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Clément Lucile. A l'école de la clarté : la dissertation française. In: Langue française, n°75, 1987. La clarté française. pp. 22-
35;
doi : 10.3406/lfr.1987.4663
http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1987_num_75_1_4663
A L'ÉCOLE DE LA CLARTÉ :
LA DISSERTATION FRANÇAISE
1. Nous reprenons à titre d'exemple les propos développés par Ph. Deschamps dans sa préface à
l'ouvrage de M. Dassonville (1960), p. XII-xill. Tous les manuels consultés s'étendent longuement sur la
question. Il est impossible de les citer tous; les deux exemples qui suivent, 0. Pecqueur (1961), p. 9, et
M.J. Borel (1984), p. 7, montrent à quel point les spécialistes s'accordent sur les objectifs principaux de
la dissertation :
1° « La dissertation réclame avant tout de la justesse dans les pensées, de la méthode dans le
développement, de la liaison et de la proportion entre les parties, de la clarté dans l'expression.
Elle proscrit particulièrement la prolixité, la futilité, l'abus d'une phraséologie creuse et banale,
l'absence de conviction et d'émotion.
2° Le contrôle du discours argumenté exige un effort critique : — la pratique naturelle est
spontanément floue et confuse, par manque d'attention au maniement des concepts - elle est
spontanément amalgamante faute d'analyse - elle est dogmatique, par défaut d'argumentation (...) le
contrôle se développe dans un sens normatif. »
22
de plus difficile », estime D. Huisman 2. R. Duřet 3 et D. Mornet 4 et quelques
autres consacrent même un chapitre entier de leurs ouvrages au problème
de l'interprétation de l'énoncé. Trop de mauvaises dissertations seraient
dues selon eux à une compréhension erronée, partiale ou partielle du
sujet. Les spécialistes expliquent le problème en ces termes :
23
naturelle, et se compléter les unes par les autres. Une fois le plan fait, les
idées trouvées et leur enchaînement bien établi, on écrira avec moins de
difficultés et d'efforts. »
« La clarté est une qualité fondamentale du style qui nous fait atteindre
directement et sans peine la pensée à travers les mots et les phrases. Elle
suppose surtout la correction, la propriété des termes sans l'abus des vocables
exotiques ou techniques, enfin la netteté dans l'arrangement des mots. »
24
La définition de cette notion pose d'évidents problèmes. Aussi, les auteurs
s'étendent-ils rarement sur le sujet, préférant laisser à d'autres le soin
d'élaborer un enseignement méthodique de l'art d'écrire 12. Néanmoins,
certains tentent d'apporter de plus amples informations en expliquant
avec force détails les défauts de l'obscurité 13 :
12. Certains ouvrages consultés sont consacrés à l'art de bien écrire; ils s'efforcent — parfois au
prix de nombreuses contradictions — de définir la clarté du style. Les auteurs de manuels de dissertation
sont en général plus prudents. S'ils parlent d'une clarté nécessaire dans ce type d'exercice, ils conviennent
de la difficulté qu'il y aurait à définir précisément cette notion. A. Chassang et Ch. Senninger (1972),
p. 22, s'expriment franchement en ces termes : « Le style demanderait un ouvrage spécial plutôt que
quelques conseils en passant et d'autre part il n'y a pas, en réalité, un style de la dissertation, le style
résultant plus que jamais ici, suivant la formule célèbre de Buffon, de " l'ordre et du mouvement qu'on
met dans ses pensées ", de même que D. Mornet (1934), p. 224, « Nous n'avons pas l'intention de donner
en détail un " art d'écrire ". »
13. Cf. С Lefèvre (1936), p. 182-183.
14. Cf. J. Gob (1950), p. 80 : « Le style est clair si le lecteur peut atteindre l'idée à travers les mots
et les phrases, sans effort. La clarté est donc une transparence du style (...) La clarté de La Fontaine et
de Voltaire est vraiment un plaisir pour l'esprit, une beauté du style. Et c'est un lieu commun que de
louer la clarté française. »
15. Cf. D. Mornet (1934), p. 224.
16. Cf. R. Duret (1947), p. 90.
25
Cette démarche n'est pas innocente : ils entendent masquer le manque
de précision qu'ils apportent à la définition du fond par un recours à la
forme, même si l'apport en ce domaine s'avère aussi peu précis. Nous
devons voir là le motif pour lequel, très souvent, les deux problèmes se
définissent partiellement l'un par l'autre : pas de bon fond sans bonne
forme et pas de bonne forme qui ne s'appuie sur un fond de qualité. La
clarté de l'un dépend donc de celle de l'autre, et vice versa. Aussi étonnant
que cela puisse paraître, les manuels consultés ne définissent pas tous la
dissertation, mais ceux qui le font renvoient toujours aux notions de
clarté et de logique. P. Desalmand et P. Tort, d'une part, 0. Pecqueur,
d'autre part, précisent ainsi n que :
« A. — Vieux
1. Discours ou écrit où sont développés, de façon ordonnée, des
arguments sur un sujet, un thème, ou une question scientifique.
B. - Usuel
1. [Dans les classes terminales du second cycle des lycées et dans les
universités] Exercice écrit, que l'on donne aux élèves ou aux étudiants, qui
consiste dans la discussion argumentée d'un sujet donné. »
26
On ne mentionne donc pas sous la rubrique « dissertation » un quelconque
problème de clarté de fond ou de forme. Mais si l'on considère le mot
« clarté » dans ces mêmes dictionnaires, il est toujours fait allusion à
l'écrit pour au moins une acception du terme. Le Littré 21 définit la clarté
en ces termes :
27
On peut dès lors remonter dans le temps jusqu'à Buffon et son Discours
sur le style 26 :
28
qui lui sont consacrés, les obscurités subsistent. En effet, si Ton examine
de plus près quelques manuels récents, on retrouve les mêmes
ambiguïtés 30 :
29
chances d'améliorer son raisonnement et son style, qui, dès lors,
deviendrait « clair » et « limpide » et faciliterait les relations humaines. Aussi
D. Vernaud et alii insistent-ils en ces termes 33 : « Soulignons enfin qu'on
n'apprend à composer qu'en écrivant des compositions, en se pliant à la
discipline de cet exercice de manière à maîtriser son expression pour
communiquer avec autrui. »
Encore faudrait-il pouvoir apprendre aux étudiants en quoi
précisément consistent cette « clarté » de raisonnement et cette « clarté » de
style. Les professeurs sont amenés à recourir à des pis-aller « rigueur de
la pensée » et « fluidité de la langue ». Et comment pourraient-ils faire
autrement lorsqu'ils n'ont aucune indication méthodologique précise?
B. Gicquel 34 a raison de souligner que les instructions officielles n'ont
pas voulu ni pu donner de règles absolues. « Les instructions ne se
contentent pas de déclarer qu'il n'y a pas de règles générales, elles
affirment qu'il ne saurait y en avoir. Si elles avaient cherché des règles,
elles en auraient certainement trouvé. Mais n'en voulant pas, elles ont
déclaré qu'il ne pouvait pas y en avoir. » Selon ce critique, ce n'était pas
seulement justifier à peu de frais leur absence, c'était élever la carence
méthodologique au rang d'un principe. Ce manque d'indications
méthodologiques peut être constaté aussi bien dans les programmes français
que dans les belges. Ceci n'est évidemment qu'une face du problème; il
en est une autre presque aussi importante : le temps fait défaut. Or,
comme chacun sait, la technique du raisonnement exige un long
apprentissage et beaucoup de patience de la part des enseignants et des enseignés,
ce qui fait dire à certains, dont B. Gicquel 35, que l'on est en droit de se
demander si « l'exercice de dissertation n'est pas un peu lourd par ses
exigences de disponibilité temporelle envers ceux qui le pratiquent et
ceux qui le corrigent. Cette lourdeur interdit d'en faire un nombre
suffisant pendant les mois de travail scolaire. Or, tout entraînement repose
sur une pratique fréquente et, dans le cas de la dissertation, celle-ci est
manifestement impossible. Sans doute obtiendrait-on de meilleurs
résultats dans cet exercice si l'on sériait les difficultés : la recherche des idées,
l'élaboration du plan, la rédaction. Il y a quelque raison de penser que
si les élèves dominaient séparément chacun de ces domaines, ils
n'éprouveraient pas de grandes difficultés à en faire la synthèse ». Il ne faut donc
pas s'étonner que l'exercice ait été si violemment remis en question. Il
semblait un jeu gratuit, superficiel et inutile. Comment pourrait-il en
être autrement? La pédagogie de jadis demandait aux élèves d'imiter les
Anciens, en s'imprégnant de leurs modes de raisonnement, et de
reproduire leur technique d'écriture... tout en faisant preuve d'un style
personnel 36. Si des ouvrages comme ceux de Pecqueur, d'Albalat ou de Baron
insistent bien sur l'importance du développement raisonné d'une pensée,
sur la logique de l'argumentation et sur l'élégance de la composition, à
aucun moment, ils ne donnent d'indications précises pour réaliser l'un
de ces points. Aucune méthode ne permet d'aboutir au résultat tant
convoité : la réalisation d'une bonne dissertation. Ces imprécisions
méthodologiques ont amené plus d'un critique à parler de récupération
politico-culturelle 37. Pour eux, la composition française ne serait pas
seulement un exercice scolaire, mais aussi une pratique idéologique. Son
histoire dépendrait de la mutation des valeurs culturelles. Son impact
aujourd'hui marquerait, au-delà de l'école, le système de l'écriture. Tout
type d'éducation s'inscrit bien évidemment dans un type de société et est
influencé par elle. Les exigences de l'enseignement varieront en fonction
de l'évolution de la société et des mentalités. A cet égard, il suffit de
consulter les programmes d'enseignement de la langue française en France
et en Belgique depuis un siècle. Toujours est-il que les choses semblent
avoir évolué. On aurait pu s'attendre à ce que la dissertation s'écroulât
sous tant de critiques. Il n'en est rien : elle est encore au programme et
bon nombre de professeurs tentent aujourd'hui d'en faire apprécier tous
les mérites par leurs élèves. C'est que, si la dissertation présente toujours
autant de difficultés, elle permet néanmoins de développer la capacité de
raisonnement et l'expression la plus adéquate de ce type de pensée. Nous
faisons ici allusion aux travaux de G. Genette 38 : la dissertation
s'apparente à une méthode d'analyse la plus objective possible. Elle rejette cet
aspect de jeu de rhétorique gratuit, qui était le sien hier, pour étudier
la littérature et non se soumettre à elle. Elle requiert donc une
argumentation progressive et un style précis. Reconnaissons cependant qu'il
s'agit là de principes, plus que de consignes méthodologiques, et de
théorie plus que de pratique... Les manuels contemporains sont d'ailleurs
aussi imprécis que ceux de jadis à propos de cette « clarté ». Le fait que
les correcteurs laissent plus de place à une pensée personnelle serait-il
le seul indice de changement?
Actuellement, quel est l'enseignant qui ne procède pas par à-coups
dans ses corrections? Quel est l'étudiant qui ne tâtonne pas péniblement
pour acquérir cette « méthodologie » de la dissertation? Comment
s'assurer objectivement que « les candidats savent argumenter, faire
progresser leur pensée suivant un ordre méthodique, étayer leurs convictions
d'exemples analysés », programme idéal de la dissertation défini par
A. Chassang et C. Senninger 39? Le problème fondamental n'est toujours
pas résolu et promet de ne pas l'être avant longtemps. En effet, quel
défaut reproche-t-on aujourd'hui aux étudiants, sinon un manque de
clarté dans le raisonnement et dans le style?
Peut-être faudrait-il trouver ailleurs une explication à ce problème
de la clarté en langue française :
(1979), p. 20-24.
39. Cf. A. Chassang et Ch. Senninger (1972), p. 6.
31
« De la définition de la langue, on peut déduire ses principales qualités.
Une langue bien faite a pour caractère essentiel d'être claire. Or, une langue
vraiment claire est celle qui exprime fidèlement, complètement la pensée
totale et concrète, c'est-à-dire non seulement l'idée pure, mais encore
l'énergie et le sentiment qui l'accompagnent.
La clarté suppose donc tout à la fois la précision qui rend nettement
l'élément intellectuel de la pensée, Vénergie pour exprimer la vigueur du
mouvement et de la volonté, le pathétique pour reproduire la chaleur du
sentiment et de la passion. Ces qualités en supposent, elles-mêmes, plusieurs
autres qui en sont la condition, à savoir la richesse du vocabulaire, la
sonorité harmonieuse, une certaine analogie entre la nuance ainsi que
l'allure de la pensée et la nuance ainsi que l'allure tant des mots que de la
phrase. Le génie d'une langue, dans ce qu'il a de définissable, n'est rien
d'autre que l'ensemble des caractères distinctifs de son lexique et de sa
grammaire. »
32
jamais que confirmer une habile politique expansionniste de la France.
Quand F. Brunot 44 affirme que :
Aussi n'est-il pas étonnant que la clarté devienne dès le XVIIIe siècle le
principe fondamental de la langue et du style. La clarté s'identifiera
rapidement avec la netteté et deviendra synonyme de justesse 46. Or, la
« clarté » n'est pas définie en tant que telle. Dans son ouvrage consacré
à Г Histoire de la clarté française — ses origines — son évolution — sa valeur,
D. Mornet 47 explique que, dès le XVIIe siècle, « il s'agit d'écrire
clairement et non plus " régulièrement ", selon le " bon usage " ou les "
bienséances ". Ou plutôt règles, bon usage et bienséances étaient des mots
assez vagues et ployables en plusieurs sens. On s'est proposé d'en rendre
raison; cette raison est qu'ils sont des moyens pour atteindre la clarté ».
Ce principe de clarté deviendra rapidement un principe d'enseignement.
Il servira de base à l'élaboration de ces Rhétoriques qui seront d'un si
grand usage et qui auront une telle influence, au XVIIIe siècle, dans les
Collèges.
44. Cf. F. Brunot (1966-1972), vol. VI, 2' partie, p. 145.
45. Rivarol (§ 31-38-66), cité par F. Brunot (1966-1972), vol. VIII, p. 852-853.
46. Cf. F. Brunot (1966-1972), vol. VI, p. 2013. F. Brunot souligne à plusieurs reprises (p. 1023) que
la clarté fut considérée comme la qualité maîtresse de la langue française dès le XVIIIe siècle, malgré
quelques timides réactions :
« Clarté! Clarté! Ce mot avait été le cri des réformateurs depuis les premières années du XVIIe siècle,
c'est le seul peut-être qui n'ait jamais été discuté. Il avait dirigé les travaux des théoriciens de
la langue avec la même autorité qu'il s'était fait accepter aux esprits. Rivarol consacrait la
doctrine de Vaugelas, quand il émettait son fameux axiome : " Ce qui n'est pas clair n'est pas
français. " Le xviii' siècle, qui raisonna de tout, ne pouvait en effet manquer de garder cet idéal
de clarté qui convenait
i-. .i si bien
. à • son génie
l'ii/*et à ses ■ besoins. i.(...) De partout des voix
."îi* s'élèvent
'■*-"£■"
.
33
L'enseignement n'a fait que perpétuer cette tradition pour aboutir
à la « crise du français » que l'enseignement a connue dans la première
décennie du XXe siècle 48. Mais cette crise de l'enseignement ne revient-
elle pas à intervalles réguliers? Jusqu'à ce jour, aucune méthode
d'apprentissage de la dissertation n'a pu s'imposer. En l'occurrence, nous ne
sommes pas plus précis que par le passé. Si les auteurs de manuels
contemporains comme A. Chassang et C. Senninger font moins souvent
référence à cette notion de « clarté » qui n'a jamais pu être précisée, le
problème reste cependant entier. Au moins a-t-on aujourd'hui le mérite
d'en reconnaître l'existence et le désir de lui trouver une solution. Elle
consisterait à élaborer une méthodologie précise à l'intention des
enseignants chargés du cours de dissertation. Nous avons rapidement montré
à quel point cette méthodologie a toujours fait défaut et combien les
spécialistes déplorent la carence des programmes scolaires en la matière.
Les étudiants devraient être progressivement préparés à cette technique,
ce qui permettrait de sérier les différents problèmes qui restent
d'actualité. Il n'est évidemment pas possible d'aborder et de résoudre toutes ces
questions dans les limites d'un article. Les difficultés posées par l'exercice
de dissertation méritent d'être analysées tour à tour avant d'envisager
l'élaboration d'une théorie plus générale de l'écrit dans l'enseignement
secondaire et supérieur.
BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie qui suit n'est pas exhaustive. Elle se limite à citer les ouvrages les plus souvent
consultés pour la préparation de cet article.
Je tiens à remercier tout spécialement M. A. Mingelgriin, ainsi que M"1' A. Jabé et M. Th. Gergely pour
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