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LAJ>ARQLE
MANGEE
et autres essais théologico-politiques
PARIS
MÉRIDIENS KLINCKSIECK
1986
DU MÊME AUTEUR
, . p · t e Klincksieck, 1972.
Etudes sémiologiques, ecnture, ezn ur . D l' De Brouwer,
Sémiotique de la Passion, topiques et figures. esc ee
Aubier-Montaigne, 1972. . Cl Chabrol- Aubier-
Le récit évangélique- en collaboratwn avec .
Montaigne, 1972. . . 3
d' p ces MmUit 197 ·
.
Utopiques :jeux es a, . l
La critique du discours, etudes sur a ogzq
l .
ue de Port-Royal et les Pensées de
ISBN 2-86563-145-1
La parole mangée
ou le corps divin
saisi par les signes
font dans l'esprit ... Il arrive souvent qu'un mot, outre l'idée
principale que l'on regarde comme la signification propre de
ce mot, excite plusieurs autres idées qu'on peut appeler acces-
soires auxquelles on ne prend pas garde quoique l'esprit en
reçoive l'impression.» Aux idées accessoires appartiennent
non seulement les signifiés de connotation «attachés aux mots
par un usage commun», mais aussi les impressions signi-
fiantes qui s'attachent au ton de la voix, à l'air du visage, aux
gestes, etc. bref, toute une couche de significations qui mar-
quent, si l'on peut dire, l'émergence du corps dans le fonction-
nement du langage et des pratiques corporelles dans l'échange
linguistique dont les logiciens (mais aussi moralistes) de
Port-Royal font une analyse remarquablement fine, aiguë et
d'une grande portée théorique.
tian. Sans doute «hic, haec, hoc»/« iste, ista, istud >> appar-
tiennent-ils dans la langue, à la classe formelle et fonctionnelle
des pronoms comme «ille, illa, illud », à l'instar d'autres
formes nominales ou verbales ; mais il y a, par opposition, par
exemple, à un nom référant à une notion lexicale, une diffé-
rence essentielle qui tient au processus même de l'énonciation
linguistique. Comme pour les pronoms personnels, je/tu ou les
marques de la première et deuxième personnes, l'énoncé conte-
nant ceci, hoc, appartient à ce type de langage qui inclut, avec
les signes, ceux qui en font usage; et plus précisément, pour
citer Benveniste, avec le démonstratif, «l'identification de
l'objet est opérée par un indicateur d'ostension concomitant à
l'instance de discours contenant l'indicateur de personne. Ceci
sera l'objet désigné par ostension simultanée à la présente
instance de discours, la référence implicite dans la forme (hoc
opposé à istud) l'associant à "je", à "tu".» (Problèmes de linguisti-
que générale, 1, p. 253.) Le seul point de contact entre la théorie
du démonstratif neutre et celle des idées que l'esprit ajoute sans
y prendre garde à la signification des mots est, pour parler le
langage des logiciens de Port-Royal, la notion d'usage.
'1
La parole mangée ou le corps divin saisi par les signes 31
goût qui ont noté que «ces bagatelles n'étaient pas de pures
bagatelles, qu'elles renfermaient une morale utile et que le récit
enjoué dont elles étaient enveloppées n'avait été choisi que
pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une
manière qui instruisit et divertit tout ensemble... Mais
comme j'ai affaire à des gens qui ne se payent pas de raisons et
qui ne peuvent être touchés que par l'autorité et par l'exemple
1
~
des Anciens, je vais les satisfaire là-dessus. Les Fables milé-
siennes, si célèbres parmi les Grecs ... n'étaient pas d'une autre
espèce que les Fables de ce recueil... Je ne crois pas qu'ayant
devant moi de si beaux modèles dans la plus sage et la plus
docte Antiquité, on soit en droit de me faire aucun reproche. Je
prétends même que mes Fables méritent mieux d'être racontées
que la plupart des Contes anciens ... Tout ce qu'on peut dire,
c'est que la plupart des fables qui nous restent des Anciens n'ont
été faites que pour plaire sans égard aux bonnes mœurs qu'ils
négligaient beaucoup. Il n'en est pas de même des contes que
nos aïeux ont inventés pour leurs Enfants ... >>
faiblesse de leur âge ... Ce sont des semences qu'on jette qui ne
produisent d'abord que des mouvements de joie et de tristesse,
mais dont il ne manque guère d'éclore de bonnes inclinations»
texte où, sous le couvert d'un vocabulaire métaphorique du
1.
~·
goût, de la nourriture et de la génération dont nous apercevrons
li
,1' .• l'importance symbolique quant au problème de l'oral et de
l'écrit, se déploie le discours de tous les pouvoirs, de tout
...
L'animal-fable 51
«Après s'être ainsi justifié, il fit signe qu'on obligeât les autres
d'en faire autant. Chacun demeura surpris : on n'aurait pas cru
qu'une telle invention pût partir d'Esope. Agathopus et ses compa-
gnons ne parurent point étonnés. Ils burent de l'eau comme le
Phrygien avait fait, et se mirent les doigts dans la bouche; mais ils
se gardèrent bien de les enfoncer trop avant. L'eau ne laissa pas
d'agir, et de mettre en évidence les figues toutes crues, et encore
toutes vermeilles. Par ce moyen, Esope se garantit: ses accusateurs
furent punis doublement, pour leur gourmandise et pour leur
méchanceté. »
raisons, mais d'un autre ordre, d'un autre genre qu'elle, force
tyrannique, écrit Pascal, «désir de domination universel et
hors de son ordre ... vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut
avoir que par une autre». On doit craindre la force et craindre
absolument- c'est là la terreur-la plus grande force, non par
une obligation morale ou une nécessité rationnelle, mais par le
rapport mécanique et de fait de quantités physiques. Scandale
de la raison pratique ou scandale de la raison théorique, nous
n'y échapperons qu'à la condition d'entendre le meilleur de la
raison du plus fort, non pas dans le sens moral du superlatif du
bon, mais dans le sens d'un comble de l'efficace, d'un superlatif
de l'effectif, de l'irrésistibilité d'un fait; en bref, au sens du
plus fort : la raison du plus fort est la plus forte, soit le plus fort
est le plus fort. Tautologie : il n'y a rien à dire, à penser ou à
évaluer de la force parce que le fort ne dit ni ne pense ni
n'évalue; le plus fort est le plus fort, sans phrases, violence pure,
mutisme de la force qui agit; à quoi répond le silence terrifié
de celui qui en subit l'absolu. Le parcours du sens, soit la
tentative de passer du fait au droit, du constat à l'évaluation
est complet : irrésistiblement, invinciblement, nous avons été
ramenés du droit au fait, de l'évaluation au constat. Il ne nous
reste plus qu'à nous taire, en un mot à accepter, muets, le diktat
muet de la force.
Et pourtant le fabuliste parle et insiste : «Nous l'allons
montrer tout à l'heure.» Acceptez un instant ce scandaleux
énoncé comme une hypothèse ou une proposition, ce qui va
suivre, un récit, la démontrera. Le motif (ou la raison) qui l'a
incité à prendre la parole pour formuler l'énoncé, comme
l'argumentation (ou la raison) qu'il énoncera pour transformer
l'hypothèse en thèse et la proposition en théorème, seront les
plus forts ou les meilleurs pour faire assentir son auditeur à sa
vérité, le faire consentir à sa certitude, le faire croire à sa
valeur obligatoire, d'autant qu'en toute rigueur, il ne dit pas
qu'il va démontrer son hypothèse «la raison du plus fort est
toujours la meilleure», mais que, dans un instant, il la
« La raison du plus fort est torljours la meilleure. >> 71
méchanceté
.,., ....... ,......_..... ..... .....
......
..... ..... ..........
..... .......
culpabilité mérite
non-culpabilité non-mérite
.......
.......................... ______ ................
................... .,...,..,......
Innocence
culture nature
non-nature non-culturt'
schéma d'incidence
et ses valeurs prosodiques
r -_ _ _ _ _ _ _ _ _ ____:3:........, Alexandrin
octosyl.
-r7777777;7777,~~77n~"777"-~u;a~:
octosyl. Loup
4 Décasyl.
projection du schéma
d'incidence dans l'espace
métrique de réception
Ruisseau
:~
:~
Sauvagerie :0
1
Agriculture
:~
Forêt Bergerie
~~
:~
:::0
>------1 Nature f-------1 VS f--------1 Culture
parcours du loup
parcours de l'agneau
78 La parole mangée
Structure
3. J'ai développé ces remarques dans <<Le Neutre, le jeu: temps de l'Utopie>> in
Discours de l'Utopie, coll. 10/18, Paris, 1976.
4. Que je citerai dans l'édition de l'Intégrale, le Seuil, R:_abelais, Œ~vres complète!,
établie par G. Demerson, Paris, 1973. Sur les utop1es a la Renaissance, vo1r
E. Dermenghem, Thomas Morus et les Utopistes de la Renaissance, Paris, Plon, 1927 et L_es
Utopies à la Renaissance, colloque international, avril 1961, Bruxelles, P.U.B. et Pans,
P.U.F., 1963.
1'
.
.....
,1.
92
1
La parole mangée i1 1
'!li
il
Frère Jean), articulation par encadrement du récit et de la
description, fondation d'une institution par délimitation
d'un lieu et construction d'une architecture qui l'organise
selon le principe, pour ne pas dire le mécanisme, de l'inversion
· ~·
dans le contraire historique et social, cela relève de l'évidence
dont je viens de parler.
Revenons sur ces différents points en marquant rapide-
ment la structure syntagmatique du passage:
1) Tout d'abord une nappe narrative, un récit articulé en
deux séquences. Comment Gargantua fit bâtir pour le moine
l'abbaye de Thélème; comment fut bâtie et dotée l'abbaye des
Thélémites : un dessein architectural et son résultat, le récit
d'une origine et l'occupation de cet espace d'origine par une
représentation. Toutefois ces deux séquences ont la caractéris-
tique d'être emboîtées l'une dans l'autre. Le récit du projet
fonctionne comme un cadre pour la description de son résultat,
mais cet encadrement est brouillé en ce que le contenu des
chapitres déborde ce qu'indique leur titre, le cadre narratif ne
contient pas exactement l'image descriptive : celle-ci est
déplacée; ainsi, le titre du chapitre 52 n'en nomme que la
première partie puisque la deuxième expose quelques éléments
de la règle de l'ordre de Frère Jean, les principes de l'institu-
tion; mêmes remarques à propos du chapitre 53 et plus
complexes encore : les moyens de la construction (les dotations
diverses) sont donnés, en revanche, son récit proprement dit est
absent : nulle trace de l'édification elle-même. Mais le résultat
de ce procès est longuement décrit et de ce point de vue,
l'interruption de la description par le poème de l'inscription
n'en est point véritablement une puisqu'elle est une partie du
discours qui se poursuit dans les chapitres suivants. L'ins-
cription a cependant un certain effet textuel de rupture : après
elle, l'abbaye devient manoir.
2) Ensuite une nappe descriptive dont la première phase
développe la description amorcée dans le récit, «comment
était le manoir des Thélémites », pour se poursuivre dans celle
Corps utopiques rabelaisiens 93
Le Désir-Loi
jeu de mots
11. La rélerence essentielle est ici bien évidemment S. Freud, Le mot d'esprit dans ses
rapports avec l'inconscient, Gallimard, Paris, 1953, et en particulier p. 138-147 et p. 156-
158.
Corps utopiques rabelaisiens 99
1~. Dans cette perspe~tive, l'ouvrage essentiel sur Rabelais est celui de J. Paris,
Rabelazs au futur, Se~1l, Pans, 1970. Voir également la belle étude de F. Rigolot, <<Les
langages de Rabelais>>, dans Etudes rabelaisiennes, 1972.
100 La parole mangée .1
Thélémites.
Représentation : le géométral
, 14. Sur le plan de l'abbaye, on consultera la mise au point par A. Blunt, Philibert de
1 Orme, A. Zwemmer, Londres, 1958, p. 8-14, avec les rérerences à Heulhard Rabelais et
~s vl!!ages en lta~ie, Paris, 1891, p. 5 et surtout C. Lenormant, Rabelais et l'archttecture de la
enatss?nce, Pans, 1840. Sur les questions générales de l'urbanisme utopique consulter
R. Klem, la _Forme. et 1'/ntelligibl~, _2~ parti~, chap. XIII, p. 312, Gallimard, 1970 et
~- C_hoay,, 1 Urbamste, Utopres-realttes, Sem!, Paris, 1965. De F. Choay également
1 :rticle tres suggestif dans la No~velle Revue de Psychanalyse, «Le dehors et Je dedans>>:
n _9, 1974, p. 2~9-251 et ~on article dans Critique, avril 1973, <<Figures d'un discours
meconnu>>. ~nteressan~e eg~I:ment dans une bibliographie immense, la chronique de
R. Le Molle, <<La ville Ideale>>, dans Bibliothèque d'Humaniste et de Renaissance
t. XXXIII, 1971, Droz, Genève. '
102 La parole mangée 1
:, 1
'~
magnifié, le «bas)) passé sous silence 15 • Cette exclusion du
travail et de la nourriture signifie Thélème en son discours
comme espace de loisir et de culture (en attendant de voir la
nourriture sous toutes ses fonctions être le jeu du texte lui-
même).
Le cri
. 21. Nous renvoyons !ci_ à l'analyse de M. Baujour, le jeu de Rabelais, l'Herne, n' 2,
~ans, 1969, P· 89-106. VOir egalement F. Desonay, <<En relisant l'abbaye de Thélème>>,
m F. Rabelats, IV' Ce~tenazre de sa Mort, Droz, Giard, Genève, Lille, 1953, p. 93-103.
22. Cf. M. Baktme, op. cit., p. 156-157 et 163-1-9.
108 La parole mangée
L'énigme
Dé -jeu interprétatif
Fantastique-:fantasmatique
Ecriture-lecture
25. Il faut ici relire en la confrontant avec les analyses de M. Baktine, l'étude de ce
passage par E. Auerbach dans Mimesis, the Representation of Reality in Western Literature,
Princeton, 1953 (trad. américaine de W. Trask), p. 262-284. Elle a constitué le point de
départ de notre propre travail dont nous présenterons ailleurs une version complète.
26. On rencontre un problème très voisin avec le livre I et le livre II de L'Utopie de
Th. More: pour Rabelais, voir la Préface de l'édition du Gargantua par V.L. Saulnier
chez Droz, Genève, 1970.
Corps utopiques rabelaisiens 113
Corps profond
l'
Topique-topologie
29. Cf. au sujet des espaces et phénomènes transitionnels, le livre capital de D.W.
Winnicot, Jeu et Réalité, trad. française, Gallimard, Paris, 1975. Concernant plus
directement les structures <<utopiques>> de l'espace et du temps, l'article suggestif de
J. Starobinski, <<] e hais comme les portes d'Hadès ... >> in Nouvelle Revue de Psychanalyse,
n• 9, 1974, p. 7-22 et l'ouvrage de Sami-Ali, l'Espace imaginaire, Gallimard, Paris, 1974 et
en particulier le chapitre III, <<Théorie>>, p. 42-64.
116 La parole mangée
Le récit de la narration
30. Cf. J. Kristeva, la Révolution du langage poétique, Seuil, Paris, 1974, l" partie,
<<Sémiotique et symbolique>>.
Corps utopiques rabelaisiens 119
Le boudin grillé
ou le dévoiement
des peiformatifs
(Les souhaits ridicules)
n'est rien qui ne cède, 1 Elle aima mieux garder son Bavolet*, 1
~
.1
* D'après Furetière, dans son dictionnaire, le bavolet est une <<coiffure de jeunes
paysannes auprès de Paris, qui se fait de linge délié et e~pesé qui a une longue. queue
pendante sur les épaules. <<Il ajoute : "les paysa~nes cra~g~ent fort qu'on, ne ch1ffon~e
leur bavolet". On dit aussi d'une paysanne, que c est une JOhe bavolette. >> Des lors, on 1 a
compris, au boudin royal pendant au bout du nez sur le visage, est préféré le bavolet
paysan pendant sur les épaules.
La sauce Robert
FICTIF Hutte du
----- ---
Charbonnier
' VILLE
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Bors '', Palais du Roi
Château de
---
l'OGRE
--- ---
',,
Château de Maison de campagne ,
la Belle-Reine de la Reine-Ogresse
RÉEL''
porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui
envoie»; et d'autre part : «Toc, toc, "Qui est là?"» Le petit
chaperon rouge ... répondit : «C'est votre fille le petit chaperon
rouge qui vous apporte une galette avec un petit pot de beurre
que ma mère vous envoie.)) Dans un cas, l'enfant décrit ce
qu'elle fait et va faire (lui porter ... ); dans l'autre, l'enfant dit
qui elle est en se dotant de prédicats qui la définissent en
propre. Toutefois, dans les deux cas, on notera sans grande
surprise qu'elle a le même interlocuteur, le loup, le loup-
comme-loup, la première fois, mais «elle ne savait pas qu'il est
dangereux de s'arrêter à écouter un loup)); le loup-comme-
grand'mère, la deuxième fois, mais à l'écoute de la grosse voix
de la bête féroce, elle crût l'aïeule «enrhumée ... )). Et l'on
constatera qu'en cette double occurence, tout est affaire de voix,
voix du loup dont l'écoute est aussi dangereuse dans le bois que
terrifiante au fond d'une gorge enrhumée.
La formule «une galette et un petit pot de beurre)) a ainsi
par elle-même, dans le rituel de son énonciation, force d'ouver-
ture : ouverture du parcours du récit et du récit du parcours
dans la bouche de la mère; ouverture pour le loup, et deux fois,
de l'espace socialisé et humanisé qui est aussi celui de la
nourriture : dans le bois d'abord, c'est elle qui lui fraye le
chemin vers la maison de la mère grand, sur le seuil de la
demeure ensuite, c'est elle (plus que la chevillette) qui lui ouvre
la porte d'entrée. C'est par elle que le petit chaperon se présente
et est introduit dans la maison et c'est enfin elle, une dernière
fois qui ouvre pour la petite fille la couche du loup. Elle est
l'apéritif de la consommation du récit, de la consommation de
la nourriture, de la dévoration sexuelle.
Formule rituelle, elle est très précisément voix, non pas
simplement musique et rythme, mais point non plus paroles
articulées, mais réunissant les uns et les autres dans un
ensemble complexe qui est plus et autre chose que les éléments
dont il est composé; plus, et c'est là le jeu des allitérations
phoniques pris dans les mots qui font sens; autre chose, et c'est
Petit pot de beurre... 159
Fr
RI RII
(.0.)----.-----0 M F 0----.-----(.0.)
/
/
/
/ , r 1- - - - - - ' - - - - - - - ,
[.0.] B- + • E +
B
premier, deuxième
royaume
Fr : frontière entre les
deux royaumes
un sépulcre vide et Procné verse des larmes qui ne sont pas celles
qu'elle devrait verser. Mise dans l'impossibilité de fuir
comme de parler, Philomèle invente un stratagème: elle tisse
sur un métier à la mode barbare le récit du crime de Térée et le
fait parvenir à Procné qui lit l'épouvantable aventure de sa
sœur. La douleur lui ferme la bouche; elle ne pense qu'à agir,
l'image du châtiment occupe seule son esprit sans se soucier de
ce qui est licite et de ce qui ne l'est pas. Sa haine de Térée
hésite : brûler le palais et le tyran, lui arracher la langue, les
yeux et le membre, le tuer en le blessant mortellement. C'est
alors que survient ltys, le fils né de ses amours avec le thrace et
qui ressemble parfaitement à son père: une terrible vengeance
lui est ainsi suggérée. Les deux sœurs tuent l'enfant, lui
déchirent les membres et mettent les uns à bouillir dans des
marmites et des chaudrons, les autres à rôtir sur des broches.
Puis Procné convie Térée à la célébration d'un rite auquel lui
seul, dit-elle, a droit de prendre part, un festin cérémoniel : elle
lui sert à manger son propre enfant; dans son ventre, c'est sa
propre chair qu'il engloutit. Le tyran mis en joie ordonne:
«faites venir ici ltys » - «Tu l'as avec toi, celui que tu
réclames)) dit Procné et Philomèle jette la tête d'Itys au visage
de son père. Térée, dans un transport furieux, tente de s'ouvrir
la poitrine et d'en rejeter l'infàme nourriture. Puis il pleure en
se qualifiant de misérable tombeau vivant de son fils. Les deux
femmes le poursuivent. Les dieux enfin interviennent pour les
changer, Procné en rossignol et Philomèle en hirondelle. Quant
à Térée, le tyran thrace, il est transformé en huppe. Procné par
son chant pleure son fils ltys, Philomèle dit par ses cris que
Térée lui a coupé la langue et Térée répète : «Où? Où?)) en les
cherchant, cependant qu'il est condamné à se nourrir d'excré-
ments humains. Une terrible histoire donc où la fureur du
désir érotique s'accomplit en transgressant tous les interdits de
l'institution sexuelle, où pour la dénoncer, la voix coupée dans
la bouche se fait signes, texte et tissu inscrit, écriture et lecture,
où enfin pour punir la transgression par la transgression, Eros
174 La parole mangée
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11
1
Bouilli et rôti... 175
Fr
(6)---r----0 0---r----(1::>)
(!)B+
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Viande de boucherie et gibier... 185
chez vous ... nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous
mange; peut-être qu'il aura pitié de nous si vous voulez bien
l'en prier.)) D'un côté, la certitude du nécessaire; de l'autre, le
possible du plausible : conflit de modalités, aporie dramati-
que, mais où, semble-t-il, se dessine une voie du côté de l'ogre.
Les voilà donc dans cette dangereuse maison : « elle les mena se
chauffer auprès d'un bon feu car il y avait un mouton tout
entier à la broche pour le souper de l'Ogre)) ... Le feu n'est bon
que parce qu'il est culinaire, précisément celui du rôti, et on
constatera, non sans surprise, que la conclusion de la deuxième
séquence de l'errance dans la forêt est curieusement semblable à
celle de la première. Dans les deux cas, la maison- qu'elle soit
celle des parents ou celle de l'ogre- est le lieu de la viande de
boucherie en excès : trois fois plus de viande qu'il n'en fallait
pour le souper de deux personnes, un mouton tout entier pour
celui d'une seule; la différence est que les enfants restent à la
porte de la maison paternelle pour y entendre la conversation
des parents rassasiés, alors qu'ils entrent dans celle de l'ogre
pour s'y chauffer au feu de cuisine, soit par contiguïté, y être
rôtis- comme mouton à la broche- pour le Mangeur affamé.
Arrivée de l'Ogre qui aussitôt se mit à table. Le Mouton
était encore tout sanglant mais il ne lui sembla que meilleur. Il
fleurait à droite et à gauche, disant qu'il sentait la chair
fraîche. Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce Veau que je
viens d'habiller que vous sentez. «]e sens de la chair fraîche, te
dis-je encore une fois, reprit l'Ogre, en regardant sa femme de
travers ... )) et naturellement de découvrir sous le lit où elle les
avait cachés, le petit Poucet et ses frères. Le moment est
d'importance, car l'Ogre y révèle la nature à la fois bestiale et
transgressive de son régime alimentaire. Par impatience
d'estomac affamé, il interrompt les processus culinaires pour
régresser à l'omophagie: il mange son mouton à demi cru et il
flaire de la chair fraîche (humaine) comme bête féroce chas-
sant sa proie. Son épouse tente de l'arrêter en tenant le discours
culinaire : le veau qu'elle a mis en état pour être accommodé
T
comme sien ce qui est (à) l'autre; le voleur serait une sorte de
messager des biens et des richesses dont il serait à la fois le
transport et le terme. Mais avec ce dénouement, les mouve-
ments, les cheminements, les trajets et les itinéraires, les
échanges et les substitutions s'arrêtent dans le substantiel et le
procès dynamique s'immobilise dans l'état stable : «Le petit
Poucet étant chargé de toutes les richesses de l'Ogre s'en revint
au logis de son père où il fut reçu avec bien de la joie.» Dans
l'autre, l'opérateur supplémentaire du dispositif se borne à
prendre les bottes de l'Ogre- et sans scrupule, car ce sont les
armes du chasseur de chair humaine - et à devenir le
messager du Roi : il transporte des messages et reçoit, en
échange, de l'argent, le juste salaire de ses mouvements de
transport, les signes monétaires équivalents échangés non avec
des choses, des biens, mais avec des échanges : l'argent, méta-
échange et le messager, méta-échangeur. «Le Roi le payait
parfaitement bien pour porter ses ordres à l'armée» et en
recevoir des nouvelles. Et voici qu'alors, pour conclure en tout
humour, apparaît le motif érotique : là encore le petit Poucet
ne sera point le bénéficiaire sensuel d'une consommation des
corps amoureux mais seulement le messager des signes
d'amour, des caresses verbales, contre argent : «Une infinité
de Dames lui donnaient tout ce qu'il voulait pour avoir des
nouvelles de leurs Amants et ce fut là son plus grand gain.»
Ainsi au bout du compte - car ce conte est aussi un
compte - au terme des contes, il ne reste plus des nourritures
et des mets, des viandes et des plats, il ne reste plus des voix et
des signes de langage, il ne reste plus des corps et de leurs
qualités que la double abstraction, mais combien dynamique,
combien puissante, combien performante, de l'argent et de la
valeur d'échange, l'un équivalent à l'autre et sa mesure, l'autre,
pure relation sans contenu, donnant au premier sa simple
fonction. Et sans doute, n'est-ce point par hasard que cette
opération, en forme de bilan du récit merveilleux, soit confiée
à un opérateur-acteur fort petit, guère plus gros que le pouce,
192 La parole mangée
-1
!
j
4
Le Corps du Roi
i
41
Le corps glorieux du Roi
et son portrait
Le portrait et le nom
'j
Le corps glorieux du Roi et son portrait 20 1
J
Le corps glorieux du Roi et son portrait 203
j.
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Le corps glorieux du Roi et son portrait 205
al
Le corps glorieux du Roi et son portrait 215
AN HISTORICAL STUDY
pas une tête (celle de Louis de Bourbon, le 14• du nom) plus une
perruque de cérémonie; il n'est pas tel qu'on puisse en addi-
tionnant une tête et une perruque obtenir un total qui serait la
tête de Louis XIV dans le portrait peint par Rigaud. Ou tel
qu'en enlevant (en soustrayant) la perruque du visage portrai-
turé soit obtenu un reste qui serait la tête de l'individu qui,
avec la perruque, est le roi. La caricature relève d'une psycho-
logie associationiste analytique élémentariste et à ce titre, elle
avoue son époque et son milieu. En fait, elle ne nous propose pas
le vrai dé-compte du portrait du Roi en nous donnant le compte
exact des parties composant le modèle comme corps référen-
tiel : elle nous offre plus et autre chose que le portrait d'apparat
ramené à ses composants, comme celui-ci était plus et autre
chose que ceux-là puisqu'il en réalisait la transcendante unité.
Le dessin de caricature joue son coup politique et idéologique
en se donnant comme la simple décomposition du portrait
d'éloge : elle vise à faire croire que le portrait du Roi n'est en
réalité qu'un corps naturel d'organes misérable plus un corps
social de signes magnifiques et qu'en enlevant au corps de
signes, le corps de nature qui le supporte, c'est-à-dire en le
montrant séparé de lui, le corps de signes n'est plus que le masque
ou plutôt le déguisement mensonger du corps de nature, en un mot
que celui-ci montré dans sa misère est la vérité de celui-là
représenté dans sa gloire. La caricature du roi vise àfaire croire
qu'elle est la vérité du portrait du Monarque alors qu'elle est
seulement la transformation sadique par l'esclave (le bour-
geois) du fétiche masochiste du Maître (le Prince). Aussi
pourrions-nous dire, la caricature asserte une thèse, elle déve-
loppe un discours, elle narre un récit; thèse, discours, récit
qu'elle substitue à la phrase nominale du portrait; de même
qu'on ne passe pas, par simple expansion ou explication, de la
phrase nominale du portrait à la phrase complète, proposition
discursive ou énoncé narratif, de même on ne passe pas du
portrait du roi à la caricature par simple soustraction
arithmétique. Décomposition, régression parodique du por-
220 La parole mangée
1
Le corps glorieux du Roi et son portrait 223
1
224 La parole mangée
'.i
Le corps pathétique et son médecin... 229
.......................___________.._
Le corps pathétique et son médecin .. . 233
___________________________
234 La parole mangée
coraux. Je lui en faisais prendre tous les matins dans son lit, sans
que personne en eût connaissance. J'ai continué quelque temps de
cette manière, puis, par certains intervalles, je faisais prendre
d'autres remèdes à S.M. pour rafraîchir les entrailles, particuliè-
rement l'eau de pimprenelle durant les grandes chaleurs; et ainsi,
entremêlant les remèdes et donnant aussi quelque repos, ou plutôt
interruption, j'ai remarqué que les choses allaient mieux, quoique
le flux n'ait jamais quitté.
Après toutes ces fatigues dans les pays étrangers, le roi arriva à
Paris le septième jour de septembre. Ce fut alors que je pris
résolution de parler au roi, et lui dire qu'il n'était plus question de
difierer plus longtemps les remèdes
Cette évacuation continua neuf jours de cette même force ... et fut
tellement avantageuse qu'elle acheva ladite guérison de Sa Majesté
sans aucun accident et sans aucune rechûte et même sans aucun
ressentiment de la moindre incommodité du monde.
,1'
Le corps pathétique et son médecin .. . 249
1
Références
1
252 La parole mangée
Illustrations
1
Table des matières
Avertissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1. La parole mangée ou le corps divin saisi par les signes. . . . . . . . . 11
2. Manger,parler, écrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Peaud'Aneoul'oralité........................ 39
L'animal-fable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
«La raison du plus fort est toujours la meilleure» . . 61
Corps utopiques rabelaisiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
3. La cuisine des Fées ou le signe culinaire dans les Contes de
Perrault........................................ 121
Apéritifthéorique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Le boudin grillé ou le dévoiement des performa-
tifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
La sauce Robert où l'on apprend qu'il est parfois
juste et convenable que le Mangeur croit manger
autrechosequecequ'ilmange . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Petit pot de beurre et hachis de chair à pâté ou les
charmes de la voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
254 La parole mangée