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L’ANOREXIE DANS LE DERNIER ENSEIGNEMENT DE LACAN

Domenico Cosenza

L'École de la Cause freudienne | « La Cause Du Désir »

2012/2 N° 81 | pages 104 à 111


ISSN 2258-8051

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ISBN 9782905040787
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2012-2-page-104.htm
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Pour citer cet article :


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Domenico Cosenza, « L’anorexie dans le dernier enseignement de Lacan », La
Cause Du Désir 2012/2 (N° 81), p. 104-111.
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L’anorexie dans le dernier


enseignement de Lacan
Domenico Cosenza

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Lacan et l’anorexie mentale : les raisons d’un rapport spécial

Tout au long de son enseignement, Lacan a fait référence à l’anorexie mentale.


Même à de nombreuses années de distance de l’ultime référence, chaque retour sur la
question était pour lui l’occasion d’enseigner quelque chose en plus quant au statut de
l’inconscient1. Nous l’avons souligné amplement pour les périodes classiques de son
œuvre où sont avancées des thèses sur l’anorexie qui ont fait école. Celles-ci permettent
de dégager trois paradigmes différents2.
Le premier, que l’on trouve dans « Les complexes familiaux… » de 19383, avant le
tournant structuraliste des années cinquante, situe l’anorexie mentale – avec les toxico-
manies et les névroses gastriques – comme une fixation au stade oral le plus précoce de
la libido et comme un refus du sevrage qui fait retour pour le sujet sur un mode régressif
au moment du tournant de la puberté. Lacan introduit d’emblée un principe
anti-évolutif, qu’il nomme aussi « appétit de mort », au cœur d’une conception psycho-
génétique du développement psychique, affranchissant ainsi l’inconscient et la libido de
toute tentative de normalisation universalisante et de toute forme de naturalisme psycho-
biologique.
Le second paradigme, au cœur de la phase structuraliste de Lacan, correspond aux
Séminaires IV et V et à l’écrit « La direction de la cure »4 de 1958. Il fait de l’anorexie
mentale un exemple clinique paradigmatique de l’irréductibilité du désir au besoin.
Lacan y dégage la fonction symbolique de l’inconscient et son irréductibilité au registre
de l’imaginaire, pointant deux versants – par certains aspects antinomiques – de l’anorexie

Domenico Cosenza est psychanalyste, membre de la SLP [La Scuola Lacaniana di Psicoanalisi del Campo Freudiano].
1. Ce texte est paru dans la revue La Psicoanalisi, n° 50, décembre 2011. Antonio Di Ciaccia a eu la gentillesse de bien
vouloir nous l’indiquer pour cette rubrique « Lacan dans le monde ». Traduit de l’italien par Anicette Sangnier, relu
et édité par Jeanne Joucla avec le concours de Victoria Paz.
2. Cf. Cosenza D., Il muro dell’anoressia, Astrolabio, Roma, 2008.
3. Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 23-84.
4. Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 585-645.

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mentale et de la pratique qui en constitue pour lui l’essence, à savoir « manger rien ».
L’objet rien a ici la fonction d’incarner un objet purement symbolique, un signifiant
pur, signifiant de l’irréductibilité du désir aux objets du besoin et de la jouissance.
D’une part, donc, le versant héroïco-séparatif de la question : la jeune anorexique est
prête à mourir de faim plutôt que de courir le risque que son désir soit confondu avec la
satisfaction de ses besoins par qui prend soin d’elle. Risque constamment présent pour son
Autre familial qui confond les soins avec le don de son amour. Son corps, au risque d’en
mourir, se présente ainsi comme un appel à l’Autre afin que celui-ci rectifie sa position et
puisse lui donner son manque. D’autre part, un second versant qu’Éric Laurent nomme
l’« anorexie d’aliénation »5, et qui concerne l’anorexie mentale en tant que dévitalisation

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de la pensée du sujet, déconnexion entre savoir et désir, impossibilité pour le sujet de
reconnaître une idée comme sienne, comme dans le cas célèbre de « l’homme aux cervelles
fraîches ». Tout le savoir est ainsi intégralement comblé par l’Autre et le sujet ne peut y
trouver place, aliéné par la pensée constante de n’être qu’un stérile plagiaire. L’acting out
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est une issue symptomatique que le sujet peut alors trouver : à peine sorti de sa séance,
aller devant un restaurant et chercher dans le menu les cervelles fraîches.
Nous pourrions dire, en nous tenant fermement à la distinction proposée par
É. Laurent, que sur le premier versant, le sujet anorexique, par le fait de manger rien,
préserve sa propre énonciation, marquant son irréductibilité aux énoncés contenus dans
la demande de l’Autre – anorexie de séparation. Tandis que sur le second versant, c’est
le contraire qui advient : le sujet perd son énonciation ne trouvant rien d’autre que les
énoncés de l’Autre – anorexie d’aliénation.
Le troisième paradigme, que l’on trouve dans le Séminaire XI, est construit par Lacan
dans la tension entre deux positions. D’un côté la position de l’enfant anorexique qui
mange le rien. L’objet rien devient alors un objet réel, objet a au statut spécial. Lacan
donne là l’exemple clinique de ce qui est la clé des Séminaires X et XI : montrer au cœur
de l’inconscient la présence d’un noyau réel, incarné par l’objet a, irréductible au champ
de l’Autre, inconscient structuré comme un langage. De l’autre, la position anorexique
comme mise en acte dans le réel de la menace de séparation. Le sujet incarne, dans son
corps, pour l’Autre parental, la question : « Peut-il me perdre ? », en tentant d’ouvrir un
manque dans l’Autre. Ainsi, dans ce Séminaire, l’anorexie mentale s’inscrit-elle dans une
tension entre une position de jouissance sans Autre, incarnée par le « manger rien » de
l’enfant – pratique pure de jouissance hors signifiant –, et une provocation dialectique
à l’attention de l’Autre visant à produire en lui un manque, à travers l’angoisse de mort.

Le paradigme du refus du savoir du Séminaire XXI

Le passage le plus radical de Lacan sur l’anorexique, et jusqu’à présent le moins mis
en valeur, se situe dans un Séminaire de son dernier enseignement, plus précisément
dans la leçon du 9 avril 1974 du Séminaire XXI, « Les non-dupes errent ».
5. Cf. Miller J.-A., Laurent É., « L’orientation lacanienne. L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique », enseigne-
ment prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 21 mai 1997, inédit.

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Il s’agit d’une référence qui se situe après le tournant du Séminaire XX, Encore, que
Jacques-Alain Miller définit d’une formule efficace dans « Les six paradigmes de la jouis-
sance » comme « Le séminaire des non-rapports »6. La formule de Lacan « il n’y a pas de
rapport sexuel », déjà élaborée dans les séminaires précédents et en particulier dans le
Séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, atteint là un degré d’articula-
tion inédit avec la construction d’une théorie de la féminité fondée sur une doctrine diffé-
rentielle de la jouissance, prenant appui sur la logique des « formules de la sexuation ».
Dans le Séminaire XX, Lacan définit la position féminine quant à la jouissance comme
une position entre deux jouissances irréductibles l’une à l’autre. La première relève de la
« jouissance phallique ». Structurée à partir des lois du signifiant et de la castration

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symbolique, elle trouve dans le signifiant phallique son point de coordination. Elle se
décline en deux positions différentes pour l’homme et la femme : pour l’homme, il s’agit
de l’avoir et pour la femme, de l’être pour l’homme. La position de l’homme envers la
femme dans la jouissance phallique est fétichiste : il cherche dans le corps de la femme
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cette part de lui-même élevée jusqu’à incarner l’objet cause de son désir. La position de
la femme vis-à-vis de l’homme dans la jouissance phallique est érotomaniaque : être
aimée par l’homme, c’est là sa jouissance. Dans la perspective de la jouissance phallique
il n’y a donc pas de rapport sexuel, au sens où les jouissances de l’homme et de la femme
ne convergent pas en une synthèse unitaire mais restent structurellement disjointes
– même si dans l’acte sexuel la rencontre entre les corps se produit et que la jouissance
pour l’un comme pour l’autre se vérifie dans cette rencontre. En dépit de la médiation
phallique et de la recherche dans le corps et la parole de l’Autre de ce qui manque au sujet,
l’expérience réelle de jouissance s’avère essentiellement solitaire. La seconde possibilité de
jouissance, propre à la position féminine (ce qui ne signifie pas dans l’absolu qu’un
homme ne puisse l’éprouver) est constituée de ce que Lacan appelle « l’Autre jouissance »
et qui se caractérise par un rapport direct avec celle-ci, non médiatisé par la castration
ni par le signifiant phallique. C’est une jouissance sans limite, non mesurable ni quan-
tifiable, non localisable – comme c’est le cas de la jouissance phallique – et qui se mani-
feste comme dépossession, ravissement, totale perte de maîtrise. Elle affecte in primis le
corps comme substance jouissante. Lacan en indique l’exemple paradigmatique dans
l’expérience du rapport à Dieu dont témoignent les mystiques7.
Immédiatement après le Séminaire Encore, qui révolutionne sa théorie de la féminité
et de la jouissance, le retour de Lacan sur la question de l’anorexie s’avère donc essentiel
pour nous. Avant tout parce que l’anorexie touche le plus souvent les sujets féminins :
les recherches épidémiologiques de ces dernières années, au niveau international, établis-
sent un rapport entre hommes et femmes de un à dix, malgré l’augmentation de cas
masculins. Après Encore, il devient ainsi possible de nous essayer à penser plus radicale-
ment pourquoi l’anorexie se rencontre le plus souvent sur le versant féminin, au-delà

6. Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne, n° 43, octobre 1999, p. 25.
7. Ceci n’empêche pas pour Lacan que des hommes puissent occuper une telle position féminine de jouissance, ainsi
saint Jean de la Croix, comme en atteste la recherche d’Erminia Macola dans son article « Primo accadere », La
Psicoanalisi, n° 50, 2011.

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des réponses insatisfaisantes données à cette question par l’approche sociologique ou des
mass-média, qui se contentent de dénoncer la place centrale accordée à la maigreur du
corps féminin dans le discours social contemporain.

Le statut du savoir chez le sujet anorexique

Dans notre travail, l’hypothèse que nous chercherons à vérifier cliniquement est de
savoir s’il est possible de trouver plus fréquemment dans l’anorexie mentale un défaut
d’inscription symbolique du sujet féminin. C’est ce défaut qui affecte la jouissance dans
le registre phallique, laissant à la fille comme unique expérience possible le sans-limite

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de l’Autre jouissance, dégradée sous la forme d’une pathologie contemporaine de l’accès au
féminin8 qu’est, parmi d’autres, l’anorexie. S’il est vrai qu’à l’époque contemporaine, l’an-
crage au père et au signifiant phallique s’est relâché pour les deux sexes, conduisant à la
crise des fonctions symboliques – parade masculine et mascarade féminine – il semble
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cependant que les femmes soient de nos jours plus exposées aux effets du désarrimage
phallique qui conduit à l’accroissement des troubles du registre anorexie-boulimie. Ceci
ne doit cependant pas nous conduire à négliger l’importance d’une étude psychanalytique
de l’anorexie masculine qui est, bien qu’occasionnelle, la plus ancienne référence de
Lacan au thème de l’anorexie9.
Le contexte du Séminaire XXI, où Lacan se réfère une nouvelle fois à l’anorexie,
concerne une question qui est depuis toujours au cœur de son interrogation : le statut du
savoir chez le sujet anorexique. Dans ce contexte cependant, la question du savoir est
radicalement repensée par rapport à la conceptualisation classique qui la réduisait à la
structure entièrement symbolique de la chaîne signifiante. Dans le développement plus
tardif de l’enseignement de Lacan, le savoir est jouissance10 et son essence pour la psycha-
nalyse est savoir en abîme11. Définitions qui nous conduisent toutes deux au noyau de réel,
hors-signifiant et non significantisable, au cœur du savoir. Dans cette reformulation radi-
cale, qui est essentiellement une reformulation du statut de l’inconscient, se réalise un
déplacement progressif de l’inconscient conçu comme appareil signifiant à l’inconscient
réel. Pour utiliser un couple de concepts mis en valeur ces dernières années par J.-A. Miller,
il s’agit d’un passage de l’inconscient transférentiel – structure signifiante productrice de
sens – à l’inconscient réel, dépôt de lettres et résidus de lalangue hors sens.
Isolons de la leçon du Séminaire XXI du 9 avril 1974, les passages clés suivants.
« Très peu pour moi »12. L’anorexique, à l’instar de certains enfants qui font exception
par rapport à la plupart, ne harcèle pas les adultes pour savoir le pourquoi et le comment

8. Cf. s./dir. P. Francesconi, Una per una. Psicoanalisi e femminilità, Borla, Roma, 2007 & s./dir. S. Eldar, Mujeres, una
por una, Gredos, Madrid, 2009.
9. Cf. Lacan J., « Intervention sur l’exposé de O. Codet “À propos de trois cas cliniques d’anorexie mentale” », séance
de la Société Psychanalytique de Paris du 18 juin 1935, Revue Française de Psychanalyse, n° 1, tome I, p. 127.
10. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 89 : « Là, dans le jouir, la conquête de ce savoir se
renouvelle chaque fois qu’il est exercé, le pouvoir qu’il donne restant toujours tourné vers sa jouissance ».
11. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 116 : « savoir
en échec comme on dit figure en abîme ».
12. Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit.

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de la réalité, leur supposant un savoir sur les choses du monde. Elle entretient avec le
savoir le même rapport qu’avec la nourriture, qui s’exprime à travers cette phrase.
L’anorexie dit en acte « Je mange rien ». L’anorexie est une position active dont la
phrase implicite d’un agir silencieux est : « Je mange rien ». « L’anorexique est tellement
préoccupée de savoir si elle mange, que pour décourager ce savoir […] elle se serait laissée
crever de faim, la gosse ! »13. Interrogées par Lacan sur la cause de ce « non manger », les
anorexiques lui ont répondu qu’elles étaient tellement préoccupées de savoir si elles
avaient mangé plus ou moins, qu’elles ne s’apercevaient même pas qu’elles étaient en
train de mourir de faim.
« C’est pas le désir qui préside au savoir, c’est l’horreur. »14 Cette thèse, selon laquelle

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au cœur du rapport du sujet avec le savoir inconscient il n’y a pas le désir mais l’horreur
de savoir, est pour Lacan une thèse structurelle qui vaut pour tout sujet comme tel.
Cependant l’exemple clinique de l’anorexique permet de l’éclairer particulièrement. La
rumination anorexique pour savoir si elle mangera ou pas est une pratique de jouissance
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sans limite qui absorbe intégralement la patiente, éclipsant la subjectivité. C’est cette
jouissance sans limite qui la fige, immobile, au seuil de savoir si elle mangera – jusqu’à
lui faire oublier son corps et la nécessité vitale de le satisfaire pour survivre.

Considérations conclusives sur l’anorexie dans le dernier enseignement


de Lacan

Les thèses qui émergent du Séminaire XXI introduisent, à mon avis, une rupture épis-
témologique chez Lacan par rapport à ses formulations précédentes sur l’anorexie mentale.
La tension est particulièrement évidente entre les thèses sur l’anorexie que l’on rencontre
dans le Séminaire XXI et celles présentes dans « La direction de la cure… » de 1958 et
celles du Séminaire XI, en particulier sur la fonction de l’anorexie par rapport au champ
de l’Autre. Tant en 1958 qu’en 1964, la thèse d’une matrice en quelque sorte dialectique
de l’anorexie, manœuvre du sujet visant à ouvrir un manque dans l’Autre, demeure, malgré
le passage dans le Séminaire XI à un paradigme de l’inconscient qui inclut le réel et la
jouissance ; tandis que dans le Séminaire XXI, la pratique anorexique « je mange rien » ne
cherche aucunement à ouvrir un manque dans l’Autre. Au contraire, le Séminaire accentue
plutôt le refus de l’Autre comme tel, le refus du savoir inconscient comme ce qui fait
horreur à tel point que le sujet se laisse mourir plutôt que de le rencontrer.
Ceci donne tout son poids à la référence à l’anorexie mentale du Séminaire XXI :
l’anorexie constitue de fait un système de vie et de pratiques concrètes quotidiennes qui
tournent autour du symptôme et qui opèrent pour empêcher le sujet de devenir dupe de l’in-
conscient et soumis à ses manifestations. Le savoir par lequel l’anorexique se laisse au contraire
absorber est plutôt un pseudo-savoir désubjectivé : un « savoir-jouissance-sans-limite »,
étroitement ancré dans la conduite alimentaire, qui en nourrit la solution pathologique,

13. Ibid.
14. Ibid.

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laissant la patiente immobile et indivisée. Éluder la rencontre avec la castration, c’est-à-


dire avec le manque dans l’Autre et avec sa propre division subjective, est au fondement
de la position anorexique. Son interrogation obsessionnelle sur la nourriture, sur le fait
de manger ou de ne pas manger, qui l’enroule dans sa rumination, voile la rencontre
avec l’horreur de savoir qui concerne le non-rapport sexuel, la structure de l’inconscient
trouée dans le réel, sans garantie.
Une telle position permet de mettre en résonnance la conclusion du dernier ensei-
gnement de Lacan sur l’anorexie avec le premier paradigme des « complexes familiaux »,
en particulier la poussée anti-séparatiste et anti-castration interne à l’anorexie et son
destin pulsionnel commun avec les pathologies toxicomaniaques. Déjà, en effet, dans le

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texte de 1938, le refus du mariage avec le phallus et une économie de jouissance qui
repose sur l’accès direct à un objet inanimé nouent les pathologies alimentaires et les
toxicodépendances.
Pour cette raison, ce quatrième paradigme sur l’anorexie pourrait bien être défini
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comme le paradigme lacanien du « refus de l’Autre », pour reprendre la formule forgée


par J.-A. Miller pour dire le chiffre essentiel de l’anorexie mentale.

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