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Communications

Les gags de Buster Keaton


Sylvain Du Pasquier

Citer ce document / Cite this document :

Du Pasquier Sylvain. Les gags de Buster Keaton. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 132-144;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1218

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1218

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Sylvain Du Pasquier

Les gags de Buster Keaton

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l'étude
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Gag et comique: avant d'exposer un exemple de recherche sur une occurence


particulière du gag, il faut délimiter plus précisément ce que l'on entend placer
sous ce terme et pour ce faire, on peut utilement le confronter à un type de
discours avec lequel on le confond souvent : le comique.
Le gag prend pour origine, pour terrain d'implantation, le discours réaliste ou
« normal » précisément pour pouvoir le perturber. Il utilise et dévoile le
caractère d'ambiguïté cachée qui existe dans la vision anodine du discours filmique
réaliste. Le gag présente donc toujours une signification décrochée, éclatée et
Ton peut penser que cet éclatement met en jeu deux fonctions : une fonction
normale pouvant appartenir à n'importe quel récit non burlesque et une
fonction perturbante qui subvertit le sens de cette fonction normale en révélant
toute la fragilité de cette norme. Le comique au contraire, ne se démarque pas
formellement du discours réaliste en ce sens que l'on ne pourra jamais relever
une figure syntagmatique qui lui soit propre. Le discours filmique comique ne
présente guère qu'une version comique du réalisme, grâce à un certain nombre de
« ficelles », figures de rhétorique rendant comique un discours qui, sur le plan
de la dénotation, ne se démarquerait pas d'autres discours non comiques. En
effet, au lieu d'atteindre, comme le fait le gag, le cœur même du message dénoté,
le comique se contente d'en décorer les connotations. Dans ce sens, on peut dire
que le comique ne perturbe en rien le fonctionnement de la signification dans le
message filmique.
Gag et absurde: si, à l'inverse du comique, le gag perturbe très fortement le
message filmique, c'est pour déboucher immédiatement et inéluctablement sur
un discours absurde. Le récit ainsi parasité aura alors comme corollaire, non la
fermeture de la polysémie du discours normal, mais son exploitation maximale,
sa mise à nu; non le remplissage du signifiant par la signification mais
renonciation brusque, dans une secousse presque surréaliste, du creux du signe réaliste
originaire. En disant cela, on comprend que, si le gag débouche sur un discours

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Les gags de Buster Keaton

absurde, ce n'est jamais de façon gratuite, c'est-à-dire, jamais indépendamment


du discours perturbé. Et c'est bien en outrepassant les normes du récit réaliste
que le gag les met en évidence.
De là, vient l'importance stratégique de l'étude du gag comme prélude aux
recherches sur le discours cinématographique réaliste. Il n'est donc pas pour nous
d'une importance capitale de cerner, par un jeu de définitions et de postulats,
le discours « normal » et son fonctionnement avant de se lancer dans une étude
du gag, mais c'est bien plutôt à partir des résultats de l'étude du gag qu'il
faudrait revenir au problème du réalisme. C'est à ce niveau également, qu'il faut
se demander si la perturbation du gag n'est pas, elle aussi, normale ou normalisée
suivant certaines procédures formelles, comme pure inversion de la norme, mais
aussi si ce type de perturbation ne se manifeste pas dans le discours filmique
non burlesque et s'il n'a pas, sous une forme ou sous une autre, une fonction
bien précise à l'intérieur de ce discours filmique : celle d'être la marque d'énon-
ciation du discours filmique, ce à partir de quoi le discours peut décoller par
rapport à la vision réaliste des choses et apparaître pleinement comme discours.
Pour confirmer la fécondité de cette direction de travail, il faudra chercher
à classer les types de discours dans lesquels ces marques d'énonciation sont
multipliées ou refoulées (esquissant par là un début de typologie des discours
filmiques) et exploiter les indications fournies, tant sur le plan de la rhétorique
que sur celui de l'idéologie qui sous-tend ces différents types de discours filmiques.
On peut en effet facilement deviner que toute transformation d'une rhétorique
implique une transformation parallèle du substrat idéologique de sa production.
Mais au stade actuel des recherches, nous devons nous limiter à ne présenter
sous une forme développée que les premières bases de cet itinéraire. Ces premiers
pas, nous les avons faits, quant à nous, en travaillant sur un des chapitres les
plus caractéristiques de l'histoire du gag : Buster Keaton.

Étude de « Cops », court-métrage de Buster Keaton.


Le choix du court-métrage Cops, parmi tant d'autres, même si, pour des
raisons d'ordre matériel, il ne fut pas pleinement volontaire, se trouve justifié
par la représentativité des thèmes abordés et des figures employées. Nous y
trouvons en effet les principales composantes de l'œuvre de Keaton, poursuites,
gags d'objets, gags visuels, duplicité profonde des choses et des personnages...
et son étude permet de jeter un éclairage nouveau sur l'ensemble de l'œuvre
de Keaton, y compris sur les moyens ou longs métrages les plus célèbres. Mais
parmi tous ces matériaux d'étude, propres à former un corpus très complexe
et très étendu, il nous a paru intéressant de privilégier d'abord les gags qui
avaient une incidence particulièrement importante sur le déroulement du récit
pour définir les rapports qui existent entre le gag et le récit. A cet égard, le gag
que nous pourrions nommer « gag du premier flic assommé » a une position très
importante, même si cette importance n'est pas particulièrement marquée
par le récit. En effet, ce gag n'est guère souligné que par l'apparition (pour la
première fois depuis le début du récit) de l'objet désigné par le titre : un flic.
Mais son importance véritable n'apparaît qu'à la réflexion (ou à la ré-vision) :
c'est la première fois que se dévoile de façon significative la logique fatale qui
traverse tout le récit : la chance qui semble poursuivre obstinément Buster
Keaton montre son vrai visage.
Ce gag est construit de façon très particulière. On ne peut en effet pas le

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Sylvain Du Pasquier
regarder lui-même sans le considérer dans la construction minutieuse du contexte
qui l'annonce et le prépare. On est loin ici de la « gratuité » qui entrait dans la
définition traditionnelle du gag. Lorsqu'enfin le policeman est assommé par
deux fois et s'écroule, il n'y a, au niveau du spectateur, aucun étonnement
véritable (alors que Keaton est, lui, légèrement étonné, ce qui n'est pas son
habitude). Le gag en effet, tel qu'il se présente, n'est que l'aboutissement d'une
suite de « dispatches » dont le dernier se résout avec évidence : ou bien le
policeman échappe au coup involontairement porté par Keaton, ou bien le hasard
fatidique mène les choses jusqu'à leur terme et il est renversé (il me semble bon
de signaler ici que ce dispatch existe réellement et que ce gag, si bien préparé,
en aurait été un dans les deux cas. A la première vision du film, on peut
réellement se poser la question jusqu'au moment où le gag arrive à sa conclusion).
Rappelons aussi pour l'anecdote et pour évoquer ce sens de la préparation
du gag, si typique, que Keaton avait construit chez lui une machine
monumentale pour casser les noix. Au terme d'un long parcours minutieusement réglé,
la noix arrivait sur une sorte d'enclume sur laquelle s'abattait un énorme
marteau, juste à côté de la noix. (Henriette Nizan, « Portrait de Buster Keaton »,
in Le Magasin du spectacle, n° 4, août 1946.)
Le gag : à l'aide d'une sorte de pied de lampe extensible et d'un gant de
boxe, Buster Keaton fabrique une « flèche » pour indiquer la direction qu'il
compte prendre avec son énorme charrette. Après l'avoir dûment expérimenté
à un croisement désert, il arrive sur un carrefour au milieu duquel un policeman
règle la circulation. Arrivé à sa hauteur, Keaton veut tourner à gauche et actionne
son signal. Le flic est littéralement jeté à terre, le gant de boxe l'atteignant en
pleine figure. Buster Keaton fait un quart de tour à gauche, et au moment où
le flic se relève, celui-ci est encore dans la mire du signal qui se détend à nouveau.
La charrette s'éloigne alors et Keaton, en se retournant aperçoit avec un
étonnement à peine perceptible que le policeman gît, inanimé.
Ce gag serait presque quelconque et, pour tout dire, proche du stéréotype,
si les éléments qui le composent ne nous avaient été présentés de façon
particulière.
Tous ces éléments sont issus d'un grand bric-à-brac, sorte d'origine chaotique
commune de tous les objets particularisés de ce récit; l'importance symbolique
de ce fourre-tout originel se précisant par la suite. A côté de la charrette où il
est entassé, restent une valise et deux cruches. Buster prend la première, la
met dans la valise et après avoir vainement tenté de l'y enfermer, monte, les
deux pieds sur la valise qui accepte enfin de se fermer. Il ramasse furtivement
une brique tombée hors de la valise, la glisse à l'intérieur et boucle les ferrures.
Il charge la valise et revient à la deuxième cruche qu'il suspend où il peut.
Alors qu'il se retourne, la cruche tombe et se casse. Il fait volte face et considère,
résigné, les briques éparses de la deuxième cruche de faïence blanche. Il considère
alors l'objet traître auquel il avait accroché la cruche. Il découvre (et le temps
de la découverte est ici le même, au niveau du réfèrent et à celui du récit) une
sorte de croisillon mobile et extensible qui a peut-être été le pied d'une lampe
mais qui pourrait aussi bien être un grand pantographe, multiplicateur des
gestes du pantomime. Keaton examine l'objet qui s'est étendu, tiré par le poids
de la cruche, le fait jouer en tous sens et le jette sur le siège du cocher.
Plus loin, Keaton, rênes en mains, tend le bras gauche pour indiquer qu'il se
prépare à tourner dans cette direction. Il se fait mordre la main par un chien
juché sur la plateforme d'un camion. Aussitôt, il tire de son chargement un

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Les gags de Buster Keaton
gant de boxe qu'il enfile et brandit sous le nez du chien surpris, puis furieux.
Dès lors, il ne reste plus à Keaton qu'à fixer le pantographe sur le côté gauche
de sa charrette et à y assujétir le gant de boxe pour posséder le signal le plus
adéquat et le plus efficace.
Mais dès que Keaton arrive sur le carrefour, se pose la question de la suite
logique des gags auxquels nous venons d'assister. Derrière le hasard apparent
d'une suite décousue, se profile la succession quasi mathématique de la fatalité.
La figure logique de la succession des faits, se dévoile et réorganise d'un seul
coup, tout ce qui a précédé depuis le début du récit.
Au début du récit en effet, est posé un enjeu qui est immédiatement
inaccessible : pour épouser une jeune fille riche, Buster Keaton (dénommé « the boy »
dans le générique) devra être un grand homme d'affaire. A aucun moment il
n'essaiera de relever ce défi au-dessus de ses forces, laissant cette possibilité à
un autre, lorsque, étant en possession d'une grosse somme d'argent, il la laisse
aux mains d'un voleur en échange d'un mobilier dont celui-ci n'est pas le
propriétaire. Il achète avec le reste de l'argent (et par un subterfuge du même
ordre), une charrette et son cheval pour charger le déménagement.
La fatalité du gag s'abat alors sur Keaton qui n'a aucune raison de s'y opposer
si ce n'est le désir de vaincre et de rester libre. En effet, toute cette fatalité est
axée autour du personnage du « flic », de la police et des policiers, qui se manifeste
particulièrement par des poursuites aussi massives que mécaniques.
La fin du récit confirmera le caractère illusoire de l'enjeu : au moment où
Keaton échappe à la fatalité qui le poursuit, il renonce à cette liberté chèrement
conservée, l'objet de l'enjeu lui passant littéralement sous le nez.

Les deux cruches et la valise.


Dans le gag relaté plus haut, le problème posé est fort simple : il s'agit pour
Keaton de caser sur sa charrette déjà encombrée, deux cruches et une valise.
Entre les deux gags au cours desquels les deux cruches connaissent
successivement le même sort, nous discernons aisément une différence qualitative
importante. Alors que dans le premier rang, l'agent de l'action contrôle de bout en
bout le devenir de la cruche et la casse quasi volontairement pour la faire entrer
dans la valise (l'objet du gag portant ici sur la logique de l'agent : emporter une
cruche à tout prix, même s'il faut pour cela la casser), dans le deuxième gag
l'agent est trahi par une logique qui lui est extérieure (une cruche suspendue
tombe) et en est fort déconfit. Nous voyons donc qu'à une identité du résultat
physique (bris de cruche), correspond une opposition de résultat psychologique
(réussite ^ constat d'échec). Voir tableau page 136.
Nous pouvons voir par ce tableau qu'une césure quasi instantanée entre
les deux syntagmes de chaque gag, se trouve mise en évidence dans ce double
exemple. En effet, si nous observons que les premiers et les seconds syntagmes
se développent sur une durée donnée, le passage des uns aux autres ne saurait
s'étendre et ne constitue jamais que la ligne de rupture d'une logique à une
autre. A l'instant où les cruches se brisent, se brisent avec elles les ensembles
logiques qui les avaient soutenues du temps de leur intégrité.
Précisons aussi que ce n'est pas le fait du hasard si une seule case du tableau
correspond à la description et à la logique du premier syntagme. En effet, sur
le plan du gag, la signification du premier syntagme, est entièrement contenue
dans sa dénotation et il suffit, au niveau de notre analyse de noter que Buster

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Sylvain Du Pasquier

1° cruche-valise 2° cruche-lampe

Logique du premier enfermer une cruche dans accrocher une cruche pour
syntagme une valise pour la conserver la conserve»

Résultat échec réussite

casser volontairement la la cruche tombe et se


Syntagme de rupture cruche casse

Logique introduite par le casser une cruche pour la une cruche suspendue
deuxième syntagme conserver tombe

Résultat réussite échec

Keaton enferme ou suspend une cruche, pour en avoir ainsi fait le tour. Bien
sûr, le premier syntagme contient toujours les éléments qui rendent possible
le gag (on pourrait fort bien, sur la base de cette remarque, faire un relevé des
situations propices au gag; ce fut longtemps un travail très bien rémunéré du
côté d'Hollywood). Mais cette ouverture problématique du premier syntagme
est toujours cachée puisque l'objet du gag est toujours de la dévoiler subitement
(subitement puisqu'il ne saurait y avoir de dévoilement qu'instantané ; la rapidité
du gag, contrairement à son caractère surprenant ne saurait être un effet
surajouté puisqu'il participe de sa structure même). Le camouflage ou la simple
non-objectivation de la logique du gag au cours du premier syntagme, peuvent
prendre des formes diverses : ici ils se résolvent entièrement dans la simplicité
évidente (duplicité cachée) des objets utilisés. Une valise est faite pour protéger
ce qu'elle contient; on met donc un objet dans une valise pour le protéger et
pas seulement pour le contenir ou pour le transporter à tout prix. On peut
dire qu'il y a un nouveau renversement presque imperceptible entre les deux
gags mais qui dévient évident à l'analyse : Keaton tente de conserver intacte
la deuxième cruche alors qu'il a explicitement sacrifié la première. Ce
retournement, tout en introduisant le gag de la deuxième cruche, donne une unité
rhétorique à ces deux gags et en délimite la « sentence » : l'ambiguïté de la valeur
d'une cruche dans un récit où il s'agit de faire fortune.
Une autre remarque s'impose : dans le deuxième gag, si le mobile est
immédiatement perçu (la pesanteur), le spectateur ne perçoit pas tout d'abord l'objet
qui permet la réalisation du gag. L'intérêt de cette découverte postérieure est
double : elle permet tout d'abord une meilleure efficacité du gag qui, sans être
tout à fait inattendu (c'est un deuxième bris de cruche), n'en est pas moins
extrêmement concis et sobre dans sa préparation. Mais cette disposition
recherchée du point de vue syntagmatique (inversion du sujet réel du gag), permet
également au récit une conservation de l'objet qui a été ainsi désigné : le pied
de lampe extensible, le pantographe dont la signification ici déplacée (mauvais
support qui s'allonge sous l'effet de la pesanteur) sera rétablie dans un gag

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Les gags de Buster Ktaton
ultérieur grâce à un nouveau retournement (merveilleux multiplicateur de
mouvement).

Le gant de boxe protecteur.


C'est encore la simplicité qui préside à la construction de ce gag : Buster
Keaton tend le bras pour tourner, se fait mordre la main par un chien et enfile
un gant de boxe pour se protéger. Il est peut-être utile pour l'analyse de discerner
ici deux séquences qui sont, chacune à leur manière, un gag. La première serait
constituée par les deux 6yntagmes « tendre le bras » et « se faire mordre la main
par un chien »; la seconde par « se faire mordre par un chien » et « mettre un
gant de boxe ». On devine déjà que la séquence centrale sera le lieu de passage
d'une logique à une autre et aura ainsi une fonction de gag permettant
l'adjonction a posteriori, d'un objet non cité dans la première séquence et qui pourra
être conservé par le discours, tout comme le pantographe du gag précédent.
« Un chien juché sur la plateforme d'un camion mord les mains qui passent à
sa portée » pourrait être la désignation de ce premier gag tout comme celle du
premier gag de la séquence précédente aurait pu être « il est difficile de faire
entrer un contenu dans un contenant plus petit que lui ». Ce rapprochement
s'impose pour mettre en relief le fait que le champ logique du gag, de très général
est devenu très particulier. Ainsi c'est l'objet du gag même qui est changé.
Plus le champ du gag est particulier et plus la transgression du gag s'attaque au
vraisemblable. Plus le champ en est étendu et plus il s'en prend aux stéréotypes
dans la mesure où les stéréotypes n'ont pas besoin d'être rendus vraisemblables
par le discours. Dans n'importe quel film, le fait de voir un chien mordre une
main à deux mètres au-dessus du sol sera vraisemblable pour peu qu'il s'agisse
de la main d'un voleur poursuivi. Mais ici, c'est le caractère anodin de la scène
et la placidité de Keaton qui souligne le vraisemblable et le désigne à notre
attention. Le fait de voir apparaître un chien sur un objet difficilement
identifiable, n'a rien en soi de bien invraisemblable. Mais que ce chien morde Keaton
et que celui-ci l'accepte comme une donnée normale et presque habituelle, a de
quoi nous étonner et nous conduire à nous interroger sur un discours qui rend
si commun une scène si particulière. (Ici comme ailleurs chez Keaton, le rire et
l'étonnement sont parfois le lot du spectateur mais rarement celui du discours
contrairement à certains films comiques où la surprise et les éclats de rire sont
toujours représentés par le discours et rarement communiqués au spectateur;
fait surprenant pour un type de cinéma qui ne se définit lui-même que par sa
volonté de faire rire.)
La deuxième séquence, « un gant de boxe protège la main contre les morsures
de chien », nous fait passer de la logique de la situation subie à la logique de
l'utilisation d'un objet. En effet, le gant.de boxe, objet offensif, devient ici un
moyen de protection. On devine déjà que cette inversion n'est que la préparation
d'une autre inversion au cours de laquelle le gant de boxe retrouvera son
utilisation agressive.
Ce gag se présente, du point de vue structural, comme un signe d'énonciation,
parce qu'il signifie clairement que la logique du discours n'est pas celle du
réfèrent. Le discours, par ce gag, se montre lui-même comme non réel; ce qui,
en aucun cas, ne signifie que ce discours parle moins de la réalité qu'un discours
qui s'affirme réaliste. Il faut, pour le comprendre, bien remarquer que ce qui
est ici cassé et mis en cause, ce n'est jamais, du moins à ce niveau, la logique du

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Sylvain Du Pasquier
réel en tant que tel; mais bien la logique du discours normal qui ne peut employer
un tel détournement d'objet sans une procédure spéciale de normalisation.
Dans le discours réaliste en effet, on peut très bien trouver ce genre d'utilisation
détournée d'un objet mais le discours sera obligé par exemple de faire passer
cette déviation comme stratagème du héros pour le vraisemblabiliser, au contraire
du film de Keaton où la présence du gant et son utilisation est donnée comme
normale et allant de soi. Dans cet exemple, le saut entre le réalisme et le gag
semble infime et pourtant est capital. A aucun moment en effet, le discours
filmique de Keaton n'organise une logique du réfèrent qui soit tout à fait
cohérente. La totalité de ses notations s'organise en fait autour de la logique du gag.
Autrement dit, jamais Keaton ne construit un univers symbolique ou une
construction herméneutique suffisamment consistante pour que nous puissions
nous y prendre. Nous pourrions voir à propos d'autres discours du même type
mais postérieurs, qu'il n'en a pas toujours été ainsi par la suite et que, peut être
depuis Keaton, l'objet même du gag s'est enrichi ou simplement déplacé.

Bras Gant

Nécessité de tendre le bras Se faire mordre par un chien Mettre un gant de boxe

Un chien sur la plate-forme d'un camion, Un gant de boxe protège la main contre
mord les mains qui passent à sa portée. les morsures de chien.

Situation subie Utilisation d'un objet

TABLEAU RÉCAPITULATIF

U assommoir.
Examinons maintenant le gag qui couronne toute cette séquence, celui au
cours duquel Keaton construit un signal de bifurcation à gauche pour sa
charrette et assomme sans le vouloir un policeman au milieu d'un carrefour. Les
objets sur lesquels il s'appuie nous ont été déjà donnés mais avec une
signification déplacée. Le gag central de cette séquence consiste non pas dans
l'agression proprement dite mais dans la fabrication de l'objet contondant. A cet
instant ce sont le comportement de Keaton et sa logique propre qui sont en
cause et qui constituent en quelque sorte le moteur même du gag, la suite des
événements en constituant l'aboutissement en vertu de la fatalité qui s'y explicite
et qui régit la construction de l'ensemble du récit. En effet, au fur et à mesure
que se déroule ce récit, nous pourrions relever que le mobile final qui préside à
la consecution des séquences événementielles ne saurait être du point de vue
d'une logique du réfèrent, autre chose que le hasard. Mais à l'intérieur du récit,
lorsque ce qui s'annonce toujours comme pur hasard, finit par former un
ensemble bien ordonné de conséquences inéluctables, nous pouvons parler, dans le
cadre de la logique propre du récit, de fatalité. Mais la fatalité que nous suggère
le récit de Keaton, ne saurait être considérée comme purement gratuite et

138
Les gags de Buster Keaton

formelle. A ce niveau, en effet, les objets et l'univers symbolique utilisés par


Keaton ne sont pas complètement indifférents, comme nous pourrions le voir en
considérant l'ensemble des tensions que Keaton utilise pour développer son récit.
Notons pour l'instant que la puissante antinomie « flic vs bric-à-brac »
que ce gag utilise, sera largement développée par la suite. De cette antinomie,
Keaton-agent n'en est que le jouet, jamais le responsable. Il se comporte à
tout moment comme un personnage social normal mais se trouve
continuellement confronté à une tension sociale qu'il n'a pas lui-même créée.
Au cours de la manipulation de Keaton visant à créer un dispositif capable
d'éviter certains accidents de la circulation, les objets employés à cette fin,
retrouvent paradoxalement leur fonction première. Le pantographe, d'objet
mou et amorphe redevient le créateur, le multiplicateur de mouvement qu'il
était. Le gant de boxe, d'objet passif et protecteur, redevient cette prolongation
du bras, cet objet agressif. Dès lors, tout est en place pour le désastre. La suite
n'est l'objet d'un retournement que dans la mesure où les conséquences de sa
conduite, trahissent les buts poursuivis par l'agent-Keaton. Ici le gag consiste
en ce que le substitut de l'agent agit indépendamment de lui et à l'opposé
de ses intérêts. L'agent, au moment où il se constitue comme tel, en commençant
à agir, et à vouloir dominer les objets et les situations, s'enferme dans leur
piège. Il est évident que ce verdict du récit, ne constitue à aucun moment et à
aucun niveau, un message portant sur la réalité physique du monde des choses
ou sur la réalité métaphysique qui présiderait à leur ordonnance et à leur destin.
Bien au contraire, cette sentence se situe toujours au niveau dont la signification
globale est énoncée et donc subvertie par le gag. La seule chose qui soit ici
affirmée, c'est la mort de la fatalité comme moteur du récit normal. (Voir
tableau p. 140).

Apports théoriques.
Après cet exposé des résultats les plus significatifs obtenus sur l'étude de
Cops, nous pouvons tenter d'en tirer quelques données théoriques d'une portée
plus générale. Le mot gag1, son existence même, est important dans la mesure
où il isole en la nommant, une unité particulière du discours filmique. Nous
pourrions presque dire qu'il définit une catégorie si ce type d'unité apparaît
effectivement dans une série bien déterminée de films.
Mais si nous essayons d'isoler cette unité courte, nous nous apercevons que
dans sa plus stricte définition, elle ne serait que le passage ponctuel d'une unité
à une autre. Nous ne pouvons jamais trouver au gag une quelconque durée
dans la mesure où il est une révélation subite. Ce que nous pouvons par contre
isoler comme durée, c'est l'avant du gag ou l'après du gag, mais jamais le gag
en lui-même qui n'existe que comme rupture, comme discontinuité entre une
unité et une autre. •

1. Le mot gag désigne à l'origine les courtes improvisations qu'un acteur de comédie
ajoute à son rôle. Dans ce sens originel, le gag était plus le fait de Chaplin que de Keaton.
Tous deux en effet ont commencé sur les planches, le premier comme comédien, le
second comme acrobate comique. Mais très vite le cinéma muet allait imposer le sens
visuel (et donc Keatonien) que l'on donne aujourd'hui à ce mot. Mais nous avons vu
que la perfection du gag chez Keaton, ne tient pas seulement, et de loin, à son caractère
visuel.
139
Sylvain Du Pasquier

Cruche Bras Pantographe Flèche


pantographe gant de boxe gant de boxe flic

Objet mu Objet extenseur Objet mouvant


1
Objet protecteur Objet visuel Objet agresseur

Mobile absolument Mobile très Mobile absolument


général : Mobile indéfini :
2 particulier : particulier :
la pesanteur l'action de Keaton le hasard
1 chien/camion

L'objet du gag L'objet est La structure des


3 n'est perçu qu'après simultané par Les objets sont possibles est
donnés avant le gag connue avant le gag
le gag rapport au gag

Signification
Signification Signification Signification
4 déplacée de
déplacée de l'objet déplacée de l'objet retrouvée des objets l'objet construit

Comportement
5 Fatalité imposée Fatalité imposée Fatalité
logique

TABLEAU GÉNÉRAL : GAG DU PREMIER FLIC ASSOMMÉ


1. Signification de l'objet dans le gag.
2. Logique du réfèrent.
3. Rapport gag-objet dans la succession du récit.
4. Rapport gag-objet au niveau de la signification.
5. Logique explicite du récit.

Mais cette première définition, trop abstraite, ne suffît pas, de toute évidence,
à rendre compte du phénomène. En effet, elle ne permettrait de faire une analyse
du gag que comme parfaitement indépendant de son contexte (ce qui n'est
pas le cas comme nous l'avons vu) et se suffisant à lui-même, réduisant le
problème du gag à une question d'efficacité.
Le gag en effet, s'il doit être analysé comme phénomène de rupture doit être
considéré aussi, du point de vue de ce qu'il rompt, c'est-à-dire du point de vue du
discours et de la logique dans laquelle il se trouve comme perturbateur. Il faut
néanmoins remarquer que cette innocence mythique du gag correspond
approximativement à sa première période historique : le gag isolé, le gag comme pur
changement de direction a été une phase d'exploration primitive des possibilités
qu'il recèle. Mais le résultat logique de cette période, fut l'accumulation intensive
maximale de gags dans le temps le plus court possible. Il est d'ailleurs
significatif que cette production se soit limitée aux courts métrages, au moment où le
« drame » avait déjà conquis pleinement la pratique des longs métrages. Mais

140
Les gags de Buster Keaton
cette accumulation effrénée de gags, en réduisant la portée, du fait même que le
discours d'implantation, privé de tout argument au sens classique du terme,
n'avait plus aucune logique propre et que les décors, situations et personnages,
n'avaient plus que la consistance de prétextes. C'est alors qu'a pu se développer
le courant inverse pour lequel le discours filmique devait être construit en
fonction de ce que le gag devait perturber. Il s'agissait bien de faire sortir le gag
de sa gratuité première et mythique. Dès lors le gag ne sera plus traité comme
unité isolée du reste du discours. Dans ce sens, l'avènement du gag à cette époque,
correspond effectivement avec les transformations du récit aussi bien en ce qui
concerne le cinéma qu'en ce qui concerne les autres media modernes ou
traditionnels. Les premiers pas dans cette direction ont été faits par Buster Keaton
dont le champ d'expérience privilégié, est la logique du discours filmique réaliste
tel qu'il existait à ce moment-là. En effet, ce premier champ d'application était
nécessaire à l'extension du gag à d'autres champs. La découverte des
possibilités d'énonciation dans ce domaine, le refus du réalisme classique,
conditionnaient l'extension du gag. C'est également par là qu'a commencé notre
recherche.

Problèmes théoriques de V'analyse du gag.


Le gag se présente comme nous venons de le voir, sous la forme d'une unité
courte. Sous son aspect le plus simple, on peut le définir comme étant composé
de deux fonctions : une première dite normale, une seconde dite perturbante.
Chacune de ces deux fonctions est composée d'un certain nombre d'unités
signifiantes dont le repérage ne saurait être, pour le moment, envisagé comme
exhaustif, mais qui peut être considéré comme satisfaisant à notre niveau d'analyse,
s'il permet de rendre compte du fonctionnement intégral de la dénotation.
Il est certain que la plupart de ces unités signifiantes appartiendront aux
deux fonctions, c'est-à-dire seront conservées identiques de la première à la
seconde fonction. Du point de vue du fonctionnement de la signification, il ne
faut Ras sous-estimer l'importance de ces éléments constants, même sur le plan
de la dénotation. En fait, beaucoup d'entre eux auront un rôle très important
dans la logique même du discours filmique, dans la mesure où ils en assurent la
continuité. Ces unités de signification sont principalement des sèmes de
localisation, éléments de décor, lumières, qui permettent une perception organisée
de l'espace, mais l'on pourrait également citer toutes les catégories d'unités qui
sont propres à l'ensemble des récits et qui n'ont rien de spécifiquement
cinématographique.
D'autres éléments au contraire (fort peu nombreux dans le cas du gag)
marquent la discontinuité (le renversement dans le cas du gag, sous sa forme keato-
nienne) et nous permettent de délimiter les diverses fonctions (ici au nombre de
deux). Chaque fonction apparaît donc comme un faisceau d'éléments
convergents vers un sens unique, mais pas nécessairement univoque, comme le démontre
l'existence même des gags.

Analyse des deux fonctions du gag.


Ces deux fonctions présentent chacune des caractères spécifiques qui découlent
de leurs rapports réciproques. Remarquons que la fonction normale ou normative
se présente toujours avant la fonction perturbante et il est quasiment impos-

141
Sylvain Du Pasquier
sible d'imaginer le contraire. Notons néanmoins qu'il ne s'agit pas là d'un pur
a priori ou pire, d'une tautologie : ce n'est pas par définition que la fonction
normale est la première fonction dans l'ordre de la succession. Mais c'est le
mécanisme du gag qui le détermine. On pourrait en effet imaginer un gag constitué
de deux fonctions qui seraient tout simplement partiellement contradictoires
et dont l'inversion produirait toujours une figure de gag. Mais, dans ce cas limite
et imaginaire, c'est toujours la première séquence qui apparaîtrait comme nbr-
mative et la seconde comme perturbante au niveau du fonctionnement du gag
dans la mesure où la première pourrait toujours contenir la seconde comme
potentialité non prévisible. Dans ce cas, les deux fonctions présenteraient une sorte de
réciprocité- logique.
Notons à propos de cette remarque, l'existence d'un phénomène ici mis en
lumière, mais qui se révélera être le cas général et non simplement le fait de cet
exemple particulier; la première séquence n'est jamais une fonction fermée,
dans ce sens qu'elle appelle la suite du récit mais surtout qu'elle laisse (même si
cela ne peut se percevoir à la première vision et c'est là tout son sens) diverses
possibilités dans la réalisation des fonctions qui lui succèdent. Nous pourrions
dire qu'il y a phénomène de protension. Au contraire, la deuxième fonction (ou
une fonction suivante) sera obligée d'effectuer un certain nombre de
potentialités comprises dans la première fonction et donc de les retenir actualisées
présentes en elle. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un phénomène de rétention.
Cette seconde fonction effectuera donc la fermeture de la première mais ne sera
pas elle-même obligatoirement fermée; elle pourrait être la première fonction
d'une nouvelle série (cas de gags en cascade par exemple).
1. La fonction normative se présente justement comme n'importe quelle
fonction diégétique. Tout au plus, peut-elle présenter une situation comique, ce qui
n'a rien à voir avec le fonctionnement du gag lui-même. Mais il est de la plus
grande importance qu'elle puisse aussi bien se situer dans n'importe quel discours
filmique qui ne serait pas burlesque. Certains auteurs poussent même la rigueur
de la démonstration jusqu'à utiliser comme séquence normative des séquences
existant dans d'autres systèmes d'images ou dans d'autres films.
Cette première fonction contient toute la signification du gag dans la mesure
où c'est elle qui définit son champ d'application, son décor, sa logique première.
Mais c'est aussi cette fonction qui contient comme un ver dans le fruit, la
possibilité latente et non encore exprimée d'un sens autre, perturbé, absurde. Cela
explique également qu'elle soit généralement plus longue et plus complexe que
la seconde fonction. Dans la série des gags que nous avons examinée, nous
pouvons considérer que la totalité de la séquence, hormis les dernières images,
forment la fonction de normalisation du dernier gag.
2. La fonction perturbante vient toujours comme nous l'avons dit, après une
séquence normale et, son rôle, comme son nom l'indique, est d'en perturber le
sens. Mais faut-il entendre par là un simple changement brusque de direction
de l'action ou de la signification, bref du cours du récit, ou une séquence aberrante
avec ce qui précède, qui n'aurait que très peu de relations avec son contexte et
jouerait donc uniquement sur un effet de surprise que l'on pourrait qualifier de
total. On pourrait trouver des exemples qui aillent dans ce sens, mais nous ne
les retiendrons pas comme gags dans la mesure où ils ne perturbent pas vraiment
la logique de la première fonction. En effet, un changement de direction partiel
ou total du sens du discours, laisse tomber une séquence ouverte et présente
donc une anomalie. Mais justement il ne met pas en cause le sens de cette séquence.

142
Les gags de Buster Keaton

II se borne à ne pas répondre à son attente, à ne pas donner suite à sa protension,


à ne pas résoudre son ambiguïté ouverte.
La fonction perturbante du gag, au contraire, répond avec sa propre logique
à la fonction précédente et pulvérise littéralement la logique de cette première
séquence mais sans la contredire formellement, révélant ainsi une logique qu'elle
contenait déjà mais qui n'y était pas encore explicite.
Paradoxalement, le gag révèle donc bien plus ce qu'il détruit que ce qu'il
construit, dans le sens où ce n'est pas tant la pertinence de cette nouvelle logique
qui est surprenante que la caducité de celle que nous croyions universellement
valable. Cela ne veut pas dire que la logique mise en place par le gag soit sans
importance. Au contraire, c'est d'elle que dépend pratiquement l'efficacité de
la perturbation de la logique pré-existante. A ce niveau on aperçoit toute la
puissance de destruction dont est capable le gag, et cette simple remarque est
d'une importance considérable pour l'analyse que l'on peut faire de l'emploi
actuel ou récent du gag dans des films qui ne sont pas particulièrement
burlesques.
Pour ce qui est de l'étude présentée ici, le gag qui nous a particulièrement
intéressé est celui qui porte atteinte (et donc révèle) la logique du récit filmique
lui-même. Et il est remarquable à cet égard que ce type de gag soit
historiquement le premier qui ait atteint une sorte de perfection. Et cet exemple
privilégié devait bien entendu être cherché dans l'œuvre de Buster Keaton. L'œuvre
de Buster Keaton en effet, se présente beaucoup plus comme un procès du
vraisemblable que comme un procès du réel. La logique qui est mise en cause par
Keaton, est la première logique à laquelle il se trouvait confronté en utilisant
le cinéma : la logique du discours cinématographique, et les principaux piliers
qui soutiennent ce discours : la perception vraisemblable de l'espace et la
perception vraisemblable de la durée. Au delà de cette critique de l'organisation du
discours, c'est sur une critique de l'organisation du récit que débouche la
pratique de Keaton : comme nous l'avons vu dans le passage étudié, c'est aux
ressorts même du récit de l'époque que s'attaque Keaton avec son arsenal de gag s

La façon la plus intéressante de conclure cette relation d'une recherche en


cours, consiste à ouvrir largement l'éventail des directions prévisibles d'une telle
réflexion. Sans vouloir pourtant en faire le tour, essayons de cerner les expansions
qui paraissent à l'heure actuelle les plus importantes et les plus fécondes.
1° Vers une définition claire des signes d'énonciation. On sait l'importance que
revêt ce problème dans l'étude de tous les récits. L'existence de tels signes
marque en effet la prise en charge du discours par le locuteur, ainsi que la
reconnaissance explicite des relations locuteur-récepteur.
On a vu que le gag constituait un signe de ce type. Mais il est certain que le
gag ne constitue pas le seul et unique signe d'énonciation du discours
cinématographique. Mais sur les bases de ce que nous aura appris une étude complète du
gag, il sera possible d'effectuer un repérage de ces signes et d'établir un élément
très important pour une typologie des discours filmiques ou des modes du discours
filmique. Il n'est en effet, pas du tout indifférent à la signification globale d'un
énoncé quel qu'il soit, que celui-ci comporte ou non des signes d'énonciation.
On sait par exemple, les différences essentielles qui existent entre le récit
historique écrit sur le mode de la mémoire et les récits écrits sur le mode de la relation
objective. Chacun peut dès à présent estimer l'importance que peut revêtir ce
problème dans le cas du récit cinématographique.

143
Sylvain Du Pasquier
2° Vers une critique des catégories utilisées par la critique. Il est clair en effet,
sans être exagérément ambitieux, que l'aboutissement d'une telle recherche doit
provoquer un renouvellement des concepts de la critique cinématographique.
Nous pourrions dire qu'on ne peut imposer des concepts nouveaux sans mener
parallèlement une critique radicale de ceux qui ont été employés jusqu'ici.
C'est en effet la seule façon de se démarquer nettement de la critique psychologique
et commerciale qui a cours à l'heure actuelle. Lorsque l'on sait l'ampleur des
polémiques qui secouent le petit monde de la critique littéraire à la suite des
progrès réalisés par la sémiologie des textes, on peut aisément se rendre compte
que nous ne sommes pas au bout du chemin.
Ces quelques directions ne sont pas limitatives et il ne sera bien entendu pas
question de s'y limiter.

Sylvain Du Pasquier

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