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Jean-Yves CAMUS
Le meurtre de Brahim Bouaraam, un ressortissant marocain mort noyé dans la Seine, après y
avoir été jeté pour des motifs racistes et homophobes par des militants d’extrême droite, le 1er mai
1995 à Paris, a sans doute été, par sa résonance politique et médiatique, le point culminant d’une
longue série de faits divers, souvent meurtriers, qui ont jalonnés les années 1980-90 et qui ont été
attribués à la catégorie, au demeurant floue dans sa définition, des « skinheads », qui recouvre
recouvrant un large spectre d’opinions politiques allant de l’extrême droite néo-nazie à
l’antifascisme radical représenté entre autres par les « Redskins ». La culture skinhead a été décrite
avec raison par Michel Wieviorka, reprenant le sociologue britannique Mike Brake, comme « une
sous-culture ouvrière, profondément marquée par une éthique puritaine du travail » et par
l'opposition au mouvement hippie1. Cette partie du mouvement skinhead qui politiquement s’est
arrimée politiquement à l’extrême droite française des années 1980-1990 peut toutefois être cernée
avec davantage de précision. Pour cela, il importe de dégager les étapes de l’importation en France
des phénomènes skinheads anglo-saxons, et ce qu’ils recouvrent alors en termes de radicalité et de
violence (1). Une fois effectuée cette caractérisation des skinheads, il s’agit de dégager les aspects
de militance politique pris par ce qui était un phénomène socio-culturel, venu s’enchâsser dans les
formations des extrêmes droites (2).
Avant que d’être une affiliation idéologique, le fait skinhead doit être vu comme un
phénomène subculturel transnational, à l’origine urbain, où la question de la violence participe de la
norme comportementale. Le skinhead se revendique d’une culture de la violence mais aussi de la
transgression. Il se distingue de la norme par ses codes vestimentaires (crâne rasé ou cheveux
coupés ras, port du bomber et des chaussures montantes à lacets connues sous le nom générique de
Doc Martens). Ceci étant, ces codes ne sont pas déterminés par l’idéologie mais sont étroitement
liés aux origines sociales de la sous-culture qu’ils représentent, née dans la Grande-Bretagne
ouvrière des années 1960 et unissant, à l’origine, de jeunes prolétaires blancs appartenant au
phénomène des Mods à de jeunes Afro-antillais de même milieu, passionnés de musique ska et
reggae 2 . C’est à la fin des années 1970 qu’avec la crise économique qui frappe l’Angleterre
industrielle d’une part, et l’émergence d’un parti politique, le National front, fugacement sorti de la
marginalité, que s’entérine la séparation définitive, au sein du mouvement skinhead, sur une base
ethnique et politique, mais également musicale : la scène skinhead d’extrême droite se structure
autour de l’archétype du Militant blanc 3 , mais surtout du Rebelle blanc, adolescent ou jeune
homme ( ou, minoritairement, femme) qui revendique sa couleur de peau et son origine ethnique
font qu’au milieu de la décennie 1990, les autorités fédérales et les associations du type watchdog, Commented [CJ2]: pour les
luttant contre le racisme (Anti-Defamation League ; Southern Poverty Law Center) estiment que les Formatted: Strikethrough
3 500 skinheads recensés ont commis 22 meurtres depuis 1990. C’est précisément ce qui séduit des Formatted: Strikethrough
skinheads français.
8 Fondé en 1972 par l’Américain Garry Rex Lauck, le « NSDAP Aufbau- und Auslandsorganisation » continue
à vendre sur le net des ouvrages en français : https://third-reich-books.com/product-tag/francais/
9 Les Des suprémacistes américains sont les auteurs de l’attentat contre un bâtiment fédéral d’Oklahoma City Formatted: Strikethrough
qui fit, le 19 avril 1995, 168 morts et 680 blessés.
10 La diffusion de l’ouvrage a été interdite en France par arrêté du 21 octobre Formatted: Font: 10 pt
1999 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000197597
Formatted: Normal, Left
11 14 Mots n°1, n.d mais postérieur à juillet 1995, n.p.
gaz quand on jettera le Zyklon B ! ». Cette référence explicite au génocide nazi montre que les
skinheads, tout en reprenant quelquefois les textes des historiens négationnistes sur la Shoah, ont
plutôt tendance à en assumer et même à en valoriser l’'existence. La montée en puissance de la
tendance terroriste du mouvement skinhead néo-nazi sera toutefois arrêtée nette dès 1993 par la très
forte volonté politique très forte montrée dès 1993 par ledu ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et
de son conseiller pour la lutte contre le racisme, Patrick Gaubert, suivi par ses successeurs : début
1998 Guttuso est arrêté à Londres, où il séjournait depuis 1996 chez les frères Sargent, animateurs
de Combat 18, mouvement considéré par la police britannique comme responsable de meurtres
racistes et ayant des intentions terroristes. En définitive, un juge d’instruction toulonnais fera
écrouer neuf personnes mises en examen pour « incitation à la haine raciale et menaces de mort »,
notamment contre Anne Sinclair, Jean-François Kahn, Simone Veil et Patrick Gaubert 12 . Les
Charlemagne Hammer Skins survivront à cette répression et perdurent jusqu’à ce jour 13, mais avec
un fonctionnement plus discret, comme leur concurrent direct les Blood and Honour Hexagone14
avec leur revue Signal 28, tous deux ayant pour activité visible essentielle l’organisation de concerts
ou de tournois de MMA (mixed martial arts). La propension à la violence demeure : le 30 mars
2016, principalement en région marseillaise, onze skinheads néo-nazis ont été mise en examen
après la découverte à leur domicile d’un stock d’armes.
Cette appétence pour la violence relève des actions des skinheads mais également de leur
vision du monde, voire de leur caractérisation psycho-sociale. Dans son ouvrage sur les motivations
de l’adhésion au Front national (FN)15, Birgitta Orfali reprend la distinction faite par Michael Billig,
dans son ouvrage sur les militants du National front britannique16, entre le militant autoritaire et
« l’homme de violence ». Ce dernier, mûu par le ressentiment, « est ainsi dénommé car c’est la
notion de lutte, de combat qui retient toute son attention. L’opposition violente à tout adversaire
(individu ou groupe) le caractérise. L’antagonisme, le conflit sont les lieux par excellence qui
définissent ce type ». Elle ajoute que ces hommes « vivent à l’heure de la psychologie des foules
grâce au FN » 17 . Stéphane François a bien montré que ce type d’individu correspondait
profondément au profil des militants des mouvements qui, aujourd’hui encore, appartiennent à la
frange la plus radicale de l’extrême droite, celle qui refuse l’aggiornamento du FN et se manifeste
par une activité particulièrement élevée dans la région des Hauts-de France, parfois sur le mode de
ce que le même auteur appelle le « skinhead rural » 18 . Au-delà de la typologie sociologique et
psychologique, le concept d’homme de violence s’est traduit, dans les décennies 1980 et 1990, par
toute une série d’actions dont se sont saisies, non seulement les organisations antiracistes (Ligue
Internationale Contre le Racisme et l’'Antisémitisme ; Mouvement contre le racisme et pour
l’'amitié entre les peuples ; SOS-Racisme ; Ligue des Droits de l’Homme), mais aussi la presse
locale et nationale, qui a ainsi donné une visibilité importante au phénomène skinhead néo-nazi une
visibilité importante. À bon escient d’ailleurs : en effet, la glorification continue de la violence
physique, telle qu’elle figurait dans les publications skinhead de l’époque, accompagnée par
l’affirmation de la supériorité ethnique blanche et un antisémitisme obsessionnel, avait de grandes
chances d’aboutir à un passage à l’acte. L’'accroissement des agressions imputables aux skinheads
violence et dont le credo consiste à rejeter tout type de hiérarchie autre que le charisme naturel du Commented [CJ6]: Je confirme
chef de bande, généralement reconnu pour ses « faits d’armes », sans parler du fait que les
skinheads, dont Thompson semble être le vétéran, étant trentenaire dans les années pionnières, ne
souhaitent pas se donner de leader n’appartenant pas à leur génération.
C’est là qu’intervient la dialectique de l’autonomie et de la récupération. En 1983-1984,
l’arrivée de la gauche au pouvoir trouve un Front national qui attire toujours des militants très
radicaux, mais l’entreprise de marginalisation de ceux-ci, commencée par Jean-Pierre Stirbois,
aboutit à la création de groupuscules qui se disputent le maigre espace existant à la droite d’un FN
déjà jugé embourgeoisé. En 1989, Bruce Thompson déclare ainsi au fanzine Le rebelle blanc : « Le
Pen est trop vieux, trop mou, trop riche »27. Les quelques mouvements qui existent à l’époque en
dehors du FN ont un rapport de suspicion vis-à-vis de la violence politique. L’Œuvre française, de
Pierre Sidos, est un groupe dont le chef a connu l’éÉpuration puis la répression de l’Organisation de
l’Armée Secrète (OAS), il tient au respect de la légalité et dirige en outre son organisation,
étroitement nationaliste française, d’une manière hyper-centralisée, tout en normant étroitement les
comportements des militants (costume tenant de l’uniforme, défilés en rangs, chant du
mouvement…) : les jeunes aux cheveux ras qui y militent ressemblent aux skinheads, mais n’en
sont que très exceptionnellement. Le Parti Nationaliste Français (PNF), scission du FN opérée fin
1982 par les animateurs du journal Militant, militent pour un nationalisme européen racialiste qui
recoupe davantage le slogan du White Power, mais outre qu’il est aussi légaliste, ses animateurs
24 TV a édité un bulletin mensuel, Troisième voie information [dir. publ. Philippe Cabassud], n°1, décembre
1986.
25 Voir : http://reflexes.samizdat.net/. Si l’information factuelle contenue dans tous les numéros (désormais
numérisés) à partir de juin 1986 est donnée dans un contexte militant avoué, du point de vue de la mouvance libertaire,
et qu’elle doit être prise par les chercheurs avec les précautions d’usage, puisqu’elle n’est pas toujours confirmable par
des archives accessibles, elle n’en donne pas moins une trame historique fiable du mouvement.
26 Cf. Libération, 4 mai 1995.
27 Le Rebelle blanc, 1989, n.p.
d’alors sont en majorité d’anciens du Parti Populaire Français ou du Francisme 28 ayant servi dans
les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou de la Division
Charlemagne et nés dans les années 1920 : le fossé générationnel est trop important. Serge Ayoub
fondera en 1990 un éphémère Comité de base jeunesse, hébergé à l’adresse du local du PNF avec
lequel il partageait la « défense de l’'identité française face au cosmopolitisme », l’'affirmation selon
laquelle « la nation est avant tout une communauté de destin et de sang », inaccessible aux non-
européens, l’'« opposition au système », la démocratie étant décrite comme un moyen d’'asseoir la
domination des « grands financiers et des grands trusts », la « lutte pour la justice sociale » et la
répudiation de la lutte des classes ; la « conscience européenne contre le mondialisme ». Ce
rapprochement restera toutefois sans lendemain.
L’instrumentalisation la plus réussie du phénomène skinhead par des mouvements politiques
d’extrême droite est le fait de deux groupes : Troisième Voie (1985-1992, réactivé en 2010-2013)
auquel il faut ajouter les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR, 1987-2013)29 et le PNFE30,
fondé en 1987 par un ancien militant de l’OAS et du FN, Claude Cornilleau, qui avait en 1983
réussi à se faire élire conseiller municipal de Chelles (Seine-et-Marne) sur une liste menée par un
élu du Rassemblement Pour la République (RPR).
Troisième voie a été fondée en 1985 par Jean-Gilles Malliarakis sur des bases idéologiques
nationalistes-révolutionnaires ou solidaristes ; il n’était pas un mouvement skinhead. Son slogan
était : « Ni trusts, ni soviets » et outre un anti-sionisme affiché, il tenait pour à une Europe réunifiée
et indépendante des blocs américain et soviétique. Le rapprochement opéré en 1986-1987 entre TV
et Serge Ayoub, volontiers interviewé par les media et présenté comme la figure emblématique du
milieu skin français, est une initiative de ce dernier, originaire de la classe moyenne parisienne à
fort capital culturel, et déjà une figure de la scène skinhead depuis 1982 environ. Il est à la fois chef
d’une bande (le Klan), qui se targue volontiers d’avoir le recrutement prolétarien, l’attitude violente
et les objectifs anticapitalistes des Sections d’Assaut (SA) ; acteur du milieu hooligan politisé qui, à
partir de 1984, s’installe dans la tribune Boulogne du Parc des Princes et qui s’engage dans des
affrontements violents contre des personnes de couleur, des supporters des clubs adverses ou
d’autres groupes de hooligans apolitiques ou antifascistes 31 ; et entrepreneur ouvrant en 1986 une
boutique de vêtements brassant une clientèle de skinheads, hooligans et amateurs de marques
anglaises que se sont appropriés comme dress-code une partie des jeunes d’extrême droite.
Le noyautage des supporters parisiens a débuté en septembre 1989 avec la création du
groupe Pitbull Kop par Serge Ayoub. Leur prise en main par les JNR est allée de pair avec
l’'établissement de liens internationaux avec d’'autres supporters d'extrême droite, comme ceux du
« 0 Side » d’'Anderlecht (Belgique) ou les Brigadas Blanquazules de Barcelone. Vers l984-1985,
divers sous-groupes se sont constitués, tous influencés par les thèmes racistes et comprenant des
28 Le Francisme, fondé en 1933 par le héros de la guerre de 1914-1918, Marcel Bucard (1895-1946), a été le
parti d’extrême droite le plus proche du Fascisme italien jusqu’à son tournant ultra-collaborationniste de 1943. Pierre
Sidos, de l’Œuvre française, Pierre Bousquet, de Militant, en ont été membres. De même que l’adolescent Jean Mabire,
selon l’ancien Franciste Antoine Graziani. Cf. Les visiteurs de l’aube, Chemise bleue, Volume, III, p. 458, Paris,
Dualpha, 2009.
29 Dissous tous deux par décret du 10 juillet 2013.
30 Jamais dissout, le PNFE s’est mis en sommeil au printemps 1999. Le dernier numéro de son journal Le
Flambeau (mai 1999), porte en couverture la photo de Bruno Mégret.
31 Sur le hooliganisme : Nicolas Hourcade , « L’'engagement politique des supporters “ ultras” français. Retour
sur des idées reçues », Politix, vol. 13, n° 50, 2000, p. 107-125. Le hooliganisme constitue un objet d’étude séparé, dans
la mesure où il a ses ressorts de mobilisation propres et n’a été utilisé par l’extrême droite que comme un vivier de
recrutement.
skinheads, mais possédant chacun leur mode d’'habillement et leur forme préférée d’'affrontement :
les « casual », hooligans qui n’'arborent plus l’'allure skinhead et sont donc moins repérables de
prime abord, se sont développés sous le nom de « Commando pirates », tandis que les Fire Birds,
une cinquantaine d’'individus formant la fraction la plus violente au Parc des Princes, ont choisi une
stratégie d’'affrontement contre la police et les supporters adverses.
Les JNR, dont Ayoub reste la figure tutélaire avec une longévité exceptionnelle ne se
terminent qu’avec la dissolution de 2013 et la fermeture administrative de son quartier général
parisien, Le Local. C’est une sorte de garde prétorienne composée d’éléments généralement issus
des classes populaires, impliquée comme on l’a vu dans des agressions racistes sordides, dans
lesquelles, à l’exception de la « ratonnade » télévisée évoquée plus haut, Serge Ayoub, bien que son
nom ait souvent été évoqué après les faits, n’a jamais été condamné. L’histoire des JNR comporte
deux périodes : l’une court jusqu’à l’autodissolution du milieu des années 1990 et est celle de la
violence débridée ; l’autre, de la reformation en 2010 jusqu’à 2013, est celle de la violence
canalisée, et même de la tentative pour engager une nouvelle mouture de Troisième Voie dans
davantage de visibilité publique, avec la présentation de candidats aux élections (2012), l’ouverture
de locaux associatifs à Paris et à Lambersart (Nord) sous le nom à consonance régionaliste
flamande de Vlaams Huis et la publication d’un journal intitulé Salut public. Le mouvement est
aussi le seul de la scène à avoir réussi à construire des ponts avec le milieu des « bikers » et l’un des
rares à prendre la grande majorité de ses références idéologiques dans l’histoire de France, que ce
soit chez les révolutionnaires les plus radicaux (Babeuf), les blanquistes et le syndicalisme-
révolutionnaire, adoptant d’ailleurs comme emblème le faisceau des licteurs 32 le rattachant bien
davantage à la Révolution française qu’au fascisme. La carrière des JNR et de Troisième Voie se
terminera cependant dans la violence avec l’implication de plusieurs de leurs membres dans la mort
du militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013. Une des questions essentielles qui se pose, au
moment de dresser le bilan de l’activité violente des JNR, est celle de la facilité avec laquelle, des
années 1980 à nos jours, les multiples groupes qu’a dirigés Serge Ayoub ou dont il a été proche, ont
pu continuer à opérer en étant impliqués dans des faits très graves : en mars 2017 encore, il
comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Amiens en compagnie d’une quinzaine de membres
du groupe picard White Wolves Klan (WWK), poursuivis pour des faits de violences, vols,
séquestration et tentative de meurtre. Serge Ayoub a été relaxé.
Le PNFE n’a jamais disposé d’un porte-parole ayant les capacités communicationnelles de
Serge Ayoub. Il a toutefois joué un rôle essentiel dans la socialisation politique des skinheads.
Adepte d’un néo-nazisme orthodoxe qui s’exprime dans les colonnes de son journal, Tribune
nationaliste, le PNFE décide, semble-t-il en 1988, de se lancer dans l’action violente et ce, de
manière préméditée et concertée. Le 31 juillet 1988, le journal Globe est plastiqué. En novembre
1988 quatre policiers membres du parti participent au Château de Corvier (Loir-et-Cher) au congrès
du PNFE. Ils y assistent à une démonstration sur la fabrication et l’'utilisation d’'engins explosifs et
y apprennent que de tels engins ont déjà été utilisés lors de deux attentats encore inexpliqués, ceux
du foyer d’immigrants du Cannet (9 mai 1988) et contre Globe (31 juillet 1988) 33 . Certains
adhérents non-skinheads se rendent coupables, le 19 décembre 1989, d’un attentat contre le foyer
Sonacotra de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qui fait un mort et onze blessés. Cette affaire
32 Symbole porté par l’escorte des magistrats de la Rome antique, ce faisceau a été repris sous une forme proche
par l’Assemblée Constituante de 1790, comme allégorie du pouvoir dévolu au peuple. Le Fascisme italien l’a parfois
repris sur ses monnaies.
33 Voir L’Humanité du 2 avril 1990.
déclenche une vague de répression policière qui se traduit, début 1989 par une vague d’arrestations
de 24 cadres (dont le président) et militants dont quatre policiers appartenant à la Fédération
Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP), un fait qui donne au PNFE la réputation d’être au
moins aussi infiltré par des indicateurs qu’il dit avoir réussi à infiltrer la police. Le 5 juin 1990, son
journal est interdit. Cependant le PNFE connaît une seconde vie à partir de son cinquième congrès,
tenu le 3 avril 1993 en présence de John Tyndall, le président du British National Party (BNP)
comme de néo-nazis allemands, et qui consacre sa fusion avec les FNE. Ce sursaut est dû, en bonne
partie, au choix stratégique de Cornilleau ainsi résumé par Alain Léauthier dans le quotidien
Libération du 2 août 1996 : « Adepte du marketing et de la communication, il [Cornilleau] a su
donner à ses troupes le style et le ton qui manquaient aux concurrents : tenues de parade copiées sur
celle des SA (sections d'assaut nazies), chants hitlériens, congrès événement, comme en 1989 au
château de Corvier. Surtout, quand le phénomène s'est développé, Cornilleau a fait la cour aux skins
rétifs aux longues séances d’'endoctrinement mais amateurs de musique oï (rock des skinheads,
ndlr), de bière et de bastons avec les “bronzés”, c’est-à-dire avec toute personne d’apparence non-
européenne. Résultat : à son apogée, vers 1990, le PNFE compte plusieurs centaines de
sympathisants dans toute la France. Il adopte une structure extrêmement décentralisée. Les sections
locales sont très autonomes, ont leur fanzine34. Le PNFE s’'implante dans le Nord, l’'Ouest et le
Sud-Est ».
Le mouvement attire à lui, précisément en raison de cette décentralisation, les groupes
musicaux de skinheads d’extrême droite les plus en vue, généralement formés sur une base
strictement locale. Le plus connu est Légion 88, dans l’Essonne, qui fera du nom du mouvement le
titre d’une de ses chansons35.
L’organisation satellise aussi de nombreux fanzines et leurs animateurs ainsi que plusieurs
structures à but commercial dont la plus importante est, de 1987 à 1994, le label Rebelles européens,
basé à Brest. Les CDs sont aussi vendue et des concerts, organisés, par une structure militante non-
lucrative et amie, l’AME ou Association Musicale Européenne, basée dans les Bouches du Rhône).
Vis-à-vis des militants ou des recrues potentielles, la musique est utilisée comme moyen
d'endoctrinement : la plupart des fanzines publient des interviews de groupes de musique « oi ! »,
qui laissent peu de doutes quant à la motivation politique des chansons. Le groupe Bifrost,
dénommé d'après un terme de la mythologie nordique désignant le pont qui relie le monde des
hommes à celui des dieux, déclare par exemple que ses textes « véhiculent le sentiment de révolte
face au capitalisme sauvage, hybride et apatride ». Ses références doctrinales sont Georges Sorel et
Proudhon, Drieu La Rochelle et Doriot, ou l'écrivain néo-nazi français René Binet. Le groupe
Baygon blanc se réfère à Rudolf Hess et Hitler36. Action dissidente, basé dans les Yvelines, a pour
slogan : « Mort à ZOG [Zionist occupation government] et à tous les parasites de notre pays. » Dans
34 À savoir : Walkyrie (pour les militantes); Niebelungen (groupe Thor à Metz); Le Marteau (Saint-Lô, groupe
Thulé), Charlemagne (section Léon Degrelle, Nord-Pas-de-Calais); Le chêne (section Jacques Doriot, Seine-et-Marne);
Le Glaive (section Roger Degueldre, région parisienne); L'if de Ross (Lyon); Liberté (groupe Odal, Marseille); Sang et
Honneur (groupe René Binet, région parisienne); Ultime ralliement (Seine-et-Marne); Wikings (groupe Odin,
Normandie). Le nom des sections souligne le poids de la mémoire de l’engagement sur le front de l’Est (Binet, Degrelle
et Doriot y furent volontaires) et du néo-paganisme nordiciste, justement activé dans l’extrême droite française à cette
période (cf. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française : propagande
collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique », Olivier Dard dir., Références et thèmes des droites
radicales, Bern, Peter Lang, 2015, p. 101-138 ). Degueldre était quant à lui un membre de l’Organisation de l’Armée
Secrète, fusillé en 1962.
35 Voir : http://wimpeez.tripod.com/id9.html
36 Interview à Pitbull Zine, n° 4, 1993.
les années 1984-1985 le groupe-culte Evilskins chantait : « le Führer est de retour, on va rallumer
les fours, dérouler les barbelés et préparer le Zyklon B », ce texte sans ambiguïté constituant jusqu'à
aujourd'hui un « tube » de la scène skinhead. Une partie de cette violence antisémite a pu se
transformer en actes sous la forme de profanations de cimetières juifs, particulièrement en Alsace et
Lorraine, tandis que celles de carrés musulmans des cimetières ont été nombreuses dans le Nord-
Pas-de-Calais. Une nouvelle catégorie de profanateurs a même vu le jour en 1997, lorsqu’a été
violé un caveau du cimetière de Six-Fours (Var). Les auteurs, jugés en 2004, diffusaient la revue
W.O.T.A.N. (Will of the aryan nation - volonté de la nation aryenne), « bulletin mensuel de
rééducation » des CHS (Charlemagne Hammer Skin – nom choisi en référence à la division SS
française), édité à Londres. Un des mis en cause avait été condamné, en 1997, pour avoir exhumé
un corps dans le cimetière central de Toulon lors d’une sorte de rituel gothico-satanique. Courant de
longue date aux Etats-Unis, le lien entre satanisme et néo-nazisme se retrouve en 2001 dans le
procès de David Oberdorf, meurtrier en 1996 d’un prêtre haut-rhinois et dont l’un des mis en cause
du Var avait été l’inspirateur 37 . À Rouen, la police arrêtera en mars 1995 les animateurs d’un
fanzine nazi-sataniste, Deo Occidi, précurseurs du sous-genre musical connu sous le nom de
National-Socialist Black Metal (NSBM), qui avaient formé une association nommée AMSG (Ad
Majorem Satanae Gloriam), valorisant l’action terroriste. Sa charte stipulait en effet : « Tout
terrorisme se pratique de manière individuelle sans engager la totalité du mouvement Black Metal
(…). Chacun doit s’armer de manière individuelle en vue de combattre tout opposant. Tous les
moyens devront être utilisés pour se procurer un armement légal et illégal »38.
La réussite du PNFE dans la manière d’agglomérer les skinheads a évidemment eu un coût
en termes d’image et hypothéqué finalement la pérennité du mouvement. Son journal est interdit en
1990, ses réunions militantes sont interrompues par la police39. Une réorganisation de l’appareil, en
1990-1991, voit le PNFE diversifier ses activités vers le soutien aux prisonniers politiques néo-
nazis en France et à l’étranger via le COBRA (Comité Objectif Boycott de la Répression
antinationaliste) créé par Olivier Devalez dans les années 1980 et animé par Rolf Guillou, un
skinhead du Havre. À cette époque, le nombre de « prisonniers de guerre » que Devalez demande
aux lecteurs de soutenir dans son fanzine L’Empire invisible40 est de 37, en majorité américains. Les
Français ne sont que 4, deux militants du PNFE inculpés dans l’affaire des attentats azuréens du
Cannet et de Cannes, l’ancien militant frontiste Edouard Serrière, et Michel Lajoye, figure
emblématique de l’activisme racialiste qui a rejoint le parti pendant son incarcération41. Le PNFE se
lance également dans le soutien au négationnisme du génocide des juifs par l’intermédiaire de
l’ANEC (Association normande pour l’Éveil du Citoyen) basée à Caen et fondée par Vincent
Reynouard, qui adhère au parti et devient, jusqu’à ce jour, une icône de la seconde génération des
auteurs négationnistes. Néanmoins dès 1995, l’activité militante semble fléchir dans les
42 Idem, p. 14.
43 Le Flambeau, n°32, 1999, p. 12.
44 Cf. son livre Les Héritiers du Troisième Reich, Paris, Seuil, 1994.
45 Le DPS : service d’ordre du FN ou garde prétorienne ? Rapport n°1622 enregistré le 26 mai 1999, deux
volumes, Les documents d’information de l’Assemblée nationale.
46 Fabrice Robert, leader à partir de 1996 du groupe de rock nationaliste Fraction, cadre d’Unité radicale et élu
municipal FN en 1995, avant de prendre la tête du Bloc identitaire en 2003, a rendu compte de ce qu’il appelle sa
période « rebelle blanc » dans un texte intitulé « Retour sur un parcours politique personnel ». Cf :
http://fr.metapedia.org/wiki/Fabrice_Robert_:_%22Retour_sur_un_parcours_politique_personnel%22.
du Maréchal Pétain (ADMP), dans un fanzine skinhead finement intitulé Gestapo47 : « Pour que les
nationaux reviennent au pouvoir, ils doivent être de plus en plus présents dans le jeu démocratique
qui leur permet d’'exister, afin de le faire basculer en leur faveur et ensuite faire pression pour
instaurer la Révolution nationale. » Subtilité que l’éditeur (Fabien Ménard, des Sables d’Olonne en
Vendée, ancien militant du FNJ) de ladite publication récuse ainsi : « Comme notre présence les
dérange, exprès nous serons toujours là et encore plus provocants. Notre but n’'est pas de nuire au
FN, mais rien ne doit nous empêcher de nous exprimer ». Cette affirmation donne la clé de
l’'attitude des skinheads lors des manifestations du FN : une sorte de complicité
idéologique mâtinée d’une réelle aversion à fusionner de manière organisationnelle, ainsi qu’un
refus de la « mise au pas » par le DPS, dans la rue. C’est Gestapo encore, orné en couverture d’un
portrait d’e Hitler, qui l’avoue au final : « Beaucoup critiquent le FN, mais il serait bon de
s’'apercevoir qu’'en fait ce parti est le déclic pour notre peuple. Par la modération de son
programme, il permet d’'être écouté et de convaincre, apportant ainsi parmi notre grande famille des
nationalistes d’'innombrables sympathisants. » D’autres ont eu un avis plus tranché : dans son
numéro n°10, le fanzine Le Rebelle blanc affirme qu’il s’agit non seulement « d’un parti de
corrompus » mais aussi qu’il est « infiltré par les sionistes »48.
Conclusion
Les skinheads français ont constitué dans les décennies 1980 et 1990 un mouvement que des
observateurs étrangers, ceux de l’Anti-Defamation League (ADL), estimaient entre 1000 et 1500
personnes en 1985-198649 et que le rapport annuel de la Commission nationale consultative des
droits de l’Homme pour 1995 évaluait encore à un millier. Ils ont formé une sous-culture de la
jeunesse séduite par un mode de vie au slogan apolitique (« bière, baise et baston », ou, dans la
version du fanzine One Voice : « Oï, Sex and Beer »50) mais que certains groupes d’extrême droite
ont tenté de radicaliser politiquement, à une époque où le Front national dépassait pour le première
fois la barre des 10% des voix (1984) mais où les skins séduits par les idées nationalistes, voire
racistes, le considéraient déjà comme une formation « bourgeoise ». Ne voulant pas s’'intégrer
durablement à dans un parti politique d’'extrême droite, les skins nationaux-socialistes, que
d’ailleurs le Front national ne souhaitait utiliser que pour des tâches électorales (collages) ou de
service d’'ordre, ont constitué un vivier facile pour des groupuscules glorifiant la violence raciste
voire le terrorisme (PNFE) qui s’est exprimé par un niveau exceptionnellement élevé d’actes
violents visant les personnes de couleur et les personnes d’origine maghrébine. La réaction des
autorités politiques, l’existence d’une législation antiraciste votée dès 1972 et renforcée en 1990,
ainsi que la différence entre les lois française et américaine sur la détention des armes, ont sans
doute permis que le passage au terrorisme soit évité.
L’'internationalisation des liens entre skinheads, en particulier en direction de l’'Europe de
l’'Est, notamment la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie après 1990, a
donné une dimension transfrontalière à la violence de ces milieux. Les groupes musicaux voyagent, Commented [NB7]: Transnationale ?
Commented [CJ8]: oui
47 N°4, 1994.
48 Non daté, sans doute publié en 1989-1990, ce fanzine est un des premiers à évoquer la nécessité d’importer en
France « la lutte légitime des Palestiniens contre les occupants israélites ».
49 ADL : The Skinhead International : A worldwide survey of Neo-Nazi Skinheads, 1994, p. 30.
50 One voice (Segré, Maine- et-Loire), n°4, n.d. Formatted: Font: Italic
se produisent sur tout le continent. Les deux principaux réseaux, Hammerskins et Blood and
Honour, sont par essence transnationaux et les concerts qu’ils organisent, y compris en France,
drainent un public souvent venu des pays voisins (par exemple en Alsace-Lorraine, d’Allemagne et
de Belgique ; en Franche-Comté, d’Allemagne et de Suisse). Cette dimension transnationale de la
violence, tout comme le caractère d’importation des idées, des méthodes et même de la musique et
de la mode, font du phénomène skinhead un mouvement en porte-à-faux avec le nationalisme
français. Il s’agit en définitive d’un phénomène d’affirmation raciale dans l’optique d’une
imminente confrontation du type « guerre urbaine »51, entre Européens blancs et « allogènes », soit
cette part de l’idéologie d’extrême droite qu’un FN intégré dans le système parlementaire ne
pouvait plus assumer et qui continue en 2017 à être l’horizon partagé d’un nombre essentiel des Commented [NB9]: ? formulation
extrêmes droites, avec toutefois un bilan beaucoup moins élevé en termes de violences graves et Commented [CJ10]: (…) ne peut plus assumer, mis qui
continue à être partagé par une partie importante de l’extrême-droite,
d’homicides. avec toutefois un nombre de violences graves et d’homicides moins
élevé que dans les années 80
Commented [NB11]: Moins élevé que dans les années 80 ?
51 Voir le fanzine Objectif survie, publié par Olivier Devalez, n°4, septembre 1985.