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Psychiatrie : gestion de la violence ou violence gestionnaire | AOC media - Analyse Opinion Critique 04/02/2020 07'09

lundi
27.01.20
Analyse

Psychiatrie : gestion de la
violence ou violence
gestionnaire
Par Yannis Gansel

Comment comprendre que dans un même établissement, l’hôpital


psychiatrique du Rouvray, les professionnels fassent une grève de la
faim pour assurer les conditions d’un accueil humain des malades,
tout en étant mis en cause pour leur usage de la contrainte et les
privations de liberté qu’ils imposent aux enfants ? Les sciences
sociales apportent un peu de clarté sur la crise des institutions
françaises pour l’enfance, dont le système de régulation de la
violence s’est enrayé.

L’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen, fut à deux reprises au


cœur de l’attention médiatique au cours des 18 derniers mois. Comme
souvent, la dernière actualité est plus présente dans les mémoires que la
première. Il faut les rapprocher. La lecture révèle alors une situation bien
énigmatique.

L’événement le plus récent date du 26 novembre 2019. Ce jour, une


instance de surveillance publique des Droits individuels et du respect des
conventions internationales, le Contrôleur général des lieux de privation
de liberté, émettait une alerte sur l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près
de Rouen.

Constatant des « violations graves des droits fondamentaux », cette


instance dénonçait les conditions d’accueil très dégradées des patients,
reçus dans des unités surpeuplées, parfois enfermés dans des chambres
d’isolement équipées d’un simple seau hygiénique. Mais le Contrôleur
mettait également en cause les pratiques des professionnels, peu
respectueuses des droits et de l’autonomie des malades : privation
systématique de la liberté de se déplacer ou de choisir ses vêtements,
mesures de contraintes utilisées sans contrôle, de manière abusive et
banalisée. Les patients ne recevaient pas d’informations suffisantes sur
leurs recours possibles. Le sort des « enfants », âgés de 12 ans et plus,
faisait l’objet d’un point spécifique des rapporteurs. Ils dénonçaient leur
placement en unité pour adultes, l’exposition à des menaces de la part des
autres malades et l’utilisation de mesures d’isolement contraignantes.

En mars 2018, ce même établissement avait déjà été l’objet d’une attention
médiatique, dans des circonstances quelques peu différentes. Plusieurs
professionnels avaient entamé une grève de la faim, pour mettre un terme
à la surpopulation des services et réclamer la création de postes de
soignants supplémentaires. Ce mouvement social et la réponse des
pouvoirs publics ont suscité des tensions locales. Une partie de
l’établissement jugeait que le cœur du problème était le manque de
ressources financières, l’autre critiquait le défaut d’organisation des
services et leurs valeurs professionnelles aujourd’hui dépassées.

À cet égard, le cas particulier de l’hôpital du Rouvray illustre parfaitement


la « crise » des institutions françaises pour l’enfance. S’y opposent deux
lignes de lecture : celle de la pénurie de moyens et celle du défaut de

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management. Pourtant ce qui est critique est ici particulièrement illisible.


Les agents institutionnels semblent dévoués à la protection de leurs
usagers au point de mettre en jeu leur vie par une grève de la faim. Mais
dans le même temps, ils sont désignés comme des détenteurs abusifs d’un
pouvoir de contrainte peu régulé, dépersonnalisant et archaïque.

Le contexte ne rend lisible qu’une partie de la réalité en amplifiant


singulièrement l’intolérance à la « violence institutionnelle ». Le trentième
anniversaire de la Déclaration internationale des droits de l’enfant
élaborée en 1989 nous a donné plusieurs échos de la « crise » des
institutions françaises pour l’enfance. Justice des mineurs, services
médico-sociaux destinés au handicap, dispositifs pédopsychiatriques et
établissements de la protection de l’enfance ont été passés au crible du
Défenseur des droits qui les a jugées « violentes à l’égard des enfants ».
Le rapport, publié le 18 novembre, s’ouvre par une définition de la
violence institutionnelle proposée en 1982 par le psychiatre Stanislaw
Tomkiewicz.

Tout au long de ses 101 pages, l’autorité publique indépendante signale


différentes formes de violence. Des enfants placés dans le cadre d’une
mesure de protection de l’enfance manquent de sécurité affective. L’usage
de la force dans les lieux d’enfermement psychiatriques et judiciaires est
trop fréquent et mal encadré. Les enfants sont excessivement considérés
comme des « objets » de l’intervention par les professionnels. Face à ces
problèmes, le Défenseur des droits avance un liste de recommandations,
visant entre autre à « contenir sans violence ».

Un diagnostic anthropologique de
la situation
Grâce aux savoirs cliniques, les institutions françaises n’ont cessé de
s’interroger depuis cinquante ans sur leur violence. Elles ont produit une
critique de leur pouvoir et un souci très personnalisé de l’enfant. Mais la
façon dont le problème a été posé initialement par cette tradition clinique
n’a pu que très difficilement prendre en considération les nouvelles valeurs
dominant l’action publique contemporaine : l’autonomie individuelle et le
traitement ambulatoire.

Dans les années 1960, Tomkiewicz (1925-2003) fut une figure


emblématique d’un mouvement critique qui prend le nom de
psychothérapie institutionnelle. Il a fait partie d’un groupe de cliniciens,
psychiatres et psychologues, qui se sont efforcés d’identifier et de porter à
la connaissance collective la violence des institutions pour la jeunesse.
Influencés par la psychanalyse et marqués par l’expérience
concentrationnaire nazie, ces cliniciens ont poursuivi un mouvement
d’ouverture des espaces de réclusion débuté entre les deux guerres. La
« des-institutionnalisation » désigne alors un idéal, celui du traitement « en
milieu ouvert » sans contrainte ni châtiment corporel.

Ces cliniciens utilisent des concepts relatifs au contre-transfert pour


repérer la violence institutionnelle. Selon leur élaboration, les
professionnels sont animés par les mouvements inconscients que suscitent
chez eux les enfants accueillis. Ils risquent de ce fait de développer des
contre-attitudes violentes telles que l’agressivité, la séduction sexuelle ou
encore la négligence. Cette façon (clinique) de poser le problème de la
violence contient également une solution : la supervision psychanalytique.
Dans les foyers, les services d’hospitalisation ou les établissements
rééducatifs, les cliniciens œuvrent à développer des groupes d’analyse de
la pratique et des « réunions communautaires » associant jeunes et
professionnels, temps forts de la psychothérapie institutionnelle.

Les savoirs cliniques sortent ainsi peu à peu des murs de l’asile et
pénètrent le champs de la rééducation, de la justice des mineurs et de la

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protection de l’enfance. Ils offrent un outil de régulation des conduites


professionnelles et favorisent la création de collectifs de réflexivité au sein
des institutions publiques. Dans le cadre de l’Éducation surveillée pour les
jeunes délinquants ou encore dans les asiles psychiatriques, ces savoirs
« psy » rencontrent des acteurs affiliés au marxisme. Ceux-ci reprochent à
la psychanalyse de masquer les faits politiques et d’occulter la lutte des
classes. En dialogue avec ces contradicteurs, modelés largement par les
discours critiques contemporains de Michel Foucault ou d’Erving
Goffman, les savoirs cliniques se voient disputés, appropriés, contestés.

À partir des années 1980, ils ne sont plus la propriété exclusive des
cliniciens. Ils forment peu à peu la grammaire avec laquelle les institutions
parlent de leur travail, analysent leurs limites et œuvrent à corriger leurs
écarts. Les professionnels identifient comment les enfants « rejouent leur
problématique » dans l’institution. Les moments les plus banals et la vie
quotidienne deviennent un moyen d’action thérapeutique : jardiner, faire
un trajet en voiture, cuisiner un plat pour le groupe aident le jeune
délinquant à « faire un travail » ou l’enfant perturbé à s’approprier son
histoire. Ainsi se forme l’idée que le lieu de vie et « les murs soignent ».

C’est à cette période qu’émerge dans les pratiques institutionnelles le


concept de « contenance ». Citée par le Défenseur des droits dans son
récent rapport, cette notion a été initialement proposée par les
psychanalystes britanniques au début des années 1960. Elle servait alors à
décrire la disposition interne de la mère, nécessaire au développement
affectif harmonieux du très jeune enfant. À partir des années 1990, à
l’issue d’une série d’inflexions successives dans son usage, la contenance
en est arrivée à décrire des dispositifs concrets. Les psychologues et
psychiatres, mais également les rééducateurs et les travailleurs sociaux
explorent comment un foyer éducatif, une unité d’hospitalisation ou
encore un service de détention peuvent être contenants pour les enfants et
adolescents.

La contenance décrit une aptitude des professionnels à tolérer et apaiser la


tourmente émotionnelle de l’enfant. Au cours de réunions d’élaboration
clinique, souvent assistés par un psychologue ou un psychiatre, les
professionnels conçoivent ainsi un « projet contenant ». Ils coordonnent
un ensemble d’interventions, en les ajustant de très près au parcours
biographique de l’enfant. Ce maillage « sur mesure » cherche à assurer la
continuité des liens et « mettre au travail » la psychopathologie
personnelle que l’enfant projette sur ses accompagnants.

Depuis une quinzaine d’années pourtant, ce système critique semble


s’enrayer. Deux évolutions sont venues compromettre le modèle clinique
de régulation de la violence. La première est la place de plus en plus
prépondérante attribuée à l’autonomie de l’individu dans l’intervention
publique. Le « faire pour autrui » se transforme peu à peu en « faire avec
autrui ».

Le travail institutionnel vise à développer les capacités des individus à se


gouverner par eux-mêmes. L’« empowerment », terme initialement
descriptif servant une analyse politique, devient un slogan prescriptif en
vogue.

La responsabilisation va de pair avec cet accent mis sur l’autonomie


individuelle. Or si la valeur portée à l’individu est centrale pour les savoirs
cliniques, ceux-ci ont mis l’accent sur les déterminismes biographiques et
familiaux plutôt que sur les capacités. La seconde évolution est le « virage
ambulatoire », c’est-à-dire la préférence donnée aux actions
institutionnelles n’incluant pas un hébergement et si possible réalisées au
domicile de l’enfant. Les Instituts pour jeunes handicapés par leur troubles
du comportement ont fermé progressivement leurs internats puis se sont
intégrés aux écoles « ordinaires ».

Les services de soins à domicile sont préférés aux hôpitaux de jour pour
enfants autistes. Les placements externalisés apparaissent comme des

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alternatives intéressantes aux Maisons d’enfants. Cette délocalisation des


interventions met à mal le modèle issu de la psychothérapie
institutionnelle. Le groupe de soignants qui était le support de la thérapie
s’est défait avec la démultiplication des lieux d’intervention.

Ces évolutions sont intimement liées au recul de l’État social. L’action


publique se transfère de plus en plus vers la sphère privée et les familles.
Les dispositifs faisant appel à l’autonomie et évitant l’hébergement sont,
bien évidemment, moins onéreux que les institutions telles que
Tomkiewcz et les cliniciens des années 1970 les avaient connues. Mais ce
sont également des changements sociaux et culturels profonds qui sont ici
à l’œuvre.

Démunis pour les appréhender, les psy, et tout particulièrement certains


psychanalystes lacaniens, donnent un nouveau sens au terme de des-
institutionnalisation. Cette expression ne désigne plus l’ouverture de lieux
fermés et l’idéal d’un traitement dans la cité, mais plutôt le recul de
l’Institution dans son sens symbolique, reliant les individus et les
structurant par un Interdit fondamental. Ce déclin de l’Institution
exposerait la société au risque de la montée des individualismes et d’une
culture sans limite, recherchant la satisfaction immédiate.

Pour compenser la mise en péril moral de leur travail institutionnel, les


cliniciens soulignent la nécessité de protéger les populations les plus
dépendantes. Les adolescents dit « difficiles » sont exemplaires de cette
évolution. Alors que les établissements médico-sociaux ou éducatifs sont
devenus de plus en plus soucieux du respect de l’autonomie et de la
responsabilisation des jeunes, une population d’adolescents non conformes
à ces valeurs se crée.

Leur vulnérabilité, leur insoumission et leurs conduites dangereuses, mais


également leurs caractéristiques sociales ont contribué à créer une chaine
successive d’exclusion et les a placés en situation interstitielle, ni malades,
ni délinquants, ni cas sociaux. Pour ces cas « difficiles », se sont organisés
implicitement des lieux exerçant une contrainte parfois extrême, souvent
peu visible, tels que les Centres éducatifs fermés ou les unités
d’hospitalisation psychiatriques pour adolescents.

Bien que les jugeant « souffrant mais pas particulièrement malades », les
psychiatres se voient parfois eux-mêmes contraints d’y accueillir ces
jeunes « qui se font rejeter de partout ». Avec ces transformations, la
notion de contenance prend un sens nouveau et participe à donner une
légitimité à l’enfermement. L’idée que les « murs soignent » s’est
transformée, au début des années 2000 : la contrainte était devenu
thérapeutique.

Traitement
Ce sont ces éléments de déstabilisation culturelle profonde, combinés à la
longue évolution de rationnement et de rationalisation des dépenses
publiques pour l’enfance, qui ont conduits à des situations telles que celles
des enfants à l’hôpital du Rouvray. Les professionnels « de première
ligne », éducateurs spécialisés, moniteurs, infirmiers se battent, au risque
de leur vie, pour défendre un modèle de protection faisant « asile » aux
jeunes les plus difficiles. Pourtant, leurs discours et leurs pratiques sont
devenus inaudibles face à la montée d’un modèle responsabilisant et
valorisant l’autonomie.

Trois propositions pourraient aider à une sortie de crise et un


réaménagement de l’autocritique institutionnelle. Tout d’abord, il semble
nécessaire de bien prendre la mesure que, si l’hébergement recule,
l’institution n’a jamais été aussi présente dans la vie des individus. Dans le
cas des adolescents difficiles, l’agenda bien rempli, sans « trous » dans la
prise en charge, est venu remplacer l’institution dépersonnalisante décrite

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par Goffman, avec ses crânes rasés et ses uniformes.

De nouvelles formes de « totalisation » du traitement apparaissent avec la


personnalisation du « projet contenant ». Elles appellent de nouvelles
formes de critiques. La surveillance des libertés individuelle ne doit pas
passer que par le contrôle, nécessaire mais trop convenu, des lieux de
réclusion.

Ensuite, il est nécessaire de maintenir la tradition délibérative et le travail


collectif de réflexivité introduit par les cliniciens. L’enjeu est de la
métisser avec les outils managériaux et statistiques. Les accompagnants du
quotidien ont assimilé ces outils à leur utilisation par le pouvoir
administratif qui n’a cessé d’enfler dans les hôpitaux, les services médico-
sociaux ou les établissements éducatifs. Or, ces outils permettent
d’expliciter les missions sécuritaires attribuées à certains lieux. Ils offrent
des moyens de mise en relation avec des réseaux transnationaux et
procèdent, eux aussi, d’une régulation critique du travail.

Enfin, le plus grand défi qui s’offre pour la décennie à venir aux
institutions pour l’enfance est celui d’intégrer les usagers dans leurs
instances de pouvoir. Historiquement, nombres d’institutions pour
l’enfance se sont construites sur une disqualification des familles.

Comment soutenir et faire entendre les collectifs, peu nombreux, de


parents d’enfants placés ou délinquants ? Là où une partie des familles
d’autistes a pu se faire entendre, nombre d’usagers plus défavorisés
socialement restent silencieux.

NDLR : Yannis Gansel a publié il y a quelques mois Vulnérables ou


dangereux ? Une anthropologie des adolescents difficiles aux éditions de
l’ENS.

Yannis Gansel
Psychiatre et Anthropologue

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