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L'analogique et le contigu
Eliseo Verón
Verón Eliseo. L'analogique et le contigu. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 52-69;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1214
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1214
L'analogique et le contigu
particulier
1. La linguistique
: interprétée
a introduit
à un niveau
une distinction
élevé d'abstraction,
qui jouit d'unelle
privilège
semblethéorique
pouvoir
s'appliquer à un grand nombre de champs différents des processus de
communication humaine. Dans son Cours de linguistique générale Saussure a établi
une distinction entre liens syntagmatiques et liens associatifs (Saussure, éd. de
1949 : deuxième partie, chapitre v). Le syntagme est « la chaîne parlée », la
succession des mots dans le temps. Les unités composant cette chaîne verbale
entretiennent des relations que Saussure a appelées « syntagmatiques »; celle qui
existe par exemple entre « Jean » et « sort » dans le message « Jean sort ». Les
relations syntagmatiques sont celles qui existent entre les unités d'un message
donné, en raison de la « co-présence » simultanée de plusieurs unités à l'intérieur
du message. D'autre part, il y a les relations résultant, selon Saussure, d' «
associations mentales ». Prenons par exemple l'expression « à sang froid ». L'unité
« froid » est, dans cette expression, mise en relation par association avec les
unités (absentes) « chaud », « brûlant » etc. « Sang » est associé de façon analogue
aux unités « sanguin », « sanguinolent », « sanguinaire », « exsangue » et aussi à
« chair », « os », etc. Les axes selon lesquels on peut établir les relations
associatives sont multiples. Certains axes peuvent définir un ensemble de termes ayant
en commun un morphème invariable (par exemple l'ensemble composé de
« gaîté », « musicalité », « bonté », et bien d'autres termes). L'association peut
aussi être établie à partir de critères sémantiques excluant des traits
morphologiques communs : par exemple l'association qui relie « arrière » et « avant ».
La notion saussurienne de relation associative se réfère donc à des liens existant
entre, d'une part, des unités qui sont présentes dans le message, et d'autre part,
des unités existant dans le répertoire, mais absentes du message. Cette notion
peut être rapprochée de ce que nous appellerions sans doute aujourd'hui des
champs sémantiques 1.
Roman Jakobson a emprunté cette distinction à l'ouvrage classique de
Saussure, quand il s'est référé au « caractère bivalent du langage ». L'approche de
Jakobson est d'ordre pragmatique. Il prend donc pour point de départ l'idée
que tout utilisateur d'un langage effectue, pour émettre un message, deux
opérations fondamentales : l'émetteur doit sélectionner, dans le répertoire d'unités
disponibles et combiner les unités sélectionnées de façon à composer le message *.
Deux relations de base entre les signes naissent de ces opérations : la substitution
(ou similarité) et la contiguïté.
« Le destinataire perçoit que l'énoncé donné (message) est une combinaison
de parties constituantes (phrases, mots, phonèmes, etc.) sélectionnées dans le
répertoire de toutes les parties constituantes possibles (code). Les constituants
d'un contexte ont un statut de contiguïté, tandis que dans un groupe de
substitution les signes sont liés entre eux par différents degrés de similarité, qui oscillent
de l'équivalence des synonymes au noyau commun des antonymes. » (Jakobson,
1963, 48-49.)
Jakobson décrit à titre d'exemple un test d'association de mots. Si le stimulus
verbal « hutte » est proposé, les réponses des sujets peuvent être classées en deux
catégories : les substitutives et les predicatives. Si la réponse est « cabane » ou
« cahute », elle appartient à la première catégorie, si le sujet répond « a brûlé »,
sa réponse relève clairement de la seconde catégorie. A « hutte » on peut
substituer « cabane »; « a brûlé » forme avec « la hutte » un ensemble syntaxique. Il
joue le rôle d'un prédicat et établit ainsi un lien de contiguïté. Supposons que le
mot « hutte » soit suivi de « est une petite maison pauvre »; dans ce cas, la réponse
établit une relation de contiguïté avec le stimulus d'un point de vue syntaxique,
et en même temps une relation substitutive d'un point de vue sémantique*.
Le champ d'application de cette distinction paraît être très vaste et Jakobson
a cité différents domaines dans lesquels elle entre en jeu. C'est le cas par exemple
de la critique littéraire; la distinction entre les relations de substitution et de
contiguïté correspond aux procédés que sont respectivement la métaphore
et la métonymie. Ceci nous permet de dire qu'un style littéraire est caractérisé
par l'emploi prédominant de l'une ou l'autre de ces figures. Jakobson cite
également a) la classification des mécanismes du rêve établie par Freud (le «
déplacement » et la « condensation » étant des mécanismes de contiguïté, alors que
« l'identification » et le « symbolisme » sont des opérations substitutives); b) la
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Eliseo Verôn
distinction introduite par Frazer entre les processus magiques « homéopathiques »
et « imitatifs » d'une part (c'est-à-dire la magie par similarité) et la magie
« contagieuse » d'autre part (c'est-à-dire la magie basée sur des principes de
contiguïté) ; c) les types de processus d'acquisition du savoir établis par Bateson
(l'intégration « progressive » et « sélective ») et d) la signification attribuée par
Parsons aux opérations de conjonction et de disjonction dans le processus de
socialisation.
Ce dernier exemple (Parsons et Baies, 1956, 119-120) révèle que les dimensions
inhérentes à la dichotomie substitution /contiguïté sont d'une grande généralité.
La notion de conjonction ou d'addition implique un ensemble construit comme un
agrégat de parties : C = (a.b.c). Aucun des termes n'est équivalent à l'ensemble
C; seule leur somme est équivalente à C. Dans une relation de disjonction, au
contraire, les termes peuvent se substituer les uns aux autres; les termes étant
reliés aux autres soit par une opposition soit par une équivalence, l'expression
(a /\ b /\ c) ne représente plus une somme mais un ensemble d'éléments dont
chacun peut être remplacé par n'importe lequel des autres dans une fonction
donnée.
J'avancerai ici l'hypothèse selon, laquelle la dichotomie substitution
/contiguïté est un des axes fondamentaux qui servent à distinguer les principes de
codage dans la communication humaine. L'introduction de cette distinction
peut aider à clarifier certaines des difficultés qui entourent le problème d'une
typologie des règles de codification. Plus précisément, je voudrais suggérer que
le principe de métonymie ou de contiguïté est le mécanisme sémiologique qui
soutient la nature signifiante des processus concrets d'action sociale, c'est-à-dire
leur caractère de « messages ».
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L'analogique et le contigu
D'autre part, on considère cependant que l'action en tant que message (soit
directement perçue, soit son « image » comme dans le cinéma par exemple) obéit
à des règles de codification très différentes de celles qui entrent en jeu dans les
messages verbaux. Rappelons d'abord comment les deux types fondamentaux
de codification ont été décrits dans la littérature existante. Dans un livre de
Ruesch et de Kees sur la communication non verbale, nous trouvons une
description qui peut être considérée comme typique : « Les découvertes récentes ont fait
apparaître sous un jour nouveau les différences entre deux façons de codifier
l'information. L'une d'elles, la codification analogique, crée une série de symboles
qui sont, par leurs proportions et leurs relations, similaires à la chose, à l'idée ou
à l'événement qu'ils représentent. Par exemple, les compagnies de chemin de
fer possèdent des modèles réduits de leurs réseaux ferrés, comportant des détails
tels que des gares, des tunnels et des voies ferrées situés sur des maquettes en
relief du terrain. Ces modèles réduits peuvent être considérés comme analogues
au véritable réseau ferré. »
« Cette forme de codification s'appuie sur des fonctions continues,
contrairement à la codification digitale, qui opère avec des éléments discrets séparés par
des intervalles. Les deux exemples les plus caractéristiques de codification digitale
sont le système numérique et l'alphabet phonétique. Il n'existe aucune transition
progressive entre une lettre quelconque de l'alphabet et la suivante ou entre un
nombre du système numérique et le suivant. Il est évident que l'information
transmise par l'intermédiaire d'un système de cette sorte est codée au moyen de
diverses combinaisons de lettres ou « digits » (Ruesch et Kees, 1961, 8).
Il faut remarquer qu'un des points centraux de la définition de la codification
analogique est l'existence d'une « similarité » ou « ressemblance » entre le signe
et ce qu'il représente. La caractérisation du matériel analogique citée ci-dessus
peut être rapprochée de la définition que Morris fait de 1' « icône » (Morris, 1946).
Il y a certaines « proportions » ou « relations » qui sont préservées quand nous
passons du denotatum au signe. Une photographie est donc un message
analogique. Au contraire, les mots ne sont dans aucun sens acceptable du terme
« similaires » aux choses qu'ils désignent. Bateson a mentionné la machine à
calculer ordinaire comme un bon exemple de codification digitale, dans laquelle
« l'entrée diffère déjà très profondément des problèmes extérieurs auxquels la
machine est en train de « penser ». Dans les machines analogiques, par contre,
« les événements extérieurs... sont représentés dans la machine par un modèle
reconnaissable » (Bateson, 1951, 171).
Ainsi, tandis que le langage est habituellement présenté comme l'exemple
classique de codification digitale au niveau de la communication humaine
naturelle, les comportements considérés comme des messages (c'est-à-dire la
communication par les attitudes et les mouvements du corps) ont été classés dans le
type analogique. Qu'est-ce que la communication analogique? demandent les
auteurs d'un important livre récent sur la théorie de la communication. Et ils
poursuivent : « La réponse est relativement simple : c'est pratiquement toute la
communication non verbale » (Watzlawick, Beavin et Jackson, 1967, 62).
Cependant, considérer « communication non verbale » et « communication analogique »
comme des expressions équivalentes, peut nous mener à de graves confusions.
Dans une étude sur la communication analogique dans l'interaction, Bateson
et Jackson ont fait il y a plusieurs années les remarques suivantes : « Dans de
nombreux cas, il est en réalité impossible de séparer le contenu (subject matter)
d'une communication analogique... de la substance matérielle du message
55
Eliseo Verôn
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L'analogique et le contigu
Un objet réel n'est pas un signe de ce qu'il est mais il peut être le signe de quelque
chose d'autre. Un problème se pose en ce qui concerne l'action, car l'action n'est
jamais un signe « primaire » comme un mot ou un groupe de mots, mais elle est
tout au plus un signe « secondaire »; le comportement verbal est d'abord destiné à
porter un message; la majorité des comportements non verbaux spontanés sont
d'abord destinés à remplir quelque autre fonction et peuvent secondairement
véhiculer certains messages 1. Ainsi, s'il est vrai que l'acte de frapper n'est pas
un signe de lui-même, il peut certainement être le signe de quelque chose d'autre
et très probablement le signe de la séquence d'agression qui va se continuer par
la suite. Comme nous le montrerons plus loin, dans le cas des signes
comportementaux, la dimension temporelle joue un rôle capital. Ce point ressort
implicitement de la remarque d'Ekman : il estime intéressant de se demander si le
geste menaçant est ou non un signe iconique. Je pense que c'est tout simplement
parce que le comportement menaçant annonce un événement futur et qu'il en
résulte donc un laps de temps; il s'agit de ce que nous pourrions appeler une
présentation différée.
III. Les mêmes faits amènent Bateson et Jackson à mettre en doute l'utilité
d'appliquer la notion de codification à certaines formes de comportement et
amènent Ekman à introduire un type d'actes non verbaux « non codés ». Il y a des
comportements qui ont indubitablement une fonction communicationnelle et
peuvent être considérés comme des signes, mais on ne peut pas dire ni qu'ils
reposent sur une relation arbitraire ni qu'il soient similaires à ce qu'ils
représentent a.
Il me semble qu'un problème a été clairement défini mais qu'aucune solution
valable n'a été proposée. « La codification non codée » est en tout cas une
expression bien singulière. Si les actes en question sont des messages, s'ils peuvent
réellement être considérés comme des signes, ils doivent nécessairement être
soumis à certaines règles de codification. Le fait que nous soyons incapables de
les classer soit comme codés arbitrairement soit comme codés iconiquement, ne
signifie pas qu'ils n'obéissent à aucune règle de codification; cela signifie plutôt
qu'il nous faut remettre en question nos typologies construites sur les
dichotomies digital /analogique ou arbitraire /iconique.
Examinons d'abord le critère de « similarité ». On dit toujours qu'un signe
est arbitraire quand il n'y a aucune relation intrinsèque entre ce signe et la chose
qu'il représente. Le lien entre le signe et le denotatum apparaît alors comme
résultant d'une règle purement conventionnelle ; suivant l'expression de Bateson
et Jackson, rien dans le mot « table » ne ressemble particulièrement à une table.
Mais les faits empiriques nous amènent à rejeter l'utilité de l'opposition
correspondant à la dichotomie arbitraire /similaire. Il semble évident qu'il ne s'agit
pas d'une dichotomie unidimensionnelle : elle renferme plusieurs axes différents.
Le critère de similarité est en fait un critère perceptuel ou «
phénoménologique ». L'évaluation de la similarité varie avec les changements qui
interviennent au niveau perceptif et nous pouvons supposer qu'elle varie selon les
personnes. Nous disons qu'une photographie est un message analogique : ce que
57
Eliseo Verôn
nous voyons « ressemble » à l'objet reproduit. Mais si nous regardons cette
photographie agrandie dans des proportions assez importantes, nous y trouverons
simplement une foule de points discrets d'intensité variable : toute similarité
a disparu. La télévision nous fournit un autre bon exemple. Ici aussi, quand un
changement donné est introduit dans les paramètres de réception, une forme ou
une silhouette bien connue et reconnaissable se transforme en une configuration
de lignes discrètes ne présentant aucune similarité avec l'objet représenté. Je
pense que le passage de la similarité à la non-similarité est progressif,
quantitatif et relatif aux processus de perception.
Ensuite, la codification digitale est, comme nous l'avons vu, associée à la
notion de discontinuité; nous supposons que les messages digitaux sont construits
au moyen de règles combinatoires appliquées à des éléments discrets entre
lesquels il n'y a pas de transition. En retour, le matériel analogique est caractérisé
par sa continuité. Or il est avéré que toute forme visuelle peut être traduite en
un système digital de représentation spatiale au moyen d'une surface réticulaire
dans laquelle chaque unité se définit par oui ou non. La précision de cette
transformation dépend de la dimension des unités de surface de la grille. Comme c'était
le cas pour la dichotomie similarité / non similarité, la continuité et la
discontinuité sont les pôles d'un axe qui doit être conçu en termes de quantité, de
progressivité et de relativité.
J'ai rappelé plus haut le fait évident que le message « continu » que représente
une photographie pour la perception naïve apparaît à un certain stade
d'agrandissement comme une surface composée d'une collection de points discrets. Si
nous considérons le langage verbal, le phénomène inverse semble se produire. Le
langage verbal a été très souvent cité comme l'exemple typique d'un système
basé sur des règles combinatoires appliquées à des unités discontinues. Cette
image s'est cristallisée en phonologie dans divers modèles construits dans le
cadre de ce qu'on a appelé le « binarisme » et elle semble coïncider avec
l'expérience commune de l'utilisation du langage. En fait, l'utilisateur moyen distingue
facilement les unités composant les chaînes phonémiques de son langage, et il est
capable de fragmenter intuitivement le flux d'un discours en unités discrètes.
Cependant, il paraît impossible d'établir une relation stricte entre le modèle
phonologique binaire construit en termes de traits distinctifs, et le phénomène
acoustique analysé du point de vue de ses propriétés physiques. Les phonéticiens
ne semblent pas avoir trouvé de critère opérationnel pour diviser le flot acoustique
en unités discrètes qui pourraient correspondre aux entités abstraites appelées
« phonèmes ». Au niveau de sa structure physique, le langage apparaît comme
un phénomène continu. Ce fait n'amène certainement pas à nier la valeur du
modèle binaire; il révèle simplement que nous traitons les faits acoustiques du
langage « comme si » ils étaient des chaînes d'éléments discrets. Mais quand la
théorie rattache le modèle phonologique binaire aux faits acoustiques, les règles
du composant phonologique de la grammaire modifient le caractère strictement
digital de ce modèle x.
Substitution /contiguïté + + — +
Continuité /discontinuité — + + —
Arbitraire /non arbitraire + — — —
Similarité /non similarité — + ~~ +
elles changent les valeurs de certains traits, et elles assignent une interprétation
phonétique aux rangées individuelles de la matrice (...). Puisque les traits phonétiques ne
sont pas tous binaires, le composant phonologique comprendra des règles remplaçant
quelques-uns des plus et des moins qui sont dans les matrices par des nombres entiers
représentant les différents degrés d'intensité que le trait en question manifeste dans le
message » (Halle, 1964, 332-333).
1. Parler de relations de la partie au tout est la façon la plus générale de caractériser
le mécanisme de symbolisation métonymique. Il serait nécessaire de développer une
typologie complexe des liens métonymiques : contenu /contenant, avant /après; en
arrière /en avant; à l'extérieur /à l'intérieur; composant fonctionnel /ensemble
fonctionnel; au-dessus /au-dessous, etc. Comme on peut le remarquer, la plupart de ces
exemples n'impliquent pas à proprement parler une relation entre la partie et le tout.
Le tout sou8-jacent est associé à la symétrie existant entre les parties présentant un
lien entre elles.
59
Eliseo Verôn
1. Pour une typologie des séries informationnelles, voir Verôn (1964). Les phénomènes
habituellement appelés paralinguistiques ne sont pas codés digitalemcnt, mais comme
nous le montrerons plus bas, ils ne sont pas non plus analogiques.
2. Évidemment, outre la fragmentation d'un certain champ spatial et sa mise en
rapport avec le spectre des couleurs, les drapeaux comportent aussi beaucoup
d'éléments analogiques (animaux, arbres, corps célestes, etc.).
3. Cf. Peirce, « Speculative grammar » and o Existential graphs », in Collected Papers
(1960).
4. Les signes composant la pendule ne sont pas arbitraires, du moins dans le sens
dans lequel le mot « temps » est arbitraire. On ne peut dire qu'ils sont a similaires » à
ce qu'ils représentent parce qu' « un moment donné du jour » est un concept abstrait.
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L'analogique et le contigu
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61
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Eliseo Verôn
mique du signe est certainement le processus de base grâce auquel l'acte social
spontané devient un message pour les communicateurs impliqués dans une
interaction sociale « naturelle ».
62
L'analogique et le contigu
de « matériel analogique » et qu'ils aient donné quelques exemples empruntés à
des codes graphiques tend à rendre le problème moins clair.
Reconnaissons maintenant que jusqu'à ce point, nous n'avons pas été très
juste dans notre discussion. Il y a en fait une autre façon d'interpréter la
première des caractéristiques, que nous n'avons pas mentionnée plus tôt par souci
de clarté. Elle touche au problème de l'impossibilité de la négation simple sans
pourtant s'identifier avec ce problème. Rappelons quelques remarques faites
par Metz au sujet du cinéma, qui ont été étudiées ensuite par Russel (1968).
Nous citons Metz :
« Un gros plan de revolver ne signifie pas "revolver" (unité lexicale purement
virtuelle) — mais signifie au moins, et sans parler des connotations, "Voici un
revolver". Il emporte avec lui son actualisation, une sorte de "voici" » (Metz,
1964, 76).
En conséquence, le matériel analogique (nous devrions dire : le matériel non
digital) semble toujours impliquer une sorte de « présentification » d'une chose
concrète « qui est là ». Ceci paraît être vrai de beaucoup de systèmes de signes non
digitaux, mais à des degrés variables. Certaines remarques s'imposent ici.
En premier lieu, cette qualité présentative ne devrait être identifiée en aucun
sens avec une assertion linguistique au mode affirmatif. Je suis donc en désaccord
avec la façon dont Metz s'est exprimé sur ce point. En fait, je pense que Metz est
tombé dans un piège linguistique qui se rencontre couramment quand on étudie
les signes non linguistiques. « Revolver» est «une unité lexicale purement virtuelle »
le gros plan ne l'est pas, mais il n'est pas non plus équivalent à « voici un revolver ».
Sa qualité présentative demeure hors de la sphère des fonctions de vérité qui
peuvent s'appliquer au jugement verbal assertif. En d'autres termes,
l'équivalence proposée par Metz obscurcit précisément la différence cruciale entre le gros
plan et le jugement verbal. Je veux dire que le message verbal « voici un revolver »
n'a pas de qualité présentative quelle quelle soit.
En second lieu, il faut tenir compte du fait qu'il existe indubitablement des
systèmes de signes analogiques (appartenant à notre type II) dans lesquels les
règles stylistiques appliquées « séparent » pour ainsi dire les signes dans une
certaine mesure du point d'attache concret impliqué dans la qualité présentative
qui semble inhérente à Vanalogon. Il est évident qu'il existe des messages
véhiculés par des matériels analogiques comme des peintures ou des dessins qui
peuvent atteindre un haut niveau d'abstraction. Prenons par exemple la sorte
particulière de règles stylistiques qui caractérisent les dessins qu'on trouve
généralement dans les dictionnaires et encyclopédies : ces messages analogiques peuvent
en fait transmettre la notion d'une classe de choses ; ils sont parvenus à éliminer
dans une très large mesure la qualité correspondant à la présentation d'un
exemple ou d'un composant de quelque chose. Le dessin du corps humain dans
un livre courant de biologie ou d'anatomie humaine ne peut être interprété
comme équivalent à l'affirmation verbale « voici un corps humain », mais
au contraire comme le support d'un message associé à l'idée ou au modèle du
corps humain dans un sens général. Peut-être vaudrait-il mieux dire que ces
sortes de messages analogiques n'ont pas perdu leur qualité présentative mais
plutôt qu'ils présentent ou proposent (par opposition à « affirment ») une classe
de choses et non un exemple particulier de quelque chose 1.
63
Eliseo Verôn
peut-être mieux traduire « proposai » par « position » et non par « proposition », pour
éviter la confusion entre le sens logique du terme et son sens fonctionnel (faire une
proposition = proposer quelque chose à quelqu'un), qui est le seul pertinent ici.
64
(cada vez me gusta mas)
CAMISAS
VAN H EUS EN
L'analogique et le contigu
problème central posé par l'emploi de systèmes de signes fondés sur la règle
de contiguïté. Il ne se produit jamais une telle confusion potentielle dans
le cas d'un analogon. Le matériel analogique n'est pas ambigu dans le sens
ici indiqué, parce que nous ne pouvons jamais confondre le signifiant avec le
signifié.
Reprenons notre exemple antérieur pour éclaircir la remarque de Bateson et
Jackson. Le poing fermé, en tant que signe de A envers B (c'est-à-dire, en tant
que « menace ») est un « commentaire » de la relation entre A et B : l'agression
ou la violence est présente comme possibilité au sein de l'interaction. Le poing
fermé possède sa capacité signifiante du fait qu'il est un fragment, une partie
extraite d'une séquence d'action plus longue : la séquence d'agression, dont la
possibilité est « proposée » par le fragment. Appelons 5 la séquence d'action;
à un moment donné, la « discussion » interpersonnelle porte sur la possibilité
de son actualisation. Supposons que la séquence S puisse être divisée en certaines
« parties » (disons a, b, c ... n). La « discussion » sur S est donc introduite par A
par le moyen de a : le fragment d'action a (le poing fermé) est à la fois une partie
de S et son signifiant. Et c'est précisément en tant que son lien métonymique
avec S est reconnu, que a peut remplir sa fonction signifiante. Tout acte
maintient avec la séquence dont il fait partie, comme on peut le voir, une relation
tout à fait particulière. On pourrait dire que le signe comportemental «
métonymique » n'a d'existence que sur la base d'un lien qui est à la fois reconnu
et méconnu. Sa reconnaissance est la condition même du fonctionnement
du fragment d'action comme signifiant du tout; mais du fait que ce lien
est investi d'une fonction symbolique, il résulte une « neutralisation » de
la relation purement « naturelle » ou « causale » qui mène d'un acte au
suivant : si le poing fermé était en relation « naturelle » avec ce qui « suit » il
ne s'agirait pas d'un message sur une violence possible, mais de la violence elle-
même.
V. La contiguïté, nous l'avons dit, est la règle de base par laquelle un acte,
même si sa réalisation n'est associée à aucune « intention » de communiquer,
transmet des informations à un observateur. Tout acte corporel a un lien de
contiguïté spatiale et temporelle avec la séquence plus longue dont il fait partie,
et par conséquent, il est inévitablement « contaminé » par la signification : il
tend à se transformer en un signe de la séquence plus longue. Mais cette
contamination a toujours un caractère indéterminé, parce que le même acte peut faire
partie de différentes séquences de comportement. Tout acte corporel observé
est donc un signe ambigu.
Prenons un exemple — mais comment en trouver un? Nous pourrions inviter
le lecteur à considérer toute séquence d'action « naturelle » en cours dont il
pourrait être témoin. Ou bien nous devrions introduire notre exemple de signes
« métonymiques » par l'intermédiaire d'un analogon, ce qui est une situation très
intéressante, caractéristique de toutes les représentations analogiques (« images »)
de l'activité humaine : dans ces cas-là, le message analogique représente un
matériel fait de signes « métonymiques ».
Il est évident que ce qu'on vient de dire enferme un problème théorique très
important : pour la reconstruction de 1' « effet de sens », quand on étudie des
messages analogiques (photographie, cinéma, par exemple), il faut tenir compte
non seulement des propriétés des codes qui président à la production des messages
dans le système analogique considéré, mais aussi des propriétés des objets « pré-
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Eliseo Verôn
sentes » ou « proposés » par les images. On pourrait croire que cette affirmation
comporte une trahison du principe d'autonomie de la sémiotique, qu'elle implique
un retour à des perspectives dépassées, en réintroduisant la préoccupation du
réfèrent. A mon avis, ce n'est pas du tout le cas : il s'agit plutôt d'une attitude
cohérente avec l'idée d'une sémiotique étendue, translinguistique. Les « propriétés
des objets représentés » par les images n'entrent pas en considération en tant
que propriétés du « réel », mais dans la mesure où ces « objets » sont à leur tour
des objets sémiotiques, des messages. Une image, par sa nature même, est
d'habitude un message qui « présente » ou « propose » d'autres messages. Ce critère découle
précisément du fait qu'il n'y a, à l'intérieur de la démarche sémiologique, rien
qui soit du « réel » pur. Si l'effet de sens d'une photographie « présentant » un
fragment d'action humaine n'est pas le même que celui d'une photographie
« proposant » une nature morte ou un paysage, la différence — au-delà du fait
qu'il s'agit de deux messages obéissant aux mêmes principes de codage, ceux du
matériel analogique — relève du fait que dans la première, opèrent certains des
mécanismes symboliques propres à l'action sociale en tant que message,
mécanismes qui sont absents de la seconde. A travers Vanalogon, transparaissent les
mécanismes symboliques propres des objets sémiotiques imagés.
Voyons comment la règle de symbolisation par contiguïté, inhérente aux
processus d'action, fonctionne par l'intermédiaire d'un matériel analogique, quand
ce dernier « propose » un message codé « métonymiquement ».
Le placard reproduit ici illustre parfaitement la manière dont la publicité
utilise le caractère essentiellement ambigu du lien métonymique entre les actes.
La connotation sexuelle du placard semble évidente; elle peut être facilement
déchiffrée dans les opérations sélectives et combinatoires faites par le publicitaire.
Cependant, quand le message est construit à l'aide de matériel non digital, ces
opérations peuvent toujours prétendre à l'innocence : le message sexuel connoté
peut être nié par l'auteur et attribué à un mécanisme de « projection » du
spectateur. La photographie présente d'une part un acte : un homme qui paraît en train
de s'habiller. De quelle séquence comportementale plus longue cet acte est-il
un fragment? Chacune des diverses réponses possibles contient « l'effet » que le
publicitaire a cherché. Si nous « remontons » de cet acte vers ceux qui l'ont
précédé nous avons le choix entre plusieurs « antériorités » différentes : l'une
d'elles est indubitablement l'acte sexuel, dans la mesure où l'acte de s'habiller
implique un état de nudité antérieur et où le placard tend à associer cet état de
nudité à la présence de la femme et à la réflexion silencieuse placée sous l'image *.
Naturellement, cette interprétation n'est pas nécessaire : l'homme pourrait être
en train de changer de costume, et dans ce cas sa nudité passagère aurait eu un
caractère tout à fait innocent. Cependant, la présence simultanée, dans la même
1. < Camisas » signifie < chemises >. Le jugement verbal silencieux figurant sous la
photographie ne peut être traduit en français sans que soit perdue une bonne partie de
l'effet du message. Le pronom personnel n'étant pas obligatoire en espagnol, ce
morceau de phrase < cada vez me gusta mas » est indéterminé en ce qui concerne la personne
ou la chose évoquée. Elle peut ou bien vouloir dire « j'aime ça chaque fois davantage »
ou c j'aime cet homme davantage chaque fois » ou a j'aime cette femme », etc. Ainsi sous
sa forme espagnole, ce fragment de phrase pourrait être une pensée de la femme relative
à l'homme, de l'homme relative à la femme, ou de l'un ou l'autre relative à l'acte sexuel
ou à la chemise. Cette ambiguïté disparaît si nous choisissons une des différentes
traductions françaises possibles.
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L'analogique et le contigu
VI. Un acte est un message, mais un message qui parle de quoi? Si je vois
un individu crier, rougir et gesticuler, je ne peux pas me contenter de dire que
cette séquence comportementale « représente » sa colère; indubitablement, elle
est sa colère pour toute personne recevant le message. Mais un fragment de
séquence comportementale tend, par contiguïté, à symboliser le tout dont il
fait partie. Et comme le fait de rougir traduit parfois la colère, parfois la honte,
parfois la confusion, le lien symbolique rattachant les actes corporels les uns aux
autres est toujours instable. La texture des actes à l'intérieur de la structure
temporelle de l'action sert cependant de base à la qualité primaire de message
que comporte tout acte. La règle selon laquelle cette texture s'organise paraît
très différente de celle qui gouverne la communication digitale et analogique :
le digital et le métonymique sont peut-être les deux pôles de l'univers symbolique.
Quand ils mentionnent les difficultés impliquées par la « traduction » du code
digital dans le langage des échanges comportementaux, Bateson et Jackson
font remarquer que ce passage confère toujours un élément de secret à la
communication. Démêler et décrire en détail les mécanismes symboliques qui se cachent
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Eliseo Verôn
Eliseo Verôn
Centro de Investigaciones Sociales
Instituto Torcuato Di Telia
Buenos Aires.
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