FÉVRIER-MARS 2014

SE GÉRER SOI-MÊME

Préparez-vous
à faire une
présentation qui tue
La leçon de TED. par Chris Anderson
 CARRIÈRE 111 ÉTUDE DE CAS 115
Vie personnelle et Quand deux
professionnelle#: cadres importants
non, vous ne pouvez s’affrontent
pas tout avoir
Expérience
SE GÉRER SOI-MÊME
Gérez aussi votre progression professionnelle sur hbrfrance.fr
Préparez-vous à faire
une présentation qui tue
La leçon de TED par Chris Anderson
I l y a un presque deux ans, au cours
d’un voyage à Nairobi (Kenya), j’ai
rencontré en compagnie de quelques
collègues un garçon masai âgé de
12  ans, Richard Turere, qui nous a
raconté une histoire fascinante. Sa
famille élève du bétail à la lisière
d’un des grands parcs nationaux
du pays. L’un des plus gros
challenges est la protection des
animaux contre les lions, tout
particulièrement la nuit. Richard avait
remarqué que l’installation de lampes
dans les champs ne dissuadait pas
les lions d’attaquer, mais qu’en revanche,
s’il parcourait la zone avec une torche
électrique, les fauves demeuraient à
l’écart. Très jeune, Richard s’était intéressé
à l’électronique. Il avait appris en
autodidacte, en démontant par exemple
le poste de radio parental. Il se servit
de cette expérience pour mettre au point
un dispositif de lampes montées en série,
qui s’allumaient et s’éteignaient à tour
de rôle – en utilisant des panneaux solaires,
une batterie automobile et un boîtier de
clignotants de moto. Tout ceci dans le but
de créer une sensation de mouvement qui,
espérait-il, effraierait les lions. Il installa
donc ses lampes et, de fait, les attaques
cessèrent. Très vite, d’autres villages
LE TRAVAIL
D’UNE VIE 122
Alain Ducasse#:
«Je décide de tout,
sauf du business.»
situés ailleurs au Kenya installèrent les
« lampes antilions » de Richard.
Cette histoire remarquable semblait
digne d’être contée devant une plus large
audience, offerte par nos conférences TED.
Mais à première vue, Richard semblait
un candidat peu plausible pour donner une
conférence : il était affreusement timide
et son anglais était hésitant. Quand il tentait
de décrire son invention, ses phrases
se déversaient de façon peu cohérente.
Et franchement, il était difficile d’imaginer
un préadolescent faisant face, sur une
estrade, à 1 400 personnes habituées
à des orateurs chevronnés tels que Bill
Gates, le spécialiste de l’éducation sir Ken
Robinson ou la spécialiste du fonctionne-
ment du cerveau Jill Bolte Taylor.
Pourtant, l’histoire de Richard était
tellement captivante que nous l’avons
invité. Au cours des mois qui ont précédé
la conférence TED de 2013, nous avons
travaillé avec lui pour structurer son
histoire : par où commencer, comment
présenter la chaîne des événements de
façon succincte et logique.
Grâce à son invention, Richard avait
gagné une bourse lui permettant d’être
scolarisé (gratuitement) dans une
des meilleures écoles du pays. Là, il eut
l’occasion de s’entraîner à prononcer
Février-mars 2014 Harvard Business Review 1
EXPÉRIENCE
son discours en face d’un vrai public,
à plusieurs reprises. Il était essentiel qu’il
acquière une confiance suffisante, qui
permette à sa personnalité de rayonner.
Lorsqu’il raconta finalement son histoire
lors de la conférence TED de Long Beach, on
voyait qu’il était nerveux, mais cela ne
faisait que le rendre encore plus attirant –
les gens étaient suspendus à chacune de ses
paroles. La confiance était bien là, et chaque
fois que Richard souriait, il faisait fondre le
cœur des spectateurs. Quand il eut terminé,
la réponse de la salle fut immédiate :
elle s’est levée pour une longue ovation.
Depuis la première conférence TED,
il y trente ans, nous avons accueilli un large
éventail d’orateurs : des politiciens de
renom, des musiciens et des personnalités
de l’audiovisuel – tous totalement à l’aise
en public – mais aussi une foule d’univer-
sitaires, de scientifiques et d’écrivains
moins célèbres, parmi lesquels certains se
sentaient particulièrement mal à l’aise à
l’idée de faire une présentation publique.
Durant toutes ces années, nous nous
sommes efforcés de développer un pro-
cessus d’assistance destiné aux présenta-
teurs inexpérimentés, pour les aider
à cadrer leur discours, à s’entraîner et à
donner une conférence que le public prenne
plaisir à entendre. Ce processus débute
en général six à neuf mois avant l’événe-
ment. Il comporte des phases de prépara-
tion et de révision du texte, plusieurs
répétitions, et porte une grande attention
au réglage des détails. Nous ne cessons
d’ajuster notre approche – car l’art de
s’exprimer en public ne cesse d’évoluer –
mais, si l’on en juge aux réactions des
auditeurs, le système que nous avons
mis au point fonctionne bien : depuis que
nous avons mis en ligne les conférences
TED, en 2006, elles ont été visionnées
plus d’un milliard de fois.
Sur la base de cette expérience, je suis
convaincu que le coaching peut beaucoup
aider à faire une bonne présentation.
En quelques heures, il est possible de faire
passer le fond, la forme et la façon
de prononcer un discours du confus au
captivant. Et si l’expérience de mon équipe
s’est concentrée sur le format court des
2 Harvard Business Review Février-mars 2014
présentations TED (dix-huit minutes ou
moins), les leçons que nous en avons
tirées sont sûrement applicables à d’autres
types d’intervenants – P-DG présentant
une introduction en Bourse, directeur
de marque dévoilant un nouveau produit,
créateur de start-up s’efforçant de séduire
des capital-risqueurs.
Structurez bien votre histoire
Il est impossible de faire un bon discours
sans avoir quelque chose à dire qui en vaut
la peine. Conceptualiser et structurer ce que
vous avez l’intention d’exposer constitue
l’étape cruciale de votre préparation.
Nous savons tous combien les êtres
humains ont envie d’entendre des histoires,
et nombre de métaphores décrivent
les structures narratives qui les intéressent
le plus. Pour moi, les présentations
captivantes consistent à emmener le public
en voyage. Un discours réussi tient un
peu du miracle – à la sortie, les gens voient
le monde d’un autre œil.
Un discours réussi tient
un peu du miracle. A la
sortie, les gens voient le
monde d’un autre œil.
Si vous structurez votre discours comme
un voyage, le plus important est de déter-
miner les points de départ et d’arrivée.
Pour trouver le bon endroit où commencer,
pensez à ce que les gens qui vous écouteront
savent déjà du sujet que vous allez aborder
– et à leur degré de curiosité pour ledit sujet.
Si vous surestimez leurs connaissances
ou leur intérêt, ou si vous commencez à
jargonner et à parler technique, vous êtes
sûr de les perdre en route. Les meilleurs
conférenciers sont ceux qui, après avoir
rapidement présenté leur sujet, savent
expliquer ce qui motive leur profond intérêt
pour la question et persuader le public
qu’il devrait être lui aussi concerné.
Le problème majeur dans les premières
moutures d’un discours vient, à mes yeux,
de ce que l’auteur veut trop en dire. On ne
peut résumer toute une carrière en un seul
récit. Si vous tentez de caser tout ce que
vous savez, vous n’aurez pas le temps
d’inclure les détails les plus significatifs, et
votre discours se dissoudra en un langage
abstrait, qui fera sens pour un public averti,
mais sera totalement opaque pour des
néophytes. Il vous faut donner chair à votre
propos à l’aide d’exemples éclairants.
Limitez donc la portée de votre exposé à ce
qui peut être expliqué et donnez-lui vie à
l’aide d’exemples, sans déborder du temps
imparti. Nos premières réactions tendent
souvent à freiner le désir des orateurs
de couvrir un terrain trop large. A l’inverse,
approfondissez. Donnez plus de détails.
Ne dites pas tout ce qu’il faut savoir
de votre domaine d’étude. Limitez-vous
à votre contribution personnelle.
Bien sûr, un excès d’explications ou
le fait de décrire minutieusement les
implications de votre discours s’avère
tout aussi dommageable. Dans ce cas, le
remède est différent : il suffit de se souvenir
que les auditeurs sont intelligents.
Laissez-les comprendre certaines choses
par eux-mêmes. Laissez-les tirer leurs
propres conclusions.
Souvent, les meilleures conférences
ont une structure narrative qui ressemble
approximativement à celle d’un roman
policier : l’orateur commence par présenter
un problème, avant de décrire la recherche
de la solution. Il y a l’instant du « Bon
sang, mais c’est bien sûr  ! », et le point de
vue de l’auditoire se transforme alors
de manière significative.
Si un discours échoue, c’est presque
toujours parce que l’orateur ne l’a pas cadré
correctement, qu’il a mésestimé le degré
d’intérêt du public ou qu’il a négligé de
raconter une histoire. Même s’il s’agit d’un
sujet important, pontifier au petit bonheur
la chance sans structure narrative s’avère
toujours profondément décevant : il n’y a
pas de progression, et vous n’avez pas
l’impression d’apprendre quelque chose.
J’ai récemment assisté à une conférence
sur l’énergie dans laquelle deux personnes
– le maire d’une grande ville et une
ancienne gouverneure – se renvoyaient
la balle. Les propos du maire portaient
pour l’essentiel sur le recensement des
 HBRFRANCE.FR

Trouvez le bon équilibre entre discours et données chiffrées par Nancy Duarte
La plupart des présentations peuvent être placées quelque part sur
un continuum qui va d’un rapport à une histoire. Un rapport est riche
en données chiffrées, exhaustif et informatif – mais guère attirant.
Une histoire aide l’orateur à se relier au public, mais les auditeurs
veulent aussi souvent des faits et de l’information. Les grands présen-
Rapport tateurs ont l’art de disposer en couches des histoires et des informa- Histoire
Littéral tions, un peu comme dans un millefeuille. Ils savent que les différents Dramatique
Informatif ingrédients doivent varier en fonction du type de discours. Vécue
Factuel Evocatrice
Exhaustif Persuasive

Résultats de Présentation Lancement Argumentaire Discours

recherche
Si votre but est de trans-
mettre des informations
tirées d’un rapport,
envoyez à l’avance au
public ce rapport, et
limitez la présentation à
ses points clés concrets.
Ne montrez pas un long
diaporama reprenant
tous vos résultats. Les
personnes très intéres-
sées liront votre rapport.
Les autres apprécieront
que vous soyez bref.
financière
Les financiers aiment
les données chiffrées et
voudront des détails.
Comblez leur appétit
pour l’analyse avec des
faits, mais complétez
avec un fil conducteur
narratif qui sollicite
leur côté émotif. Puis
présentez visuellement
les points clés, pour les
aider à donner du sens
aux données chiffrées.
de produit
Au lieu de ne traiter que
des caractéristiques et
des spécificités de votre
produit, focalisez-vous
sur la valeur ajoutée qu’il
va apporter aux gens.
Racontez des histoires
décrivant comment
ils vont s’en servir, et
pourquoi leur vie va en
être changée.
pour capital-
risqueurs
Pour un pitch de
30 minutes, préparez
une histoire vivante
et bien structurée qui
transmette l’idée de
façon irrésistible en
10 minutes. Puis laissez
place aux questions-
réponses. Anticipez les
questions et entraînez-
vous à y répondre de
façon claire et concise.
d’ouverture
Les discours officiels
lors d’événements
majeurs constituent
des occasions dont
les enjeux sont élevés
et l’impact important.
Emmenez vos auditeurs
dans un voyage qui les
changera à l’aide d’une
histoire dont la trame
est claire, et efforcez-
vous de les impliquer
en faisant appel à leurs
émotions.

Nancy Duarte est l’auteure de «%HBR Guide to Persuasive Presentations%», de «%Slide%: Ology%» et de «%Resonate%».
Elle est P-DG de Duarte, Inc., qui conçoit des présentations et enseigne la manière de les préparer.

impressionnants projets que sa ville avait
mis en chantier. Cela tournait à la vantardise,
comme une présentation de son carnet
scolaire ou une campagne promotionnelle
pour sa réélection. Et ce fut vite ennuyeux.
Au contraire, lorsque la gouverneure
s’est exprimée, elle n’a pas dressé une liste
de ses réalisations, mais semblait désireuse
de partager une idée. Certes, elle citait
des anecdotes datant de l’époque où elle
était en fonction, mais l’idée restait au cœur
du discours et les anecdotes (amusantes)
contribuaient à l’illustrer et à l’expliquer.
C’était vraiment bien plus intéressant. Le
discours du maire semblait sous-entendre
qu’il était génial. Tandis que le message
de la gouverneure était : « Voilà une superbe
idée dont nous allons tous profiter. »
En règle générale, les gens ne s’intéres-
sent guère aux discours consacrés à des
organisations ou à des institutions, sauf
s’ils en sont membres. Les idées et les
histoires nous fascinent, les organisations
nous ennuient, car il est bien plus difficile
de se sentir concerné. Les hommes
d’affaires, surtout, doivent s’en souvenir.
Evitez les discours à la gloire de votre
entreprise, parlez-nous plutôt du problème
que vous êtes en train de résoudre.
Planifiez votre mode
d’expression
Une fois le cadre établi, il est temps de se
concentrer sur le mode d’expression. Il y a
trois manières de faire un discours : vous
pouvez le lire sur des notes écrites ou un
téléprompteur ; vous pouvez aussi, plutôt
que de l’écrire mot pour mot, préparer
un plan recensant l’ensemble des points de
chaque partie ; enfin, vous pouvez le
mémoriser, ce qui implique d’effectuer des
répétitions jusqu’à ce que vous en ayez
intériorisé chaque mot, par cœur.
Mon conseil aux orateurs : ne lisez pas,
n’utilisez pas non plus de téléprompteur.
Cela accroît la distance entre vous et votre
auditoire – qui sera conscient que vous êtes
en train de lire. Dès qu’il le sentira, la façon
dont il écoutera votre discours changera.
D’un seul coup, le lien intime entre l’orateur
et le public s’estompe, les choses devien-
nent bien plus formelles. Nous bannissons
en général toutes les approches de type
« lecture » chez TED, même si nous avons
fait une exception, il y a quelques années :
quelqu’un insistait pour disposer d’un
moniteur. Nous avions alors installé un
écran au fond de l’auditorium dans l’espoir
que le public ne le remarquerait pas. Au
début, l’orateur s’exprima sur un ton
naturel, mais très vite il se crispa, et
l’impression horrible d’un naufrage se
répandit dans le public dès qu’il comprit :
« Oh, non, il nous lit son truc ! » Le fond du
récit était excellent, mais il fut mal noté.
La plupart de nos conférences TED
les meilleures et les plus populaires sont
celles qui avaient été mémorisées mot
pour mot. S’il vous faut faire un discours
important – et si vous en avez le temps –
c’est la meilleure façon de procéder.
Mais n’allez pas sous-estimer le travail que
cela implique. L’une de nos intervenantes
les plus mémorables fut Jill Bolte Taylor,
une spécialiste du cerveau ayant été
elle-même victime d’un accident vasculaire
cérébral. Elle a parlé de ce qu’elle avait
appris au cours des huit ans de sa convales-
cence. Après avoir ciselé son histoire
et s’être entraînée seule durant de longues
heures, elle l’a répétée des dizaines
de fois en public jusqu’à être sûre de la
maîtriser parfaitement.
Evidemment, toutes les interventions
ne requièrent pas un tel investissement.
Mais si vous décidez de mémoriser votre
discours, sachez que la courbe d’apprentis-
sage d’un texte a la forme d’un arc de cercle.
Février-mars 2014 Harvard Business Review 3
EXPÉRIENCE
La plupart des gens passent par ce que
j’appelle « la vallée de la maladresse », un
moment où ils n’ont pas encore complète-
ment mémorisé leur discours. S’ils font
leur présentation alors qu’ils sont coincés
dans cette « vallée », le public le sentira.
Ils auront l’air de réciter leurs mots, ou bien
il y aura des instants pénibles où leur
regard se perdra dans le vide, ou bien
encore ils lèveront les yeux en luttant pour
se souvenir de leur texte. Tout ceci crée
une distance entre l’orateur et le public.
Heureusement, dépasser ce stade est
assez simple. Il suffit de répéter son texte
assez de fois pour que l’écoulement des
mots devienne parfaitement naturel.
Vous pourrez alors vous concentrer sur le
fait de prononcer votre discours de manière
convaincue et authentique. Ne vous
inquiétez pas, vous y arriverez.
Mais si vous ne disposez pas du temps
nécessaire pour l’apprendre minutieuse-
ment et franchir ainsi « la vallée de la
maladresse », n’essayez pas ! Munissez-vous
de notes avec vos points clés. Du moment
que vous savez précisément ce que vous
voulez dire sur chacun de ces points, tout
ira bien. Concentrez-vous sur la mémorisa-
tion des transitions d’un point à un autre.
Il est important de prêter également
attention au ton que vous employez.
Certains conférenciers peuvent être tentés
de donner l’impression de faire autorité,
d’être plein de sagesse, tout-puissant,
ou encore passionné : mais il est en général
bien plus efficace de s’exprimer sur le
ton de la conversation. Ne vous forcez pas.
Dispensez-vous des effets oratoires.
Restez vous-même.
Si un discours réussi est un voyage,
assurez-vous de ne pas commencer à
ennuyer vos compagnons de route en
chemin. Certains conférenciers projettent
trop leur ego. Leur ton est condescendant,
ils semblent imbus d’eux-mêmes et le
public se ferme définitivement. Ne laissez
pas une telle chose se produire.
Développez votre présence
scénique
Pour un orateur inexpérimenté, l’acte
physique de se trouver sur une scène peut
4 Harvard Business Review Février-mars 2014
constituer la partie la plus difficile de la
présentation. Pourtant, les gens ont
tendance à surestimer son importance.
Trouver les mots, l’histoire et la substance
d’un discours détermine bien plus le succès
ou l’échec que la façon de se tenir ou
le fait de paraître nerveux. Et s’agissant de
présence scénique, un zeste de coaching
permet de beaucoup progresser.
Être nerveux n’a rien
de désastreux. Le public
s’attend à ce que vous
soyez nerveux.
La plus grande erreur que nous observons
lors des premières répétitions vient de ce
que les gens bougent beaucoup trop. Ils
se balancent d’un côté, puis de l’autre, ou
bien font sans cesse passer leur poids
d’une jambe sur l’autre. Ils se conduisent
naturellement ainsi lorsqu’ils sont nerveux.
Mais ce comportement distrait l’orateur et
semble l’affaiblir. Obtenir simplement
d’une personne qu’elle garde le bas de son
corps immobile suffit à renforcer considéra-
blement sa présence scénique. Il y a
pourtant des gens capables de se déplacer
tout autour de la scène durant leur
présentation, ce qui est parfait si cela leur
vient naturellement. Mais la grande
majorité des orateurs se sentent plus à l’aise
en restant debout et immobiles, tout en se
reposant sur le seul mouvement de leurs
mains pour souligner tel ou tel point.
L’acte physique le plus important sur
scène est sans doute le contact visuel.
Trouvez cinq ou six auditeurs à l’air amical
dans plusieurs endroits de la salle, et
regardez-les dans les yeux pendant que
vous parlez. Pensez à eux comme à des
amis perdus de vue depuis un an auxquels
vous donnez des nouvelles de votre
travail. Incroyablement puissant, le contact
visuel fera plus que tout le reste pour
aider votre discours à convaincre la salle.
Même si vous n’avez pas le temps de
vous préparer à fond et qu’il vous faut lire
des notes, lever les yeux pour établir des
contacts visuels fera une énorme différence.
Un autre obstacle de taille pour les
orateurs inexpérimentés est leur nervosité
– tant avant leur intervention que sur
scène. Chacun a sa façon de traiter cela : de
nombreux orateurs choisissent de rester
au milieu des spectateurs jusqu’au moment
de prendre la parole – et cela marche
plutôt bien en général, car en gardant leur
esprit fixé sur les premiers intervenants,
ils se distraient et leur nervosité s’en trouve
diminuée. Amy Cuddy, un professeur de la
Harvard Business School qui étudie l’impact
des postures corporelles des individus
sur leur pouvoir de conviction, utilise l’une
des techniques de préparation les plus
originales que j’ai vues. Elle recommande
aux gens de prendre le temps, avant de
monter sur scène, d’aller marcher à grandes
enjambées, de se redresser au maximum
et d’étirer leur corps. Ces postures vous
donnent la sensation d’être plus puissant.
C’est ce qu’elle a fait avant de monter sur
scène, et son discours a été phénoménal.
Mais je pense que le meilleur conseil
reste simplement de respirer à fond, ce qui
vous mettra dans de bonnes dispositions.
En général, les gens accordent trop
d’importance à la nervosité. Etre nerveux
n’est pas désastreux en soi. Le public
s’attend à ce que vous soyez nerveux.
C’est une réponse corporelle naturelle qui
peut même améliorer votre performance :
elle vous donne de l’énergie et garde
votre esprit alerte. Continuez seulement à
bien respirer et tout ira bien.
Reconnaître sa fébrilité peut aussi
favoriser la relation avec la salle : montrer sa
vulnérabilité, du fait de sa nervosité ou
de son ton de voix, est l’un des moyens les
plus efficaces pour gagner les faveurs
d’un public – à condition que l’émotion soit
authentique. Susan Cain, qui a écrit un
livre sur les introvertis, s’est exprimée à
notre conférence de 2012. Elle était terrifiée
à l’idée de prononcer son discours. On
pouvait sentir sa fragilité sur scène, mais
cela a créé une dynamique poussant le
public à l’encourager – après son discours,
tout le monde voulait la prendre dans ses
bras ! Le fait de savoir qu’elle luttait pour se
maîtriser rendait la chose magnifique, et ce
fut le discours le plus populaire de l’année.

Dix façons de gâcher
votre présentation
Il est dur de réussir son discours,
mais facile de le gâcher. Voici les
erreurs courantes à éviter.
1
Préparez vos outils multimédias
Avec autant de technologies à notre
disposition, il peut sembler obligatoire
d’utiliser au minimum des diapositives de
2
présentation. Désormais, la plupart des
gens connaissent le conseil sur la façon de
servir de PowerPoint : faites simple,
n’utilisez pas le jeu de diapositives pour
remplacer vos notes (par exemple pour y
3
lister les points importants que vous allez
aborder – il vaut mieux les écrire sur
des fiches). Et ne répétez pas à haute voix
les mots inscrits sur la diapositive. Non
seulement parce que c’est une variante du
problème du téléprompteur (« Oh ! non,
elle nous lit son truc  ! »), mais parce qu’une
4
information n’est intéressante qu’une fois.
Entendre et voir les mêmes mots donnent la
sensation d’une redite. Ce conseil peut
sembler connu de tous, mais pénétrez dans
n’importe quelle entreprise et vous verrez
5
des présentateurs l’enfreindre chaque jour.
La plupart des meilleurs orateurs de nos
conférences TED n’utilisent pas du tout
de diapositives, et beaucoup de discours ne
le nécessitent pas. Si vous avez des photos
6
ou des illustrations susceptibles de rendre
votre sujet plus vivant, alors oui, montrez-
les. Sinon, faites sans, au moins pour
certaines parties de votre présentation. Et,
si vous prévoyez d’avoir recours à des
diapositives, cela vaut le coup de rechercher
7
d’autres solutions que PowerPoint. Par
exemple, TED a investi dans la firme Prezi,
qui fabrique un logiciel de présentation
offrant la vision d’un paysage en deux
dimensions semblable à celle qu’on voit
8
dans l’objectif de l’appareil photo : au lieu de
montrer une série d’images monotone,
vous pouvez vous déplacer dans le paysage
et zoomer si besoin est. Correctement
employées, des technologies de ce type
9
peuvent considérablement améliorer
l’impact visuel d’un discours et renforcer
sa signification.
Ce sont les artistes, les architectes,
10
les photographes et les designers qui ont le
plus l’occasion de se servir de visuels.
Les diapositives peuvent aider l’orateur à
structurer et à rythmer son discours, et à ne
pas se perdre dans un jargon ou un langage
trop intellectuel. (L’art est ainsi un sujet dont
Prendre un maximum de
temps pour expliquer de
quoi vous allez parler.
Vous exprimer lentement
et sur un ton théâtral.
Pourquoi parler quand
on peut discourir%?
Vous assurer de faire
subtilement comprendre
à chacun à quel point
vous êtes quelqu’un
d’important.
Vous reporter sans
cesse à votre livre.
Mieux, en citer des
passages.
Saturer vos diapos de
points importants écrits
avec des polices de
caractères variées.
Utiliser en abondance
et sans explications un
jargon technique qui fera
sentir combien vous êtes
intelligent.
Parler en long et en
large de l’histoire
de votre entreprise et
de ses réalisations.
Ne pas vous soucier de
répéter votre discours
pour vérifier combien de
temps il dure.
Utiliser le ton «je récite
ce que j’ai appris par
cœur».
Eviter tout contact visuel
avec qui que ce soit dans
l’auditoire.
HBRFRANCE.FR
il peut être difficile de parler, mieux vaut en
faire l’expérience visuelle.) J’ai assisté à
d’excellentes présentations d’artistes ou de
designers qui avaient préprogrammé la
projection d’une image différente toutes les
quinze secondes. J’ai aussi vu des orateurs
faire leur discours avec un accompagnement
vidéo, en parlant durant la projection.
Cela peut contribuer à donner du souffle à la
présentation. Lors de sa conférence TED,
très largement visuelle, le designer indus-
triel Ross Lovegrove a utilisé cette technique
pour entraîner son public dans un voyage
remarquablement créatif.
Une autre façon d’agir que les créatifs
peuvent envisager consiste à intercaler des
silences dans leur discours, laissant ainsi la
parole aux œuvres présentées. Le sculpteur
cinétique Reuben Margolin a utilisé ce
procédé afin de créer un effet intense. L’idée
est de ne pas penser « Je fais un discours »,
mais plutôt « Je veux transmettre à ce public
une connaissance approfondie de mon
travail ». La pire chose que les artistes et les
architectes puissent faire est de se réfugier
dans un langage abstrait ou conceptuel.
La vidéo a pour certains orateurs une
utilité qui va de soi. Par exemple, lors d’une
présentation TED consacrée à l’intelligence
des corbeaux, le scientifique montra un
clip dans lequel un de ces oiseaux courbait
un hameçon pour pêcher un morceau
de nourriture à l’intérieur d’un tube – créant
ainsi un outil. Cela illustra son propos
bien mieux que tout ce qu’il aurait pu dire.
Utilisée à bon escient, la vidéo peut
être très efficace, mais un certain nombre
d’erreurs courantes doivent être évitées.
Un clip se doit d’être court : s’il dure plus de
soixante secondes, vous risquez de perdre
votre public. Ne vous servez pas de vidéos
qui ont l’air de faire de l’autopromotion
– en particulier celles tournées par des
entreprises  – ou qui ressemblent à des
publi-informations. Les gens sont condi-
tionnés pour leur faire la sourde oreille.
Tout ce qui comporte une bande-son peut
aussi s’avérer rébarbatif. Et, quoi que
vous fassiez, ne montrez pas de clip dans
lequel vous êtes vous-même interviewé,
sur CNN par exemple. J’ai vu des conféren-
ciers opérer ainsi et c’est vraiment une
Février-mars 2014 Harvard Business Review 5
HBR est aussi
EXPÉRIENCE
disponible en
français sur mauvaise idée – personne n’a envie de vous
suivre dans votre délire d’autosatisfaction.
iPad et iPhone. Les gens vous écoutent déjà en direct,
pourquoi voudraient-ils regarder simulta-
nément le clip de votre intervention à la
télé sur un écran  ?
Combinez tous ces éléments
Nous commençons à aider les orateurs à
préparer leur discours au moins six mois à
l’avance de façon à ce qu’ils aient beaucoup
de temps pour s’entraîner. Nous voulons
que leur présentation atteigne sa forme
finale au moins un mois avant l’événement.
Plus les conférenciers peuvent s’entraîner
dans les dernières semaines, plus ils seront
à l’aise. Idéalement, ils s’entraîneront à la
fois seuls et face à un public.
La difficulté posée par la répétition d’une
présentation devant d’autres gens vient du
fait que ceux-ci se sentent obligés de réagir
et d’émettre des critiques constructives.
Le plus souvent, leurs réactions diffèrent
ou se contredisent. Cela peut s’avérer source
de confusion, ou même paralysant. C’est
pourquoi il faut être sélectif quand vous
choisirez les membres du public test ainsi
Téléchargez que ceux d’entre eux que vous inviterez
à donner leur avis. En général, plus une
l’application personne a d’expérience comme présenta-
teur, meilleures seront ses critiques.
et profitez d’un En 2011, j’ai moi-même appris un grand
nombre des leçons que je vous propose ici.
abonnement Mon collègue Bruno Giussani, qui organise
la conférence TEDGlobal, m’a alors fait
digital à prix réduit remarquer que, bien que j’aie travaillé neuf
ans pour TED, officié comme maître
(jusqu’à 27% des cérémonies lors de nos conférences et
présenté un grand nombre d’orateurs,
d’économie). je n’avais jamais prononcé un discours chez
TED. Il m’invita à le faire, et j’ai accepté.
Cela fut plus stressant que je ne l’avais
imaginé. Bien qu’ayant passé du temps à
aider les autres à structurer leurs histoires,
en faire autant pour la mienne d’une façon
suffisamment convaincante s’avéra difficile.
J’ai décidé de mémoriser ma présentation,
qui traitait de l’impact des vidéos Internet
sur l’innovation globale, mais cela me parut
vraiment pénible : j’eus beau y consacrer
de nombreuses heures et même disposer
des conseils avisés de mes collègues, je
parvins à un point où, n’ayant pas tout
à fait finalisé ma présentation, je me
demandais si j’allais jamais y arriver. J’ai
eu peur de faire un bide. J’ai été nerveux
jusqu’au moment de mon arrivée sur
scène. Mais au bout du compte, cela se
passa bien. Cela n’a sûrement pas été
une des plus géniales présentations de
l’histoire des conférences TED, mais
elle reçut un accueil positif – et je
survécus au stress lié à cette expérience.
Au bout du compte, j’avais appris de
première main ce que nos orateurs
découvrent depuis trois décennies : les
présentations montent en puissance
ou s’écroulent en fonction de la qualité de
l’idée, du récit et de la passion du présen-
tateur. C’est affaire de substance, et non
de style de parole ou de feu d’artifice
multimédia. Il est assez facile de résoudre
à l’aide du coaching les problèmes liés
à un discours, mais il n’existe aucun moyen
de coacher l’histoire elle-même : le présen-
tateur doit disposer de la matière brute.
Si vous avez réellement quelque chose
à dire, vous pouvez mettre en place
une grande présentation. Mais si le thème
central fait défaut, mieux vaut vous
abstenir de prendre la parole. Déclinez
l’invitation. Retournez travailler, et
attendez d’avoir une idée fascinante qui
vaille la peine d’être partagée.
La leçon la plus importante à garder
en tête est qu’il n’existe pas une seule façon
de faire un discours. Les présentations
les plus mémorables proposent quelque
chose d’inédit, de jamais vu auparavant.
Les pires sont celles qui traitent de thèmes
convenus. Alors, n’essayez en aucun
cas de suivre à la lettre tous les conseils
que je viens de vous donner. Souvenez-
vous en dans les grandes lignes, bien sûr.
Mais appropriez-vous votre histoire.
Vous savez ce qui vous distingue, vous
et votre idée. Mettez en valeur vos atouts
et construisez un discours vraiment
authentique à vos yeux.
Les conférences internationales TED
(Technology, Entertainment, Design) sont
organisées depuis 1984 par la Sapling Foundation,
créée pour faire connaître des «%idées qui valent
la peine d’être diffusées%» et dirigée aujourd’hui
par Chris Anderson, auteur de cet article.