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Psychother. Psychosom.

20 : 28-43 (1947)

Psychothérapie et modifications dans les institutions


psychiatriques

P. C. R acamier

Abstract. Institutional psychiatry is walking nowadays through a developmental


crisis concerning its methods as well as its basic concepts. The individual and col­
lective psychotherapy and chiefly the psychoanalysis is often regarded as a model,
but in the institutional field, psychoanalysis actually represents a model of know­
ledge, not of pratice; institutional methods of care have to get their own specificity.
The author of this report, after having stressed some elementary yet often for­
gotten matters of fact, proposes some guiding principles for institutional therapy.
What may be called the institutional care of patients is distinguished from the
specific treatments employed in psychiatry. A basic and non-manifest model of the
illness, the patient and the inter-human relationship is always guiding the whole
organization of psychiatric care; this model has to be clearly specified and examined.
One must objectively scrutinize the very nature of every changement in every
institutional organism, knowing that the contrary of an institutional illness is not
sanity but actually an other kind of illness.

Introduction

Des courants profonds sont de nos jours en train de modifier de


manière irréversible toute la pratique institutionnelle et thérapeutique en
psychiatrie. Ces courants ont pris l’ampleur d’une véritable crise d’évo­
lution, comparable à ce titre aux moments critiques du développement
d’une personnalité. La psychiatrie institutionnelle nous semble en train
de faire son adolescence. Si nous la regardons dans son ensemble, nous
voyons des énergies considérables se dépenser dans des directions
diverses, sans que le sens du mouvement soit toujours sensible à ceux
mêmes qui le font; nous voyons le refus total des formules tradition­
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nelles côtoyer le refus non moins total du moindre changement réel. La


psychiatrie institutionnelle s’interroge sur son sens et sur son identité
même puisqu’elle se cherche non seulement de nouveaux concepts opé­
rationnels, mais parfois de nouvelles dénominations.
Il peut assurément nous paraître satisfaisant que la psychiatrie d’au­
jourd’hui soit en somme aussi jeune, mais sa crise de développement
actuelle nous fait impérieusement nécessité de comprendre et si possible
d’orienter cette évolution.
Au demeurant, voilà plus de vingt ans que l’évolution réformatrice a
débuté dans nos pays, et s’il nous était donné aujourd’hui de voir ce que
nos institutions seront devenues dans vingt ans, nous n’y reconnaîtrions
guère ce que nous avons connu. J’ose espérer qu’on y reconnaîtrait l’ap­
plication des principes que les recherches actuelles commencent à
dégager. Ces principes sont importants à connaître.
Les temps où la science psychiatrique s’ordonnait comme un jardin
stérile, où la pratique psychiatrique se contentait d’un étiquetage sauva­
gement contemplatif, où les hôpitaux fermés rassemblaient aux jardins
zoologiques de jadis, ces temps sont heureusement révolus. Mais dans le
tournant de leur destin les institutions rencontrent un certain vide
conceptuel. Certaines lectures et certaines observations donnent à penser
que le domaine institutionnel, naguère le plus borné qui soit, devient
parfois le refuge de l’expérimentation sauvage, des religions psychologi­
ques, et de ceux qui aiment à parler avant de penser, commenter avant
de lire et affirmer avant de savoir.
On sait aujourd’hui que les institutions, comme les civilisations, sont
mortelles, on sait qu’elles peuvent nuire, on va jusqu’à se demander s’il
ne vaudrait pas mieux les tuer. Et pourtant les malades, bien qu’ils
sachent rarement le dire, nous attendent avec l’énorme fardeau de leur
souffrance psychique.
Dans ce dilemme, on entend invoquer le nom de la psychothérapie,
mais c’est souvent comme une vague et vaine divinité, un slogan plutôt
qu’une technique élaborée.
On se tourne même vers la psychanalyse. Et cela d’autant plus que
d’authentiques psychanalystes se sont, ces dernières années, intéressés
aux problèmes institutionnels après s’être intéressés individuellement aux
psychotiques. Cet appel à la psychanalyse a quelque chose de naïf ou de
perfide quand il en attend quelque recette magique. La psychanalyse ne
livre pas de technique directement applicable dans le champ institu­
tionnel. Mais elle nous donne un incomparable instrument de connais-
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sance, grâce auquel de nouvelles voies peuvent être ouvertes et préci­


sées.
Quelques vérités rappelées

Dans l’embarras qui est le nôtre, il ne sera pas superflu de rappeler


d’abord quelques vérités essentielles; car leur évidence n’a pas toujours
empêché qu’on les oublie.
(1) L’avènement, d’ailleurs très progressif, de la psychothérapie a
joué, joue et jouera un rôle prédominant dans les modifications impri­
mées aux institutions psychiatriques. Ce rôle, elle le joue et le jouera
dans l’exacte mesure où elle nous permet de mieux connaître les méca­
nismes intimes des psychoses, c’est-à-dire de mieux connaître nos
malades et de mieux comprendre les relations intrasubjectives étabües
en eux et les relations intersubjectives qui s’établissent avec eux.
(2) Les connaissances gagnées au contact psychothérapique des
malades constituent beaucoup plus que des notions ajoutées aux
connaissances antérieures. En fait, elles modifient profondément notre
façon de concevoir et d’éprouver tant les malades que nous mêmes, et
nos rapports avec eux. On le sait, mais je le répète, la perspective psy­
chothérapique n’est pas un simple additif à la pratique psychiatrique,
elle constitue en réalité une transformation de l’optique psychiatrique.
Toutefois la peur du changement ferme les yeux de certains à cette évi­
dence incontestable.
(3) Aux yeux de beaucoup, la psychanalyse constitue le modèle fon­
damental de la compréhension des processus psychotiques. Elle est le
modèle fondamental car elle permet, seule, d’intégrer les différentes
dimensions du fonctionnement psychique. Il est facile de démontrer, par
exemple, que la négligence du point de vue économique, dont la psycha­
nalyse ne manque jamais de tenir compte, conduit à des erreurs ou des
impasses qui prennent à l’échelle institutionnelle de lourdes consé­
quences. Toutefois, la prévalence théorique du modèle psychanalytique
ne nous autorise ni à porter un regard de dédain sur les expériences
conduites par des collègues non analystes; ni à oublier que dans le
domaine institutionnel la théorie psychanalytique n’est pas toujours suf­
fisante ou suffisamment étendue; ni que l’apport est réciproque, c’est-à-
dire que la théorie psychanalytique peut, elle aussi, bénéficier des obser­
vations institutionnelles, dont certaines présentent un caractère privilégié
et quasi expérimental. Toutefois, les psychiatres restent nombreux qui ne
sont nullement disposés à considérer la psychanalyse comme une science
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conductrice et ne veulent y voir qu'une discipline annexe; et réciproque­


ment, les psychanalystes ne sont pas tous disposés à admettre que leur
science puisse tirer profit de l’expérience institutionnelle.
De toutes façons nous devons savoir distinguer deux champs
connexes, mais différents: celui de la technique psychanalytique, et celui
de l’application du savoir psychanalytique; la première répond à des
indications qu’elle définit dans des situations qu’elle définit, tandis qu’il
n’est pratiquement rien des actions psychiatriques institutionnelles qui
puissent en droit se soustraire au second.
(4) Pour une large part, ce que nous comprenons aujourd’hui des
processus institutionnels dérive de l’observation des malades et de nos
propres réactions dans la situation privilégiée de la relation psychanaly­
tique ou psychothérapique approfondie. C’est ainsi que les phénomènes
de projection, de scission, de découpage, d’identification projective,
d’identification, de besoin de toute-puissance, etc. - phénomènes jouant
un rôle important au sein des organismes institutionnels - ont d’abord
été connus dans les traitements psychanalytiques. Mais il n’en va pas
pour autant que le maniement institutionnel doive se calquer sur la tech­
nique psychanalytique; toutefois, l’application d’un même savoir à des
situations différentes ne laisse pas de poser de gros problèmes et
d’entraîner quelques méprises, que la réalité vient régulièrement sanc­
tionner. Une des erreurs commises consiste à concevoir ce qui s’appelle
parfois psychothérapie institutionnelle comme un processus psychanaly­
tique diffus: il n’en peut résulter que des confusions.
(5) Nous ne devons toutefois pas oublier que dans le mouvement
moderne de rénovation et de transformation des institutions psychiatri­
ques, la préoccupation psychanalytique n’apparaît ni comme le seul
moteur, ni même comme le principal. Le mouvement le plus massif a
été motivé par la dramatique décrépitude atteinte dans nos pays pourtant
civilisés, par la plupart des organismes psychiatriques hospitaliers et par
la pratique asilaire elle-même. La prise de conscience de cet état de
choses a commencé chez les psychiatres et elle a entraîné deux sortes de
conséquences. La première a été l’étude et l’analyse psychosociodyna-
mique des mécanismes institutionnels, à commencer par les plus patho­
logiques, dont les milieux asilaires fournissaient à l’observateur des illus­
trations quasi expérimentales; cette conséquence est heureuse, notre
science commençant souvent par celle de la pathologie, mais elle ne
constitue qu’un début.
L’autre conséquence a consisté en un ardent mouvement de réaction
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contre le monde asilaire aliénant, pathogène et inhumain. Ce mouve­


ment de réaction a donc présenté un double aspect, thérapeutique et
humanitaire, et un troisième aspect, politique, s’y est naturellement
associé. Des efforts de rénovation, qualifiés de psychothérapiques, ont
découlé de ce mouvement. Suivant le destin de toutes les réactions, ce
mouvement se porte aux antipodes de tout ce qu’il entend éviter. Il faut
toutefois remarquer ici que le contraire d’une maladie n’est pas la santé,
mais une autre maladie. Il en résulte qu’après avoir souffert de maladie
asilaire, nos institutions souffrent parfois de maladies anti-asilaires.
(6) Il n’est pas rare qu’un écart plus ou moins large vienne à séparer
les connaissances scientifiques de leurs applications techniques. En psy­
chiatrie institutionnelle cet écart a pris des proportions alarmantes. Si
d’une part, nous pouvons considérer comme remarquables les progrès
effectués depuis deux à trois décennies dans la compréhension des
malades dits mentaux, d’un autre côté les conceptions, les techniques et
les appareils institutionnels n’ont en général pas encore beaucoup
changé. La pratique institutionnelle s’en trouve marquée par une
sérieuse dysharmonie évolutive, quand ce n’est pas par des contradic­
tions flagrantes; lorsque des conceptions neuves œuvrent dans des
structures vétustes ou quand des structures nouvelles sont catapultées
sans conceptualisation suffisante, l’échec dans ces deux cas vient natu­
rellement sanctionner les efforts les plus méritoires. Or, si l’échec d'un
traitement individuel est regrettable, mais limité, c’est une quantité de
malades et aussi de soignants qui font les frais des échecs institutionnels;
on sait toutefois que les échecs aussi portent leur enseignement, pourvu
qu’on veuille bien l’écouter.
(7) Le fondement et la clé de toute transformation et de toute réno­
vation en matière de psychiatrie institutionnelle résident bien évidem­
ment dans la connaissance des processus institutionnels. Par processus
institutionnels nous entendons les interactions dynamiques et les organi­
sations structurales qui s’établissent au sein des institutions de soins,
étant entendu que le terme d’institution, en psychiatrie, ne doit pas être
réservé aux seuls organismes hospitaliers, mais qu’il s'applique à toute
forme déterminée d’organisation soignante de caractère collectif destinée
à recevoir des malades. Plusieurs sources d’observations contribuent à la
connaissance des processus institutionnels; l’observation psychanalytique
des malades et l’étude des institutions malades, deux sources déjà citées,
doivent être élargies à l’observation des groupes et à l’étude psychoso-
ciodynamique des collectivités, sans tenir compte uniquement des
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malades, et sans surestimer abusivement mais sans non plus nier l’exis­
tence des courants pathologiques.
Il n’est donc pas de politique institutionnelle cohérente qui ne s’ap­
puie sur la connaissance et le maniement des processus institutionnels.
Toutefois, peu de travaux se sont jusqu’à présent consacrés d’une
manière objective à l’étude de ces processus.
De là vient qu’en matière institutionnelle la croyance tient souvent
lieu de connaissance, l’activisme ou l’idéalisme de technique, et ce que
l’on croit faire est parfois pris pour ce qu’on fait réellement. De plus,
nos possibilités dépendent, il faut le dire, du prix que la collectivité est
disposée à payer pour le traitement des malades .
Ce prix n’est pas seulement financier. Il se compte aussi en connais­
sance ou en reconnaissance et en responsabilités. Le malheur de nos ins­
titutions tient pour une grande part à ce que nous, psychiatres, soyons
avec nos collaborateurs les seules personnes intéressées vraiment,
quand nous le sommes, au traitement et au soin des malades mentaux.
On démontrerait sans peine que ni les représentants de la collectivité, ni
les familles, ni enfin les malades ne désirent vraiment la guérison. Et
c’est peut-être pour cette raison qu’assez souvent la prétendue guérison
leur est présentée sous des formes qui n’ont rien de désirable.
Finalement c’est nous qui désirons pour tout le monde, et à la place
des intéressés. Or, ce que la pratique psychothérapique nous enseigne
sur la politique institutionnelle, c’est à rendre leur responsabilité à tous
les intéressés, avec le moyen de l’exercer. Des expériences institution­
nelles récentes, d’inspiration psychothérapique, ont précisément montré
que les malades eux-mêmes peuvent pour eux bien plus qu’on ne voulait
croire; que, convenablement orientés, les soignants se montrent cent fois
meilleurs qu’on ne pensait; que les parents eux-mêmes modifient leur attitude
profonde pourvu qu’on leur en offre la possibilité pratique et psychologique.
Ce qui jadis était tenu pour impossible et par suite pour interdit se
révèle de nos jours réalisable, grâce au changement de perspective
ouvert par une meilleure connaissance des malades. C’est pourquoi il est
peut-être permis d’espérer, pour l’avenir, des institutions meilleures.

Eléments de pratique et thérapeutique institutionnelles

Après ces propositions générales, nous allons envisager plus directe­


ment comment le point de vue psychothérapique peut orienter la pra­
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tique institutionnelle; dans le cadre restreint d’un rapport introductif, il


nous faudra nous en tenir aux perspectives sans pouvoir entrer dans le
détail des techniques1.
(1) Autrefois, quand on avait dit qu'un malade mental est malade, on
croyait avoir tout dit. Quand on l’avait rangé à l’asile, on croyait avoir
tout fait. Nous savons maintenant que les malades ont payé très cher ces
raccourcis abusifs. Certains veulent nous dire aujourd’hui que la folie ne
renvoie qu’à l’idée que s’en fait le psychiatre, ou la société; que les
malades seraient heureux s’ils étaient seulement laissés libres de l’être; et
enfin, qu’ils ne seraient pas malades si les institutions sociales ou les ins­
titutions tout court ne les y forçaient pas. Il n’est vraiment pas sûr que
nos progrès et nos malades bénéficient de ces caricatures nouvelles des­
tinées à remplacer des caricatures anciennes.
En revanche, il faut complètement reconsidérer à la fois le but et la
raison d’être des institutions, dont la nature, on le sait, se diversifie de
plus en plus. Si l’on se rapporte à l’organisation des structures psychoti­
ques, on pourra s’apercevoir que la «nécessité institutionnelle» provient
du fait que certains malades ne tiennent pas ou ne tiennent plus en leurs
propres mains l’ensemble conflictuel des données de leur vie psychique.
Celle-ci n’est plus que partiellement à eux, ils renoncent à l’héberger
tout entière, à la contenir. L’indésirable en eux est très activement
expulsé au dehors par les mécanismes projectifs, jusqu’à n’être plus
représenté que par des éléments extérieurs. De là proviennent les phéno­
mènes que j’ai appelés d’inscription microsociologique de la personnalité

1 Pour plus d’approfondissements et plus de détails on pourra se rapporter à


l’ouvrage suivant: R acamier, P. C.; D iatkine, R.; L ebovici, S.; P aumelle, P h . et
Bequart, P.; C arretier , L.; F errarf.si-T accani, S. et M asson, D.: Le psychanalyste
sans divan, pp. 424 (Payot, Paris 1970).
Cet ouvrage consacré aux différents problèmes institutionnels du point de vue
psychanalytique comprend une large revue bibliographique jusqu’en fin 1969, des
documents de clinique et de technique institutionnelles, et des exposés théoriques
du point de vue psychanalytique et du point de vue institutionnel. Il est donc lui-
même une source de références. Depuis sa publciation ont paru quelques travaux,
dont le «Psychiatre, son <fou> et la Psychanalyse», de M. M annoni, et «L’institu­
tion en négation», de F. Basaglia, qui sont intéressants à titre documentaire.
Concernant les applications au maniement psychologique des familles, on
pourra se référer aussi au travail de l’auteur de ce rapport, avec L. C arretier et
S. F erraresi-T accani, sur: «L’approche des familles dans l’expérience institution­
nelle psychothérapique». (Rapport au Symposium organisé par le Groupe milanais
pour le développement de la psychothérapie, à Vietri sul Mare, 1967, à paraître
dans l’Information psychiatrique, Déc. 1971.)
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et des manifestations psychotiques. Le sens de l’identité personnelle est


abandonné et dangereusement remis entre les mains d’autrui, qui se fait
rarement faute d’en abuser. Bref, en schématisant, nous constatons que
le psychotique, afin d’éliminer une conflictualité très étendue et profon­
dément angoissante, remet à autrui toute une partie de ses pouvoirs et
de sa réalité propres.
Ces faits, quels qu’en soient les détails et les mécanismes, fondent la
nécessité institutionnelle et ils la fondent sur une base ambiguë. Sa
conflictualité propre et naturelle étant déniée par le patient, c’est à nous
et à nos institutions qu’il revient tout d’abord de l’assumer afin de la
restituer au sujet même.
Le fait est que tout psychotique tend à placer ceux qui l’approchent
dans une position conflictuelle. Les institutions elles-mêmes sont donc
placées dans des positions conflictuelles. Elles sont des organismes
conflictuels. On en pourrait fournir les exemples les plus divers. Mais,
cette conflictualité, il est assez rare à ma connaissance que les institu­
tions la supportent, l’assument, et se donnent le moyen de la résoudre,
plus souvent elles cherchent elles aussi à l’éviter, à l’éliminer, par des
procédés divers faisant intervenir surtout la projection et la toute-
puissance.
Il est en particulier deux moyens pour une institution d’éliminer la
conflictualité qui l’assaille: l’un consiste à écraser les malades, et les soi­
gnants avec eux, sous un appareil étouffant, c’est la formule asilaire;
l’autre consiste à tenir que la psychose n’est que le produit des facteurs
sociaux, c’est la formule inverse. Dans les deux formules, l’institution est
prise pour un réceptacle maternel omnipotent, entièrement mauvais ou
entièrement bon.
Toutes deux se rejoignent dans le même absolutisme, dans la même
dénégation de l’originalité du fait psychotique, dans la même méconnais­
sance de la réalité psychique, et dans la même ignorance de la souf­
france psychique; car on oublie trop souvent que la psychose est non pas
seulement une collection de symptômes, non pas seulement un rôle,
non pas seulement une défaite ou une création, non pas seulement une
protection, mais d’abord une souffrance.
(2) Une question pratique immédiate est celle des rapports entre la
psychothérapie et l’institution. Ils peuvent s’envisager sous plusieurs
aspects. D’un côté, en effet, l’on étudiera l’influence que la pratique
psychothérapeutique exerce sur le fonctionnement institutionnel. Une
telle influence passe par une prise de conscience, à travers les cures
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individuelles, des diverses distorsions de l’organisme institutionnel. C’est


pourquoi j’ai pu dire, il y a longtemps déjà, qu’une seule cure psycho­
thérapique entreprise chez un malade est susceptible indirectement de
remettre en cause, et de modifier, de proche en proche, toute la struc­
ture collective où se trouve inséré le patient. On ne doit pas s’imaginer
toutefois que cette modification va de soi; certaines institutions, au
contraire, s’adjoignent une spécialité psychothérapique et des psychana­
lystes thérapeutes sans changer en rien leur propre organisation ni leur
façon habituelle de traiter - ou de ne pas traiter - les patients; l’expé­
rience montre, dans ces cas où la psychothérapie de certains patients est
conçue et reçue comme une sorte d’appendice, qu’elle se heurte à des
difficultés insurmontables; et les exemples sont nombreux de cures qui
sont involontairement stérilisées, contrebattues et finalement découra­
gées par le milieu institutionnel, tout comme il en est qui sont mises en
échec par le milieu familial, et pour des motifs tout à fait similaires et
tout aussi redoutables. A cet égard, certains responsables d’institutions
de soins n’ont rien à envier à certaines mères de psychotiques.
Dans de tels cas la psychothérapie psychanalytique tient lieu dans
l’institution, quand celle-ci semble l’accepter, de pur et simple ornement.
Elle ne modifie rien de substantiel ni dans l’institution, ni même chez les
malades. Ce n’est par conséquent que lorsqu’elle le veut bien et qu’elle
en est capable qu’une institution de soins peut indirectement faire son
profit des traitements psychanalytiques effectués auprès de certains de
ses patients.
A cet égard, il convient de remarquer que certains patients, tout
comme ils savent toucher et révéler à leur insu les failles contre-transfé­
rentielles de l’analyste, se comportent involontairement aussi, chacun dans
son domaine, comme des révélateurs des distorsions institutionnelles.
Encore faut-il savoir écouter leur discours latent au-delà de leur discours
manifeste.
Inversement, la question se pose des services que la cure psychothé­
rapeutique de certains patients attend, ou peut attendre, du milieu insti­
tutionnel. Il est incontestable que le processus psychothérapique est tout
à fait faussé lorsque dans l’institution les relations avec le malade sont
excessivement mauvaises ou, au contraire, excessivement bonnes; ou
plus généralement quand l’optique institutionnelle est sans rapport avec
les perspectives psychothérapiques ou même, au contraire, trop étroite­
ment calquée sur l’image que l’on se fait de la relation psychanalytique:
il n’y a plus de psychanalyse et il n’y a plus de psychothérapie quand
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elle est partout; il n’y en a pas non plus quand toute la vie quotidienne
s’inscrit en rupture effective, complète et consommée avec le temps des
séances. Il est d’ailleurs intéressant de retrouver dans ces deux situa­
tions, assez connues, la consécratisation des processus de confusion sym­
biotique ou, au contraire, de clivage radical que nous voyons opérer
dans le psychisme des malades eux-mêmes.
En fait, cette façon, tout juste évoquée, d’examiner les rapports réci­
proques et dialectiques des cures psychothérapiques proprement dites et
de l’action institutionnelle, est commode et clarifiante, mais aussi elle est
quelque peu artificielle. Elle l’est d’autant plus qu'une psychothérapie en
bonne et due forme ne saurait être la seule thérapeutique en usage dans
un milieu institutionnel, qui ne saurait à son tour être modelé dans la
seule perspective de soutenir cette méthode. De plus, les problèmes que
nous avons évoqués trouveront ensemble des solutions naturelles, sous
une condition qui va bientôt nous apparaître.
(3) La raison pour laquelle notre distinction, commode, est peut-être
superflue est la suivante: chacun de nous individuellement se crée une
conception de chaque patient pris individuellement. Mais par deçà les
particularités individuelles, nous regardons nos patients à travers les
linéaments d’une image ou d’un modèle de base de l’individu humain,
et du rapport interhumain.
Ce modèle originaire est le plus souvent latent, non manifeste, en
tout cas c’est celui qui prévaut quand il existe un modèle manifeste qui
le contredit. Au niveau collectif, celui d’une institution, il existe aussi un
modèle originaire (et parfois plusieurs à la fois, qui se contredisent au
lieu de se différencier). Le plus souvent ce modèle collectif est tiré du
modèle personnel du ou des leaders effectifs de l’institution.
L’important, c’est ce que ce modèle détermine inévitablement et à la
fois: la façon dont tout malade sera regardé, ce qu’on verra de lui et ce
qu’on ne voudra pas voir, ce qu’on lui accordera et ce qu’on lui déniera,
la pente qu’on imprimera aux relations vécues avec lui, la place qu’on
lui assignera ou qu’on lui contestera, la fonction qui sera dévolue à l’ins­
titution, l’organisation relationnelle de ladite institution, sa structure
administrative et hiérarchique, son système de communication et d’auto­
rité, son rapport avec le milieu social, etc. Toutes ces dimensions sont
toujours étroitement corrélatives, elles forment ensemble un système
structuré. J’ai naguère illustré cette loi par l’étude, relativement simple,
du «système» neuroleptique, considéré comme un système et non
comme une simple technique, mais je ne peux ici développer cette
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démonstration dont le principal caractère est d’exemple. Le fait impor­


tant reste qu’il existe un rapport des plus étroit entre le modèle origi­
naire et le système institutionnel. Et quant à l’ouverture psychothéra­
pique, elle n’est possible ou n’est effective que lorsque le modèle origi­
naire commandant le système institutionnel est en rapport de congruité
avec le modèle qui est pris pour base de tout rapport de nature psycho­
thérapique. S’il en est ainsi, et si les implications pratiques de ce modèle
originaire sont poussées dans tous les aspects du fonctionnement institu­
tionnel, alors, et alors seulement, on peut considérer que l’institution est
réellement ouverte à la psychothérapie.
Quand en revanche, il n’en est pas ainsi, quelles que soient au
demeurant les apparences, les prétentions et les appendices, toute psy­
chothérapie est fondamentalement dérisoire, à quelque niveau et sous
quelque forme que ce soit.
Certains verront peut-être de l’impérialisme dans cette affirmation
qui me semble pourtant traduire une évidence naturelle. Mais là ne se
borne pas l’étendue du regard «psychothérapique».
Lorsque, dans une perspective qui se montre très féconde, on étudie
corrélativement les processus psychotiques et les processus institution­
nels, on ne manque pas d’apercevoir des recoupements dont la mise à
jour éclaire singulièrement la pratique institutionnelle. On connaît bien
tout le parti que l’on peut tirer de l’observation simultanée des méca­
nismes de scission et de projection scissionnelle qui sont à l’œuvre chez
les schizophrènes, et des phénomènes cachés de scissions institution­
nelles; on sait aussi que, selon les cas, l’institution par sa réponse aidera
le malade à poser, si ce n’est à résoudre, sa question, ou bien au
contraire l’ancrera dans une confusion croissante.
Mais un éclairage de cette sorte peut se diriger vers bien d’autres
processus importants. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion d’étudier, du
double point de vue individuel et institutionnel, les processus de division
de l’espace du dedans et de l’espace du dehors, qui jouent un si grand
rôle, pour le meilleur ou pour le pire, dans la dynamique et l’économie
des psychoses et des organismes institutionnels. On peut en dire tout
autant des processus de médiation.
Qu’il s’agisse de scission, de division en Dehors et Dedans, de média­
tion, ou de tout ce qui reste à étudier dans ce domaine, les mêmes parti­
cularités affectent ces différents processus; nous les trouvons à l’œuvre
dans les institutions comme chez les malades, ils sont inévitables, ils
peuvent aller, je l’ai dit, vers le meilleur ou vers le pire. La chance va-
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t-elle seule décider de leur destin, auquel celui des malades est lié?
Certes pas; ce qui en décidera, c’est notre connaissance ou notre igno­
rance de ces processus, de leur dynamisme, de leur économie et par
conséquent de leur maîtrise. Je n’ai pas encore constaté que l’ignorance
psychanalytique de cette conquête patiente constitue un atout quel­
conque.
(4) Ne serait-ce que pour éviter certaines confusions que j’ai déjà
signalées, il me paraît commode et juste de distinguer dans le traitement
des malades institutionnalisés le plan de la thérapeutique et le plan du
soin. Qu’elle soit clinique, psychanalytique ou autre, une thérapeutique
présente un caractère spécifique, et comporte à la fois des indications et
une technique codifiées. Le soin, terme que l’on peut préférer à celui de
«prise en charge», le soin est du ressort principal de l’institution, il
présente un caractère plus diffus, s’étale plus largement dans le temps
comme dans l’espace, puisque d’une part il peut aller jusqu’à couvrir 24
heures par jour de la vie d’un sujet, et que d’autre part il s’adresse aussi
bien à son corps qu’à son entourage familial et institutionnel.
Cette remarque nous conduit d’ailleurs à signaler deux déviations ris­
quant d’affecter le soin; celui-ci peut en effet pêcher soit par défaut, soit
par excès: par défaut, si l’on néglige de prendre soin, en temps voulu,
du sujet dans son épaisseur corporelle, à travers son réseau relationnel,
et avec la continuité nécessaire; et par excès, si l’on ne cesse d’étendre
sur toute l’existence du patient une sorte de couverture qui, en le main­
tenant sous cloche, va perpétuer la psychose tout en la rendant plus
confortable. Il semble que si le grave défaut des structures de type asi­
laire est de ne pas vraiment prendre soin des malades, le défaut des ins­
titutions animées d’une volonté psychothérapique est, parfois, au
contraire de ne savoir établir de limite au soin des malades, et de les
surprotéger.
A moins d’être du pur et simple nursing ou du gardiennage, le soin
s’adresse évidemment au moi du malade. Mais qu’est-ce à dire? Ce
serait faire trop bon marché de tout ce qui distingue un malade d’un
autre, et le même d’un temps à l’autre de son évolution, que de donner
à cette question une réponse uniforme et simpliste.
Nous connaissons des cas, ceux des états confusionnels, délirants,
maniaques et mélancoliques aigus, où, le moi du patient cessant d’as­
sumer l’instinct de conservation de la vie, abandonnant aussi le moindre
égard pour les nécessités de la coexistence, nos soins doivent quasiment
consister à prendre le relais de ces fonctions abandonnées par le moi.
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En réalité, c’est ce que les institutions font depuis toujours, et la qualité


psychothérapique se manifestera dans la manière d’assumer cette tâche,
une manière personnalisée, qui s’efforce de se rendre assimilable, et de
rétablir le courant d’échanges avec le patient et à l’intérieur même de sa
personnalité, et, surtout, de raccorder l’action que l’on mène à ce qui
reste de fonctionnel dans le moi du patient afin d’en rétablir la conti­
nuité; bref, les regards sont fixés sur l’avenir en même temps que sur
l'immédiat. Il nous est impossible d’entrer ici dans les détails techniques,
mais il nous faut répondre à une objection. Certains penseront que la
«manière psychothérapique» ne constitue ici qu’un luxe inutile et peut-
être même une illusion; on pourrait toutefois démontrer qu’il n’en est
rien, et que le vécu ainsi que l’issue de la crise en sont profondément
améliorés.
Dans la plupart des autres cas, ceux des organisations psychotiques
au long cours, l’affaire devient encore plus complexe. Rappelons ici que,
d’une manière assurément schématique, les actions institutionnelles se
réduisent d’habitude à deux tendances, dont l’une consiste à considérer
le patient comme tout à fait fou, et l’autre à ne point le prendre pour
fou du tout; on reconnaîtra sans peine dans ces deux tendances respecti­
vement la politique auxilaire et la politique anti-psychiatrique. Comme je
l’ai déjà montré, l’une et l’autre sont fausses, ne tenant compte chacune
que d’une partie seulement de la réalité psychique du malade mental.
Il est beaucoup plus difficile pour une institution de tenir pratique­
ment et simultanément compte de tous les aspects du moi psychotique,
et ses pouvoirs comme de ses démissions. Ici, l’ensemble institutionnel
doit se faire le garant, Yincitateur, le représentant et le témoin des capa­
cités du moi des malades, capacités dont certaines sont actuelles et d’au­
tres seulement potentielles. Autant il est facile de faire le travail des
gens plutôt que de les mettre en condition de le faire eux-mêmes, autant
il est aisé de court-circuiter le moi des malades au lieu de le solliciter.
Or, le soin institutionnel, dans sa qualité psychothérapique, vise à com­
pléter ou solliciter le moi psychotique mais sans jamais l’exclure ni le
court-circuiter.
Ce but est général. Mais nous apercevons sans peine que le soin, dif­
férent en cela de la psychothérapie analytique proprement dite, se carac­
térise par le fait qu’il porte avant tout sur l’actualité vécue, qu'il s’inscrit
dans une réalité ambiante, dont la densité, voire même l’opacité propre,
ne saurait se réduire à des valeurs symboliques, et enfin qu’il comporte
une naturelle dimension collective. C’est pour cette raison, d’ailleurs,
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que les expériences de communauté thérapeutique se montrent d’ores et


déjà si prometteuses. Elles ont leurs propres techniques à préciser, qui,
si bien avisées qu’elles soient de s’inspirer des principes de la psychothé­
rapie collective, ne sauraient pas non plus s’y réduire purement et sim­
plement.
(5) Puisqu’il n’est pas possible ici d’entrer dans les détails techniques,
qu’il me soit permis toutefois d’effectuer quelques réserves. Quand il est
question de modification ou d’innovations dans les institutions, on
devrait s’efforcer de mesurer et de qualifer la profondeur de ces modi­
fications. Certaines, parfois spectaculaires, sont en réalité superficielles.
La psychothérapie est parfois confondue avec la pure et simple manipu­
lation des gens. La technique psychanalytique est parfois admise ou
tolérée sans que le régime institutionnel cesse pour autant d’être étouf­
fant. Il ne suffit pas de promouvoir des réunions collectives pour que
celles-ci aient réellement un caractère psychothérapique. L’abus des
termes psychanalytiques dissimule souvent l’ignorance des réalités psy­
chiques. Les desseins les plus spectaculaires ne sont pas toujours les
mieux fondés. En revanche, la réflexion psychologique ouvre souvent
des perspectives tout à fait neuves et fécondes sur des pratiques
anciennes, que parfois elle permet de préciser ou de transformer, que
d’autres fois elle rend inutiles; ou sur des attitudes, qui peuvent elles
aussi être transformées, rendues plus significatives ou plus cohérentes,
qui parfois aussi ont tout simplement à disparaître. Un bon exemple est
celui de l’attitude qu’il est bon d’adopter envers les productions déli­
rantes. Compte tenu de l’économie psychique, il est vrai que quand il
délire un malade effectue aussi un certain progrès intérieur, et que l’en
priver brutalement peut lui nuire; mais il ne semble pas que cette vérité,
connue depuis longtemps par la psychanalyse, mérite une philosophie
tapageuse. Nous avons appris déjà beaucoup de phénomènes et de tech­
niques, mais on ne connaît aucune recette universelle. Par ailleurs, il est
plus facile de savoir ce qu’il ne faut pas faire que d’inventer ce qu’il est
intelligent de faire; pourtant une institution devrait se réinventer tous les
matins.
L’imposition irréfléchie de certains principes prétendument psycho­
thérapiques, quand elle n’est pas vaine, peut se montrer désastreuse. Un
bon exemple est celui des limites et de la tolérance envers les patients.
Le régime asilaire impose des limites si étouffantes, la pression du
surmoi s’y montre si aveuglément écrasante, que par une référence,
d’ailleurs mal comprise, à la situation psychanalytique, on a parfois cru
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juste de ne proposer aux malades psychotiques aucune limite quelle


qu’elle soit, et d’imposer aux soignants une tolérance absolue. Il est
facile de prévoir - et l’expérience prouve - que ce système, poussé jus­
qu’à l’absurde, plonge les malades aussi bien que les soignants dans une
angoisse intolérable. Il est vrai que le surmoi psychotique est très diffé­
rent du surmoi névrotique, et ne demande pas les mêmes soins. Toute
communauté thérapeutique a donc des lois à se donner; mais celles-ci
doivent absolument être claires, explicites, motivées et intelligibles, et de
plus elles doivent être partagées par tous les membres, malades ou non,
de la communauté.
On attend beaucoup que la perspective psychothérapique modifie les
attitudes profondes des médecins et aussi des soignants face aux
malades, à leurs proches et aux problèmes qu’ils posent. En fait, cette
modification progressive est largement possible, sous quelques condi­
tions importantes. En premier lieu, ce n’est pas seulement l’attitude qui
change, c’est toute la perspective et toute l’organisation collective qui
doit changer en même temps; un seul changement, s’il est isolé, n’a pas
de sens, et peut au contraire constituer un corps étranger. En second
lieu, une équipe de soins ne peut évoluer favorablement que si l’on sait
respecter les étapes et le tempo de sa propre maturation, sans prétendre
les lui faire franchir toutes à la fois d’un seul bond. En troisième lieu,
l’économie psychique des membres et de l’ensemble de l’équipe doit être
constamment préservée, tout déficit prolongé de cette économie entraî­
nant inévitablement des glissements et dégradations d’attitude envers les
malades.
Il est évidemment impossible d'imposer à une équipe quelque attitude
que ce soit, si souhaitable qu’elle paraisse. De plus, l’abus d’interpréta­
tions, de la part de certains psychothérapeutes novices envers les soi­
gnants, est une pratique dangereuse qui n’appartient pas à la psychana­
lyse, mais relève d’une forme raffinée de terrorisme intellectuel. Auprès
de sujets, nos patients, qui se gouvernent par la terreur, il ne semble pas
satisfaisant que le psychiatre en fasse autant.

Conclusion

On a pu constater, chemin faisant, combien grande et lourde de


conséquences est la tendance de nos malades, et non pas seulement
d’eux mais de nous-mêmes, à ne voir qu’une face des réalités psychi­
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ques, à n’entretenir qu'une seule idée, à ne regarder que d’un œil. Il est
faux, nous le savons, que les psychotiques soient mentalement aveugles;
il est faux, doit-on le rappeler aujourd’hui, qu’ils y voient clair, ils ne
regardent pour ainsi dire que d’un œil. Si nous-mêmes et si nos institu­
tions en faisons autant, nous ne pourrons que crever les yeux de nos
patients sans même les élever au destin d’Œdipe, ou bien les laisser
oublier qu’ils ont deux yeux pour voir.
Tandis que la psychothérapie proprement dite consiste, en quelque
sorte, à lever les angoisses et les défenses bloquant nos malades dans
une vision monoculaire, la tâche des institutions est de montrer à voir
ce qui n’est pas vu, et de favoriser les conditions actuelles d’une vision
binoculaire. Pour celà, nous avons, nous, à garder nos yeux bien
ouverts.
S’il est une discipline que la pratique et la théorie de la psychothé­
rapie nous enseigne, c’est bien celle de la clairvoyance, patiente et tou­
jours progressive.
Que nos institutions soient parfois malades, on le sait, et nous
l’avons déjà dit. Malades, voire même infirmes, elles sont parfois cura­
bles, mais elles ne le sont pas toujours, et l’on ne peut que plaindre ceux
qui s’engagent dans le «traitement» d’institutions incurables. On aurait
d’ailleurs tort de croire que soigner les institutions, tâche nécessaire
même pour celles qui sont bien conçues, suffise à soigner les malades,
mais cela suffit à ne les pas aggraver, ce qui est déjà très appréciable.
Sachons aussi que par un paradoxe facile à comprendre, les plus fer­
mées des institutions, les plus obscures, les plus obtuses, les plus résis­
tantes à tout progrès, sont aussi les plus résistantes, celles qui ont la vie
la plus dure et tenace, tandis que les plus élaborées, les plus ouvertes,
les plus proches de la réalité des malades sont aussi les plus délicates.
Ne croyons donc pas que nos efforts puissent pour l’avenir nous pro­
mettre des solutions élémentaires. Mais il est vrai que dans l’organisme
humain le système nerveux est ce qu’il y a de plus complexe comme de
plus fragile. Toutefois personne, à ma connaissance, n’a jamais encore
prétendu qu’il valait mieux s’en passer.

Adresse de l’auteur: Dr P. C. R acamier, Verchamp, F-70 Louions les Forges


(France)
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