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de l’avoir su si tard. Et pardonnez-moi de vous avoir


menti pendant 13 ans », a-t-elle écrit sur Instagram, le
L’Iran en révolte contre le mensonge
PAR JEAN-PIERRE PERRIN
réseau préféré des Iraniens.
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JANVIER 2020

Le crash de l’avion ukrainien et le mensonge


des autorités ont provoqué un électrochoc en Iran.
Les présentatrices de télévision démissionnent, les
artistes boycottent le grand festival Fajr et les
étudiants, malgré la répression, déclarent la guerre aux
« menteurs ».
15 janvier 2020. Le président iranien Hassan Rohani signe le livre d'hommage
Zahra Khatami et Sara Rad sont des présentatrices aux 737 victimes du crash de l'avion ukrainien, abattu à Téhéran par un
missile iranien. © Iranian Presidency / Handout / ANADOLU AGENCY
vedettes de la télévision d’État. Elles ont l’une
La République islamique est dans un rapport
et l’autre démissionné après que les autorités
compliqué avec le mensonge. Comme le montre
iraniennes ont reconnu avoir abattu « par erreur »
bien la littérature iranienne et, plus encore, son
l’appareil d’Ukraine International Airlines, le 8
cinéma, le mensonge, le « dorough », est un des
janvier, peu après son décollage de l’aéroport
nœuds de la société iranienne. Dans l’antique religion
Imam Khomeini de Téhéran, causant la mort de
zoroastrienne, qui irrigue encore aujourd’hui une large
176 personnes. Auparavant, elles avaient relayé
partie de la culture iranienne, il était considéré comme
l’information officielle qui prétendait que l’avion avait
le pire des péchés. Mais, parce qu’il est devenu une
été victime d’un problème technique. Le mensonge
stratégie de survie sociale, l’Iran est devenu le pays du
de trop. « Merci de m’avoir acceptée comme
mensonge-roi.
présentatrice jusqu’à aujourd’hui. Je ne reviendrai
jamais plus à la télévision. Pardonnez-moi », a écrit Néanmoins, s’il est gouvernemental ou d’État, à cause
la première sur les réseaux sociaux iraniens. « Je vous des dommages qu’il cause à la société, et, surtout,
annonce qu’après 21 années à la radio et télévision, s’il nuit à l’image de l’Iran, le mensonge scandalise
je ne peux plus continuer à travailler dans ces médias. toujours. Le grand poète Hafez, que vénèrent tous les
Je ne peux plus », a renchéri sa consœur. Iraniens, le proscrivait déjà au XIVe siècle. Or, dans
Une troisième présentatrice, Golare Jabbari, très le crash de l’avion ukrainien, les chefs des forces de
populaire en Iran, a été encore plus explicite en sécurité ont menti et une grande partie de la classe
annonçant qu’elle ne retournerait pas devant une politique aussi. Le président Hassan Rohani a prétendu
caméra. « Ce fut pour moi très dur d’admettre que n’avoir été informé de « l’erreur » que le 10 janvier,
notre propre peuple a été tué […]. Pardonnez-moi alors que le général Amir Ali Hadjizadeh, le chef de
la branche aérospatiale des Pasdaran (Gardiens de la
révolution), qui a endossé la « responsabilité totale »
du drame, a indiqué que l’état-major des forces armées
avait ouvert dès le 8 janvier une enquête sur des
soupçons que le Boeing ukrainien ait pu être abattu par
un missile iranien. Selon l’officier, si l’information n’a
pas été transmise aux autorités civiles immédiatement,
c’est en raison d’une procédure imposant le silence aux
militaires pendant l’enquête.
Autrement dit, soit le président a menti, soit il ne
contrôle rien.

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«Le pouvoir est accusé d’avoir menti, ce qui est parlé d’accident et le dossier aurait été purement et
extrêmement grave dans la culture iranienne », relève simplement enterré. C’est terrible à dire : c’est grâce
l’historien et politologue sur l’Iran et le Moyen-Orient aux victimes étrangères du crash qu’il ne l’a pas été. »
Jonathan Piron, conseiller au sein d’Etopia, un centre Un électrochoc pour la société iranienne
de recherche basé à Bruxelles. C’est pourquoi, à l’issue
d’une cérémonie d’hommage vespérale aux victimes Pour le moment, le régime s’abstient de réprimer
du crash, une première manifestation a commencé aussi durement qu’il le faisait lors des manifestations
dans une université de Téhéran, avec, notamment, ce de novembre 2019, pour lesquelles un bilan dressé
slogan : « Mort aux menteurs ». Depuis, les étudiants par Amnesty International fait état de plus de 300
d’Ispahan, de Racht, de Chiraz, de Tabriz et même de morts. Les matraquages, les arrestations se multiplient,
Kerman, la ville natale du général Qassem Soleimani certes, mais, semble-t-il, il y a peu de tirs à balles
où eurent lieu ses funérailles grandioses, sont entrés à réelles. Mardi soir, des vidéos montraient cependant
leur tour dans la contestation. des affrontements très violents, à l’initiative des
bassidji (membres des milices islamiques), sur le
« Bien sûr, poursuit l’historien, le mensonge n’est campus de l’université Amir Kabir de Téhéran. Le
pas la seule cause explicative de la colère des chef de la police de Téhéran, Hossein Rahimi, a fait
protestataires contre le régime. Et il y a une savoir qu’il avait ordonné à ses hommes « de faire
mobilisation étudiante qui vient d’un groupe plus ou preuve de retenue » et « de ne pas tirer » sur les
moins organisé. Mais cette colère se nourrit d’émotion protestataires.
et de la culture iranienne. »
En revanche, toujours selon Reza Moini, la répression
Avec le mensonge d’État, ce qui est dénoncé aussi, s’exerce sur les familles des victimes iraniennes du
c’est « l’erreur » du tir de missiles – il semble à présent crash qui, en venant chercher les corps de leurs
établi qu’il y ait eu deux tirs sur l’avion ukrainien. proches, doivent « remplir un questionnaire » et
« Parce qu’ils mettent en avant leur programme s’engager à ce que les veillées de deuil ne se
balistique comme une “protection” de la population, transforment pas en manifestations. « Les journalistes
les Gardiens de la révolution se voient reprocher leur iraniens, précise-t-il, ont été obligés pendant trois
incompétence, indique le même chercheur. La colère jours de taire la vérité. Même ceux qui travaillent
étudiante est notamment une réponse en miroir à leur à l’étranger, par exemple pour la BBC en persan,
propagande sur les missiles qui sature l’espace public reçoivent des menaces de mort » – dix-sept, selon le
iranien : on voit par exemple sur la grande place chercheur, qui les a recensées pour l’ONG Reporters
Valiasr du nord de Téhéran d’immenses panneaux sans frontières.
publicitaires faisant la promotion de ces engins.
Les manifestants, surtout des étudiants jusqu’ici, Du côté des manifestants, on note une radicalisation
ont donc le sentiment que la communication de la des slogans. Les contestataires ont ainsi crié « Marg
République islamique est fausse. À présent, lesslogans bar dictator » (« Mort au dictateur »), et même « Marg
qu’ils scandent détournent ceux du régime :“Mort bar Khamenei », ainsi que « Les Pasdaran sont notre
au dictateur”répond directement au rituel“Mort à Daech ». À Sanadaj, à l’université du Kurdistan, où
l’Amérique”. » les manifestations sont très importantes, ils ont même
crié : « Des années de crimes, à mort le velayat [le
« Ce qui fâche aussi beaucoup les Iraniens, estime système politique iranien qui accorde la prééminence
de son côté le chercheur Reza Moïni, c’est qu’ils aux religieux – ndlr] ». Ici et là, des affiches du Guide
ont pris conscience que si l’avion avait été iranien, suprême Ali Khamenei ont été déchirées et piétinées.
sans passagers étrangers, s’il n’y avait pas eu
de délégations d’experts ukrainiens et canadiens, Face à la montée des accusations, le pouvoir fait
il n’y aurait pas eu d’enquête. Le régime aurait bloc au point que l’on ne voit plus très bien qui
sont les réformateurs et les « oussoulgariyan »

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(« principalistes », nom de la plus importante faction Un phénomène nouveau est également apparu, comme
radicale), la plupart des premiers s’alignant sur les si la chute du Boeing 737 avait été un électrochoc pour
positions des Gardiens de la révolution. Sur les la société iranienne.
franges du régime, en revanche, les attaques sont Sur Instagram, nombre d’Iraniens, qui, par intérêt
violentes. L’hodjatoleslam Mehdi Karoubi, disciple ou par prudence, se gardaient de la moindre
de Khomeini et ancienne haute personnalité de critique contre le « nizam » (le « système »), ont
la République islamique, aujourd’hui en résidence commencé à exprimer leur indignation. Pareil pour
surveillée depuis sa révolte contre les fraudes des personnalités sportives, comme Kimiya Alizadeh,
électorales de 2009, a adressé, le 12 janvier, une lettre la championne de taekwondo et seule Iranienne
au Guide Ali Khamenei d’une rare virulence, d’autant médaillée (de bronze) aux derniers JO, qui a annoncé
plus que les critiques à son encontre sont interdites. sur Instagram avoir quitté son pays, soulignant la
En tant que commandant en chef des forces armées corruption au sein de l’État et le fait qu’elle avait été,
iraniennes, écrit le religieux, « vous êtes directement là encore, obligée de « mentir » et de « répéter un
responsable » du tir qui a abattu l’avion. « C’est une discours politique » qui lui était dicté. Plus importante
honte que vous ayez eu connaissance de cet incident encore est l’entrée en dissidence de comédiennes,
dès mercredi [soit le 8 janvier] et que vous ayez acteurs, musiciens et réalisateurs, ayant fait toute leur
permis aux autorités civiles et militaires, ainsi qu’à la carrière sous la République islamique.
machine de propagande du pays, de tromper le peuple
Le 14 janvier, plus d’une quarantaine d’entre eux ont
pendant trois jours de plus. Et si vous n’étiez pas au
ainsi décidé de boycotter le grand festival international
courant de ce désastre, c’est aussi une honte », ajoute-
Fajr (l’Aube) de cinéma. Sur Instagram, l’actrice
t-il. Depuis que la lettre a été rendue publique, Hossein
Taraneh Alidoosti, reçue à Cannes en 2016 pour son
Karoubi, le fils du religieux, a été arrêté.
rôle dans Le Client d’Asghar Farhadi, autre grand film
Pour le régime iranien, les manifestations étudiantes sur le mensonge, a dénoncé la condition du peuple
et d’une partie de la classe moyenne ne sont pas une iranien avec des mots sans concession : « Nous ne
menace. En tout cas, beaucoup moins que celles plus sommes pas citoyens, nous ne l’avons jamais été. Nous
populaires de novembre. Internet n’a d’ailleurs pas sommes prisonniers, des millions de prisonniers. »
été coupé et les Pasdaran n’ont pas été mobilisés. Le
Vendredi, le Guide suprême devrait s’exprimer à
pouvoir parie donc sur le fait qu’elles vont finir par
l’occasion de la grande prière. Signe que l’heure est
s’essouffler.
grave pour le régime, ce sera la première fois en huit
Mais le grand choc national qu’avait provoqué la mort ans.
du général Qassem Soleimani paraît déjà appartenir à
l’histoire et la volonté d’unité nationale qui semblait Boite noire
s’être exprimée lors des obsèques a volé en éclats Parmi les films traitant de la question du mensonge
une semaine plus tard.« Les défilés autour du cercueil en Iran, ceux d’Asghar Farhadi sont les plus
de Soleimani ont mêlé toutes sortes de motivations : remarquables, dont À propos d’Elly, La Séparation et
la pression sociale pour certains, le soutien à la Le Client. Un livre sur cette question : Vivre et mentir à
République islamique pour d’autres, le nationalisme Téhéran de Ramita Navai (éditions 10/18). Avec cette
et l’attachement à la figure du général pour d’autres entrée en matière : « Quiconque veut vivre à Téhéran
encore, analyse Jonathan Piron. Certaines personnes est obligé de mentir. La morale n’entre pas en ligne de
peuvent donc avoir participé aux premières marches compte : mentir à Téhéran est une question de survie. »
et se retrouver aujourd’hui à scander des slogans
hostiles au régime. L’erreur serait de regarder la
population iranienne comme un bloc monolithique. »

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