Classe de Seconde

☛ Le roman et la nouvelle au xixe  siècle :

réalisme et naturalisme

Le Père Goriot
Honoré de Balzac
Édition de Delphine Paon

Bien décidé à conquérir

le monde, Eugène
de Rastignac se rend
à Paris. Des scènes
misérables de la Maison-
Vauquer aux bals
de l’aristocratie du
faubourg Saint-Germain,
le jeune homme fait son
éducation sentimentale
et découvre les règles
cruelles qui gouvernent
la société parisienne.
À travers ce roman, ISBN 978-2-7011-6157-0
384 pages
Balzac retrace l’itinéraire
fulgurant de son ambitieux héros et pose un regard
critique sur la nature humaine.
 Le Père Goriot
 Arrêt sur lecture 1 p. 109-114
Pour comprendre l’essentiel p. 109-111
Un roman réaliste
❶ Le début du roman (incipit) s’ouvre sur une description minutieuse de la
Maison-Vauquer (p. 13‑21). En vous appuyant sur le vocabulaire et la syntaxe
employés, montrez comment procède cette description et tentez, à partir des
indications du texte, d’établir un plan de la pension. La description procède de
l’extérieur vers l’intérieur et du bas vers le haut. Le narrateur commence par
présenter la rue (« dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève », p. 12-13) puis
il évoque la façade et le « jardinet » de la pension, des pages 13 à 15. Il accom-
pagne ensuite le lecteur dans la Maison-Vauquer, dont il décrit le rez-de-chaussée
pages 16 à 18, les trois étages page 20, le grenier et enfin les mansardes page 21.
Il s’attarde particulièrement sur les pièces du rez-de-chaussée, le salon (p. 16) et
la salle à manger (p. 17‑18), qui rassemblent quotidiennement les pensionnaires et
condensent l’atmosphère de la pension. Comme l’attestent les nombreux adjec-
tifs, la maison est certes « pittoresque » (p. 14), mais c’est son « caractère ignoble »
(p. 15) qui l’emporte. Le narrateur n’hésite pas à donner son jugement de goût
pour déplorer la couleur jaune de la façade (p. 15) et l’ameublement des pièces
communes : « Rien n’est plus triste à voir que ce salon de fauteuils et de chaises
en étoffe de crin à raies alternativement mates et luisantes » (p. 16). Il trouve aussi
la « pendule en marbre bleuâtre du plus mauvais goût » (p. 16) et les « gravures
exécrables » (p. 17). L’ensemble de la pension constitue ainsi une agression pour
la vue, mais aussi pour l’odorat : « elle pue le service, l’office, l’hospice » (p. 16).
Les procédés d’intensification sont nombreux, notamment les accumulations
d’adjectifs substantivés (« elle sent le renfermé, le moisi, le rance », p. 16) ou le
recours à la négation absolue (« rien n’est plus triste », p. 16) : ces tournures accen-
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
tuent le caractère misérable et sordide de la pension. Cette longue description
permet d’établir un plan précis du bâtiment. Le rez-de-chaussée est composé
d’un salon, d’une salle à manger et d’une cuisine, ces deux dernières pièces étant
séparées par une cage d’escalier. Au premier étage se trouvent la chambre de
Mme Vauquer et celle que partagent Mme Couture et sa pupille Victorine Taillefer.
Vautrin et M. Poiret occupent le deuxième étage, tandis qu’au troisième habitent
2 3
 Arrêt sur lecture 1
Mlle Michonneau, le père Goriot et Rastignac, une chambre demeurant vide.
Au-dessus se trouvent un grenier et deux mansardes pour les domestiques,
Christophe et Sylvie. La pauvreté des personnages est donc croissante d’étage
en étage : le plan de la pension correspond à la répartition des appartements en
fonction de la richesse et du statut social, typique des immeubles haussmanniens.
La gravure de Charles Bertall reproduite page 8, intitulée Coupe d’un immeuble
parisien, permet de se représenter concrètement ces distinctions sociales, visibles
dans la taille des appartements, mais aussi dans le confort du mobilier et l’élé-
gance des vêtements.
➋ Dès les premières pages le narrateur fait part au lecteur de cet aveu : « All
is true » (p. 12). En vous aidant des notes de bas de page, relevez les éléments
qui, tout au long de ce premier chapitre, ancrent le roman dans un contexte réel
(dates et événements historiques, noms de lieux, allusions à des faits divers de
l’époque…). L’histoire est ancrée dans un contexte historique précis, puisque le lec-
teur apprend, dès la première page, que l’intrigue s’ouvre en 1819 (« en 1819, époque
à laquelle ce drame commence », p. 11), ce qui lui est rappelé page 46 : « Telle était
la situation générale de la pension bourgeoise à la fin du mois de novembre 1819. »
Le premier chapitre contient de nombreuses allusions aux différents régimes qui
se sont succédé depuis la fin de l’Ancien Régime. Le « gouvernement révolution-
naire » évoqué page 75 rappelle que la Révolution constitue encore un événement
récent (voir aussi page 93). Le Premier Empire (p. 93) et « Buonaparte » (p. 94)
sont ensuite mentionnés par Mme de Langeais. Les personnages du roman ont
donc vécu ces troubles politiques, et s’y sont engagés pour certains : la duchesse
surnomme ainsi Goriot « ce vieux Quatre‑vingt‑treize » (p. 94). La période
révolutionnaire est toutefois achevée quand commence le roman, puisque la
Restauration a eu lieu en 1814 : elle est évoquée page 94 (« quand les Bourbons
sont revenus »). Une allusion au roi de Pologne page 50 élargit enfin la perspective
politique à une autre tête couronnée d’Europe. Les noms de lieux réels contri-
buent aussi à ancrer le roman dans un décor historique. Le narrateur évoque
en effet Paris, le Quartier latin, la rue Neuve-Sainte-Geneviève et le faubourg
Saint-Marceau, ainsi que les murs d’enceinte de la ville (« intra muros et extra »,
p. 11). D’autres quartiers de la capitale sont ensuite mentionnés, Montmartre et
Montrouge (p. 12), le faubourg Saint-Marcel, la Bourbe et la Salpêtrière (p. 21), la
Chaussée-d’Antin (p. 49), la rue Saint-Lazare et la rue de Grenelle (p. 96). Des
bâtiments emblématiques sont également cités, le Val-de-Grâce et le Panthéon
(p. 13), l’église Saint-Étienne-du-Mont (p. 53) ou encore des hauts lieux de la vie
culturelle et mondaine comme le Collège de France (p. 44), l’Opéra-Comique et les
Champs-Élysées (p. 45), le Prado, l’Odéon et le faubourg Saint-Germain (p. 47), le
 Le Père Goriot
Bois et les Bouffons (p. 48). Les environs de Paris élargissent brièvement le cadre
avec « Choisy, Soissy, Gentilly » (p. 33). La province constitue enfin une toile de
fond avec Angoulême (p. 20), dont Rastignac est originaire et où réside sa famille.
Les allusions aux théories et aux productions plus ou moins contemporaines sont
enfin variées, qu’il s’agisse du drame romantique (p. 11), des vers déjà datés de
Voltaire (p. 14), d’Ossian (p. 48), d’un air à la mode tiré de Joconde ou les Coureurs
d’aventures (p. 55), d’un mélodrame (p. 58), ou encore de la théorie de Gall (p. 66),
de l’opéra de Cimarosa (p. 78), ou de Lamartine (p. 92). Le fait divers trouve aussi
sa place avec la mention de Georges et Pichegru (p. 19).
❸ Mme Vauquer, ses domestiques, ainsi que plusieurs pensionnaires, parlent
un français populaire. Citez quelques-uns de ces mots et expressions, et dites
en quoi ils contribuent à la visée réaliste et sociologique du roman de Balzac.
Les scènes de dialogue de ce premier chapitre, souvent rapportées au discours
direct, sont l’occasion de découvrir le langage ou jargon propre à un personnage
ou à un groupe social. Mme Vauquer, ses domestiques et certains de ses pension-
naires utilisent ainsi un vocabulaire populaire, comme en témoignent « grigou »
(p. 52), « m’englauder », « c’te farce », « qué qui fait donc », « rapport au chat »
(p. 53), « décanillé » (p. 54), « de la manique » (p. 55), « enfoncé » (p. 66). La scène
de dîner entre les pensionnaires est aussi, pour le narrateur, l’occasion de brosser
une satire de ces personnages qui s’amusent à ajouter le suffixe « -rama » à la fin
de chaque mot (p. 65‑68), notamment pour se moquer du père Goriot. Depuis
les pièces de Molière, par exemple Les Femmes savantes, et jusqu’aux contes de
Guy de Maupassant, la restitution d’un langage socialement marqué est l’un des
procédés privilégiés de la satire.
Une galerie de personnages
❹ Les pensionnaires de la Maison-Vauquer sont décrits tour à tour dès les pre-
mières pages du roman (p. 20‑21 et 22‑28). Dressez-en la liste et mettez en évi-
dence les correspondances que l’on peut établir entre les caractéristiques de
la salle à manger, lieu emblématique de la pension où se rassemblent tous les
personnages (p. 16‑18), et celles des personnages eux-mêmes. La salle à man-
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
ger rassemble des objets dépareillés, de mauvais goût et pourris, comme le sug-
gère le commentaire du narrateur : « Pour expliquer combien ce mobilier est vieux,
crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant » (p. 18).
L’accumulation d’adjectifs mêle des attributs humains et non humains, ce qui
annonce d’emblée le rapprochement entre les meubles et les pensionnaires, éga-
lement misérables et sordides. Les personnages de la pension Vauquer, c’est-à-dire
4 5
 Arrêt sur lecture 1
Mme Vauquer, Mme Couture et Victorine Taillefer, Vautrin, Poiret, Mlle Michonneau,
le père Goriot, Rastignac, Christophe et Sylvie, ressemblent en effet à s’y méprendre
au mobilier de la pension : ils sont présentés comme l’émanation de l’atmosphère
crasseuse qui caractérise la salle à manger. Ils forment eux aussi un ensemble
hétéroclite, mal assorti, car chacun est arrivé dans cette pension pour des raisons
particulières et peu avouables. Ils diffèrent par leur âge et par leur origine sociale.
La mesquinerie et la petitesse règnent parmi eux, que ce soit dans leurs jeux de
mots ou dans certaines de leurs actions : le refus de Mme Vauquer, appuyé par
Sylvie, de donner un linceul convenable au père Goriot en sera l’exemple le plus
criant à la fin du roman (p. 315). L’obsession de l’argent semble le trait d’union de
cette famille disparate. Rastignac par son ambition, Victorine par son destin et
Vautrin par ses crimes se distinguent toutefois de ce mimétisme.
❺ Une scène du premier chapitre montre le père Goriot dans sa chambre de la
Maison-Vauquer, en train de fabriquer des lingots en pleine nuit (p. 50‑51). Dites
à travers quel point de vue cet épisode est rapporté, puis, en vous appuyant sur
ce que vous savez déjà du père Goriot, montrez que la scène renforce le mys-
tère qui plane sur ce personnage. L’épisode est rapporté à travers le point de vue
interne, Rastignac étant en train d’observer le père Goriot par le trou de la serrure,
prisme qui symbolise la restriction du champ de perception dans la focalisation
interne. Si Balzac consacre un portrait relativement long à ce personnage à partir
de la page 31, le lecteur sait seulement qu’il s’agit d’un ancien vermicellier, riche à
son arrivée à la pension, qui a perdu peu à peu toutes ses économies et ses biens,
sans que personne ne sache pourquoi. Deux femmes élégantes qu’il dit être ses
filles viennent souvent le voir, mais les pensionnaires imaginent qu’il a des maî-
tresses secrètes. Son train de vie diminue à la fin de la deuxième année où il habite
la pension, mais personne n’en connaît les causes : « Ce fut à qui devinerait les
causes de cette décadence. Exploration difficile ! » (p. 38). Plusieurs explications
sont proposées par les pensionnaires, qui l’imaginent successivement espion,
avare, joueur ou libertin (p. 38-39). Le narrateur ne tranche cependant pas encore,
afin de ménager un suspens narratif qui sera levé par Mme de Beauséant et la
duchesse de Langeais (p. 91-94).
❻ Vautrin, l’un des pensionnaires de la Maison-Vauquer, semble inquiétant.
Mettez en évidence ce qui, dans le comportement du personnage, donne cette
impression. Des pages 20 à 27, le lecteur est de plus en plus intrigué par ce per-
sonnage qui est présenté comme « un homme âgé d’environ quarante ans, qui
portait une perruque noire, se teignait les favoris, se disait ancien négociant »
(p. 20). Vautrin semble ainsi se grimer comme un comédien qui joue un rôle. La
 Le Père Goriot
modalisation « se disait » (p. 20) invite d’ailleurs à mettre en doute sa parole. Par
la suite, Rastignac voit de la lumière sous sa porte et entend des éclats de voix
chez lui la nuit : « il vit tout à coup une faible lueur au second étage, chez mon-
sieur Vautrin » (p. 51). Il se demande aussi comment Vautrin a pu rentrer puisque
Christophe avait mis le verrou. De plus, le lecteur apprend que Vautrin a donné
de l’argent à Christophe, ce que le domestique interprète comme une invitation
au silence (p. 52). Un mystère inquiétant plane alors sur Vautrin. En outre, son
assurance, sa manie constante de fredonner des airs d’opéra, ainsi que son dis-
cours sur les « hommes à passions » (p. 61‑62) montrent qu’il connaît la vie et les
caractères : il sait percer les secrets des autres, qu’il s’agisse du père Goriot ou de
la comtesse de Restaud. Loin d’être un personnage naïf, il s’impose tout au long du
premier chapitre comme une figure inquiétante et charismatique dont le lecteur
attend la suite des péripéties.
Un roman d’apprentissage
❼ Dans le premier chapitre, le narrateur dresse le portrait d’Eugène de
Rastignac. Identifiez les caractéristiques qui lui sont attribuées (aspect phy-
sique, statut social, comportement…) et dites en quoi elles annoncent l’intrigue
à venir. Le narrateur brosse un rapide portrait d’Eugène de Rastignac page 26 :
« Eugène de Rastignac avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux
noirs, des yeux bleus. » Il est issu d’une aristocratie de province attachée à des
valeurs traditionnelles mais déshéritée. Sa famille se prive pour lui permettre
de « faire son droit » à Paris. Son comportement est celui d’un ambitieux, prêt à
tout pour réussir. Il est passionné, « aventureux » (p. 48) et « naïf » (p. 49), mais il
comprend progressivement que Paris est « un bourbier » (p. 63). On le découvre
hardi et persévérant, puisqu’il n’hésite pas à se rendre chez Mme de Restaud. Sa
maladresse est due à sa méconnaissance des codes de la mondanité, mais sa
cousine, Mme de Beauséant, lui accorde sa protection et ses conseils. Sa sensi-
bilité apparaît quand il pleure, page 92, après que Mme de Langeais lui a dévoilé
le triste mystère du père Goriot. Il fait aussi preuve de courage en défendant le
vieil homme, une fois rentré à la pension (p. 99). L’ambition et la détermination le
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
caractérisent plus que tout et annoncent l’intrigue à venir : le lecteur pressent que
le roman s’attachera à décrire l’ascension sociale de Rastignac par l’entremise des
filles du père Goriot.
❽ Le père Goriot est un personnage important pour Rastignac. Analysez la
relation ambiguë qu’entretiennent le jeune homme et le vieillard en montrant
que ce dernier joue pour Rastignac le rôle de père de substitution. Après avoir
6 7
 Arrêt sur lecture 1
démasqué le secret du père Goriot, grâce à ses observations personnelles, aux
réflexions de Vautrin et aux confidences de Mme de Beauséant, Rastignac est ému
et souhaite aider l’ancien vermicellier. Il commence par défendre aux autres pen-
sionnaires de se moquer de lui, en le prenant sous sa protection morale page 99.
Parce qu’il est lui-même séparé de sa famille, Rastignac semble ainsi trouver chez
le père Goriot un père de substitution. Cependant, il entretient également une
relation ambiguë avec ce personnage dont il cherche à séduire la fille, Delphine
de Nucingen, sur les conseils de Mme de Beauséant. Le héros éponyme est donc
aussi instrumentalisé par l’ambitieux jeune homme.
❾ Le premier chapitre du roman présente un jeune héros à la conquête de la
société parisienne. Rappelez quelles femmes jouent auprès de Rastignac le rôle
d’initiatrices, et retracez les étapes qui préparent son « entrée dans le monde ».
Ce roman d’éducation présente les différentes étapes qui intègrent le jeune héros
désargenté aux cercles les plus fermés de la mondanité parisienne. Dans le pre-
mier chapitre, le bal auquel il est invité, puis la danse avec Mme de Restaud, la
visite chez cette dernière et la découverte d’un rival heureux constituent les jalons
d’un parcours de novice. Anastasie de Restaud, malgré elle, est la première figure
féminine d’initiatrice. En se rendant chez Madame de Beauséant, Rastignac par-
vient ensuite à inverser le cours du destin, en obtenant de sa cousine qu’elle joue
le rôle de « ces fées fabuleuses qui se plaisaient à dissiper les obstacles autour
de leurs filleuls » (p. 87). La vicomtesse et la duchesse lui dévoilent en effet les
rouages d’un univers social « infâme » page 94 : Rastignac se décide alors à triom-
pher de ce monde corrompu en séduisant Delphine de Nucingen.
Vers l’oral du Bac p. 112-114
Analyse des lignes 1 à 39, p. 11-12
☛ Montrer que cet incipit traditionnel
s’apparente à une préface
Analyse guidée
I. Un incipit de roman réaliste
a. L’incipit a pour fonction de mettre en place un cadre spatio-temporel. Relevez
les indications qui permettent de situer avec précision le lieu et le temps de
l’action. Le cadre spatial est présenté dès la première phrase : il s’agit de « Paris »,
et plus précisément de la « rue Neuve-Sainte-Geneviève, entre le Quartier latin et
 Le Père Goriot
le faubourg Saint-Marceau » (l. 3‑4), ce qui a pour fonction d’ancrer d’emblée le
roman dans la réalité parisienne. Le cadre temporel est également spécifié : « en
1819, époque à laquelle ce drame commence » (l. 10).
b. Le roman s’ouvre sur une évocation de Paris au xixe siècle. En analysant les
images employées pour décrire la ville, montrez que cet univers s’apparente
à l’enfer. Paris est comparé à une « illustre vallée de plâtras incessamment près
de tomber et de ruisseaux noirs de boue » (l. 20‑21) : la décrépitude et la boue
évoquent le cadre de l’enfer, rapprochement qui est amplifié par l’omniprésence
des « souffrances réelles » (l. 22) et des « douleurs que l’agglomération des vices
et des vertus rend grandes et solennelles » (l. 25‑26). L’image de « l’idole de
Jaggernat » (l. 29) donne une couleur épique et païenne à la civilisation décrite.
c. Le narrateur déclare que ses descriptions sont teintées « d’observations et de
couleurs locales » (l. 18). En vous aidant des notes de bas de page, proposez une
interprétation de ces deux expressions. Les couleurs locales sont les détails pitto-
resques qui caractérisent un lieu ou une époque. Or Balzac situe son action dans
le cadre restreint du Paris intra muros qui s’étend des « hauteurs de Montrouge »
(l. 19-20), au sud, jusqu’aux « Buttes de Montmartre » (l. 19), village situé au nord
de la capitale, à laquelle il ne fut rattaché qu’en 1870, lors de la Commune de Paris.
Dans cet incipit, le narrateur décrit un lieu emblématique de la ville, le Quartier
latin, et plus précisément une « pension bourgeoise » (l. 2) qui s’y trouve. La men-
tion des « observations » et des « couleurs locales » annonce la peinture de la
Maison-Vauquer par un narrateur qui en décrira tous les recoins et les moindres
incongruités.
II. Un incipit qui suscite la curiosité du lecteur
a. Pour plonger le lecteur dans l’histoire, l’incipit doit fournir des informations
sur l’intrigue. Relevez et commentez les phrases qui préparent l’action à venir.
L’intrigue est annoncée et résumée par l'expression « les secrètes infortunes du
père Goriot » (l. 34), qui commente le titre sans vraiment l’éclairer. La phrase
« néanmoins, en 1819, époque à laquelle ce drame commence, il s’y trouvait une
pauvre jeune fille » (l. 10‑11) laisse présager les péripéties romanesques à plusieurs
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
égards. L’adverbe d’opposition « néanmoins » suggère que la situation est, pour
la première fois depuis trente ans, bouleversée par la présence romanesque d’un
personnage de jeune fille, qui donne à attendre une histoire d’amour dramatique.
Le terme de « douleurs » (l. 25) glose celui de « drame » (l. 10). Le lecteur com-
prend que l’histoire sera pathétique, ce que confirme : « Cependant il s’y rencontre
çà et là des douleurs que l’agglomération de vices et de vertus rend grandes et
8 9
 Arrêt sur lecture 1
solennelles : à leur aspect, les égoïsmes, les intérêts, s’arrêtent et s’apitoient ;
mais l’impression qu’ils en reçoivent est comme un fruit savoureux promptement
dévoré » (l. 24‑28). Cette phrase emphatique est structurée par de nombreux
balancements et par des images puissantes, pour suggérer que le pathétique et
l’horreur seront contrebalancés par le grandiose et le sublime. Enfin, une certaine
ironie du narrateur est perceptible dans la mention des « mœurs de ce respectable
établissement » (l. 7). La progression de l’intrigue remettra précisément en ques-
tion la respectabilité des pensionnaires.
b. Le narrateur présente certains personnages, sans nécessairement les nom-
mer. Identifiez ceux qui sont annoncés ici et rappelez pourquoi la jeune fille est
un personnage essentiel à l’un des aspects de l’intrigue. Les personnages annon-
cés sont Mme Vauquer, indissociable de sa pension, la pauvre jeune fille et le père
Goriot. De plus, la mention « et pour qu’un jeune homme y demeure, sa famille
doit-elle lui faire une bien maigre pension » (l. 8‑10) préfigure Rastignac. La jeune
fille est un personnage essentiel de l’intrigue : il s’agit de Victorine Taillefer par
laquelle Rastignac pourrait faire fortune s’il acceptait les termes d’un marché cri-
minel avec Vautrin.
c. Tout au long de l’extrait, le narrateur emprunte certains termes à l’univers du
théâtre. Relevez-les et dites en quoi le recours à ce vocabulaire peut surprendre
le lecteur. Les termes empruntés à l’univers du théâtre sont « drame » (l. 10, 12,
37), allusion au drame romantique qui vient d’être théorisé et illustré par Victor
Hugo avec Hernani en 1830, ou encore « scène » (l. 18). Balzac semble par ailleurs
se placer sous la figure tutélaire de Shakespeare par la citation « All is true »
(l. 37‑38), premier titre de la pièce Henri VIII du dramaturge anglais. Le lecteur
s’attend à trouver un roman, puisqu’il lit un texte qui en a la forme : sa curiosité ne
peut être qu’éveillée par la dénégation de l’auteur selon laquelle « ce drame n’est
ni une fiction, ni un roman » (l. 37).
III. Un incipit à valeur de préface
a. Dans cet extrait, les marques de présence du narrateur sont nombreuses. En
vous appuyant sur le point de vue adopté et les temps verbaux utilisés, montrez
qu’il tient ici un discours à valeur de vérité générale. Le narrateur est omniscient,
il connaît le passé et l’avenir de la Maison-Vauquer comme des pensionnaires, et
il sait notamment ce qui arrivera à la « pauvre jeune fille » (l. 11) et au père Goriot.
Il utilise le présent, souvent le présent de narration avec « tient » (l. 2) mais aussi
le présent de vérité générale, par exemple avec « il s’y rencontre » (l. 24) ou, dans
la dernière phrase, « il est si véritable » (l. 38) qui donne à ce texte une portée
universelle.
 Le Père Goriot
b. Le narrateur confère à son discours une visée volontairement démonstra-
tive. Prouvez-le en vous appuyant sur les hyperboles et sur le type de phrases
employées. Le narrateur rend son texte très expressif par des hyperboles (« jamais
vu de jeune personne », l. 8), par l’intensif « si » dans « si terriblement agitée »
(l. 22‑23), par le recours à l’adjectif « exorbitant » (l. 23) ou au nom « exagération »
(l. 36). Le type de phrases, en particulier les modalités interrogative avec « sera-
t-elle comprise au-delà de Paris ? » (l. 16‑17) ou exclamative dans « ah ! sachez-le »
(l. 37), rend le texte vivant et indique que l’auteur ne souffre aucune contradiction.
Ce procédé est renforcé par la dimension assertive très forte des trois dernières
phrases déclaratives du texte, qui repose sur le jeu du présent de vérité générale,
le futur de l’indicatif et l’inversion « ainsi ferez-vous » (l. 31).
c. Dans cet incipit, le narrateur prend directement le lecteur à parti. Relevez
ses différentes apostrophes et précisez quelles promesses il fait au lecteur. Le
narrateur apostrophe en effet le lecteur en s’adressant directement à lui à la deu-
xième personne du pluriel. Des lignes 31 à 37, « vous » est répété sept fois, et sous-
entendu dans « sachez » (l. 37) : le narrateur brosse un petit tableau du lecteur
confortablement installé chez lui pour lire Le Père Goriot. Le lecteur est donc à
la fois le narrataire et le juge du roman. L’auteur anticipe, de façon plaisante, les
éventuelles critiques du censeur qui taxerait le livre « d’exagération » (l. 36) ou de
« poésie » (l. 36). Il y répond à l’avance en affirmant le caractère non-fictif et uni-
versellement vrai de son récit. Cet incipit joue donc le rôle d’une préface qui pose
clairement les deux visées de l’auteur : donner à lire un spectacle impressionnant
et reproduire la réalité.
Les trois questions de l’examinateur
Question 1. L’incipit accorde une place importante à la ville de Paris. Connaissez-
vous d’autres œuvres (romans, poèmes, peintures…) du xixe siècle qui ont Paris
pour toile de fond ? Paris constitue une source d’inspiration inépuisable pour
les artistes les plus variés. La capitale apporte un décor privilégié à de nom-
breux romans, que l’on pense à Notre-Dame de Paris, publié par Victor Hugo en
1831, ou, la même année, au Rouge et le Noir de Stendhal. D’autres romans de
La Comédie humaine de Balzac sont aussi situés à Paris, comme Splendeurs et
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
misères des courtisanes ou La Cousine Bette. Tout au long du xixe siècle, les écri-
vains continuent à ancrer leurs intrigues dans cette métropole historique, aussi
bien Flaubert dans L’Éducation sentimentale (1869) que Guy de Maupassant dans
Bel-Ami (1885). Les poètes ne sont pas en reste, notamment Charles Baudelaire
avec Les Fleurs du mal. De leur côté, les frères Caillebotte puisent leur inspiration
dans les rues et les petits métiers parisiens dont ils nous laissent un témoignage
10
 Arrêt sur lecture 1
pictural pour Gustave, et photographique pour Martial. Le courant des impression-
nistes, dont les œuvres sont exposées au musée d’Orsay, saisit sur le vif, à tous les
moments du jour et à toutes les saisons, les motifs d’une ville en pleine mutation
technique et culturelle. Au xxe siècle, des écrivains incontournables comme Marcel
Proust dans À la recherche du temps perdu ou Louis Aragon, dans Aurélien et
Les Beaux Quartiers, s’inscrivent dans la lignée des romanciers qui réinventent la
capitale en la peuplant de leurs héros imaginaires.
Question 2. Observez le dessin de la page 8 et dites à quel(s) étage(s) peut
habiter le lecteur évoqué aux lignes 32 et 33 de l’extrait. Comment le carac-
tériseriez-vous socialement ?  Le lecteur habite probablement au premier ou au
deuxième étage. C’est un bourgeois ou un aristocrate qui a le loisir de lire et qui
connaît la haute société dont il est question. Comme nous l’avons vu, ce lecteur
fortuné ne peut occuper que les étages élégants de l’immeuble haussmannien
représenté.
Question 3. Si vous comparez l’incipit avec le dernier paragraphe du roman,
quelles sont les images qui reviennent ? celles qui sont déformées ? L’image qui
revient est celle de Paris ; ainsi, le roman s’ouvre et se clôt sur le motif de la ville.
Plus précisément, Paris est présenté dans les deux cas comme une vallée, même
si le mot n’est pas repris explicitement dans l’excipit. À la fin, c’est Rastignac et
non plus le narrateur qui a une vue surplombante de la ville : l’« illustre vallée
de plâtras incessamment près de tomber » est à présent perçue par le person-
nage comme une « ruche » qui bourdonne. Le caractère infâme de la capitale est
devenu convenu pour le héros : domine alors l’image de l’activité incessante de
Paris, « tortueusement couché », personnifié ou animalisé en serpent, comme le
suggère l’adverbe. L’image des « douleurs véritables », quant à elle, est balayée,
après cependant que Rastignac a versé « sa dernière larme de jeune homme »
(p. 323). Cette métaphore est donc déformée, et finalement remplacée par le défi
que le héros lance à la société.
11
 Le Père Goriot
 Arrêt sur lecture 2 p. 189-193
Pour comprendre l’essentiel p. 189-190
Rastignac, un personnage entre deux mondes
❶ Dans ce chapitre, le contraste entre l’aspect misérable de la pension où vit
Rastignac et le faste des soirées mondaines auxquelles il se rend est de plus
en plus perceptible. Mettez-le en évidence et montrez comment sa relation
avec le père Goriot lui permet de faire le lien entre ces deux mondes. Rastignac
découvre le faste d’un monde dont le luxe lui paraît de plus en plus désirable. Il
est ainsi très impressionné par le dîner, pourtant intime, auquel le convie sa cou-
sine de Beauséant : « Sa table offrait donc un double luxe, celui du contenant et
celui du contenu. Jamais semblable spectacle n’avait frappé les yeux d’Eugène,
qui dînait pour la première fois dans une de ces maisons où les grandeurs sociales
sont héréditaires » (p. 145‑146). Le narrateur suggère alors le bouleversement pro-
fond que ces impressions vont susciter chez le jeune ambitieux : « Mais en voyant
cette argenterie sculptée, et les mille recherches d’une table somptueuse, en admi-
rant pour la première fois un service fait sans bruit, il était difficile à un homme
d’ardente imagination de ne pas préférer cette vie constamment élégante à la vie
de privations qu’il voulait embrasser le matin » (p. 146). Les deux gérondifs, « en
voyant » et « en admirant », ont ici une valeur causale : la gradation ménagée d’un
participe présent à l’autre explique la volonté farouche de « parvenir » (p. 131), qui
animera le jeune arriviste. A contrario, la pension lui semble de plus en plus sor-
dide. Après ce dîner chez sa cousine, Rastignac l’accompagne aux Italiens (p. 147),
où il rencontre la belle Delphine de Nucingen (p. 150). Revenu dans la pension, il
rend alors visite au père Goriot pour lui rapporter ses impressions, mais il est hor-
rifié par la pauvreté dont se contente le vieil homme : « Eugène, qui se trouvait
pour la première fois chez le père Goriot, ne fut pas maître d’un mouvement de
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
stupéfaction en voyant le bouge où vivait le père, après avoir admiré la toilette
de la fille » (p. 155). La longue description de la page 155 souligne implicitement
le contraste entre la débauche de luxe déployé chez Mme de Beauséant ou aux
Italiens, et la misère d’une chambre que le héros semble comparer, au discours
indirect libre, à « une prison » (p. 156). Cette description entre en écho avec la
peinture de la Maison-Vauquer, dans l’incipit (p. 12-22), mais concentre les traits
12
 Arrêt sur lecture 2
les plus sordides de la pension. L’humidité de la pièce est évoquée à plusieurs
reprises (« par l’effet de l’humidité », l. 1180 ; « le carreau était humide », l. 1184), et
des adjectifs à dénotation négative qualifient le mobilier (« un mauvais lit », l. 1182 ;
« un méchant secrétaire », l. 1193‑1194 ; « ce mobilier misérable », l. 1195). Pourtant,
le père Goriot représente un lien paradoxal entre ces deux univers car, s’il habite
l’une des chambres les plus misérables de la Maison-Vauquer, il est aussi le seul des
pensionnaires avec qui Rastignac peut évoquer le beau monde où vivent Anastasie
de Restaud et Delphine de Nucingen. Son amour pour ses filles, et son désir obses-
sionnel de connaître leur emploi du temps le rapprochent aussi du jeune homme.
Le narrateur compare d’ailleurs le père délaissé à un amant éconduit mais ingé-
nieux, quand il évoque le bal du maréchal Carigliano auquel Delphine se rendra le
lundi suivant : « “Sa femme de chambre me l’a dit. Je sais tout ce qu’elles font par
Thérèse et par Constance”, reprit-il d’un air joyeux. Le vieillard ressemblait à un
amant encore assez jeune pour être heureux d’un stratagème qui le met en com-
munication avec sa maîtresse sans qu’elle puisse s’en douter » (p. 141).
❷ Grâce aux conseils de Mme de Beauséant, Rastignac devient un « obser-
vateur » (p. 144) de la vie mondaine et apprend à maîtriser l’art de la repartie.
Citez deux de ses répliques qui lui permettent de briller en société. Rastignac
comprend vite que la réussite, dans le monde cruel du faubourg Saint-Germain,
requiert à la fois des qualités d’observation et des talents oratoires. L’art de la
repartie lui permet ainsi de briller, par deux fois, devant les femmes à qui il désire
plaire. Lorsqu’il accepte d’accompagner Mme de Beauséant aux Italiens, elle lui
suggère que cela serait compromettant pour lui. Le jeune homme lui répond alors
par une citation, mise en évidence par des italiques dans le texte : « Le Français
aime le péril, parce qu’il y trouve la gloire, a dit monsieur de Chateaubriand »
(p. 147). Cette pirouette mondaine lui permet de manifester sa culture littéraire, et
d’aller au théâtre où se trouve Delphine de Nucingen. C’est alors pour cette jeune
femme qu’il déploie son art de la repartie, afin de la séduire par son à-propos
et son esprit. Il suggère ainsi l’ambition de devenir son amant par cette réplique
audacieuse et galante : « Quoique l’amitié doive être près de vous un sentiment
peu vulgaire, dit Rastignac, je ne veux jamais être votre ami » (p. 151). Le carac-
tère convenu de cette litote est toutefois souligné par le narrateur qui remarque
que « ces sottises stéréotypées à l’usage des débutants paraissent toujours char-
mantes aux femmes, et ne sont pauvres que lues à froid » (p. 151).
❸ Comme le souligne le titre du chapitre, Rastignac fait ses débuts dans le
monde. Prouvez que son ascension sociale n’est pas encore terminée, en vous
appuyant notamment sur une anticipation (prolepse) qui annonce la suite de
l’intrigue. Dans le chapitre 2, la réussite de Rastignac ne repose pas encore sur
13
 Le Père Goriot
des fondements solides. Il mène la vie dissipée des jeunes gens opulents de Paris,
grâce à l’argent que lui a envoyé sa famille : il se couche et se lève tard, et voit
quotidiennement Delphine de Nucingen qu’il emmène en promenade l’après-midi.
Depuis la soirée aux Italiens, qui a révélé au monde élégant son intimité avec
Mme de Beauséant, il est devenu l’un des jeunes hommes à la mode que le Tout-
Paris se dispute. Ce succès mondain est souligné lors du bal chez la duchesse de
Carigliano page 176 : « La conquête de madame la baronne de Nucingen, qu’on
lui donnait déjà, le mettait si bien en relief, que tous les jeunes gens lui jetaient
des regards d’envie […]. En passant d’un salon dans un autre, en traversant les
groupes, il entendit vanter son bonheur. Les femmes lui prédisaient toutes des
succès. […] À ce bal, Rastignac reçut plusieurs engagements. […] il se vit lancé
dans le plus grand et le plus beau monde de Paris. Cette soirée eut donc pour lui
les charmes d’un brillant début, et il devait s’en souvenir jusque dans ses vieux
jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes. » Ce
succès reste pourtant très précaire, tant que Rastignac n’a pas affermi sa position
par un beau mariage et une fortune assurée. La proposition de Vautrin (voir ci-­
dessous, la question 5), soulignera le caractère éphémère de ces premiers succès
de jeune homme. Le lecteur sait toutefois que Rastignac réussira durablement,
grâce à une prolepse page 120 : « Aussi Rastignac reconnaissant a-t-il fait la for-
tune de cet homme par un de ces mots auxquels il excella plus tard. “Je lui connais,
disait-il, deux pantalons qui ont fait faire des mariages de vingt mille livres de
rente.” » Cette prolepse anticipe ainsi la suite du récit, et le parcours de Rastignac
qui réapparaîtra dans d’autres romans de La Comédie humaine.
L’argent, clé de la réussite
❹ Le chapitre s’ouvre et se clôt sur un thème central du roman : l’argent. Dites
quel parallèle Balzac établit entre Rastignac et les filles du père Goriot. Vous
illustrerez votre propos par des citations précises du texte. Un parallèle expli-
cite est établi entre le père Goriot, qui se dépouille pour ses filles comme le rap-
pelle Rastignac page 117, et les parentes du jeune homme qui déploient des trésors
d’ingéniosité pour lui envoyer l’argent dont il a besoin. Les femmes de sa famille
sacrifient en effet leurs pauvres économies aux ambitions du jeune homme, avec
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
autant de dévouement et de joie que le vieux vermicellier aux caprices de ses filles.
Laure, la sœur de Rastignac, écrit ainsi : « Agathe a été charmante. Elle m’a dit :
“Envoyons les trois cent cinquante francs, à nous deux !” » et « “oh ! cher frère,
nous t’aimons bien, voilà tout en deux mots” » (p. 118). La mère du jeune homme
suggère à mots couverts les sacrifices que sa tante a consentis pour obtenir la
somme qu’il réclamait : « Mon Eugène, aime bien ta tante, je ne te dirai ce qu’elle
14
 Arrêt sur lecture 2
a fait pour toi que quand tu auras réussi ; autrement, son argent te brûlerait les
doigts », puis « J’ai su ce que c’était d’être pauvre, en désirant la fortune pour la
donner à mon enfant » (p. 116‑117). Les larmes de Rastignac révèlent son sentiment
de culpabilité, qui semble accru par le rapprochement qu’il établit entre son égo-
ïsme et celui des filles du père Goriot : « Ta mère a tordu ses bijoux ! se disait-il. Ta
tante a pleuré sans doute en vendant quelques-unes de ses reliques ! De quel droit
maudirais-tu Anastasie ? Tu viens d’imiter pour l’égoïsme de ton avenir ce qu’elle a
fait pour son amant ! Qui, d’elle ou toi, vaut mieux ? » (p. 117). Le terme « reliques »
montre que sa tante n’a pas uniquement sacrifié son pécule, mais aussi ses souve-
nirs, pour que le jeune homme brille aux yeux du monde qu’il souhaite ardemment
conquérir.
❺ Vautrin propose à Rastignac de conclure un pacte (p. 133‑139). Rappelez les
termes de ce marché criminel et, en vous appuyant sur le champ lexical de la
tentation, montrez en quoi le personnage de Vautrin est assimilé à la figure du
diable. Des pages 126 à 139, Vautrin montre son vrai visage à Rastignac en lui
proposant un pacte qui assimile ce pensionnaire inquiétant à une figure de pro-
tecteur diabolique. Le personnage commence par dévoiler quelques éléments de
sa personnalité au jeune homme : « Qui suis-je ? Vautrin. Que fais-je ? Ce qui me
plaît. Passons. Voulez-vous connaître mon caractère ? Je suis bon avec ceux qui
me font du bien ou dont le cœur parle au mien. […] Mais, nom d’une pipe ! je suis
méchant comme le diable avec ceux qui me tracassent, ou qui ne me reviennent
pas » (p. 126). Il lui présente ensuite, en un récit très vif, les longues difficultés
qui l’attendent s’il veut réussir par les voies honnêtes et studieuses du droit : « il
faudra, généreux comme vous l’êtes, commencer, après bien des ennuis et des
privations à rendre un chien enragé, par devenir le substitut de quelque drôle,
dans un trou de ville où le gouvernement vous jettera mille francs d’appointe-
ments, comme on jette une soupe à un dogue de boucher. […] Si vous n’avez pas
de protections, vous pourrirez dans votre tribunal de province » (p. 129). La com-
paraison « comme on jette une soupe à un dogue de boucher », très humiliante
pour Rastignac, a une valeur argumentative : Vautrin veut dissuader son interlo-
cuteur d’embrasser une telle existence. Des pages 136 à 139, celui qui s’apparente
à Méphistophélès dans le Faust de Goethe expose alors le plan qu’il a conçu pour
assurer sa fortune et celle de Rastignac. Il propose au jeune homme de courtiser
Victorine Taillefer, qui l’aime déjà secrètement, tandis que lui-même se chargera
d’assassiner le frère de la jeune fille, à qui l’héritage paternel était destiné. Selon
Vautrin, le banquier Frédéric Taillefer reportera alors l’amour qu’il accordait à son
fils sur sa fille Victorine, et lui léguera le million qu’il possède. Rastignac épou-
sera la jeune pensionnaire, éperdue d’amour et de reconnaissance pour celui qui
15
 Le Père Goriot
l’aimait déjà quand elle était pauvre. Quant à Vautrin, il sera payé de ses services
criminels en recevant deux cent mille francs du jeune marié : cette somme lui per-
mettra de partir en Amérique fonder une plantation. Vautrin est donc clairement
associé à une figure d’initiateur, de tentateur et de diable. Il commence par criti-
quer les fondements de l’ordre bourgeois, qu’il s’agisse de la justice, de la morale
ou des lois, dont il prône une corruption systématique : « Savez-vous comment on
fait son chemin ici ? par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption » (p. 131).
L’orateur déploie une argumentation puissante pour convaincre son auditeur, qui
se trouve dans la position d’un élève quasi-muet d’un bout à l’autre de sa tirade. Il
en appelle à son appétit des plaisirs et du luxe page 160 : « Moi, reprit le tentateur,
je n’aimerais pas de demi-plaisirs ; je voudrais aller là dans ma voiture, dans ma
loge, et revenir bien commodément. Tout ou rien ! voilà ma devise ». L’incise au
discours direct associe explicitement Vautrin à un tentateur, qui deviendra démon
en passant aux actes, page 184 : « Ce démon prit dans sa poche un portefeuille,
et en tira trois billets de banque qu’il fit papilloter aux yeux de l’étudiant ». Cette
longue tirade remplit donc une double fonction : elle permet une caractérisa-
tion de Vautrin en figure tutélaire diabolique et pernicieuse pour Rastignac, et
annonce l’évolution de l’intrigue. Au père martyr et sublime qu’est le père Goriot
s’oppose donc, en la figure subversive de Vautrin, un autre père de substitution
pour Rastignac.
❻ Par deux fois, Rastignac rembourse l’argent emprunté. Rappelez les circons-
tances de ces épisodes et dites quelles qualités s’ajoutent ici au portrait moral
du jeune homme. L’argent joue un rôle déterminant dans la caractérisation des
personnages (voir l’Arrêt sur lecture 1, la question 4) et dans l’évolution de l’in-
trigue. Le bonheur des héros semble en dépendre. Le chapitre 2 montre toutefois
les aléas d’une fortune qui, pour Rastignac, est liée à la générosité de sa famille
puis aux hasards du jeu. Initié à ce vice par Delphine de Nucingen, qui lui demande
de jouer les cent francs qu’elle possède page 168, Rastignac est favorisé plusieurs
fois par la chance, ce qui lui permet de rembourser ses parentes : « Il jouait gros
jeu, perdait ou gagnait beaucoup, et finit par s’habituer à la vie exorbitante des
jeunes gens de Paris. Sur ses premiers gains, il avait renvoyé quinze cents francs
à sa mère et à ses sœurs, en accompagnant sa restitution de jolis présents »
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
(p. 178). La facilité avec laquelle Rastignac sombre dans cette passion dangereuse
n’est donc pas incompatible avec l'honnêteté et la générosité dont il fait preuve
envers sa famille. Le souci de rembourser ses dettes apparaît de nouveau à la fin
du chapitre, pages 187 et 188 : il profite de ses gains au whist, lors d’une soirée
chez madame de Restaud, pour s’acquitter des sommes qu’il devait au comte de
Trailles et au marquis d’Ajuda, et pour restituer à Vautrin les trois mille francs que
16
 Arrêt sur lecture 2
ce dernier lui avait prêtés par la signature d’une traite (p. 186). La fierté du jeune
aristocrate ressort de ce souci scrupuleux.
Les femmes, moteur de l’ascension sociale
❼ Pour parvenir, Rastignac a besoin d’argent et fait appel aux femmes de sa
famille. Montrez, dans l’étude des lettres envoyées par sa mère et par sa sœur,
qu’il jouit auprès d’elles d’une forme de souveraineté. Vous vous attacherez
notamment au lexique employé dans la lettre de Laure. Rastignac bénéficie
d’une forme de souveraineté auprès de sa mère et de sa sœur car sa demande
d’argent prévaut sur le reste des besoins de la famille et même du voisinage. Les
deux lettres, sur un registre différent, manifestent l’amour inconditionnel que ses
parentes vouent à Rastignac. Les mots d’amour de la mère se doublent de tendres
reproches sur « les angoisses de l’incertitude » (p. 115) qu’elle a éprouvées. On
remarque une superposition d’images entre la mater dolorosa qui exprime dou-
cement sa plainte (« Mon cher fils, quel est donc le sentiment qui t’a contraint à
jeter un tel effroi dans mon cœur ? tu as dû bien souffrir en m’écrivant, car j’ai bien
souffert en te lisant », l. 20‑22), et le sublime père Goriot. Le lexique royal employé
sur un ton enjoué dans la lettre de Laure introduit un registre plus léger et badin
page 119 : Rastignac est désigné comme étant « l’héritier présomptif » (l. 117) tandis
qu’elle et Agathe sont les « infantes » ou les « princesses » (l. 121) qui se déclarent à
son service. Tout dans « l’État de Rastignac » (p. 118, l. 111) doit se plier à ses désirs :
« Il a été décidé qu’on ne ferait pas de mur du côté de Verteuil, il y aura une haie.
Le menu peuple y perdra des fruits, des espaliers » (p. 119, l. 114‑116).
❽ Vautrin se révèle être un personnage immoral. Rappelez quelle conception il
a des femmes et de leur rôle dans la société, puis dites comment il tente de ral-
lier Rastignac à sa cause. Dans la tirade déjà évoquée (voir la question 5), Vautrin
développe une conception tout utilitaire et bien peu galante des femmes. À ses
yeux, elles sont avant tout un moyen d’obtenir une dot confortable, pour un jeune
homme ambitieux qui cherche à asseoir sa situation dans le monde. Vautrin com-
mence par suggérer que Rastignac, qui ne possède pas de fortune personnelle,
se verra contraint de réaliser un mariage d’argent : « Voulez-vous vous marier ?
ce sera vous mettre une pierre au cou ; puis, si vous vous mariez pour de l’argent,
que deviennent nos sentiments d’honneur, notre noblesse ? » (p. 130). Il présente
alors ce type d’union comme un esclavage malheureux : « Ce ne serait rien que
se coucher comme un serpent devant une femme, lécher les pieds de la mère,
faire des bassesses à dégoûter une truie, pouah ! si vous trouviez au moins le bon-
heur. Mais vous serez malheureux comme les pierres d'égout avec une femme que
17
 Le Père Goriot  Arrêt sur lecture 2

vous aurez épousée ainsi » (p. 131). Le tentateur soutient alors que, quitte à réali- serait une promesse » (p. 174). Cinquante ans après la parution des Liaisons dan-
ser un mariage d’argent, autant le contracter avec une héritière millionnaire qui gereuses de Choderlos de Laclos, la guerre entre les sexes reste donc d’actualité.
serait tombée amoureuse de lui : Victorine Taillefer semble dès lors la prétendante
idéale. La véhémence du discours, visible dans les modalités exclamatives et les
interrogations oratoires, et la puissance des images auxquelles Vautrin a recours Vers l’oral du Bac p. 191-193
achèvent de convaincre Rastignac, comme en témoigne page 134 : « Que faut-il
que je fasse ? dit avidement Rastignac en interrompant Vautrin ». L’adverbe et le Analyse des lignes 450 à 494, p. 130-132
gérondif, dans l’incise, manifestent le plein succès de l’entreprise rhétorique mise
en œuvre par l’orateur. La suite du récit apportera par ailleurs une explication
☛ Mettre en évidence le cynisme de Vautrin
à la haine des femmes que manifeste ici Vautrin : Gondureau révélera en effet,
dans son discours initiatique
page 200, qu’« il n’aime pas les femmes ». L’homosexualité du personnage éclaire
Analyse guidée
d’un jour nouveau cette tirade.
I. Un discours vivant et concret
❾ Dans ce chapitre, Rastignac se montre séducteur et calculateur. Mettez-le en
a. Les marques de l’oralité sont nombreuses dans le discours de Vautrin.
évidence en étudiant la scène finale avec Delphine. Dans ce chapitre, Rastignac
Montrez que les apostrophes, les questions rhétoriques et les phrases exclama-
fait la cour à Delphine de Nucingen sans obtenir toutefois ses dernières faveurs. Le
tives contribuent à rendre son discours particulièrement vivant. Les questions
jeu de séduction que mènent les deux jeunes gens est par ailleurs mêlé, des deux
rhétoriques ne manquent pas et rendent le discours expressif et vivant, surtout
côtés, de calcul et d’intérêts bien compris. Dès la première rencontre aux Italiens
quand elles sont accompagnées d’une apostrophe. On peut citer : « Le baron
(p. 150‑153), Rastignac soupçonne Delphine de se laisser courtiser pour susciter la
de Rastignac veut-il être avocat ? » (l. 450), « mais trouvez-moi dans Paris cinq
jalousie de l’amant qu’elle aime encore et qui vient de la quitter, de Marsay. Après
avocats qui, à cinquante ans, gagnent plus de cinquante mille francs par an ? »
avoir lu le petit mot que lui envoie Delphine (p. 162‑163), Rastignac se fait cette
(l. 454‑456), « d’ailleurs, où prendre des écus ? » (l. 457‑458), « voulez-vous vous
réflexion : « Une femme ne se jette pas ainsi à la tête d’un homme, se disait l’étu-
marier ? » (l. 459), « que deviennent nos sentiments d’honneur, notre noblesse ? »
diant. Elle veut se servir de moi pour ramener de Marsay. Il n’y a que le dépit qui
(l. 461), « où en prendre ? » (l. 475), « après, que ferez-vous ? vous travaillerez ? »
fasse faire de ces choses-là » (p. 163). Lorsqu’elle implore Rastignac d’aller jouer
(l. 479), « savez-vous comment on fait son chemin ici ? » (l. 487-488). Ces inter-
pour elle, le jeune homme décide d’agir, lui aussi, par stratégie : « “Je veux bien que
rogations oratoires alternent avec des interjections et des phrases exclamatives,
le diable m’emporte si je comprends quelque chose à ce que je vais faire, mais je
comme : « oh ! joli » (l.  450), « bah ! » (l.  456), « pouah ! » (l.  465), « bravo ! ai-je dit »
vais vous obéir”, dit-il avec une joie causée par cette pensée : “Elle se compromet
(l. 474), « Dieu sait comme ! » (l. 476‑477) qui visent à convaincre Rastignac qu’il
avec moi, elle n’aura rien à me refuser” » (p. 168). L’opposition entre le discours
est impossible de « parvenir » (l. 473) par des voies honnêtes.
direct adressé à Delphine et la réflexion que Rastignac se fait à lui-même, comme
en aparté, montre que le jeune homme apprend à jouer un double jeu pour tirer b. Vautrin emploie des tournures familières. Relevez-les et expliquez en quoi il
parti de n’importe quelle situation. La reconnaissance de Delphine, une fois que le fait ainsi appel à une forme de sagesse populaire. Vous pourrez vous aider des
jeune homme lui a permis de rembourser ses dettes, semble cependant sincère, notes de bas de page. Vautrin emploie des expressions et des termes familiers
comme l’indique cette phrase page 170 : « Delphine le serra par une étreinte folle (« flouent », l. 475 ; « filer comme des soldats à la maraude », l. 478), ainsi que des
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.

et l’embrassa vivement, mais sans passion ». La jeune femme résiste cependant à
la cour assidue de Rastignac : alors que le Tout-Paris les croit amants lorsqu’ils se
rendent aux Bouffons (p. 174‑175), Delphine refuse de s’engager, « en lui disputant,
pendant toute la route, un des baisers qu’elle lui avait si chaleureusement prodi-
gués au Palais-Royal » (p. 174), ce qu’elle justifie en affirmant : « Tantôt, répondit-
elle, c’était de la reconnaissance pour un dévouement inespéré ; maintenant ce
comparaisons populaires (« malheureux comme les pierres d’égout », l. 466 ; « plus
de châtaignes que de pièces de cent sous », l. 477‑478). Ces figures reposent sou-
vent sur une animalisation, notamment dans la phrase « ce ne serait rien que se
coucher comme un serpent devant une femme, lécher les pieds de la mère, faire
des bassesses à dégoûter une truie » (l. 463‑465) qui vise à détourner Rastignac de
la voie qu’il comptait suivre. Plus bas, une autre comparaison souligne la nécessité,

18 19
 Le Père Goriot
pour les jeunes ambitieux, de s’entre-dévorer comme des insectes : « Il faut vous
manger les uns les autres comme des araignées dans un pot » (l. 485‑486). Cette
assertion injonctive appuie la vérité énoncée plus haut : « Vous êtes une unité de
ce nombre-là » (l. 484). Pour persuader Rastignac qu’il doit embrasser une vie de
corruption, Vautrin a donc recours à des expressions familières, plus frappantes
qu’un langage châtié. Il veut donner l’impression que son argumentation repose
sur du bon sens populaire, alors qu’elle relève plutôt de la subversion criminelle.
c. Le discours de Vautrin est très imagé. Mettez en évidence la métaphore filée
de la lutte et de la guerre, puis dites quelle vision de la société elle traduit. Le dis-
cours de Vautrin développe la métaphore filée de la guerre et de la lutte. Les rap-
ports de force les plus brutaux semblent investir les relations amoureuses, dans
« vaut encore mieux guerroyer avec les hommes que de lutter avec sa femme »
(l. 467), mais aussi familiales avec la mention « vous avez saigné vos sœurs »
(l. 475). Une guerre plus ou moins policée paraît ainsi structurer l’ensemble de
la société. L’imaginaire de la piraterie est aussi convoqué dans « j’aimerais mieux
me faire corsaire » (l. 457). Le champ lexical de l’armée est enfin développé avec
« filer comme des soldats à la maraude » (l. 478), « jugez des efforts que vous avez
à faire et de l’acharnement du combat » (l. 484‑485), « entrer dans cette masse
d’hommes comme un boulet de canon » (l. 489‑490). Les relations humaines
s’apparentent donc à des rapports de prédation, comme le souligne l’image « vous
manger les uns les autres » (l. 486). Selon Vautrin, mieux vaut tuer qu’être tué :
une loi de la jungle est ici réaffirmée.
II. Un discours initiatique
a. Vautrin ne laisse pas la parole à Rastignac. Son discours s’apparente à un
monologue qui instaure une relation de maître à élève. Relevez les marques
du registre didactique (impératifs, tournures impersonnelles…) et interpré-
tez l’emploi de la première personne du pluriel. Les tournures impersonnelles
telles que « il faut pâtir pendant dix ans » (l. 450‑451), « ce sera vous mettre une
pierre au cou » (l. 459‑460), « autant commencer aujourd’hui votre révolte contre
les conventions humaines » (l. 461‑462), « il faut vous manger » (l. 485-486),
« il faut entrer » (l. 489), « on plie » (l. 491), associées aux impératifs « trouvez-
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
moi » (l. 454), « choisissez » (l. 469), instaurent une relation d’autorité entre un
Vautrin qui s’accorde la posture du maître, et un Rastignac métamorphosé en
disciple attentif. Le premier présente des lois rendues universelles par les tour-
nures impersonnelles, ce qui lui permet d’exhorter le jeune homme à suivre les
préceptes qu’il déduit de son argumentation. Vautrin use de la première personne
du pluriel dans « nous avons une ressource dans la dot d’une femme » (l. 458‑459)
20
 Arrêt sur lecture 2
afin de suggérer que le jeune homme et lui-même partagent des intérêts qu’il
rendra explicites dans la proposition du pacte.
b. Vautrin fait preuve d’autorité dans son discours : lui seul semble détenir la
vérité sur le monde et ses lois. Dites quel temps verbal est majoritairement
employé dans cet extrait et analysez les phrases qui s’apparentent à des vérités
générales. Le présent de l’indicatif domine dans ce discours. Il a essentiellement la
valeur d’un présent de vérité générale, surtout dans les dernières phrases du texte
qui ne laissent pas de place au doute ni à la contradiction. De véritables lois sont
ainsi assenées avec « l’honnêteté ne sert à rien » (l. 490‑491), « la corruption est
en force, le talent est rare » (l. 494). Le caractère lapidaire de la première citation,
et le balancement renforcé par une double antithèse dans la seconde rendent
manifeste l’aspect autoritaire du discours de Vautrin.
c. Vautrin veut obliger Rastignac à suivre ses conseils. Repérez le passage où il
s’érige en véritable guide et explicitez ses intentions à l’égard du jeune homme.
Des lignes 469 à 479, Vautrin met en œuvre une stratégie particulièrement habile :
à partir de l’affirmation « vous avez déjà choisi » (l. 469), il suggère qu’il a percé
les desseins secrets de Rastignac et qu’il lit dans son cœur comme dans un livre
ouvert. Vautrin confirme par ailleurs ce que le héros et le lecteur soupçonnaient
depuis le début : il exerce une surveillance étroite sur le jeune homme depuis son
arrivée dans la pension. C’est ce qui ressort de cette phrase : « Ce jour-là vous êtes
revenu avec un mot sur votre front, et que j’ai bien su lire : parvenir ! parvenir à
tout prix. Bravo ! ai-je dit, voilà un gaillard qui me va » (l. 472‑474). Vautrin veut
ainsi convaincre Rastignac qu’il s’est reconnu en lui, mais également qu’il l’a élu
entre tous pour accomplir le pacte diabolique qu’il lui proposera page 135.
III. Un discours cynique
a. Le discours de Vautrin affiche un cynisme sans bornes. Montrez que ses
préceptes témoignent d’un refus explicite de toute morale, en vous appuyant
notamment sur les différentes occurrences du terme « corruption ». Vautrin
développe avec force son refus de toute morale, en s’appuyant sur l’argument
pragmatique selon lequel « l’honnêteté ne sert à rien » (l. 490‑491). Il présente au
contraire l’art de la corruption comme un équivalent du génie, quand il affirme
« par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption » (l. 488‑489) et « la cor-
ruption est en force, le talent est rare » (l. 494). Le génie et le talent sont ici syno-
nymes, et pourraient s’opposer à l’esprit moutonnier de ceux qui suivent, sans
les remettre en cause, des lois imposées par d’autres hommes. Le mépris de la
morale serait donc la seconde branche d’une alternative, au moment de choisir
un mode de vie : pour Vautrin, celui qui s’affranchit des lois humaines échappe à
21
 Le Père Goriot
l’esclavage suggéré des lignes 459 à 465, pour devenir un héros moderne, véri-
table surhomme par les gains qu’il retire de ce choix.
b. Vautrin manifeste également son mépris à l’égard des institutions sociales.
Dites sur quoi repose sa critique du mariage et du travail. La société bourgeoise
et capitaliste qui donne son cadre au Père Goriot est essentiellement fondée sur
les institutions que sont le mariage et le travail. Les systèmes d’alliance et de pro-
duction structurent la vie des hommes et des nations. Or Vautrin, dans son dis-
cours, remet en cause successivement ces deux piliers de la société. S’il reconnaît
que le mariage peut représenter une ressource, avec « nous avons une ressource
dans la dot d’une femme » (l. 458‑459), il présente aussi ce type d’union comme
un esclavage aliénant quand il affirme : « Ce serait vous mettre une pierre au
cou » (l. 459‑460), puis « mais vous serez malheureux comme les pierres d’égout
avec une femme que vous aurez épousée ainsi » (l. 465‑467). Pour le hors-la-loi
qu’est Vautrin, le travail est ensuite présenté comme une contrainte tout aussi
aliénante que le mariage, par exemple dans : « Il faut pâtir pendant dix ans, dépen-
ser mille francs par mois, avoir une bibliothèque, un cabinet, aller dans le monde,
baiser la robe d’un avoué pour avoir des causes, balayer le palais avec sa langue »
(l. 450‑453). Le caractère avilissant du travail est rendu manifeste par la grada-
tion des verbes « pâtir », « baiser » et « balayer » qui suggère un abaissement pro-
gressif du travailleur de la position droite vers un aplatissement total. En outre,
pour Vautrin, ces humiliations apportent un bénéfice réduit : « Le travail, compris
comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les vieux jours, un appar-
tement chez maman Vauquer à des gars de la force de Poiret » (l. 479‑481). Pour
s’élever dans la hiérarchie sociale, Vautrin prône donc une subversion cynique de
ces deux piliers que sont le mariage et le travail.
c. Vautrin se moque des ambitions professionnelles de Rastignac. Mettez en
évidence l’ironie dans son discours. Étymologiquement, l’ironie désigne un art
d’interroger, pour remettre en cause ce qui est accepté par le plus grand nombre.
L’ironie rejoint souvent la figure de l’antiphrase, quand le locuteur feint d’affirmer le
contraire de ce qu’il pense réellement. Vautrin a ainsi recours à ce procédé quand
il s’exclame « oh ! joli » (l. 450), alors qu’il va dépeindre l’aliénation qui menace
le futur avocat. Un peu plus loin, la phrase « j’aimerais mieux me faire corsaire »
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
(l. 457) pourrait aussi relever de l’ironie, par l’opposition entre les deux métiers
rapprochés, avocat et corsaire : l’un défend la loi, tandis que le second la prend
pour cible. Une ironie mordante apparaît ensuite dans la question oratoire « que
deviennent nos sentiments d’honneur, notre noblesse ? » (l. 460‑461). La tour-
nure interrogative accroît ici l’agressivité indissociable de l’ironie : c’est bien une
remise en cause profonde du choix de vie de Rastignac que met en œuvre Vautrin.
22
 Arrêt sur lecture 2
Les trois questions de l’examinateur
Question 1. Dans cet extrait se trouvent deux mots en italique. Relevez-les et
dites pourquoi, à votre avis, l’auteur a choisi de mettre ces mots en italique. Le
recours aux italiques est un procédé typographique qui permet de mettre en valeur
un mot ou une expression. Dans la tirade de Vautrin, deux mots se détachent du
texte par leur mise en italique, pour deux raisons différentes. « Parvenir » (l. 473)
est répété deux fois, et souligné par les italiques la première fois. Ce verbe à l’infi-
nitif, qui prend ici une valeur injonctive, correspond en effet au cœur de l’argu-
mentation déployée par Vautrin : l’obsession de parvenir qui caractérise Rastignac
est ce que l’ancien forçat a su lire sur son front, et ce qui le conduit à proposer un
pacte au jeune homme. « Flouent » (l. 475) est en italique car il s’agit d’un mot d’un
registre familier.
Question 2. En quoi le plan échafaudé par Vautrin ressemble-t-il à celui pro-
posé, dans le premier chapitre, par Mme de Beauséant ? Pages 96 et 97,
Mme de Beauséant disait à Rastignac que son ascension dans le monde impli-
quait la conquête d’une femme en vue, comme Delphine de Nucingen. Elle affir-
mait ainsi : « La belle madame de Nucingen sera pour vous une enseigne. Soyez
l’homme qu’elle distingue, les femmes raffoleront de vous. […] Vous aurez des suc-
cès. À Paris, le succès est tout, c’est la clef du pouvoir » (p. 97). De même, dans le
chapitre 2, Vautrin défend un raisonnement similaire en soutenant que la réussite
d’un homme passe par un beau mariage. C’est cette fois Victorine Taillefer qu’il lui
conseille d’instrumentaliser (p. 136‑138). Pour un jeune arriviste, un plan d’ascen-
sion sociale efficace semble donc requérir une maîtresse élégante et une riche
épouse. La réalité sociale de l’adultère, très répandu lorsque les unions n’étaient
pas encore motivées par l’amour, manifeste donc les failles de l’institution du
mariage dont Vautrin prône la subversion.
Question 3. Montrez que, comme Vautrin, Balzac fait grand usage des affirma-
tions à valeur de vérité générale dans Le Père Goriot. Comme Vautrin, le narra-
teur du Père Goriot propose souvent une vision surplombante de la ville de Paris
ou de la société. On peut citer, parmi beaucoup d’autres exemples, les affirmations
suivantes : « Nul quartier de Paris n’est plus horrible, ni, disons-le, plus inconnu »
(p. 13), « Sur dix nuits promises au travail par les jeunes gens, ils en donnent sept
au sommeil. Il faut avoir plus de vingt ans pour veiller » (p. 51) ou encore « Entre le
boudoir bleu de madame de Restaud et le salon rose de madame de Beauséant,
il avait fait trois années de ce Droit parisien dont on ne parle pas, quoiqu’il consti-
tue une haute jurisprudence sociale qui, bien apprise et bien pratiquée, mène à
tout » (p. 87). Vautrin et Balzac sont donc les deux démiurges du Père Goriot, l’un
à l’intérieur de l’intrigue, et l’autre à l’extérieur.
23
 Le Père Goriot
 Arrêt sur lecture 3 p. 259-263
Pour comprendre l’essentiel p. 259-260
Des signes qui ne trompent pas
❶ Deux affaires criminelles de l’époque sont évoquées dans ce chapitre.
Rappelez-les et mettez en évidence leur lien avec l’intrigue. Dans le roman réa-
liste, on trouve souvent des allusions à des faits divers, notamment criminels ou
sordides. Dans le chapitre 3, l’intrigue se centre sur le personnage de Vautrin,
puisqu’on découvre que le mystérieux pensionnaire est un ancien forçat : le récit
prend la tournure d’un roman policier. Page 200, « l’affaire de Cogniard » est
d’abord convoquée par l’agent Gondureau pour convaincre Mlle Michonneau d’ai-
der la police à identifier Trompe-la-Mort. Dans cette histoire véridique, un ancien
forçat nommé Cogniard prit une fausse identité et se fit appeler comte de Sainte-
Hélène. Cette affaire constitue un précédent qui prouve que les forçats peuvent se
déguiser en bourgeois ou en aristocrates respectables pour se réintégrer dans la
société. Gondureau souhaiterait ainsi que Mlle Michonneau vérifie si Vautrin porte
bien les lettres marquées sur l’épaule des forçats, pour éviter une erreur judi-
ciaire. C’est ensuite Poiret qui fait allusion à l’affaire du « sieur Ragoulleau et de la
dame Morin » (p. 203), puisqu’il y a comparu « en qualité de témoin à décharge »
(p. 203). Mme Morin avait été condamnée aux travaux forcés pour l’assassinat de
Ragoulleau. Cette histoire de meurtre entre en écho avec le crime que Jacques
Collin, alias Trompe-la-Mort, s’apprête à accomplir, de façon imminente à présent.
Dès la page 205, il affirme ainsi à Rastignac : « L’affaire est faite […]. Notre pigeon a
insulté mon faucon. À demain, dans la redoute de Clignancourt. »
❷ Vautrin parle l’argot. Faites une recherche sur Internet pour en connaître
les origines et les usages. Puis relevez quelques mots d’argot dans le texte et
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
dites en quoi cela trahit la véritable identité du personnage. Parmi les sites que
l’on peut consulter sur l’argot, citons : http://www.universalis.fr/encyclopedie/argot/
(dont le début est gratuit), http://www.espacefrancais.com/largot/ (probablement
le plus complet et le plus accessible à l’heure actuelle pour les élèves), http://www.
lexilogos.com/argot.htm (dictionnaire d’argot accessible en ligne) ainsi que http://
atilf.atilf.fr/ (le site du TLF, pour l’étymologie historique d’un mot précis). À l’origine,
24
 Arrêt sur lecture 3
l’argot désigne la langue des voleurs ou, plus largement, des groupes marginaux
et exclus de la société : ce langage, qui leur est propre, leur permet de parler sans
être compris des honnêtes gens, souvent pour les duper. L’argot est donc la langue
courante au bagne ou dans les prisons. Par extension, l’argot devient le jargon par-
tagé par un corps de métier, par exemple les bouchers ou les médecins quand ils
évoquent les procédés techniques qui caractérisent leur profession. Dans les deux
cas, l’argot est une langue secrète qui nécessite une initiation. Dans le texte et dans
le discours de Vautrin, on relève : « la Camuse » (p. 230), « ça te la coupe », « mou-
chards », « raisiné », « trimar » (p. 233), « terré » ou « otolondrer » (p. 235). Vautrin
parle l’argot avec autant d’aisance que s’il s’agissait de sa langue maternelle, ce
qui trahit son origine sociale et son passé de bagnard : le langage est en effet un
marqueur social. Dans Splendeurs et misères des courtisanes, le dernier roman
de la trilogie balzacienne qu’ouvre Le Père Goriot, une véritable leçon d’argot est
donnée au lecteur. Dans la quatrième partie intitulée « La dernière incarnation de
Vautrin », la section « Essai philosophique, linguistique et littéraire sur l’argot, les
filles et les voleurs » propose en effet une immersion, par ce langage très spéci-
fique, au sein du milieu pénitentiaire qu’a rejoint Jacques Collin (Splendeurs et
misères des courtisanes, Gallimard, « Folio classique », 1973, p. 513‑519).
❸ Tout au long du roman, Vautrin chantonne des airs d’opérette. En vous
aidant des notes de bas de page, montrez que ces couplets, et notamment le
dernier (p. 210), annoncent la fin de Trompe-la-Mort. Les couplets chantonnés
par Vautrin tout au long du chapitre 3 peuvent sembler innocents à première lec-
ture. Ils remplissent pourtant une fonction précise dans l’économie de ce chapitre.
L’extrait des Deux Jaloux, « Ma Fanchette est charmante / Dans sa simplicité », est
ainsi répété plusieurs fois, comme pour scander une progression dramatique :
page 204, il interrompt un tête-à-tête galant entre Rastignac et Victorine, puis
c’est pour rappeler les termes du pacte qui doit unir les deux jeunes gens que
Vautrin le chantonne au moment de son arrestation, page 234. Dans les deux
cas, cet air d’opéra-comique, en apparence léger, symbolise et accroît la pression
psychologique que l’ancien forçat fait peser sur le jeune homme, en lui rappelant
la relation de dépendance qui les lie. Un autre opéra-comique est fredonné par
Vautrin, Richard Cœur de Lion de Sedaine (p. 210). Les paroles, cette fois encore,
sont loin d’être anodines. Le vers « j’ai longtemps parcouru le monde », que
Vautrin chantait déjà pages 55 et 57, s’applique parfaitement au passé du per-
sonnage, auquel il donne une couleur inquiétante. Quant à la dernière mention de
ce couplet, elle annonce en filigrane la fin de Trompe-la-Mort avec « ô Richard, ô
mon roi ! / L’univers t’abandonne ». On peut donc établir un parallèle entre le destin
de Jacques Collin et celui de Richard Cœur de Lion dans l’opéra. Évoquons enfin,
25
 Le Père Goriot
page 215, des vers d’une romance d’Amédée de Beauplan que Vautrin chantonne
avant de se rendre à la Gaîté avec Mme Vauquer. Ce chapitre est donc rendu très
riche par les jargons, les airs d’opéra et les coups de théâtre qu’il intègre.
Un premier dénouement : l’arrestation de Vautrin
❹ L’arrestation de Vautrin ressemble à une scène de théâtre. Rappelez où se
déroule cet épisode et dressez la liste des personnages présents en signalant le
rôle tenu par Poiret et Mlle Michonneau. L’épisode survient à la Maison-Vauquer,
et plus précisément dans le lieu emblématique qu’est la salle à manger. Au sein de
cette pièce devenue familière au lecteur se déroule un véritable coup de théâtre
qui bouleverse les habitudes des pensionnaires. Ces derniers ne sont pas au com-
plet puisque Vautrin, Rastignac, Poiret, Mlle Michonneau, Mme Vauquer, Sylvie et
le peintre sont présents, ainsi que l’externe Bianchon, mais pas Mme Couture ni
Victorine qui sont parties en catastrophe chez M. Taillefer affligé par la mort de
son fils. Le narrateur attire d’emblée l’attention sur Vautrin avec la phrase : « À
l’heure où rentra Rastignac, Vautrin se trouvait donc debout près du poêle dans la
salle à manger » (p. 230). En quelques instants, de nouveaux personnages méta-
morphosent la salle à manger bourgeoise en lieu de confrontation judiciaire. Le
chef de la police de sûreté et trois officiers de paix, quatre gendarmes, plusieurs
soldats et « un petit vieillard en cheveux blancs qui s’était assis au bout de la
table après avoir tiré d’un portefeuille le procès-verbal de l’arrestation » (p. 233)
viennent en effet procéder à une arrestation en règle de Vautrin. La dramatisa-
tion de ce coup de théâtre apparaît par exemple dans les nombreuses notations
sonores : « on entendit le pas de plusieurs hommes », « bientôt le silence régna
dans la salle à manger », « le pas et les fusils de plusieurs soldats retentirent sur
le pavé caillouteux » (p. 231). À l’ébahissement muet des pensionnaires s’oppose
le discours menaçant dans lequel Collin dévoile sa véritable identité, sans résister
mais en annonçant, déjà, sa vengeance. Très vite, les délateurs sont découverts :
il s’agit bien sûr de Mlle Michonneau et de Poiret, qui discutaient avec Gondureau
au début du chapitre. Mlle Michonneau endosse la plus grande part de responsa-
bilité puisque c’est elle qui a administré le sédatif à Vautrin, pour vérifier qu’il por-
tait bien les lettres sur l’épaule. Les pensionnaires qui semblaient les plus ternes
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
se révèlent donc des traîtres et des espions contre lesquels se retourneront les
autres personnages, pages 237 à 241.
❺ Vautrin tente une fois encore d’échapper à la police. En vous appuyant sur
les métaphores et les comparaisons employées pages 231-232, analysez ses
métamorphoses successives et dites en quoi elles révèlent l’identité multiple
du personnage. Comme nous l’avons montré dans l’arrêt sur lecture 1 (question
26
 Arrêt sur lecture 3
6), Vautrin est présenté dès le premier chapitre comme un comédien, un camé-
léon qui change de figure au gré des circonstances. Ici, le coup de théâtre dévoile
sa véritable identité d’ancien forçat, et de nombreuses notations physiques bou-
leversent les lignes d’un portrait que le lecteur pouvait d’emblée trouver inquié-
tant (voir page 20). La haine qui s’empare du personnage, au moment de son
arrestation, se peint clairement sur son visage : « tant la figure du forçat devint
férocement significative en déposant le masque bénin sous lequel se cachait sa
vraie nature » (p. 231). Ce dévoilement est accentué lorsque le chef de la sûreté
fait sauter sa perruque : « Accompagnées de cheveux rouge brique et courts qui
leur donnaient un épouvantable caractère de force mêlée de ruse, cette tête et
cette face, en harmonie avec le buste, furent intelligemment illuminées comme si
les feux de l’enfer les eussent éclairées » (p. 232). La filiation satanique du person-
nage est donc réaffirmée par la comparaison avec les feux de l’enfer. L’idée que
le caractère d’un personnage se lit clairement sur son visage est constamment
illustrée chez Balzac : il s’agit de la physiognomonie, héritée d’Aristote. Vautrin est
ensuite animalisé. D’abord comparé à un « chat sauvage » (l. 1089), il se métamor-
phose en un « lion » (l. 1092) qui « rugit » (l. 1091). Enfin la phrase « sa physiono-
mie présenta un phénomène qui ne peut être comparé qu’à celui de la chaudière
pleine de cette vapeur fumeuse qui soulèverait des montagnes, et que dissout en
un clin d’œil une goutte d’eau froide » (l. 1096‑1099) rappelle l’univers de l’enfer
avec l’image de la chaudière. Cette phrase souligne aussi la capacité presque
surhumaine par laquelle Vautrin peut se composer un masque quand la situation
l’impose. Ces diverses métamorphoses trahissent la violence intérieure qui anime
le personnage : il sait revêtir une face totalement différente, en un instant, comme
par instinct de survie.
❻ Avant de rejoindre le bagne, Vautrin fait ses adieux aux pensionnaires de la
Maison-Vauquer. Décrivez les réactions des différents personnages et explicitez
l’image de « monde renversé » (p. 243). Les pensionnaires manifestent une hos-
tilité unanime envers Mlle Michonneau qui s’est révélée la « moucharde » (p. 239)
du groupe : « Cette figure, qui leur était antipathique depuis si longtemps, fut tout
à coup expliquée » (p. 237). Ils la mettent à la porte de la Maison-Vauquer malgré
les protestations d’une patronne impuissante. Poiret confirme le lien qui l’unis-
sait à la Michonneau en décidant de l’accompagner dans son exil chez madame
Buneaud page 240, ce qui déclenche un concert d’hilarité et d’applaudissements
de la part des autres pensionnaires page 241. Depuis la page 237, un jeu de scène
comique avait en effet lieu entre un Poiret métamorphosé en chevalier servant,
protecteur de sa dame, et une Mlle Michonneau terrorisée par les autres pension-
naires. Un instant après, Mme Vauquer reçoit une lettre qui annonce la mort du
27
 Le Père Goriot
fils Taillefer et le départ de Victorine comme de Mme Couture. De leur côté, le
père Goriot et Rastignac vont dîner rue d’Artois, dans le nouvel appartement que
Delphine a aménagé pour le jeune homme. Le monde est donc « renversé » à plu-
sieurs égards. D’abord parce que les pensionnaires les plus insipides se révèlent
des espions infiltrés pour aider la police, tandis que le bourgeois préféré de
Mme Vauquer, Vautrin, est arrêté comme ancien forçat. La pension de la veuve se
vide par ailleurs en une journée, ce qui abat profondément la patronne : « Madame
Vauquer n’eut pas le courage de dire un mot en ne voyant que dix personnes au
lieu de dix-huit autour de sa table » (p. 242). Enfin, l’expression « monde renversé »
pourrait évoquer la fête médiévale qu’était le carnaval, moment de défoulement
collectif des petits contre les puissants : ici, les pensionnaires trouvent de nou-
veaux boucs émissaires puisque leur moquerie se détourne du père Goriot pour
prendre Poiret et la Michonneau comme cibles. Page 239, c’est d’ailleurs les deux
mouchards qui pâtissent des insultes en « -rama ». L’équilibre et le rapport de
force entre les pensionnaires sont donc bouleversés.
Un faux dénouement : le bonheur démesuré du père Goriot
❼ Le narrateur semble se moquer du père Goriot et de son amour insensé pour
sa fille Delphine. Prouvez-le en vous appuyant sur les images et les comparai-
sons employées lors du dîner rue d’Artois (p. 243-250). L’amour insensé que le
père Goriot porte à ses filles est présenté comme une passion violente et irra-
tionnelle, qui va jusqu’à l’idolâtrie comme le suggère la phrase suivante : « L’idole
était toujours pure et belle pour le père, et son adoration s’accroissait de tout le
passé comme de l’avenir » (p. 250). Les sentiments du vieux vermicellier excèdent
largement l’amour que les pères portent naturellement à leurs enfants, pour se
rapprocher de l’obsession propre à l’amant. C’est ce que le narrateur souligne
dans ces phrases, qui filent la métaphore de la folie : « le vieillard serrait sa fille par
une étreinte si sauvage, si délirante » (p. 248), « le père Goriot ne se montra pas
le moins fou des trois » (p. 249), « enfin il faisait des folies comme en aurait fait
l’amant le plus jeune et le plus tendre » (p. 250), et « en s’entretenant de Delphine
avec un croissant enthousiasme qui produit un curieux combat d’expressions
entre ces deux violentes passions » (p. 250). Ces citations ont recours aux inten-
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
sifs « si » et aux tournures superlatives (« le moins », « le plus ») pour manifester
l’excès d’une affection qui concurrence celle de l’amant. La dernière citation sug-
gère d’ailleurs que l’amour du père Goriot pourrait devenir pesant pour Rastignac,
qui « s’était senti déjà plusieurs fois des mouvements de jalousie » (p. 250). Enfin,
la passion du personnage le conduit à un état d’hébétement qui semble confirmer
le pronostic de stupidité formulé par les pensionnaires (p. 69) : « Le bonhomme
28
 Arrêt sur lecture 3
descendit le premier et jeta dix francs au cocher, avec la prodigalité d’un homme
veuf qui, dans le paroxysme de son plaisir, ne prend garde à rien » (p. 243). Le père
Goriot est ensuite comparé à un opiomane, ce qui atteste de son amour béat pour
sa fille : « Le père Goriot avait le sourire fixe d’un thériaki en voyant, en écoutant
cette jolie querelle » (p. 246). Le narrateur, par le champ lexical de la folie et de
l’excès, suggère donc le caractère outrancier et dangereux de cette passion : tous
les personnages balzaciens sont en effet guidés par une idée fixe qui finit par les
consumer et par les perdre.
❽ Le père Goriot est érigé en « Christ de la Paternité » (p. 248). Analysez cette
image en rappelant ce qui, dans ce chapitre, témoigne de son dévouement
extrême envers Delphine et Rastignac. Alors que le père Goriot, Delphine et
Rastignac se trouvent dans la garçonnière que les deux premiers ont aménagée
pour le jeune homme, l’ancien vermicellier serre si fort sa fille dans ses bras qu’il
lui fait mal. Le narrateur écrit alors : « Il la regarda d’un air surhumain de douleur.
Pour bien peindre la physionomie de ce Christ de la Paternité, il faudrait aller cher-
cher des comparaisons dans les images que les princes de la palette ont inven-
tées pour peindre la passion soufferte au bénéfice des mondes par le Sauveur des
hommes » (p. 248). Alors que le dénouement approche, le père Goriot commence
à être figuré en martyr, en surhomme et en type pictural. L’expression « Christ de
la Paternité » introduit une allégorie, c’est-à-dire une figure de style dans laquelle
le comparé est éclairé par l’analogie avec un comparant qui lui donne un sens
symbolique. Ici, le père Goriot est comparé au Christ, le fils de Dieu dans la reli-
gion chrétienne, qui est venu se sacrifier, par amour, pour sauver les hommes. Ce
rapprochement paraît des plus pertinents quand on pense aux nombreux sacri-
fices consentis par Goriot pour ses filles : il ne leur donne pas seulement tout son
argent, au point de vivre dans le dépouillement le plus extrême, il finit aussi par
mourir d’amour pour elles. Le héros devient donc un type pictural et littéraire.
Ses expressions sublimes et désespérées rappellent de nombreux tableaux de
Rembrandt, par exemple Portrait d’un vieil homme. Son agonie pourra évoquer le
tableau de Georges de La Tour, Saint Sébastien soigné par Sainte Irène (1645). Des
crucifixions ou des descentes de la Croix, représentées par des grands peintres
comme Tintoret, Véronèse ou Rubens sont aussi convoquées par l’expression
« Christ de la Paternité », même si le père Goriot est bien plus âgé que le Christ au
moment de sa mort.
❾ Le chapitre se clôt sur une phrase du père Goriot : « Nous allons commen-
cer demain notre vie heureuse » (p. 258). Dites à quel genre de dénouement
cette phrase prépare le lecteur. Cette phrase est empreinte d’ironie tragique,
29
 Le Père Goriot
quand on connaît le véritable dénouement du roman. Le recours à ce procédé est
fréquent dans les tragédies, de Racine par exemple : il consiste à expliciter l’illu-
sion d’un personnage, qui ignore encore ce qui l’attend. Cette réflexion du père
Goriot suggère en effet une fin de comédie, genre dans lequel les amants sont
généralement réunis par un mariage légitime après bien des péripéties. Le vieil
homme, étant donné tous les sacrifices qu’il a endurés, veut croire au bonheur
pour l’une, au moins, de ses filles : il vient ainsi d’aménager un petit nid d’amour
où il espère être enfin le bienvenu. Le lecteur, à ce stade du roman, ne peut toute-
fois que pressentir l’issue dramatique, et être sensible à l’ironie tragique de cette
remarque.
Vers l’oral du Bac p. 261-263
Analyse des lignes 1797 à 1849, p. 256-258
☛ Montrer en quoi cet extrait apparaît
comme un faux dénouement
Analyse guidée
I. Un dénouement heureux en apparence
a. Ce passage semble réunir tous les critères d’un dénouement. Formulez les
buts poursuivis par Rastignac et Delphine depuis le début du roman et montrez
que tous deux y sont parvenus. Depuis le début du roman, Rastignac souhaitait
« parvenir » à tout prix en intégrant les cercles les plus fermés de la mondanité
parisienne. Il avait compris, à la fin du premier chapitre, que cette réussite impli-
quait d’afficher les signes extérieurs et matériels de la fortune et du luxe, pour
plaire à une femme en vue. Ces objectifs semblent ici réalisés puisqu’il a su rem-
porter l’amour et les faveurs de Delphine de Nucingen : la jeune femme lui a, de
surcroît, aménagé un appartement rue d’Artois, ce qui semble un moyen, pour le
jeune homme, de s’affranchir de l’influence néfaste de Vautrin. Le jeune aristo-
crate accomplit, de son côté, le rêve de sa maîtresse en lui donnant une invitation
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
au prochain bal de sa cousine, Mme de Beauséant (p. 256). Delphine souffrait en
effet profondément de ne pas être intégrée au monde clos du faubourg Saint-
Germain, à la différence de sa sœur.
b. La satisfaction des personnages transparaît dans cet extrait. Dites en quoi
le lecteur peut croire à un dénouement heureux en vous appuyant notam-
ment sur le champ lexical du bonheur. Les attentes des personnages semblent
30
 Arrêt sur lecture 3
comblées en cette fin de chapitre : le mot « bonheur » revient quatre fois dans
l’extrait, lignes 1802, 1837 et 1844. L’adjectif « heureux » est également employé
par Delphine, avec « aujourd’hui je veux être tout heureuse » (l. 1832), puis par son
père qui évoque « notre vie heureuse » (l. 1849). Le champ lexical du bonheur est
par ailleurs décliné avec « mouvement de joie » (l. 1797), « délire de satisfaction
vaniteuse » (l. 1799), et « adieu plein de joies à venir » (l. 1834‑1835). Les manifes-
tations physiques de l’euphorie sont aussi évoquées puisque Delphine a les « yeux
mouillés » (l. 1798) : elle pleure de joie en lisant l’invitation puis serre Eugène dans
ses bras. Ce roman d’éducation semble donc se conclure par un dénouement heu-
reux, qui permet le triomphe des héros auxquels le lecteur s’était attaché.
II. Un dénouement tragique en préparation
a. L’invitation au bal de Mme de Beauséant, qui semble être un événement heu-
reux, va pourtant précipiter les personnages vers une fin tragique. Dites pour-
quoi en lisant la fin du roman. Le bal représente finalement un moment tragique
car il coïncide avec l’agonie du père Goriot, que ses filles délaissent en lui préfé-
rant ce raout mondain. De plus, dès le début du chapitre 4, une succession de
déboires financiers amène la ruine des deux ingrates. Delphine voit sa dot englou-
tie par les spéculations de son mari, contre lesquelles elle reste impuissante. De
son côté, Anastasie est déshonorée car les rumeurs qui circulaient sur son compte
sont fondées : elle a vendu des diamants qui appartenaient à sa belle-famille, pour
rembourser les dettes de son amant, Maxime de Trailles. Le comte de Restaud
la punit par une humiliation cuisante, qui a précisément lieu pendant le bal : il
rachète les diamants et l’oblige à les porter aux yeux de tous. Ce bal marque égale-
ment l’adieu de Mme de Beauséant au monde : délaissée par son amant, la grande
dame choisit de se retirer dans un couvent. Cet événement brillant se teinte donc
d’une couleur tragique.
b. Le comportement et les paroles de Delphine laissent présager un malheur
imminent. Relevez et analysez les deux antithèses qui annoncent ce renver-
sement de situation puis proposez une interprétation du mauvais pressen-
timent de Delphine. Le moment de joie qui clôt le chapitre 3 est déjà traversé
par des antithèses qui annoncent un renversement de la situation. Le fait que
Mme de Beauséant n’ait pas invité M. de Nucingen préfigure la ruine du banquier.
Delphine décide toutefois de négliger cette mise en garde, en affirmant : « Mais
n’importe, j’irai » (l. 1813). Elle ignore encore qu’elle n’aura pas simplement à bra-
ver des circonstances mondaines, mais tragiques. La jeune femme développe
pourtant, un peu plus bas, la mauvaise intuition qui s’empare d’elle : « Je suis
si peureuse, si superstitieuse, donnez à mes pressentiments le nom qu’il vous
31
 Le Père Goriot
plaira, que je tremble de payer mon bonheur par quelque affreuse catastrophe »
(l. 1836‑1838). Le terme « catastrophe » est un emprunt au vocabulaire de la dra-
maturgie, et entre en écho avec le début du roman qui se voulait une « exposi-
tion » (p. 108). Delphine redoute ainsi un ultime coup de théâtre, qui renverserait
ce dénouement heureux en tragédie.
c. Le chapitre se clôt sur une phrase du père Goriot : « Nous allons commen-
cer demain notre vie heureuse » (l. 1849). Dites en quoi elle relève de l’ironie
tragique. L’ironie tragique est un procédé souvent utilisé dans la tragédie. Elle
consiste en un décalage d’informations, car elle résulte de l’imminence d’un évé-
nement tragique que le personnage ignore encore, mais que le lecteur pressent ou
connaît : ce dernier a dès lors l’impression que le destin se moque du héros. Or, ici,
c’est précisément le lendemain que le sort s’acharnera sur le père Goriot puisque
ses deux filles viennent lui annoncer leur ruine. La « vie heureuse » n’aura pas lieu,
et le père sublime mourra seul.
III. Une vision critique de la société
a. Au début de l’extrait, Delphine vouvoie Rastignac en présence de la femme de
chambre puis lui glisse un mot à l’oreille. Expliquez quelle critique sous-jacente
de la société ce détail révèle. Delphine tient à ménager les apparences parce que
sa femme de chambre peut l’entendre. Même dans un moment de joie intense,
elle est capable de dissimuler ses émotions lignes 1800 et 1801. Balzac livre là
une critique indirecte d’un monde dominé par l’hypocrisie, factice, pétri de dis-
simulation et d’insincérité. Il développera cette critique dans le récit du bal chez
Mme de Beauséant.
b. Balzac semble dénoncer le règne des apparences. Montrez comment se tra-
duit la rivalité entre les deux sœurs et sur quoi se fonde leur jalousie respective.
Le monde que décrit Balzac est bâti sur les apparences. C’est pourquoi Delphine
s’exclame : « Je conçois alors qu’Anastasie se fasse faire une robe lamée, et veuille
attirer sur elle tous les regards » (l. 1826‑1827). La rivalité qui oppose les deux
sœurs s’exprime avant tout dans le désir futile de plaire. Le choix très superfi-
ciel d’une robe devient ainsi l’occasion d’une émulation féroce, comme le suggère
« je ne veux pas être au-dessous d’elle » (l. 1828‑1829). Les deux sœurs vivent du
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
regard des autres et de satisfactions narcissiques qui reposent sur des éléments
matériels et symboliques. L’amertume de Delphine provient en effet d’un com-
plexe d’infériorité puisqu’elle souffre d’appartenir à un monde moins coté que
celui de sa sœur, celui des banquiers de la Chaussée-d’Antin et non pas des aris-
tocrates du faubourg Saint-Germain. Sa rancœur résulte de ce qu’Anastasie ne l’a
jamais aidée à intégrer son milieu.
32
 Arrêt sur lecture 3
c. Le monde à l’extérieur de la Maison-Vauquer paraît menaçant. Prouvez-le
en vous appuyant sur des citations précises du texte. Le monde qui entoure la
Maison-Vauquer est un univers qui choisit impitoyablement ses membres ; c’est
ainsi que Delphine n’a pas été admise dans la société du faubourg Saint-Germain.
Ce microcosme fait et défait la réputation de tout un chacun, notamment au Cercle
qui est évoqué ligne 1817. Dans ces cénacles qui réunissent une société choisie,
tout se sait aussi vite qu’à la cour de Louis XIV : faveurs et disgrâces alimentent les
rumeurs, les joies et les haines les plus violentes. Au sein de cet univers en appa-
rence policé, les liens de parenté les plus étroits sont pervertis par des rivalités
acharnées. Delphine et Anastasie se vouent ainsi une haine sans merci.
Les trois questions de l’examinateur
Question 1. Quel renversement de situation est annoncé ici par le passage
consacré à Anastasie ? Les lignes 1814 à 1828 annoncent, de manière proleptique,
la ruine d’Anastasie et l’humiliation publique que lui infligera son mari. La mort du
père Goriot sera en outre étroitement liée au malheur de sa fille aînée, puisque
l’attaque qui le tuera commence page 272, lorsque la comtesse vient lui annoncer
son déshonneur.
Question 2. En quoi le tableau reproduit en couverture évoque-t-il l’intrigue du
roman ?  Le personnage représenté par Gustave Caillebotte sur ce tableau intitulé
L’Homme au balcon, pourrait être Rastignac. L’homme est vraisemblablement un
bourgeois ou un aristocrate, puisqu’il porte des habits élégants, notamment un
chapeau haut-de-forme, comme s’il s’apprêtait à sortir dans le monde. Le balcon,
en fer forgé, est sans doute celui d’un immeuble haussmannien, ce que confirment
les bâtiments environnants. Il pourrait donc s’agir de la garçonnière que Delphine
et le père Goriot ont aménagée pour le jeune homme, rue d’Artois. Parce qu’il
est représenté de dos, la posture conquérante du personnage est soulignée : son
poing sur la hanche lui donne une dimension sculpturale, qui pourrait rappeler
des statues de Balzac par Rodin, actuellement exposées dans la Maison de Balzac
(voir p. 369). La construction du tableau attire par ailleurs le regard vers l’hori-
zon, entre les immeubles représentés des deux côtés : cette perspective suggère
encore une fois l’esprit conquérant du personnage qui pourrait, comme Rastignac
à la fin du roman, s’exclamer « À nous deux maintenant ! » (p. 324).
Question 3. Relisez le dernier paragraphe du Père Goriot. Quelle image de
Rastignac est déjà donnée ici ? L’image déjà donnée ici est celle d’un Rastignac
triomphant, qui jette un défi à la société et qui réussit grâce à Delphine de
Nucingen.
33
 Le Père Goriot
 Arrêt sur lecture 4 p. 325‑329
Pour comprendre l’essentiel p. 325‑326
La mort solitaire du père Goriot
❶ La mort du père Goriot semble inévitable. Rappelez quel coup fatal lui est
porté et analysez dans son discours pages 301 et 303 les phrases qui annon-
cent sa mort prochaine. Le père Goriot est bouleversé par un « double malheur »
(p. 271), puisque ses deux filles semblent frappées par le sort en même temps.
Delphine est ruinée par M. de Nucingen, qui a engagé sa dot dans des entreprises
hasardeuses, tandis qu’Anastasie, qui a vendu les diamants de son époux pour
rembourser les dettes de son amant, est déshonorée aux yeux du monde. Le père
sublime, qui n’a plus d’argent à donner à ses filles, est comme crucifié de déses-
poir et d’impuissance lorsqu’il apprend ces nouvelles. De surcroît, ses filles ne se
réunissent chez lui que pour s’entre-déchirer. Cet excès de souffrances semble
ainsi précipiter la mort du vieil homme. Dans son discours des pages 301 et 303,
l’imminence de sa mort est rendue poignante par des phrases telles que : « Avez-
vous vu mes filles ? Elles vont venir bientôt, elles accourront aussitôt qu’elles me
sauront malade » (l. 1150‑1151) et « Croyez-vous qu’elles viennent ? » (l. 1187). Ces
interrogations pathétiques suggèrent que le père Goriot garde l’espoir de voir
une dernière fois ses filles avant sa mort, tout en sachant que leur absence le
tuerait de chagrin. Son amour continue à frôler la folie quand il affirme : « J’irai
faire de l’amidon en aiguilles à Odessa. Je suis un malin, je gagnerai des millions »
(l. 1195‑1197). L’obsession d’aider ses filles par tous les moyens reste donc extrê-
mement violente chez l’agonisant.
❷ L’absence de Delphine et Anastasie auprès de leur père semble s’apparenter
à un meurtre. Interprétez l’expression « élégant parricide » (p. 291). Cette expres-
sion est presque un oxymore car elle unit deux termes en apparence antithétiques.
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
Le parricide est l’un des pires crimes qui soient, et semble enfreindre les lois les
plus élémentaires de la nature puisqu’il désigne la mise à mort de celui qui nous
a donné la vie. Dans l’univers très policé qu’ont intégré Delphine et Anastasie, les
actions les plus abjectes sont toutefois accomplies derrière les masques riants de
la mondanité. Le parricide que Delphine est en train d’accomplir, page 291, est « élé-
gant » au sens propre, parce que la jeune femme se pare pour le bal le plus prisé du
34
 Arrêt sur lecture 4
faubourg Saint-Germain, et au sens figuré, car il est mis en œuvre sans violence.
Son efficacité n’en reste pas moins totale, et laisse Rastignac épouvanté (l. 817).
❸ C’est dans une solitude presque totale que le père Goriot est enterré. Dites
quels personnages sont présents et quel détail révèle avec cruauté l’absence
de ses filles. Les seuls personnages présents lors de l’enterrement du père Goriot
sont Rastignac, Christophe, les deux prêtres, l’enfant de chœur et le bedeau. Les
« deux voitures armoriées, mais vides » (l. 1833) soulignent avec cruauté l’absence
des filles du « Christ de la Paternité », comme de leurs époux. La présence des
« gens de ses filles » (l. 1836‑1837) marque le mépris de ses gendres pour leur
beau-père, mais pourrait aussi suggérer la reconnaissance des domestiques de
Delphine et d’Anastasie pour le père prodigue. On remarque enfin que les autres
pensionnaires de la Maison-Vauquer ne sont pas venus rendre un dernier hom-
mage à l’homme qui a partagé leur table pendant plusieurs années.
La fin de l’apprentissage de Rastignac
❹ Après le dernier bal de Mme de Beauséant, Rastignac rentre à la Maison-
Vauquer et Balzac indique : « Son éducation s’achevait » (p. 297). Dites en quoi
la mort et l’enterrement du père Goriot peuvent eux aussi marquer la fin de
l’apprentissage de Rastignac. Le père Goriot a représenté un père symbolique
pour Rastignac : son agonie et son enterrement achèvent d’ouvrir les yeux du
jeune homme. L’égoïsme et la cruauté du « beau monde » trouvent une illustration
frappante dans la légèreté de Delphine et d’Anastasie, qui préfèrent satisfaire leur
plaisir et leurs affaires familiales plutôt que de secourir leur père en ses derniers
moments de vie. Le cynisme, voire le sadisme du faubourg Saint-Germain, qui
vient assister à l’humiliation de l’une de ses reines, Mme de Beauséant (p. 293),
éclate également au grand jour. Rastignac achève donc de perdre ses illusions
avec l’enterrement du père Goriot. Le narrateur précise ainsi qu’il verse « sa der-
nière larme de jeune homme » (p. 323) : c’est sa jeunesse et sa naïveté qui sont
enfouies avec le vieux vermicellier.
❺ À la fin du roman, Rastignac semble parvenu à son but. Précisez quelle image
et quelle action illustrent sa volonté farouche de conquérir la société parisienne.
Au terme du roman, Rastignac a malgré tout atteint l’objectif qu’il s’était assigné :
il a conquis le cœur d’une belle, ce qui a fait de lui un jeune homme en vue, dont
les mondains se disputent la présence. Il a de surcroît perdu les scrupules moraux
qui l’animaient auparavant. La position surplombante qu’il a sur la capitale, depuis
le cimetière du Père-Lachaise, reflète la vision d’ensemble qu’il a pu acquérir sur
la société parisienne. Le cri de défi qu’il lance des hauteurs de la ville, « À nous
35
 Le Père Goriot  Arrêt sur lecture 4

deux maintenant ! » (p. 324), semble immédiatement mis en pratique par l’action comportements humains. Le narrateur, au hasard du récit, intègre souvent des
qui clôt le roman : « Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen ». maximes qui posent un jugement sans appel sur la société et les motivations
humaines. Lorsque Rastignac, par lâcheté, tente de justifier le comportement
La critique de la société mondaine indigne de Delphine, qui se rend au bal au lieu de courir veiller son père, le nar-
rateur écrit ainsi : « Souvent la loi sociale, implacable dans sa formule, condamne
❻ Dans son agonie, le père Goriot confie à Rastignac : « Le monde n’est pas
là où le crime apparent est excusé par les innombrables modifications qu’intro-
beau » (p. 305). Dites en quoi cette vision confirme celle qu’ont livrée à Rastignac
duisent au sein des familles la différence des caractères, la diversité des intérêts et
Mme de Beauséant et Vautrin. L’un après l’autre, Mme de Beauséant et Vautrin
des situations » (p. 291‑292). Quand Delphine se donne à Rastignac, c’est ensuite le
avaient délivré à Rastignac une leçon désabusée sur les mœurs et les cœurs de
sentiment amoureux qui est cyniquement ramené à la simple jouissance : « l’amour
la société parisienne. À la fin du premier chapitre, la cousine du jeune homme
n’est peut-être que la reconnaissance du plaisir » (p. 292). Pendant l’une des der-
lui avait dépeint la corruption et l’égoïsme d’un faubourg Saint-Germain « infâme
nières scènes qui se passent à la pension, le répétiteur affirme enfin : « Un des privi-
et méchant » (p. 95). Dans le chapitre 2, la grande tirade de Vautrin présentait
lèges de la bonne ville de Paris, c’est qu’on peut y naître, y vivre, y mourir sans que
une vision encore plus cynique de la société, des pages 133 à 139 (voir la lecture
personne fasse attention à vous. Profitons donc des avantages de la civilisation »
analytique de l’Arrêt sur lecture 2, p. 191‑193). Le forçat soutenait l’idée d’une lutte
(p. 319). Cette remarque sur l’indifférence des Parisiens pour ce qui se produit dans
pour la vie et pour la réussite qui motivait les actions les plus viles. Le discours
la capitale reflète très directement le dénouement du roman. Dans la dernière sen-
que prononce le père Goriot, juste avant sa mort, confirme cette vision pessimiste.
tence, le narrateur souligne toutefois que la richesse entraîne des différences dans
L’ingratitude et l’argent dominent le monde, ce qui conduit le mourant à juger que
le traitement du mort : « C’était la mort des pauvres, qui n’a ni faste, ni suivants, ni
« le monde n’est pas beau » (l. 1260). Cette sentence se charge en solennité, du fait
amis, ni parents » (p. 321‑322). Balzac, qui connut lui-même de nombreuses difficul-
de la situation d’énonciation tragique.
tés financières, semble souligner les injustices sociales face à la mort.
❼ Abandonnée par son amant, Mme de Beauséant parvient à dissimuler sa souf-
france en public. Montrez quelle image du monde aristocratique cette attitude
trahit. La dissimulation de Mme de Beauséant est magistrale : « Vêtue de blanc, Vers l’oral du Bac p. 327-329
sans aucun ornement dans ses cheveux simplement nattés, elle semblait calme,
et n’affichait ni douleur, ni fierté, ni fausse joie. Personne ne pouvait lire dans son Analyse des lignes 700-742, p. 287-288.
âme. Vous eussiez dit d'une Niobé de marbre » (p. 293). Cet ultime portrait de la
grande dame donne une image frappante des règles tacites qui régissent cette ☛ Étudier les éléments de la tirade
société mondaine : l’art de vivre y est fondé sur un art du paraître, qui consiste à qui révèlent la déraison du père Goriot
cacher ses véritables sentiments derrière une façade impénétrable. Ce type de
comportement était déjà en vigueur à la cour de Louis XIV, comme le montrent les Analyse guidée
Mémoires de Saint-Simon. Au xviiie siècle, des romans comme Les Liaisons dange- I. La tirade d’un homme désespéré
reuses (1782) de Laclos montrent que la dissimulation continue à caractériser la
a. Une tirade désigne au théâtre une longue réplique ininterrompue prononcée
haute société à la fin de l’Ancien Régime. Mme de Beauséant, comme le suggèrent
par un personnage. Dites en quoi cet extrait peut s’apparenter à une tirade. Ce
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.

la blancheur de sa robe et la simplicité de sa tenue, incarne toutefois un dernier

idéal aristocratique où la noblesse du cœur et du comportement répond au titre
prestigieux de « dernière fille de la quasi royale maison de Bourgogne » (p. 293).
❽ Balzac affectionne les phrases courtes à valeur générale que l’on appelle
maximes. Relevez dans ce chapitre quelques-unes des maximes balzaciennes
et dites en quoi elles traduisent le jugement critique de l’auteur à l’égard des
passage correspond à une longue prise de parole dans laquelle le père Goriot pro-
pose un développement centré sur la péripétie qui vient d’avoir lieu. Comme au
théâtre, le vieil homme s’adresse ici à un destinataire, Rastignac, qui l’écoute sans
l’interrompre. Il est vrai que le jeune homme ne peut qu’être épouvanté par le
récit du « Christ de la Paternité ». Ce dernier, bouleversé parce qu’Anastasie n’avait
pas de quoi payer la robe lamée qu’elle avait commandée, a « vendu pour six

36 37
 Le Père Goriot
cents francs de couverts et de boucles » (l. 721), puis engagé pour un an son titre
de rente viagère « contre quatre cents francs une fois payés » (l. 722-723). Cette
tirade tente donc de justifier cet acte d’une générosité insensée.
b. Le père Goriot est à l’agonie, il mène un combat contre la mort. Analysez
les éléments qui permettent de lire ce passage comme une scène de combat.
Étymologiquement, « agonie » provient du grec agôn qui signifie la lutte : l’agonie
est donc le dernier des combats que livre l’homme. La souffrance qui harasse le
père Goriot pendant qu’il parle, est perceptible dans les difficultés qui entravent
la progression de son discours. L’incise « en rassemblant ses forces pour parler »
(l. 700) indique qu’il doit déployer une énergie considérable pour exposer la ter-
rible péripétie. L’ultime acte de bravoure, qu’il vient d’accomplir pour sa fille aînée,
semble avoir consumé ses dernières forces vitales. Le père Goriot remarque d’ail-
leurs : « J’ai été si humilié de n’avoir pas eu douze mille francs hier, que j’aurais
donné le reste de ma misérable vie pour racheter ce tort-là » (l. 716‑718). Ce don
de soi est directement responsable de la mort imminente dont le personnage a
conscience. Ses aveux de faiblesse, par exemple « et moi je ne suis plus assez fort
pour l’en tirer » (l. 736‑737), s’opposent pourtant à des projets totalement illu-
soires, tels que « je vais me remettre au commerce » (l. 737).
c. Différentes tonalités alternent dans cet extrait. Montrez que le père Goriot
passe de la peine de voir ses filles dans le malheur à la joie de se sacrifier pour
elles. Le discours du père Goriot est assez décousu. Les nombreuses interjections
et les phrases exclamatives ne sont pas toujours liées au même registre. Certaines
comme « ah ! » (l. 700), « allez, mon enfant ! » (l. 701), « pauvre Nasie, en être
venue là ! » (l. 705) expriment sa peine de voir Anastasie malheureuse, tandis que
d’autres comme « oh ! oh ! je n’en ai fait ni une ni deux » (l. 719‑720) ou « oh ! je vais
me remettre au commerce ! » (l. 737) montrent au contraire sa joie de se sacrifier
pour elle. On remarque aussi une opposition dans l’usage des temps verbaux. Le
présent et l’imparfait sont utilisés pour exprimer le désespoir et la tristesse, tandis
que le futur de l’indicatif est employé par le père Goriot pour évoquer ses projets
utopiques. Cette distorsion temporelle reflète le tiraillement intérieur auquel le
vieil homme est en proie.
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
II. Le sacrifice d’un père
a. Le père Goriot ne recule devant rien pour sauver la réputation de ses filles.
Précisez quel ultime sacrifice il a accompli et montrez que le personnage est ici
au comble de la misère. Le père Goriot a vendu ce qui lui restait pour trouver les
mille francs dont Anastasie avait besoin. Il dit : « J’ai vendu pour six cents francs
de couverts et de boucles, puis j’ai engagé, pour un an, mon titre de rente viagère
38
 Arrêt sur lecture 4
contre quatre cents francs une fois payés » (l. 721‑723). L’ancien vermicellier, si
riche à son arrivée chez Mme Vauquer, a résolu de se contenter de pain pour le
restant de ses jours, afin que son aînée brille de mille feux, le temps d’une soirée.
La mention réaliste du pain, qui est la nourriture du pauvre, pourrait aussi être
une discrète allusion au nom de « Christ de la Paternité ».
b. Au chapitre précédent, le père Goriot était ironiquement qualifié de « Christ de
la Paternité » (p. 248). En vous appuyant sur le champ lexical de la pitié, montrez
ce qui, dans ce passage, confirme cette image. Le champ lexical de la pitié est
très représenté dans ce passage. Le père Goriot dit que sa fille est « malheureuse »
(l. 701), puis s’exclame « pauvre Nasie […] ! » (l. 705). Il se sent également « humilié »
(l. 716), évoque sa fille « noyée de larmes » (l. 715‑716) et la compare à un « Guérit-
Tout » (l. 734), ce qui rappelle la dimension surhumaine de l’amour qu’il porte à
ses filles.
III. La déraison de Goriot
a. Le père Goriot est persuadé de pouvoir encore sauver ses filles. Prouvez-le
en vous appuyant sur les temps verbaux utilisés et en justifiant leur emploi. Le
présent, employé avec force dans « je ne veux pas qu’elles me croient malade »
(l. 730), alterne avec les nombreux verbes au futur de l’indicatif (« m’embrassera »,
l. 731, « je mangerai », l. 723, ou « j’irai », l. 737). Le conditionnel présent est égale-
ment utilisé avec « soigneraient » (l. 731). Ces trois temps verbaux indiquent que le
père Goriot refuse la mort. Il se forge un avenir hypothétique et surtout utopique
dans lequel il espère pouvoir sauver ses filles.
b. Le père Goriot refuse de voir la mort venir et sa tirade s’apparente alors au
délire d’un mourant qui n’a plus le sens des réalités. Montrez comment la fin
du texte souligne la déraison du personnage. Le père Goriot imagine qu’il peut
encore aller à Odessa, en Ukraine, pour reprendre son commerce et acheter de
l’amidon. Son vœu irréalisable souligne sa déraison, ce qui est commenté par
Rastignac : « Il est fou » (l. 743).
c. L’illusion la plus cruelle pour le père Goriot est de croire que ses filles vien-
dront à son chevet. Rappelez la phrase qui l’illustre et précisez en quoi cette
conviction relève de l’imagination du père Goriot. La phrase qui illustre l’illusion
du père Goriot est : « Je ne veux pas qu’elles me croient malade, elles n’iraient
point au bal, elles me soigneraient » (l. 730‑731). Or c’est précisément pour faire
bonne figure à ce bal qu’Anastasie lui a demandé de l’argent. Il lui est impossible
de ne pas s’y rendre puisque son époux l’a contrainte à y arborer les diamants
qu’elle avait vendus pour rembourser les dettes de son amant. Quant à Delphine,
39
 Le Père Goriot
ce bal représente la consécration dont elle rêve depuis des années : son égoïsme
l’emportera sur toute autre considération.
Les trois questions de l’examinateur
Question 1. Arrivée bien tardivement au chevet de son père, Anastasie s’ex-
clame : « J’ai perdu toutes mes illusions » (p. 318). À votre avis, à quel autre
personnage le terme d’« illusions » fait-il écho ? Comment pouvez-vous l’inter-
préter ?  Le terme « illusions » fait écho au parcours de Rastignac qui perd pro-
gressivement toutes celles qu’il nourrissait sur le monde. Le personnage reçoit
une véritable « éducation » sociale et mondaine. Le jeune aristocrate trouvera par
ailleurs un double en la figure de Lucien de Rubempré, le héros des deux autres
romans de la trilogie balzacienne, Illusions perdues et Splendeurs et misères des
courtisanes. Vautrin resurgira alors, conformément au principe du retour des per-
sonnages qui caractérise La Comédie humaine, pour jouer le même rôle d’initia-
teur maléfique auprès de Lucien.
Question 2. Les romans réalistes et naturalistes s’achèvent souvent sur la mort
d’un des personnages. Connaissez-vous un autre roman réaliste ou naturaliste
qui présente un tel dénouement ? Depuis ses origines, le roman s’est souvent
achevé sur une mort, réaliste ou sublime. Au siècle des Lumières, on peut citer
Manon Lescaut de l’Abbé Prévost. Au xixe siècle, l’essor du roman réaliste, puis
naturaliste, permet de trouver des exemples variés tels que les dénouements du
Lys dans la vallée de Balzac, de Madame Bovary de Flaubert, de Nana de Zola, ou
encore du Rouge et le Noir de Stendhal.
Question 3. Comparez les dernières lignes du roman et la planche de bande
dessinée reproduite au verso de la couverture, en fin d’ouvrage. Cette planche
de bande dessinée représente l’enterrement du père Goriot, puis le trajet solitaire
qu’accomplit Rastignac jusqu’aux hauteurs du cimetière d’où la vue se dégage. La
pluie, qui est drue sur la première image, pour suggérer le caractère définitive-
ment sordide de l’enterrement, devient de moins en moins dense, jusqu’à se dissi-
per dans la dernière vignette pour laisser place à un ciel nuageux mais plus serein.
La dernière image est plus grande que les autres, et ouvre une belle perspective
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
sur la capitale, que l’on identifie grâce aux tours de Notre-Dame ou aux dômes du
Panthéon et des Invalides, autant de bâtiments emblématiques de l’histoire de
Paris. Le jeune homme, représenté de dos et d’un peu plus loin, domine la capitale
qu’il s’apprête à conquérir. La tombe du père Goriot, qui reste visible au premier
plan, insiste sur le rôle que joua le « Christ de la Paternité » dans l’éducation de
Rastignac. Une adaptation en bande dessinée rend ainsi nécessaire un travail de
40
 Vers l’écrit du Bac
sélection, parmi les diverses informations délivrées par le roman, de celles qui
seront les plus frappantes sur une image. Il s’agit d’un travail de réécriture particu-
lier, puisque l’appropriation du texte implique une mise en image. La construction
des différents plans de la vignette, et notamment la mise en évidence de l’élément
le plus important, remplace les commentaires du narrateur.
 Vers l’écrit du Bac
p. 360-367
Sujet La description réaliste
☛ Le roman et la nouvelle au xixe  siècle :
réalisme et naturalisme
■ Questions sur le corpus
1. Vous étudierez le jeu des points de vue dans les différents extraits. Le point de
vue désigne la manière dont le narrateur perçoit une scène. Avec le point de vue
omniscient, le narrateur sait tout, à la différence des personnages qui n’ont que
des connaissances fragmentaires. Le point de vue externe consiste à proposer une
description purement extérieure, objective, par exemple des gestes et des compor-
tements des héros. Enfin, le point de vue interne est adopté quand l’histoire ou la
situation sont soudain perçues à travers le prisme, la focalisation d’un personnage
particulier : le champ de perception et de connaissance est alors restreint. Les trois
points de vue, omniscient, interne et externe, sont représentés dans ces extraits.
Le texte B, l’extrait de Madame Bovary de Flaubert, est écrit du point de vue
interne. En effet, c’est un personnage de l’histoire, un des camarades de Charles
Bovary, qui assure la description : d’où l’emploi du pronom personnel « nous », en
alternance avec « on ». Le texte C, extrait du Rouge et le Noir de Stendhal, présente
la description de la petite ville de Verrières du point de vue omniscient. Le narra-
teur ne se contente pas de décrire ce qu’il voit, mais il apporte des explications,
comme à la fin de l’avant-dernier paragraphe dans la phrase « c’est à la fabrique
41
 Le Père Goriot
des toiles peintes […] que l’on doit l’aisance générale », ce qui prouve sa connais-
sance profonde de la ville. C’est le cas également de l’extrait du Père Goriot de
Balzac. Le narrateur donne sans cesse son avis, et la subjectivité dont il fait preuve
est une marque du point de vue omniscient. On remarque notamment certains
emplois du conditionnel présent (futur 2) en modalisation (« faudrait »). La fin du
texte, à partir de « pour expliquer », suggère que le narrateur en sait beaucoup
plus mais n’a pas le loisir de développer. Dans le texte D, extrait des Mystères de
Paris d’Eugène Sue, c’est le point de vue externe qui est représenté. Le narrateur
décrit objectivement ce qu’il observe, sans jugement. De plus, il en sait moins que
les personnages : l’un d’entre eux est d’ailleurs nommé « l’inconnu ».
2. Commentez les choix des temps verbaux dans les quatre textes. Dans ces
quatre textes domine le présent. L’imparfait est également employé, tandis que
le subjonctif apparaît surtout dans des constructions obligatoires. Enfin, le condi-
tionnel joue parfois un rôle modalisant.
I. Le présent de l’indicatif domine
A. Présent de description : texte  A : « exhale » ; texte  C : « s’étendent »,
« marquent », « coule » ; texte  D : « occupe », « se balance », « porte », « voit »,
« semble ». Les textes C et D sont presque tout entiers écrits au présent de des-
cription, qui donne un caractère vivant à la description.
B. Présent de vérité générale : texte D : « l’âme humaine est un abîme impé-
nétrable » ; texte B : « où l’on retrouve » et « a des profondeurs d’expression »
(mais ces deux présents peuvent aussi être considérés comme des présents de
description).
C. Présent dans un système hypothétique au présent : texte C : « le voyageur
demande […] on lui répond » ou au présent et au futur proche ; texte A : « si elle n’a
[…] elle va tomber ».
II. L’imparfait est également très présent dans les textes
A. Système d’alternance entre imparfait de description et passé simple de nar-
ration : texte  B : « apercevait », « était », « commença ».
B. Imparfait de description sans alternance : texte B, pour la description de la
casquette de Charles : « commençait », « venait » (ainsi qu’un passé simple isolé
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
dans le texte D : « entrèrent »).
C. Alternance entre imparfait et conditionnel présent (futur 2) dans un système
hypothétique, par exemple dans le texte  A : « pourrait » / « inventait ».
III. Le subjonctif apparaît dans des constructions obligatoires
A.  Après « quoique » : texte B : « quoiqu’il ne fût » (imparfait du subjonctif dans
une concessive).
42
 Vers l’écrit du Bac
B.  Après « pour que » : texte A : « pour qu’un facétieux externe y écrive son nom »
(présent du subjonctif dans une consécutive).
C.  Après « soit que » : texte B : « soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou
qu’il n’eût osé s’y soumettre » (plus-que-parfait du subjonctif avec une hypothé-
tique à valeur alternative).
IV. Cas isolés : le conditionnel (futur 2) et l’imparfait ont des emplois modali-
sants et le passé composé une valeur de constat
A. On remarque plusieurs occurrences de conditionnel présent à valeur modali-
sante, comme dans le texte A (« verriez »), ainsi qu’un imparfait de l’indicatif à
valeur modalisante (« devait ») dans le texte B.
B. On note la valeur de constat du passé composé dans le texte C : « ont enrichi »
et « a fait ».
■ Travaux d’écriture
Commentaire (séries générales)
Vous commenterez l’extrait du Père Goriot de Balzac (texte A).
I. Le regard du narrateur
A. Le dialogue du narrateur et du lecteur. Le narrateur propose une exposition
lente, à laquelle le lecteur est invité à participer.
B. Le narrateur omniscient. Le narrateur livre de nombreux jugements
personnels.
C. La présence d’un regard. Étudier le jeu des connotations, le travail sur les
adjectifs.
II. Une description de la misère
A. Misère et laideur caractérisent la pension.
B. Une description vivante et hyperbolique. Relevez les verbes de perception
sensorielle, les termes expressifs, les énumérations, l’usage des présents qui ren-
forcent le réalisme.
III. Les ambitions presque scientifiques du romancier
A. Une description réaliste. Étudier les petits détails vrais.
B. Une description porteuse d’informations intéressant directement le récit. La
description remplit une fonction narrative car elle reflète le caractère et l’évolu-
tion des personnages. L’impression de misère et de mort, de pourriture annonce
métaphoriquement le destin du personnage éponyme.
43
 Le Père Goriot
Commentaire (séries technologiques)
Vous commenterez l’extrait du Rouge et le Noir de Stendhal (texte C). Vous
pourrez vous aider du parcours de lecture suivant : dans un premier temps, vous
montrerez en quoi ce texte constitue un incipit ; puis dans un second temps,
vous étudierez le réalisme de cet extrait.
I. Un incipit
A. Le cadre de la description. Décrire le cadre spatio-temporel, qui précède l’évo-
cation des personnages.
B. Les images récurrentes. Le texte est structuré par l’opposition entre deux
pôles, la nature et la fabrique, présentés successivement par le narrateur.
C. Le rôle du narrateur. Le narrateur a un point de vue omniscient : il introduit
le cadre et le personnage du maire. Ses interventions ont une valeur explicative.
II. Le réalisme de la description
A. Lieu précis, noms réels. Relevez-les : Doubs, Franche-Comté, Jura, etc.
B. Les petits détails vrais. Par exemple « les petits morceaux de fer ».
C. L’ébauche d’un réalisme critique. Commentez l’opposition entre la nature et la
fabrique, entre la beauté et le désir de s’enrichir en exploitant la nature.
Dissertation
Pensez-vous que la description dans le roman réaliste ait seulement vocation à
reproduire fidèlement la réalité, ou que sa portée atteigne une dimension sym-
bolique et critique ? Pour répondre à cette question, vous vous appuierez sur
les textes et l’annexe du corpus ainsi que sur vos connaissances personnelles.
Proposition de plan détaillé
I. Le but premier de la description dans le roman réaliste est de reproduire la
réalité de façon objective
A. Elle vise à ancrer le roman réaliste dans la réalité. Elle passe pour cela par le
biais de détails qui servent l’illusion référentielle (un cadre spatio-temporel très
précis avec des noms propres réels, des « petits faits vrais »). Exemple du Père
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.
Goriot.
B. Elle cherche à tout reproduire sans délivrer un jugement de valeur. Elle donne
une image de la vie dans son ensemble. Exemple de l’avant-propos à La Comédie
humaine : « En copiant toute la société ».
C. Certains procédés accentuent l’objectivité de la description. On peut citer le
choix du point de vue externe pour le narrateur. Exemple des Mystères de Paris.
44
 Vers l’écrit du Bac
II. Mais elle possède aussi une dimension symbolique, reflet de choix subjec-
tifs du narrateur
A. L’objectivité n’est pas toujours atteinte ni recherchée, malgré cet ancrage
très fort dans la réalité. L’écriture relève de choix subjectifs, perceptibles par
exemple dans les connotations des adjectifs (exemple du Père Goriot) ou l’agence-
ment même de la description, prise en charge par le narrateur.
B. La description joue très souvent sur les symboles. Par métonymie, le narra-
teur peut donner à lire un symbole du personnage en décrivant un lieu ou un objet
(exemple de la casquette de Charles Bovary ou de la pension Vauquer).
C. La subjectivité est d’autant plus importante que le narrateur est omniscient.
III. Cette dimension symbolique permet la critique
A. La description objective peut alors être enrichie de jugements subjectifs qui
se font l’écho de l’opinion du narrateur. Exemple de Madame Bovary.
B. Plus qu’une reproduction fidèle et seulement objective de la réalité, la repro-
duction par la description est une entrée en matière de la critique. L’auteur réa-
liste reproduit fidèlement pour introduire la critique. Exemple du Rouge et le Noir :
l’incipit prépare la critique d’une société fondée sur l’argent.
C. Il faut souligner la toute-puissance du narrateur qui est, selon Balzac, « plus
libre » que l’historien ; « le temps de l’impartialité n’est pas encore venu ».
Écriture d’invention
L’extrait des Mystères de Paris d’Eugène Sue (texte D) met en scène deux
hommes dans un cabaret. Imaginez que l’un des deux raconte à l’autre un mys-
tère propre à ce lieu et qui implique la mère Ponisse. Rendez ce récit en veillant
à écrire un texte qui reprenne les caractéristiques du réalisme et prenez en
compte le portrait de la femme et la description du lieu.
Le sujet invite à écrire un dialogue entre deux hommes, tout en alternant avec
des parties prises en charge par un narrateur. Le registre doit être réaliste, d’où
l’importance des détails. Le lieu est imposé, il s’agit du cabaret du Lapin-Blanc. Les
personnages peuvent être choisis parmi ceux qui sont évoqués, ou créés de toutes
pièces. Il s’agit d’inventer un mystère qui concerne le cabaret, et qui implique la
mère Ponisse. Cette dernière peut avoir vécu un passé étrange, exceptionnel, mar-
ginal, ou commis des actions condamnables qui continuent à la hanter. Le mystère
peut aussi provenir d’un objet présent dans la pièce. Il est important d’une part
que ce mystère soit crédible, et d’autre part que le dialogue respecte les règles du
genre, notamment par un niveau de langue familier mais pas vulgaire ; des mots
d’argot peuvent s’y trouver.
45
 Bibliographie et sitographie
■ Ouvrages
P. Barbéris, Le Père Goriot de Balzac, écriture, structure, significations,
Paris, Larousse, 1972.
P. Barbéris, Le Monde de Balzac, Paris, Éditions Kimé, 1999, postface
2000.
M. Bardèche, Balzac, romancier, Genève, Slatkine Reprints, 1967.
R. Fortassier, Les Mondains dans La Comédie humaine, Paris, Klincksieck,
1974.
J. Gleize, Balzac, bilan critique, Paris, Nathan, collection 128, 1994.
F. Marceau, Balzac et son monde, Paris, Gallimard, 1955.
S. Vachon (dir.), Balzac, une poétique du roman, Paris, PU Vincennes,
1996.

■ Ressources sur Internet

http://data.bnf.fr/11890041/honore_de_balzac/
http://www.universalis.fr/encyclopedie/la-comedie-humaine/1-une-
somme-romanesque/
http://lewebpedagogique.com/bac-premiere/le-pere-goriot-un-livre-
un-film/
© Éditions Belin/Éditions Gallimard.

46