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Bulletin électronique du Centre Interdisciplinaire sur l’Enfant

Édito n° 14
Janvier 2020
Face à ce qui pousse
Face à ce qui pousse l’enfant dans des refus, des révoltes, voire des positions de sacrifice, il arrive qu’une
intervention inédite déboute un face-à-face qui, généralement, produit une surenchère. Raphaëlle Béraud en
donne un exemple qui n’est pas imitable mais son acte produit de l’inédit en contrepoint de l’impasse de la
situation qui convoquait la présence de l’adulte. Violaine Clément nous propose une grammaire du harcèlement
pour cerner ce qui pousse à.
Pour faire face au réel en jeu, la conversation, dont le CIEN fait son outil, ne dispose que des pouvoirs de la
parole. Pour autant, il ne s’agit pas d’un pousse-à-parler qui peut virer à la plainte, celle-ci ne relève jamais d’un
bien dire, plutôt de la cacophonie. Parfois quand la plainte est écoutée sans complaisance, le goût de bien dire
peut s’y substituer.
Axelle, grande enfant de 23 ans, a été soumise à un forçage éducatif. Elle explique qu’elle ne veut pas être
gouvernée par l’angoisse du « il faut ». Les rencontres à ParADOxes vont l’orienter vers un faire, pas sans
quelques autres. Nous trouvons dans ce cas un intéressant usage des tutoriels pour traiter le regard et le surmoi.
Le titre de la prochaine journée de l’Institut de l’Enfant est annoncé : « la sexuation des enfants ». Deux textes
préparatoires sont disponibles, je vous propose une lecture de quelques points des textes de Marie-Hélène
Brousse et Daniel Roy. Le très beau titre de la toute prochaine journée des laboratoires du CIEN à Bordeaux
précise là où nous pouvons étudier le thème : « la sexualité au pays du langage ».

Nicole Borie

Parler pour faire place au réel


Se faire harceler Betina Frattura
Violaine Clément

Sans sortir ? Axelle : « Do it yourself »


Raphaëlle Béraud Dominique Corpelet

La différence sexuelle existe-t-


elle ?
Nicole Borie

1
Se faire harceler
Violaine Clément, membre du laboratoire « Écritures de l’inconscient » à Fribourg

Marcel s’excite tout seul. Marcel se fait harceler. Il faut la grammaire pulsionnelle pour saisir cette logique, où
le sujet devient son propre objet et s’expose ainsi à l’autre. Violaine Clément éclaire cette logique qui pousse
un enfant à se dire maltraité.

Se faire harceler
Un peu de grammaire lacanienne : beaucoup de verbes indiquent une pulsion, et parmi eux,
certains sont aujourd’hui à la mode, ainsi le verbe harceler : il y a pour ce verbe un usage
actif, harceler, un usage passif, être harcelé, et un usage pronominal, se faire harceler. Cette
troisième forme nous intéresse beaucoup en ce que, contrairement aux deux autres, elle
montre que la responsabilité du sujet est impliquée dans l’action qu’il subit.
Etymologiquement, on le trouve dans le champ agricole : herseler, passer à la herse, et puis
dans le champ militaire. Sur le plan éthologique, ce sont plutôt les petits animaux qui
cherchent ainsi à fatiguer les plus gros, les plus forts. Mais chez les humains, il semble que ce
soit l’inverse… On voudrait croire que les réseaux sociaux en sont la cause, mais ce serait
oublier qu’il y a dans chacun de nous un harceleur et un harcelé potentiel. Dès qu’un enfant
entre à l’école, ses parents craignent qu’il se fasse harceler… Les réseaux sociaux permettent
juste que chacun se trouve à tout instant face à ce harcèlement, soit qu’il harcèle, qu’il soit
harcelé ou qu’il se fasse harceler.
Marcel, comme le remarque son copain, « s’excite tout seul ». Il semble n’avoir besoin de
personne pour se retrouver au cœur d’une embrouille, et tous ceux qui le croisent s’en rendent
assez vite compte. C’est pourquoi il est la cible rêvée de tous ceux qui s’ennuient et qui
trouvent qu’une bonne bagarre amène de la vie à l’école. Dès la rentrée, il est venu se plaindre
de ce qui le harcèle, et il écrit, semaine après semaine, comment il se retrouve invariablement
victime. Dès la rentrée, il se fait balayer : « à la récré, je me suis retourné pour voir c’est qui,
qui est par terre et j’ai vu lui ».

2
Se faire harceler
Violaine Clément, membre du laboratoire « Écritures de l’inconscient » à Fribourg

Nous devons partir du primat que Marcel dit la vérité, sa vérité : oui on le harcèle, mais il ne
sait pas toujours qui est ce on. Et lorsqu’il finit par écrire à l’atelier d’écriture, au terme d’une
agression durant le hockey, « il est venu et me donne un cou. Je seignais beaucoup, il m’a
même pas dit désolé », je lis cette graphie particulière comme un nom propre : Marcel est un
grand seigneur, et ne peut pas admettre qu’on le touche, qu’on le bouscule – ce qui, dans un
cadre comme le nôtre, est impossible. Qu’est-ce qui s’écrit là ? D’où vient le cou qu’il reçoit
assurément ? N’y est-il vraiment pour rien ?
Alors quel rôle pour nous, enseignants et autres adultes, auprès de ces enfants ? Nous devons
prendre au sérieux leur dire, dans leur vocabulaire et leur grammaire. Oui, ils se font
réellement harceler, ils viennent nous en montrer la série, et ils en souffrent. Pourtant, lorsque
le harceleur remarque que Marcel s’excite tout seul, que les enseignants commencent à en
avoir assez de lui, qui se trouve invariablement pris dans la bagarre, voire qui parfois la crée,
et qui vient régulièrement demander qu’on l’aide, parfois on se sent aussi harcelé par ce qui
insiste et qui ne cesse pas… C’est le signifiant lacanien de jouissance qui indique ce mélange
de joie et de souffrance qui pousse Marcel à aller se faire harceler, à aller voir sur les réseaux
sociaux ce qu’on dit de lui, alors qu’il sait très bien qu’il ne va pas aimer ça… Rien de plus
contagieux que la jouissance, qui passe de l’un à l’autre, et qui prend les couleurs de la honte,
de la culpabilité, mais aussi du frisson, de l’excitation.
Seigneur, Marcel l’est assurément, mais un peu trop à la manière du Christ qui s’est retrouvé
habillé d’un manteau de pourpre, d’une couronne, pour terminer sur une croix.

3
Sans sortir ?
Raphaëlle Béraud, membre du laboratoire « No-s limit-es, no-s futur(e)s » à Rennes

Face à ce qui pousse un enfant au point de rupture du lien social, scolaire ou familial, une responsabilité
incombe aux adultes qui l’accompagnent : contrer, ou au moins ne pas redoubler, sa pente à l’exclusion.

Sans sortir ?
Une journée du CIEN intitulée « Révoltes, clashs, débordements… Comment tu gères !? »
organisée par le laboratoire « D-bords d’Enfances », au lycée de Bréquigny à Rennes, s’est
tenue le 10 novembre 2018. Je participais à l’un des cartels préparatoires. Ce travail en amont,
et la conversation inter-disciplinaire qui en a découlé, m’ont permis d’envisager la révolte
comme une position très digne du sujet, moins dans l’éclat que je ne l’avais supposé.
Il y a des enfants, des adolescents qui, faute de pouvoir dire non, se livrent en pâture à l’Autre.
Cela produit parfois des passages à l’acte, tel un dernier recours pour s’en séparer.
Collégien en SEGPA, Bastien oppose un « non » inébranlable aux exigences de l’Autre
scolaire. Qu’il ait affaire, à la suite de ses débordements, à un « travaille ! », à un « sors de la
classe !», ou à un « suis-moi ! », sa position de refus semble le préserver d’un assujettissement
et du risque de passage à l’acte.
Malgré tout, sa révolte a un prix. Jacques-Alain Miller, dans son article, « Comment se
révolter ? » dit que « le révolté paie de sa personne et ce, jusqu’aux dernières conséquences,
c’est-à-dire qu’il met – au moins virtuellement […] – sa vie dans la balance »1 ; il précise
ensuite : « on se révolte en se sacrifiant »2. Bastien, en effet, n’est pas loin de dire non à perte,
puisque l’exclusion du collège ou la fugue le guettent, comme réponses face au bras de fer
qu’il engage alors avec l’enseignant, les surveillants ou le proviseur.
L’idée de la sanction en institution est parfois envisagée comme une façon de faire « payer »
l’enfant ou l’adolescent pour sa « faute », au sens où celui-ci doit supporter les conséquences
fâcheuses de son comportement, de ses propos.

4
Sans sortir ?
Raphaëlle Béraud, membre du laboratoire « No-s limit-es, no-s futur(e)s » à Rennes

La directrice de SEGPA, venue nous présenter son travail avec Bastien, semble quant à elle
considérer d’emblée, comme l’écrit Jacques-Alain Miller, que « le révolté est […] un martyr
de sa révolte »3 et qu’il s’agit de ne pas surenchérir en étant dans la condamnation.
Bastien refuse obstinément de s’extraire de la classe et de se rendre dans le bureau de la
directrice, comme le lui demande l’enseignant dont il s’est moqué. Il continue de camper sur
sa position. Appelée en renfort, la directrice se déplace pourtant elle-même. A la surprise
générale, elle décide alors d’inviter les autres élèves et le professeur à sortir et à poursuivre
leur travail dans une autre salle, mettant ainsi fin à un face à face potentiellement explosif.
Aussi, ne s’est-elle pas fait complice de la position sacrificielle de Bastien grâce à cette
in(ter)vention inattendue.
En faisant sortir la classe, la directrice s’arrange pour que Bastien ne pousse pas jusqu’au bout
« l’épreuve de l’impossible »4, que sa révolte ne vire pas au spectacle et qu’il n’ait pas ainsi à
devoir s’éjecter de la scène pour se séparer du regard et de la présence de l’Autre. C’est une
manœuvre dans l’intérêt du sujet, mais qui porte d’abord sur l’Autre, pour « sauvegarder »5
chacun d’une rupture plus violente.
Cette vignette nous enseigne que si l’enfant dit « non » pour s’opposer à un insupportable, ce
« non » revêt aussi une dimension plus inquiétante lorsque le sujet, fixé dans sa révolte,
incarne l’objet sacrifié. Là où rien n’est cédé à l’Autre, c’est tout entier que l’enfant court à
sa perte.
C’est donc toute notre responsabilité de contrer cette pente à l’éjection en soutenant d’autres
voies, pour s’en sortir, qui ne soient ni celle du rapport imaginaire (c’est lui ou moi), ni celle
de la sortie de scène.

1. Jacques-Alain Miller, « Comment se révolter ? », La Cause freudienne, n°75, février 2010, p. 215.
2. Ibid, p. 215.
3. Ibid, p. 214.
4. Ibid, p. 215.
5. Citation de la directrice

5
Parler pour faire place au réel
Betina Frattura, membre du laboratoire « La parole qui déborde » à Lille

Il y a de l’insupportable à l’école, qui pousse à l’occasion les enseignants à se plaindre. La conversation inter-
disciplinaire cœur vivant du CIEN, vise à saisir, au-delà de la plainte, la touche de réel qui insiste dans les
impasses de la pratique – pour en faire levier d’invention.

Parler pour faire place au réel


Au sein du laboratoire « La parole qui déborde », nous utilisons souvent le syntagme «
clinique de la conversation ». Oser ici le terme de clinique – alors que les situations autour
desquelles nous travaillons relèvent de l’espace scolaire –, c’est avoir constaté les effets
thérapeutiques de cette pratique de la conversation. Thérapeutique est entendu ici comme
suit : bien que la pratique de la conversation ne promette de guérir ni du malentendu inhérent
au langage qui rend les hommes malades, ni des impasses du lien social, elle permet de trouver
une position d’énonciation et une position de destinataire de la parole ouvrant à des modes de
lien social inédits.
Au sein du laboratoire, suivant notre fil de travail quant à « ce que parler veut dire », et pour
serrer au plus près ce qu’est la pratique de la conversation au sein de l’école, nous nous
orientons sur le repérage de trois plans à distinguer : les effets de discours, les effets
imaginaires et les points de réel. Nous constatons qu’une grande partie de phénomènes qui se
présentent dans le quotidien de l’institution éducative relève de points de réel ; mais qu’à ne
pas pouvoir lire ces phénomènes comme étant précisément des points de réel – c’est-à-dire
d’impossible –, le risque est de tomber dans le conflit imaginaire inhérent à toute vie de
groupe ; conflit imaginaire qui ne fait que cacher le point de réel en question. Alors l’enjeu
est de ne pas éluder le point de réel et de cerner au mieux comment l’effet de discours peut se
faire valoir sur l’effet de groupe et voiler l’obscénité que celui-ci déchaine.
Faire sa place au réel, c’est faire le choix de l’éveil : rester en éveil face à un malaise à mesure
humaine, plutôt que choisir le sommeil du bien-être généralisé, sommeil bercé par le chant de
sirènes derrière lequel le surmoi vocifère : « encore un effort pour que ça marche pour tous ».

6
Parler pour faire place au réel
Betina Frattura, membre du laboratoire « La parole qui déborde » à Lille

Au sein du laboratoire, une enseignante de mathématiques amène cette situation : un


adolescent de son collège « se rend insupportable pour tous les enseignants ». De ce fait, il
voit son emploi du temps réduit à quelques heures par semaine. Seulement cet emploi du
temps ne tient compte que du fonctionnement de l’établissement, et pas des intérêts du jeune :
scolarisé seulement en matinée, celui-ci fréquente une heure de français avec le professeur
principal, pour ensuite sortir de l’école et revenir deux heures plus tard à un cours de maths.
Il n’a pas le droit de revenir l’après-midi, y compris pour les maths qu’il investit pourtant
particulièrement.
L’enseignante fait part de sa difficulté : elle n’est pas parvenue à faire entendre l’absurdité de
ce montage lors de la réunion trimestrielle avec les enseignants, cela a dégénéré en conflit
imaginaire. Suite à la conversation au laboratoire, elle prend acte de ceci : « C’est le savoir
du jeune que j’aurais dû mettre en avant et non pas mon soi-disant savoir-faire à moi ! » Au
trimestre suivant, elle arrive à prendre une autre position d’énonciation qui lui permet de se
faire passeuse pour le jeune élève : le conseil des enseignants décide alors de revoir l’emploi
du temps de ce jeune homme en s’orientant, cette fois, de ce qu’il enseigne lui-même quant
aux conditions lui rendant possible la vie scolaire. Le changement de position de l’élève est
alors remarquable.
Une autre membre du laboratoire amène cette situation, qu’elle introduit comme étant l’effet
de notre travail : lors d’une réunion dans l’établissement qu’elle dirige, les plaintes fusent,
c’est une cacophonie où chaque enseignante donne de la voix pour dire tout ce qui ne va pas
avec les élèves, les parents, sans souci de s’entendre parler. Tout à coup l’une des enseignantes
s’arrête et, s’adressant à elle, s’exclame interloquée : « Toi tu ne dis rien ! » La directrice
répond, calmement : « Je vous écoute ». Cette réponse en forme de suspens aura pour effet de
changer le registre des échanges. Une pacification certaine dans la discussion s’ensuit, la
plainte sans adresse et sans ponctuation des enseignantes faisant place, pour chacune, à un
dire qui cherche la bonne tournure pour serrer l’insupportable.
La directrice a su là prendre une position extime, garantissant une place vide permettant à
chacune des enseignantes de chercher à se retrouver dans son propre dire, évitant ainsi la
précipitation vers l’appel à des solutions dans l’urgence. Creuset d’un point d’adresse
possible, ce « je vous écoute » s’est fait invite à modifier la plainte impuissante en un dire qui
cerne l’impossible, et prête à conséquences.

7
Henri Michaux
La mitrailleuse à gifles

C’est dans la vie de famille, comme il fallait s’y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à
gifles.
Je la réalisai sans l’avoir méditée.
Ma colère tout à coup se projeta hors ma main, comme un gant de vent qui en serait sorti,
comme deux, trois, quatre, dix gants, des gants d’effluves qui, spasmodiquement, et
terriblement vite se précipitèrent de mes extrémités manuelles, filant vers le but, vers la
tête odieuse qu’elles atteignirent sans tarder.
Ce dégorgement répété de la main était étonnant.
Ce n’était vraiment plus une gifle, ni deux.
Je suis d’un naturel réservé et ne m’abandonne que pour le précipice de la rage.
Véritable éjaculation de gifles, éjaculation en cascades et à soubresauts,
Ma main restant rigoureusement immobile.
Ce jour-là, je touchai la magie.
Un sensible eût pu voir quelque chose.
Cette sorte d’ombre électrique jaillissant spasmodiquement de l’extimité de ma main,
rassemblée et se reformant en un instant.
Pour être tout à fait franc, la cousine qui m’avait raillé venait d’ouvrir la porte et de sortir,
quand réalisant brusquement la honte de l’offense, je répondis à retardement par une
volée de gifles qui, véritablement, s’échappèrent de ma main.
J’avais trouvé la mitrailleuse à gifles, si je puis dire, mais rien ne le dit mieux.
Ensuite je ne pouvais plus voir cette prétentieuse sans que gifles comme guêpes ne
filassent de ma main vers elle.
Cette découverte valait bien d’avoir subi ses odieux propos.
C’est pourquoi je conseille parfois la tolérance à l’intérieur de la famille.

Extrait de La vie dans les plis, 1949

8
Axelle : « Do it yourself »
Dominique Corpelet, consultant à l’association ParADOxes à Paris

Quand ce n’est pas la pulsion qui pousse à la jouissance mortifère, c’est le surmoi qui s’en charge. Avec la
version anonyme et partagée du DIY, Axelle consent à un commandement moins toxique que celui du surmoi
familial.

Axelle : « Do it yourself »

Axelle, 23 ans, vient à ParADOxes car elle est angoissée. Depuis deux mois, elle n’arrive plus
à se lever. Alors qu’elle vient de terminer ses études d’ingénieur, et qu’elle a enfin du temps
libre, elle ne sait pas quoi faire d’elle, et ne fait rien. Ce n’est pas sans mal qu’elle a achevé
ses études : parce qu’elle n’arrivait pas seule à rédiger un mémoire, elle a dû s’installer chez
une amie pour que celle-ci lui « donne des coups pieds au cul » afin d’écrire. Elle ajoute : on
l’a toujours « poussée ». Poussée à étudier, poussée à réussir, poussée à travailler. Ce « il faut
travailler » est un mot d’ordre transmis par sa mère et ses grands-parents maternels. Quand
cela ne va pas, travaille ! Aujourd’hui, elle est en panne, en proie à un certain vide.
Comme elle évoque son grand-père à plusieurs reprises lors du premier entretien, je lui dis :
« Votre grand-père a beaucoup compté pour vous ? » Elle se met à pleurer : décédé
brutalement alors qu’elle terminait, en province, son école d’ingénieur, elle n’a pu le revoir
une dernière fois. Elle fait le parallèle avec sa grand-mère décédée trois ans auparavant alors
qu’elle passait les écrits des concours. Là encore, elle n’a pas été présente.

9
Axelle : « Do it yourself ».
Dominique Corpelet, consultant à l’association ParADOxes à Paris

Ses grands-parents ont été en place d’assumer une fonction parentale là où ses parents,
travaillant trop, n’ont pas été présents.

L’angoisse domine. Axelle a un « trouble anxieux généralisé ». Elle a trouvé ça sur internet,
et la psychologue comportementale qu’elle avait été consulter lors de son séjour d’études aux
Pays-Bas le lui a confirmé. Elle s’était retrouvée là-bas avec du temps libre, peu d’heures de
cours et un stage où une chef la commandait beaucoup et avait tendance à la considérer comme
une idiote.

Au fil du traitement, je prélève les énoncés qui insistent : « il faut travailler », « être poussée »,
« ne pas savoir faire seule ». Prise d’une léthargie, elle ne quitte pas le lit avant 16 heures. Sa
mère lui dit, en boucle : « cherche du travail, fais quelque chose ! » Elle trouve un peu
d’écoute auprès de son père, un homme aux antipodes de l’idéal du travail : suite à un burn-
out, il a été mis en retraite anticipée.

Le forçage a été le modèle éducatif. Petite, alors qu’elle avait des difficultés à s’alimenter, on
la forçait à manger. Elle se souvient de ce jour où son père l’a prise en photo en train de
manger, photo destinée à son parrain, qui lui faisait promettre de manger suffisamment. Elle
ponctue : « On dirait que je suis anorexique, mais non, c’est juste que je ne veux pas être
comme ma mère, gouvernée par l’angoisse du il faut ».
Elle occupe son temps à prendre soin de son copain, un acteur au chômage, bipolaire et fragile.
Avec lui, elle est dans le « care ». Cela tranche avec ses précédentes relations, où c’étaient
plutôt ses compagnons qui la prenaient en charge, étaient son « assistant ». Elle reconnaît :
« Moi, je me repose sur les autres, j’attends qu’ils décident pour moi. »

La mort s’invite brutalement dans le fil du traitement : la meilleure amie d’Axelle, alors
qu’elle avait enfin trouvé sa voie – interne en médecine dans la spécialité qu’elle voulait faire
depuis toujours – se suicide, ne supportant plus l’excès de pression dans son travail. Émue,
Axelle ponctue : « il faut que je trouve des solutions. » Je soutiens cet énoncé.
Après la pause estivale, Axelle revient parler ; son petit copain l’accompagne jusqu’au local
de ParADOxes. Elle me le présente. Elle évoque les activités chronophages qui l’occupent :
elle regarde les tutos d’une japonaise qui a développé une méthode de rangement : « Je mets
de l’ordre dans ma vie ».
Avec son copain, elle fait du « Do it yourself ». Il s’agit d’apprendre – puis d’apprendre aux
autres – à faire des choses par soi-même. Elle qui aime le bricolage – comme son père –, mais
qui ne sait rien faire – car son père ne lui a jamais transmis son savoir-faire –, elle regarde des
tutos de bricolage. Puis, après avoir mis en pratique les conseils entendus, elle fait des vidéos
pour transmettre ce savoir-faire.

10
Axelle : « Do it yourself »
Dominique Corpelet, consultant à l’association ParADOxes à Paris

Tous deux inventent une « bobinothèque » : une bobine de câbles, en bois, convertie en table
basse, avec espaces de rangement à l’intérieur. Son ami la filme. « Mon copain me pousse à
le faire. Il me pousse en dehors de ma zone de confort. » Pourquoi la vidéo ? « J’ai besoin
d’être validée par les autres ». Elle fait cela avec son copain car elle a du mal « à faire seule ».

Dans ces vidéos, le regard compte : Axelle pense faire seule sous le regard de son ami qui la
pousse à faire. Ils se disputent parfois car il lui donne des indications qu’elle n’arrive pas à
décoder. Il se fâche et elle a l’impression qu’il la prend pour une idiote. Au-delà de la
transmission d’un savoir-faire acquis par internet – en réponse au défaut de transmission par
le père – il semble que la question de se bricoler un corps, sous la caméra pilotée par son
copain, soit en jeu. Mais ce qui insiste, c’est l’idée d’être idiote, ce que les vidéos ne
permettent pas vraiment de traiter, puisqu’Axelle dit récemment : « j’ai peur que les gens qui
me regarderont, me trouvent bête ». Elle souligne, là, une certaine inconsistance. Par la vidéo
et le savoir glané sur le web, elle se cherche une consistance.

Le traitement bref en est là pour l’instant. Se dégage une ébauche de solution au pousse-à-
travailler qui a caractérisé l’idéal familial féroce.
Au pousse-à-travailler répond un pousse-à-inventer, sous les espèces signifiantes du « Do it
yourself ». Un « Fais-le toi-même » qui invite Axelle à se dégager du regard intransigeant du
Surmoi familial pour, sous un nouveau regard, bricoler un corps qui parle.

11
La différence sexuelle existe-t-elle ?
Nicole Borie, laboratoire « L’enfant et ses professionnels » à Lyon

À l’issue de la cinquième journée de l’Institut de l’Enfant le 16 mars dernier, Daniel Roy et Marie-Hélène
Brousse proposaient deux textes d’orientation pour la JIE6 à venir, alors imaginée sur le thème de La différence
sexuelle. C’était avant que le titre définitif ne soit dévoilé en novembre dernier : La sexuation des enfants. Ces
textes, extrêmement précieux, sont à lire ici :

Le trou noir de la différence sexuelle, Marie Hélène Brousse

Quatre perspectives sur la différence sexuelle, Daniel Roy

Nicole Borie nous en livre ici une fine lecture, où se dessine le pousse-à-choisir-sa-différence contemporain.

La différence sexuelle existe-t-elle ?

Les textes de Daniel Roy et Marie-Hélène Brousse nous donnent l’impulsion pour chercher
dans les situations relatées par les professionnels, les inventions des enfants en réponse à cette
énigme de la sexualité qui se présente à tout petit d’homme. La sexualité a quelque chose de
réel qui ne se laisse pas dompter dans une norme. Si Freud a fait scandale en déclarant l’enfant
pervers polymorphe, notre époque se rebelle contre les images d’Épinal produites par la
condition œdipienne qui réglait à peu près la question de l’appartenance à un sexe jusqu’au
XXIème siècle.
Daniel Roy retrace l’apport freudien qui a fait de cette différence sexuelle un point
d’achoppement symptomatique pour tout enfant. Freud fonde la difficulté du rapport au sexe
sur la différence d’avoir ou pas le phallus et élabore un répartitoire masculin/féminin.
Les deux textes mettent l’accent sur un point logique tenu par Lacan à partir duquel la question
de la différence sexuelle s’établit dans le langage.

12
La différence sexuelle existe-t-elle ?
Nicole Borie, laboratoire « L’enfant et ses professionnels » à Lyon

Daniel Roy relève chez Lacan comment le phallus est plutôt un obstacle au rapport entre les
sexes, et non plus un répartitoire. Daniel Roy souligne combien une identification sexuelle est
toujours une identification de crise. Il en donne trois raisons très cliniques : elle est instable,
projetant le corps parlant dans l’univers des semblants, elle est toujours actuelle, se présentant
dans le hic et nunc, elle est toujours symptomatique.
Lacan a fait de sa formule « il n’y pas le rapport sexuel », un secret de la psychanalyse. Nous
nous étions accoutumés avec Freud à entendre dans la langue que nous parlons un « tout est
sexuel ». En effet, Freud a bien montré que la sexualité mettait en rapport des éléments qui
n’ont rien à voir entre eux, qui ne font pas la paire, la seule mesure commune restant alors le
phallus. Lacan précise ce signifiant particulier de la sexualité qu’est le phallus : « […] l’être
et l’avoir, on choisit. C’est pourtant ça qui s’appelle la castration. »1
En retraçant ainsi les diverses formulations de Freud à Lacan, le rapport de semblant
qu’implique la nomination homme/femme est une constante.
Marie-Hélène Brousse éclaire cette puissance imaginaire du binaire homme/femme qui fait
de la différence un des « fondamentaux de l’ordre langagier ». Cette différence « opère car
c’est une opération pour dans le même temps séparer et lier ». C’est aussi un mode de
satisfaction qui produit de la jouissance. « Chaque parlêtre jouit de sa différence. »
Il est difficile de ne pas penser en termes de différence sexuelle, comme le souhaitent de plus
en plus nos contemporains. En revanche, moins la différence sexuelle sert de référence, plus
le choix prévaut. Il devient la seule valeur qui vaille. Nous voyons monter au zénith en même
temps que l’objet, le choix comme ultime valeur pour définir sa subjectivité sans l’Autre.
Depuis quelques années nous avons vu ces choix s’accrocher à une radicalité religieuse qui a
pu entraîner des adolescents jusqu’à la mort, qui s’enflamme aussi dans la passion du végan
et du naturel, le choix devient une valeur absolue.
Si le phallus n’est plus la mesure de référence dans le rapport à la sexualité, il reste le choix
de sa différence, celle que l’on se donne et que l’on ne doit à personne. Pourtant le choix ne
se substitue pas plus aujourd’hui qu’hier au désir, lequel implique toujours une part d’énigme
plus inquiétante.

1. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil,
2006, p. 68.

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Equipe éditoriale :
Claire Brisson, Jessica Dupont, Bérengère Nicolas

Conseil :
Nicole Borie, Fabrice Ferry, Marie-Cécile Marty.

Les illustrations sont d'Anna Maria Sybilla Merian (1647-1717), naturaliste et artiste peintre, qui
étudia le processus de métamorphose des insectes, à un moment ceux-ci étaient encore considérés
comme les "bêtes du diable" ou issus d'une génération spontanée. Les planches reproduites ici
montrent le cycle de vie et de la métamorphose des papillons, avec les plantes dont ils se nourrissent
et les parasites des cocons.

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Contribution :
Chacun est invité à contribuer aux rubriques de ce journal électronique en adressant des textes de 3500 signes
maximum sous format Word Times New Roman 12 à Claire Brisson :
brisson.claire@yahoo.fr

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