Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
ISSN 0419-1633
ISBN 9782130547198
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-64.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
par
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
qu’en toi il y a un soleil, il y a une lune, il y a des étoiles2. » Dans ce
singulier passage, l’âme de l’homme se présente comme un miroir
du monde visible, lequel n’est à son tour qu’une grandiose allégorie
du divin. Dans une image qui n’est pas dénuée de résonances
astrologiques, la charnière de la correspondance entre le grand
monde et le petit est située dans les corps célestes.
Cette image de la correspondance entre l’univers et l’homme, le
macrocosme et le microcosme, n’est pas une image nouvelle ni
même insolite ; André Festugière la définit au contraire comme
étant la plus célèbre de l’Antiquité3. Dans son livre important sur
Pic de la Mirandole, Henri de Lubac a consacré un chapitre à la
recherche, dans la tradition antique et médiévale, des témoignages
les plus marquants de l’idée de relation entre macro et microcosme,
sur laquelle le comte de la Mirandole conclut l’Heptaple : « Il
importe de remarquer que le monde est appelé par Moïse “un
grand homme”. En effet, si l’homme est un petit monde,
assurément le monde est un grand homme, etc. Voyez avec quelle
harmonie toutes ces parties du monde et de l’homme se
correspondent4. » Comme De Lubac l’a bien indiqué, on peut
retrouver les thèmes de l’harmonie universelle et de la relation
macro et microcosme dans les textes et chez les auteurs les plus
divers : les écrits hermétiques, les commentaires bibliques de
Clément d’Alexandrie, Philon, Chalcidius, Macrobe, saint Augustin
et Martianus Capella. Isidore de Séville peut donc la présenter
comme une idée bien établie dans la culture antique, « s’il est vrai
qu’en grec “monde” se dit “cosmos”, et l’homme, à son tour,
“microcosme”, c’est-à-dire “petit monde”5 ». Ainsi l’évêque espagnol
a-t-il transmis le thème au Moyen Âge latin, où Hildegarde de
Bingen et Bernard Sylvestre, parmi bien d’autres, lui feront subir
des réélaborations suggestives, avant d’arriver au cœur de la
culture de la Renaissance avec le De coniecturis de Nicolas de Cuse
et les écrits de Pic.
Le thème, on l’a dit, a connu des développements et des implica-
tions diverses suivant les auteurs. Dans de nombreux textes
chrétiens, il devait converger avec l’idée que l’homme, étant la
première et la plus excellente des créatures, enferme en lui tous les
aspects du monde ; parfois, il se limita au sentiment d’une proxi-
mité fraternelle entre l’homme et le reste de la création, expres-
sions l’un et l’autre du même amour de Dieu, qui dicta à François
d’Assise, entre autres, les louanges du frère Soleil et de la sœur
Lune6. Dans le milieu stoïcien, il s’était lié au thème de la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
sympatheia universelle, tandis que dans les textes hermétiques il
s’était spécifié à travers la liste ordonnée des chaînes de rapports
qui lient ponctuellement à chacun des corps célestes, et en premier
lieu aux astres errants, une série précise d’animaux, de végétaux et
de minéraux. Dans l’ouverture de la Iatromathématique d’Hermès
Trismégiste à Ammon l’Égyptien, il est développé dans le sens
d’une liaison systématique entre chacun des astres et les diverses
parties du corps humain (melothesia) – ce qui est une référence
obligée pour la longue tradition de la médecine astrologique.
Les savants disent, ô Ammon, que l’homme est un univers, parce
qu’il est fait, dans sa constitution, à la ressemblance de l’univers. En
vérité, dans la génération de semence humaine, dans toutes les parties
qui constituent le corps humain, se sont mêlés les rayons des sept
astres, tout comme à l’acte de la naissance en vertu de la disposition
des douze signes. On dit que le Bélier est la tête tandis que les facultés
perceptives qui sont dans la tête sont attribuées aux sept astres
errants : l’œil droit au Soleil, le gauche à la Lune, les oreilles à
Saturne, le cerveau à Jupiter, la langue et la luette à Mercure, l’odorat
7
et le goût à Vénus et tout ce qui est sanguin à Mars .
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
furent employées en milieu mésopotamien, avant et indépen-
damment de la rencontre avec la philosophie grecque, autour de
laquelle se forge, à partir de Bérose (fin du IIIe siècle avant J.-C.) le
lien au thème stoïcien de la sympathie universelle, central dans
des textes comme le poème de Manilius, les Anthologiae de Vettius
Valens et les écrits astrologiques d’inspiration hermétique9. Il n’y a
donc pas lieu de s’attarder à répéter que la théorie de la
correspondance entre macro et microcosme constitue le fondement
de l’astrologie sous toutes ses formes10. Cette évaluation est née à
un stade des études dominé par la conviction que, malgré ses
lointaines origines mésopotamiennes, l’art d’Uranie, dans sa forme
accomplie, ne pouvait pas ne pas être fruit du génie hellénique. Les
études assyriologiques des dernières décennies ont rendu cette
thèse caduque, en retrouvant dans des textes cunéiformes non
seulement la technique de prévision des grands événements géné-
raux, mais aussi celle des horoscopes individuels, dont la structure
mathématique avait convaincu la génération d’Auguste Bouché-
8. Pour les expressions techniques (thème natal, transit, aspect), voir G. VITALI,
Lexicon mathematicum astronomicum geometricum [1668]. reproduction anasta-
tique, G. BEZZA (éd.), préface de O. P. FARACOVI, Sarzana, Agorà Edizioni 2003.
9. Voir le bel essai d’A. J. LONG, « Astrology : arguments pro et contra », dans
Science and Speculation. Studies in Hellenistic Theory and Practice, éd. J. BARNES,
J, BRUNSCHWIG, M. BURNYEAT, M. SCHOFIELD, Cambridge-Paris, Cambridge
University Press-Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 1982, où l’auteur
rappelle que les références directes à l’astrologie n’abondent pas chez les philo-
sophes stoïciens. Ce qui n’empêche pas que tout un courant d’études astrologiques a
puisé dans le stoïcisme, à travers le thème du fatalisme astral, un encadrement
philosophique qui a fortement marqué les discussions sur l’astrologie, et pas
seulement dans le monde antique.
10. Pour une formulation classique de cette thèse, voir A. FESTUGIÈRE, La
Révélation, op. cit., p. 89 sq.
L’HOMME ET LE COSMOS À LA RENAISSANCE 67
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
miroir de la vie de l’univers. Sur cette même route, mais explici-
tant une dimension astrologique, se situe une lettre de Marsile
Ficin, que l’on peut dater de la fin de 1477 ou des premiers mois de
147814. Le thème du ciel intérieur y est traité en des termes si
semblables à ceux d’Origène qu’on pourrait croire à une sorte de
citation indirecte : « Ce n’est point hors de nous qu’il faut chercher
les corps célestes ; en vérité, le ciel est tout en nous, qui avons en
nous une vigueur ignée et des origines célestes15. » Marsile Ficin,
on le sait, trouva en Origène, « très noble platonicien, homme dont
la doctrine et la vie sont admirables entre tous » (platonicus
nobilissimus, vir doctrina vitaque apprime mirabilis16), un des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
Avant tout la Lune : que peut-elle signifier en nous, sinon le
mouvement continu du corps et de l’âme ? Mars indique ensuite la
promptitude ; Saturne, au contraire, la lenteur. Le Soleil signifie Dieu,
Jupiter la loi, Mercure la raison et Vénus l’humanité (humanitas)18.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
Ficin endosse les habits du mentor, qui indique par quelles voies
sera fait le meilleur usage des bonnes dispositions naturelles21. Ses
enseignements ne laissent aucune place au fatalisme, d’origine
stoïcienne, qui avait souvent accompagné l’astrologie antique et
avait fait l’objet d’un rejet unanime par les chrétiens. Le thème
natal n’est pas le point de départ d’événements préfixés, dont
l’inévitable réalisation exclurait toute intervention consciente de la
volonté. Il s’agit plutôt d’une cryptographie de prédispositions et de
talents, dont la réalisation est confiée à l’initiative subjective et à
la responsabilité morale.
Autant les astrologues estiment fortuné celui dont le destin a
favorablement disposé les corps célestes à la naissance, autant les
théologiens jugent heureux qui les a disposés pour soi aussi bien. […]
Allons donc, généreux jeune homme, arme-toi et modère ainsi le ciel
avec mon aide. Que ta Lune, c’est-à-dire le mouvement continu du
corps et de l’âme, esquive tant l’excessive rapidité de Mars que la
lenteur de Saturne ; ou encore, considère chaque question particulière
au moment opportun et commode ; ne te hâte point ni ne tarde plus
qu’il ne faut. Que cette Lune qui est en toi regarde ensuite conti-
nuellement le Soleil, Dieu même, duquel elle reçoit toujours des rayons
bénéfiques ; et en tout vénère par-dessus tout celui dont tu as reçu ce
par quoi tu es digne d’honneur. Regarde aussi Jupiter, c’est-à-dire les
lois divines et humaines, qui ne doivent jamais être transgressées :
s’écarter des lois, sur lesquelles tout repose, ne serait en fait que se
perdre. Tourne ton regard vers Mercure, c’est-à-dire le discernement,
la raison et la science, et n’entreprend rien sans avoir consulté au
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
valeur de signes de l’ordre divin : « Les astres qui sont des parties
importantes du ciel, collaborent à l’univers ; ces êtres magnifiques
servent aussi de signes ; ils présagent tout ce qui arrive dans le
monde sensible23. »
En se rapportant à cette thèse, Ficin reprend un thème qui
n’était pas du seul Plotin. Sur la même longueur d’onde se situait
aussi le passage déjà cité de la Philocalie d’Origène; mais, dans ses
lignes plus générales, le mobile était déjà apparu dans le champ de
la divination mésopotamienne plus ancienne, où les astres ne
causent pas les événements, mais les signifient. Dans les textes
cunéiformes, les étoiles sont l’écriture des cieux, comme s’il s’agis-
sait de lettres qui transmettent sous une forme chiffrée le message
divin. Quand ils décrivent le fondement de la divination céleste, les
scribes mésopotamiens recourent à la même métaphore de
l’écriture, du traité, du dessin et de la mesure qu’on trouve chez
Origène et, plus tôt encore, chez Philon d’Alexandrie et dans la
Bible elle-même. Par ailleurs, puisque les phénomènes célestes
peuvent être lus en vertu d’un code qui leur est propre, à chacun
correspondant un événement terrestre, il ne serait pas possible de
les décoder en l’absence d’une écriture : de ce point de vue, il n’est
pas dénué de sens que ce soit la même culture qui, en Médi-
terranée, ait été la première à élaborer l’idée de divination céleste
et la première à donner vie à un système d’écriture24.
Évidemment liée à l’admission d’un ordre divin de l’univers, la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.154.10.162 - 16/11/2019 19:17 - © Presses Universitaires de France
les stoïciens, puisqu’il s’agit d’une nécessitation qui passe à travers
les matières corporelles, mais n’agit point sur l’âme. Aussi Ficin
peut-il conclure sa lettre par un augure qui engage : « Enfin, pour
m’exprimer avec brièveté : si tu sais de le sorte réguler
commodément en toi les signes célestes et tes dons, tu échapperas
à toutes les menaces du destin et tu ne manqueras pas de vivre
une vie heureuse avec la divine faveur27. »