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lundi
27.01.20
Analyse
Psychiatrie : gestion de la
violence ou violence
gestionnaire
Par Yannis Gansel
En mars 2018, ce même établissement avait déjà été l’objet d’une attention
médiatique, dans des circonstances quelques peu différentes. Plusieurs
professionnels avaient entamé une grève de la faim, pour mettre un terme
à la surpopulation des services et réclamer la création de postes de
soignants supplémentaires. Ce mouvement social et la réponse des
pouvoirs publics ont suscité des tensions locales. Une partie de
l’établissement jugeait que le cœur du problème était le manque de
ressources financières, l’autre critiquait le défaut d’organisation des
services et leurs valeurs professionnelles aujourd’hui dépassées.
Un diagnostic anthropologique de
la situation
Grâce aux savoirs cliniques, les institutions françaises n’ont cessé de
s’interroger depuis cinquante ans sur leur violence. Elles ont produit une
critique de leur pouvoir et un souci très personnalisé de l’enfant. Mais la
façon dont le problème a été posé initialement par cette tradition clinique
n’a pu que très difficilement prendre en considération les nouvelles valeurs
dominant l’action publique contemporaine : l’autonomie individuelle et le
traitement ambulatoire.
Les savoirs cliniques sortent ainsi peu à peu des murs de l’asile et
pénètrent le champs de la rééducation, de la justice des mineurs et de la
À partir des années 1980, ils ne sont plus la propriété exclusive des
cliniciens. Ils forment peu à peu la grammaire avec laquelle les institutions
parlent de leur travail, analysent leurs limites et œuvrent à corriger leurs
écarts. Les professionnels identifient comment les enfants « rejouent leur
problématique » dans l’institution. Les moments les plus banals et la vie
quotidienne deviennent un moyen d’action thérapeutique : jardiner, faire
un trajet en voiture, cuisiner un plat pour le groupe aident le jeune
délinquant à « faire un travail » ou l’enfant perturbé à s’approprier son
histoire. Ainsi se forme l’idée que le lieu de vie et « les murs soignent ».
Les services de soins à domicile sont préférés aux hôpitaux de jour pour
enfants autistes. Les placements externalisés apparaissent comme des
Bien que les jugeant « souffrant mais pas particulièrement malades », les
psychiatres se voient parfois eux-mêmes contraints d’y accueillir ces
jeunes « qui se font rejeter de partout ». Avec ces transformations, la
notion de contenance prend un sens nouveau et participe à donner une
légitimité à l’enfermement. L’idée que les « murs soignent » s’est
transformée, au début des années 2000 : la contrainte était devenu
thérapeutique.
Traitement
Ce sont ces éléments de déstabilisation culturelle profonde, combinés à la
longue évolution de rationnement et de rationalisation des dépenses
publiques pour l’enfance, qui ont conduits à des situations telles que celles
des enfants à l’hôpital du Rouvray. Les professionnels « de première
ligne », éducateurs spécialisés, moniteurs, infirmiers se battent, au risque
de leur vie, pour défendre un modèle de protection faisant « asile » aux
jeunes les plus difficiles. Pourtant, leurs discours et leurs pratiques sont
devenus inaudibles face à la montée d’un modèle responsabilisant et
valorisant l’autonomie.
Enfin, le plus grand défi qui s’offre pour la décennie à venir aux
institutions pour l’enfance est celui d’intégrer les usagers dans leurs
instances de pouvoir. Historiquement, nombres d’institutions pour
l’enfance se sont construites sur une disqualification des familles.
Yannis Gansel
Psychiatre et Anthropologue