, et j’ai entrepris
neurosciences devaient être abordées tout en nuance, et de construire un modèle neuronal computationnel pour
que les systèmes sensoriels représentaient une forme de tenter d’appréhender l’origine de ces rythmes. Mes pre-
puzzle idéal du fait de cette organisation topographique miers travaux m’avaient fourni des bases solides pour
corticale représentée par l’homonculus (voir Fig. 12.19). comprendre comment des rythmes stables pouvaient
En utilisant la MEG, nous avons commencé à nous inté- émerger de circuits neuronaux. Cependant, après pas
resser à la perception tactile en utilisant un protocole de mal d’essais utilisant des modèles mathématiques sim-
détection des effets d’une stimulation légère d’un doigt plifiés de la représentation de ces circuits, je réalisais que
chez des sujets humains. La notion selon laquelle ce sys- ces modèles seuls ne pouvaient reproduire des signaux
tème était idéal était quelque peu fortuite, comme nous correspondant à ceux des enregistrements. C’est alors
l’a révélé de façon surprenante le physicien Matti que je me suis intéressée aux travaux pionniers de Yoshio
Hämäläinen, directeur du centre d’imagerie. Matti m’a Okada, qui combinaient des approches expérimentales
tout appris des bases de l’enregistrement des données de et de modélisation mathématique pour analyser les
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 657
signaux de la MEG, générés par les neurones pyrami- l’expérience. Cette découverte était extrêmement exci-
daux. Avec mes propres connaissances de la biophysique tante puisque le modèle mathématique devenait prédic-
des signaux MEG, j’ai construit des modèles beaucoup tif des résultats de l’expérimentation. Dès lors le puzzle
plus complexes qui incluaient des détails de la structure commençait à prendre tout son sens !
des neurones pyramidaux et d’autres neurones corti- La bonne concordance des résultats prédits par le
caux. Cela m’a pris plusieurs années, y compris la nais- modèle et des enregistrements nous a alors confortés
sance du premier de mes trois enfants. dans la fiabilité de la prédiction des mécanismes par
À ma grande satisfaction, ce type de modèle com- lesquels les neurones génèrent les rythmes bêta. Plus
plexe conduisait à des prédictions non intuitives des encore, le modèle suggérait comment les rythmes
mécanismes de production des activités rythmiques. De influencent les fonctions du cerveau. Au travers d’une
façon plus précise, ils prédisaient que les rythmes bêta collaboration qui n’a jamais cessé avec Chris Moore
émergent de l’intégration de deux types d’input synap- et d’autres neurophysiologistes et neurochirurgiens,
tique, qui sont globalement synchrones et qui condui nous avons entrepris de tenter de découvrir des
sent à l’excitation de différentes régions des dendrites modèles prédictifs des enregistrements d’activité neu-
des neurones pyramidaux. Ces inputs synaptiques ronale. Il est alors possible que nos modèles diffèrent
déclenchent des courants qui alternent dans les den- quelque peu de ce que nous apprend l’activité neuro-
drites pour reproduire les rythmes, parfaitement en nale. Mais grâce à ces approches pluridisciplinaires,
accord avec ce que nous enregistrions. Le modèle repro- je suis convaincue qu’il est possible de construire des
duisait non seulement la plupart des caractéristiques des ponts nous permettant de mieux comprendre la rela-
rythmes bêta de S1, mais suggérait aussi la façon dont tion entre les décharges neuronales et les fonctions
les rythmes influencent la perception sensorielle. C’est cérébrales. Résoudre le puzzle des rythmes cérébraux
ce que j’ai testé par des enregistrements ultérieurs et à constitue dès lors un objectif extrêmement excitant et
ma grande surprise les prédictions étaient vérifiées par au long cours.
50 µV
Rythmes α Rythmes β
Position
des électrodes
Les rythmes mu (μ) sont de fréquence similaire à celle des rythmes α, mais sont
d’amplitude importante au-dessus des aires motrices et somatosensorielles. Les
rythmes gamma (γ) sont parmi les plus rapides, de l’ordre de 30 à 90 Hz et attestent
d’une activation corticale ou d’un état d’attention soutenue. D’autres catégories
de rythmes incluent les fuseaux du sommeil, représentant des oscillations plutôt
lentes de 8 à 14 Hz associées à des états de sommeil, et des ondulations de très
courte durée, de fréquence de 80 à 200 Hz. L’une des caractéristiques intéres-
santes de ces rythmes liés à l’EEG est qu’ils sont remarquablement constants
chez tous les mammifères, de la souris à l’homme, en dépit de différences consi-
dérables de masse respective du cerveau, allant de 1 à 17 000 (Fig. 19.8).
658 3 – Cerveau et comportement
Complexe K
(a) 10 s 350 ms
Mouton
1000 Chauve-souris Babouin
Gerboise Rat Lapin Chien Chimpanzé
Thêta
1 Lent 1
0,1 Lent 3
Figure 19.8 – Représentations des rythmes EEG chez plusieurs espèces animales et chez l’homme.
Exemples de rythme alpha, de fuseaux et de grandes ondes enregistrés chez l’homme, le macaque, le chat, le lapin et le
rat. Notez l’échelle de temps calibrée sur 10 s pour le rythme alpha et les fuseaux du sommeil. (b) Relation établie entre
le poids du cerveau et la fréquence moyenne de chaque type de rythme EEG chez les différentes espèces. Chaque ligne
de couleur illustre la fréquence moyenne d’un type de rythme enregistré chez quelques espèces (l’absence de résultat
pour un rythme donné ne signifie pas que cette espèce n’exprime pas ce rythme). Remarquez combien les propriétés
des rythmes varient très peu en dépit de la variété des espèces et de la taille de leur cerveau. (Source : Buzsáki et al.,
2013.)
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 659
L’interprétation d’un EEG ne dira jamais ce que pense une personne, mais
elle peut nous aider à dire si une personne est en train de penser. Généralement,
les rythmes de haute fréquence et de faible amplitude sont associés à la vigilance
et à l’éveil, ou aux phases de rêve du sommeil. Les rythmes de basse fréquence et
de grande amplitude, correspondent aux phases du sommeil sans rêve, ou à l’état
pathologique du coma. Ceci paraît logique car, au moment où le cortex se trouve
le plus engagé dans l’analyse de l’information provenant d’un influx sensoriel ou
d’un processus interne (éveil), l’activité des neurones corticaux est relativement
élevée, mais aussi relativement peu synchronisée. En d’autres termes, chaque
neurone individuel, ou chaque petit groupe de neurones, est vigoureusement
impliqué dans un des aspects légèrement différents d’une tâche cognitive ; il
décharge rapidement, mais pas tout à fait simultanément avec les neurones voi-
sins. Le degré de synchronisation est donc faible, ainsi que l’amplitude de l’EEG,
avec des ondes γ et β dominantes. En revanche, pendant le sommeil profond, les
neurones corticaux ne sont pas impliqués dans le traitement de l’information,
et beaucoup d’entre eux sont périodiquement stimulés par le même influx lent
et rythmique. Dans ce cas, la synchronisation est forte et l’amplitude de l’EEG
élevée.
Afférence Neurone Neurone Dans le cerveau des mammifères, l’activité synchrone, rythmique, est géné-
excitatrice excitateur inhibiteur ralement coordonnée par la combinaison du mécanisme du générateur central
active
en permanence
et de la méthode collective. Le thalamus, qui envoie massivement des informa-
tions à tout le cortex, peut représenter un pacemaker puissant et, dans certaines
conditions, les neurones thalamiques génèrent des décharges très rythmiques
(Fig. 19.11). Mais d’où proviennent les oscillations enregistrées du potentiel de
membrane ? Quelques cellules thalamiques présentent un ensemble particulier
de canaux ioniques dépendants du potentiel, qui permet à chacune d’entre elles
d’émettre des décharges rythmiques, y compris en l’absence d’influences exté-
rieures à la cellule. La synchronisation de l’activité rythmique de chaque neurone
du pacemaker thalamique avec celles de nombreuses autres cellules thalamiques
se fait par un mécanisme d’association, semblable à celui du battement des mains.
Les connexions synaptiques existant entre les neurones thalamiques excitateurs
et inhibiteurs obligent chaque neurone à ajuster sa propre décharge au rythme de
l’ensemble des neurones. Ces rythmes coordonnés sont alors transmis au cortex
par les projections thalamocorticales, qui excitent les neurones corticaux. Ainsi,
une population de cellules thalamiques relativement limitée (jouant le rôle de
l’entraîneur) oblige un groupe beaucoup plus important de cellules corticales
(représentant l’orchestre) à « marcher » à la mesure thalamique (Fig. 19.12).
Certains rythmes cérébraux ne dépendent pas du générateur thalamique
mais reposent plutôt sur des propriétés de coopération entre les neurones corti-
Pattern de décharge caux eux-mêmes. Dans ce cas-là, les interconnexions excitatrices et inhibitrices
de l’afférence excitatrice entre les neurones déterminent une activité coordonnée et synchrone, localisée
ou étendue à de plus grandes régions corticales.
Décharge
du neurone excitateur
Stimulation
électrique
Un cycle Décharge
du neurone inhibiteur
Potentiel de membrane (mV)
+30
–30
–60
(b)
Figure 19.11 – Oscillateur à un neurone.
Pendant le sommeil, les neurones thalamiques déchargent de façon rythmique, selon un mode
indépendant de leurs signaux afférents. Ce schéma reproduit un enregistrement intracellulaire du
potentiel de membrane d’un neurone thalamique durant une période de sommeil. (a) Une stimula-
tion très brève (inférieure à 0,1 s) est appliquée à la cellule enregistrée, et la réponse à cette stimu-
lation se traduit par une décharge rythmique de près de 2 s, d’abord par des bouffées de fréquence
d’environ 5 Hz, puis par des potentiels d’action isolés. (b) Représentation agrandie de deux de
ces bouffées de potentiels d’action, chacune d’entre elle représentant 5 à 6 potentiels d’action.
(Source : adapté de Bal et McCormick, 1993, Fig. 2.)
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 661
Fonctions des rythmes cérébraux. Les rythmes du cortex sont quelque peu
fascinants à observer. Ils accompagnent tant de comportements humains que
l’on en vient à se demander : pourquoi tant de rythmes ? Et plus encore, à quoi
peuvent-ils servir ? Il n’existe pas encore de réponse satisfaisante à ces questions.
Il y a beaucoup de suppositions, mais peu de données pertinentes. Une des hypo-
thèses concernant les rythmes associés au sommeil suggère que ces rythmes sont Cortex
le moyen dont se sert le cerveau pour déconnecter le cortex de l’information sen-
sorielle afférente. À l’état de veille, le thalamus assure le relais de l’information
sensorielle vers le cortex, mais, quand vient le sommeil, les neurones thalamiques
mettent en jeu une activité périodique autogénérée qui empêche l’information
sensorielle spécifique de remonter vers le cortex. Cette idée est séduisante (la
plupart des individus préfèrent dormir dans un environnement obscur et calme Voie
réduisant les entrées sensorielles), mais elle n’explique pas pourquoi les rythmes de sortie
sont nécessaires. Pourquoi l’activité du thalamus ne serait-elle pas simplement
inhibée pour permettre au cortex de se reposer ?
Une explication des rythmes rapides du cortex à l’état de veille a été proposée.
Nous avons vu dans le chapitre 10 qu’une des hypothèses susceptible de rendre
compte de la perception visuelle repose sur le fait que l’activité des modules cor- Thalamus
ticaux répondant au même objet se trouve être de caractère synchrone. Walter
Freeman, un neurobiologiste de l’Université de Californie, à Berkeley, a le pre- Voies
afférentes
mier suggéré que l’activité rythmique des neurones sert à coordonner l’activité
entre différentes régions du système nerveux. Au cours de l’éveil, les systèmes Figure 19.12 – Les rythmes thalamiques pilo
sensoriel et moteur génèrent souvent des décharges synchrones dans les neu- tent les rythmes corticaux.
rones actifs, qui se manifestent par des oscillations d’EEG de 30 à 90 Hz, nom- Le thalamus peut générer une activité ryth-
més rythmes gamma. mique grâce aux propriétés intrinsèques
Il est possible qu’en synchronisant momentanément les oscillations rapides de ses neurones et à leurs interconnexions
émises en différentes régions du cortex, le cerveau regroupe plusieurs éléments spécifiques. Les neurones figurés en vert
neuronaux en un seul ensemble fonctionnel. Par exemple, lorsque l’on tente représentent des populations cellulaires exci-
d’attraper un ballon de basket, la décharge de l’ensemble des groupes de neu- tatrices, les neurones inhibiteurs étant figurés
en noir.
rones qui répondent simultanément à la détection de la forme, de la couleur, du
mouvement, de la distance qui nous sépare du ballon, et même à son identifi-
cation et à son importance, tend à être synchronisée. Le fait que les variations
de l’activité de ces différents groupes de neurones disséminés (ceux qui cor-
respondent au codage de l’information permettant la perception du ballon de
basket) soient hautement synchrones, les marquerait comme groupe signifiant,
en les distinguant des neurones situés à proximité, réunissant ainsi les éléments
neuronaux du « puzzle ballon de basket ». Cette idée n’est toutefois pas prouvée
et elle reste controversée.
Aujourd’hui les fonctions des rythmes corticaux restent mystérieuses. Il est
possible que la plupart de ces rythmes n’aient pas de fonction. Ils pourraient
n’être que des épiphénomènes sans importance et mystérieux traduisant les
fortes connexions que les circuits cérébraux ont tendance à établir, avec des
formes variées de feedback excitateur. L’autoexcitation, que ce soit dans le cas
d’un amplificateur-audio ou de la vague humaine dans le stade, conduit souvent
à l’instabilité ou à l’oscillation, et les circuits de feedback sont nécessaires pour
permettre au cortex d’accomplir toutes les merveilles dont nous bénéficions.
Enfin, les oscillations pourraient aussi être une conséquence malencontreuse
et inévitable, non désirée mais tolérée par nécessité. Mais, quoi qu’il en soit,
même sans fonction établie, les rythmes de l’EEG permettent d’observer des
états fonctionnels du cerveau différents.
Crises d’épilepsie
Les crises, formes paroxystiques de l’activité synchrone du cerveau, sont
toujours le signe d’une pathologie. Une crise généralisée implique la totalité du
cortex des deux hémisphères. Une crise partielle intéresse seulement quant à elle
une partie circonscrite du cortex. Dans les deux cas, les neurones des régions
concernées génèrent des décharges hypersynchrones anormales. Les crises sont
généralement associées à la production de grands signaux électroencéphalogra-
phiques. Le cortex cérébral, probablement en raison de la présence de nombreux
662 3 – Cerveau et comportement
250
circuits de feedback, n’est jamais loin de l’excitation traduite par les crises. Ainsi
les crises isolées ne sont pas rares au cours d’une vie, et 7 à 10 % de la popu-
lation générale en présentent au moins une. Lorsque les crises se répètent, on
parle d’épilepsie. L’épilepsie affecte environ 0,7 % de la population mondiale
(soit au total près de 50 millions d’individus). Elle est plus commune dans les
pays en développement, en particulier dans les zones rurales, probablement en
rapport avec le fait que dans ces régions elle n’est pas traitée pendant l’enfance,
qu’il existe plus qu’ailleurs des infections, et que les soins prénataux ou dans la
période périnatale sont peu développés. Le diagnostic d’épilepsie intervient le
plus souvent chez les jeunes enfants ou au contraire chez les personnes âgées
(Fig. 19.13). L’épilepsie chez l’enfant est souvent congénitale, liée à des causes
génétiques ou encore à des pathologies de l’enfance. Chez les personnes âgées,
elle est souvent la conséquence d’accidents vasculaires cérébraux, de tumeurs
cérébrales ou encore intervient chez certains patients souffrant de maladie
d’Alzheimer.
L’épilepsie n’est pas tant une maladie en elle-même qu’un symptôme d’une
maladie. Les causes de ces maladies sont parfois clairement identifiées : tumeurs,
traumatismes, troubles métaboliques, infections, maladies vasculaires, prédispo-
sition génétique, etc. Mais dans de nombreux cas son origine n’est pas connue.
Il ne semble pas qu’un seul mécanisme soit à l’origine de toutes les crises. Dans
plusieurs formes d’épilepsie, il existe vraisemblablement une prédisposition
génétique. Certains gènes en cause ont déjà été identifiés, codant pour des pro-
téines diverses, incluant des canaux ioniques, des transporteurs, ou encore des
récepteurs ou des molécules impliquées dans la signalisation. Quelques muta-
tions de gènes qui encodent des canaux sodiques, par exemple, ont été mises en
rapport avec de très rares formes d’épilepsie. Ces canaux sodiques tendent alors
à rester ouverts plus longtemps que la normale, ce qui permet à plus de sodium
d’entrer dans les cellules et provoque ainsi une hyperexcitabilité. Un autre type
de mutation conduisant à des états épileptiques concerne la transmission inhibi-
trice utilisant le GABA comme neurotransmetteur, rendue moins efficiente du
fait d’une atteinte de ses récepteurs, d’enzymes impliqués dans sa synthèse, son
transport ou encore des mécanismes de sa libération.
Les recherches en cours laissent penser que certaines crises seraient liées à un
désordre du fragile équilibre existant dans le cerveau entre l’excitation et l’inhibi-
tion synaptique. D’autres crises proviendraient d’un excès de signaux excitateurs
trop intenses au niveau synaptique. Les drogues qui bloquent les récepteurs du
GABA sont de puissants convulsivants (produits qui favorisent la survenue des
crises) et la suppression de l’usage chronique de produits dépresseurs comme
l’alcool ou les barbituriques, peut aussi déclencher des crises. Certains agents
pharmacologiques peuvent supprimer les crises ; ces anticonvulsivants agissent
sur l’excitabilité de plusieurs façons. Par exemple, certains prolongent l’effet
inhibiteur du GABA (les barbituriques et les benzodiazépines, par exemple ;
voir figure 6.22), alors que d’autres diminuent la potentialité de certains neu-
rones à décharger (c’est le cas de la carbamazépine).
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 663
5
2 Figure 19.14 – Enregistrement EEG caracté
3 1 6
ristique d’une crise d’épilepsie généralisée.
7 (a) Les électrodes d’EEG sont placées à des
6 5 4 endroits bien déterminés du scalp. (b) Ces
8 électrodes détectent une crise d’épilepsie
qui débute brutalement et qui est synchroni-
9 sée sur l’ensemble de la tête. Le rythme des
9 7 décharges est de l’ordre de 3 Hz, et la durée
8
de la crise est d’environ 12 s. (Source : J. F.
(a) (b) 5s Lambert et N. Chantrier.)
Sommeil
Le sommeil et les rêves, mystérieux, avec un aspect mystique pour certains,
sont parmi les sujets favoris de l’art et de la littérature, de la philosophie et de
la science. Chaque nuit, l’homme abandonne ses compagnons, son travail et ses
loisirs, pour pénétrer dans l’isolement du sommeil. Il exerce en fait un contrôle
664 3 – Cerveau et comportement
1. NdT : le terme de « sommeil paradoxal » a été introduit par Michel Jouvet à Lyon, en 1959.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 665
que dans le sommeil à ondes lentes l’activité mentale soit au plus bas. Au réveil,
les gens ne se rappellent généralement de rien, sinon de quelques vagues pen-
sées. Les rêves détaillés et distrayants sont rares, bien qu’existant parfois, dans
le sommeil à ondes lentes. William Dement, un chercheur éminent sur ce sujet
travaillant à l’Université de Stanford, définit les états de sommeil à ondes lentes
comme correspondant à un cerveau fonctionnant au ralenti dans un corps mobile.
Par comparaison, Dement parle d’un cerveau actif halluciné dans un corps
paralysé, pour rendre compte du sommeil avec mouvements oculaires rapides.
Le sommeil paradoxal se trouve être le sommeil du rêve. Bien qu’il ne représente
qu’une petite partie du sommeil, c’est la phase qui intéresse le plus les chercheurs
(et c’est celle où se manifeste la plus grande activité du cerveau), probablement
parce que les rêves sont si mystérieux et énigmatiques. Si une personne est réveil-
lée dans la phase de sommeil paradoxal, comme en ont fait l’expérience William
Dement, Eugene Aserinsky et Nathaniel Kleitman, au milieu des années 1950,
elle racontera sans doute des événements détaillés et vraisemblables, souvent
avec quelques bizarreries — le genre de rêves dont nous aimons parler et que
nous essayons d’interpréter.
La physiologie du sommeil paradoxal aussi est étrange. L’EEG ne présente
pratiquement pas de différences avec celui du cerveau à l’état de veille, carac-
térisé par des fluctuations rapides, de faible amplitude, renforçant l’idée du
caractère paradoxal de cet état de sommeil, soulignée par Jouvet. En fait, la
consommation d’oxygène du cerveau (une mesure de la consommation d’éner-
gie) est plus élevée dans le sommeil paradoxal que dans la veille active, ou lors
d’un état de concentration intellectuelle pendant la résolution d’un problème,
par exemple. La paralysie qui survient dans le sommeil paradoxal correspond
à une perte presque totale du tonus musculaire, ou atonie. Le corps se trouve
réellement incapable de bouger ! Les muscles respiratoires fonctionnent, mais à
peine. Les muscles contrôlant les mouvements des yeux et les minuscules muscles
de l’oreille interne seuls font exception ; ils sont étonnamment actifs. Dans ce
cas, alors que les paupières sont fermées, les yeux roulent rapidement d’avant en
arrière. Ces salves de mouvements rapides sont les meilleurs signes précurseurs
du rêve et 90 % des personnes que l’on réveille dans cette phase ou après, disent
qu’ils ont rêvé.
C’est l’activité du système sympathique qui assure la régulation physiolo-
gique dans le sommeil paradoxal. Inexplicablement, le système de contrôle de
la température du corps ne fonctionne plus et la température interne commence
à baisser. Les fréquences cardiaque et respiratoire augmentent, mais sont irré-
gulières, et chez les individus en bonne santé, pendant les phases de sommeil
paradoxal le clitoris et le pénis sont gorgés de sang et entrent en érection, bien
que cela n’ait généralement rien à voir avec un éventuel contenu sexuel du rêve.
Ainsi, globalement, il semble que dans le sommeil paradoxal, le cerveau soit
dans tous les états, excepté au repos.
Cycle veille-sommeil
Une bonne nuit de sommeil n’est pas un voyage continu et sans histoire !
La figure 19.15 illustre le cycle des mouvements des yeux, ainsi que l’érection
du pénis, mesuré pendant les phases de REM et de non-REM, au cours d’une
666 3 – Cerveau et comportement
eil
do il
eil
do il
eil
do il
eil
do il
eil
do il
ra e
ra e
ra e
ra e
ra e
So al
So xal
So al
So al
l
xa
len mm
pa mm
len mm
pa mm
len mm
pa mm
len mm
pa mm
len mm
pa mm
x
x
So
So
So
So
So
So
t
t
Éveil
Stade 1
Stades EEG
Stade 2
Stade 3
Stade 4
(a)
Mouvements
des yeux
Fréquence cardiaque
75
Figure 19.15 – Modifications de paramètres
physiologiques pendant le sommeil à ondes 65
lentes (non-REM sleep) et le sommeil para
doxal (REM sleep).
(a) Le graphique représente les épisodes sur- 55
venant au cours d’une nuit de sommeil, débu-
tant avec un état transitionnel entre la veille et
le stade 1 du sommeil lent. Par la suite, l’hyp- 26
Fréquence respiratoire
nuit entière. Objectivement, le sommeil est tout sauf une promenade tranquille
et quelquefois la chevauchée est plutôt « sauvage »… (Encadré 19.2). Plusieurs
cycles se répètent au cours de cette même nuit de sommeil. Le sommeil à ondes
lentes représente environ 75 % de la durée totale du sommeil, et le sommeil
paradoxal de l’ordre de 25 %, avec des cycles périodiques entre ces phases. Le
sommeil à ondes lentes est généralement divisé en quatre phases distinctes ou
stades. Chez l’homme, une nuit de sommeil est une succession de ces différentes
phases : phases du sommeil à ondes lentes, puis sommeil paradoxal, et de nou-
veau phases du sommeil à ondes lentes ; ce cycle se répétant toutes les 90 min,
environ. Ces cycles sont des exemples de rythmes ultradiens, plus rapides que les
rythmes circadiens.
La figure 19.16 illustre les rythmes de l’EEG en rapport avec les différentes
phases du sommeil. En moyenne, un adulte en bonne santé commence à s’assou-
pir, puis s’endort. C’est le stade 1 du sommeil à ondes lentes, représentant une
phase de transition pendant laquelle les rythmes α d’un état de veille atténué
deviennent moins réguliers et faiblissent, et les mouvements oculaires sont lents.
Le stade 1 est fugitif et ne dure que quelques minutes. C’est aussi le stade le plus
léger du sommeil, c’est-à-dire celui d’où l’on peut s’éveiller le plus facilement. Le
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 667
Encadré 19.2 FOCUS
Éveil
Rythmes α Rythmes β et γ
Sommeil
paradoxal
Rythmes β et γ
Stade 1 du
sommeil
lent Rythmes θ
Stade 2 du
sommeil
lent
Fuseaux du sommeil Complexe K
Stade 3 du
sommeil
lent
Rythmes δ
Stade 4 du
Figure 19.16 – Rythmes EEG durant le som
sommeil
lent meil.
Les enregistrements illustrent les change-
Rythmes δ
ments de rythmes qui caractérisent les diffé-
0 5 10 15 20 rents états de sommeil. (Source : adapté de
Temps (s) Horne, 1988 ; Fig. 1.1.)
668 3 – Cerveau et comportement
Pourquoi dormons-nous ?
Il semble que tous les mammifères, les oiseaux et les reptiles dorment, mais
seuls les mammifères et quelques oiseaux connaissent une phase de sommeil
paradoxal. Le temps de sommeil est très variable, de 18 heures pour les chauves-
souris et les opossums, à 3 heures pour les chevaux et les girafes. Certains pensent
qu’un comportement aussi dominant doit avoir une fonction critique ; sinon
quelques espèces auraient perdu le besoin de dormir au cours de l’évolution.
Cependant, quelle que soit la fonction du sommeil, il est vraisemblable que ce
soit le cerveau qui l’organise, une altération des fonctions cognitives étant la
conséquence première d’une privation de sommeil. Par exemple, vous pouvez
vous reposer pendant 8 heures dans votre lit sans dormir, et récupérer ainsi d’un
exercice physique intense. Mais, si vous ne dormez pas, vous ne serez quand
même pas au top de votre forme le jour suivant…
Certains animaux paraissent avoir plus de raisons que d’autres de ne pas
dormir. Pensez aux animaux vivant dans des eaux profondes et agitées, qui ont
pourtant besoin de respirer de l’air à peu près toutes les minutes ; le moindre
petit assoupissement serait fâcheux, pour ne pas dire plus. C’est précisément ce
qui se passe avec les dauphins et les baleines, et pourtant ils dorment au moins
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 669
Gauche
Droite
5s
(a) (b) (c)
autant que les humains. Fait remarquable, les dauphins ne dorment qu’avec un
seul hémisphère à la fois : deux heures de sommeil lent dans un hémisphère, puis
une heure d’éveil des deux hémisphères, deux heures de sommeil lent dans l’autre
hémisphère, et ainsi de suite pendant douze heures chaque nuit (Fig. 19.17) (ce
qui donne un autre sens à l’expression « être à moitié endormi »). À ce stade de
nos connaissances, il semble que la phase de sommeil paradoxal n’existe pas chez
les dauphins et les baleines. Une autre stratégie de sommeil inhabituelle concerne
le dauphin aveugle de l’Indus, au Pakistan, évoluant dans un environnement
encore plus hostile. Ces animaux utilisent la technique du sonar pour se déplacer
dans les courants agités, boueux et sales, et pendant la mousson, ils ne doivent
jamais s’arrêter de nager au risque de se blesser sur les rochers ou sur les objets
dérivant dans l’estuaire submergé qui constitue leur habitat. Pourtant, le dau-
phin de l’Indus réussit à dormir, saisissant des moments de « microsommeil » de
4 à 6 s, tout en continuant à nager doucement. Tous ces micromoments ajoutés
représentent environ 7 heures de sommeil sur 24 heures.
Des mécanismes de sommeil extraordinaires se sont ainsi développés chez les
dauphins, leur permettant de s’adapter à un environnement difficile. Mais le fait
que même les dauphins aient besoin de dormir amène à revenir sur la question :
pourquoi le sommeil est-il si important ?
Aucune théorie sur le sommeil ne fait l’unanimité, mais les idées les plus
raisonnables se regroupent en deux catégories : les théories de récupération et les
théories d’adaptation. La première catégorie correspond au bon sens : l’homme
dort pour se reposer, récupérer, et se préparer de nouveau à l’éveil. La deuxième
catégorie est moins évidente : on dort pour se mettre à l’abri des ennuis, pour
éviter d’être une proie au moment où l’on est le plus vulnérable, ou en présence
de dangers dans l’environnement, ou encore pour conserver son énergie.
Si le sommeil est réparateur, que permet-il de récupérer ? Le repos au
calme ne peut certainement pas remplacer le sommeil. Le sommeil fait plus à
cet égard que le simple repos. Un manque de sommeil prolongé peut entraî-
ner des problèmes physiques et des troubles du comportement (Encadré 19.3).
Malheureusement, personne n’a encore pu identifier clairement un processus
physiologique reconstitué par le sommeil, une substance essentielle produite ou
une toxine détruite, au cours du sommeil. Le sommeil prépare véritablement la
qualité de l’éveil, mais le sommeil nous renouvelle-t-il comme le fait de manger
et de boire, en remplaçant des substances essentielles disparues, ou à la façon
dont la cicatrisation d’une blessure reconstitue les tissus lésés ? Globalement, il
semble que le sommeil ne soit pas le moment d’une reconstitution accélérée des
tissus de l’organisme. Cependant, il est possible que certaines régions du cer-
veau, comme le cortex cérébral, parviennent à une forme de « repos » essentiel,
seulement dans les phases de sommeil à ondes lentes.
670 3 – Cerveau et comportement
Encadré 19.3 FOCUS
2. NdT : il existe dans la littérature des arguments en faveur du rôle du sommeil lent dans
la consolidation mnésique. Ainsi des enregistrements effectués dans l’hippocampe chez
des rats soumis à un apprentissage spatial montrent que l’activité des neurones de l’hip-
pocampe enregistrée pendant les phases de sommeil lent qui suivent l’apprentissage de la
tâche reproduit fidèlement celle enregistrée au cours de cet apprentissage. L’animal paraît
« revivre » pendant le sommeil lent les apprentissages auxquels il a été soumis durant la
période de veille, ce qui contribuerait à leur mémorisation. Une autre série de travaux
effectués chez l’homme montre que le simple blocage pharmacologique de l’activité de
l’acétylcholinestérase pendant les phases de sommeil lent altère la restitution mnésique le
lendemain, dans une tâche de rappel de mots, sans affecter la mémoire
procédurale. Ceci
paraît attester de la contribution du sommeil lent à la consolidation mnésique.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 673
Acétylcholine
(mésencéphale,
pont)
Acétylcholine
(noyau basal
antérieur)
Hypocrétine (orexine)
(hypothalamus latéral)
Histamine
(cerveau moyen) Figure 19.18 – Principales composantes des
Sérotonine systèmes neuromodulateurs qui interviennent
(noyaux du raphé) Noradrénaline dans la régulation des états de veille et de
(locus coeruleus) sommeil.
674 3 – Cerveau et comportement
ACh ou NA ou 5-HT
ou histamine
(a) 2s
300 ms
(b) (c)
Encadré 19.4 FOCUS
Narcolepsie
La narcolepsie est une maladie étrange et invalidante, sommeil » incontrôlables. La cataplexie est une paraly-
qui affecte le sommeil et l’état d’éveil. En dépit de la sie musculaire soudaine de courte durée (moins d’une
consonance du terme, elle n’a pas de rapport avec l’épi- minute), sans perte de conscience, souvent liée à une
lepsie. Toutes les manifestations qui suivent ou quelques- forte expression émotionnelle, un accès de fou rire ou de
unes d’entre elles, sont présentes au cours de cette affec- pleurs ; elle peut survenir brutalement, ou avec l’excita-
tion. tion sexuelle. La paralysie du sommeil, qui se traduit par
Ainsi on note une somnolence excessive durant la la même disparition du tonus musculaire, survient dans
journée, qui peut être sévère et provoquer des « accès de la période qui sépare le sommeil et l’éveil. Elle se produit
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 675
0 1 2 3 4 5 6 7 8
Temps depuis le début du sommeil (en heure)
hommes âgés, semblent vraiment vivre leurs rêves ; cet état est connu comme un
trouble comportemental du sommeil paradoxal. Ces personnes se blessent sou-
vent et parfois leurs femmes sont victimes de leur agitation nocturne. On a ainsi
plusieurs exemples : un homme rêva un jour qu’il était engagé dans une partie
de football et se mit à taper sur le bureau de sa chambre ; un autre imagina
qu’il défendait sa femme qui était attaquée, alors qu’il était en train de la battre
dans leur lit. L’origine de ce trouble du sommeil est sans doute liée au dysfonc-
tionnement des systèmes du tronc cérébral qui commandent l’atonie posturale
associée au sommeil paradoxal. De fait, des lésions expérimentales pratiquées
sur certaines parties du pont peuvent effectivement entraîner des désordres sem-
blables chez le chat. Au cours des périodes de sommeil paradoxal, ces animaux
paraissent ainsi se mettre en chasse contre des souris imaginaires, ou partir à la
recherche d’invisibles intrus. Les troubles des mécanismes de contrôle du som-
meil paradoxal, liés principalement à un déficit d’hypocrétine (orexine) sont
aussi à l’origine de la narcolepsie (voir Encadré 19.4).
Facteurs hypnogènes. Les chercheurs qui travaillent sur le sommeil pour-
suivent intensivement leur recherche d’un facteur chimique dans le sang ou dans
le liquide céphalorachidien (LCR), qui favoriserait ou induirait le sommeil, et de
nombreuses substances facilitant le sommeil ont été identifiées chez les animaux
privés de sommeil. Nous allons en décrire les principales, parmi lesquelles l’adé-
nosine paraît jouer un rôle particulier. L’adénosine est de fait un composant de
toutes les cellules vivantes, qui l’utilisent pour la synthèse de l’ADN, des ARNs,
et de l’ATP. L’adénosine, secrétée par certains neurones, agit par ailleurs très lar-
gement comme modulateur au niveau de très nombreuses synapses du cerveau.
C’est une substance qui concerne aussi tous ceux qui sont habitués à boire du café,
du thé ou du Coca-Cola. Depuis les temps les plus reculés, les antagonistes des
récepteurs de l’adénosine, comme la caféine ou la théophylline, ont toujours été
utilisés comme stimulants pour rester éveillé. À l’inverse, les agonistes des récep-
teurs de l’adénosine ou son administration facilitent le sommeil. Dans un grand
nombre de régions cérébrales où cela a été mesuré, il apparaît aussi que les taux
extracellulaires d’adénosine sont plus importants pendant la veille que pendant
le sommeil. De plus, les taux d’adénosine extracellulaires augmentent progressi-
vement lorsque les animaux sont privés de sommeil, et ils diminuent de la même
manière lors de l’endormissement. Les modifications des taux d’adénosine n’in-
terviennent pas de façon uniforme dans le cerveau en rapport avec l’éveil, mais
seules les régions impliquées dans la régulation des mécanismes du sommeil sont
impliquées. Dès lors, les effets promoteurs du sommeil d’une part, et les chan-
gements intervenant en rapport avec les modifications du cycle veille-sommeil
d’autre part, font de l’adénosine un facteur essentiel favorisant l’état de sommeil.
Comment l’adénosine est-elle à même de faciliter le sommeil ? L’adénosine
a un effet inhibiteur sur un grand nombre de systèmes modulateurs du cerveau,
comme ceux utilisant l’acétylcholine, la noradrénaline ou encore la sérotonine,
qui sont plus actifs pendant la veille. Cela suggère que le sommeil résulte d’une
cascade d’événements moléculaires impliquant ces neurotransmetteurs, à un
niveau ou à un autre. Pendant l’éveil, l’activité neuronale augmente les taux
d’adénosine, ce qui, progressivement, va de plus en plus réduire l’activité de
ces systèmes modulateurs associés à l’état de veille. Dans ce cas, le cerveau va
pouvoir basculer dans un état de synchronisation de l’activité cérébrale carac-
téristique du sommeil lent. À partir du moment où le sommeil est présent, les
taux d’adénosine sont progressivement réduits et l’activité des systèmes modu-
lateurs associés à l’éveil augmente à nouveau jusqu’à l’éveil, et un nouveau cycle
démarre.
Un autre facteur hypnogène important est le monoxyde d’azote (NO pour
nitric oxide). Souvenez-vous que le NO représente une toute petite molécule
gazeuse qui diffuse facilement au travers des membranes et sert de neurotrans-
metteur dans la signalisation rétrograde (post-synaptique vers le présynaptique),
pour certaines catégories de neurones (voir chapitre 6). Les neurones choliner-
giques du tronc cérébral impliqués dans la genèse de l’éveil expriment un haut
niveau de l’enzyme intervenant dans la synthèse du NO, la NO-synthétase. Les
niveaux de NO sont élevés pendant l’éveil et augmentent très rapidement en
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 679
rapport avec une privation de sommeil. Par quels mécanismes peut-on imaginer
que le NO puisse faciliter l’état de sommeil ? Certaines études ont de fait montré
que le NO est à l’origine de la sécrétion d’adénosine, et dans ce contexte, comme
nous l’avons vu, l’adénosine peut faciliter le sommeil lent en supprimant l’acti-
vité des neurones qui s’efforcent de maintenir l’éveil.
La somnolence est l’une des conséquences les plus fréquentes des mala-
dies infectieuses telles qu’un simple rhume ou une grippe. Il est ainsi vraisem-
blable qu’il existe des liens directs entre la réponse du système immunitaire aux
infections et la régulation des états de sommeil. Dans les années 1970, John
Pappenheimer, un physiologiste de l’Université de Harvard, identifia un dipep-
tide nommé muramyl dans le LCR de chèvres privées de sommeil, qui favorisait
le sommeil lent (non-REM). Certains des peptides de cette famille sont habi-
tuellement seulement produits par les parois cellulaires des bactéries, et non par
les cellules du cerveau. Ils sont impliqués dans les mécanismes de la fièvre et
stimulent les cellules immunes du sang. On ne comprend pas bien comment de
telles substances se trouvent dans le LCR, mais elles pourraient être synthétisées
par les bactéries contenues dans l’intestin. Des travaux plus récents impliquent
certaines cytokines, qui représentent des peptides impliqués dans la signalisation
du système immunitaire, dans la régulation des états de sommeil. L’un de ces
peptides, l’interleukine-1, est synthétisé dans le cerveau par les cellules gliales
et dans les macrophages, des cellules que l’on retrouve dans le corps tout entier
pour le débarrasser de corps étrangers. Comme l’adénosine et le NO, les taux cir-
culants d’interleukine-1 augmentent durant la veille et, chez l’homme, ces taux
atteignent leur valeur maximale juste avant l’endormissement. L’interleukine-1
facilite la survenue du sommeil lent, même si le système immunitaire n’est pas
stimulé. Administré chez l’homme, il induit une fatigue et un besoin de sommeil.
Par ailleurs, l’interleukine-1 stimule aussi le système immunitaire.
Un autre facteur endogène dont l’activité a été associée au sommeil est la méla-
tonine, une hormone sécrétée par la glande pinéale qui est située juste au-dessus
du tectum (voir annexe du chapitre 7). La mélatonine est synthétisée à partir du
tryptophane. Cette hormone est parfois qualifiée « d’hormone Dracula », parce
qu’elle n’est sécrétée que durant les périodes nocturnes, en fait plutôt en l’absence
d’éclairement puisque sa libération est inhibée par la lumière. Chez l’homme,
les taux de mélatonine tendent à s’élever en fin de journée, au moment de l’en-
dormissement. Les taux les plus importants sont mesurés en fin de nuit, au petit
matin, puis s’effondrent brutalement au moment du réveil. De nombreux travaux
suggèrent que la mélatonine est un facteur qui aide à induire et à maintenir l’état
de sommeil, mais son rôle précis n’est pas encore connu. La mélatonine est célèbre
pour ses effets inducteurs de sommeil. Ceux-ci sont toutefois discutés, y compris
pour réduire les effets des décalages horaires lorsque l’on voyage en avion.
Expression génique en rapport avec la veille et le sommeil. Les études sur
les mécanismes du sommeil ont bénéficié d’approches complémentaires, dans le
domaine du comportement, de la neurophysiologie ou de l’approche de la fonc-
tion des systèmes modulateurs. L’utilisation des méthodes de la biologie molé-
culaire a également contribué à l’avancée des connaissances en ce domaine. Bien
que les données acquises ne soient pas encore tout à fait complètes, il existe un
certain nombre de résultats montrant que les événements moléculaires de l’éveil
et du sommeil sont différents. Par exemple, chez le macaque, la plupart des aires
corticales présentent pendant le sommeil profond un niveau général de synthèse
des protéines bien supérieur à celui mesuré pendant des épisodes de sommeil
plus légers. Chez le rat, on observe par ailleurs dans certaines aires corticales un
taux d’AMPc plus faible pendant le sommeil que pendant l’état de veille.
De nombreux travaux ont bien démontré que le sommeil, la veille et la priva-
tion de sommeil s’accompagnent de niveaux d’expression différents de certains
gènes. Dans l’une de ces études, Chiara Cirelli et Giulio Tonini du Neurosciences
Institute de San Diego et à l’Université du Wisconsin, ont examiné chez le rat
l’expression de milliers de gènes en rapport avec les états de vigilance. La plu-
part de ces gènes présentent le même niveau d’expression, que ce soit pendant la
veille ou pendant le sommeil. Toutefois, les gènes qui présentent une différence
d’expression en rapport avec ces deux états de vigilance, soit environ 0,5 %, sont
680 3 – Cerveau et comportement
Rythmes circadiens
Le comportement de presque tous les animaux terrestres est coordonné par
les rythmes circadiens. Ces animaux s’adaptent aux cycles quotidiens de lumière
et d’obscurité, qui sont dus au mouvement de rotation de la terre (du latin circa :
environ, et dies : jour). Les différentes espèces présentent des rythmes circadiens
de période variable. Certains animaux sont actifs pendant la journée, d’autres
seulement pendant la nuit, et d’autres encore surtout dans les périodes de transi-
tion que représentent l’aube et le crépuscule. L’activité de la plupart des systèmes
physiologiques et biochimiques de l’organisme fluctue avec les rythmes du jour ;
ainsi la température du corps, la circulation sanguine, la production d’urine, le
niveau des hormones, la pousse des cheveux et le métabolisme (Fig. 19.22). Chez
l’homme, il existe par exemple une relation approximativement inverse entre la
propension au sommeil et la température corporelle.
Si les cycles de la lumière du jour et de l’obscurité dans l’environnement
de l’animal sont supprimés, les rythmes circadiens conservent plus ou moins
la même cadence car les horloges primaires qui règlent les rythmes circadiens
ne sont pas astronomiques (liées au Soleil et à la Terre), mais biologiques et
se trouvent dans le cerveau. Comme toutes les horloges, celles du cerveau ne
sont pas parfaites, et ont besoin d’être réglées de temps à autre. Il faut réguliè-
rement remettre sa montre à l’heure pour qu’elle soit synchronisée avec le reste
du monde (ou du moins avec l’heure donnée par votre ordinateur). De la même
façon, les stimuli extérieurs, tels que la lumière et l’obscurité, ou les changements
de température au cours de la journée, contribuent à ajuster les horloges du cer-
veau pour qu’elles soient synchronisées avec l’apparition et la disparition de la
lumière du soleil. Les rythmes circadiens sont bien connus au niveau cellulaire,
comportemental et moléculaire, mais les horloges du cerveau sont également
particulièrement utiles pour observer le lien existant entre l’activité de certains
neurones particuliers et le comportement.
Horloges biologiques
La première évidence de l’existence d’une horloge biologique est venue d’un
organisme privé de cerveau : un arbre, le mimosa. Les feuilles du mimosa se
redressent pendant la journée et retombent la nuit. Il semble évident pour beau-
coup que l’arbre réagit tout simplement à la lumière du soleil, par une sorte de
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 681
eil
eil
eil
m
m
ille
ille
m
m
So
So
So
Ve
Ve
80
Vigilance
40
0
38
Température (°C)
37
36
croissance (ng/mL)
15
Hormone de
10
15
(µg/100 mL)
Cortisol
10
5
Figure 19.22 – Rythmes circadiens et fonc
tions physiologiques.
0
Les variations représentées ici portent sur
deux jours consécutifs. La vigilance et la
3 température corporelle varient de façon simi-
Potassium
(mEq/h)
5
Conditions
naturelles
10
15
Conditions
d’autonomie
20 (sujet isolé
des facteurs
Jours
externes)
25
30
35
Conditions
40
naturelles
45
Éveil
SL1
Stade
SL2
Sommeil
paradoxal
40,0
Température (˚C)
38,0
36,0
8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8
(a) Heure de la journée (h)
Éveil
SL1
SL2
Stade
Sommeil
paradoxal
40,0
Température (˚C)
38,0
36,0
8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8
(b) Heure de la journée (h)
Encadré 19.5 FOCUS
3000
Comment les neurones du NSC contrôlent-ils les rythmes ? Il n’est pas encore
2000
possible de répondre à cette question au niveau moléculaire, mais il est clair que
1000
chaque cellule du NSC en elle-même représente une minuscule horloge molé-
0 culaire. L’expérience d’isolement ultime a consisté simplement à prélever des
0 12 24 36 48
Temps (heure) neurones du NSC chez le rat, et à les laisser se développer in vitro, en culture tis-
sulaire, en les séparant du reste du cerveau et les uns des autres. Dans ces condi-
Figure 19.26 – Rythme circadien du noyau tions, leur fréquence de décharge, leur consommation de glucose, de sécrétion de
suprachiasmatique (NSC) isolé du reste du vasopressine et de synthèse de protéines, ont continué à varier avec des rythmes
cerveau. d’environ 24 heures, comme dans le cerveau intact (Fig. 19.26), ce qui n’est pas le
L’activité d’un gène-horloge a été enregis- cas d’autres neurones isolés, chez les mammifères. Certes, les cellules du NSC en
trée à partir de 100 neurones individuels de culture ne s’adaptent plus aux cycles lumière-obscurité (l’information provenant
NSC maintenus en culture. Chaque neurone
des yeux est nécessaire pour cela), mais ils conservent une rythmicité de base qui
génère un rythme circadien qui se trouve par-
faitement corrélé à celui des autres neurones
s’exprime comme dans le cas où l’animal est privé de zeitgebers.
présents dans le tissu. (Source : adapté de Les cellules du NSC communiquent leur message rythmique au reste du cer-
Yamaguchi et al., 2003 ; Fig. 1.) veau par l’intermédiaire des axones efférents, au moyen de potentiels d’action
tout à fait normaux, et les fréquences de décharge des cellules du NSC présentent
des variations de rythme circadien. Cependant, les potentiels d’action ne sont
pas nécessaires pour que les cellules du NSC conservent leur rythme. La tétrodo-
toxine (la TTX, qui bloque les canaux sodiques), utilisée sur les cellules du NSC,
bloque les potentiels d’action mais n’affecte pas la rythmicité de leurs fonctions
métaboliques et biochimiques. Lorsque la TTX est retirée, la décharge neuro-
nale reprend avec la même phase et la même fréquence qu’auparavant, ce qui
laisse penser que l’horloge du NSC continue à fonctionner, même en l’absence
de potentiels d’action. En fait, les potentiels d’action des NSC sont comme les
aiguilles d’une horloge : si on enlève les aiguilles, on n’arrête pas l’horloge, mais
il devient très difficile de lire l’heure.
Mais quelle serait la nature d’une telle horloge qui fonctionnerait sans potentiel
d’action ? Un certain nombre de données obtenues chez plusieurs espèces sug-
gèrent l’existence d’un cycle moléculaire fondé sur l’expression génique. Il est inté-
ressant de remarquer alors que le système qui serait mis en œuvre chez l’homme
serait très voisin de celui qui préside à la rythmicité chez la souris ou encore chez
la Drosophile, par exemple. Chez ces deux espèces, l’horloge implique le fonction-
nement de différents gènes, les gènes-horloges, dénommés per (pour period), cryp-
tochrome et clock (pour horloge). Même si les détails du fonctionnement varient
d’une de ces espèces à l’autre, le principe de base reste similaire : il s’agit d’une
boucle de rétroaction négative. Les avancées les plus importantes dans ce domaine
ont été réalisées par Joseph Takahashi et ses collaborateurs, à la Northwestern
University, qui ont proposé le terme acronyme de clock gene pour circadian loco-
motor output cycles kaput. Comme dans le cas général, un gène-horloge est trans-
crit en ARN messager, qui va être traduit en protéine. Après un certain délai,
une nouvelle protéine est ainsi normalement produite. Dans ce cas, cependant,
l’accumulation de la protéine contribue à un certain moment à réduire l’expression
de son propre gène. Par conséquent, si moins de protéine est alors produite, l’inhi-
bition sur l’expression génique va diminuer et le gène va à nouveau être en mesure
d’exprimer son activité, et ainsi de suite. Le cycle complet de ce mécanisme est
d’environ 24 heures et constituerait la base des mécanismes circadiens (Fig. 19.27).
Si chaque cellule du NSC est une horloge, il est nécessaire qu’il y ait un
mécanisme pour coordonner ces milliers d’horloges cellulaires, pour que le NSC
fonctionnant comme un tout donne au reste du cerveau un seul message clair
concernant l’heure. L’information relative à la lumière qui est donnée par la
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 687
Gène-
horloge
–
ARNm
Protéine
NSC
Figure 19.27 – Gènes-horloge.
Au niveau du NSC, les gènes-horloge pro-
duisent des protéines qui inhibent leur propre
transcription. Ainsi, la transcription des gènes
et la décharge de neurones du NSC pris
Entrée
rétinienne
individuellement fluctuent selon un cycle de
24 heures. Les cycles d’un grand nombre de
ces cellules sont synchronisés par la lumière
venant par la rétine.
NSC
Mais les systèmes complexes qui coordonnent les horloges du corps sont
loin d’être parfaits. Des horaires de repas anarchiques, des administrations chro-
niques d’amphétamines et, comme cela a déjà été mentionné, des conditions
de vie extrêmes, par exemple dans des conditions « hors du temps » dans les
cavernes, peuvent désynchroniser les horloges circadiennes du corps.
Conclusion
Les rythmes sont omniprésents dans le système nerveux des mammifères. Ils
recouvrent une large gamme de fréquences, allant de presque 500 Hz pour les EEG
corticaux à 0,00000003 Hz, soit une fois dans l’année pour de nombreux compor-
tements saisonniers tels que l’accouplement du daim à l’automne, l’hibernation
des écureuils en hiver, et l’instinct qui conduit les oiseaux migrateurs à revenir à
Capistrano, en Californie, chaque année le 19 mars : la légende dit qu’en 200 ans,
ils ont raté cette date deux fois seulement ! Dans certains cas, ces rythmes sont
fondés sur des mécanismes intrinsèques ; dans d’autres cas, ils résultent d’interac-
tions avec l’environnement et, dans d’autres encore, comme dans le cas de ceux
impliquant le NSC, ils résultent d’une interaction entre des processus neuronaux
et des facteurs de synchronisation environnementaux, les zeitgebers.
Bien que le but de certains rythmes soit évident, les fonctions de nombreux autres
rythmes cérébraux restent méconnues. En fait, certains d’entre eux n’ont peut-être
aucune fonction et pourraient n’être que la conséquence secondaire d’interconnexions
nerveuses nécessaires à d’autres fonctions qui ne connaissent pas de rythme.
Le sommeil est un des rythmes les plus manifestes du cerveau, et pourtant il est
encore inexplicable. Contrairement aux études consacrées aux canaux ioniques au
niveau moléculaire, aux neurones individuels abordés à l’échelon unitaire, ou aux
systèmes qui assurent le mouvement et la perception, la recherche sur le sommeil
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 689
part d’une question sans réponse : à quoi sert le sommeil ? Il est admis que l’on
ne sait pas encore pourquoi l’homme passe un tiers de sa vie à dormir, dans un
état languissant et végétatif pour la plus grande partie de ce temps, et pour le reste
dans un état de paralysie avec des hallucinations. Le sommeil et les rêves n’ont
peut-être pas de fonction vitale, mais cela n’empêche pas de les étudier et de les
apprécier. Cependant, ce manque d’information sur la fonction du sommeil n’est
pas une approche très satisfaisante. Pour la plupart des scientifiques, la question
« pourquoi ? » reste dès lors le défi le plus profond et la plus difficile de toutes.
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Pourquoi les EEG avec des fréquences relativement rapides ont-ils plutôt
de plus petites amplitudes que les EEG avec des fréquences plus lentes ?
2. Le cortex cérébral humain est très volumineux et il est replié plusieurs
fois sur lui-même pour tenir dans la boîte crânienne. Quelle est l’in-
fluence possible des replis de la surface corticale sur les signaux céré-
braux enregistrés par une électrode d’EEG placée sur le cuir chevelu ?
3. Le sommeil est un comportement reconnu chez de nombreuses espèces
de mammifères, d’oiseaux et de reptiles. Cela signifie-t-il que le som-
meil joue un rôle essentiel dans la vie de ces vertébrés supérieurs ? Si
vous ne le pensez pas, comment expliquer la durée du sommeil ?
4. L’EEG enregistré au cours du sommeil paradoxal (REM sleep) ressemble
beaucoup à l’EEG enregistré au cours de l’éveil. En quoi le cerveau et
le corps dans l’état de sommeil paradoxal diffèrent-ils de ceux de l’état
de veille ?
5. Y a-t-il une explication plausible de l’insensibilité relative du cerveau à
l’influx sensoriel dans le sommeil paradoxal, comparé à l’éveil ?
6. Le NSC reçoit un influx direct des deux rétines, par l’intermédiaire de la
voie rétinohypothalamique. De cette façon, les cycles lumière-obscurité
provoquent les rythmes circadiens. Si la projection des axones rétiniens
est interrompue pour une raison ou une autre, quelle sera la consé-
quence sur les rythmes circadiens de sommeil et d’éveil d’un individu ?
7. Quelles pourraient être les différences, au plan comportemental, entre
un individu qui aurait une horloge circadienne qui irait à son rythme,
et un autre qui n’aurait pas d’horloge du tout ?
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690 3 – Cerveau et comportement 690
CHAPITRE 20 Langage
COMPRENDRE LE LANGAGE
À PARTIR DES APHASIES
Encadré 20.3 Les voies de la découverte Découvrir les aires
du langage du cerveau,
par Nina Dronkers
Aphasie de Broca................................................................................ 705
Aphasie de Wernicke.......................................................................... 706
Aphasie et langage : modèle de Wernicke-Geschwind.......................... 707
Aphasie de conduction....................................................................... 710
Aphasie des personnes bilingues et des sourds................................... 711
TRAITEMENT ASYMÉTRIQUE
DU LANGAGE PAR LES
HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX
Traitement du langage chez les sujets « split-brain »............................ 713
Asymétrie hémisphérique anatomique et langage................................ 716
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
e langage constitue un formidable système de communication, qui a
objectivement un impact considérable sur nos vies. Vous pouvez ainsi
entrer dans un café et commander un cappuccino avec double ration de
crème chantilly, et vous pouvez être sûr qu’il ne vous sera pas apporté un seau
d’eau ! Vous pouvez aussi parler au téléphone à un ami situé à des milliers de
kilomètres, et lui expliquer à la fois les fondements complexes de la physique
quantique, ou encore quel retentissement émotionnel votre dernier cours de phy-
sique a eu sur vous. La question de savoir si les animaux ont aussi un langage
constitue un débat sans fin, mais ce qui est sûr c’est que celui que nous utilisons
est bien le propre de l’homme. Sans le langage nous ne pourrions apprendre la
plupart des choses qui nous sont enseignées à l’école, et ceci limiterait considé-
rablement nos capacités d’action et d’intervention.
Plus que juste des sons, le langage est un système par lequel les sons, les sym-
boles, et la gestuelle associée, sont utilisés pour communiquer. Le langage nous
pénètre ainsi par les systèmes auditif et visuel, et le système moteur produit à la
fois la parole et l’écriture. De fait, le traitement de toutes ces informations par
le cerveau entre système sensoriel et système moteur, est l’essence même du lan-
gage. Parce que l’utilisation des animaux pour appréhender le langage humain
présente des limites évidentes, pour l’essentiel jusqu’à une période récente l’étude
du langage a été l’apanage des linguistes et des psychologues, plutôt que des
neurobiologistes. Ainsi, à peu près tout ce que nous savons dans ce domaine
dérive d’études de cas de patients présentant des déficits, suite à des lésions céré-
brales. De multiples aspects du langage peuvent dans ce contexte être affectés de
façon différentielle : la production du langage, la compréhension, ou encore le
fait de pouvoir nommer, ce qui suggère que le langage procède de mécanismes
complexes, anatomiquement et fonctionnellement différents, et complémen-
taires. Plus récemment, les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, comme
l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ou encore la tomo-
graphie par émission de positrons (TEP), nous ont permis de débuter l’analyse
des mécanismes des circuits complexes qui sous-tendent le langage.
Le langage est universel dans les sociétés humaines. Il fait appel à des aires
cérébrales hautement spécialisées. Les spécialistes considèrent qu’il existe dans
le monde environ 5 000 sortes de langages et dialectes différents. L’organisation
même de ces langages est très variée, par exemple en ce qui concerne la place des
noms ou encore des verbes. Cependant, en dépit de ces différences de syntaxes,
de la Patagonie à Katmandou, tous les langages relaient l’expérience humaine
et les émotions, dans leurs subtilités les plus fines. Considérez ainsi qu’aucune
tribu muette n’a jamais été trouvée ! De nombreux scientifiques considèrent ainsi
que l’universalité du langage est la conséquence de la mise en place au cours de
l’évolution du cerveau humain de dispositifs particuliers, bien dévolus à cette
fonction.
692 3 – Cerveau et comportement
Cavité nasale
Langue
Muscles
Pharynx arythénoïdiens
Glotte
Cordes
vocales
Larynx
Cartilage
thyroïdien
Antérieur
Encadré 20.1 FOCUS
blabla
Blablabla Ginger bla …
bla bla bla
blablabla Ginger
Acquisition du langage
Le traitement du langage dans le cerveau adulte est conditionné par des
interactions étroites parfaitement orchestrées entre différentes aires corticales
et sous-corticales. Mais comment le cerveau apprend-il à utiliser le langage ?
L’apprentissage du langage, ou plutôt l’acquisition du langage, constitue un
processus fascinant, qui se caractérise par le fait qu’il est similaire dans les dif-
férentes cultures. Les vocalisations des nouveau-nés deviennent des babillages
autour de 6 mois. À 18 mois, les bébés comprennent environ 150 mots et peuvent
en utiliser environ 50. De façon intéressante, même à cet âge précoce, les enfants
commencent à perdre la faculté de distinguer des sons qu’ils pouvaient parfai-
tement distinguer plus tôt. Par exemple, la difficulté qu’ont les enfants japonais
de discriminer les sons correspondant au « r » et au « l » anglais, du fait que
ces sons ne sont pas utilisés en langue japonaise. À l’âge de 1-2 ans, les enfants
utilisent les tonalités, les rythmes et les accents des langages auxquels ils sont
exposés. Puis, ce n’est qu’à l’âge de 3 ans environ qu’ils sont capables de faire des
phrases et qu’ils utilisent environ 1 000 mots. En devenant adulte, une personne
utilise plusieurs milliers de mots. Par ailleurs, après la puberté l’acquisition d’une
seconde langue devient plus difficile. Ainsi, du fait des difficultés des enfants plus
âgés à acquérir une seconde langue par rapport à la première et des difficultés
susceptibles d’intervenir pour l’acquisition de cette première langue, si l’enfant
n’est pas correctement exposé à un langage parlé avant la puberté, est-il suggéré
l’existence d’une forme de « période critique » au cours du développement en ce
qui concerne l’acquisition du langage.
La vitesse avec laquelle les enfants apprennent leur langage dément la com-
plexité du challenge que cela représente. Lorsque nous entendons pour la première
fois une langue étrangère, cela nous paraît extrêmement rapide, et nous avons du
mal à situer le moment où un mot se termine et un autre commence. Ceci est l’une
des difficultés auxquelles sont confrontés les enfants qui apprennent leur propre
langage. Dès l’âge de 1 an, cependant, les enfants peuvent déjà reconnaître les sons
de leur langage et les mots, même s’ils ne sont pas capables d’en comprendre le
sens. Parler un langage ne signifie pas que l’on est précisément capable d’indiquer
les limites entre les mots, mais plutôt que l’on appréhende le langage comme une
suite de mots que l’on lirait sans intervalle entre eux (Fig. 20.3). Les enfants doivent
20 – Langage 697
apprendre à comprendre des milliers de mots qui sont finalement tous construits
à partir d’un nombre de sons relatifs au langage plutôt limité. Jenny Saffran et ses
collègues de l’Université du Wisconsin, ont démontré que l’apprentissage des mots
par les enfants présente un caractère statistique. En d’autres termes, les enfants
apprennent que certaines combinaisons de sons sont plus probables que d’autres.
Lorsqu’une combinaison moins probable intervient, ceci suggère qu’il s’agit plutôt
d’un non-mot. Par exemple, dans la phrase « mon enfant chéri », la probabilité
dans un seul mot que « fant » suive « en » est plus élevée que la proposition où
« ché » suivrait « fant ». Une autre chose que les enfants apprennent à utiliser est
d’accentuer certaines syllabes. En anglais, par exemple, l’accent est le plus souvent
mis sur la première syllabe du mot, ce qui permet de déterminer par cette sorte de
rythme où les mots commencent et où ils se terminent. Ainsi, lorsque les adultes
des deux sexes s’adressent aux petits enfants, ils utilisent en général un langage
adapté où le débit est lent, les voyelles bien détachées et exagérément articulées. Ce
type de langage aide l’enfant à acquérir son langage maternel.
Nous ne savons toujours pas quels sont les mécanismes neuronaux par
lesquels les enfants apprennent à distinguer et à articuler les mots. Ghislaine
Dehaene-Lambertz et ses collaborateurs, travaillant à Neurospin à Saclay, ont
montré, à l’aide d’enregistrements par IRMf, que dès l’âge de 3 mois les enfants
présentaient des réponses d’activation cérébrale aux mots entendus, très proches
de celles enregistrées chez les adultes (Fig. 20.4). Entendre des paroles active
ainsi très largement des aires du lobe temporal, plutôt dans l’hémisphère gauche.
Ces résultats ne montrent pas que l’enfant traite les informations relatives au
langage de la même façon que l’adulte, mais ils illustrent le fait qu’il existe une
organisation précoce et relativement similaire des aires auditives et de la latéra-
lisation du langage.
Membres Membres
de la famille de la famille
non affectés affectés
Mâle Mâle
Femelle Femelle
décédé jumeaux
Cortex moteur
Aire
de Broca Gyrus
angulaire
Encadré 20.2 FOCUS
Lobe frontal
Artère cérébrale moyenne
Lobe pariétal
Lobe
temporal
Artère carotide
interne gauche
Solution
d’Amytal®
Figure A Figure B
(Source : Spreer et al., 2002, Fig. 4.)
20 – Langage 703
Comprendre le langage
à partir des aphasies
Comme dans les études de Broca et Wernicke, la méthode la plus ancienne
mise en œuvre pour établir les relations entre le langage et le cerveau repose sur
les corrélations établies entre les déficits fonctionnels et les lésions de certaines
aires du cerveau (méthode anatomoclinique). L’existence de plusieurs types
d’aphasie, illustrée par le tableau 20.1, suggère que les processus du langage
connaissent plusieurs stades et se déroulent dans différentes régions du cerveau
à la fois. En examinant les déficits du langage résultant de lésions de différentes
zones cérébrales, Nina Dronkers, à l’Université de Californie, puis à Davis, a
contribué à clarifier les fondements anatomiques du langage (Encadré 20.3).
Répétition Erreurs
Type d’aphasie Site de la lésion Compréhension Discours
altérée paraphasiques
De Broca Cortex moteur associatif du lobe Bonne Non fluent, agrammatique Oui Oui
frontal
De Wernicke Lobe temporal postérieur Faible Fluent, grammatical Oui Oui
incompréhensible
De conduction Faisceau arqué Bonne Fluent, grammatical Oui Oui
Globale Parties du lobe temporal Faible Peu de langage Oui —
et du lobe frontal
Transcorticale Lobe frontal antérieur par rapport Bonne Non fluent, agrammatique Non Oui
motrice à l’aire de Broca
Transcorticale Cortex proche de la jonction Faible Fluent, grammatical, Non Oui
sensorielle des lobes temporal, pariétal incompréhensible
et occipital
Anomie Lobe temporal inférieur Bonne Fluent, grammatical Non Non
704 3 – Cerveau et comportement
Ma passion pour les neurosciences cli- toutes ces structures travaillent ensemble
niques a démarré alors qu’un jour, à l’Uni- dans des réseaux complexes qui contribuent
versité de Californie à Berkeley, je m’inter- à ces capacités extraordinaires que sont
rogeais sur mon avenir et sur ce que je celles du langage.
pourrais faire après ma formation initiale. Un moment a été particulièrement exci-
L’un de mes professeurs nous a présenté une tant pour moi lorsque j’ai eu la chance de
vidéo d’un patient qui n’était plus capable pouvoir étudier à Paris le cerveau des deux
de lire un message rédigé à la main. De premiers patients de Paul Broca. Il s’agit des
façon paradoxale, cependant, le message Nina Dronkers deux cas d’aphasie qu’il a examinés en 1861
avait été écrit par le patient lui-même ! C’est et qui l’ont conduit à proposer que la partie
alors ce type de problème survenant après un accident inférieure du lobe frontal jouait un rôle important pour
vasculaire cérébral qui a déterminé mon avenir, en le langage parlé. Du fait de la littérature particulièrement
m’amenant à m’interroger sur les mécanismes du lan- abondante sur l’aire de Broca, notamment avec le déve-
gage, et cela continue de me fasciner après plus de trente loppement de l’imagerie en IRM et en TEP-scan, il m’a
ans. paru nécessaire de revenir aux observations de ces deux
En travaillant sur des patients cérébrolésés, j’ai ainsi cerveaux à valeur historique, pour décrire avec une plus
eu l’opportunité unique d’évaluer les relations existant grande précision à la lumière des connaissances actuelles,
entre les régions lésées (appréciées par l’imagerie céré- quelles aires étaient réellement lésées. Par chance, ces
brale) et les troubles du langage induits par ces lésions cerveaux étaient intacts et n’avaient jamais fait l’objet
(aphasie). La première chose frappante est que ce que d’études anatomiques plus poussées que celles initiale-
j’observais n’était pas réellement toujours en accord ment réalisées, ce que j’ai pu faire avec ma collègue Odile
avec ce que l’on m’avait appris au travers des différents Plaisant. Dès lors, nous avons pu observer que ce qui est
modèles de l’aphasie, enseignés en clinique. J’ai ainsi décrit et connu aujourd’hui comme l’aire de Broca n’était
étudié des patients catégorisés comme aphasie de Broca en fait que partiellement lésée dans chacun des deux cas.
qui ne présentaient pas de lésion de l’aire de Broca, et il Nous avons poussé nos investigations pour savoir jusqu’à
en était de même pour les autres types d’aphasie. Très quelle profondeur ces régions cérébrales étaient lésées et,
vite avec mes collègues nous avons conclu que, certes, avec l’expertise de Marie-Thérèse Iba-Zizen et Emmanuel
certains déficits du langage pouvaient effectivement être Cabanis, tous deux neuroradiologues, nous avons pu
mis en relation avec des lésions assez précises, mais qu’en réaliser des études en IRM et obtenir des images détail-
tout état de cause ces lésions plutôt localisées devaient lées en haute résolution de ces cerveaux.
être rapprochées de sous-aspects du langage plutôt À l’analyse des lésions, nous avons été étonnés de
qu’avec le syndrome clinique pris dans son ensemble. leur étendue, impliquant l’insula et de nombreux fais-
Ainsi des déficits tels que ceux correspondant à des ceaux de fibres de cette région. Le cas de Monsieur
troubles de la coordination de l’articulation des mots Leborgne, encore appelé « Tan », était à cet égard parti-
émergeaient de lésions touchant des zones localisées de culièrement illustratif. En fait, ce cerveau qui a joué un
l’insula. De même, des troubles de la répétition de rôle fondateur dans la théorie de Broca, comporte de
phrases courtes étaient observés après lésion de la partie larges atteintes de l’insula et seulement une atteinte très
postérieure du gyrus temporal supérieur. Des difficultés partielle de ce que nous nommons aujourd’hui « aire de
de reconnaissance de la structure syntaxique d’une Broca ». De plus, des faisceaux de fibres majeurs, comme
phrase pouvaient être liées à des atteintes de la partie le faisceau arqué et le faisceau longitudinal supérieur
antérieure de ce même gyrus temporal supérieur. Nos qui relient les parties antérieures frontales et les parties
travaux ont également montré que certains faisceaux de postérieures du cerveau, étaient complètement détruits.
fibres jouaient un rôle critique dans la production et la Le second cas étudié par Broca, le cerveau de Monsieur
compréhension du langage. La destruction du faisceau Lelong, présente une atrophie de l’insula, mais égale-
arqué, par exemple, se traduit par des troubles du lan- ment toute une série de petites lésions dans les régions
gage sévères. Ainsi, il apparaissait que, si effectivement plus profondes du cerveau, touchant là encore le fais-
certaines aires cérébrales jouaient un rôle dans les fonc- ceau arqué et le faisceau longitudinal supérieur. Ces
tions du langage, les syndromes aphasiques résultaient observations n’avaient jamais été réalisées auparavant et
de lésions beaucoup plus larges, susceptibles d’impli- nous avons été ravis de pouvoir le faire. Ceci nous a alors
quer les faisceaux de fibres qui les interconnectaient. permis d’avancer que les lésions, qui étaient à l’origine
Dans un cerveau normal, en dehors de toute lésion, de l’aphasie dans ces deux cas, étaient bien plus larges
20 – Langage 705
qu’il n’avait été considéré jusqu’ici, en accord avec nos de nombreux de ses aspects, le cerveau humain représente
propres observations des zones lésées examinées dans les encore un champ de « terra incognita », en particulier en
aphasies de Broca. ce qui concerne ses fonctions, ses mécanismes, et ses
En tant que chercheur en neurosciences, je me suis capacités de récupération. C’est maintenant le travail des
sentie extrêmement chanceuse d’avoir pu travailler avec jeunes générations de chercheurs en neurosciences de
tant de patients souffrant d’aphasie, qui nous ont telle- poursuivre ces travaux et contribuer aux découvertes,
ment appris sur le fonctionnement de notre cerveau. Pour avec le même enthousiasme qui fut le nôtre.
Aphasie de Broca
Le syndrome connu sous le nom d’aphasie de Broca est qualifié aussi de
moteur ou non fluent car le patient souffrant de ce syndrome a des difficultés
à parler, même s’il comprend le langage écrit ou parlé. Le cas de David Ford
est typique : cet homme était opérateur radio dans les garde-côtes lorsqu’il fut
frappé d’un accident vasculaire cérébral, à l’âge de 39 ans. Son intelligence ne
fut pas touchée, mais il contrôlait mal le bras et la jambe du côté droit (ce qui
indiquait une lésion de l’hémisphère gauche). Son discours aussi devint anor-
mal, comme le montre sa conversation avec le psychologue Howard Gardner,
reproduite ci-dessous :
« J’ai demandé à M. Ford ce qu’il faisait avant d’être admis à l’hôpital.
“Je suis un opé… non… heu, bien,… encore”. Il prononça ces mots
doucement, avec beaucoup d’efforts. Les sons n’étaient pas bien articulés ;
il énonçait chaque syllabe d’une voix dure, forte et gutturale. Avec de l’en-
traînement, on parvint à le comprendre, mais j’ai eu beaucoup de difficultés
au début.
“Laissez-moi vous aider”, lui dis-je. “Vous travaillez dans les transmis-
sions…”
“Un opé-rateur de transmission… c’est cela.” Ford compléta ma phrase,
triomphant.
“Étiez-vous dans les garde-côtes ?”
“Non, euh, oui… navire… Massachu… chusetts… garde-côtes… années.”
Il leva deux fois ses deux mains pour montrer le chiffre dix-neuf…
…
“Pourriez-vous me dire ce que vous faites à l’hôpital ?”
“Oui. Bien sûr. Moi vais, euh, heu, neuf heures, parler… deux fois…
lire… éc…, euh écri…, écrire… pratiquer… progres…-ser.”
“Et rentrez-vous à la maison pour le week-end ?”
“Oui, bien sûr… jeudi, euh… non, vendredi… Bar-ba-ra… femme… et,
oh, voiture… conduire… vous savez… repos… et… télé-vision.”
“Pouvez-vous tout comprendre à la télévision ?”
“Oh, oui, oui, oui… euh… pres-que tout.” Ford eut un petit sourire. »
(Gardner, 1974, pp. 60-61).
Les sujets présentant une aphasie de Broca ont du mal à trouver leurs mots
et ils s’arrêtent souvent en parlant pour les trouver. L’incapacité à trouver le mot
juste s’appelle l’anomie (littéralement le manque de mot). Curieusement, l’apha-
sique de Broca peut dire presque sans hésitation un certain nombre de choses
courantes, comme le jour de la semaine. La caractéristique de l’aphasie de Broca
est un discours de style télégraphique, qui utilise principalement les mots qui ont
un contenu (noms, verbes et adjectifs avec un contenu spécifique dans la phrase).
Dans l’exemple de David Ford, à la question lui demandant s’il était dans les
garde-côtes, il répondait avec les mots « navire », « Massachusetts », « garde-
côte » et « années », mais rien d’autre. Les mots qui ont une fonction (articles,
706 3 – Cerveau et comportement
Aphasie de Wernicke
Le syndrome observé par Wernicke est très différent de celui de Broca. Il
remarque que les lésions temporales supérieures peuvent provoquer une aphasie,
et il postule qu’il y a en fait deux types d’aphasie : l’aphasie de Broca, carac-
térisée par des troubles du langage alors que la compréhension est assez bien
préservée, et l’aphasie de Wernicke, caractérisée par un langage fluide et volubile,
mais incompréhensible.
Gardner a rapporté sa conversation avec un autre patient, Philip Gorgan :
« Qu’est-ce qui vous a amené à l’hôpital ? » demandais-je à cet homme de
72 ans, un boucher à la retraite, qui était à l’hôpital depuis quatre semaines.
« Eh bien, je transpire, je suis terriblement nerveux, vous savez, de temps
en temps, je ne peux plus bouger, alors que, d’autre part, vous savez ce que je
veux dire, il faut que je m’agite, regarde tout ce qui se passe, et tout le reste
avec. »
20 – Langage 707
1. NdT : suit un discours incompréhensible, comprenant aussi des mots inventés.
708 3 – Cerveau et comportement
Cortex moteur
Aire
Faisceau
de Broca arqué
Cortex moteur
Aire
de Broca Cortex
visuel
primaire
plus haut. En fait, l’information visuelle est transmise du cortex visuel à l’aire
de Broca, sans passer par le gyrus angulaire. Un des risques inhérents à tous
les modèles est de donner trop d’importance à une aire corticale donnée, pour
une fonction donnée. Il a été découvert récemment que la gravité des aphasies
de Broca et de Wernicke dépend de l’étendue du cortex affecté par la lésion, en
dehors des aires de Wernicke et de Broca. D’autre part, les lésions de structures
sous-corticales telles que celles du thalamus et du noyau caudé, qui ne sont pas
représentées dans le modèle, ont aussi une influence sur l’aphasie. De ce fait,
les déficits du langage consécutifs à l’ablation chirurgicale de parties du cortex
sont plus bénins que ceux qui suivent une attaque cérébrale, qui lèse à la fois les
structures corticales et sous-corticales.
Un autre facteur important est lié à l’observation fréquente de récupérations
significatives du langage après un accident vasculaire cérébral. Il semble ainsi que
d’autres aires corticales compensent ce qui a disparu. Comme c’est le cas pour de
nombreux syndromes neurologiques, les enfants jeunes récupèrent extrêmement
bien, et les adultes, particulièrement les gauchers, font preuve d’une assez bonne
récupération fonctionnelle.
Enfin, une autre difficulté avec le modèle de Wernicke-Geschwind vient du
fait que la plupart des formes d’aphasie s’accompagnent à la fois de perturba-
tions du langage et de la compréhension. Dans les exemples vus ci-dessus, le
patient Ford souffrant de l’aphasie de Broca a une bonne compréhension, mais
il est dérouté par des questions plus complexes. Inversement, le patient Gorgan,
atteint d’aphasie de Wernicke, présente plusieurs troubles du langage ajoutés à
une sévère perte de compréhension. Par conséquent, il n’est pas possible de dire,
comme tente de le démontrer le modèle, qu’en ce qui concerne les processus
corticaux, différentes régions correspondent à des fonctions clairement définies.
Toutefois, en dépit de ces inexactitudes, le modèle de Wernicke-Geschwind est
toujours utilisé en clinique du fait de sa simplicité et de sa relative validité. Dans
la seconde partie du xxe siècle, de nombreux modèles ont été développés pour
tenter de rendre compte de la complexité du traitement du langage par le cerveau
et des limites du modèle de Wernicke-Geschwind. Un peu à la manière des voies
du traitement parallèle des informations visuelles, ces modèles soulignent égale-
ment la possibilité d’un traitement multiple par le cerveau des différents aspects
du langage par des voies parallèles mais interconnectées (Fig. 20.9).
710 3 – Cerveau et comportement
Cortex moteur
Cortex prémoteur
Aire de Broca
Aire de
Wernicke
Cortex auditif
Aphasie de conduction
La valeur d’un modèle n’est pas seulement liée à sa capacité à rendre compte
d’observations antérieures mais aussi à sa capacité de prédiction. Sur la base de
ses observations que différentes formes d’aphasies résultent de lésions d’aires
corticales situées dans le cortex frontal et dans le cortex temporal supérieur,
Wernicke a ainsi prédit qu’il existe une forme d’aphasie particulière résultant
de la lésion qui interrompt la connexion entre l’aire de Wernicke et l’aire de
Broca tout en préservant l’intégrité de ces deux aires. Cette aphasie particulière
serait due à une lésion des fibres du faisceau arqué, selon le modèle de Wernicke-
Geschwind. En réalité, ces lésions de déconnexion touchent normalement le cor-
tex pariétal en plus du faisceau arqué, mais l’aire de Broca et celle de Wernicke
sont épargnées.
La prédiction de Wernicke s’avérait donc être correcte. L’aphasie consécutive
à ce type de lésions existe, et se nomme l’aphasie de conduction. Comme le prédit
le modèle basé sur la préservation des aires de Wernicke et de Broca, la compré-
hension est bonne et le langage est fluide. L’expression orale du patient quant
à elle n’est pas affectée. L’aphasie de conduction se caractérise essentiellement
par des troubles dans les tests de répétition : en réponse à la prononciation de
quelques mots, le patient doit répéter ce qu’il entend. Dans ce cas, la répétition
se traduit par une mauvaise performance émaillée de transformation de mots,
d’omission de mots, et d’erreurs paraphasiques. La performance est générale-
ment meilleure avec les noms et les expressions courantes courtes, mais plus
20 – Langage 711
mauvaise lorsqu’il s’agit de mots qui ont une fonction, de mots polysyllabiques,
ou de sons sans signification. Curieusement, le sujet atteint d’aphasie de conduc-
tion comprend ce qu’il lit à haute voix, même si ce qu’il ou elle dit contient de
nombreuses erreurs paraphasiques. Cela correspond à l’idée que la compréhen-
sion est préservée, et que les déficits surviennent entre les régions du langage et
de la compréhension.
Il est tout à la fois triste et fascinant d’observer la diversité des aphasies
consécutives à un accident vasculaire cérébral. Bien que ces syndromes remettent
souvent en question tous les modèles, chacun d’entre eux représente une clé pour
la compréhension des processus du langage. Le tableau 20.1 rapporte les carac-
téristiques de quelques autres types d’aphasie.
Traitement asymétrique
du langage par les hémisphères
cérébraux
Les lésions de certaines parties du cerveau entraînent des formes d’aphasie
différentes. Comme l’indiquent les premiers travaux de Broca, le langage n’est
pas traité de la même façon dans les deux hémisphères. L’illustration la plus
intéressante et la plus fascinante de l’activité fonctionnelle différentielle des deux
hémisphères dans le langage est donnée par un modèle appelé split-brain, dans
lequel les hémisphères sont séparés chirurgicalement pour des raisons thérapeu-
tiques. La communication entre les hémisphères cérébraux est le fait de plusieurs
faisceaux d’axones ou commissures. La plus volumineuse est la grande commis-
sure cérébrale, appelée aussi corps calleux (Fig. 20.11), comme nous l’avons vu
au chapitre 7. Le corps calleux est composé d’environ 200 millions d’axones, qui
passent d’un hémisphère à l’autre. Un tel amas de fibres doit sûrement avoir une
fonction importante, mais curieusement, ce n’est qu’à partir de 1950 que l’on a
Partie pu démontrer le rôle du corps calleux.
de l’os Dans le modèle split-brain, après ouverture du crâne, les axones du corps cal-
Corps
Crâne retirée
leux sont sectionnés (Fig. 20.12). Dans cette situation, cependant, il subsiste une
calleux certaine forme de communication entre les hémisphères, par le tronc cérébral ou
les petites commissures (si elles ne sont pas séparées), mais la communication
entre les deux hémisphères a disparu en grande partie. Dans les années 1950,
l’équipe de Roger Sperry de l’Université de Chicago et plus tard du California
Institute of Technology, a réalisé des expériences au moyen de modèles animaux
split-brain, pour découvrir les fonctions du corps calleux et des hémisphères
Vascularisation
cérébrale
séparés. Les résultats de ces expériences, à la suite de travaux antérieurs, ont
confirmé que le fait de sectionner le corps calleux chez le chat ou le singe n’a
pas d’effet majeur sur le comportement de l’animal. Son tempérament n’est
Scalpel
pas modifié, et la coordination motrice de l’animal, sa réaction aux stimuli et
Figure 20.12 – Procédure opératoire pour
son aptitude à apprendre, paraissent normaux. Cependant l’équipe de Sperry a
sectionner le corps calleux (split-brain) en montré, au moyen d’expériences plus ingénieuses, que les animaux réagissaient
chirurgie humaine. parfois comme s’ils avaient deux cerveaux. Par exemple, dans l’une de ces expé-
Pour atteindre le corps calleux, une partie de riences, des stimuli en forme de cercle ou de croix étaient présentés à un singe
la peau et du crâne est retirée, et les hémis- split-brain par le seul canal de l’œil gauche, alors que l’animal avait préalable-
phères cérébraux légèrement écartés. ment été conditionné pour reconnaître le cercle. En procédant à des essais alter-
Corps calleux
Hémisphère Hémisphère
droit gauche
Figure 20.11 – Corps calleux.
Le corps calleux représente un faisceau Pont
d’axones impliqué dans la communication
interhémisphérique. Cervelet
20 – Langage 713
Projecteurs
Obturateur
Écran
Notez que lorsque l’obturateur est ouvert, il ne présente pas le stimulus à un œil
en particulier, mais qu’au contraire le stimulus est bien présenté aux deux yeux
à la fois, de telle manière qu’un seul hémisphère « voit » le stimulus. Les stimuli
sont toutefois projetés si peu de temps que les yeux n’ont pas le temps de bouger,
et l’image ne parvient ainsi qu’à un seul des deux hémisphères.
Dominance de l’hémisphère gauche. Les résultats montrent que, bien que le
sujet split-brain ne présente pratiquement aucune perturbation, il est observé une
forte asymétrie dans sa capacité à verbaliser des réponses aux questions posées
séparément aux deux hémisphères. Par exemple, s’il est demandé au sujet de
répéter les chiffres, les mots, et les images projetés, ils sont dénommés ou décrits
sans difficulté si les images parviennent dans le champ visuel droit car l’hémis-
phère gauche est dominant dans le langage. De même, le patient peut décrire les
objets palpés seulement par la main droite (en ayant les yeux fermés). Ces résul-
tats n’ont rien d’extraordinaire, si ce n’est qu’une dénomination aussi simple de
l’information sensorielle est impossible avec l’hémisphère droit.
De fait, si maintenant l’image est projetée uniquement sur le champ visuel
gauche ou si le sujet split-brain ne peut palper l’objet qu’avec la main gauche,
il ne peut pas le décrire et dit qu’il n’a rien vu (Fig. 20.14). Il est même pos-
sible de placer discrètement l’objet dans la main gauche du sujet sans qu’il
s’en aperçoive (ou sans qu’il ne manifeste quoi que ce soit). Cette absence de
réponse démontre que, chez la plupart des personnes, le langage est contrôlé
par l’hémisphère gauche. Tout ce qui précède explique dès lors que les sujets
split-brain ont une vie bien particulière : ils ne peuvent rien décrire de ce qui se
présente à gauche du point de fixation visuelle, soit par exemple le côté gauche
du visage d’une personne, le côté gauche d’une pièce… Curieusement, cela ne
semble pas les perturber.
Fonctions de l’hémisphère droit dans le langage. Bien que l’hémisphère
droit exprime une incapacité dramatique à traiter le langage, cela ne signifie pas
qu’il ignore tout du langage. Il est ainsi possible de démontrer que l’hémisphère
droit peut lire et comprendre des chiffres, des lettres, et des énoncés courts, à
Balle
ella
B
« Je ne Contrôle
vois rien » de la main gauche
condition que la réponse ne soit pas verbalisée. Dans une des expériences, un
mot est présenté sous la forme d’un nom à l’hémisphère droit. Comme cela a
été vu plus haut, le sujet répond qu’il ne voit rien. C’est évidemment le bavard
hémisphère gauche qui parle, et il n’a effectivement rien vu. Mais si l’on insiste
en demandant au sujet d’utiliser sa main gauche, il parvient à choisir une carte
avec le dessin correspondant au mot qu’il a vu, ou de prendre le bon objet en le
palpant (Fig. 20.14). L’hémisphère droit ne sait pas s’exprimer avec des mots ou
des phrases complexes, mais les résultats de ces expériences impliquent claire-
ment que l’hémisphère droit reconnaît les mots.
Dans une étude récente réalisée par Kathleen Baynes, Michael Gazzaniga,
et leurs collaborateurs à l’Université de Californie à Davis, il est suggéré que
l’hémisphère droit peut parfois contribuer à l’écriture, même s’il n’est pas impli-
qué dans le langage. Chez la plupart des gens, lire, parler et écrire, sont des
fonctions contrôlées par l’hémisphère gauche. L’étude d’une patiente split-brain
connue comme V. J., montre que cela n’est pas tout à fait exact. Dans ce cas, les
mots étaient « adressés » successivement à l’hémisphère gauche et à l’hémisphère
droit. Les mots ainsi adressés à l’hémisphère gauche pouvaient être restitués sous
forme orale, mais pas écrite. En revanche, ceux adressés à l’hémisphère droit
pouvaient être écrits mais pas nommés. Bien qu’il soit possible d’objecter qu’il
s’agissait dans ce cas d’une situation pathologique, le cas de cette patiente V. J.
reste néanmoins particulièrement intéressant, indiquant que tous les aspects du
langage ne sont pas nécessairement confinés à un seul système localisé dans un
seul hémisphère.
Ces résultats prouvent aussi que l’hémisphère droit appréhende les images
complexes, malgré son incapacité à les exprimer. Dans une autre expérience,
une série d’images est présentée à une patiente dans son champ visuel gauche, et
une des images est la photo d’un nu. Questionnée sur ce qu’elle voit, la patiente
répond « rien », mais commence à rire. Elle explique qu’elle ne sait pas pourquoi
elle rit, et que peut-être c’est à cause de la machine utilisée pour l’expérience.
De plus, l’hémisphère droit semble avoir de meilleures aptitudes que l’hémis-
phère gauche, dans certains domaines. Par exemple, les patients analysés sont
tous droitiers, et donc leur hémisphère gauche est prépondérant pour le des-
sin ; mais leur main gauche contrôlée par l’hémisphère droit est plus agile pour
dessiner ou recopier les images avec une perspective en trois dimensions. Les
patients parviennent aussi mieux à trouver des casse-tête complexes avec leur
main gauche. Enfin, on dit aussi que l’hémisphère droit percevrait mieux les
nuances du son.
Dans quelques-unes des études des patients split-brain, les deux hémisphères
déclenchaient des comportements apparemment conflictuels, vraisemblablement
du fait qu’ils analysaient différemment la situation. Dans l’une de ces études, il
était demandé à un patient d’assembler des éléments d’un puzzle assez complexe
pour reproduire un dessin. La consigne était qu’il réalise cette tâche en n’utili-
sant que la main droite, c’est-à-dire en mobilisant l’hémisphère gauche qui n’est
pas le meilleur pour réaliser ce type de tâche. Alors que la main droite bataillait
pour assembler les éléments, la main gauche, qui avait plus de facilité (mise en jeu
de l’hémisphère droit), prenait immanquablement le dessus pour mener à bien
ce travail. Seule la consigne donnée par l’expérimentateur était à même d’empê-
cher la main gauche de contribuer à la résolution du puzzle. Un autre patient
examiné par Gazzaniga s’efforçait de baisser son pantalon avec une main, alors
que l’autre le tirait vers le haut. Ces comportements bizarres illustraient bien le
fait qu’il existe deux cerveaux indépendants contrôlant les deux côtés du corps.
Les résultats de ces études de sujets split-brain démontrent que les deux
hémisphères peuvent fonctionner comme deux cerveaux indépendants, et qu’ils
ont des capacités différentes vis-à-vis du langage. Il y a certes une dominance de
l’hémisphère gauche dans le langage, mais l’hémisphère droit présente aussi une
certaine aptitude à appréhender le langage. Il ne faut pas oublier que les expé-
riences split-brain testent les différences fonctionnelles entre les hémisphères. Il
est alors possible d’imaginer que, dans le cerveau normal, l’activité des deux
hémisphères est en synergie par l’intermédiaire des fibres du corps calleux, tant
pour le langage que pour les autres fonctions.
716 3 – Cerveau et comportement
Noyau caudé
Putamen
Insula
Globus pallidus
Figure 20.17 – Représentation de l’insula.
L’insula est également nommé « cortex insulaire ». Il s’étend dans le sillon latéral, entre le lobe
temporal et le lobe pariétal.
718 3 – Cerveau et comportement
pondérant dans les processus subtils du contrôle moteur. Peut-on dire alors que
cette activité est reliée au langage ? La réponse à cette question n’est pas connue,
mais il faut noter que l’homme est différent des autres primates en termes de pré-
férence manuelle comme de langage. Toutefois, si dans de nombreuses espèces les
animaux présentent comme l’homme une préférence manuelle marquée, contrai-
rement à ce que l’on observe dans l’espèce humaine, chez ces animaux le nombre
de gauchers et de droitiers est sensiblement équivalent.
Étude du langage
par stimulation cérébrale
et imagerie cérébrale
Jusqu’à une période récente la seule façon d’étudier les processus cérébraux
liés au langage reposait sur les corrélations établies entre les déficits du langage
et l’analyse post-mortem des lésions cérébrales. Aujourd’hui d’autres méthodes
ont été mises en œuvre pour étudier le langage dans le cerveau vivant. La stimu-
lation électrique du cerveau, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf) et la tomographie par émission de positrons (TEP) représentent les tech-
niques les plus utilisées.
N
A
J
R M
N A A A N
N J M R
R R N J M M
M R R
M J M M N
N J M R
J N G R
R N M G M
M
J
Figure 20.19 – Effets de la stimulation électrique du cortex chez trois patients traités pour une
épilepsie grave.
Les patients ne sont pas anesthésiés, et il est donc facile de noter les difficultés du discours ou
de la lecture. N = difficulté à nommer avec discours normal (anomie) ; A = arrêt du discours ;
G = erreurs grammaticales ; J = jargon (discours fluent avec erreurs fréquentes) ; R = impossibilité
de lire ; M = mouvements anormaux de la face. (Source : adapté de Ojemann et Mateer, 1979,
Fig. 1.)
(a)
(b)
(c)
la seconde tâche, les sujets devaient se répéter en silence une phrase qu’ils avaient
préalablement lue à haute voix (Fig. 20.20b). Enfin, dans la troisième tâche, ils
devaient simplement écouter une histoire qui leur était lue par un expérimenta-
teur (Fig. 20.20c). Vous remarquerez que les aires activées sont globalement les
mêmes que celles décrites comme aires du langage du cortex temporal et pariétal,
à partir des études de cas de patients aphasiques. Toutefois, ce qui est surprenant
ici est l’activation bilatérale. Sur la base des données obtenues sur la latéralisa-
tion des aires du langage par la procédure de Wada, le sujet dont les résultats
sont reportés sur la figure 20.20 présente effectivement une activation préféren-
tielle des aires situées sur l’hémisphère gauche. Les données de l’IRMf suggèrent
qu’il existe en plus une activation de l’hémisphère droit, plus importante que ne
le laissaient entrevoir les données obtenues par la procédure de Wada. Ainsi,
l’activation bilatérale est une constance des observations en IRMf, la question
étant de savoir quelle peut être sa signification. D’autres études en TEP et IRMf
suggèrent par ailleurs qu’il existe des différences et des similitudes fascinantes
dans le traitement du langage parlé, le langage des signes, et la production de la
lecture en Braille (Encadré 20.4).
20 – Langage 721
Encadré 20.4 FOCUS
Figure A
En haut : lecture de l’anglais par des sujets
qui le pratiquent et qui entendent norma-
lement. Au centre : perception du langage
des signes anglais par des sujets qui ne
le comprennent pas mais qui entendent
normalement. En bas : lecture du langage
des signes par des sujets sourds qui le
pratiquent couramment. (Source : Neville
et al., 1998.)
722 3 – Cerveau et comportement
Dans une autre étude, les chercheurs ont utilisé la TEP pour comparer les
différences d’activité dans les réponses sensorielles aux mots, et dans l’expression
orale. Ils ont commencé par mesurer le débit sanguin du sujet au repos, puis ils
lui ont demandé d’écouter des mots ou de lire des mots projetés sur un écran.
En faisant la différence entre le niveau du débit sanguin au repos et les niveaux
du débit sanguin au cours de l’écoute ou de la lecture des mots, il est possible
de calculer le débit sanguin correspondant spécifiquement à l’activité générée
par le stimulus sensoriel (Fig. 20.21, images du haut). Il n’est pas surprenant de
constater que les stimuli visuels augmentaient l’activité cérébrale du cortex strié
et du cortex extrastrié, et que les stimuli auditifs activaient le cortex auditif pri-
maire et secondaire. Cependant, les aires du cortex extrastrié et du cortex auditif
secondaire activées n’étaient pas sensibles aux stimuli visuels ou auditifs autres
que les mots. Il est alors possible que ces aires soient spécialisées dans l’enco-
dage des mots vus ou entendus. L’activation du gyrus angulaire et de l’aire de
Wernicke par les stimuli visuels n’est pas significative, comme le prédit le modèle
de Wernicke-Geschwind.
20 – Langage 723
Dans une autre expérience utilisant toujours la TEP, les processus associés à
la répétition des mots ont été observés. Les mots à répéter devaient être perçus
et analysés par le sujet, par le système visuel ou auditif. Ainsi, l’activité céré-
brale visualisée dans la tâche de répétition comprenait une composante asso-
ciée au processus perceptuel de base, et une composante associée au langage.
Pour isoler la composante associée au langage, la réponse obtenue auparavant
avec la composante sensorielle seulement est soustraite mathématiquement. En
d’autres termes, la représentation de « dire les mots » égale la représentation
correspondant à « répéter les mots dits » moins la représentation correspondant
à « écouter les mots ». Après ce calcul, les mesures du débit sanguin indiquaient
une forte activité dans le cortex moteur primaire et l’aire motrice supplémentaire
(Fig. 20.21, en bas à gauche). Le débit sanguin était aussi plus important autour
de la scissure sylvienne, près de l’aire de Broca. Cependant, les images obtenues
par la TEP montraient la même activité bilatéralement, y compris lorsqu’on
demandait au sujet de remuer la bouche et la langue sans parler. Sachant que
l’aire de Broca est unilatérale, si elle n’apparaît pas sur ces images, c’est pour des
raisons que l’on ignore.
Le dernier test demandait un peu de réflexion de la part du sujet. Le sujet
devait ainsi attribuer une fonction à chaque mot présenté (par exemple, manger
pour « gâteau »). Pour déterminer l’activité correspondant spécifiquement à ce
test d’association nom-verbe, la cartographie du flux sanguin obtenue aupara-
vant pour dire les mots était soustraite de la même manière que précédemment.
Le test d’association suscitait une activation de zones situées dans l’aire inféro-
temporale gauche, le gyrus cingulaire antérieur et le lobe temporal postérieur
(Fig. 20.21, en bas à droite). Dès lors, l’activation du cortex temporal et frontal
serait associée à la réalisation du test d’association nom-verbe, et l’activation du
cortex cingulaire peut-être à l’attention.
Il existe par ailleurs de nombreuses évidences à partir d’études utilisant soit la
TEP soit l’IRMf que diverses zones cérébrales stockent l’information relative à
différentes catégories d’objets. Ces données sont en accord avec les observations
chez certains patients où les lésions résultent en des pertes sélectives de la capa-
cité à nommer diverses catégories d’objets et pas d’autres. À titre d’illustration,
suite à une lésion une personne peut conserver la capacité de nommer des outils
ou différentes choses, comme les fruits et les légumes, mais être incapable de
dénommer des animaux. L’un de ces patients dénommait une girafe « kangou-
rou » et une chèvre, un « poulet ». Lors d’expériences en TEP, diverses zones du
lobe temporal sont plus actives lorsqu’il est demandé au sujet de nommer des
personnes, des animaux ou encore des outils. Dans d’autres études, il se trouve
un certain chevauchement de ces régions, mais il existe néanmoins une ségré-
gation des patterns d’activation lorsque sont évoqués des termes concrets (par
exemple, une porte), des noms abstraits (« le désespoir »), des verbes concrets
(« parler ») ou encore des verbes abstraits (« souffrir »). Ces données posent
encore de nombreuses questions nécessitant de poursuivre les travaux dans cette
direction. À titre d’illustration : comment le cerveau est-il à même de traiter de
façon différentielle des informations relatives à ces sous-catégories mais dans
le même temps intégrer tout cela dans un processus de compréhension de ces
termes global et unifié ? Quelle est la distinction entre les aires cérébrales impli-
quées dans la reconnaissance des informations sensorielles relatives aux objets,
par exemple, et celles qui leur attribuent des noms ou un sens ?
724 3 – Cerveau et comportement
Conclusion
L’apparition du langage fut l’une des étapes critiques de l’évolution humaine.
La communication entre les individus est un élément tellement fondamental de
nos sociétés qu’il est difficile d’imaginer une vie sans langage. Il est ainsi estimé
que l’apparition du langage est relativement récente, il y a environ 100 000 ans.
Alors que les animaux utilisent de nombreux sons et comportements pour com-
muniquer, aucun d’entre eux n’atteint la sophistication et la flexibilité extrêmes
du langage humain. Les connaissances actuelles sur l’acquisition du langage
ont été acquises sur des modèles utilisant les oiseaux chanteurs ou encore les
primates non humains. Toutefois, pour accéder aux mécanismes du langage du
cerveau humain, il est nécessaire d’analyser ces processus chez l’homme. Dans
ce contexte, l’approche expérimentale a été largement limitée aux études com-
portementales s’agissant de l’acquisition et du fonctionnement du langage, à
l’analyse des conséquences des lésions, aux effets des stimulations cérébrales sur
le langage, et aux études d’imagerie fonctionnelle en PET ou en IRMf. Ainsi,
même si l’on peut considérer que le nombre d’approche de cette problématique
est plutôt faible, il n’en reste pas moins que des progrès considérables ont été
réalisés dans la connaissance des mécanismes du langage. Plus spécifiquement,
en accord avec ce qui est déjà connu des aires sensorielles et motrices, les bases
neuronales du langage peuvent être abordées et déjà largement comprises. Le
schéma qui se dégage met en exergue le rôle de l’aire de Broca située près des
aires motrices et impliquée dans la production de la parole, et celui de l’aire de
Wernicke, plus proche du cortex auditif et associée avec la compréhension du
langage. Ces considérations, bien que globalement plutôt anciennes, sont encore
parfaitement utiles en clinique aujourd’hui.
Les travaux plus récents illustrent néanmoins le fait que les mécanismes du
langage sont beaucoup plus complexes qu’initialement proposés et impliquent
des régions cérébrales plus larges que celles envisagées par le modèle de Wernicke-
Geshwind. Ces données résultent d’études faisant appel à l’imagerie cérébrale
fonctionnelle et aux stimulations cérébrales, qui illustrent la contribution de
régions beaucoup plus étendues que celles définies antérieurement, y compris
dans les deux hémisphères. Par ailleurs, ces travaux démontrent de larges varia-
tions interindividuelles en fonction des sujets testés. Ainsi, de notre point de
vue, la mise en évidence de la complexité du langage dans ses différents aspects
et de sa représentation très large dans le cerveau ne constitue pas une surprise,
du fait que le langage implique de nombreux processus différents, de la compré-
hension des mots à partir des sons émis, aux règles de grammaire utilisées pour
les organiser en locution qui elles-mêmes ont un sens particulier, en passant par
la faculté de nommer les objets et de produire la parole, etc. Comme pour les
autres fonctions cérébrales, des mécanismes à l’origine des perceptions à partir
des sensations aux fonctions motrices et jusqu’aux émotions, les études du lan-
gage visent à savoir jusqu’à quel point sa production met en œuvre une série de
sous-systèmes prenant en charge chacun un ou plusieurs aspects du langage.
C’est dans cette direction que doivent se poursuivre les recherches. Il est alors
vraisemblable que les études d’imagerie puissent un jour clarifier l’organisation
de ces différents systèmes à une échelle plus résolutive que celle permettant de
tirer des conclusions sur l’organisation cérébrale à partir de la simple observa-
tion des effets des lésions, contribuant possiblement à identifier ces différentes
composantes du système du langage.
20 – Langage 725
QUESTIONS DE RÉVISION
Berwick RC, Friederici AD, Chomsky N, Bolhuis JJ. Evolution, brain, and
the nature of language. Trends in Cognitive Sciences 2013 ; 17 : 89-
98.
Bookeheimer S. Functional MRI of language: new approaches to un-
derstanding the cortical organization of semantic processing. Annual
Review of Neuroscience 2002 ; 25 : 51-188.
Friederici AD. The cortical language circuit: from auditory perception
to sentence comprehension. Trends in Cognitive Sciences 2012 ; 16 :
262-68.
Graham SA, Fisher SE. Decoding the genetics of speech and language.
Current Opinion in Neurobiology 2013 ; 23 : 43-51.
Kuhl PK. Brain mechanisms in early language acquisition. Neuron 2010 ;
67 : 713-27.
Saffran EM. Aphasia and the relationship of language and brain. Semi-
nars in Neurology 2000 ; 20 : 409-18.
Scott SK, Johnsrude IS. The neuroanatomical and functional organiza-
tion of speech perception. Trends in Neurosciences 2002 ; 26 : 100-7.
Vargha-Khadem F, Gadian DG, Copp A, Mishkin M. FOXP2 and the
neuroanatomy of speech and language. Nature Reviews Neuroscience
2005 ; 6 : 131-8.
726 3 – Cerveau et comportement 726
PROCESSUS ATTENTIONNELS
Encadré 21.1 Focus Syndrome du déficit attentionnel
et de l’hyperactivité chez l’enfant
Effets de l’attention sur le comportement........................................... 733
Manifestations physiologiques de l’attention...................................... 736
Circuits neuronaux impliqués dans le contrôle de l’attention............... 742
Encadré 21.2 Focus Syndrome d’héminégligence spatiale
CONSCIENCE
Qu’est-ce que la conscience ?.............................................................. 752
Corrélats neuronaux de la conscience.................................................. 753
Encadré 21.3 Les voies de la découverte À la recherche des corrélats
neuronaux de la conscience,
par Christof Koch
CONCLUSION
INTRODUCTION
I
maginez que vous êtes à la plage, étendu sur le sable et les pieds dans les
vagues. Vous sirotez votre cocktail préféré et vous rêvassez en regardant le
ciel. Ce moment de calme et de détente privilégié est alors soudainement
interrompu lorsque votre attention est attirée par l’aileron d’un requin se diri-
geant vers vous. Vous sautez sur vos pieds et vous vous apprêtez à détaler à toute
vitesse lorsque vous réalisez qu’en fait d’aileron d’un requin, il ne s’agissait que
d’un enfant portant une fausse nageoire.
Cette scène imaginaire implique de se référer à trois fonctions mentales
majeures, que nous allons évoquer dans ce chapitre. La première de ces fonctions
est relative au cerveau à l’état de repos. Vous pouvez penser logiquement que
l’activité du cerveau d’une personne se prélassant au soleil est à peu près aussi
intéressante que d’étudier une feuille de papier blanc… Bien au contraire, des
données récentes indiquent que dans le cerveau « au repos » tout un réseau de
structures cérébrales est actif pour vous permettre de vous déconnecter de votre
environnement et de vous relaxer.
Lorsque vous devenez plus actif, le cerveau est confronté à un afflux considé-
rable d’informations provenant de tous vos sens. Plutôt que de tenter de traiter
tous ces signaux simultanément, nous nous focalisons sur quelques éléments
qui captent notre attention, comme dans le cas de l’aileron de requin dans la
mer, ou tout autre objet important pour nous, telle la boisson fraîche que nous
risquons de laisser échapper sur le sol. L’attention sélective ou plus simplement
l’attention est ainsi cette capacité que nous avons de nous fixer sur un aspect
particulier de nos entrées sensorielles. Dans le système visuel, c’est l’attention
qui nous permet de nous focaliser sur un objet déterminé parmi la multitude qui
apparaît dans notre champ visuel. Des interactions entre différentes modalités
sensorielles peuvent également intervenir dans ce processus. Par exemple, si vous
réalisez une tâche d’attention visuelle focalisée, comme lire un livre dans un café,
vous serez à ce moment-là moins attentif aux bruits des paroles des personnes
qui vous entourent. Au milieu de toutes ces images, de ces bruits, ou encore de
ces odeurs arrivant à votre cerveau, vous avez alors la capacité de sélectionner
l’information particulière qui vous intéresse et d’ignorer les autres. Nous verrons
dans ce chapitre combien l’attention a la capacité de modifier la perception, et
que, du coup, cela se traduit par des modifications de la sensibilité des neurones
dans plusieurs régions cérébrales.
L’une des fonctions du cerveau en rapport avec l’attention est la conscience.
De façon plus générale, la conscience signifie de porter son attention à un élé-
ment particulier, l’aileron du requin dans notre exemple. Depuis des siècles, les
philosophes se sont confrontés de fait à la signification de cet état de conscience,
mais ce n’est que récemment que les chercheurs en neurosciences ont pu mettre
en œuvre un certain nombre d’expériences visant à en préciser les bases neuro-
nales. Le lien entre attention et conscience apparaît dès lors particulièrement
fort, de la même façon que nous sommes conscients que nous portons notre
attention sur un objet particulier. Toutefois, nous verrons dans ce qui suit qu’il
s’agit en fait de processus bien différents.
728 3 – Cerveau et comportement
1
en IRMf (signal BOLD)
Les régions cérébrales qui sont plus actives dans l’état de repos que durant
la réalisation de tâches comportementales regroupent le cortex préfrontal
médian, le cortex cingulaire postérieur, le cortex pariétal postérieur, l’hippo-
campe et le cortex temporal latéral. Ces aires cérébrales sont collectivement
dénommées réseau du « mode par défaut » ou « réseau par défaut » pour indi-
quer que le cerveau n’a pas d’activité particulière dans cet ensemble de struc-
tures cérébrales interconnectées, lorsqu’il n’est pas engagé dans une tâche
déclarée. Quelques chercheurs ont émis l’hypothèse que cet ensemble délimite
un système ou un groupe de systèmes interdépendants, de la même manière
qu’est défini un système sensoriel ou un système moteur. Cette hypothèse est
renforcée par le degré de corrélation tout à fait particulier de l’activité des
différentes composantes de ce réseau. La figure 21.1b illustre un enregistre-
ment de 5 min effectué dans les deux régions indiquées par une flèche (cortex
préfrontal médian et cortex cingulaire) sur la figure 21.1a. Le sujet était étendu
dans une machine permettant les enregistrements par IRMf, ne faisant rien
d’autre que de fixer un petit réticule en forme de croix sur un écran. Pour
des raisons que nous ignorons, il est notable qu’interviennent des variations
continues du signal IRMf, et qu’il existe une corrélation remarquable entre ces
fluctuations d’activité dans ces deux aires corticales quelque peu distantes. La
question de savoir si ces fluctuations de l’intensité des signaux correspondent
à des productions de pensées n’est pas résolue, mais celles-ci suggèrent l’exis-
tence d’une coordination ou d’interactions entre ces régions cérébrales.
Établir la fonction du réseau sous-tendant le « mode par défaut » n’est pas
chose facile, du fait de l’implication de ces diverses régions cérébrales dans de
nombreuses activités. Bien entendu, il est tentant d’imaginer que cet état « de
repos » puisse avoir valeur indicative d’une forme d’activité « interne » du cer-
veau… Dans des conditions de relaxation, il n’est pas rare d’avoir l’esprit qui
vagabonde, se souvienne et imagine des choses que l’on peut qualifier comme
se référant à une sorte de cognition spontanée. Comme le réseau du « mode par
défaut » est en quelque sorte désactivé dans la plupart des tâches, il est par-
ticulièrement difficile d’imaginer des expériences visant à préciser sa fonction.
Néanmoins, une partie au moins de ces fonctions peut nous être accessible en
considérant les quelques tâches qui sont susceptibles de l’activer. En particulier,
l’absence dans le réseau d’aires primaires sensorielles ou motrices est en accord
avec l’idée que ce réseau du « mode par défaut » n’est pas concerné en priorité
par le traitement des informations sensorielles ni le contrôle des mouvements.
Fonctions du « réseau par défaut ». Un certain nombre d’hypothèses ont été
évoquées pour rendre compte des fonctions de ce « réseau par défaut ». Deux
d’entre elles sont évoquées ici : l’hypothèse du rôle de sentinelle et l’hypothèse de
730 3 – Cerveau et comportement
Projection du sujet vers des événements passés et futurs Figure 21.2 – Activation du réseau du « mode par défaut ».
Dans les conditions de l’expérience, il est demandé aux sujets de se souvenir d’un
événement passé, ou d’imaginer une scène susceptible d’intervenir dans le futur,
après qu’il leur soit présenté un mot « cible » (par exemple le mot « robe »). En condi-
tions témoins, les sujets devaient soit prononcer une phrase à leur convenance, soit
nommer des objets en réponse à la présentation de la cible. Les enregistrements en
IRMf illustrent le fait que, dans ces conditions, les régions correspondant au cortex
cingulaire postérieur et au cortex préfrontal médian du réseau du « mode par défaut »
Evénement passé Evénement futur sont activées par le fonctionnement de la mémoire autobiographique, plus que dans les
> conditions témoins > conditions témoins tâches de contrôle. (Source : Addis et al., 2007, Fig. 2.)
Bien que tout le monde ne soit pas d’accord avec cette idée d’un « réseau
du mode par défaut », les évidences sont incontestables qu’il se trouve bien
des régions cérébrales actives pendant les moments de repos, et que ces régions
sont engagées dans des actions différentes de celles correspondant à des tâches
actives. Dès lors, il est possible de conclure que lorsque la situation exige de nous
que nous soyons activement engagés dans une tâche perceptuelle ou motrice,
nous passions de ce mode « sentinelle » ou « d’évaluation de notre état interne »
(forte activité du « réseau par défaut ») pour nous focaliser sur des informations
sensorielles déterminées (faible activité du « réseau par défaut »). De ce fait, étu-
dier la fonction de ce réseau lorsque le cerveau est au repos est particulièrement
difficile, notamment parce que définir une tâche expérimentale correspond aussi
à une forme de commande « faites ceci » ou encore « regardez là », qui contribue
à réduire l’activité de ces structures. Le seul point qui paraît clair est que la tran-
sition impliquant un changement d’activité du « réseau par défaut » entre l’état
de repos et celui où le cerveau doit traiter des informations sensorielles dans les
tâches actives est concomitant d’un changement de focalisation de l’attention,
comme nous allons le voir maintenant.
Processus attentionnels
Imaginez-vous dans une fête, au milieu de centaines de personnes discutant
plus ou moins bruyamment, et dans une ambiance musicale très forte. Même si
vous êtes bombardé de bruits très divers provenant de toutes les directions, vous
êtes tout de même capable de vous concentrer sur ce que vous dit votre voisine
ou voisin immédiat, et du coup d’ignorer quelque peu tous ces sons parasites.
Ceci est possible parce que vous faites attention à ce que vous dit votre par-
tenaire. À ce moment-là, vous captez soudain votre nom mentionné dans une
autre conversation, juste derrière vous. Sans changer de place, ni interrompre
votre conservation, vous prêtez attention alors à cette autre conversation, pour
savoir ce qu’il est dit de vous. Cette expérience très commune, qui correspond à
une forme de filtrage des informations auditives, représente un exemple de pro-
cessus attentionnel que nous utilisons couramment entre différentes modalités
sensorielles. Prenons l’exemple parmi les mieux étudiés, de l’attention visuelle.
L’étude des processus attentionnels les présente souvent comme une forme de
concentration de ressources, assimilable au passage dans un goulot de bouteille,
pour procéder au traitement des informations cérébrales. Il est commun d’uti-
liser le terme « d’attention sélective » pour renforcer l’idée d’une focalisation
de l’intérêt porté à un objet déterminé, contrairement à un éveil plus global,
qui n’est pas sélectif. Pour faire court, dans ce qui suit nous parlerons simple-
ment « d’attention », tout en nous référant à l’attention sélective. Les contraintes
qu’apportent l’attention au traitement des informations par le cerveau sont de
fait une très bonne chose. Il n’est même pas possible d’imaginer ce qui se passe-
rait si nous devions à chaque instant nous focaliser sur tout ce qui nous entoure
et se trouve capté par notre système visuel, chaque bruit produit par cet envi-
ronnement, ou encore par toutes les odeurs qui nous entourent. La capacité de
l’attention à limiter le traitement de toutes ces informations explique notamment
732 3 – Cerveau et comportement
Encadré 21.1 FOCUS
Localisation
attendue
Attention orientée
vers la droite
le signe « plus » sert de repère sur le point central, le stimulus-cible apparaissant 100
300
le point central. Lorsque l’indication était un signe « plus », il fallait environ
250-300 ms pour appuyer sur le bouton. Lorsqu’une flèche indiquait le côté de
la projection de la cible (flèche indiquant la droite, cible à droite), les temps de 250
réaction étaient inférieurs de 20 à 30 ms. Inversement, lorsque la flèche indiquait
une direction et que la cible apparaissait de l’autre côté, il fallait 20 à 30 ms de
200
plus pour que le sujet réagisse et appuie sur le bouton. Le temps de réaction com- Non Neutre Valide
prend le temps de transduction dans le système visuel, le temps du traitement de valide
l’information visuelle, le temps de prendre une décision, le temps de l’encodage Signal préparatoire
du mouvement du doigt, et le temps pour appuyer sur le bouton. Les différences
sont faibles, mais les résultats montrent incontestablement une dépendance du Figure 21.6 – Effet de la préparation sur le
temps de réaction de la direction dans laquelle les flèches attirent l’attention du temps de réaction.
sujet (Fig. 21.6). En supposant que l’attention portée aux stimuli visuels n’a pas Dans le cas où le sujet ne dispose pas d’in-
d’effet direct sur la transduction visuelle ou l’encodage moteur, l’hypothèse peut dication sur ce que sera la localisation de la
être avancée que l’attention peut modifier la rapidité des processus visuels ou le cible sur l’écran, le signal préparatoire est un
temps nécessaire à prendre la décision d’appuyer sur le bouton. Une expérience signe « plus ». Dans les autres essais, une
du quotidien renforce les implications de l’intervention des processus attention- flèche indique la direction de la partie de
l’écran où apparaîtra la cible, ce qui contribue
nels pour optimiser le temps de réaction. Si vous êtes au volant de votre voiture
à réduire les temps de réaction. Dans une troi-
et que vous roulez à environ 100 km/h, et qu’un obstacle inattendu se présente sième série d’essais, la flèche indique la direc-
devant vous, il vous faudra à peu près 30 ms de plus que si vous étiez prévenu tion opposée à celle d’apparition de la cible,
avant d’appuyer sur la pédale de frein, ce qui représente une distance parcourue ce qui a pour effet de provoquer une augmen-
de l’ordre d’un peu moins de 8 m, suffisante hélas pour que cela se termine par tation des temps de réaction. (Source : adapté
un accident ! de Posner, Snyder et Davidson, 1980, Fig. 1.)
736 3 – Cerveau et comportement
Étude des processus attentionnels chez l’homme par TEP-scan. Les don-
nées obtenues en IRMf sont tout à fait en accord avec les observations com-
portementales selon lesquelles l’attention visuelle peut être modifiée indépen-
damment de la position de l’œil lui-même. Cependant, l’attention implique
des processus plus complexes qu’une simple fixation sur un point de l’espace.
Imaginez, par exemple, que vous vous trouviez en hiver sur un trottoir où cir-
cule beaucoup de monde et que vous recherchiez quelqu’un. L’identification de
cette personne est rendue difficile par les manteaux et capuches assez similaires
de tous les passants. Mais, vous savez que votre ami porte un bonnet rouge.
Évidemment dans ce cas-là, la recherche est considérablement facilitée par ce
détail particulier, qui va orienter la détection visuelle. La question se pose de
savoir comment le cerveau s’accommode de la prise en compte de ce détail ? Des
travaux réalisés à l’aide du TEP-scan commencent à apporter des éléments de
réponse chez l’homme.
738 3 – Cerveau et comportement
Sillon
Corps calleux central
Gyrus Sillon
parahippocampique temporal
supérieur
Hémisphère gauche, Hémisphère gauche,
vue médiane vue latérale
Figure 21.9 – Effets d’activation spécifique
de l’attention visuelle.
Les symboles indiquent les sites cérébraux où
les images de TEP mesurent les activations
les plus importantes dans des tâches d’atten-
tion visuelle sélective ou partagée. Les résul-
tats sont illustrés par des couleurs en rapport
avec la nature des changements imposés aux
cibles en déplacement sur les écrans : vitesse
(vert) ; couleur (bleu) ; forme (orange). L’atten-
tion sélective est associée à l’activation de
différentes zones cérébrales. (Source : adapté Hémisphère droit, Hémisphère droit,
vue médiane vue latérale
de Corbetta et al., 1990, Fig. 2.)
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 739
la plus à même de répondre au mouvement est sans doute proche de l’aire MT.
Ainsi, ces effets de l’attention aux différents types de stimuli sont, en première
approximation, en accord avec les propriétés décrites pour les neurones du cortex
extrastrié, qui ont été présentées dans le chapitre 10.
Il ressort de ces expériences d’imagerie par TEP ainsi que d’autres, qu’un
ensemble de plusieurs aires corticales est impliqué dans l’attention, et que les
aires les plus concernées sont en rapport avec la tâche comportementale à effec-
tuer. L’étude détaillée de deux de ces aires corticales est présentée dans la suite
de ce chapitre, ainsi que les expériences pratiquées sur le singe, qui ont apporté
une meilleure connaissance des processus attentionnels.
L’attention augmente la réponse des neurones dans le cortex pariétal. Les
travaux sur la perception mentionnés plus haut indiquent que, par des expé-
riences minutieusement élaborées, l’attention peut être déplacée sans modifier
la direction du regard. Mais que se passe-t-il normalement lorsque le regard
est orienté pour explorer son environnement ? Supposons que lorsqu’on exa-
mine particulièrement un objet représenté sur la fovéa, l’attention se concentre
aussi sur la fovéa. Si un bref flash de lumière apparaît à la périphérie du champ
visuel, une saccade oculaire se produit naturellement en direction du flash, pour
qu’il soit représenté sur la fovéa. Mais alors, dans ces conditions qu’en est-il
de l’attention ? Les travaux effectués sur le comportement ont montré que les
phénomènes d’orientation de l’attention interviennent en 50 ms à peu près,
alors que la saccade oculaire survient en 200 ms environ. Il est ainsi possible de
conclure que l’attention, initialement focalisée sur la fovéa, se trouve vraisem-
blablement attirée par le flash à la périphérie du champ visuel plus rapidement
que le regard.
Ces suppositions sont la base des expériences réalisées sur le singe par les
neurophysiologistes Robert Wurtz, Michael Goldberg, et David Robinson, du
National Institutes of Health. Ces chercheurs ont effectué des enregistrements
de l’activité neuronale en différents endroits du cerveau, pour déterminer si
l’attention active des processus cérébraux avant que le mouvement d’orientation
des yeux ne survienne. En supposant qu’il y ait une relation entre le déplacement
de l’attention et le déplacement du regard, il est logique d’observer les régions
du cerveau qui génèrent les saccades oculaires.
Les chercheurs ont pratiqué des enregistrements de neurones unitaires dans
le cortex pariétal postérieur chez le singe, pendant qu’il effectuait une tâche com-
portementale simple (Fig. 21.10). Cette aire corticale est sans doute impliquée
dans l’orientation du regard, ne serait-ce que parce que la stimulation électrique
de cette région génère des saccades oculaires. Dans ces expériences, le singe fixe
un point sur l’écran d’un ordinateur ; lorsqu’un stimulus est flashé dans un autre
emplacement de l’écran à la périphérie du champ récepteur étudié, une saccade
se produit en direction de ce point. Avant chaque épreuve, le champ récepteur
Point de fixation
Écran
du neurone cortical enregistré est déterminé, et la cible utilisée dans l’épreuve est
placée de telle sorte qu’elle apparaisse dans le champ visuel. Dans ces conditions,
le neurone du cortex pariétal répond lorsque le stimulus est projeté dans son
champ visuel (Fig. 21.11a). Cependant, l’observation clé effectuée par Wurtz et
ses collègues est que la réponse de plusieurs neurones du cortex pariétal est signi-
ficativement renforcée (se manifestant par une bouffée rapide de potentiels d’ac-
tion) par les saccades oculaires qui déplacent le regard vers la cible (Fig. 21.11b).
Souvenez-vous que le stimulus est le même dans tous les cas. L’augmentation de
l’effet n’est observée que lorsque la saccade intervient dans le champ récepteur
concerné mais pas ailleurs, même si la saccade est effectuée après que le neurone
ait répondu au stimulus cible. Ceci suggère que l’attention se déplace vers la
fin de la saccade programmée avant que les yeux ne se déplacent, et seuls les
neurones dont le champ récepteur est concerné voient leur réponse augmentée
par le déplacement de l’attention qui précède la saccade (Fig. 21.11c). Une autre
interprétation possible est que la réponse augmentée représente un signal prémo-
teur en rapport avec le codage du mouvement des yeux, de la même façon que les
neurones du cortex moteur déchargent avant le mouvement de la main. Afin de
tester cette hypothèse, les chercheurs ont modifié leur protocole expérimental, de
telle manière que l’animal déplace sa main plutôt que ses yeux pour indiquer la
localisation du stimulus flashé à la périphérie (Fig. 21.11d). Même sans aucune
saccade il se trouve une réponse accrue à la cible présentée, suggérant que, plutôt
qu’un signal prémoteur, la réponse ainsi accrue était le résultat d’un déplacement
de l’attention pour améliorer la performance.
Il n’est pas difficile d’imaginer combien ce type de réponse neuronale renfor-
cée du cortex pariétal postérieur peut être important dans les effets comporte-
mentaux de l’attention présentés ci-dessus. Si l’attention attirée sur un point du
champ visuel par un stimulus servant de repère accentue la réponse à d’autres
stimuli proches de ce point, cela pourrait expliquer la sélectivité spatiale du ren-
forcement de l’activité dans la capacité à détecter une cible. De la même façon,
il est concevable qu’une réponse plus forte puisse induire des processus visuels
plus rapides et finalement des temps de réaction plus courts, comme cela a pu
être constaté avec les expériences portant sur la perception.
L’attention contribue à accroître la discrimination des champs récepteurs
dans l’aire V4. Dans une série d’expériences fascinantes, l’équipe de Robert
Desimone du National Institute of Mental Health a observé les effets étonnam-
ment spécifiques des processus attentionnels sur la réponse des neurones de l’aire
corticale visuelle V4. Dans l’une de ces expériences, le singe effectue une épreuve
de discrimination des analogies et des différences de paires de stimuli projetés
dans le champ récepteur des neurones de V4. Pour prendre un exemple, sup-
posons qu’une des cellules de V4 réponde fortement à des barres lumineuses
horizontales et verticales de couleur rouge qui apparaissent dans son champ
récepteur, mais ne réponde pas à des barres horizontales ou verticales de cou-
leur verte. Les barres rouges constituent des stimuli efficaces et les barres vertes
des stimuli inefficaces. Tandis que le singe fixe un point donné, les deux stimuli
(efficaces ou inefficaces) sont présentés brièvement dans le champ récepteur, et
après un laps de temps, deux autres stimuli sont projetés au même endroit du
champ visuel. Dans une des épreuves, la discrimination sur la similitude ou la
différence des stimuli successifs se fait en fonction du lieu où apparaissent les sti-
muli. En d’autres termes, l’attention se concentre sur un point du champ visuel,
uniquement. L’animal pousse le levier dans une direction seulement si les diffé-
rents stimuli attendus sont les mêmes, et dans l’autre direction si ces stimuli sont
différents.
La question qui se pose est de savoir ce qui se passe dans une épreuve où
les stimuli efficaces apparaissent à l’endroit prévu et les stimuli inefficaces
à un autre endroit (Fig. 21.12a). Sans surprise, l’aire V4 est fortement activée
dans ces conditions parce que les stimuli présentés dans le champ récepteur
sont très efficaces. Supposons que la consigne soit donnée à l’animal, dans
l’épreuve suivante, de concentrer son attention sur un autre point du champ
visuel où apparaît l’autre série de stimuli (Fig. 21.12b). Sur cet autre point, seuls
les stimuli verts inefficaces sont projetés. La réponse devrait être la même que
dans l’épreuve précédente puisque ce sont exactement les mêmes stimuli qui sont
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 741
Champ Présentation
récepteur Cible
Arrêt
Point de Cible
fixation
Activité
Levier du neurone
Position
des yeux
(a)
Présentation
Cible
Saccade Arrêt
à droite
Activité
du neurone
Position
des yeux
(b)
Deuxième cible
Présentation
en dehors du
champ récepteur Cible
Arrêt
Saccade
à gauche
Activité
du neurone
Position
des yeux
(c)
Lumineuse
Cible
Éteinte
Activité
Relâchement du neurone
du levier
Position
des yeux
(d)
Écran 1 Écran 2
Présentation
Point de Stimulus
fixation Arrêt
Écran 1 Écran 2
Présentation
Stimulus
Arrêt
Réponse d’un
neurone de l’aire
Localisation V4 quand les
attendue stimuli inefficaces
sont présentés dans
l’endroit attendu du
champ récepteur
Figure 21.12 – Stimuli visuels utilisés pour étudier les effets de l’attention sur les neurones de l’aire visuelle corticale V4.
Les cercles en jaune indiquent si le singe attend l’apparition de la cible à gauche (a) ou à droite (b) du champ récepteur. Pour ce neurone, les barres de
couleur rouge produisent une réponse du neurone, mais pas celles de couleur verte. Bien que le stimulus soit toujours le même, la réponse du neurone
est plus importante lorsque l’attention est dirigée vers le stimulus efficace. (Source : adapté de Moran et Desimone, 1985, p. 782.)
encore présentés dans le champ récepteur. En fait, ce n’est pas ce qui se produit.
Bien que les stimuli soient identiques, les réponses des neurones de V4 sont en
moyenne réduites de plus de la moitié lorsque l’attention se concentre sur la
partie du champ visuel qui contient les stimuli inefficaces. Tout se passe comme
si le champ récepteur s’était rétréci autour de la zone où le stimulus est attendu,
rendant moins efficace la réponse au stimulus lorsque celui-ci apparaît dans une
zone où il n’est pas attendu. La spécificité de lieu de l’attention démontrée par
ces expériences est en relation directe avec ce qui a pu être observé dans d’autres
expériences sur les phénomènes perceptifs effectuées chez l’homme. En termes
de perception, la détection est améliorée à l’endroit où l’attention se déplace par
rapport à l’endroit qui est ignoré. La différence de capacité de détection repose
sur les processus fonctionnels activés par les stimuli efficaces à l’endroit où se
concentre l’attention.
Point de fixation dans le champ moteur des neurones, le seuil de détection du spot est environ
10 % plus faible en présence de la stimulation par rapport à la situation témoin
où le cortex n’est pas stimulé. La partie droite de l’histogramme montre que la
Distracteur Champ performance n’est pas accrue et peut même être détériorée par la stimulation
moteur lorsque la cible n’est pas située dans le champ moteur des neurones stimulés.
Cible
Comme cela avait été prévu, la stimulation électrique du FEF améliore la per-
formance de la même manière que l’aurait fait une attention accrue. De plus, les
Levier
effets de la stimulation électrique sont spécifiques de la partie stimulée, en accord
avec la modulation attentionnelle normalement effectuée.
Dans ce cas, si les résultats de ces expériences signifient que le FEF corres-
pond à une partie d’un système impliqué dans le contrôle de l’attention dirigée,
(a)
comment cela peut-il fonctionner ? Une possibilité est qu’une copie de l’activité
20
du FEF indiquant la direction de la saccade à effectuer soit transmise à la région
en présence de la stimulation
Seuil de détection de la cible
Stimulation du FEF
des neurones V4
Activité
80
0 750
(a) (b) Temps (ms)
Figure 21.16 – Effets de la stimulation du FEF sur l’activité des neurones de l’aire visuelle V4.
(a) Un faible courant électrique est appliqué au FEF en même temps que l’activité des neurones est
enregistrée dans V4. (b) Un stimulus visuel est appliqué dans le champ récepteur des neurones de
V4 au temps zéro de l’expérience. L’histogramme montre que la réponse du neurone enregistré est
maximale après une courte latence et qu’elle décline rapidement ensuite. Dans une seconde partie
de l’expérience le FEF est stimulé électriquement après 500 ms (flèche), mais seulement dans les
essais notés de couleur rouge et non dans ceux rapportés en noir. Pendant les 500 premières ms,
il n’y a pas de différence entre les réponses du neurone de l’aire V4 à la stimulation visuelle. Après
le délai de 500 ms, la réponse du neurone est plus importante lorsque la stimulation électrique est
appliquée dans le FEF (essais de couleur rouge) par rapport à celle mesurée lorsqu’il n’y a pas de
stimulation du FEF (couleur noire). (Source : adapté de Moore et Armstrong, 2003, p. 371.)
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 745
Scène visuelle
Extraction
Couleur. Rouge, vert, bleu,
des caractéristiques
globales de la scène jaune, etc.
Intensité.
Forte, faible, etc.
Autre. Déplacement,
positionnement
dans le paysage,
relief, forme à partir
des ombres, etc.
Déplacement de
l’attention vers l’objet
Rétro-inhibition évitant
de bloquer l’attention
sur cet objet
Objet sélectionné
Différences
Représentation cérébrale centre-périphérie
des caractéristiques de l’objet
de l’objet (saliency map) et repères spatiaux
Représentation
des caractéristiques
de l’objet
Combinaison
des
caractéristiques
Contrainte
cognitive
contribuant à la
sélection de l’objet
(top-down process)
Encadré 21.2 FOCUS
Comme le syndrome de négligence se trouve moins phère droit. Une des hypothèses est que l’hémisphère
fréquemment observé à la suite de lésions de l’hémis- gauche est impliqué dans les processus attentionnels
phère gauche, il a d’abord été considéré que ce syndrome reliés aux objets situés dans le champ visuel droit, alors
était en relation avec une ignorance de la moitié gauche que l’hémisphère droit est impliqué dans les processus
de l’espace due à une lésion du cortex cérébral du côté attentionnels reliés aux objets situés dans les champs
droit. Parfois, cependant, le patient n’ignore pas seule- visuels de droite et de gauche. Cela pourrait rendre
ment les objets situés à sa gauche : il nie leur existence. compte de l’asymétrie des résultats des lésions des
Par exemple, ce type de patients dira que sa main gauche hémisphères gauche et droit, mais il reste à le prouver.
n’est pas réellement paralysée ou, dans des cas extrêmes, Enfin, une dernière caractéristique de ces syndromes
il refusera de croire que son bras ou sa jambe gauche fait d’héminégligence est qu’ils sont susceptibles de récupé-
partie de son corps. La figure 12.24 du chapitre 12 est ration partielle ou même totale, à l’échelle de plusieurs
l’exemple typique de la perception déformée de l’espace mois (notez dans la figure A l’évolution avec le temps
chez ces patients. Dans une épreuve de dessin, il n’utili- des autoportraits que l’artiste a réalisés).
sera que la partie droite de la feuille, sans toucher à
l’autre moitié. La figure A illustre de façon particulière-
ment dramatique ce phénomène, avec les reproductions
des tableaux effectués par un artiste après un accident
vasculaire.
Si l’on demande à une personne souffrant d’un syn-
drome de négligence de fermer les yeux et de montrer la
ligne médiane de son corps, elle désigne de manière
caractéristique un point situé trop loin sur la droite,
comme si la moitié gauche avait rétréci. S’il est demandé
aux patients d’explorer les objets situés sur une table
devant eux avec les yeux bandés, ils se comportent nor-
malement avec les objets placés sur le côté droit de la
table, mais explorent à l’aveuglette les objets situés à
gauche. Tous ces exemples illustrent les difficultés de ces
patients dans leur relation à l’espace.
Le syndrome de négligence est fréquemment associé
aux lésions du cortex pariétal postérieur de l’hémisphère
droit, mais il a été également rapporté des cas consécu-
tifs à des lésions du cortex préfrontal, du cortex cingu-
laire et d’autres aires de l’hémisphère droit. Il est ainsi
proposé que le cortex pariétal postérieur soit impliqué
dans l’attention portée aux objets situés en divers
endroits de l’espace extrapersonnel. Si cette hypothèse
est vraie, le syndrome de négligence correspondrait à
une suppression de la capacité d’orienter l’attention.
Une des preuves en faveur de cette hypothèse est que les
objets situés dans le champ visuel des patients souffrant
d’un syndrome de négligence attirent anormalement
l’attention, et les patients peuvent ainsi avoir des diffi-
cultés à détourner leur attention d’un objet situé de ce Figure A – Autoportraits réalisés par un artiste atteint d’un syndrome
côté. d’héminégligence spatiale suite à un accident vasculaire cérébral
La raison pour laquelle le syndrome de négligence (AVC). Deux mois après l’AVC affectant le cortex pariétal de l’hémis-
est plus fréquent avec les lésions de l’hémisphère droit phère droit, l’artiste a réalisé l’autoportrait illustré en haut à gauche. Il
n’existe aucune représentation de la partie gauche du visage. Environ
qu’avec celles de l’hémisphère gauche est encore incon-
3,5 mois après l’AVC, quelques détails apparaissent dans la partie
nue. Le rôle de l’hémisphère droit semble prépondérant gauche du tableau, sans que l’on trouve une représentation aussi
dans la relation à l’espace, et dans les études de sujets précise que celle de la partie droite du visage (en haut, à droite). Après
split-brain, il est plus apte à trouver une solution pour les 6 et 9 mois (partie basse de la figure, gauche et droite, respective-
casse-tête complexes. Cela correspond à une plus grande ment), la partie gauche de la représentation du visage est de mieux en
négligence de l’espace associée aux lésions de l’hémis- mieux traitée. (Source : Posner et Raichle, 1994, p. 152.)
748 3 – Cerveau et comportement
Champ récepteur
PF PF PF
50 décharges/s
Figure 21.19 – Mise en évidence d’une priorisation basée sur les caractéristiques d’un stimulus
(bottom-up) dans l’aire LIP.
(a) Ce neurone de l’aire LIP répond lorsque le stimulus efficace, ici en forme d’étoile, est flashé
dans le champ récepteur de ce neurone. (b) Ce neurone produit une réponse de moindre ampli-
tude lorsque l’ensemble des 8 stimuli différents, incluant celui en forme d’étoile, sont présentés
ensembles, avant la saccade oculaire qui amène l’étoile dans le champ récepteur de ce neurone.
(c) Si le stimulus en forme d’étoile est présenté 500 ms avant la saccade oculaire, le neurone de
l’aire LIP répond fortement après que la saccade soit intervenue. PF : point de fixation du regard.
(Source : adapté de Bisley et Goldberg, 2010, Fig. 2.)
n’est pas présente dans le champ récepteur du neurone lorsqu’elle est éclairée.
Au moment où les yeux se déplacent et que l’étoile entre dans le champ récepteur
du neurone de l’aire LIP, les huit objets présentés sur l’écran sont identiques à
ceux qui étaient présentés dans la deuxième partie de l’expérience. Ainsi appa-
raît-il que la forte réponse du neurone enregistrée dans la troisième partie de
l’expérience est liée à la présentation du stimulus étoile juste avant que celui-ci
entre dans le champ récepteur du neurone. L’hypothèse est alors que l’activation
du stimulus capte l’attention de l’animal et que ceci augmente la réponse du
neurone. Cet effet est tout à fait en accord avec l’hypothèse de l’appartenance du
neurone de l’aire LIP à la salience map, dans laquelle l’activité du neurone est
fortement modulée par un stimulus externe (action bottom-up).
Dans une variante de cette expérience, il est possible d’explorer l’action
cognitive endogène (action top-down). L’expérience utilise à nouveau les huit
stimuli différents, qui sont présentés en permanence (pas de flash de ces stimuli).
Comme précédemment l’animal doit fixer son regard sur une position de départ,
de telle manière qu’aucun de ces stimuli n’est situé dans le champ récepteur du
neurone de l’aire LIP enregistré. L’un de ces stimuli est alors modifié, en ce sens
qu’il est présenté de façon clignotante, indiquant par-là à l’animal lequel de ces
stimuli est significatif pour obtenir une récompense. Dans le cas illustré à la
figure 21.20, c’est le stimulus en forme d’étoile qui est utilisé comme stimulus
signifiant. Au départ, le neurone de l’aire LIP ne répond pas à la présentation
de l’étoile car celle-ci n’est pas située dans son champ récepteur (Fig. 21.20a). Le
point de fixation est ensuite déplacé au centre de l’écran, et le singe produit une
saccade oculaire pour placer ce point sur la fovéa, ce qui a pour conséquence
d’amener l’étoile dans le champ récepteur du neurone enregistré et d’augmenter
son activité (Fig. 21.20b). Et finalement l’animal produit une seconde saccade
dirigée vers le stimulus signifiant, c’est-à-dire l’étoile (Fig. 21.20c), ce qui met
fin à la décharge du neurone. Il est alors intéressant de comparer cette réponse
neuronale à celle produite par un stimulus identique lorsque la cible ne corres-
pond pas au stimulus qui entre dans le champ récepteur du neurone. Comme
précédemment, il n’y a pas de réponse à la présentation de la cible, maintenant
matérialisée par un triangle et non plus par l’étoile (Fig. 21.20d). Lorsque l’ani-
mal produit la première saccade oculaire, l’étoile entre dans le champ récepteur
du neurone mais dans ce cas la réponse est beaucoup plus faible qu’auparavant
(Fig. 21.20e). Et finalement, l’animal produit la seconde saccade vers le triangle
(Fig. 21.20f).
Notez alors que dans les deux premières expériences les conditions dans les-
quelles l’animal produisait la saccade oculaire étaient liées à la présentation d’un
stimulus stable représenté par une étoile qui ne clignotait pas, saccade qui ame-
nait le stimulus dans le champ récepteur du neurone. À partir de la figure 21.19,
il est ainsi possible de conclure qu’en l’absence du caractère clignotant du sti-
mulus, qui vise à accroître son attractivité, le neurone de l’aire LIP ne répond
pas de façon particulière au stimulus étoile lorsque celui-ci est dans son champ
récepteur. À la figure 21.20b la réponse du neurone est beaucoup plus impor-
tante qu’à la figure 21.20e, probablement du fait d’un signal top-down infor-
mant le neurone LIP que dans les situations précédentes c’était le stimulus en
forme d’étoile qui était important (pour planifier la seconde saccade), même
lorsque celui-ci n’est pas clignotant. D’autres expériences du même type ont
alors contribué à émettre l’hypothèse que les neurones de l’aire LIP représentent
des éléments de priorisation de l’attention visuelle.
Le réseau frontopariétal des processus attentionnels. Au fur et à mesure que
progressent les connaissances sur les aires cérébrales impliquées dans le contrôle
des processus attentionnels, et celles qui contribuent à la priorisation du déplace-
ment de l’attention, un schéma prend forme sur les circuits possiblement impli-
qués dans une prise en charge plus globale de ces processus attentionnels. Les
régions ainsi concernées forment ce que l’on nomme le réseau frontopariétal des
processus attentionnels (Fig. 21.21).
Dans le cadre des régulations des processus attentionnels d’origine externe
(bottom-up), les informations transmises au travers des aires visuelles du lobe
occipital atteignent l’aire LIP, où la première étape critique pourrait être la mise
750 3 – Cerveau et comportement
Champ récepteur PF
Cible
50 décharges/s PF
Champ récepteur PF
Cible
PF
50 décharges/s
FEF V4
Cortex
préfrontal V1, V2
latéral
Figure 21.21 – Représentation hypothétique
du réseau sous-tendant les mécanismes
attentionnels chez le macaque.
(a) Dans le cas de mécanismes à point de
départ périphérique (bottom-up), l’information
(a)
relative à l’objet d’intérêt est transférée des
Pulvinar et colliculus supérieur
aires visuelles à l’aire LIP (cortex intraparié-
Attention dirigée par des mécanismes
tal), où est élaborée la représentation de l’ob-
de type top-down jet avec ces caractéristiques remarquables
LIP
(salience map). Des signaux relatifs à l’atten-
FEF V4 tion sont également enregistrés très tôt dans
le cortex préfrontal et le frontal eye field (FEF),
des régions qui interagissent avec l’aire LIP.
Les signaux émis par l’aire LIP et le FEF pour-
raient être à l’origine du changement de direc-
Cortex tion du regard et ainsi contribuer à accroître le
préfrontal V1, V2 traitement des informations visuelles dans le
latéral
cortex visuel occipital. (b) Lorsque les proces-
sus de guidage de l’attention font intervenir
des instructions descendantes (top-down), la
modulation de l’activité des aires corticofron-
tales intervient très tôt et les signaux envoyés
aux autres structures cérébrales influencent
le mouvement des yeux et la perception
consciente de l’objet. Flèches de couleur
noire : signaux de type bottom-up ; flèches
(b) Pulvinar et colliculus supérieur
de couleur rouge : signaux de type top-down.
Conscience
Dans les premiers chapitres nous avons vu comment l’information relative
au monde qui nous entoure est transmise au cerveau. Dans le but de réaliser des
tâches comportementales spécifiques, nous avons vu aussi comment nous pou-
vons extraire de cette information globale des informations particulières rela-
tives aux objets sur lesquels porte tout notre intérêt. Il est ainsi vraisemblable
que tous les animaux procèdent de cette manière pour extraire une information
spécifique. Dans ce cas, l’idée est que cette information sensorielle « globale »
est analysée avec une faible résolution, possiblement en utilisant le « mode par
défaut », et qu’à ce moment seules les informations sensorielles d’importance
particulière sur le moment fassent l’objet d’une analyse plus poussée. Dans ce
contexte, considérons maintenant la dernière étape de ce processus impliquant
une cascade d’événements neuronaux, qui nous amène à avoir conscience du
monde qui nous entoure et dans lequel nous évoluons.
À ce stade, une remarque s’impose : les chercheurs en neurosciences ont une
propension à avoir une attitude matérialiste vis-à-vis des processus sous-jacents
à l’état de conscience, suggérant que la conscience émane de la matière, c’est-
à-dire du fonctionnement du cerveau. Comme n’importe quelle autre produc-
tion du cerveau, la conscience peut dès lors être comprise comme résultant de
l’organisation et du fonctionnement cérébral. Évidemment, une alternative à ce
point de vue est de se placer sous l’angle du dualisme, qui suppose que la pensée
consciente et le cerveau sont deux éléments différents, et dans ce cas l’un ne peut
expliquer l’autre, c’est-à-dire que la conscience ne peut être expliquée par des
processus physicochimiques. S’il est vrai en revanche que la conscience est basée
sur de tels processus physicochimiques, l’une des inférences logiques est qu’il est
vraisemblable qu’il soit possible un jour de produire une machine qui produirait
de la pensée…
rones à décharge rapide du claustrum. Un scientifique appliquée. Dans ces conditions, le patient était capable
jusqu’au bout ! Aujourd’hui, au moment où j’écris ces de regarder autour de lui mais était incapable de
lignes, un nouveau cas clinique concernant un patient répondre aux sollicitations des neurologues et de se sou-
épileptique vient d’être publié. Les neurologues procé- venir ultérieurement de ces épisodes. Toujours friand
daient à une stimulation à partir des électrodes implan- de nouveaux résultats, j’imagine combien Francis aurait
tées dans le cerveau de ce patient afin de localiser l’ori- aimé ces résultats !
gine du foyer épileptique. L’une des électrodes était
implantée au voisinage du claustrum de l’hémisphère Référence
gauche, et son activation se traduisait par la perte immé- Koubeissi MZ et al. Electrical stimulation of a small
diate de la conscience du patient, de façon reproductible brain area reversibly disrupts consciousness. Epilepsy
et réversible, et aussi longtemps que la stimulation était and Behavior 2014 ; 37 : 32-5.
CNC
Figure A – Les corrélats neuronaux de la conscience (CNC) sont définis comme les événements minima, susceptibles de permettre la percep-
tion consciente (ici la vision d’un berger allemand). (Source : courtoisie de Christof Koch.)
présentées aux deux yeux. Par exemple, si l’un des yeux voit des lignes verticales
et l’autre des lignes horizontales, c’est au hasard que le sujet va percevoir tantôt
des lignes verticales, tantôt des lignes horizontales, et tantôt le mélange des deux
orientations. Mais alors, comme les deux images sont toujours les mêmes et les
deux yeux sont toujours ouverts, quels sont les processus qui amènent à ces
perceptions différentes ?
Une telle expérience a été réalisée par David Sheinberg et Nikos Logothetis,
alors qu’ils travaillaient au Baylor College of Medicine. Les enregistrements
concernaient chez le singe des neurones du cortex inférotemporal (l’aire IT), que
nous avons vu dans le chapitre 10 comme représentant une aire d’intégration des
processus visuels. Plutôt que d’utiliser des stimuli formés de lignes verticales et
horizontales (ou des représentations de canards et de lapins), les auteurs ont uti-
lisé des stimuli efficaces pour exciter les neurones de l’aire IT. Avant l’expérience,
les animaux étaient entraînés à pousser un levier vers la gauche dans le cas de
la perception d’un objet parmi un groupe situé à sa gauche, ou vers la droite si
l’objet présenté appartenait à un autre groupe d’objets situé à droite de l’animal.
Dans le cas de l’expérience présentée à la figure 21.23, l’un des objets du groupe
des objets situés à gauche correspondait à une représentation d’un soleil rayon-
nant et celui du groupe des objets de droite, à une représentation de la face d’un
singe ou du visage d’un être humain.
756 3 – Cerveau et comportement
Stimulus et
visuel
100
d’action/s
Potentiels
50
0
0 5 10 15 20
Temps (s)
Figure 21.23 – Réponse d’un neurone de l’aire IT (cortex inférotemporal) chez le singe pendant une expérience de rivalité binoculaire.
Dans des expériences qui précèdent la mise en œuvre du test, il est montré que ce neurone du cortex IT est activé par la présentation d’un dessin
illustrant la face d’un singe, mais pas par celui représentant un soleil rayonnant. Ces stimuli sont représentés dans la partie supérieure de la figure. Dans
la partie de la figure colorée en bleu, c’est le stimulus en forme de soleil qui est présenté ; puis, dans la zone colorée en rose, c’est un stimulus ambigu
qui est proposé à l’animal. Dans ces deux premiers cas le neurone ne répond pas à la présentation des stimuli. Puis, pendant le temps représenté par
la zone colorée en orange, les deux stimuli sont présentés ensemble, le soleil devant l’œil gauche et la face de singe devant l’œil droit, une condition
correspondant à la rivalité binoculaire. Enfin, dans la dernière partie de l’expérience seule la face de singe est présentée (zone colorée en bleu). Les élé-
ments figurés à la deuxième ligne juste sous les pointillés, illustrent le levier qui est mobilisé par le singe suite à la présentation de ces éléments. Lorsque
l’un ou l’autre des stimuli sont présentés tous seuls, l’animal manipule correctement les leviers, de telle manière qu’il choisit de façon appropriée celui
de gauche ou de droite selon que c’est l’un ou l’autre des stimuli qui est présenté. Dans les conditions de rivalité binoculaire, il apparaît que l’animal va
tirer d’abord le levier de gauche, puis celui de droite, puis encore celui de gauche. Les éléments représentés au-dessous de la ligne continue illustrent
quant à eux le fait que le neurone de l’aire IT est beaucoup moins actif lorsque l’animal manipule le levier de gauche que lorsqu’il tire sur celui de droite.
Dans cette partie de la figure les bâtonnets noirs symbolisent les décharges successives du neurone faisant l’objet d’un enregistrement extracellulaire,
l’activité étant intégrée dans la partie la plus basse du schéma. (Source : adapté de Sheinberg et Logothetis, 1997, Fig. 3.)
Dès lors qu’un animal était capable de discriminer correctement parmi les
objets qui lui étaient présentés ceux correspondant au groupe de gauche ou à
celui de droite, des enregistrements de l’aire IT étaient réalisés dans cette situa-
tion de « conflit » visuel. À partir d’enregistrements réalisés dans la même situa-
tion mais sans conflit visuel, les expérimentateurs savaient que les neurones de
l’aire IT répondaient par une forte décharge à la présentation d’une face de singe
(devant les deux yeux à la fois), alors qu’ils ne répondaient pas ou très faiblement
à la présentation du dessin de soleil rayonnant. Dans l’expérience de rivalité
binoculaire illustrée sur la figure, le dessin du soleil rayonnant était présenté
devant l’œil gauche et celui correspondant à la face de singe devant l’œil droit.
Du fait de l’apprentissage auquel il avait été soumis, l’animal déplaçait alter-
nativement le levier vers la gauche et vers la droite, suggérant qu’il percevait
alternativement le dessin du soleil ou celui de la face de singe. Le résultat le plus
remarquable de cette expérience est que la réponse du neurone de l’aire IT fluc-
tue d’une activité minimale à une forte activité, grossièrement de telle façon que
cette décharge est en rapport avec la direction de déplacement du levier, alors
même que l’image reste fixe devant chacun des deux yeux.
Le résultat de cette expérience et de bien d’autres de même type est qu’il existe
une correspondance entre les changements d’activité des neurones de l’aire IT
et la perception différentielle des objets. Ceci suppose que la rivalité binoculaire
produise une alternance dans la perception consciente qu’a le singe des images
particulières présentées devant chacun des deux yeux, et que l’activité des neu-
rones de l’aire IT pourrait dès lors être considérée comme un corrélat neuro-
nal de cette perception consciente. Des expériences similaires effectuées à partir
d’autres aires cérébrales démontrent qu’une telle réponse n’est pas commune, en
particulier qu’elle ne concerne pas les aires visuelles primaires comme V1 et V2
et que, du coup, que cette réponse est relativement spécifique de l’aire IT. Pour
cette raison, les aires visuelles primaires ne sont pas considérées comme reflétant
les corrélats neuronaux de la conscience.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 757
Stimulus
0,6 0,6
0,4 0,4
ACF
CPH
Percept 0,2 0,2
0,0 0,0
–8 –4 0 4 8 12 –8 –4 0 4 8 12
CPH
0,6 0,6
0,4 0,4
0,2 0,2
ACF
CPH
0,0 0,0
–8 –4 0 4 8 12 –8 –4 0 4 8 12
Temps écoulé à partir du changement de stimulus (s)
Figure 21.24 – Enregistrement en IRMf de l’activité du cerveau chez l’homme lors d’une expérience de rivalité
binoculaire.
(a) Dans des conditions de rivalité binoculaire, un sujet est soumis à un stimulus composite (en haut à gauche) au
travers de lunettes portant des filtres vert et rouge, de telle manière que l’un des deux yeux voit le visage et l’autre
œil le monument. Par conséquent, le sujet perçoit alternativement l’un ou l’autre de ces stimuli (le percept). L’IRMf est
utilisée pour mesurer l’activité de deux aires du lobe temporal : l’aire du cortex fusiforme (ACF), qui est connue pour
mieux répondre aux stimuli représentant des visages qu’aux autres types de stimuli, et le cortex parahippocampique
(CPH), qui répond aux présentations de stimuli en forme de maison ou de monuments, mais pas à ceux représentant
des visages. Les résultats sont la moyenne de plusieurs transitions de perception de monument vers le visage et
réciproquement du visage vers le monument. Bien que le stimulus soit fixe, l’ACF est plus actif lorsque c’est le visage
qui est perçu (ligne de couleur bleu), et le cortex CPH est au contraire plus actif lors de la présentation du monument
(ligne de couleur rouge). (b) Dans des conditions où il n’y a pas de rivalité binoculaire, les deux stimuli différents sont
alternativement présentés à un seul œil. Les réponses de l’ACF et du cortex CPH sont en accord avec la perception
du visage ou du monument. (Source : Rees et al., 2002, Fig. 4.)
758 3 – Cerveau et comportement
Présentation
visuelle
Figure 21.25 – Activité d’un neurone chez
des stimuli
l’homme lors de la représentation mentale
d’un stimulus visuel.
(a) L’enregistrement porte sur un neurone du
cortex entorhinal chez l’homme, qui répond
(a) 1 000 ms
lorsqu’une photo de dauphins est présen-
tée (ligne horizontale de couleur verte), mais
pas lorsque la photo représente une jeune
fille (lignes horizontales de couleur rouge).
Représentation
(b) Lorsque ensuite il est demandé au sujet mentale
d’imaginer sans les voir ces représentations des stimuli
respectives en réponse à des consignes visuels
verbales, le neurone reste plus actif lorsque
le sujet imagine qu’il voit des dauphins que
lorsqu’il imagine le visage de la jeune fille.
(Source : adapté de Crick et al., 2004, Fig. 5.) (b) 1 000 ms
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 759
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons abordé la dynamique des changements d’ac-
tivité neuronale à large échelle. Ainsi des modifications de l’activité cérébrale
ont été mises en évidence en rapport avec le cerveau dans l’état « de repos » et
le cerveau engagé dans une activité comportementale, nous amenant à définir
un mode de fonctionnement « par défaut ». Le passage d’un état de repos à un
état en rapport avec une activité comportementale se traduit par un changement
d’activité plutôt global, passant du mode « par défaut » à un pattern particu-
lier en rapport avec le type de comportement considéré. Nous ne pouvons pas
dire avec certitude ce que représente réellement l’activation cérébrale mesurée
au repos, mais il est vraisemblable qu’elle traduit une sorte de veille des change-
ments susceptibles d’être liés à des variations de l’environnement, ou encore à
une sorte de vagabondage de l’esprit.
Lorsque nous étudions le système sensoriel ou bien le système moteur, nous
procédons de la même manière en tentant d’isoler la composante à étudier.
Évidemment, la réalité est toute autre : nous sommes littéralement bombardés
d’informations sensorielles, et à un instant donné nous ne portons attention
qu’à une infime partie d’entre elles, qui se trouve momentanément déterminante
pour notre action. L’attention est ainsi un processus fondamental de toute cette
opération. Il est vraisemblable que certains animaux puissent fonctionner sans
attention, ayant un système nerveux qui soit anatomiquement organisé de façon
à produire des réponses motrices spécifiques à tel ou tel type de stimulus, par
exemple dans le cas d’une menace. Cependant, l’attention confère une extrême
flexibilité comportementale. Dans certaines situations, l’attention est comme
« saisie », mais dans la plupart des cas nous utilisons l’attention comme outil
pour focaliser nos ressources mentales. Ceci implique, comme nous l’avons vu,
tout un réseau de structures cérébrales qui, en rapport avec l’intention et l’action,
construit des priorisations dans l’allocation des processus attentionnels, ce qui se
traduit par des accroissements sélectifs de la sensibilité de certaines capacités de
détection sensorielles tels que mis en évidence au niveau cortical.
Comment nous devenons conscients de l’information que nous attendons
reste à ce jour un mystère. De fait, dans ce qui précède nous avons largement
laissé de côté la question du problème « complexe » posé par la notion de
conscience, c’est-à-dire la question du ressenti. Mais, d’un autre côté, nous avons
montré comment il est possible d’aborder, ne serait-ce encore que de très loin, la
question des corrélats neuronaux de la conscience, ce qui constitue un progrès
certain. Dans ce contexte de l’abord des mécanismes neuronaux, il est aussi vrai-
semblable que l’état de conscience suppose de maintenir en mémoire un certain
nombre d’informations, ce qui suppose des interactions avec les systèmes neuro-
naux impliqués dans la mémorisation, que nous aborderons dans le chapitre 24.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 761
QUESTIONS DE RÉVISION
1. Quelles sont les zones actives dans le cerveau à l’état de repos et que
sont-elles supposées faire ?
2. Quels sont les avantages, en termes de comportement, liés à la mise
en œuvre des processus attentionnels ?
3. Pouvez-vous présenter les données neurophysiologiques attestant de
l’existence d’un processus d’attention focalisée ?
4. Quelles sont les relations existant entre le déplacement de l’attention
et l’orientation du regard ?
5. Comment concevez-vous que les représentations des objets remar-
quables dans le champ de vision (salience map) contribuent au guidage
de l’attention ?
6. Quelles sont les différences entre une situation de négligence hémi
spatiale et une situation correspondant à une perte de la vision dans
un hémichamp visuel ?
7. Pourquoi la recherche des corrélats neuronaux des processus atten-
tionnels n’est-elle pas à même de pouvoir répondre à la question du
problème « complexe » de la conscience ?
8. Pouvez-vous préciser comment l’utilisation de la rivalité binoculaire
peut nous renseigner sur les bases de la perception consciente ?
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762 3 – Cerveau et comportement 762
TROUBLES MENTAUX
ET CERVEAU
Approche psychosociale des troubles mentaux.................................... 764
Approche biologique des troubles mentaux........................................ 765
TROUBLES ANXIEUX
Comportements anxieux .................................................................... 768
Autres troubles de l’humeur caractérisés par un excès d’anxiété.......... 769
Encadré 22.1 Focus Agoraphobie avec attaque de panique
Bases biologiques des comportements anxieux................................... 770
Traitements des troubles anxieux........................................................ 773
TROUBLES DE L’HUMEUR
Description des troubles de l’humeur.................................................. 775
Encadré 22.2 Focus Une orangeraie magique dans un cauchemar…
Bases biologiques des troubles de l’humeur........................................ 776
Traitements des troubles de l’humeur................................................. 781
Encadré 22.3 Les voies de la découverte Réglage fin des circuits
neuronaux de la dépression,
par Helen Mayberg
SCHIZOPHRÉNIE
Principales caractéristiques................................................................. 787
Bases biologiques de la schizophrénie................................................. 788
Traitements de la schizophrénie.......................................................... 793
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
a neurologie est une branche de la médecine qui a en charge le diagnostic
et le traitement des maladies du système nerveux. Dans cet ouvrage, de
nombreux aspects de la neurologie ont déjà été discutés, de la sclérose
en plaques à l’aphasie sous toutes ses formes. En plus de cet aspect fascinant
qui nous concerne tous, pour nous autres, neurobiologistes, les maladies du sys-
tème nerveux servent de modèle pour accéder à l’organisation et au fonctionne-
ment normal du cerveau ; par exemple, dans le cas des maladies citées ci-dessus,
pour comprendre le rôle de la myéline dans la conduction des influx nerveux ou
encore celui du lobe frontal dans la production du langage.
La psychiatrie, quant à elle, est concernée par d’autres aspects du fonction-
nement du système nerveux. Cette discipline est centrée sur le diagnostic et la
prise en charge des maladies qui affectent l’esprit ou psyché (dans la mytholo-
gie grecque, la femme sublime qu’était Psyché était la personnification de l’âme
humaine). Pendant longtemps, il était considéré que les maladies mentales, dans
tous leurs aspects comme ceux relatifs à nos peurs, notre humeur ou nos pensées,
n’étaient pas accessibles aux neurosciences. Ceci n’est plus exact aujourd’hui et
nous avons vu dans les premiers chapitres de cette troisième partie de l’ouvrage
que plusieurs des fonctions dites « supérieures » commencent à nous livrer leurs
secrets. C’est là l’un des enjeux et aussi des espoirs des neurosciences que de
pouvoir prétendre au moins à comprendre, sinon à traiter, ces maladies psychia-
triques, tout au moins dans certains de leurs aspects.
Ce chapitre a pour objectif de présenter quelques-unes des possibilités qui
nous sont données aujourd’hui de pouvoir rendre compte de certaines de ces
maladies psychiatriques : l’anxiété, les troubles de l’humeur, ou encore la schi-
zophrénie. Une fois de plus nous constaterons que nous pouvons apprendre
beaucoup sur le cerveau à partir de ce qui se passe lorsqu’il ne fonctionne pas
correctement.
764 3 – Cerveau et comportement
Maladie
psychiatrique
Découverte du gène
Modèle de maladie
chez la souris
Nouveaux
médicaments
Pathophysiologie
de la maladie
Cl
Identification de la cible
et développement
du médicament
NH
H 3C O
Essais cliniques
humains
Figure 22.2 – Médecine moléculaire.
Des gènes au traitement des maladies psychia
triques.
spécifique n’est présent que très rarement dans la population générale, la varia-
tion de plusieurs de ces fragments d’ADN peut se traduire par le même dia-
gnostic (par analogie, la mort par une blessure par balles ; même si l’issue est la
même, chaque balle fatale n’affecte en elle-même qu’une seule partie du corps).
Cette complexité génétique se traduit dès lors par le développement de modèles
animaux eux-mêmes divers, mais tous très utiles.
Une nouvelle approche radicalement différente a été développée pour éviter
tous ces problèmes. Elle consiste à étudier la physiopathologie de neurones pro-
venant de ces patients. Attention : ceci ne suppose pas de procéder à des biopsies
cérébrales ! Au contraire, ces approches prennent avantage du fait récemment
découvert que le prélèvement de certaines cellules de la peau chez les patients
peut conduire à un traitement qui les transforme in vitro en ce que l’on nomme
des cellules souches pluripotentes induites ou iPSC (pour induced pluripotent stem
cells). Puis, un autre traitement in vitro induit la différenciation de ces cellules en
neurones, qui peuvent alors faire l’objet de mise en culture. Ces neurones peuvent
dès lors être comparés à ceux prélevés de façon similaire sur des personnes en
bonne santé, ce qui permet d’aborder la physiopathologie. Mais il est clair que
la principale difficulté de cette approche est que le cerveau est infiniment plus
768 3 – Cerveau et comportement
complexe qu’un simple neurone en culture. Le cerveau est formé d’une myriade
de cellules toutes interconnectées, et les mutations géniques peuvent se manifes-
ter sur des populations neuronales diverses et non univoques. Dans ce cas, bien
entendu, traiter les altérations pathologiques d’une population de neurones ne
peut pas constituer une approche sérieuse de la pathologie.
Troubles anxieux
La peur constitue une réponse adaptative à des situations menaçantes.
Comme nous l’avons vu au chapitre 18, la peur est exprimée principalement par
la mise en jeu du système autonome, notamment par l’activation de la compo-
sante sympathique (voir chapitre 15). Un certain nombre de peurs sont de carac-
tère inné et spécifique des espèces animales. À titre d’illustration, il est évident
qu’il n’est pas utile d’éduquer une souris pour qu’elle ait peur du chat… Mais la
peur peut aussi s’apprendre : il suffit d’une fois pour que les chevaux apprennent
à leurs dépens que la clôture de leur enclos est électrifiée. Le caractère adaptatif
de la peur est ainsi évident. Comme il est courant de le dire dans l’aviation : « Il
y a des vieux pilotes et des pilotes casse-cou, mais il n’y a pas de vieux pilotes
casse-cou… ». Néanmoins, il est des circonstances pour lesquelles la peur ne
constitue pas une réponse appropriée ou la meilleure des adaptations. C’est dans
le cas où la réponse à la peur n’est plus adaptée qu’il est alors fait état de troubles
anxieux, qui constituent les troubles psychiatriques parmi les plus fréquents.
Comportements anxieux
Il est estimé que, sur une période d’un an, plus de 15 % des Américains
souffrent d’au moins une des formes d’anxiété présentées dans le tableau 22.1.
Même s’ils diffèrent par la nature des stimuli réels ou imaginaires qui déclenchent
l’anxiété ou par la réponse comportementale que les individus mettent en œuvre
pour y échapper, tous ces troubles ont en commun une expression pathologique
de la peur.
Tableau 22.1 – Troubles anxieux.
Nom Description
Attaque de panique Brusque occurrence de phases d’appréhension inconsidérée et incontrô
lable, de peur ou de terreur, souvent associées à un sentiment de menace
imminente
Agoraphobie Anxiété en rapport avec la crainte de se trouver en un endroit ou dans une
situation dont il serait difficile de s’extraire et/ou pour lequel toute aide
serait impossible en cas d’attaque de panique
Anxiété généralisée Au moins 6 mois d’anxiété persistante et excessive
Phobie spécifique Anxiété significative sur le plan clinique, provoquée par une frayeur liée à
un objet ou une situation spécifique, conduisant souvent à une réaction
de fuite
Phobie sociale Anxiété significative sur le plan clinique, provoquée par une situation ou
un comportement générateur d’angoisse, conduisant à une appréhension
majeure
Source : adapté de l’American Psychiatric Association, 2013.
devenir fou, et ils fuient à toute vitesse la source de cette peur pour rechercher
de l’aide d’urgence, y compris au plan médical. Ces attaques de panique sont en
général de courte durée, inférieure à 30 min. Elles interviennent en réponse à des
stimuli spécifiques et peuvent représenter un symptôme de troubles anxieux plus
généraux, mais elles peuvent également survenir spontanément.
Ce que les psychiatres appellent des troubles paniques représentent un état où
des attaques de panique surviennent spontanément, sans raison apparente et de
façon récurrente, avec une crainte quasi permanente que ces crises d’angoisse
puissent survenir. Cela concerne environ 2 % de la population et les femmes sont
deux fois plus affectées que les hommes. Cette maladie se déclenche en général
juste après l’adolescence, mais rarement après l’âge de 50 ans. La moitié environ
des individus qui présentent ces troubles paniques ont également une dépression
majeure (cela sera discuté plus loin dans le chapitre), et 25 % d’entre eux sont
ou deviennent alcooliques et développent une forme ou une autre d’addiction.
Agoraphobie. Il s’agit dans ce cas d’une anxiété sévère développée dans des
situations où l’individu a la sensation de se trouver dans une situation dont il
lui semble qu’il aura des difficultés à s’extraire, en général au milieu de la foule.
Ce syndrome est caractéristique de l’agoraphobie (du grec « peur de l’agora »).
L’anxiété résulte en des comportements d’évitement de situations irrationnelle-
ment considérées comme effrayantes, comme par exemple se retrouver seul hors
de sa maison, au milieu de la foule, dans une voiture ou un avion, voire sur un
pont ou dans un ascenseur. L’agoraphobie constitue un trouble de l’anxiété qui
peut traduire des troubles paniques (Encadré 22.1). Il est considéré comme le
plus fréquent, sachant qu’environ 5 % de la population en souffre, les femmes
étant là encore deux fois plus que les hommes sujettes à ce syndrome.
Encadré 22.1 FOCUS
Stress
CRH
Hypothalamus
Hypophyse ACTH
antérieure Figure 22.3 – L’axe hypothalamohypophy-
saire corticotrope.
Le système hypothalamohypophysaire corti
Glande
cotrope régule la sécrétion de cortisol à partir
cortico-
surrénale des glandes corticosurrénales, en réponse au
stress. La corticolibérine (CRH) est sécrétée
Cortisol
à partir des neurones paraventriculaires de
l’hypothalamus et elle agit dans l’hypophyse
Modifications physiologiques
régissant la réponse
antérieure. L’ACTH sécrétée à son tour par
au stress l’hypophyse antérieure atteint les glandes sur
rénales situées au niveau des reins, au travers
de la circulation générale. À ce niveau, l’ACTH
Rein
stimule la sécrétion de cortisol. Le cortisol
contribue alors à la réponse de l’organisme
au stress.
772 3 – Cerveau et comportement
à l’étude des troubles anxieux. Par exemple, lorsque le niveau de CRH est sur
exprimé chez une souris par manipulation génétique, l’animal exprime une
sensibilité accrue aux stimuli anxiogènes. Lorsque les récepteurs du CRH sont à
l’inverse génétiquement supprimés, alors la souris présente une moindre propen-
sion aux comportements anxieux, par rapport à une souris normale.
Régulation de l’axe hypothalamohypophysaire par l’amygdale et l’hippo-
campe. L’activité des neurones à CRH de l’hypothalamus est régulée par deux
structures, qui ont été introduites dans les chapitres précédents : l’amygdale et
l’hippocampe (Fig. 22.4). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 18, l’amygdale
joue un rôle clé en ce qui concerne les processus liés à la peur. L’information
sensorielle arrive par les noyaux basolatéraux de l’amygdale où elle est intégrée,
puis transmise au noyau central. Dès lors que le noyau central de l’amygdale
devient actif, la réponse au stress s’ensuit (Fig. 22.5). Dans le cas des troubles
anxieux, les méthodes d’imagerie cérébrale par IRMf (voir Encadré 7.3) ont mis
Bed nucleus
de la stria terminalis
Hippocampe
Amygdale (localisation sous-corticale)
(localisation sous-corticale)
Réponse
au stress
Amygdale
Activation de l’axe
hypothalamo-
hypophysaire
corticotrope
Hypothalamus
Activation
du système
sympathique
Systèmes Vigilance
modulateurs accrue
Information diffus
sensorielle
Noyau
central
Noyaux basolatéraux
Troubles de l’humeur
L’affect est le terme médical pour parler de l’état émotionnel et de l’humeur.
Ainsi les troubles affectifs représentent des troubles de l’humeur qui sont rela-
tivement fréquents puisqu’il est admis que, en prenant une année de référence,
plus de 9 % de la population générale expriment des souffrances de ce type, à un
moment ou à un autre de cette année.
Encadré 22.2 FOCUS
Winston Churchill l’appelait son « chien noir »1. quasi obsessive, donner une incroyable confiance en soi,
L’écrivain F. Scott Fitzgerald se trouvait lui-même sou- et aller jusqu’à s’affranchir des contraintes sociales ; en
vent « …haïssant la nuit où il ne pouvait fermer l’œil et fait, tout ce qui est nécessaire à une créativité artistique
haïssant le jour parce qu’il le portait vers la nuit »2. Pour originale.
le compositeur Hector Berlioz, c’était « le plus terrible La folie du poète est cependant plus souvent un fléau
des malheurs de l’existence »3. C’est ainsi qu’ils par- qu’une source d’inspiration. Pour Robert Lowell, c’était
laient tous de leur vie lors des épisodes dépressifs. Du « une orangeraie magique dans un cauchemar »6. Le
poète écossais Robert Burns au rocker américain Kurt mari de Virginia Woolf a décrit lui-même comment
Cobain, toutes ces personnalités extraordinairement « elle parlait sans arrêt pendant deux ou trois jours sans
créatives ont souffert de façon inhabituelle de troubles se préoccuper de ce qui se passait autour d’elle ou de
de l’humeur. C’est ce que révèlent les biographies de tout ce qu’on pouvait lui dire »7. Il est également diffi-
nombreux artistes parfaitement reconnus, qui pré- cile d’évoquer l’immense désarroi et la profonde mélan-
sentent par ailleurs un aspect alarmant, montrant que la colie qui peuvent être associés à ces états dépressifs. Le
fréquence des dépressions majeures dans ce milieu est taux de suicide chez les poètes reconnus est d’environ 5
environ de dix fois supérieure à celle notée dans la popu- à 18 fois plus élevé que dans la population générale, ce
lation générale ; et jusqu’à plus de trente fois en ce qui qui donne une idée de la détresse qui peut intervenir. Un
concerne les troubles bipolaires. autre poète, John Keats, écrivait ainsi, complètement
De nombreux artistes ont décrit leur infortune de désespéré : « Je suis dans un état comme si je me trouvais
façon éloquente. La question est alors posée de savoir si la tête sous l’eau et que je ne fasse surface que très rare-
les troubles de l’humeur peuvent favoriser le talent et la ment. »8 ; et, dans le même temps, à cette époque, pen-
créativité ? Bien entendu tous les maniacodépressifs dant une période de 9 mois environ en 1819, il écrivait
ne sont pas des artistes ou doués d’imagination inhabi- ses plus beaux poèmes avant de disparaître atteint de la
tuelle, et tous les artistes ne sont pas maniacodépres- tuberculose à l’âge de 25 ans. La figure A illustre la pro-
sifs… Cependant, il est notable que les artistes souffrant duction du compositeur Robert Schumann en rapport
de troubles maniacodépressifs tirent parfois profit de cet avec ses épisodes maniacodépressifs. Il existe une corré-
état dans leur création. Edgar Allan Poe parlait ainsi lation indéniable entre son œuvre et sa maladie.
de sa propre dépression : « Par chance, je suis à la fois Le psychiatre Kay Redfield Jamison a suggéré que
incroyablement paresseux et merveilleusement produc- « la dépression correspond à une vision du monde au
tif. »4 Le poète Michael Drayton parle de « sa merveil- travers de lunettes noires, alors que la manie correspon-
leuse folie… que doit avoir tout cerveau de poète »5. De drait plutôt à son observation au travers d’un kaléidos-
nombreuses études ont montré que l’état hypomaniaque cope, souvent brillant mais le plus souvent fracturé »9.
peut favoriser certains processus cognitifs, accroître la Dans ce cas, il est satisfaisant de voir que nous dispo-
pensée originale et idiosyncrasique, et même rendre plus sons maintenant de traitements efficaces contre ces
fluent le discours. L’état maniaque peut aussi réduire les maladies, le kaléidoscope n’étant pas forcément enviable
besoins en sommeil, favoriser la concentration de façon aux lunettes noires.
1. Relevé dans Ludwig AM. The price of greatness: resol- 5. Michael Drayton. To my dearly beloved friend, Henry
ving the creativity and madness controversy. New York : Reynolds, Esq. of poets and poesy, lines 109-110. In : The
Guilford Press, 1995 : p. 174. works of Michael Drayton, Esq. Vol. 4. London : W. Reeve,
1753.
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and other stories. New York : New Directions, 1956 : 69-75. Random House, 1982 : p. 218.
3. Hector Berlioz. The memoirs of Hector Berlioz. Trans. 7. Leonard Woolf. Beginning again: an autobiography of
Daid Cairns. St Albans, England : Granada, 1970 : p. 142. the year 1911 to 1918. New York : Harcourt Brace, 1964 : 172-3.
8. Quoted by Kay Jamison in a presentation at the depres-
4. Edgar Allan Poe. Letters to James Russell Lowell, June sion and related affective disorders association. Baltimore,
2, 1844. In : John Wand Ostrom, ed. The letters of Edgar Maryland : John Hopkins Symposium, april 1997.
Allan Poe. Vol. 1. Cambridge : Harvard University Press, 9. Jamison KR. Manic-depressive illness and creativity.
1948 : 256. Scientific American 272 : 62-7.
778 3 – Cerveau et comportement
27 compositions
Nombre de compositions
9 compositions
1829 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856
Figure A – Dates des compositions de Robert Schumann en rapport avec ses épisodes maniacodépressifs.
(Source : adapté de Slater et Meyer, 1959.)
Thalamus
Hypothalamus
Lobe temporal
Néocortex
Thalamus
Noradrénaline
(NA) Sérotonine (5-HT)
Tricycliques
NA 5-HT
– –
Transporteur
NE 5-HT
NA Fluoxétine
–
NA IMAO 5-HT
–
Active des récepteurs Active des récepteurs
présynaptiques présynaptiques
et post-synaptiques et post-synaptiques
MAO
Produits
du métabolisme
Figure 22.12 – Effet stabilisateur de l’humeur du lithium chez 5 patients. (Source : adapté de Barondes, 1993, p. 139.)
lateur sur les animaux. Comme d’autres sels de lithium avaient le même effet,
il conclut que c’était le lithium et non un composé urinaire, qui provoquait les
effets comportementaux. Il entreprit alors de tester les effets du lithium sur les
patients maniaques, et cela s’avéra bénéfique. Ultérieurement, il fut démontré
que le lithium est extrêmement efficace pour stabiliser l’humeur des patients
présentant des troubles bipolaires, non seulement en prévenant l’occurrence de
nouveaux épisodes maniaques, mais aussi de dépression (Fig. 22.12).
Le lithium agit sur les neurones de plusieurs manières. En solution, il repré-
sente un cation monovalent qui transite facilement au travers des canaux sodiques
membranaires. À l’intérieur des neurones, le lithium ralentit le métabolisme des
phospho-inositides et particulièrement du phosphatidylinositol (PIP2), un pré-
curseur d’un second messager important synthétisé par l’activation d’un certain
nombre de récepteurs couplés aux protéines G (voir chapitre 6). Le lithium inter-
fère aussi avec l’action de l’adényl cyclase, qui contrôle la production d’AMPc,
ainsi qu’avec celle de la glycogène-synthase kinase (GSK), une enzyme clé du
métabolisme énergétique. En dépit de ces connaissances, la raison pour laquelle
le lithium est si efficace pour traiter les troubles bipolaires reste objectivement
une énigme. Et d’autres travaux seront nécessaires pour le comprendre. Il est à
noter que, comme pour les autres types d’antidépresseurs, le lithium n’exerce son
effet qu’après plusieurs semaines d’une prise régulière mais, là encore, la raison
n’est pas connue. Il est probable que la réponse se trouve au niveau de processus
d’adaptation de l’activité cérébrale à long terme, mais la nature de ces change-
ments reste ici totalement à déterminer.
Stimulation cérébrale profonde. Chez un nombre non négligeable de patients,
il s’avère que l’ECT, comme les antidépresseurs et la psychothérapie, sont inef-
ficaces pour améliorer l’état des malades. Dans cette situation, des mesures
plus drastiques sont nécessaires, et parmi celles-ci figurent la possibilité d’avoir
recours à la chirurgie fonctionnelle et d’implanter une électrode à demeure dans
une région précise du cerveau. Cette méthode de neurostimulation cérébrale pro-
fonde pour traiter la dépression a été introduite par Helen Mayberg, une neu-
rologue d’Emory University (Encadré 22.3). Souvenez-vous ici que l’activité du
cortex cingulaire antérieur est augmentée par un état de tristesse et réduite par
les traitements antidépresseurs, lorsqu’ils sont efficaces. C’est en constatant que,
chez les patients déprimés résistant aux traitements antidépresseurs, l’activité du
cortex cingulaire antérieur restait élevée que Mayberg a pensé utiliser la neuro
stimulation pour moduler l’activité de cette région cérébrale. Bien que cela puisse
paraître antinomique, les effets de la stimulation cérébrale se traduisent bel et
bien par une réduction de ces circuits neuronaux hyperactifs (NdT : comme cela
avait été initialement établi par A. L. Benabid à Grenoble pour le traitement du
tremblement ou des symptômes de la maladie de Parkinson, voir chapitre 14),
possiblement par la mise en jeu de neurones inhibiteurs. C’est donc avec l’aide
de neurochirurgiens de l’Université de Toronto que Mayberg a montré que la sti-
mulation d’une région limitée du cortex cingulaire antérieur incluant l’aire 25 de
Brodmann, était à même d’améliorer immédiatement l’état de patients déprimés.
22 – Troubles mentaux 785
Etudier la dépression n’était pas mon représenter une approche intéressante pour
idée. J’ai une formation de neurologue et le traitement de certaines dépressions.
clairement la dépression est en général consi- L’insertion des électrodes dans le cortex cin-
dérée comme se situant au-delà des frontières gulaire était techniquement à notre portée et
de mon domaine. Bien que de nombreux ne présentait pas de difficultés particulières,
patients souffrant de troubles neurologiques ni de risque pour les patients. Nous avons
soient atteints de dépression, cet état est le donc conclu, en accord avec les neurochirur-
plus souvent perçu comme une réponse de giens, que cela valait la peine d’être tenté.
caractère non spécifique à l’annonce d’un Helen Mayberg Mais alors comment sélectionner les patients
diagnostic très lourd (AVC, maladie de susceptibles d’être implantés ?
Parkinson, Alzheimer, etc.). De plus, l’idée que des chan- La dépression résistante aux traitements est définie
gements aussi globaux que ceux constatés dans la dépres- comme une absence d’amélioration de l’état des malades
sion puissent être en fait liés à des atteintes localisées du soumis à différents traitements disponibles : antidépres-
cerveau, de la même manière qu’un trouble du langage est seurs ou électrothérapie. Mais ce qui n’était pas pris en
en rapport avec des lésions du lobe frontal ou du lobe compte jusque-là dans nos réflexions, était en fait l’état
temporal, ne vient pas forcément immédiatement à l’es- de souffrance général des malades, du fait vraisembla-
prit du neurologue. Dans la plupart des cas, la prise en blement de notre incapacité à la mesurer par les échelles
charge de la dépression par les neurologues est très simi- d’évaluation dont nous disposions, celles-ci approchant
laire à ce qu’elle est lorsqu’une cause neurologique n’est seulement le mal-être, la douleur ressentie et les troubles
pas invoquée, c’est-à-dire basée sur la prescription de du comportement (immobilité notamment) associés à la
médicaments antidépresseurs mis au point sur la connais- maladie.
sance des processus impliqués dans la dépression, en Je me souviens très bien du premier patient (une
rapport avec les découvertes sur les neurotransmetteurs, femme) que nous avons traité le 23 mai 2003.
avant l’avènement de l’imagerie cérébrale. Techniquement, nous étions prêts ! Nous savions où
À partir de 2001, nous avons beaucoup appris sur la implanter les électrodes et nous avions pensé qu’il pour-
dépression à partir de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. rait y avoir des effets secondaires. Cela mis à part, nous
En utilisant la TEP et l’IRMf, un certain nombre d’ob- n’avions pas d’attente particulière de cette intervention.
servations ont été réalisées illustrant des patterns d’acti- Difficile d’anticiper sur les résultats d’une expérimenta-
vation qui permettent de subdiviser les patients en plu- tion totalement inédite. Notre patiente était éveillée, les
sieurs classes en fonction de leurs symptômes. De plus, électrodes pouvant être implantées simplement sous
ces travaux ont permis de constater des patterns d’acti- anesthésie locale ; et il était ainsi possible en simplement
vation différents, orientant les patients vers une prise en la questionnant de s’assurer qu’elle n’était pas soumise
charge par des médicaments antidépresseurs ou par la à des situations trop inconfortables en termes de dou-
psychothérapie. Et la caractérisation du pattern d’acti- leur ou d’aggravation de son humeur. La première étape
vation avant le début du traitement a aussi permis un a donc été d’implanter les électrodes, puis de mettre en
suivi des conséquences de sa mise en œuvre pour un route la stimulation, tout en s’assurant que rien de grave
patient donné. Dès lors commençait à émerger une sorte n’intervenait pour la patiente. Notre intention n’était
de réseau de structures impliquées potentiellement dans pas d’optimiser les paramètres de la stimulation pen-
la dépression. dant l’intervention, ce que nous aurions tout loisir de
C’est à cette période que nous avons examiné directe- faire plus tard dans les prochaines semaines une fois les
ment l’activité du cortex cingulaire dans la région subcal- électrodes implantées, considérant aussi que si améliora-
losale (aire 25 de Brodmann) (Fig. A). Nous avons alors tion il devait y avoir, cela pourrait prendre plusieurs
pu mettre en évidence des changements d’activité de semaines, comme après l’administration des médica-
cette région sous l’influence des traitements antidépres- ments antidépresseurs.
seurs. Nous avons aussi constaté que lorsque les traite- Le protocole prévoyait ainsi d’observer d’abord les
ments étaient inefficaces sur les symptômes des malades, réactions générales de la patiente tout en préservant sa
l’activité de cette région cérébrale se trouvait inchangée sécurité et, en cas de problème, d’arrêter immédiate-
sous l’effet des traitements. L’hypothèse a donc été pro- ment de stimuler. Dès lors, de façon tout à fait inatten-
posée que l’utilisation de la stimulation cérébrale pro- due, nous avons soudain vu l’humeur de cette femme se
fonde, telle qu’elle avait été mise au point pour traiter modifier brutalement, alors que nous étions en train
les patients atteints de maladie de Parkinson, pourrait de tester la connexion du second plot de l’électrode
786 3 – Cerveau et comportement
gauche. Soudainement, la patiente nous a demandé si ment avec moi-même mais aussi avec le reste de l’équipe
nous avions fait quelque chose de particulier. Elle était présente dans le bloc opératoire. Tout se passait comme
calme, et présentait un degré de sérénité et de légèreté si elle était soudainement sortie de son état dépressif,
qu’elle disait n’avoir pas ressenti depuis longtemps. comme laissant son cerveau réaliser toute sorte d’acti-
J’étais en contact avec elle dans la partie non stérile, vités. C’est alors qu’en arrêtant le stimulateur, il était
sous le champ opératoire. Ses yeux apparaissaient évident qu’elle était aussitôt retournée dans son état
beaucoup plus élargis que d’ordinaire et elle explorait initial. À ce moment précis, j’ai compris que tout ce
son environnement, son discours était plus ferme, que je savais de la dépression était remis en question et
moins hésitant et sa voix plus tonique. Par ailleurs, elle qu’il apparaissait que j’avais là un nouveau moyen de
était présente comme jamais et interagissait non seule- l’étudier.
Figure A
Activité anormale du cortex cingulaire antérieur et utilisation de la stimulation cérébrale profonde
pour la corriger. En haut à gauche : TEP-scan d’un patient déprimé montrant une augmentation du
débit sanguin cérébral indicateur d’une hyperactivité, dans la partie subcallosale du cortex cingulaire
(en rouge). C’est cette hyperactivité qui est corrigée par la stimulation cérébrale. En haut à droite :
IRM de diffusion utilisée avant la mise en place des électrodes pour localiser la région des interac
tions entre trois faisceaux de substance blanche principaux passant par cette région subcallosale,
ce qui contribue à définir la zone à atteindre pour avoir une stimulation optimale. En bas à gauche :
IRM structurale obtenue pendant l’intervention chirurgicale, montrant la position des électrodes de
stimulation et permettant d’en vérifier la localisation. En bas à droite : radiographie obtenue après
l’intervention montrant la localisation des électrodes dans chaque hémisphère. (Source : courtoisie
du Dr Helen Mayberg.)
22 – Troubles mentaux 787
Schizophrénie
Même si la sévérité des troubles de l’humeur ou liés à l’anxiété est parfois
difficile à évaluer, sans être un spécialiste nous avons tous quelque idée de ce
que sont ces pathologies, du fait de leur expression représentant des situations
extrêmes de composantes normales des comportements. Ceci n’est pas le cas de
la schizophrénie où les patients présentent des distorsions de leurs pensées et de
leurs perceptions, à un niveau tel qu’il est difficilement imaginable. La schizo-
phrénie représente un problème de santé publique majeur, affectant environ 1 %
de la population, soit plus de 2 millions de personnes rien qu’aux États-Unis.
Principales caractéristiques
La schizophrénie se traduit par une perte de contact avec la réalité et une
rupture par rapport à la normale du raisonnement, de la pensée, des perceptions
sensorielles, de l’humeur et même des mouvements. La maladie apparaît typi-
quement pendant l’adolescence et chez le jeune adulte, et elle persiste en général
toute la vie des individus. Le nom, introduit en 1911 par le psychiatre suisse
Eugen Bleuler, signifie à peu près « esprit divisé » parce que, dans ses observa-
tions, la plupart des patients semblaient osciller entre un état normal et un état
pathologique. Néanmoins, cette maladie se traduit par des formes bien diffé-
rentes, incluant celles où le patient est détérioré en permanence. En fait, derrière
le vocable générique de schizophrénie pourraient se cacher plusieurs formes de
maladies mentales différentes.
Les symptômes de la schizophrénie sont classés dans deux catégories dis-
tinctes, qui définissent une forme positive et une forme négative. Les symptômes
positifs traduisent une distorsion de la pensée et des comportements, comme
suit :
•• une production de pensées délirantes ;
•• des hallucinations ;
•• une incohérence des propos ;
•• un comportement général désorganisé ou catatonique.
Les symptômes négatifs reflètent l’absence de réponses comportementales
normalement attendues dans une situation donnée. Par exemple :
•• une expression réduite voire inexistante de l’émotion ;
•• un discours considérablement appauvri ;
•• des difficultés à initier des comportements volontaires ;
•• des troubles de la mémoire.
Les patients souffrant de schizophrénie présentent souvent des délires
organisés autour de thèmes généraux ; par exemple, que des ennemis puissants
sont là pour les capturer. Ces pensées incohérentes sont souvent accompagnées
d’hallucinations auditives, en rapport avec le même thème délirant. Ils peuvent
également montrer une sorte d’indifférence émotionnelle qualifiée d’émousse-
788 3 – Cerveau et comportement
Gènes en commun
Population générale 1%
25 % Neveux, nièces 4%
(parenté au
second degré) Petits-enfants 5%
Demi-frères 6%
Parents 6%
50 % Frères 9%
(parenté au
premier degré) Enfants 13 %
attestent que les mécanismes biologiques qui causent les conditions de l’établis-
sement de la schizophrénie débutent très tôt pendant le développement, voire
même au stade prénatal. Parmi les causes de la maladie, il a ainsi été proposé
que des infections virales chez le fœtus ou au cours du développement post-natal
précoce puissent intervenir, tout comme des problèmes de malnutrition de la
mère. De plus, l’exposition à des facteurs stressants tout au long de la vie pour-
rait favoriser le processus pathologique. Un certain nombre d’études montrent
par exemple que la consommation de la marijuana augmente le risque de déve-
lopper une schizophrénie chez des adolescents génétiquement prédisposés à la
maladie. La schizophrénie est associée avec des modifications de la structure du
cerveau, comme l’illustre la figure 22.14 qui donne un exemple des modifications
notées chez les patients schizophrènes. Dans ce cas, il s’agit d’un scanner réalisé
chez deux jumeaux identiques, dont l’un des deux est schizophrène et l’autre
normal. Bien entendu, des jumeaux vrais présentent normalement des images
du cerveau parfaitement identiques. Dans ce cas, cependant, il est notable que le
cerveau du patient schizophrène présente des ventricules cérébraux élargis, tra-
duisant vraisemblablement une rétraction du tissu environnant. Ces atteintes des
ventricules sont retrouvées de façon plus ou moins constante lorsque des séries
de malades sont étudiées, attestant que les schizophrènes ont statistiquement
des ventricules cérébraux significativement élargis par rapport à une population
témoin du même âge.
De tels changements structuraux ne sont pas toujours présents chez les
patients à l’échelon macroscopique, mais la tendance actuelle est plutôt de
considérer que c’est au niveau de la structure fine des aires corticales et de leurs
connexions que les différences se font jour entre cerveau normal et pathologique.
Par exemple, les schizophrènes paraissent avoir des troubles de la myélinisation
des axones du cortex cérébral, mais dans ce cas il est difficile de dire à ce stade des
recherches s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence de la maladie. Une autre
caractéristique du cerveau des schizophrènes réside dans l’organisation céré-
brale où les neurones sont parfois regroupés en amas, traduisant un défaut de
migration des neurones au cours du développement, ce qui conduit à un défaut Figure 22.14 – Élargissement des ventri-
d’organisation des couches corticales et à un cortex cérébral globalement moins cules cérébraux chez les schizophrènes.
épais que chez les sujets témoins (Fig. 22.15). Enfin, l’étude des synapses et des Ces deux clichés IRM proviennent de deux
neurotransmetteurs permet également de mettre en évidence quelques anomalies vrais jumeaux. Celui du haut est normal ; celui
en rapport avec la schizophrénie. C’est d’ailleurs dans ce contexte que des hypo- du bas est schizophrène. Notez l’importante
thèses ont été avancées, impliquant notamment les systèmes dopaminergiques et dilatation des ventricules latéraux chez le
schizophrène, indiquant une réduction de la
glutamatergiques centraux.
masse cérébrale. (Source : Barondes, 1993,
p. 153.)
Figure 22.15 – Perte de substance grise corticale pendant l’adolescence chez des patients schi-
zophrènes.
Le cerveau de douze jeunes patients schizophrènes est examiné tous les 5 ans par des méthodes
d’imagerie afin de déterminer l’évolution de l’épaisseur de leur cortex cérébral, entre 13 et 18 ans.
Cette représentation illustre la perte annuelle intervenant dans l’épaisseur du cortex cérébral, les
régions de couleur rouge illustrant les zones où la perte est la plus importante et celles de cou
leur bleu, là où elle est la moins importante. Ainsi des pertes sévères (jusqu’à 5 % annuellement)
sont constatées dans le cortex pariétal, le cortex moteur et le cortex temporal antérieur. (Source :
Thompson et al., 2001, Fig. 1, avec autorisation).
790 3 – Cerveau et comportement
Lobe
frontal
Striatum
Substance noire
Sulpiride
10 –7
affinité
Faible
Pérazine
Clomacran
Promazine
Trazodone
Chlorpromazine
Lenpérone
Clozapine
Métiapine
Thioridazine
Affinité pour les récepteurs D2
10 –8 Molindone
Prochlorpérazine
Mopérone
Trifluopipérazine
Thiothixène
Dropéridol Halopéridol
10 –9
Fluphénazine
Pimozide
Triflupéridol
Benpéridol
10 –10
affinité
Haute
Spipérone
Néanmoins, même s’il est tentant de renforcer le lien entre les symptômes
positifs de la schizophrénie et la dopamine, il semble que cette hypothèse pré-
sente un caractère trop réducteur, et que la maladie soit plus qu’une simple
hyperactivité du système dopaminergique. Un argument pour nuancer cette
proposition tient au fait que les antipsychotiques de nouvelle génération,
comme la clozapine, n’ont que peu d’affinité pour les récepteurs D2. Ces agents
pharmacologiques sont dénommés neuroleptiques atypiques, indiquant qu’ils
agissent par un mécanisme non conventionnel par rapport à l’action des autres
neuroleptiques. De ce point de vue, le mécanisme d’action de ces neurolep-
tiques n’est pas clair, impliquant peut-être une interaction avec des récepteurs
sérotoninergiques.
Hypothèse glutamatergique. Une autre indication du fait que la dopamine
seule n’est pas impliquée dans la schizophrénie provient de l’observation des
effets comportementaux de la phencyclidine (PCP) et de la kétamine. Ces agents
ont été introduits en médecine comme anesthésiques dans les années 1950.
Toutefois, leur utilisation en clinique humaine a rapidement été limitée par l’ob-
servation qu’un certain nombre de patients présentaient des effets secondaires
après l’anesthésie, quelquefois pendant plusieurs jours, incluant des épisodes de
paranoïa et d’hallucinations. Aujourd’hui la PCP n’est plus utilisée en anesthé-
sie et représente une drogue illicite communément utilisée, connue sous le nom
de « poudre d’ange ». La kétamine, toujours utilisée quant à elle en médecine
vétérinaire, est également descendue dans la rue, sous le nom de « spécial K »
ou de « vitamine K ». Les intoxications à la PCP ou à la kétamine comportent
des symptômes similaires à ceux de la schizophrénie, tant négatifs que positifs.
Toutefois, ces drogues ne sont pas connues pour avoir des effets sur la transmis-
sion dopaminergique mais affectent en revanche les synapses glutamatergiques.
792 3 – Cerveau et comportement
Glutamate
Sites Sites
de fixation de fixation
de la PCP PCP
du glutamate
Na+
Ca2+
Comme cela est indiqué dans le chapitre 6, le glutamate est l’un des neuro
transmetteurs majeurs de la signalisation excitatrice rapide du système nerveux,
agissant notamment au travers des récepteurs NMDA. La PCP et la kétamine
agissent en inhibant l’activité des récepteurs NMDA (Fig. 22.18). Ce type
d’observation est à l’origine de l’hypothèse glutamatergique de la schizophrénie,
l’idée étant que les symptômes de la maladie seraient liés, au moins pour partie,
au blocage de ces récepteurs NMDA.
Pour étudier la biologie de la schizophrénie, les neurobiologistes ont tenté
de produire des modèles animaux de la maladie. De faibles doses de PCP admi-
nistrées chroniquement à des rats induisent des changements comportemen-
taux qui se rapprochent de certains signes cliniques de patients schizophrènes.
Un autre de ces modèles est fondé sur une forte réduction d’expression des
récepteurs NMDA chez des souris transgéniques. Dans ce cas, les animaux pré-
sentent des comportements qui peuvent être apparentés à certains symptômes
des patients, notamment en ce qui concerne les mouvements répétitifs, une
certaine agitation et une altération manifeste des interactions sociales avec les
autres congénères (Fig. 22.19). Bien entendu, il est difficile de savoir si ces sou-
ris présentent aussi des hallucinations auditives ou si elles sont paranoïaques.
Néanmoins, il est frappant de constater que les troubles du comportement sont,
dans ce cas, sensibles à l’administration de neuroleptiques, tant de type conven-
tionnel, qu’atypiques.
Bien que tous les agents pharmacologiques qui bloquent les récepteurs
NMDA interfèrent avec la mémoire et les processus cognitifs, il en est seule-
ment certains qui reproduisent les symptômes de la schizophrénie chez l’homme.
La différence principale entre ces différents produits est liée à leur mécanisme
d’action. La PCP et la kétamine n’interfèrent pas avec la liaison du glutamate sur
ses récepteurs, comme c’est le cas des autres antagonistes des récepteurs NMDA.
À l’inverse, ces drogues agissent en bloquant directement les flux ioniques au tra-
vers du pore du récepteur. Par voie de conséquence, l’action du PCP et de la kéta-
mine n’est possible que lorsque le récepteur est activé et le canal ionique ouvert.
Cette propriété a laissé les chercheurs se poser la question de savoir si les effets
psychomimétiques de ces drogues n’étaient pas liés à la mise en jeu de popula-
22 – Troubles mentaux 793
Traitements de la schizophrénie
Le traitement de la schizophrénie est fondé sur l’administration de neuro-
leptiques, associée à une dimension psychosociale. Comme cela est mentionné
plus haut, les neuroleptiques de type conventionnel, comme la chlorpromazine
ou l’halopéridol, agissent au travers des récepteurs dopaminergiques D2. Ces
médicaments sont efficaces pour réduire les symptômes positifs chez la plupart
des patients. Malheureusement, ils sont aussi à l’origine de nombreux effets
secondaires, en rapport avec l’action de la dopamine issue des neurones de la
pars compacta de la substance noire, dans le striatum (voir chapitre 14). Ainsi,
l’administration de neuroleptiques a des effets comportementaux semblables à
ceux observés dans la maladie de Parkinson, incluant une certaine rigidité, une
difficulté à initier des mouvements, et un tremblement. Les traitements au long
cours avec ces neuroleptiques peuvent aussi résulter en des mouvements anor-
794 3 – Cerveau et comportement
Conclusion
Les neurosciences ont une grande influence sur la psychiatrie. Les maladies
mentales sont aujourd’hui reconnues, sans ambiguïté, comme résultant de modi-
fications pathologiques du système nerveux central et les traitements proposés
visent à corriger ces altérations du fonctionnement cérébral. Dans ce contexte,
peut-être que l’une des contributions les plus importantes des neurosciences a été
de changer le regard de la société sur les patients psychotiques. De fait, la suspicion
d’une maladie mentale a souvent donné lieu à un sentiment de compassion.
Aujourd’hui, ces maladies sont définitivement reconnues comme de simples
maladies du corps, de la même manière que l’hypertension ou le diabète.
En dépit de progrès remarquables, le traitement de ces maladies reste encore
imparfait et parfois problématique. Dans le cas des médicaments, nous avons
un certain nombre d’idées sur les mécanismes d’action, notamment en ce qui
concerne leur interférence avec l’activité de certaines synapses ; mais cela n’ex-
plique pas toujours les délais entre la prise du médicament et l’effet thérapeu-
tique, quelquefois de plusieurs semaines. Plus encore, dans le cas des traitements
psychosociaux, les bases de l’action thérapeutique restent extrêmement floues.
L’explication qui est donnée actuellement renvoie à des mécanismes réactionnels
adaptatifs de l’activité cérébrale à l’administration du traitement, qui restent
bien évidemment le plus souvent à caractériser.
Par ailleurs, dans la plupart des cas nous ne connaissons pas les causes de
ces pathologies mentales. La contribution des gènes n’est pas claire, contribuant
dans certains cas à augmenter le risque de survenue de ces maladies, dans d’autres
cas à nous protéger contre elles. L’environnement paraît également jouer un rôle
mais sa contribution reste là encore à préciser. De ce point de vue, un stress pré-
natal paraît pouvoir intervenir dans la genèse de certaines formes de schizophré-
nie, alors qu’un stress post-natal pourrait plutôt favoriser un état dépressif. Mais
il faut se garder de considérer que l’interaction avec l’environnement n’a que des
effets négatifs. Par exemple, une stimulation sensorielle appropriée, notamment
pendant la petite enfance, pourrait au contraire être à l’origine de processus
adaptatifs qui permettraient une certaine protection contre les troubles mentaux
lors de la vie adulte.
La prise en compte des troubles psychiatriques et de leurs traitements illustre
combien le comportement est influencé par l’expérience vécue, que ce soit à l’oc-
casion de stress inévitables intenses ou de la consommation d’agents pharmaco-
logiques qui affectent par exemple les taux de sérotonine cérébraux, en sachant
que des expériences sensorielles beaucoup plus subtiles laissent également leur
« empreinte » dans le système nerveux. C’est ce qui sera abordé dans la der-
nière partie de cet ouvrage, centrée sur les effets de l’expérience sensorielle sur le
développement cérébral et la mémorisation.
22 – Troubles mentaux 795
QUESTIONS DE RÉVISION
4e PARTIE
Neuroplasticité
CH APITR E 23
Développement du cerveau 798
CHAPITR E 24
Apprentissage et mémoire 840
CHAPITR E 25
Mécanismes moléculaires de l’apprentissage
et de la mémorisation 888
798 4 – Neuroplasticité 798
CHAPITRE 23 Développement
du cerveau
ORIGINE DES NEURONES
Prolifération cellulaire......................................................................... 800
Encadré 23.1 Focus Neurogenèse chez l’homme adulte
(ou comment les chercheurs ont appris
à aimer la bombe…)
Migration cellulaire............................................................................. 804
Différenciation cellulaire..................................................................... 805
Différenciation des aires corticales...................................................... 806
Encadré 23.2 Les voies de la découverte Cartographier l’esprit !
par Pasko Rakic
GENÈSE DES CONNEXIONS
NEURONALES
Croissance de l’axone......................................................................... 812
Guidage axonal................................................................................... 813
Encadré 23.3 Focus Pourquoi les axones des neurones
ne régénèrent-ils pas dans le système
nerveux central ?
Formation des synapses..................................................................... 818
ÉLIMINATION DES CELLULES
ET DES SYNAPSES
Mort cellulaire.................................................................................... 819
Encadré 23.4 Focus Les mystères de l’autisme
Modifications de la capacité synaptique.............................................. 822
RÉORGANISATION
SYNAPTIQUE DÉPENDANT
DE L’ACTIVITÉ
Ségrégation synaptique....................................................................... 824
Encadré 23.5 Bases théoriques Des grenouilles à trois yeux,
des colonnes de dominance oculaire
et autres bizarreries…
Encadré 23.6 Bases théoriques Le concept de période critique
Convergence synaptique..................................................................... 827
Compétition synaptique...................................................................... 829
Influences modulatrices...................................................................... 831
MÉCANISMES ÉLÉMENTAIRES
DE LA PLASTICITÉ
SYNAPTIQUE CORTICALE
Transmission synaptique excitatrice dans le cortex visuel immature..... 832
Potentialisation à long terme (PLT).................................................... 833
Dépression à long terme (DLT).......................................................... 836
POURQUOI LES PÉRIODES
CRITIQUES ONT-ELLES
UNE FIN ?
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
a plupart des opérations réalisées par le cerveau dépendent d’inter-
connexions remarquablement précises entre ses quelque 85 milliards de
neurones. L’organisation du système visuel, de la rétine au corps genouillé
latéral (CGL) jusqu’au cortex, illustrée par la figure 23.1, est un exemple de
cette précision. Toutes les cellules ganglionnaires de la rétine envoient des axones
dans le nerf optique, mais seuls les axones des cellules ganglionnaires de la par-
tie nasale de chaque rétine se croisent au niveau du chiasma optique. Dans le
nerf optique, les axones venant des deux yeux s’entremêlent, mais dans le CGL
ils sont réorganisés (1) par type de cellule ganglionnaire, (2) selon l’œil d’où ils
proviennent (ipsilatéral ou controlatéral), et (3) selon une disposition rétino-
topique. Les axones des neurones du CGL empruntent les radiations optiques
qui s’étendent jusqu’au cortex (strié) visuel primaire, en passant par la capsule
interne. Ils se terminent (1) dans l’aire 17 seulement, (2) dans certaines couches
corticales bien déterminées (principalement la couche IV), et (3) de nouveau
selon le type de cellule et la disposition rétinotopique. Enfin, les neurones de
la couche IV établissent des connexions spécifiques avec les cellules des autres
couches corticales, qui sont destinées à la vision binoculaire et sont spéciali-
sées dans la détection des contrastes. La question est alors de savoir comment
s’établit un circuit d’une aussi grande précision ?
Revenons au chapitre 7. L’étude du développement embryonnaire permet de
comprendre comment le système nerveux s’est formé à partir d’un simple tube
dans les premiers stades de l’embryon et a donné naissance aux structures du
cerveau adulte et de la moelle épinière. En revenant sur le développement du
cerveau, l’objet de ce chapitre est de voir comment se forment les connexions
entre les neurones, et comment elles se modifient au fur à mesure que le cer-
veau parvient à maturité. Ainsi apparaît-il que les réseaux neuronaux sont éla-
borés à partir d’instructions génétiques, qui permettent aux axones de détecter
leur trajet correct et leurs cibles exactes. Cependant, la mise en place définitive
des circuits nerveux dépend aussi fortement de l’information sensorielle issue
de l’environnement du sujet, particulièrement dans sa petite enfance. Dans ce
contexte, l’acquis de l’expérience et l’apport génétique (processus souvent résu-
més en anglais par nurture and nature) contribuent ensemble au développement
de la structure accomplie et au fonctionnement du système nerveux. Chaque fois
que possible dans ce qui suit, c’est le système visuel qui servira d’illustration à
nos propos (voir chapitre 10).
800 4 – Neuroplasticité
Couche IV III, II
Cortex
strié
(c)
Radiation optique
Thalamus dorsal
CGL
Aire 17
Tractus optique
Chiasma
Rétine optique Rétine
droite gauche
Nerfs
optiques
Antérieur Postérieur
Disques
(a) (b) optiques
Prolifération cellulaire
Nous avons vu dans le chapitre 7 que le cerveau se développe à partir des
parois des cinq vésicules formant chez l’adulte le système ventriculaire. À un
stade très précoce du développement, deux couches seulement constituent les
parois du tube : la zone ventriculaire et la zone marginale. La zone ventriculaire
tapisse l’intérieur des vésicules, et la zone marginale représente la surface externe
23 – Développement du cerveau 801
située sous la pie-mère. Dans les couches de la vésicule télencéphalique, une sorte
de ballet cellulaire préside à la mise en place des neurones et des cellules gliales
du cortex visuel. Une telle chorégraphie de la prolifération cellulaire est décrite
ci-dessous, et les cinq stades de ce développement correspondent aux chiffres
inscrits dans les cercles, sur la figure 23.2a :
1. une cellule de la zone ventriculaire envoie des projections vers la région
périphérique, en direction de la pie-mère ;
2. le noyau de la cellule lui-même migre vers la périphérie, à distance de la
surface ventriculaire vers la pie-mère ; le noyau subit une réplication de
l’ADN ;
3. le noyau, contenant deux copies complètes des instructions génétiques,
revient en arrière vers la surface ventriculaire ;
4. la cellule rétracte ses projections périphériques ;
5. la cellule se divise en deux.
Ces cellules qui se divisent, les progéniteurs neuronaux, sont à l’origine de tous
les neurones et astrocytes du cortex cérébral. Elles sont nommées cellules de la
glie radiaire. Pendant de nombreuses années, ces cellules n’étaient considérées
que comme des « guides » à vocation temporaire contribuant à accompagner
les neurones néoformés à leur destination finale. Nous savons aujourd’hui qu’il
en est bien autrement et qu’en fait ces cellules de la glie radiaire sont en plus à
l’origine de la plupart des neurones du système nerveux central.
Dans les stades précoces du développement, les cellules de la glie radiaire
ne représentent que plusieurs centaines de cellules. Pour donner naissance aux
milliards de neurones du cerveau adulte, ces cellules, qui sont de fait des cel-
lules souches pluripotentes — ce qui signifie qu’elles peuvent se différencier en
de nombreuses populations cellulaires — vont se diviser pour accroître consi-
dérablement la population des progéniteurs par un processus dénommé divi-
sion cellulaire symétrique (Fig. 23.2b). Plus tard au cours du développement, la
division cellulaire asymétrique devient la règle. Dans ce cas, une cellule « fille »
migre pour atteindre sa position finale dans le cortex où elle ne se divisera plus.
L’autre cellule fille demeure dans la zone ventriculaire et sera à nouveau sou-
mise à d’autres divisions (Fig. 23.2c). Les cellules de la glie radiaire répètent ce
pattern jusqu’à ce que l’ensemble des neurones et des cellules gliales du cortex
ait été généré.
Région de la pie-mère
(surface externe)
Zone
marginale
2
1 3 Cellule de la
glie radiaire Figure 23.2 – Chorégraphie de la proliféra-
tion cellulaire.
Zone (a) Les parois des vésicules cérébrales sont
ventriculaire
4 initialement formées de seulement deux
couches cellulaires, la zone marginale et la
5 zone ventriculaire. Chaque cellule exécute
(a) Surface ventriculaire (b) Division cellulaire symétrique une « danse » caractéristique, illustrée sur le
schéma, de la gauche vers la droite. Chaque
chiffre (dans les cercles) illustre les cinq
Précurseur
stades décrits dans le texte. Le destin des
neuronal
cellules filles dépend du plan de clivage au
cours de la division. (b) Après clivage symé
Cellule de la glie trique, les deux cellules filles demeurent dans
radiaire la zone ventriculaire et se divisent à nouveau.
(c) Après clivage asymétrique, la cellule fille
qui se trouve la plus éloignée de la zone
ventriculaire ne se divise plus et commence
(c) Division cellulaire asymétrique sa migration pour atteindre sa place définitive.
802 4 – Neuroplasticité
Encadré 23.1 FOCUS
Dorsal
Futur
néocortex
Zone
de prolifération
Migration cellulaire
Les cellules filles migrent en glissant le long des prolongements fins émis par
les cellules de la glie radiaire qui couvrent la distance entre la zone ventriculaire
et la pie-mère. Les neurones immatures, encore dénommés précurseurs neuro-
naux, suivent cette voie, de la zone ventriculaire jusqu’à la surface du cerveau
(Fig. 23.5). Lorsque toutes les cellules corticales ont rejoint leur destination, les
cellules de la glie radiaire rétractent leurs prolongements. Néanmoins, ce ne sont
pas toutes les cellules en migration qui suivent la voie de la glie radiaire : environ
un tiers des précurseurs neuronaux errent un peu au hasard sur le plan horizon-
tal en recherchant leur place dans le cortex.
Zone marginale
Prolongement
Plaque corticale
le plus avancé
d’un précurseur neuronal
Précurseur neuronal
en migration
Zone
intermédiaire
Prolongement
d’un précurseur neuronal
Zone
subventriculaire Prolongement
de la glie radiaire
Zone Cellules
ventriculaire de la glie
radiaire
Couche I
Couche II
Développement
Figure 23.6 – Séquence de développement du cortex, des zones internes vers les zones externes.
Les premières cellules qui migrent correspondent à celles qui vont former la couche corticale VI. En même temps que ces cellules se différencient en
neurones, les précurseurs neuronaux destinés à la formation de la couche V migrent à leur tour, traversent la couche VI, et se localisent au niveau de la
plaque corticale. Puis cette séquence se reproduit encore et encore, jusqu’à ce que toutes les couches corticales soient différenciées.
Différenciation cellulaire
Le processus au cours duquel une cellule prend l’aspect et les caractéristiques
d’un neurone s’appelle la différenciation cellulaire. La différenciation cellulaire
est la conséquence de l’expression de gènes particuliers, dans une séquence très
organisée sur le plan spatiotemporel. Comme nous l’avons vu, la différenciation
débute dès que le précurseur neuronal se divise de façon asymétrique, contri-
buant à une distribution différentielle de différents organites du cytosol dans
les cellules filles. Cette différenciation se poursuit alors que la cellule rejoint la
806 4 – Neuroplasticité
Haut niveau
Attraction des dendrites apicaux
de sémaphorine 3A
par la sémaphorique 3A
Précurseur Neurone
neuronal différencié
Pax6 Emx2
Rostral
Caudal
(a)
Figure 23.8 –
Gradients de facteurs de
transcription contrôlant la taille des aires
Souris sauvage Mutant Emx2 Mutant Pax6
corticales.
(a) Dans le télencéphale du fœtus, Pax6 et
Emx2 sont exprimés par des précurseurs
neuronaux différents, en gradients complé
M M M M mentaires. Pax6 est exprimé principalement
M M
S S dans le cortex antérieur et Emx2, plutôt dans
S S le cortex postérieur. (b) La taille des différentes
S S A A
aires corticales change avec ces gradients.
A A V V Chez la souris, la réduction de la production
V V A V V A
de Emx2 se traduit par une expansion de la
taille des aires antérieures. À l’inverse, chez
la souris produisant des niveaux de Pax6
réduits, ce sont les aires corticales posté
rieures qui prédominent. M = cortex moteur ;
S = cortex somatosensoriel ; A = cortex audi
tif ; V = cortex visuel. (Source : adapté de
(b) Hamasaki et al., 2004.)
808 4 – Neuroplasticité
Cartographier l’esprit !
Par Pasko Rakic
basée sur la préexistence d’une couche bidimensionnelle Le fait que la région la plus vaste du cerveau, le
de cellules souches présentes dans les zones ventriculaire néocortex, reçoive ses neurones par un processus très
et subventriculaire (voir l’animation en figure B sur organisé basé sur une migration cellulaire sur une très
le site : http://rakiclab.med.yale.edu/research/RadialMi- longue distance m’a fasciné, à tel point qu’après avoir
gration.aspx). Ces hypothèses suggéraient un méca- rejoint Yale University en 1979, j’ai décidé de porter mes
nisme basé sur l’expansion au cours de l’évolution de la efforts sur les bases moléculaires sous-tendant un tel pro-
surface du cortex, plus que sur son épaisseur. L’hypothèse cessus développemental. La stratégie que nous avons
était également susceptible d’expliquer comment des développée a utilisé une approche comparative du déve-
modifications génétiques pouvaient conduire à des loppement du cortex des rongeurs, des primates non-
arrangements différents des neurones, en rapport avec humain et de l’homme, à partir de méthodes variées, tant
l’existence des différentes aires cérébrales. Depuis, des in vitro qu’in vivo, y compris des manipulations géné-
expériences utilisant la transgénèse chez la souris ont tiques chez l’animal, et jusqu’à des microdissections laser
contribué à valider cette hypothèse. sur des coupes de fœtus humains. Les travaux ont démarré
100 100
90 90
77 77
65 5565 55
47 47
39 39
31 31
21 21
11 11
1 21 32 43 54 65 76 87 98 109 10
MZ MZ
CP CP
N N
SP SP
CC CC
RG RG
TR TR MN MN
IZ IZ
NB NB SV Z SV Z
MA MA
VZ VZ
1 2 3 1 4 253 647 5 8697108 9 10
Figure A – Ce schéma est basé sur Figure B – Ce schéma illustre la mise en place au cours du développement précoce de l’orga-
une reconstruction 3D de milliers nisation corticale de l’adulte à partir des précurseurs neuronaux des zones ventriculaire (VZ)
d’images de coupes séries en micros- et subventriculaire (SVZ). IZ = zone intermédiaire ; SP = sous-plaque corticale ; CP = plaque
copie électronique, illustrant un précur- corticale ; MZ = zone marginale ; CC = corps calleux ; TR = radiations thalamiques ; MA =
seur neuronal (noté N sur le schéma), afférences monoaminergiques ; NB = input provenant du noyau basal de Meynert ; RG = glie
qui migre le long d’un prolongement radiaire ; MN = précurseur neuronal en migration. (Source : courtoisie du Dr Pasko Rakic.)
d’une cellule de la glie radiaire. (Source :
courtoisie du Dr Pasko Rakic.)
810 4 – Neuroplasticité
avec l’idée que les mécanismes d’adhésion cellulaire par un examen de routine des échantillons post-mortem,
étaient différents selon les espèces, et nous avons recher- ouvrant la voie à de nouvelles données sur les mécanismes
ché des molécules susceptibles de permettre aux neurones d’un certain nombre de pathologies (voir Encadré 23.4).
en migration de reconnaître la surface de l’arborisation Après toutes ces années, j’ai compris que le dévelop-
de la glie radiaire, à la manière d’une sorte d’interaction pement cortical constitue un processus d’une extrême
antigène-anticorps. Nous avons alors identifié toute une complexité impliquant de très nombreux gènes, des élé-
série de gènes et de molécules dans la signalisation inter- ments régulateurs et de nombreuses molécules interve-
cellulaire impliquée dans la régulation de la prolifération nant dans la signalisation. Par conséquent, même après
et de la migration des neurones corticaux vers leur desti- 50 années d’efforts, je suis plus que jamais déterminé à
nation finale, dans les différentes couches corticales. En comprendre encore comment est formé le cortex, pas
manipulant la migration neuronale par l’utilisation de seulement parce que le cortex est bien l’organe qui nous
facteurs génétiques et environnementaux, nous avons distingue des autres espèces animales, mais aussi et sur-
alors découvert quelques anomalies du positionnement tout parce que cette région est à l’origine de maladies
neuronal plutôt cachées, qui ne peuvent être observées mentales dévastatrices, qui restent encore à élucider.
Dorsal
Rostral
Ainsi apparaît-il que l’input thalamique est nécessaire pour induire la diffé-
renciation cytoarchitectonique du cortex. Mais est-il suffisant ? Brad Schlaggar
et Dennis O’Leary du Salk Institute ont abordé cette question d’une façon origi-
nale. Chez le rat, les fibres issues du thalamus stagnent un moment dans la subs-
tance blanche avant de pénétrer dans le cortex seulement quelques jours après
la naissance. Schlaggar et O’Leary ont prélevé délicatement une partie du cortex
pariétal chez des rats nouveau-nés et l’ont remplacé par un lambeau de cortex
occipital, de telle manière que les fibres thalamiques issues du VP se trouvent en
attente juste au-dessous de ce qui devait être normalement du cortex visuel. De
façon remarquable, les fibres envahissent sans problème le cortex transplanté
et, plus encore, forment l’organisation particulière « en tonneaux » du cortex
somatosensoriel du rat (voir Fig. 12.21). Ces données suggèrent que le thalamus
représente bien un élément fondamental de la spécification des aires corticales.
Mais, dans ce cas, comment s’organise la projection thalamique qui, elle-
même, « attend » sous la zone de cortex pariétal correspondante ? C’est peut-
être au niveau de la sous-plaque corticale que se trouve la réponse. Les neu-
rones de la sous-plaque, qui présentent un « pattern » de migration plus restreint
dans le plan radial, pourraient intervenir pour « attirer » les axones thalamiques
appropriés, en rapport avec les différentes parties du cortex en développement :
les axones du CGL seraient ainsi « attirés » vers le cortex occipital, les axones
issus du VP vers le cortex pariétal, etc. Les axones des neurones thalamiques
innerveraient ainsi initialement des territoires distincts de la sous-plaque cor-
ticale. À ce moment-là, lorsque les plaques corticales se développent jusqu’à
une taille suffisante, les axones envahissent le cortex. C’est alors l’arrivée des
axones thalamiques qui serait à l’origine de la différenciation cytoarchitecturale
du cerveau adulte. Par conséquent, la sous-plaque corticale formée des neurones
qui apparaissent les premiers paraît bien contenir les instructions nécessaires à
l’assemblage du « patchwork ».
CGL
Tractus
Chiasma optique
optique
Couches
du CGL
Figure 23.10 – Les trois phases de la forma-
tion des voies visuelles.
Corps
Les axones des cellules rétiniennes en déve genouillé
loppement doivent effectuer plusieurs choix latéral (CGL) 3
avant de trouver leur position correcte dans Tractus
Corps 2 optique
le CGL. ① Pendant la phase de la sélection
genouillé ipsilatéral
des voies, les axones doivent choisir le tra
médian
jet correct. ② Pendant la phase de sélection
des cibles, les axones doivent se diriger vers
la structure à innerver. ③ Pendant la phase de Tractus 1
sélection fine des connexions neuronales, les optique
controlatéral
axones doivent choisir les cellules de la struc
ture cible avec lesquelles ils vont former des Nerf optique Trajet des axones
synapses. controlatéral en développement
Enfin, il ne suffit pas de trouver la bonne cible : il faut trouver aussi la couche
du CGL correcte, et éviter de se confondre avec les autres axones rétiniens péné-
trant dans le thalamus pour que la rétinotopie du CGL soit respectée. C’est ce
qui se passe dans le choix de la destination finale de l’axone en croissance.
Comme nous le verrons, chacune de ces trois phases de la formation d’une
voie dépend essentiellement de la communication qui s’établit entre les cellules.
Cette communication se fait de plusieurs façons : contact direct de cellule à cel-
lule, contact entre les cellules et les sécrétions extracellulaires d’autres cellules, et
communication à distance entre les cellules au moyen de substances chimiques
diffusibles. Au fur à mesure que se forme une voie, une communication s’élabore
entre les neurones, impliquant alors des potentiels d’action et la transmission
synaptique.
Croissance de l’axone
Lorsque le précurseur neuronal en migration a trouvé sa destination dans le
système nerveux, le neurone se différencie et émet des prolongements qui forment
Microtubules
l’axone et les dendrites. Dans cette phase précoce, cependant, les prolongements
Neurite Filaments d’actine
axonaux et dendritiques sont très semblables et sont encore qualifiés de neurites.
Mitochondrie L’extrémité en croissance d’une neurite est le cône de croissance (Fig. 23.11).
Le cône de croissance sert à reconnaître le trajet emprunté par les neurites
en cours d’élongation. L’extrémité exploratrice du cône de croissance est com-
posée de feuillets membranaires aplatis, les lamellipodes, qui ondulent en vagues
rythmiques comme les ailes d’une raie nageant dans les profondeurs de l’océan.
Lamellipodes
De fines expansions partent des lamellipodes, les filopodes, qui s’étirent et se
rétractent constamment pour explorer l’environnement. La croissance de la neu-
Filopodes rite se produit lorsqu’un filopode, au lieu de se rétracter, s’accroche au substrat
(sa surface d’origine) et étire vers l’avant le cône de croissance.
Figure 23.11 – Cône de croissance.
Les filopodes sondent l’environnement et Objectivement, la croissance axonale ne peut intervenir qu’en rapport avec
dirigent le cône de croissance vers les cibles l’avancée du cône de croissance le long du substrat. L’une des composantes prin-
attractives. cipales de ce substrat est représentée par des protéines fibreuses déposées entre
23 – Développement du cerveau 813
Ligne médiane
Nétrine
Slit
Récepteurs
de la nétrine
Cône de
croissance
Partie ventrale
(a) de la moelle épinière
Ligne médiane
Robo
(récepteur
de slit)
Partie ventrale
(b) de la moelle épinière
médiane représentent l’une de ces cibles intermédiaires dont il est fait état ci-dessus,
présente sur l’« autoroute moléculaire » qui traverse la ligne médiane. Ces cellules
contribuent alternativement à attirer et à repousser les axones en développement,
dès lors qu’ils croisent la ligne médiane d’un côté du système nerveux à l’autre.
Mise en place de l’organisation topographique. Si nous reprenons l’exemple
de la croissance des axones de la voie rétinogéniculée (voir Fig. 23.10), ces axones
se développent sur les substrats fournis par la matrice extracellulaire présente dans
la partie ventrale du cerveau, formant les parois de la base du tractus optique.
L’une des particularités de ce développement est représentée par le choix que les
axones doivent faire au niveau du chiasma optique. Les axones provenant de la
partie nasale de la rétine doivent traverser la ligne médiane et progresser dans le
tractus optique controlatéral, alors que ceux provenant de la région temporale de
la rétine doivent au contraire demeurer du même côté que la rétine, sans croiser
la ligne médiane. Si nous acceptons les hypothèses développées ci-dessus, il est
alors prévisible que les axones des régions de la rétine nasales et temporales n’ex-
priment pas les mêmes récepteurs vis-à-vis des cibles sécrétées à la ligne médiane.
Après avoir été soumis à ce « tri » au niveau de la ligne médiane, les axones
poursuivent leur progression vers leurs cibles finales, c’est-à-dire principale-
ment le CGL et le colliculus supérieur. À ce niveau, un nouveau tri des axones
intervient, pour établir la carte rétinotopique des projections rétinogéniculées,
notamment. Si on admet l’idée que les axones diffèrent sur la base de la position
originelle des neurones dans la rétine (qui explique en particulier leur propension
à traverser ou non la ligne médiane, rendant compte de la décussation partielle
du nerf optique), la mise en place de la rétinotopie peut également être conçue
comme un mécanisme dont les bases sont moléculaires. Cette idée selon laquelle
des marqueurs moléculaires présents sur les axones en croissance s’associent
avec des marqueurs complémentaires présents au niveau des cibles correspond à
ce que l’on nomme l’hypothèse de la chémoaffinité.
Dans les années 1940, c’est Roger Sperry qui, au California Institute of
Technology, a le premier testé cette hypothèse en utilisant le modèle des projec-
tions rétinotectales chez la grenouille. Si l’on se souvient (voir chapitre 10) que le
tectum des amphibiens représente l’homologue du colliculus supérieur des mam-
mifères, il convient de remarquer que le tectum reçoit une projection organisée
topographiquement à partir de l’œil controlatéral et utilise cette information
pour coordonner des mouvements en réponse aux stimulations visuelles ; par
exemple pour déclencher des bonds en avant vers le haut lorsqu’une mouche
passe à portée de la grenouille, au-dessus de sa tête. C’est ce système qui a été
utilisé par Sperry pour tenter de préciser les mécanismes à l’origine de cette
organisation rétinotopique.
Un autre avantage des amphibiens est leur capacité à pouvoir régénérer
des axones suite à leur transection, ce qui n’est pas le cas de tous les animaux
(Encadré 23.3). Sperry a utilisé ces propriétés pour préciser les mécanismes
de l’organisation de la voie rétinotectale. Dans l’une de ses expériences restée
fameuse, il a procédé à la section d’un nerf optique chez la grenouille, puis,
secondairement, à une rotation de 180° de l’œil correspondant, dans son orbite.
Il a ensuite observé la réinnervation du tectum à partir de l’œil dont la position
a été modifiée. L’organisation de la projection rétinotectale s’effectue en rapport
avec l’inversion de la rétine, c’est-à-dire que les axones se mettent en place selon
le schéma initialement prévu. Dans ce cas, le passage de la mouche au-dessus de
la tête va provoquer un bond de la grenouille qui ne se fait plus vers le haut pour
attraper la mouche mais, de façon inappropriée, vers le bas !
La question est alors posée de savoir quels sont les facteurs qui contrôlent
normalement le guidage des axones issus de la rétine vers le tectum ? Lorsque
les axones pénètrent dans le tectum, ils doivent contacter les cellules de cette
structure. Les axones issus de la rétine nasale traversent la partie antérieure du
tectum et innervent en fait la partie postérieure de la structure. Les axones issus
de la rétine temporale, à l’inverse, atteignent la partie antérieure du tectum où ils
s’arrêtent (Fig. 23.14a). Pourquoi ? Les résultats de ces expériences ont montré
que les membranes des cellules des différentes parties antérieure et postérieure
du tectum expriment de façon différentielle les facteurs permissifs nécessaires à
816 4 – Neuroplasticité
Encadré 23.3 FOCUS
Des anticorps dirigés contre nogo présentent la parti- L’une des dernières étapes du développement céré-
cularité de supprimer l’effet inhibiteur sur la croissance bral est de recouvrir les jeunes axones des gaines de
axonale. Schwab et ses collaborateurs ont administré ces myéline, ce qui a pour effet de faciliter considérablement
anticorps anti-nogo (dénommés IN-1) chez le rat adulte la conduction des potentiels d’action mais présente
ayant subi une lésion de la moelle épinière. Ce traitement comme inconvénient majeur de limiter la régénérescence
permet une repousse d’environ 5 % des axones, ce qui est après lésion. Au xxe siècle, les neurologues ont accepté
bien modeste mais qui pourtant est suffisant pour que les cette idée avec un certain fatalisme. Cependant, les
animaux présentent une certaine récupération fonction- découvertes dont nous venons de faire état, qui montrent
nelle. Les mêmes anticorps ont été par ailleurs utilisés le pouvoir de certaines molécules de stimuler ou d’inhi-
pour localiser nogo dans le système nerveux. La protéine ber la croissance axonale, permettent d’espérer pour
est bien sécrétée par les oligodendrocytes chez les mam- l’avenir des traitements susceptibles de promouvoir la
mifères, mais pas chez les poissons, par exemple, et elle régénérescence axonale dans le cerveau humain soumis
n’est pas produite par les cellules de Schwann. à des dommages pour le moment irréversibles.
(a)
Rétine Tectum
Cône de croissance/
terminaison axonique du motoneurone
Lame
basale
Récepteurs
Molécules cholinergiques
1 d’agrine en migration
muscle-specific kinase ou MuSK, exprimé à la surface de la membrane des cellules Croissance axonique
musculaires. La protéine MuSK communique avec une autre protéine, dénom-
mée rapsyne, apparaissant un peu comme le facteur qui permet de conserver les
récepteurs cholinergiques nicotiniques post-synaptiques (AchRs) confinés à la 1 Filopodium
synapse. La taille du contingent de récepteurs est régulée par une autre molécule
sécrétée par l’axone, la neuréguline, qui stimule l’expression génique des récep-
teurs dans les cellules musculaires.
L’interaction entre l’axone et la cible est à double sens, et l’induction de Dendrite
la terminaison présynaptique implique aussi l’action de protéines de la lame Vésicule synaptique
basale. Les facteurs de la lame basale apportés par la cellule cible peuvent sti-
muler l’entrée de Ca2+ dans le cône de croissance, déclenchant ainsi la libération
de neurotransmetteur. Ainsi, alors qu’une structure synaptique ne parvient à 2 Zone active présynaptique
maturité qu’après quelques semaines, une transmission synaptique rudimentaire
apparaît très vite, dès que le contact est établi. En plus de la mobilisation du neu-
rotransmetteur, l’entrée de Ca2+ dans la terminaison présynaptique induit des
modifications du cytosquelette, qui amènent le cône de croissance à s’aplatir, à
prendre l’aspect d’un bouton terminal, et à adhérer étroitement à son partenaire
post-synaptique. Accumulation des récepteurs
Des processus similaires sont impliqués dans la formation des synapses du dans la zone post-synaptique
3 en regard de la terminaison
SNC. Toutefois, la séquence des événements peut se faire selon un ordre différent
et impliquer des facteurs qui ne sont pas identiques à ceux agissant à la péri-
phérie (Fig. 23.16). L’analyse au microscope électronique de neurones en culture
révèle ainsi que les filopodes se forment et se rétractent continuellement à partir
de dendrites recherchant leur innervation afférente. La formation des synapses Figure 23.16 – Différentes étapes de la for-
débute alors qu’une telle protrusion dendritique contacte plus ou moins au mation d’une synapse du système nerveux
central.
hasard un axone passant à proximité. Une telle interaction paraît impliquer une ① Un filopodium dendritique contacte un
sorte de zone présynaptique plus ou moins préétablie, qui va en quelque sorte axone. ② Ce contact conduit au recrutement
se « poser » au site de contact avec la dendrite, induisant un recrutement de de vésicules synaptiques et de protéines de
récepteurs au neurotransmetteur à la membrane post-synaptique. De plus, des la zone active dans la terminaison présynap
molécules d’adhésion spécifiques sont exprimées à la fois par les membranes tique. ③ Les récepteurs au neurotransmetteur
pré et post-synaptiques, qui servent à maintenir ensemble les partenaires de la s’accumulent alors en regard de la zone de
synapse ainsi formée et consolidée. contact, dans la membrane post-synaptique.
Mort cellulaire
Des populations entières de neurones sont éliminées au cours du développe-
ment d’une voie neuronale. Ce processus est connu sous le nom de mort cellu-
laire programmée. Lorsque les axones ont rejoint leurs cibles et que les synapses
ont commencé à se former, le nombre d’axones présynaptiques et de neurones
diminue progressivement. La mort cellulaire traduit une compétition pour des
820 4 – Neuroplasticité
Encadré 23.4 FOCUS
Neurones
afférents
Condition
initiale
Neurones
cibles
Mort neuronale
sélective
Neurones
afférents
Après
compétition
pour les facteurs
trophiques
Neurones
cibles
(MIT), a été ainsi récompensée par le prix Nobel en 2004. Nous savons
aujourd’hui que les neurotrophines sauvent les neurones en « verrouillant » ce
programme d’autodestruction. L’expression de ce programme génétique de mort
cellulaire correspond à un processus particulier dénommé apoptose, qui corres-
pond à une déstructuration du neurone. L’apoptose diffère de la nécrose, qui
représente plutôt un processus de mort « accidentelle » en réponse à une atteinte
cellulaire. Les travaux sur la mort neuronale programmée progressent à grande
vitesse, laissant espérer prochainement de pouvoir sauver au moins en partie les
neurones en voie de dégénérescence, comme dans la maladie d’Alzheimer (voir
Encadré 2.4) ou la sclérose latérale amyotrophique (voir Encadré 13.1).
Motoneurone α
AchRs post-synaptiques
Réorganisation synaptique
dépendant de l’activité
Prenons à titre d’illustration un neurone présentant une capacité synaptique
de six synapses, qui reçoit des afférences de deux neurones présynaptiques, A
et B (Fig. 23.19). L’organisation des synapses peut se faire au moins de deux
façons : chacun des deux neurones afférents forme de façon équivalente trois
synapses sur le neurone cible, ou bien l’organisation est asymétrique et le neu-
rone A forme par exemple une seule synapse et le neurone B, cinq. Le passage
d’un schéma d’organisation à un autre constitue une réorganisation synaptique.
Nous avons de nombreuses preuves que de telles réorganisations synaptiques
interviennent dans le cerveau immature.
A A
Neurones
pré- B B
synaptiques
Ségrégation synaptique
La précision avec laquelle les mécanismes d’attraction et de répulsion
chimique contribuent à la mise en place des connexions neuronales au cours
du développement peut paraître impressionnante. Néanmoins, dans certains cir-
cuits l’organisation finale nécessite aussi la contribution de l’activité nerveuse.
Tel est le cas de la ségrégation des afférences rétiniennes dans le CGL.
Ségrégation des afférences rétiniennes au corps genouillé latéral (CGL). Ce
sont les axones provenant de la rétine controlatérale qui atteignent les premiers
le CGL, et ils se ramifient dans tout le noyau. Un peu plus tard, la projection
ipsilatérale parvient au CGL et mêle ses axones à ceux de l’œil controlatéral. Les
axones provenant des deux yeux se répartissent alors dans des domaines spéci-
fiques pour chacun d’entre eux, selon une organisation caractéristique du corps
genouillé adulte. L’injection de tétrodotoxine (TTX) dans le globe oculaire en vue
de bloquer l’activité rétinienne empêche ce processus de ségrégation, montrant
que celui-ci est bien dépendant de l’activité générée dans la rétine (rappelons que
la TTX bloque la propagation des potentiels d’action). Quelle est alors la source
de cette activité ? Et comment orchestre-t-elle la séparation des projections ?
Étant donné que la ségrégation se déroule chez le fœtus avant le dévelop-
pement des photorécepteurs, l’activité n’est pas induite par une stimulation
lumineuse. Il semble plutôt qu’au cours du développement fœtal les cellules
ganglionnaires aient une activité spontanée. Cependant, cette activité n’est
pas erratique. Les travaux de Carla Shatz et de ses collègues à l’Université de
Stanford démontrent que les cellules ganglionnaires émettent des bouffées de
décharges semblables à des ondes presque synchrones, qui parcourent toute la
rétine. L’origine de l’onde et l’orientation de sa propagation paraît se faire au
hasard, mais pendant la durée de l’onde, l’activité d’une cellule ganglionnaire
est fortement corrélée avec l’activité des cellules les plus proches ; et comme ces
ondes sont générées séparément dans les deux rétines, il n’y a pas de corrélation
entre l’activité survenant dans les deux yeux.
La ségrégation des axones dans le CGL pourrait être liée à un processus
de stabilisation synaptique par lequel seules ne subsisteraient que les terminai-
sons rétiniennes activées au même moment que le neurone cible situé au niveau
post-synaptique. L’hypothèse d’un tel mécanisme de plasticité synaptique a été
formulée pour la première fois par le psychologue canadien Donald Hebb dans
les années 1940, d’où le terme de synapses de Hebb ; et les réorganisations synap-
tiques associées à ce mécanisme sont dénommées modifications hebbiennes.
23 – Développement du cerveau 825
Selon cette hypothèse, lorsqu’une onde d’activité rétinienne induit des potentiels
d’action dans un neurone post-synaptique du CGL, les synapses sont stabilisées
(Fig. 23.20). Parce que l’activité des deux yeux n’est pas synchrone, les influx
nerveux sont donc en compétition selon un mode « tout ou rien », c’est-à-dire
que celui qui gagne emporte tout, ce qui se traduit ici par la rétention de l’affé-
rence qui a été la plus active et la simple élimination de l’autre. Une afférence
rétinienne « égarée » dans une couche du CGL inappropriée représente un « pari
perdant », parce que son activité n’est pas corrélée avec une intense réponse
post-synaptique qui, au contraire, est évoquée à partir de l’autre œil. Dans ce
qui suit, certains des mécanismes possibles de cette ségrégation seront évoqués.
Ségrégation des afférences du CGL au cortex strié. Dans le cortex visuel du
singe ou du chat (mais pas chez la plupart des espèces), les afférences issues du
CGL véhiculant les informations des deux yeux sont ségrégées dans des colonnes
de dominance oculaire. Cette ségrégation intervient avant la naissance et semble
due à la combinaison de facteurs moléculaires en rapport avec le guidage axonal
vers la cible, et avec l’activité nerveuse différentielle des deux yeux (Encadré 23.5).
Synapses exprimant
des propriétés hebbiennes
(a)
(c)
Synapses exprimant
des propriétés hebbiennes
(b)
(a)
(b)
Figure A – (a) Cette grenouille présente un troisième œil, résultant de la transplantation d’un œil embryonnaire. (b) Une section
tangentielle au travers du tectum d’une telle grenouille démontre que l’injection d’un marqueur radioactif dans un seul œil permet de
mettre en évidence une organisation en bandes alternées. (Source : courtoisie du Dr Martha Constantine-Paton).
23 – Développement du cerveau 827
Le fait que la ségrégation des afférences soit réalisée ne signifie pas, cepen-
dant, que les axones perdent tout pouvoir de se développer ou de se rétracter.
La « plasticité » des colonnes de dominance oculaire peut ainsi être démontrée
par une expérience qui a rendu célèbres Wiesel et Hubel, dénommée expérience
de privation visuelle monoculaire, dans laquelle un œil est fermé par la suture
des paupières. Si l’expérience de privation visuelle monoculaire est réalisée
très tôt après la naissance, le résultat le plus marquant est une extension des (a)
colonnes corticales correspondant à l’œil « ouvert », alors que celles correspon-
dant à l’œil « fermé » s’atrophient (Fig. 23.21). De plus, ces effets de la privation
visuelle monoculaire peuvent être « réversés », simplement en suturant secon-
dairement l’œil « ouvert » et en « ouvrant » l’œil dont la paupière avait été ini-
tialement suturée. Les résultats de cette manipulation d’« occlusion-réversion »
sont alors une extension de la colonne corticale initialement réduite à cause du
manque d’information visuelle, concomitante d’une rétraction de la largeur de
la colonne corticale qui s’était initialement développée au détriment des autres.
Cela démontre clairement que les axones issus du CGL et les synapses qu’ils
forment dans la couche IV du cortex visuel présentent un caractère encore très (b)
dynamique après la naissance. Ce type de réorganisation synaptique n’est pas
dépendant que de l’activité nerveuse mais dépend également de l’expérience sen- Figure 23.21 – Modification des bandes de
sorielle, car lié à la qualité des informations sensorielles. dominance oculaire après déprivation mono-
Cependant, la plasticité des colonnes de dominance oculaire n’intervient pas culaire.
pendant toute la vie des individus. Hubel et Wiesel ont démontré que si la priva- Ces microphotographies (en fond noir) ont
tion visuelle intervient plus tard après la naissance, alors elle n’est plus à même été prises à partir de sections tangentielles
du cortex strié de singe, au niveau de la
d’influencer l’organisation de la couche IV. Il existe une période critique pour ce
couche IV. Elles illustrent la répartition des
type de modification structurale du cortex visuel. Chez le macaque, cette période
terminaisons nerveuses du CGL correspon
critique pour laquelle une plasticité existe dans les afférences visuelles au niveau dant à un seul œil, marquées par un isotope
de la couche IV du cortex visuel est d’environ six semaines après la naissance. radioactif (elles apparaissent en clair sur la
À la fin de la période critique, les afférences corticales issues du CGL perdent photo). (a) Singe normal. (b) Singe ayant subi
apparemment leur capacité à se modifier en rapport avec les entrées visuelles une déprivation visuelle monoculaire à partir
et, en un certain sens, apparaissent maintenant comme « cimentées » au cortex. de l’âge de 2 semaines et pour une période de
Le développement comprend plusieurs de ces périodes critiques, c’est-à-dire 22 mois. C’est l’œil qui n’a pas été occulté qui
de moments où les processus développementaux sont influencés par l’environ- a subi l’injection du traceur radioactif (voir
nement (Encadré 23.6). Ainsi, dans le cortex visuel la fin de la période critique Fig. 10.17), révélant ainsi l’extension des
colonnes de dominance oculaire au niveau de
en ce qui concerne la plasticité anatomique de la couche IV ne signifie pas la fin
la couche IV. (Source : Wiesel, 1982, p. 585.)
de l’influence de l’expérience visuelle sur le développement cortical. D’autres
synapses du cortex strié, en dehors de la couche IV, demeurent de fait modi-
fiables par l’expérience jusqu’à l’adolescence et même au-delà.
Convergence synaptique
Bien que les grandes voies d’information provenant des deux yeux soient
initialement ségrégées dans le CGL et la couche IV du cortex strié, il est néces-
saire que ces flux d’informations se combinent à un certain moment pour créer
une vision binoculaire. Chez les espèces présentant des colonnes de dominance
oculaire, la base anatomique de la vision binoculaire est la convergence des effé-
rences des neurones de la couche IV correspondant à l’œil gauche et à l’œil droit,
sur les cellules de la couche III, ces connexions étant parmi les dernières à s’éta-
blir au cours du développement de la projection rétino-géniculocorticale. Dans
cette phase aussi, la réorganisation synaptique dépendant de l’activité joue un
rôle majeur.
Les connexions binoculaires se forment et se modifient sous l’influence de
l’environnement visuel, de la petite enfance aux premiers stades de l’enfance.
Contrairement au mécanisme de ségrégation des territoires spécifiques à chaque
œil, qui dépend à l’évidence d’une activité asynchrone spontanément générée
dans les deux yeux, l’établissement des champs récepteurs binoculaires dépend de
l’activité corrélée qui survient dans les deux yeux à la fois comme une conséquence
de la vision. Ce fait a été clairement démontré par des expériences qui dissocient
l’activité des deux yeux. Par exemple, la privation visuelle monoculaire, qui rem-
place l’activité normale d’un œil par une activité erratique, affecte profondément
l’organisation des connexions binoculaires dans le cortex strié. Dans ce cas, les
828 4 – Neuroplasticité
40 80
Pourcentage des neurones
0 0
1 2 3 4 5 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance Groupes de dominance
oculaire (b) oculaire
Œil Œil Œil Œil
controlatéral ipsilatéral fermé ouvert
Réponse à Réponse à
intervenir bien après la période critique déterminée pour les modifications des l’œil gauche l’œil droit
terminaisons axoniques dans le CGL. Finalement, les changements de la domi-
nance oculaire interviennent chez tous les mammifères présentant une vision
binoculaire, et non seulement chez les quelques espèces possédant des colonnes
de dominance oculaire. Toutefois, une telle plasticité de la dominance oculaire
diminue avec l’âge, disparaissant dans de nombreuses espèces avec le début de
l’adolescence (Fig. 23.24).
Les changements les plus importants en rapport avec la plasticité de la domi-
nance oculaire coïncident avec les moments de plus grande croissance de la tête
et des yeux. Par conséquent, il semble que la plasticité des connexions binocu- Temps
laires soit nécessaire pour conserver une bonne vision binoculaire durant toute (b) Après 17 h de privation visuelle de l’œil
droit
cette période de croissance rapide. L’association du hasard et d’un réglage aussi
fin que celui faisant intervenir l’activité rend ainsi ces connexions très sensibles Figure 23.23 – Changements rapides de
à la privation visuelle. dominance oculaire.
Ces histogrammes montrent le nombre de
potentiels d’action générés par un seul neu
Compétition synaptique rone du cortex visuel d’un jeune chaton. Un
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, un muscle qui n’est pas utilisé s’atro- stimulus visuel est présenté pendant la
phie et perd sa force. Est-ce alors que l’élimination de synapses privées d’activité période matérialisée par la barre jaune.
est liée à un manque d’utilisation ? Cela ne semble pas être le cas du cortex strié, (a) Réponses initiales avant la privation
car les modifications liées à la suppression d’informations issues de l’œil privé visuelle. Notez que même s’il existe une ten
dance à la dominance oculaire favorisant ici
de vision ne s’opèrent que lorsque l’œil ouvert est lui-même actif. En fait, un
l’œil droit, chaque œil est capable d’activer ce
processus de compétition binoculaire intervient, les informations qui proviennent
neurone. (b) Le même neurone est enregistré
des deux yeux étant activement en compétition pour un territoire synaptique. après 17 heures de privation monoculaire
Si l’activité des deux yeux est corrélée et équivalente, les deux projections s’éta- concernant ici l’œil droit. L’œil ainsi concerné
blissent sur la même cellule corticale. Cependant, si cet équilibre est affecté par est incapable ensuite d’évoquer la décharge
la privation visuelle d’un œil, l’afférence la plus active repousse en quelque sorte du neurone. (Source : adapté de Mioche et
les synapses en rapport avec la privation visuelle ou les rend moins efficaces. Singer, 1989.)
830 4 – Neuroplasticité
70
Pourcentage
de cellules
à la privation monoculaire
80 1 2 3 4 5
80
60 1 2 3 4 5 60
40 40
1 2 3 4 5
Groupe
20 de dominance 20
0 8 12 16 oculaire Naissance 3 6 9
(a) Âge (semaines) (b) Âge (années)
La compétition qui s’établit dans le cortex visuel est démontrée par les consé-
quences du strabisme, une anomalie de la vision dans laquelle les yeux ne sont
pas parfaitement alignés. Cette anomalie fréquente chez l’homme peut avoir
pour conséquence la perte définitive de la vision stéréoscopique. Il est possible
de créer un strabisme expérimental par la chirurgie ou l’optique, et provoquer
ainsi chez l’animal des modifications de l’activité issue des deux yeux, lesquelles
arrivent au cortex sans être synchronisées. En plaçant délicatement un doigt le
long de l’œil, il est possible d’expérimenter ce manque de parallélisme des yeux.
Cette manipulation entraîne la disparition complète des champs récepteurs
binoculaires, bien que les deux yeux conservent une représentation équivalente
dans le cortex (Fig. 23.25). Ceci montre clairement que les conséquences de la
suppression des informations provenant d’un œil sont le résultat d’une compéti-
tion plutôt que d’un manque d’utilisation (les deux yeux sont également actifs,
mais pour chaque cellule il se trouve une entrée dominante). Le fait de créer un
strabisme assez tôt peut dès lors accentuer la ségrégation des colonnes de domi-
nance oculaire dans la couche IV.
40 50
Pourcentage des neurones
40
30
de la couche III
de la couche III
30
20
20
10
10
0 0
1 2 3 4 5 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance oculaire (b) Groupes de dominance oculaire
Influences modulatrices
Avec l’âge, d’autres contraintes affectant les différents types d’activité
entraînent des modifications des circuits corticaux. Avant la naissance, les
décharges en bouffées d’activité rétinienne survenant spontanément suffisent
pour orchestrer la sélection de la destination des fibres dans le CGL et le cor-
tex. Après la naissance, l’interaction avec l’environnement visuel s’avère d’une
importance cruciale. Cependant, l’activité rétinienne induite par la vision ne
suffit pas pour apporter les modifications de la vision binoculaire dans cette
période critique. De nombreuses expériences démontrent que, pour que ces
modifications aient lieu, il faut aussi que l’animal prenne conscience des stimuli
visuels et se serve de la vision pour adapter son comportement. Par exemple,
les modifications de la vision binoculaire résultant d’une stimulation monocu-
laire n’apparaissent pas lorsque l’animal est sous anesthésie, alors que, dans ces
conditions, les neurones corticaux sont très sensibles à la stimulation visuelle.
Ces observations, ajoutées à d’autres, suggèrent que des « facteurs permissifs »
liés au comportement (le degré de vigilance par exemple) contribuent également
à la plasticité synaptique.
Des progrès récents ont permis de préciser les bases de ces mécanismes.
Rappelons-nous qu’un certain nombre de systèmes modulateurs diffus innervent
le cortex (voir chapitre 15) et parmi eux, les afférences noradrénergiques du locus
coeruleus et les afférences cholinergiques du télencéphale basal. Des travaux
effectués chez l’animal ont permis d’étudier les conséquences de la privation
visuelle monoculaire après lésion de ces afférences modulatrices du cortex strié.
Les résultats ont montré que la plasticité de la dominance oculaire était signifi-
cativement affectée, alors même que la transmission semblait normale dans la
projection rétino-géniculocorticale (Fig. 23.26).
Mécanismes élémentaires de
la plasticité synaptique corticale
Les synapses se forment en l’absence de toute activité électrique. Cependant,
comme nous l’avons vu, « l’éveil » à la transmission synaptique au cours du
développement joue un rôle clé dans la configuration finale des circuits neuro-
naux. En prenant en considération les données montrant le rôle de l’expérience
sensorielle dans le développement du cortex visuel et d’autres résultats du même
type, deux principes de base peuvent être avancés en ce qui concerne les modifi-
cations synaptiques :
1. lorsque le neurone présynaptique est actif et qu’au même moment le
neurone post-synaptique est lui-même fortement activé sous l’influence
d’autres afférences nerveuses, alors la synapse formée par le neurone
présynaptique est « renforcée ». Ceci est une autre façon de formuler
l’hypothèse de Hebb que nous avons déjà mentionnée. En d’autres termes,
les neurones qui déchargent ensemble se développent ensemble ;
2. lorsque le neurone présynaptique est actif et qu’au même moment le
neurone post-synaptique n’est que faiblement activé par les autres affé-
rences nerveuses, alors la synapse formée par le neurone présynaptique va
832 4 – Neuroplasticité
Cortex strié
(aire 17) 60
Pourcentage de neurones
50
40
30
20
Figure 23.26 – Dépendance de la plasticité
des connexions binoculaires d’afférences 10
Complexe basal Locus
neuromodulatrices. du cerveau antérieur coeruleus
(a) Cette vue sagittale médiane d’un cerveau 0
de chat montre le trajet de deux systèmes 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance oculaire
neuromodulateurs afférents au cortex strié.
L’un de ces systèmes neuronaux prend son
Cortex strié
origine dans le locus coeruleus et utilise la (aire 17) 40
noradrénaline comme neurotransmetteur ; Transection
Pourcentage de neurones
des fibres
l’autre est issu de la partie basale du cerveau
antérieur et utilise l’acétylcholine comme neu 30
rotransmetteur. L’activation de ces systèmes
neuronaux est en rapport avec les processus
20
attentionnels et de vigilance. Si ces systèmes
fonctionnent, la déprivation monoculaire sera
suivie des modifications de dominance ocu 10
laire illustrées sur l’histogramme de droite.
(b) Si maintenant il est procédé à la destruc Complexe basal Locus
tion préalable de ces systèmes corticaux affé du cerveau antérieur coeruleus 0
rents, alors la déprivation monoculaire n’a que 1 2 3 4 5
(b) Groupes de dominance
peu d’effet sur les connexions binoculaires au oculaire
niveau du cortex strié. (Source : adapté de Œil Œil
Bear et Singer, 1986.) fermé ouvert
s’affaiblir. En d’autres termes, dans ce cas les neurones qui ne présentent pas
de synchronisme dans leurs décharges voient leur relation s’affaiblir.
Dès lors, la plasticité synaptique paraît liée à la corrélation des activités
pré et post-synaptiques. Pour bien comprendre, il faut se souvenir que, dans
de nombreuses régions cérébrales, y compris dans le cortex visuel, une synapse
isolée n’a que peu d’influence sur la décharge du neurone post-synaptique. Pour
être « entendue », l’activité de la synapse doit de fait être corrélée avec celle de
nombreuses autres afférences synaptiques qui convergent vers le même neurone
post-synaptique. Ainsi, lorsque l’activité de la synapse est corrélée de façon per-
sistante avec une forte réponse post-synaptique (et donc l’activité de nombreuses
autres afférences), la synapse est sélectionnée et son activité renforcée. Dans le
cas contraire, lorsque l’activité d’une synapse n’est pas corrélée à celle du neu-
rone post-synaptique, la synapse s’affaiblit et elle est éliminée. De ce point de
vue, les synapses sont « validées » sur la base de leur capacité à participer de
façon efficace à la décharge de leur partenaire post-synaptique.
Quels sont les mécanismes responsables de telles modifications des connexions
synaptiques fondées sur des corrélations de décharges ? La réponse se trouve au
niveau des mécanismes de la transmission excitatrice du système nerveux central.
Axone Dendrite
Récepteur AMPA
Récepteur NMDA
Récepteur
glutamatergique
métabotropique
Terminaison Épine
axonale (niveau dendritique
présynaptique) Glutamate
(niveau
post-synaptique)
Figure 23.27 – Récepteurs des acides aminés excitateurs (glutamate) dans une synapse excitatrice.
Libération Libération
du glutamate du glutamate
par l’élément Glutamate par l’élément Glutamate
présynaptique présynaptique
Mg2+
Mg2+
Na+
(a) Membrane post-synaptique (b) Membrane post-synaptique
au potentiel de repos dépolarisée
PPSE 200
Stimulation
présynaptique post-synaptique
à la stimulation présynaptique
Réponse post-synaptique
Enregistrements après
150 conditionnement synaptique
PLT
100
Enregistrements
avant stimulation
1 2 3
50
– 15 0 15 30
(a) (b) Temps (min)
Stimulation conditionnante
contribuant à l’activation massive
des récepteurs NMDA
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Récepteur NMDA
Récepteur AMPA
(c) ① Avant induction de PLT ② Pendant induction de PLT ③ Après induction de PLT
1 2
Neurone
Axones relayant cortical Axones relayant
l’activité de l’œil « fermé » l’activité de l’œil « ouvert »
Dendrite Dendrite
Axone
du CGL
Ca2+
« Bruit Patterns
de fond » corrélés
Ca2+
Récepteurs
AMPA internalisés
Ca2+ Ca2+
1 Une faible activation des récepteurs NMDA, 2 Une activation soutenue des récepteurs NMDA
induite par un défaut de corrélation des activités en rapport avec une activité synchrone des
pré et postsynaptiques, se traduit par une perte éléments pré et postsynaptiques, maintient
des récepteurs AMPA. l'activité des récepteurs AMPA.
Figure 23.30 – Comment une privation monoculaire brève induit une réduction des réponses visuelles.
La fermeture d’un œil affecte la synchronisation de l’activité présynaptique (ligne pointillée jaune), qui devient moins synchrone et représente plus un
bruit de fond. Ce type d’activité asynchrone influence faiblement les récepteurs NMDA, ce qui se traduit par une entrée de calcium limitée dans la
cellule post-synaptique. Le résultat est une internalisation des récepteurs AMPA. À l’inverse, l’activité hautement synchrone de l’activation simultanée
des entrées visuelles dépolarise fortement les neurones post-synaptiques et provoque une entrée massive de calcium dans la cellule, ce qui accroît le
nombre de récepteurs AMPA à la membrane.
axoniques sont possibles, alors que chez l’adulte la plasticité semble réduite aux
modifications locales de l’efficacité synaptique. De plus, le stimulus nécessaire
pour susciter une modification semble de plus en plus complexe au fur à mesure
que le cerveau devient mature. Pour en donner un exemple, il suffit de réaliser
que le seul fait de masquer un œil altère profondément les connexions binocu-
laires des couches superficielles dans la petite enfance alors que dès l’adolescence
ce type d’expérience ne crée pas de modification durable des circuits corticaux.
On ignore encore pourquoi les périodes critiques prennent fin, mais les pro-
grès de la connaissance des mécanismes élémentaires de la formation des pro-
jections axonales et de la plasticité synaptique nous permettront sans doute de
comprendre comment ces mécanismes sont contrôlés. À ce jour, trois hypothèses
différentes ont été avancées :
1. la plasticité diminue lorsque la croissance de l’axone s’arrête. Comme cela a
été mentionné plus haut, il existe une période de plusieurs semaines pen-
dant laquelle les afférences géniculées peuvent se rassembler et s’étendre
dans la couche IV sous l’influence de l’expérience visuelle. Ainsi, un des
facteurs déterminant la période critique dans la couche IV serait lié à la
perte de capacité de modifier la longueur de l’axone, ce qui, à son tour,
serait imputable à des modifications de la matrice extracellulaire ou à des
modifications de la myélinisation des axones par les oligodendrocytes ;
838 4 – Neuroplasticité
Conclusion
La formation des circuits au cours du développement du cerveau se déroule
essentiellement avant la naissance, et passe par des contacts physiques de cel-
lule à cellule et par l’intermédiaire de signaux chimiques diffusibles. Néanmoins,
alors que la plupart des neurones trouvent leur destination avant la naissance,
le raffinement définitif des connexions synaptiques, en particulier dans le cor-
tex, se déroule au cours de la petite enfance et sous l’influence de l’environne-
ment sensoriel. Pour des raisons didactiques, dans ce chapitre nous avons pris
comme exemple le système visuel, mais les autres systèmes sensoriels et moteurs
subissent aussi les effets de l’environnement pendant les périodes critiques que
constituent les phases précoces du développement, dans la petite enfance. Le
cerveau n’est donc pas seulement le produit de nos gènes, mais aussi du monde
dans lequel nous avons grandi.
23 – Développement du cerveau 839
QUESTIONS DE RÉVISION
Cooke SF, Bear MF. How the mechanisms of long-term synaptic poten-
tiation and depression serve experience-dependent plasticity in prima-
ry visual cortex. Philosophical Transactions of the Royal Society of
London. Series B, Biological sciences 2014 ; 369 : 20130284.
Dehay C, Kennedy H. Cell-cycle control and cortical development.
Nature Reviews Neuroscience 2007 ; 8 (6) : 438-50.
Goda Y, Davis GW. Mechanisms of synapse assembly and disassembly.
Neuron 2003 ; 40 : 243-64.
Katz LC, Crowley JC. Development of cortical circuits: lessons from ocular
dominance columns. Nature Reviews Neuroscience 2002 ; 3 (1) : 34-42.
McLaughlin T, O’Leary DDM. Molecular gradients and development of
retinotopic maps. Annual Reviews of Neuroscience 2005 ; 28 : 327-55.
Price DJ, Jarman AP, Mason JO, Kind PC. Building Brains: An Introduc-
tion to Neural Development. Boston : Wiley-Blackwell, 2011.
Wiesel T. Postnatal development of the visual cortex and the influence of
the environment. Nature 1982 ; 299 : 583-92.
840 4 – Neuroplasticité 840
CHAPITRE 24 Apprentissage
et mémoire
DIFFÉRENTS TYPES DE
MÉMOIRE ET D’AMNÉSIE
Mémoire déclarative et mémoire non déclarative................................. 842
Mémoires procédurales...................................................................... 843
Encadré 24.1 Focus Une mémoire extraordinaire
Mémoires déclaratives........................................................................ 846
Amnésie............................................................................................. 847
MÉMOIRE DE TRAVAIL
Cortex préfrontal et mémoire de travail.............................................. 849
Cortex latéral intrapariétal (aire LIP) et mémoire de travail................. 852
MÉMOIRE DÉCLARATIVE
Néocortex et mémoire déclarative....................................................... 854
Études impliquant le lobe temporal médian........................................ 856
Amnésie et lobe temporal................................................................... 859
Encadré 24.2 Focus Le syndrome de Korsakoff et le cas de N.A.
Fonctions mnésiques du système hippocampique................................ 865
Encadré 24.3 Les voies de la découverte Comment le cerveau forme
les représentations,
par Edvard et May-Britt Moser
Consolidation mnésique et bases de l’engramme................................ 874
Encadré 24.4 Focus Former des faux souvenirs et ne pas se souvenir
des événements traumatisants
MÉMOIRE PROCÉDURALE
Striatum et mémoire procédurale chez les rongeurs............................ 881
Apprentissage procédural chez le singe et l’homme............................. 883
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
e cerveau est formé de très nombreux systèmes mobilisés pour répondre
aux nécessités du comportement, en rapport avec les sensations, l’action
ou encore les émotions, et chacun de ces systèmes comprend des mil-
liards d’éléments neuronaux, avec un nombre considérable d’interconnexions.
Comme cela a été décrit dans le chapitre 23, la formation de ces connexions
représente un processus extraordinairement organisé, qui suit des règles bien
précises. Mais pour autant impressionnant et méthodique que soit le développe-
ment prénatal, les processus sont loin d’être achevés à la naissance, et personne
ne peut confondre un nouveau-né avec un prix Nobel ! Dès la naissance et sans
doute avant, les stimuli sensoriels modifient le fonctionnement et l’organisation
du cerveau, et ils influencent le comportement en rapport avec ce qui est appris
et retenu. Dès lors, ceci peut expliquer, au moins en partie, les différences entre
les individus. Du moment de notre première respiration, et sans doute avant, les
stimuli sensoriels modifient notre cerveau et influencent nos comportements.
L’homme apprend ainsi un nombre considérable de choses, certaines directe-
ment par l’expérience (la neige est froide, par exemple), et d’autres de façon
plus abstraite (par exemple, une définition : un triangle isocèle a deux côtés
égaux). Certaines de ces informations nécessitent l’acquisition d’un lexique et
présentent un caractère explicite ; d’autres, comme apprendre à faire du roller ou
à conduire, relèvent plutôt d’un automatisme à acquérir. Comme nous le consta-
terons, les lésions cérébrales peuvent affecter de façon différentielle ces différents
types d’informations mises en mémoire, suggérant l’existence de plusieurs sys-
tèmes de mémoire.
Le développement cérébral associé à l’expérience, étudié dans le chapitre 23,
est étroitement lié à l’apprentissage, étudié dans ce chapitre. Comme cela a été
mentionné, dans la petite enfance l’expérience visuelle est essentielle au dévelop-
pement normal du cortex visuel, mais elle permet aussi à l’enfant de reconnaître
l’image du visage de sa mère. Le développement visuel et l’apprentissage uti-
lisent probablement des mécanismes similaires, mais à des moments et dans des
régions corticales sans doute différents. Dans cette perspective, apprentissage et
mémoire peuvent être considérés comme des adaptations permanentes des cir-
cuits cérébraux à l’environnement, nous permettant de répondre correctement à
des situations dont nous avons déjà fait l’expérience.
Ce chapitre présente les principales caractéristiques de l’anatomie de la
mémoire. Nous verrons notamment comment différentes parties du cerveau
sont assemblées pour stocker des catégories particulières d’information. Le
chapitre 25 qui suit sera quant à lui plus spécifiquement consacré aux méca-
nismes synaptiques élémentaires qui stockent l’information dans le cerveau.
842 4 – Neuroplasticité
Mémoire déclarative
(lobe temporal médian ; diencéphale) Mémoire non déclarative
Conditionnement classique
des comportements. Nous apprenons par exemple à jouer du piano, à lancer une
balle, ou à nouer nos chaussures, et ce type d’information est bien stocké quelque
part dans le cerveau.
Généralement, la mémoire déclarative est disponible pour un rappel conscient,
ce qui n’est pas le cas de la mémoire non déclarative. Les tâches que nous appre-
nons et les réflexes ou les associations que nous formons présentent un caractère
plus ou moins automatique, sans nécessiter une forme de conscience. Selon le
dicton, « on n’oublie pas une fois que l’on a appris à aller à bicyclette ». Il se peut
qu’il soit impossible de se souvenir du jour où l’on a fait de la bicyclette pour la
première fois (référence à la mémoire déclarative), mais le cerveau a retenu com-
ment on en fait (référence à la mémoire procédurale). La mémoire non décla-
rative est aussi fréquemment dénommée mémoire implicite, parce qu’elle résulte
de l’expérience. De même, la mémoire déclarative est appelée mémoire explicite
parce qu’elle nécessite plus d’efforts conscients.
Il existe une autre différence entre les deux processus : les souvenirs de la
mémoire déclarative se forment souvent facilement, mais ils disparaissent tout
aussi facilement, alors que les souvenirs liés à la mémoire procédurale se forment
après un temps d’apprentissage émaillé de nombreuses répétitions, mais ils sont
moins susceptibles de disparaître. C’est la différence entre se souvenir des per-
sonnes que vous avez rencontrées lors d’une soirée (déclarative) et apprendre à
faire du ski (non déclarative). Bien que le nombre d’informations de la mémoire
déclarative que le cerveau peut stocker ne soit pas déterminé, la facilité et la
rapidité d’acquisition de nouvelles informations sont très surprenantes et font
appel à des mécanismes sans doute différents. À titre d’illustration, des études
portant sur des sujets humains possédant une mémoire peu ordinaire suggèrent
par exemple que la limite de stockage des informations déclaratives est excep-
tionnellement élevée (Encadré 24.1).
Mémoires procédurales
Le type de mémoire non déclarative auquel nous allons nous intéresser parti-
culièrement est la mémoire procédurale. Celle-ci implique l’apprentissage d’une
réponse motrice (une procédure) en réponse à une entrée sensorielle. La forma-
tion de cette mémoire procédurale intervient au travers de deux grandes catégo-
ries d’apprentissage : l’apprentissage non associatif et l’apprentissage associatif.
Apprentissage non associatif. Lorsqu’une réponse comportementale est
modifiée en réponse à un seul type de stimulus répété dans le temps, il s’agit
d’un apprentissage non associatif, dont deux formes principales sont distinguées :
l’habituation et la sensibilisation.
Supposez que vous viviez dans un logement ne comportant qu’un seul télé-
phone. Lorsque celui-ci se met à sonner, vous vous précipitez pour répondre,
mais il se trouve qu’à chaque fois il s’agit systématiquement d’une erreur et que
Encadré 24.1 FOCUS
L’un des cas parmi les plus anciens et les mieux nir d’une longue liste d’items, il rattachait chaque item à
documentés de description d’une mémoire extraordi- une image. Pendant qu’on lisait ou écrivait la liste, S.
naire est celui étudié par le psychologue russe Alexandre imaginait qu’il marchait dans sa ville natale ; au fur à
Luria. Dans les années 1920, un homme appelé Solomon mesure de la présentation des articles, il plaçait l’image
Shereshevsky se présenta chez lui. C’est ainsi que débuta évoquée sur son chemin — l’image évoquée par l’item 1
une étude qui devait durer trente ans sur la mémoire peu près de la boîte aux lettres, l’image de l’item 2 près d’un
commune de cet homme que Luria désignait simple- buisson, et ainsi de suite. Pour se rappeler ces items par
ment par la lettre S. Dans un petit ouvrage intitulé The la suite, il refaisait le même chemin et ramassait les items
mind of a mnemonist, Luria en fait un récit fascinant. qu’il y avait déposés. Sans avoir les mêmes sensations
Lorsque S. se présenta au laboratoire de Luria, ce der- synesthésiques complexes que S., nous avons tous
nier lui fit passer des tests classiques : mémoriser une recours à cette technique consistant à associer des choses
liste de mots, de chiffres ou de syllabes sans aucun sens. avec des éléments plus familiers.
Il lisait la liste une fois et demandait à S. de la répéter. Mais cette mémoire n’était pas entièrement à l’avan-
À la grande surprise de Luria, S. réussit tous les tests tage de S. Si les sensations complexes évoquées par les
qu’il lui fit passer. S. pouvait même répéter une liste stimuli l’aidaient à mémoriser des listes de mots et de
de 70 mots lus à la suite, dans un sens et dans l’autre, et chiffres, elles interféraient avec son aptitude à intégrer et
dans n’importe quel ordre. Durant toutes ces années à mémoriser des choses plus complexes. Il avait du mal
d’observations, Luria ne découvrit aucune limite à la à reconnaître les visages, car chaque fois que l’expres-
mémoire de S. Dans les tests sur sa capacité de remémo- sion d’un visage changeait, il voyait aussi des taches
ration, S. montra qu’il se rappelait de listes vues précé- d’ombre et de lumière changeantes qui rendaient les
demment, y compris quinze ans plus tôt ! choses confuses. Il ne parvenait pas non plus à suivre la
Comment cela était-il possible ? S. expliquait que lecture d’une histoire. Au lieu de se concentrer sur les
plusieurs facteurs étaient susceptibles de contribuer à la idées importantes sans tenir compte de chaque mot
formation de son immense mémoire. L’un d’eux concer- comme on le fait généralement, S. était submergé par
nait sa capacité exceptionnelle de retenir ce qu’il voyait. une explosion de réponses sensorielles. Imaginez comme
Lorsqu’on lui montrait un tableau de 50 chiffres, il disait il doit être troublant d’être bombardé en permanence
qu’il lui était facile de donner plus tard les chiffres d’une d’images visuelles évoquées par chaque mot, ajoutées
rangée ou d’une diagonale, parce qu’il lui suffisait de aux sons et aux images évoquées par le ton de la voix de
se souvenir de l’image du tableau entier. Curieusement, la personne qui lit l’histoire !
lorsqu’il lui arrivait de se tromper en se rappelant les Une autre difficulté éprouvée par S, difficilement
chiffres écrits sur un tableau noir, l’erreur venait plus acceptable comme telle, était son incapacité à oublier.
d’une erreur de lecture que d’une erreur de mémoire. Si Cela devint un véritable problème pour ce mnémoniste
l’écriture était mal formée, il lui arrivait de confondre le professionnel qui donnait plusieurs séances au cours
3 et le 8 ou le 4 et le 9. Quand il rappelait les informa- desquelles on lui demandait de retenir ce qui était écrit
tions, c’était comme s’il voyait le tableau et les chiffres au tableau. Il devait regarder le tableau et voir ce qui
écrits dessus. était écrit à chaque séance. Il essaya plusieurs trucs pour
S. présentait aussi une forme puissante de synesthé- tenter d’oublier les anciennes informations, essayant par
sie. La synesthésie est un phénomène dans lequel les exemple d’effacer le tableau dans son esprit, mais sans
stimuli sensoriels évoquent des sensations généralement succès. Ce n’est que par une grande puissance de concen-
associées à d’autres stimuli. Par exemple, quand S. tration et une force de motivation qu’il parvenait à
entendait un son, il voyait en même temps des éclairs de oublier. Chez S., les efforts que l’on fait habituellement
lumière vive, et pouvait ressentir un certain goût dans la pour mémoriser et la facilité que l’on a à oublier, sem-
bouche. Cette réponse sensorielle multimodale pouvait blaient inversés.
avoir ainsi établi des traces mnésiques particulièrement Les bases neurobiologiques de l’exceptionnelle
fortes. mémoire de S. ne sont pas connues. Peut-être n’y avait-il
Lorsqu’il comprit que sa mémoire était exception- pas chez lui le même genre de sélection, que l’on retrouve
nelle, S. abandonna son travail de reporter et devint un presque toujours chez l’homme, entre les sensations de
professionnel des démonstrations de ses capacités, un différentes modalités sensorielles ? Ce fait a pu contri-
« mnémoniste ». Pour se rappeler les immenses listes de buer à un encodage d’informations multimodales parti-
mots ou de chiffres que l’auditoire lui donnait pour le culièrement fort. Chez S. les synapses étaient peut-être
mettre au défi, il accentuait la sensibilité aux stimuli et aussi plus modulables qu’elles ne le sont habituellement.
la synesthésie par des trucs de mémoire. Pour se souve- Malheureusement, la vérité ne sera jamais connue.
24 – Apprentissage et mémoire 845
le message ne vous soit pas destiné. Assez rapidement vous n’allez plus vous Habituation
précipiter pour répondre et même vous allez vous abstenir de répondre. Ce type
d’apprentissage est qualifié d’habituation et vous conduit à ignorer le stimulus
Réponse
qui a perdu toute signification pour vous (Fig. 24.2a). Nous sommes de fait habi-
tués à de nombreux stimuli. Par exemple, peut-être qu’au moment même où vous
lisez cette phrase, la rue devant votre domicile est bruyante avec un trafic intense
de voitures et de camions, que votre chien aboie et que votre colocataire est en
train de jouer la même mélodie pour la centième fois, tout cela sans que vous n’y 5 10 15
(a) Numéro du stimulus dans la série
prêtiez réellement attention. Vous êtes habitué à tous ces stimuli.
Supposons maintenant que vous soyez en train de vous promener pendant la Sensibilisation
nuit sur le trottoir d’une ville bien éclairée et que soudainement tout s’éteigne !
Vous entendez alors des pas derrière vous, ce qui vous effraie à un point tel que
Réponse
vous êtes prêt à vous enfuir, alors que dans des conditions normales ce type
d’événement ne vous perturbe pas. Des phares d’un véhicule apparaissent et cela
vous conduit à faire un écart pour vous mettre à l’abri de façon inconsidérée.
Ainsi, ce stimulus intense (le fait que vous vous retrouviez soudainement dans
le noir) a provoqué une sensibilisation, c’est-à-dire une forme d’apprentissage 5 10 15
qui a incroyablement augmenté votre réponse comportementale à tous les sti- (b) Numéro du stimulus dans la série
muli, même ceux qui normalement ne provoquent pas de réponse particulière ou
Figure 24.2 – Différents types d’apprentis-
même aucune réaction, comme l’apparition des phares dans la rue (Fig. 24.2b). sage non associatif.
Apprentissage associatif. Dans ce cas, il s’agit de modifications de compor- (a) Dans le cas de l’habituation, la présenta-
tion répétée d’un même stimulus se traduit
tements intervenant par la formation d’associations entre événements reconnues
progressivement par une perte de la réponse.
comme apprentissage associatif. Cette situation est différente de celle impliquant
(b) Dans le cas de la sensibilisation, un sti-
un changement de réponse comportementale à un seul stimulus, comme c’est le mulus puissant (flèche) se traduit par une
cas pour l’apprentissage non associatif. Là encore, deux grands types d’appren- réponse exacerbée à tous les autres stimuli
tissages associatifs sont distingués : le conditionnement classique et le condition- qui vont survenir ensuite.
nement instrumental.
Le conditionnement classique a été découvert et caractérisé chez le chien par
le fameux physiologiste russe Ivan Pavlov, à l’orée du XXe siècle. Le condition-
nement classique est basé sur l’association d’un stimulus qui donne normale-
ment une réponse mesurable avec un second qui, lui, n’évoque pas de réponse.
Le premier stimulus, celui qui donne normalement la réponse, est dénommé
stimulus inconditionnel (SI) du fait qu’aucun apprentissage (aucun condition-
nement) soit nécessaire pour obtenir une réponse comportementale. Dans le cas
de l’expérience de Pavlov, le SI est représenté par la présentation à l’animal d’une
boulette de viande, qui provoque la salivation du chien. Le second stimulus, qui
ne provoque pas de réponse en première intention, est dénommé stimulus condi-
tionnel (SC) du fait de la nécessité d’un apprentissage (conditionnement) avant
qu’il soit à même de déclencher la réponse comportementale. Dans l’expérience
de Pavlov, le SC était un stimulus auditif, représenté par le son d’une cloche.
L’apprentissage consistait alors à associer la présentation de la viande avec le
son de la cloche (Fig. 24.3a). Après plusieurs de ces associations, la viande n’était
plus présentée et l’animal salivait au simple son de la cloche (SC) (Fig. 24.3b). La
réponse ainsi apprise à la présentation du SC est dénommée réponse conditionnée
(RC).
Le conditionnement instrumental a été découvert à Columbia University à New
York par le psychologue Edward Thorndike au tout début du XXe siècle. Dans le
conditionnement instrumental, un individu apprend à associer une réponse, par
exemple un mouvement, avec un stimulus ayant un sens pour lui, en général une
récompense alimentaire. Imaginez ainsi ce qu’il se passe lorsqu’un rat affamé
se trouve placé dans une boîte d’expérimentation propre à permettre ce condi-
tionnement, comportant un levier délivrant la nourriture. C’est en explorant au
hasard son nouvel environnement que le rat tombe sur le levier et fait tomber
par accident quelques croquettes de nourriture dans la cage. Après que cette
heureuse conjonction accidentelle se soit reproduite quelquefois, le rat apprend
très vite que l’appui sur le levier déclenche la délivrance de la nourriture. Le
rat va alors manœuvrer le levier pour obtenir cette nourriture, jusqu’à satiété.
Comme dans le cas du conditionnement classique, une relation de prédiction est
apprise durant l’acquisition du conditionnement instrumental. Dans le condi-
tionnement classique, le sujet apprend qu’un stimulus (le SC) prédit un autre
846 4 – Neuroplasticité
SC
+
Figure 24.3 – Conditionnement classique.
(a) Avant le conditionnement, le son de la clo-
che (le stimulus conditionnel SC) ne déclenche
pas de réponse chez le chien. En revanche,
la présentation d’un morceau de viande SI
Après conditionnement
provoque chez l’animal une forte réponse RC
comportementale (stimulus inconditionnel,
SI). (b) Le conditionnement consiste en un
couplage du son de la cloche avec la présen-
tation de la viande. Le chien apprend rapide-
ment à associer le son de la cloche avec la (a)
viande et, après conditionnement, le son de la
cloche seul est à même de provoquer la sali-
vation sans la présentation de la viande
(réponse conditionnée, RC). (b)
Mémoires déclaratives
À partir de notre expérience personnelle de tous les jours, nous savons que
certains souvenirs sont plus persistants que d’autres. La mémoire à long terme se
réfère à des souvenirs, par exemple d’événements, dont vous pouvez vous rappe-
ler des jours, des mois, des années après qu’ils soient intervenus. L’information à
l’origine de cette mémorisation à long terme, bien entendu, ne représente qu’une
toute petite fraction de ce que nous vivons chaque jour. La plupart de cette
information quotidienne ne persiste dans le cerveau que pour une durée très
limitée, de l’ordre de quelques heures. Dans ce cas, ces souvenirs de caractère
temporaire relèvent de ce qui est désigné comme mémoire à court terme, et ont
en commun d’être très vulnérables. À titre d’illustration, la mémoire à court
terme peut être littéralement « effacée » par un traumatisme crânien, ou encore
par un traitement par thérapie électroconvulsive (les électrochocs) utilisé dans
le cadre de certaines pathologies psychiatriques. A contrario, les traumatismes
et ces traitements électroconvulsifs n’affectent pas les souvenirs à long terme,
acquis longtemps avant, par exemple les souvenirs de l’enfance. Ces observations
ont conduit à l’idée que les faits et les événements sont stockés dans une forme
de mémoire à court terme, et que seulement une partie était ensuite convertie en
souvenirs à long terme par un processus reconnu comme étant la consolidation
mnésique (Fig. 24.4).
Figure 24.4 – Consolidation mnésique.
L’information sensorielle peut être temporairement retenue sous forme Mémoire
de mémoire à court terme, mais celle-ci est très labile et susceptible de travail
d’interruption. Une rétention d’information plus permanente sous forme
Information Mémoire Consolidation Mémoire
de mémoire à long terme plus stable nécessite une phase de consoli-
dation. Un autre type de mémoire, dite « mémoire de travail », est utilisé sensorielle à court terme à long terme
pour maintenir temporairement à l’esprit certaines informations devant
Temps
être utilisées rapidement.
24 – Apprentissage et mémoire 847
Amnésie
Dans la vie quotidienne, comme nous le savons tous, l’oubli est un fait aussi
courant que l’apprentissage. C’est normal et inévitable. Cependant, quelques
maladies et certaines lésions du cerveau entraînent une sévère perte de mémoire
et/ou de l’aptitude à apprendre dénommée amnésie. Les chocs traumatiques,
l’alcoolisme chronique, certaines encéphalites, les tumeurs cérébrales, et les
accidents vasculaires cérébraux peuvent interférer avec les processus mnésiques.
L’amnésie est le sujet de nombreux films, dans lesquels une personne ayant subi
un grave traumatisme se réveille le lendemain sans pouvoir dire qui elle est, ni
se souvenir des événements passés. Ce type d’amnésie totale du passé est en fait
très exceptionnel. Les traumatismes provoquent plus fréquemment une amné-
sie limitée, accompagnée d’autres déficits sans rapport avec la mémorisation. Si
l’amnésie n’est pas associée à d’autres troubles cognitifs, elle est dite amnésie dis-
sociée (les troubles de mémoire sont dissociés d’autres déficits). En fait, ces cas
d’amnésie dissociée sont particulièrement intéressants en raison de la relation
qui peut alors être faite entre les troubles de la mémoire et les lésions cérébrales.
La perte de mémoire qui suit un traumatisme cérébral peut classiquement se
manifester de deux façons : elle peut impliquer soit une amnésie rétrograde, soit
une amnésie antérograde (Fig. 24.5). L’amnésie rétrograde est la perte de souve-
nirs anciens, acquis avant le traumatisme. En d’autres termes, le sujet oublie les
choses qu’il savait déjà. Les cas les plus sévères peuvent présenter une amnésie
totale de tous les souvenirs relatifs à la mémoire déclarative, acquis avant le
1. NdT : en France, le numéro d’appel comprend 8 chiffres. Si l’on admet que les deux
premiers chiffres sont de caractère standard (par exemple 06 pour un mobile), les chiffres
« utiles » sont limités à 6, en rapport avec la capacité de l’empan de la mémoire de travail.
En revanche, pour un numéro d’appel international, il est nécessaire d’ajouter jusqu’à 4
chiffres, et dans ce cas la capacité de l’empan est dépassée.
848 4 – Neuroplasticité
mémoire normale
Pourcentage de
Pourcentage de
50 50
0 0
Naissance Temps Moment du Aujourd’hui Naissance Temps Moment du Aujourd’hui
(a) traumatisme (b) traumatisme
Mémoire de travail
Nos cerveaux reçoivent en permanence toutes sortes d’informations au tra-
vers de nos systèmes sensoriels mais, comme nous l’avons remarqué dans le cha-
pitre 21, nous ne sommes conscients que d’une infime partie. Afin de permettre
des adaptations comportementales et la réalisation de certains comportements,
une très faible partie de cette information est « maintenue à l’esprit », par la
mémoire de travail ; par exemple un numéro de téléphone dont nous devons
nous souvenir un instant pour le composer sur le clavier. Contrairement à la
mémoire à long terme, la mémoire de travail présente une très faible capacité,
comme nous l’avons vu plus haut. Cependant, il existe des subtilités pour éva-
luer la capacité de la mémoire de travail. Par exemple, si l’on s’en tient à des
termes courants du vocabulaire usuel, plutôt relatifs à des mots courts, la capa-
cité à les retenir est supérieure à la moyenne. De même, plus de mots ou de
nombres peuvent être retenus s’ils sont présentés par catégories, ce qui permet
de mettre en œuvre des stratégies mnémotechniques (un nombre de 12 chiffres
peut être plus facilement retenu s’il est retenu comme 3 « blocs » de 4 chiffres
par exemple : 1945 1969 2001). La mémoire de travail doit en fait être considérée
comme une forme « d’outil » utilisable dans de très nombreuses situations : il
existe de fait un compromis entre le nombre et la précision des termes retenus et
leur signification réelle pour l’individu.
Les informations retenues par le biais de la mémoire de travail peuvent faire
l’objet d’une mémorisation à long terme, mais l’essentiel de ces informations est
immédiatement effacé au fur et à mesure qu’elles ne sont plus utiles. Mais alors
comment une telle information est-elle retenue juste assez pour être utilisée ?
Des travaux effectués tant chez l’animal que chez l’homme suggèrent que, plutôt
que d’utiliser un seul système, la mémoire de travail est en fait une capacité du
néocortex qui siège dans de nombreuses régions cérébrales. Dans ce qui suit,
nous allons décrire à titre d’exemple la mémoire de travail dans le cortex frontal
et dans le cortex pariétal.
Une des différences anatomiques les plus marquées entre les primates (et spé-
cialement l’homme) et les autres mammifères, est l’importance du lobe frontal
chez les primates. L’extrémité rostrale du lobe frontal, le cortex préfrontal, est
ainsi particulièrement bien développée (Fig. 24.6). Par comparaison avec les aires
corticales sensorielles et motrices, la fonction du cortex préfrontal est mal connue.
Mais comme cette structure est tellement développée chez l’homme, il est sou-
vent postulé que le cortex préfrontal est responsable de certains traits, comme par
exemple la conscience de soi, la capacité d’effectuer des raisonnements abstraits
et de résolution de problèmes, qui distinguent l’homme de l’animal.
Les résultats d’expériences effectuées dans les années 1930, utilisant le test de
reconnaissance différée, ont démontré pour la première fois l’importance du lobe Cortex
frontal dans l’apprentissage et la mémoire. Dans ce test, au début de l’expérience préfrontal
le singe voit que la nourriture est placée sur une table dans un réceptacle parti-
culier, sous l’un de deux couvercles identiques. Puis, pendant un temps donné,
Figure 24.6 – Cortex préfrontal.
le singe est éloigné de la table, et il est ensuite à nouveau replacé devant la table. La partie du cortex située en avant du sillon
Dans ce cas, l’animal reçoit la nourriture en récompense s’il choisit le bon réci- central constitue le lobe frontal. Le cortex pré-
pient. De larges lésions préfrontales dégradent sérieusement l’exécution du test frontal est la partie antérieure du lobe frontal,
de réponse différée ainsi que toutes autres tâches incluant un délai entre le signal qui reçoit des afférences du noyau dorso
initial et le choix final. Par ailleurs, le singe présente de plus en plus de difficultés médian du thalamus.
à réaliser la tâche au fur à mesure que le délai s’allonge. Il semble donc que le
cortex préfrontal joue un rôle important dans ce type de tâche impliquant la
mémoire de travail.
850 4 – Neuroplasticité
Figure 24.7 – Test de Wisconsin.
Des cartes portant des séries de symboles de couleurs différentes doivent d’abord être triées par
couleur. Après une série d’essais, le tri n’obéit plus à la couleur, et la consigne est alors de trier les
cartes par symbole.
Des travaux plus récents laissent penser que le cortex préfrontal est impliqué
dans la mémoire de travail pour résoudre des problèmes et organiser des com-
portements. L’étude du comportement chez des patients atteints de lésions du
cortex préfrontal a donné des résultats intéressants. Souvenez-vous du cas de
Phineas Gage, mentionné dans le chapitre 18 : après avoir subi une grave lésion
du lobe frontal (une barre de fer traversant la tête est un traumatisme grave),
Gage éprouvait beaucoup de difficultés à garder le même comportement pen-
dant un certain temps. Bien qu’il fût capable d’adapter son comportement à
différentes situations, il avait du mal à imaginer et à organiser ses comporte-
ments, probablement en raison de l’atteinte du lobe frontal.
Le test de tri des cartes de Wisconsin illustre les perturbations associées à une
atteinte du cortex préfrontal. Dans ce test, le sujet reçoit la consigne de ranger
un jeu de cartes avec un nombre variable de figures géométriques de couleur
(Fig. 24.7). Les cartes peuvent être rangées par couleur, par figure, ou par nombre
de figures, mais au début du test le choix du tri est laissé au sujet. Cependant,
c’est en rangeant les cartes par paquets et en étant informé des erreurs commises,
que le sujet déduit quel est le type de classement que l’expérimentateur a choisi.
Lorsqu’il a réussi à faire le bon classement dix fois, le mode de classement est
changé et on recommence l’expérience. Pour bien exécuter ce test, le sujet doit
utiliser la mémoire du classement et des erreurs qu’il a pu faire, pour imaginer
une autre forme de classement. Les lésions préfrontales rendent le test plus dif-
ficile lorsqu’on en vient à la modification du classement ; les sujets persistent à
classer les cartes selon une règle qui ne convient plus. Ils éprouvent des difficultés
à recourir aux informations récentes (c’est-à-dire les données de la mémoire de
travail) pour modifier leur comportement.
Le même genre de déficit est observé lorsqu’il leur est demandé de tracer un
chemin à travers le dessin d’un labyrinthe. Bien que les patients comprennent la
tâche à accomplir, ils refont indéfiniment la même erreur en allant chaque fois
dans la même impasse ; en d’autres termes, ces patients ne parviennent pas à
retenir l’information nouvelle liée à l’apprentissage, comme le fait une personne
normale, ce qui suggère là encore un déficit de mémoire de travail.
Les réponses des neurones du cortex préfrontal sont variées, et certaines sont
associées à la mémoire de travail. La figure 24.8 illustre deux types de réponses
obtenues chez un singe pendant l’exécution d’un test de reconnaissance différée.
24 – Apprentissage et mémoire 851
Nombre de potentiels d’action/s
20
15
10
5
Figue 24.8 – Réponses de neurones du cor-
0 tex préfrontal chez le singe.
0 10 20 Les deux histogrammes illustrent l’activité
(a)
de neurones du cortex préfrontal enregistrée
Nombre de potentiels d’action/s
Mémorisation Mémorisation
Délai Délai
Test Test
(a) (b)
Test : ce visage fait-il partie Test : ce visage est-il présenté dans un emplacement
de ceux présentés préalablement ? où se trouvait l’un de ceux présentés précédemment ?
(c) (d)
Point de Cible
(a)
fixation visuelle
potentiels d’action
120
Nombre de
0
Présentation Délai
(b) Orientation du regard
de la cible
vers le point de fixation
Mémoire déclarative
Comme nous l’avons vu, l’information sensorielle peut-être temporairement
maintenue à l’esprit sous forme de mémoire de travail. Mais quels sont les méca-
nismes mis en jeu pour une rétention de ces informations à long terme ? Bien
avant que les hommes évoluent au point de bachoter en vue du prochain examen
de neurosciences en préparant des fiches récapitulatives à cet égard, nous devons
nous souvenir que les préoccupations initiales des premiers hommes étaient
d’abord de repérer la source qui donnait à boire, la forêt qui donnait à manger, et
la caverne qui permettait de s’abriter. Pour tenter de comprendre les mécanismes
neuronaux du stockage des informations à long terme, l’une des façons de faire
est d’abord de tenter de savoir où, dans le cerveau, sont stockés ces souvenirs.
En d’autres termes, nous devons explorer les bases de la trace mnésique, ce que
l’on nomme l’engramme. Par exemple, lorsque vous apprenez le sens d’un mot
dans une langue étrangère, où se trouve localisé dans votre cerveau l’engramme
de cette information ?
Interconnexions
réciproques Activation de l’assemblée
entre neurones cellulaire par le stimulus
Neurones
Stimulus
externe
(a) Assemblée cellulaire
Après apprentissage,
l’activation partielle de
l’assemblée conduit
à la représentation
complète du stimulus
= « Cercle »
Figue 24.11 – Théorie des assemblées cellu-
laires de Hebb et stockage des informations
(c)
mémorisées.
856 4 – Neuroplasticité
Hippocampe Hippocampe
(a)
Hippocampe
Ventricule latéral
Thalamus
Figure 24.12 – Structures du lobe
temporal médian impliquées dans la
Cortex
entorhinal formation de la mémoire déclarative.
(a) Vues latérale et médiane montrant
la localisation de l’hippocampe dans
le lobe temporal. (b) Cette coupe
Hippocampe frontale permet de distinguer l’hippo-
Scissure Cortex Cortex campe et le cortex du lobe temporal
Scissure
(b) rhinale rhinale périrhinal parahippocampique médian.
tions de visages décrits dans le chapitre 10). Ces neurones sont dits « invariants »
du fait qu’ils répondent à diverses catégories de stimuli visuels structurellement
ou conceptuellement en rapport les uns avec les autres.
Dans d’autres études, une sélectivité encore plus importante a été notée dans
un petit nombre de neurones enregistrés. À titre d’illustration, des neurones de
l’hippocampe d’un jeune patient répondaient plus ou moins sélectivement à la
présentation de photos de l’actrice Jennifer Aniston ou du basketteur Michael
Jordan. La figure 24.15 illustre l’enregistrement d’un de ces neurones de l’hippo-
campe répondant à divers stimuli associés avec l’actrice Halle Berry. La diversité
de ces stimuli efficaces pour activer ce neurone est impressionnante, incluant
diverses photographies de l’actrice, des dessins de son visage, et jusqu’à la simple
présentation de son nom. Le neurone était aussi activé par la présentation d’une
photo de Halle Berry avec son masque de Catwoman alors même que des photos
d’autres actrices portant ce même accoutrement ne provoquaient pas l’activa-
tion du neurone. D’autres neurones étaient activés par des stimuli significatifs
complètement différents, comme la présentation de la Tour Eiffel ou encore la
tour penchée de Pise.
Qui sommes-nous pour avoir de tels neurones ? L’une des façons de répondre
à cette question est de considérer qu’il se trouve une forme de continuum entre
un pur codage visuel dans le lobe temporal latéral et l’encodage des souvenirs
dans le lobe temporal médian. Difficile de l’affirmer, mais certains neurones ne
sont probablement pas utiles pour la reconnaissance des objets du fait que ceux
qui sont les plus communs, comme les photos des personnes les plus connues,
restent identifiables même après des lésions de l’hippocampe ; même le patient
H.M. était capable de reconnaître les personnes et les objets qu’il avait connus
avant son intervention chirurgicale. La reconnaissance des objets et des per-
sonnes pourrait en fait impliquer des régions plus latérales et plus postérieures
du lobe temporal. Les neurones très sélectifs de l’hippocampe pourraient avoir
un rôle dans la formation de nouveaux souvenirs relatifs cependant à des per-
sonnes ou à des objets que nous connaissons déjà, à la manière du patient fixé
sur Halle Berry. Mais de nombreuses questions subsistent. Par exemple, est-ce
que des réponses beaucoup moins spécifiques auraient été trouvées dans ces
expériences si les investigateurs avaient utilisé plus de stimuli (un neurone qui
aurait pu répondre à Justin Timberlake, à des petits pois en conserve, ou à des
poignées de porte) ? Est-il possible que ces neurones soient activés par chaque
objet que nous reconnaissons ou bien simplement est-ce que les exemples que
nous avons évoqués réfèrent à des cas très rares de souvenirs en rapport avec des
expositions répétées à ces personnes célèbres ou à ces objets ? Est-il possible que
ces résultats concernent aussi des cerveaux normaux, exempts de pathologie, du
fait que ces cerveaux de personnes épileptiques puissent présenter des anomalies
structurales ou des réponses inadéquates ?
8 cm
Lobe
temporal
Cervelet
(c)
Hippocampe
2. NdT : ce que l’on nomme aussi l’oubli « au fur et à mesure ».
862 4 – Neuroplasticité
Délai
variable
l’autre. Leur comportement laisse penser que les animaux oubliaient le premier 100
objet si l’intervalle de temps était trop long. Le déficit de la mémoire de recon- Normal
Encadré 24.2 FOCUS
afférences issues des structures du lobe temporal, dont mémoire. Du fait de leur perte d’appétit, les alcooliques
l’amygdale et le cortex inférotemporal, et il projette peuvent présenter une carence en thiamine, qui conduit
virtuellement sur toutes les régions du cortex frontal. à ce tableau clinique associé à des mouvements anor-
Du fait du rôle central des lobes temporaux dans maux des yeux, une perte de la coordination motrice et
les fonctions mnésiques, il n’est donc pas surprenant un tremblement. Cet état peut être traité par une supplé-
d’observer que des lésions de ces régions cérébrales diencé mentation en thiamine mais si les patients ne sont pas
phaliques se traduisent par différentes formes d’amnésie. traités, la carence en thiamine conduit aux lésions céré-
L’un des cas cliniques parmi les mieux documentés brales qui caractérisent le syndrome de Korsakoff.
et les plus dramatiques de lésions du diencéphale chez Toutefois, il existe des cas de syndrome de Korsakoff qui
l’homme, réfère à celui d’un homme connu comme le cas présentent des lésions bien différentes de celles du
N.A. En 1959, à l’âge de 21 ans, N.A. était technicien thalamus médiodorsal et des corps mamillaires.
radar dans l’U.S. Air Force. Un jour, alors qu’il travail- En plus d’une sévère amnésie antérograde, le syn-
lait tranquillement à monter une maquette dans son drome de Korsakoff peut dans certains cas présenter
baraquement, un de ses camarades de chambrée jouait une amnésie rétrograde beaucoup plus importante que
derrière lui avec un fleuret miniature. N.A. s’est retourné celle de H.M. ou de N.A. Il n’existe pas réellement de
au mauvais moment et a été transpercé par le fleuret. corrélation dans cette maladie entre l’amplitude de
Celui-ci pénétra par la narine droite et atteignit le l’amnésie antérograde et celle de l’amnésie rétrograde.
cerveau en direction de l’hémisphère gauche. Plusieurs Ceci est en accord avec la conclusion des autres études
années après, le patient a fait l’objet d’un examen par sur l’amnésie de façon générale, suggérant que les méca-
scanner, qui n’a révélé qu’une lésion du noyau dorsomé- nismes de la consolidation mnésique (affectés dans l’am-
dian du thalamus gauche, bien qu’il ait été considéré nésie antérograde) sont très différents de ceux impliqués
qu’il ait pu y avoir d’autres lésions. dans le rappel des souvenirs (ceux atteints dans l’amné-
Après récupération, les capacités cognitives de N.A. sie rétrograde). Ainsi, sur la base des observations d’un
furent considérées comme normales, mais sa mémoire petit nombre de cas cliniques comme celui de N.A., les
était affectée. Le patient présentait une amnésie antéro- chercheurs supposent que l’amnésie antérograde asso-
grade relativement sévère, ainsi qu’une amnésie rétro- ciée aux lésions diencéphaliques résulte des atteintes du
grade portant sur les deux dernières années avant l’acci- thalamus et des corps mamillaires. La situation paraît
dent. Bien qu’il ait pu être à même de reconnaître moins claire s’agissant de l’amnésie rétrograde liée au
quelques visages et se souvenir de certains événements syndrome de Korsakoff, dont les bases anatomiques
des années qui ont suivi cet accident, ses souvenirs sont encore questionnées. Mais dans ce cas, il existe de
étaient plutôt vagues. Il avait beaucoup de difficultés à nombreuses lésions associées touchant le cervelet, le
regarder la télévision, à cause des pauses publicitaires il tronc cérébral ou encore le néocortex.
perdait le fil de ce qui venait de se passer juste avant. En
un sens, il vivait dans le passé et préférait porter de vieux Fornix
vêtements usagés qui lui étaient familiers, et il avait
adopté une coupe de cheveux à l’ancienne.
Thalamus
L’amnésie de N.A. fut moindre comparée à celle de
H.M., mais les caractéristiques principales en étaient les
mêmes. La mémoire à court terme était préservée, ses sou-
venirs anciens également, et il ne montrait pas de signe
d’altération de son intelligence. Sa difficulté principale
était objectivement de former de nouveaux souvenirs, et il
était affecté par la perte des souvenirs des deux années
avant l’accident. Dès lors, il apparaissait de nombreuses
similarités entre les effets des lésions de H.M., impliquant
le lobe temporal médian, et celles de N.A., touchant le
diencéphale, ce qui suggérait que ces systèmes inter-
Amygdale
connectés sont en fait des éléments d’un même système Hippocampe
global contribuant à la consolidation des souvenirs. Corps mamillaires
D’autres éléments en faveur de la participation du
diencéphale à la mémorisation sont apportés par les Figure A – Structures cérébrales du diencéphale associées à la
études relatives au syndrome de Korsakoff. Le syndrome mémorisation.
de Korsakoff est en général lié à l’alcoolisme chronique Les structures du lobe temporal incluent l’hippocampe, l’amygdale et
et se caractérise par un état de confusion mentale, le cortex inférotemporal. Elles projettent vers le thalamus et l’hypo-
d’affabulation, une apathie, et de sévères troubles de la thalamus dans le diencéphale, incluant les corps mamillaires.
24 – Apprentissage et mémoire 865
(a)
(b) (c)
ment. Supposons qu’une électrode soit placée dans l’hippocampe d’un rat qui se
déplace rapidement dans une grande cage. Le neurone est silencieux au début,
mais lorsque le rat se déplace vers le coin nord-ouest de la cage, la cellule com-
mence à décharger. Lorsqu’il s’éloigne de cet endroit particulier, la décharge s’ar-
rête ; lorsqu’il y retourne, la cellule est de nouveau activée. La cellule ne répond
que si le rat est dans ce coin précis de la cage (Fig. 24.21a). L’endroit qui évoque
la réponse la plus forte correspond au champ de réponse du neurone. En enre-
gistrant l’activité d’une autre cellule de l’hippocampe, il est possible de montrer
qu’elle a aussi son domaine de prédilection, par exemple qu’elle ne répond que
lorsque le rat se trouve au centre de la cage. Ces neurones ont ainsi été dénommés
cellules de lieu ou cellules de place.
D’une certaine façon, les champs de réponse représentant des sites particu-
liers de la cage sont comparables aux champs récepteurs des neurones des sys-
tèmes sensoriels. Ainsi le champ de réponse est en relation avec les informations
sensorielles, telles que des stimuli visuels de l’environnement. Dans l’expérience
du rat dans la cage, il est possible de placer des dessins au-dessus des quatre
coins : une étoile au-dessus du coin nord-ouest, un triangle au-dessus du coin
sud-est, etc. Prenons par exemple un neurone qui ne répond que lorsque le rat se
trouve dans le coin nord-ouest, près de l’étoile. Le rat est ensuite retiré de la cage.
Puis, à l’insu de l’animal, la cage fait l’objet d’une rotation de 180°, de sorte que le
triangle se trouve maintenant au-dessus du coin nord-ouest et l’étoile au-dessus
du coin sud-est. La cellule précédemment enregistrée va-t-elle répondre lorsque
l’animal est dans la partie nord-ouest de la cage (comme c’était le cas antérieu-
rement), ou dans la partie de celle-ci où se trouve maintenant l’étoile (le coin
sud-est) ? Le rat est dès lors replacé dans la cage et il commence son exploration :
le neurone est activé lorsque l’animal va dans le coin où se trouve l’étoile. Cette
expérience montre alors que, du moins dans certaines conditions, la réponse
dépend des stimuli visuels et des repères externes que le rat a mémorisés.
Il existe des similarités entre les cellules de lieu et les champs récepteurs, mais
aussi de grandes différences. Ainsi, lorsque l’animal s’est habitué à la cage avec
les images dessinées dans chaque coin, le neurone reste actif lorsque le rat se
déplace vers le coin nord-ouest, même si la lumière est éteinte pour que l’animal
ne puisse pas voir les marqueurs des lieux. Les réponses évoquées dans les cel-
lules de lieu sont associées à l’endroit où l’animal croit qu’il se trouve. S’il existe
des repères visuels évidents (l’étoile ou le triangle), les champs de réponse sont
basés sur ces indications. Mais s’il n’y a pas d’indications (si l’animal est dans
l’obscurité), les cellules de lieu gardent une spécificité de lieu tant que l’animal
explore l’environnement et qu’il réalise où il se trouve.
Il est possible que les cellules spécifiques d’un lieu, associées au codage du
lieu, jouent un rôle dans le test du labyrinthe à plusieurs branches disposées
radialement. Il est important de savoir que les champs de réponse sont dyna-
miques. Par exemple, si le compartiment dans lequel se trouve l’animal est main-
tenant de forme allongée selon un axe principal, les cellules de lieu devraient
s’étendre dans la même direction. Dans une autre manipulation, la première
868 4 – Neuroplasticité
Neurone 1
Séparation
(a)
Neurone 2
Séparation
(b)
3. NdT : Edvard et May-Britt Moser ont reçu conjointement avec John M. O’Keefe le prix
Nobel de physiologie et médecine en 2014 pour l’ensemble de leurs travaux sur les cellules de
place.
870 4 – Neuroplasticité
Nous avons grandi tous les deux sur une prendre comme étudiants dans son labora-
île éloignée de la côte Ouest de la Norvège, toire. Il ne pouvait décemment pas quitter
à environ 300 km de Bergen. Ce n’était pas son laboratoire… et nous ne pouvions pas
vraiment un endroit propice pour un déve- accepter une réponse négative ! Finalement,
loppement académique, ou même pour une persuadé de notre furieuse envie de travail-
compétition intellectuelle. Mais notre inté- ler avec lui et de notre détermination sans
rêt pour les sciences fut nourri par nos limite, il a donné son accord.
parents, qui n’avaient pas eu la chance de Per Andersen est devenu notre directeur
recevoir eux-mêmes une éducation dans ce de thèse et nous a initiés aux mystères du
domaine. Nous avons fréquenté le même cerveau. Nous avons appris à nous focaliser
lycée mais nous ne nous sommes pas réelle- Edvard et May-Britt sur des questions fondamentales qui ouvraient
ment connus à cette époque, jusqu’à ce que Moser
des perspectives larges. Par l’intermédiaire de
nous nous retrouvions à l’Université d’Oslo, dans les Per Andersen, nous avons été mis en contact avec
années 1980. Richard Morris à l’Université d’Edinbourg et John
Sans plan de carrière préétabli et avec des formations O’Keefe à l’University College de Londres. Richard et
scientifiques initiales différentes, nous nous sommes John furent les deux meilleurs mentors que nous puis-
rencontrés en préparant notre licence de psychologie. La sions espérer. Ils nous ont guidés dans les mystères des
psychologie a littéralement allumé et renforcé notre fas- relations entre comportement et neurosciences. C’est
cination pour le cerveau, et nous avons décidé de pour- ainsi que durant notre thèse de doctorat nous avons ren-
suivre ensemble nos études dans le but d’en apprendre contré Richard à plusieurs reprises dans son laboratoire
davantage sur les bases neuronales des comportements. pour participer à des travaux sur les fonctions de l’hip-
Il n’y avait pas de cursus de neurosciences à l’Université pocampe et sur le rôle de la potentialisation à long terme
d’Oslo, mais Carl-Erik Grenness, qui enseignait les (PLT) dans la consolidation mnésique. Après la soute-
bases du comportement, nous a donné l’occasion d’ap- nance de notre thèse de doctorat fin 1995, nous avons
prendre les bases des relations cerveau-comportement, passé quelques mois à Londres avec John pour tenter de
telles qu’elles se concevaient à cette époque. Il nous a caractériser les cellules de lieu de l’hippocampe. Ce fut
aussi fourni un exemplaire d’un numéro spécial de probablement la période la plus riche de toute notre for-
Scientific American de 1979, traitant du développement mation. Et en 1996 nous étions en voie d’être recrutés à
des neurosciences. Durant notre errance dans ce désert, Trondheim, mais nous ne pouvions pas accepter si seu-
ce fut comme une manne tombée du ciel ! Ce numéro lement l’un de nous deux était recruté. Nous avons donc
spécial nous a transmis son enthousiasme pour ce négocié pour avoir deux postes et l’équipement néces-
domaine de recherche et nous a attirés vers cette disci- saire pour monter un laboratoire. Nous nous sommes
pline en évolution si rapide. Parmi les avancées les plus ainsi littéralement installés dans un abri datant de la
marquantes rapportées dans ce fascicule, on y trouvait période des bombardements, dans les sous-sols de l’uni-
les travaux de Eric Kandel sur les mécanismes synap- versité. Notre expérience en tant que post-doctorant
tiques de la mémoire chez l’aplysie, et ceux d’Hubel et avait plutôt été limitée, mais avec ce qui nous était offert
Wiesel sur le développement du cortex visuel. nous avions largement la possibilité de combiner ce que
Grenness nous a adressés à Torje Sagvolden, l’unique nous avions appris sur le comportement animal avec les
psychologiste de l’université qui travaillait dans le approches de la neurophysiologie, réalisant ainsi notre
domaine des neurosciences à ce moment-là. Nous avons rêve des années 1980. Nous avons commencé à enregis-
travaillé avec lui sur les mécanismes neurochimiques du trer l’activité de neurones de l’hippocampe à l’aide
déficit attentionnel et de l’hyperactivité chez l’enfant d’électrodes implantées dans le cerveau de rats parcou-
pendant deux années, en même temps que nous termi- rant un compartiment carré dans le noir.
nions nos études de psychologie. Nous avons été initiés Nos débuts à Trodheim furent difficiles mais nous
aux bases du comportement animal et à la manière avons apprécié cette période. Il n’y avait pas d’animale-
d’aborder scientifiquement les questions qui lui sont rie, pas de workshop et aucun technicien. Nous devions
relatives. Ces travaux nous ont conduits à développer un tout faire par nous-mêmes, y compris nous occuper de
intérêt croissant pour le comportement animal et c’est nettoyer les cages et de nourrir les animaux, mais aussi
ainsi que nous avons rencontré Per Andersen, le grand faire les études d’histologie et réparer les câbles du poste
neurophysiologiste de Norvège. Nous avons discuté avec d’enregistrement. Partir de zéro nous a aussi permis de
lui pendant des heures, tentant de le persuader de nous concevoir le poste expérimental que nous souhaitions.
24 – Apprentissage et mémoire 871
Alors même que nous débutions ces travaux, nous les neurones du cortex entorhinal, à la manière des cel-
avons reçu une aide de la Commission Européenne pour lules de lieu de l’hippocampe, déchargeaient en rapport
coordonner un consortium de quelques groupes de avec le déplacement des animaux dans un endroit parti-
chercheurs, formant un réseau international, dont l’acti- culier de leur compartiment. Ce qui les différenciait,
vité était centrée sur l’étude de l’activité de l’hippocampe toutefois, est que dans le cas du cortex entorhinal les
et de son implication dans les processus mnésiques. cellules déchargeaient en rapport avec plusieurs empla-
Jusqu’à la fin des années 1990, ceci constituait un terri- cements de la cage. Après de multiples observations,
toire vierge et l’un des tout premiers objectifs était de nous avons alors été convaincus que ces différents empla-
tenter de savoir comment l’activité des cellules de lieu cements dans la cage qui activaient les neurones, for-
était intégrée, en rapport avec la mémoire spatiale. Les maient un pattern caractéristique représenté par une
cellules de lieu de l’hippocampe étaient connues depuis grille hexagonale, un peu à la manière d’un damier
1971 par les travaux de John O’Keefe, traduisant des chinois en marbre. Chaque cellule déchargeait selon ce
neurones dont l’activité ne se déployait que lorsque modèle, avec des patterns caractéristiques pour chacune
l’animal se trouvait dans un emplacement particulier du d’entre elles. Les neurones paraissaient organisés topo-
compartiment. Mais ce qui n’était pas clair était de graphiquement, en ce sens que la taille et la distance
savoir si cette activité neuronale particulière avait pour entre les points de grille augmentait des parties dorsales
origine l’hippocampe lui-même ou bien si elle était liée à vers les parties ventrales. De plus, les cellules mainte-
l’activité d’une autre structure. Pour répondre à cette naient des relations entre elles, y compris lorsque l’envi-
question nous avons procédé à des lésions intrahippo- ronnement de l’animal était modifié, suggérant qu’il
campiques qui avaient pour objectif d’interrompre les existait des caractéristiques quasi universelles dans cette
informations issues de CA1 et de déconnecter ces neu- carte de représentation de l’espace, une carte qui, par
rones de ceux qui les contactaient en amont. À notre bien des aspects, reproduisait au travers de l’activité des
grande surprise, les lésions n’affectaient pas l’activité neurones les détails les plus fins de l’environnement dans
des cellules de lieu de CA1. Puis, il a fallu nous attaquer lequel se déplaçait l’animal. Au travers de cette stricte
à démontrer que le signal spatial pouvait avoir une ori- régularité, les neurones du cortex entorhinal présen-
gine extrinsèque, vraisemblablement dans une région ou taient des caractéristiques permettant d’évaluer les dis-
une autre du cortex entourant l’hippocampe. Le candi- tances, ce qui n’a jamais été trouvé dans l’hippocampe.
dat le plus probable était le cortex entorhinal, une région Ces découvertes ont fait l’objet d’une série de publi-
corticale qui projetait directement sur les neurones de cations qui a débuté en 2004, à peine deux ans après que
CA1. nous ayons publié les travaux sur l’hippocampe. Le
Nous avons alors débuté nos enregistrements dans concept de cellule de grille a été publié en 2005, et depuis
cette région avec l’aide précieuse de Menno Witter, un nous avons poursuivi nos travaux pour mieux caractéri-
neuroanatomiste qui travaillait à cette époque à l’Uni- ser cette organisation, pour mieux comprendre qu’elle
versité Libre d’Amsterdam, et qui devint ensuite membre était l’origine de cette activité et comment elle interagit
de l’Institut Kalvi de Trondheim. À cette époque Witter avec les autres types de neurones aux caractéristiques
avait travaillé sur les relations entre le cortex entorhinal spatiales. Il reste encore beaucoup d’inconnues. Les cel-
et l’hippocampe, et il nous a aidés de façon détermi- lules de grille nous ont permis de mieux comprendre les
nante à mieux positionner nos électrodes dans le cortex. bases neuronales de la représentation de l’espace, mais
À partir de 2002, notre groupe s’est développé et nous elles nous permettent également de nous fournir une
avons aujourd’hui une équipe remarquable d’étudiants sorte de fenêtre sur le cerveau pour mieux appréhender
travaillant à nos côtés dans le laboratoire pour analyser plus généralement comment il fonctionne. Peut-être que
les données. la découverte la plus fascinante que nous avons faite
Parfois, les découvertes scientifiques sont caricaturi- concerne ce pattern hexagonal qui paraît généré par le
sées par un « Euréka ! » où le chercheur comprend sou- cortex lui-même ? De fait, il n’existe pas un tel pattern
dainement le sens de ce qu’il a trouvé. Ce ne fut absolu- dans le monde qui nous entoure, et c’est donc bien le
ment pas le cas en ce qui nous concerne, et nous n’avons cerveau lui-même qui génère ce pattern. Et du fait qu’il
objectivement absolument pas réalisé que ce que nous soit si reproductible et si régulier, il est à même de nous
enregistrions correspondait à ce qui est nommé fournir d’autres éléments sur les capacités intégratrices
aujourd’hui « cellule de grille ». Nous avions noté que du cerveau.
872 4 – Neuroplasticité
(a) (b)
4. NdT : ce processus est à même de faciliter le rappel des souvenirs. À la demande de la
personne qui pose la question susceptible d’aider à trouver la réponse en fournissant un indice,
ou spontanément à partir d’un élément venant à l’esprit qui joue le rôle de cet indice, toute une
série de souvenirs sont susceptibles de surgir. Cette procédure est connue sous le terme de
« rappel indicé » et contribue à rendre compte du fait que lorsque les éléments recherchés sont
en lien les uns avec les autres, les performances dans les tests de rappel sont bien meilleures
que lorsque les éléments sont indépendants.
874 4 – Neuroplasticité
En résumé, l’ensemble des travaux que nous avons présentés sur le rôle de
l’hippocampe montrent d’abord, en rapport avec ce qui avait été avancé sur la
base des travaux sur le patient H.M., que l’hippocampe joue un rôle critique
dans la consolidation mnésique des faits et des événements. Deuxièmement, l’en-
semble des données obtenues sur les rongeurs mais aussi sur l’homme, indique
que l’hippocampe intervient particulièrement en ce qui concerne la mémoire
spatiale. Les enregistrements chez l’homme montrent en plus que les neurones
de l’hippocampe présentent parfois une sélectivité surprenante pour les per-
sonnes ou les objets qui nous sont les plus familiers. Troisièmement enfin, les
neurones de l’hippocampe paraissent former des associations entre les informa-
tions sensorielles, y compris lorsque ces informations ne sont pas relatives à la
mémoire spatiale. L’une des idées qui émerge de l’ensemble de ces travaux est
que l’hippocampe associe en plus les différentes expériences sensorielles entre
elles. L’hippocampe reçoit un large spectre d’informations sensorielles de toutes
sortes, et peut ainsi construire des représentations sous forme de souvenirs nou-
veaux en intégrant toutes ces expériences sensorielles liées à un événement parti-
culier (comme par exemple le générique de l’émission de télévision est associé à
un lieu et à des personnes particulières). L’hippocampe pourrait aussi jouer un
rôle essentiel en associant les nouveaux souvenirs avec ceux déjà en mémoire,
plus anciens. Il a ainsi été proposé que les informations issues des cellules de
grille du cortex entorhinal fourniraient à l’hippocampe des indications sur le
« où », alors que d’autres informations afférentes à la structure permettraient
d’avoir des indications sur « quel » souvenir. Ainsi les nouvelles associations
d’activité neuronales construites, puis mémorisées dans l’hippocampe, pour-
raient effectivement contribuer à établir des souvenirs sur « ce qui est arrivé et
où c’est arrivé ».
Néocortex
Hippocampe
(a)
Néocortex Néocortex
Hippocampe Hippocampe
(b) (c)
de H.M. étaient ceux qui n’avaient pas encore été transférés définitivement au
néocortex ; en d’autres termes, que ces souvenirs étaient encore dépendants de
l’activité de l’hippocampe. Mais des travaux ultérieurs ont examiné plus en détail
ce déficit mnésique chez H.M., et ils ont conclu qu’en fait l’amnésie rétrograde
ne portait pas sur des années mais plutôt sur des décades. Il a été alors imaginé
que la consolidation mnésique constituait un processus très lent, qui pouvait
s’étendre sur des dizaines d’années. Toutefois, certains chercheurs ont objecté
qu’un tel processus n’avait guère de sens si l’on considérait par exemple que
jusqu’à une période relativement récente la durée de vie moyenne d’un individu
n’excédait pas quelques décades. Et comme si cette question n’était en elle-même
pas suffisamment dérangeante, il était rajouté qu’en fait en y regardant de très
près l’amnésie rétrograde de H.M., s’agissant de sa mémoire épisodique, s’éten-
dait sur la période couvrant virtuellement toute sa vie avant l’intervention. Ceci
suggérait alors que l’hippocampe, possiblement de concert avec d’autres struc-
tures du lobe temporal médian, était impliquée dans les souvenirs sur l’ensemble
de la vie d’un individu.
Des alternatives à ce modèle standard ont été proposées, en particulier ce qui
est nommé le « modèle de consolidation mnésique à traces multiples », de Lynn
Nadel, de l’Université d’Arizona, et de Morris Moscovitch, de l’Université de
Toronto. Le modèle à traces multiples a été proposé en vue d’éviter l’implication
sur des décennies d’un système de consolidation nécessaire pour expliquer la
durée de l’amnésie rétrograde dans le modèle standard. L’idée a alors été avan-
cée que si les lésions de l’hippocampe se traduisaient par des altérations de la
mémoire épisodique sur des décennies, c’était peut-être simplement parce que
l’hippocampe était aussi impliqué dans le stockage à long terme de certains sou-
venirs. En d’autres termes, les systèmes de consolidation n’impliquent pas seule-
ment les engrammes localisés dans le néocortex.
En accord avec cette théorie, les engrammes des souvenirs à long terme
se trouvent localisés principalement le néocortex, mais certains d’entre eux
impliquent également l’hippocampe (Fig. 24.25c). Le terme « traces multiples »
réfère à une dimension temporelle graduée, ajoutée au modèle d’amnésie rétro-
grade après lésion hippocampique. L’hypothèse est alors qu’à chaque fois qu’un
souvenir relatif à la mémoire épisodique est retrouvé, ce rappel intervient dans
un contexte différent de l’expérience initiale, et qu’ainsi l’information retrou-
vée se combine avec de nouveaux engrammes d’informations sensorielles plus
récentes, contribuant à la formation de nouveaux souvenirs impliquant à la fois
l’hippocampe et le néocortex. La création de nouvelles traces mnésiques pour
un souvenir donné contribue à ce que celles-ci soient multiples, permettant de
donner des bases encore plus solides à ce souvenir, ainsi encore plus facile à
se rappeler. Du fait que le rappel mnésique nécessite l’intervention de l’hippo-
campe, la lésion de cette structure se traduit par une altération de la mémoire
rétrograde, quelle que soit l’ancienneté du souvenir. Dans le cas d’une lésion
partielle de l’hippocampe, alors les souvenirs préservés sont vraisemblablement
ceux faisant l’objet d’une trace multiple. Ainsi, selon cette théorie, les souvenirs
qui ont fait l’objet de nombreux rappels par rapport à des souvenirs plus récents,
du fait de la formation de traces multiples plus ou moins à chacun des rappels,
sont à même de mieux résister à des lésions hippocampiques, ce qui se traduit
par un gradient temporel de l’amnésie rétrograde. Mais il est nécessaire d’ajouter
que ces théories sont controversées, que ce soit sur l’existence de gradients dans
l’amnésie rétrograde ou, plus généralement, sur la validité des modèles.
Reconsolidation. En 1968, un article par James Misanin, Ralph Miller et
Donald Lewis, de Rutgers University, a créé la surprise en démontrant que les
souvenirs sont susceptibles d’être altérés ou sélectivement supprimés, même
après leur consolidation. Selon le modèle standard, ce résultat était inattendu,
du fait que les souvenirs ne sont sensibles à leur effacement plus ou moins total
qu’avant qu’ils ne fassent l’objet de leur consolidation, par exemple suite à une
thérapie électroconvulsive utilisant des électrochocs. Toujours selon cette théo-
rie, après consolidation les souvenirs sont stables et ancrés dans le cerveau. De
fait, un certain nombre de travaux ont mesuré l’intervalle de temps nécessaire
pour qu’un souvenir donné ne soit plus sensible aux électrochocs, permettant
24 – Apprentissage et mémoire 877
Encadré 24.4 FOCUS
Dans ces conditions, le protocole expérimental (Fig. A) Cette expérience peut être interprétée comme corres-
est résumé ci-dessous : pondant à la création de « faux souvenirs », de telle
– jour 1 : l’animal est introduit dans un premier com- manière que l’animal est effrayé lorsqu’il est introduit
partiment (A) dans les conditions de l’activation de la dans la cage A alors que c’est seulement dans la cage B
population de neurones exprimant la ChR-2, de telle qu’il a reçu le choc électrique sous les pattes. L’absence
manière que ces neurones soient activés par les informa- de comportement de frayeur lorsqu’il est introduit dans
tions sensorielles relatives à cet environnement. L’animal la cage C indique que le faux souvenir est bien spéci-
ne reçoit pas de choc électrique sous ses pattes et ne pré- fique de la cage A, vraisemblablement du fait que les
sente donc pas de comportement d’immobilisation ; neurones encodant pour l’information relative à la
– jour 2 : l’animal est introduit dans un autre com- cage A étaient réactivés par la lumière lorsque l’animal
partiment (B), présentant un environnement visuel et était placé dans la cage B. Vous avez probablement déjà
olfactif différent de celui du compartiment A. Dans entendu parler d’individus accusés de crimes du fait de
cette seconde condition, les neurones exprimant ChR-2 témoins oculaires convaincants et qui, des années plus
ne sont pas actifs et donc l’empreinte sensorielle de tard, sont libérés parce qu’un test ADN a prouvé leur
l’hippocampe n’implique pas cette population de neu- innocence. De toute évidence le témoignage de celui qui
rones particulière. À ce moment, les neurones exprimant avait cru voir était faux. Cela est-il susceptible d’interve-
ChR-2 font l’objet d’une activation au travers de leur nir du fait que souvent les témoins oculaires sont inter-
illumination par la fibre optique. Ces neurones avaient rogés et que leur témoignage interfère avec ce qu’ils
été activés par les conditions environnementales du savent du crime, et leurs souvenirs sont ainsi « reconso-
compartiment A, le premier jour de l’expérience. Ils lidés » ? Nous ne le savons pas avec certitude mais les
sont donc à nouveau activables du fait des conditions travaux en cours visent à préciser les conditions dans
différentes du compartiment B. A ce moment-là, le choc lesquelles les souvenirs sont reconsolidés, ce qui est
électrique est délivré sous les pattes alors que l’animal d’une importance majeure pour le système judiciaire et
est bien dans le compartiment B. L’hypothèse est que les pour notre propre capacité à croire en nos souvenirs.
souvenirs réactivés du passage dans le compartiment A Si nous sommes capables de modifier nos souvenirs
soient reconsolidés le second jour, de telle manière que après qu’ils aient été consolidés, peut-être alors qu’un
ces souvenirs soient associés au choc électrique doulou- processus est susceptible d’être imaginé pour traiter les
reux ; personnes dont les souvenirs les hantent. Nous avons
– c’est le moment de vérité ! L’animal est à nouveau tous été soumis à des moments difficiles, que nous sou-
introduit dans le compartiment A et, comme cela était haiterions oublier. Mais certaines personnes ont des
prévisible, il s’immobilise, même s’il n’a jamais été sou- souvenirs tellement perturbants qu’ils interfèrent de
mis aux chocs électriques dans ce compartiment A. Bien façon permanente dans leur vie quotidienne. C’est
entendu, lorsque l’animal est placé dans un comparti- notamment le cas de personnes souffrant d’un état de
ment « neutre » (C), il ne s’immobilise pas et ne présente stress post-traumatique pour lesquelles un événement
pas de réaction de frayeur. traumatisant a des conséquences dramatiques sur leur
Figure A
880 4 – Neuroplasticité
comportement, leur humeur ou encore leurs relations répéter ce protocole basé sur l’administration du son
sociales, y compris en situation non stressante, cela va de sans y associer le choc électrique, de la même manière
soi. L’un des exemples le plus commun concerne les qu’il est demandé aux patients souffrant de stress
vétérans de différentes guerres, soumis à des situations post-traumatique de raconter l’origine de leur trauma-
difficiles et stressés, ils présentent de véritables peurs tisme mais dans un contexte n’induisant pas de risque
dans leur vie de tous les jours alors que la guerre est finie pour eux. Cette thérapie dite « d’extinction » est efficace
depuis longtemps. Y aurait-il alors un moyen de suppri- chez la souris pour réduire et même supprimer totale-
mer ou tout au moins d’atténuer ces souvenirs stres- ment la réponse de stress lors de la survenue du son.
sants ? Les derniers travaux réalisés en ce domaine sug- Toutefois, celle-ci n’est efficace que si elle débute le jour
gèrent que cela pourrait être possible. juste après l’exposition au choc électrique traumatisant
Parmi ces approches, l’une d’entre elles tire avantage et pas 30 jours après celui-ci. En se référant alors aux
du fait que l’administration d’un antagoniste des récep- traitements du syndrome de stress post-traumatique
teurs bêta-adrénergiques, le propranolol, juste après un chez l’homme, qui sont mis en œuvre tardivement, Tsai
événement traumatique réduit les réponses physiolo- et ses collègues ont entrepris de débuter un traitement
giques au stress, par exemple la tachycardie. Il est connu chez la souris 1 mois après le choc électrique, à un
que le propranolol est à même de réduire les effets des moment où l’extinction seule est inefficace pour amélio-
hormones qui sont le vecteur de la réponse au stress. rer la situation. Ce traitement est basé sur l’administra-
Malheureusement, il est rarement possible d’agir immé- tion d’un agent pharmacologique qui agit en inhibant
diatement après l’exposition au stress pour s’opposer l’enzyme histone déacétylase 2 (HDAC2), en combinai-
ainsi à la réponse de l’organisme. L’une des questions son avec l’administration du son annonciateur du choc
majeures s’agissant du traitement du syndrome de stress électrique traumatisant. L’enzyme HDAC2 est considé-
post-traumatique est de savoir s’il serait possible d’utili- rée comme inhibant des gènes intervenant dans la plas-
ser la stratégie de reconsolidation des souvenirs pour ticité neuronale (voir chapitre 25). Elle est inactive le
atténuer leur impact traumatique. Dans l’une des études jour qui suit le choc électrique, mais elle est active 1 mois
consacrées à ce thème, il était demandé à des personnes après. En inhibant cette enzyme, les gènes intervenant
souffrant de stress post-traumatique de façon chronique dans la plasticité neuronale sont ainsi actifs à ce moment
de décrire la situation à l’origine de ce traumatisme. À ce très tardif par rapport à l’événement traumatisant.
moment-là, du propranolol (ou un placébo) leur était Cette activation génique associée à cette réactivation des
administré. Une semaine après, lorsqu’il leur était à souvenirs des événements traumatisants a alors pour
nouveau demandé de décrire cette situation trauma- effet de reconsolider le souvenir de cet événement, mais
tique, les réponses émotionnelles accompagnant leur sous une forme générant moins de stress. Et après seule-
récit étaient moindres chez les personnes ayant été trai- ment une dose de ce produit, les souris ne présentent
tées au propranolol par rapport à celles qui avaient reçu plus le comportement de peur associé au son. Bien
le placébo. Peut-être que l’administration du bêtablo- entendu, nous ne savons pas si un tel traitement est sus-
quant au moment de la réactivation des souvenirs trau- ceptible d’être actif chez l’homme sur un état de stress
matisants a contribué à en atténuer le retentissement post-traumatique, mais ces travaux constituent un réel
émotionnel, en rapport avec leur possible reconsolida- espoir que la reconsolidation des souvenirs puisse être
tion ? Il est notable que dans ces conditions le proprano- utilisée pour atténuer les effets de ces traumatismes.
lol a atténué la réponse émotionnelle de ces souvenirs
mais en aucun cas la mémoire déclarative elle-même.
Pour en savoir plus
Nous ne savons pas si ce type de protocole expéri-
Brunet A, Orr, SP, Tremblay J, Robertson K, Nader K,
mental chez la souris reproduit un état de stress
Pitman RK. Effect of post-retrieval propranolol on
post-traumatique mais, dans une étude récente, Tsai et
psychophysiologic responding during subsequent
ses collègues au MIT ont tenté de réduire le souvenir
script-driven traumatic imagery in post-traumatic
désagréable de cette souris, en agissant sur les méca-
stress disorder. Journal of Psychiatric Research
nismes de la plasticité cérébrale plutôt que de s’en tenir
2008 ; 42 : 503-6.
à diminuer la réponse au stress comme avec le proprano-
lol. Comme dans les expériences précédentes, les ani- Graff J, Joseph NF, Horn ME, Samiei A, Meng J, Seo J
maux étaient soumis à un son de forte intensité associé et al. Epigenetic priming of memory updating during
à un choc électrique sous les pattes. Dès lors, la simple reconsolidation to attenuate remote fear memories.
survenue du son était suivie d’un stress se traduisant par Cell 2014 ; 156 : 261-76.
une immobilisation, y compris lorsque le choc électrique Ramirez S, Liu X, Lin P, Suh J, Pignatelli M, Redondo
n’intervenait pas. La méthode usuelle pour tenter de RL et al. Creating a false memory in the hippocam-
réduire cette réponse comportementale de peur est de pus. Science 2013 ; 341 : 387-91.
24 – Apprentissage et mémoire 881
Mémoire procédurale
Jusque-là, nous nous sommes intéressés aux mécanismes neuronaux sous-ten-
dant la formation et la rétention de la mémoire déclarative, en grande partie
parce que l’information déclarative est ce que nous assimilons généralement à la
mémoire. Par ailleurs, les bases neuronales de la mémoire non déclarative sont
très complexes, notamment parce que différents types de mémoire non déclara-
tive pourraient impliquer des parties différentes du système nerveux, comme cela
est illustré sur la figure 24.1. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons mainte-
nant à l’un des aspects de ces mécanismes suggérant l’implication du striatum
dans l’apprentissage et la mémorisation des procédures et habilités motrices.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 14, les ganglions de la base repré-
sentent des régions importantes dans la régulation des mouvements volontaires.
Deux des structures les plus importantes de ces ganglions de la base sont repré-
sentées par le noyau caudé et le putamen qui, ensemble, forment le striatum. Le
striatum est situé à un point stratégique des « boucles motrices ». Il reçoit des
informations des aires frontales et pariétales du cortex cérébral, et il influence
indirectement les noyaux thalamiques et les aires motrices corticales impliquées
dans l’exécution des mouvements. Un certain nombre de données, obtenues tant
chez les rongeurs que maintenant chez l’homme, suggère que le striatum repré-
sente une structure critique en ce qui concerne la mémoire procédurale impli-
quée dans la formation des habilités motrices.
(a)
Objectif
Changement
Départ Son de direction Récompense
100 100 100 100
Pourcentage de neurones
80 80 80 80
qui répondent
60 60 60 60
40 40 40 40
20 20 20 20
0 0 0 0
1 3 5 7 9 1 3 5 7 9 1 3 5 7 9 1 3 5 7 9
(b) Différents stades de l’apprentissage
Lorsque les rats effectuent cette tâche pour la première fois, les neurones
répondent principalement en rapport avec le moment où ils tournent dans le
bras récompensé. Cependant, au fur et à mesure de l’apprentissage, le pourcen-
tage de neurones qui répondent en rapport avec l’orientation dans la branche
du labyrinthe diminue fortement. Puis, avec l’optimisation des performances, de
plus en plus de neurones répondent soit avec le stade de départ, soit avec l’accès
à la récompense. Par ailleurs, un nombre plus important de neurones répond
avec plusieurs stades de la tâche à effectuer. L’une des interprétations possibles
de la construction de ce pattern de décharge organisé est que ces changements
reflètent la formation d’une procédure dans laquelle le striatum intervient pour
coder la séquence des événements initiés dans le labyrinthe en T. Pour le moment,
ceci n’est qu’une hypothèse mais ces données sont intéressantes, en rapport avec
la connectivité du striatum susceptible d’intégrer des informations sensorielles
très élaborées et d’être à l’origine de comportements moteurs adaptés.
possibles. Ils devaient ensuite deviner si cette combinaison avait été arbitraire-
ment associée avec la prédiction d’un temps ensoleillé ou au contraire pluvieux
(Fig. 24.27a). Pour chacun des patients, l’expérimentateur assignait différentes
probabilités au fait que les combinaisons prédisaient un temps ensoleillé ou plu-
vieux. En informant les patients à chaque essai sur le fait qu’ils avaient une
réponse correcte ou incorrecte par rapport à la prévision du soleil ou de la pluie,
les patients formaient progressivement une association entre telle ou telle combi-
naison et le temps qu’il va faire. Bien entendu, l’idée de ce test est la construction
par apprentissage d’une association stimulus-réponse. Dans le second type de
tâche, le patient utilisait la mémoire déclarative dans un protocole de réponses
à choix multiples entre des combinaisons de cartes et les réponses apparaissant
sur l’écran de l’ordinateur.
Les patients parkinsoniens ont des difficultés considérables à apprendre la
relation entre les combinaisons de cartes et la prédiction du temps qu’il va faire
(Fig. 24.27b). En revanche, ils présentent des performances très correctes dans le
test de mémoire déclarative (Fig. 24.27c). À l’inverse, les patients amnésiques réa-
lisent parfaitement la tâche d’apprentissage de la relation entre les combinaisons
(a)
75 90
70 80
de réponses correctes
de réponses correctes
65 70
Pourcentage
Pourcentage
60 60
55 50
50 40
45 30
10 20 30 40 50
(b) Test (c)
Sujets témoins
Patients amnésiques
Patients parkinsoniens
de cartes et le temps qu’il va faire, mais ils sont bien plus mauvais que les patients
parkinsoniens ou même que des sujets normaux dans le test relatif au question-
naire à choix multiples. Ces données suggèrent que, chez l’homme comme chez
l’animal, le striatum joue un rôle dans les processus liés à la mémoire procédu-
rale, et que ceux-ci sont indépendants des systèmes neuronaux impliqués dans
le traitement de la mémoire déclarative passant par le lobe temporal médian.
Conclusion
Bien loin d’être comme un ordinateur avec des connexions immuables, le
cerveau humain présente la capacité de se modifier constamment en rapport
avec l’expérience. Nous utilisons notre mémoire de travail pour maintenir très
temporairement une information utile, et l’ensemble des informations senso-
rielles qui nous arrivent à tout instant sont intégrées et assemblées sous forme
d’engrammes permanents. Lorsque vous étiez enfant, vous avez appris à faire
du vélo, et cette séquence de mouvements vous permettant de vous déplacer
ainsi est ancrée définitivement dans votre inconscient. Maintenant, vous avez
appris les bases de l’organisation anatomique de votre cerveau et vous êtes
capables d’épater votre Tante Tilly en lui décrivant précisément où se trouvent
votre tronc cérébral et votre bulbe rachidien. Il n’est pas possible à cette heure
de dire avec précision quels sont les neurones et les synapses impliqués dans
ces procédures de mémorisation non déclarative et déclarative, mais les travaux
les plus récents nous ouvrent des perspectives en ce qui concerne une meilleure
compréhension de ces mécanismes. Nous savons maintenant qu’apprentissage
et mémoire impliquent des modifications d’activité de nombreuses structures
largement réparties dans le cerveau. Les structures du lobe temporal médian et
du diencéphale sont essentielles en ce qui concerne la consolidation mnésique, et
les engrammes sont stockés dans le néocortex au travers d’interactions étroites
avec l’hippocampe et d’autres structures encore. Mais tenter de comprendre le
rôle exact de chacune de ces structures dans le processus d’apprentissage et de
mémorisation reste un challenge pour les chercheurs.
Nous avons vu aussi que les souvenirs peuvent être classés selon la durée, le
type d’information considéré, et les structures cérébrales impliquées. Les pre-
miers travaux visaient à étudier l’impact de diverses lésions cérébrales sur la
mémoire en analysant l’amnésie qui en résultait. Le seul cas de H.M. nous a
apporté un nombre considérable d’informations sur le fonctionnement de la
mémoire humaine. Le fait qu’il soit possible de distinguer différents types de
mémoire et le fait que certaines de ces catégories puissent être affectées par des
lésions sans que les autres soient impactées, indique clairement que les systèmes
de mémorisation les sous-tendant sont de nature différente. Les travaux plus
récents utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle chez l’homme et les méthodes
de la génétique fonctionnelle chez l’animal, permettent d’aller plus avant dans la
connaissance de ces mécanismes à la base du stockage des souvenirs en rapport
avec la dimension temporelle et les différents types de mémoire. Et ainsi, il n’est
pas interdit de penser qu’à termes nous serons capables de remédier aux diffé-
rentes formes d’amnésie ou de souvenirs associés à des stress post-traumatiques.
Dans ce chapitre, nous avons vu comment pouvaient être formés et stockés
les souvenirs, et comment les différentes structures cérébrales étaient à même d’y
contribuer. Mais alors, quels sont les mécanismes physiologiques de la forma-
tion de ces souvenirs ? Par exemple, lorsque nous essayons de nous souvenir d’un
numéro de téléphone, une simple interruption du processus se traduit par son
oubli, ce qui suggère que les souvenirs sont initialement particulièrement labiles.
En revanche, les souvenirs relatifs à la mémoire à long terme paraissent faire l’ob-
jet d’un stockage beaucoup plus robuste, susceptible de résister non seulement à
des interruptions, à l’anesthésie ou encore plus simplement aux hauts et aux bas
de la vie de tous les jours. Du fait de cette résistance, il est ainsi considéré que les
souvenirs sont vraisemblablement stockés sur la base de changements structuraux
de l’organisation cérébrale. C’est ce que nous allons aborder dans le chapitre 25.
886 4 – Neuroplasticité
QUESTIONS DE RÉVISION
CHAPITRE 25 Mécanismes
moléculaires
de l’apprentissage et
de la mémorisation
ACQUISITION DES SOUVENIRS
Corrélats cellulaires de la formation de la trace mnésique................... 891
Encadré 25.1 Les voies de la découverte Qu’est-ce qui a bien pu
m’attirer dans l’étude de
l’apprentissage et
de la mémoire chez l’aplysie ?
par Eric Kandel
Renforcement de l’activité synaptique :
potentialisation à long terme (PLT).................................................... 894
Encadré 25.2 Bases théoriques Plasticité synaptique :
tout est dans le « timing »
Affaiblissement de l’activité synaptique :
dépression à long terme (DLT)........................................................... 903
Encadré 25.3 Les voies de la découverte Souvenirs de mémoires,
par Leon Cooper
Encadré 25.4 Bases théoriques Le vaste monde de la dépression
à long terme
PLT, DLT et mémoire.......................................................................... 910
Encadré 25.5 Focus Mémoires de mutants
Homéostasie synaptique..................................................................... 913
CONSOLIDATION MNÉSIQUE
Activité constitutive des protéines kinases........................................... 916
Synthèse protéique et consolidation mnésique.................................... 918
CONCLUSION
INTRODUCTION
U
ne des premières étapes pour comprendre la neurobiologie de la mémoire
consiste à savoir où sont stockés les différents types de mémoire. Le
chapitre 24 apporte un certain nombre d’éléments issus de la recherche,
qui vont dans le sens d’un début de réponse à cette question fondamentale.
Cependant, une question toute aussi importante nous invite à comprendre com-
ment cette information est stockée dans le cerveau ? Comme l’a proposé Hebb,
les souvenirs peuvent résulter de modifications synaptiques subtiles, susceptibles
de concerner une grande partie du cerveau. Cela permet dès lors de recentrer la
recherche concernant les bases physiques de la mémoire sur les modifications
synaptiques, mais pose aussi un dilemme : les modifications synaptiques à la
base de la mémoire sont peut-être trop faibles et trop disséminées dans le cer-
veau pour qu’elles nous soient accessibles et que nous puissions ainsi les étudier
expérimentalement.
Ces considérations ont incité certains chercheurs, sous la houlette d’Eric
Kandel de Columbia University à New York, à observer le système nerveux
rudimentaire des invertébrés pour approcher les mécanismes moléculaires de la
mémoire. Au cours de l’histoire, les neurosciences ont fait appel à toute une
ménagerie d’invertébrés pour étudier des mécanismes du fonctionnement du
système nerveux. Souvenez-vous du calmar et de son axone géant, qui ont per-
mis d’élucider la neurophysiologie cellulaire (chapitres 4 et 5). D’autres inverté-
brés, comme le homard, l’écrevisse, le cafard, la mouche, l’abeille, la sangsue ou
encore le ver nématode, ont également été utilisés. La raison en est simple : ces
invertébrés présentent des avantages incommensurables par rapport aux verté-
brés supérieurs, en ce sens que, sur le plan expérimental, ils ont en général peu
de neurones et que ceux-ci sont plutôt de belle taille, qu’ils ont des connexions
en nombre réduit qui sont là encore en général plutôt bien connues, et qu’ils
présentent aussi l’avantage de pouvoir réaliser relativement facilement des mani-
pulations génétiques.
Les invertébrés se prêtent ainsi particulièrement à l’analyse des bases du com-
portement, même si celui-ci présente chez ces espèces un répertoire quelque peu
limité. Mais certaines d’entre elles présentent des formes simples d’apprentissage,
que nous avons introduites dans le chapitre précédent. Dans ce contexte, une
espèce en particulier a été très utilisée pour étudier les bases de l’apprentissage
et de la mémorisation, l’Aplysia californica. Eric Kandel a obtenu en l’an 2000 le
prix Nobel de physiologie et médecine pour sa contribution à l’élucidation des
mécanismes de la mémorisation chez cet animal. Et ces travaux ont clairement
démontré que Hebb avait eu raison : les souvenirs pourraient avoir comme sup-
port des modifications de l’activité synaptique. Ces travaux ont ainsi conduit à
l’identification de modifications intervenant à l’échelle moléculaire, traduisant
une certaine plasticité synaptique. Bien que des modifications ne faisant pas
intervenir l’activité synaptique aient également été trouvées comme étant sus-
ceptibles de recouvrir des formes de mémoire, la recherche sur les invertébrés ne
laisse au total que peu de doutes sur le fait que cette activité synaptique est bien
à la base du stockage de l’information mémorisée.
Les dernières décades ont vu des progrès considérables sur les mécanismes
de la mémorisation, en particulier à partir de l’étude d’activités neuronales dans
des régions du cerveau des mammifères associées à différents types de mémoires.
…
890 4 – Neuroplasticité
Ces données s’ajoutent aux analyses plus théoriques de l’activité des réseaux
nerveux, qui ont contribué à mieux comprendre comment l’information est stoc-
kée, et les nouvelles technologies quant à elles ont aidé à approcher ces méca-
nismes. Parmi ces approches, les neurostimulations susceptibles de provoquer
des changements durables et mesurables de l’activité synaptique ont une place
déterminante. Dès lors, la question est posée de savoir si des mécanismes simi-
laires interviennent dans la formation naturelle des souvenirs ? Et ainsi l’une des
conclusions de ces travaux est de pouvoir dire que les mécanismes de la plasticité
synaptique-activité dépendante et ceux de la formation des souvenirs dans le
cerveau adulte ont beaucoup d’éléments en commun avec les mécanismes inter-
venant pendant le développement cérébral, pour assurer une bonne organisation
des circuits neuronaux.
Un sentiment d’optimisme apparaît alors chez les neurobiologistes, que
l’espoir existe de trouver bientôt certains éléments du support physique de
l’apprentissage et de la mémoire. Ces investigations reposent sur une combinai-
son d’approches appartenant à des disciplines différentes, de la psychologie à la
biologie moléculaire. Ce chapitre rapporte certaines de ces découvertes.
Phase Consolidation
d’acquisition mnésique
Expérience Mémoire Mémoire
sensorielle à court terme à long terme
l’amour de votre vie ? Dans ce cas, il n’est pas surprenant que chaque détail de
cette soirée soit ancré en vous dans votre mémoire à long terme. Cet exemple
illustre bien le fait que chaque événement ou chaque fait qui émaillent votre vie
n’a pas la même valeur que d’autres. Et c’est ainsi que certains de ces événements
sont conservés et d’autres pas.
Notre discussion sur les mécanismes de la mémorisation va ainsi s’organiser
en prenant d’abord en compte ceux responsables de l’acquisition de la mémoire
à court terme ; puis nous évoquerons les mécanismes à la base de la transforma-
tion de changements de caractère transitoire en des traces permanentes. Nous
verrons ainsi que l’acquisition implique des modifications de l’activité synap-
tique entre neurones, et que la consolidation mnésique nécessite, en plus, des
changements de l’expression génique et de la synthèse des protéines.
région comporte l’aire IT (Fig. 25.3a) que nous avons découverte dans le cha-
pitre 10 comme contribuant au système visuel ventral, une série d’aires impli-
quées dans la perception visuelle. Après lésion du cortex inférotemporal, les
singes ne sont plus capables de reconnaître des objets familiers, en dépit du fait
que les capacités visuelles de base soient conservées. Dans ce contexte, l’aire IT
apparaît comme étant à la fois une aire corticale du système visuel, mais aussi
comme une aire impliquée dans le maintien des souvenirs. Cette conclusion est
renforcée par ce qui est nommé la prosopagnosie, un trouble de la reconnaissance
des visages (y compris celui du patient lui-même), qui peut résulter d’une atteinte
du cortex inférotemporal chez l’homme.
Comme la plupart des neurones du cortex, ceux de l’aire IT présentent typi-
quement une sélectivité de stimulus, c’est-à-dire qu’ils répondent par une salve
de potentiels d’action à la présentation de certains stimuli mais pas de tous.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 10, les neurones d’IT ont la particularité
de répondre à des stimuli très complexes, qui peuvent inclure la présentation de
visages familiers. Lors d’une expérience pendant laquelle est enregistrée l’activité
d’un tel neurone d’IT chez un singe vigile libre de ses mouvements, ce neurone
répond sélectivement lorsque lui est présentée une série d’images représentant
des congénères de sa colonie ou ses expérimentateurs. En fait, le neurone ne
répond pas à la présentation de toutes les images de la série mais seulement
à quelques-unes d’entre elles : le neurone montre une sélectivité vis-à-vis de
certains visages (Fig. 25.3b).
Maintenant, comment se comporte un tel neurone de l’aire IT susceptible de
reconnaissance d’un visage lorsque de nouvelles images de visages lui deviennent
familières ? La première présentation des images ne déclenche pas de réponse
particulière. Le neurone décharge de façon légèrement augmentée à la présen-
tation de toutes les images, sans sélectivité de stimulus (Fig. 25.3c ; présenta-
tion 1). Cependant, au fur et à mesure de la répétition de la présentation de
ces images, le comportement du neurone change, et la sélectivité apparaît : la
réponse augmente pour certaines images et diminue pour d’autres. En poursui-
vant l’exposition de l’animal à la présentation de ces visages, la réponse du neu-
rone devient plus stable et encore plus sélective (Fig. 25.3c ; présentations 4 et 5).
60
50 Visage 1
Potentiel d’action/s
100 40
Potentiel d’action/s
80 30
Visage 2
60
20
40 Visage 3
20 10 Visage 4
Cortex inférotemporal
(aire IT) 0 0
1 400 1 400 1 2 3 4 5
(a) (b) Temps (ms) (c) Nombre de présentations
Il n’y avait vraiment rien dans ma jeu- Une fois dans le laboratoire de
nesse qui puisse indiquer que la biologie du Grundfest, j’ai été étonné de découvrir que
cerveau deviendrait la grande passion de la science au quotidien, dans le laboratoire,
ma vie professionnelle. En fait, pour tout était complètement différente de celle que
dire, rien ne me prédisposait à une carrière l’on pouvait découvrir au travers des livres
académique ! Plutôt, mes jeunes années et même des cours à l’université.
étaient centrées sur les événements trauma- Sachant mon intérêt pour le comporte-
tisants qui sont intervenus là où je suis né, à ment humain, Grundfest me suggéra de
Vienne, en Autriche. développer une préparation permettant
Je suis né en 1929. En mars 1938, j’avais des enregistrements électrophysiologiques
8 ans lorsque Hitler a envahi l’Autriche et Eric Kandel à partir de l’axone géant d’écrevisse, qui
fut accueilli avec un énorme enthousiasme contrôle les mouvements de la queue de
dans Vienne. En quelques heures cependant, cet enthou- l’animal et lui permet ainsi d’échapper aux prédateurs.
siasme se transforma en une violence antisémite indes- J’ai ainsi appris à préparer des microélectrodes de verre
criptible. Après une année d’humiliation et de peur, mon permettant des enregistrements intra-axoniques uni-
frère ainé Ludwig et moi-même purent quitter Vienne, taires, et comment obtenir des enregistrements électro-
en avril 1939. Nous avons traversé l’Atlantique par physiologiques et les interpréter. C’est au cours de ces
nous-mêmes pour aller rejoindre nos grands-parents à expériences, qui n’étaient pour moi que des travaux pra-
New York, et nos parents nous ont rejoints 6 mois plus tiques puisque tout ce que j’étais amené à observer était
tard. déjà connu tant scientifiquement que conceptuellement,
Le spectacle des Nazis à Vienne m’a confronté pour que j’ai commencé à ressentir cette excitation très parti-
la première fois de ma vie au côté noir du compor culière, liée à cette capacité d’appréhender des phéno-
tement humain. Comment est-il possible de comprendre mènes aussi mystérieux par vous-même. Imaginez que
qu’autant de personnes deviennent soudainement chaque fois que vous pénétrez une cellule, vous entendez
aussi vicieuses ? Comment des personnes aussi cultivées, littéralement le son du potentiel d’action ! Je n’aime pas
qui écoutent Haydn, Mozart et Beethoven un jour, du tout le bruit des armes mais je suis devenu addict de
deviennent le lendemain les brutes de la Nuit de Crystal ? celui des décharges neuronales. L’idée que j’ai réussi à
Ces questions me hantaient et me fascinaient encore empaler un neurone et que je sois en train « d’écouter »
lorsque j’étais à Harvard pour suivre une formation en fonctionner le cerveau d’une écrevisse me semblait le
histoire et littérature contemporaine. Mon mémoire comble d’une intimité merveilleuse. Je devenais alors un
de fin d’études était ainsi consacré à l’attitude de vrai psychanalyste : j’étais à l’écoute des pensées pro-
trois grands écrivains allemands envers le National- fondes de mon écrevisse !
Socialisme, et j’ai ensuite entrepris des études sur l’his- Si je n’avais pas été confronté à l’excitation de cette
toire moderne des intellectuels européens. Mais, à l’issue recherche pour découvrir des choses nouvelles, il est
de ces premières années j’ai pensé que pour tenter de vraisemblable que j’aurais eu une autre carrière et, je
comprendre comment le cerveau est à même de générer présume, une vie très différente.
des comportements pour faire le bien et le mal, il valait J’ai commencé à réaliser que ce qui faisait que la
mieux avoir une formation de psychanalyste, plutôt que science était vraiment un monde à part n’était pas que
celle d’un historien. de pouvoir faire des expériences par soi-même, mais
C’est en 1952 que j’ai intégré la faculté de médecine, aussi de pouvoir le faire dans un contexte social si parti-
avec l’idée de devenir psychanalyste. À ce moment-là, culier où chercheur et étudiant sont à égalité, et où les
j’adorais la formation clinique mais je n’avais que peu idées sont débattues et critiquées de façon franche et
d’attrait pour les sciences fondamentales. Cependant, même parfois brutale.
lors de ma dernière année d’études, il m’a semblé que Après 6 mois dans le laboratoire, Grundfest m’a pro-
même un psychanalyste de New York devait savoir posé un emploi de chercheur au NIH. J’arrivai au NIH
quelques petites choses sur le cerveau humain, et c’est en juillet 1957, au moment où Brenda Milner venait de
ainsi que je me suis inscrit au cours du neurophysiolo- publier ses travaux, parmi les plus reconnus, sur la loca-
giste Harry Grundfest à Columbia University. lisation hippocampique des différentes catégories de
896 4 – Neuroplasticité
souvenirs pour les personnes, les choses et les lieux. J’ai J’avais alors besoin de développer un modèle expéri-
alors réalisé que le problème de la mémorisation et du mental où une simple réaction réflexe contrôlée par un
stockage des souvenirs, qui était jusque-là le domaine faible nombre de neurones accessible à l’enregistrement,
réservé des psychologues et des psychanalystes, pouvait serait susceptible d’être modifiée sous l’effet d’une forme
être abordé par les méthodes de la biologie cellulaire. La simple d’apprentissage comme un conditionnement
question se posait par exemple de savoir quels types de associatif. Ce n’est qu’alors, après avoir défini un tel
mécanismes cellulaires pouvaient sous-tendre le stoc- modèle, que je pourrais aborder la problématique de la
kage des souvenirs ? À cette époque, rien n’était connu mémorisation à l’échelle cellulaire et moléculaire.
de l’hippocampe et de son organisation. J’ai alors pensé Après avoir envisagé différentes possibilités à partir
que, possiblement, les cellules contribuant à un tel stoc- d’écrevisses, de homards, de vers ou encore de mouches,
kage des souvenirs pourraient présenter des propriétés j’ai choisi de travailler sur la limace de mer, Aplysia cali-
particulières, qui pourraient nous mettre sur la piste de fornica, qui est pourvue de neurones de gros diamètre,
leur engramme. qu’il est possible d’enregistrer. L’un des rares chercheurs
Avec Alden Spencer, un jeune collègue du NIH, j’ai au monde à travailler à ce moment-là sur l’aplysie était
entrepris d’étudier les propriétés des neurones de l’hip- Ladislav Tauc, et c’est ainsi que j’ai passé les années
pocampe. Nous avons été les premiers au monde à enre- 1962-1963 à Paris, à travailler avec lui. Et depuis je n’ai
gistrer l’activité de ces neurones. Nos données mon- travaillé que sur ce modèle.
traient que, de façon surprenante, ces cellules qui Dans les années 1960, nous ne possédions pas de
contribuent à encoder nos souvenirs se comportaient cadre de référence sur les bases biologiques de la mémo-
tout à fait comme les autres neurones du cerveau. risation et de la rétention des souvenirs. Deux théories
Cependant, je réalise maintenant que ces travaux ne s’affrontaient alors. Pour les tenants de la première théo-
nous ont pas appris grand-chose sur la mémoire : nous rie, les souvenirs étaient liés à l’activité de champs bio
avons bien escaladé l’Everest mais nous n’avons rien vu ! électriques générés par l’activité de populations de neu-
J’ai alors réalisé que l’exploration de la mémoire ne rones. Pour les autres, l’approche relevait des concepts
pouvait se limiter à l’étude des neurones et de leurs pro- connexionnistes dérivés des idées de Santiago Ramón y
priétés en soi, mais qu’il était nécessaire d’étudier leur Cajal, selon lesquels la mémoire implique des change-
activité en rapport avec un apprentissage conduisant à la ments structuraux de l’organisation anatomique des
formation d’une trace mnésique. Mais ceci apparaissait réseaux nerveux, ainsi que de l’efficacité synaptique
trop difficile à réaliser dans une structure aussi com- entre les éléments du réseau (Cajal, 1894). En 1948,
plexe que l’hippocampe des mammifères : dans les Jerzy Konorski a repris ce concept et l’a nommé « plas-
années 1950 nous ne savions même pas quelle afférence ticité synaptique » (Konorski, 1948).
sensorielle influençait l’activité de l’hippocampe. Alden Dans mes études sur l’aplysie, j’utilisai le réflexe de
et moi avons tenté de modifier les afférences visuelles, retrait de l’ouïe déclenché par une stimulation tactile du
tactiles ou encore auditives, sans succès. Je devins alors siphon de l’animal (Fig. A). Ce réflexe fait l’objet d’une
convaincu que pour utiliser le pouvoir de la biologie cel- sensibilisation (une forme simple d’apprentissage) lors-
lulaire pour résoudre les questions fondamentales rela- qu’une stimulation douloureuse est appliquée sur la
tives à l’apprentissage et à la mémoire, il fallait adopter queue de l’animal. J’ai alors montré que la mémoire à
une démarche résolument réductionniste, de façon très court terme de cette expérience douloureuse résulte d’un
différente de tout ce qui avait été fait jusque-là. Mon renforcement transitoire de l’activité de connexions
idée a été de tenter de décrypter les bases de la forme de synaptiques préexistantes, en rapport avec la modifica-
mémoire la plus simple possible, et d’utiliser pour cela le tion de protéines elles-mêmes préexistantes, alors que la
plus simple des modèles expérimentaux disponibles. mémorisation à long terme résultait de renforcements
Bien qu’une telle approche réductionniste soit conce- persistants des connexions synaptiques impliquant des
vable dans le champ de la biologie traditionnelle, la plu- changements d’expression génique, la synthèse de nou-
part des investigateurs pensait que cela n’était pas pos- velles protéines et des modifications structurales résul-
sible pour aborder des fonctions aussi complexes que les tant en la formation de connexions synaptiques nou-
processus mentaux liés à l’apprentissage et à la mémoire. velles. J’ai aussi découvert que les renforcements d’activité
Mais en ce qui me concernait, il me semblait que ces de caractère transitoire étaient liés quant à eux à une
processus de mémorisation étaient tellement importants augmentation de la quantité de neurotransmetteur libéré
pour la survie des individus qu’ils devaient avoir été par le neurone sensoriel au contact du neurone moteur
conservés tout au long de l’évolution. De plus, je pensais qui contrôle la musculature de l’ouïe. Cet accroissement
qu’une analyse moléculaire des mécanismes de l’appren- de la quantité de neurotransmetteur libéré est la consé-
tissage, quel que soit le caractère élémentaire du modèle quence d’une augmentation de la sécrétion de la séroto-
ou de la tâche à apprendre, serait à même de nous per- nine, un neuromodulateur, en réponse à la stimulation
mettre de comprendre les bases de la trace mnésique. douloureuse sur la queue de l’animal (Fig. B, partie a).
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 897
Ouïe
(a)
(b)
Figure A – Réflexe de retrait de l’ouïe chez l’aplysie. (a) Le manteau est écarté de façon à montrer l’ouïe de l’animal dans sa position
normale. (b) L’ouïe se rétracte lorsque l’eau pénètre dans le siphon.
La sérotonine augmente l’efficacité de la synapse entre d’AMPc directement dans le neurone sensoriel provo-
les neurones sensoriel et moteur par une augmentation quait une sécrétion de glutamate, le neurotransmetteur
de la concentration d’AMPcyclique (AMPc), un messa- de ce neurone sensoriel, ce qui renforce temporairement
ger intracellulaire des neurones sensoriels qui active la l’activité synaptique entre le neurone sensoriel et le neu-
protéine kinase A (PKA). Dès lors, la simple injection rone moteur (Fig. B, partie b).
Stimulus Siphon
impliqué dans
la sensibilisation
PKA active dirigée
vers le noyau
Nouvelles
Neurone protéines stimulant
Queue sensoriel les réorganisations
Neurone Neurone
Neurone sérotoninergique sérotoninergique synaptiques
sérotoni- modulateur modulateur
nergique Neurone
modulateur moteur
PKA facilite
la libération
de glutamate
(a)
AMPc AMPc
Muscle de l’ouïe
PKA PKA
(b) (c)
Figure B – Mécanisme de sensibilisation du réflexe de retrait de l’ouïe chez l’aplysie. (a) Diagramme représentant les éléments neuronaux
impliqués dans le réflexe de sensibilisation du retrait de l’ouïe chez l’aplysie. Un stimulus douloureux appliqué sur la queue active le neurone
modulateur sérotoninergique, qui influence la neurotransmission à la synapse entre le neurone sensoriel et le neurone moteur. (b) La séro-
tonine stimule une élévation des taux d’AMPc et l’activation de la PKA qui en résulte dans la terminaison nerveuse sensorielle, ce qui se
traduit in fine par une augmentation de la quantité de glutamate libéré dans l’espace synaptique lorsque le siphon est stimulé tactilement.
(c) La stimulation répétée du neurone modulateur sérotoninergique est suivie par la sensibilisation à long terme, ce qui dépend de l’activa-
tion de l’expression génique et de la synthèse de nouvelles protéines.
898 4 – Neuroplasticité
Avec le développement à partir de 1980 des méthodes relations entre les neurones sensoriels et les interneu-
de la biologie moléculaire, nous avons été à même d’élu- rones. Par conséquent, même pour un réflexe simple, le
cider divers mécanismes de la mémoire à court terme souvenir apparaît comme distribué entre plusieurs sites.
chez différentes espèces d’animaux, et d’explorer la Les travaux ultérieurs ont également montré qu’une
façon dont cette mémoire à court terme est transformée modification d’activité synaptique était susceptible
en mémoire à long terme. Nous avons par exemple d’intervenir dans les deux sens par différentes formes
démontré qu’à la suite d’une sensibilisation à long d’apprentissage et pour différentes périodes de temps,
terme, la PKA subit une translocation dans le noyau des mimant par-là différents stades de la mémoire.
neurones et active l’expression génique, ce qui se traduit Depuis les années 1980, les progrès réalisés sur le
par la synthèse de nouvelles protéines et un doublement modèle de l’aplysie ont été tellement importants que j’ai
du nombre de synapses impliquant les neurones senso- surmonté mon envie de retourner à l’hippocampe. À ce
riels (Fig. B, partie c). De plus, les dendrites des neurones niveau j’ai alors trouvé, en accord avec les théories de
moteurs, qui reçoivent les signaux des afférences senso- Charles Darwin, que lorsque la nature a trouvé une
rielles, modifient leur structure pour s’accommoder de solution efficace, elle tend à la conserver au travers de
ces synapses surnuméraires. l’évolution. En d’autres termes, les mêmes principes de
Considérés dans leur ensemble, ces changements base qui gouvernent la mémorisation à court terme et
cellulaires précoces consécutifs à ces comportements à long terme chez les animaux les plus primitifs sont
simples apportaient des évidences directes en faveur de également applicables aux plus complexes.
la théorie de Cajal qui postulait que les connexions entre
neurones ne sont pas immuables ; celles-ci peuvent être
Références
modifiées par apprentissage et les modifications ainsi
induites sont susceptibles d’être le support de la mémo- Cajal SR. The Croonian Lecture: La fine structure des
risation à long terme. Dans le modèle du retrait de l’ouïe centres nerveux. Proceedings of the Royal Society,
chez l’aplysie, les changements d’efficacité synaptique London, 1894 ; 55 : 344-468.
n’interviennent pas seulement entre neurones sensoriel Konorski J. Conditioned reflexes and neuron organiza-
et moteur, mais ils impliquent aussi des changements de tion. Cambridge, MA : University Press, 1948.
Gyrus
CA3 denté
Fornix
2
3 Cortex
entorhinal
Figure 25.5 – Quelques éléments de l’orga-
1 nisation de l’hippocampe.
① L’information provient du cortex entorhinal
et pénètre dans le gyrus denté par la voie per-
forante. ② Les cellules granulaires du gyrus
denté émettent des axones dénommés fibres
moussues qui font synapse avec les cellules
pyramidales de l’aire CA3. ③ Les axones des
cellules pyramidales de CA3 dénommées col-
CA1 latérales de Schaffer font synapse sur les neu-
Scissure rhinale
rones pyramidaux de l’aire CA1.
Amplitude
du PPSE PLT
en réponse
à la stimulation
test de Réponse témoin
l’afférence 1
Afférence 1 Afférence 2
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
Neurone de CA1 (b) Temps (min)
Amplitude
du PPSE
en réponse
Enregistrement à la stimulation
des PPSE test de Réponse témoin
l’afférence 2
(a)
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
(c) Temps (min)
120
Il n’est donc pas étonnant de penser qu’il existe peut-être des corrélations entre
cette forme de plasticité synaptique et la mémoire déclarative.
Des travaux ultérieurs ont montré que la stimulation à fréquence élevée n’est
pas une condition absolue pour produire de la PLT. Le plus important est la
simultanéité entre l’activation des synapses et la dépolarisation du neurone de CA1
post-synaptique. Pour obtenir la dépolarisation requise par la tétanisation, (1) la
fréquence de stimulation des synapses doit être assez élevée pour qu’intervienne
une sommation temporelle des PPSE, et (2) le nombre des synapses stimulées
doit être suffisant pour que la sommation spatiale des PPSE soit significative.
Cette deuxième condition traduit la nécessité d’une coopérativité car une dépo-
larisation suffisante pour induire la PLT ne survient que lorsqu’un nombre
suffisant de synapses est activé simultanément.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 901
mation peut être conservée par des modifications de l’activité synaptique, que
celle-ci soit augmentée ou réduite. Si l’on admet la théorie de Hebb selon laquelle Figure 25.9 – Différents mécanismes d’ex-
pression de la PLT dans CA1.
l’activité d’une synapse peut être potentialisée lorsque l’activité de la synapse est
L’entrée de Ca2+ au travers du récepteur
corrélée avec une activation intense de l’élément post-synaptique, il est possible NMDA active des protéines kinases, ce qui
d’étendre cette théorie à des changements bidirectionnels intervenant pour régu- peut entraîner le déclenchement d’une PLT
ler dans les deux sens l’efficacité synaptique. La théorie rendant compte de tels ① par un changement d’efficacité des récep-
changements est dénommée théorie BCM, d’après les initiales de ses auteurs : Elie teurs AMPA post-synaptiques préexistants,
Bienenstock, Leon Cooper et Paul Munro, qui travaillaient à Brown University. ou ② par l’insertion dans la membrane de
Après avoir partagé en 1972 le prix Nobel de physique pour le développement nouveaux récepteurs AMPA.
de sa théorie sur les supraconducteurs, Cooper s’est intéressé à la question du
stockage de la mémoire par les réseaux de neurones (Encadré 25.3). Avec ses
étudiants Bienenstock et Munro, Cooper montra que les changements de sélec-
tivité neuronale vis-à-vis des stimuli reflètent des modifications de l’efficacité
synaptique contribuant à stocker la mémoire dans des réseaux neuronaux. Ils
proposèrent une sorte de règle d’apprentissage pour rendre compte de la façon
dont les synapses voient leur activité potentialisée ou déprimée en fonction de
changements intervenant dans l’environnement du sujet. L’un des éléments-clé
Epines dendritiques 1 µm
Souvenirs de mémoires
Par Leon Cooper
en accord avec ce qui est postulé par la théorie. Elizabeth magistrale les interactions extrêmement fructueuses qui
Quinlan, Ben Philpot et Bear, en collaboration avec peuvent intervenir entre les neurosciences théoriques et
Richard Huganir de Johns Hopkins School of Medicine, les neurosciences expérimentales.
ont alors démontré en 1999 que le rapport de deux Références
sous-unités constitutives des récepteurs NMDA se
modifie en fonction de l’activation du cortex, proposant Bienenstock EL, Cooper LN, Munro PW. Theory for
par-là un mécanisme potentiel de ce glissement de seuil. the development of neuron selectivity: orientation
specifi city and binocular interaction in visual cor-
De notre côté, les conséquences des modifications
tex. Journal of Neuroscience 1982 ; 2 : 32-48.
de l’activité synaptique en rapport avec la théorie BCM
ont été étudiées à partir de la modélisation de réseaux Blais B, Cooper LN, Shouval H. Formation of direction
neuronaux, par mes étudiants Nathan Intrator, Harel selectivity in natural scene environments. Neural
Shouval, Brian Blais et de nombreux autres. Ces ana- Computation 2000 ; 12 : 1057-66.
lyses et modélisations visaient à reproduire les observa- Blais BS, Intrator N, Shouval HZ, Cooper LN. Receptive
tions sur les changements de seuil chez des animaux field formation in natural scene environments:
vigiles en rapport avec des environnements visuels fluc- comparison of single-cell learning rules. Neural
tuants. Par conséquent, la théorie BCM permettait alors Computation 1998 ; 10 : 1797-813.
de faire un pont entre les données moléculaires sur les Dudek SM, Bear MF. Homosynaptic long-term depres-
mécanismes de la plasticité synaptique et celles relatives sion in area CA1 of hippocampus and effects of
à l’aspect distribué de la mémoire. N-methyl-D-aspartate receptor blockade. Procee
Si l’on se réfère alors au scepticisme qui a accompa- dings of the National Academy of Sciences USA
gné le développement des idées sur la plasticité synap- 1992 ; 89 : 4363-7.
tique il y a de cela 40 ans, il n’est pas difficile de dire Kirkwood A, Bear MF. Homosynaptic long-term
aujourd’hui que nous avons réalisé depuis ce temps des depression in the visual cortex. Journal of
progrès considérables. Notre objectif initial était de pro- Neuroscience 1994 ; 14 : 3404-12.
poser une théorie suffisamment solide et plutôt concrète Kirkwood A, Rioult MC, Bear MF. Experience-
sur ces processus fondamentaux du fonctionnement dependent modify cation of synaptic plasticity in
cérébral, pour qu’elle puisse être testée expérimentale- visual cortex. Nature 1996 ; 381 : 526-8.
ment. C’est alors une satisfaction pour nous de voir Quinlan EM, Philpot BD, Huganir RL, Bear MF.
comment une telle théorie a inspiré les expérimentateurs Rapid, experience-dependent expression of synaptic
qui, non seulement ont vérifié les différents postulats et NMDA receptors in visual cortex in vivo. Nature
le caractère prédictif de notre théorie, mais ont aussi Neuroscience 1999 ; 2 : 352-7.
découvert à cette occasion de nouveaux mécanismes Shouval H, Intrator N, Cooper LN. BCM network
comme ceux liés à la dépression à long terme homosy- develops orientation selectivity and ocular domi-
naptique ou encore la métaplasticité. Et peut-être ce qui nance in natural scene environment. Vision Research
est encore plus important : cette histoire illustre de façon 1997 ; 37 : 3339-42.
de la théorie BCM publiée en 1982 fut de proposer que les synapses puissent
être l’objet d’un affaiblissement de leur activité plutôt que d’une PLT lors-
qu’elles sont activées en même temps que l’élément post-synaptique n’est que
faiblement activé par ses autres inputs. C’est cette idée qui amena à rechercher
une éventuelle dépression à long terme en enregistrant les neurones de CA1 de
l’hippocampe après des stimulations adaptées pour ne produire qu’une faible
activation post-synaptique. En 1992, Serena Dudek et Mark Bear, qui travail-
laient ensemble à cette époque à Brown University, montrèrent que la stimulation
tétanique à basse fréquence (1-5 Hz) des collatérales de Schaffer provoquait un
affaiblissement de la transmission synaptique (Fig. 25.11). Du fait que ce pro-
cessus n’intervient qu’au niveau des synapses stimulées, il est reconnu comme la
dépression à long terme (DLT) homosynaptique.
Comme cela est maintenant bien établi expérimentalement, la plasticité bidirec-
tionnelle de nombreuses synapses corticales est régie par deux principes simples :
1. lorsque la transmission synaptique intervient en même temps qu’une forte
dépolarisation de l’élément post-synaptique, elle induit une PLT de la
synapse active ;
906 4 – Neuroplasticité
Amplitude
du PPSE
en réponse à
Enregistrement la stimulation Réponse témoin
des PPSE test de
l’afférence 2
0 10 20 30 40
(a) (c) Temps (min)
Stimulation
des fibres parallèles Réponse des cellules de Purkinje
à la stimulation des fibres parallèles
Figure A – Dépression à long terme
(DLT) du cortex cérébelleux.
(a) Dispositif expérimental permet-
Amplitude de la réponse
des cellules de Purkinje
Présynaptique Post-synaptique
Figure 25.14 – Modèle susceptible de rendre compte de la façon par laquelle le Ca2+ peut
déclencher à la fois la PLT et la DLT dans l’hippocampe.
La stimulation à haute fréquence (SHF) induit la PLT par une forte augmentation de la concentration
intracellulaire de Ca2+. La stimulation à basse fréquence (SBF) induit la DLT par une augmentation
beaucoup plus faible de la concentration de Ca2+. (Source : adapté de Bear et Malenka, 1994,
Fig. 1.)
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 909
= Récepteurs AMPA
n’exprimant pas GluR1
Puis, après un certain temps, ce sont des œufs habituels (dépourvus de GluR1)
qui rempliraient à nouveau le carton, et dans ce cas comme la taille de l’embal-
lage a été augmentée, le carton d’œufs en contient donc plus qu’auparavant.
A contrario, la DLT nécessite de réduire le nombre d’œufs, et donc la taille
de l’emballage. Dans ce cas, les données montrent que l’induction de la DLT
se traduit à la fois par une diminution de l’expression de la PSD-95 et par une
réduction du nombre de récepteurs AMPA à la membrane post-synaptique.
Enregistrement
Couche
III
1 mm
Couch
e IV
Stimulation
de la couche IV
25
Figure 25.16 – Modifications bidirectionnel
les de l’efficacité synaptique dans le cortex
15
Pourcentage de modifications
inférotemporal humain.
à partir de la situation témoin
Encadré 25.5 FOCUS
Mémoire de mutants
Parmi les centaines de milliers de protéines produites s’aperçut que, chez ces trois mutants, il manquait une
par un neurone, certaines sont sans doute plus impor- enzyme particulière associée aux voies de transmission
tantes que d’autres en termes d’apprentissage. Il est des signaux associées à ces voies de signalisation intra-
même probable que certaines protéines soient unique- cellulaires.
ment impliquées dans l’apprentissage et la mémorisa- Dans les travaux effectués sur la drosophile, les
tion. Il va sans dire que l’identification de ces hypothé- mutations étaient faites au hasard, suivies d’une étude
tiques « molécules de la mémoire » apporterait des comportementale et génétique extensive, premièrement
informations considérables sur les bases moléculaires de pour voir s’il existait un trouble de l’apprentissage, et
l’apprentissage et de la mémoire. ensuite pour déterminer exactement le gène manquant.
Chaque protéine est synthétisée à partir des informa- Cependant, très récemment les techniques du génie
tions portées par un fragment d’ADN appelé gène. Une génétique ont permis de procéder à la suppression sélec-
des façons d’identifier « une protéine de la mémoire » tive de l’expression de gènes spécifiques connus, chez les
consiste à supprimer l’expression de gènes les uns après mammifères. En 1992, Susumu Tonegawa, Alcino Silva
les autres, en observant les troubles d’apprentissage et leur équipe du MIT ont réussi à bloquer l’expression
spécifiques qui en résultent. C’est l’approche utilisée d’une forme (α) de protéine kinase II calcium-calmodu-
par Seymour Benzer, Yadin Dudai, et leur équipe au line dépendante chez la souris. De fait, certaines expé-
California Institute of Technology chez la mouche du riences avaient déjà suggéré que cette enzyme joue un
fruit, la mouche Drosophila melanogaster. La drosophile rôle critique dans la survenue de la potentialisation à
est depuis toujours l’espèce favorite des généticiens, long terme. Ces souris présentent un trouble évident de
mais il est naturel de se demander ce que peut apprendre la PLT dans l’hippocampe et le néocortex, et dans le test
cette mouche. Par chance, la drosophile a les mêmes du labyrinthe aquatique de Morris, ces souris mani-
aptitudes que celles de l’aplysie qui apprend : l’habitua- festent des troubles sévères de la mémoire. Ces souris
tion, la sensibilisation, et le conditionnement classique. sont des mutants de la mémoire, comme leurs lointains
Ainsi la drosophile apprend qu’une odeur particulière cousins, Dunce, Rutabaga et Cabbage.
provoque un choc. Elle manifeste ce type de mémoire en Peut-on en conclure que les protéines manquantes
s’éloignant de l’odeur. La stratégie est de produire des chez ces mutants sont les illusoires « molécules de la
mouches mutantes en les exposants à des substances mémoire » ? Certainement pas. Il existe chez tous ces
chimiques ou aux rayons X. On les élève ensuite, et on mutants d’autres troubles du comportement que ceux de
étudie les troubles du comportement. Le premier mutant la mémoire. Tout ce qu’il est possible de dire aujourd’hui
montrant à juste titre une perturbation de l’apprentis- est que les animaux qui grandissent sans posséder ces
sage spécifique a été décrit sous le nom de Dunce en protéines sont particulièrement stupides. Cependant,
1976. D’autres mutants avec des troubles de la mémoire ces études font ressortir l’importance critique des voies
ont été décrits depuis, et portent les noms de Rutabaga spécifiques de second messager dans le transfert d’une
et Cabbage. Le défi suivant consistait à identifier exacte- expérience de caractère transitoire en mémoire à long
ment les protéines dont l’expression était bloquée. On terme.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 913
Homéostasie synaptique
La plasticité synaptique concerne de très larges régions cérébrales et les cher-
cheurs en neurosciences théoriques soulignent le fait qu’au-delà d’un avantage,
une telle situation est possiblement source de problèmes. Pour illustrer ce propos,
prenons l’exemple du renforcement de l’activité synaptique de caractère hebbien.
Les synapses voient ainsi leur activité potentialisée lorsqu’elles sont actives en
même temps que le neurone post-synaptique dont elles sont la cible. Comme
ces synapses sont sujettes à la PLT, elles vont donc influencer l’activité de ce
neurone cible plus que dans les conditions normales, le rendant alors suscep-
tible d’être plus réceptif à d’autres afférences, et donc créant de la PLT pour
d’autres synapses qui le contactent. Un certain nombre de données obtenues
par simulation à l’aide d’ordinateurs montrent que, dans ce cas, la PLT pour-
rait concerner toutes les synapses contactant le neurone, et qu’ainsi la sélectivité
vis-à-vis des stimuli (et la mémorisation) s’en trouverait perdue. Un problème
similaire interviendrait dans le cas de l’affaiblissement de l’activité synaptique en
rapport avec la DLT : en affaiblissant l’activité post-synaptique, la DLT rend les
synapses encore plus faibles jusqu’à ce que ce processus disparaisse. Par consé-
quent, si ce type de plasticité synaptique n’est pas contrôlé, cela peut conduire à
une activité neuronale de caractère plutôt instable. Comme nous l’avons évoqué
dans le chapitre 15, l’homéostasie est un terme utilisé pour décrire des proces-
sus régulateurs qui interviennent pour maintenir le milieu intérieur au plus près
de constantes physiologiques permettant un fonctionnement optimal de l’or-
ganisme. Ainsi peut-il être considéré que ce sont ces constantes physiologiques
qui contribuent à la stabilité synaptique dans des conditions de réactivité dyna-
mique. Ces mécanismes seront décrits ci-après.
Métaplasticité. Considérons à nouveau le diagramme de la figure 25.13. Il
illustre le fait qu’une faible activation des récepteurs NMDA induit une DLT
et une forte activation de ces mêmes récepteurs, une PLT. À un certain niveau
d’activation des récepteurs NMDA, entre DLT et PLT il se trouve une situation
où n’interviennent pas de changements de l’activité synaptique. Cette valeur est
reconnue comme le seuil des modifications synaptiques. Selon la loi BCM, la
valeur de ce seuil de modification de l’activité synaptique est ajustée en fonction
de l’activité post-synaptique intégrée à l’échelle du neurone. Par conséquent,
lorsque cette activité post-synaptique augmente, du fait par exemple d’un trop
914 4 – Neuroplasticité
Terminaison nerveuse
présynaptique
Récepteur Récepteur
NMDA NMDA
Ca2+ Ca2+
Epine dendritique
post-synaptique
Lorsque l’activité est trop importante pour une période trop longue, ces méca-
nismes basculent de telles manières à promouvoir l’occurrence de la DLT et à
réduire ainsi l’impact synaptique. À l’inverse, lorsque l’activité est trop faible, les
changements favorisent la PLT et augmentent le poids des synapses afférentes.
Ainsi l’activité de base du neurone, les changements de sélectivité vis-à-vis des
stimuli, et l’apprentissage et la mémoire, nécessitent tous un équilibre approprié
des changements d’activité synaptique et de leur stabilité.
Consolidation mnésique
Selon l’ensemble des données rapportées ci-dessus, il peut être conclu que la
mémorisation est liée à des changements d’activité synaptique. Dans la plupart
des exemples de plasticité synaptique que nous avons vus, la transmission de
l’information neuronale est initialement en rapport avec des transferts de grou-
pements phosphate de protéines de la membrane synaptique. Dans le cas de la
DLT et de la PLT, ces changements de phosphorylation impliquent les récep-
teurs AMPA post-synaptiques eux-mêmes, ou des protéines régulatrices interve-
nant pour modifier le nombre de ces récepteurs à la synapse.
La fixation de groupements phosphate sur une protéine pourrait modifier
l’efficacité synaptique et donner naissance à un souvenir, mais seulement aussi
longtemps que le groupement phosphate reste associé à cette protéine. Toutefois,
envisager que la phosphorylation seule représente le mécanisme de la mémoire à
long terme est problématique, au moins pour deux raisons :
1. la phosphorylation d’une protéine n’est pas permanente. Avec le temps, les
groupements phosphate sont détachés, et la mémoire s’efface ;
2. les protéines elles-mêmes ne sont pas permanentes. La plupart d’entre elles
présentes dans le cerveau ont une durée de vie inférieure à deux semaines
et sont constamment soumises à un processus de renouvellement. Des sou-
venirs associés à des modifications portant sur des protéines individuelles
ne dureraient ainsi pas plus que le temps de ce renouvellement.
Il est donc nécessaire de rechercher les mécanismes qui pourraient convertir
la modification initiale de la phosphorylation synaptique de la protéine en une
modification plus durable.
Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test Synthèse des protéines
0 1 2 3 4 5 7 8 9
(a) Stimulation de forte intensité Temps
(heures)
Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test de l’input 1 Synthèse des protéines
Input 1 Input 2
Stimulation intense de l’input 2
Neurone de CA1
Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test de l’input 2 Synthèse des protéines
Enregistrement
des PPSE
(b) 0 1 2 3 4
Temps (heures)
est important au point d’avoir déclenché une synthèse protéique ; par exemple
le premier baiser de l’amour de votre vie (!). Les mécanismes moléculaires qui
matérialisent le tag ne sont pas complètement connus, mais il n’est évidemment
pas surprenant d’imaginer qu’ils impliquent des processus de phosphorylation
de phosphoprotéines particulières par différentes protéines kinases, incluant la
CaMKII et la PKMζ.
Facteur CREB et mémorisation. Quels sont les éléments qui régulent la
synthèse des protéines nécessaires à la consolidation mnésique ? Comme nous
l’avons vu, la première étape de la biosynthèse des protéines est la production
d’un ARNm à partir du gène (voir Fig. 2.9). Ce processus est régulé par des fac-
teurs de transcription présents dans le noyau. L’un de ces facteurs de transcription
est représenté par le facteur CREB (pour cyclic AMP response element binding
protein). CREB représente une protéine qui se fixe spécifiquement à l’ADN, au
niveau d’une séquence dénommée CRE (pour cAMP response element) et, par-là,
régule l’expression de gènes voisins (Fig. 25.21). Il existe deux formes de CREB :
CREB-2, qui réprime l’expression génique lorsque la protéine se fixe sur CRE ;
et CREB-1, qui active au contraire la transcription, mais seulement lorsque la
protéine est phosphorylée par la protéine kinase A. Dans une étude remarquable
publiée en 1994, Tim Tully et Jerry Yin, du Cold Spring Harbor Laboratory,
montrèrent comment CREB régule l’expression des gènes nécessaires à la conso-
lidation mnésique chez la mouche Drosophila melanogaster (voir Encadré 25.5).
Dans une première série d’expériences, Tully et Yin démontrèrent que la
surexpression de l’équivalent chez la mouche de CREB-2 (dénommé dCREBb),
mais seulement lorsque l’animal était réchauffé (un miracle de la technologie
génétique qui n’est pas possible chez les vertébrés), provoquait une répression
de l’expression de tous les gènes régulés par CRE et produisait un blocage de
la consolidation mnésique dans un simple test de mémoire associative. Ainsi
apparaît-il que la régulation de l’expression génique par CREB est critique pour
la consolidation mnésique, au moins chez la mouche. Les résultats obtenus par
ces chercheurs en ce qui concerne la surexpression de l’homologue de CREB-1,
dénommé chez la drosophile dCREBa, paraissent encore plus intéressants : chez
ces mutants, il apparaît que là où il fallait plusieurs essais pour apprendre à réali-
ser un test, maintenant un seul essai peut suffire pour acquérir cet apprentissage.
Ces mutants présentent alors une bien meilleure mémoire, quasiment « photo-
graphique », que les animaux sauvages. Il est aussi intéressant de noter que ces
résultats ne concernent pas seulement les mouches ; par exemple, une régula-
tion des processus mnésiques par CREB a été mise en évidence chez l’aplysie.
CREB-2
CRE GENE
(a)
CREB-1 CREB-2
Axone
Dendrite
Synapses
Axones
(a) Situation (b) Nouvelle situation (c) Situation (d) Retour aux conditions (e) Seconde session
initiale d’apprentissage d’apprentissage initiales (fin de la situation d’apprentissage
prolongé d’apprentissage)
Conclusion
La synapse pourrait être le site des mécanismes de l’apprentissage et de
la mémoire. Quels que soient les espèces, la région du cerveau et le type de
mémoire, un grand nombre des mécanismes sous-jacents paraissent universels.
La manifestation des événements qui se déroulent se traduit d’abord par des
modifications de l’activité électrique du cerveau, puis de l’intervention de molé-
cules de seconds messagers, et ensuite des modifications de protéines synap-
tiques préexistantes. Ces modifications de caractère transitoire sont converties
en modifications durables — et en mémoire à long terme — par la modification
de la structure même de la synapse. Dans de nombreux modèles d’étude de la
mémoire, ce processus implique la synthèse de nouvelles protéines et l’organisa-
tion de nouveaux microcircuits. Dans tous les cas, l’apprentissage est associé à
nombre des mécanismes qui sont utilisés pour affiner les circuits du cerveau en
cours d’organisation, pendant l’apprentissage.
Un des aspects communs à tous les modèles est la participation des ions Ca2+.
Il est clair que le calcium ne sert pas seulement à consolider les os et à donner de
bonnes dents. Il ne joue pas seulement un rôle critique dans la sécrétion des neu-
rotransmetteurs et la contraction musculaire, mais il est aussi un des facteurs de
presque chaque forme de plasticité synaptique. Parce qu’il représente d’une part
un cation divalent, et d’autre part une substance assimilée à un puissant second
messager, le Ca2+ présente la capacité unique de coupler directement l’activité
électrique avec les modifications à long terme du cerveau.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 923
QUESTIONS DE RÉVISION
GLOSSAIRE
A1. Voir Cortex auditif primaire. Agnosie. Incapacité de reconnaître des objets, bien que les
Accommodation. Mise au point au niveau de l’œil par la facultés sensorielles paraissent normales ; provoquée géné-
modification de la courbure du cristallin. ralement par des lésions des aires pariétales postérieures du
cerveau.
ACh (acétylcholine). Amine servant de neurotransmetteur
dans plusieurs synapses du SNP et du SNC, y compris à la Agoniste des récepteurs. Agent qui se fixe sur un récepteur
jonction neuromusculaire. et l’active comme le fait le neurotransmetteur lui-même.
Acide aminé. Élément de base de la structure des molé- Agoraphobie. Trouble mental relevant d’une anxiété sévère,
cules protéiques comprenant un atome central de carbone, induit par la sensation d’incapacité à échapper à une situa-
un groupement aminé, un groupement carboxylique et un tion, notamment au milieu de la foule.
groupement R variable. Agression affective. Forme d’agression plutôt défensive ou
Acide γ-aminobutyrique (GABA pour gamma amino- destinée à effrayer un prédateur, accompagnée de vocalisa-
butyric acid). Acide aminé synthétisé à partir du glutamate. tions et d’une forte activation du SNA.
Le GABA est le principal neurotransmetteur inhibiteur du Agression prédatrice. Comportement agressif, souvent pour
SNC. obtenir de la nourriture, accompagné de quelques vocalisa-
Acquisition du langage. Processus d’apprentissage du lan- tions et d’une faible activité dans le SNA.
gage. Aire 17. Cortex visuel primaire.
ACTH. Voir Hormone corticotrope. Aire de Broca. Partie du lobe frontal associée à l’aphasie
Actine. Protéine du cytosquelette existant dans toutes les (motrice) de Broca en cas de lésion.
cellules, et représentant aussi une protéine principale des Aire de Wernicke. Aire de la surface supérieure du lobe
fibres musculaires ; provoque la contraction musculaire par temporal située entre le cortex auditif et le gyrus angulaire,
des interactions chimiques spécifiques avec la myosine. dont la lésion provoque l’aphasie de Wernicke.
Acuité visuelle. Pouvoir de discrimination entre deux points Aire hypothalamique latérale. Région de l’hypothalamus
proches. relativement mal définie impliquée dans la motivation des
Adaptation à la lumière. Processus par lequel la rétine comportements.
devient moins sensible à la lumière dans des conditions de Aire IT. Aire du néocortex, localisée dans la partie interne
lumière vive. du lobe temporal (cortex inférotemporal), qui fait partie
Adaptation à l’obscurité. Processus par lequel la rétine du système visuel ventral et contient des neurones qui ré-
devient plus sensible aux stimuli lumineux dans l’obscurité. pondent en rapport avec des stimuli complexes comme des
Adénosine monophosphate cyclique (AMPc). Second mes- visages.
sager produit à partir de l’ATP, par l’action de l’enzyme Aire intrapariétale latérale (aire LIP, pour lateral intra
adénylate cyclase. parietal area). Voir Cortex intrapariétal latéral.
Adénosine triphosphate (ATP). Molécule représentant la Aire motrice primaire. Cortex moteur primaire. Aire 4.
source d’énergie pour la cellule. L’hydrolyse de l’ATP pour
Aire motrice supplémentaire (AMS). Partie médiane de
produire de l’adénosine diphosphate (ADP) libère l’éner-
l’aire 6, impliquée dans le contrôle du mouvement volon-
gie nécessaire à la plupart des réactions biochimiques du
taire.
neurone. L’ADP est converti à nouveau en ATP dans la
mitochondrie. Aire MT. Aire du néocortex, siégeant à la jonction des lobes
temporal et pariétal, qui reçoit les efférences du cortex strié
Adényl cyclase (adénylate cyclase). Enzyme qui catalyse la
et semble spécialisée dans la détection du déplacement du
conversion de l’ATP en AMPc, un second messager.
stimulus.
ADHD (attention deficit hyperactivity disorder). Trouble du
comportement caractérisé par un déficit attentionnel, une Aire prémotrice (APM). Partie latérale de l’aire 6, impliquée
hyperactivité et une impulsivité, détecté en général chez dans le contrôle du mouvement volontaire.
l’enfant. Aire V4. Aire du néocortex, antérieure au cortex strié, qui fait
ADN (acide désoxyribonucléique). Molécule à deux brins partie du système visuel ventral et paraît importante pour la
formée de quatre acides nucléiques ; elle contient les infor- perception des formes et des couleurs.
mations génétiques de la cellule. Amnésie. Perte de mémoire sévère ou incapacité à apprendre.
Adrénaline. Neurotransmetteur (catécholamine) synthétisé Amnésie antérograde. Impossibilité d’acquérir de nouvelles
à partir de la noradrénaline ; appelé aussi épinéphrine en informations.
anglais. Amnésie globale transitoire. Crise d’amnésie rétrograde et
Afférence. Projection d’un axone sur une structure donnée. antérograde de quelques minutes.
926 Glossaire
Amnésie rétrograde. Perte de la mémoire pour les événe- Aphasie de Wernicke. Trouble du langage : le langage est
ments antérieurs à une maladie ou à un traumatisme céré- fluide mais confus, et la compréhension faible.
bral. Apoptose. Mécanisme de la mort cellulaire génétiquement
AMPc. Voir Adénosine monophosphate cyclique. « programmée ».
Amplificateur cochléaire. Cellules ciliées externes, y com- Appareil de Golgi. Organite qui sélectionne et modifie les
pris les protéines motrices de la membrane des cellules ci- protéines destinées à différentes parties de la cellule.
liées externes, qui assurent l’amplification des mouvements
Appareil vestibulaire. Structure de l’oreille interne impli-
de la membrane basilaire dans la cochlée.
quée dans le contrôle de la position de la tête dans l’espace.
Amygdale (ou amygdala). Noyau en forme d’amande du lobe
Apprentissage. Acquisition d’autres informations ou
temporal antérieur, probablement impliqué dans l’émotion
connaissances.
et dans certains types de mémoire et d’apprentissage.
Anabolisme. Biosynthèse des molécules organiques à par- Apprentissage associatif. Apprentissage d’associations entre
tir de précurseurs nutritifs ; dénommé aussi métabolisme des événements ; on en distingue deux formes : le condi-
anabolisant. Voir aussi Catabolisme. tionnement classique et le conditionnement instrumental.
Aphasie de conduction. Forme d’aphasie associée aux lé- Attention exogène (« bottom-up attention »). Attention diri-
sions du faisceau arqué, la compréhension et le langage sont gée de façon réflexe vers un stimulus externe.
préservés, mais la répétition des mots est difficile. Audition. Sens de l’ouïe.
Glossaire 927
Autorécepteur. Récepteur transmembranaire situé au niveau CA1. Partie de la corne d’Ammon dans l’hippocampe qui
de la terminaison de l’axone présynaptique sensible au neu- reçoit les efférences des neurones de CA3.
rotransmetteur libéré par cette même terminaison. (NdT : CA3. Partie de la corne d’Ammon dans l’hippocampe qui
ce type de récepteur peut également se trouver sur le soma reçoit les efférences des neurones du gyrus dentatus.
et/ou les dendrites d’un neurone. Dans ce cas, c’est le neu-
rotransmetteur du neurone lui-même qui active le récepteur, Calibrage synaptique. Ajustement de l’efficacité synaptique
à partir d’une libération proximale impliquant des collaté- en réponse à des changements de la décharge moyenne du
rales axoniques formant des « autapses » ou encore à partir neurone post-synaptique.
de processus plus rares de libération somatodendritique du CAM. Voir Molécule d’adhésion cellulaire.
neurotransmetteur). CaMKII. Protéine kinase dépendante du calcium et de la
Autostimulation. Stimulation électrique appliquée volontai- calmoduline.
rement à une partie du cerveau par l’animal lui-même. Canal auditif. Canal allant du pavillon de l’oreille au tympan.
Axe hypothalamo-hypophysaire corticotrope. Système qui Canal calcique dépendant du potentiel. Protéine formant
régule la sécrétion de cortisol à partir des glandes surrénales. un pore transmembranaire perméable aux ions Ca2+, dont
Une dysfonction de cet axe a été impliquée dans certains l’ouverture dépend de la dépolarisation de la membrane.
aspects de l’anxiété et des troubles de l’humeur.
Canal cochléaire. Cavité de la cochlée située entre la rampe
Axone. Neurite qui conduit les influx nerveux ou potentiels vestibulaire et la rampe tympanique.
d’action vers les terminaisons nerveuses, en partant du
soma. Canal des taches. Canal qui traite l’information visuelle pas-
sant à travers les couches parvocellulaires et koniocellu-
Ballisme. Trouble du mouvement provoqué par une lésion laires du CGL et convergeant sur les taches de la couche III
du noyau sous-thalamique, caractérisé par un mouvement du cortex strié ; traitement de l’information concernant la
balistique excessif et non contrôlé. couleur.
Bande motrice. Aire 4 du gyrus précentral. Canal ionique. Protéine transmembranaire qui forme un pore,
Barbiturique. Drogue à effet sédatif qui favorise l’inhibition. permettant le passage des ions d’un côté de la membrane à
Les barbituriques se fixent au récepteur GABAA et augmen- l’autre.
tent la durée d’ouverture des canaux en présence de GABA. Canal ionique sensible au transmetteur. Protéine trans-
Barrière hématoencéphalique. Spécialisation des parois des membranaire formant un pore perméable aux ions et dont
capillaires du cerveau qui limite le passage des substances l’ouverture est contrôlée par un neurotransmetteur.
du sang vers le milieu extracellulaire du cerveau. Canal magnocellulaire (canal M). Canal de transmission
Bâtonnet. Photorécepteur de la rétine contenant de la rhodop- de l’information visuelle qui part des cellules rétiniennes
sine sensible aux faibles intensités de lumière. ganglionnaires de type M vers la couche IVB du cortex
strié ; transmettrait l’information relative au mouvement
Benzodiazépine. Drogue sédative qui favorise l’inhibition.
visuel.
Les benzodiazépines se fixent sur le récepteur GABAA et
augmentent la fréquence d’ouverture des canaux en pré- Canal müllerien. Structure des gonades embryonnaires qui
sence de GABA. se développe dans le système reproducteur interne des
femelles.
Bicouche de phospholipides. Arrangement de molécules
de phospholipides qui forme la structure de base de la Canal parvocellulaire-intertaches (canal P-IB). Canal de
membrane cellulaire. Le cœur de la bicouche est formé de traitement de l’information visuelle qui part des cellules
lipides créant une barrière contre l’eau et contre les ions et ganglionnaires rétiniennes de type P vers les régions inter-
les molécules solubles dans l’eau. médiaires de la couche III. Il serait impliqué dans l’analyse
de la forme.
Bottom-up attention. Voir Attention exogène.
Canal potassique dépendant du potentiel. Protéine qui
Bourgeon gustatif. Amas de cellules, qui contient les récep-
forme un pore transmembranaire perméable aux ions
teurs du goût, dans les papilles de la langue.
K+ dont l’ouverture dépend de la dépolarisation de la
Boulimie nerveuse. Trouble psychiatrique caractérisé par membrane.
une prise de nourriture incontrôlée, suivie de comporte-
Canal semi-circulaire. Composante du labyrinthe vestibu-
ments compensatoires comme des vomissements volontai-
laire à l’intérieur de l’oreille interne sensible aux rotations
rement déclenchés.
de la tête.
Bouton « en passant ». Renflement, lieu d’une synapse sur
Canal sodique dépendant du potentiel. Protéine qui forme
le trajet d’un axone.
un pore transmembranaire perméable aux ions Na+ dont
Bouton terminal. Extrémité d’un axone, généralement site l’ouverture dépend de la dépolarisation de la membrane.
de contact avec une autre cellule. Canal spinal. Espace rempli de liquide céphalorachidien à
Bulbe (rachidien). Partie caudale du cerveau postérieur par l’intérieur de la moelle épinière.
rapport au pont et au cervelet. Canal wolffien. Structure des gonades embryonnaires qui
Bulbe olfactif. Structure en forme de bulbe dérivée du télen- se développe dans le système reproducteur interne chez le
céphale qui reçoit l’influx nerveux des récepteurs olfactifs. mâle.
928 Glossaire
Canalopathie. Maladie génétique humaine causée par une Cellule de grille. Neurones du cortex entorhinal activés lors
altération de la structure ou de la fonction d’un canal de déplacements d’un animal, en rapport avec la localisa-
ionique. tion de cet emplacement. Les cellules de grille sont organi-
Capsule. Rassemblement d’axones qui relie le cerveau au sées selon des arrangements hexagonaux.
tronc cérébral. Cellule de lieu. Neurone, situé dans l’hippocampe chez le rat,
qui ne répond que lorsque l’animal se trouve dans un certain
Capsule interne. Formation composée de nombreux axones
endroit de l’espace de sa cage.
qui sert de connexion entre le télencéphale et le diencéphale.
Cellule de Purkinje. Cellule du cortex cérébelleux qui in-
Carte cytoarchitectonique. En général, carte du cortex céré nerve les noyaux profonds du cervelet.
bral établie à partir des différences de cytoarchitecture.
Cellule de Schwann. Cellule gliale qui forme la myéline dans
Carte sensorielle. Représentation de l’information senso- le SNP.
rielle à l’intérieur d’une structure nerveuse qui préserve
Cellule épendymaire. Cellule gliale qui tapisse le système
l’organisation spatiale de l’origine de l’information établie
ventriculaire du cerveau.
par les organes sensoriels. Exemples : cartes rétinotopiques
présentes au niveau du colliculus supérieur, du CGL et du Cellule étoilée. Neurone avec une distribution radialement
cortex visuel, où les neurones répondent sélectivement à disposée des dendrites.
des stimulations électives de certaines parties de la rétine. Cellule ganglionnaire. Cellule de la rétine qui reçoit les in-
Cascade des seconds messagers. Processus en plusieurs flux des cellules bipolaires et envoie un axone dans le nerf
étapes dans lequel l’activation du récepteur d’un neuro optique.
transmetteur est couplée avec l’activation d’enzymes intra- Cellule ganglionnaire de type M. Type de cellule ganglion-
cellulaires. naire rétinienne caractérisée par un gros corps cellulaire
et une arborisation dendritique, une réponse phasique à la
Catabolisme. Dégradation des molécules en éléments plus
lumière, une insensibilité aux différentes longueurs d’ondes
simples, aussi dénommé métabolisme catabolique. Voir
lumineuses.
aussi Anabolisme.
Cellule ganglionnaire de type P. Type de cellule ganglion-
Catécholamines. Des neurotransmetteurs : la dopamine, la
naire rétinienne caractérisée par un petit corps cellulaire
noradrénaline et l’adrénaline.
et une arborisation dendritique, une réponse soutenue à la
Cation. Ion positif. lumière et une sensibilité à différentes longueurs d’ondes.
Caudal. En direction de la queue, postérieur. Cellule ganglionnaire non P-non M. Cellule ganglionnaire
de la rétine qui n’est ni du type P, ni du type M, sur la base
CCK. Voir Cholécystokinine.
de sa morphologie et des caractéristiques de sa réponse.
Cellule amacrine. Neurone de la rétine qui envoie des neu- Certaines de ces cellules sont sensibles à la longueur d’onde
rites latéralement dans la couche plexiforme interne. de la lumière.
Cellule à opposition simple de couleur. Cellule du sys- Cellule ganglionnaire photorécepteur. Cellules ganglion-
tème visuel dans laquelle des longueurs d’onde de lumière naires de la rétine sensibles à la lumière utilisant la méla-
avec une couleur donnée provoquent une réponse excita- nopsine comme photopigment.
trice et avec une autre couleur, une réponse inhibitrice. Les Cellule gliale. Cellules constituant le système nerveux avec
couleurs qui s’annulent sont le rouge et le vert, et le bleu et les neurones. Trois principales catégories sont déclinées :
le jaune. les astrocytes, les oligodendrocytes, et la microglie. Dans le
Cellule bipolaire. Dans la rétine, cellule qui connecte les système nerveux périphérique la glie est représentée par les
photorécepteurs aux cellules ganglionnaires. cellules de Schwann.
Cellule bipolaire de type OFF. Cellule bipolaire de la ré- Cellule gliale radiale. Cellule gliale du cerveau embryon-
tine qui se dépolarise en réponse à l’obscurité (light OFF) naire qui s’étend de la zone ventriculaire à la surface du
touchant le centre de son champ récepteur. cerveau ; les neurones immatures et d’autres cellules gliales
migrent le long de leurs prolongements.
Cellule bipolaire de type ON. Cellule bipolaire de la rétine
qui se dépolarise à l’éclairement (light ON) frappant le Cellule granulaire. Neurone du cortex cérébelleux qui reçoit
centre de son champ récepteur. les fibres moussues et projette sous forme de fibres paral-
lèles sur les cellules de Purkinje.
Cellule ciliée. Cellule du système auditif qui convertit le son
en variations du potentiel membranaire. Cellule horizontale. Dans la rétine, cellule qui projette ses
neurites latéralement dans la couche plexiforme externe.
Cellule ciliée externe. Récepteur auditif plus éloigné du
Cellule microgliale. Cellule jouant le rôle de phagocyte dans
modiolus que les piliers de Corti.
le SNC pour supprimer les débris laissés par les neurones et
Cellule ciliée interne. Cellule du système auditif siégeant les cellules gliales qui dégénèrent.
entre le modiolus et les piliers de Corti ; premier trans Cellule neurosécrétoire magnocellulaire. Neurone de la
ducteur du son en signal électrochimique. région périventriculaire et du noyau supra-optique de
Cellule complexe. Neurone du cortex visuel dont le champ l’hypothalamus projetant vers l’hypophyse postérieure
récepteur présente une spécificité d’orientation, sans dis- et sécrétant de l’ocytocine ou de la vasopressine dans la
tinction d’effets ON et OFF. circulation sanguine.
Glossaire 929
Cellule neurosécrétoire parvocellulaire. Neurone de petite Champ visuel. Espace visible pour les yeux, lorsque ceux-ci
taille de la région médiane et périventriculaire de l’hypo- fixent un point donné.
thalamus, qui sécrète des peptides hypophysiotropes dans Champ visuel binoculaire. Partie du champ visuel visible
le système porte-hypophysaire pour stimuler ou inhiber la par les deux yeux.
production d’hormones à partir de l’hypophyse antérieure.
Changement de dominance oculaire. Modification dans les
Cellule pyramidale. Neurone avec un corps cellulaire en interconnexions du cortex visuel qui augmente le nombre
forme de pyramide et une arborisation dendritique allongée, de neurones sensibles à un œil ou à l’autre.
siégeant dans le cortex cérébral.
Channelrhodopsine-2 (ChR2). Canal ionique sensible à la
Cellule réceptrice du goût. Cellule épithéliale modifiée qui lumière, initialement découvert chez une algue verte, sus-
transforme les stimuli du goût. ceptible d’être exprimé par les neurones et par conséquent
Cellule simple. Cellule appartenant au cortex strié ayant capable d’en contrôler l’activité par modification de leur
un champ récepteur avec une sélectivité d’orientation en éclairement.
longueur, et des parties ON et OFF distinctes. Chémoattractif. Molécule diffusible qui agit à distance pour
Cellule souche pluripotente induite. Cellule souche présen- « attirer » les axones au cours du développement.
tant un potentiel de développement en n’importe quel type Chémorécepteur. Tout récepteur sensoriel sensible aux com-
de cellule, y compris les neurones, transformés par action posés chimiques.
chimique à partir de cellules adultes. Chémorépulsif. Molécule diffusible qui agit à distance pour
Centre du plaisir. Nom originairement donné aux sites d’au- « repousser » les axones au cours du développement.
tostimulation renforcée du cerveau, sans tenir compte du Cholécystokinine (CCK). Peptide présent dans certains neu-
fait que la stimulation électrique génère une sensation de rones du système nerveux central ou périphérique et dans
plaisir ou non. quelques cellules endothéliales présentes dans la partie
Cerveau. Partie du système nerveux central présente dans la supérieure du tractus digestif. Ce peptide représente un
tête, incluant le cerveau antérieur, le cervelet, le tronc céré- signal de satiété qui inhibe la prise alimentaire, en partie
bral, et les rétines. par l’intermédiaire des axones du nerf vague qui répondent
à la distension gastrique.
Cerveau antérieur. Partie la plus développée du cerveau,
appelée aussi télencéphale. Cholinergique. Terme utilisé pour décrire les neurones ou les
synapses qui produisent et libèrent de l’acétylcholine.
Cerveau médian. Partie du cerveau dérivée de la vésicule
Chorée de Huntington. Maladie neurodégénérative hérédi-
primaire médiane du cerveau chez l’embryon, appelée aussi
taire qui se traduit par des mouvements anormaux, une dé-
le mésencéphale. Les structures du cerveau médian sont le
mence, et des troubles de la personnalité. Cette maladie est
tectum et le tegmentum.
associée à une dégénérescence des neurones dans le stria-
Cerveau postérieur. Partie du cerveau dérivée de la vésicule tum et le cortex cérébral.
primaire caudale chez l’embryon, appelée aussi le rhomben-
Chiasma optique. Structure dans laquelle les nerfs optiques
céphale. Il comprend le cervelet, le pont et le bulbe.
droit et gauche convergent et se croisent en X pour donner
Cervelet. Structure dérivée du rhombencéphale, rattachée au les voies optiques.
tronc cérébral et au pont ; un centre important du contrôle Chromosome. Structure du noyau cellulaire qui contient un
du mouvement. seul brin linéaire d’ADN.
CGL. Voir Corps genouillé latéral. Circuit de Papez. Circuit comprenant un ensemble de struc-
CGM. Voir Corps genouillé médian. tures reliées au thalamus et au cortex, proposé par Papez
comme étant le système de l’émotion.
Chaîne sympathique. Série de ganglions sympathiques du
SNA interconnectés adjacents à la colonne vertébrale ; ils Cotransmetteur. L’un des neurotransmetteurs présents dans
reçoivent l’influx des fibres sympathiques préganglion- la terminaison lorsque celle-ci en contient plusieurs.
naires et projettent des fibres post-ganglionnaires sur des Cochlée. Structure osseuse de l’oreille interne en forme de spi-
organes et des tissus cibles. rale. Elle contient les cellules ciliées qui transforment le son.
Champ récepteur. Partie d’une surface sensorielle (rétine, Codage de population. Représentation de l’information sen-
peau) qui, lors de sa stimulation, modifie le potentiel de la sorielle, motrice ou cognitive par l’activité distribuée sur
membrane d’un neurone. une large population de neurones. Par exemple, la couleur
Champ récepteur binoculaire. Champ récepteur d’un neu- codée par une population de cônes au niveau de la rétine.
rone qui répond à la stimulation des deux yeux. Codage temporel. Représentation de l’information par la
concordance des potentiels d’action entre neurones plutôt
Champ récepteur de type centre-périphérie. Champ récep-
que par leur fréquence moyenne.
teur avec une partie centrale circulaire et un pourtour en
forme d’anneau autour du centre. La stimulation du centre Collatérale axonique. Ramification de l’axone.
produit une réponse inverse de la réponse évoquée par la Collatérale de Schaffer. Axone d’un neurone de CA3 qui
stimulation de la périphérie. innerve les neurones de CA1 de l’hippocampe.
Champ terminal. Ramifications à l’extrémité d’un axone se Colliculus inférieur. Noyau du mésencéphale qui projette un
terminant dans la même partie du système nerveux. influx auditif ascendant sur le CGM.
930 Glossaire
Colliculus supérieur. Structure du tectum située dans le Cône axonique. Renflement de l’axone à sa jonction sur le
mésencéphale qui reçoit l’influx rétinien directement et soma. Les potentiels d’action sont le plus souvent émis à
contrôle la direction des saccades oculaires. partir du cône axonique.
Colonne de dominance oculaire. Région du cortex strié Cône de croissance. Extrémité d’un neurite en croissance.
recevant de façon prédominante les informations d’un œil. Conjonctive. Membrane qui se replie depuis les paupières.
Colonne d’orientation. Colonne de neurones du cortex vi- Connectome. Diagramme détaillé de connexions neuronales
suel s’étendant de la couche II à la couche VI, qui présente dans un système donné.
une spécificité d’orientation.
Conscience. Capacité de porter une attention aux événements
Colonnes dorsales. Faisceau dorsal de substance blanche de extérieurs ainsi qu’aux pensées générées en interne et aux
la moelle épinière ; rassemble les axones impliqués dans le sentiments.
toucher et la proprioception.
Consolidation mnésique. Stockage de nouvelles informa-
Colonnes dorsales-voie lemniscale. Voie somatique senso- tions dans la mémoire à long terme.
rielle ascendante qui transmet les informations relatives
Consolidation synaptique. Transformation de l’information
au toucher, à la pression, la vibration et la sensibilité des
sensorielle en une trace temporaire dans l’hippocampe.
membres.
Constante de longueur. Paramètre du calcul de la distance de
Coloration de Golgi. Méthode de coloration des tissus céré-
propagation d’un potentiel d’action le long d’un câble, par
braux montrant les neurones et toutes leurs neurites ; décou-
exemple un axone ou un dendrite, représenté par le sym-
verte par l’histologiste italien Camillio Golgi (1843-1926).
bole λ ; la constante de longueur λ est la distance à laquelle
Coloration de Nissl. Coloration de base pour marquer les le voltage perd 37 % de sa valeur initiale ; λ dépend du
soma des neurones ; découverte par l’histologiste allemand rapport de rm à ri.
Franz Nissl (1860-1919).
Controlatéral. Côté opposé par rapport à la ligne médiane.
Commissure. Ensemble des axones qui relient les deux côtés
Coopérativité. Caractéristique liée à l’induction de la PLT
du cerveau.
reflétant la nécessité de la mise en jeu de plusieurs affé-
Compétition binoculaire. Processus qui pourrait se produire rences au cours de la tétanisation. Voir Potentialisation à
au cours du développement du système visuel, au cours du- long terme.
quel les efférences provenant des deux yeux sont en compé-
Cordes vocales. Bandes de muscles du larynx qui vibrent
tition active pour l’innervation des mêmes cellules.
pour provoquer des sons chez l’homme.
Complexe du cerveau antérieur basal. Plusieurs noyaux
Corne d’Ammon. Couche de neurones de l’hippocampe qui
cholinergiques du télencéphale, y compris les noyaux du
envoie des projections dans le fornix.
septum médian et le noyau de Meynert.
Corne dorsale. Partie dorsale de la moelle épinière qui
Comportement motivé. Comportement déclenché pour
contient les corps cellulaires.
atteindre un objectif.
Corne ventrale. Région ventrale de la moelle épinière conte-
Concept de neurone (doctrine du neurone). Concept selon
nant les corps cellulaires des neurones moteurs.
lequel le neurone est l’unité fonctionnelle élémentaire du
cerveau ; les neurones communiquent entre eux en établis- Cornée. Surface extérieure transparente de l’œil.
sant des contacts et ne sont pas en continuité. Corps calleux. Grande commissure cérébrale composée
Conditionnement classique. Procédure d’apprentissage d’axones, qui relie le cortex entre les deux hémisphères.
utilisée pour retenir l’association de deux stimuli, dont l’un Corps cellulaire. Partie centrale du neurone qui contient le
provoque naturellement une réponse et l’autre pas. noyau ; appelée aussi soma ou perikaryon.
Conditionnement instrumental. Forme d’apprentissage Corps genouillé latéral (CGL). Noyau du thalamus qui
utilisée pour associer une réponse, par exemple un acte relaie l’information de la rétine au cortex visuel primaire.
moteur, à un stimulus signifiant, par exemple de la nourriture. Corps genouillé médian (CGM). Noyau relais du thalamus
Conductance. Mesure du déplacement des particules élec- par lequel passent toutes les informations auditives depuis
triques entre deux points, représentée par le symbole g et le colliculus inférieur vers le cortex auditif.
mesurée en unités appelées siemens (S). La conductance est Corpuscule de Pacini. Mécanorécepteur en profondeur de la
l’inverse de la résistance ; elle est en relation avec le cou- peau, sélectif pour les vibrations à fréquence élevée.
rant électrique et le voltage, selon la loi d’Ohm.
Corrélats neuronaux de la conscience. Événements neuro-
Conduction saltatoire. Propagation d’un potentiel d’action naux minima nécessaires à une perception consciente.
le long d’un axone myélinisé.
Corrélation de phase. Décharge d’un neurone auditif en
Conduit auditif. Partie de l’oreille externe qui relie le pavil- phase avec l’onde sonore.
lon à l’oreille interne.
Cortex. Fine couche de neurones, à la surface du cerveau.
Cône. Récepteur rétinien contenant un des trois différents
pigments qui sont le plus sensibles aux différentes ondes Cortex auditif primaire. Aire 41 de Brodman, située à la
lumineuses. Les cônes se trouvent dans la fovéa ; ils sont surface supérieure du lobe temporal ; appelée aussi aire A1.
sensibles à la lumière du jour et responsables de la vision Cortex cérébelleux. Couche de substance grise située sous la
des couleurs. surface de la pie-mère dans le cervelet.
Glossaire 931
Cortex cérébral. Couche de substance grise située à la sur- Couche des segments externes des photorécepteurs. La
face du cerveau. couche de la rétine la plus éloignée du centre de l’œil ; elle
Cortex cingulaire antérieur. Partie du cortex cérébral située contient les éléments des photorécepteurs sensibles à la
juste en avant du corps calleux, qui a été impliquée dans la lumière.
physiopathologie de certains troubles de l’humeur. Couche magnocellulaire du CGL. Couche du CGL qui reçoit
Cortex entorhinal. Partie corticale du lobe temporal interne l’influx des cellules rétiniennes ganglionnaires de type M.
qui occupe le rebord interne du sillon rhinal ; se projette sur Couche nucléaire externe. Région de la rétine où se trouvent
l’hippocampe. localisés les corps cellulaires des photorécepteurs.
Cortex gustatif primaire. Aire du néocortex qui reçoit Couche nucléaire interne. Couche de la rétine composée
l’information gustative du noyau ventral postéromédian ; des corps cellulaires des cellules bipolaires, horizontales et
correspond essentiellement à l’aire 43 de Brodman. amacrines.
Cortex intrapariétal latéral (aire LIP). Aire corticale située Couche parvocellulaire du CGL. Couche du CGL qui reçoit
en profondeur dans le sillon intrapariétal impliquée dans la l’influx synaptique des cellules ganglionnaires rétiniennes
vision et le contrôle de comportements associés à la vision. de type P.
Cortex moteur. Aires corticales 4 et 6, directement impli- Couche plexiforme externe. Couche de cellules de la rétine,
quées dans le contrôle du mouvement volontaire. siégeant entre la couche nucléaire interne et la couche nu-
Cortex moteur primaire (M1). Aire 4, localisée dans le cléaire externe ; elle contient les neurites et les synapses
gyrus précentral ; c’est la région du cortex qui, lorsqu’elle entre les photorécepteurs, les cellules horizontales et les
est stimulée, présente le plus faible seuil d’évocation des cellules bipolaires.
mouvements. Couche plexiforme interne. Couche de la rétine siégeant
Cortex olfactif. Région du cortex cérébral connectée au bul- entre la couche des cellules ganglionnaires et la couche
be olfactif et séparée du néocortex par la scissure rhinale. nucléaire interne, formée par les neurites et des synapses
établies entre les cellules bipolaires et amacrines, et les
Cortex parahippocampique. Région corticale du lobe tem-
cellules ganglionnaires.
poral interne siégeant latéralement par rapport au cortex
périrhinal. Couplage excitation-contraction. Mécanisme physiologique
par lequel se produit la contraction musculaire en réponse
Cortex pariétal postérieur. Partie postérieure du lobe parié-
à son excitation.
tal, principalement les aires 5 et 7 de Brodman, impliquée
dans l’intégration visuelle et somatosensorielle et l’atten- Courant d’obscurité. Flux d’ions Na+ passant dans les pho-
tion. torécepteurs dans l’obscurité.
Cortex périrhinal. Région corticale du lobe temporal interne Courant électrique. Déplacement de la charge électrique,
qui occupe le rebord latéral du sillon rhinal. représenté par le symbole I et mesuré en unités appelées
ampères (amp).
Cortex préfrontal. Aire corticale située à l’extrémité rostrale
du lobe frontal qui reçoit l’influx du noyau médiodorsal du Crête ampullaire. Partie d’un canal semi-circulaire compor-
thalamus. tant les cellules ciliées qui détectent les mouvements de
rotation de la tête.
Cortex somatosensoriel primaire. Les aires 3b, 1 et 2 de
Brodman 3a, situées dans le gyrus post-central, appelé aussi Crête neurale. SNP primitif chez l’embryon, constitué par
S1. l’ectoderme neural qui est repoussé latéralement au fur à
mesure que se forme le tube neural.
Cortex strié. Cortex visuel primaire ; aire 17 de Brodman ;
appelé aussi V1. CRH. Voir Hormone corticolibérine.
Corticolibérine (CRH). Voir Hormone adrénocorticotrope. Crise de panique. Trouble des comportements caractérisés
Hormone sécrétée par le noyau paraventriculaire de l’hypo- par des attaques de panique parfois sans raison et par la
thalamus, qui stimule la sécrétion d’ACTH par l’hypophyse crainte de la survenue de nouvelles crises.
antérieure. Crise généralisée. Activité intense et synchrone pathologique
Corticosurrénale. Partie externe de la glande surrénale ; qui s’étend aux deux hémisphères cérébraux ; relative à
libère du cortisol lorsqu’elle est stimulée par une hormone l’épilepsie.
hypophysaire, l’ACTH. Crise partielle. Activité nerveuse pathologique vaste et syn-
Cortisol. Hormone stéroïdienne produite par le cortex surré- chrone limitée à une petite région du cerveau, en rapport
nalien qui stimule les réserves d’énergie, inhibe le système avec une crise d’épilepsie.
immunitaire et exerce une influence directe sur certains Cristallin. Structure transparente située entre l’humeur
neurones du SNC. aqueuse et l’humeur vitrée qui permet de régler la focalisa-
Couche coniocellulaire du CGL. Couche de minuscules tion de l’œil à différentes distances.
cellules du CGL, localisée juste sous chacune des couches Cycle menstruel. Cycle reproducteur de la femelle chez les
parvocellulaires et magnocellulaires. primates.
Couche des cellules ganglionnaires. Couche cellulaire de Cycle œstral. Cycle reproducteur de la femelle définissant
la rétine, la plus proche du centre de l’œil, composée des chez les mammifères non primates la période des « cha-
cellules ganglionnaires. leurs ».
932 Glossaire
Cyclic AMP response element (CRE). Site de fixation du Diffusion. Mouvement des molécules dépendant de la tem-
facteur de transcription CREB sur l’ADN. pérature, entre des régions de forte concentration et celles
Cyclic AMP response element binding protein (CREB). Pro- de concentration moins élevée, résultant dans la répartition
téine qui se fixe sur des parties précises de l’ADN (seg- plus équilibrée des molécules.
ments CRE pour cAMP response element) et agit pour Dimorphisme sexuel. Différence dans la structure ou le com-
réguler l’expression génique. CREB représente un régula- portement relative au sexe de l’individu.
teur déterminant de la consolidation mnésique. Dioptrie. Unité de mesure de la capacité de réfraction de
Cytoarchitecture. Organisation des cellules neuronales dans l’œil ; la réciproque de la distance focale.
le cerveau. Discours. Éléments parlés du langage.
Cytochrome oxydase. Enzyme mitochondriale concentrée
Disque optique. Endroit de la rétine où les axones du nerf
dans les cellules qui forment la région des tâches dans le
optique quittent la rétine.
cortex strié.
Division entérique. Partie du système nerveux autonome
Cytoplasme. Partie de la cellule autour du noyau.
innervant les organes digestifs ; comprend notamment le
Cytosol. Milieu aqueux contenu dans la cellule. plexus myentérique.
Cytosquelette. Structure interne faite de microtubules, de Division parasympathique. Partie du système nerveux
neurofilaments et de microfilaments, qui donne à la cellule autonome impliquée notamment dans la régulation physio-
sa forme caractéristique. logique de la fréquence cardiaque, du système respiratoire,
DA. Voir Dopamine. et digestif.
DAG. Voir Diacylglycérol. Division sympathique. Partie du système nerveux autonome
Décussation partielle. Croisement en X partiel d’une voie intervenant pour normaliser les variations des constantes
axonique d’un côté du SNC à l’autre. physiologiques touchant la fréquence cardiaque, la respira-
Dendrite. Neurite qui reçoit les influx synaptiques d’autres tion, le système digestif, etc.
neurones. DNMS. Voir Test de reconnaissance différée par non-appa-
Densité post-synaptique. Différenciation de la membrane riement.
synaptique, site des récepteurs de neurotransmetteurs. Doctrine du neurone. Voir Concept de neurone.
Dépolarisation. Rendre le potentiel membranaire moins DOPA. Précurseur chimique de la dopamine et d’autres
négatif. catécholamines.
Dépression à long terme (DLT ou long-term depression, Dopamine (DA). Neurotransmetteur synthétisé à partir de la
LTD). Une réduction durable de l’efficacité de la transmis- DOPA.
sion synaptique qui fait suite à certains types de stimulations.
Dorsal. En direction du dos.
Dépression majeure. Trouble affectif qui se caractérise par
Douleurs rapportées. Douleur perçue comme provenant
une altération sévère et durable de l’humeur ; accompagné
d’un site différent de celui réellement en cause. En parti-
d’anxiété, de troubles du sommeil et d’autres perturbations
culier, l’activation des nocicepteurs au niveau des organes
physiologiques.
viscéraux est typiquement perçue comme provenant de la
Déprivation monoculaire. Manipulation expérimentale peau ou des muscles squelettiques.
déprivant un œil de la vision normale.
Dure-mère. La plus superficielle des trois méninges qui
Dermatome. Partie de la peau innervée par les deux racines recouvrent le SNC.
dorsales d’un segment rachidien.
Dyslexie. Difficulté dans l’apprentissage de la lecture en dépit
Diacylglycérol (DAG). Second messager produit par l’action
d’une intelligence normale et d’un apprentissage correct.
de la phospholipase C sur le phospholipide membranaire,
phosphatidylinositol-4,5-disphosphate. Le DAG active l’en Dyspraxie verbale. Incapacité à produire les mouvements
zyme protéine kinase C. coordonnés nécessaires à la production des mots dans le
langage parlé, en l’absence de lésion de nerfs ou des mus-
Diencéphale. Partie du tronc cérébral dérivée du prosen-
cles impliqués.
céphale. Comprend le thalamus et l’hypothalamus.
Efférence. Axone, entre son origine et sa destination.
Différence de potentiel. La force exercée sur une charge
électrique, représentée par le symbole V et mesurée en uni- Effet activationnel. Capacité d’une hormone à activer un
tés appelées volts ; on l’appelle aussi voltage ou différence processus reproducteur ou comportemental dans l’orga-
de potentiel. nisme adulte.
Différenciation. Processus de développement et de spéciali- Effet organisationnel. Capacité d’une hormone à influencer
sation des structures. le développement prénatal des organes sexuels et du cer-
Différenciation membranaire. Accumulation dense de veau.
protéines dans les membranes de chaque côté de la fente Électroencéphalogramme (EEG). Enregistrement de l’élec-
synaptique. tricité générée par l’activité cérébrale.
Difficile problème de la conscience. Pourquoi et comment Électrothérapie. Traitement de la dépression majeure basé
une expérience subjective de la conscience est liée à des sur l’application d’un choc électrique induisant une forte
modifications physiques de l’activité cérébrale ? décharge cérébrale.
Glossaire 933
Émotions de base. Réactions émotionnelles considérées Facteur de croissance nerveuse (nerve growth factor,
comme innées et universelles au travers de toutes les NGF). Neurotrophine nécessaire à la vie des cellules du
cultures. système sympathique du SNA ; joue aussi un rôle important
Émotion inconsciente. Processus émotionnel déclenché en dans certains aspects du développement du SNC.
dehors de tout processus conscient. Facteur de déterminisme des testicules. Protéine d’impor-
tance déterminante pour le développement des testicules
Encéphale. Partie du SNC enfermée dans le crâne, qui com-
chez le fœtus.
prend les hémisphères cérébraux, le cervelet, le tronc céré-
bral et les deux rétines. Facteur de transcription. Protéine régulatrice de la fixation
de l’ARN polymérase sur la partie promotrice du gène.
Enclume. Osselet de l’oreille moyenne.
Facteur neurotrophique dérivé du cerveau (brain-derived
Endocannabinoïde. Substance endogène qui se fixe sur les
neurotrophic factor, BDNF). Neurotrophine que l’on
récepteurs des cannabinoïdes.
trouve dans le cerveau et qui favorise la survie des neurones
Endocytose. Processus par lequel la membrane incorpore corticaux.
une partie d’elle-même, formant une vésicule interne après
Facteur trophique. Toute molécule qui contribue à la vie de
achèvement du processus. Voir aussi Exocytose.
la cellule.
Endolymphe. Milieu liquide du canal cochléaire, avec des
concentrations élevées de K+ et de faibles concentrations Faisceau. Groupe d’axones suivant le même trajet mais qui
de Na+. n’ont pas forcément la même origine, ni la même destina-
tion.
Endorphine. Un des nombreux peptides opiacés exerçant un
effet semblable à celui de la morphine ; existe dans de nom- Faisceau corticospinal. Faisceau prenant son origine dans le
breuses structures du cerveau, en particulier dans celles qui néocortex et qui se termine au niveau de la moelle épinière,
sont associées à la douleur. impliqué dans le contrôle du mouvement volontaire.
Engramme. Trace physique d’un souvenir. Faisceau longitudinal dorsal. Formé par les axones qui
établissent des connexions réciproques entre l’hypotha-
Éphrine. Protéine sécrétée par les neurones du cerveau en lamus et la substance grise périaqueducale.
développement impliquée dans l’établissement des rela-
tions topographiques axonales. Faisceau médian du télencéphale. Grand faisceau d’axones
qui traversent l’hypothalamus comprenant les efférences
Épilepsie. Affection cérébrale chronique caractérisée par des des neurones dopaminergiques, noradrénergiques et séro-
crises récurrentes. toninergiques du tronc cérébral, ainsi que des fibres qui re-
Épine dendritique. Petite protrusion de la membrane des lient entre eux l’hypothalamus, les structures du système
dendrites de certaines cellules, reçoit l’influx synaptique. limbique et l’aire tegmentale ventrale du mésencéphale.
Épinéphrine. Terme parfois utilisé (Angleterre) pour dési- Faisceau pyramidal. Faisceau composé d’axones cortico
gner l’adrénaline. spinaux courant ventralement le long du bulbe.
Épissage de l’ARN. Processus par lequel l’intron, région non Faisceau réticulospinal latéral d’origine bulbaire. Projec-
codante du génome, est éliminé. tion de la formation réticulée bulbaire sur la moelle épi-
Épithélium olfactif. Couche de cellules qui tapisse une par- nière, impliquée dans le contrôle du mouvement.
tie des cavités nasales et contient les neurones récepteurs Faisceau réticulospinal médian d’origine pontique. Voie
olfactifs. qui part de la formation réticulée du pont et se termine dans
Équation de Goldman. Formule mathématique utilisée pour la moelle épinière ; elle est impliquée dans le contrôle du
prédire le potentiel membranaire à partir de la concentration mouvement.
des ions et de la perméabilité de la membrane. Faisceau rubrospinal. Faisceau naissant dans le noyau rouge
Équation de Nernst. Formule mathématique utilisée pour et se terminant dans la moelle épinière, impliqué dans le
calculer le potentiel d’équilibre ionique. contrôle du mouvement.
Étape limitante. Dans une série de réactions biochimiques Faisceau tectospinal. Faisceau de fibres naissant dans le col-
donnant naissance à une substance chimique, l’étape qui liculus supérieur et se terminant dans la moelle épinière,
limite le taux de synthèse. impliqué dans le contrôle des mouvements de la tête et du
cou.
Étrier. Osselet de l’oreille moyenne rattaché à la fenêtre
ovale. Faisceau vestibulospinal. Faisceau prenant naissance dans
les noyaux vestibulaires du bulbe et se terminant dans la
Exocytose. Libération de substances d’une vésicule intra moelle épinière, impliqué dans le contrôle du mouvement
cellulaire dans l’espace extracellulaire à travers la fusion et de la posture.
des membranes de la vésicule et de la cellule.
Fasciculation. Axones qui se regroupent en faisceaux pen-
Expression génique. Transcription des informations conte- dant leur croissance.
nues dans le gène en ARNm.
Fenêtre ovale. Trou dans l’os de la cochlée au niveau duquel
Extenseur. Muscle qui provoque l’extension en se contractant. le mouvement des osselets est transféré aux fluides de la
Extension. Ouverture d’une articulation. cochlée.
934 Glossaire
Fenêtre ronde. Orifice recouvert d’une membrane dans Fuseau neuromusculaire. Structure particulière des mus-
l’os de la cochlée contigu à la rampe tympanique dans la cles squelettiques qui est associée à la longueur du muscle.
cochlée. Les fuseaux neuromusculaires transmettent l’information
sensorielle aux neurones de la moelle épinière par l’inter-
Fente (espace) synaptique. Séparation entre les membranes
médiaire du groupe des afférences Ia.
pré et post-synaptiques.
GABA. Voir Acide γ-aminobutyrique.
Fibre extrafusale. Fibre musculaire du muscle squelettique
qui se trouve à l’extérieur des fuseaux musculaires et reçoit GABAergique. Ce dit des synapses ou des récepteurs qui
l’influx nerveux des motoneurones α. utilisent le GABA comme neurotransmetteur.
Ganglion. Regroupement de neurones du SNP.
Fibre grimpante. Axone des neurones du noyau de l’olive
inférieure innervant les cellules de Purkinje du cervelet. Ganglion des racines dorsales (ou ganglion rachidien).
L’activité des fibres grimpantes est associée à l’induction Regroupement des corps cellulaires des neurones sensoriels
de la dépression à long terme (DLT), une forme de plasticité qui forment le SNP somatique. La racine dorsale de chaque
synaptique susceptible d’être à la base des apprentissages nerf rachidien a un ganglion.
moteurs. Ganglion spiral. Ensemble de cellules du modiolus de la
Fibre intrafusale. Fibre spécialisée d’un faisceau muscu- cochlée qui reçoivent l’influx des cellules ciliées et en-
laire, innervée par les motoneurones γ. voient des signaux aux noyaux cochléaires dans le bulbe
par l’intermédiaire du nerf auditif.
Fibre moussue. Axone d’un neurone du pont qui innerve les
Ganglions autonomes. Ganglions périphériques des sys-
cellules granulaires du cervelet.
tèmes sympathique et parasympathique du SNA.
Fibre musculaire. Cellule du muscle squelettique à plusieurs Ganglions de la base. Ensemble de noyaux siégeant en pro-
noyaux. fondeur dans le cerveau antérieur, comprenant le noyau
Fibre parallèle. Axone d’une cellule granulaire parallèle qui caudé, le putamen, le globus pallidus et le noyau sous-
innerve les cellules de Purkinje. thalamique.
Filament épais. Partie du cytosquelette d’une cellule mus- Gap junction. Voir Jonction étroite.
culaire contenant de la myosine. Les filaments épais sont Gating. Propriété de nombreux canaux ioniques qui s’ouvrent
situés entre ou mêlés aux filaments fins le long desquels ils ou se ferment en réponse à des signaux spécifiques comme
coulissent pour provoquer la contraction musculaire. le potentiel membranaire ou la présence de neurotransmet-
teurs.
Filament fin. Partie du cytosquelette d’une cellule muscu-
laire contenant de l’actine. Les filaments fins sont ancrés Gène. Segment d’ADN qui renferme les instructions relatives
aux stries Z, et coulissent le long des filaments épais pour à la biosynthèse d’une protéine déterminée.
permettre la contraction musculaire. Gène-horloge. Gène impliqué de façon critique dans les mé-
Fléchisseur. Muscle qui provoque la flexion en se contrac- canismes moléculaires du rythme circadien ; ces gènes sont
tant. traduits en protéines qui régulent leur propre transcription,
et leur expression fluctue selon un rythme d’environ 24 h.
Flexion. Mouvement qui ferme une articulation.
Générateur central de rythme. Circuit neuronal qui donne
Folliculo-stimuline (FSH). Voir Hormone folliculo-stimu- naissance à une activité motrice rythmique.
line (FSH). Génome. Ensemble du matériel génétique d’un organisme.
Force électromotrice (ionique). Différence entre le poten- Génotype. Caractéristiques génétiques d’un individu.
tiel réel de la membrane (Vm) et le potentiel de l’équilibre
GFP (green fibrillary protein). Protéine susceptible d’être
ionique d’équilibre (Eion).
exprimée dans des neurones de mammifères par les mé-
Formation réticulée. Région du tronc cérébral, ventrale par thodes du génie génétique, rendant ces neurones fluores-
rapport à l’aqueduc et au 4e ventricule, impliquée dans de cents lorsqu’ils sont illuminés par une lumière de longueur
nombreuses fonctions, y compris le contrôle postural et le d’onde appropriée.
mouvement. Ghréline. Peptide sécrété par des cellules de l’estomac, qui
Fornix. Formation d’axones issue de l’hippocampe qui s’en- stimule l’appétit et active les neurones à activité orexigé-
roule autour du thalamus et se projette sur le diencéphale. nique de l’hypothalamus.
Fovéa. Dépression sur la rétine, au centre de la macula. Chez Glie radiaire. Cellule gliale du cerveau embryonnaire qui en-
l’homme, la fovéa contient seulement les cônes ; elle joue voie un prolongement de la zone ventriculaire à la surface
un rôle spécifique dans l’acuité visuelle. du cerveau, le long duquel se fait la migration des neurones
immatures et des cellules gliales.
Fréquence. Nombre d’ondes (ou autres événements) par
Globus pallidus. Structure des ganglions de la base dans
seconde, exprimé en Hz.
le cerveau antérieur profond, impliquée dans le contrôle
Fréquence caractéristique. Fréquence du son préférentielle moteur.
pour un neurone du système auditif. Glomérule. Formation de neurones située dans le bulbe
Frontal eye field (FEF). Zone du cortex frontal concernée olfactif ; elle reçoit des informations des neurones récep-
par les mouvements des yeux. teurs olfactifs.
Glossaire 935
Glutamate (Glu). Acide aminé ; le principal neurotransmet- Hormone folliculo-stimuline (FSH). Hormone sécrétée par
teur excitateur dans le SNC. l’hypophyse antérieure. Parmi ses différents rôles, la FSH
Glutamatergique. En rapport avec des neurones ou des sy- intervient dans la croissance des follicules ovariens et dans
napses qui utilisent le glutamate comme neurotransmetteur. la maturation du sperme dans les testicules.
Glycine (Gly). Acide aminé ; le neurotransmetteur inhibiteur Hormone hypophysiotrope. Hormone peptidique, comme
de certaines parties du SNC. CRH ou GRH, libérée dans le sang par les neurones sé-
créteurs parvocellulaires de l’hypothalamus, qui stimule ou
GMPc. Voir Guanosine monophosphate cyclique. inhibe la sécrétion des hormones de l’hypophyse antérieure.
Gonadolibérine (GnRH). Hormone hypophysiotrope sécré- Hormone lutéinisante (LH). Hormone sécrétée par l’hypo-
tée par l’hypothalamus. Le GnRH régule la sécrétion de la physe antérieure. Parmi ses différents rôles, la LH inter-
LH et de la FSH par l’hypophyse. vient dans la stimulation de la production de testostérone
Gonadotrophines. Hormones sécrétées par l’hypophyse chez le mâle et facilite le développement des follicules et
antérieure qui régulent la sécrétion des androgènes et des l’ovulation chez la femelle.
œstrogènes à partir des testicules et des ovaires. Humeur aqueuse. Milieu situé entre la cornée et le cristallin
Gradient de concentration. Différence de concentration de l’œil.
entre deux compartiments. Humeur vitrée. Substance gélatineuse contenue dans l’es-
Granule de sécrétion. Vésicule sphérique de 100 nm de pace entre le cristallin et la rétine.
diamètre environ, contenant des peptides destinés à l’exo- 5-HT (5-hydroxytryptamine). Terme chimique désignant la
cytose ; grande vésicule à forte densité. sérotonine.
GTP. Guanosine triphosphate. Hybridation in situ. Méthode servant à localiser les brins
Guanosine monophosphate cyclique (GMPc). Second d’ARNm dans les cellules.
messager produit à partir du GTP, par l’action de l’enzyme Hyperalgie. Abaissement du seuil de la douleur ; réponse
guanylate cyclase. accentuée aux stimuli douloureux, ou douleur spontanée
Gustation. Sens du goût. provoquée par une blessure particulière.
Gyrus. Protubérance située entre les sillons du cerveau. Hypothalamus. Partie ventrale du diencéphale, impliquée
Gyrus denté (ou dentatus). Couche de neurones de l’hippo- dans la régulation de l’activité du SNA et de l’hypophyse.
campe qui reçoit les afférences du cortex entorhinal. Hypothèse de la chémoaffinité. Hypothèse selon laquelle
Habituation. Forme d’apprentissage non associatif, associée des marqueurs chimiques dans les axones en croissance
à une diminution des réponses aux stimuli répétitifs. correspondent à des marqueurs chimiques complémentaires
sur leurs cibles.
Hélicotrème. Trou situé à l’apex de la cochlée, qui fait com-
muniquer la rampe tympanique et la rampe vestibulaire. Hypothèse de la déficience sérotoninergique. Idée que
l’agressivité est inversement corrélée à l’activité sérotoni-
Hémichamp visuel. Moitié du champ visuel, d’un côté du nergique.
point de fixation.
Hypothèse dopaminergique de la schizophrénie. Hypothèse
Hémisphères cérébelleux. Parties latérales du cervelet. suggérant que la schizophrénie est liée à une hyperactivité
Hémisphères cérébraux. Deux côtés du cerveau dérivés des dopaminergique passant par les récepteurs dopaminer-
deux vésicules télencéphaliques. giques D2 du système dopaminergique mésocorticolimbique.
Hertz (Hz). Unité de fréquence. Hypothèse glutamatergique de la schizophrénie. Hypo-
Hippocampe. Partie interne du cortex cérébral, adjacente au thèse suggérant que la schizophrénie est liée à un déficit
cortex olfactif. Chez l’homme, l’hippocampe est situé dans d’activation des récepteurs NMDA.
le lobe temporal et pourrait jouer un rôle particulier dans la Hypothèse lipostatique. Hypothèse proposant que le taux
mémoire et l’apprentissage. de graisses de l’organisme fait l’objet d’une régulation
Histologie. Étude microscopique des tissus. homéostasique et se trouve ainsi maintenu à un niveau
constant.
Homéostasie. Fonctionnement équilibré des processus phy-
siologiques contribuant au maintien de l’environnement Hypothèse monoaminergique des troubles de l’humeur.
interne constant de l’organisme. Hypothèse suggérant que la dépression est la conséquence
d’une réduction des taux de monoamines, particulièrement
Hormone antidiurétique (ADH). Voir Vasopressine la sérotonine et la noradrénaline.
Hormone corticolibérine (CRH). Hormone sécrétée par les Hypothèse des « switch » moléculaires. Idée selon laquelle
neurones de la région paraventriculaire de l’hypothalamus les protéines kinases peuvent faire l’objet d’une activation
qui stimule la sécrétion de l’ACTH à partir de l’hypophyse par autophosphorylation jusqu’à un état qui ne nécessite
antérieure. pas plus longtemps la présence d’un second messager spé-
Hormone corticotrope (ACTH). Hormone sécrétée par cifique. Cette activation soutenue des protéines kinases
l’hypophyse antérieure en réponse à la sécrétion de CRH pourrait contribuer à maintenir une information en mémoire
par l’hypothalamus ; stimule la sécrétion de cortisol par la après une forte activation synaptique. Hypothèse initiale-
corticosurrénale. ment proposée par John Lisman à Brandeis University.
936 Glossaire
Hypothèse « stress-diathèse » des troubles de l’humeur. Iris. Muscle circulaire coloré qui contrôle l’ouverture de la
Hypothèse suggérant que les troubles de l’humeur et en pupille.
particulier certaines formes de dépression, seraient liés à ISRS. Inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine.
une combinaison de facteurs de prédisposition génétique et Médicaments du type Prozac® (fluoxétine) qui prolongent
de facteurs stressants environnementaux. l’action de la sérotonine libérée par les neurones en inhibant
Identité des genres. Sentiment de son appartenance au sexe sa recapture dans les terminaisons nerveuses. Ces médica-
masculin ou au sexe féminin. ments sont efficaces pour lutter contre la dépression et les
Image d’un point. Tous les neurones activés par la stimula- troubles obsessivocompulsifs (TOC).
tion d’un point du champ visuel. Jonction étroite (gap-junction). Jonction particulière entre
Imagerie par résonance magnétique (IRM). Technique deux cellules formée par des canaux protéiques (connexons)
d’imagerie du cerveau qui permet de localiser les atomes qui laissent passer directement les ions d’une cellule à
d’hydrogène en modifiant leur état atomique dans un champ l’autre.
magnétique. Jonction neuromusculaire. Synapse chimique entre l’axone
Immunocytochimie. Méthode anatomique pour étudier la d’un neurone moteur et une fibre du muscle squelettique.
localisation des molécules dans les cellules, au moyen Knock-in (KI). Remplacement d’un gène par un autre.
d’anticorps.
Knock-out (KO). Délétion d’un gène particulier.
Inanition. État relatif à une balance énergétique négative
dans lequel la consommation d’énergie est insuffisante pour Labyrinthe aquatique de Morris. Test utilisé pour évaluer
répondre à la demande. la mémoire spatiale.
Inflammation. Réponse protectrice de l’organisme à des Labyrinthe vestibulaire. Partie de l’oreille interne spé-
stimuli agressifs. Les principaux signes de l’inflammation cialisée dans la détection des mouvements de la tête. Le
au niveau de la peau sont une rougeur, une sensation de labyrinthe est formé des organes otolithiques et des canaux
chaleur, la formation d’un œdème, et une douleur. semi-circulaires.
Ingénierie génétique. Manipulation du génome d’un orga- Lame basale. Couche de protéines située dans l’espace
nisme par insertion ou délétion de fragments d’ADN. entre la terminaison d’un nerf et la cellule musculaire qu’il
Inhibiteur. Drogue ou toxine qui bloque l’action normale innerve.
d’une protéine ; ou processus biochimique. Lame réticulaire. Fine couche de tissu qui retient le sommet
Inhibition réciproque. Processus par lequel la contraction des cellules ciliées dans l’organe de Corti.
d’un ensemble de muscles est associée à la relaxation de Langage. Système de communication utilisant les mots ou
muscles antagonistes. des signes combinés de telle manière qu’ils respectent des
Innerver. Former des synapses avec. règles grammaticales.
Inositol-1,4,5-triphosphate (IP3). Molécule de second mes- Latéral. À distance de la ligne médiane.
sager élaborée par l’action de la phospholipase C sur le
LCR. Voir Liquide céphalorachidien.
phospholipide phosphatidylinositol-4,5-diphosphate de la
membrane. L’IP3 libère le Ca2+ stocké dans la cellule. Lemnisque. Voie serpentant dans le cerveau, comme un
Insula. Partie du cortex cérébral, également nommée cortex ruban.
insulaire, située à l’intérieur du sillon latéral, entre le lobe Lemnisque médian. Bande de substance blanche du système
temporal et le lobe pariétal. sensoriel somatique, composée des projections des noyaux
Insuline. Hormone sécrétée par les cellules β du pancréas des colonnes dorsales sur le thalamus.
qui régule le taux de glucose sanguin par un contrôle de Leptine. Hormone sécrétée par les tissus adipeux qui agit sur
l’expression des transporteurs de glucose de cellules non les neurones de l’hypothalamus au niveau du noyau arqué.
neuronales.
Liaison peptidique. Lien de covalence entre le groupe aminé
Intégration synaptique. Processus qui combine les in- d’un acide aminé et le groupe carboxyl d’un autre.
fluences des différents PPSE et PPSI au niveau du même
neurone. Ligne médiane. Ligne qui sépare le système nerveux en deux
parties, droite et gauche.
Intensité. Amplitude de l’onde. L’intensité sonore est l’am-
plitude de l’onde sonore qui détermine son niveau sonore Ligne Z. Bande délimitant les sarcomères dans une myo
perceptible. fibrille d’une fibre musculaire.
Interneurone. Tout neurone différent d’un neurone sensoriel Liquide céphalorachidien (LCR). Fluide produit par les
ou moteur. Ce terme désigne aussi un neurone dont l’axone plexus choroïdes qui s’écoule à travers le système ventricu-
ne quitte pas la structure où il se trouve. laire, dans l’espace subarachnoïdien.
Ion. Atome ou molécule présentant une charge électrique liée Lithium. En solution, le lithium représente un cation mono-
à une différence entre le nombre d’électrons et de protons. valent qui est efficace dans les troubles bipolaires.
IP3. Voir Inositol-1,4,5-triphosphate. Lobe frontal. Partie du cerveau antérieure par rapport au
Ipsilatéral. Du même côté par rapport à la ligne médiane. sillon central, située sous l’os frontal.
Glossaire 937
Lobe limbique. L’hippocampe et les aires corticales qui Membrane tectoriale. Couche de tissu suspendu au-dessus
bordent le tronc cérébral chez les mammifères, considéré de l’organe de Corti dans la cochlée.
par Broca comme un lobe distinct du cerveau. Membrane tympanique. Membrane de la partie interne du
Lobe occipital. Partie du cerveau située sous l’os occipital. canal auditif, qui est soumise aux variations de pression
Lobe pariétal. Région du cerveau située sous l’os pariétal, d’air.
postérieurement par rapport au sillon central. Mémoire. Conservation de nouvelles informations.
Lobe temporal. Partie du cerveau située sous l’os temporal. Mémoire à court terme. Stockage de l’information de carac-
Locus. Petit groupe de cellules bien défini. tère temporaire, de capacité limitée, demande une remémo-
ration continue.
Locus coeruleus. Petit noyau du pont siégeant bilatérale-
ment ; les neurones utilisent la noradrénaline comme neu- Mémoire à long terme. Stockage de l’information relative-
rotransmetteur et se projettent largement à tous les niveaux ment permanent ; ne nécessite pas de répétition continue.
du SNC. Mémoire contextuelle. Forme de mémoire dans laquelle tous
Loi d’Ohm. Relation entre le courant électrique (I), le vol- les événements qui se produisent à un moment donné sont
tage (V) et la conductance (g) : I = gV. La conductance stockés en étant reliés les uns aux autres.
électrique étant l’inverse de la résistance (R), on peut aussi Mémoire déclarative. Mémoire des événements et des faits.
écrire V = RI.
Mémoire de reconnaissance. Mémoire impliquée dans le
M1. Cortex primaire moteur, aire 4.
test de reconnaissance différée par non-appariement.
Macula. Tâche jaune au milieu de la rétine avec quelques
gros vaisseaux sanguins, contient la fovéa. Mémoire de travail. Remémoration ou rétention temporaire
d’informations acquises.
Magnéto-encéphalographie (MEG). Mesure de l’activité
électrique du cerveau enregistrée par la détection des fluc- Mémoire distribuée. Concept selon lequel les souvenirs sont
tuations des champs magnétiques associées au fonctionne- encodés par de très larges modifications synaptiques de
ment cérébral. nombreux réseaux nerveux et pas seulement par un neurone
Maladie de Parkinson. Trouble du mouvement consécutif à ou une seule synapse.
une lésion de la substance noire, caractérisé par la difficulté Mémoire non déclarative. Mémoire des habilités motrices,
d’initier le mouvement volontaire et des tremblements de des réponses émotionnelles et de quelques réflexes.
repos. Mémoire procédurale. Mémoire des habiletés motrices.
Maniaque. État d’une humeur exacerbée caractéristique d’un
Méninges. Trois membranes qui recouvrent le SNC : la dure-
syndrome bipolaire.
mère, l’arachnoïde et la pie-mère.
Marteau. Un osselet de l’oreille moyenne fixé sur le tympan.
Mésencéphale. Région du cerveau dérivée de la vésicule pri-
Matrice extracellulaire. Réseau de protéines fibreuses qui
mitive moyenne. Les structures du mésencéphale incluent
comble l’espace entre les cellules.
le tectum et le tegmentum.
Mécanorécepteur. Tout récepteur sensoriel sélectif pour les
stimuli mécaniques, comme les cellules ciliées de l’oreille Messager rétrograde. Tout messager qui véhicule l’informa-
interne, ou différents récepteurs cutanés, ou les récepteurs à tion de l’élément post-synaptique vers l’élément présynap-
l’étirement du muscle squelettique. tique.
Médecine moléculaire. Approche utilisant les données de la Métaplasticité. Modifications dépendantes de l’activité des
génétique pour développer de nouveaux traitements. lois de la transmission synaptique.
Médian. En direction de la ligne médiane. Méthode de liaison par ligand. Méthode utilisant des li-
Médullosurrénale. Partie interne de la glande surrénale, gands de récepteurs marqués (agonistes ou antagonistes)
innervée par les fibres sympathiques préganglionnaires. pour identifier les récepteurs des neurotransmetteurs.
La médullosurrénale libère de l’adrénaline. Microélectrode. Sonde utilisée pour mesurer l’activité élec-
Membrane arachnoïdienne. Une des trois méninges (celle trique des cellules. Les microélectrodes ont une extrémité
du milieu) qui recouvrent la surface du SNC. très fine ; ce sont par exemple des pipettes de verre effilées
remplies d’une solution qui conduit l’électricité ou de fines
Membrane basilaire. Membrane qui sépare la rampe tympa-
aiguilles métalliques dont seule l’extrémité n’est pas isolée
nique et le canal cochléaire dans la cochlée.
électriquement.
Membrane de Reissner. Membrane cochléaire qui sépare la
rampe vestibulaire et le canal cochléaire. Microfilament. Polymère de la protéine d’actine, formant un
brin tressé de 5 nm de diamètre. Les microfilaments font
Membrane excitable. Toute membrane susceptible de géné-
partie du cytosquelette.
rer des potentiels d’action. La membrane des axones et des
cellules musculaires est excitable. Microglie. Type de cellule gliale fonctionnant comme un
Membrane neuronale. Barrière de 5 nm d’épaisseur envi- macrophage éliminant par phagocytose les débris cellu-
ron, qui sépare l’intérieur de l’extérieur de la cellule ; elle laires.
est composée d’une bicouche de phospholipides incrustée Micro-ionophorèse. Application de drogues ou de neuro
de protéines ; elle renferme des organites et des vésicules. transmetteurs en très petite quantité sur les cellules.
938 Glossaire
Nétrine. Molécule impliquée dans le guidage axonal ; pro- Neurone sécrétoire parvocellulaire. Petit neurone de l’hy-
téine sécrétée par des cellules en des endroits stratégiques pothalamus médian et périventriculaire qui secrète des hor-
pendant le développement du système nerveux ; peut agir mones peptidiques hypophysiotropes dans la circulation du
par des actions chémo-attractives ou chémorépulsives. système porte hypothalamohypophysaire pour stimuler ou
Neurite. Prolongement fin qui part du corps cellulaire d’un inhiber la libération d’hormones de l’hypophyse antérieure.
neurone. Les neurites peuvent se diviser en axones et en Neurone sensoriel primaire. Neurone spécialisé pour
dendrites. détecter les messages de l’environnement à la périphérie
Neuroblaste. Neurone immature, avant la différenciation du corps.
cellulaire. Neurone unipolaire. Neurone avec un seul neurite.
Neurofilament. Filament constitutif des neurones. Les neuro- Neuropharmacologie. Étude des effets des médicaments sur
filaments ont 10 nm de diamètre et sont un élément impor- le système nerveux.
tant du cytosquelette neuronal. Neurotransmetteur. Substance chimique libérée par un
Neurohormone. Hormone libérée dans le sang par les élément présynaptique après stimulation, qui active les
neurones. récepteurs post-synaptiques.
Neuroleptique. Catégorie de médicaments, connus aussi Neurotrophine. Fait partie des facteurs trophiques des neu-
comme tranquillisants, utilisés pour traiter certaines psy- rones qui comprennent le nerve growth factor (NGF) et le
choses comme la schizophrénie par exemple. brain-derived neurotrophic factor (BDNF).
Neuromodulation. Terme utilisé pour décrire l’action des Neurulation. Formation du tube neural à partir de l’ecto-
neurotransmetteurs qui ne génèrent pas directement de derme pendant le développement embryonnaire.
potentiels synaptiques mais qui modifient la réponse cellu- NGF. Voir Facteur de croissance nerveuse et neurotrophine.
laire aux PPSE et aux PPSI générés par d’autres synapses. Nocicepteur. Tout récepteur sélectif des stimuli potentielle-
Neurone. Cellule informative du système nerveux. La plupart ment dangereux ; pourrait induire des sensations de douleur.
des neurones utilisent les potentiels d’action pour trans- Nœud de Ranvier. Espace compris entre deux segments de la
mettre l’information d’un point du système nerveux à un gaine de myéline, l’endroit où l’axone est en contact avec le
autre, et tous communiquent entre eux par des synapses. milieu extracellulaire.
Neurone bipolaire. Toute cellule n’ayant que deux neurites ; Noradrénaline (NA). Un neurotransmetteur synthétisé à
cellule de la rétine qui relie les photorécepteurs aux cellules partir de la dopamine, appelé aussi norépinéphrine.
ganglionnaires.
Noradrénergique. En rapport avec les neurones ou les
Neurone de Golgi de type I. Neurone avec un long axone, synapses qui libèrent de la noradrénaline.
qui transmet l’information d’une partie du cerveau à une
Norépinéphrine (NE). Terme anglais désignant la noradré-
autre.
naline.
Neurone de Golgi de type II. Neurone avec un axone court,
Noyau. 1. Organite du corps cellulaire contenant les chromo-
qui ne se projette qu’à proximité du neurone.
somes ; 2. Terme général utilisé pour décrire une masse de
Neurone épineux. Neurone avec des épines dendritiques. neurones bien délimitée, généralement en profondeur dans
Neurone miroir. Neurone du cortex cérébral actif lorsque le cerveau.
l’animal réalise un acte moteur, ou lorsqu’il observe le Noyau arqué. Noyau de la région périventriculaire de l’hypo-
même acte moteur réalisé par un congénère. thalamus contenant un grand nombre de neurones sensibles
Neurone moteur (motoneurone). Neurone qui fait synapse à des changements des taux circulants de leptine, contri-
sur une cellule musculaire et provoque la contraction. buant à la régulation de la balance énergétique.
Neurone multipolaire. Neurone avec trois neurites ou plus. Noyau caudé. Structure des ganglions de la base, dans le cer-
veau basal antérieur, impliquée dans le contrôle moteur.
Neurone non-épineux. Neurone sans épine dendritique.
Noyau cochléaire. Voir Noyau cochléaire dorsal et noyau
Neurone post-ganglionnaire. Neurone périphérique des
cochléaire ventral.
divisions sympathique et parasympathique du SNA ; les
corps cellulaires se trouvent dans les ganglions autonomes Noyau cochléaire dorsal. Noyau de la région bulbaire qui
et les axones se terminent sur les organes et les tissus de la reçoit les afférences du ganglion spiral de la cochlée.
périphérie. Noyau cochléaire ventral. Noyau bulbaire qui reçoit des
Neurone préganglionnaire. Neurone des divisions sympa- afférences du ganglion spiral de la cochlée.
thique et parasympathique du SNA ; les corps cellulaires se Noyau des colonnes dorsales. Noyau situé dans la partie très
trouvent dans le SNA (moelle épinière ou tronc cérébral) et postérieure du tronc cérébral ; cible des axones sensoriels
les axones se projettent latéralement et font synapse sur les cheminant par la voie des colonnes dorsales, en rapport
neurones postganglionnaires dans les ganglions autonomes. avec la sensibilité du toucher et de la proprioception des
Neurone sécrétoire magnocellulaire. Grand neurone des membres et du tronc.
noyaux périventriculaires et supra-optiques de l’hypotha- Noyau du faisceau solitaire. Noyau du tronc cérébral qui re-
lamus qui se projette sur la partie postérieure de l’hypo- çoit l’information et l’utilise pour coordonner la fonction
physe et secrète de l’ocytocine ou de la vasopressine dans autonome par des messages envoyés à d’autres noyaux du
le sang. tronc cérébral et du cerveau antérieur, et à l’hypothalamus.
940 Glossaire
Noyaux du pont. Clusters de neurones qui relaient l’informa- Ocytocine. Petite hormone peptidique libérée par les neurones
tion entre le cortex cérébral et le cortex cérébelleux. magnocellulaires ; elle stimule les contractions de l’utérus
Noyaux du raphé. Clusters de neurones sérotoninergiques et la sécrétion de lait à partir des glandes mammaires.
qui s’étendent le long de la ligne médiane du tronc cérébral Œstrogènes. Hormones sexuelles stéroïdiennes des femelles.
et projettent de façon très diffuse sur l’ensemble des struc- Les deux hormones les plus importantes de cette catégorie
tures du système nerveux central. sont l’œstradiol et la progestérone.
Noyau gustatif. Noyau du tronc cérébral qui reçoit les infor- Olfaction. Sens de l’odorat.
mations gustatives primaires. Oligodendrocyte. Cellule gliale qui fournit la myéline dans
Noyau intersticiel de l’hypothalamus antérieur. Groupe- le SNC.
ment de quatre sous-noyaux de l’hypothalamus antérieur Olive inférieure. Noyau de la formation réticulée bulbaire
(aire préoptique), dont certains pourraient faire l’objet d’un qui projette des fibres grimpantes sur le cortex cérébelleux.
dimorphisme sexuel. Olive supérieure. Noyau du pont caudal qui reçoit des affé-
Noyau paraventriculaire. Région de l’hypothalamus impli- rences des noyaux cochléaires et envoie des efférences dans
quée dans la régulation de l’activité du système nerveux au- le colliculus inférieur.
tonome et dans le contrôle de la sécrétion de TSH et d’AC- Opiacés (ou opioïdes). Classe de drogues, incluant la mor-
TH à partir de l’hypophyse antérieure. phine, la codéine et l’héroïne, produisant des effets analgé-
Noyau rouge. Groupe de cellules du mésencéphale impliqué siques mais aussi des changements comportementaux, des
dans le contrôle du mouvement. troubles de l’humeur, des nausées, des vomissements et la
Noyau sous-thalamique. Partie des ganglions de la base du constipation.
cerveau antérieur basal, impliquée dans le contrôle moteur. Optogénétique. Méthode permettant le contrôle de l’activité
Noyau suprachiasmatique (NSC). Petit noyau de l’hypotha- neuronale à partir de l’expression de fragments de gènes
lamus, situé juste au-dessus du chiasma optique, qui reçoit exprimant des canaux ioniques contrôlés par la lumière.
l’innervation rétinienne et synchronise les rythmes circa- Oreille externe. Comprend le pavillon et le canal auditif.
diens avec le cycle quotidien de la lumière et de l’obscurité Oreille interne. Formée par la cochlée, une structure du sys-
(du jour et de la nuit). tème auditif, et du labyrinthe, qui fait partie du vestibule.
Noyau ventral-postérolatéral (VPL). Principal relais thala- Oreille moyenne. La membrane du tympan et les osselets.
mique du système somatique sensoriel. Organe de Corti. Organe récepteur auditif contenant les
Noyau ventral-postéromédian (VPM). Partie du noyau cellules ciliées et les cellules de soutien.
ventral postérieur du thalamus qui reçoit l’information Organe tendineux de Golgi. Structure spécifique des tendons
somatosensorielle de la face, y compris les efférences de du muscle squelettique qui ressent la tension des muscles.
la langue.
Organe vasculaire de la lame terminale (OVLT). Région
Noyau ventrolatéral (VL). Noyau du thalamus qui transmet spécialisée de l’hypothalamus contenant des neurones
l’information des ganglions de la base et du cervelet au sensibles à la tonicité du sang. Ces neurones activent les
cortex moteur. cellules sécrétrices magnocellulaires qui sécrètent de la
Noyaux basolatéraux. Groupe de noyaux de l’amygdale vasopressine dans le sang et déclenchent la soif osmotique.
dont les axones constituent les efférences de l’amygdale Organite. Structure entourée d’une membrane située à
(projection amygdalofuge). l’intérieur d’une cellule. Le noyau, les mitochondries, le
Noyaux corticomédians. Groupe de noyaux situés en pro- reticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi en sont
fondeur dans l’amygdale dont les axones forment la stria des exemples.
terminalis. Otolithes. Organes du labyrinthe vestibulaire de l’oreille
Noyaux des colonnes dorsales. Deux noyaux situés dans la interne représentés par le saccule et l’utricule, qui sont
région bulbaire postérieure ; cible des axones des colonnes sensibles aux inclinaisons de la tête et aux accélérations de
dorsales, transmettent les signaux du toucher et de la pro- ses mouvements.
prioception issus des membres et du tronc. Osselet. Un des trois petits os de l’oreille moyenne.
Noyaux du pont. Amas de neurones qui relayent l’informa- Ouverture (gating). Propriété de la plupart des canaux
tion du cortex cérébral au cortex cérébelleux. ioniques qui leur confère leur état « ouvert » ou « fermé »
Noyaux du raphé. Amas de neurones sérotoninergiques, en réponse à des signaux spécifiques tels que la dépolarisa-
situés le long de la ligne médiane du tronc cérébral, du tion de la membrane ou la présence de neurotransmetteurs.
mésencéphale au bulbe, qui se projettent de manière diffuse Overshoot. Phase du potentiel d’action où le potentiel de la
à tous les niveaux du SNC. membrane est plus positif que zéro millivolt.
Noyaux vestibulaires. Noyaux, situés dans le bulbe, qui Papille. Petite protubérance à la surface de la langue qui
reçoivent des influx de l’appareil vestibulaire de l’oreille contient les boutons du goût.
interne. Patch-clamp. Méthode qui permet d’obtenir un potentiel
Obésité. État d’énergie dans lequel l’apport énergétique est membranaire constant sur un échantillon de membrane et
largement excédentaire par rapport aux besoins énergé- de mesurer le flux du courant dans un petit nombre de ca-
tiques. naux de la membrane.
Glossaire 941
Pavillon. Partie de l’oreille externe faite de peau et de carti- Plan coronal. Plan de section anatomique qui divise le
lage. système nerveux en deux parties, antérieure et postérieure ;
Peptidergique. Décrit des neurones ou des synapses qui encore appelé plan frontal.
utilisent les neuropeptides comme transmetteur. Plan horizontal. Plan de coupe anatomique qui divise le
Peptide anorexigène. Peptide neuroactif qui agit pour inhi- système nerveux en deux parties, dorsale et ventrale.
ber la prise alimentaire ; par exemple, la cholécystokinine Plan médiosagittal. Plan de coupe anatomique perpendicu-
(CCK), l’α-melanocyte-stimulating hormone (α-MSH) ou laire au sol. Ce plan de coupe divise le système nerveux en
le cocaine and amphetamine-regulated transcript peptide deux parties, droite et gauche.
(CART).
Plan sagittal. Plan anatomique parallèle au plan médio
Peptide orexigène. Peptide neuroactif qui stimule la prise
sagittal.
alimentaire ; par exemple, le neuropeptide Y (NPY),
l’agouti-related peptide (AgRP), la melanine concentrating Planum temporale. Aire de la surface supérieure du lobe
hormone (MCH) ou l’orexine. temporal humain, souvent plus étendue dans l’hémisphère
Périkaryon. Partie centrale du neurone qui contient le noyau ; gauche que dans l’hémisphère droit.
appelé aussi soma ou corps cellulaire. Plaque corticale. Couche cellulaire du cortex cérébral en
Périlymphe. Fluide qui remplit la rampe vestibulaire et la développement qui contient les neurones indifférenciés.
rampe tympanique contenant des concentrations faibles de Plaque motrice. Membrane synaptique à la jonction neuro-
K+ et élevées de Na+. musculaire.
Période critique. Période de temps limitée pendant laquelle
Plasticité synaptique dépendant du timing de la décharge
un aspect particulier du développement cérébral est sensible
neuronale. Modification bidirectionnelle de l’efficacité
à une modification de l’environnement extérieur.
synaptique induite en faisant varier le timing relatif des
Période réfractaire absolue. Laps de temps, calculé depuis décharges pré et post-synaptiques.
le début d’un potentiel d’action, pendant lequel il ne peut y
avoir un autre potentiel d’action. PLC. Voir Phospholipase C.
Période réfractaire relative. Période de temps qui suit un Polyandrie. Comportement d’accouplement dans lequel une
potentiel d’action pendant laquelle il faut plus de courant femelle s’accouple avec plus d’un mâle.
dépolarisant pour atteindre le seuil. Polygynie. Comportement d’accouplement dans lequel un
Phase ascendante. Première partie d’un potentiel d’action mâle s’accouple avec plus d’une femelle.
caractérisée par une dépolarisation rapide de la membrane.
Polypeptide. Série d’acides aminés reliés entre eux par des
Phase descendante. Phase du potentiel d’action au cours liaisons peptidiques.
de laquelle le potentiel de membrane passe rapidement de
positif à négatif ; phase de repolarisation de la membrane Polyribosome. Groupe de plusieurs ribosomes, flottant libre-
après le pic du potentiel d’action. ment dans le cytoplasme.
Phéromone. Stimulus olfactif qui sert à la communication Pompe à calcium (ou pompe calcique). Pompe ionique qui
entre les individus. enlève les ions Ca2+ du cytosol.
Phonèmes. Séries de sons distinctifs utilisés dans le langage. Pompe ionique. Enzyme qui déplace les ions à travers la
Phosphodiestérase (PDE). Enzyme qui métabolise les se- membrane grâce à l’énergie métabolique.
conds messagers nucléotidiques, AMPc et GMPc. Pompe sodium-potassium. Pompe ionique qui absorbe les
Phospholipase C (PLC). Enzyme qui métabolise le phospha- ions intracellulaires Na+ et augmente la concentration in-
tidylinositol-4,5-diphosphate pour former les seconds mes- tracellulaire des ions K+, en utilisant l’ATP comme source
sagers, diacylglycérol (DAG) et inositol triphosphate (IP3). d’énergie.
Phosphorylation. Réaction biochimique au cours de laquelle Pont. Partie rostrale du cerveau postérieur sur la face ventrale
un groupe de phosphate (PO42–) est transféré de l’ATP à du cervelet et du 4e ventricule.
une autre molécule. La phosphorylation des protéines par
les protéines kinases modifie leur activité biologique. Population de motoneurones (pool). Tous les motoneurones
α qui innervent les fibres d’un muscle squelettique donné.
Photorécepteur. Cellule rétinienne où l’énergie lumineuse
est transformée en variations du potentiel de membrane. Postérieur. En direction de la queue, ou caudal.
Physiopathologie. Modification pathologique de l’organisa- Post-hyperpolarisation. Hyperpolarisation qui suit une forte
tion physiologique qui conduit à l’apparition de syndromes dépolarisation de la membrane. La post-hyperpolarisation
ou de symptômes des maladies. survient après un potentiel d’action ; appelée aussi un
Pie-mère. La plus profonde des trois méninges qui recouvrent dershoot.
la surface du SNC. Potentialisation à long terme (PLT ou long-term poten-
Pitch. Qualité perceptuelle d’un son déterminé par sa fré- tiation, LTP). Renforcement durable de l’efficacité de la
quence. transmission synaptique qui fait suite à certains types de
PKA. Voir Protéine kinase A. stimulations.
PKC. Voir Protéine kinase C. Potentiel. Voir Différence de potentiel.
942 Glossaire
Potentiel d’action. Brève fluctuation du potentiel de Projection rétinotectale. Trajet d’un groupe d’axones entre
membrane provoquée par l’ouverture et la fermeture de ca- la rétine et le colliculus supérieur.
naux ioniques. Les potentiels d’action se propagent comme Promoteur. Partie d’un gène qui fixe l’ARN polymérase pour
une vague le long des axones pour transmettre l’informa- initier la transcription.
tion d’un endroit à l’autre du système nerveux.
Propriocepteur. Récepteur sensoriel des muscles, des articu-
Potentiel d’équilibre ionique. Différence de potentiel élec- lations et de la peau.
trique qui équilibre exactement un gradient de concentra- Proprioception. Sensibilité des muscles, des articulations et
tion ionique, représenté par le symbole Eion. de la peau, qui renseigne sur la position et le mouvement
Potentiel de membrane. Différence de potentiel à travers la du corps.
membrane, représentée par le symbole Vm. Prosencéphale. Partie du cerveau qui s’est développée à par-
Potentiel de récepteur. Variation du potentiel de membrane tir de la vésicule primaire rostrale du cerveau chez l’em-
d’un récepteur sensoriel induite par un stimulus. bryon ; appelée aussi cerveau antérieur. Le prosencéphale
Potentiel de repos. Potentiel de la membrane quand la cel- comprend le télencéphale et le diencéphale.
lule ne génère pas de potentiels d’action. Le potentiel de Protéine. Molécule composée d’acides aminés selon des
membrane des neurones au repos est d’environ – 65 mV. informations génétiques.
Potentiel électrique. Force exercée par une particule électri- Protéine G. Protéine de liaison qui fixe le GTP lorsqu’elle
quement chargée, représentée par le symbole V et mesurée est activée à partir d’un récepteur transmembranaire. Les
en volts ; aussi dénommée voltage ou différence de potentiel. protéines G activées stimulent ou inhibent d’autres pro
téines de liaison.
Potentiel endocochléaire. Différence de potentiel entre
l’endolymphe et la périlymphe, d’environ 80 mV. Protéine kinase. Catégorie d’enzyme qui phosphoryle les
protéines. Cette réaction modifie la morphologie de la pro-
Potentiel miniature. Modification du potentiel de la téine et son activité biologique.
membrane post-synaptique causée par l’action du neuro
Protéine kinase A (PKA). Protéine kinase activée par l’AM-
transmetteur libéré à partir d’une seule vésicule synaptique.
Pc.
Potentiel post-synaptique excitateur (PPSE). Dépolari-
Protéine kinase C (PKC). Protéine kinase activée par le
sation du potentiel de la membrane post-synaptique sous
diacylglycérol.
l’effet de la libération synaptique de neurotransmetteur.
Protéine kinase calcium-calmoduline-dépendante
Potentiel post-synaptique inhibiteur (PPSI). Modification (CaMK). Protéine kinase activée par l’élévation de la
du potentiel de membrane sous l’action de la libération concentration de Ca2+.
synaptique d’un neurotransmetteur qui inhibe le neurone
post-synaptique. Protéine phosphatase. Enzyme qui enlève des groupements
phosphate aux protéines.
Potentiel post-synaptique miniature. Modification du
Psychochirurgie. Chirurgie du cerveau utilisée dans certains
potentiel synaptique de la membrane intervenant avec
troubles comportementaux.
la libération d’un neurotransmetteur à partir d’une seule
vésicule synaptique. Pulvinar. Noyau thalamique (thalamus postérieur) qui
présente de très nombreuses connexions réciproques avec
Précurseur neuronal. Neurone immature, avant la différen- un grand nombre d’aires corticales.
ciation cellulaire.
Pupille. Orifice qui permet à la lumière de pénétrer dans l’œil
Principe de Dale. L’identité du neurone est associée à un et de frapper la rétine.
neurotransmetteur.
Putamen. Une des structures des ganglions de la base ; si-
Principe de la volée afférente. Processus susceptible d’être à tué dans le cerveau antérieur et impliqué dans le contrôle
la base du codage de l’information auditive, selon lequel les moteur.
fréquences sonores pourraient être représentées par l’acti-
Quatrième ventricule. Espace rempli de liquide céphalora-
vation de populations de neurones spécifiques au niveau du
chidien dans le cerveau postérieur.
système nerveux central.
Racine dorsale. Formation d’axones sensoriels qui naissent
Priority map. Composante cognitive de l’attention formalisée d’un nerf rachidien et se rattachent à la corne dorsale de la
sous forme d’une carte de l’espace visuel vers où l’attention moelle épinière.
doit être dirigée.
Racine ventrale. Groupe d’axones de neurones moteurs qui
Privation visuelle monoculaire. Manipulation expérimen- sortent de la moelle épinière ventrale et atteignent les fibres
tale qui supprime la vision d’un des deux yeux. sensorielles pour former un nerf spinal.
Problèmes simples de la conscience. Phénomène en rapport Radiation optique. Ensemble des axones qui se projettent du
avec l’état de conscience, qui peut être abordé par les mé- CGL au cortex visuel.
thodes scientifiques. Radio-autographie. Méthode permettant de visualiser les
Procédure de Wada. Test dans lequel un des hémisphères est sites d’émissions radioactives dans des coupes de tissu.
anesthésié pour observer la fonction de l’autre hémisphère. Rage simulée. Comportement consécutif à des lésions céré
Projection rétinofuge. Voie qui transmet l’information de la brales ; manifestation de grande colère, inadaptée aux
rétine au cortex visuel. circonstances.
Glossaire 943
Rampe médiane. Partie de la cochlée située entre la rampe Réflexe vestibulo-oculaire (RVO). Mouvement réflexe des
tympanique et la rampe vestibulaire. yeux stimulé par la rotation de la tête ; contribue à stabiliser
Rampe tympanique. Cavité de la cochlée située entre l’héli- l’image sur la rétine.
cotrème et la fenêtre ronde. Réfraction. Changement de direction des rayons lumineux
Rampe vestibulaire. Cavité de la cochlée située entre la passant d’un milieu à un autre.
fenêtre ovale et l’hélicotrème. REM sleep. Voir Sommeil paradoxal.
Récepteur. 1. Protéine spécialisée qui détecte les signaux Réseau du « mode par défaut ». Réseau de structures ner-
chimiques, comme les neurotransmetteurs, et induit une veuses interconnectées, qui sont plus actives pendant les
réponse cellulaire. 2. Cellule spécialisée qui détecte les sti- états de repos que durant les comportements actifs.
muli environnementaux et génère des réponses neuronales.
Réseau frontopariétal de l’attention. Structures nerveuses
Récepteur AMPA. Sous-type de récepteur du glutamate ; interconnectées impliquées dans le guidage de l’attention
canal ionique sensible au glutamate perméable aux ions visuelle.
Na+ et K+.
Résistance électrique. Force qui s’oppose au déplacement
Récepteurs aux glucocorticoïdes. Récepteur activé par le des charges électriques, représentée par le symbole R, me-
cortisol sécrété par les glandes surrénales. surée en unités appelées ohms. La résistance est la mesure
Récepteur couplé aux protéines G (RCPG). Protéine trans- inverse de la conductance ; elle est en relation avec le cou-
membranaire qui active les protéines G quand elle se lie à rant électrique et le voltage, selon la loi d’Ohm.
un neurotransmetteur. Voir aussi Récepteur métabotropique. Résistance interne. Force qui s’oppose au flux du courant
Récepteur kainate. Sous-type de récepteur du glutamate ; un électrique le long d’un câble ou d’un neurite, représenté par
canal ionique sensible au glutamate perméable à K+ et à le symbole ri.
Na+. Résistance membranaire. Résistance au passage du courant
Récepteur métabotropique. Récepteur couplé à une pro électrique, représentée par le symbole rm.
téine G dont le premier rôle est de stimuler ou d’inhiber une Reticulum endoplasmique lisse (RE lisse). Organite hétéro-
réponse intracellulaire biochimique. Voir aussi récepteur gène avec différentes fonctions en différents endroits.
couplé aux protéines G.
Reticulum endoplasmique rugueux (RE rugueux). Orga-
Récepteur muscarinique de l’ACh. Sous-type de récepteur nite couvert de ribosomes. Le reticulum endoplasmique
d’ACh couplé avec une protéine G. rugueux est un site majeur de la synthèse des protéines.
Récepteur nicotinique de l’ACh. Type de canal ionique sen- Reticulum sarcoplasmique. Organite d’une fibre musculaire
sible à l’ACh distribué en plusieurs endroits, en particulier qui stocke le Ca2+ et le libère quand il est stimulé par un
à la jonction neuromusculaire. potentiel d’action dans les tubules T.
Récepteur NMDA. Sous-type de récepteur du glutamate ;
Rétine. Fine couche cellulaire située au fond de l’œil qui
canal ionique sensible au glutamate, perméable à Na+, K+,
transforme l’énergie lumineuse en activité nerveuse.
et Ca2+. Le flux du courant ionique à travers la membrane
est sensible au potentiel en raison d’un bloc de magnésium Rétinotopie. Organisation topographique des voies visuelles
au niveau des membranes avec des potentiels négatifs. où des cellules voisines sur la rétine transmettent l’informa-
tion à des cellules voisines dans une structure cible.
Récepteur des opiacés. Protéine membranaire qui se fixe sé-
lectivement aux substances opiacées naturelles (les endor- Rhodopsine. Photopigment photorécepteur des bâtonnets.
phines) et de synthèse (la morphine). Ribosome. Structure intracellulaire qui assure la synthèse des
Récepteurs-canaux (ionotropiques). Récepteur des neuro protéines à partir des acides aminés selon les instructions
transmetteurs impliqué dans la transduction des signaux par des ARNm.
changement de la conduction ionique membranaire. Rivalité binoculaire. Perception alternant dans le temps
Reconsolidation. Processus lié à la réactivation de souvenirs, l’image détectée par un œil et une image différente perçue
modifiant et encodant à nouveau des souvenirs qui avaient par l’autre œil.
été préalablement consolidés. Rostral. En direction du nez, ou antérieur.
Réflexe d’atténuation. Contraction des muscles de l’oreille Rythme circadien. Tous les rythmes qui s’inscrivent dans
moyenne qui provoque une diminution de la sensibilité une période d’un jour.
auditive.
Rythme ultradien. Tout rythme d’une périodicité inférieure
Réflexe myotatique. Réflexe de contraction musculaire en à un jour.
réponse à l’extension du muscle. Ce réflexe a pour base
une connexion monosynaptique entre une afférence Ia du S1. Cortex somatosensoriel primaire.
fuseau neuromusculaire et un motoneurone α innervant le Sarcolemme. Membrane cellulaire externe d’une fibre mus-
même muscle. culaire.
Réflexe pupillaire. Réflexe, impliquant l’influx rétinien Sarcomère. Élément contractile entre les stries Z d’une myo-
transmis aux neurones du tronc cérébral qui contrôlent fibrille. Le sarcomère contient les filaments fins et épais qui
l’iris, qui modifie le diamètre de la pupille en fonction de glissent les uns contre les autres pour provoquer la contrac-
l’intensité de la lumière ou de l’obscurité. tion musculaire.
944 Glossaire
Schizophrénie. Trouble mental caractérisé par la perte de Soif osmotique. Besoin de boire de l’eau résultant d’une aug-
contact avec la réalité ; désorganisation de la pensée, de la mentation de la tonicité du sang.
perception, de l’humeur et du mouvement ; hallucinations, Soif volumétrique. Besoin de boire de l’eau résultant d’une
illusions et désorganisation de la mémoire. réduction de la volémie (diminution du volume sanguin).
Sclérotique. Membrane externe qui ferme le globe oculaire. Soma. Partie centrale du neurone contenant le noyau ; appelé
Second messager. Signal chimique bref dans le cytosol qui aussi corps cellulaire ou périkaryon.
peut déclencher une réponse biochimique. La formation Somatotopie. Organisation topographique des voies soma-
d’un second messager est habituellement stimulée par un tiques sensorielles dans laquelle des récepteurs de la peau
premier messager (un neurotransmetteur ou une hormone) voisins apportent l’information à des cellules voisines sur
agissant à la surface d’un récepteur couplé avec une pro une structure cible.
téine G. Exemples de seconds messagers : AMPc, GMPc, IP3.
Sommation des PPSE. Forme d’intégration synaptique dans
Segment spinal. Ensemble de racines dorsales et ventrales laquelle les PPSE s’ajoutent pour induire une dépolarisa-
avec la partie de moelle épinière correspondante. tion plus importante.
Sélectivité de direction. Propriété des cellules du système Sommation spatiale. Sommation des PPSE générés dans
visuel qui ne répondent qu’aux stimuli qui se déplacent plusieurs synapses sur la même cellule.
dans certaines directions. Sommation temporelle. Sommation des PPSE qui se
Sélectivité d’orientation. Caractéristique d’une cellule du succèdent rapidement au niveau de la même synapse.
système visuel qui ne répond qu’à une série limitée d’orien- Sommeil à mouvements oculaires rapides (REM-sleep).
tations du stimulus. Dénommé aussi sommeil paradoxal. Phase du sommeil
Sélectivité ionique. Propriété des canaux ioniques d’être caractérisée à l’EEG par des ondes de faible amplitude et
sélectivement perméables à certains ions et pas à d’autres. de fréquence élevée, des rêves, des mouvements oculaires
Sensibilisation. Forme d’apprentissage non associatif provo- rapides et l’atonie musculaire.
quant une réponse intensifiée à tous les stimuli. Sommeil lent (non-REM sleep). Phase de sommeil caracté-
Sensibilité somatique. Sens du toucher, de la température, de risée par de grandes ondes lentes, peu de rêves et un peu de
la position du corps dans l’espace, de la douleur. tonus musculaire.
Sérotonine (5-HT). Neurotransmetteur, 5-hydroxytrypta- Sommeil paradoxal (REM sleep, en anglais). Stade du
mine. sommeil caractérisé par une activité corticale très désyn-
chronisée et des mouvements des yeux rapides.
Sérotoninergique. En rapport avec des neurones ou des
synapses qui libèrent de la sérotonine. Souris transgénique. Souris dont une partie des gènes a été
modifiée par les méthodes de l’ingénierie génétique.
Seuil. Niveau de dépolarisation suffisant pour déclencher un
potentiel d’action. Sous-plaque corticale. Couche de neurones corticaux située
sous la plaque corticale dans les stades précoces du déve-
Sexe génétique. Sexe d’un animal ou d’une personne basé loppement cortical. Lorsque le cortex s’est différencié en
sur le génotype. 6 couches, la sous-plaque disparaît.
Sex-determining region du chromosome Y (SRY). Gène Sous-type de récepteur. Un des nombreux récepteurs diffé-
localisé sur le chromosome Y responsable de la production rents sur lequel se fixe un même neurotransmetteur.
d’un facteur de déterminisme des testicules. Ce facteur est
Spécificité d’activation. Caractéristique de certaines formes
essentiel pour le développement des mâles.
de plasticité synaptique ; seules les synapses activées sur un
Shunting inhibition. Forme d’inhibition synaptique dans la- neurone se modifient.
quelle l’effet principal est de réduire rm, et de « shunter »
Split-brain. Séparation des deux hémisphères par section du
ainsi le courant dépolarisant généré au niveau des synapses
corps calleux en vue d’examiner le rôle de chacun des deux
excitatrices.
hémisphères plus ou moins séparément.
Signal de satiété. Facteur qui réduit la motivation pour la
Stéréocil. Cil attaché au sommet d’une cellule ciliée dans
prise de nourriture, en dehors de tout comportement patho-
l’organe de Corti.
logique ; par exemple la distension gastrique ou la sécrétion
de cholécystokinine (CCK) en réponse à la prise alimen- Strabisme. Défaut de parallélisme des axes optiques des
taire. yeux.
Sillon. Séparation entre deux gyri à la surface du cortex. Stria vascularis. Partie spécialisée de l’endothélium couvrant
une partie de la rampe médiane qui est responsable de la
Sillon central. Le sillon qui sépare le lobe frontal du lobe sécrétion de l’endolymphe.
pariétal.
Striatum. Terme collectif pour désigner le noyau caudé et le
SNA. Voir Système nerveux autonome. putamen.
SNC. Voir Système nerveux central. Strie (ligne) Z. Ligne qui délimite les sarcomères dans une
SNP. Voir Système nerveux périphérique. myofibrille.
SNP viscéral. Partie du SNP qui innerve les organes internes, Substance. Amas de neurones situés en profondeur dans le
les vaisseaux sanguins et les glandes ; appelé aussi système cerveau, mais généralement moins bien délimités que les
nerveux autonome. noyaux.
Glossaire 945
Substance blanche. Terme générique pour un amas d’axones Syndrome de l’hypothalamus ventromédian. Obésité asso-
du SNC. Les axones ont un aspect blanchâtre dans un ciée à des lésions localisées au niveau de l’aire hypothala-
cerveau récemment disséqué. mique ventrale et médiane.
Substance blanche corticale. Ensemble des axones situés Syndrome de négligence. Trouble neurologique dans le-
sous le cortex cérébral. quel une partie du corps ou du champ visuel est ignorée ou
disparaît ; souvent associé aux lésions des aires pariétales
Substance gélatineuse (de Rolando). Partie dorsale fine de postérieures du cerveau.
la corne dorsale de la moelle épinière qui reçoit l’influx
Synthèse des protéines. L’assemblage des protéines dans le
des fibres non myélinisées C relatif à la transmission des
cytoplasme de la cellule selon les instructions génétiques.
signaux nociceptifs.
Système de consolidation. Transformation d’une mémoire
Substance grise. Terme générique désignant une couche de temporaire de l’hippocampe en un engramme permanent
corps cellulaires neuronaux. dans le néocortex.
Substance grise périaqueducale. Région qui entoure l’aque- Système entérique. Partie du SNA qui innerve les organes
duc cérébral au plus profond du mésencéphale, avec des digestifs, formée par les plexus myentérique et sous-
voies descendantes qui peuvent inhiber la transmission des muqueux.
signaux associés à la douleur. Système limbique. Groupe de structures comprenant celles
Substance noire. Groupe de cellules du mésencéphale qui du lobe limbique et du circuit de Papez, interconnectées et
utilise la dopamine pour neurotransmetteur et innerve le impliquées dans l’émotion, l’apprentissage et la mémoire.
striatum. Système modulateur diffus. Un des nombreux systèmes
du SNC qui se projette largement sur de vastes parties du
Substantia. Groupes de neurones dans les régions profondes
cerveau et utilise des neurotransmetteurs modulateurs.
du cerveau dont les limites sont en général plus floues que
celles des « noyaux ». Système moteur. Tous les muscles et toutes les parties du
système nerveux qui les contrôlent.
Substantia gelatinosa. Voir Substance gélatineuse.
Système moteur latéral. Axones de la colonne latérale de la
Substantia nigra. Voir Substance noire. moelle épinière impliqués dans le contrôle des mouvements
Sulcus (sillon). Sillon courant à la surface du cerveau entre volontaires de la musculature distale, sous contrôle direct
des circonvolutions voisines. du cortex.
Système moteur somatique. Les sens du toucher, de la tem-
Synapse. Zone de contact et de transmission de l’information
pérature, de la position du corps et de la douleur.
entre les neurones.
Système moteur ventromédian. Axones de la colonne
Synapse chimique. Synapse dans laquelle l’activité pré ventromédiale de la moelle épinière impliqués dans le
synaptique stimule la libération d’un neurotransmetteur, contrôle postural et la locomotion, sous contrôle du tronc
qui active les récepteurs de la membrane post-synaptique. cérébral.
Synapse électrique. Synapse permettant le passage du cou- Système nerveux autonome (SNA). Partie du SNP qui in-
rant directement d’un neurone à un autre neurone au travers nerve les organes internes, les vaisseaux sanguins et les
d’une jonction « étroite ». glandes ; aussi dénommé partie viscérale du SNP. Composé
d’une partie sympathique, d’une partie parasympathique et
Synapse de Gray de type I. Synapse chimique du SNC avec
d’une partie entérique.
des différenciations membranaires asymétriques.
Système nerveux central (SNC). Le cerveau (y compris les
Synapse de Gray de type II. Synapse chimique du SNC avec deux rétines), et la moelle épinière.
des différenciations membranaires symétriques.
Système nerveux périphérique (SNP). La partie du système
Synapse de Hebb. Synapse montrant des modifications nerveux différente du cerveau et de la moelle épinière. Le
hébbiennes. SNP comprend tous les ganglions et les nerfs rachidiens, les
Synapse électrique. Synapse dans laquelle le courant élec- nerfs crâniens III-XII et le SNA.
trique passe directement d’une cellule à l’autre par une Système parasympathique. Division du SNA ; les axones
jonction étroite (gap-junction). périphériques proviennent du tronc cérébral et de la moelle
épinière sacrée ; elle maintient la fréquence cardiaque et les
Syndrome de Klüver-Bucy. Ensemble de symptômes résul-
fonctions respiratoires, métabolique et digestive dans des
tant d’une lobectomie temporale bilatérale chez l’homme
conditions normales.
ou le singe, se traduisant par une réduction des compor-
Système porte hypothalamo-hypophysaire. Réseau de
tements de frayeur et d’agressivité (émoussement affec-
vaisseaux sanguins qui transporte les hormones hypophy-
tif), des tendances à l’identification des objets par examen
siotropes de l’hypothalamus à l’hypophyse antérieure.
oral plutôt que par exploration visuelle, ainsi que par des
troubles du comportement sexuel. Système sympathique. Division du SNA. Les axones péri-
phériques partent de la moelle épinière lombaire et thora-
Syndrome de Korsakoff. Syndrome neurologique dû à cique ; elle active diverses réponses physiologiques dans
l’alcoolisme chronique, accompagné de confusion, affabu- des situations de « fuite ou attaque » : en augmentant la
lations, d’apathie et d’amnésie. fréquence cardiaque, la respiration, la pression sanguine, la
Syndrome de l’hypothalamus latéral. Anorexie associée à mobilisation d’énergie, et en diminuant l’activité des fonc-
des lésions de l’aire hypothalamique latérale. tions digestives et de la reproduction.
946 Glossaire
Système ventriculaire. Espace rempli de liquide céphalora- Théorie des cartes cognitives. Idée selon laquelle l’hippo-
chidien situé à l’intérieur du cerveau, formé des ventricules campe, par exemple, est spécialisé pour former une carte de
latéraux, du troisième ventricule, de l’aqueduc cérébral et représentation spatiale de l’environnement.
du quatrième ventricule. Théorie de la trichromie de Young-Helmholtz. Théorie
Système vestibulaire. Ensemble de structures impliquées selon laquelle le cerveau attribue des couleurs, basée sur
dans la régulation de l’équilibre. l’activation relative des trois types de récepteurs.
Taches. Population de neurones, principalement dans les Théorie dimensionnelle des émotions. Hypothèse selon la-
couches II et III du cortex strié, caractérisée par l’activité quelle chaque émotion se construit à partir de composantes
élevée d’une enzyme, la cytochrome oxydase. qui lui sont liées, en rapport par exemple avec le niveau
Tectum. Partie du mésencéphale dorsale par rapport à l’aque- d’éveil ou encore la force émotionnelle.
duc cérébral. Théorie double de la localisation du son. Principe selon
Tectum optique. Terme utilisé pour décrire le colliculus su- lequel il existe deux organisations possibles dans la loca-
périeur, en particulier chez les vertébrés non mammifères. lisation du son : le laps de temps interauriculaire avec les
basses fréquences, et la différence d’intensité interauricu-
Tegmentum. Partie du mésencéphale ventrale par rapport à
laire avec les fréquences élevées.
l’aqueduc cérébral.
Théorie psychologique-constructionniste des émotions.
Télencéphale. Région du cerveau dérivée du prosencéphale.
Explication des émotions comme la conséquence émer-
Les structures télencéphaliques comprennent les deux
gente de composantes psychologiques non émotionnelles
hémisphères cérébraux contenant le cortex cérébral et le
telles que l’attention ou les sensations de l’organisme.
télencéphale basal.
Télencéphale basal. Partie profonde du télencéphale. Thérapie électroconvulsine (électrochocs). Traitement des
dépressions majeures qui consiste à déclencher des crises
Terminaison axonique. Extrémité de l’axone, généralement épileptiques par l’application de chocs électriques par des
l’endroit de contact synaptique avec une autre cellule ; électrodes appliquées sur le scalp.
appelé aussi bouton terminal ou terminaison présynaptique.
Thermorécepteur. Récepteur sensoriel des changements de
Test de reconnaissance différée par non-appariement (de- la température.
layed non-match to sample, DNMS). Un test effectué sur
l’animal : entre deux objets présentés, il doit déplacer celui Tomographie par émission de positrons (TEP). Technique
qui ne correspond pas à l’objet présenté précédemment. d’imagerie de l’activité cérébrale par l’évaluation du débit
sanguin contenant des atomes radioactifs qui émettent des
Tétanisation. Terme utilisé par les neurobiologistes pour positrons.
décrire la stimulation répétée, en général à haute fréquence.
Tonotopie. Organisation systématique au sein d’une structure
Tétrodotoxine (TTX). Toxine qui bloque le passage de Na+ auditive basée sur la fréquence caractéristique.
dans les canaux sodiques dépendants du potentiel, et donc
les potentiels d’action. Top-down attention. Voir Attention endogène.
Thalamus. Partie dorsale du diencéphale, en étroite relation Trace mnésique. Support physique des souvenirs.
avec le néocortex cérébral. Tractus. Rassemblement d’axones du SNC ayant la même
Théorie basique des émotions. Hypothèse susceptible de origine et une destination commune.
rendre compte du caractère universel de certaines émotions. Tractus optique. Ensemble d’axones des cellules ganglion-
Théorie BCM. Théorie proposant que les synapses soient naires rétiniennes qui s’étendent à partir du chiasma
modifiables bidirectionnellement. La potentialisation sy- optique, jusqu’au tronc cérébral. Les cibles importantes de
naptique résulte d’une forte activation de l’élément présy- la voie optique sont le CGL et le colliculus supérieur.
naptique corrélée à une activation post-synaptique intense ; Traduction. Synthèse d’une molécule de protéine selon les
la dépression synaptique, à l’inverse, résulte d’une corréla- instructions génétiques données par une molécule d’ARNm.
tion entre une activité présynaptique et une faible activation Traitement parallèle. Traitement en parallèle dans le cer-
post-synaptique. Il s’agit ici d’une extension du « concept veau des différents attributs d’un stimulus par des voies
de synapse de Hebb », proposée par Bienenstock, Cooper différentes.
et Munro (pour BCM) de Brown University. Voir aussi
Transcription. Synthèse d’une molécule d’ARNm selon les
Synapse de Hebb.
instructions génétiques codées dans l’ADN.
Théorie de l’apprentissage moteur de Marr-Albus. Selon
Transducine. Protéine G qui relie la rhodopsine à l’enzyme
cette théorie, les fibres parallèles qui font synapse sur les
phosphodiestérase dans les photorécepteurs.
cellules de Purkinje se modifient lorsque leur activité coïn-
cide avec celle des fibres grimpantes. Transduction. Transformation de l’énergie d’un stimulus
sensoriel en signal cellulaire, comme un potentiel d’action.
Théorie de Cannon-Bard. Théorie sur l’émotion selon
laquelle l’expérience émotionnelle est indépendante de Transmission synaptique. Transmission de l’information
l’expression émotionnelle ; elle est déterminée par un d’une cellule à l’autre au niveau d’une synapse.
réseau d’activation thalamique. Transport antérograde. Transfert axoplasmique du soma
Théorie de James-Lange. Théorie sur l’émotion selon la- vers la terminaison axonale.
quelle l’expérience subjective d’une émotion est la consé- Transport axoplasmique. Transport de substances le long de
quence de modifications physiologiques dans le corps. l’axone.
Glossaire 947
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973
INDEX
TRPM8 449 ganglionnaire à opposition simple Chromosome 29, 31, 33, 275
TRPV1 440, 441, 449 de couleur 322 Chromosome sexuel 585
voltage-dépendant 90 ganglionnaire de type M 322, 324, Chun Marvin 358
wolffien 586 335, 337, 352, 364 Churchland Patricia 754
Canalopathie 92 ganglionnaire de type P 322, 335, Circuit de Papez 628, 630
Cannabinoïde 168 337, 364 Circulation cérébrale 240
Cannabis 158 ganglionnaire non M-non P 322, Cirelli Chiara 679
Cannon Walter 623, 914 335, 353 Clark Brian 474
Capacitance 68 gliale 23, 49, 52, 76, 116, 465, 687 Clioquinol 848
Capacité synaptique 822, 823 granulaire 397 Clock gene 686
Capecchi Mario 32,33 gustative 262, 263 Clonus 490
Capsaïcine 260, 440, 441 horizontale 300, 316, 318, 323 Clozapine 791, 794
Capsule interne 190, 194, 195, 227, mastocytaire 438, 439, 441 Cocaïne 101, 153, 549, 550, 570,
487, 799 microgliale 53 574, 613, 779, 790
Carbamazépine 662 microglie 53 Cocaine- and amphetamine-regulated
Carlsson Arvid 546 migration cellulaire 53 transcript (CART) 559
Carroll Joe 305 multipolaire 47 Cochlée 371, 373-375, 379, 383, 385,
Carskadon Mary 668 neurosécrétrice magnocellulaire 576 392, 409
CART 557, 559, 560, 563 olfactive réceptrice 272 Codage de population 271, 282,
« Carte » corticale 434 pyramidale 47, 104, 205, 341, 344, 286, 510
Carte sensorielle 282 397, 509, 519, 614, 615, 806 spatial 283
Carte spatiale 283 réceptrice du goût 262, 263 temporel 283
Carter Sue 597 simple 350 Cognition spontanée 729
Cas H.M. 860, 861, 863, 881 souche 465, 767, 802 Cohen Stanley 821
Cascade des seconds messagers 170, unipolaire 47 Colchicine 54
171, 173 Centre médian-parafasciculaire 502 Cole Kenneth C. 88
Caswell Barry 872 Cercle de Willis 242 Coleman Douglas 556
Catabolisme 555 Cerveau antérieur 193 Collatérale axonique 41
Cataplexie 674, 675 Cerveau au repos 727, 728 de Schaffer 898, 899
Cataracte 295, 831 Cervelet 180, 197, 201, 202, 209, récurrente 41
Catatonie 788 215, 221, 224, 225, 386, 509, 515, Colliculus inférieur 197, 224, 232,
Catécholamine 154, 549 516, 519, 520, 542, 698 385-387
Cation 59 Colliculus supérieur 197, 224, 232,
Chalmers David 752, 754, 759
Caton Richard 652 333, 334, 386, 491, 514, 744, 751,
Champ moteur 743
Cellule 53 815
Champ récepteur 316-324, 336, 337,
amacrine 300, 316 Colonne de dominance oculaire
339, 340, 345, 347, 349-353, 355,
basale 272 342, 344, 347, 719, 826, 827, 829,
357, 362, 363, 429, 430, 514, 515,
bipolaire 47, 307, 316, 318 830
684, 739, 740, 749, 827, 830, 867,
bipolaire de type OFF 318 corticale 430
872
bipolaire de type ON 318 d’orientation sélective 346
Champ visuel 299, 300, 316, 326,
ciliée 377, 382-388, 404 dorsale 200, 236, 426
333, 348-350, 353, 356, 714, 730,
complexe 350 latérale 200
739, 740, 743, 747
de « centre OFF » 321, 337 ventrale 200
de « centre ON » 321, 337 Changeux Jean-Pierre 129
Coloration de Bielschowsky 39
de Betz 509 Channelrhodopsine-2 83, 878, 879 de Golgi 25, 46, 146, 208
de Golgi 48 Charcot Jean-Martin 464 de Nissl 24, 340
de grille 866, 869, 871, 872 Chémokines 439 Coma 664
de la glie radiaire 801 Chémorécepteur 259 Complexe cholinergique ponto-
de lieu 866-868 Chiasma optique 222, 330, 332, 334, mésencéphalo-tegmental 547
de place 359, 867 799, 811, 815 Complexe du cerveau antérieur basal
de Purkinje 518, 544, 907 Chlorpromazine 790, 793 547
de Schwann 52, 100, 816 Cho Z.H. 187 Complexe SNARE 122, 129
de soutien 272 Choc insulinique 567 Comportement motivé 554
épendymaire 53 Choc spinal 490 Comportement sexuel 527
étoilée 47, 104 Cholécystokinine (CCK) 118, 566 Concept de neurone 26
étoilée épineuse 341 Choline acétyltransférase (ChAT) Concept de période critique 828
eucaryote 33 50, 151, 153 Conditionnement 845
ganglionnaire 300, 301, 305, 307, Cholinergique 49-51, 141, 146, 151, Conductance 65, 87, 833
314-316, 319-321, 326, 333, 335, 153 ionique 69, 86
336, 339, 342, 345, 362, 374, 685, Chorée de Huntington 505, 506, membranaire 86
799, 811, 824 517, 883 Conduction saltatoire 100
976 Index
DMLA (dégénérescence maculaire Émotion inconsciente 626 médian du télencéphale 190, 645
liée à l’âge) 295 Endocannabinoïdes 157-160, 439, pyramidal 199, 515
DNMS (delayed non-match to sam- 565, 907 réticulospinal 492
ple) 862, 883 Endocytose 121 rubrospinal 489
Doctrine du neurone 24 Endolymphe 405, 406 spinothalamique 443-445, 451
Doeller Christian 872 Endorphines 148, 149, 448 tectospinal 491
Dolan Ray 624 Engramme 854, 891 vestibulospinal 237, 490
Donoghue John 513 Enképhalines 118, 148, 149 Falk Bengt 542, 544
DOPA voir Enzyme 61, 64 Fasciculation 813
L-dihydroxyphénylalanine Éphrine 818 Feedback 486, 487, 659, 661, 662
DOPA décarboxylase 155 Épilepsie 18, 92, 135, 159, 508, 569, Fenêtre ovale 370-372, 375
Dopamine (DA) 118, 153, 154, 168, 614, 652, 655, 661-663, 713, 773, Fenêtre ronde 374, 375
229, 504-506, 541, 544, 546, 549, 783, 820, 857, 860 Ferragamo Michael 392
550, 568, 570, 571, 732, 790, 793 crise avec absence 663 Ferrier David 10, 494
tyrosine 64, 154 crise généralisée 661 Fesenko E.E. 278
tyrosine hydroxylase 154 crise partielle 661, 663 Fibre musculaire 456, 461, 462, 465,
Dopamine β-hydroxylase (DBH) crise tonicoclonique 662 469, 471
155 Épines dendritiques 45, 116, 614, actine 468
D’Ortous de Mairan Jacques 681 615, 903, 921 ATP 468
Douleur 425, 437-439, 441-443, 448, Épineux 47 canal calcique 467
479, 543, 785 Épissage alternatif 29, 30 filament épais 468
Douleur référée 442 Épithélium olfactif 272, 273, 276, filament fin 468
Dowling John 316 279, 282 myofibrille 467
Downing Paul 359 Epstein Russell 359 myosine 468
Drogues sympathomimétiques 549 Équation de Goldman 71, 72 pompe à calcium 469
Dronkers Nina 703, 704 Équation de Nernst 69 reticulum sarcoplasmique 467,
du Bois-Reymond Emil 8 Équilibre énergétique 554-556 469
Dudai Yadin 912 Équilibre hydrominéral 578 sarcolemme 469
Dudek Serena 904, 905 Erreur paraphasique 710 sarcomère 468
Dure-mère 427 Ésotropie 295 strie Z 468
Dynéine 43 Espace synaptique 42, 112, 115, 117, troponine 469
Dynorphine 118 127 tubule T 467, 469
Dyskinésie 506 État post-prandial 555 Filaments intermédiaires 38
Dyskinésie tardive 794 Evans Martin 32, 34 Filopode 812
Dyslexie 700 Evarts Edward 496, 497 Filtre ionique 90
Dyspraxie verbale 698 Excitabilité dendritique 133 FISH 144
Dysthymie 776 Excitabilité membranaire 59 Fleming Alexander 765
Dystonie 129 Excitotoxicité 165, 464 Flourens Marie-Jean-Pierre 9, 15
Dystrophie musculaire de Duchenne Exocytose 120, 121, 123, 138, 152 Fluoxétine 575, 774, 782
470, 585 Exon 29 Flux axonal 39
Dystrophine 470 Exotropie 295 Flynn John 645
Expérience émotionnelle 621, 622, Foote Steve 545
625, 626, 630, 640, 648 Force électromotrice 68, 86, 87, 89,
E
Expression émotionnelle 621, 622, 96, 120
EAAC1 157 628, 638 Force ionique 59
EAAT 157 Expression génique 29, 32, 33, 49 Formation réticulée 76, 233, 491
Eccles John 107, 463 Fornix 220, 222, 227, 229, 630, 857,
Echolocalisation 399 881, 883
Effet placebo 448
F
Fovéa 294, 305-307, 326, 334, 339,
Ehrlich Paul 765 Facteur chémoattractif 813, 814 491, 713, 733, 736, 739
Einstein Albert 695 chémorépulsif 814, 818 Franklin Benjamin 8, 299
Électrochoc 781, 846, 877 CREB 920, 921 Freeman Walter 661
Électroencéphalogramme (EEG) de croissance nerveux (NGF) 821 Fréquence caractéristique 387
652-659, 661, 664-667, 670, 673, de transcription 29, 680, 802, 807 Freud Sigmund 101, 622, 671, 764,
675, 688 hypnogène 678 765
Électroencéphalographie 651 inhibiteur müllérien 586 Frey Julietta 918, 919
Électrothérapie 781, 783, 785 trophique 821 Fried Itzhak 758
Émission otoacoustique 383 Faisceau arqué 707, 710, 718 Friedman Jeffrey 557
Emmétrope 298 corticospinal 195, 199, 201 Frisen Jonas 803
Émotion 527, 621-624, 627, 631, longitudinal dorsal 645 Fritsch Gustav 10, 494
634, 638 longitudinal médian 406 Frontal eye field (FEF) 743, 744, 751
978 Index
FSH (hormone folliculostimulante) Génotype féminin 584 Gustation 259, 260, 286, 452
531, 589, 590 Génotype masculin 584 Gynandromorphe 609, 611
Fugate Bob 304 Genre 584 Gyrus 202
Fulton John 643 Georgopoulos Apostolos 510 angulaire 707, 722
Furosémide 384 Geschwind Norman 707, 716 cingulaire 628, 637
Furshpan Edwin 107 Gesner Johann 700 cingulaire antérieur 723
Fuseau neuromusculaire 461, 471, Ghréline 564 dentatus 898
472, 476-478 Glande corticosurrénale 534 post-central 216
Fuxe Kjell 544 Glande pinéale 224, 589 précentral 216
Glaucome 295 temporal supérieur 216, 704
G Glie radiaire 807
Globus pallidus ou pallidum 227, H
GABA (acide gamma-aminobuty- 502
rique) 118, 119, 125, 134, 135, Glomérule 279 Habituation 845
138, 141, 150, 152, 153, 156, 157, Glutamate 62, 118, 119, 124, 138, Hallucination 549, 663, 670, 674,
160, 166, 168, 172, 264, 605, 615, 156, 157, 160, 163, 165, 168, 172, 675, 689, 792
662, 686, 743, 773 264, 316, 439, 442, 464, 525, Hallucinogène 548, 549
GABAergique 141, 574 565, 614, 832, 833, 838, 901, 902, Halopéridol 793
GABA-transaminase 157 906-908 Hämäläinen Matti 656
Gage Fred 803 Glutamatergique 141 Hamann S. 641
Gage Phineas 628, 643, 732, 850 Glutamic acid decarboxylase 157 Harlow John 628, 629
Galien 5, 6, 9 Glutamine 62 Harris Kristen M. 116
Gall Franz Joseph 9, 15, 700 Glycémie 566 Hartline Keffer 315
Galvani Luigi 8 Glycine 62, 118, 119, 125, 135, 150, Haxby Jim 358
Ganglions de la base 195, 227, 500, 156, 166 Heath Robert 569
502, 505, 506, 509, 520, 546, 550, Glycogène 555 Hebb Donald 825, 826, 855, 856,
569, 709, 869, 881, 883 Glycogene-synthase kinase (GSK) 889, 902, 903
globus pallidus 500, 502 784 Hegemann Peter 84
globus pallidus interne 508 Gold Geoffrey 277, 278 Hélicotrème 375
noyau caudé 500, 506, 546, 569, Goldberg Michael 739, 746 Hémi-anopsie bitemporale 334
709, 869, 881 Golding Nace 392 Hémi-champ visuel 331, 332
noyau sous-thalamique 500, 508 Goldman, équation de 71, 72, 124 Hémiplégie 490
putamen 500, 502, 506, 546, 881 Golgi Camillo Hémisphère cérébelleux 518
striatum 500, 502, 504, 546, appareil de 35, 36 Hémisphère cérébral 180, 215, 223
881-883 coloration de 25, 26, 36 Henneman Elwood 461, 471
substance noire 500 Gonadolibérine 589, 590 Hermaphrodisme 587
Ganglion de Scarpa 402 Gonadotrophine 589 Héroïne 570
Ganglion des racines dorsales 181, Goodfellow Peter 585 Herpes 425
189, 420 Gorski Roger 603 Hess W.R. 645
rachidien 181, 236, 420 Gottschalk Alexander 85 Hetherington A.W. 557
spiral 378, 382, 387, 391 Gould Elizabeth 613, 614 Hillarp Ake 542, 544
Gap junction 109, 687 Gradient 37 Hippocampe 205, 220, 231, 534,
Garcia John 271 Gradient de concentration 65, 69, 545, 547, 614, 615, 628, 630, 637,
Gardner Allen 695 77, 86 663, 730, 772, 773, 775, 780, 781,
Gardner Beatrix 695 Grafstein Bernice 43 783, 803, 856, 857, 860, 861, 863,
Gardner Howard 705-707 Granule de sécrétion 112, 118, 119, 865, 866, 868, 871-874, 898, 907,
Gardner Randy 670 442 911, 912, 916
Gazzaniga Michael 713, 715 Gray Charlie 754 Hippocrate 4
Gène 29-34, 464 Green fluorescent protein (GFP) 49, His Wilhelm 808
Gène d’activation précoce (immedi- 183 Histamine 438-441
ate early genes) 680 Grenness Carl-Erik 870 Histofluorescence 544
FOXP2 698, 699 Grillner Sten 480, 481 Histologie 24
-horloge 686 Grundfest Harry 895 Hitzig Eduard 10, 494
ob 556, 557 Guanosine diphosphate (GDP) Hobaiter Catherine 695
SRY 585, 586 167-169 Hobson Allan 671
Tau 685 Guanosine monophosphate cyclique Hodgkin Alan 88, 100
Gene targeting 33, 34 (GMPc) 278, 308-311, 314 Hoffer Barry 544
Générateur central de rythme 480 Guanosine triphosphate (GTP) Hoffer Heidi 304
Génome 30, 31 167-169 Hofmann Albert 548
Genome wide association studies Guanylate cyclase 308, 314 Homéostasie 527, 550, 554, 556,
(GWAS) 465 Guidage axonal 813, 818, 825, 826 557, 645, 913
Index 979
Homonculus 431, 432 589, 590, 601-603, 612, 614, 628, Inositol-1,4,5-triphosphate (IP3)
Homosexualité 584, 617 630, 637, 640, 644, 645, 673, 683, 170, 171, 267
Horloge circadienne 685, 687, 688 685, 771, 775, 781, 857 Insel Thomas 595, 596
Hormone 529 hormone hypophysiotrope 531 Insensibilité aux androgènes 608
adrénocorticotrope (ACTH) 531, latéral 557, 560-562, 568-570, 575, Insensibilité congénitale à la douleur
559, 561, 578, 771, 773, 775 578 438
antidiurétique (ADH) 530, 575, 595 neurohormone 529 Insula 217, 226, 704, 716, 717
corticolibérine 531 neurone neurosécrétoire magno Insuline 542, 566, 567, 578
CRH (corticotropin releasing cellulaire 528 Intégration synaptique 130, 131
hormone) 531, 533, 771, 772, 775, neurone neurosécrétoire parvo Intégrine 813
780, 783 cellulaire 531 Intention 496
de croissance 564 noyau paraventiculaire 561 Interleukine-1 679
folliculo-stimuline (FSH) 531, noyau suprachiasmatique (NSC) Interneurone 48, 57, 341, 446, 462,
589, 590 528 476, 478, 482, 793
hypophysaire 531 sécrétoire 526 Intrator Nathan 905
lutéinisante (LH-RH) 589 système porte hypothalamo-hypo- Intron 29
lutéotrope (LH) 531, 590, 591 physaire 531 Ion 57, 59, 64, 65, 67, 69, 70, 76, 86,
sexuelle 583, 587, 589, 609, 612, ventromédian 557 88-90, 96, 120, 152, 162, 163, 165
616, 618 zone périventriculaire 528 Ca2+ 120, 138, 145, 152, 162-165,
thyréostimuline (TSH) 531, 561, Hypothèse de la chémoaffinité 815 172, 263, 274, 275, 314, 440, 467,
577, 578 des lignes de signaux spécifiques 469, 481, 534, 819, 833, 834, 901,
thyréotrope 118 271 902, 906, 907, 916, 922, 923
Horsley Victor 507 dopaminergique de la schizophré- Cl– 124, 125, 162, 166
Horvitz Robert 821 nie 790 H+ 153, 266, 438, 439
Hounsfield Godfrey 185 du switch moléculaire 917 K+ 124, 152, 162, 163, 165, 266,
Hubel David 342, 343, 345-347, 350, glutamatergique de la schizophré- 381, 437, 439, 481
353, 430, 824, 827, 828, 870 nie 792 Mg2+ 833, 902
Hudspeth A. J. 380 lipostatique 556 Na+ 265, 274, 275, 308, 314, 440,
Huganir Richard 905 stress-diathèse 780 901
Hugues John 149 Iris 292
Human genome project 31 Ito Masao 907
I
Humeur 543, 546, 551 Itti Laurent 745
Humeur aqueuse 296 Iba-Ziten Marie-Thérèse 704
Humeur vitrée 294, 296 Identité du genre 584
Huntingtine 504 Identité génétique 584 J
Huntington, chorée de 504, 506, 517 Imagerie calcique 348 Jackson John Hughlings 663
Huxley Andrew 88, 100, 470 par résonance magnétique (IRM) Jacobsen Carlyle 643
Huxley Hugh 470 185, 186, 225, 704, 716 Jaffe Jérôme 148
Hybridation in situ 143-145 par résonance magnétique fonc- James William 622, 623, 635
Hydrocéphalie 184 tionnelle (IRMf) 185, 187, 497, Jan Lilly 75
Hydrophile 60, 61 498, 599, 613, 631, 639, 640, 655, Jan Yuh-Nung 75
Hydrophobe 60, 61 676, 691, 697, 702, 718-721, 723, Jonction étroite 109
Hyperalgie 439, 446 729, 732, 736, 737, 757, 759, 773, Jonction neuromusculaire 115, 117,
Hyperkinésie 504, 506, 508 785, 872 124, 128, 129, 138, 151, 161, 465,
Hypermétropie 298, 299 Imipramine 777, 782 466, 469, 539, 818, 836
Hyperplasie surrénalienne congéni- Immunocytochimie 143 Jones Stephanie R. 656
tale 609 Implant cochléaire 378, 379 Jouvet Michel 664
Hyperréflexie 490 Imprinting 828 Julesz Bela 361
Hypersensibilité de dénervation 914 Inactivation 127 Julius David 440
Hypertonie 490 INAH (interstitial nuclei of anterior
Hypocrétine 562, 673-675, 678 hypothalamus) 603, 617
K
Hypokinésie 504 Inanition 556, 557
Hypomanie 776 Inflammation 439 Kainate 147
Hypophyse 196, 334, 527-529, 531, Influx nerveux 79, 103, 108 Kanamycine 384
577, 583, 587, 589, 591, 595, 771, Infrason 369 Kandel Eric 870, 889, 894, 895
775 Ingénierie génétique 32 Kanwisher Nancy 358
Hypothalamus 194, 196, 201, 219- Inhibiteurs sélectifs de la recapture Kapp Bruce 639
222, 226, 228, 229, 270, 332, 333, de la sérotonine (ISRS) 774, 775, Karni Avi 671
449, 526, 527, 529-531, 533, 539, 782 Katz Bernard 107
542, 544, 546, 554, 557, 559, 560, Inhibition latérale 428 Kauer Julie 573
563, 569-571, 575, 577, 578, 583, Inhibition réciproque 478, 480 Kennedy Gordon 556
980 Index
organe tendineux de Golgi 476- Ranvier, nœuds de 52, 100, 102 Réfraction 291, 296, 297
478, 483 Rapsyne 819 Reimer David 610
propriocepteur 471, 477 Réboxétine 782 Rénine 530
Prosopagnosie 358 Récepteur 45, 61, 113, 115, 123, 136, Réorganisation synaptique 824
Prostaglandine 439, 608 146, 149, 449, 570, 605 Repère anatomique 179
Protéase 437 AMPA 147, 148, 163-165, 833, 834, Réponse au stress 773
Protéine 29, 30, 37, 41, 42, 45, 52, 836, 901-903, 908-910, 916, 917 électrodermale 626, 641
54, 61, 63, 71 aux opiacés 147, 570 humorale 554
Protéine amyloïde 40 canaux 130, 161-163, 318, 832 motrice somatique 554
Protéine G 125, 126, 169, 172, 173, CB1 158, 160, 168, 565 somatomotrice 560
267, 308, 309 couplé aux protéines G 125, 127, viscéromotrice 554, 559
Protéine Golf 277 130, 136, 137, 148, 160, 167, 169, Réserpine 778
Protéine kinase 137, 172, 916 265, 276, 308, 318, 539-541, 784, Résistance 65
protéine kinase A (PKA) 170-172, 832 Résistance membranaire 132
897, 898 dopaminergique 793 Résonance magnétique nucléaire
protéine kinase C (PKC) 170, 171, du glutamate 162 (RMN) 102
902 GABAA 147, 148, 150, 162, 166, Retard mental 46
protéine kinase calcium-calmo 605, 773, 774 Reticulum endoplasmique 121
duline-dépendante (CaMK) 171 GABAB 147, 148, 168, 169 lisse 35
protéine kinase II calcium-calmo glucocorticoïdes 773, 775, 780 rugueux (RE) 32, 35, 38, 54, 119
duline-dépendante (CaMKII) kainate 147, 163 sarcoplasmique 36, 467, 469
902, 903, 912, 915-917, 920 kappa 574 Rétinal 308, 310
protéine kinase M zéta 917 MC4 562, 563 Rétine 193, 289, 291-296, 298-301,
Protéine phosphatase 172 métabotropique 126, 148, 541 303, 305-307, 311, 314-321, 325,
Protéine tau 38, 39 muscarinique 146, 148, 168, 169, 326, 329, 330, 333-337, 339, 340,
Prozac® 774 539 345, 352, 357, 362, 491, 684, 799,
Psoriasis 440 nicotinique 128, 129, 146, 148, 811, 815, 817, 818, 824, 826, 836
Psychoanalyse 764, 765 161, 166, 465, 469, 541, 819, 822 couche des cellules ganglionnaires
Psychochirurgie 642 NMDA 147, 148, 163-166, 481, 302
Psychose 643 615, 792, 793, 833, 834, 836, 838, couche des segments externes des
Psychothérapie 765, 773, 782, 784, 901, 902, 905, 906, 908, 910-913 photorécepteurs 302
785 olfactif 274-276, 279, 282 couche nucléaire 302
Psychotrope 108, 548, 570 P2X 148 couche plexiforme 302, 319
Puce Aina 359 purinergique 157, 162 ipRGC 324, 325
Pulvinar 743 sérotoninergiques 647 rétinite pigmentaire 295
Pupille 292, 299, 314, 333 sous-types de 146 rétinol 310
Purpura Dominique 46 T1R 267 rétinotopie 339, 341, 345, 409,
Putamen 227 T1R2 267 430, 815
Pyramide bulbaire 198, 233, 488 T1R3 261, 267 rétinotopique 736
T2R 267 Rétrograde 44
trk 821 Rhodopsine 308, 310
Q Récepteur auditif 367, 377 Rhombencéphale 193
Quadriplégie 490 cellule ciliée 377, 378, 380, 382- Ribosome 32, 35, 38, 54, 61, 119
Quatrième ventricule 197, 201, 202, 384, 388 Rich Nola 384
221, 233 potentiel endocochléaire 381 Rioult Marc 904
Queue de cheval 235 stéréocil 377, 380, 384 Rispéridone 794
Quinlan Elizabeth 905 Récepteur gustatif 264, 271, 272 Ritaline 732
Quotient intellectuel (QI) 46, 698 Récepteur olfactif 272, 274-277, 279 Ritcher David 359
Recombinaison homologue 33 Rizzolatti Giacomo 497
Recombinase Cre 50 Robinson David 739
R
Reconsolidation 877, 878, 880 Robo 814, 818
Racine dorsale 8, 181, 200, 236 Reeler 805 Roland Per 495, 496, 509
Radiation acoustique 397 Reeline 805 Roorda Austin 304
Radiation optique 332, 335 Réflexe 57 Ruggero Mario 384
Radio-autographie 44, 144, 342 d’atténuation 373 Rythme cérébral 651
Rage simulée 644 d’étirement 472, 473 Rythme circadien 325, 651, 666,
Rakic Pasko 807, 808, 822 d’extension croisée 480, 482 680, 682, 683, 686, 687
Ralph Martin 685 de flexion 479 horloge biologique 680, 681, 683
Ramachandran V. S. 754 myotatique 472, 474-476, 478 sommeil (voir Sommeil) 683
Rampe tympanique 375 pupillaire 299 ultradien 666
Ranson S.W. 557 vestibulo-oculaire (RVO) 407, 408 zeitgeber 681-683, 686
Index 985
S 646, 647, 672, 676, 678, 774, 777, REM sleep (rapid eye movement)
778, 780, 782, 794, 896, 897 (voir aussi Sommeil paradoxal)
Saccade oculaire 514, 515, 739, 740,
récepteurs couplés aux protéines 664, 665, 670, 671
743
G 774 repos du cortex cérébral 669
Saccule 402, 403 rythme gamma 657
transporteur de la sérotonine 774
Sacks Oliver 436 somnambulisme 667
tryptophane 62, 573
Sacktov Todd 917 somnoloquie 667
Saffran Jenny 697 tryptophane hydroxylase 155
uptake 155-157 système modulateur diffus 672
Sagvolden Torje 870 terreurs nocturnes 667
Sakmann Bert 93, 902 Seuil 88, 96
Seung Sébastien 208 thalamus 672
Salience map 745, 746, 748, 749, 751 Sompolinsky Haim 208
Sanes Jérôme 513 Sex-determining-region (SRY) 585
Shaker 72, 73 Sous-plaque 805
Sapolsky Robert 534 Sous-plaque corticale 805, 811
Sarcolemme 465, 469, 470 Shatz Carla 824
Spalding Kirsty 803
Sarcomère 468 Sheinberg David 755
Sparks David 513, 514
Satiété 563, 564, 566 Sherrington Charles 107, 455, 458,
Spasticité 490
Savage-Rumbaugh Sue 695 472, 494
Spemann Hans 828
Saxe Rebecca 359 Shouval Harel 905
Spencer Alden 896
Saxitoxine 95 Shunting inhibition 134 Sperry Roger 712, 815, 824
Scanner 225 Siggins George 544 Sphère d’hydratation 59
Scharrer Berta 529 Signalisation rétrograde 157 Spina bifida 192, 193
Scharrer Ernst 529 Signe de Babinski 490 Split-brain 712-715, 747
Schéma corporel 437 Sillon 202 Sprouting 903
Schizophrénie 18, 19, 34, 508, 763, Sillon central 204, 216 Squire Larry 862
783, 787-794 Silva Alcino 912 Stephen Kuffler 345
forme paranoïde de la schizophré- Simantov Rabi 149 Stéréocils 377, 378, 380, 381, 384
nie 790 Simmons James 397 Stern Kathleen 273
hypothèse dopaminergique 790 Simultagnosie 730 Stéroïde 587, 588, 597, 605, 614
hypothèse glutamatergique de la Singer Wolf 754 Steward Oswald 902
791 Single gene polymorphism 32 Stimulation cérébrale (profonde)
symptômes négatifs 787 Skinner B. F. 765 504, 507, 784
symptômes positifs 787 Slit 814, 818 Strabisme 295, 830
Schlaggar Brad 811 Smith Phil 391 Stratégie motrice 485
Schultz Wolfram 571 Smithies Oliver 32 Streptomycine 409
Schwab Martin 816 Snellen, charte de l’œil de 300 Stress 531, 534, 573, 771
Schwann Theodor 12 Snyder Solomon 147 Stress oxydant (oxydatif) 470, 616
Scissure Soif osmotique 576 Stress post-traumatique 534, 769,
calcarine 338 878, 880
Soif volumétrique 575
de Rolando 216 Stria terminalis 637
Sokoloff Louis 187
de Sylvius 216, 217, 226, 228 Striatum 500, 544, 546, 574, 698,
Soma 25, 27, 37, 38, 42, 44
latérale 216 719, 881-883
Somatostatine 118
Sclérose en plaques 18, 102, 616 Strie Z 468
Somatotopie 430, 433, 435, 493
Sclérose latérale amyotrophique Strychnine 135
homonculus 431, 432
(SLA) 165, 464, 465, 822 Substance grise périaqueducale 232,
organisation somatotopique 493
Sclérotique 292, 294 446-448, 640, 646
SDN (sexually dimorphism nucleus) représentation corticale 432
Substance noire 229, 232, 504, 506,
602, 617 Sommation spatiale 131
546, 550, 793, 883
Second messager 126, 127, 136, 170, Sommation temporelle 131 Substance P 118, 439, 440, 442
265, 267, 308, 417, 784, 916 Sommeil 527, 546, 651, 652, 655, Substantia gelatinosa 442, 443, 451
Segal Menahem 545 659, 661, 663-668, 670, 672, 675, Substantia nigra 189, 197
Segment spinal 422 677, 678, 680, 684, 688, 689 Suga Nobuo 399
Sélection naturelle 10 complexe K 668 Sugita Yoichi 359
Sélectivité de direction 347, 355 fonctions du rêve 670 Superoxyde dismutase 464
Sélectivité ionique 61, 72, 73 fuseaux du sommeil 656, 666, 668 Surdité de conduction 400
Sémaphorine 3A 806 lent 664, 666-669, 673, 676, 678, Surdité nerveuse 400
Sens du toucher 414, 425 679 Susumu Tonegawa 912
Senseur de potentiel 91 non-REM sleep (non-rapid eye Sympathomimétique 540
Sensibilisation 845 movement) 664, 665, 670, 671, 676 Synapse 41, 52, 54, 107-109, 113-
Sérotonine (5HT) 118, 153, 155, paradoxal 545, 664, 665, 667-672, 115, 117, 134, 833
160, 168, 264, 430, 446, 541, 542, 675-677 axoaxonique 113
544, 546, 548, 550, 571-573, 575, paralysie du sommeil 674, 675 axodendritique 113
986 Index
axosomatique 113 moteur somatique 456, 457, 642 Thalamus 194, 195, 200, 201, 206,
boutons « en passant » 41 olfactif 213, 281, 285 209, 219, 221, 224, 226, 228-230,
chimique 107, 111, 113, 114 olfactif accessoire 273 268, 281, 290, 329, 385, 427, 445,
de Gray 113-115, 134 parasympathique 238, 534-539, 542, 569, 623, 659, 661, 671-673,
de Hebb 824 547, 564, 593 676, 677, 709, 719, 743, 811, 857
dendrodendritique 113 porte-hypothalamo-hypophysaire Thalamus antérieur 630
densité post-synaptique 113 531 Thalamus ventral postérieur (VP) 810
différenciation membranaire 112 réticulaire activateur ascendant THC 158, 565
électrique 107, 109, 110 (SRAA) 545, 673 Théophylline 678
élément présynaptique 112 sensoriel somatique 413 Théorie 121
espace synaptique 112 somatosensoriel 433, 451 BCM 903, 905, 914
excitatrice 134 sympathique 238, 534-539, 560, de Cannon-Bard 623, 624, 630
gap junction 109, 112 593, 624, 626, 665 de James-Lange 622-624, 630
granule de sécrétion 112, 118, 119 ubiquitine-protéasome 505 de la psycho-analyse 764
inhibitrice 134 ventral 354, 357 de la trichromie de Young-
jonction étroite 109 ventriculaire 183, 201, 204, 230 Helmoltz 312
post-synaptique 42 vestibulaire 367, 374, 401, 403, 409 des assemblées cellulaires 855
potentiel post-synaptique (PPS) 110 viscéral 238 des cartes cognitives 873
présynaptique 42, 42 visuel 213, 329, 330, 333, 362, 364, des émotions 631
transmission synaptique 107, 117 452, 799, 828, 838 dimensionnelle des émotions 633
biosynthèse 119 double de la localisation du son 394
Système modulateur diffus 527, 540,
libération 108, 120-122, 145 du complexe « SNARE » 121
541, 546, 548
stockage 108, 119 du portillon 446
Système nerveux autonome (SNA)
synthèse 108 psychologique constructiviste des
182, 196, 238, 526, 533, 535, 537,
vésicule à cœur dense 112 émotions 633
539, 544, 550, 630, 642
vésicule synaptique 112, 118, 152 Thérapie génique 465, 470
ganglion autonome 535
zone active 112, 117, 123 Thermoception 413, 425, 449-451
neurone post-ganglionnaire 535
Synaptotagmine 122 Thermonocicepteurs 439
neurone préganglionnaire 535
Syndrome autistique 18 Thermorécepteur 449-451
de Balint 730 Système réticulaire activateur ascen- Thermorégulation 527
de Brown-Séquard 444, 445 dant (SRAA) 673 Thorndike Edward 845
de Down 608 Thyroïde 577
de Guillain-Barré 102 T Tige pituitaire 527, 528
de Klinefelter 586 Tissu adipeux 555, 556
Tache aveugle 293
de Klüver-Bucy 636, 638 Tomographie par émission de posi-
Takahashi Joseph 686
de Korsakoff 863, 864 trons (TEP-scan) 185, 187, 358,
Tamoxifène 616
de négligence 436, 437, 746, 747 495, 626, 631, 641, 655, 676, 691,
Tank David 208
de Turner 586 704, 718-720, 722, 723, 737-739,
Tauc Ladislav 896
de l’X-fragile 820 774, 785, 851, 868
Tectum 196, 201, 219, 232, 817, 818
d’héminégligence 437 Tonegawa Susumu 912
d’hyperactivité-déficit attentionnel Tectum optique 333 Tonini Giulio 679, 754
(ADHD) 732 Tegmentum mésencéphalique 196, Tonotopie 376, 388, 390, 398, 409,
du membre fantôme 434 197, 201, 219, 569 430
Gille de la Tourette 508 Télencéphale 193-195, 201, 202, 228 Tonus musculaire 490, 665
hypothalamique latéral 557 Télencéphale basal 194, 206, 209, Toran-Allerand Dominique 614
hypothalamique ventromédian 557 270, 832 Toxicomanie 19, 574
Synesthésie 844 Terminaison axonique 41, 44, 54, 98 Toxine botulinique 129
Synthèse des protéines 29 Terpogossian M. 187 Tractus olfactif 281
Système auditif 368, 370, 374, 383, Test de reconnaissance différée 849 Tractus optique 222, 331-333, 335,
385, 394, 398, 400, 401, 409, 452, avec non-appariement 811, 815
707 à la règle 862 Traduction 30
dopaminergique mésocortico de saccade oculaire différée 853 Traitement parallèle 325, 364
limbique 546, 550, 790 de tri des cartes de Wisconsin 850 Transcription 29, 30, 465
dorsal 354, 355, 357 Testis-determining factor (TDF) 585, Transcrit 29
entérique 538, 539 605 Transducine 309, 311
limbique 206, 270, 627, 630 Testostérone 586-590, 604, 605, 607, Transduction 264, 286, 309
modulateur diffus 527, 540, 541, 608, 612, 642 du goût 265
546, 677 Tétanisation 899 olfactive 274, 277
moteur 455, 485, 490 Tétrodotoxine (TTX) 94, 686, 687, Transgène 32, 51
moteur latéral 237 824, 914 Transgénique 32
moteur médian 237 Teyler Thimothy 116 Transmembrane protein-like 381
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