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LANGAGE, LANGUE ET PAROLE

Marc Thiberge

ERES | « Empan »

2012/4 n° 88 | pages 69 à 75
ISSN 1152-3336
ISBN 9782749236346
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-empan-2012-4-page-69.htm
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Langage,

Dossier
CONTRE-
POUVOIR

langue et parole
DE LA LANGUE

Marc Thiberge

Quand on aborde la question du langage, se placer dans un cadre


phylogénétique élargi permet d’essayer de prendre en compte les
modes de communication des autres espèces, pour mieux dégager ce
qui est propre à notre lignée. Le petit humain naît avec une aptitude
génétique au langage articulé (phonologique, lexical et syntaxique)
mais qui ne s’exprimera qu’au cours de sa structuration biologique
et psychique. L’ontogenèse est l’histoire de son développement
depuis le stade embryonnaire jusqu’à l’âge adulte, et elle est faite de
contraintes et de possibles qui sont ceux de son héritage phylogéné-
tique. L’ontogenèse du petit d’homme récapitule la phylogenèse. à
tel point que si les enfants apprennent spontanément à parler leur
langue maternelle, il leur est plus difficile de parler d’autres langues
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rencontrées à un âge plus avancé ; langues acquises qui se perdent
dans l’ordre inverse de leur apprentissage. Par ailleurs, si la structu-
ration de la fonction langagière dysfonctionne, la structuration de la
fonction psychique en une organisation psychique s’avère impossible
ou problématique.
L’apparition comme l’élaboration d’une langue mettent en exergue
des aptitudes cognitives innées des humains associées au langage. un
enfant abandonné à lui seul ne peut apprendre à parler. La création
première de ce qu’on appelle le « pidgin » met en évidence la façon
dont les locuteurs de différentes langues construisent une sorte de
« pré-langage », fait de mots juxtaposés et souvent appelé « langage
Tarzan ». C’est le mode d’expression parlée des enfants avant 2 ans ;
c’est celui non parlé des grands singes auxquels on a appris différents
types de langages humains. Le stade suivant est celui d’une langue
appelée langue « créole ». Ce sont des langues avec leur syntaxe, leur
grammaire et leur lexique. Cette langue est construite par des enfants
locuteurs de pidgin qui ont établi une langue à partir de leur aptitude
innée à apprendre comme à inventer leur langue maternelle ; aptitude
qui se retrouve dans l’élaboration d’une nouvelle langue. si le
langage est une aptitude de tous les êtres vivants, végétaux ou Marc Thiberge,
animaux, à communiquer, quand on passe des codes de signaux au psychiatre, psychanalyste,
langage articulé propre à l’espèce humaine, le langage perd sa fonc- 24 rue du Languedoc,
31000 Toulouse.
tion première de communication. Plus il devient articulé à travers une Tél : 05 61 53 60 93
langue et moins il a comme finalité la communication, mais bien thiberge.marc@wanadoo.fr

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plutôt le traitement des informations (au sens de la théorie de


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Shannon 1) en provenance tant de l’environnement, grâce aux récep-
teurs sensoriels, que des stimulations produites par le système
nerveux central. L’apparition des langues lexicalement et syntaxi-
quement articulées ne serait peut-être bien alors que le développement
complexe de cette aptitude neurocérébrale au traitement des infor-
mations sur un mode abstrait d’opposition binaire à l’origine du
symbolique. Le traitement des informations serait donc le résultat
d’une « catastrophe 2 », à savoir la perte chez l’homme de la capacité
à l’utilisation automatique des aptitudes acquises, c’est-à-dire des
instincts – liée par exemple au fait que chez les êtres vivants en
société, le détenteur d’une information dispose d’une chance accrue
de s’élever au sein de la hiérarchie sociale du groupe, la qualité de
l’information transmise devenant dès lors plus importante que la force
physique 3. Une telle situation aurait entraîné un remaniement fonc-
tionnel de l’organisation neurocérébrale, comme suppléance aux
instincts, à l’origine du langage articulé.
Après Darwin, on peut penser que l’aptitude à la croyance, comme
moteur de la capacité à savoir, est une transformation de l’aptitude
à la quête alimentaire ou sexuelle. Ainsi le symbolique s’origine-
t-il de la dénaturation de la « chose » entendue comme la dispari-
tion de l’objet en tant que réalité sous l’effet de la nomination
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symbolique où la langue organise le système arbitraire des signes
et des symboles. On peut dire que l’homme est un animal en mal
de sens, alors que l’arbitraire l’y soustrait sans recours possible
autre que mythologiquement. La linguistique saussurienne, avec
le développement des sciences sociales actuelles, et en particulier
de la sémiologie structurale (Saussure, Jacobson, Hjemslev,
Greimas, Troubetzkoy, etc. 4), a posé les bases du langage comme
1. La théorie de l’information de étant la langue plus la parole.
Shannon est une théorie probabiliste
permettant de quantifier le contenu D’un côté la langue est l’ensemble des codes qui constituent l’ins-
moyen en information d’un ensemble titution sociale du langage à travers le sujet parlant. Mais d’autre
de messages dont le codage
informatique satisfait une distribution
part, nous ne pouvons penser le rapport langue/parole que dans une
statistique précise (1948). dimension de complémentarité et d’articulation constitutive. Les
2. Idée de discontinuité. sujets parlants, en prenant la parole, sont les opérateurs de systèmes
3. J.-L Desalles, « Éthologie du de signes qu’aucun d’entre eux, pris individuellement, n’a constitués.
langage », dans Les origines Nous habitons la langue avant de la pratiquer. Pour Saussure, dans
du langage, Éditions Le Pommier, une langue donnée, il n’y a que des différences ; un phonème
2010.
comme entité oppositive minimale ne se différencie pas seulement
4. F. de Saussure, Cours de
linguistique générale, Paris, Grande par la somme des traits distinctifs qu’il actualise, mais aussi par sa
Bibliothèque Payot, 2000. position dans un système de séries d’oppositions que Jacobson
5. R. Jacobson, Six leçons sur le son et appelle « structure 5 ». à la suite de l’hypothèse de Pierce 6, pour qui
le sens, préface de C. Lévi-Strauss, le signe linguistique est le résultat d’une capacité neurocérébrale à
Paris, éditions de Minuit, 1976, et Essai créer des signes, Saussure invente le signe linguistique comme la
de linguistique générale, Paris,
éditions de Minuit, 1968. matrice à partir de laquelle peut être générée une sémiologie. Son
6. C.S. Pierce, Écrits sur le signe, Paris, invention postule l’absence de relation « naturelle » entre les deux
Le Seuil, 1978. constituants du signe, la matière sonore mise en forme, le signifiant,

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Langage, langue et parole

et la signification, le signifié ; et c’est parce pas un bienfait qui, en vertu d’une loi de grati-
qu’il n’y a aucun lien entre l’idée signifiée et le tude, serait l’origine d’une obligation. il est d’em-
signifiant que le signe lui-même est arbitraire. blée l’acte cérémoniel par lequel une obligation
est créée. Le propre de cette institution serait
Cette prise en compte de la langue comme insti-
ainsi de donner aux individus la possibilité (exor-
tution sociale est déterminante, ainsi que la
bitante pour les normes d’une pensée libérale) de
dualité oppositive du langage : son/sens, indi-
vidu/société, langue/parole, etc., où chaque terme s’imposer les uns aux autres des devoirs.
tire sa valeur du fait qu’il s’oppose à l’autre. L’organisation d’un potlatch est donc, pour
ainsi le sens est-il produit par différence et oppo- M. Mauss, un acte intrinsèquement juridique, au
sition, et non pas par ressemblance et similarité même titre que le coup de marteau du commis-
comme on avait l’habitude de le penser jusque- saire priseur ou la parole du juge ; elle a pour effet
là. Mais le point de départ des réflexions de immédiat de transformer le bilan de droits et de
saussure est la conscience aiguë de l’individua- devoirs existants dans la société. L’acte illocu-
lité absolue, unique, de chaque acte expressif ; cet toire n’est rien d’autre qu’un acte juridique
acte, il l’appelle parole. en adoptant les vieux accompli par la parole ; cette obligation découle
termes scolastiques de puissance et d’acte, la directement de la parole prononcée et non d’un
parole devient une actualisation de la langue. si effet préalable. Cet exemple montre que, dans
la parole, union d’une phonie et d’un sens certaines sociétés, la parole peut être une activité
concret, est substance, ce qui s’actualise de la collective, où le groupe en tant que groupe réaf-
parole est une mise en forme de la langue comme firme ses propres croyances. L’acte de parole,
création continue d’un système de structures alors, n’échapperait pas aux contraintes du
possibles de signes minima. Mais, comme les milieu, au point d’appartenir à la sphère sociale
du langage. La question d’une énonciation collec-
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signes, dans leur différenciation réciproque et
leur organisation en système, ne répondent à tive est donc là posée. elle n’a cessé d’alimenter
aucune exigence naturelle qui leur serait externe, les débats, dont celui entre Freud et Jung.
la seule base valide est le consensus social qui L’hypothèse saussurienne que l’ensemble des
organise les signifiants. Pour Jacobson, « le grand faits humains, sociaux ou psychiques relèvent
mérite de saussure est d’avoir exactement d’une approche sémiologique trouvera un prolon-
compris le rôle, dans la production du langage, de gement avec La pensée sauvage de Lévi-strauss
l’activité inconsciente de l’esprit ». L’approche et l’étude de la structure des mythes, où s’actua-
sémiologique (du grec semion, signe) saussu- lise un processus logique de perpétuelles trans-
rienne des faits sociaux et des faits psychiques formations (concept-clé). Par exemple, la
peut se définir comme sémiotique plus séman- prohibition de l’inceste, en projetant les sœurs et
tique. elle a trouvé ses continuateurs avec notam- les filles en dehors du groupe consanguin, et en
ment Mauss, Lévi-strauss et Lacan. leur assignant des époux provenant eux-mêmes
L’étude de Mauss sur le don comme acte juri- d’autres groupes, noue entre ces groupes naturels
dique fait de l’institution du potlatch, telle qu’elle des liens d’alliance – les premiers qu’on puisse
fonctionne dans certaines sociétés amérindiennes, qualifier de sociaux. La prohibition de l’inceste
le prototype du don. La fonction première du fonde ainsi la société humaine et, en un sens, elle
potlatch – cette réception fastueuse qu’une tribu est la société. Derrière une telle question, celle de
offre à une autre tribu – est de créer, pour la tribu l’universalité de la nature humaine, Lévi-strauss
invitée, l’obligation de rendre l’invitation. constate l’improbabilité d’une pensée mythique
« L’obligation de rendre est tout le potlatch », dit distincte. On peut conclure de cette démarche,
M. Mauss ; il n’y a pas d’intermédiaire entre dont la rigueur et la logique sont exemplaires, que
l’invitation et la création d’un devoir pour les la démarche qui est la sienne, avant les
invités. La représentation du don qu’ont élaborée Mythologiques, aboutit à une relative impasse
nos sociétés n’a pas cours ici. Le potlatch n’est en raison de ses postulats : conforter le signe

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saussurien à l’aide de la définition de Peirce n’est pas convaincant.


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Le signe étant pour Peirce « ce qui représente quelque chose pour
quelqu’un », il constate un décalage entre signe linguistique et réalité.
« Tel que l’outillage, les techniques, les modes de production et de
consommation ? il semblerait que nous ayons affaire ici à des objets,
non à des signes […] que remplace une hache de pierre et pour
qui ? 7 » L’unique réponse que suggère ce livre est que « les mythes
signifient l’esprit qui les élabore au moyen du monde dont il fait lui-
même partie. ainsi peuvent être simultanément engendrés les mythes
eux-mêmes, par l’esprit qui les cause. et par les mythes, une image
du monde déjà inscrite dans l’architecture de l’esprit ».
Faute de s’être autorisé à une véritable lecture de F. saussure, il n’a
pu que transformer au lieu de remanier, et passer ainsi d’une concep-
tion déterministe à un indéterminé. affirmer a priori l’échange et la
communication institués et organisés, c’est faire sienne la conception
qu’avait saussure du langage, soit une institution humaine permet-
tant à deux sujets qui pensent de communiquer. Le langage reste
intangiblement une institution qui est le moyen de la communication
intersubjective (il existerait dans la conscience une pensée quasi
autonome que le langage se charge de véhiculer), mais en même
temps est maintenu « l’arbitraire du signe » qui – contrairement à
Benveniste 8 – ne représente rien d’autre que lui-même pour un autre
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signe. C’est à ce prix que l’affirmation du langage comme forme et
non substance peut être maintenue. Ce qui lui fait maintenir
l’échange, extension de la communication langagière, comme unique
finalité de l’organisation sociale. « Les hommes communiquent au
moyen de symboles et de signes ; pour l’anthropologie, qui est une
conversation de l’homme avec l’homme, tout est symbole et signe qui
se posent comme intermédiaires entre deux sujets 9. » L’échange
n’est donc que la représentation « symbolique » d’un besoin naturel
de communiquer et les sociétés s’organisent « eu égard à cette diffi-
7. C. Lévi-Strauss, L’homme nu, Paris,
Plon, 1961.
culté de vivre ensemble » postulée par Lévi-strauss pour moduler le
8. E. Benveniste, Problèmes de
trop ou le trop peu de communication à un niveau qui garantisse la
linguistique générale, Paris, Gallimard, survie du groupe. un siècle après ce cours 10, la fonction communi-
1976. cante assignée au langage articulé fait débat, dès lors que pour le
9. Lévi-Strauss, Anthropologie vivant, quel qu’il soit, informer et communiquer tiennent de la néces-
structurale 1, Paris, Plon, 1958, p. 20. sité universelle et ne spécifient pas la condition humaine (le code
10. F. de Saussure, cours publié en dansé des hyménoptères pour transmettre la localisation de nourriture,
1916 par ses élèves.
par exemple). C’est pourquoi le langage humain ne peut être réduit
11. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil,
1957, p. 495. à l’état d’institution, outil de communication.
12. Ibid., p. 498. un autre continuateur de l’approche sémiologique de saussure est
13. Ibid., p. 499. Lacan. Dès 1954, Lacan nous met en garde en proposant une autre
14. Cf. J.-L. Nancy et P. Lacoue- lecture de l’œuvre saussurienne, dans L’instance de la lettre dans l’in-
Labarthe, Le titre de la lettre, Galilée, conscient 11 : « au-delà de cette parole, c’est toute la structure du
1975 ; F. Wahl, Qu’est-ce que
le structuralisme, Paris, Le Seuil, langage que l’expérience psychanalytique découvre dans l’incons-
coll. « Points », 1973, p. 127-161. cient […]. » Car c’est bien à partir de la reformulation de la structure
15. J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 495. du signe linguistique telle que saussure l’avait formulée auparavant

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que peut se dégager la nature « instituante » du cation des sociétés humaines comme langagières,
langage. « et on échouera à en soutenir la ques- se trouve explicitée la division d’un social
tion, tant qu’on ne sera pas dépris de l’illusion composé d’une face « société » et d’une face
que le signifiant répond à la fonction de repré- « culture », entretenant entre elles des rapports
senter le signifié, disons mieux : que le signifiant semblables à ceux qui lient l’organisation signi-
ait à répondre de son existence au titre de quelque fiante au projet de la signification. Le social se
signification que ce soit 12. » trouve lui aussi refondu, sur son versant consti-
tué, en société particulière, dont les systèmes
autre lecture de l’œuvre saussurienne, comme on
explicites institués organisent l’échange et la
le voit, qui s’origine dans une prise en compte
communication sous l’égide de la pensée ration-
révolutionnaire de la fonction du signifiant de
nelle et, d’autre part, sur son versant constituant,
n’être pas support concret de signifié. Le signi-
en culture universelle dont le processus symbo-
fiant, pur trait discret (articulé, différentiel et
lique assure l’asservissement de l’individu à la
dans un ordre fermé), se voit attribuer une place
structure qui fait consister son groupe d’apparte-
privilégiée « allant vers des apparences » ou
nance auquel son histoire lignagère l’aliène.
n’ayant plus le rôle de représenter le signifié, se
constitue sur le modèle de la concaténation méto- Cette opération permet donc de différencier ce
nymique en système dont le résultat est de qui échoit aux sociétés (pensée rationnelle pour
permettre l’émergence du champ où s’effectuera l’organisation des échanges et des pouvoirs) et ce
la signification. Cette révolution débouche sur que la langue culture fomente comme pur asser-
une articulation renversante du sujet, qui ne se vissement au discours. Cette fomentation cultu-
distingue plus d’être pensant un objet à l’aide de relle peut alors être entendue comme passe
signes (impasse lévi-straussienne) mais d’adve- obligée entre la société et l’individu, là où l’idéo-
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nir dans l’interstice laissé vide par l’opération de logie entretient l’illusion que toute activité intel-
remplacement d’un signifiant par un autre 13. Ce lectuelle dans l’univers social a pour fin dernière
qu’il formalise en liant le destin du sujet au glis- de régler les échanges. Comme si la pensée
sement indéfini des signifiants : « un signifiant, sauvage, l’ordre symbolique culturel, qui n’aspire
c’est ce qui représente un sujet pour un autre qu’à la consistance, pouvait n’en pas finir de
signifiant 14. » réajuster les matériaux sur lesquels elle travaille.
Cette démonstration ne peut pas ne pas avoir Que, par la suite, Lacan soit resté tributaire de
d’effet sur l’appréhension du social, où nous l’objet, notamment dans sa conception du désir,
retrouvons Lévi-strauss, pour qui langage et même réduit au fantasme, explique sans doute
société humaine ont partie liée au point qu’il est une relative impasse liée à sa théorie du signi-
impossible de concevoir l’un sans l’autre. « Le fiant. Lacan situe non seulement la parole du
sujet, aussi bien, s’il peut paraître serf du langage, côté du symbolique, en digne héritier de la tradi-
l’est plus encore d’un discours dans le mouve- tion catholique, réduit le symbolique à la langue
ment universel duquel sa place est déjà inscrite à posée de façon référentielle et maintient l’équi-
sa naissance, ne serait-ce que sous la forme de voque entre une définition du signifiant, pur trait
son nom propre […] d’où résulte qu’à la dualité discret sans signification dans le registre de l’insu
ethnographique de la culture et de la nature est en (effet de langue) et son maniement qui reste tribu-
passe de se substituer une conception ternaire, taire du signe linguistique. Du coup, une porosité
nature, société et culture, de la condition existe entre le sujet de l’inconscient et le social,
humaine, dont il se pourrait bien que le dernier entre langue et parole, toutes deux sur le versant
terme se réduisit au langage, soit à ce qui symbolique. D’où sa position à l’égard du signi-
distingue essentiellement la société humaine des fiant maître, du père et du nom de père, etc. C’est
sociétés naturelles 15. » Ce qui permet de dégager ainsi que, dans le séminaire ii sur le Moi, il dit
l’anthropologie structurale de son idéologie « Verbum, c’est le langage, et même le mot. Dans
échangiste. Car, outre l’affirmation de la spécifi- le texte grec, Logos, c’est aussi le langage et non

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pas la parole. après cela, Dieu fait usage de la parole. Que la lumière
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soit, dit-il 16. » Le symbolisme comme langage retrouve ici une posi-
tion de transcendance où la réalité culturelle ne serait que l’émana-
tion de la réalité psychique, ambiguïté d’un déterminisme absolu.
Comme l’ordre symbolique culturel et l’inconscient symbolique
psychique 17 s’originent, pour lui, tous deux de la structure du langage
qui produit les signifiants, la définition lacanienne du signifiant
entretient la confusion entre signifiant de l’inconscient en place
d’insu et signifiant linguistique, support de la réalité sociale d’un
ordre symbolique garant de la stabilité et de la cohésion sociale à
travers un système permanent d’obligations et d’interdits, comme
autant de rappels à se tenir à la bonne place. La dualité d’une chaîne
signifiante productrice du symbolique, mais aussi organisatrice des
signifiés, c’est-à-dire du sens, ouvre sur une intersubjectivité dont les
quatre discours imagent le retour moïque, par ailleurs tant décrié, vis-
à-vis des tenants de l’égopsychologie. La parole singulière pleine
comme reconnaissance symbolique du signifiant est constitutive du
sujet mais se trouve rabattue sur un système de signification imagi-
naire moïque de la langue, parole vide, parole idiote, parole moïque.
Différente est la conception soutenue ici d’une parole non seulement
faite pour communiquer, pour s’adresser à l’autre, pour maintenir
l’autre à distance, mais concernant l’effectuation du désir. elle est
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alors une vectorisation qui sort l’acte de parole de sa fonction de
représentation et de nomination et, du coup, lui ôte toute efficacité
symbolique… La parole symbolique fait place à l’expression de la
réalité de l’inconscient comme réel. La fonction symbolique dans
cette conception échoit à la compétence de la langue. Le désir indes-
tructible, coextensif à l’acte de parole, devient anobjectal. Nul objet
au désir, le désir ne concerne donc pas la sphère sexuelle et n’émarge
donc pas au principe homéostatique du plaisir. Nous sommes loin de
16. J. Lacan, Le Séminaire, Livre II, l’objet cause du désir. en conclusion, « le langage n’est que symbo-
Le moi dans la théorie de Freud et lisme 18 ». sa propriété la plus manifeste est de se réaliser dans une
dans la technique de la psychanalyse, langue « maternelle » chez l’homme.
Paris, Le Seuil, 1978, p. 327.
17. M. Thiberge, « Ordre symbolique résumons-nous et concluons : si nous faisons nôtre l’hypothèse
culturel et fonction chaotique freudienne d’un appareil psychique et d’un inconscient, il n’y a plus
psychique », Bulletin de l’association d’adéquation entre la réalité et la langue. L’hypothèse freudienne d’un
ALTERS (www.alters.fr), n° 6, mai 2008.
appareil psychique différent d’un appareil mental aux effets purement
18. E. Benveniste, Problèmes de
linguistique générale, op. cit., p. 85. biologiques trouve ici tout son intérêt, dans la suite de Darwin. La
19. Cf. glossaire, site d’ALTERS, et langue peut être définie alors comme la dénaturation du langage, apti-
E. Benveniste, op. cit., p. 30 et 44. tude des êtres vivants à communiquer. en tant que langage articulé,
20. M. Thiberge, op.cit. lexical et syntaxique, la langue est un système de signes et de
21. M. Thiberge, Retour sur symboles arbitraires qui fait d’elle une institution sociale et humaine
les Institutions de la transmission, conventionnelle, relevant d’un ordre symbolique dont les lois de fonc-
site ALTERS. tionnement sémiotique et sémantique la différencient de l’expression
22. C. Darwin, De l’origine des espèces singulière de la parole. Par la langue, l’homme assimile la culture, la
au moyen de la sélection naturelle,
1859. Filiation de l’homme, 1871, perpétue et la transforme. Comme les langues, les cultures sont des
Institut Charles Darwin international. systèmes en perpétuel mouvement et se définissent par opposition

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Langage, langue et parole

les unes aux autres 19. Ce qui explique les luttes : chaque membre d’une institution ou d’un groupe,
– à l’intérieur des langues entre langages à ratio- sont différents de la parole singulière, laquelle a
nalité plus ou moins forte, mais limités à une une acception bien spécifique, par exemple dans
technicité précise, condition de leur efficacité ; la situation de la cure analytique et plus généra-
– entre langues différentes, où tout locuteur qui lement quand il y a transmission 21 : la parole est
n’est pas de la même langue maternelle est vite alors définie comme l’ensemble des signifiants
dévalorisé et souvent exclu, voire détruit 20. sans signification, hors langage, qui effractent la
langue. expression d’un penser inconscient (désir
C’est dire si le lien social non adressé à l’autre indestructible), elle s’oppose à la parole langa-
s’oppose aux relations réciproques de type fami- gière des effets de langue. Cette parole est stric-
lial, où il s’agit d’abord de s’assurer que l’on est tement informative, comme retour de la fonction
bien entre semblables. De même, il existe, à l’in- signifiante sur la réalité psychique du sujet
térieur de la même langue, différents dialectes parlant, et en même temps, hors de la réalité
garants d’une technicité et d’une identification à psychique, émettrice, non adressée, avec comme
l’objet d’une discipline : on ne parle pas dans le unique fonction de produire et d’actualiser du
bâtiment comme dans l’agriculture, le commerce, sujet, effet de signifiant par hypothèse. Le lieu
l’enseignement ou le travail social et ces micro- d’expression de cette parole est la réalité sociale.
langues culturelles développent des types diffé- Nous sommes là aux antipodes de théories
rents de rapports sociaux, chacune étant porteuse malheureusement souvent médiatisées, de
de son univers symbolique. Prenons l’exemple psychanalystes qui ont envahi la sphère culturelle
des institutions de santé : il existe un langage et la représentation sociale, symptômes d’une
propre aux médecins généralistes, différent de époque patriarcale depuis longtemps révolue
celui des spécialités à forte technicité, d’où mais qui ont promu la croyance dans la fonction
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souvent des rapports conflictuels. Que de tels paternelle comme propriété de la réalité
langages, surtout lorsqu’ils viennent d’autres psychique, sous ses différents oripeaux de méta-
champs comme l’informatique, la gestion ou le phore paternelle ou de nom du père.
management, entrent dans des luttes de pouvoir
avec la langue des professionnels de santé, c’est Les langues protègent ceux qui font apparte-
inévitable. Les professionnels ont alors le devoir nance. Très vite, les autres, les hors sein, les
de se constituer en collectif, non pas sur des étrangers, les différents, sont mis en position
revendications statutaires, mais pour élaborer d’exclusion, quand ils ne doivent pas être
une identité professionnelle de collectif de travail. détruits. La loi des plus forts par la sélection
C’est dire s’il est essentiel de mettre en place, naturelle a ici toute sa place 22. C’est dire si la
protection des plus faibles, comme l’expression
dans les institutions, des instances intermédiaires
élitiste des plus vivants, impose à une organisa-
qui permettent une parole singulière nécessaire au
tion politique au service de la collectivité une
remaniement des systèmes d’énoncés de la
correction des inégalités ou des injustices, voire
langue à partir des missions et des fondamentaux
la reconnaissance de modes d’expression qui ne
institutionnels, culturels et administratifs.
trouvent pas de place dans un univers souvent
Quant à la parole, les effets de langue parlée, qui réduit à la loi des échanges. il y va de la cohésion
gèrent la bonne place et la bonne distance pour sociale d’une société.

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