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Du Pasquier Sylvain. Les gags de Buster Keaton. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 132-144;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1218
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1218
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Les gags de Buster Keaton
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Sylvain Du Pasquier
regarder lui-même sans le considérer dans la construction minutieuse du contexte
qui l'annonce et le prépare. On est loin ici de la « gratuité » qui entrait dans la
définition traditionnelle du gag. Lorsqu'enfin le policeman est assommé par
deux fois et s'écroule, il n'y a, au niveau du spectateur, aucun étonnement
véritable (alors que Keaton est, lui, légèrement étonné, ce qui n'est pas son
habitude). Le gag en effet, tel qu'il se présente, n'est que l'aboutissement d'une
suite de « dispatches » dont le dernier se résout avec évidence : ou bien le
policeman échappe au coup involontairement porté par Keaton, ou bien le hasard
fatidique mène les choses jusqu'à leur terme et il est renversé (il me semble bon
de signaler ici que ce dispatch existe réellement et que ce gag, si bien préparé,
en aurait été un dans les deux cas. A la première vision du film, on peut
réellement se poser la question jusqu'au moment où le gag arrive à sa conclusion).
Rappelons aussi pour l'anecdote et pour évoquer ce sens de la préparation
du gag, si typique, que Keaton avait construit chez lui une machine
monumentale pour casser les noix. Au terme d'un long parcours minutieusement réglé,
la noix arrivait sur une sorte d'enclume sur laquelle s'abattait un énorme
marteau, juste à côté de la noix. (Henriette Nizan, « Portrait de Buster Keaton »,
in Le Magasin du spectacle, n° 4, août 1946.)
Le gag : à l'aide d'une sorte de pied de lampe extensible et d'un gant de
boxe, Buster Keaton fabrique une « flèche » pour indiquer la direction qu'il
compte prendre avec son énorme charrette. Après l'avoir dûment expérimenté
à un croisement désert, il arrive sur un carrefour au milieu duquel un policeman
règle la circulation. Arrivé à sa hauteur, Keaton veut tourner à gauche et actionne
son signal. Le flic est littéralement jeté à terre, le gant de boxe l'atteignant en
pleine figure. Buster Keaton fait un quart de tour à gauche, et au moment où
le flic se relève, celui-ci est encore dans la mire du signal qui se détend à nouveau.
La charrette s'éloigne alors et Keaton, en se retournant aperçoit avec un
étonnement à peine perceptible que le policeman gît, inanimé.
Ce gag serait presque quelconque et, pour tout dire, proche du stéréotype,
si les éléments qui le composent ne nous avaient été présentés de façon
particulière.
Tous ces éléments sont issus d'un grand bric-à-brac, sorte d'origine chaotique
commune de tous les objets particularisés de ce récit; l'importance symbolique
de ce fourre-tout originel se précisant par la suite. A côté de la charrette où il
est entassé, restent une valise et deux cruches. Buster prend la première, la
met dans la valise et après avoir vainement tenté de l'y enfermer, monte, les
deux pieds sur la valise qui accepte enfin de se fermer. Il ramasse furtivement
une brique tombée hors de la valise, la glisse à l'intérieur et boucle les ferrures.
Il charge la valise et revient à la deuxième cruche qu'il suspend où il peut.
Alors qu'il se retourne, la cruche tombe et se casse. Il fait volte face et considère,
résigné, les briques éparses de la deuxième cruche de faïence blanche. Il considère
alors l'objet traître auquel il avait accroché la cruche. Il découvre (et le temps
de la découverte est ici le même, au niveau du réfèrent et à celui du récit) une
sorte de croisillon mobile et extensible qui a peut-être été le pied d'une lampe
mais qui pourrait aussi bien être un grand pantographe, multiplicateur des
gestes du pantomime. Keaton examine l'objet qui s'est étendu, tiré par le poids
de la cruche, le fait jouer en tous sens et le jette sur le siège du cocher.
Plus loin, Keaton, rênes en mains, tend le bras gauche pour indiquer qu'il se
prépare à tourner dans cette direction. Il se fait mordre la main par un chien
juché sur la plateforme d'un camion. Aussitôt, il tire de son chargement un
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Les gags de Buster Keaton
gant de boxe qu'il enfile et brandit sous le nez du chien surpris, puis furieux.
Dès lors, il ne reste plus à Keaton qu'à fixer le pantographe sur le côté gauche
de sa charrette et à y assujétir le gant de boxe pour posséder le signal le plus
adéquat et le plus efficace.
Mais dès que Keaton arrive sur le carrefour, se pose la question de la suite
logique des gags auxquels nous venons d'assister. Derrière le hasard apparent
d'une suite décousue, se profile la succession quasi mathématique de la fatalité.
La figure logique de la succession des faits, se dévoile et réorganise d'un seul
coup, tout ce qui a précédé depuis le début du récit.
Au début du récit en effet, est posé un enjeu qui est immédiatement
inaccessible : pour épouser une jeune fille riche, Buster Keaton (dénommé « the boy »
dans le générique) devra être un grand homme d'affaire. A aucun moment il
n'essaiera de relever ce défi au-dessus de ses forces, laissant cette possibilité à
un autre, lorsque, étant en possession d'une grosse somme d'argent, il la laisse
aux mains d'un voleur en échange d'un mobilier dont celui-ci n'est pas le
propriétaire. Il achète avec le reste de l'argent (et par un subterfuge du même
ordre), une charrette et son cheval pour charger le déménagement.
La fatalité du gag s'abat alors sur Keaton qui n'a aucune raison de s'y opposer
si ce n'est le désir de vaincre et de rester libre. En effet, toute cette fatalité est
axée autour du personnage du « flic », de la police et des policiers, qui se manifeste
particulièrement par des poursuites aussi massives que mécaniques.
La fin du récit confirmera le caractère illusoire de l'enjeu : au moment où
Keaton échappe à la fatalité qui le poursuit, il renonce à cette liberté chèrement
conservée, l'objet de l'enjeu lui passant littéralement sous le nez.
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Sylvain Du Pasquier
1° cruche-valise 2° cruche-lampe
Logique du premier enfermer une cruche dans accrocher une cruche pour
syntagme une valise pour la conserver la conserve»
Logique introduite par le casser une cruche pour la une cruche suspendue
deuxième syntagme conserver tombe
Keaton enferme ou suspend une cruche, pour en avoir ainsi fait le tour. Bien
sûr, le premier syntagme contient toujours les éléments qui rendent possible
le gag (on pourrait fort bien, sur la base de cette remarque, faire un relevé des
situations propices au gag; ce fut longtemps un travail très bien rémunéré du
côté d'Hollywood). Mais cette ouverture problématique du premier syntagme
est toujours cachée puisque l'objet du gag est toujours de la dévoiler subitement
(subitement puisqu'il ne saurait y avoir de dévoilement qu'instantané ; la rapidité
du gag, contrairement à son caractère surprenant ne saurait être un effet
surajouté puisqu'il participe de sa structure même). Le camouflage ou la simple
non-objectivation de la logique du gag au cours du premier syntagme, peuvent
prendre des formes diverses : ici ils se résolvent entièrement dans la simplicité
évidente (duplicité cachée) des objets utilisés. Une valise est faite pour protéger
ce qu'elle contient; on met donc un objet dans une valise pour le protéger et
pas seulement pour le contenir ou pour le transporter à tout prix. On peut
dire qu'il y a un nouveau renversement presque imperceptible entre les deux
gags mais qui dévient évident à l'analyse : Keaton tente de conserver intacte
la deuxième cruche alors qu'il a explicitement sacrifié la première. Ce
retournement, tout en introduisant le gag de la deuxième cruche, donne une unité
rhétorique à ces deux gags et en délimite la « sentence » : l'ambiguïté de la valeur
d'une cruche dans un récit où il s'agit de faire fortune.
Une autre remarque s'impose : dans le deuxième gag, si le mobile est
immédiatement perçu (la pesanteur), le spectateur ne perçoit pas tout d'abord l'objet
qui permet la réalisation du gag. L'intérêt de cette découverte postérieure est
double : elle permet tout d'abord une meilleure efficacité du gag qui, sans être
tout à fait inattendu (c'est un deuxième bris de cruche), n'en est pas moins
extrêmement concis et sobre dans sa préparation. Mais cette disposition
recherchée du point de vue syntagmatique (inversion du sujet réel du gag), permet
également au récit une conservation de l'objet qui a été ainsi désigné : le pied
de lampe extensible, le pantographe dont la signification ici déplacée (mauvais
support qui s'allonge sous l'effet de la pesanteur) sera rétablie dans un gag
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Les gags de Buster Ktaton
ultérieur grâce à un nouveau retournement (merveilleux multiplicateur de
mouvement).
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Sylvain Du Pasquier
réel en tant que tel; mais bien la logique du discours normal qui ne peut employer
un tel détournement d'objet sans une procédure spéciale de normalisation.
Dans le discours réaliste en effet, on peut très bien trouver ce genre d'utilisation
détournée d'un objet mais le discours sera obligé par exemple de faire passer
cette déviation comme stratagème du héros pour le vraisemblabiliser, au contraire
du film de Keaton où la présence du gant et son utilisation est donnée comme
normale et allant de soi. Dans cet exemple, le saut entre le réalisme et le gag
semble infime et pourtant est capital. A aucun moment en effet, le discours
filmique de Keaton n'organise une logique du réfèrent qui soit tout à fait
cohérente. La totalité de ses notations s'organise en fait autour de la logique du gag.
Autrement dit, jamais Keaton ne construit un univers symbolique ou une
construction herméneutique suffisamment consistante pour que nous puissions
nous y prendre. Nous pourrions voir à propos d'autres discours du même type
mais postérieurs, qu'il n'en a pas toujours été ainsi par la suite et que, peut être
depuis Keaton, l'objet même du gag s'est enrichi ou simplement déplacé.
Bras Gant
Nécessité de tendre le bras Se faire mordre par un chien Mettre un gant de boxe
Un chien sur la plate-forme d'un camion, Un gant de boxe protège la main contre
mord les mains qui passent à sa portée. les morsures de chien.
TABLEAU RÉCAPITULATIF
U assommoir.
Examinons maintenant le gag qui couronne toute cette séquence, celui au
cours duquel Keaton construit un signal de bifurcation à gauche pour sa
charrette et assomme sans le vouloir un policeman au milieu d'un carrefour. Les
objets sur lesquels il s'appuie nous ont été déjà donnés mais avec une
signification déplacée. Le gag central de cette séquence consiste non pas dans
l'agression proprement dite mais dans la fabrication de l'objet contondant. A cet
instant ce sont le comportement de Keaton et sa logique propre qui sont en
cause et qui constituent en quelque sorte le moteur même du gag, la suite des
événements en constituant l'aboutissement en vertu de la fatalité qui s'y explicite
et qui régit la construction de l'ensemble du récit. En effet, au fur et à mesure
que se déroule ce récit, nous pourrions relever que le mobile final qui préside à
la consecution des séquences événementielles ne saurait être du point de vue
d'une logique du réfèrent, autre chose que le hasard. Mais à l'intérieur du récit,
lorsque ce qui s'annonce toujours comme pur hasard, finit par former un
ensemble bien ordonné de conséquences inéluctables, nous pouvons parler, dans le
cadre de la logique propre du récit, de fatalité. Mais la fatalité que nous suggère
le récit de Keaton, ne saurait être considérée comme purement gratuite et
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Les gags de Buster Keaton
Apports théoriques.
Après cet exposé des résultats les plus significatifs obtenus sur l'étude de
Cops, nous pouvons tenter d'en tirer quelques données théoriques d'une portée
plus générale. Le mot gag1, son existence même, est important dans la mesure
où il isole en la nommant, une unité particulière du discours filmique. Nous
pourrions presque dire qu'il définit une catégorie si ce type d'unité apparaît
effectivement dans une série bien déterminée de films.
Mais si nous essayons d'isoler cette unité courte, nous nous apercevons que
dans sa plus stricte définition, elle ne serait que le passage ponctuel d'une unité
à une autre. Nous ne pouvons jamais trouver au gag une quelconque durée
dans la mesure où il est une révélation subite. Ce que nous pouvons par contre
isoler comme durée, c'est l'avant du gag ou l'après du gag, mais jamais le gag
en lui-même qui n'existe que comme rupture, comme discontinuité entre une
unité et une autre. •
1. Le mot gag désigne à l'origine les courtes improvisations qu'un acteur de comédie
ajoute à son rôle. Dans ce sens originel, le gag était plus le fait de Chaplin que de Keaton.
Tous deux en effet ont commencé sur les planches, le premier comme comédien, le
second comme acrobate comique. Mais très vite le cinéma muet allait imposer le sens
visuel (et donc Keatonien) que l'on donne aujourd'hui à ce mot. Mais nous avons vu
que la perfection du gag chez Keaton, ne tient pas seulement, et de loin, à son caractère
visuel.
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Sylvain Du Pasquier
Signification
Signification Signification Signification
4 déplacée de
déplacée de l'objet déplacée de l'objet retrouvée des objets l'objet construit
Comportement
5 Fatalité imposée Fatalité imposée Fatalité
logique
Mais cette première définition, trop abstraite, ne suffît pas, de toute évidence,
à rendre compte du phénomène. En effet, elle ne permettrait de faire une analyse
du gag que comme parfaitement indépendant de son contexte (ce qui n'est
pas le cas comme nous l'avons vu) et se suffisant à lui-même, réduisant le
problème du gag à une question d'efficacité.
Le gag en effet, s'il doit être analysé comme phénomène de rupture doit être
considéré aussi, du point de vue de ce qu'il rompt, c'est-à-dire du point de vue du
discours et de la logique dans laquelle il se trouve comme perturbateur. Il faut
néanmoins remarquer que cette innocence mythique du gag correspond
approximativement à sa première période historique : le gag isolé, le gag comme pur
changement de direction a été une phase d'exploration primitive des possibilités
qu'il recèle. Mais le résultat logique de cette période, fut l'accumulation intensive
maximale de gags dans le temps le plus court possible. Il est d'ailleurs
significatif que cette production se soit limitée aux courts métrages, au moment où le
« drame » avait déjà conquis pleinement la pratique des longs métrages. Mais
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Les gags de Buster Keaton
cette accumulation effrénée de gags, en réduisant la portée, du fait même que le
discours d'implantation, privé de tout argument au sens classique du terme,
n'avait plus aucune logique propre et que les décors, situations et personnages,
n'avaient plus que la consistance de prétextes. C'est alors qu'a pu se développer
le courant inverse pour lequel le discours filmique devait être construit en
fonction de ce que le gag devait perturber. Il s'agissait bien de faire sortir le gag
de sa gratuité première et mythique. Dès lors le gag ne sera plus traité comme
unité isolée du reste du discours. Dans ce sens, l'avènement du gag à cette époque,
correspond effectivement avec les transformations du récit aussi bien en ce qui
concerne le cinéma qu'en ce qui concerne les autres media modernes ou
traditionnels. Les premiers pas dans cette direction ont été faits par Buster Keaton
dont le champ d'expérience privilégié, est la logique du discours filmique réaliste
tel qu'il existait à ce moment-là. En effet, ce premier champ d'application était
nécessaire à l'extension du gag à d'autres champs. La découverte des
possibilités d'énonciation dans ce domaine, le refus du réalisme classique,
conditionnaient l'extension du gag. C'est également par là qu'a commencé notre
recherche.
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Sylvain Du Pasquier
sible d'imaginer le contraire. Notons néanmoins qu'il ne s'agit pas là d'un pur
a priori ou pire, d'une tautologie : ce n'est pas par définition que la fonction
normale est la première fonction dans l'ordre de la succession. Mais c'est le
mécanisme du gag qui le détermine. On pourrait en effet imaginer un gag constitué
de deux fonctions qui seraient tout simplement partiellement contradictoires
et dont l'inversion produirait toujours une figure de gag. Mais, dans ce cas limite
et imaginaire, c'est toujours la première séquence qui apparaîtrait comme nbr-
mative et la seconde comme perturbante au niveau du fonctionnement du gag
dans la mesure où la première pourrait toujours contenir la seconde comme
potentialité non prévisible. Dans ce cas, les deux fonctions présenteraient une sorte de
réciprocité- logique.
Notons à propos de cette remarque, l'existence d'un phénomène ici mis en
lumière, mais qui se révélera être le cas général et non simplement le fait de cet
exemple particulier; la première séquence n'est jamais une fonction fermée,
dans ce sens qu'elle appelle la suite du récit mais surtout qu'elle laisse (même si
cela ne peut se percevoir à la première vision et c'est là tout son sens) diverses
possibilités dans la réalisation des fonctions qui lui succèdent. Nous pourrions
dire qu'il y a phénomène de protension. Au contraire, la deuxième fonction (ou
une fonction suivante) sera obligée d'effectuer un certain nombre de
potentialités comprises dans la première fonction et donc de les retenir actualisées
présentes en elle. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un phénomène de rétention.
Cette seconde fonction effectuera donc la fermeture de la première mais ne sera
pas elle-même obligatoirement fermée; elle pourrait être la première fonction
d'une nouvelle série (cas de gags en cascade par exemple).
1. La fonction normative se présente justement comme n'importe quelle
fonction diégétique. Tout au plus, peut-elle présenter une situation comique, ce qui
n'a rien à voir avec le fonctionnement du gag lui-même. Mais il est de la plus
grande importance qu'elle puisse aussi bien se situer dans n'importe quel discours
filmique qui ne serait pas burlesque. Certains auteurs poussent même la rigueur
de la démonstration jusqu'à utiliser comme séquence normative des séquences
existant dans d'autres systèmes d'images ou dans d'autres films.
Cette première fonction contient toute la signification du gag dans la mesure
où c'est elle qui définit son champ d'application, son décor, sa logique première.
Mais c'est aussi cette fonction qui contient comme un ver dans le fruit, la
possibilité latente et non encore exprimée d'un sens autre, perturbé, absurde. Cela
explique également qu'elle soit généralement plus longue et plus complexe que
la seconde fonction. Dans la série des gags que nous avons examinée, nous
pouvons considérer que la totalité de la séquence, hormis les dernières images,
forment la fonction de normalisation du dernier gag.
2. La fonction perturbante vient toujours comme nous l'avons dit, après une
séquence normale et, son rôle, comme son nom l'indique, est d'en perturber le
sens. Mais faut-il entendre par là un simple changement brusque de direction
de l'action ou de la signification, bref du cours du récit, ou une séquence aberrante
avec ce qui précède, qui n'aurait que très peu de relations avec son contexte et
jouerait donc uniquement sur un effet de surprise que l'on pourrait qualifier de
total. On pourrait trouver des exemples qui aillent dans ce sens, mais nous ne
les retiendrons pas comme gags dans la mesure où ils ne perturbent pas vraiment
la logique de la première fonction. En effet, un changement de direction partiel
ou total du sens du discours, laisse tomber une séquence ouverte et présente
donc une anomalie. Mais justement il ne met pas en cause le sens de cette séquence.
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Les gags de Buster Keaton
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Sylvain Du Pasquier
2° Vers une critique des catégories utilisées par la critique. Il est clair en effet,
sans être exagérément ambitieux, que l'aboutissement d'une telle recherche doit
provoquer un renouvellement des concepts de la critique cinématographique.
Nous pourrions dire qu'on ne peut imposer des concepts nouveaux sans mener
parallèlement une critique radicale de ceux qui ont été employés jusqu'ici.
C'est en effet la seule façon de se démarquer nettement de la critique psychologique
et commerciale qui a cours à l'heure actuelle. Lorsque l'on sait l'ampleur des
polémiques qui secouent le petit monde de la critique littéraire à la suite des
progrès réalisés par la sémiologie des textes, on peut aisément se rendre compte
que nous ne sommes pas au bout du chemin.
Ces quelques directions ne sont pas limitatives et il ne sera bien entendu pas
question de s'y limiter.
Sylvain Du Pasquier