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Christophe CARRE

Agir pour
ne plus subir
Délogez la victime
qui sommeille en vous

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EYROLLES

Collection Communication consciente
• •

Reprendre sa vie en main


Pourquoi moi? Qu'ai-je fait pour mériter ça? C'est trop injuste ...
Au cours de son existence, chacun d'entre nous se retrouve
inévitablement et à maintes reprises en position de victime : victime
de harcèlement professionnel, d'un conjoint indélicat, violent ou
pervers, d'un mauvais coup du sort. ..

Face à ces traumatismes, certains réussiront à trouver les ressources


nécessaires pour agir et avancer quoi qu'il arrive tandis que d'autres
éprouveront un profond sentiment d'injustice. Dans ce dernier cas,
nous choisissons de consacrer notre vie à nous protéger, submergés par
la colère, paralysés par la peur ou la honte. Ainsi, il est probable que
notre perception des événements soit altérée par des interprétations, des
émotions et des croyances qui nous empêchent de passer à l'action. Car
c' est un fait indiscutable: après un traumatisme et au fil du temps, plus
on subit, moins on agit !

Cet ouvrage a pour objectif d'accompagner tous ceux qui se sentent


dominés et impuissants face aux difficultés de la vie. Il permet de prendre
conscience de nos croyances lin1itantes et nous propose un ensemble de ~
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ressources et de solutions pour vivre pleinement notre vie. >


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Christophe Carré est médiateur
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professionnel et consultant. Il intervient
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sur des missions d'amélioration du climat
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relationnel, de coaching, de mobilisation
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O'I d'équipe et de formation. Il est spécialiste
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a. du thème de la manipulation et
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u directeur de la collection « Communication 2
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consciente » chez Eyrolles. u


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Agir pour ne plus subir
Délogez la victime qui sommeille en vous

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Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05

www.editions-eyrolles.com

Avec la collaboration
d'Anne Jouve

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N
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partielle-
@ ment le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du
....... Centre français d'exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris .
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>- © Groupe Eyrolles, 2014
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0 ISBN: 978-2-212-55760-2
Christophe Carré

Agir pour ne plus subir


Délogez la victime qui sommeille en vous

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EYROLLES

Dans la collection « Comprendre et agir » :
Juliette Allais,
- Décrypter ses rêves
- La Psychogénéalogie
-Au coeur des secrets de famille
Juliette Allais, Didier Goutman, Trouver sa place au travail
Dr Martin M. Antony, Dr Richard P Swinson, Timide ? Ne laissez plus la peur des autres
vous gâcher la vie
Lisbeth von Benedek,
- La Crise du milieu de vie
- Frères et sœurs pour la vie
Valérie Bergère, Moi ? Susceptible ?Jamais !
Marcel Bernier, Marie-Hélène Simard, La Rupture amoureuse
Gérard Bonnet, La Tyrannie du paraître
Jean-Charles Bouchoux, Les Pervers narcissiques
Sophie Cadalen, Inventer son couple
Christophe Carré, La Manipulation au quotidien
Marie-Joseph Chalvin, L'Estime de soi
Cécile Chavel, Les Secrets de la joie
Claire-Lucie Cziffra, Les Relations perverses
Michèle Declerck, Le i\1alade malgré lui
Flore Delapalme, Le sentiment de vide intérieur
Ann Demarais,Valerie White, C'est la première impression qui compte
Sandrine Dury, Filles de nos mères, mères de nos filles ...
Jean-Michel Fourcade, Les Personnalités limites
Laurie Hawkes,
- La Peur de ['Autre
- La force des introvertis
Steven C. Hayes et Spencer Smith, Penser moins pour être heureux
Vl
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Jacques Hillion, Ifan Elix, Passer à l'action
0
1....
Lorne Ladner, Le Bonheur passe par les autres
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>- Mary C. Lamia et Marilyn]. Krieger, Le Syndrome du sauveur
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.-t Lubomir Lamy,
0
N - L'amour ne doit rien au hasard
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......
- Pourquoi les hommes ne comprennent rien aux femmes ...
..c
Ol Virginie Megglé,
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>-
a. - Couper le cordon
0
u - Face à l'anorexie
- Entre mère et fils
Bénédicte Nadaud, Karine Zagaroli, Surmonter ses complexes
Ron et Pat Potter-Efron, Que dit votre colère?
Patrick Ange Raoult, Guérir de ses blessures adolescentes
Daniel Ravon, Apprivoiser ses émotions
Thierry Rousseau, Communiquer avec un proche Alzheimer
Alain Samson,
- La chance tu provoqueras
- Développer sa résilience
Dans la collection« Les chemins de l'inconscient»,
dirigée par Saverio Tomasella :
Véronique Berger, Les Dépendances affectives
Christine Hardy, Laurence Schifrine, Saverio Tomasella, Habiter son corps
Martine Mingant, Vivre pleinement l'instant
Gilles Pho, Saverio Tomasella, Vivre en relation
Catherine Podguszer, Saverio Tomasella, Personne n'est paifait !
Saverio Tomasella,
- Oser s'aimer
- Le Sentiment d'abandon
- Les Amours impossibles
- Hypersensibles
- L'Emprise affective
Dans la collection « Communication consciente »,
dirigée par C hristophe Carré :
Christophe Carré,
- Obtenir sans punir
- L'auto-manipulation
-A1anuel de manipulation à l'usage des gentils
Nathalie Dedebant, Jean-Louis Muller, Emn1anuel Portanéry, Catherine Tournier,
Vl Traniformez votre colère en énergie positive
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Florent Fusier, L'Art de maîtriser sa vie
1....

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>- Hervé Magnin, Face aux gens de mauvaise foi
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.-t Pierre Raynaud, Arrêter de se faire des films
0
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Dans la collection « Histoires de divan »
.......
..c Laurie Hawkes, Une danse borderline
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>- Dans la collection « Les chemins spirituels »
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0 Alain Héril, Le Sourire intérieur
Lorne Ladner, Pratique du bouddhisme tibétain
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Table des matières

Introd ucti on ........ ...... ........... ...... ........... ... ... ... ... ........ ... ... ... ... ..... .

PREMIÈRE PARTIE

Tous victimes, tous coupables?

Chapitre 1 - Une société de victimes? .................................... 17


Victime d'h ier, victime d'aujourd 'hu i .. .. .... ...... ..... ...... ...... ........... . . 17
Un coupable à to ut prix : le devoir de répondre à la souffrance
de la victi me ......................................................................... . 21
La victimisation, retour de la sacra lisation ......... ... ...... ...... ........... . . 25
La Républ ique compassionnel le ... .............................................. . 29
Psychologisation et victimisation ............ ...... ........... ................... . 31
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Victime et droit pénal .............................................................. . 34
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Chapitre 2 - Victime : souffrance et confusion ....................... . 39
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Être ou ne pas être victime ... ...................................... ........ ... .... . 40
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Deven ir victime : la brusq ue confron ta tion entre
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2 nos croyances et la réa lité tel le q u'elle est ......... ... ...... ...... ........... . . 41
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VII
A GI R POUR NE PL US SUB I R

Subir, mais quoi ? Avoir conscience de sa situation......................... 48


Souffrir : le poids de la culpabilité............................................... 51
Perdre la maîtrise de sa vie........................................................ 54

Chapitre 3 - Anatomie du scénario victimaire ....................... 59


Des victimes conditionnées........................................................ 59
Adversité ou al térité?............................................................... 60
Il lusions théoriques................................................................... 64
La triade dramaturgique............................................................ 66
Nos scénarios personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . 72

DEUXIÈME PARTIE
Les freins qui nous empêchent d'agir

Chapitre 4-Vivre dans sa tête ................................................. 81


Savons-nous qui. nous sommes 2......... ........... ............................. . 82
Sommes-nous responsables de ce que nous sommes ? .................... . 87
Confondre la carte avec le territoire .................................... ....... . 88
Généralisation , sélection et distorsion : les processus réductifs ......... . . 90

Vl Chapitre 5 - Émotions: richesses et désagréments ............... . 99


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1.... N i bonnes ni mauvaises, nos émotions existent tout simplement ........ . 100
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"<j" Ressentir une émotion : une expérience subjective ......................... . 105
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N L' influence des émotions sur nos fonctions cognitives ...................... . 106
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....... Physiologie des émotions ......................................................... . l l3 a
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VIII
ÎABLE DES MATIÈRES

Chapitre 6 - Ne pas agir: le plus sûr chemin pour rester victime ... 12 3
Des schémas de pensée trompeurs .............................................. l 24
L'i nhibition de l'action.......... ... ... ...... ..... .. .... ... ... ..... ... ............... . l 33
Les quatre comportements de base .... ... .... .... ...... ... .... .... ...... ... .... . l 36

ÎROISIÈME PARTIE
Agir pour ne plus subir

Chapitre 7 - Voir la réalité telle qu'elle est.............................. 145


Apprivoisez votre peur . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . 147
Les éta pes du chan gement........................................................ 15 0
Parler le langage du réel ...... ...... ........... ...... ........... ...... ........... .. 153
Comprendre le processus de votre réal ité . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l 56
S'entraîner à l'observation.... ...... ..... ........... ...... ....................... .. 160

Chapitre 8-Accepter ce que l'on ne peut changer............. 165


Résister ou rebondir ?.... ...... ...... ........... ....................... ........... .. 166
Cha nger ce qui peut l'être ....... ........ ... ........ ...... ......... ...... ..... ..... 170
Avancez à peti ts pas...... ......................................................... . 175

vi Chapitre 9 - Revenir à soi ......................................................... 179


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1.... De l'art de s'aimer................................................................... 18 1
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'<j" La conna issance de soi............................................................. 183
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N L'esti me de soi........ ...... ........... ...... ........... ...... ...... ..... ...... ...... . 185
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>.. Renforcez votre estime person nelle et reprenez confiance en vous. .... . 190
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:::J La confiance en soi pou r passer à l'action..................................... 19 4
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@ Surveillez votre langa ge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . 196

IX
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Chapitre 10- Renouer avec les autres.................................... 203


Des relations toujours équivoques . .. . . . .. . . .. .. . . .. .. . . . .. . . . . .. . . . .. . . . .. .. . . .. 204
Être victime, une position parfois confortable.. ............................... 205
A ttention aux pièges rela ti onnels................................................. 208
Ni poisson, ni hérisson, ni paillasson........................................... 2 13

Conclusion.. ............................................................................... 2 19

Bibliographie.............................................................................. 221

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X
1ntrod uction

La position de victin1e regroupe une pluralité de réalités différentes.


On peut être victime d'une agression, d'un viol, d'un accident, d'une
n1.aladie grave, d'une erreur médicale ou judiciaire, d'une catastrophe
naturelle, d'un conjoint violent ou pervers, de la crise, du chômage,
de harcèlement ou de stress professionnel, de racisme, de rejet social,
etc. Mais on peut aussi être victime de con1.portements plus subjec-
tifs : victime de soi-même, d'une belle-fanùlle critique, de ses émo-
tions, de son manque de confiance en soi, de ses choix, de ses erreurs
d'interprétation, de ses addictions, compulsions, désirs, échecs, etc.
La liste des dommages que nous pouvons subir est longue et cepen-
dant jamais exhaustive, car au cours de notre existence, nous nous
retrouvons tous imn1.anquablement et à maintes reprises en position
vi
<lJ de victime.
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1....
>-
w La vie est in1.prévisible. Nos chemins personnels sont sen1.és d' expé-
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riences désagréables ou dra1natiques, de chausse-trappes, de ruptures,
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-5!! de contraintes parfois violentes, d'incompréhensions contre les-
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quelles nous ne pouvons généralement pas grand-chose. Personne
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0 \..? ne décide de faire les frais d'un chauffard ivre qui grille un feu rouge
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1
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

et l'expédie sur une chaise roulante.Nul ne rêve à 20 ans de se retrou-


ver victime d'une maladie nosocomiale. Aucun individu ne désire
subir les brimades d'un chef vicieux. Pas un seul phobique ne sou-
haite le rester ad vitam œternam. Rares sont les personnes qui désirent
finir leur vie seules et oubliées de tous.
Face à ces réalités plombantes et à ces blessures ouvertes, chacun
d'entre nous fait ce qu'il peut, avec les moyens qui lui sont propres,
pour tenter de rétablir son équilibre personnel et continuer à vivre
du mieux possible. Nous sommes tous tellement similaires ... et tel-
len1ent singuliers. Cependant, quelle que soit la gravité du trauma-
tisn1e, il est étonnant de constater que certains vont réussir à trouver
les ressources nécessaires pour agir, reprendre pied, renouer avec la
vie, tandis que d'autres vont éprouver un profond sentiment d'injus-
tice : « Pourquoi moi ? » Ils vont ressentir de la colère, de la tristesse,
de la culpabilité, de la honte, sombrer dans la léthargie et consacrer
leur vie entière à se protéger, paralysés par la peur et l'agressivité, se
sclérosant dans la position de victime. Il est probable que leur percep-
tion des événements sera altérée par des interprétations, des émo-
tions et des croyances limitantes qui les en1pêcheront de passer à
l'action. Car c'est un fait indiscutable : après un traumatisme, quel
Vl
qu'il soit, et au fil du temps, plus on subit passivement les événements,
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moins on agit pour s'en libérer et passer à autre chose.
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Il n'y a naturellement aucun jugement, aucune évaluation à porter
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sur de telles attitudes. Prêter des intentions manipulatoires à ces per-
.......
.c sonnes, chercher à les raisonner, à les contraindre de faire autrement,
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n1inin1iser ou relativiser leur souffrance, essayer de leur faire voir la
0
u vie du bon côté, leur dire que d'autres vivent des événements émi-

2
1 NTRODUCTION

nemment plus dramatiques ne servirait pas à grand-chose, sinon à les


maintenir dans un scénario piégé. Scénario dont elles pourraient sans
doute s'échapper s'il ne leur apportait pas quelque réconfort. Car
lorsque l'on se trouve en position de victime, on peut avoir l'impres-
sion de disposer d'une certaine forme de pouvoir sur les autres : on
se sent écouté, soutenu dans son malheur, on suscite l'attention, la
reconnaissance, la compassion.Autant de marques qui procurent un
sentiment apaisant et protecteur : aux yeux de ces personnes j'existe.
Ma position de victüne est enfin reconnue etje suis reconnu(e) en
tant que personne grâce à ma position de victime. Certaines per-
sonnes vont même jusqu'à éprouver un sentiment de jouissance dans
cette forme d'in1puissance et de soumission à la réalité. Elles se re-
trouvent du même coup doublement pénalisées : d'abord victimes
de faits tangibles, elles se retrouvent ensuite victimes d' elles-n1êmes,
des maladresses de leur entourage, voire d'éléments contextuels plus
larges.
Dans les sociétés démocratiques, la souffrance et le statut des victimes
sont aujourd'hui reconnus et suscitent la compassion. Cela peut pa-
raître heureux. Au travail, en famille, dans sa vie sociale, nul n'a plus
à avoir honte de sa condition de victin1e, comme c'était souvent le
vi
cas quelques siècles en arrière. En cas d'agression, d'atteinte physique
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ou morale, de harcèlement, de racisme, de rejet social, les victimes
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obtiennent d'ailleurs générale1nent réparation des dommages
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qu'elles ont subis. Cependant, la médaille a son revers. Lorsque la
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0 victime est sacralisée, lorsqu'elle gagne un statut social tel qu'elle fait
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Q_ figure d'héroïne, lorsqu'elle fait l'objet d'une attention démesurée,
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on entre alors dans un processus pernicieux de victimisation qui ne

3
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

pern1et plus à la personne de sortir de son état psychologique provi-


soire de victime et de se reconstruire.
A

Etre victime n'est pas agréable, le rester l'est encore n1.oins et peut
même s'avérer plus destructeur encore. Il me semble laborieux d'ac-
céder au bonheur et à la sérénité, difficile d'être en accord avec soi-
même, compliqué d'entretenir des relations saines et authentiques
avec les autres en persistant dans le rôle de victüne.
Cet ouvrage a pour but de vous accompagner si vous vous sentez
victime, dominé(e),impuissant(e), épuisé(e),incapable de surmonter
vos difficultés, d'abattre vos croyances et leurs pensées archaïques
pour redevenir entier( ère), vivant( e), respectueux( se) de vous-même,
lucide, créatif(ve). Et cela quelle que soit l'intensité du traumatisme
que vous avez subi ou subissez encore. Il s'adresse égalen1.ent à ceux
qui partagent le quotidien d'une victime. Trop souvent, armés de
bonnes intentions, les proches comn1.ettent des maladresses dont les
conséquences ne sont pas négligeables dans leur relation avec la vic-
time et dans le cheminen1.ent personnel de cette dernière.
Ce livre se veut résolument pragmatique. Il vise la compréhension,
certes, mais il insiste surtout sur les ressources et les solutions pour
que vous puissiez vous relever. Facile à dire? L'enjeu est de taille,j' en
Vl
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conviens, mais je vous propose de relever ce défi ensemble. Ce que
1....

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>- nous allons faire, c'est parcourir un chemin. Un chemin dans lequel
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0 vous allez apprendre, pas à pas, à vous libérer du rôle de la victime qui,
N
@ s'il n'est pas temporaire ou stratégique, ne peut être qu'aliénant, mor-
.......
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bide, voire totalen1.ent dévastateur.
>-
a.
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4
1 NTRODUCTION

Écrire, c'est faire des choix, et il y aurait sans doute des milliers de pages
à rédiger sil' on visait l'exhaustivité d'un sujet comn1e celui qui nous
intéresse ici.J'ai choisi de travailler la question sous l'angle de la répa-
ration, de la « cicatrisation » des personnes ayant subi un dommage
physique, corporel, psychique, moral, social ou économique afin de les
aider à quitter leur état de victin1e passive, désengagée et résignée. Par
conséquent vous ne trouverez dans cet ouvrage aucune référence dé-
taillée au droit pénal, à la criminologie, ni de façon directe à ce que les
victimologues appellent les « agents causaux extérieurs » ayant provo-
qué le don1illage. Du reste, cet ouvrage ne saurait se substituer à l' ac-
tion des autorités judiciaires, administratives, sanitaires ou civiles, ni
aux soins n1édicaux ou à l' accon1pagnement psychologique et social
des victimes. Quoique chacun dispose, à des degrés divers, d'une capa-
cité à redémarrer après un traumatisme, des appuis extérieurs sont
souvent déterminants dans le rétablissement des victimes. Encore
faut-il que ces appuis disposent d'une grande qualité d'accueil et que
leur aide ne se limite pas à une parole jugeante ou conseillère, à une
écoute impudique ou à un déballage de sensibleries, entre autres biais
caractéristiques d'un accompagnement stérile.
Vous doutez peut- être de la capacité d'un livre à permettre aux per-
vi
sonnes d'accéder au changement et de revenir à une forme de vie
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0
1....
« normale ».J'espère que celui-ci saura vous démontrer que vous
w
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vous trompez. Loin de n1oi, cependant, l'idée de posséder la science
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infuse et les clés de tous les problèn1es. Chaque individu est singulier,
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0 toutes les expériences et les manières d'appréhender la réalité sont
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Q_ différentes. Chacun est légitime dans sa façon de fonctionner, dans
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ses choix, dans la satisfaction de ses besoins, dans ses maladresses, et

5
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

dans la recherche de la préservation de son équilibre personnel. Tou-


tefois, s'il n'existe pas de « recette » universelle, il vaut mieux éviter
certains sentiers qui ressemblent à des raccourcis mais qui se révèlent
en réalité tortueux et sans issue, alors que la connaissance et l'usage
d'autres pistes donnent de biens meilleurs résultats. C'est à un travail
d'explorateur que je vous convie.

Ce livre co1nporte de nombreux exercices et tests que vous pouvez


effectuer directement sur des feuilles de papier à rassembler dans un
dossier. Vous pouvez aussi vous munir d'un cahier sur lequel vous
noterez, en plus des exercices, vos idées, vos sentiments, vos réflexions,
etc. Les tests proposés dans cet ouvrage ont une vocation pédago-
gique et réflexive. Ils agissent comme des révélateurs mais ne ré-
pondent à aucune rigueur scientifique. Ils sont destinés à vous aider à
faire le point, à réfléchir, à vous positionner et n e constituent en aucun
cas un diagnostic clinique ou une évaluation définitive. Mais entrons
à présent dans le vif du sujet: avez-vous le profil d'une victime?

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6
1 NTRODUCTION

Test : avez-vous le profil d'une victime ?

*Lisez les propositions suivantes et répondez avec sincérité. Il ne s'agit pas


de chercher la bonne réponse mais celle qui correspond le mieux à ce que vous
pourriez dire, faire ou penser. Faites ensuite le décompte de vos points selon
les formules données.
Jamais Rarement Souvent Très
souvent
Je suis très attentif(ve) au regard D D D D
des au tres.

Ce sont les autres qui décident D D D D


pour m01.

Les imprévus me contrarient. D D D D

Je vois les choses pires qu 'elles D D D D


n e le sont.

Je m e laisse dépasser par D D D D


les problèm es.

]'ai tendance à voir to ut en noir. D D D D

vi
]'ai du n1al à regarder la réalité D D D D
<lJ en face.
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J'ai une m auvaise opinion de moi. D D D D
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M es émotions m e submergent. D D D D
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7
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Jamais Rarement Souvent Très


souvent

Je pense ne pas être né(e) sous D D D D


une bonne étoile.

Beaucoup de choses m 'inquiètent D D D D


ou m e font peur.

Je suis victime des autres. D D D D

J'attire les remarques ou D D D D


les critiques.

J 'aimerais m e resp ecter davantage. D D D D


Je pense que la so ciété est injuste. D D D D

D ans tout conflit, il y a to uj ours D D D D


une victime et un coupable.

J'ai des idées arrêtées. D D D D

Je préfère éviter les conflits. D D D D


vi
<lJ Je m anque de confiance en m o i. D D D D
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J'ai l'impression d'avoir la guigne. D D D D
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J'ai du mal à dire non. D D D D a
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8
1 NTRODUCTION

Jamais Rarement Souvent Très


souvent
Je vis très mal les contrariétés. D D D D
J'ai du mal à accepter les éch ecs. D D D D
Dans mon environnem ent,j e rn.e D D D D
laisse dominer par les autres
pour éviter les problèm es.

J'ai plutôt tendance à subir D D D D


ce qm. m ' arnve.
.

Je pense que le destin est D D D D


une fatalité.

J'aime que tout soit parfait. D D D D


Je n'entreprends rien si j e n'ai pas
la certitude de le réaliser
à la perfection.

Je suis quelqu'un de très dévoué. D D D D


La colère d'autrui m e fait perdre D D D D
m es m oyens.
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J'éprouve des difficultés D D D D
w à exprimer ce que je ressens.
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@ Mes besoins personnels passent D D D D
.......
..c après ceux de m es proches .
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0
u

9
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Jamais Rarement Souvent Très


souvent

Quand quelqu'un me fait D D D D


un reproche,j'ai tendance
à me justifier.

Généralement je cherche D D D D
à protéger mes proches
des événements qui leur
seraient désagréables.

Je programme tout. D D D D
Je déteste improviser.

J'ai du mal à faire des choix, D D D D


alors je poursuis comme avant.

J'aime me faire plaindre. D D D D

Je culpabilise. D D D D
Je voudrais changer ma vie D D D D
mais je pense que c'est impossible.

vi
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J'attache beaucoup de prix D D D D
0
à ma sécurité affective.
1....

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Je me fais des films . D D D D
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10
1 NTRODUCTION

Le principe de comptage est le suivant, multipliez par :


- 0 le total des cases cochées dans la colonne «j a1nais ».
- 1 le total des cases cochées dans la colonne « rarement ».
- 2 le total des cases cochées dans la colonne « souvent ».
- 3 le total des cases cochées dans la colonne« très souvent ».
Aditionnez les résultats de chaque colonne entre eux.
TOTAL .............................................. .

Commentaire
Entre 0 et 30 : vos réponses semblent indiquer que vous n'avez pas
le profil d'une victime potentielle.Vous avez confiance en vous, vous
acceptez vos failles et ne vous bercez pas d'illusions. Quand un mau-
vais coup survient, vous parvenez généralement à surmonter les dif-
ficultés sans y laisser trop de plumes. Ceci étant,je vous invite tout de
même à la vigilance : certaines situations graves peuvent faire bascu-
ler le cours des choses et vous atteindre sérieusement.
Entre 31 et 60 : vos réponses semblent indiquer une prédisposition
à la victimisation. Face à une situation problématique, à un dommage
ou à un traumatisme, vos capacités de défense et de reconstruction
pourraient s'avérer insuffisantes pour vous permettre un travail de
vi
<lJ restauration personnelle. La lecture de ce livre vous sera utile pour
0

w
1....
>- éviter les pièges de la victimisation.
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Entre 61 et 90 :vos réponses semblent indiquer une forte prédispo-
@ "'
-5!! sition à la victimisation.Vous manquez de confiance en vous et avez
....... 0
..c >..
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tendance à ruminer les choses, à estimer que le monde est injuste, que
>-
a.
:::J
2
0 \..? vous manquez de chance.Vous aimeriez garder un contrôle total sur
u @

11
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

votre vie n'lais vous avez le sentiment que les événe1nents vous
échappent. Vous êtes souvent sujet à la peur ou à la colère et tout
changement vous insupporte. La lecture de ce livre vous sera salutaire
pour changer vos représentations et améliorer de façon efficace la
qualité de votre vie et de vos relations.
Supérieur à 90 : vous semblez être en position de victime de façon
quasi permanente. La vie, les autres, les aléas professionnels, les soucis
familiaux, les ennuis de santé, le hasard, etc., la plupart des événe-
n'lents que vous vivez vous plombent et donnent lieu à des plaintes
de votre part.Vous vous sentez perdu( e) et vous souffrez de cette si-
tuation très difficile à vivre. Mais, n1.ême si des faits réels vous placent
effectivement en position de victime dans différents domaines, rien
ne vous empêche de vivre de façon plus sereine, en agissant et non
plus en subissant les événements. Ce livre vous aidera, j'espère, à
trouver l'audace de changer vraiment.

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12
PREMIÈRE PARTIE

Tous victimes,
tous coupables ?

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Tous VICTIMES, TOUS COUPABLES ?

«A moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde. »


Jean-Paul Sartre, Les Mains sales.

Dans la ferme de mes grands-parents, un cèdre magnifique avait été


frappé par l'orage. Sur quatre mètres de hauteur, la cime de l'arbre
avait été entièrement détruite par l'impact de la foudre. Mon grand-
père estima quel' arbre était perdu et qu'il fallait l'abattre rapidement.
Il ne le fit pas et bien lui en prit, car l'arbre développa, dans les années
qui suivirent, une ran1ure ample et fournie dont l' on1bre forma un
large ovale de fraîcheur, très agréable pour y prendre les repas les
jours d'été ...
Pourquoi son1mes-nous ce que nous somn1es ? Pourquoi subissons-
nous des conflits, des problèmes de toute nature, des préjudices, qui
souvent se multiplient à mesure que nous nous éloignons de l'en-
fance et que nous avançons dans notre histoire ? Et, d'ailleurs, quelle
est cette histoire embarquée en nous, avec nous ? De quelle manière
nous influence-t-elle, souvent à notre insu? Quelle part de contrôle
vi pouvons-nous avoir sur notre fonctionnement inconscient? Grandes
<lJ
0
1....
questions auxquelles nous tentons individuellement d'apporter des
w
>-
'<j"
réponses en nous fondant sur de vieux objets : les souvenirs emma-
.-t
0
N gasinés dans notre mémoire et les automatismes qui guident nos actes
@ "'
-5!!
....... 0
>..
et nos pensées. Mais comment savoir si ces réponses sont les bonnes,
..c UJ
Ol
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Q)
Q_
:::J
celles qui vont nous permettre de vivre mieux, d'apaiser nos souf-
a. 2
u
0 \..?
@ frances, de vivre sereinement ? En faisant toujours plus de la n1ême

15
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

chose ne risquons-nous pas d'obtenir toujours plus les n1êmes résul-


tats ? En faisant toujours moins que ce que nous faisons déjà peu
n'écartons-nous pas des solutions qui pourraient se révéler salu-
taires ? En répétant inlassablement les mêmes litanies, ne nous empri-
sonnons-nous pas dans une boucle infinie qui nous empêche d' accé-
der à de nécessaires changements ?

La vie n'est pas un long fleuve paisible. Tout le monde a connu,


connaît ou connaîtra, au cours de son existence nombre de souf-
frances, douleurs, malheurs, périodes de solitude, sentiment d' insé-
curité.Nous sommes tous, à un moment ou à un autre, victimes d'un
événement extérieur, des autres, de nous-mêmes, de la malchance,
du destin, etc.
Mais être une victime, qu'est-ce que cela signifie ? Comment cette
notion a-t-elle évolué au fil du temps ? Quels rapports entretenons-
nous aujourd'hui avec la souffrance? Ne vivons-nous pas dans une
société où les victimes se multiplient de façon exponentielle ? Quels
sont les dangers de la sacralisation des victimes et de quelle manière
les scénarios victimaires se mettent-ils en place? Comment les iden-
tifier pour en sortir ? Je vous propose dans cette première partie de
faire le point sur ces questions.
Vl
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0
1...

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u

16
Chapitre

Une société de victimes?

Victime d'hier, victime d'aujourd'hui


Il est toujours utile de revenir sur l'étymologie et l'évolution du sens
des mots et de leurs définitions au cours de l'histoire, ne serait-ce que
pour savoir de quoi l'on parle. D'apparition relativement récente 1, le
mot victime vient du latin victima, construit sur la racine vincere qui
signifie « vaincre ». Selon cette étymologie, la victime serait donc la
. . " , . ,, .
personne qui est, se perçoit ou apparait comme resignee, vaincue,
perdante, terrassée, défaite, anéantie. Toutefois, les interprétations
vi
<lJ
0
varient selon les étymologistes. Pour certains, le mot viendrait plutôt
1....
>-
w du latin vincire, «lier», parce que les victimes de sacrifices étaient atta-
'<j"
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0
N
chées. Cela implique l'idée qu'une victime est physiquement entra-
@ "'
-5!!
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..c >..
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>- :::J
a. 2
\..?
1. Le mot est rare avant la fin du xv" siècle (Dictionnaire étymologique, Larousse, 5" édition,
0
u @ 1981).

17
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

vée, incapable d'agir, tout comme elle peut se percevoir psychologi-


quement prisonnière d'une réalité sur laquelle, empêtrée dans ses
émotions, elle n'a pas de prise. D'autres latinistes rattachent le mot à
la racine vigere, « être fort», dans la mesure où la victima était généra-
len1ent un animal de taille importante sacrifié à chaque retour de
victoire.
Le sens accordé au mot victime n'a lui aussi cessé d'évoluer au fil des
siècles. Selon le dictionnaire Littré, chez les païens et les peuplades
sauvages, la victime était une créature vivante offerte à la divinité.
Chez les Juifs, il s'agissait d'animaux qu'on immolait en sacrifice au
cours de rites propitiatoires, c'est-à-dire qui ont pour but de rendre
Dieu propice, ou expiatoires, pour apaiser les colères célestes. En
théologie, la victime offerte pour le salut des hommes et qui s'est
sacrifiée pour le pardon de nos fautes et a expié nos p éch és s'appelle
Jésus Christ. Il est« !'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde 1 ».
Le mot victime désigne également la personne frappée de coups et
celle qui est sacrifiée aux intérêts, aux passions d'autrui (être victime
de rumeurs, de calomnie, de harcèlement) ou à ses propres égare-
ments (être victin1e de ses propres excès, de sa bonne volonté, de son
amour-propre, etc.) . On peut ainsi être victime des autres, d'événe-
Vl
ments extérieurs contrôlables ou non, ou de soi-même.
<lJ
0
1....
>- À la Révolution, le terme désigne les personnes qui périssent
w
'<j"
.-t
condamnées à la guillotine par les tribunaux révolutionnaires. Mais
0
N
@
le mot renvoie aussi, dans notre langage familier, à la notion de
.......
..c
Ol
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>-
a.
0
u 1. La Bible,Jean , 1, 29-42.

18
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

souffre-douleur, de bouc émissaire, de personne accablée de plaisan-


teries. Il se dit encore des personnes qui ont été tuées ou blessées au
cours d'une guerre, dans un accident, dans un attentat, dans un crime,
etc. De façon plus anecdotique, le terme « côtelette à la victime » est
une recette de cuisine du XIXe siècle qui consiste à faire cuire trois
côtelettes superposées sur un gril pour ne consommer que celle qui
est au centre,les deux côtelettes extérieures étant sacrifiées après leur
passage sur la braise.

Des victimes partout


La notion de victime a ainsi évolué au fil de l'histoire et n'a cessé de
prendre un sens toujours plus étendu. Marquée à l'origine par un
caractère sacré, elle envahit aujourd'hui, toutes sphères confondues,
l'ensemble des sociétés démocratiques contemporaines, et les vic-
times de faits que l'on peut qualifier de très graves, par exemple des
agressions physiques violentes, sexuelles, politiques, ethniques ou
religieuses, côtoient des personnes ayant subi des événen1ents plus
anodins, quand ce ne sont pas des victimes consentantes, collabora-
trices, simulatrices, imaginaires ou stratégiques, car cela existe aussi.
Aujourd'hui le mot est servi à toutes les sauces et il semble que, à
vi l'instar des envahisseurs, les victimes soient parmi nous ... Toujours
<lJ
0
1....
plus nombreuses. À telle enseigne que certains auteurs n'hésitent pas
w
>-
'<j"
à parler de « dérive » et « d'hystérie » victimaires 1, tandis que d'autres
.-t
0
N s'inquiètent de cette suprématie : «S'il suffit d'être dit victime pour
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
avoir raison, tout le monde se battra pour occuper cette position
UJ
Ol Q)
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>-
a.
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2
0 \..?
u @ 1. Konitz Michel, « Les mirages de l'hystérie victimaire », Libération, 3 septembre 2007.

19
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

"
gratifiante. Etre victime deviendra une vocation, un travail à plein-
temps1. »

Quand bien même le mot travail serait synonyn1e de souffrance 2 , être


victime à temps plein n'est évidemment souhaitable à personne, dans
la n1esure où seuls les imposteurs peuvent tirer durablen1ent profit de
cette situation sans se mettre en danger personnellement. Mais les
victin1es « professionnelles » et les affabulateurs ne sont pas le propos
de ce livre.

Vivre avec la souffrance


Quels rapports entretenons-nous d'ailleurs aujourd'hui avec la souf-
france ? Des siècles durant, les hommes s'en sont accommodé et ont
vécu avec courage, héroïsme ou indifférence à ses côtés. Ce n'est qu'à
partir du xvne siècle que les choses changent avec la désacralisation
de la victime et la reconnaissance à la fois de son statut, de l'infraction
causée et du préjudice subi. Dans son ouvrage La Société des victimes 3 ,
le sociologue Guillaume Erner relève toutefois que, sous l'Ancien
Régime, la société n'était guère con1patissante avec les victimes,
celles-ci éprouvant plutôt de la honte et de la culpabilité.

Vl
À partir du xvme siècle, avec l'apparition du mythe de la démocratie
<lJ
0
1...
égalitaire, on assiste à une nouvelle évolution. La souffrance vécue
w
>-
'<j"
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0
N
@ 1. Bruckner Pascal, La Tentation de l'innocence, Grasset, 1995.
.......
.c
Ol 2. Pour mémoire, le mot travail vient du latin tripalium qui désigne un instrument d'inuno-
·;::::
>-
a. bilisation et de torture à trois pieux.
0
u 3. Erner Guillaume, La Société des victimes, La Découverte, 2006.

20
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

par les individus devient socialement insupportable et choquante.Au


nom des valeurs d'égalité et de fraternité, l'homme démocratique
doit reconnaître l'autre comme son semblable et, par voie de consé-
quence, être sensible à sa souffrance et à ses peines. Les préjudices, la
détresse, la douleur supportés par les autres sont alors partagés et
vécus par les individus comme s'il s'agissait de leurs propres mal-
heurs.

Un coupable à tout prix: le devoir de répondre


à la souffrance de la victime
Cette tendance à la compassion 1 et à la bienveillance s'observe aussi
bien dans les traun1atisn1es collectifs et individuels graves que dans
les petits conflits d'ordre privé ou même les dysfonctionnements ou
les échecs personnels. Elle se double d'une dialectique de l'accusa-
tion et de la réparation dont les effets sont souvent pervers. Cette
recherche del' erreur, de la faute, du m anquement (au bon droit, aux
bonnes mœurs, à la pensée commune), du méfait, de l'inconduite, de
l'outrage, de l'infraction, et la quête de reconnaissance n1atérielle du
préjudice subi ou ressenti quis' ensuit, même si elles font partie de la
régulation nécessaire aux systèmes sociaux, ne participent pas forcé-
vi ment de façon très positive à la reconstruction des victimes. Se poser
<lJ
0
1....
en victime, désigner un coupable et lui « faire payer le prix » de façon
w
>-
'<j"
matérielle ou symbolique, sont des attitudes humaines, souvent im-
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0
N
prégnées d'adversité et de colère qui ne règlent jamais les problèmes
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-5!!
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>- :::J
a. 2
\..?
1. Du latin compassio (me siècle) et de compati,« souffrir avec ».Le verbe compatir date du
0
u @ xv1" siècle et signifie à la fois« concilier » et « avoir pitié».

21
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

de façon totalement satisfaisante. Du reste, cela implique que ce qui


nous arrive serait toujours imputable à quelque chose ou à quelqu'un,
jamais à nous-mêmes, et que les malheurs auraient pu être évités si
les valeurs, les normes culturelles et les règles du jeu social avaient été
respectées à la lettre par les autres. Ce qui relève, dans un certain
nombre de situations, de l'impossibilité totale, du fait même que
chaque individu possède ses propres représentations et ses propres
interprétations des faits.Nous en sommes arrivés à un stade où même
la santé, le hasard,le destin ou les événements naturels pourraient être
exhortés à se plier à ce jeu, au nom de quelque justice divine in1pro-
bable ou imaginaire !

J'accuse!
«J'accuse les industriels du tabac d'avoir mis sur le marché des produits no-
cifs et de m'en avoir caché les risques. Aujourd'hui victime d'un cancer du
pharynx, je demande des dommages et intérêts.»
« Mon conjoint est un pervers narcissique, je l'accuse d'avoir ruiné ma vie
pendant plus de trente ans, je veux qu'il soit puni par la justice.»
«J'accuse mon père de maltraitance parce qu'il m'a giflée à l'âge de 14 ans.
Ce geste m'a dégoûtée des hommes en général, je ne peux plus avoir de rela-
tions normales. J'ai coupé les ponts avec lui.»
Vl
«J'accuse mes parents de ne pas m'avoir inscrit à des cours de piano quand
<lJ
0
1...
j'avais 6 ans. Aujourd'hui je serais virtuose au lieu de jouer pour quelques
>-
w euros par soir dans des pianos-bars. Ils ont ruiné ma vocation.»
'<j"
.-t
0 «J'accuse mon voisin d'être responsable de ma dépression : son mur de clô-
N
@ ture fait de l'ombre à mon potager. À cause de lui j'ai perdu le sommeil et la
.......
.c
Ol
santé. Mon psychiatre m'a prescrit des neuroleptiques et des antidépres-
·;::::
>-
a. seurs... Je demande réparation de tout cela.»
0
u

22
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

«J'accuse mes collègues de s'être ligués contre moi. Je suis victime de harcè-
lement de leur part. J'exige une sanction pénale, comme la loi m'y autorise.»
«J'accuse mon médecin de ne pas avoir décelé plus tôt une maladie qui s'est
aggravée en raison d'un traitement inadapté.»
«J'accuse mon employeur de m'avoir fait prendre des risques sanitaires en
m'exposant à des produits toxiques.»
«J'accuse la société de mes échecs personnels et professionnels et cela me
rend violent. Je veux prendre ma revanche.»

J'imagine que chacun pourrait allonger la liste de ces« j'accuse» ad


libitum. Il ne s'agit pas, bien entendu, de nier la réalité de certains faits,
ni de certaines souffrances.L'évolution du statut des victimes a per-
n1.is de révéler nombre d'atrocités, notamment les abus sur les enfants,
les exactions faites aux femmes, les actes de barbarie, etc. Il n'est pas
question non plus d'évacuer d'un revers de manche les responsabili-
tés des uns et des autres ou de remettre en cause le statut de ces vic-
times, mais de s'interroger sur les résultats personnels que l'on p eut
attendre d'une telle démarche et d'un tel positionnement ... Surtout
sil' on s'en tient là. Car si la souffrance fait entendre sa voix selon une
logique ternaire - une victime avec un sentiment de préjudice, un
coupable présumé ou désigné et un tiers compatissant -, c'est sou-
vent dans le cadre d'un scénario piégé, sur lequel nous aurons l' occa-
vi
<lJ
0
sion de revenir plus loin.
1....

w
>-
'<j" Il est toutefois étonnant de constater que, dans nos sociétés occiden-
.-t
0
N tales, malgré le fait que les conditions matérielles dans lesquelles nous
@ "'
-5!!
.......
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>..
vivons ont globalement plutôt tendance à s'améliorer (en tout cas
UJ
Ol
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>-
Q)
Q_
:::J
pour une frange importante de la population), des situations qui ne
a. 2
u
0 \..?
@ posaient pas p articulièrement problème auparavant deviennent

23
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

sources de plaintes, de récriminations et d'accusations. Irions-nous


vers une culture de la victimisation ?

Questionnaire : victime de ...

*Selon vous, de qui, de quoi avez-vous été ou vous sentez-vous aujourd'hui


victime? Notez les dix réponses qui vous viennent spontanément à l'esprit.
Vous pouvez reproduire cet exercice sur une feuille volante ou dans votre
cahier.

Je me sens victime de •••


1
2
3
4
s
6
7
8
9
10

Vl
Commentaire
<lJ
0
1...
>- *J'imagine qu'il ne vous a pas été difficile de noter dix réponses à ce ques-
w
'<j" tionnaire tant on peut être aujourd'hui victime d'à peu près tout, voire de
.-t
0
N
n'importe quoi. Une entreprise peut être victime de spéculation, une région
@ de la sécheresse ou d'un faible taux de natalité, les vacanciers d'une météo
.......
..c
Ol
déplorable. Les victimes fleurissent de toutes parts, la victimisation semble
·;::::
>- avoir le vent en poupe et la position de victime paraît aujourd'hui envahis-
a.
u
0 sante.

24
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

Victime d'un rhume ou d'un individu qui vous porte 30 coups de couteau, vous
conviendrez je pense que les tourments que nous pouvons subir, contre notre
volonté, sont sans commune mesure les uns avec les autres. Reprenez vos
réponses et notez en face de chacune d'elle la lettre G pour celles qui ren-
voient, selon vous, à des situations graves, I pour celles qui vous paraissent
importantes et S pour celles qui sont secondaires. Combien de fois avez-vous
noté la lettre G? C'est sur ces situations que vous devrez porter en priorité
votre travail d'acceptation et de reconstruction.

La victimisation, retour de la sacralisation


Le Dictionnaire de philosophie1 définit la victimisation comme un
« processus caractéristique des sociétés démocratiques contempo-
raines qui tend à définir réactivement chaque individu par l'ensemble
des domn1ages subis ou potentiels qui l'affectent ».Le terme victinu-
sation désigne d'abord un modèle de comportement répétitif dans
lequel une personne a le sentin1ent de perdre le contrôle sur elle-
même et de subir les événements extérieurs de façon passive. Quoi
qu'il lui arrive, elle se perçoit comme une victüne facile qui risque
d'attirer sur elle tous les malheurs du monde. Ce mot désigne ensuite
la tendance à sacraliser les victimes, à leur porter une attention exces-
sive, voire à les constituer en catégorie sociale. Ainsi reviendrions-
nous à une nouvelle forme de sacralisation des victin1es, mais cette
vi
fois à grande échelle et sans rituel communautaire, si ce n'est lors des
<lJ
0 « messes » médiatiques ou politiques ou encore, de façon plus dis-
1....
>-
w crète, dans les confessionnaux des psychologues de toutes obédiences.
'<j"
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N
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-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
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>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ 1. Godin Christophe, Dictionnaire de philosophie, Fayard/ Éditions du temps, 2004.

25
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

La construction médiatique de la victime


Le phénomène de victimisation est en effet largement amplifié par
les médias, qui contribuent largement à la diffusion et à la mise en
scène des victimes, avec des objectifs sans doute plus économiques
(faire de l'audience ou vendre du papier) qu'informationnels ou
cathartiques 1 : d'un point de vue commercial, l'émotionnel reste un
produit de grande valeur ... Une mise en scène quis' efface d'ailleurs
souvent jusqu'à l'obscénité. Au sens théâtral, le mot obscénité vient
du latin ob-scenus, «ce quis' exhibe sans scène»,« ce qui ne relève plus
du spectacle, du rituel, de la cérémonie », autrement dit ce qui ne
devrait pas être n1ontré.Mais il signifie aussi« ce qui est sinistre»,« de
. ,
mauvais presage ».

Il suffit pour se convaincre de cette obscénité médiatique relative à


la victimisation de lire les faits divers ou de regarder les journaux et
les séries télévisés ou certaines émissions de téléréalité. Les appels à
témoins diffusés par les chaînes de télévision, notamn1ent sur Inter-
net via les réseaux sociaux, recrutent d'ailleurs largement les victimes
en n1al de reconnaissance.

Appels à témoins
Vl
<lJ
0 «Vous avez été victime d'un escroc prédateur sur un site de rencontre.»
1....

w
>- «Vous êtes victime de harcèlement au travail.»
'<j"
..-t
0
«Victime d'un viol, brisez le silence.»
N
@
.....
..c
Ol
·;::::
>-
a. 1. Selon Aristote, la catharsis permet de « purger » les passions lors d'une représentation
0
u théâtrale.

26
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

«Vous avez été victime d'un vol à main armée.»


«Vous avez été happé(e) par une secte.»
«Victime de la crise, vous avez perdu votre emploi et brisé votre couple.»
«Victime d'inceste: révélez la vérité au grand jour. »
«Vous avez été victime de violences conjugales.»
«Votre enfant est victime de moqueries de la part de ses camarades.»
«Vous avez été victime d'un déni de grossesse.»

Pour être reconnu, il s'agit de médiatiser son affaire en exposant


publique1nent sa souffrance. L'objectif de cet exercice, auquel les
participants sont rarement préparés de façon correcte, peut être de
trouver un apaisement en partageant sa douleur avec une large au-
dience, ou de lancer un appel,« pour que ce qui m'est arrivé n'arrive
pas à d'autres ». Il peut aussi être stratégique. Une personne qui té-
moigne ne fait que livrer sa version des faits . Or les émotions sont un
levier puissant pour accréditer ce qui est dit par la victime et pour lui
permettre de se sentir confirmée dans sa posture.En partant du prin-
cipe que celui qui parle en premier - si possible en exprimant abon-
damment ses émotions - a souvent davantage « raison » que ses suc-
cesseurs, il n'est pas certain que le message délivré conserve à coup
sûr un contenu informatif digne de ce nom. Reste aussi à savoir ce
que les victimes ont à gagner lorsqu'elles visent une « couverture »
vi
<lJ
0
n1.édiatique de leurs malheurs. Dès lors que la parole est engagée, elles
1....
>-
w sont souvent soumises au feu des questions, de plus en plus inquisi-
'<j"
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0
N
trices, auquel elles se sentent tenues de répondre, même si elles n'y
@ "'
-5!!
0
sont pas obligées, et il leur devient difficile de faire machine arrière
.......
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
et de tenir certaines limites, d'autant que la rancœur ou la colère sont
>-
a.
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2
0 \..? souvent de la partie. Sont-elles toujours en mesure de bien peser
u @

27
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

leurs mots ? Comment composer avec les inévitables interprétations


liées à une parole souvent maladroite ?

Victime sur Internet


Justin, 16 ans, a été victime d'une escroquerie à la webcam sur Internet. Il a
en effet accepté de se dévêtir devant sa caméra, à la demande d'une per-
sonne qu'il croyait être une jeune femme, sur un site de dialogue en ligne.
Peu de temps après, il a reçu des messages des auteurs de l'arnaque le mena-
çant de publier les images gênantes sur un site web d'hébergement de vidéos
s'il ne s'acquittait pas d'une certaine somme d'argent. Le jeune garçon a vu
sa vie ruinée. Il a payé, mais il a vécu dans un cauchemar permanent à l'idée
que cette vidéo puisse être tout de même visible sur Internet et que ses pa-
rents et amis aient connaissance des faits. Invité à témoigner de cette expé-
rience, à visage masqué, dans une émission de télévision, mais mal préparé
à cet exercice et noyé sous le flot des questions de l'animatrice, il a craqué
émotionnellement. Cette émission lui a rappelé des moments de détresse
intolérable et n'a fait qu'ajouter à sa honte et à sa culpabilité.

Pour Guillaume Erner 1, les médias occupent une place de premier


plan dans la suprématie victin1aire. Cependant, ils ont fortement ten-
dance à opérer des focalisations, des sélections et des hiérarchies dans
Vl
le choix des sujets traités, avec pour conséquence de canaliser l'atten-
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1....
tion du public sur certaines victimes plutôt que sur d'autres. Fidèles
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à la loi du« mort-kilomètre 2 »,sensibles à certaines causes plus qu'à
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1. Op. cit.
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a. 2. Cette loi pose que les informations prennent davantage d'importance si elles sont géo-
0
u graphiquement proches de la personne qui les reçoit.

28
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

d'autres (les crimes sexuels coni.mis sur les enfants, les agressions
antisémites, par exemple), intéressés par le coefficient émotionnel
d'un événement, ils manipulent l'information et contribuent de fa-
çon importante à l'instrumentalisation de la compassion.

La République compassionnelle 1
Longtemps honteuses, ignorées, méprisées, vilipendées, les victimes
de quelque acte ou de quelque phénoni.ène que ce soit nous appa-
raissent aujourd'hui émouvantes et font l'objet d'une attention très
importante, de la part de la société en général et du monde politique
en particulier. Il faut dire que nos responsables politiques se montrent
particulièrement zélés lorsqu'il s'agit de se précipiter sur les lieux d'un
drani.e, de prendre parti pour les victimes et de pleurer sur les malheurs
du monde. L'aptitude à coni.patir seni.ble mêni.e p arfois constituer un
atout majeur dans un enjeu électoral. .. Mais peut-on systématiser
l'usage de la compassion pour en faire un modèle de gouvernance
politique ? Plusieurs auteurs se sont penchés sur la question.
Le journaliste Michel Richard2 remarque, d'ailleurs sans ménagement,
à propos des relations entre les honi.mes politiques et les citoyens :
« [. .. ]faute de savoir les gouverner, on les calme, on les plaint. Faute de
vi
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0
savoir leur parler et quoi leur dire, on prie. Faute de savoir où les mener, on
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>- les balade dans le no man's land du bon cœur et des bons sentiments. Une
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0 autre façon deJaire de la politique, ou plutôt de ne plus en Jaire. »
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2 1. Ce titre est emprunté à Michel Richard, La République compassionnelle, Grasset, 2006.
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u @ 2. Ibid.

29
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Naturellement, il serait stupide de prétendre que les responsables


politiques n'ont pas à éprouver la moindre compassion lorsque les
citoyens vivent des situations douloureuses. Cependant, il serait aus-
si dangereux qu'une culture de la compassion tous azimuts, associée
à un discours centré sur les faibles, la souffrance et la victimisation
remplacent l'analyse et une gestion saine et raisonnée de la vie pu-
blique. Le cas du harcèlement au travail est un exemple parlant : en le
limitant à un acte de perversion individuel, éventuellement narcis-
sique - c'est à la mode-, on s'exonère d'une réflexion plus large sur
les causes organisationnelles, les pressions économiques et les rela-
tions en adversité qui peuvent être à l'origine de telles pratiques.Tout
cela flaire l'insuffisance, l'impuissance ou la stratégie ... Selon le
nième auteur, nous serions d'ailleurs entrés« de plain-pied dans une
démocratie d'émotion, qui est la grimace de la démocratie d' opi-
nion, elle-même grimace démagogique de la démocratie.» Les mots
sont crus, mais ils prêtent à l'interrogation.
Dans le même ordre d'idées, la philosophe Myriam Revault d' Al-
lonnes1 constate que notre p erception de la souffrance des autres s'est
étendue à tous les niveaux de la vie sociale et politique et que le
discours victimaire finit par brouiller les cartes entre la morale et la
Vl
politique, l'émotion et l'analyse, c'est-à-dire que la confusion opère
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0
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à tous les niveaux et que la raisons' efface au profit des affects. Mais,
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s'interroge-t-elle, compatir, est-ce gouverner? Comment trouver la
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juste mesure entre les deux ?
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u 1. Revault d'Allonnes Myriam , L'Homme compassionnel, Le Seuil, 2008.

30
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

Psychologisation et victimisation
La souffrance est-elle une maladie ? Est-il seulement souhaitable de
se lancer dans de grands travaux d'archéologie personnelle pour ra-
mener à la surface de vieux objets encombrants, dès lors qu'ils ont
été oubliés ? La réparation des dommages subis, qu'elle soit maté-
rielle ou symbolique, est-elle un passage obligé pour aider les vic-
times à se reconstruire, toutes les victimes, quelle que soit la nature
du préjudice?
Il est à mon sens prétentieux de penser pouvoir apporter des réponses
définitives à ces questions, et illusoire de croire que les pratiques psy-
chologiques constituent un passage nécessaire et suffisant pour che-
miner sur la voie de la réparation.Nous vivons dans un monde où le
recours à la psychologie s'in1pose comme une évidence, tout comme
nous vivons dans l'illusion que les psychologues trouveront une ex-
plication et une justification à tout ce qui peut nous arriver. Chaque
drame, chaque catastrophe apportent ainsi son lot de cellules de sou-
tien psychologique et d'exp erts en comportement qui sont censés
apporter leur révélation et procurer un apaisen1ent aux victünes.
L'efficacité de ces pratiques est peut-être réelle pour les victimes de
faits graves, par exemple dans les attentats, les crashes aériens, mais le
vi
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recours systén1atique à la psychologie dans les p etits conflits person-
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1....
>- nels peut aussi participer au processus de victimisation et conduire à
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une pathologisation de la souffrance.
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-5!! Dans notre culture individualiste, toutes les difficultés, les conflits, les
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malheurs, les souffrances auraient une origine psy ! Sonder l'incons-
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cient, le faire parler, mettre des mots sur les maux, les interpréter,
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31
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

psychologiser les souffrances, injecter des solutions pour prévenir le


retour dévastateur du « refoulé » nous paraissent des panacées.
Prenons garde qu'elles ne deviennent des pièges en embarquant les
individus dans d'infinies quêtes de reconnaissance. Ne ramenons pas
tous les problèmes à des questions individuelles et psychologiques, il
existe aussi des causes m atérielles, sociales, systémiques qui font que
des personnes se retrouvent en position de victimes, par exemple
dans le cas de perte d' en1ploi ou de précarité économique ou sociale.

Le Ticket-Psy

Mis en place en 2008, le Ticket-Psy est une belle illustration de cet engoue-
ment psychologisant et de l'essor du marché psy. À la demande des salariés
victimes de stress professionnel, le médecin du travail délivrait des tickets,
achetés par l'entreprise sous forme de carnets de 5 ou 10, leur donnant droit
à une consultation chez un praticien référencé par l'employeur. La «valeur
ajoutée» promise à l'entreprise par la société qui commercialisait ces tickets
était la diminution de l'absentéisme, des conflits et des grèves, l'augmenta-
tion de la productivité et de la rentabilité. Le Conseil de l'ordre des médecins
n'a pas vu d'un très bon œil ce dispositif jugé contraire à la déontologie.
Faire de la souffrance au travail une problématique personnelle, c'est évi-
demment s'affranchir d'une réflexion sur les conditions de travail, le mode
de management, etc. Et de garder bonne conscience ! Le Ticket-Psy n'aura
pas fait long feu, quelques mois tout au plus.
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32
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

Mémoire inventée1
Grâce à des techniques d'entretien psycho thérapeutique spécifiques2 ,
il est possible d'aider une personne à se ren1émorer des événen1ents
traumatiques survenus pendant l'enfance : n1altraitances, abus sexuels,
etc. Mais si notre systèn1e nerveux a évacué ces informations doulou-
reuses, c'est souvent pour nous permettre de retrouver un équilibre et
de continuer à vivre.Notre n1én1oire étant malléable, très lacunaire, et
notre cerveau prédisposé à créer de fausses réalités ou à reconstituer
les pièces manquantes de notre histoire, il est possible d'implanter dans
la n1én1oire d'un individu des souvenirs qui évoquent des événen1ents
qui ne se sont jamais produits ou des réalités totalement distordues.
Ces« faux souvenirs induits »par un psychothérapeute n1aître à penser,
extrémiste, absolutiste, incon1pétent, n1aladroit ou tout simplen1ent
n1anipulateur, conduisent la personne à adopter des croyances ou des
représentations qui ne sont pas les siennes, n1ais qui se conforn1ent aux
convictions du thérapeute. Ce phénomène problén1atique, lié au pro-
cessus de soumission à une autorité (celle de l'expert présumé à la-
quelle on accorde un crédit parfois aveugle), a été découvert aux États-
Unis à la fin des années 1980. Nombre de personnes ont par exemple
accusé leurs p arents d'inceste ou d'abus sexuels en se fondant sur des
vi
souvenirs qui auraient été « refoulés », n1ais qui se sont avérés en réa-
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.-t 1. Cf. Carré Christophe, L'Auto-Manipulation. Comment ne plus faire soi-même son malheur,
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N Eyrolles, 2012.
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....... 0
>.. 2. Il s'agit notamment de techniques qui utilisent l'hypnose, la relaxation, le travail sur le
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corps ou les conditionnem ents émotionnels, et qui portent, dans leur version française,
>-
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2 les noms deTMR (Thérapie de la mémoire retrouvée) ouTSR (Thérapie des souvenirs
0 \..?
u @ retrouvés).

33
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

lité totalement faux 1 . Si le phénon1ène sen1ble retomber aux États-


U nis, il est encore très présent en Europe et en France. Or peut-on
espérer accéder à la reconnaissance et à la « guérison» - si tant est que
la victime peut être considérée comn1e une personne n1alade - avec
les faux objets d'un passé toujours recon1posé ?

Victime et droit pénal


Lorsqu'on est victüne, peut-on tout attendre de la justice : plainte,
affirmation de la vérité, reconnaissance sociale et judiciaire, répara-
tion, reconstruction ? La salle d'audience est-elle l'endroit idéal où
apaiser sa souffrance en obtenant que l'accusé paie - si possible un
nlaximun1 - pour le préjudice causé? Une peine peut-elle en éteindre
une autre ? Quelle place la victime doit-elle occuper dans la sphère
pénale ? Doit-elle y jouer un rôle central ou être écartée du procès
pour éviter que celui-ci ne devienne le lieu d'une vengeance et le
retour à la loi du Talion? Le temps judiciaire correspond-il à celui de
la victime? Ces questions alimentent un débat entre les tenants d'une
justice réparatrice, au service de la victime et de sa« guérison», et les
défenseurs d ' une justice rétributive qui tranche en fonction des actes
commis, sans prendre en compte les circonstances.
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a. 1. Selon le psychologue am éricain Robert Baker, sur les 1 700 000 cas déclarés d'abus
0
u sexuels en 1985 aux États-Unis, 65 % seraient sans fondement.

34
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

Une discipline pour les victimes: la victimologie

Née après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, la victimolo-
gie est une branche de la criminologie qui étudie les conséquences des
crimes et délits sur les victimes et s'intéresse à leur statut et à leur prise en
charge d'un point de vue psychosocial et judiciaire.

Le terme victime est d'apparition relativement récente dans le droit


pénal puisqu'il date des années 1970. Les autorités judiciaires ont
ainsi longten1ps parlé de partie civile, de plaignant, de partie lésée ou
de personne ayant souffert d'un domn1age causé par une infraction,
avant que la victime ne constitue une véritable catégorie dans le
champ juridique pénal. Les procès se jouaient alors entre le Parquet
et le délinquant. Aujourd'hui, un troisième acteur entre en scène : la
victime. Et la justice se trouve, elle aussi, confrontée aux dangers de
la victimisation et à ses propres lin1ites et siinplifications. Il ne s'agit
pas de remettre en cause la judiciarisation des actes criminels ou
délictueux, fondamentale et nécessaire à toute vie sociale, mais de
s'interroger sur les risques de dérives qui pourraient apparaître si la
place accordée à la victime devenait prépondérante dans l'action
publique, notamment si la victiine était invitée à intervenir dans le
prononcé de la p eine 1 , par exemple pour demander une sanction plus
vi
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lourde compte tenu de la souffrance endurée. La victime a sa place
1....

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>- au civil, et il est légitime qu'elle obtienne réparation pour les préju-
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1. Cf. Genepi (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées),
0
u @ « Une juste place des victimes pour un sens de la peine préservé », assises de 2005.

35
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

dices subis. Mais dès lorsqu'elle interfère dans l'action menée par le
Ministère public, le malaise s'installe.

Une équation difficile


Nous pouvons d'ores et déjà retenir les points suivants: si le procès
pénal peut aider la victime dans son processus de restauration et de
retour à une vie« normale »,il n'est pas une fin en soi et ne lui garan-
tit pas d'éliminer totalement ses souffrances, notamment si la déci-
sion du juge ou le classe1nent sans suite par un procureur ne corres-
pondent pas à ses attentes. D'autant qu'il est pratiquement impossible
de réaliser une équation parfaite entre les indemnisations et la peine
infligée, d'une part, et la somme des souffrances endurées et les traces
laissées chez la victin1e, d'autre part.
Une plus grande prise en compte des victimes constitue incontesta-
blement une avancée dans le droit p énal. Toutefois le parcours judi-
ciaire ressemble souvent à celui d'un combattant et peut aggraver le
traumatisme des victimes (longueur de la procédure, rappel des évé-
nements vécus, comparutions, confrontations, audiences). Devant la
complexité des situations vécues par les victimes,l'approche de l'ins-
titution judiciaire demeure simpliste parce qu'elle se limite essentiel-
Vl
<lJ lement à un traitement juridique et matériel du préjudice. Il s'agit
0

w
1...
>- grosso modo d'établir qui a commis quel crime, quelle infraction,
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.-t quelle faute, au préjudice de qui, de prononcer une peine et de pré-
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@ voir un dédommagement pour la réparation des préjudices subis par
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la victime.Un traitement sans doute nécessaire mais insuffisant .
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36
UNE SOCIÉTÉ DE VICTIMES?

*
**
Lorsque la victimisation devient trop importante dans une société,la
victin1e gagne un statut social prestigieux, proche du sacré. Cette
sacralisation des victimes, observable dans de nombreux domaines,
les conduit souvent à un enfermement dont elles ne sont pas les
seules responsables. Elles éprouvent davantage de difficultés pour
quitter cet état, reconsidérer leur position et accéder au changement,
or le statut de victime n'est, etc' est heureux, jamais définitif et irré-
versible. Mais cesser d'être une victime nécessite un engagement
personnel et un processus intérieur que personne ne fera à votre
place. Il faut pour cela mieux comprendre ce qui et comn1ent se
définit une victime.

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Chapitre

Victime: souffrance
et confusion

Nous avons tous dans notre histoire personnelle de bonnes raisons


d'être, de nous percevoir ou de nous comporter conune des victünes.
Mais que signifie« être victime» au juste ? Est-on victime d'un pro-
blème de santé ou juste malade ? Est-on victime d'un artisan mal-
honnête ou ne sommes-nous pas, plus exactement, floués par ce
dernier ? Est-on victime d'une lettre anonyme, d'un impayé, d'un
licenciement, d'un conjoint volage? Est-on victime de la malchance
vi
<lJ
ou tout simplement vivant, dans un n1onde qui n'est pas réglé comme
0
1.... du papier à musique? Nous avons vu précédemment que l'usage et
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>-
'<j" le sens du mot victime s'étaient étendus à un point tel que tous les
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N aléas de notre existence pouvaient faire de nous des victimes. Dans
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ce chapitre, nous nous intéresserons aux éléments et aux caractéris-
Ol
tiques qui contribuent à nous transformer en victimes. Tout essai de
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u
0
@ définition variant naturellement en fonction des approches, l'inven-

39
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

taire des critères qui contribuent à faire de quelqu'un une victime


me paraît plus opérationnel.

Être ou ne pas être victime


En premier lieu, j'attire votre attention sur la façon dont nous for-
ni.ulons nos expériences et notamment sur l'utilisation souvent abu-
sive que nous faisons du verbe être. Cet outil grani.matical ne pose
guère de problème lorsqu'il est utilisé comme auxiliaire dans les
temps co1nposés ou lorsqu'il reflète une réalité indiscutable : «Je suis
au supermarché », « Les enfants sont dans le jardin ».Son utilisation
est en revanche plus malheureuse lorsqu'il est employé de manière
attributive, c'est-à-dire lorsqu'il met en relation un nom avec un
adjectif - «Tu es égoïste »,« Je suis manipulé par ni.a belle-ni.ère » -,
ou encore quand il permet de connecter deux niveaux d'abstraction
différents : «Je suis une victime »,« Mon père est employé du gaz».
Dans ces deux cas, le verbe être prend la valeur du signe = que l'on
retrouve dans les équations mathématiques. Ainsi la phrase «Tu es
égoïste » revient finalement à dire toi = égoïste et «Je suis une vic-
time » à moi = victime. Je pense que vous saisissez bien le risque
potentiel de telles identifications : elles conduisent à un total ni.élange
Vl
des registres et des niveaux de sens qui est la cause de nombreux
<lJ
0
1....
conflits et problèni.es que nous rencontrons.« Mon père travaille à la
w
>-
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compagnie du gaz depuis cinq ans » est déjà une formulation plus
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0
N
acceptable parce que « Mon père » ne se résume pas au simple fait
@
.......
d'être un employé du gaz. C'est aussi un homme de 53 ans, pas-
.c
Ol
·;:::: sionné de littérature américaine et du j eu d 'échecs, qui pratique le
>-
a.
u
0 jardinage et la p êche à la ligne à ses heures perdues. Dans le m êm e

40
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

ordre d'idées, quand vous dites «Je suis victime de harcèlement de la


part de mon chef de service », vous établissez un rapport d'égalité
entre votre personne et le fait d'être harcelé, or vous n'êtes pas que
cela, toujours et en tout lieu.
Notre langage, fondé sur la logique aristotélicienne, elle-même issue
de la grammaire grecque, co1nporte ainsi de nombreuses failles struc-
turelles. L'utilisation que nous en faisons influence, sans que nous en
ayons conscience, nos perceptions, notre pensée et nos comporte-
n1.ents. Je vous invite donc à la vigilance lorsque vous éprouvez le
sentin1.ent d'être victime de quelqu'un ou de quelque chose. Votre
statut de victime ne doit pas dilapider l'ensemble de votre personne
etc' est justement parce que vous portez une histoire, des expériences,
une capacité d'analyse et de surplomb que vous pourrez sortir de
cette impasse. Des événements vous ont conduit à vous p ercevoir
comme une victime, sans doute, mais vous « êtes » aussi beaucoup
d 'autres choses.

Devenir victime : la brusque confrontation entre


nos croyances et la réalité telle qu'elle est
À l'origine de tout processus qui conduit à faire de nous des victimes
vi se trouve un décalage, voire une rupture totale, entre une réalité at-
<lJ
0
1....
>- tendue et une réalité vécue, entre des représentations, des valeurs, des
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croyances personnelles et des faits réels, entre une idée de ce qui est
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bien, bon, juste, vrai, logique et des faits qui viennent contrecarrer
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.......
..c >..
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cette idée, entre les cartes n1.entales que nous utilisons pour percevoir,
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
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2
p enser, agir et les aléas de notre environnement. Un événement ou
0 \..?
u @ une accumulation de faits, plus ou n1.oins graves, surviennent, bous-

41
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

culent et désorganisent parfois violemment notre vision du monde.


Rien ne sera plus comme avant, nos certitudes s'effondrent. Nous
devenons les objets d'une situation ou de faits que nous jugeons in-
justes, intolérables, impensables et qui ébranlent nos représentations
et nos valeurs personnelles en provoquant un conflit intérieur qui
peut se traduire par un état de choc, la colère, la honte, la peur, l'hébé-
tude, le refus de la réalité.L'apparition de ce conflit remet en question
certaines de nos croyances qui désormais ne tiennent plus. Voyons
quelques exen1ples des croyances les plus répandues.

Croyance n° 1 :je suis invulnérable


Certains événen1ents peuvent heurter ce sentiment de toute-
puissance et nous faire prendre conscience de notre vulnérabilité, de la
fragilité de la vie humaine dans un monde parfois hostile et dangereux.

Nul n'est invincible.


Henri était, selon ses proches,« une force de la nature» et un sportif de bon
niveau, soucieux de son hygiène de vie. Un dimanche matin, il se réveille avec
de terribles maux de tête et de sérieux troubles de la vision. Sa femme appelle
les services d'urgence. Le médecin du Sa mu diagnostique un accident vascu-
Vl
<lJ laire cérébral. Après plusieurs mois de kinésithérapie et d'orthophonie,
0
1...
>-
Henri reprendra une vie normale.
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....... Croyance n° 2: le monde est parfaitement compréhensible
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·;::::
>- Nous pensons que nous pouvons accorder une totale confiance à nos
a.
0
u sens et aux informations qui nous proviennent de notre environne-

42
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

n1ent. Le monde est clair et intelligible, il suffit juste de le déchiffrer


correctement. Croire cela, c'est oublier que nous vivons dans un gi-
gantesque foisonnement de signes et que, même si notre cerveau est
en mesure de recevoir simultanément plus de dix millions d'informa-
tions, il procède aussi à un travail d'élagage, de reconstitution et d'in-
terprétation sur lequel nous n'avons pratiquement aucun contrôle
conscient.C'est une région de notre cerveau, le thalamus, qui joue le
rôle d'aiguilleur entre les informations jugées suffisarm11ent in1por-
tantes pour devoir être transmises à la conscience et celles qui seront
traitées en mode auton1atique. Mais nos connaissances restent sou-
vent incomplètes. Ce qui explique que, sans un effort particulier de
notre conscience, nous ayons très peu d'influence sur ce que nous
son1mes et sur la façon dont nous nous comportons et dont nous
conduisons notre vie. Le monde réel n'est pas lisible, nous vivons dans
celui des illusions. Ces illusions présentent le danger de nous faire
prendre à tout moment les vessies pour des lanternes.

Un article du Journal du dimanche paru en 2009 relate ce fait étonnant.


Plusieurs habitants d'une résidence de Saint-Cloud {Hauts-de-Seine) ont été
victimes de troubles consécutifs à l'installation de trois hautes antennes re-
lais de téléphonie mobile placées sur la cheminée d'un bâtiment situé en
vi face de leurs appartements: fatigue, maux de tête, saignements de nez, goût
<lJ
0
1....
>- métallique dans la bouche. Malgré la pose de filtres de protection contre les
w
'<j" ondes sur les vitres de leurs fenêtres, les symptômes n'ont pas cessé. On
.-t
0
N découvrira plus tard, dans un communiqué de l'opérateur, que le raccorde-
@ "'
-5!!
....... 0 ment électrique des antennes n'avait pas été effectué et que, par consé-
..c >..
UJ
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Q)
Q_ quent, celles-ci n'émettaient pas la moindre onde susceptible de provoquer
>-
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2
0 \..? ces troubles.
u @

43
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Croyance n° 3: le monde est totalement prévisible


Nous nous imaginons que notre environnement est fiable à 100 %,
solide, consistant, que le monde est réglé, conforn1e, sous contrôle,
sans surprise. Or le monde et la vie sont impermanents et totalement
imprévisibles, ils peuvent nous confronter à des événements très
agréables, comme aux pires désillusions. Les choses ne se déroulent
pas toujours selon nos plans. Mais dans notre délire de contrôle total,
même lors de phénomènes naturels comme les ten1pêtes, les inon-
dations ou les glissements de terrain, nous voulons trouver des expli-
cations rationnelles, nous cherchons à établir des liens de causalité, à
imputer des responsabilités, à désigner des coupables (les météorolo-
gues, géologues, constructeurs, etc.). Cela semble obsessionnel. ..

Comme chaque matin depuis des années, Aurélie emprunte une portion
d'autoroute pour aller à son travail. Ce matin-là, une difficulté se présente:
un ralentissement de plusieurs kilomètres s'est formé à l'entrée de la ville en
raison de travaux. En jetant un œil à son rétroviseur, Aurélie s'aperçoit avec
effroi que la voiture qui arrive derrière elle fonce à toute allure vers elle. Le
choc violent est inévitable.

Vl
Croyance n° 4 : tout le monde il est beau ...
<lJ
0
1....
>-
Autre croyance tenace : on peut faire confiance aux autres. Les gens
w
'<j"
.-t
sont naturellement bons, généreux, prévenants, chaleureux, sympa-
0
N thiques, fraternels, charitables, secourables. Et l'on peut compter sur
@
.......
..c eux, quoi qu'il arrive. En moins d'un dixième de seconde nous nous
Ol
·;::::
>- faisons une idée sur une personne et nous savons - ou croyons savoir-
a.
0
u qui elle est, si elle est agréable, fiable, compétente. Cette première

44
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

impression peut toujours être invalidée par la suite, n1ais générale-


ment, c'est plutôt le contraire qui se produit. Pour éviter un conflit
entre notre perception initiale sur quelqu'un et des informations
nouvelles qui pourraient la remettre en question, nous avons en effet
tendance à omettre les éléments de la réalité qui viendraient annuler
notre première impression. Or, tout comme les événements, les indi-
vidus ne sont pas prévisibles, rationnels et cohérents. Leurs compor-
tements sont aussi dictés par des émotions qui parfois les submergent
et peuvent les conduire à commettre des actes insensés.

Muriel, une jeune professeur des écoles, a vécu pendant trois années avec un
homme charmant et très attentionné. Leur rupture amoureuse a été conve-
nue d'un commun accord en raison de multiples divergences. Pourtant, six
mois plus tard, alors qu'elle s'engageait dans une nouvelle relation, Muriel a
été agressée en pleine nuit par son ex-compagnon qui l'a rouée de coups
avant de tenter de l'étrangler.

Croyance n° 5: l'illusion de la.fin de l'histoire


Des chercheurs de l'université de Harvard ont confirmé que nous
avons tendance à penser que nous changerons beaucoup moins dans
vi le futur que nous n'avons pu changer dans le passé. Quel que soit
<lJ
0
1....
notre âge, tout se passe comme si notre histoire se figeait, comme si
w
>-
'<j"
ce que nous sommes aujourd'hui, notre personnalité, nos valeurs, nos
.-t
0
N croyances, nos désirs, nous étaient donnés jusqu'à la fin de notre vie.
@ "'
-5!!
....... 0 Cette illusion de la fin de notre histoire, qui traduit notre difficulté à
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ nous projeter dans l'avenir, à envisager des change1nents, des évolu-
>-
a.
:::J
2
u
0 \..?
@
tions, peut nous conduire à faire des choix ou à prendre des décisions

45
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

probléinatiques. Notre cerveau est conditionné par une série de sa-


voirs, d'expériences et de souvenirs qui lui permettent d 'assurer une
n1ultitude de tâches de façon autonome en puisant dans ces « ar-
chives». Les recherches en neurosciences montrent que dans 90 %
des situations, il décide sans la conscience. Ce fonctionnement est
rapide, économique et peu coûteux en énergie puisque nos bases de
données sont déjà constituées dans nos structures nerveuses. C'est
ainsi que, en quelques fractions de seconde, nous nous forgeons une
idée sur les gens que nous rencontrons. Dès lors, imaginer le futur
se1nble une activité beaucoup plus complexe que faire appel au pas-
sé. Et dans la mesure où c'est toujours nos expériences et nos savoirs
accun1ulés antérieurement qui guident la plupart de nos conduites
au présent, il ne semble pas étonnant que nous éprouvions des diffi-
cultés à envisager des changements pour l'avenir.
Lorsqu'on a vécu un événen1ent traumatisant, inattendu, cette illusion
de la fin de l'histoire s'écroule:« Si j'avais pu m'imaginer vivre un tel
événement », « Si j'avais su que mon histoire me réservait un coup
pareil ».Le changement brutal associé à la souffrance nous secoue avec
violence. Mais dès que l'on se retrouve victin1e de quelque chose ou
de quelqu'un, cette illusion peut réapparaître et nous paralyser dans ce
Vl
nouveau statut : « Maintenant qu'il m 'est arrivé ça, je ne peux plus
<lJ
0
1....
changer, je vais traîner cette expérience jusqu'à la fin de mes jours. »
w
>-
'<j"
.-t
0
N
Touché par le virus du Sida contracté auprès d'un partenaire qui lui avait
@
.......
.c caché sa maladie, Sam vit depuis des mois seul, dans un studio de banlieue .
Ol
·;::::
>-
Sa mère fait ses courses deux fois par semaine. La colère a fait place à l'hébé-
a.
u
0 tude puis à l'acceptation de la maladie. Mais il ne met plus le nez dehors, si

46
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

ce n'est pour des contrôles médicaux ou le renouvellement de ses ordon-


nances. li a cessé toute vie sociale et ne se voit pas construire une nouvelle
relation amoureuse.

Exercice : quelles sont vos croyances ?


* En partant de vos expériences personnelles, essayez d'identifier dans
quelles situations vous avez pu être dupé(e) par vos propres croyances. No-
tez vos réponses au crayon ci-dessous ou dans votre cahier.

• Croyance n ° 1 : je suis invulnérable


* Dans quelle situation vous êtes-vous senti(e) fragile, blessé(e), en danger?

• Croyance n ° 2 : le monde est parfaitement compréhensible


*A' quel moment avez-vous pris conscience que vous aviez été trompé(e) par
vos perceptions ou vos représentations d'un événement?

• Croyance n ° 3 : le monde est totalement prévisible


*Vous avez été surpris(e) ou choqué(e) par quelque chose que vous n'atten-
diez pas. Quand et dans quelle situation était-ce?

vi
<lJ
0
1....
>-
• Croyance n ° 4 : tout le monde il est beau...
w
'<j"
.-t
*Des personnes en qui vous aviez une totale confiance vous ont trahi(e) ou
0
N ont abusé de vous. Vous vous êtes trompé(e) sur leur compte. De qui s'agit- il?
@ "'
-5!! D'où provient le conflit?
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

47
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

· Croyance n ° 5 : l'illusion de la fin de l'histoire


*Qui serez-vous
, dans un an, cinq ans, dix ans? Comment vous voyez-vous
évoluer? Eprouvez-vous de la difficulté à répondre à cette question? Pour-
quoi selon vous ?

Subir, mais quoi ? Avoir conscience de sa situation


Quand nous sommes victimes, nous souffrons d'avoir subi, person-
nellement et malgré nous, un préjudice moral, physique, matériel,
psychologique, social, économique, un dommage, une injustice, un
n1al, un abus, un mauvais traitement, un accident, une catastrophe.
Les événements subis peuvent donc être de toutes sortes de nature et
relever:

• du contexte, de l'environnement naturel (cataclysme, tempête,


catastrophe naturelle, etc.) ;
• des autres (accident, agression, viol, chantage, harcèlement psycho-
logique ou symbolique, violence verbale, physique, psychologique,
racket, etc.) ;
• de soi-même (dépendance, soumission, addiction, croyances, va-
leurs, représentations).
l{J Quant au destin, au hasard, à la malchance, à la mauvaise étoile, ces
0
1...
>-
facteurs font selon moi partie de nos croyances irrationnelles et ren-
w
'<j"
.-t
voient à des influences dont nous n'avons pas conscience, mais qui
0
N sont inscrites dans notre passé, notre culture, notre éducation, notre
@
.......
.c milieu social et dans l'ensemble des prophéties que nous multiplions
Ol
·;::::
>-
a.
à notre égard: «Je suis un perdant», «J'ai la poisse», «J'attire les mau-
0
u vais esprits ».Nos vies ne sont pas inscrites dans le marbre, à tout ja-

48
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

mais. Il n'y a pas d'explication rationnelle au fait que nous nous


trouvions là « au mauvais moment », que nous ayons pris ce train,
plutôt qu'un autre. Croire cela, c'est s'exposer à réduire toutes nos
capacités d'action, toutes nos marges de manœuvre à des lignes in-
franchissables, à subir les événements sans autre choix possible que
celui de l'abnégation, de la culpabilité ou du déni de soi.

Ne pas se tromper de victime

Même si le fait que les préjudices subis par une personne peuvent toucher
les membres de sa famille ou de son entourage et en faire des victimes se-
condaires, la «vraie» victime est toujours directement et personnellement
affectée par les événements. De même, il est difficile de considérer que l'on
peut être victime parce que l'on a été très choqué par les images d'un acci-
dent, par une scène de violence ou par la mort d'un proche. Dans de telles
situations, nous éprouvons naturellement des réalités qui peuvent nous
faire mal, nous heurter et nous faire ressentir des émotions désagréables et
de la souffrance, mais nous ne sommes pas confrontés directement à l'évé-
nement traumatisant.

Ni responsable ni coupable
La victime n'a pas choisi de l'être. M êm e lorsqu' elle souffre de dom-
vi mages dont elle semble porter la responsabilité, il ne s'agit pas d'un
<lJ
0
1....
choix , m ais d'une attitude ou d'un comportem ent qui relèvent de
w
>-
'<j"
l'ignorance, de la n égligence, de la m aladresse, d 'un sentiment d 'in-
.-t
0
N vulnérabilité ou du désir non conscient de se punir, de s'infliger des
@ "'
-5!!
....... 0
>..
souffran ces, une certaine forme de violence contre soi-même. Au-
..c UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ cun fumeur ne vous dira qu'il fume avec pour objectif de faire un
>-
a.
:::J
2
u
0 \..?
@
accident cardio-vasculaire, au cun alcoolique ne rêve de développer

49
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

un cancer du foie. Et connaissez-vous le nombre de médecins qui


souffrent de l'une ou l'autre de ces addictions, alors qu'ils sont censés
être nùeux informés que quiconque sur les risques encourus? Infor-
n1er, argumenter, persuader, convaincre, ces actions permettent de
changer ce que les gens ont dans la tête, n1ais elles ne suffisent pas
pour entraîner une modification de leurs comportements.
Une victime qui n'a pas conscience du tort qui lui a été causé reste-
t-elle une victime? Aux yeux de qui? Nous l'avons vu, se percevoir
comme une victime, c'est ressentir une coupure, un hiatus, une dis-
cordance entre deux réalités : celle à laquelle on s'attend et celle qui
est effective. C'est éprouver un sentiment d'injustice, d'iniquité :
« Ce qui m'arrive n'est pas normal, pas juste.» Par conséquent, sil' on
se place du point de vue de la victime, celle-ci n'existe en tant que
telle que si elle a conscience de cette séparation. Du point de vue des
autres, de la société, les choses vont différemment et nous pouvons
juger qu'une personne est victime de quelque chose ou de quelqu'un,
même si celle-ci n'en a pas conscience.
Établir ou entretenir une relation avec cette personne pour lui com-
muniquer notre ressenti sur sa situation personnelle, c'est prendre la
responsabilité de lui ouvrir les yeux, de l'aider à sortir de l'ignorance,
Vl
<lJ ou de l'amener à se percevoir comme une victime, ce qui peut lui
0
1....
>- occasionner de la souffrance et la figer dans cette attitude, notam-
w
'<j"
.-t
ment sil' on se montre incapable par la suite de l'accompagner cor-
0
N
@
rectement vers la sortie. Sans doute son1mes-nous légitimes dans
.......
.c notre désir d'aider les autres à se sortir d'un mauvais pas. Nous culpa-
Ol
·;::::
>-
a.
bilisons de ne rien faire devant une situation qui nous dérange ou
0
u que nous jugeons inacceptable, nous voudrions jouer les sauveurs,

50
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

avec parfois un peu trop de sentünentalisme et un sens exagéré de


nos capacités à résoudre les problèmes. Nous reviendrons sur cette
question au chapitre suivant, mais il faut savoir qu'en cas de mala-
dresse ou d'intention manipulatoire de notre part, le remède que
nous administrons peut se révéler pire que le mal qui n'est pas res-
senti.

Souffrir: le poids de la culpabilité


Peines, douleurs, tourn1ents, souffrance, parce que nous sommes des
êtres sensibles, nous sommes tous an1enés à connaître ces impressions
pénibles au cours de notre vie, sous diverses formes, et parfois drama-
tiquement.Elles sont les conséquences d'un événement imprévu, ou
dont on avait envisagé une autre issue, ou encore de la peur d'une
menace. Elles peuvent nous atteindre sur le plan physique, émotion-
nel ou de la pensée. Mên1e lorsqu'elle est la rénùniscence d'une
souffrance passée, la souffrance se vit toujours au présent, ici et main-
tenant. Et plus nous entrons, de façon non consciente, en résistance
contre elle, plus nous refusons d'accepter la réalité telle qu'elle est et
non pas telle que nous aurions aimé qu'elle fût, plus nous continuons
à souffrir et à ressentir des émotions désagréables : culpabilité, colère,
vi
honte, rancœur, ressentiment,jalousie, dépression, etc. Ces émotions
<lJ
0
1....
sont, avec la douleur physique, les manifestations corporelles de la
w
>-
'<j"
souffrance. M ais ce que dit notre corps est aussi souvent l'expression
.-t
0
N
d'un mental dont le fonctionnement nous échappe. Nous verrons
@ "'
.......
-5!!
0 plus loin comment sortir de certains pièges pour changer ce qui p eut
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ l' être et accepter ce qui est in1muable. Ce qui est arrivé est là et nous
>-
a.
:::J
2
u
0 \..?
@
ne pouvons plus rien y faire, sauf réformer notre façon de voir les

51
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

choses et cesser de fonctionner en mode binaire échec/ réussite,


chance/malchance, souffrance/plaisir. La vie est faite d'expériences
qui provoquent, de notre point de vue, des réactions agréables ou
désagréables.
Alors toute personne en souffrance est-elle une victime ? Toute vic-
time est- elle une personne en souffrance ? Au sens large, ces deux
questions appellent une réponse positive. Oui, une victime som-
meille en chacun de nous, prête à se réveiller.

Responsable d'être victime?


Persuadés que tout ce qui nous arrive a une explication rationnelle,
nous nous efforçons de créer des liens de cause à effet pour tenter de
donner un sens à la réalité. Ce qui va nous conduire à rechercher, de
façon plus ou n1oins consciente, la cause de notre souffrance. Mais
une telle quête présente des risques in1portants: si je ne trouve pas la
raison qui me permet d'élucider ce quis' est passé, il est probable que
je vais en inventer une. Et celle que me souffle inconsciemn1ent la
culture judéo-chrétienne dans laquelle nous baignons, c'est que je
n1.érite ce qui m'est arrivé.Tout est de ma faute.Je suis puni parce que
j'ai commis une erreur, une mauvaise action, un péché ; par consé-
Vl
<lJ quent je suis coupable, même si j'ignore de quoi ... Cette logique
0

w
1...
>- impitoyable ajoute une couche supplémentaire à la souffrance déjà
'<j"
.-t endurée et nous pousse vers les chausse-trappes de la culpabilité.
0
N
@ Notre cerveau, entraîné à traiter des problèmes depuis que nous
.......
..c
Ol
sommes sortis de la petite enfance, s'encombre d'un nouveau pro-
·;::::
>-
a. blème en cherchant « pourquoi ? » : « Pourquoi moi ? » ; « Pourquoi
0
u

52
VICTIME SOUFFRANCE ET CONFUSION

maintenant ? » ; « Pourquoi cet accident, cette rupture, cette agres-


sion, cette maladie?»;« Qu'ai-je fait pour mériter ça?». Penser que
nous sommes à l'origine de tout ce qui peut nous arriver, personna-
liser de façon abusive les événements, comme si nous étions les pi-
lotes du monde, les maîtres de la réalité, est une attitude vaine et
présomptueuse, mais humaine. Nous ne sommes pas responsables de
tout ce qui nous arrive, tout sin1plement car nous ne pouvons pas
avoir réponse à tout.

Tout est de ma faute


« Ma femme m'a quitté pour un autre homme. C'est bien fait pour moi. Si
j'avais été plus attentionné, plus aimant, plus généreux, plus présent, cela ne
serait pas arrivé. »
«Mon employeur m'a licencié parce que je n'étais pas assez efficace.»
«Si j'avais refusé ce rendez-vous, j'aurais évité de percuter la voiture.»

Vieux serpent de mer que cette croyance individualiste, ressassée à


longueur de temps, que chaque personne est responsable, consciente
de ce qu'elle fait, qu'elle doit assumer les conséquences de ses actes,
que ses erreurs lui sont imputables, qu'elle ne p eut s'en prendre qu'à
elle-même. N e peut-il nous arriver de faire des erreurs de percep-
vi
<lJ
0
tion, d'appréciation ou de jugement ? Compte tenu du fonctionne-
1....

w
>- ment de notre cerveau, comment imaginer que nous puissions gar-
'<j"
.-t
0 der le contrôle sur tout ce qui nous arrive ? Cette tendance à
N
@ "'
-5!!
0
surestimer les causes internes et la responsabilité des individus et à
.......
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
sous- estimer les facteurs externes et les contraintes dues à la situation
>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

53
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

s'appelle en psychologie sociale une erreur fonda1nentale d'attribu-


tion. Sa fille s'appelle culpabilité.

Perdre la maÎtrise de sa vie


Lorsque nous vivons des relations satisfaisantes, que nous soni.ni.es en
bonne santé et dans une situation qui nous apporte la satisfaction de
nos besoins (biens matériels, sécurité, relations saines, sentiment
d'appartenance, de reconnaissance et équilibre personnel), nous sou-
haiterions que les choses de1neurent ainsi ad vitam. Pourquoi diable
irions-nous chercher ailleurs une herbe plus verte? Pourquoi modi-
fier le cours de son destin quand tout va bien? À quoi bons' exposer
aux risques potentiels inhérents à tout changement, à la peur de
l'inconnu?
Perte d' eni.ploi, divorce, accident, lorsque nous subissons un coup
dur, nous perdons la liberté de choisir de changer ou de poursuivre
notre vie, certes perfectible, mais en tout cas confortable. Nous
n'avons plus d'autre option que celle qui s'impose à nous. Le chan-
gement arrive de façon brutale et nous avons le sentiment de perdre
la maîtrise de notre vie, ce qui nous plonge dans la peur et l'angoisse.
Nous ne gouvernons plus notre barque, ce sont les événements qui
Vl
<lJ la portent et la malmènent. En plein désarroi, nous luttons pour récu-
0
1...
>- pérer un gouvernail qui n'est plus d'aucune efficacité et cette perte
w
'<j"
.-t
de contrôle ajoute à notre souffrance, surtout si nous so1nni.es seuls
0
N
@
face à cette situation. Nous perdons pied, nous nous sentons dépos-
.......
.c sédés de nous-mêmes. Les événements nous disent« non» : «Non
Ol
·;::::
>-
a.
les choses ne se sont pas déroulées selon tes plans » ; « Non tu ne
0
u pourras plus ni.ener à bien tes projets»;« Non cela n'est pas possible

54
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

pour toi, tu peux oublier ton amour, ton bonheur, ton travail, ton
idéal, tes valeurs, tes passions». Et ces« non» provoquent incompré-
hension et frustration dans notre esprit. Il nous semble que la réalité
et les lois de l'univers nous résistent quand c'est nous qui nous oppo-
sons à eux. Chaque fois que nous perdons notre liberté de vivre selon
nos désirs, d'agir et de penser, nous nous pensons victimes d'une
injustice criante. Elle crie parfois tellement fort qu'elle nous rend
sourds à la vie, étrangers à nous-mêmes .

....
Etre reconnu
Parmi nos besoins fondamentaux, celui de la reconnaissance par les
autres figure en bonne place. Quel que soit notre âge, qui que nous
soyons, victimes ou pas, nous éprouvons tous ce besoin essentiel
d'être reconnus, aimés, admirés par les autres, validés dans ce que
nous sommes. Messages de gratification, marques d'attention, de
confiance, compliments, prise en considération de nos talents et de
nos compétences, engagement à nos côtés, tous les signes qui vont
nous permettre de nous sentir durablement acceptés par les autres
concourent à satisfaire ce besoin.
Lorsque nous sommes victimes, nous attendons aussi des autres qu'ils
vi
<lJ reconnaissent les obstacles que nous traversons, notre douleur, notre
0

w
1....
>- peine, notre souffrance, même si nous ne sommes pas encore en
'<j"
.-t mesure de dépasser ces difficultés. À moins d'avoir choisi de partager
0
N
@ "'
-5!!
la vie des manchots dans la toundra, la reconnaissance par nos pairs
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
Q)
est essentielle à notre équilibre personnel biologique et sociologique,
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 et cela depuis la nuit des temps, puisque la satisfaction de ce besoin a
0 \..?
u @

55
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

perniis à nos ancêtres de s'organiser en groupes stables et de mettre


en coll1Illun leurs compétences pour survivre. La reconnaissance par
les autres nous confirme dans ce que nous soll1Illes et influence di-
rectement notre sentiment d'exister, d'appartenir à une commu-
nauté. Elle renforce l'estime que nous nous portons et conséquem-
ment notre confiance en nous. Nous avons une valeur, celle-ci est
reconnue et confirmée par les autres.
En revanche, si nous percevons un manque de reconnaissance de la
part des autres, s'ils trahissentla confiance que nous leur portions, s'ils
ignorent nos besoins et se désintéressent de nous, deux options se
présentent : soit nous estimons que les autres sont nuls, méchants,
inconséquents, stupides et nous les agressons ou les fuyons, c'est alors
un sentiment de supériorité qui prévaut; soit nous pensons que nous
ne valons rien et nous avons du mal à trouver notre place. Nous com-
mençons à douter de nous-mêmes, à perdre notre confiance en nous,
à nous décourager. L'inquiétude, le stress, les émotions désagréables
s'installent. Nous éprouvons un sentiment d'infériorité et de déva-
lorisation de nous-mêmes. Se met alors en place un processus qui
s'auto- entretient: moins nous nous sentons reconnus par les autres,
moins nous leur adressons de signes de reconnaissance et moins ils
Vl
nous en renvoient en retour. Ce phénomène constitue un cercle
<lJ
0
1....
vicieux qui renforce l'isolement de la victime.
w
>-
'<j"
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

56
VICTIME : SOUFFRANCE ET CONFUSION

Exercice : quel est votre besoin de reconnaissance?

*Avez-vous une bonne expérience de vous-même? Prenez le temps de ré-


pondre aux questions ci-dessous. Notez vos réponses au crayon.

1. Quels sont précisément les signes de reconnaissance dont vous avez


besoin?

2. Quels sont vos réalisations, vos compétences, vos difficultés, vos mal-
heurs ou vos souffrances que vous aimeriez voir reconnus?

3. De qui plus précisément attendez-vous ces signes de reconnaissance?

4. Quels sont ceux que vous obtenez?

5. Quels sont ceux qui vous font particulièrement défaut?

6. Comment ces manques de reconnaissance se traduisent-ils?


Dans vos paroles :
Dans vos pensées :
vi
<lJ Dans vos actes :
0
1....

w
>-
'<j" 7. Vous arrive-t-il vous-même d'adresser des signes de reconnaissance
.-t
0
N
aux personnes de votre entourage : rarement, parfois, assez souvent,
@ "'
-5!! très souvent? Ou bien êtes-vous plutôt en attente de reconnaissance de
....... 0
..c
Ol
>..
UJ leur part parce que vous êtes paralysé(e) par vos problèmes?
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

57
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

"'
8. Etes-vous plutôt du style« je donne pour recevoir» ou« j'attends de
recevoir pour donner»? A' votre avis, de quelle manière cette attitude
influence-t-elle vos relations et les marques de reconnaissance qui vous
sont adressées?

9. Lorsque vous dialoguez avec vous-même, vous accordez-vous des mes-


sages de reconnaissance? Quand? Sous quelle forme? À quel sujet? Et
si non pourquoi?

10. D'une manière générale, livrez-vous facilement vos émotions aux per-
sonnes que vous jugez dignes de confiance?

vi
<lJ
0
1....

w
>-
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0
N
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0 \.9
u @

58
Chapitre

Anatomie
du scénario victimaire

«Vous n'aimez pas ce que vous êtes, aussi vous vous fuyez,
vous fuyez ce qui est. »
Jiddu Krishnamurti, Commentaires sur la vie, tome 1.

Des victimes conditionnées


Devenir une victime de quelque événement que ce soit nous conduit
vi
<lJ inévitablement à en endosser le rôle et à participer, malgré nous, à des
0
1....

w
>- systè1nes relationnels d'interdépendance, à des jeux dramaturgiques
'<j"
.-t
0
et à des scénarios puissants dont nous avons rarement conscience
N
@ "'
-5!! parce qu'ils font partie de notre héritage culturel, de notre éducation,
....... 0
>..
..c
Ol
UJ
Q)
de nos automatismes de pensée et de nos croyances limitantes. Ces
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 phénomènes nous font perdre notre autonomie et le contact avec
0 \..?
u @

59
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

nous-mêmes. Les ignorer, c'est s'enfoncer un peu plus dans les pièges
qu'ils nous tendent ;les décrypter nous évite de devenir doublement
victimes : à la fois de la réalité, telle qu'elle est, et de nous-mêmes si,
par peur, par habitude ou par confort personnel, nous nous confor-
n1ons à ces mécanismes qui nous enferment.
Suite à un événement traumatisant, il est naturel d'avoir peur et de
chercher à se protéger pour survivre ... Mais il ne s'agit alors que de
survivre, et de façon provisoire. N'avez-vous pas envie de vivre ou
plutôt d'exister, tout simplement, détaché (e) de vos conditionne-
n1ents, séparé(e) de votre souffrance,libéré(e) des rôles que les autres
vous assignent parce qu'ils font partie du jeu relationnel que vous
jouez avec eux, de ce qui est socialement acceptable, des conventions,
de la règle, de la norme ? La souffrance nous incite, certes, au senti-
ment d'injustice, à la colère, au repli sur nous-mêmes, à la plainte, à la
culpabilité, aux réactions défensives, mais en rester là serait sans doute
la pire chose qui puisse nous arriver.

Adversité ou altérité ?
Nous vivons à un rythn1e effréné, dans un monde de plus en plus
complexe, saturé d'informations, où l'adversité, le culte du gagnant,
Vl
<lJ le profit et la compétition règnent en maîtres. Reste-t-il une place
0
1...
>- pour les égarés, les perdants, les victimes ? Et quelle place ? Celle que
w
'<j"
.-t
nous voulons bien leur donner pour avoir bonne conscience, pour
0
N
@
leur n1ontrer qu'on ne les oublie pas, que la société veille sur eux et
.......
..c les protège? S'agit-il d'une aide efficace et sincère? Éprouver de la
Ol
·;::::
>-
a.
peine pour quelqu'un qui souffre nous libère-t-il d'une certaine
0
u forme de culpabilité, à défaut d'apporter des réponses pour que leur

60
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

statut ne soit que temporaire ? La compassion est-elle synonyme de


reconnaissance? La pitié et la charité peuvent-elles remplacer la soli-
darité? L'action et l'engagement politique se substituer à la commu-
nion-spectacle et à la mise en scène des victimes ? Nous avons déjà
évoqué ces questions ensemble.
La façon dont nous abordons les personnes en difficulté est sans
doute révélatrice de la société dans laquelle nous vivons. Selon moi,
deux grands principes s'opposent : celui de l'adversité et celui de
l'altérité, et notre fonctionnement social semble aujourd'hui très
clairement relever du premier.
Le tableau suivant vous permet de comparer les attitudes, les prin-
cipes et les comportements qui caractérisent les principes d' adver-
sité et d'altérité dans les relations avec une personne ou un groupe
en position de victime.
Adversité Altérité
Compassion Reconnaissance
Attitudes Charité/pitié Solidarité
Victimisation Acceptation
Émotions Raison
Principes Compétition Coopération
vi
<lJ Ignorance Connaissance
0
1....
>- Plaindre Écouter
w
'<j"
.-t Communier Agir
0
N
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Actions Interpréter Comprendre
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Exprimer son humanité Faire preuve d'humanité
Ol Q)
·;:::: Q_

>- :::J
2
Protéger Aider/accompagner
a. \..?
0
u @

61
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Lorsque nous so1nmes dans un système qui fonctionne sur le mode


de l'adversité, nous participons à des trames relationnelles qui
influencent notre perception de nous-mêmes, du monde et des
autres.J'attire toutefois votre attention sur le fait que l'adversité n'ap-
p elle pas nécessairement le conflit ou l'affrontement, elle est aussi
faite de morale, de jugements, d 'interprétations, d'obligations, de
conseils. Par exemple, Muriel est victime de violences conjugales. Sa
fanulle et ses amis se sentent mal à l'aise avec cette réalité. Ils la
plaignent et lui donnent des orientations, des conseils. Ils lui disent
qu'elle a trop tardé à prendre des mesures, qu'elle a été trop faible,
qu'elle n'aurait pas dû se laisser faire, mais sans lui apporter un réel
soutien ni lui accorder une écoute attentive.
Passer au registre de l'altérité, c'est d'abord prendre conscience que
nous sommes séparés des expériences que nous vivons par la clôture
de nos interprétations et de nos juge1nents, c'est accepter que chacun
ait sa propre représentation du monde et de la réalité, c'est recon-
naître pour soi et pour les autres le droit à l'erreur, à l'ignorance et à
la m aladresse, et comprendre que chacun recherche d'abord et avant
tout à ni.aintenir son propre équilibre et à satisfaire ses besoins, même
si ceux-ci viennent contrarier les nôtres. Dans une relation d'altérité
Vl
nous sommes davantage dans le registre de l'accompagnement, de la
<lJ
0
1...
compréhension, de la réflexion. Dans l' exemple ci-dessus, Muriel
w
>-
'<j"
aurait sans doute davantage eu b esoin d'être écoutée, reconnue et
.-t
0
N
soutenue avec empathie, dans un climat de confiance. Mais sans que
@
.......
sa famille et ses amis ne s'ingèrent dans son problème. Ils auraient pu
.c
Ol
·;:::: l'accompagner dans la recherche de ses propres solutions.
>-
a.
0
u

62
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

Test : les attitudes de votre entourage


*Vous avez vécu un malheur, un événement difficile. Comment les personnes
de votre entourage se sont-elles comportées avec vous ? Quels sont vos
sentiments à leur égard ? Dans le tableau suivant, cochez les cases qui cor-
respondent à vos réponses.

1. Vous avez ressenti de la compassion de leur part. D


2. Elles se sont comportées avec vous comme si vous étiez une
personne et non une victime. D
3. Elles se sont apitoyées sur votre sort. D
4. Elles vous ont plaint(e). D
5. Vous vous êtes senti(e) reconnu(e) en tant que victime. D
6. Elles se sont ni.ontrées très protectrices. D
7. Elles vous ont aidé à accepter votre situation. D
8. Elles vous ont dit que vous étiez en partie responsable
de votre malheur. D
9. Vous vous êtes parfois senti(e) rejeté(e). D
10. Vous vous êtes senti(e) écouté(e). D
vi
<lJ
0
1....
11. Elles vous ont dit ce que vous deviez faire pour vous en
>-
w
'<j"
.-t
sortir ou ce qu'elles feraient à votre place. D
0
N
@ "'
-5!!
12. Elles se sont montrées huni.aines, nonjugeantes. D
....... 0
..c
Ol
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>..
UJ
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Q_
13. Elles ont eu b esoin que vous les rassuriez . D
>-
a.
:::J
2
u
0 \..?
@
14. Elles se sont identifiées à votre souffrance. D

63
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

15. Elles ont gardé confiance en vous. D


16. Elles vous ont aidé(e) à reprendre confiance en vous. D

Commentaire

*Les phrases n°1, 3, 4, 6, 8, 9, 11, 13et14 correspondent à des attitudes ou


à des comportements qui reposent sur l'adversité, même si celle-ci n'est pas
apparente, et qui encouragent la victimisation.
*Les phrases n° 2, 5, 7, 10, 12, 15et16 correspondent à des attitudes ou à
des comportements qui dénotent une posture d'altérité et représentent une
aide efficace pour aider la victime à sortir de ce statut.

Illusions théoriques
Il n'est pas aisé de théoriser sur les relations humaines. Certaines
approches me paraissent fonctionnelles, d'autres m e semblent plus
réductrices et n e résistent guère à l'analyse. À trop vouloir schémati-
ser, expliquer, on risque toujours de dégrader des systèmes extrême-
n1ent complexes, p arfois jusqu'à la caricature.

Le triangle dramatique en analyse transactionnelle


Il m'est arrivé , dans l'un de mes précédents ouvrages, de citer le
Vl
<lJ triangle dramatique n'lodélisé par le psychologue américain Stephen
0
1...
>- Karpman 1 . La fameuse triade SVP (S pour sauveur,V pour victime, P
w
'<j"
..-t pour persécuteur) reprise en chœur p ar des dizaines d'auteurs qui
0
N
@
.......
..c
Ol
·;:::: 1. Karpman a été l'élève du psychiatre am éricain Éric Berne, fo ndateur de l'analyse tran-
>-
a. sactionnelle. L'analyse transactionnelle est une théorie humaniste de la communicatio n
0
u et du développement personnel.

64
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

ont cru déceler, dans ce modèle inspiré de la dramaturgie, la clé expli-


cative de toutes les interactions humaines conflictuelles.
Pour faire court : trois rôles sont en jeu, pour trois acteurs. Le p ersé-
cuteur, c'est le méchant : agressif, n1.éprisant, critique, autoritaire, il
aurait besoin d'une victime, généralement gentille, souffrante, culpa-
bilisatrice, impuissante et désespérée, pour lui permettre d'exister en
tant que persécuteur.Tout comme la victime aurait besoin du persé-
cuteur, de ses critiques et de ses blâmes pour se sentir malheureuse et
exister en tant que victime. Le troisième rôle est tenu par le sauveur.
C'est une personne qui donnerait l'impression d'être foncièrement
bonne, mais qui jouerait un double jeu pour poursuivre l'équilibre
dramatique : maintenir la victin1.e dans son rôle de victime et ne rien
faire qui puisse vraiment l'aider à s'en sortir.

Une fois le triangle planté, les auteurs de ce concept disent que nous
pouvons tous tenir et changer de rôle à tout instant. De persécuteur
nous pouvons ainsi devenir sauveur, de sauveur devenir victime, et
de victime persécuteur. Mais chacun d'entre nous serait prédisposé
à avoir un rôle préférentiel. Les protagonistes seraient ainsi interdé-
pendants et prisonniers d'un processus répétitif qui provoquerait leur
souffrance. Prendre conscience de ce jeu psychologique dramatique,
vi
<lJ en sortir ou ne pas y entrer, p ermettrait de vivre des relations « ga-
0
1....
>- gnant-gagnant »...
w
'<j"
.-t
0 Ce n1.odèle, parfaitement adapté pour analyser les contes pour enfants
N
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-5!!
0
comme Le Petit Chaperon rouge, est à mon sens très limité, pour plusieurs
.......
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
raisons. La première, que nous avons déjà évoquée, est la complexité des
>- :::J
a.
0
2
\..? relations humaines qui ne se laissent pas enfern1.er dans un n1odèle aus-
u @

65
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

si sin1pliste et figé sur une séquence d'interactions.Toute relation consti-


tue un équilibre dynamique en perpétuelle évolution. Les auteurs de
cette figure d'analyse contournent cette difficulté en expliquant que
tous les renversements dramatiques sont envisageables. Certes, mais cela
con1plique sérieusement la compréhension des « jeux ». La deuxième
raison est l'impossibilité pour les « acteurs » de s'extraire de la relation,
de la situation d'énonciation, du contexte pour comprendre ce qui se
joue : difficile pour une mên1e personne d'être à la fois observateur et
sujet observé.La troisièn1e raison repose sur la stricte caractérisation des
rôles qui répond plus à un besoin de conceptualisation qu'à la réalité des
êtres humains. L'aspect destructeur et stérile de ces rôles et de ces jeux,
qu'il faudrait éviter ou quitter urgemment, pose également question :
sont-ils toujours destructeurs et stériles, quelle que soit la situation et
même s'ils sont provisoires, y a-t-il toujours un drame à la clé ? Enfin,
dernière remarque sur l'attraction entre les rôles : il est posé con1me
principe que la victime attire le persécuteur et le sauveur et que ce der-
nier enfonce la victin1e plus qu'il ne l'aide. Est-ce toujours valide, en
toute situation ? Quid des autres cas de figures ? Quand le sauveur ap-
porte une aide réelle, la victime doit-elle tout de même quitter le jeu?

La triade dramaturgique
Vl
<lJ
0
1....
Le schén1a suivant est inspiré des principes fondamentaux de la dra-
w
>-
'<j"
n1aturgie1 . Il nous permet de comprendre le processus qui entre en
.-t
0
N
jeu lorsqu'une personne se retrouve victime d'un événement ou
@
.......
conflit quelconque .
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. LavandierYves, La Dramaturgie, Le Clown & !'Enfant, 2004.

66
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

La triade dramaturgique

Le protagoniste
Il s'agit de la personne ou du groupe en position de victime qui vit
directement le conflit et voit ses objectifs contrariés par des obstacles,
des individus ou des éléments perturbateurs qui se mettent en travers
de son chemin.

• Remarque : chaque personne est singulière et perçoit la réalité


vi
<lJ
selon ses propres représentations, opinions, jugements, croyances.
0
1....

w
>- Par conséquent, même si un grand nombre de réactions sont simi-
'<j"
.-t
0
laires, un même événement sera vécu différemment selon les indi-
N
@ "'
-5!! vidus. Chacun utilisera ses propres grilles de lecture et élaborera des
....... 0
..c >..
Ol
UJ
Q)
solutions qui lui sont propres pour tenter de rétablir son équilibre .
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ Exemple : Antoine, marié depuis vingt ans à Nathalie, père de trois enfants.

67
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Les objectifs
Au quotidien, nous poursuivons tous des objectifs multiples : assurer
nos besoins élémentaires et notre sécurité, respirer, marcher, appar-
tenir à un groupe, se sentir reconnu dans ce que nous sommes, pou-
voirs' exprimer, dire et être entendu, trouver l'harmonie en soi, vivre
des relations heureuses, créer, etc.
• Remarque : lorsque nos objectifs sont flous, complexes, démesu-
rés, inatteignables, irréalistes, irrationnels et non inscrits dans le
temps, nous potentialisons les risques de devenir des victimes et
d'attribuer la responsabilité de nos échecs aux autres, à la mal-
chance, au destin.

Exemple: Antoine attache une grande importance à l'équilibre de ses enfants


et à la quiétude de la vie familiale. C'est l'une de ses priorités dans la vie.

Les obstacles, éléments perturbateurs


Nous son1Illes interron1pus dans la poursuite de nos objectifs par la
survenue d'un événement soudain, inattendu, qui va constituer un
obstacle parfois insurmontable et générer un conflit. Ce conflit peut
être intérieur, entre des personnes ou concerner notre relation au
l{J monde ; il va produire une tension, un déséquilibre, une rupture
0
1....
>-
entre nos représentations, nos attentes, nos valeurs et la réalité.
w
'<j"
.-t
0
• Remarque : nous l'avons vu, les obstacles peuvent être de diffé-
N
@ rentes natures. Ils peuvent être le fait des autres, de la société mais
.......
..c
Ol aussi de la nature, du hasard ou de nous-mêmes. Certains obstacles
·;::::
>-
a. sont prévisibles et doivent appeler notre vigilance, d'autres ne le
0
u

68
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

sont pas. Si je décide de prendre ma voiture lors d'une ten1pête avec


des crues importantes, il est possible que je sois emporté par le
courant ou qu'un arbre m'écrase dans mon véhicule. En revanche,
je ne peux pas prévoir quel' autobus que je prends tous les jours va
finir sa route dans un ravin.Vivre dans la peur permanente d'un
danger imminent, ce n'est p as vivre. Croire que nous pouvons tout
contrôler dans notre environnement est une illusion qui fait de
nous des victimes en puissance.

Exemple: Nathalie retrouve Dominique, son premier amour de jeunesse, sur


un réseau social et apprend que celui-ci vient de divorcer. Elle renoue secrè-
tement le contact avec lui. Ils se rencontrent d'abord en toute amitié, mais
très vite une histoire amoureuse renaît entre eux. Lorsque Antoine apprend
cette liaison, c'est la douche froide. Il se sent victime de trahison de la part
de son épouse qui demande le divorce trois mois plus tard. Tout s'effondre.
Antoine pensait être un compagnon agréable et solide, il ressent un profond
sentiment d'injustice, puis très vite c'est la colère puis la détestation et le
désir de vengeance qui prennent le relais.

Le premier schéma peut être complété par le suivant, dans lequel


apparaît plus clairement le conflit et, p ar suite, les manifestations
émotionnelles qui en découlent pour la victin1e.
vi
<lJ
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1....

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-5!!
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u @

69
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Objectifs

Émotions

Exercices : conflit et émotions


Identifiez les éléments du conflit
* Vous avez été ou vous êtes actuellement victime d'un événement, d'un acci-
dent, d'un acte ou d'un fait, que ce soit dans votre vie au sens large ou dans
votre milieu familial, professionnel. Notez au crayon les composantes du
conflit ainsi que les émotions que cette réalité a provoquées chez vous.

1. Objectif
*Que visiez-vous? Que souhaitiez-vous qui n'a pu être réalisé? Quels sont
les buts que vous n'avez pu atteindre? Quelles sont vos représentations, vos
croyances ou vos valeurs personnelles qui ont été heurtées par cet événe-
ment que vous n'aviez pas prévu ou anticipé?
l/l
Q)

0
1-
>-
w
<j"
,..... 2. Obstacle
0
N *Pourriez-vous décrire, comme si vous étiez un(e)simpleobservateur(trice),
@
....... sans jugement ni évaluation, les obstacles, naturels, humains, matériels, éco-
~
O'I
ï:::
nomiques qui ont contrecarré vos objectifs? Décrivez des faits précis, loca-
>- lisés, datés. Essayez de vous r emémorer les éléments du contexte, des dé-
a.
0
u tails dans l'environnement.

70
AN ATOMIE DU SCÉN A RIO VICTIM AIRE

3. Conflit
* Un décalage, une tension, un choc, un affrontement, une rupture sont appa-
rus entre l'objectif que vous poursuiviez, les attentes que vous aviez et ce
qui s'est réellement passé.

Et vos émotions ?
1. Émotions
* Ce conflit a naturellement déclenché des réponses de votre corps et en-
gendré des émotions désagréables. Nommez ces émotions en distinguant
celles qui sont apparues sur le moment, dans les heures, puis dans les jours
et les semaines qui ont suivi. Choisissez les mots qui vous viennent à l'esprit
et qui décrivent le plus précisément possible ces émotions. Que ressentez-
vous aujourd'hui par rapport aux événements ?

2. Manifestations
* Comment ces émotions se sont-elles manifestées pour vous ?
• Au niveau physique (tremblements, mouvements de panique, accéléra-
tion du rythme cardiaque, etc.):

• Au niveau mental (qu'avez-vous pensé, que vous êtes-vous dit intérieure-


vi ment):
<lJ
0
1....

w
>-
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0
N
• Au niveau des comportements que vous avez adoptés en réponse (qu'avez-
@ "'
-5!! vous fait? quel a été votre premier réflexe?) :
....... 0
..c >..
UJ
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a.
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2
0 \..?
u @

71
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

3. Acceptation
*A-t-il été facile pour vous de répondre aux deux premières questions ?
Pourquoi ?

D'une manière générale diriez-vous que ...

*Cochez les lignes qui vous correspondent.


• Vous exprimez vos émotions sans honte. D
• Vous êtes capable d'identifier votre état émotionnel. D
• Vous comprenez ce qui se passe en vous quand vous ressentez
une émotion. D
• Vous êtes capable de composer avec cette émotion sans problème. D
• Vous avez tendance à minimiser vos émotions. D
• Vous avez tendance à réprimer vos émotions. D
• Vous êtes capable de lire les émotions des autres. D
• Vous savez aider les autres à composer avec leurs propres émotions. D

* Voulez-vous ajouter quelque chose?

Nos scénarios personnels


l{J Depuis n otre plus j eune âge et sans doute m êm e avant, n ous avon s
0
1...
>- emmagasiné une foule d'exp ériences et de souvenirs, fait des appren-
w
'<j"
..-t
tissages, en gran gé des connaissances, reçu une éducation, acquis des
0
N
@
automatism es de pensée, in tégré des structures hiérarchiques, des
.......
..c jugem ents de valeurs, des croyan ces.Notre cerveau a été façonné p ar
Ol
·;::::
>-
a.
no tre environnem ent social et culturel, bien plus que n ous n e pou-
0
u von s l'imaginer. Ces objets inconscients n ous h abitent et d éter-

72
ANATOMIE DU SCÉNARIO VICTIMAIRE

minent bon nombre de nos comportements et notre plan de vie.


Nous avons une image idéale de nous-mêmes que nous cherchons à
faire reconnaître par les autres pour répondre à nos besoins d'atta-
chement, d'an1our, de sécurité, de socialité. Ces scénarios personnels
ont un impact très important sur ce que nous somn1.es et sur la façon
dont nous percevons les choses. Ils résonnent en nous de façon sin-
gulière et la plupart du temps sans que nous les entendions. Certains
scénarios renforcent notre confiance en nous-mêmes et notre désir
d'action, d'autres ont endommagé notre estime et notre confiance
en nous-mêmes et dans les autres. Il est possible que ces derniers nous
disposent davantage à endosser le rôle de victime. C'est pourquoi il
est essentiel de con1.prendre comn1.ent nous fonctionnons et com-
bien nous son1.n1.es influencés par la part inconsciente de notre cer-
veau. C'est ce que nous allons voir dans la partie suivante.

vi
<lJ
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1....

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-5!!
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73
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u
DEUXIÈME PARTIE

Les freins qui nous


empêchent d'agir

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>-
Q.
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u
1
LES FREINS QUI NOUS EMPÊCHENT D AGIR

Je pose souvent cette question inspirée par une phrase du journaliste


et philosophe Alain à mes lecteurs et à mes auditeurs : « Chantez-
vous parce que vous êtes heureux ou bien êtes-vous heureux parce
que vous chantez ? » À votre avis, quelle est la réponse la plus perti-
nente ? Prenez s'il vous plaît le temps de réfléchir quelques secondes
sur ce sujet ...
Derrière cette question en apparence anodine se cachent deux vi-
sions radicalement différentes du monde et du fonctionnen1ent hu-
main qui ne s'opposent que si elles s'excluent: une conception men-
taliste et une conception matérialiste.
Selon la conception mentaliste, très ancienne, les individus sont cen-
sés agir en fonction de leurs dispositions internes, de leur mental. Ils
font ce qu'ils p ensent, ce sont leurs pensées, leur état d'esprit, qui
pilotent leurs actions et leurs comportements : «Je chante parce que
je suis heureux»; «Je suis loyal, c'est pour cela que je suis fidèle à m es
engagements » ; «Je n'ose plus parler à mon chef parce que je suis
victime de sa violence ».
vi
<lJ Dans la conception matérialiste, ce que les individus pensent découle
0

w
1....
>- directement de ce qu'ils font. Ce sont leurs actions et leurs compor-
'<j"
.-t tements qui déterminent leurs pensées et leurs dispositions internes,
0
N
@ "'
-5!!
et non l'inverse: «Je suis heureux parce que j e chante»; «Je n'ai j a-
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
Q)
mais trompé mon conjoint donc je suis fidèle » ; «Je n'ai jamais volé
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 personne, cela montre que je suis honnête».
0 \..?
u @

77
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Nous sommes portés à croire que la conception mentaliste est la plus


opérationnelle parce qu'elle nous paraît plus « logique », qu'elle bé-
néficie d'une antériorité historique, et que toute la démarche et
l'idéologie véhiculées par le courant de la psychologie traditionnelle
nous instille cette croyance exclusive, depuis des lustres, et pas à doses
homéopathiques ! Pas une émission, pas un magazine, pas un débat
sans qu'un psy de service ne soit convoqué pour se livrer au décor-
ticage analytique et à l'investigation de notre inconscient pour nous
expliquer que nos comportements découlent de nos fonctionne-
ments et de nos dispositions internes. Avec à la clé un catalogue de
troubles psychiques dont la liste ne cesse de s'allonger au fil de leurs
inventions.
Nous sommes littéralement submergés par cette conception qui pose
que pour aider une p ersonne à changer, il suffit de l'aider à penser
différemment, à inventorier les caves de son inconscient et à éplucher
ses souvenirs pour expliquer ses comportements, ici et maintenant.
Ce qui revient à faire du neuf avec du vieux! Un peu comme si nous
traversions la vie équipés de notre bagage psychologique et qu'en
cours de route nous jetions les objets usés ou inutiles pour nous en
procurer d'autres. Pour changer, il nous suffirait donc d 'identifier les
Vl
bons objets et d'évacuer les autres : «Mon fonctionnement personnel
<lJ
0
1...
fait de moi une victime potentielle face au premier pervers venu, il
w
>-
'<j"
faut que j e change d 'état d'esprit, que j'aie davantage confiance en
.-t
0
N
moi pour être armé contre ses prochaines attaques. »
@
.......
.c Cette dén1arche mentaliste présente sans doute un certain nombre
Ol
·;::::
>-
a.
d'avantages, mais elle est loin d'être suffisante car le passage des idées
0
u aux actes ne se présente pas de façon aussi mécanique. C'est ce qui

78
1
LES FREINS QUI NOUS EMPÊCHENT D AGIR

fait toute la difficulté du changement et la longueur des cures psy-


chanalytiques :j'ai connaissance du problème,je suis convaincu de la
nécessité de changer,je suis conscient de ce que je risque en ne bou-
geant pas et pourtant ... je ne fais rien, je ne change pas, les choses
continuent comme avant. Pourquoi ?
«Faire un travail sur soi»,« se poser les bonnes questions», autrement
dit analyser, expliquer, comprendre, raisonner et évaluer sont des
actions qui permettent d'accéder à la connaissance, qui est évidem-
n1.ent préférable à l'ignorance, à la pensée archaïque, à la facilité de se
laisser guider par des rails mentaux. Mais la connaissance est insuffi-
sante. Pour accéder au changement, il faut agir! Je vous pose laques-
tion : voulez-vous vous considérer comme une victime pour le res-
tant de vos jours ou bien être responsable de la réussite de votre vie
dont,je vous le rappelle, la durée est biologiquement limitée ?Je suis
convaincu que c'est la deuxième option qui vous intéresse. Pourtant,
malgré la rudesse des propos, changerez-vous pour suivre cette
orientation ? Assurément non. Seriez-vous faible, pusillanime, inco-
hérent avec vous-même ? Manqueriez-vous de volonté ? Je ne le
crois pas un seul instant.
Qu'est-ce qui vous fait défaut? Le passage à l'action! Qu'est-c e qui
vi
<lJ vous rend malheureux ? Les blocages, l' enfermement dans vos pro-
0
1....
>- blèmes, les réactions de défense,l'inhibition,la peur,l'agressivité diri-
w
'<j"
.-t
gée contre vous-même. Là commence le chemin.
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
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>-
a.
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79
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Ol
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>-
Q.
0
u
Chapitre

Vivre dans sa tête

« Ce qui trouble les hommes} ce ne sont pas les choses} mais les jugements
qu }ils portent sur ces choses.Ainsi} la mort n}est rien de redoutable} puisque}
même à Socrate} elle n}a point paru telle. Mais le jugement que nous
portons sur la mort en la déclarant redoutable} c} est là ce qui est redoutable.
Lorsque donc nous sommes traversés} troublés} chagrinés} ne nous en prenons
jamais à un autre} mais à nous-mêmes} c} est-à-dire à nos jugements propres.
Accuser les autres de ses malheurs est le fait d}un ignorant; s}en prendre à
soi-même est d}un homme qui commence à s}instruire; n}en accuser ni un
autre ni soi-même est d}un homme paifaitement instruit. »
vi
<lJ
0
1....
Épictète, Manuel.
w
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UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

81
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Savons-nous qui nous sommes?


Nous sommes au monde, nous pensons vivre dans le monde, embras-
ser la réalité telle qu'elle est, saisir chaque événe1nent dans ses
moindres détails. Comme nous l'avons vu, cette croyance est très
présomptueuse. Le monde dans lequel nous vivons se trouve d'abord
et avant tout dans notre tête, et notre boîte crânienne est un vase clos
qui produit des représentations, des simulations de la réalité qui nous
entoure. Le monde extérieur est bien présent, mais il est filtré et re-
constitué en permanence par des signaux électrochimiques dans
notre système nerveux.Par conséquent, il nous est très difficile d'avoir
une vision très précise du monde parce que nous ne prélevons qu'une
part infime des inforn1ations disponibles dans notre environnement.
Considérez ceci : vos perceptions sont comme les pièces d'un puzzle
incomplet que votre cerveau va faire en sorte de reconstituer pour
en faire un ensemble complet, une forme globale. Cette représenta-
tion n'est pas strictement superposable à la réalité.C'est pourquoi il
ni.e paraît indispensable que vous coni.preniez comni.ent tout cela
fonctionne afin que vous puissiez changer vos représentations et
remettre en question vos automatismes et vos croyances. Si vous ne
savez pas comni.ent marche votre cerveau, vous aurez toutes les peines
Vl
du monde à éviter les réactions de fuite ou d'abandon, les blocages
<lJ
0
1....
et les frustrations, inévitables, surtout lorsqu'on se trouve en position
>-
w
'<j"
de victime.
.-t
0
N Observez le schéma ci-dessous. Il décrit les trois processus à l' œuvre
@
.......
..c dans notre façon de percevoir, de nous représenter le monde et d'agir.
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

82
VIVRE DANS SA TÊTE

...................................
······················· ··············
·····················...
..······
...·············
·····--·······-.•..
.........................
·...
1. SENSATIONS 2. PERCEPTION
Informations extérieures ~

~
1 3. ACTIONS
•················
Ressentir ....
Dire •············ ...................
Agir ,..... ....·······
.......................... ...........................
··... ··...
···.... ......·······
······· ···········
·· .... ................................................ ....................

L'environnement

Nos sensations
Notre environnement est saturé de milliards d'informations qui nous
sont plus ou n1oins utiles pour maintenir notre équilibre biologique et
assurer notre survie. Par exe111ple, lorsque nous approchons la main
d'un objet brûlant, nous la retirons presque instantanément, cette in-
formation transmise par la peau est, dans cette situation, plus salutaire
vi
Q)

0
que le chant d'un n1oineau dans le tilleul voisin. Nous recevons ces
1-
>-
w informations, sous forme de stimulus, par nos sens 1 , sous réserve que
<j"
,.....
0
notre organisme soit en bon état pour le faire. Nos sens sont des sys-
N
@ "'
-5!!
....... 0
~ >..
LU
O'I
ï::: "'o. 1. Les cinq sens les plus connus sont le toucher, la vue, l'ouïe, l'odorat et le goût. Mais il
>- ::::i
a. 2
\.9
existerait d'autres sens conune l'équilibre, la proprioception (la perception du corps) ou
0
u @ la nociception (la perception de la douleur).

83
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

tèmes de réception, équipés de cellules sensitives qui vont capter ces


informations et transformer les signaux physiques en signaux chimiques
appelés neurotransmetteurs. Ces neurotransmetteurs convertissent à
leur tour ces informations sous forn1e de potentiel d'action (ou influx
nerveux) avant de les transn1ettre à notre systèn1e nerveux grâce aux
nerfs sensitifs. Sans les sens, qui fonctionnent en interaction, notre orga-
nisn1e n'aurait aucun moyen d'être relié au n1onde extérieur.

Notre perception
Les sensations sont interprétées par différentes régions spécialisées du
cerveau, la plus importante étant celle consacrée à la vision. Cepen-
dant,les sens prioritaires sont le toucher et le sens del' équilibre.Notre
système nerveux assure la perception, c'est-à-dire le traitement et la
représentation mentale des sensations immédiates reçues du n1onde
extérieur, en les complétant par des in1ages, des expériences liées à
notre histoire p ersonn elle, des éléments culturels, des souvenirs.
Lorsque nous avons vécu une situation traumatisante, p ar exemple
une attaque à main armée, tous les éléments qui nous rappellent cette
expérience, dans un autre contexte, sont susceptibles de provoquer
notre détresse, notre peur, notre sentiment d 'être à nouveau n1enacés.
Vl La mémoire joue donc un rôle essentiel dans notre vision des choses
<lJ
0
1....
puisqu'elle pourrait contribuer, d'après les recherches en neuros-
w
>-
'<j" ciences, à 99 % dans l'élaboration de nos perceptions, seul 1 % des
.-t
0
N informations venant s'ajouter par l'intermédiaire des sens.
@
.......
..c
Ol
La perception ajoute aux informations brutes l'intérêt et la compréhen-
·;::::
>-
a. sion. Notre système nerveux est particulièrement complexe, il effectue
0
u

84
VIVRE DANS SA TÊTE

pour chaque événement un travail de filtrage, de codage, de transfor-


mation, dans différentes aires cérébrales. Il peut ainsi falsifier l'informa-
tion et même annuler la réalité pour qu'elle se conforme à nos croyances.

Arveriz-vuos à lrie ces lneigs? Rein de puis nmoral, le cvaereu himaun est
capalbe de lrie des mtos, mmêe loqsrue les letters sont cmomenpeètlt
mléageéns. La selue cshoe qui cpmote, c'est que la prièemre et la dnreèire
lrtetes seonit à la bnone plcae. Énnnatot non?

Plusieurs processus sont à l' œuvre dans la perception.


• L'interprétation : elle organise les sensations et leur attribue un
sens en fonction de nos expériences passées, de notre éducation, de
nos croyances, de nos valeurs, de notre appartenance socioculturelle.
• L'attention : le système nerveux ne retient que les informations
qui lui paraissent intéressantes, qui pourraient lui être utiles, et fait
l'impasse sur les autres.
• La mémorisation : elle fixe les expériences et les souvenirs, les
retient, les reconnaît et les rappelle à tout moment.
Une perception n'est pas un assemblage de sensations agglutinées ou
d 'éléments séparés. Nous percevons les événements, les objets, les
vi individus de façon globale, comme des totalités. La perception de
<lJ
0
1....
formes et de structures devance l'analyse plus fine des détails 1 , comme
w
>-
'<j"
vous allez le constater sur l'illustration de la page suivante.
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>- :::J
a. 2
\..?
1. Cf. la gestalt-théorie, ou « théorie de la forme »,mouvement d'étude et de pensée alle-
0
u @ mand né au début du xxe siècle.

85
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Que voyez-vous d'en1blée? Un cube? Des points? J'imagine qu'il


s'agit pour vous d'un cube, pourtant cet objet n'est pas présent.Vous
avez perçu spontanément une forme.

L'action
Notre système nerveux est conçu pour nous permettre de préserver
notre équilibre biologique et nous maintenir en vie : répondre à nos
besoins fondan1entaux (respirer, boire, dorniir, s'alimenter, copuler),
l/l
fuir en cas de danger, nous défendre en cas d'agression, éprouver du
Q)

0
1..
bien-être, rechercher le plaisir, créer, etc. Chaque individu va donc
>-
w agir sur son environnement en lui transmettant de l'énergie et des
<j"
,.....
0
N informations. Compte tenu de nos perceptions et de nos représenta-
@
....... tions, qu'allons-nous dire, faire ou ressentir ? Quelles actions phy-
~
O'I
ï::: siques allons- nous mettre en œuvre : fuir face à un danger (réflexe) ,
>-
a.
u
0 nous déplacer d'un point à un autre, exécuter une tâche (mouve-

86
VIVRE DANS SA TÊTE

ments volontaires) ? De quelle manière allons-nous utiliser le lan-


gage pour communiquer des informations, influencer nos pairs,
délivrer nos représentations de la réalité ? Comment allons-nous
nous comporter au niveau non verbal? Qu'allons-nous concrète-
n1.ent ressentir? Le systèn1.e fonctionne comme une série de boucles
« perceptions-actions » interrompues car notre système moteur in-
fluence notre perception. En agissant sur notre environnement, nous
le modifions et nous sommes à notre tour affectés par les change-
ments que nous lui avons apportés. Ces boucles fonctionnent de
façon indéfinie sans que l'on puisse établir un point d'origine avec
une conséquence définitive. Tout évolue en permanence.

Sommes-nous responsables de ce que nous


sommes?
Grande question qui appelle une réponse qui va peut-être vous sur-
prendre : la plupart du temps, non.Neuffois sur dix nous fonctionnons
en n1.ode automatique et non avec notre pensée consciente. Il nous
serait d'ailleurs pratiquement impossible de faire autrement à moins
de disposer d'un cortex de la taille d'une montgolfière. Alors je suis
tenté de croire que nous ne somn1.es pas totalen1.ent responsables de la
vi façon dont fonctionnent nos sens, pas plus que nous ne pouvons faci-
<lJ
0
1....
lement n1odifier nos perceptions, changer le cours de notre histoire,
w
>-
'<j"
intervenir sur nos croyances, nos jugements, nos conditionnements,
.-t
0
N
nos valeurs, notre éducation. Tout ce qui relève du savoir, de l' expé-
@ "'
.......
-5!!
0 rience, de la connaissance, toutes ces choses appartiennent au passé et
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ ce passé n'est plus, par définition, modifiable. Or c'est avec ce bagage
>-
a.
:::J
2
u
0 \..?
@
que notre système nerveux fonctionne. N ous ne somn1es donc pas

87
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

foncièren1ent responsables des pensées que nous avons dans la tête, pas
plus que nous ne pouvons contrôler ou« gérer» nos émotions, ni évi-
ter les pièges du langage ou certaines de nos actions.
Est-ce une fatalité ? Je ne le crois pas davantage. Dès lors que nous
avons conscience de la façon dont fonctionne notre cerveau et de la
façon dont nous l'utilisons, les portes du change1nent s'ouvrent.
Nous remettons en question nos conceptions erronées et sommes en
mesure d'appréhender différemment notre environnement, d'agir
pour le transformer, de passer d'un mode de fonctionnement réactif,
fait de résistances et de freins, à un mode de fonctionnement actif qui
consiste à se rapprocher de la réalité, à modifier ses perceptions, à
focaliser son attention sur autre chose .Tout cela passe par la cons ci ence,
p ar l'engagement et par l'action.

Confondre la carte avec le territoire 1


Compte tenu de ce que nous venons de voir, nous pouvons considé-
rer que nous vivons d'abord et avant tout dans notre tête, avec des
cartes mentales, des représentations, des interprétations, des projec-
tions, des croyances, des sentiments, des pensées. Nous pensons habi-
ter le monde, prendre pied dans le territoire, en1brasser la réalité, alors
Vl
<lJ que nous ne fonctionnons que par abstraction perceptive, avec les
0
1....
>- b ases de données de notre n1émoire. L'inventeur de la sémantique
w
'<j"
.-t
générale 2 et linguiste Alfred Korzybski a créé l'aphorisme : «une carte
0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
1. Pour plus d'informations sur ce thème, cf. Carré Christophe, op. cit.
>-
a. 2. La sémantique générale est une logique de pensée gui rompt avec la logique d'Aristote et
0
u qui s'inspire de la théorie de la relativité d'Albert Einstein et de la physique guantigue.

88
VIVRE DANS SA TÊTE

n'est pas le territoire 1 »,pour illustrer la confusion fréquente et conflic-


tuelle entre deux niveaux : celui des sensations (le monde physique)
et celui des abstractions (les objets extraits du contexte p ar notre
système nerveux). D'un côté nous son1.mes dans un n1.onde silen-
cieux, celui du territoire, de la réalité, des indices ; de l'autre dans un
monde plus bavard mais moins dense, celui des perceptions, des inter-
prétations, des cartes, des symboles.Je pose souvent cette question, par
taquinerie, à mes interlocuteurs : quel bruit fait un arbre gigantesque
qui s'abat sur le sol s'il n'y a personne pour l'entendre? Sauriez-vous
répondre à cette question? En réalité,l' arbre qui tombe ne fait aucun
bruit, il appartient au monde du silence. Certes, dans sa chute, il pro-
voque des vibrations sonores, n1.ais sans « oreilles » vivantes, sans sys-
tème de réception pour capter ces vibrations et les transformer en
sensations, elles n'existent pas.Tout simplement.

Un monde tout en nuances


La sémantique générale ren1.et en question notre vision habituelle
souvent dualiste des choses. Non le monde n'est pas blanc ou noir,
juste ou injuste, vrai ou faux, victime ou coupable, gentil ou méchant,
il existe une infinité de variantes, de nuances. De la même façon la
vi carte Michelin n'est pas le territoire qu'elle représente, n1.ais une
<lJ
0
1....
abstraction, avec le tracé des voies de communication, le nom des
w
>-
'<j"
villes, les fleuves, etc.
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_
1. Korzybski Alfred, Une carte n'est pas le territoire, Éditions de l'Éclat, 2001. Scientifique,
>- :::J
a. 2
\..?
ingénieur et expert des services de renseignements,Alfred Korzybski (1879-1 950) déve-
0
u @ loppe ses recherches sur les sciences humaines après la Première Guerre mondiale.

89
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Nous disposons tous de nos cartes personnelles qui sont censées nous
rendre le monde lisible. Et si celles-ci se révèlent souvent utiles, lé-
gères et économiques, elles sont tout aussi incomplètes et tron1peuses
que la carte routière qui ne vous précise pas que vous allez mettre
deux heures de plus que prévu, avec votre voiture, pour parcourir les
quelques arabesques jaunes qui figurent entre deux points. Dans le
même ordre d'idées, nos cartes sont des abstractions issues de nos
p erceptions, de notre mémoire, de nos états émotionnels, de notre
modèle culturel. Elles nous pern1ettent de donner un sens à la com-
plexité du monde qui nous entoure, elles sont des 1nodélisations, des
réductions, des simplifications, des raccourcis cognitifs, mais cela
s'arrête là. Lorsque nous nous sentons victimes de quelque chose, il
nie semble important de bien garder cette idée en tête : les cartes sont
comme les images arrêtées d'un film. Nous ne pouvons p as com-
prendre un film avec une seule image, mais certaines images sont plus
parlantes que d'autres ... Certaines cartes dénotent une ouverture à
la complexité, elles sont plus proches du territoire, tandis que d'autres
le déforn1ent ou l'appauvrissent.Nous fonctionnons parfois avec des
cartes anciennes alors que la réalité du territoire est en perpétuelle
évolution. Dans ce cas, affinons nos cartes ou changeons-en !

Vl
<lJ
0
Généralisation, sélection et distorsion :
....
w
>- les processus réductifs
'<j"
.-t
0
N
Notre système n erveux dispose de trois principaux systèmes réduc-
@
.......
tifs qui nous permettent d'organiser les informations que nous pré-
.c
Ol
·;:::: levons dans notre environnement : la généralisation, la sélection et la
>-
a.
u
0 distorsion. Ces processus associés à notre mémoire interviennent

90
VIVRE DANS SA TÊTE

dans l'élaboration non consciente de nos cartes mentales parce qu'ils


sont adaptables, répétitifs et économiques. Ils fonctionnent de façon
avantageuse .. . sauf lorsqu'ils viennent perturber nos perceptions et
nous induire en erreur.

La généralisation
Généraliser consiste à prendre la partie pour le tout,à tirer des conclu-
sions générales à partir d'une expérience particulière. La généralisa-
tion participe également à l'élaboration de nos croyances : « Personne
ne se soucie de moi », « Les hommes ont tous un côté pervers », « Les
jeunes sont ingrats avec leurs parents ».Elle peut être très utile dans
le domaine del' apprentissage. Lorsque nous avons appris à faire de la
bicyclette sur un petit vélo rouge à 4 ans, sauf incapacité physique,
nous sommes en mesure de chevaucher n'importe quel engin de ce
type, quel que soit notre âge. De même, une fois comprise la résolu-
tion des équations à deux inconnues, inutile de réapprendre la tech-
nique chaque fois que les no1nbres changent. La généralisation peut
aussi nous éviter de reproduire les mêmes erreurs, par exemple,
lorsque nous avons observé que certains schémas relationnels pou-
vaient nous conduire à l'impasse amoureuse, nous pouvons utiliser la
vi généralisation pour prévenir les revers désagréables.
<lJ
0

w
1....
>- Cependant, la généralisation nous conduit aussi à commettre cer-
'<j"
.-t taines confusions ou à tirer des conclusions qui nous paraissent lo-
0
N
@ "'
-5!!
giques alors qu'elles sont biaisées. Par exemple, si vous êtes victime
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
Q)
de harcèlement sexuel de la part de votre employeur, cela ne signifie
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 pas que tous les einployeurs sont à mettre dans le même sac.J'ai pour-
0 \..?
u @

91
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

tant connu des personnes qui, après avoir subi une telle expérience,
vivaient dans l'angoisse qu'elle ne se reproduise dans une autre entre-
prise. Il s'agit là d'une généralisation abusive dont il est souhaitable
de prendre conscience. Il est naturel que notre systèn1e nerveux
n1.ette en place des dispositifs destinés à nous éviter de revivre des
événements traumatisants, à condition de ne pas sombrer dans l'irra-
tionnel et d'aller contre nos intérêts, ce qui nous renverrait à la sur-
victimisation.

Conseil
Méfiez-vous donc des généralisations abusives. Replacez les choses dans leur
contexte et forgez vos opinions en vous appuyant sur des faits concrets, tan-
gibles et vérifiés à plusieurs reprises. Acceptez de revoir votre copie en cas
d'erreur de jugement ou d'appréciation. Face à une situation, à une per-
sonne, à un événement quelconque, évitez de vous programmer comme si
vous saviez par avance comment les choses allaient se passer. En agissant de
cette manière nous produisons souvent ce que nous souhaitons éviter.
Retenez que les généralisations abusives commencent souvent par ces mots:
« personne ne ... », «tous (toutes) les... sont... », « chaque fois que ... », « c'est
toujours ... qui ... »,« tout le monde sait que... », etc.

Vl
<lJ
La sélection
0
1....
>- Nous avons vu que nos sens et notre système nerveux procédaient à
w
'<j"
.-t un sérieux élagage dans l'ensemble des informations disponibles
0
N
@
dans notre environnement.C'est une chance. Si nous devions traiter
.......
..c
Ol
tous les stimulus les uns après les autres, nous n'aurions pas assez
·;::::
>-
a. d ' une vie pour analyser les informations reçues en une seule journée.
0
u

92
VIVRE DANS SA TÊTE

Et nous aurions toutes les chances de finir notre vie sous les roues
d'un camion ou dans une tranchée. Le processus de sélection est
donc indispensable pour éliminer les informations superflues et ne
conserver que celles qui sont indispensables parce qu'elles nous per-
n1.ettent de vivre, de satisfaire nos besoins, d'entretenir de bonnes
relations avec nos proches, etc. Les problèmes apparaissent lorsque
nous ne retenons que les informations qui nous arrangent ou qui
nous confortent dans nos mythes, dans nos croyances ou nos juge-
ments hâtifs. Ils se poursuivent lorsque nous ne prêtons pas attention
aux inforn1.ations qui pourraient se révéler salutaires et nous aider à
changer nos représentations. Par exemple, si je ne retiens de mes
journées que les élén1.ents qui me confirment dans mon statut de
victime, sans relever ceux qui me permettraient de voir les choses
différemment,j'opère des sélections limitantes. Il existe sans doute
quelques expériences, si petites soient-elles, qui font que ma journée
n'est pas complèten1.ent maussade ou fichue. Quelles sont-elles ?
Le langage se prête naturellement à toutes les sélections et aux for-
n1.ulations « à trous ».Quand je déclare par exemple « Il faut que je
sois fort pour supporter ça », il manque des informations : Dans
A.

quelle situation? Pour supporter quoi? Qui a dit qu'il le fallait? Etre
vi
fort, ça veut dire quoi ? Comment cela se traduit-il en termes d' ac-
<lJ
0
1....
tions concrètes ? Quels sont l'objectif poursuivi et le résultat atten-
w
>-
'<j"
du ? Idem quand j e dis «Je stresse »,le verbe est flou : Dans quelles
.-t
0
N
situations ? À quels moments ? Quelles sont les manifestations phy-
@ "'
.......
-5!!
0 siques et mentales de ce stress ?
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

93
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Conseil
Les sélections sont inévitables, mais restez lucides. Ne conservez pas unique-
ment les informations qui vousconfortentdansvotre posture ou vos croyances
et qui vous figent dans le passé. Efforcez-vous aussi de sélectionner des élé-
ments qui vont vous permettre un autre regard, une autre approche de la réa-
lité. Chaque fois que vous tournez en rond autour de vos problèmes, je vous
invite à noter sur une feuille quelques observations plaisantes que vous aurez
faites dans votre journée, et qui n'ont strictement rien à voir avec les pro-
blèmes en question.

La distorsion
Nos perceptions amènent irmnanquablen1ent leur lot de distorsions.
Une distorsion est une déformation, une interprétation, une struc-
turation ou une transformation des informations qui nous pro-
viennent de notre environnement. Encore une fois, les distorsions
font partie intégrante du fonctionnement de notre système nerveux.
Elles nous permettent de donner du sens aux événements, de vivre
de façon cohérente et harmonieuse, de créer, de faire des projets, de
résoudre des problèmes, d'imaginer des solutions, de faire appel à
notre passé, de nous projeter dans l'avenir, etc. Par exemple, lorsque
Vl
<lJ
nous recadrons une expérience difficile pour l'observer sous un autre
0
1....
>-
angle et considérer ce qu'elle nous a pu nous apporter de positif, nous
w
"<j-
.-t
effectuons une distorsion.
0
N
@ La distorsion devient problématique dès lors qu'elle nous entraîne
.......
..c
Ol sur le chemin des interprétations abusives, en total décalage avec la
·;::::
>-
a. réalité des faits. Si je dis par exemple «Martin ne m'aime pas parce
0
u

94
VIVRE DANS SA TÊTE

qu'il est raciste » ou « Il a ri,je suis sûr qu'il se moque de n1oi »,ou
encore« Les gens m'observent bizarrement parce que je suis dans un
fauteuil roulant », j'attribue aux comportements de ces personnes
des significations qui peuvent être fausses,je leur prête des intentions
qui ne sont peut-être pas les leurs. Autrement dit, je pratique un
exercice périlleux - la lecture de pensée - en plus d'exercer une
certaine forme de violence contre moi-même. Est-ce que le fait que
l'on ne se sente pas aimé par quelqu'un (ce qui reste à prouver) signi-
fie automatiquement qu'il est raciste ? Le rire est-il systématique-
"
ment associé à la moquerie ? Etre observé bizarre1nent, n'est-ce pas
une interprétation subjective ? Vous observent-ils parce que vous
êtes dans un fauteuil roulant, parce qu'ils sont émus, parce qu'ils vous
trouvent du charme ?
La distorsion excessive appelle rapidement de lourdes difficultés
relationnelles, le sentin1ent d'être menacé voire persécuté par les
autres, la perte de confiance en soi, l'irritabilité. Elle compromet
toute velléité de changement personnel et peut provoquer une accu-
n1ulation d'émotions désagréables qui risquent de vous rendre ma-
lade ou de vous exploser à la figure.

vi Conseil
<lJ
0
1....
>- Lorsque vous commettez des erreurs d'interprétation, j'ai bien conscience
w
'<j"
.-t
que vous ne le faites pas par plaisir ou par volonté de vous nuire personnel-
0
N lement. Souvent ce processus échappe à votre conscience et vous tirez des
@ "'
-5!!
....... 0 conclusions trop rapides de ce que vous observez. Lorsque la distorsion se
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ mêle à la généralisation et à la sélection, les choses sont pires encore car les
>-
a.
:::J
2
0 \..? processus se renforcent mutuellement... Je vous invite à faire preuve de vigi-
u @

95
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

lance avec les mots« donc» et« parce que», qui établissent des connexions
logiques entre deux éléments qui sont parfois totalement étrangers l'un à
l'autre.« Il rit donc il se moque de moi. »« Il détourne les yeux parce que je
suis moche.» Vous n'êtes pas dans la tête des gens, il vous est impossible de
savoir ce qui s'y passe exactement ni ce qui motive leurs comportements. Leur
poser directement la question ou leur faire part de votre interprétation pour
qu'ils la valident ou l'infirment peuvent être des solutions, sous réserve qu'il
n'y ait pas d'agressivité de votre part et que vous présentiez votre interpréta-
tion comme un ressenti et non comme une vérité. Repérez vos distorsions et
essayez plutôt d'imaginer toutes les raisons qui peuvent être à l'origine des
comportements des gens. Plus vous en trouverez, plus vous prendrez
conscience que les distorsions peuvent nuire à votre équilibre.

Exercice : vos processus réductifs


*Cherchez dans votre mémoire trois situations dans lesquelles vous estimez
avoir été victime de processus réducteurs. Notez vos réponses.

1 . Généralisation
* Vous avez tiré des conclusions de façon trop rapide et vous vous êtes
trompé(e).

Vl
2. Sélection
<lJ
0
1...
* Vous avez négligé une information importante et cela vous a posé problème.
>-
w Par exemple vous n'avez pas vu (ou pas voulu voir) qu'une personne se compor-
'<j"
.-t
0
tait de façon inacceptable avec vous et vous vous êtes laissé(e) dominer.
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

96
VIVRE DANS SA TÊTE

3. Distorsion
*Vous avez transformé la réalité à votre détriment. Par exemple vous avez
prêté des intentions à une personne et il s'est avéré par la suite que vous vous
étiez trompé(e).

Commentaire

*Avez-vous éprouvé des difficultés à réaliser cet exercice? Je dois recon-


naître à votre corps défendant qu'il n'est pas aisé de pointer ses biais per-
sonnels et ses déviations de jugement. Je vous invite dorénavant à être
attentif(ve) à ces processus réductifs chaque fois que vous parviendrez à
les identifier chez vous-même ou chez les autres. Entraînez-vous à recadrer
les choses, à vous poser la question qui pourrait dégonfler la croyance, à
observer la réalité avec davantage de lucidité. Par exemple ...

Processus Croyances Recadrages


« N 'y a-t-il pas dans mon entourage
« Tout le mo nde se
des gens qui m' ont un peu plus
Généralisation moque de ce que j' ai
écouté que d' autres, des personn es
enduré. »
en qui je peux garder confiance? »
« Par rappo rt à quels autres
« Je vais mal en ce
Sélection moments ? Depuis combien de
mo ment. »
temps ? Quand allais-je mieux ? »
« Me l'a-t-il dit? En quoi le fait qu' il
vi « Mon conjoint ne me
<lJ ne me regarde plus signifie-t-il qu' il
0 regarde plus, il est
1....
>- Distorsion est gêné ? Quels sont les autres
w gêné par mo n
facteurs qui pourraient susciter sa
'<j" handicap. »
.-t
0
gêne?»
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

97
(/)
(J)

0
'-
>-
w
'<j-
M
0
N
@
_,_,
..c
Ol
ï::::
>-
Q.
0
u
Chapitre

Émotions : richesses
et désagréments

Vivre sans émotions ferait de nous des machines froides, logiques et


fort ennuyeuses. Les émotions sont littéralement ce qui nous pousse
à entrer en mouvement, à agir. Elles fonctionnent comme des mo-
teurs très puissants, nous devons par conséquent être attentifs aux
soins que nous leur apportons et prendre garde aux sorties de route
parfois imprévisibles.Agréable ou désagréable, une émotion est une
réponse organique et physique associée à un état affectif complexe
vi
<lJ
dont le rôle est de nous permettre de nous adapter aux situations que
0
1.... nous rencontrons. Par leur caractère plutôt « explosif », les én1otions
w
>-
'<j" ont des effets très contagieux sur nos actes, nos pensées, nos discours,
.-t
0
N et p euvent nous conduire dans certaines situations à adopter des
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
comportements excessifs ou irrationnels.
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

99
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Lorsque nous soni.mes victimes d'un événement pénible, quel qu'il


soit, nous allons éprouver des émotions désagréables : peur, culpabi-
lité, colère, agressivité, honte, mépris de soi, sentiment d'impuissance,
haine, tristesse, désespoir, etc. Comment accueillir ces émotions sans
les laisser nous subni.erger par leur puissance ? Comment faire en
sorte qu'elles ne soient pas des obstacles à l'action? Que faire pour
n'être ni indifférent, ni résistant, ni obsédé face à ses émotions? Peut-
on et doit-on« gérer» ses émotions, les fuir, les combattre, les domi-
ner? Comni.ent les mettre efficacement au service de nos objectifs?
Co1nment les faire glisser vers des sentini.ents mesurés, plus adé-
quats?

Ni bonnes ni mauvaises, nos émotions existent


tout simplement
Dans les sociétés occidentales, l'approche des émotions est assez pa-
radoxale. Souvent niées, refusées, réprimées, étouffées ou suspectes
(exprimer totalement nos émotions a souvent pour effet de faire le
vide autour de nous, hurler sa colère en tapant du poing contre les
murs ou exploser de joie de façon hystérique sont des attitudes qui
provoquent généralement la gêne), nos émotions sont aussi devenues
Vl
des objets de luxe pour les experts du marketing, les publicitaires et
<lJ
0
1...
les médias, qui s'ingénient à les activer pour accroître l'efficacité de
w
>-
'<j"
leur communication et leurs ventes : émouvoir, surprendre, impli-
.-t
0
N
quer, choquer, faire rire ou rêver sont, entre autres, des stratégies qui
@
.......
ni.archent. C'est ainsi, les éni.otions font vendre ! Et il est impossible
.c
Ol
·;:::: de les empêcher d'être là, d'exister, parce qu'elles font partie de la
>-
a.
u
0 réalité du monde physique.

100
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

Plus ou moins soudaines (en général plutôt soudaines), plus ou moins


durables (assez souvent de courte durée), nos émotions ne sont pas
des vues de l'esprit. Elles se traduisent par des manifestations corpo-
relles et biologiques bien réelles et observables qui nous servent en
principe à agir. Elles ne sont pas des défaillances, des signes de fragi-
lité ou de sensiblerie, des obstacles ou des erreurs de parcours. Par
exemple, si un bolide fonce sur vous, vous ressentez instantanément
de la peur, votre corps tout entier va mettre en place des réactions
physiques de n1obilisation (décharge d'adrénaline, accélération du
rythme cardiaque, élévation de l'acuité mentale et visuelle, baisse de
la sensibilité à la douleur, production d'énergie) et vous allez en
quelques fractions de seconde sauter dans le fossé pour éviter le dan-
ger. La peur vous a permis de prendre la fuite et de sauver votre peau,
sans passer par la voie consciente du système nerveux.Avez-vous eu
le choix de ressentir de la peur? Naturellement non.Avez-vous eu
raison d'avoir peur? La question ne se pose pas.Votre système ner-
veux a pris le relais bien avant que la raison ne s'en mêle.

Fièvre émotionnelle
Je fais souvent cette analogie entre les émotions et la fièvre. La fièvre
vi est à la fois un symptôme : la température de n1on corps s'élève, par
<lJ
0
1....
conséquent je peux supposer que je suis victin1e d'une infection.Elle
w
>-
'<j"
est aussi un début de solution : cette hyperthermie va contribuer à
.-t
0
N éliminer le microbe, le virus ou la bactérie qui sont à l'origine de la
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
fièvre. Dans le même ordre d'idées, les émotions ont un sens dans la
UJ
Ol
·;::::
>-
Q)
Q_
:::J
mesure où elles nous apportent une information sur les effets que
a. 2
u
0 \..?
@ produisent des événements sur notre équilibre personnel et notre

101
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

état interne. Elles ont aussi une fonction : nous fournir tous les élé-
ments dont nous avons besoin pour passer à l'action. Si nous négli-
geons ces informations, si nous inhibons notre passage à l'action, par
exemple pour conserver une image socialement acceptable, un désé-
quilibre se produit entre notre corps et notre esprit, ce qui provoque,
la plupart du temps, une souffrance après coup. Du reste, ces émo-
tions réprimées s'inscrivent physiquement dans notre corps et
p euvent se réactiver dans des situations analogues.

On ne gère pas ses émotions, on les accueille


Gérer sa vie, son potentiel, sa relation de couple, ses conflits, ses res-
sources intérieures, son stress, ses angoisses, ses émotions, etc. Notre
obsession forcenée du contrôle nous pousse à vouloir tout adminis-
trer comme nous administrons notre budget familial, l'entretien de
la voiture, nos affaires ou notre compte en banque. Il s'agit là d'une
vision gestionnaire, d'inspiration capitaliste, qui suppose que nous
pourrions augmenter un capital personnel en faisant quelques « bons
placements ». Or on ne « gère » pas davantage ses émotions que son
bonheur ou sa vie personnelle. On les accueille, on les reconnaît, on
les comprend, on les analyse, on essaie d'en tirer le meilleur. Si nous
Vl changeons, si la situation change, si nous modifions notre regard sur
<lJ
0
1...
cette situation, notre émotion évolue ou disparaît. C'est par cette
w
>-
'<j" voie que nous pouvons envisager de capter nos émotions.
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

102
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉS AGRÉMENTS

Exercice : chantez vos émotions

* Le chant est une communication universelle avec soi-même et avec le monde


que nous expérimentons tous avant même d'accéder au langage articulé. Les
bébés babillent, gazouillent, chantent leurs besoins et sont apaisés par les
berceuses. Le chant favorise le bien-être et la santé et permet de canaliser
ses émotions. Depuis la nuit des temps, les hommes ont utilisé sa puissance
apaisante pour exprimer leurs bonheurs, leurs plaintes, leurs conflits, leur
tristesse, leur nostalgie et soulager leurs souffrances. Selon la légende,
Orphée aurait même, grâce à la douceur de son chant, envoûté les divinités
de l'enfer pour sauver son épouse Eurydice, mordue par un serpent.
*Chanter est un acte salutaire qui peut se pratiquer n'importe où, n'importe
quand, même en faisant le ménage ou la vaisselle, et qui ne nécessite ni for-
mation ni talent particulier. Tout le monde sait chanter. De nombreux
muscles du visage et de la bouche sont mobilisés ainsi que l'ensemble du
système respiratoire, le diaphragme, les muscles de l'abdomen, etc. Du
reste, les vibrations créées par la voix résonnent dans chaque partie de
notre corps. Quand nous chantons, nous sommes physiquement présents au
monde, ici et maintenant, nous mettons nos souvenirs et nos problèmes en
veilleuse et nous nous retrouvons présents en nous-mêmes. Notre voix nous
fait entendre et libère nos barrières intérieures.
• Relaxez-vous, fermez les yeux, inspirez et expirez par le nez et suivez
la progression de l'air jusque dans le bas de l'abdomen. Ne forcez pas vos
inspirations et expirations. Laissez les choses se faire en douceur.
• Prononcez le son [s] jusqu'au bout de votre souffle.
• Chuchotez votre prénom, comme si vous vous appeliez.
vi
<lJ
0 • Chantez votre prénom.
1....
>-
w • Chantez les lettres de votre prénom en étant attentif aux vibrations
'<j"
.-t
0
produites par chaque lettre.
N
@ "'
-5!! • Vocalisez en essayant de traduire une émotion particulière: joie, peur,
....... 0
..c
Ol
>..
UJ colère, tristesse, dégoût.
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 * Chantez souvent, doucement, en marchant dans la nature, en faisant la
0 \..?
u @ cuisine, etc.

103
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Nos émotions nous parlent de nous


Facilitatrices de nos actions, nos én1otions sont aussi des indicateurs
de satisfaction de nos besoins et de réussite de nos objectifs. Quand
nos besoins sont satisfaits, ou nos objectifs atteints, nous ressentons
des émotions agréables (plaisir, joie, euphorie, extase, admiration).
Quand nos besoins sont insatisfaits, quand nos objectifs sont empê-
chés ou annulés, si nous avons le sentiment que quelque chose ne
« colle »pas, que nous sommes face à un événement dans lequel notre
équilibre est menacé, nous ressentons des émotions désagréables
(peur, tristesse, dégoût, colère, honte, culpabilité, embarras, anxiété,
angoisse, crainte, doute, gêne, humiliation, mépris, rage, terreur, pa-
nique, timidité, abattement, chagrin, désespoir, etc.). Personne n'aime
souffrir, c'est la raison pour laquelle nous faisons notre possible pour
éviter de ressentir les émotions désagréables. Mais lorsqu'elles sont
là, il est fâcheux de les occulter ou de chercher à les fuir, par exemple
en abusant de l'alcool, des drogues ou des anxiolytiques, ou en ten-
tant de les supprimer par l'hyperactivité, le gambling 1•
Nos émotions spécifiques nous livrent également des informations
particulières sur la nature du déséquilibre. Par exemple, la colère et
l'agressivité sont souvent les indices d'un événement vécu comme
Vl
<lJ
un obstacle, la tristesse peut être induite par un vide, une perte, un
0
1....
>-
manque, la p eur signale un danger, réel ou imaginaire, etc.
w
'<j"
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0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1.Jeux de hasard et d'argent.

104
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

Ressentir une émotion : une expérience subjective


Nous pensons, de façon un peu hâtive, que nos émotions et notre
humeur résultent des faits et des événements extérieurs.C'est géné-
ralement une erreur : c'est davantage la représentation que nous
avons d'une situation, associée aux pensées qui nous habitent, qui
font que nous ressentons telle ou telle émotion. D'ailleurs deux per-
sonnes différentes ne vivront pas un n1ême événement de la n1ên1e
n1anière et elles n'en auront pas la même expérience émotionnelle.
Des personnes peuvent se remettre d'un traumatisme grave tandis
que d'autres seront effondrées à la moindre contrariété.

Exercice : votre météo émotionnelle

*Chaque jour, entraînez-vous à repérer vos états émotionnels, agréables ou


désagréables, et à les noter sur un cahier. Essayez d'identifier le besoin, satis-
fait ou non, l'objectif atteint ou manqué qui sont à l'origine de ces émotions.

A-t-il été
Votre émotion Votre besoin ou obiectif
satisfait?

Exemple: je suis Je voulais passer une journée sans consommer


Non .
en colère. d'alcool.

vi
<lJ
0
1....

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0
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-5!!
....... 0
..c >..
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Ol Q)
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:::J
2
0 \..?
u @

105
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

L'influence des émotions sur nos fonctions cognitives


L'adjectif cognitif vient du latin cognitus qui signifie « connu ».Les
fonctions cognitives nous permettent d'accéder à la connaissance
mais, plus largen1ent, elles regroupent un ense1nble d'états et de pro-
cessus mentaux qui nous permettent de percevoir et d'identifier une
situation, d'utiliser nos savoirs et nos expériences antérieures pour
acquérir de nouvelles informations, trouver une solution à un pro-
blème ou accomplir une tâche. Notre éducation, l'ensemble de nos
connaissances, de nos jugements, de nos croyances et de nos repré-
sentations symboliques, tout cela relève des fonctions cognitives et
détermine la façon dont nous pensons.
Pourquoi nous souvenons-nous plus facilement de certains événe-
n1ents quand d'autres restent enfouis au fin fond de notre mémoire ?
Parce que nos émotions influencent la façon dont nous percevons le
monde. Plus des événements provoquent en nous des émotions in-
tenses, que celles-ci soient agréables ou désagréables, plus notre mé-
moire les fixe. Toutefois, dans le cas des émotions désagréables, notre
mémoire a tendance à être convergente, c'est-à-dire à se focaliser sur
des détails précis, tandis que dans le cas des émotions agréables elle
fonctionnera de façon divergente, en percevant les événements de
l{J façon plus globale.
0
1...

w
>- Selon ce même principe, nos façons de pensée sont également affec-
'<j"
.-t
0
tées par nos émotions. Lorsque nous éprouvons une émotion désa-
N
@ gréable, notamment lorsque nous sommes victimes de quelqu'un ou
.......
.c
Ol
·;::::
de quelque chose, nous nous concentrons davantage sur des points
>-
a.
0
précis, notre pensée est plus analytique. Quand nous ressentons une
u

106
ÉMOTIONS RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

émotion agréable, nous son1.mes moins attentifs aux détails et nous


voyons la situation de façon plus globale. Nos interprétations sont
elles aussi colorées par nos émotions. Lorsque celles-ci sont agréables,
nous avons tendance à voir les choses sous un meilleur jour.
Lorsqu'elles ne le sont pas, nous sommes plus enclins à noircir le ta-
bleau, à interpréter négativement ce qui nous arrive.

Nos émotions parlent de nous


Parce qu'elles n1.odifient nos comportements, nos attitudes, notre
gestuelle, nos postures, nos expressions faciales, l'intonation et le dé-
bit de notre voix, nos émotions parlent aussi de nous, au sein de ce
que le psychologue américain Daniel Golen1.an nomme l' « écono-
n1.ie émotionnelle 1 ».Nous sommes en permanence interconnectés
émotionnellement avec les autres. Avant n1.ême que nous n' échan-
gions le moindre mot, les autres sont capables, avec plus ou moins
d 'habileté, de déceler ce que nous ressentons et, de la n1.êm e manière,
nous avons accès à leurs états intérieurs, en premier lieu grâce aux
expressions de leur visage.Nos circuits neuronaux sont équipés pour
que nous puissions partager des émotions et celles-ci sont très conta-
gieuses.Avez-vous observé qu'une personne qui pleure peut nous
vi faire monter les larmes aux yeux , que le rire joyeux des autres peut
<lJ
0
1....
provoquer notre hilarité et que nous riions avec eux ? Les émotions
w
>-
'<j"
des autres activent en nous les mêmes circuits émotionnels, de la
.-t
0
N m êm e façon que nos émotions influencent les leurs ...
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ 1. Goleman D aniel, C ultiver l'intelligence relationnelle, Robert Laffont , 2009.

107
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Lorsqu'ils' agit d'émotions agréables, cela ne pose guère de problème.


De même, lorsque nous prenons nos jambes à notre cou parce que
nous observons des signes de panique sur le visage d'une personne,
indice probable d'un danger imminent, la contagion émotionnelle
peut nous tirer d'un mauvais pas. En revanche, « lorsque quelqu'un
déverse sur nous des émotions toxiques - explosion de colère, paroles
n1enaçantes, manifestation de dégoût ou de mépris-, il ou elle active
en nous les circuits de ces mêmes émotions. Son acte a des consé-
quences neurologiques puissantes 1 »,observe Daniel Coleman. Par
conséquent, soyons attentifs aux effets que certains « déversements »
émotionnels négatifs peuvent produire sur nos relations avec les
autres, que ceux-ci soient de notre fait ou pas. Cela est d'autant plus
vrai lorsque nous sommes en position de vulnérabilité ou de fragilité
psychologique à la suite d'un événement traumatisant. Imaginez
qu'une personne vous réponde par le sarcasme, alors que vous ressen-
tez une profonde tristesse, en vous disant par exemple «Bouge-toi un
peu au lieu de te morfondre sur ton sort, tu as l'air d'une loque ».

Des émotions universelles


D'un bout à l'autre de la terre, quelle que soit l'origine sociale et
Vl culturelle des individus,leurs expressions faciales émotionnelles sont
<lJ
0
.... universelles, au moins pour sept grandes fanülles d'émotions de base :
w
>-
'<j"
le bonheur, la tristesse, la colère, le dégoût, la peur, la surprise et le
.-t
0
N mépris. Seules les croyances, les normes sociales ou les pratiques
@
.......
.c
culturelles expliquent qu'elles soient exprimées ou pas. Cela signifie,
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. Ibid.

108
ÉMOTIONS RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

par exemple, que nous sommes en n1esure de saisir, de façon à peu


près certaine,les émotions d'un papou de Nouvelle-Guinée à travers
les expressions de son visage.
Il faut remonter à nos lointains ancêtres cueilleurs et chasseurs pour
comprendre le rôle essentiel de nos émotions dans notre connexion
avec les autres. Soumis au nomadisme pour assurer leur subsistance,
ceux-ci devaient faire face à de nombreux dangers, exigeant de leur
part une réponse rapide et adaptée. Pas le temps de s'attarder devant
un anin1al féroce ou sous des cieux déchaînés. Leur capacité à déchif-
frer instantanément les signaux de détresse ou de peur dans les ex-
pressions faciales de leurs congénères était vitale.

Exercice : souriez

* Les expressions du visage peuvent influencer les émotions et même les pro-
voquer. Se sourire à soi-même, dès le réveil, sourire aux anges comme les bé-
bés, sourire à la vie, aux autres, sourire vraiment, de façon sincère, représente
une véritable source d'apaisement et d'élimination des pensées négatives.
*Pas moins de 17 muscles du visage entrent en jeu dans le sourire. Lorsqu'ils
sont activés, le cerveau évalue positivement notre humeur. La contraction de
ces muscles entraîne des modifications hormonales et notamment une baisse
du taux de cortisol, l'hormone du stress, et la libération de calmants natu-
vi
<lJ
rels : endorphine et sérotonine. Le sourire amène également une diminution
0
1....
du rythme cardiaque, une baisse de la tension artérielle et un relâchement
w
>- musculaire. Le sourire nous rend plus attirants, il est contagieux et renforce
'<j"
.-t notre système immunitaire. Il serait dommage de s'en priver!
0
N
@ "'
-5!!
• Peu importe que vos premiers sourires soient un peu forcés.
....... 0
..c >..
UJ Même quand vous n'en avez pas envie, essayez de sourire. Un sourire
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
obligé deviendra vite un sourire réel.
0 \..?
u @ • Le matin, souriez-vous devant votre miroir.

109
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

• Respirez calmement, imaginez une situation plaisante et souriez.


• Feuilletez votre album de famille et souriez en vous remémorant des
événements agréables.
• Fermez les yeux, imaginez une personne que vous aimez et souriez-lui.
• Souriez aussi avec vos yeux. Le fameux sourire de Duchenne1 qui associe
un sourire sincère avec un plissement des muscles situés autour des yeux
est le plus efficace.

,
Emotions instinctives, émotions cognitives
Les émotions peuvent être, comme dans l'exemple ci-dessous, pro-
voquées par les situations pertinentes :
Je suis en danger de mort ~je saute dans lefossé.
Elles sont instinctives et pilotées p ar une p artie du cerveau qui s'ap-
p elle le complexe amygdalien . Elles p euvent aussi être le fruit d e n os
constructions mentales et de nos pensées :
Je dois prendre la parole devant 3 OO personnes, j e vais baf ouiller,) ' aurai l'air
ridicule ~ je ressens de l' angoisse, de la peur.

On parle alors d 'émotions cognitives. À l' origine de ces émotions,


nous retrouvons tout ce qui relève des croyan ces, des pensées auto-
m atiques ou dysfonctionnelles2 •
Vl
<lJ
0
1...
>- Principales caractéristiques des pensées dysfonctionnelles
w
'<j"
..-t • Elles sen1blent aller de soi .
0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
1. Du n om de G uillaume D uchenne de Boulogne, neurobiologiste du x 1x" siècle qui
>-
a. conduisit des expériences sur l'expression faciale des émotions.
0
u 2. Cf. chapitres 4 et 6.

110
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

• Elles ont l'air parfaitement logiques.


• Elles sont machinales et spontanées.
• Elles se répètent.
• Elles sont souvent excessives ou irrationnelles.
• Elles nous enferment dans des cercles vicieux.

Les 14 types de pensée dysfonctionnelle 1


1. Le principe du tout ou rien: c'est blanc ou noir,je gagne ou je
perds, tu as raison ou tu as tort, une victime ou un coupable.
2. Les faux liens de causalité :j'ai échoué donc je suis nul.
3. La généralisation abusive : mon père refuse de me parler, personne
.
ne m ' aime.
4. La sélection négative :je ne vois que ce qui va mal, les manques,
les absences.
5. La déconsidération du positif: il me dit que je suis belle mais il ne
le pense pas vraiment, il dit ça pour me faire plaisir.
6. La lecture de pensée : il me sourit, mais au fond de lui je sais bien
qu'il ne m'aime pas.
7. La dramatisation :j'ai perdu les clés de ma voiture, c'est horrible
vi
<lJ
0
ce qui. m ' arnve.
.
1....

w
>-
'<j"
8. La n1inimisation : mon roman a été retenu par un grand éditeur,
.-t
0
N j'ai eu pas mal de chance.
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ 1.Adapté de D avid Burns et Aaron Beck.

111
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

9. Les prophéties autodestructrices :je pense que je vais échouer, que


les autres vont me détester.
10. L'étiquetage négatif :je suis un raté.
11. Les fausses obligations: il faut que ... j e dois .. .
12. Le raisonnement émotionnel :je nie sens tellement n1al, c'est le
signe que je ne m'en sortirai jamais.
13. Le poids du passé : tout ce qui m'arrive vient du fait que j 'ai eu
une enfance difficile.
14. La personnalisation : si ma femn1e m'a quitte pour un autre
homn1e, c'est totalement de ma faute ; si mon fùs se drogue, c'est
parce que je ne me suis pas assez occupé de lui à l' adolescence.
Bon nombre de nos émotions désagréables sont les fruits de nos
p ensées dysfonctionnelles. Le chemin à parcourir pour les réduire se
présente comme suit :

•Identifier la situation
•Reconnaître l'émotion

•Rechercher les croyances et les pensées


Vl automatiques associées
<lJ
0
1...
•Comprendre leur incidence émotionnelle
w
>-
'<j"
.-t
0
N •Les remplacer par une pensée rationnelle
@ •Évaluer le résultat/ ressentir une nouvelle émotion
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

112
ÉMOTIONS RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

Devinette 1

* Une batte et une balle coûtent ensemble 1 dollar et 10 cents. La batte


coûte 1 dollar de plus que la balle. À votre avis combien coûte la balle?
Commentaire
*Avez-vous répondu 10 cents? Cette réponse semble évidente. Pourtant
vous êtes tombé(e) dans le panneau. Vous avez intuitivement donné une ré-
ponse fausse, comme plus de 50 % des étudiants ayant répondu à cette ques-
tion. La réponse exacte est 5 cents. La batte valant 1,05 dollar. Une illustra-
tion de plus de l'idée que nous pensons être des individus parfaitement
rationnels, alors que nous ne le sommes pas tant que ça, parce que nous utili-
sons des raccourcis mentaux qui, s'ils ont l'avantage d'être rapides et écono-
miques, ne nous conduisent pas moins à commettre de grossières erreurs.

Physiologie des émotions


Si vous avez répondu 10 cents à la devinette, c'est votre système 1,
c'est- à-dire la« route basse» de votre cerveau qui a traité cette infor-
m ation. Si vous avez trouvé la bonne réponse, c'est grâce à votre
systè1ne 2, aussi appelé « route haute » du cerveau 2 .

Route haute et route basse


Pour simplifier, la route basse est celle du cerveau émotionnel, la
vi
route haute celle du cerveau rationnel, de la pensée consciente.
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N 1. Tirée des travaux de Daniel Kahneman, prix Nobel d 'économie et professeur de psy-
@ "'
-5!!
....... 0 chologie à Princeton.
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_
2. La terminologie système 1 /systèm e 2 est utilisée par D aniel Kahnem an , celle de « route
>- :::J
a. 2
\..?
basse » (lou1 roaJ) et route haute (high road) est empruntée à Joseph LeDoux, professeur
0
u @ au Centre des scien ces neuronales de l'Université de New York.

113
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Lorsque le thalamus reçoit les informations captées par nos sens,


celles-ci empruntent en parallèle les deux circuits.
La route basse est beaucoup plus courte et instantanée, elle est rapide,
intuitive et émotionnelle. Les messages sont directement transmis à
l'amygdale qui constitue une sorte de système d'alerte. C ' est l' an1yg-
dale en effet qui nous permet de ressentir les réactions d'autrui et de
réagir presque instantanément à la présence d'un danger, avant même
que nous ayons conscience del' origine d'un événement. Imaginons
qu'une déflagration sourde et puissante déchire le ciel, nous sursau-
tons immédiatement. Mais ce n'est que quelques secondes plus tard
que nous con1.prenons qu'il s'agit de l'onde de choc provoquée par
un avion à réaction. Notre amygdale a pris en charge l'information
et l'a directement transmise, via la route basse, aux ganglions de la
base 1 qui ont déclenché une réponse soudaine : le sursaut.
L'information reçue emprunte parallèlement la route haute. Celle-ci
réagit après coup, replace l'information dans son environnement et la
régule.En début de parcours,les deux circuits se chevauchentjusqu' au
thalamus. Ensuite l'information transite vers le cortex cérébral2 et
notamment vers une région du cerveau située au-dessus des orbites
et nommée le Cortex orbitofrontal, ou COF. C'est est en quelque
Vl
<lJ
0
....
w
>-
'<j"
.-t 1. C es amas de cellules nerveuses situés sous le cortex j o uent un rôle déterminant dans la
0
N sélection et l' exécution des actions appropriées.
@
......
.c
2. Le cortex (ou écorce cérébrale) est la partie supérieure du cerveau. Il est composé d'une
Ol
·;:::: substance grise périphérique en globant les hémisphères cérébraux à la manière d'un
>-
a. bonnet de bain. Il est divisé en aires, chacune assurant une fonction spécifique. Le cortex
0
u est notamment le siège du langage et de la raison.

114
ÉMOTIONS RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

sorte le centre exécutif du cerveau. Il intervient dans le processus de


décision, évalue les informations et nous permet d'apporter des ré-
ponses conscientes et adaptées.L'amygdale est alors inforn1ée et pro-
duit les réponses ad hoc. Elle fonctionne de son côté en parallèle avec
l'hippocampe 1, dont elle est géographiquen1ent toute proche.
L'hippocampe joue le rôle de médiateur. Il procède à l'archivage des
nouveaux souvenirs des événements vécus, prend en charge le trans-
fert des souvenirs de la mémoire à court terme via la mémoire à long
terme, et mobilise ceux qui sont engrangés depuis nos premières
secondes d'existence dans les systèmes de mémoires 2 situés dans dif-
férentes régions du cerveau. Il serait également capable de détecter
les événements, les lieux et les sensations nouvelles. Même s'il est
impliqué dans le circuit de la route haute, l'hippocampe fonctionne-
rait indépendamment de la conscience. Son rôle est de coop érer avec
le cortex pour comparer la situation que nous vivons au présent à des
«banques de données» dans lesquelles sont stockés les souvenirs issus
de nos expériences antérieures. Lorsque nous avons déjà connu une
expérience analogue,l'hippocampe transfère l'information à l' amyg-
dale afin qu'une réponse adaptée soit mise en œuvre. La route haute
rejoint ensuite la basse.
vi
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N 1. Les hippocampes cérébraux (un dans chaque h émisphère) ont la forme du poisson du
@ "'
-5!!
....... 0 même nom. Ils font partie du système limbique et jouent un rôle essentiel dans la mé-
..c >..
Ol
UJ
Q) moire. Ils font partie des premières structures cérébrales atteintes dans la maladie
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 d' Alzheimer.
0 \..?
u @ 2. En effet l'hippocampe ne stocke pas les souvenirs et les expériences.

115
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Le schéma ci-dessous vous permet de comprendre les deux n-iodes


de traitement des informations par le cerveau, avec à gauche la route
haute (les flèches larges) et à droite la route basse (les flèches niinces) .

Évènen1ent

Cortex
orbitofrontal

Hippoca1npe

( Réponse J
Vl
<lJ
0
1....
Voie thalamo-amygdalienne (route basse) et voie
>-
w
'<j"
thalamo-cortico-amygdalienne (route haute)
.-t
0
N
@
.......
Faire de nos émotions des alliées
..c
Ol
·;::::
>- Que pouvons-nous retenir de ces enseignements et comment exploi-
a.
0
u ter ces processus pour accueillir, comprendre et accepter nos émotions

116
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

et en faire des alliées ? La physiologie des én1otions est extrên1ement


complexe et les deux circuits interagissent en pern1anence. La route
basse, celle des émotions, fonctionne en mode auton1atique, à notre
insu, de façon globalisante, à très grande vitesse et sans que nous ayons
à produire des efforts particuliers. La route haute, celle qui passe par le
cortex, nous den1ande davantage d'efforts, de réflexion, de calcul, elle
est plus méthodique. Et même si elle a la possibilité de contrôler la
route basse, elle se laisse souvent dépasser par elle, notan1ment en rai-
son de sa lenteur et de son tempéran1ent paresseux. En fait nous pen-
sons être conscients de ce que nous faisons, alors que nos choix, nos
jugements, nos comportements et nos attitudes résultent la plupart du
temps du travail de la route basse et de la mén1oire associative qui
fonctionnent de concert, de façon très efficace n1ais approximative,
parce qu'elles recherchent des cohérences dans notre environnement
alors qu'elles n'y sont pas forcément . Dans cette situation votre objec-
tif doit être d'utiliser la pensée consciente, la route haute, pour dépro-
gramn1er les auton1atisn1es de la route basse afin de lui faire « entendre
raison», pour reprendre une expression de Daniel Golen1an.
Les points suivants vous aideront à accueillir et à analyser de façon
consciente vos émotions et à prendre de meilleures décisions.
vi
<lJ
• Déconnectez le pilotage automatique de la route basse en prenant
0
1....
>- conscience de votre ressenti.
w
'<j"
.-t
• Exercez-vous à identifier et à non1mer vos émotions.
0
N • Souvent les én1otions désagréables sont mixtes et con1posées d'un
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
mélange de colère, de tristesse et de peur. Entraînez-vous à évaluer
Ol Q)
·;::::
>-
a.
Q_
:::J
2
les différentes composantes (voir plus loin, fiche d'autoévaluation
0 \..?
u @ de Beck).

11 7
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

• Soyez attentif(ve) à leurs manifestations physiques: arrêtez-vous et


observez ce qui se passe en vous, laissez une place à l'émotion.
• Respirez calmement. Laissez l' én1otion se développer.
• Notez le cas échéant vos stratégies d'évitement ou de répression
des émotions : « Qu'est-ce que je cherche à éviter ou à fuir ? Par
quels moyens?»
• Identifiez les besoins insatisfaits, les valeurs ou les objectifs contrariés.
• Prenez conscience des causes extérieures mais aussi de l'influence
de la mén1oire, des souvenirs, sur ce que vous ressentez.

Exercice : quand le cœur prend les commandes


*Le cœur est un organe essentiel de notre corps qui dispose de son propre
système nerveux. Il est capable d'échanger des informations avec le cerveau
et notamment avec les régions du thalamus, de l'amygdale et du cortex. C'est
la raison pour laquelle, lorsque vous avez peur ou que vous êtes en colère,
votre cœur s'emballe. Mais ce que vous ignorez peut-être c'est que le cœur
peut, lui aussi, influer sur le fonctionnement de votre cerveau: lorsque vous
abaissez le rythme des battements de votre cœur et que vous atteignez ce
que l'on appelle la cohérence cardiaque, vous stimulez votre système nerveux
parasympathique et vous apaisez vos émotions. Pratiquez l'exercice suivant
trois fois par jour.
• Asseyez-vous confortablement sur une chaise, le dos bien droit, les
Vl
<lJ pieds à plat sur le sol.
0
.... • Prenez votre pouls au niveau de la gouttière du poignet avec le majeur de
w
>-
'<j" votre main opposée. Comptez le nombre de battements pendant vingt
.-t
0
N
secondes.
@
.......
Ensuite pratiquez une respiration lente. Expirez sans forcer par le nez
.c
Ol
·;::::
puis inspirez doucement, toujours par le nez, pendant cinq secondes.
>-
a. Marquez une courte pause puis laissez l'air s'échapper de vos poumons
0
u (comme s'il s'agissait d'un ballon à peine gonflé qui se dégonfle de lui-

118
ÉMOTIONS: RICHESSES ET DÉS AGRÉMENTS

même) pendant cinq secondes. Marquez une courte pause puis inspirez
de nouveau, toujours sur le même rythme.
• Poursuivez l'exercice pendant trois minutes et contrôlez à nouveau votre
pouls. Si votre rythme cardiaque s'est abaissé, c'est que l'exercice a
marché. Il est possible que votre premier exercice ne soit pas probant,
mais persistez! Vous constaterez qu'au bout de deux ou trois essais, cela
fonctionne parfaitement.
*Vous pouvez associer cette méthode à une émotion positive, à la visualisa-
tion d'un paysage, d'une fleur ou d'un visage qui vous est cher. Peu importe.
Vous pouvez aussi sourire ou chanter sur une seule note, bouche fer mée,
pendant l'expiration.
*Avec de l'entraînement, vous pourrez pratiquer la mise en cohérence car-
diaque à n'importe quel moment de la journée, au travail, dans votre voiture,
etc.

Disjoncteur émotionnel
D ans le cas de traumatismes graves, de violence insensée ou d' agres-
sion, lorsque l'intégrité physique et psychologique de la victime est
enj eu et qu e celle- ci n 'a p as la p ossibilité de fuir la situation, le niveau
de stress passe en zon e rou ge et le systèm e nerveux n1et en place un
système de déconnexion des émotions pour éviter les séqu elles
graves sur l'organism e ou la m ort. La victime est sidérée et littérale-
m ent h ors d'elle-mêm e. Ce systèm e de sauvegarde extrêm e lui p er-
vi met de survivre, mais il blo que le processus de mémorisation de
<lJ
0

w
1....
>- l' évén ement au niveau de l'amygdale et pro duit un stress p ost-
'<j"
.-t traumatique qui enferm e la p ersonne dans un cercle vicieux, celle-ci
0
N
@ "'
-5!!
n 'ayant plus m on1entan ém ent la possibilité de faire appel à la pensée
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
p our relativiser les ch oses .
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

119
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Exercice : autoévaluation de Beck 1

*Cet outil va vous permettre de trouver l'apaisement en vous aidant à ratio-


naliser vos pensées conscientes. Vous pouvez faire des copies de cette grille
et les utiliser chaque fois que vous êtes confronté(e) à un problème.
*Comment utiliser cette grille?
• Dans la colonne n° 1, décrivez l'événement à l'origine de votre ressenti
désagréable en termes concrets et précis, sans jugement ni évaluation.
• Dans la colonne n° 2, analysez votre ressenti général désagréable en le
décomposant selon trois composantes émotionnelles : la part de colère,
la part de tristesse, la part d'anxiété et éventuellement une autre émo-
tion complémentaire : honte, culpabilité, dégoût, etc. Évaluez ces émo-
tions sous forme de pourcentage. Dans la dernière ligne, évaluez l'inten-
sité globale du ressenti.
• Dans la colonne n° 3, identifiez la pensée automatique ou dysfonction-
nelle à l'origine des émotions désagréables. Dans la dernière ligne, notez
votre niveau de croyance dans cette pensée.
• Dans la colonne n° 4, au regard de cette pensée automatique, imaginez
une ou des réponses rationnelles qui vous permettent de recadrer la
pensée automatique, de l'annuler, de voir les choses de façon plus prag-
matique face à la situation qui vous préoccupe. Dans la dernière ligne,
évaluez votre degré de croyance dans ces pensées rationnelles.
• Dans la colonne n° 5, analysez votre nouveau ressenti maintenant que
vous avez identifié vos pensées automatiques et trouvé des réponses
rationnelles à cet événement. Dans la dernière ligne, évaluez l'intensité
Vl
<lJ globale de ce nouveau ressenti.
0
1....

w
>- * Pour vous aider, posez-vous les questions suivantes :
'<j"
.-t • Qu'est-ce qui me prouve que ce que je pense est vrai?
0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a. 1.Aaron Temkin Beck est un psychiatre américain, professeur à l' université de Pennsylva-
0
u nie. Il est considéré comme le fondateur de la thérapie cognitive.

120
ÉMOTIONS RICHESSES ET DÉSAGRÉMENTS

· N'y a-t-il pas des situations dans lesquelles cela pourrait être un peu
moins vrai?
• Est-ce que je me base sur des faits réels ou sur des interprétations?
• Comment mon père, ma mère, mon patron, mon conjoint, mon collègue ou
toute autre personne verraient la situation s'ils étaient à ma place?
• Comment pourrais-je envisager les choses différemment ?
• Si cette pensée était vraiment fondée, quelles en seraient les consé-
quences concrètes ?

Exercice

Autoévaluation de Beck 1
Cet outil va vous permettre de trouver l'apaisement en vous aidant à rationaliser vos
pensées conscientes. Vous pouvez faire des copies de cette grille et les utiliser
chaque fois que vous êtes confronté à un problème.

vi
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>- :::J
a. 2
\..?
1.Aaron Temkin Beck est un psychiatre américain, professeur à l'Université de Pennsylva-
0
u @ nie. Il est considéré comme le fondateur de la thérapie cognitive.

121
Copyright© 2014 Eyrolles .

.......
N
N

Date d'observation :
1. Situation 2. Émotions 3.Pensée 4. Réponse S. Résultat
ressenties automatique rationnelle
Préciser: Quelle est la Quelle est la pensée Réévaluation de la
pensée automa- rationnelle qui peut croyance dans la pensée
tique qui a déclen- répondre à la pensée automatique
ché l'émotion ? automatique? )>
C')

Tristesse: % Tristesse : % ::0

Colère : % Colère : % "0


c:
::0
Anxiété: % Anxiété : % z
m
...... .... .... % .............. % "c:
r-

Le cas échéant, nouvelles VI

VI
émotions ressenties : c:
cc
::0

Intensité globale du Niveau de Niveau de croyance Intensité globale de


ressenti croyance dans la dans la pensée l' émotion après analyse
pensée automatique rationnelle
% % % %

©Groupe Eyrolles
Chapitre

Ne pas agir : le plus sûr chemin


pour rester victime

Nous l'avons vu, généralisation, sélection et distorsion sont les trois


principaux processus à partir desquels nous élaborons, en lien avec
notre mémoire, des modèles du monde dans lequel nous vivons. Ces
processus sont essentiels à notre vie, ils augmentent nos performances,
n1.ême s'ils nous posent parfois de sérieux problèmes. Les raccourcis
se révèlent parfois être des impasses ...
Les chercheurs en sciences cognitives et en psychologie sociale ont
vi
<lJ identifié sous le terme de biais cognitifs de nombreux autres schémas
0
de pensée non conscients propres à l'esprit humain qui occasionnent
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
systématiquement des erreurs de perception, d'évaluation ou de ju-
N
@ "'
-5!!
ge1nent. Pour approfondir notre compréhension des mécanismes en
....... 0
..c >..
UJ jeu, passons rapidement en revue quelques- uns de ces biais.
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

123
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Des schémas de pensée trompeurs

Je le savais ! Le biais rétrospectif

«Dès les premiers jours où j'ai rencontré cette personne, j'aurais dû me dou-
ter qu'elle n'était pas faite pour moi. Il était évident que les choses allaient
se passer de cette manière. Je le savais depuis le début.»

Cette tendance à estimer après coup que les choses étaient prévisibles
s'appelle un biais rétrospectif. Souvent, nous procédons à une relec-
ture du passé et nous sélectionnons des éléments qui auraient dû
nous mettre sur la voie, alors que nous n'avions aucune raison objec-
tive de le faire, ni même le moindre indice permettant d'anticiper le
cours des choses ou l'issue de la relation. Ce schéma de pensée n'ap-
porte rien d'autre que de la culpabilité et des «j'aurais dû », des « si
j'avais su», qui risquent de nous faire tourner pendant des années en
circuit ferni.é. Si vous êtes face à ce type de fonctionnement, relevez
les événements qui tendent à démontrer que d'autres issues étaient
possibles, que le scénario n'était pas écrit d'avance.

C'est à cause de ... ! Le biais de causalité


Vl
<lJ
0
«Si j'ai sombré dans l'alcool, c'est à cause de mes parents qui étaient ivres
1....

w
>- morts tous les soirs quand j'étais enfant.»
'<j"
.-t
0
«Si je suis anorexique, c'est à cause de mon père qui ne m'a jamais montré le
N
@ moindre signe d'affection.»
.......
..c «Si je manque de confiance en moi, c'est à cause de ma mère qui était une
Ol
·;::::
>- femme autoritaire.»
a.
0
u

124
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

Parfois, notre volonté de connaître la vérité et notre manie d'établir


des connexions en apparence logiques entre une cause A et des effets
B virent à l'obsession et produisent des prophéties qui finissent par
se réaliser. Il s'agit là d'une vision déterministe qui consiste à pointer
des événen1ents dans le passé pour expliquer d'autres événen1ents,
concernant d'autres individus, dans un autre temps et dans un autre
contexte, sachant que les mêmes causes ne produisent pas toujours
les mêmes effets selon les personnes. Lorsque vous tournez le robinet,
l'eau coule, il y a un lien de causalité directe entre les deux événe-
ments. En revanche, les systèmes non linéaires paraissent difficile-
ment prédictibles. Chercher une explication transgénérationnelle à
vos problèmes, explorer l'inconscient familial relève selon moi de
l'extrapolation la plus totale. De nombreuses pratiques psychothéra-
peutiques s'appuient sur ces postulats ; leur efficacité tout autant que
leur intérêt pour les victimes restent à prouver.

Les choses se confirment : le biais de confirmation

«Il m'a dit que j'étais très bien habillée mais que le jaune ne m'allait pas, c'est
typique du vampire affectif.»

Dérivé de la sélection, le biais de confirmation décrit cette tendance


vi que nous avons à rechercher ou à privilégier les informations qui
<lJ
0
1....
>- vont dans notre sens, qui renforcent nos croyances ou nos hypothèses,
w
'<j"
.-t et à négliger celles qui les contrarient.
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c
Ol
>..
UJ L'autocomplaisance
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..? «J'ai réussi à m'arrêter de fumer parce que j'ai une volonté d'acier.»
u @

125
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Nous avons besoin de conserver une image positive de nous-n1êmes,


c'est pourquoi, lorsque nous faisons quelque chose de bien, lorsque nous
réussissons, nous attribuons notre succès à nos qualités personnelles.

«Je n'arrive pas à me passer du tabac, c'est normal: tout le monde fume dans
mon entourage.»
En revanche, lorsque nous sommes en situation d'échec, nous avons
tendance à trouver des explications extérieures, à faire porter le cha-
peau aux autres.

«J'ai arrêté de fumer mais je n'ai aucun mérite, j'ai utilisé des patchs.»
Parfois le processus s'inverse lorsque nous nous sentons victimes et
que nous avons une mauvaise image de ce que nous son1n1es, nous
devenons durs, sévères avec nous-mên1es.

Conseil

Quand nous avons ce dernier type d'attitude, il pourra être utile d'activer de
façon consciente le biais d'autocomplaisance afin de reprendre confiance en
nous, de systématiser l'usage de pensées ou de phrases du type« je fais des
choses bien parce que je suis quelqu'un de valable»,« j'ai échoué mais c'est
dû à des conditions extérieures que je ne contrôle pas. » Cette question est
Vl
<lJ reprise au chapitre 7.
0
1....

w
>-
'<j-
.-t
0
N
L'auto-handicap
@
.......
«Je vais passer cet examen, mais il est réputé difficile. Seuls 10 °10 des candi-
..c
Ol
·;:::: dats ont été reçus l'année passée. Les correcteurs sont très durs et les sujets
>-
a.
0 souvent hors programme.»
u

126
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

L'auto-handicap consiste à mettre en avant, et préalablement à une


action, tous les obstacles qui pourraient nous empêcher de réussir
afin de disposer de ressources extérieures pour justifier d'un éventuel
échec.C'est un moyen de nous protéger et de conserver une bonne
image de nous-mêmes : en anticipant les problèmes et les difficultés
qui ne sont pas de notre fait, nous n'aurons pas besoin par la suite
d 'invoquer des causes personnelles. Cette pratique, utilisée de façon
consciente, est à déconseiller parce qu'elle nous focalise mentale-
ment sur les obstacles, pas sur l'objectif visé et les conséquences posi-
tives attendues.

L'ancrage mental et l 'eff"et de halo

«La première impression est toujours la bonne» ...


. . . c'est du moins ce que nous avons l'habitude de croire. En réalité
nous éprouvons des difficultés à nous séparer de notre première im-
pression, bonne ou mauvaise, qui est en quelque sorte ancrée en
nous. Ce biais cognitif qui se traduit par un manque d'ajustement à
la réalité peut nous amener à commettre des erreurs.C'est la raison
pour laquelle nous verrons plus loin qu'il est souhaitable de désacti-
vi
ver ces ancres pour en installer d'autres, plus avantageuses.L'effet de
<lJ
0
1....
halo s'associe à l'ancrage mental lorsque nous n e sélectionnons que
>-
w
'<j"
les informations qui viennent confirmer cette première impression.
.-t
0
N
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
Le statu quo
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0
u
\..?
@
«On sait ce que l'on perd, on ignore ce que l'on gagne.»

127
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Tout changement nous semble potentiellement porteur de dangers,


nous avons peur de l'inconnu et nous avons tendance à négliger les
avantages qui pourraient en découler.C'est pourquoi nous préférons
généralement rester dans une position figée : nous résistons pour
ni.aintenir le statu quo et ne pas changer. Des victimes peuvent ainsi
le rester toute leur vie par crainte de la nouveauté.

La tendance à revenir sur le passé

«L'expérience est une lanterne que l'on porte sur le dos et qui n'éclaire jamais
que le chemin parcouru.» (Confucius.)
Nous pouvons avoir de bonnes raisons de revenir sur le passé, notre
système nerveux travaille d'ailleurs en permanence, comme nous
l'avons vu, avec des figures acquises antérieureni.ent.Tous nos savoirs,
toutes nos connaissances, toutes nos expériences constituent des ar-
chives précieuses dont nous ne pouvons nous passer. Percevoir, c'est
relier le passé au présent, un passé qui redevient présent en quelque
sorte ... Cependant, la tendance à revenir systématiquement sur le
passé, notamment lorsque celui-ci est douloureux, lorsqu'il renvoie
à un présent pénible et à un avenir chargé de peur et d'angoisse, peut
s'avérer néfaste pour les personnes qui ont été victimes. La réactiva-
Vl
<lJ
0
tion perpétuelle des mauvais souvenirs, les regrets, les reni.ords entre-
1....
>-
w tiennent la culpabilité et la honte. La réactivation d'un passé heureux
'<j"
.-t
0
N
pour pallier un présent difficile éveille la nostalgie et présente les
@ mêmes inconvénients. Rappeler en boucle le passé peut s'avérer
.......
..c
Ol
·;:::: sclérosant pour aborder le présent dans son originalité, évoquer
>-
a.
0 l'avenir dans sa nouveauté. Il est impossible de piloter correctement
u

128
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

une automobile en gardant les yeux rivés sur les rétroviseurs, à moins
de faire du sur-place.Je vous laisse méditer ce texte de Paulo Coelho :
«Il est tellement important de laisser certaines choses disparaître. Des'en
libérer. Des' en difaire. Il faut comprendre que personne ne joue avec des
cartes truquées, paifois on gagne, et paifois on perd. N'attendez pas que l'on
vous rende quelque chose, n'attendez pas que l'on reconnaisse vos efforts,
que l'on découvre votre génie, que l'on comprenne votre amour. Vous devez
clore des cycles. Non parfierté, par incapacité, ou par orgueil, mais
simplement parce que ce qui précède n'a plus sa place dans votre vie.
Fermez la porte, changez de disque,faites le ménage, secouez la poussière.
Cessez d'être ce que vous étiez, et devenez ce que vous êtes 1• »

La preuve par les autres

«Je fais comme les autres pour être sûr de ne pas me tromper.»
Quand nous ne savons pas quelle attitude adopter ou ce qu'il faut pen-
ser dans telle ou telle situation, nous observons les autres et nous nous
conformons à leur comporten1ent, à leur opinion, à leurs règles, à leurs
valeurs, à leurs normes, comme si le fait qu'ils soient partagés par un
grand non1.bre était la preuve irréfutable de leur recevabilité et de leur
vi validité.Au fond, nous imaginons de manière un peu instinctive que le
<lJ
0
1....
conformisme et l'imitation des autres nous pern1ettront d'éviter de
w
>-
'<j"
commettre des erreurs. Généralen1ent ce type d'attitude est écono-
.-t
0
N mique, rassurant et gratifiant. Nul besoin de réfléchir à d'autres
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
conduites : opinions, comportements et perceptions sont taillés sur
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ 1. Coelho Paulo, Le Zahir, Paris, Flammarion, 2005.

129
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

nlesure ; inutile de créer des conflits dans la comn1unauté ; notre sécu-


rité nous semble assurée ; pas besoin de prendre le risque d'être rejeté
par nos pairs.En imitant complaisamment ce qu'ils font , en calquant nos
pensées sur les leurs, en adoptant leurs attitudes, en leur ressen1blant,
nous avons le sentiment de vivre et d' être en harmonie avec les autres.
Cependant, dans certaines situations, le conformiste et la grégarité
aboutissent à des phénomènes d'incertitude et d'ignorance collective,
voire à des con1portements beaucoup plus dramatiques encore comme
l'endoctrinement sectaire ou le suicide collectif. L'histoire est cousue
d'événements qui montrent le danger du conformisme, par exemple
dans la tragédie nazie. Soyez bien conscient de ceci : les autres ne sont
p as toujours les garants de la vérité et les dépositaires d'opinions, d' at-
titudes et de comportements infaillibles. D'ailleurs ils sont eux aussi en
quête de preuves sociales dans leur environnen1ent. Lorsque vos pen-
sées et vos actions sont systématiquement soufflées ou dictées par les
autres, vous risquez d'être soumis à de faux n1auvais choix.

La soumission à l'autorité

«J'obéis les yeux fermés aux experts, aux personnes qui me semblent plus
Vl
intelligentes ou supérieures à moi, sans me poser de questions.»
<lJ
0
1....
>-
Pour Henri Laborit 1 , «dès la naissance l'individu est pris dans un cadre
w
'<j"
.-t
socioculturel dont le but essentiel est de lui créer des auton1atisn1es de
0
N pensée indispensables au maintien de la structure hiérarchique de la
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a. 1. Henri Laborit est un médecin-chirurgien, neurobiologiste et philosophe français connu
0
u pour ses travaux en neurosciences et en biologie comportementale.

130
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

société à laquelle il appartient1 ». Le principe de soumission à l'auto-


rité relève de ces automatismes qui peuvent nous an1ener à commettre
des erreurs.En effet, nous avons tendance à accepter avec la plus grande
facilité de nous soun1ettre aveuglément à une autorité, même si cette
sounlission nous trouble ou nous fait souffrir, même si cette autorité,
qui nous paraît légitime, ne l'est pas tant que ça2 ••• Cette obéissance
est culturelle : depuis notre plus tendre enfance, nous avons intégré des
schémas éducatifs et des codes sociaux dans lesquels l'autorité consti-
tue une composante essentielle de notre systèn1e pyran1idal. Les en-
fants obéissent à leurs parents et à leurs maîtres, les curés aux évêques,
les salariés à leur patron,les soldats à leurs lieutenants, etc.Nous sommes
influencés, le plus souvent de façon inconsciente, par ce forn1atage
in1posé par les systèmes auxquels nous appartenons.L'obéissance est
louable, l' insounlission intolérable.
Si la soumission à l'autorité présente un certain nombre d'avantages
pour la vie en société, elle devient problématique lorsqu'elle n'est
plus fondée sur le respect et la reconnaissance implicite des individus,
nlais sur des rapports de domination. Obéir de façon automatique à
des gens qui disposent d'une expertise ou d'une autorité supposées
sans réfléchir, notamment lorsqu'ils nous demandent des actions qui
vi nous posent de sérieux problèmes de conscience, tout cela concourt
<lJ
0
1....
à faire de nous des victimes impuissantes et soumises.
w
>-
'<j"
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0 1. Laborit Henri, La Nouvelle Grille, Folio, 1986.
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_
2. Dans les années 1960, le psychologue social américain Stanley Milgram a évalué le degré
>- :::J
a. 2
\..?
d'obéissance d' un individu devant une autorité médicale et mis en évidence le processus
0
u @ de soumission à l'autorité.

131
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Exercice vos schémas trompeurs et automatismes


de pensée

*J'imagine que vous avez connu un certain nombre de désagréments, impu-


tables à ces raccourcis mentaux, au cours de votre vie. Pourriez-vous iden-
tifier des exemples personnels concrets pour chacun de ces dix schémas ?
Si vous bloquez sur un item, passez au suivant. Vous pouvez naturellement
relire les paragraphes précédents en cas de besoin.

• Je le savais ... !:

• C'est à cause de... :

• Les choses se confirment:

• Autocomplaisance :

• Auto-handicap :

• Ancrage mental et effet de halo :

· Statuquo:

Vl
<lJ • Tendance à revenir sur le passé :
0
1....

w
>-
'<j"
.-t • La preuve par les autres :
0
N
@
.......
..c • Soumission à l'autorité :
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

132
NE PAS AGIR : LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

L'inhibition de l'action
Au début des années 1970, le professeur Henri Laborit a conduit
plusieurs expériences qui ont démontré que, quand on ne peut, de
façon durable, ni fuir ni lutter face à une situation conflictuelle, cela
provoque des désordres sur notre santé et modifie nos rapports avec
notre environnement. Il a développé le concept d'inhibition de l'ac-
tion et révélé qu'il s'agissait d'un moyen de défense et de survie
utilisé de façon spontanée par notre corps, mais particulièrement
nuisible pour notre équilibre. Lorsque des personnes subissent des
faits graves ou se sentent menacées par une situation perçue comme
dangereuse, elles se figent, paralysées par la peur. Cette in1possibilité
d'agir a des conséquences immédiates sur le corps : augn1entation du
rythme cardiaque et de la tension artérielle, malaise, sudation, diffi-
cultés à respirer, etc. À plus long terme, l'inhibition del' action peut
provoquer des dégradations beaucoup plus graves : insomnies, fa-
tigue, n1al- être, ulcères, n1aladies cardiaques, hémorragies cérébrales,
n1aladies mentales,jusqu'au suicide de la personne.

Les rats de Laborit: expérimentation de la cage d'inhibition

vi
Première expérience
<lJ
0
1....
Un rat est placé dans une cage à deux compartiments dont le fond
>-
w
'<j"
est grillagé et alin1enté par un courant électrique de façon intermit-
.-t
0
N
tente et non simultanée. Les espaces sont séparés par une cloison
@ "'
.......
-5!!
0 dans laquelle se trouve une petite porte. Un signal sonore et lumi-
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_ neux est déclenché et quatre secondes plus tard un courant élec-
>-
a.
:::J
2
0 \..? trique est envoyé dans le plancher grillagé sur lequel se trouve l'ani-
u @

133
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

mal. Le rat est d'abord inquiet, ni.ais il coni.prend très rapidement que
le signal annonce la décharge électrique et qu'en passant par la petite
porte, dans l'autre compartini.ent, il peut éviter la punition.
De l'autre côté, le signal est de nouveau activé et le choc électrique
administré quatre secondes plus tard. Le rat change une nouvelle fois
de compartiment pour y échapper. Et ainsi de suite. Le rat subit ce
traitement pendant dix minutes par jour, sept jours durant. À l' exa-
men final, il est en parfaite santé, son état biologique est excellent.

Deuxième expérience
Cette fois, le rat est placé dans la même cage, mais la porte de com-
munication est fermée. Il n 'a donc aucune possibilité de fuir dans
l'autre co1npartiment. Il est soumis à la punition du choc électrique
à laquelle il lui est impossible d' échapper, selon le m ême protocole
que précédemment et pendant la même durée : dix minutes par jour,
pendant sept jours .Au terme de l'expérimentation, les examens bio-
logiques ni.enés par les chercheurs relèvent une chute de poids im-
portante, une tension artérielle élevée (qui durera plusieurs semaines
après l'expérience) et de nombreuses lésions ulcéreuses, notamment
au niveau del' estomac.
Vl
<lJ
0
Troisième expérience
1...

w
>- Dans cette troisièni.e expérimentation, deux rats sont placés dans le
'<j"
.-t
0
ni.ème compartiment, et dans les mêmes conditions que précédem-
N
@ ment : porte de communication fermée, chocs électriques adminis-
.......
.c
Ol
·;::::
trés pendant dix minutes, sans possibilité d 'éviter la punition. Très
>-
a.
0
rapidement, les rats luttent, se mordent, se griffent. Naturellement
u

134
NE PAS AGIR : LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

cette agressivité est inefficace car elle ne leur pennet pas d'éviter la
punition, cependant, à la fin des sept jours d'expérimentation, les rats
ne montrent aucun signe d'accident pathologique, hormis les bles-
sures dues à leurs bagarres.

Analyse
Effectuées à plusieurs reprises, ces expériences montrent que lorsque
le rat peut réagir par la fuite (condition n° 1) ou par l'agressivité et la
lutte (condition n° 3), il reste en parfaite santé ; ses examens biolo-
giques ne montrent aucun signe d'accident pathologique. En re-
vanche, lorsque l'animal ne peut ni fuir ni lutter (condition n° 2), il
se trouve en inhibition d'action, ce qui provoque chez lui des dé-
sordres somatiques.

Quatrième expérience
Les chercheurs ont conduit une dernière expérience qui reprend les
n1.êmes conditions que l'expérience n ° 2 : un seul rat, soun1.is au
n1.ême traiten1.ent, sans possibilité de fuite. À l'issue des dix minutes
de choc électrique, l'animal subit un électrochoc puissant qui le
plonge immédiatement dans le coma.Au bout d'une semaine de ce
traitement violent, le rat est cependant en parfaite santé. Pourquoi se-
vi
<lJ lon vous ? Parce que l'électrochoc a pour effet de bloquer le passage
0
1....
>- de l'information de la mémoire à court terme à la mémoire à long
w
'<j"
.-t
terme. Sans souvenir des chocs électriques infligés la veille, le rat est
0
N
"'
insensible aux effets destructeurs de l'inhibition. Cette expérimen-
@ -5!!
0
.......
..c >..
UJ
tation met en lumière le rôle important de la mémoire dans le fonc -
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

135
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

tionnement de notre cerveau. Lorsque celle-ci est court-circuitée, la


situation inhibitrice répétée n'influe pas sur la santé du rat1 .

Les quatre comportements de base


Comn1e tous les animaux, nous disposons de quatre comportements
élémentaires pour maintenir notre équilibre et assurer notre survie
dans notre environnement : un comportement de consommation,
un comporte1nent de fuite, un comportement de lutte et un com-
porten1ent d'inhibition.
• Les comporten1ents de conson1n1ation répondent à des besoins
internes fondamentaux : respirer, boire, dorniir, s'alimenter, se re-
produire.
• Les comportements de fuite apparaissent lorsque nous nous sen-
tons en danger ou menacés par un événement extérieur. Nous
ressentons une peur incontrôlable et nous décampons, au sens
propre en prenant nos jambes à notre cou, ou au figuré en nous
évadant par la pensée, en créant de l'imaginaire. Il s'agit de per-
mettre à l'organisme d'échapper au danger survenu dans l'envi-
ronnement.
• Les comportements de lutte sont des actes réflexes qui nous
Vl
<lJ poussent au combat et nous font entrer dans une logique de domi-
0
1...

w
>- nation. Le but est de supprin1er le danger en agissant directement
'<j"
.-t
0
sur lui. L' én1otion réflexe associée est la colère .
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a. 1. Notons au passage que, toujours selon les recherches de Laborit, la mémoire des puni-
0
u tions n'emprunte pas les m êm es circuits que la m émoire des récompenses.

136
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

• L'inhibition de l'action est une quatrième forme adaptative qui,


comme nous l'avons vu, consiste à ne rien faire, à subir les événe-
ments en étant résignés. Elle apparaît également quand nous man-
quons d'informations suffisantes pour agir face à une situation ou
quand nous pressentons qu'un événement grave va se produire
m ais que nous n e disposons pas d'éléments suffisants pour savoir
précisément quoi, où, quand et comment et quelles en seront les
conséquences. L'inhibition del' actions' accompagne d'angoisse et
d'un sentiment de solitude.
Les comportements de consommation, de fuite et de lutte sont innés,
en revanche le co1nportement d'inhibition est acquis 1 . Les trois pre-
miers comportements, consommation, fuite et lutte, nous poussent à
passer à l'action et nous permettent d'agir sur notre environnement,
de retrouver notre équilibre biologique, de satisfaire nos besoins et
nos désirs, de ressentir du bien-être. Quand toute action est impos-
sible, quand nous n'avons pas la possibilité de fuir ou de combattre,
notre équilibre intérieur et notre organisme sont perturbés, nous
sombrons dans l'angoisse et dans l'isolement et nous nous exposons
à ce que Laborit appelle des pathologies réactionnelles.
Notons au passage que la fuite est souvent associée à la faiblesse, à la
vi lâcheté, au n1anque de courage. Pourtant, certaines stratégies de fuite
<lJ
0
1....
peuvent être salutaires. Quant à la lutte, à l'agressivité, à l'affronte-
w
>-
'<j"
ment, à la violence défensive, à la révolte, qui ne sont jamais gratuits
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol
·;::::
Q)
Q_
1. Tout comm e les comportements qui permettent d'obtenir des récompenses (stimulus
>-
a.
:::J
2 agréable) ou d'éviter des punitions (stimulus désagréable ou douloureux) qui peuvent
0 \..?
u @ être renforcés, c'est- à-dire se répéter.

137
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

mais constituent des réponses adaptatives, ils s'opposent aux règles


sociales, aux interdits. C'est un peu paradoxal dans un monde qui
continue de fonctionner sur le mode del' adversité et des rapports de
doniination ... Quoi qu'il en soit, il est aussi possible d'exprimer son
agressivité de façon élégante, sans n1ordre ni tuer.
Lorsque nous somn1es en position de victimes, quelle que soit la
gravité des événe1nents que nous avons subis et que, de façon durable,
nous n'agissons pas rapidement pour trouver des solutions et ré-
soudre nos problèmes, il est possible que nous utilisions l'inhibition
de l'action con1n1e moyen de défense. Cette attitude, qui est proba-
blement gravée en nous, dans nos structures nerveuses et dans nos
systèmes affectifs et relationnels depuis l'enfance, risque de nous cau-
ser de graves préjudices personnels et de porter atteinte à notre santé.

Exercice : quel est votre mode de fonctionnement ?

* Face à un événement douloureux, de quelle façon réagissez-vous spontané-


ment?
1. Plutôt par la fuite. D
2. Plutôt pas la lutte. D
3. Plutôt par l'inhibition de l'action. D
Vl
<lJ
0
1...
>- * Quelles sont les conséquences de vos comportements sur votre santé en
w
'<j"
général?
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

138
NE PAS AGIR LE PLUS SÛR CHEMIN POUR RESTER VICTIME

Nous ne sommes pas des êtres rationnels et nous fonctionnons l'es-


sentiel du temps en mode automatique, pilotés par nos souvenirs, nos
émotions et nos croyances. Nous sommes souvent victimes de notre
propre ignorance sur nous-mêmes et hésitons à passer à l'action par
peur du changement, de l'inconnu, du regard des autres. Pourtant,
agir est le plus sûr moyen pour ne plus subir passivement les événe-
ments. L'action nous engage sur le chemin de la réconciliation avec
ce que nous so1nmes.

vi
<lJ
0
1....

w
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0
N
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-5!!
....... 0
..c >..
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0 \..?
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139
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0
u
TROISIÈME PARTIE

Agir pour ne plus subir

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<lJ
0
1....

w
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w
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M
0
N
@
_,_,
..c
Ol
ï::::
>-
Q.
0
u
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Les récentes recherches en psychologie sociale 1 , validées par de mul-


tiples expérimentations, s'appuient sur une conception matérialiste
du fonctionnement humain. Elles démontrent que nous sommes liés
à nos actes et que ce sont eux qui déterminent nos pensées. Par conséquent,
l'action concrète prévaut sur la réflexion. Nous so1nmes ce que nous
faisons, et si ce que nous faisons ne correspond pas à ce que nous
sommes ou pensons être, nous allons mettre en place des stratégies
pour rester fidèles à nos actes et paraître cohérents, à nos propres yeux
et aux yeux de nos semblables. Autrement dit nous allons faire en
sorte de réduire cette dissonance pour retrouver l'équilibre entre ce
que nous faisons et ce que nous pensons.
Lorsque nous modifions nos con1porten1ents, nos façons de faire,
que nous adoptons de nouvelles conduites, que nous agissons au lieu
de subir le poids des événements, nos p ensées et notre état d' esprit
emboîtent le pas. J'espère que vous saisissez bien l'enjeu d'un tel
bouleversem ent dans notre mode de pensée : tout changement com-
mence par des actes, pas par des litanies et des visites dans nos cata-
combes, allongés sur un divan. Encore une fois, l'analyse et !'intellec-
vi
<lJ tualisation sont utiles, mais elles ne résolvent aucun de nos problèmes.
0

w
1....
>- Restons debout et n e nous soumettons pas à des oreilles program-
'<j"
.-t mées par leurs propres croyances dans l'objectif de trouver des solu-
0
N
@ "'
-5!!
tions à notre place. Soyons les auteurs de notre vie.
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>- :::J
a. 2
\..?
1. Les premières recherches remontent au début des années 1960. Elles ont été conduites
0
u @ par le professeur Charles Kiesler.

143
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Les nouvelles recherches en neurosciences cognitives et, auparavant,


les travaux initiés par le professeur Laborit, semblent aller dans le
nième sens : notre cerveau et notre systèn1e nerveux sont davantage
faits pour agir que pour penser.Nous croyons de façon un peu o bses-
sionnelle que nous allons pouvoir régler tous nos problèmes par le
biais de notre conscience réfléchie, m ais celle-ci est lente, énergéti-
vore et vite débordée par les événements. Elle se laisse souvent piéger
par des processus inconscients qui fonctionnent beaucoup plus rapi-
dement, ni.ais souvent de façon plus sommaire et sans s'encombrer
des détails. Ceux-ci vont à l'essentiel et, en général, cela marche
plutôt bien. En général. .. mais pas toujours. La plupart du temps,
notre pensée consciente, limitée à notre cortex cérébral, se borne à
corroborer ou à valider les décisions qui sont déjà prises, en amont,
par notre système de traitement automatique.
Chantez et vous serez h eureux.Aimez-vous, aimez ce que vous êtes
et vous aimerez les autres, m ême s'ils ne vivent pas dans le m êm e
monde que vous. Acceptez ce que vous ne pouvez pas changer et
vous serez en mesure de changer ce qui peut l' être, sans tourner en
rond autour de vos problèmes. Devenez cette personne lucide, en
prise avec la réalité, consciente de ses limites internes, mais capable
Vl
de trouver ses propres réponses.Vivez votre vie avec tact et discerne-
<lJ
0
1....
ment, en ayant foi en vous-même et en choisissant soigneusement
w
>-
'<j"
vos relations. Devenez cette p ersonne qui agit et non plus qui subit.
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

144
Chapitre

Voir la réalité telle qu'elle est

« Beaucoup d} entre nous mourront ainsi sans jamais être nés


à leur humanité} ayant confiné leurs systèmes associatifs
à l'innovation marchande} en couvrant de mots la nudité simpliste
de leur inconscient dominateur. »
I

Henri Laborit, Eloge de la fuite.

Nous l'avons vu, nous vivons l'instant présent avec tous nos acquis
antérieurs. La négociation inconsciente avec les objets contenus
vi
<lJ dans ces bagages, souvent lourdement chargés, présente l'inconvé-
0
1....
>- nient m ajeur de nous faire fonctionner en boucle, comme des cou-
w
'<j"
.-t
reurs sur un circuit fern1é. Nous pensons qu'en faisant toujours plus
0
N de la même chose, en accélérant le rythme, nous finirons bien par
@ "'
-5!!
0
.......
..c >..
UJ
pouvoir accéder au changement souhaitable, n1érité, nécessaire. Mais
Ol Q)
·;::::
>-
Q_
:::J
2
les sorties de piste sont impossibles. En multipliant des attitudes et des
a. \..?
0
u @ comportements analogu es, nous obtenons toujours davantage les

145
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

n1ên1es résultats, précisén1ent ceux que nous aimerions voir dispa-


raître. Dès lors que nous saisissons que la part inconsciente de notre
cerveau dirige notre boutique d'antiquités et que nous n'avions guère
le choix des bibelots qui y étaient entreposés, nous faisons un imn1ense
pas en avant. Un pas qui va nous pern1ettre de réguler conscienm1ent
nos réactions de lutte ou de fuite, afin d'en tirer le n1eilleur parti, ou
d'agir pour annuler nos con1porten1ents d'inhibition et ainsi en éviter
les conséquences n1orbides et les risques pour notre santé.
Si vous avez lu ce livre jusqu'à maintenant, vous êtes déjà engagé(e)
dans la voie du changement. Et la meilleure solution, c'est l'action.
Mais pas à tout-va ! Il est nécessaire d'appréhender l'environnement
afin de le transforn1er, indispensable de changer nos perceptions, de
les recadrer et de focaliser notre attention sur d 'autres choses.

N'oubliez pas 1
• Il n'est pas plus mauvais d'être victime qu'il n'est bon d'être responsable.
• Vous n'êtes pas coupable d'être une victime.
• Vous êtes responsable de ne pas le rester.
"
• Etre victime ne vous rend pas forcément plus grand(e), plus fort(e) ou
plus autonome.
"
• Etre victime et le rester, c'est accepter d'être dépendant(e).
Vl
<lJ
0
• Sortir de la victimisation n'est pas un travail, mais un cadeau que vous
1...

w
>- vous faites.
'<j"
.-t • L'action est l'une des meilleures réponses possibles.
0
N
"
• Etre victime n'est pas une maladie.
@
.......
..c "
• Etre une victime, ce n'est pas appartenir à une catégorie sociale.
Ol
·;::::
>-
a. • Ce n'est pas parce que la route peut vous sembler longue qu'il n'y a pas de
0
u route.

146
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

Apprivoisez votre peur


Très souvent, lorsque nous subissons un préjudice de quelque nature
que ce soit, nous avons tendance à entretenir une nostalgie du passé
pour effacer ou lutter contre le déplaisir du présent : « C'était telle-
ment mieux avant» ; «Je ne me rendais pas compte de mon bon-
heur» ; « Si j'avais su,j 'aurais davantage profité des petits plaisirs de la
vie, de mes enfants, de ma famille, de mes amis »,etc. À la culpabilité
s'ajoute une vision négative du futur, voire pas de vision du tout.
Nous nous trouvons alors dans un « no future »,bloqués dans nos
fonctionnements, qui sont comme des armes automatiques à répéti-
tion, et prisonniers d'un scénario dont nous revisitons chaque jour
la dramaturgie.

La peur de changer
De toutes nos émotions, la peur est l'une des plus archaïques et, p armi
les résistances à surmonter, la peur du changement est sans doute
l'une des plus puissantes. Changer, c'est remettre en cause des fonc-
tionnements que nous avons intégrés parfois depuis plusieurs années :
« Et si ça ne marchait pas ? Et si ce changement m'amenait plus de
déboires que de bonheur. .. » Nous vivons tous avec une part d'incer-
vi
<lJ titude en nous.Nous avons du mal à imaginer que nous puissions agir
0

w
1....
>- différemment, adopter de nouvelles attitudes, voir la vie avec d'autres
'<j"
.-t lunettes. Peur d'être déçus, manque de confiance en soi, pessimisme
0
N
@ "'
-5!!
quant aux chances de faire le bon choix, de prendre la bonne décision,
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
nos peurs ne reposent souvent sur aucune réalité, mais elles sont là .
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 Elles nous raccrochent à nos expériences passées, alors quel' avenir est
0 \..?
u @

147
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

imprévisible, mais à construire. La peur de l'inconnu nous incite à la


prudence. Nous imaginons des dangers hypothétiques, nous nous
replions sur nous-mêmes, nous devenons agressifs parce que nous
vivons un conflit intérieur entre confort et curiosité, sentiment de
sécurité (même si notre vie n'est pas rose) et envie d'autre chose.

Exercice : convoquez la peur


* Vous avez peut-être envie de changer de vie, d'amour, de travail, d'environ-
nement, mais vous avez peur. Dans la colonne de gauche du tableau ci-des-
sous, inscrivez ce que vous imaginez que seraient les pires conséquences de
ce changement. Notez toutes les complications possibles, les aggravations
de votre situation, les catastrophes vers lesquelles vous vous dirigez à coup
sûr. N'hésitez pas à ajouter de l'huile sur le feu, à noircir le tableau. Laissez
vivre en vous les peurs associées à ces événements. Puis, dans la colonne de
droite, décrivez vos sensations, mettez des mots sur la peur. Comment se
manifeste-t-elle ?

Votre envie de changement


Les pires conséquences de ce changement Vos sensations
• •
• •
• •
Vl
<lJ
• •
0
1...
>-
• •
w
'<j"
• •
.-t
0
N • •
@
.......
.c
• •
Ol
·;::::
>-
• •
a.
u
0 • •

148
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

*Reposez-vous quelques instants puis remplissez ce nouveau tableau, mais


cette fois en notant les conséquences exceptionnellement heureuses de ce
changement. Vous êtes très optimiste! Embellissez les choses, n'inscrivez
que du très positif, tout se passe à merveille, vous n'obtenez que des succès.
Votre vie change radicalement. Observez à présent les nouvelles sensations
éprouvées dans votre corps. Que ressentez-vous? La tension provoquée par
la peur a-t-elle disparu ?

Votre envie de changement


Les conséquences les plus heureuses Vos nouvelles sensations
possibles
• •
• •
• •
• •
• •
• •
• •
• •
• •
• •
Commentaire

vi * Le changement est parfois dangereux, le statu quo est souvent mortel ... Dans
<lJ
0
la première phase de l'exercice, vous avez imaginé toutes les solutions pos-
1....

w
>- sibles pour ne pas accéder au changement et vous vous êtes familiarisé(e) avec
'<j"
.-t
votre peur. Cela vous sera d'une très grande utilité pour la suite. Dans la phase
0
N 2, vous avez dispersé les sensations désagréables en formulant des attentes
@ "'
-5!! très positives. Peut-être avez-vous observé un regain d'énergie, éprouvé des
....... 0
..c >..
Ol
UJ
Q)
émotions agréables, une sensation de chaleur, une envie d'aller de l'avant. Asso-
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 ciez ces nouvelles sensations à l'une de vos chansons préférées et fredonnez-
\..?
u
0
@ la, bouche fermée ou dans votre tête, chaque fois que la peur réapparaîtra.

149
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Les étapes du changement


Le schéma ci-dessous décrit les différentes étapes par lesquelles nous
pouvons passer quand nous sommes en position de victime. Chacun
d'entre nous étant différent, vous devez bien considérer que ces
étapes ne sont pas des passages obligés et qu'il peut y avoir des retours
en arrière et des reviviscences.

1 Relation au passé 1 Relation au futur

ÉVÉNEMENT LIBÉRATION
ri
ri

Choc-sidération Retour à la réalité

Refus-déni Acceptation-banalisation

Colère-révolte Résignation-fatalisme

Tristesse-dépression

Les étapes du changement 1

Vl
Le choc, la sidération
<lJ
0
1....
>-
Face à un événement conflictuel, c'est souvent le choc et la stupeur qui
w
'<j"
.--t
prévalent. Nous n'avons pas le moyen de fuir, la réalité est là, parfois
0
N dans toute sa violence. Cette étape peut durer de quelques minutes à
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1.Adapté d'Elisabeth Kübler-Ross.

150
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

plusieurs j ours,selon les individus et l'intensité du conflit.Nous son1n1es


traversés d'émotions (peur, honte, culpabilité, isolen1ent) ; parfois nous
ne ressentons qu'un immense vide intérieur. Nous pouvons aussi être
très excités, gesticuler dans tous les sens ou bien rester prostrés.

Le refus, le déni
Difficile de faire avec une réalité que l'on juge inacceptable. Passé le
choc, certaines personnes refusent de voir les choses en face, d' ad-
mettre ce qui s'est passé. La situation vécue ne leur paraît pas « nor-
male »,par conséquent ils la refusent, ils font comme si tout allait bien,
comme s'il ne s'était rien passé.

La colère, la révolte
Les questions fusent : « Pourquoi moi? », « Qu'est-ce que j'ai fait pour
mériter ça ? » Cet épisode de rage, de révolte, de colère, ce désir de
vengeance parfois, est typique de la réaction de lutte dont nous avons
parlé au chapitre précédent. Toutes les p ersonnes ne passent pas né-
cessairement par cette étape. À ce stade certains s'imaginent qu'ils
peuvent contrôler les événements, faire machine arrière, rembobiner
le film et changer le cours des choses.
vi
<lJ
0
1....
>-
w
'<j"
La tristesse, la dépression
.-t
0
N Nos représentations et nos croyances sont ébranlées par la réalité, et
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>.. nous n'y pouvons rien. Nous nous sentons impuissants, abattus, dé-
UJ
Ol
·;::::
>-
Q)
Q_
:::J couragés. Le corps s'épuise et différents symptômes apparaissent :
a. 2
\..?
u
0
@ migraines, insomnies, anxiété, perte d'appétit, fatigue chronique, etc.

151
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

La résignation, le fatalisme
Nous finissons par penser que ce qui est arrivé devait arriver et que,
de toute façon, nous ne pouvons plus rien faire pour y changer quelque
chose. À ce stade, certaines personnes restent rivées à leur passé.

L'acceptation, la banalisation
Cette dernière phase marque le retour à une existence apaisée. L' évé-
nen1ent traumatisant n'a pas disparu, mais il n'est plus une entrave à
notre évolution, à nos projets. Nous avons accepté la réalité telle
qu'elle est.

Exercice : où en êtes-vous dans votre processus


de changement ?

1. À quel stade vous situez-vous ?

2. Par quelles phases êtes-vous passé(e)?

3. Quelles sont celles que vous n'avez pas expérimentées?


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152
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

Commentaire

*J'attire votre attention sur le fait que l'intensité ressentie de l'événement


qui nous a conduits à nous considérer comme victimes joue un rôle important
dans le déroulé des étapes. Nous ne sommes pas tous égaux devant les
conflits que nous vivons. Certains événements anodins peuvent représenter
des montagnes pour certaines personnes tandis que d'autres se remettront
plus rapidement de faits beaucoup plus graves. Tout est question de person-
nalité ou ... de philosophie de vie. « Untel a vécu la même chose que moi et il
est arrivé à s'en sortir, mais pas moi, cela prouve que je suis faible, que je me
laisse sombrer, que je m'épuise» : évitez toutes pensées de ce type ! Elles
sont inutilement destructrices.

Parler le langage du réel


Nous ne parviendrons jamais à percevoir la réalité dans sa globalité
parce que notre système nerveux n'est pas équipé pour une telle
entreprise. Ce que nous pouvons faire, en revan che, c'est nous appro-
ch er au plus près des événements en déconnectant tout ce qui relève
de l'interprétation, du jugement, des croyances. Il s'agit d'observer
des faits, rien que des faits, et de les inscrire dans un contexte précis,
sans attribuer de signification à nos observations. Un fait, c'est un
élément d'information dont la réalité ne fait aucun doute, une réa-
lité palpable, mesurable, qui s'inscrit dans l' espace et le temps e t sur
vi laquelle nous devrions, théoriquement, tous pouvoir nous entendre.
<lJ
0

w
1....
>- Si je dis « Aujourd'hui, 1er juillet 2013, à 8 heures du matin, sur la
'<j"
.-t plage des Mouettes, l'eau de mer est, selon mon thermomètre, à
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19 °C », j 'énon ce un fait vérifiable qui ne fait guère discussion, sauf
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à remettre en cause la justesse de mon thennon1ètre. En revanche, si
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2 je dis « Ce matin la mer est froide »,cette fois j'émets une opinion
0 \..?
u @

153
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

personnelle sous la forme d'une vérité indiscutable : n'importe qui


peut m'opposer qu'elle n'est pas si froide que cela, qu'elle était beau-
coup plus froide la veille et que les Esquimaux la trouveraient bien
trop chaude. Si je dis « Ce matin,je la trouve froide», la forn1ulation
est déjà plus adaptée. De même je peux dire « J'ai mis un pied dans
l' eau,je suis frigorifié », et cette fois j 'exprime une sensation, un sen-
timent personnel qui n'appelle pas de commentaire.
«Ma femme est gentille», «Tu ne m'écoutes jamais», « Les vieux sont
dangereux au volant », « Si tu n1' aimais vraiment tu me montrerais
davantage de petites attentions », « Mon beau-frère est psychori-
gide »,«Les jeunes ne lisent plus », « Ce gosse est insupportable »,etc.,
réfléchissez au nombre de fois où nous tenons pour indéniables des
opinions qui ne reflètent que notre jugement ou notre appréciation
p ersonnelle.Et le pire est qu'à certains moments nous sommes prêts
à en venir aux n1ains pour les défendre et préserver nos croyances.
Parler le langage du réel, c'est s'en tenir aux faits, examiner la situa-
tion telle qu'elle est réellement, par- delà ou au-delà de nos émotions.
Présentées de cette manière, les choses paraissent simples. À l'usage,
vous constaterez quel' exercice de la simple observation nécessite un
bon entraînement. Il s'agit, dans un premier temps, de faire taire opi-
Vl
<lJ nions et sentiments pour ne prêter attention qu'aux faits.
0
....
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154
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

Exercice : faits, opinions ou sentiments ?

*Lisez les phrases suivantes et cochez dans la colonne de droite F s'il s'agit
selon vous d'un fait, 0 s'il s'agit d'une opinion ou S si vous pensez que c'est un
sentiment.
F 0 s
1. Ce matin, en sortant de la poste, Madame V. a D D D
été menacée par un jeune homme muni d'un
couteau.

2. Madame V a déclaré aux passants venus la se- D D D


courir qu'il s'agissait sans doute d'un drogué.

3. À coup sûr, il visait l'argent de sa pension. D D D

4. S'en prendre aux personnes âgées ... je suis D D D


peiné.

5. C'est indiscutable: ces voyous méritent d'être D D D


sévèrement sanctionnés.

vi
6. Deux policiers sont arrivés 20 minutes après D D D
<lJ
les faits.
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1...

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7. C'est toujours pareil, la police ne fait rien . D D D
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8. Cela me dépasse . D D D
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a.
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155
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

9. Ils n'ont pas réussi à retrouver le jeune homme. D D D

10. Les drogués sont une plaie dans cette société. D D D

Solution

*Les phrases 1, 2, 6 et 9 sont des faits. Elles représentent de simples obser-


vations sans interprétation.
*Les phrases 3, 5, 7 et 10 sont des opinions (ou encore des jugements, des
évaluations, des croyances , des interprétations, etc.), c'est-à-dire des ap-
préciations subjectives et contestables portées sur l'environnement. Il est
légitime d'avoir des opinions mais dangereux de les confondre avec les faits.
* Les phrases 4 et 8 représentent des sentiments. Ils nous donnent des indi-
cations sur le ressenti, les émotions, les affects.

Comprendre le processus de votre réalité


N ous avons déj à évoqué cette question dans un exercice du ch apitre
3 . Il m e paraît utile d'y revenir à nouveau p our bien dissocier les
choses.J'attire votre attention sur le fait que cette démarche est des-
tinée à vous faire prendre conscien ce d 'un processus. D ans la réalité,
les trois étapes décrites ci-dessous sont imbriquées. Impossible de
vivre des faits sans que des én1otions et des p erceptions n 'y soient
Vl
<lJ direct em ent asso ciées. D'ailleurs, celles- ci doivent aussi être considé-
0

w
1....
>- rées comme des faits apparten ant à la réalité. Difficile égalem ent de
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..-t considérer que les conséqu en ces n 'apparaissent qu'a posteriori, très
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souvent elles sont immédiates ou con comitantes. Toutefois, ce dé-
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coupage vous p ermet de saisir la réalité en fon ction de ces trois di-
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u

156
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

mensions :faits, émotions et conséquences liées à la rupture momen-


tanée ou définitive avec vos objectifs.
Faits ~Émotions ~ Conséquences.
Faits ~ Conséquences ~ Émotions.
Émotions ~ Conséquences ~ Faits.
Voici l'exemple du témoignage d'une femme victime d'un vol dans
son véhicule. Il est assez confus et empreint d'émotions.

«Je n'ai vraiment pas de chance ! Je ne peux plus utiliser ma voiture parce
que ma serrure ne fonctionne plus. 11 ne manquerait plus qu'on me la vole. Je
suis complètement chamboulée à cause de ce qui m'est arrivé hier matin. Il
faut dire que j'aurais dû faire attention, c'est un peu de ma faute. Je m'étais
garée sur le parking derrière le port. Si j'avais su, j'aurais plutôt stationné vers
le commissariat. Je suis allée acheter des fruits chez le primeur, cela m'a pris
dix minutes tout au plus, et quand je suis revenue, là j'ai eu un coup de pa-
nique. La porte de ma voiture avait été forcée par des roulottiers, sûrement
des Gitans. L'angoisse, sur le moment. Ils ont pris la petite mallette rouge
dans laquelle je range mes bijoux fantaisie. Elle était posée sur la banquette
arrière, trop visible sans doute. Heureusement, il n'y en avait pas pour une
fortune. Je crois qu'ils n'ont rien pris d'autre. Je me suis sentie agressée par
vi ces types qui ont pénétré par effraction dans ma voiture.»
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Reprenons cet exemple en nous appuyant sur le modèle Faits ~
Émotions ~ Conséquences.
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Faits : Hier matin, cette femme a garé sa voiture sur le parking derrière
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2 le port pour aller acheter des fruits chez le prin1eur. Lorsqu'elle est reve-
0 \..?
u @

157
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

nue, dix nlinutes plus tard, elle a constaté que la portière avait été forcée
et que sa mallette rouge, posée sur la banquette arrière et dans laquelle
elle range ses bijoux fantaisie, avait disparu. La valeur du préjudice est
d'une cinquantaine d'euros.Après vérification, rien d'autre n'a été pris.
,
Emotions : Sur le moment, elle a paniqué et ressenti de l'angoisse.
Elle s'est sentie bouleversée, agressée par cette intrusion.
Conséquences : Cette femme préfère éviter d'utiliser sa voiture
tant que la serrure n'aura pas été réparée. Elle prendra le bus. Et à
l'avenir, elle évitera de laisser des objets en vue dans son véhicule.
Cet exen1ple vous sera utile pour éviter toute confusion entre ces trois
niveaux. Je vous invite à bien garder en tête ces trois dimensions,
notamment lorsque vous vous exprimez, quand vous parlez de vos
difficultés à quelqu'un, même si vous changez l'ordre de présentation.

Exercice : analyse de votre processus de réalité

1. Faits
*Vous avez été - ou vous êtes actuellement - victime d'un événement, de
quelqu'un ou de quelque chose. Munissez-vous d'une feuille de papier et d'un
crayon ... Pourriez-vous décrire, en quelques lignes et avec précision, les faits
tels que vous les avez observés, c'est-à-dire sans aucune évaluation, sans aucun
Vl
<lJ
jugement, sans aucune interprétation, sans aucun ressenti de votre part? Juste
0
1...
>- des faits, bruts, précis, objectifs, mesurés, situés dans le temps et l'espace.
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158
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

,
2. Emotions
*Comment avez-vous vécu cet événement? Notez vos émotions, ce que vous
avez ressenti, la façon dont vous avez personnellement et corporellement
vécu cet événement. Colère, honte, peur culpabilité, dites quelles sont ou
quelles ont été les manifestations physiques, physiologiques, les effets sur
votre organisme.

3. Conséquences
*Deux dimensions sont à prendre en compte dans cet item :
- Quelles sont les conséquences par rapport à votre objectif et à vos be-
soins? Ce que vous auriez voulu faire qui est devenu impossible, les be-
soins que vous n'avez pu satisfaire suite au préjudice que vous avez subi.
Ces conséquences peuvent être évoquées immédiatement, à court, moyen
ou long terme. Parfois le préjudice n'impacte pas immédiatement nos
objectifs, mais seulement après coup.

- Quelles sont les conséquences par rapport aux décisions prises (ou pas)
vi
<lJ pour sortir de cette situation? Accepter la réalité, recadrer les objec-
0
1.... tifs, se reconstruire et, le cas échéant, les dispositions choisies pour
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éviter que le problème ne se reproduise.
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159
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Commentaire
* Vous pouvez revenir à ces éléments et les aborder dans un ordre différent,
l'essentiel étant que l'analyse vous permette :
• d'éviter la confusion entre ces trois dimensions ;
• de sortir de la dimension affective pour vous recentrer sur la réalité ;
• de dépasser le stade de la victimisation pour redéfinir vos objectifs et
. a' vous.
revenir

S'entraÎner à l'observation 1
Observer n o tre environ nement de faco '
n attentive et cu rieuse n ous
p ern1et d'affiner nos sensations et nos p erceptions, de 1nultiplier nos
exp érien ces et d 'élargir notre compréh ension du monde sans prêter
le flan c à l'inattention , sans céder aux h abitudes m entales et aux pré-
jugés .Reprendre pied avec la réalité est assurém entl'un des m eilleurs
n1.oyens pour vous per mettre de p asser à autre ch ose et reprendre
contact avec vous-m em ·" e.

Focalisez
Fixez votre esprit sur un objectif. D éterminez p ar exemple un ou
plusieurs obj ets à retrouver dans une foule, dans la ru e : une femme
Vl
avec un chap eau vert ou un p arapluie j aune, trois voitures ro u ges,
<lJ
0
1....
cinq cyclist es, tous les tilleuls en fleurs, et c. Les actes visu els conscients
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vous p ermettent d'être plus attentif(ve) à la réalité.
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u 1. Exercices tirés de L' automanipulation, op. cil.

160
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

Mémorisez
Observez un paysage et cherchez dix détails qui ne vous sont pas
apparus de prime abord : un oiseau dans un arbre, une fleur nichée
dans un rocher, une araignée filant sa toile, etc. De retour chez vous,
installez-vous confortablement, fermez les yeux, et visualisez le pay-
sage en essayant de vous remémorer les dix détails que vous avez
mémorisés. Cet exercice vous pern1et de développer vos capacités
perceptives et mémorielles.

Trouvez du familier dans le nouveau


Efforcez-vous, lorsque vous êtes face à un nouvel environnement ou
à une situation nouvelle, de trouver des objets, des détails, des com-
portements qui vous paraissent familiers. Par exemple, le sourire d'un
homn1e qui ressen1ble à celui de votre père, le geste d'un pêcheur qui
vous rappelle vos vacances à la mer. Cette pratique aura pour vertu
de vous sécuriser, sans affaiblir vos perceptions.

Trouvez du nouveau dans le familier


Croyez-vous tout connaître de votre environnement habituel, votre
vi
salon, le square ou la petite église en bas de chez vous ? Essayez de
<lJ
0
1....
repérer dans l'un de ces lieux dix détails qui vous avaient jusqu'alors
>-
w
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totalement échappés. Cet exercice vous permet d'affiner votre atten-
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N
tion et de prendre conscience de la richesse du inonde qui vous
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0 entoure.
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161
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

,
Ecoutez
Dans notre environnement, nous percevons une multitude de sons et
de bruits auxquels nous ne prêtons pas attention. Focalisez votre
écoute sur un bruit très discret, par exemple le tic-tac d'un réveil ou
d'une pendule, une petite musique lointaine, les rires d'un enfant, une
voix perdue dans un milieu bruyant. Cet exercice est très apaisant.

Gardez le silence
Au cours d'une conversation, entraînez-vous à répondre à votre in-
terlocuteur après quelques secondes de silence. Ce laps de temps est
salutaire pour poser la pensée et éviter les n1ots en l'air. Le silence est
une respiration.

Portez attention aux autres


Co1nment votre mari, votre femme ou vos enfants étaient-ils habillés
ce matin en partant au travail ou à l'école ?Vous souvenez-vous des
détails : vêtements, couleurs, coiffure, cravate, bijoux? Très souvent
nous sommes absorbés par des tâches routinières qui nous décon-
nectent de la réalité et nous rendent incapables de répondre à ces
Vl
questions. Prenez le temps d'observer vos proches d'un œil neuf,
<lJ
0
1...
affûtez votre regard, observez leurs gestes, leurs minùques, les petits
>-
w
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détails qui les rendent vivants et présents.
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u

162
VOIR LA RÉALITÉ TELLE QU'ELLE EST

Portez attention à vous


Imaginez un petit personnage, un lutin par exemple, caché dans un
arbre, posé sur une étagère de l'armoire ou suspendu dans les airs. Il
vous observe, il est attentif à tout ce que vous faites et dites. Il vous
transmet toutes ces informations en direct.Vous vous percevez à tra-
vers ses sens. Cet exercice de décentration vous permet d'accéder à
la conscience de ce que vous êtes. Soyez attentif(ve) à vos jugements
et à vos croyances.

Utilisez tous vos sens


Le toucher est l'un des sens les plus importants pour intégrer physi-
quement la réalité.Allez au contact des choses et des gens, en respec-
tant les limites socialement acceptables. Touchez les objets : le tronc
d'un arbre, une pierre, un presse-papiers, un morceau de tissu,lajoue
ou les cheveux de votre conjoint, et essayez de concentrer votre at-
tention sur cette action. Évaluez vos sensations : température, rugo-
sité, dureté, etc. Vous pouvez multiplier les actes de toucher conscient
à l'infini : en prenant un bain, en n1.archant pieds nus chez vous, en
prenant le soleil, en ressentant le vent sur votre visage, etc.Ne négli-
gez p as non plus le goût et l'odorat qui sont les plus archaïques de nos
vi
<lJ sens. Prenez plaisir à déguster un fruit mûr, à boire un verre de bon
0
1....
>- vin. Sans penser à autre chose.
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163
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Créez vos propres jeux


En effectuant des actes conscients pour percevoir physiquen1ent et de
façon plus large la réalité du n1onde qui vous entoure, vous éduquez
votre cerveau et stimulez votre système nerveux. De nouvelles
connexions neuronales s'établissent et s'étendent à votre organisme
tout entier. Vous apprenez ainsi àvous libérer des illusions, des préjugés.

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164
Chapitre

Accepter ce que
l'on ne peut changer

Avons-nous le choix de modifier la réalité pour lui donner une


forme qui conviendrait davantage à ce que nous souhaitons? Natu-
rellement, non. Ce qui est arrivé n'est pas optionnel ou rétractable.
Ce qui est arrivé est arrivé. La réalité n'est pas négociable. Nous
n'avons pas d'autre choix que de la reconnaître, de l'accueillir et de
l'accepter (ce qui ne signifie pas que nous cautionnions les événe-
n1.ents), ou de la rejeter, de la refuser, de la nier. Tout comme nous
vi
<lJ
pouvons rejeter, refuser ou nier nos émotions ... M ais, dans ce cas,
0
1.... nous vivons dans un autre monde que celui des faits : un monde de
w
>-
'<j" souffrances, de résistances inutiles, de conflits intérieurs, d'émotions
.-t
0
N destructrices. Nous disposons toujours de cette liberté de choix.
@ "'
-5!!
.......
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0
>.. Faites l' expérience suivante : posez un verre d'eau devant vous sur la
UJ
Ol Q)
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>-
Q_
:::J table, regardez-le attentivement... Pouvez-vous soutenir que ce
a. 2
\..?
u
0
@ verre n'existe pas, que vous ne le voyez pas ? Sérieusement ?

165
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Il ne s'agit pas de se résigner, de démissionner, de se soumettre à la


réalité, de céder au fatalisme, ni de pardonner, mais d'accepter, pour
pouvoir passer à autre chose, de choisir la flexibilité de la vie plutôt
que de s'apitoyer sur son sort et de rêver d'un hypothétique retour à
un état antérieur. Des traces resteront naturellen1ent présentes en
nous, mais elles ne seront pas un problèn1e,juste des souvenirs rangés
au rayon qui leur revient, dans le passé . De tous les animaux, il semble
que nous soyons les seuls à avoir conscience de notre finitude, de
notre n1ort. La question est: que voulons-nous pour nous-mêmes et
pour le temps qui nous reste à vivre ? Tout le monde souhaite passer
de bons moments, être heureux, entretenir de belles relations, alors
comment expliquer que nous mettions tout en œuvre pour passer à
côté et entretenir notre propre malheur ?

Résister ou rebondir ?
Résistance, résilience ... «Encore des mots, toujours des mots ... »dit
la chanson. J'in1agine que, dans l'esprit de certains lecteurs, résister
serait inutile voire néfaste pour notre équilibre, il vaut mieux être
souple comme le roseau, qui plie mais ne rompt pas, c'est-à-dire faire
preuve de résilience 1.Voilà une nouvelle catégorisation des compor-
Vl
tements humains - une de plus ! -, avec d'un côté les psychorigides,
<lJ
0
1...
ceux qui résistent bêten1ent, obstinément, con1me des taureaux dans
w
>-
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une arène, et de l'autre ceux qui savent rebondir, s'accon1illoder des
.-t
0
N
difficultés, du stress, naviguer en milieu hostile sans abîmer leur voi-
@
.......
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Ol
·;::::
>-
a. 1. Le concept de résilience a été développé en France par le psychiatre, psychanalyste et
0
u éthologue Boris Cyrulnik.

166
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

lure. Mais de quoi parle-t-on au juste ? La résilience est-elle en


concurrence avec la résistance et cela quel que soit le contexte ?
Quels sont les points de convergence entre les deux concepts ?

Résistance
Par définition, la résistance est l'action par laquelle nous tentons
d 'annuler les effets d'une contrainte ou d ' une situation que nous
trouvons injuste ou illégitime, le tout dans une logique d' affronte-
ment. Résister, c'est refuser de se soumettre, de plier l'échine, de
tendre l'autre joue. La résistance renvoie à la réaction naturelle de
lutte que nous avons évoquée précédemment.Vous paraît-elle socia-
len1ent irrecevable ? Il est vrai que la résistance, la désobéissance et
l'insouniission n'ont pas bonne presse. Il est de bon ton de la mettre
en veilleuse et de se conformer aux codes sociaux, des' adapter. Pour-
tant, résister c'est encore agir et, dans certaines situations,la résistance
sera toujours préférable à l'inaction et à la souniission. Il suffit pour
cela de penser à la Seconde Guerre mondiale et à la fameuse phrase
de la résistante Lucie Aubrac : « Résister c'est exister.» C ependant je
vous invite à résister à bon escient, avec lucidité et dans des situations
où cela peut servir à quelque chose, par exemple lorsqu'on vous
vi n1.anque de respect, que l'on bafoue vos droits ou votre honneur.
<lJ
0
1....
Résister contre des événements révolus, contre ses émotions, à l'en-
w
>-
'<j"
contre de ses objectifs personnels, c'est généralement perdre son
.-t
0
N ten1.ps et son énergie pour bien peu de résultats, si ce n'est celui de
@ "'
-5!!
.......
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0
>..
rester en lutte. Mieux vaut dans ce cas rebondir.
UJ
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a.
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0 \..?
u @

167
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Résilience
La résilience 1 est un terme emprunté à la physique et notan1ment à
la métallurgie. Il désigne la capacité d'un matériau à retrouver sa
structure après avoir été soumis à un impact. Plus un matériau est
résilient, plus il va retrouver sa forme initiale après un choc. La rési-
lience est donc une forme de résistance qui se caractérise par le re-
tour à un état antérieur. Mais ce qui vaut pour une ni.atière inerte
est-il adapté à un systèni.e complexe coni.me l'organisme hu1nain ?
En psychologie, ce terme, venu des États-Unis dans les années 1970,
a été un peu dévoyé de son sens originel puisqu'il définit la capacité
d'une personne à évoluer de façon positive dans un environnement
défavorable, à rebondir après un choc, à « surni.onter » l'adversité de
façon plus plastique, non plus dans une logique d' affronte1nent mais
de flexibilité stratégique. Nous ne parlons donc plus de retour à un
état antérieur. La résilience appellerait la non-violence.

Quelle attitude pour quelle situation?


La résistance évoquerait donc la rupture, la cassure, l'extériorisation,
la difficulté à maîtriser ses réactions d'adversité, l'ignorance ; tandis
que la résilience renverrait plutôt à des notions d'adaptation, de
Vl
<lJ
0
continuité, d'intériorisation, de richesse personnelle, de conscience,
....
w
>- de sensibilité.Dans les deux cas, il s'agit toujours de se dépêtrer d'une
'<j"
.-t
0 situation difficile, de sortir de l'ornière, de reprendre le cours de la
N
@ vie, seuls les postures et les facteurs personnels divergent. Alors quelle
.......
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>-
a.
0
u 1. Du latin resilire qui signifie « sauter en arrière », « se retirer» .

168
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

attitude adopter? La résistance ou la résilience ? La dispute entre les


deux concepts pourrait se prolonger à l'infini si trois éléments déter-
n1.inants ne venaient mettre fin au débat : le contexte, les individus et
les objectifs personnels.

Le contexte
Dans certaines situations, notamment d'asservissement, d'aliénation,
de domination ou d'endoctrinement, la résistance, éventuellement
passive, me paraît préférable à l'adaptabilité. Dans d'autres situations,
notamment lorsqu'il est impossible de revenir sur le passé, la capa-
cité de résilience sera plus salutaire.

Les individus
Les facteurs humains doivent aussi être pris en compte. Chaque indi-
vidu fait du mieux qu'il peut avec les moyens dont il dispose et, sil' on
en croit les auteurs qui se sont intéressés à la question, certaines per-
sonnes seraient plus « résilientes » que d'autres ... Même si la résis-
tance est parfois clairement promise à l'échec, elle vaut toujours
mieux que l'absence de réaction.

Les objectifs personnels


vi
<lJ
Enfin les objectifs personnels jouent, eux aussi, un rôle déterminant.
0
1....
>-
Résister, s'opposer, refuser de se soumettre ne sont pas systématique-
w
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.-t
n1.ent des attitudes négatives, pas plus que la résilience ne constitue
0
N une qualité indispensable pour survivre. Plus que jamais, résilients ou
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-5!!
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0
>..
UJ
pas, agissons, revenons au monde réel et faisons fi des dualismes et des
Ol Q)
·;::::
>-
Q_
:::J abstractions sén1.antiques.
a. 2
0 \..?
u @

169
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Exercice êtes-vous plutôt quelqu'un qui résiste


ou qui rebondit?

* Réfléchissez quelques instants à cette question en vous appuyant sur vos


expériences personnelles puis remplissez ce tableau.

Expérience dans Expérience dans Quels enseignements


laquelle vous avez fait laquelle vous avez fait en avez-vous tirés ?
preuve de résistance preuve de résilience

Commentaire
"
* Etes-vous plutôt de nature à résister ou à vous adapter ? Ces attitudes
vous ont-elles permis de surmonter vos difficultés ? Étaient-elles cohé-
rentes avec les situations vécues ? Cet exercice vous a permis de faire le
point sur vos capacités personnelles et de revo ir , si besoin, vos orientations
afin de trouver un équilibre.

Changer ce qui peut l'être


Vl
<lJ
Si la réalité n e p eut être ch angée, alors qu e p ouvons-n ous faire ? La
0
1....
>-
rép onse est très simple : regarder la réalité en face, ch anger nos per-
w
'<j"
..-t
ceptions, revoir n os objectifs et n ous engager dans l'action . N o us
0
N avons précédermnent évoqué la n écessité d'être en prise avec la réa-
@
.......
..c lité p our éviter les interprétations fausses et les désillusions.Voyons à
Ol
·;::::
>- présent comment chan ger nos perceptions. N o tez au passage que
a.
0
u nous avon s déj à en gagé cette action : en abordant les évén em ents

170
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

avec plus de sagacité, en nous situant au plus proche du réel, en faisant


bien la part des choses entre ce qui est de l'ordre des faits, puis des
émotions et enfin ce qui relève du domaine des conséquences, nous
avons naturellement modifié nos perceptions.

Recadrer
Pour reprendre Épictète, en exergue au chapitre 4,puisque ce ne sont
pas les choses, les événements qui nous troublent mais l'opinion que
nous en avons, les représentations que nous nous en faisons, l'action
la plus efficace va consister à réexaminer nos expériences en adop-
tant un autre point de vue et en leur donnant un nouveau sens plus
positif. Cette technique rejoint la métaphore de la carte et du terri-
toire : lorsque les cartes dont je dispose ne me permettent plus de
retrouver mon chemin ou d'avoir des informations suffisantes sur le
territoire traversé, il est préférable de changer de cartes, de compléter
ou de réorienter celles dont je dispose plutôt que de persister dans
l'égarement. « Si ce que vous faites ne marche pas, essayez autre
chose » : c'est le bon sens qui parle !
Deux exen1ples classiques dans la littérature vont vous permettre de
comprendre cette notion de recadrage. Le premier se trouve chez Jean
vi
<lJ de La Fontaine, dans la fable Le Renard et les Raisins. Le renard, ne
0

w
1....
>- pouvant atteindre des raisins placés trop haut dans la treille, va ni.odi-
'<j"
.-t fier son point de vue : les raisins sont trop verts pour lui, tout juste
0
N
@ "'
-5!!
bons pour des « goujats ».Autre exemple dans Les Aventures de Tom
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
Q)
Sawyer de Mark Twain. Tom Sawyer est un orphelin de 10 ans, élevé
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 par sa tante. Un soir, il rentre tard, les vêtements déchirés et sa tante le
0 \..?
u @

171
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

punit : le lendemain il devra passer plusieurs couches de badigeon sur


une palissade immense. Le jour venu, il tente en vain de convaincre
l'un de ses amis de faire le travail à sa place.Tom, contraint d'effectuer
la punition, subit les moqueries de ses camarades. Mais il rebondit très
vite en les persuadant que badigeonner une clôture est une tâche très
agréable mais qui n'est pas donnée à tout le monde. Du coup, ses amis
le supplient de les laisser essayer et finissent par peindre toute la palis-
sade en s'acquittant au passage de quelques objets donnés en échange
de ce « droit » au badigeonnage. Dans ce recadrage, la punition s'est
transformée en une tâche gratifiante dont To1n a su tirer profit.
Le thérapeute américain, pionnier de la thérapie brève, Steve De
Shazer cite cet exemple clinique. Une femn1e atteinte de la polio
devait porter des jambières orthopédiques et se servir d'une béquille
pour marcher. Bien que persuadée qu'elle s'était bien adaptée à son
handicap, cette femme déployait tous les efforts pour dissimuler son
infirmité, notamment en s'arrangeant pour qu'on ne voie pas sa
béquille. Cette attitude associée à la certitude qu'elle ne pourrait
jamais entretenir de relation avec les hommes qui l'intéressaient et
qu'elle était n1oins attirante que les autres femmes, produisirent les
effets attendus : déprime et rejet de toute relation. À partir du mo-
Vl
ment, nous dit De Shazer, où cette femme « commença à utiliser des
<lJ
0
1....
cannes de forme ou de couleur originale et ensuite à les mettre bien en
>-
w
'<j"
évidence se dégagea d'elle une force p eu commune. Ce nouveau com-
.-t
0
N
portement créait un tel effet sur son entourage que les gens se mirent
@
.......
à la traiter différemment 1 ».Le recadrage, opéré avec l'aide du théra-
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. De Sh azer Steve, Clés et solutions en thérapie brève, Satas, 1999.

172
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

peute, a permis à cette femme de changer son regard sur elle-même,


de ne plus être paralysée par son infirmité et d'adopter de nouveaux
comportements. Ce nouveau cadre de référence lui a également
ouvert la possibilité d'entretenir des relations avec les hommes qui
lui plaisaient.
En résumé, le sens que nous accordons à un événement dépend en
grande partie de l'interprétation que nous en faisons et du cadre dans
lequel il apparaît. Si nous déplaçons la situation dans un autre cadre et
si nous modifions nos perceptions, sa signification en sera radicale-
ment changée et de nouvelles ressources seront activées dans notre
cerveau, nous offrant la possibilité d'adopter des comportements neufs
et par conséquent d'expérimenter de nouveaux n1odes relationnels
avec les autres. Dès que notre propre regard sur nous-nièmes évolue,
celui de nos congénères prend naturellement le n1ên1e chenun.

Exercice : votre programme de changement

* Voici votre programme de changement. Répondez point par point aux ques-
tions suivantes. Une remarque : la façon dont vous allez recadrer les choses
doit être en accord avec vos valeurs et vos objectifs, ceci étant, ne vous
censurez pas, soyez inventif(ve), imaginatif(ve), tout en restant simple: inu-
tile de chercher midi à 14 heures.
vi
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

173
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

MON PROGRAMME DE CHANGEMENT


Date:

1. Définissez clairement le problème


*Quel est le point de vue, l'interprétation ou le comportement qui vous
gêne ? Le problème que vous n'arrivez pas à résoudre, la vision des choses
invalidante ou bien le comportement que vous aimeriez changer?

2. Examinez les solutions déjà essayées


*Qu'avez-vous fait précisément qui n'a pas, selon vous, fonctionné? Pour-
quoi, à vos yeux, ces solutions n'étaient-elles pas satisfaisantes? Étaient-
elles incompatibles avec votre vision des choses, avec vos besoins, vos va-
leurs, vos attentes?

3. Définissez en termes concrets le changement que vous souhaitez


obtenir et les conséquences attendues
*Ce que vous voulez précisément -7 Ce que cela va changer concrètement
dans votre vie -7 Les bénéfices que vous allez en retirer.

4 . Modifiez vos façons d'agir et de voir


*Reconsidérez votre problème sous un autre angle, d'une part en modifiant
vos comportements, d'autre part en changeant vos représentations. Qu'al-
Vl
lez-vous faire?
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
..-t 5. Quels sont les comportements nouveaux qui vont vous permettre de trou-
0
N ver de nouvelles ressources personnelles et de résoudre votre problème ?
@
.......
* Dans l'exemple précité, la personne handicapée décide de mettre en place
..c
Ol
·;::::
un nouveau comportement: mettre en évidence ses béquilles de forme et de
>-
a. couleur originales.
0
u

174
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

6. Comment voir les choses sous un autre angle ?


*Quelles sont les nouvelles façons d'envisager la situation qui vont vous ai-
der à changer vos cadres de référence ? De quelle manière pouvez-vous
changer votre regard sur vous-même? Dans l'exemple cité plus haut, laper-
sonne a changé de point de vue en cessant de se regarder comme elle pensait
que les autres la voyaient : handicapée.

7. Quelles sont vos ressources, vos points forts, vos aptitudes qui vont
vous permettre de toute évidence d'accéder au changement ?

8. A' présent, recopiez dans le cadre ci-dessous, sur une feuil le ou dans votre
cahier, la phrase suivante: Je prends l'engagement d'être responsable de
la réussite de ma vie . Inscrivez vos prénom et nom et signez.

Avancez à petits pas


Vous êtes libre de changer ou pas. Sur cette question, dès lors que
vous avez conscien ce de tous les freins qui ont pu vous empêcher
vi
<lJ
jusqu'à présent, votre liberté est totale. Changerez- vous aujourd'hui,
0
1....
>-
demain, la semaine prochaine, dans un mois, un an ? La question
w
'<j"
.-t
serait plutôt : préférez-vous continuer à vivre comme vous le faites
0
N aujourd'hui ?Voulez-vous reculer indéfiniment ce changement né-
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
cessaire auquel vous aspirez? De quoi avez- vous peur ?Votre souf-
Ol Q)
·;::::
>-
Q_
:::J
2
france est-elle suffisamment confortable pour que vous ayez envie de
a. \..?
0
u @ la prolonger? Attendre encore un peu, c'est ce que vous pouvez vous

175
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

dire tous les jours, indéfiniment, en tout cas tant que vous êtes vi-
vant ...
Prenez votre ten1ps, mais commencez tout de suite ! Il ne s'agit pas
de tout flanquer par la fenêtre, de lessiver votre histoire à grande eau,
mais d'avancer à petits pas (c'est ce que vous avez comn1encé à faire
en lisant ce livre) et dites-vous que cela vaut toujours mieux que rien.
Procédez marche après marche, à votre rythn1e, à votre n1.esure, l'es-
sentiel est d'agir. Rien ne presse, vous avez le temps, inutile de vous
n1.ettre sous pression pour évoluer dans l'urgence. Ne confondez pas
précipitation et rapidité.L'essentiel est de faire le premier pas, ensuite
les changements viendront d' eux-mên1.es, de façon naturelle.
Très décriée dans nos sociétés modernes où il faut prendre rapide-
ment les bonnes décisions dans un maelstrom informatif hallucinant,
où il faut réussir au plus vite sous peine d'être rangé au rayon des
perdants, la patience a m auvaise presse, tandis que l'hyperactivité
compulsive ressemble à une qualité pren1.ière. Mais p atienter, est-ce,
comme on le croit souvent, rester passif? Est-ce procrastiner en at-
tendant des jours meilleurs? Pour retrouver la sérénité après un choc,
une rupture, un événement vécu avec violence, la patience fait sans
aucun doute partie des postures bénéfiques. Elle pennet d'associer la
l{J réflexion à l'action, d 'adopter une position de recul ou de surplomb
0
1...
>- tout en s'engageant dans la tran sition, d'accéder à la connaissance en
w
'<j"
.-t
prenant le temps de l'observation, en exerçant son sens critique. Se
0
N
@
comprendre soi-n1.ême, comprendre les autres et le monde, cela né-
.......
.c cessite du temps. Le temps d'une patience apaisée, fertile et réfléchie,
Ol
·;::::
>-
a.
loin de la colère, du stress et de la peur. Le patient n'est pas passif, il
0
u ne remet p as les choses au lendemain pour éviter les problèmes du

176
1
ACCEPTER CE QUE L 0N NE PEUT CHANGER

jour mên1e, il est confiant, conscient de ses forces et de ses limites, il


sait qu'il ne peut pas tout contrôler. Il éprouve le temps avec justesse
et lucidité.

Faites-vous accompagner par vos amis


Parlez à vos amis, aux membres de votre famille ou à toute personne
de confiance de votre désir de changement. Soyez concret(ète),
direct(e), enjoué(e). Faites-leur part de vos résolutions. La présence et
la participation, même passive, des autres est stimulante. Soyez à leur
écoute mais restez vigilant(e) dès que vous entendrez des phrases qui
commencent par« oui mais ... »,«pourquoi tu ne fais pas plutôt ... »,
«tu as pensé à ... »,etc. Il s'agit peut-être de remarques constructives
ou de tentatives pour vous détourner de vos objectifs et prendre le
contrôle sur vous. Les autres ont le pouvoir de vous accompagner, ne
leur accordez pas celui de vous diriger. Vous seul(e) savez ce qui est
bon pour vous.Nous reviendrons sur ce point plus loin.

Soyez persévérant(e)
Ne lâchez pas en cours de route.Vos actions, votre état d'esprit et vos
objectifs vous engagent à vos propres yeux.Avant de vous endormir,
vi
<lJ vous pourriez faire mentalement le bilan de votre journée : qu'est-ce
0
1....

w
>- que j'ai fait de bien, d'agréable, d'utile pour moi aujourd'hui ? Où
'<j"
.-t
0
en suis-je avec mes objectifs? En quoi puis-je me dire que j'ai com-
N
@ "'
-5!!
mencé à changer? «]'ai réussi à faire une balade en forêt alors que je
....... 0
..c >..
UJ n'avais p as mis le nez dehors depuis trois mois » ; «]'ai pris le temps
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
\..?
d'écouter un morceau de musique en buvant un verre de vin et je
0
u @

177
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

me suis senti(e) bien» ; «Je me suis offert un bain parfumé pendant


une heure » ; «]'ai parlé de n1.es projets à ma meilleure amie » ; «]'ai
osé m'habiller pour sortir faire du shopping en ville sans craindre le
regard des autres », etc.

Fixez-vous des objectifs atteignables


Fixez-vous à l'avance des actions concrètes et avantageuses pour
vous, que vous êtes quasiment sûr(e) de pouvoir réaliser, et goûtez le
bonheur de les avoir menées à terme. Ne persistez pas dans d'éven-
tuels mauvais choix ou lorsque vous avez placé la barre trop haut.
Encore une fois, apprenez à vous connaître et à trouver votre mesure.
Peu à peu, vous serez capable de pousser le curseur et de vous lancer
dans des actions plus importantes et plus engageantes.
Comme nous l'avons vu au chapitre 6,je vous conseille de justifier
vos actions réussies en les associant à votre personne : «]'ai réussi à
dominer ma peur parce que je suis une fille très courageuse » ; «Je
suis un garçon formidable, c'est pour ça que j'ai réussi cet entretien
dont j'avais une frousse bleue ».En revanche, en cas d'interruption
ou d'insuccès de votre action, privilégiez les explications extérieures
à vos actes: «J'ai ressenti de la peur parce qu'il faisait nuit noire et que
Vl
<lJ j'ai entendu des bruits étranges » ; «]'ai raté cet entretien parce que
0
1...
>- le profil de poste n'était pas suffisamment détaillé, parce que la déci-
w
'<j"
.-t
sion était déjà prise »,etc.Nous avons naturellement tendance à fonc-
0
N
@
tionner selon ce schéma, sauflorsque nous avons perdu confiance en
.......
.c nous ou que nous ne nous aimons pas.Dans ce cas, il est souvent utile
Ol
·;::::
>-
a.
d'y revenir, non pas pour nous manipuler nous-mên1.es mais pour
0
u éviter de nous enfoncer davantage.

178
Chapitre

Revenir à soi

« Celui qui se donne la mort est une victime


qui rencontre son bourreau et le tue. »
Alexandre Dumas fils.

Vous êtes une personne parfaite en tous points, mais sans doute
l'ignorez-vous. Pourtant ce devrait être votre principal sujet de satis-
faction .Vos peurs, vos joies, vos peines, vos failles, vos souffrances, vos
rêves, vos angoisses, vos maladresses, vos succès, tout cela est embar-
vi
<lJ
qué avec vous et contribue à faire de vous la personne que vous êtes,
0
1....
>-
ni bonne ni mauvaise, ni intelligente ni stupide, ni courageuse ni
w
'<j"
.-t
faible. Simplement vous.
0
N
@ "'
-5!! En règle générale, nous n'avons pas naturellement tendance à être de
....... 0
..c >..
Ol
UJ
Q)
bons compagnons pour nous-mêmes, doux, prévenants, généreux,
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 attentifs à nos émotions et à nos besoins, curieux de mieux nous
0 \..?
u @

179
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

connaître, vigilants quant à nos relations ... Et peut-être moins encore


lorsque nous nous retrouvons dans le rôle de victime.Tout au contraire
son1mes-nous, pour la plupart, durs et exigeants, insatisfaits voire vio-
lents envers nous-mêmes, insensibles à ce que nous sommes et peu
soucieux d'accueillir nos émotions et de respecter les besoins qui sont
les nôtres. Derrière chaque souffrance il y a un besoin non satisfait, et
plus ce besoin est intense, plus ça fait mal, plus notre corps hurle. Mais
nous sommes parfois dans une telle recherche de reconnaissance et de
réussite matérielle que nous en oublions de nous prêter attention et
de respecter la personne que nous so1nmes. Si nous ne nous occupons
pas de nous avec attention, bienveillance et dignité, alors nous fonc-
tionnons en mode survie, branchés sur nos pilotes automatiques, sans
réelle possibilité d'accéder à l'hun1anité ... Si nous ne nous occupons
pas de nous, qui le fera, avec quelles intentions ?
Il ne s'agit pas de prôner un individualisme à tous crins, au sens où
l'entendait le philosophe Alexis de Tocqueville :
«Un sentiment rij1échi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la
masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis; de
telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il
abandonne volontiers la grande société à elle-même 1• »
Vl
<lJ
0
1...

w
>- Il ne convient pas plus de céder à l'égoïsme qui consisterait à ne
'<j"
.-t
0
prendre en compte que ses intérêts personnels sans se soucier des
N
"'
@ autres. Revenir à soi, c'est s'occuper de soi, mais pas que de soi. Etre
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1.Tocgueville Alexis de, De La démocratie en Amérique, 1840.

180
REVENIR À SOI

un bon guide pour soi-même, certes, n"lais sans perdre le lien aux
autres, sans cesser de s'impliquer auprès d'eux, sans jeter aux orties
nos sentin"lents de tendresse et de gratitude. Car souvent les victimes
de faits graves se replient sur elles-mêmes, sans faire le nécessaire pour
s'aimer vraiment et, concurremment, elles perdent le « goût des
autres».

De l'art de s'aimer
Dans L)Art d)aimer 1, le philosophe et psychanalyste an1éricain Erich
Fron1n1 décrit quatre éléments fondamentaux del' amour qui se prêtent
parfaitement à l'attention que nous avons le devoir de nous porter : la
sollicitude, la responsabilité, le respect et la connaissance de soi.

Exercice : votre sollicitude, responsabilité et respect

*Répondez spontanément et avec franchise à ces questions, évitez de vous


mentir à vous-même. Illustrez chacune de vos réponses par des attitudes et
des comportements concrets. Il ne s'agit pas de s'en tenir au niveau des in-
tentions, mais bel et bien de préciser les actions réelles, tangibles qui
viennent confirmer vos sentiments.

vi
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @ 1. Fronm"l Erich, L'Art d'aimer, Éditions de l'Épi, 1968.

181
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Questions Oui/Non Illustration concrète de


votre sentiment
1. Avez-vous le sentiment de prendre
soin de vous, de satisfaire votre
bien-être, de vous procurer du
réconfort dans les moments difficiles?
2. Avez-vous l'impression de vous
préoccuper suffisamment de vous en
général?
3. Ressentez-vous une forme d'affec-
tion pour la personne que vous êtes ?
4. Selon vous, êtes-vous en mesure de
répondre à vos besoins essentiels?
5. En cas de difficulté, vous efforcez-
vous de trouver des solutions ?
6. Répondez-vous de vos actions ?
7. Savez-vous généralement en
accepter les conséquences ?
8. Pensez-vous être quelqu'un de
respectable et vous respectez-vous
vous-même?
9. Vous arrive-t-il de vous mépriser,
de vous estimer indigne d'attention
ou d'intérêt, de vous trouver nul(le),
inconséquent(e) ? Dans quelles
situations précisément?
Vl
<lJ
0
1O. La plupart du temps, vous
1....

w
>- traitez-vous avec dignité?
'<j"
.-t 11. Pensez-vous vous porter suffisam-
0
N ment de considération ?
@
.......
..c
12. Respectez-vous votre histoire, vos
Ol
·;:::: expériences, vos échecs ?
>-
a.
0
u

182
REVENIR À SOI

Commentaire

*Les phrases 1 à 3 renvoient à la sollicitude. La sollicitude est le contraire


de l'indifférence.
"
*Les phrases 4 à 7 renvoient à la responsabilité. Etre responsable signifie
littéralement« être capable d'apporter des réponses», de façon volontaire
et consciente. Il ne s'agit pas seulement d'un devoir, d'une injonction ou d'une
obligation imposés de l'extérieur.
*Les phrases 8 à 12 renvoient au respect. La racine de ce mot vient du latin
respectusqui signifie« égard et considération».

La connaissance de soi
Pour André Gide, le « Connais-toi toi-même » gravé sur le fronton
du temple de Delphes et dont Socrate avait fait sa devise est « une
maxime aussi pernicieuse que laide. Quiconque s'observe arrête son
développement. La ch enille qui cherch erait à se bien connaître ne
deviendrait j an1ais papillon 1 ». La connaissance de soi, pour soi, n' au-
rait en effet guère d'intérêt si elle restait autocentrée et ne s'inscrivait
plus largement dans nos rapports au n1onde, à la vie, aux autres.Toute
conscience repliée sur elle-même équivaudrait à une mutilation de
la réalité. Ceci étant , la connaissance de soi est difficile à acquérir, tout
autant que subjective. Elle nécessite de savoir observer, d'une part, et
vi de savoir s'observer soi-même, d'autre part.Tâche délicate dans laquelle
<lJ
0
1....
le sujet observé est aussi l'observateur, mais pas impossible, quand
w
>-
'<j"
bien même, comme l'écrit le philosophe allemand Nietzsche, « cha-
.-t
0
N cun [serait] à soi- n1ême le plus lointain2 ».
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 1. Gide André, Les Nourritures terrestres/Les Nouvelles Nourritures, Gallimard, 2012.
0 \..?
u @ 2. Nietzsche Friedrich, Le Gai Savoir, Gallimard, 1975.

183
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Pour bien se connaître, il me paraît indispensable de faire preuve


d'attention, de détachement, de lucidité, de non-jugement. Obser-
vez-vous également à travers le regard des autres, comme si vous étiez
un territoire à découvrir. Soyez curieux de vous-même, explorez vos
ressources ...

Exercice : qui êtes-vous ?

* Voiciune série de questions sur lesquelles réfléchir pour avancer dans la


connaissance de vous-même. Je vous invite à noter chaque soir ces décou-
vertes que vous faites sur vous-même.

1. Qui êtes-vous en tant qu'être humain?


* Exemple : Je suis une personne assez complexe, je me pose beaucoup de
questions.

2. Comment vous voyez-vous en tant qu'homme ou femme?


* Exemple : Je suis une femme attentionnée mais je doute des sentiments
que les autres me portent.

3. Quelle est votre histoire ?


* Exemple: J'ai vécu une enfance paisible, mes parents étaient très à l'écoute
de mes besoins. En revanche mon adolescence fut plus tourmentée, etc.
Vl
<lJ
0
1... 4. Comment définiriez-vous votre caractère, votre personnalité?
>-
w
'<j"
.-t
0
N
5. Quelles sont vos qualités ?
@
.......
.c 6. Quels sont vos défauts ?
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

184
REVENIR À SOI

7. Sur une échelle de 1 à 10, où situez-vous l'influence de vos condition-


nements culturels, familiaux, sociaux?

8. Pensez-vous être libre ?

9. Avez-vous conscience de tout ce qui dicte vos attitudes et vos


conduites?

10. Pensez-vous pouvoir apprendre chaque jour quelque chose de nouveau


vous concernant ?

L'estime de soi
De nombreux ouvrages traitent des questions de l'estime de soi, de la
confiance en soi et de l'affirmation de soi. Même si elles renvoient à
des notions connexes, ces expressions ne se situent pas exactement sur
le même plan. Cependant, le fait d'être victime a généralement pour
effet d'augmenter notre mal-être et notre sentiment de ne pas trouver
notre place, avec pour conséquences une baisse del' estime de soi, une
perte de la confiance en soi et des difficultés à s'affirmer avec les
autres. Il est donc important de prendre en compte ces trois niveaux
et de réfléchir à des stratégies pour reprendre la donne et adopter des
attitudes et des comportements plus favorables à votre équilibre.
vi
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
La baisse de l'estime de soi
.-t
0
N L'estime de soi con cerne tout ce qui relève du monde des jugements,
@ "'
-5!!
0
.......
..c >..
UJ
des évaluations et des opinions que nous pouvons porter sur nous-
Ol Q)
·;::::
>-
a.
Q_
:::J
2
mêmes, en fonction de nos propres valeurs: «Je me trouve nul», «J'ai
0 \..?
u @ plein de qualités », «Je ne suis pas fier de moi », etc. Quand nous

185
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

sommes en concordance avec ces valeurs, notre estime de nous aug-


mente, tandis qu'elle diminue lorsque nous adoptons des attitudes et
des comportements qui s'opposent à ces valeurs. Par conséquent, il
nie paraît important que nous sachions évaluer nos actions et que
nous soyons au clair avec nos valeurs afin d'être fiers d'être la per-
sonne que nous sommes.

Mémo : Les signes d'une mauvaise estime de soi


• Vous avez l'impression de subir les événements, les autres, d'être en
permanence une victime.
• Vous vous dévalorisez.
• La moindre critique a le don de vous anéantir, vous vous sentez toujours
jugé(e).
• Vous ne vous aimez pas, vous n'aimez pas votre physique, vous ne vous
respectez pas.
• Vous êtes intraitable avec vous-même.
• Vous vous trouvez tous les défauts possibles.
• La peur est votre émotion privilégiée.
• Vous n'osez pas vous lancer, passer à l'action.
• Vous accordez plus de valeur aux autres qu'à vous-même.

Vl
• Vous ne savez pas refuser une demande qui vous pose problème.
<lJ
0
1....
>-
w La confiance en soi
'<j"
.-t
0
N La confiance en soi est davantage liée à des capacités personnelles.
@
....... Avoir confiance en soi c'est être convaincu que nous sommes en
..c
Ol
·;::::
>-
n1.esure d'accomplir une action ou d'adopter une attitude ou un
a.
u
0 comportement, dans une situation donnée, parce que nous estimons

186
REVENIR À SOI

avoir les compétences pour le faire. «Je sais que je vais réussir à prendre
la parole lors de cette réunion parce que je connais parfaitement mon
dossier et j'aime faire partager mes idées. »

L'affirmation de soi
L'affirmation de soi est au cœur des relations que nous entretenons
avec les autres et elle rejaillit sur le rapport que nous avons à nous-
mêmes. Nous somn1.es affinnés, non pas quand nous crions plus fort
que les autres ou quand nous prenons le pouvoir sur eux, mais quand
nous sommes capables d'exprimer et de faire entendre clairement
nos opinions, nos valeurs, nos besoins, nos ressentis, nos demandes,
tout en restant attentifs à la parole del' autre et à la qualité de la rela-
tion. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre consacré à nos
relations avec les autres.

Ces trois dimensions sont interdépendantes. Il est en effet difficile


d'avoir confiance en soi lorsque l'on a une piètre estime de soi. Com-
n1.ent être sûr de réussir quand on est persuadé qu'on ne vaut rien ?
De même, comment s'affirmer avec les autres quand on a perdu
toute confiance en soi ? Le manque d'estime de soi amenuise la
confiance en soi et le manque de confiance réduit les capacités d' af-
vi
<lJ firmation de soi.
0
1....

w
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-5!!
....... 0
..c >..
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2
0 \..?
u @

187
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

f' Estùnè de
SOI

-
' .
·confia në:e 'Attfrrriation
en SOI de soi

Le schéma classique

Pierre-Yves a 16 ans. Un soir d'hiver, en rentrant du lycée, il a été molesté par


trois jeunes dans le bus qui le ramenait chez lui. Pierre-Yves a ressenti« la peur
de sa vie ». Cette peur s'est transformée par la suite en colère contre lui-
même: «Je suis nul. J'ai mal réagi. Je n'aurais pas dû me laisser faire.» Son
estime personnelle a baissé. Il a perdu confiance en lui et il ne se sent plus
capable de monter dans un bus dès lors qu'il identifie des individus qui res-
semblent de près ou de loin à ses agresseurs. Ses parents sont obligés de
composer avec leurs agendas pour le ramener en voiture. Baisse de l'estime
l/l
Q)

0
de soi entraînant dans son sillage une perte de confiance en soi, le schéma
1-
>- est classique. La perte de confiance en soi bloque le passage à l'action - on
w
<j"
,..... ne se sent plus capable -, et l'on devient de moins en moins affirmé dans ses
0
N
@ relations.
.......
~
Ol
ï:::
>-
a.
0
u

188
REVENIR À SOI

Test : évaluez votre estime de vous


*Pour chacune des affirmations suivantes, cochez la case qui correspond à
la fréquence de ce que vous pouvez faire, dire ou penser à propos de vous-
,..
meme.
Très
Jamais Rarement Souvent
souvent

1. Je suis fier(ère) de ce que je suis. D D D D


2. Je suis insatisfait(e) de moi. D D D D
3. Je suis unique. D D D D
4. Je pense avoir davantage de défauts
que de quai ités. D D D D
5. Je pense que les autres réussissent
à faire les choses mieux que moi. D D D D
6. Je me respecte. D D D D
7. Je me trouve inférieur(e) aux autres. D D D D
8. Je suis une personne digne d'intérêt. D D D D
9. Je m'accorde le droit à l'erreur. D D D D
10. Je pense que ma vie n'a pas de sens. D D D D
11. J'ai de nombreuses qualités. D D D D
12. J'aime mon image. D D D D
vi
13. J'ai tendance à me dévaloriser. D D D D
<lJ
14. Dans mon domaine, je suis aussi
0

w
.....
>- compétent(e) que les autres . D D D D
'<j"
.-t
0
15. Je me trouve nul(le). D D D D
N
@ "'
-5!!
16. Je suis très sensible à la critique. D D D D
....... 0
.c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
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2
0 \..?
u @

189
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

*Effectuez le décompte de vos points en utilisant le tableau ci-dessous.

Affirmations Jamais Parfois Souvent Très souvent


1, 3, 6, 8, 9,
0 point 1 point 2 points 3 points
11, 12, 14
2, 4, 5, 7, 10,
3 points 2 points 1 point 0 point
13, 15, 16

Scores
* De 0 à 12 points : votre estime de vous est très faible.
* De 13 à 24 points : votre estime de vous est faible.
* De 25 à 36 points : votre estime de vous est correcte.
* De 36 à 48 points : votre estime de vous est très forte.

Renforcez votre estime personnelle et reprenez


confiance en vous
É ternel faux dilem n1e que celui du verre à moitié vide ou à moitié
plein. Une n1aj orité de gens vous diront qu'il est à moitié vide, quand
d 'autres, plus optimistes et moins centrés sur ce qui n e va pas, vous
soutiendront qu 'il est à m oitié plein. Pour restaurer votre estime de
vous et retrouver une m eilleure qualité de vie, vous allez d evoir
Vl
<lJ changer de lunettes, c'est-à-dire cesser de vous focaliser su r vos
0
1...
>- m anques, vos défauts, vos difficultés, vos frustrations, sur cette in1age
w
'<j"
..-t de vous qui vous h orripile, p o ur vous intéresser prioritairement à vos
0
N
@
mérites, à vos dons, à vos valeurs. Il s'agit de s'accepter soi-n1ême, tel
.......
..c
Ol
que l' on est, pas tel que l'on se rêve ou tel que les autres voudraient
·;::::
>-
a.
que l' on soit. L'estime de soi n 'est pas antérieure à nos exp érien ces.
0
u

190
REVENIR À SOI

Elle peut se détériorer au fil des événements, tout coni.me elle peut
se reconstruire. C'est cette piste que je vous propose d'explorer à
présent.

Quelles sont vos valeurs ?


Les valeurs représentent des normes de conduite personnelle aux-
quelles nous adhérons et nous nous conformons parce qu'elles sont
importantes à nos yeux et que nous en sommes fiers. Elles portent
sur différents points.
• Des biens extérieurs, matériels ou non : l'argent, l'an1our, le pou-
voir, etc.
• Des éléments corporels : la santé, l'hygiène, la beauté, le plaisir, etc.
• Des principes moraux : l'honnêteté, la loyauté, le respect, etc.
• Des principes intellectuels : la logique, la rationalité, le doute, etc.
• Des principes spirituels :le bonheur,la réalisation de soi,la religion,
etc.
Chacun d'entre nous se réfère de façon non consciente à son propre
système de valeurs, celui-ci constituant un ensemble hiérarchisé que
l'on nomme une échelle des valeurs.Tout cela est très subjectif. Pour
vi
<lJ
certaines personnes, par exemple, l'amour sera une valeur prioritaire,
0
1.... pour d'autres ce sera l'argent, l'engagement, la liberté, la santé ou la
w
>-
'<j" réussite professionnelle. Les valeurs représentent des manières d'être,
.-t
0
N d'agir et de penser idéales qui fonctionnent comme des guides.
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
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2
0 \..?
u @

191
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Exercices : composez votre échelle de valeurs


personnelle et passez en mode valorisation 1

1. Votre échelle de valeurs


*Notez ci-dessous les huit valeurs essentielles qui font sens pour vous, en
les rangeant par ordre d'importance, puis répondez aux questions.
1.
2.
3.

4.

5.

6.
7.

8.

* A' quels moments avez-vous pris des décisions ou fait des choix en total
accord avec chacune de ces valeurs ?

*Que ressentez-vous lorsque vous agissez dans la droite ligne de vos va-
leurs?
Vl
<lJ
0
1....
* Vous est-il arrivé d'être en désaccord avec vos valeurs? Dans quelles cir-
>-
w constances ?
'<j"
.-t
0
N
@ * Que ressentez-vous quand vous n'êtes pas fidèle à vos valeurs ?
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

192
REVENIR À SOI

• Commentaire
*Peu de gens s'intéressent de près à leurs propres valeurs, cela me semble
regrettable. En ayant conscience des valeurs essentielles qui vous guident,
vous renforcez votre estime de vous, vous pouvez plus facilement clarifier
vos objectifs, prendre les décisions qui vous conviennent le mieux, vivre
pleinement en accord avec vous-même et être heureux. En revanche, quand
vos comportements et vos attitudes sont en désaccord avec vos valeurs,
votre estime de vous a tendance à prendre du plomb dans l'aile. Quelque
chose sonne faux et vous allez devoir réduire cette dissonance en modifiant
vos jugements, vos opinions ... ou vos valeurs. Ce qui peut vous poser quelques
problèmes d'intégrité personnelle, surtout s'il s'agit de la valeur à laquelle
vous attachez la plus grande importance.
2. Passez en mode valorisation
* Arrêtez de vous dévaloriser en permanence, de vous juger négativement,
de vous comparer aux autres. Vous avez, j'en suis certain, d'excellentes rai-
sons de vous aimer et d'accepter la personne que vous êtes. Notez ci-
dessous au moins une dizaine de ces excellentes raisons et complétez la liste
à chaque occasion.
1.
2.
3.
4.

5.
vi
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0
1...
6.
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7.
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-5!! 8.
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Q_ 9.
>-
a.
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0 \..?
u @ 10.

193
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

La confiance en soi pour passer à l'action


Étyn1ologiquement, avoir confiance, c'est accorder sa foi, pouvoir se
fier à soi-même ou à quelqu'un. La confiance nous assure la sérénité,
la sécurité et la garantie de pouvoir agir dans une situation donnée,
d'entreprendre de nouveaux projets, parce que nous nous en sentons
capables, nous savons que nous pouvons compter sur nous-mêmes.
Ainsi, quand la confiance en soi est fragilisée, c'est une force essen-
tielle qui disparaît. Nous perdons toute énergie pour rebondir et
nous devenons dépendants des autres, ce qui a pour effet de dégrader
la nature des relations que nous entretenons avec eux et de nous
engager dans des systèmes de dominance.
La peur et l'inquiétude sont les émotions à l'origine de la perte de
confiance en soi. Lorsque nous anticipons les événements en cher-
chant toutes sortes de raisons pour annuler ou reporter le passage à
l'action, nous nous programmons inévitablement sur l'échec. Il ne
s'agit pas naturellement de foncer tête baissée en toute situation, sans
réfléchir aux conséquences de nos résolutions, mais d'être conscients
de nos freins, de rester lucides sur nos capacités, nos forces, nos talents.

Astuces pour reprendre confiance en soi


Vl
<lJ
0
1....
*Identifiez vos peurs irrationnelles : la peur, l'inquiétude, le sentiment
>-
w d'être menacé sont des émotions légitimes lorsqu'elles portent sur des ob-
'<j"
.-t
0
jets rationnels. Elles sont préoccupantes lorsqu'elles reposent sur des anti-
N
cipations ou des fantasmes d'échec.
@
.......
..c *Ne vous avouez pas vaincu(e) avant même d'avoir commencé à agir .
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

194
REVENIR À SOI

* Développez votre confiance en vous tous les jours : commencez par des
actions mesurées, réalistes, peu engageantes, qui seront inévitablement
couronnées de succès.
* Saluez chacune de vos réussites.
*Privilégiez les activités qui vous plaisent : en faisant ce que vous aimez, vous
augmentez vos chances d'aller au bout de vos projets.
*Commencez par ce que vous savez déjà bien faire: vous limitez les risques
d'échouer.
*Développez de nouvelles compétences: vous rêvez d'écrire? Pourquoi ne
pas vous inscrire à un atelier d'écriture pour apprendre les bases de la dra-
maturgie, par exemple. On peut toujours acquérir de nouveaux savoirs, de
nouvelles capacités, cela renforce la confiance en soi.
*Soyez réaliste : fixez-vous des objectifs accessibles. Si vou;S placez la
barre trop haut, vous augmentez les probabilités de vous louper. Eliminez les
objectifs irréalistes, ceux que vous êtes certains de ne pas pouvoir at-
teindre.
*Dressez par écrit la liste des moyens dont vous disposez pour atteindre
ces objectifs.
*Accueillez vos échecs avec bienveillance: ils représentent des expériences
utiles sur le chemin de la réussite.
*Aimez vos faiblesses autant que vos forces.
* Ne faites pas toujours plus quand ce que vous faites déjà ne marche pas :
accordez-vous le temps nécessaire pour réussir, mais ne persistez pas inu-
tilement.
vi
<lJ * Adoptez la méthode Coué. Au lieu de fonctionner en circuit fermé avec des
0
1....
>- prophéties négatives, répétez mentalement et de façon quotidienne:« Je
w
'<j" suis capable de... »,« J'ai les compétences pour ... ».
.-t
0
N * Trouvez du soutien dans votre entourage: l'appui de personnes bien dispo-
@ "'
-5!!
....... 0 sées à votre égard et non jugeantes est important pour reprendre confiance
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
en vous.
>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

195
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

*Parlez de vos projets autour de vous sans vous laisser influencer par les
gens qui reporteraient sur vous leurs propres problèmes.
*Ne visez pas la perfection.« Ce n'est pas tout à fait bien»,« Je dois mieux
faire»,« Je dois faire davantage»,« Je dois être à la hauteur»: ces for-
mules, qui ne sont pas l'apanage des personnes fortes et sûres d'elles, ont le
pouvoir de dissoudre la confiance en soi à vitesse grand V.
* Faites toujours de votre mieux.

Surveillez votre langage


« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le
Verbe était un dieu 1 »... Nous n 'imaginons pas à quel point notre
langage, la grammaire et les mots que nous utilisons, la façon dont
nous parlons de nous, nos discours intérieurs, nous influencent et
agissent sur nous comme des mantras souvent néfastes. Puissant outil
de communication et de pensée, la parole dispose d'un pouvoir créa-
teur, certes, n1ais aussi souvent d'un pouvoir terriblement destruc-
teur. Chaque fois que nous utilisons un mot, surtout si celui- ci se
réfère à un objet qui n'est pas présent dans la réalité, gardons bien à
l'esprit que ce mot n'est pas nécessairement porteur de la même si-
gnification pour tout le monde. Ainsi, si nous pouvons à peu près
nous entendre sur ce que signifie le mot lavabo, les choses se com-
pliquent dès que nous passons à des niveaux d'abstraction supérieurs
Vl
<lJ et que nous utilisons des concepts sans référent naturel: amour, bon-
0
1...

w
>- heur, désir, liberté, etc.« J'ai fait ça par amour»,« Je veux ton bon-
'<j"
.-t
0
heur»,« Il prend ses désirs pour des réalités»,« Il m'a volé ma liber-
N
@ té » : nous passons dans le monde abstrait des théories et chacun peut
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. Évangile selon saint Jean, 1, 1.

196
REVENIR À SOI

défendre les siennes en étant convaincu qu'elles sont bonnes. Les


mots sont donc des sources potentielles d'auto-manipulation, de
conflit et de domination.
Soyez donc attentif(ve) aux mots que vous utilisez, notamment
lorsque vous parlez de vous. Évitez les jugen1ents à l'emporte-pièce,
les évaluations, les discours intérieurs critiques ou contraignants, les
sortilèges, en bref toutes les paroles qui, peu ou prou, risquent de se
retourner contre vous et d'orienter, à votre insu, vos réflexions, vos
choix, vos relations. Usez au maxin1um du langage de la réalité : celui
des faits concrets, objectifs, mesurables, vérifiables.Apprenez à obser-
ver, sans a priori, en faisant taire tout discours intérieur. Le silence en
soi a des vertus singulières.

L'auto-étiquetage
Plombier, flic, voyou, patron, victime, prostituée, malade, indulgent,
pervers, gentil, tordu, aimable, tout le monde colle des étiquettes sur
tout le monde. Il n'y a rien là que de très humain. Mais accepter de
fonctionner sans broncher avec les étiquettes négatives quel' on nous
assigne est sans doute l'une des choses les plus fàcheuses qui puisse
nous arriver. . . Parce que nous ne sommes pas que cela, nous ne
vi
<lJ sommes pas résumables ou « récapitulables » en quelques mots. Le
0

w
1....
>- problème des étiquettes, c'est qu'elles finissent par être adoptées par
'<j"
.-t les personnes qui les portent et qu'elles induisent des change1nents
0
N
@ "'
-5!!
dans leur perception d' elles-ni.êines et dans leur façon de se compor-
....... 0
..c
Ol
>..
UJ
Q)
ter. Nous soni.mes naturellement très soucieux de ce que les autres
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2 peuvent penser de nous. Nous cherchons à faire bonne impression, à
0 \..?
u @

197
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

recevoir des signes de reconnaissance, d'acceptation, d' an1our. Nous


avons besoin de nous forger une identité sociale rassurante. Les éti-
quettes auraient sans doute de grandes vertus si elles n'étaient la
plupart du temps jugeantes, réductrices, négatives ou destinés à sou-
ligner nos manques, nos défauts, nos erreurs.L'exemple est frappant
dans le domaine éducatif: dire à un enfant qu'il est nul ne fait qu' ag-
graver ses difficultés. Ils' enferme dans cette étiquette pour n'en plus
sortir et ses résultats suivent généralement la prédiction. En revanche,
l'étiqueter positiven1ent, c'est-à-dire souligner ses qualités, ses capa-
cités, son courage, sans l'enfermer dans une catégorie, produit les
effets opposés : il reçoit cette influence positive, reprend confiance
en lui et ses résultats s'améliorent.
Nous pratiquons l'auto-étiquetage lorsque nous nous conforn1ons
aux étiquettes que les autres nous attribuent, mais également lorsque
nous nous disons par exemple «Je suis nulle», «Je suis gros», «Je suis
vieux, incapable»,« Je ne vaux rien»,« Je n'y arriverai jamais»,« Je
suis laide »,«Je n'aurai pas la force »,«Je suis une victin1e »,etc. Le
pouvoir de ces incantations est tellement puissant que nous finissons
par nous programmer nous- mêmes sur ces pseudo-réalités et à nous
entraîner à échouer. En revanche, nous pouvons tout à fait pratiquer
Vl
l'auto-étiquetage positif et sincère avec bonheur : «Je me sens ca-
<lJ
0
1....
pable, motivé(e) »,«Je suis une personne de valeur». Pour que cette
w
>-
'<j"
méthode soit efficace, il est nécessaire que ces étiquettes soient reliées
.-t
0
N
à vos comportements, autrement dit que vous soyez en mesure de les
@
.......
illustrer par des actes. Selon certains spécialistes des neurosciences,
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

198
REVENIR À SOI

nous dit Daniel Goleman1, il existerait dans le cerveau un système


dédié aux sentiments positifs. Celui-ci fonctionnerait en perma-
nence et nous permettrait d'être plus souvent optimistes que pessi-
mistes. À condition bien sûr que nos pensées sombres ne prennent
pas le dessus.

Exercice : collez-vous 5 étiquettes positives 1

* Dans le tableau ci-dessous inscrivez 5 étiquettes positives que vous pour-


riez vous coller puis notez les effets sur votre estime personnelle et votre
confiance en vous.

Vos étiquettes Effets sur votre estime Effets sur votre


positives personnelle confiance en vous

Les prophéties qui se réalisent


« lf men defme situations as real, they are real in their consequences 2 . »Tra-
vi duisez : « Si les hommes con sidèrent que des situations sont réelles,
<lJ
0
1....
>- alors elles sont réelles dans leurs conséquences.» Qu'est-ce que cela
w
'<j"
.-t signifie ? Que nous pouvons, de façon consciente ou non, avoir une
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
1. Goleman Daniel, op. ât.
>- :::J
a. 2
\..?
2. Ce théorème, connu sous le nom de théorème de Thomas, a été formulé en 1928 par le
0
u @ sociologue américain William Isaac Thomas.

199
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

croyance, faire une prédiction, que par ricochet, nos attitudes et nos
comportements vont en être modifiés et que ce qui n'était au départ
qu'une prophétie finit par arriver.Autrement dit, nous pouvons créer
une réalité à partir de prémisses complètement imaginaires. Nous
retrouvons ce phénomène en n1édecine avec l'effet placebo, dans le
domaine éducatif avec l'effet Pygmalion1 ou encore dans la méthode
Coué. Les prophéties qui se réalisent peuvent avoir des conséquences
positives, par exemple la réussite d'un projet ou l'atteinte d'un objec-
tif. Mais elles peuvent aussi avoir des conséquences négatives lorsque
nous faisons des prédictions malheureuses. Certains auteurs parlent
alors de prophéties autodestructrices.

La prophétie de David
David a peur que sa femme le quitte. ~Son comportement change : il de-
vient suspicieux, contrôle les messages sur son téléphone portable, épluche
ses mails, se montre excessivement jaloux dans des situations qui ne sont pas
justifiées.~ Sa femme ne supporte plus ces comportements. ~ Elle prend
de la distance et finit par le quitter.

Les auto-injonctions négatives


Vl
<lJ
0
1...
Pour cesser de nous faire violence, il est souhaitable que nous appre-
>-
w
'<j"
nions également à nous libérer de nos conditionne1nents et des obli-
.-t
0
N
gations que nous nous imposons ; de toutes ces pensées ou ces phrases
@
......
qui commencent par « Il faut»,« Je dois »,etc. Taibi Kalher, docteur
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. Pour plus de détails sur ces phénomènes, cf. Carré C hristophe, op. cit.

200
REVENIR À SOI

en psychologie du con1portement, a dressé la liste des cinq messages


négatifs les plus fréquents , que nous adressons aux autres mais aussi à
/\

nous-memes :
• Je dois faire vite.
• Je dois n1ontrer que je suis fort(e).
• Je dois n1' accrocher.
• Je dois faire plaisir.
• Je n'ai pas droit à l'erreur.

Exercice : vos auto-injonctions négatives


Répondez aux questions qui suivent.
* Vous arrive-t-il de vous soumettre personnellement à des injonctions né-
gatives?

* Dans quelles situations ?

* Avec quels effets ?

vi
<lJ
* Reprenez les 5 injonctions et, en face de chacune d'elle, inscrivez l'autori-
0
1....
sation ou la permission qui vous permettraient de vous en libérer.
>-
w
'<j"
• Je dois faire vite:
.-t
0
N
@ "'
-5!! • Je dois montrer que je suis fort(e):
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
0 \..?
u @

201
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

• Je dois m'accrocher:

• Je dois faire plaisir:

• Je n'ai pas droit à l'erreur:

Mes propositions de solutions


* Je dois faire vite : rien ne presse, toutes les situations ne sont pas des
situations d'urgence, je hiérarchise mes activités en commençant par les
plus importantes. J'ai le droit de prendre mon temps.
*Je dois montrer que je suis fort(e): j'accepte mes erreurs, mes échecs,
mes faiblesses. J'ai le droit de manquer de courage, d'avoir des doutes, des
failles, des moments de découragement.
*Je dois m'accrocher: l'énergie dépensée n'est pas toujours proportionnelle
à la qualité du résultat obtenu. Je suis réaliste. Je peux réussir à mon niveau,
en mesurant mes efforts et sans céder à l'épuisement. Toujours plus conduit
à l'obstination forcenée.
*Je dois faire plaisir : faire plaisir à qui? Pourquoi? Même si cela m'est
désagréable? Je ne suis pas obligé(e) de plaire ou de faire plaisir à tout le
monde. Mon confort personnel n'est pas en dessous de celui des autres. Je
n'ai pas peur de déplaire, de m'affirmer, de dire non.
*Je n'ai pas le droit à l'erreur : j'accepte de ne pas être parfait(e), de me
tromper. J'ai le droit de ne pas être admirable et irréprochable dans toutes
les situations. Le strict minimum est parfois largement suffisant. La re-
Vl
cherche de la perfection mène parfois à l'échec.
<lJ
0
1....

w
>-
'<j"
.-t
0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

202
Chapitre

Renouer avec les autres

« Il vaut mieux être détesté pour ce que tu es,


plutôt qu'être aimé pour ce que tu n'es pas. »
Kurt Cobain.

Certaines personnes victimes d'événements graves ou de relations


insatisfaisantes font le choix de l'isolement, souvent en se retirant des
zones urbaines. Cet isolement peut être provisoire et s'avérer béné-
fique, ou être plus durable et s'inscrire dans un projet de vie. Ainsi
vi
<lJ
Isabelle, après vingt-cinq ans d'une vie conjugale chaotique faite,
0
1....
>-
selon elle, d' en1prise et de dépendance financière, a-t-elle choisi de
w
'<j"
.-t
vivre au milieu des rochers et des pins à crochets, dans un chalet
0
N perdu des Hautes-Alpes, à trois heures de marche de la première
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
route carrossable, sans eau ni électricité, avec pour seule compagnie
Ol Q)
·;::::
>-
Q_
:::J
2
un chien et une douzaine de chats. Elle vit au rythme des saisons et
a. \..?
0
u @ trouve sa nouvelle existence« fabuleuse», malgré les difficultés qua-

203
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

si quotidiennes en hiver pour s'approvisionner en bois de chauffage


et en eau potable, avec des repas essentiellement composés de riz,
d'épeautre et de plantes sauvages. La solitude est sans nul doute un
bon moyen d'éprouver la réalité et de reprendre contact avec soi-
n1ême, n1.ais tout le monde n'est pas en mesure de se confronter au
vide social et à la rudesse des éléments. Rompre les amarres et vivre
sans les autres est souvent une épreuve radicale qui peut se révéler
hasardeuse pour des personnes fragiles ou mal préparées.
Alors, comment renouer avec les autres, poursuivre et entretenir de
saines relations avec eux quand on a été victime d'un événement
douloureux? Comment surmonter la peur d'être rejeté(e), éviter de
provoquer l'apitoiement, l'énervement, la stigmatisation ou le rejet?
Quelle attitude adopter pour être à l'aise et éviter les rapports de
domination ou d'assujettissement?

Des relations toujours équivoques


Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer est l'auteur de cette
parabole animale 1 • Égarés dans une contrée glaciale, deux porcs-
épics, qui vivent d'ordinaire dans les pays ch auds, se pressent l'un
contre l'autre pour se protéger mutuellement du gel et partager un
l{J peu de tiédeur. Mais, leur physique ne manquant pas de piquants, ils
0
1....
>- sont rapiden1.ent contraints de se séparer pour éviter de s' embro-
w
'<j"
.-t
cher. .. jusqu'à ce que la froidure les oblige à se rapprocher de nou-
0
N
veau. Le jeu de yo-yo continue de la sorte, les animaux se trouvant
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u 1. Schopenhauer Arthur, Parega et Paralipomena.Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1851.

204
RENOUER AVEC LES AUTRES

ballottés entre le plaisir de la chaleur de l'autre et la souffrance pro-


voquée par sa proximité.
La mésaventure des porcs-épics évoque le dilemme auquel nous
devons souvent faire face dans nos relations avec les autres : nous
avons besoin de société, de reconnaissance, d'appartenance, du regard
des autres et, en même temps, ces derniers représentent un danger
parce qu'ils peuvent tenter de nous influencer, de nous faire agir
contre notre volonté, de convoiter nos biens, voire de nous dépossé-
der de ce que nous sommes.Les règles sociales,la politesse et les belles
n1.anières permettent une mise à distance des hommes et leur offrent
la possibilité de coopérer en limitant les piqûres et les frictions, n1.ais
elles ne préservent pas totalement des phénomènes d'influence in-
hérents à toute communication humaine.Toute la question est donc
de trouver la bonne distance pour éviter les aiguilles sans perdre la
chaleur, et le juste équilibre pour communiquer de façon consciente,
en évitant au maximum les grincements relationnels.

Être victime, une position parfois confortable


J'imagine que nul n'a comme projet de faire une carrière de victime,
hormis les victin1.es stratégiques, c'est-à-dire les gens qui utilisent ce
vi
<lJ statut à des fins d'influence ou de manipulation. La pratique est cou-
0
1....
>- rante en politique, où il peut être avantageux de passer pour une
w
'<j"
.-t
victime à des fins électorales ou pour amadouer l'opinion publique.
0
N
@ "'
Elle existe également chez les personnes qui abusent de la victimisa-
-5!!
0
.......
..c >..
UJ
tion pour servir leurs objectifs ou leurs intérêts personnels, mais sans
Ol Q)
·;::::
>-
a.
Q_
:::J
2
avoir vécu d'événement particulièrement conflictuel, ni éprouver de
0 \..?
u @ réelle souffrance. De fausses victimes chroniques. Il s'agit bien sûr

205
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

d'un confort apparent. Mais c'est un fait : de non1breuses personnes


apprécient de se faire plaindre, de se sentir aimées, d'être aidées, sou-
tenues, conseillées, rassurées, écoutées, protégées, réconfortées dans
les moments difficiles. Cette attitude peut sembler légitime. Toute-
fois, ce besoin de reconnaissance, de conseil, de prise en charge par
les autres peut aussi dissimuler une volonté d'accaparer une certaine
forme de pouvoir sur eux.J'attire votre attention sur ce point qui
nécessite votre plus grande vigilance : si vous agissez, de façon
consciente ou non, de cette manière, vous risquez de vous confronter
aux pires désillusions, de perdre votre autononiie, votre statut de
personne responsable, et d'entrer dans un processus manipulatoire
don1n1ageable à votre relation, surtout si, bon gré mal gré, votre in-
terlocuteur se prête au jeu.S'en remettre aux autres ne doit pas vous
conduire à être complaisant(e) à l'égard de vous-même et à jouer les
victimes par confort ou perversion. Le terme est fort, je vous l'ac-
corde, mais la victiniisation stratégique, de même que la jouissance
que procure le sentiment d'être impuissant(e), existent aussi et font
des ravages personnels et relationnels :

« Tout ce qui m'arrive, c'est finalement de ta faute. Je n'aurais jamais dû


t'écouter.»
Vl
<lJ «Tu me dois bien ça, après ce que tu m'as fait endurer.»
0
1...

w
>- «Je suis détruit. li n'y a plus que toi qui puisses faire quelque chose pour moi.»
'<j"
.-t «Je t'en supplie, aime-moi encore.»
0
N
@
.......
..c Des phénon1ènes de ce type peuvent durer des années, avec des vic-
Ol
·;::::
>-
a.
times passives, incapables de se confronter à leur propre réalité, corn-
0
u

206
RENOUER AVEC LES AUTRES

plètement soumises et angoissées à l'idée de déplaire, de perdre


l'amour des autres.
Il ne s'agit pas non plus de faire comme si rien n'était arrivé, de mini-
miser les faits et leurs conséquences physiques, émotionnelles, psy-
chiques sur notre personne, par exemple pour préserver un équilibre
familial ou protéger les siens. La réalité s'accon1n1ode mal des détour-
nements. Pas question non plus d'adopter une attitude mutique, rési-
gnée, de souffrir en silence, de taire ses émotions, parfois pour ne pas
faire de peine, par peur de ce que les autres peuvent penser, ou encore
pour laisser croire que nous nous contrôlons, que nous savons montrer
notre force devant l'adversité ... solides con1n1e des rocs. Ces attitudes
factices, ces rôles de composition ne sonnent pas juste très longtemps,
ils vous bloquent dans vos souffrances et empoisonnent des relations
sincères. Comment voulez-vous retrouver votre confiance en vous si
vous leurrez les autres? Voulez-vous renoncer à vous confronter à vos
propres barrières ou prendre votre vie en main ? Naturellement, les
solutions existent et nous les avons déjà évoquées : décrivez les faits
avec précision, dites quelles sont les conséquences pour vous, en quoi
vos objectifs ou vos besoins sont contrariés et faites part de votre res-
senti à ce propos, de façon à ce qu'il puisse être entendu, accepté et
vi compris par vos interlocuteurs.C'est aussi simple que cela.
<lJ
0
1....
>- Dans la pratique, les choses sont un peu plus difficiles parce que nous
w
'<j"
.-t
nous laissons entraîner par nos schémas relationnels habituels. Le
0
N
@ "'
schén1a suivant1 décrit les quatre types d'attitudes possibles dans nos
-5!!
....... 0
..c >..
UJ
Ol Q)
·;:::: Q_

>- :::J
a. 2
\..?
1. Inspiré des positions de vie décrites en analyse transactionnelle, théorie élaborée par le
0
u @ psychiatre américain Eric Berne.

207
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

relations avec les autres. Les personnes « victin1es » se placent souvent


en position 3 ou 4. La seule position qui permette une communica-
tion « saine » est la position 1. Où pensez-vous vous situer ? Que
voudriez-vous changer?

1.
Acceptation
réciproque
de soi et des
autres.

4. 2.
Je me Je suis
dévalorise + bien+ les
les autres autres ne
valent mieux
valent rien.
que moi.

• 3.
Je me
dévalorise+
les autres ne
valent rien.

Vl
<lJ
0
1...
Attention aux pièges relationnels
>-
w
'<j"
.-t
Vous ne pouvez pas contrôler les personnes de votre entourage pour
0
N
@
les contraindre d'adopter tel ou tel con1portement avec vous parce que
.......
.c vous jugez que c'est ainsi qu'elles devraient agir pour être correctes
Ol
·;::::
>-
a.
avec vous ou pour vous paraître agréables. Souvent les gens sont mala-
0
u droits et ils ne le font pas exprès, pour vous contrarier. Ils voient les

208
RENOUER AVEC LES AUTRES

choses de leur propre point de vue, avec leurs propres croyances et


systèmes de références, qui sont aussi légitimes que les vôtres. En réa-
lité, ils font, comn1e vous, du nueux qu'ils peuvent, même si vous pou-
vez trouver cela agaçant. À quoi bon les juger, leur prêter des intentions
ou les condan1ner? Que gagneriez-vous à agir ainsi? Comn1e tous les
êtres vivants, ils veillent en priorité à n1aintenir leur équilibre personnel
et il est souhaitable que vous acceptiez que votre position de victime
puisse les interroger à titre personnel. Ceci étant, certaines attitudes ou
con1portements de leur part doivent appeler votre vigilance.

Les conseils
Les personnes qui pensent être de bon conseil ne n1anquent pas.
Même si vous ne leur demandez rien, elles pensent savoir ce qui est
bon pour vous et elles ont tendance à vous orienter dans vos choix,
dans vos représentations ou vos actions :

«Le passé, c'est du passé, à ta place, je tournerais la page.»


«Il vaut mieux que tu pardonnes, que tu oublies.»
«Tu devrais en parler avec un psy. »
«Ton mari est parti, tant mieux ! Je savais depuis le début que vous n'étiez
vi
pas faits l'un pour l'autre.»
<lJ
0
1....
>-
w Soucieuses de se donner bonne conscience et d'assurer leur tranquillité,
'<j"
.-t
0
N
ces personnes se sentent obligées de vous donner des conseils« clés en
@ "'
-5!! main» au lieu de vous écouter et de vous accompagner dans la recherche
....... 0
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
de solutions.Le problème c'est que votre histoire n'est pas la leur et qu'il
>-
a.
:::J
2
0 \..? y a de fortes chances pour que vous ne suiviez pas leurs indications afin
u @

209
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

de préserver votre liberté de choix.Avant même de comprendre la si-


tuation, ils vous enferment dans leurs propres solutions.

La moralisation
Ces personnes vont confronter leurs propres valeurs et leur sens
moral aux vôtres en imaginant que les leurs sont plus recevables. Ils
jugent ce que vous faites, vous adressent des reproches, vous pro-
posent des lignes de conduite en se fondant sur leurs propres mo-
dèles de fonctionnement et sans respecter les vôtres. Ce sont des
gens souvent rigides, peu à l'écoute et inquiets à l'idée de perdre le
contrôle des événements ou de voir remises en cause leurs normes
personnelles. Ils ressentent comn1e une menace tout ce qui peut
bouleverser leurs valeurs et se montrent parfois agressifs :

«Tu es en partie responsable de ce qui t'arrive.»


«Tu dramatises la situation.»
«Par pitié, arrête de te plaindre.»

Il peut être enrichissant d'échanger sur nos valeurs, à condition que


chacun respecte celles de l'autre.
Vl
<lJ
0
1...
>- Les comparaisons
w
'<j"
.-t
0
Toutes les histoires sont singulières et non superposables. Les gens
N
@ qui comparent votre situation à la leur ou qui établissent un p arallèle
......
.c
Ol
avec l'expérience d'une autre personne ne sont pas toujours d'une
·;::::
>-
a. aide efficace.
0
u

210
RENOUER AVEC LES AUTRES

«Je te comprends, c'est comme moi quand j'ai eu mon accident.»


« Ma belle-sœur a vécu la même chose que toi, elle a eu du mal à s'en re-
mettre.»

Ils veulent vous rassurer, vous démontrer que vous n'êtes pas le ou la
seul(e) à vivre des moments difficiles, établir des ponts entre des res-
sentis, mais ils vous éloignent de votre problématique personnelle en
pratiquant la généralisation. Du reste, vous pouvez avoir le sentin1ent
qu'ils nùnimisent votre expérience personnelle en la rattachant à celle
d'un tiers qui n'a, évidemment, pas pu vivre les choses de la même
façon que vous. Les comparaisons ne sont pas à rejeter de façon systé-
matique, parce qu'il est parfois utile de partager des expériences et des
én1otions, mais elles peuvent s'avérer stériles et clore le dialogue.

Distraire

«As-tu remarqué que le printemps est très en avance cette année?»

Lorsque des personnes détournent la conversation en parlant d'autre


chose, en cherchant à vous distraire, à vous faire oublier vos pro-
blèmes, elles peuvent poursuivre un objectif raisonnable et légitime :
vi vous recadrer, vous changer les idées, surtout si vous n'arrêtez p as de
<lJ
0
1.... vous lamenter et de tourner en rond dans vos propos. Mais elles
w
>-
'<j" p euvent indiquer aussi : « Ce que tu me dis ne m'est pas très agréable,
.-t
0
N cela me gêne, parlons d'autre chose ... »Une telle attitude n'est pas
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
blâmable, mais reste à savoir quel est le message caché: «Je ne suis pas
UJ
Ol
·;::::
>-
Q)
Q_
:::J
en mesure d'entendre ce que tu me dis» ou «Je veux t'aider à changer
a. 2
u
0 \..?
@ de registre ». Le plus simple est peut-être de poser une question ou-

211
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

verte : «]'ai le sentiment qu'il est difficile pour toi t'entendre ce que
j'ai à te dire, est-ce bien cela ? » Cela vous évitera de vous lancer dans
d'improbables interprétations et vous serez immédiatement fixé(e) .

La compassion
Compatir signifie étymologiquement« souffrir avec», autrement dit
partager les maux d'autrui, être sensible à sa souffrance, à sa détresse.
À de très rares exceptions et sauf indifférence ou froideur acquises, il
se1nble que nous soyons tous équipés au niveau neuronal pour nous
connecter les uns avec les autres et pour être affectés par ce qui se
passe dans la tête de nos congénères 1 • La compassion appartient aux
circuits de la route basse2 • Elle est instinctive et nous pousse à venir
en aide aux gens qui souffrent.C'est ainsi . .. Cependant, cette ten-
dance naturelle à l'entente émotionnelle et à la compassion s' ex-
prin1e parfois de façon inappropriée et déficiente. Compatir pour
compatir, en faire des tonnes dans ce registre et en rester là, c'est sans
doute libérateur, mais cela n'apporte pas grand-chose à la p ersonne
qui souffre si l'action ne suit pas. N e l'oubliez pas, d'une m anière ou
d'une autre, une émotion est toujours naturellement orientée vers
l'action. Par conséquent, n'attendez p as une aide efficace de la part
Vl des gens qui compatissent à vos peines et à vos souffrances, qui vous
<lJ
0
1....
plaignent, qui pleurent à vos côtés, s'ils ne font que cela.
w
>-
'<j"
.-t
0
N
@
.......
..c
Ol
·;::::
>-
a. 1. Cf. Golem.an Daniel, op. cit.
0
u 2. Cf. p. 11 3.

212
RENOUER AVEC LES AUTRES

Ni poisson, ni hérisson, ni paillasson


Nul ne souhaite rester pendant des lustres paralysé dans un état de
victimisation, même si les autres ont tendance à le pousser dans cette
direction. Rien ne nous oblige à participer à des scénarios destinés à
répondre aux attentes des autres et à chercher à tout prix à ne pas leur
déplaire et à nous faire aimer d'eux. Il est important que vous parve-
niez à vous libérer du jugement de vos proches, que vous sachiez
résister aux contraintes qu'ils vous imposent et que vous appreniez à
vous détacher des intentions qu'ils vous prêtent. Sans agressivité,
mais avec respect et fermeté . Pour cela, il me paraît judicieux que
vous co1nmenciez vous-même par cesser de:
• vous regarder colTill1.e vous pensez que les autres vous voient ;
• chercher à vous faire aimer, à plaire à tout prix ;
• vous justifier ;
• désigner des coupables ;
• juger les autres ;
• interpréter systématiquement ce qu'ils font, disent ou pensent ;
• prêter des intentions aux gens ;
• chercher d'une manière ou d'une autre, même en douceur, à les
vi
<lJ
contraindre ;
0
1....
>- Ces conseils relationnels viennent en complément de ceux que nous
w
'<j"
.-t
avons évoqués jusqu'à présent. Il s'agit d'adopter la devise « ni pois-
0
N
"'
son, ni hérisson, ni p aillasson » :
@ -5!!
....... 0
..c >..
Ol
·;::::
UJ
Q)
Q_
• Ni poisson : vous ne gobez pas tout ce que vous entendez en si-
>- :::J
a.
0
2
\..? lence et sans réagir, vous ne prenez pas tout pour argent comptant.
u @

213
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

• Ni hérisson : vous ne sortez pas vos aiguilles en toute occasion


parce que vous supposez que l'on pourrait vous attaquer et qu'il
vaut mieux prévenir les mauvais coups. Lorsque vous vous sentez
agressé(e), vous savez prendre du recul et analyser la situation.
• Ni paillasson : vous vous respectez et par conséquent vous ne vous
laissez pas dominer, piétiner ou marcher sur les pieds.
Et malgré ces attitudes vigilantes, vous restez confiant(e) en vous-
n1ême, dans les autres, et vous essayez du mieux que vous pouvez
d 'entretenir des relations de qualité.

Votre trousse à outils


• Parlez à la première p ersonne, en utilisant le pronom «j e » : vous
livrez votre vision des choses, votre dimension p ersonnelle, votre
ressenti, sans accuser personne.
• Partez des faits précis et observables.
• Livrez vos én1otions, vos sentiments : ils sont à vous et vous
connectent aux autres.
• Gardez le contact visuel avec vos interlocuteurs.
• Apprenez à écouter de façon vraie et sincère en faisant taire tout
Vl
dialogue intérieur.
<lJ
0
1....
• Soyez attentif(ve) aux émotions des autres.
>-
w
'<j" • Affirn1ez vos droits élémentaires : d'exister, d'être traité( e) avec
.-t
0
N respect, d'être différent( e), de donner son opinion, d'être auto-
@
.......
..c
nome, responsable, de se tromper ou de réussir, de poursuivre ses
Ol
·;::::
>-
objectifs, de satisfaire ses b esoins, de dire non, etc.
a.
0
u

214
RENOUER AV EC LES AUTRES

• Osez le conflit : il est parfois salvateur, mên1e s'il est souvent désa-
gréable
• N'agissez pas au détrin1ent des autres, par peur, colère, vengeance,
rancœur ou jalousie

Exercice : votre affirmation de vous


*Les outils listés ci-dessus définissent les principaux critères de l'affirma-
tion de soi. Sur l'échelle ci-dessous, à quel degré évaluez-vous votre capa-
cité à vous affirmer avec les autres?

Faible Bonne

Moyenne
• Souhaitez-vous améliorer votre affirmation de vous?

• À votre avis, quelles sont les compétences qui vous font défaut?
vi
Q)

0
1-
>-
w • Pouvez-vous préciser vos objectifs et inventorier les ressources dont
<j"
,..... vous avez besoin?
0
N
@ "'
-5!!
....... 0
~ >..
O'I
ï:::
LU

"'o. * Définissez un plan d'action dans le temps et passez à l'action!


>- ::::i
2
a. \.9
0
u @

215
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Partager ses émotions


Pour !'écrivain et philosophe Jean-Paul Sartre,« pour obtenir une
vérité quelconque sur moi, il faut que je p asse p ar l'autre 1 ».Parler de
ce qu'on a vécu et partager avec les autres ses expériences émotion-
nelles répond probablement à un besoin de se réinsérer socialement
après une épreuve difficile 2 , surtout lorsque nous nous sentons seuls
et vulnérables. Partager ses ressentis avec un ami ou une personne de
confiance, dans le cadre d'une relation de qualité, permettrait de ren-
forcer l'estime de soi et le sentiment de sécurité, d'amortir la pression
émotionnelle et de donner un sens à ce que nous avons vécu.

Test : votre schéma de victime est-il révolu ?


*Pour chacune des propositions, cochez la case qui correspond à votre situa-
tion actuelle. Vous pourrez reprendre ce bilan dans quelques semaines pour
faire un nouveau point avec vous-même.

Pas
En cours Oui
encore

1. J'aime et je respecte la personne que je suis. D D D


2. J'ai confiance en moi. D D D
Vl
<lJ
0
....
3. Je suis d'humeur joyeuse. D D D
w
>-
'<j"
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a. 1. Sartre Jean-Paul, L'Ex istentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996.
0
u 2. Cf. Rimé Bernard, Le Partage social des émotions, PUF, 2005.

216
RENOUER AV EC LES A UTRES

Pas
En cours Oui
encore
4 . Je n'exerce aucune violence contre
. "'
mor-meme. D D D
5. Je reconnais mes émotions. D D D
6 . Je suis capable d'identifier mes besoins,
mes désirs et mes objectifs. D D D
7. J'observe la réalité avec beaucoup
de lucidité. D D D
8. J'accepte ce que je ne peux changer. D D D
9. Je ne suis ni résigné(e), ni passif(ve). D D D
10. Je me sens fort(e) intérieurement. D D D
11. Je suis capable de faire taire
mes jugements et mes croyances. D D D
12. Je suis capable de transformer
mes perceptions. D D D
13. Je me sens responsable de ma vie. D D D
14. J'entretiens de saines relations
avec les autres. D D D
Vl
15. Je parviens à identifier
a.>
0
'-
mes comportements automatiques. D D D
>-
w
..;;;t- 16. Je passe facilement en mode
...-i
0
N
« pensée consciente ». D D D
@
......
..c
17. Je suis capable de lâcher prise. D D D
O'I
·c
>-
a.
0
u

217
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Pas
En cours Oui
encore
18. Je cesse de renvoyer mes problèmes
sur les autres. D D D
19. J'ose prendre des risques. D D D
20. Je n'endosse pas les rôles que les autres
m'assignent s'ils ne me conviennent pas. D D D
21. Je sais dire non. D D D
22. Je reviens facilement sur un mauvais choix,
une mauvaise décision. D D D
23. En cas de difficulté, je sais rebondir. D D D
24. Je suis curieux(se) de la vie et des autres. D D D
Commentaire
*Vous avez un maximum de réponses dans la colonne « Pas encore » :
peut-être est-il encore un peu tôt pour observer de véritables changements.
Reprenez ce test un peu plus tard, lorsque vous serez vraiment passé(e) à
l'action.
*Vous avez un maximum de réponses dans la colonne« En cours» : vous
êtes en pleine évolution personnelle, poursuivez ...
*Vous avez un maximum de réponses dans la colonne« Oui» : votre vie
Vl
a déjà changé, vous ne voyez plus le monde et la vie avec le même regard. Vous
<lJ
0
êtes plus confiant(e), plus positif(ve), plus créatif(ve). Continuez!
1...

w
>-
'<j"
.-t
0
N
@
.......
.c
Ol
·;::::
>-
a.
0
u

218
Conclusion
Choisir la vie

Connaissez-vous cette métaphore? En Asie du Sud-Est, les gens cap-


turent les singes en découpant une petite ouverture dans une noix de
coco attachée au sol ou à un arbre, dans laquelle ils glissent un morceau
de banane ou d'orange. Le singe plonge la main dans la noix de coco,
serre le poing pour attraper la friandise et se retrouve pris au piège.
L'ouverture est suffisan1n1ent large pour y glisser la n1ain, n1ais pas assez
pour en retirer le poing. Ne voulant pas lâcher son morceau de fruit,
l'animal se fait attraper par les chasseurs, victime de son obstination ...
Nous avons vu que, lorsque nous son1mes victimes d'un événement
traumatisant, nous avons nous aussi tendance à persister dans des actions
vi
<lJ
qui ne marchent pas, à tenir bon, à serrer les dents. Nous nous crispons
0
1....
>-
sur nos savoirs, nos croyances, nos jugen1ents, nos certitudes, comme le
w
'<j"
.-t
singe sur son morceau de banane, et cela nous empêche de faire la part
0
N des choses entre ce qui est grave et ce qui est juste important. Cette noix
@ "'
-5!!
.......
..c
0
>..
UJ
de coco invalidante, il arrive que nous la traînions pendant des années,
Ol
voire toute une vie, sans parvenir à lâcher prise, encombrés par des émo-
Q)
·;:::: Q_

>-
a.
:::J
2
\..?
u
0
@ tions qui nous submergent et dont nous ne savons que faire .

2 19
AGIR POUR NE PLUS SUBIR

Mais vous avez à présent emprunté le chenlin de la connaissance qui


mène à l'action.Alors réfléchissez quelques secondes: dans le cas du
singe, comment pourriez-vous récupérer et consommer la friandise
sans briser la noix de coco ? C'est très simple : desserrez votre poing,
sortez votre main du trou, retournez la noix de coco et faites tomber
le morceau de fruit . Il est à vous ! En lâchant prise, vous êtes enfin en
mesure de retrouver le contact avec vous-même.

Maintenant que vous connaissez n1ieux les freins qui vous en1pêchent
d'agir, que vous avez pris conscience que la société tend à nous main-
tenir dans nos positions de victin1es et que les blessures du passé et des
schén1as trompeurs nous font chausser les n1.auvaises lunettes, vous êtes
en mesure d'agir. Car, vous l'avez con1pris, agir est la seule issue pour
changer et sortir de l'engrenage de la victimisation. Si un accon1pa-
gnement reste parfois indispensable, vous savez que nombreuses sont
les situations où nous pourrions retrouver le contact avec nous-mên1es
et avec la réalité sans faire appel à une aide extérieure, en mettant sim-
plen1ent en œuvre les méthodes proposées dans cet ouvrage.
Je souhaite que la lecture de celui-ci vous ait permis de réaliser ce que
vous êtes vraiment: cette personne autonome, authentique et joyeuse
qui vit sa vie et non plus celle des autres, cette personne confiante,
l{J libérée des forces extérieures qui contrôlaient son existence.
0
1...

w
>- Quels que soient les événements que vous avez vécus, revenez à vous,
'<j"
.-t
0 savourez la quiétude d'une pensée lucide, redevenez l'auteur de votre
N
@ vie. C'est ce que vous pouvez faire de mieux pour vous. Le monde
.......
.c
Ol
·;::::
suivra.
>-
a.
0
u

220
Bibliographie

Livres
BoscH BoNOMO, Ingeborg, Vivre pleinement sa vie, Montréal, Les Éditions
de l'Homme, 2011.
BRUCKNER, Pascal, La Tentation de l'innocence, Paris, Grasset, 1995.
CARRÉ, Christophe,
Manuel de manipulation à l'usage des gentils, Paris, Éditions Eyrolles, 2013.
Sortir des conflits, Paris, E yrolles, 2013.
L'Auto-manipulation, Paris, Eyrolles, 2012.
Obtenir sans punir, Paris, Eyrolles, 2012.
50 exercices pour maîtriser l'art de la manipulation, Paris, Eyrolles, 201 O.
50 exercices pour résoudre les conflits sans violence, Paris, Eyrolles, 2009.
vi
<lJ La Manipulation au quotidien, Paris, Eyrolles, 2007.
0

w
1....
>- DE SHAZER, Steve, Clés et solutions en thérapie brève, Bruxelles, Satas, 1999.
'<j"
.-t EuACHEFF, Caroline et SOULEZ-LARIVIÈRE, Daniel, Le Temps des victimes,
0
N
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