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K=Karoline
L=Louise
C=Clémentine
E=Étudiant.e
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01:53 C - Aussi quand on les accueille ces femmes-
là, on est extrêmement, toutes les deux, très
bienveillantes. À la fois, j'ai envie de dire, dans
notre manière d'être et aussi dans nos mots.
Donc on leur dit par exemple, qu'ici c'est un
atelier où elles dessinent, où c'est elles qui
décident. C'est des femmes qui ont des par-
cours très difficiles et qui n'ont pas l'habitude
de choisir de décider pour elles. Donc, là on
leur dit vraiment que c'est un moment pour
elles. Et on les accompagne vraiment dans ce
sens-là. Donc, je pense qu'elles se sentent
assez rapidement en confiance. Elles voient
qu'ici, on n'est pas là pour les juger. On est
vraiment là pour les aider à passer un bon
moment. Et donc, très vite, elles se laissent
aller et ensuite, avec les bijoux, après Louise
les maquillait à la photo, elles y arrivent...
Après, pour certaines femmes, c'est pas
simple, mais on arrive quand même toujours à
trouver, même ne serait ce par une main sur
l'épaule, enfin... c'est des petites choses, en
faite, infimes, qui leur permettent de se dé-
tendre, d'être bien et en confiance.
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02:59 L - Et c'est aussi de trouver le lien entre la
présentation, ce qui est là mon travail quand je les
prends en photo; c'est d'essayer de trouver la
différence entre la représentation qu'elles ont
d'elles-mêmes et la réalité. Donc, il y en a par
exemple, c'est les plus jeunes qui vont jouer au
mannequin parce qu'elles ont vu les photos de
mode. Donc, ça c'est toujours assez facile... je leur
dis: bon allez-y, donc elles se mettent à poser. Mais
entre les poses, il y a toujours un moment donné
où là, il va y avoir un vrai fou rire et là, je dis: «Mais
voilà! Moi c'est ça que j'veux!» et là, il y a des liens
qui peuvent se créer, tu vois. Donc, c'est de passer
le côté... ou si sont trop figées, leur dire: «Ben
respirez, continuez à vivre, de parler, de faire...». En
général, je leur... là, c'est une technique pour les
photos: je mets un ISO qui est très élevé parce que
j'essaie d'être dans une vitesse très élevée pour que
je puisse faire des photos quand, à la limite, elles
sont entre deux mouvements. Parce que, quand
elles reçoivent les photos ou qu'elles se
redessinent, il faut que tout à coup, la photo leur
parle. Donc, il faut pas que ce soit une photo qui
soit la représentation qu'elles ont d'elles-même
parce que c'est pas toujours une belle
représentation. Il faut que tout à coup, elles-mêmes
soient surprises par la photo. Et puis, faut les faire
déborder. C'est-à-dire que si... je pense à certaines
jeunes qui font les poses de mannequins; elles ne
sont pas mannequins, donc elles vont être
forcément déçues si je leur donne une photo où
elles sont en train de mimer ou elles sont en train
de faire un rôle qui n'est pas elle. Donc, c'est aussi
les ramener dans une réalité et puis leur montrer
qu'elles sont très très belles dans leur réalité.
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04:46 L - Et c'est vrai aussi beaucoup parce qu'il y a,
de ce temps-ci en plus, des jeunes femmes qui
sont visiblement des femmes qui sont victimes
des réseaux de prostitution. Donc, on les a
emmenées de leur pays, je sais pas sous quel
prétexte mais qui sont, en fait, des esclaves. Et
donc elles, c'est très bien le cas, parce que de
ce temps-ci je remarque que, toujours quand
on se promène dans cette situation... peut-être
sur le bord du trottoir et que c'est pas de ça que
nous on parle avec elles. Donc là, il y a quand
même tout un détour à prendre pour arriver à
les rephotographier comme des p'tites filles
qu'elles sont. Et ça, c'est délicat de ce temps-
ci. Je pense à deux ou trois qui systématique-
ment vont se mettre en scène de façon très
sexuée, sexualisée... [rires] Alors voilà, c'est le
genre de truc qui fait qu'on rend une femme à
l'aise. Donc, c'est de [les] ramener à leur réali-
té, à leur essence; de ne plus être dans leur
défense.
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06:29 S - Oui bonjour... [problèmes techniques]
Alors oui, vous avez déjà répondu un petit peu,
ou du moins, vous avez glissé quelques ré-
ponses par rapport à ma prochaine question.
Mais ça va peut-être vous permettre davan-
tage... je dirais de compléter. Alors la voici, elle
peut être un petit peu complexe je vous dirais...
j'ai l'impression que c'est plusieurs questions
dans une question. Alors, lorsque vous les
prenez en photo, avez-vous un thème ou un
cadre prédéfini en ce qui concerne l'état d'es-
prit de la pose ou le message d'expression que
vous voudriez voir ou faire ressortir? Ou bien,
vous procédez selon votre ressenti du moment,
ce que votre sujet vous inspire?
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09:52 C - Peut-être que pour cette femme-là, c'était
peut-être trop tôt dans son parcours de soi. Et
que donc, c'était trop violent de voir ça d'elle. Et
après, elle l'a dit; on a beaucoup parlé, mais
c'est vrai qu'elle a craqué, elle a pleuré. Pour
nous, ce qu'on dit aux femmes: «C'est pas
grave de pleurer...» Parce que c'est aussi un
endroit où elles ont un espace pour ça. C'est
des femmes qui prennent beaucoup sur elles
malgré leur vie et leur petit [incompréhensible]
difficile. Et du coup, à l'atelier, nous on trouve
ça très bien qu'il y ait un endroit où elles ont le
droit de pleurer sans qu'on les juge, où on est
là pour les rassurer, les cocooner un petit peu.
Mais sans doute, pour cette femme-là, c'était
trop tôt, je pense. Et donc, c'était trop violent et
que elle, elle était trop malheureuse et qu'elle
n'avait pas envie de voir ça d'elle pour le mo-
ment.
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10:50 L - Mais peut-être aussi, parce qu'elle avait
envie de montrer à la face du monde qu'est-ce
qu'on lui avait fait et c'était violent pour elle
d'avoir l'air heureuse.
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L - Une fois, il y en a une, elle dit: «Ah mon
dieu! J'avais pas mis de soutien-gorge!» Ben
non, si tu n'as pas de soutien-gorge, les gens
te voient. Et tout à coup, juste le fait de juste
être prises en photo, de se regarder, elles réa-
lisent qu'elles ont une enveloppe physique et
qu'elles existent. Et c'est de trouver le filon pour
qu'elles puissent retourner en relation avec
elles-mêmes. Et cette femme-là par exemple,
celle dont je parlais, être en relation avec elle-
même, en se voyant heureuse, c'était impos-
sible. C'était comme un deuil, c'était trop décalé
par rapport à comment elle pouvait se sentir.
Elle ne pouvait pas se redessiner à partir d'une
photo où elle était heureuse. Et l'autre dame
dont je parle, elle pouvait se redessiner sur une
photo où elle n'était absolument pas dans une
séduction. La posture de séduction était insup-
portable pour elle. Mais tout à coup, les yeux
fermés, elle a commencé à dessiner, elle a fait
plein de dessins et après on a pu aller plus loin.
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14:24 C - En fait, à l'atelier, nous on ne pose pas de
questions. Donc, les femmes, elles ne sont pas
obligées de leur raconter leur histoire. Mais ce
qui se passe, la plupart du temps... ça n'arrive
évidement pas au début... La première séance,
elle prend un bijou et Louise les prend en photo
à la première séance. La deuxième séance, on
leur montre leurs photos, elles se regardent,
elles se redessinent et souvent, au bout de la
deuxième ou de la troisième séance, il y a
quelque chose d'assez fort qui se passe. La
plupart du temps, elles pleurent, mais pas tout
le temps... il y a vraiment quelque chose où
elles relâchent et là, souvent, à la fin de la
séance... ça ne se passe pas forcément pen-
dant la séance... elles viennent nous voir et là,
elles nous parlent et elles nous racontent leur
histoire. Mais nous, on a décidé, on en a lon-
guement parlé, on a décidé avec Louise qu'on
n'avait pas envie de leur poser de questions.
Parce qu'elles répètent souvent leur histoire,
leur parcours auprès des soignants, auprès de
tout le personnel administratif pour avoir leur
papier et qu'on trouve que c'est un peu intrusif,
tout le temps, de leur demander, de leur de-
mander... En revanche, on est deux oreilles
extrêmement attentives si à un moment donné,
on sent qu'elles ont besoin de parler. Et c'qui
se passe aussi c'est que souvent, elles disent à
nous des choses qu'elles ne vont pas dire en
consultation; des choses un peu plus intimes...
Et nous, du coup, sans trahir ce qu'elles nous
disent, mais parfois, on sent qu'il y a vraiment
quelque chose d'important comme information,
on peut aussi le relayer aux médecins par
exemple. Il nous est arrivé plusieurs fois de
communiquer notamment avec Mathilde, qui
est la sage-femme coordinatrice de la Maison
de femmes, de dire: «Attention, cette femme-là,
on la sent fragile.» ou «Elle nous a raconté ça,
est-ce qu'elle est bien soignée? Est-ce qu'elle
est bien accompagnée par la bonne per-
sonne?» Donc, ça permet aussi d'avoir le sen-
timent aussi qu'on fait vraiment partie aussi du
parcours de soin. Voilà.
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Mais la confiance, je pense qu'elle vient petit à
petit; elle ne vient pas au tout début... Au dé-
but, elles ne nous connaissent pas. Ça vient
vraiment au fil du temps. Mais nous, on estime
qu'à partir du moment où elles nous parlent,
c'est qu'il y a vraiment quelque chose de fort.
Et après, moi, quand elles me parlent comme
ça, moi je me sers de ce qu'elles me disent
pour proposer artistiquement d'autres choses.
Donc par exemple, il y a des femmes où on a
proposé: elles ont brodé leur parcours migra-
toire sur une carte... donc avec du fil. D'autres,
j'ai proposé de faire des bijoux à partir de cou-
vertures de survie. Mais ça, je le propose parce
que ç'a du sens par rapport à leur histoire, ç'a
du sens par rapport à ce qu'elles m'ont raconté
et donc, comme ça, on peut, petit à petit, cons-
truire des choses de plus en plus loin aussi
artistiquement et qui les réparent aussi à tra-
vers l'art.
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19:03 L - Et puis, je pense aussi que les femmes
dans leur parcours, même dans leur vie, le fait
qu'elles soient à la Maison des femmes, c'est
qu'elles ne sont déjà plus dans la position de
victime. C'est-à-dire, soit elles étaient victimes
de violence, qu'elles ont quitté leur pays ou
soit, pour les gens en France qui ont quitté leur
mari ou en tous cas, elles ont été demander de
l'aide. Donc, le fait qu'elles soient à la Maison
des femmes, c'est qu'elles ont déjà commencé
un parcours de reconstruction. Donc, elles sont
déjà dans une phase, d'avoir décidé de ne plus
être victimes. Alors, ça veut pas dire qu'elles
sont sorties d'affaire; je veux dire qu'il y en a
qui sont quand même assez magannées. Mais
en tous cas, malgré le fait qu'elles soient ma-
gannées, elles ont envie de s'en sortir, donc
déjà ce désir-là... C'est avec ça aussi qu'on
travaille. On n'est pas avec des femmes dé-
truites qui n'ont pas envie de s'en sortir. On est
déjà dans la première étape du processus.
21:31 K - Oui?!
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21:32 L - Est-ce qu'ils ont vu le portrait des femmes?
21:34 K - Ben en fait, ce qu'ils ont vu, c'est sur ton site
web. C'est ce qu'il y a là.
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23:38 L - Je vais vous laisser avec Clémentine vite
fait, je vais aller vous chercher les photos,
comme ça vous allez voir les portraits qu'on fait
des femmes. Je vais vous montrer que celles
qui ont donné leur autorisation.
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25:50 C - En fait, la photo que je vous montre, c'est
un dessin d'une jeune femme qui s'est dessi-
née la moitié de son visage en arbre. Et l'autre
moitié, c'est elle. Ça, c'est très intéressant
parce que, du coup, à la fois, on voit... l'arbre
pour moi, ça signifie plein de choses alors moi,
je vais y mettre des projections personnelles,
mais [incompréhensible]. Je pense que c'est
une femme qui a laissé un de ses enfants au
pays, qui a accouché d'une fille en France,
l'arbre pour moi c'est très symbolique de la
famille. Donc, on peut y voir plein de choses en
fait. Et moi dans ce que je vois de chacun des
dessins, c'est que chaque dessin qu'elles font
raconte un trait de personnalité de ce qu'elles
sont en fait. Et du coup, ça raconte encore
autre chose. C'est-à-dire qu'il y a la photo qui
raconte quelque chose et après, y'a le dessin.
Et après le dessin, souvent, mon débat est sur
le dessin. On raconte... tu vois des choses
d'elles qu'elles ne voient pas forcément. Donc
on peut débattre; après, ça donne encore
d'autres idées et c'est pareil... moi je leur offre
un miroir de ce que je vois qui est évidement
très bienveillant. Après, j'essaye d'être perti-
nente dans ce que je dis pour les faire aussi
avancer. Et ça leur permet, je pense, d'avoir
aussi notre vision d'elles-mêmes. Donc, il y a
leur vision à elles et puis, il y a ma vision à moi.
Et Louise, elle fait exactement pareil, mais avec
un autre support qui est la photo. C'est-à-dire
que Louise, à travers la photo, y'a son regard à
elle. À travers le dessin, c'est un peu différent
puisque elles, [incompréhensible] vient d'elles-
mêmes. Ça pour moi, c'est quelque chose de
très important parce que moi, j'estime que faire
quelque chose c'est une partie de la recons-
truction. C'est-à-dire qu'elles se rendent
compte qu'en faisant, qu'elles sont capables de
fabriquer quelque chose. Et il y a une artiste
que j'aime beaucoup, qui s'appelle Louise
Bourgeois, je sais pas si vous la connaissez,
qui disait «Construire, c'est se construire.» Et
moi, je crois beaucoup en ça en fait. Donc,
avec moi, avec ma partie, elles construisent, et
un bijou, et après, elles construisent entre guil-
lemets, elles dessinent, mais elles font encore
quelque chose. Et la plupart des femmes me
disent, surtout pour le dessin, le bijou c'est un
peu moins problématique... le dessin, elles me
disent toutes: «Ah, mais je sais pas dessiner!»
La plupart des femmes ne savent pas... il y en
a certaines qui ne savent pas écrire, donc c'est
très compliqué pour elles de tenir un stylo et
elles font des dessins que moi je trouve, abso-
lument magnifiques! Elles font des dessins...
y'a un trait... moi, je trouve qu'on voit leur âme
en fait sur leur dessin. Ça me touche énormé-
ment. Et même quand elles ne savent pas bien
dessiner, il y a un trait fragile; je trouve ça tou-
jours très beau. Voilà, donc c'est ça qu'on voit,
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de moi, de mon regard. Je sais pas si j'ai bien
répondu à ta question...?
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28:46 E - Oui, absolument. Merci beaucoup.
30:04 L - Merci.
Jérôme?
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31:01 J - Bien le bonjour à vous! Ma question était:
quel échec artistique a été le plus formateur
pour vous? Ou individuellement, qui vous a,
dans l'fond, donné la sensibilité requise pour
faire un travail comme ça...
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31:38 C - C'est un peu... qui est pas tout à fait lié à
l'échec. Moi en fait, je suis autodidacte dans
tout c'que j'fais. Donc, j'ai eu une marque de
bijoux pendant 15 ans; j'avais appris à faire des
bijoux et aujourd'hui, je fais des livres que j'il-
lustre et que j'écris aussi, et j'ai jamais appris à
dessiner. Mais c'que je fais aujourd'hui, j'estime
que ma pratique artistique m'a sauvée un p'tit
peu. En tous cas, j'ai appris beaucoup en fai-
sant. Et comme j'ai pas appris à l'faire, j'estime
que tout l'monde peut l'faire. Parce que moi, j'ai
appris en regardant les autres et aussi en utili-
sant des techniques un peu... pas toujours très
académie. Par exemple, j'utilise beaucoup une
table lumineuse pour dessiner, et donc, à l'ate-
lier, on utilise la table lumineuse qui permet que
quand c'est pas très bien dessiné, on pose la
photo, par-dessus on met la feuille et on peut
dessiner par-dessus. Et que je me dis que si
moi j'y arrive, alors que je ne sais pas faire, à la
base, y'a pas de raisons que les autres n'y
arrivent pas. Et moi, j'pense que j'ai eu, et c'est
quelque chose que j'ai eu du mal à assumer
pendant longtemps, et aujourd'hui, j'crois que
j'ai envie de l'assumer et puis j'ai envie de le
transmettre en plus. C'est-à-dire que j'ai envie
qu'les autres s'en servent aussi. Alors évidem-
ment, toutes les femmes vont pas avoir forcé-
ment des habilités artistiques pour leur vie,
mais moi j'pense que c'est très important de
s'dire que quand on a envie de quelque chose,
on peut y arriver, quelque soit la façon et qu'y'a
pas qu'une bonne ou une mauvaise façon
d'faire. Voilà. Et donc, c'est ça que je transmets
et j'pense que là, on est dans un lieu et un
endroit où les femmes sont très sensibles à ça
parce que, en effet, j'ai aucun jugement, j'ai pas
de technique; je n'ai aucune technique. Donc,
je sais que c'est possible de faire sans tech-
nique. Donc quand elles me disent: «Non, j'ai
peur d'pas y arriver.». Je dis: «Mais c'est pas
grave, tu peux, on gomme [?], on refait.» Et en
plus, souvent quand on refait, on redessine, ça
donne toujours des choses très intéressantes.
Voilà. J'essaye d'insuffler ça.
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33:56 L - Pour revenir à c'que j'disais... Tu vois,
l'échec artistique parce que ça dépend du lieu
où l'on s'pose parce que quand tu décides de
devenir un artiste, t'es toujours aussi en friction
avec le milieu artistique, avec ceux qui donnent
les bourses, avec ceux qui décident, avec ceux
qui font des dossiers... J'trouve ça quand
même assez difficile. Après, quand j'ai la sa-
gesse, d'être par rapport à moi, effectivement
les échecs, ça te permet de voir les [incompré-
hensible], ça t'permet de voir et d'se réorienter
par rapport à soi, par rapport aux bonnes direc-
tions et dans c'sens-là, oui ça peut avancer.
Quand les échecs sont par rapport à une in-
compréhension de certaines institutions... on
peut pas avancer, mais bon, en même temps,
on est dans un monde...
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36:06 K - Est-ce que vous pouvez élaborer un p'tit peu
toutes les deux?
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39:26 C - Si, si... Ça vous parle ou pas?
41:03 MF - Merci!
Je trouve que c'est assez délicat comme question.
Tout d'abord, j'aime vraiment le processus qui vous
a amené à faire le projet avec les femmes qui ont
vécu des situations difficiles, surtout avec la
proximité que vous avez eu avec elle. Je trouve ça
vraiment magnifique les photos et tout. Juste pour
mettre en situation, chaque année, je vais à
l'exposition du World Press Photo à Montréal à la
Place Bonaventure puis, y'a toujours beaucoup de
photos "choc" qui gagnent des prix. Et cette année,
j'ai eu une assez longue conversation avec une amie
par rapport à l'éthique; les différentes intentions
derrières les différentes photos. Et sans
nécessairement être en lien avec le projet que vous
avez à la Maison des femmes, en tant que
photographe, c'est quoi les éléments qui
permettent de différencier selon vous, la
dénonciation de certaines structures sociales, de
permettre l'émancipation par exemple des femmes,
pis d'engager un dialogue, pis des éléments qui
peuvent instrumentaliser la misère par exemple,
avec la photographie, pour en vivre...?
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42:16 L - Alors moi, je vais être très très très radicale là-
dessus. Je trouve qu'on vit dans un monde où on
fait tout pour enlever le pouvoir, et aux
photographes, et à la photo et à tout. Si tu regardes
les magazines maintenant, y'a beaucoup moins de
photographes qui sont bien payés, les magazines
n'envoient plus de photographes à l'étranger...
Pour être accrédité, en tous cas, je vois par
exemple, pour la guerre de Syrie, pour y aller,
y'avait plus de journaux qui envoyaient des
photographes. C'est-à-dire, les photographes qui y
allaient, ils y étaient pas assurés. Ils risquaient...
voilà. Des photos de migrants dont ils parlent, moi
j'en connais qui en fait... qui sont embarqués dans
des bateaux. Si le bateau coulait, ils coulaient avec
le bateau. Y'a un engagement des photographes qui
font ce travail, que je pense, qu'on peut toujours
juger, qu'ils le font pour eux, n'importe quoi, mais
moi je pense qu'on est dans une ère où il faut
arrêter le jugement parce que c'est tellement facile
de discréditer la photographie parce que tout le
monde le fait. Et maintenant, on n'a même plus le
regard qu'on avait. Et là, je regarde juste en France,
un truc très simple, quand tu vas à Arles voir les
photos de Arles, y'a plus une photo qui est faite par
quelqu'un d'un milieu populaire. Parce que la
photographie journalistique, on n'en vit plus. Ça
veut dire que si on n'arrive plus, y'a plus de
journaux qui payent des photographes pour y aller,
il faut que les photographes payent pour aller faire
des photos... ceux qui font les photos, c'est ceux qui
ont les moyens de le faire. Donc, c'est les enfants
de papa-maman ou des gens qui trouvent des sous
pour aller faire leur projet. Donc QUI regarde le
monde pour dire QUOI? Et puis, plus ça va, plus
c'est comme ça. C'est-à-dire que... regarde les
magazines, les photos que tu vois dans le World
Press... avant c'était des photos envoyées dans les
journaux. Y'en a très peu de ces photos-là publiées.
Les photos sont faites dans des galeries, sont faites
par des gens qui font les photos mais qui les
publient pas nécessairement.
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Moi, j'ai des amis qui sont photographes, qui
ont l'hépatite parce qu'ils ont pris une balle
dans des pays où ils ont été mal guéris, qui
n'sont même plus capables de se faire soigner
parce que maintenant, ils sont sur le RSA, la
bénie, parce que les agences sont fermées.
Les situations, alors là je parle même pas pour
pleurer sur les photographes, la situation de la
photographie, on ne se donne plus les moyens
de voir le monde... Et puis j'trouve, là je suis
très militante, je trouve qu'il y a eu une espèce
de culbute pour dire: «Ah! Regardez les mau-
vais photographes, ah ils vont photographier
les misères du monde. Mon Dieu! Mais on n'a
pas l'droit de montrer que les gens vont si mal;
c'est les humilier quand même.» «De quel droit
vous faites ces photos! C'est pas très respec-
tueux!» ... Ben non, c'est ça... On va respecter
tout l'monde, on parlera pas de c'qui s'passe
dans l'monde, on va pas aller montrer les gens
qui meurent de faim et on va pas aller montrer
les injustices, on va pas aller montrer les
femmes victimes, on va être fins, on va respec-
ter tout l'monde, on va rien rien montrer. Puis
on va faire de belles expositions, entre nous,
de choses qu'on a mis en scène, qu'on aura
éclairé, qu'on aura reconstitué. Donc, moi je
pense qu'on est dans un état d'urgence et que
pour l'instant... je ne dis pas que tout ce que les
photographes font est bien; j'ai vu des gens, de
c'qu'on peut dire, se comporter comme des
vautours, mais je vois beaucoup plus de chas-
seurs qui essayent de tuer tous ceux qui es-
sayent de faire des photos, tous ceux qui es-
sayent de témoigner, tous ceux qui essayent
de montrer des choses... Et on peut dire
c'qu'on veut, c'est que, même les fils à papa,
quand on prend son appareil photo pour aller
en Syrie, pis qu'on est sous les bombes, on
veut montrer c'qui s'passe, et que ces photos,
on n'va pas les vendre et que s'il nous arrive
quelque chose et que tu restes handicapé
parce que t'étais pas assuré, je pense que c'est
un peu raide d'aller dire que ces gens-là font de
la photo pour tirer des profits de la misère du
monde. Je pense que la misère du monde, il
faut la montrer, il faut la dire, il faut la proclamer
et que toutes les institutions, les journaux, tout
ce qui représente le pouvoir actuel veut qu'on
ne voit pas... Et qu'on instrumentalise pas les
photographes en disant: «Tiens, tu vas aller
montrer; t'es l'objet du pouvoir.» Ils font tout
pour que tu ne vois pas. J'veux dire, c'qui s'est
passé par exemple, à la Guerre du Vietnam, ce
n'est plus possible, on ne voit plus de photos
de guerre. Si tu veux aller sur la ligne de front,
il faut y aller avec l'armée, tu photographies
c'que les gens veulent que tu photographies. Et
il faut énormément de courage quand même.
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47:01
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49:09 C - Parce que c'est facile aussi; on a eu une journa-
liste d'une radio très connue en France, qui est
venue à l'atelier parce qu'elle voulait faire un livre,
mais elle ne voulait que des migrants... Elle est
arrivée à l'atelier, on lui a dit que ce serait pas
possible parce que par contre y'a des gens, en effet,
qui viennent avec une femme, et qui veulent pren-
dre des témoignages de femmes parce qu'elles
veulent faire des livres justement, très "choc". Et
ça, c'est pas possible de faire ça à cet endroit-là
pour nous. Toutes les semaines, on fait en sorte de
protéger ces femmes et de ne surtout pas être
intrusives, de ne pas poser d'questions et y'a des
gens qui font ça. Donc ta question, elle est pour moi
en tous cas, tout à fait valable. Il faut quand même
se les poser ces questions-là.
51:26 K - Non, ils ont pas l'droit, mais quand ils s'font
prendre... Y'a cet Italien qui s'est fait prendre
avec des photos qui ont été photoshopées pis
y'a une autre personne, voilà deux-trois ans
aussi, si tu fais une recherche google, tu vas
voir, c'est fréquent que World Press, les photos
ont été... t'sais qu'on ait enlevé quelque chose
dans le paysage parce que ça fonctionnait pas,
les couleurs sont boostées au maximum. Bref...
51:51 L - De la triche...
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51:53 K - Oui, exactement. Mais, c'est aussi parce
que les critères favorisent ça. Mais on pourra
en reparler comme tu dis Louise, c'est une
autre réalité.
53:32 L - Oui...
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55:56 C - Parce que j'pense aussi qu'ici, on joue
aussi un rôle de passerelle. C'est-à-dire, entre
leur pays d'origine et ici. Alors évidemment, on
connait pas tout. Moi, j'ai habité en Afrique un
p'tit peu, au Cameroun; j'ai cette expérience-
là... J'ai une soeur qui est Haïtienne, qui est
adoptée. J'ai une petite expérience personnelle
et puis, les femmes entre elles aussi, y'a des
femmes plus intégrées que d'autres... et du
coup, notre rôle aussi, c'est d'créer du lien et
de leur montrer que c'est pas parce qu'elles
sont en France qu'elles ont perdu leurs origines
et de montrer aussi que c'est possible... parce
que moi, j'crois beaucoup en ça, c'est-à-dire
qu'elles peuvent vivre en France, adopter des
codes de la France, mais sans renier c'qu'elles
sont. C'qu'elles sont, elles le sont et elles le
perdront pas... J'pense que c'est important que
ça ait du sens, qu'on les aide à trouver un peu
de cohérence dans tout ça. Parce que j'pense
que parfois c'est très compliqué, surtout quand
on vient d'arriver dans un pays, on ne sait plus
trop où on habite... et d'avoir des personnes
ressources, une fois par semaine qui sont là,
bienveillantes, chaleureuses et qui donnent des
p'tites choses, c'est petit, on l'fait à notre me-
sure; on leur sauve pas la vie à ces femmes,
mais on fait un p'tit peu et j'pense que c'est
beaucoup. C'est vrai que si on était en Afrique,
ça aurait peut-être un peu moins d'sens.
58:45 A - Merci!
27
59:10 L - Ah moi, j'pense qu'il doit avoir aucune cen-
sure, d'une part. Mais qu'il doit [y] avoir de
l'éthique.
28
1:03:05 K - [Remerciements]
29