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Résumé
Après avoir montré comment, aux XIIe et XIIIe siècles, la kabbale a retenu l'apport de Platon et refusé celui d'Aristote, l'article
s'attache plus précisément au Traité Sefer Yezirah qui souligne le rapport entre les dix séfirots et les vingt-deux lettres de
l'alphabet hébreu. C'est alors toute une étude de la théorie des séfirots qui est proposée, avant d'expliquer que, dans la pensée
juive du Moyen Age, la théologie négative a deux sources : la philosophie et la kabbale.
Idel Moshe, Aslanoff Cyril. La kabbale juive et le platonisme au Moyen Age et à la Renaissance. In: Revue des Sciences
Religieuses, tome 67, fascicule 4, 1993. Voies négatives. pp. 87-117;
doi : 10.3406/rscir.1993.3248
http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1993_num_67_4_3248
(3) Cf. Genèse Rabbah I 2 et mon « Les Sefirot au-dessus des Sefirot », Tarbits
51 (1982), p. 265, n. 131 (hébreu).
(4) A propos de ce terme, voir G. Scholem, Origins, p. 281 ; M. Idel,
« Sefirot », p. 240-249.
(5) A propos de cette importante figure de la première Kabbalah, voir G.
Scholem, Origins, p. 248.
(6) Voir Hilkhot Yesodei Torah II 10.
(7) Sefer ha-Emounah ve-ha-Bitahon, ch. 18, éd. C.B. Chavel, Kitvei ha-
Ramban (Jérusalem, Mosad ha-Rav Kook, 1964) 2. 409 ; cf. M. Idel, « Sefirot »,
p. 265-267 ; cf. S.O. Heller- Wilensky, « Isaac ibn Latif - Philosopher or Kabba-
list ? », in A. Altmann éd., Jewish Medieval and Renaissance Studies, Cambridge :
Harvard University Press, 1967, p. 188-189, surtout la n. 26.
Themistius' (8)
Commentary
Cf. Shlomo
onPines,
Book«Lambda
Some Distinctive
and their Metaphysical
Place in the History
Conceptions
of Philosophy
in »,
in J. Wiesner éd., Aristoteles Werk und Wirkung : Paul Moraux gewidmet, Berlin :
De Gruyter, 1987, p. 177-204, surtout p. 196-200.
LA KABBALE JUIVE ET LE PLATONISME... 89
(17) Cf. S. Schechter, « Notes sur David Messer Leon», RJE 24 (1892),
p. 122.
(18) Voir mon «The Magical and the Neoplatonic Interpretations of the
Kabbalah in the Renaissance », in B.D. Cooperman, Jewish Thought in the Sixteenth
Century, Cambridge Harvard University Press, 1983, p. 216-242.
92 MOSHE IDEL
(19) Voir Frances Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition,
Chicago, University of Chicago Press, 1964, p. 1-116.
(20) Voir Pines, « Medieval Doctrines in Renaissance Garb ? Some Jewish and
Arabic Sources of Leone Ebreo's Doctrines », in B. Cooperman, p. 390-391.
LA KABBALE JUIVE ET LE PLATONISME... 93
(26) Voir mon Kabbalah : New Perspectives, New Haven, Yale University
Press, 1988, ch. 8-9 ; et « Reification of Language in Jewish Mysticism », in S. Katz
éd., Mysticism and Language, Oxford, Oxford University Press, 1991.
(27) Cf. H. A. Wolfson, « Extradeical and Intraideal Interpretations of the
Platonic Ideas », in Religious Philosophy, A Group of Essays, p. 27-68 ; W. Norris
Clarke, « The Problem of Reality and Multiplicity of Divine Ideas in Christian
Neoplatonism », in Dominic O'Meara éd., Neoplatonism and Christian Thought,
p. 109-127.
(28) Sefer ha-Emounah ve-ha-Bitahon, 364.
LA KABBALE JUIVE ET LE PLATONISME... 95
(29) J'insiste sur le fait que dans la sefirah Hokhmah les essences ne sont pas
identiques aux sefirot en général, lesquelles sont pour la plupart des kabbalistes des
entités dynamiques fort différentes des idées platoniciennes statiques. En tant que
paradigmes de toutes les créatures, les essences ne se trouvent que dans la sefirah
Hohmah et les autres sefirot présentent un aspect notablement différent des idées
platoniciennes.
(30) Sefer ha-Emounah ve-ha-Bitahon, loc. cit.
96 MOSHE IDEL
Selon R. 'Azriel, seuls les kabbalistes, qui ont reçu des traditions
de la part des Prophètes, savent comment désigner de façon
appropriée chaque entité. Mais les philosophes ne doivent pas être rejetés,
du moins pas tous. Aristote et Platon se sont approchés de la sagesse
des kabbalistes (34). Bien entendu, les conceptions qui leur sont
attribuées sont purement néoplatoniciennes et elles n'ont pas
(35) Voir Alexander Altmann, « Isaac Israeli's Chapter on the Elements » (ms.
Mantoue), JJS 7 (1956), p. 31-57.
(36) Voir Scholem, Origins, p. 418, 436-439. L'émergence de la volonté
comme manifestation suprême de la divinité dans les œuvres de ces kabbalistes et,
dans une moindre mesure, dans les œuvres de R. Acher ben David, le neveu de
R. Isaac l'Aveugle, précéda un développement similaire dans les écrits de R. Isaac
ben Abraham ibn Latif qui semble avoir été influencé à la fois par les sources
néoplatoniciennes et Ismaéliennes ; voir Heller-Wilensky.
(37) Voir le Char'ar ha-Choel de R. 'Azriel dans le Derekh Emounah de Meir
ibn Gabbai, Berlin, 1850, fol. 3 a. A propos de la conception des mondes spirituels
selon la Kabbalah ancienne, voir l'important essai de Scholem, « Le développement
de la doctrine des mondes chez les premiers kabbalistes», Tarbits 2 (1931),
p. 415-442 ; 3 (1932), p. 33-66 (hébreu). La source qui influença la conception de
R. 'Azriel semble faire écho aux termes néoplatoniciens de kosmos noètos et kosmos
aisthètos qui se reflètent dans l'usage du mot 'olam par R. 'Azriel. Et donc Scholem
a peut-être exagéré l'impact de Yaiôn gnostique dans lequel il voyait la base du
plérôme kabbalistique ; p. 416-417. Il tendait à minimiser l'influence des sources
néoplatoniciennes sur la Kabbalah ancienne sur ce point précis.
(38) Voir son Sefer Mechiv Devarim Nekhonim, éd. G. Vajda, Jérusalem,
Académie israélienne des sciences et des humanités, 1969, p. 78, 100-101.
98 MOSHE IDEL
Dans ce passage comme chez R. 'Azriel, il est dit que tout est
contenu dans la Torah, une affirmation à laquelle Ben Chechet était
particulièrement attaché (43). Nahmanide ne s'arrête pas sur la
relation entre les événements futurs et la création et il n'explique pas non
plus comment les actions des Patriarches déterminent le destin de leur
descendance. Amos Funkenstein propose de voir dans le terme
chrétien/ïgwra qui désigne la préfiguration d'événements ultérieurs au
moyen d'événements antérieurs, le fondement du tsiyour de
Nahmanide. Et il affirme que « similitude » est la traduction correcte de
dimion (44). Mais, comme l'arrière-plan métaphysique de l'emploi
que Nahmanide fait de ce terme est confirmé par les discussions de ses
compatriotes et contemporains R. 'Azriel et Ben Chechet, je pense que
nous devons interpréter sa terminologie et ses conceptions à la lumière
de leurs discussions. La sefirat Hokhmah ou mahchavah du texte de
'Azriel inclut non seulement la forme des choses destinées à être
créées mais aussi toutes les actions et les paroles futures. La
conception spécifiquement kabbalistique de la préfiguration aurait donc un
fondement néoplatonicien, bien que le néoplatonisme soit de type
distinctif. Cela implique non seulement la correspondance classique
des objets terrestres avec les idées, mais aussi la préfiguration des
actes et des paroles dans l'Intellect divin. Nahmanide fournit un
exemple emprunté au domaine des actions.
Les idées plotiniennes sont les essences de toutes les choses qui
existent dans le réceptacle intellectuel, c'est-à-dire la deuxième sefi-
rah selon les kabbalistes et elles sont identiques aux racines des lettres
hébraïques. Bien plus, ces lettres en tant que formes ont une
importante caractéristique néoplatonicienne : suivant la conception de
R. Isaac l'Aveugle, Ben Chechet indique que « chaque lettre
comprend toutes les autres » (47). Cette formulation rappelle la conception
de Proclus qui s'applique aux idées platoniciennes selon laquelle
« tout est dans tout » (48). La conception qui voit dans les lettres des
idées contenues dans Hokhmah concorde avec la conception exprimée
à plusieurs reprises dans les écrits de Ben Chechet selon laquelle la
deuxième sefirah est identique à la Torah, laquelle est à son tour
considérée comme le réceptacle de toutes les sciences.
R. Ya'aqov ben Chechet et R. 'Azriel de Gérone ne se
mentionnent pas l'un l'autre, mais leurs œuvres semblent constituer un
ensemble distinct au sein de la Kabbale géronaise, distinct de la
pensée de R. 'Ezra de Gérone et de Nahmanide lui-même. Ces
derniers étaient moins intéressés par la philosophie en général et par
le néoplatonisme en particulier ; il n'y a point chez eux de cosmologie
en quatre éléments et ils ne parlent pas de l'affinité entre philosophie
et Kabbalah. Ben Chechet n'a pas nécessairement inventé ces idées,
mais c'est peut-être à son œuvre, et vraisemblablement à l'œuvre de
R. 'Azriel, qu'est due l'intégration de ce schéma. La conception selon
laquelle la Hokhmah comprend des lettres qui se contiennent les unes
dans les autres peut être reconstituée à partir des écrits et des
(49) Voir Sefer ha-Yihoud, éd. Hasidah, p. 18 ; cf. Sholem, Origins, p. 284.
(50) II y a même une théorie selon laquelle les écrits de Ben Chechet ne sont pas
des œuvres kabbalistiques au sens strict du terme ; par conséquent ils ne dévoileraient
pas de conceptions ésotériques. Voir J. Dan, Jewish Mysticism and Jewish Ethics,
Seattle, University of Washington Press, 1986, p. 37.
(51) Voir mon « Particularism and Universalism in Kabbalah : 1480-1650 », à
paraître.
(52) Voir G. Sermoneta, « Jehuda ben Moshe Daniel Romano, traducteur de
saint Thomas », in Hommage à Georges Vajda, G. Nahon et C. Touaiti éd. Louvain,
Peeters, 1980, p. 246. La remarque de Romano est courte et apparemment sans
influence ; elle n'est pas mentionnée par des auteurs ultérieurs.
102 MOSHE IDEL
(61) Ms. New York, JTS Rabb. 1586, fol. 126b. Ce texte fut recopié dans les
diverses versions du Commentaire des Dix Sefirot écrit par R. Yehiel Nissim et son
cercle ; voir mon « The Magical », p. 227 et n. 233.
106 MOSHE IDEL
(62) Minhat Qenaot, éd. D. Kaufmann, Berlin, 1898, 84, cf. 49, 53. A propos
du Midrach Ne'elam, voir mon « Le Voyage », p. 12-13.
(63) Ms. Oxford 1304, fol. 10b. A propos du contexte, voir mon «The
Magical », p. 224-226. La formulation de Yagel est visiblement influencée par le
Proclus du Liber de Causis.
LA KABBALE JUIVE ET LE PLATONISME... 107
(64) Ch. 25. Voir mon « Kabbalah, Platonism and Prisca Theologia : The Case
of R. Menasseh ben Israel », éd. K. Kaplan et al., Menasseh ben Israel and his World,
Leyde, Brill, 1989, p. 86-87.
(65) Voir François Secret, « Un texte malconnu de Simon Luzzatto sur la
Kabbale », REJ 118 (1959-60), p. 25.
108 MOSHE IDEL
(69) Voir C. Roth, « Leone da Modena and the Christian Hebraists of his Age »,
Jewish Studies in Memory of Israel Abrahams, New York, 1927, p. 400. Cf. une
position similaire de Henry More visant à distinguer la Kabbalah du néoplatonisme ;
voir A. Coudert, « A Cambridge Platonist's Kabbalist Nightmare », Journal of the
History of Ideas 35 (1978). Je remercie le Pr Richard Popkin pour la référence qu'il
m'a transmise.
1 10 MOSHE IDEL
(74) Commentaire du Sefer Yetsirah qui, sous sa forme imprimée, est attribué à
Nahmanide, in C. B. Chavel, Kitvei ha-Ramban, 2. 454. Les quatre termes
« naturel », « sensible », « intellectuel » et « caché » réapparaissent dans d'autres
écrits de R. 'Azriel, mais non dans tous ; voir 455. Ces écrits constituent peut-être une
strate littéraire postérieure au sein de l'activité littéraire de ce kabbaliste qui pourrait
avoir pris connaissance de cette catégorisation néoplatonicienne après avoir achevé
son Commentaire des Aggadot du Talmud et son Commentaire des Prières
quotidiennes. Un tel développement peut être mis en relation avec l'affinité qui unit la pensée
de R. 'Azriel à celle de R. Ya'aqov ben Chechet. Ce sujet mérite qu'on y consacre
des études à l'avenir.
(75) Voir son Cha'ar ha-Choel, fol. 2b.
(76) Commentaire du Sefer Yetsirah, 455.
(77) Commentaire du Sefer Yetsirah, 453.
(78) Commentaire du Sefer Yetsirah, 353-454.
112 MOSHEIDEL
les sefiroî, ont été créées pour aider à la contemplation du Ein sof,
exactement de la même façon que le corps humain a été fait pour nous
rendre à même de contempler les sefirot. Le collègue de R. 'Azriel,
R. 'Ezra de Gérone, affirme que l'émanation a eu un commencement,
alors que les essences, les havayot, sont préexistantes (79). Il n'est pas
évident que ces essences primordiales soient arrangées selon une
forme humaine, mais la possibilité ne doit pas être sous-estimée. Une
analyse détaillée des textes peut éclaircir la situation. En tout état de
cause, l'influence de la théologie négative néoplatonicienne sur la
première Kabbalah est bien moins importante que ne l'a supposé la
recherche moderne. Les conceptions positives concernant les mondes
néoplatoniciens et la théorie qui voit des idées dans les lettres et les
sefirot sont beaucoup plus importantes, comme nous l'avons vu.
Chez certains kabbalistes de la fin du XIIIe siècle, on voit
clairement apparaître une théosophie ésotérique du Ein sof qui se rattache
à une structure anthropomorphique de dix entités qui sont les racines
célestes et statiques des dix sefirot dynamiques, du Deus revela-
tus (80). La nature statique de ces racines semble aller à rencontre de
la tendance personnaliste de certaines discussions anthropomorphique
du Zohar sur le niveau suprême du monde divin. Les kabbalistes
postérieurs au Zohar appellent parfois les entités statiques tsahtsahot,
tsihtsuhim ou sefirot intérieures (81). Une telle théologie semble
représenter une tentative de conserver l'ancienne conception juive du
Chi'our Qomah, le corps anthropomorphique de la divinité dont il est
question dans la littérature des hekhalot, en la projetant dans le
domaine le plus profondément divin de la théosophie kabbalistique.
On ne peut guère parler ici d'une influence dominante de la théologie
négative néoplatonicienne. Il est difficile de mesurer la centralité de
la théosophie anthropomorphique étant donné que ces thèmes étaient
traités de façon particulièrement ésotérique et n'ont été analysés que
récemment par des études scientifiques. Avec le temps, nous
découvrirons peut-être davantage d'occurrences d'une interprétation plus
profondément positive du Ein sof et la façon de considérer la relation
de la théosophie kabbalistique avec la théologie négative
néoplatonicienne pourra subir des changements significatifs.
La conception anthropomorphique du Ein sof a certainement
exercé une influence sur le Zohar et, ultérieurement, sur les œuvres de
Alemanno (87) :
« II est dit dans le Zohar (88) et dans le Sefer ha-Tiqounim que
le nom yod hé est dit à propos du Ein sof. Mais en fait il n 'a pas
de nom connu parce que s'il avait eu un nom connu qui désignât
son essence, il n 'aurait agi qu 'en fonction de ce nom. »
Ici et dans d'autres passages où Alemanno aurait pu exploiter la
conception de Hayat des sefirot supérieures, des tsihtsouhim
considérés comme les racines des sefirot traditionnelles dans le Ein sof,
Alemanno supprime l'énoncé qui se trouve dans sa source. Une étude
de la façon dont Alemanno cite les sources du Zohar utilisées par
Hayat montre que le rejet n'est pas accidentel. Bien plus, les termes
utilisés par Alemanno pour décrire la Première cause ou Causa
causarum sont évidemment tirés de la traduction hébraïque du Liber
de Causis.
La théosophie des tsahtsahot fut également rejetée par R. Moïse
Cordovero qui accepta seulement la conception de l'existence de trois
tsahsahot dans le Ein sof, lesquelles ne sont pas interprétées de façon
anthropomorphique. Pourtant R. Isaac Louria fut influencé par la
doctrine des dix sefirot suprêmes qui devinrent dans son système le
Adam Qadmon, placé au-dessus des sefirot (89). Bien qu'il ne soit pas
identique au Ein sof, il fut appelé de ce nom pour que soit exprimé le
statut sublime de cette figure placée au-dessus de toutes les autres
choses.
Au début du XVIIe siècle, la théologie négative répandue dans les
traductions de la Renaissance et dans les écrits originaux marqua
profondément un grand nombre de kabbalistes. R. Abraham Ya-
gel(90), R. Menacheh ben Israël (91) et R. Joseph del Medigo
témoignent de la profonde pénétration de la théologie négative
platonicienne. Bien qu'ils continuassent des discussions commencées
(92) Le Liber de Causis fut cité par Alemanno, Abravanel et Yagel à propos de
la théologie négative.
(93) Bâle 1631, fol. 122b.
116 MOSHEIDEL
Moshe Idel
Université hébraïque de Jérusalem