Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
20 : 28-43 (1947)
P. C. R acamier
Introduction
malades, et sans surestimer abusivement mais sans non plus nier l’exis
tence des courants pathologiques.
Il n’est donc pas de politique institutionnelle cohérente qui ne s’ap
puie sur la connaissance et le maniement des processus institutionnels.
Toutefois, peu de travaux se sont jusqu’à présent consacrés d’une
manière objective à l’étude de ces processus.
De là vient qu’en matière institutionnelle la croyance tient souvent
lieu de connaissance, l’activisme ou l’idéalisme de technique, et ce que
l’on croit faire est parfois pris pour ce qu’on fait réellement. De plus,
nos possibilités dépendent, il faut le dire, du prix que la collectivité est
disposée à payer pour le traitement des malades .
Ce prix n’est pas seulement financier. Il se compte aussi en connais
sance ou en reconnaissance et en responsabilités. Le malheur de nos ins
titutions tient pour une grande part à ce que nous, psychiatres, soyons
avec nos collaborateurs les seules personnes intéressées vraiment,
quand nous le sommes, au traitement et au soin des malades mentaux.
On démontrerait sans peine que ni les représentants de la collectivité, ni
les familles, ni enfin les malades ne désirent vraiment la guérison. Et
c’est peut-être pour cette raison qu’assez souvent la prétendue guérison
leur est présentée sous des formes qui n’ont rien de désirable.
Finalement c’est nous qui désirons pour tout le monde, et à la place
des intéressés. Or, ce que la pratique psychothérapique nous enseigne
sur la politique institutionnelle, c’est à rendre leur responsabilité à tous
les intéressés, avec le moyen de l’exercer. Des expériences institution
nelles récentes, d’inspiration psychothérapique, ont précisément montré
que les malades eux-mêmes peuvent pour eux bien plus qu’on ne voulait
croire; que, convenablement orientés, les soignants se montrent cent fois
meilleurs qu’on ne pensait; que les parents eux-mêmes modifient leur attitude
profonde pourvu qu’on leur en offre la possibilité pratique et psychologique.
Ce qui jadis était tenu pour impossible et par suite pour interdit se
révèle de nos jours réalisable, grâce au changement de perspective
ouvert par une meilleure connaissance des malades. C’est pourquoi il est
peut-être permis d’espérer, pour l’avenir, des institutions meilleures.
elle est partout; il n’y en a pas non plus quand toute la vie quotidienne
s’inscrit en rupture effective, complète et consommée avec le temps des
séances. Il est d’ailleurs intéressant de retrouver dans ces deux situa
tions, assez connues, la consécratisation des processus de confusion sym
biotique ou, au contraire, de clivage radical que nous voyons opérer
dans le psychisme des malades eux-mêmes.
En fait, cette façon, tout juste évoquée, d’examiner les rapports réci
proques et dialectiques des cures psychothérapiques proprement dites et
de l’action institutionnelle, est commode et clarifiante, mais aussi elle est
quelque peu artificielle. Elle l’est d’autant plus qu'une psychothérapie en
bonne et due forme ne saurait être la seule thérapeutique en usage dans
un milieu institutionnel, qui ne saurait à son tour être modelé dans la
seule perspective de soutenir cette méthode. De plus, les problèmes que
nous avons évoqués trouveront ensemble des solutions naturelles, sous
une condition qui va bientôt nous apparaître.
(3) La raison pour laquelle notre distinction, commode, est peut-être
superflue est la suivante: chacun de nous individuellement se crée une
conception de chaque patient pris individuellement. Mais par deçà les
particularités individuelles, nous regardons nos patients à travers les
linéaments d’une image ou d’un modèle de base de l’individu humain,
et du rapport interhumain.
Ce modèle originaire est le plus souvent latent, non manifeste, en
tout cas c’est celui qui prévaut quand il existe un modèle manifeste qui
le contredit. Au niveau collectif, celui d’une institution, il existe aussi un
modèle originaire (et parfois plusieurs à la fois, qui se contredisent au
lieu de se différencier). Le plus souvent ce modèle collectif est tiré du
modèle personnel du ou des leaders effectifs de l’institution.
L’important, c’est ce que ce modèle détermine inévitablement et à la
fois: la façon dont tout malade sera regardé, ce qu’on verra de lui et ce
qu’on ne voudra pas voir, ce qu’on lui accordera et ce qu’on lui déniera,
la pente qu’on imprimera aux relations vécues avec lui, la place qu’on
lui assignera ou qu’on lui contestera, la fonction qui sera dévolue à l’ins
titution, l’organisation relationnelle de ladite institution, sa structure
administrative et hiérarchique, son système de communication et d’auto
rité, son rapport avec le milieu social, etc. Toutes ces dimensions sont
toujours étroitement corrélatives, elles forment ensemble un système
structuré. J’ai naguère illustré cette loi par l’étude, relativement simple,
du «système» neuroleptique, considéré comme un système et non
comme une simple technique, mais je ne peux ici développer cette
137.73.144.138 - 3/7/2018 9:10:49 AM
King's College London
Downloaded by:
38 Racamier
t-elle seule décider de leur destin, auquel celui des malades est lié?
Certes pas; ce qui en décidera, c’est notre connaissance ou notre igno
rance de ces processus, de leur dynamisme, de leur économie et par
conséquent de leur maîtrise. Je n’ai pas encore constaté que l’ignorance
psychanalytique de cette conquête patiente constitue un atout quel
conque.
(4) Ne serait-ce que pour éviter certaines confusions que j’ai déjà
signalées, il me paraît commode et juste de distinguer dans le traitement
des malades institutionnalisés le plan de la thérapeutique et le plan du
soin. Qu’elle soit clinique, psychanalytique ou autre, une thérapeutique
présente un caractère spécifique, et comporte à la fois des indications et
une technique codifiées. Le soin, terme que l’on peut préférer à celui de
«prise en charge», le soin est du ressort principal de l’institution, il
présente un caractère plus diffus, s’étale plus largement dans le temps
comme dans l’espace, puisque d’une part il peut aller jusqu’à couvrir 24
heures par jour de la vie d’un sujet, et que d’autre part il s’adresse aussi
bien à son corps qu’à son entourage familial et institutionnel.
Cette remarque nous conduit d’ailleurs à signaler deux déviations ris
quant d’affecter le soin; celui-ci peut en effet pêcher soit par défaut, soit
par excès: par défaut, si l’on néglige de prendre soin, en temps voulu,
du sujet dans son épaisseur corporelle, à travers son réseau relationnel,
et avec la continuité nécessaire; et par excès, si l’on ne cesse d’étendre
sur toute l’existence du patient une sorte de couverture qui, en le main
tenant sous cloche, va perpétuer la psychose tout en la rendant plus
confortable. Il semble que si le grave défaut des structures de type asi
laire est de ne pas vraiment prendre soin des malades, le défaut des ins
titutions animées d’une volonté psychothérapique est, parfois, au
contraire de ne savoir établir de limite au soin des malades, et de les
surprotéger.
A moins d’être du pur et simple nursing ou du gardiennage, le soin
s’adresse évidemment au moi du malade. Mais qu’est-ce à dire? Ce
serait faire trop bon marché de tout ce qui distingue un malade d’un
autre, et le même d’un temps à l’autre de son évolution, que de donner
à cette question une réponse uniforme et simpliste.
Nous connaissons des cas, ceux des états confusionnels, délirants,
maniaques et mélancoliques aigus, où, le moi du patient cessant d’as
sumer l’instinct de conservation de la vie, abandonnant aussi le moindre
égard pour les nécessités de la coexistence, nos soins doivent quasiment
consister à prendre le relais de ces fonctions abandonnées par le moi.
137.73.144.138 - 3/7/2018 9:10:49 AM
King's College London
Downloaded by:
40 Racamier
Conclusion
ques, à n’entretenir qu'une seule idée, à ne regarder que d’un œil. Il est
faux, nous le savons, que les psychotiques soient mentalement aveugles;
il est faux, doit-on le rappeler aujourd’hui, qu’ils y voient clair, ils ne
regardent pour ainsi dire que d’un œil. Si nous-mêmes et si nos institu
tions en faisons autant, nous ne pourrons que crever les yeux de nos
patients sans même les élever au destin d’Œdipe, ou bien les laisser
oublier qu’ils ont deux yeux pour voir.
Tandis que la psychothérapie proprement dite consiste, en quelque
sorte, à lever les angoisses et les défenses bloquant nos malades dans
une vision monoculaire, la tâche des institutions est de montrer à voir
ce qui n’est pas vu, et de favoriser les conditions actuelles d’une vision
binoculaire. Pour celà, nous avons, nous, à garder nos yeux bien
ouverts.
S’il est une discipline que la pratique et la théorie de la psychothé
rapie nous enseigne, c’est bien celle de la clairvoyance, patiente et tou
jours progressive.
Que nos institutions soient parfois malades, on le sait, et nous
l’avons déjà dit. Malades, voire même infirmes, elles sont parfois cura
bles, mais elles ne le sont pas toujours, et l’on ne peut que plaindre ceux
qui s’engagent dans le «traitement» d’institutions incurables. On aurait
d’ailleurs tort de croire que soigner les institutions, tâche nécessaire
même pour celles qui sont bien conçues, suffise à soigner les malades,
mais cela suffit à ne les pas aggraver, ce qui est déjà très appréciable.
Sachons aussi que par un paradoxe facile à comprendre, les plus fer
mées des institutions, les plus obscures, les plus obtuses, les plus résis
tantes à tout progrès, sont aussi les plus résistantes, celles qui ont la vie
la plus dure et tenace, tandis que les plus élaborées, les plus ouvertes,
les plus proches de la réalité des malades sont aussi les plus délicates.
Ne croyons donc pas que nos efforts puissent pour l’avenir nous pro
mettre des solutions élémentaires. Mais il est vrai que dans l’organisme
humain le système nerveux est ce qu’il y a de plus complexe comme de
plus fragile. Toutefois personne, à ma connaissance, n’a jamais encore
prétendu qu’il valait mieux s’en passer.