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Les cahiers du mouvement ouvrier / numero 82

Staline et un spécialiste de Hegel

En 2011 une collaboratrice des éditions Delga a fait circuler


le petit dossier ci-dessous formé de ma critique du livre de
Domenico Losurdo, philosophe italien spécialiste de Hegel,
intitulé Staline, histoire et critique d’une légende noire, et la
réponse de Losurdo, rédigée en 2011. À l’époque je n’ai pas
jugé utile de répondre à cette réponse. Au printemps de cette
année, on m’a demandé de le faire pour traduire en anglais et
diffuser en Inde les deux premiers textes et ma réponse.
Losurdo est mort en 2017. Des esprits pervers et malinten-
tionnés affirmeront peut-être que, craignant les foudres de
l’hégélien, j’ai prudemment attendu sa mort pour répliquer.
Il n’en est rien, mais chacun croira ce qu’il voudra. Domenico

À propos du Staline de Losurdo :


Losurdo.(D.R.)

le débat entre Jean-Jacques Marie


et Domenico Losurdo
« Socialisme du Goulag ! », écrit Jean-Jacques Marie.
« Pensée primitive », répond Losurdo.
Nous publions une critique de Jean-Jacques Marie (collabo-
rateur à La Quinzaine littéraire et fondateur des Cahiers du
mouvement ouvrier (CMO)) du livre Staline, histoire et cri-
tique d’une légende noire, et la réponse de Domenico
Losurdo, auteur du livre. Une version courte du texte de
Jean-Jacques Marie a été publiée dans le n°1034 de La
Quinzaine littéraire, parue le 15 mars 2011.

Jean-Jacques Marie.
(D.R.)

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Le texte de Jean-Jacques Marie :


« Le socialisme du Goulag ! »
À cœur vaillant rien d’impossible, si l’on excellent dirigeant communiste. staline ne de-
en croit les scouts. Domenico Losurdo dé- vient mauvais que lorsqu’il commence à liqui-
ment cette mâle devise. Cœur vaillant, il der ses propres partisans à partir de 1934.
l’est sans aucun doute pour tenter de réha- Losurdo gomme cette précision pour mettre
biliter staline. Mais l’inanité d’une telle sur le même plan Khrouchtchev et Trotsky.
entreprise, dont l’ambition est sans doute
démesurée, saute vite aux yeux. Direction collective contre « culte de la
personnalité »
Vade retro, Khrouchtchev ! Je dis Khrouchtchev mais Domenico
Il vitupère le rapport prononcé par Losurdo semble ignorer (ou dissimule)
Khrouchtchev contre certains crimes de que Khrouchtchev n’est en réalité pas
staline lors d’une ultime séance à huis clos du l’auteur dudit rapport. Ce dernier a été ré-
XXe Congrès du PCUs digé par Piotr Pospelov, sur la base des
en février 1956. Il en dé- travaux d’une commission du Praesidium
forme d’abord la portée. du comité central dirigée par lui. Ce
À l’en croire, ce rapport Pospelov avait été le principal rédacteur
serait un « réquisitoire de la biographie officielle de staline pu-
qui se propose de liquider bliée au lendemain de la guerre et long-
Staline sous tous ses as- temps rédacteur en chef de la Pravda. Un
pects ». Or Khrouchtchev bon et authentique stalinien donc.
affirme d’emblée : « Le Khrouchtchev s’est contenté d’ajouter au
but du présent rapport texte de Pospelov quelques saillies de son
n’est pas de procéder à cru comme le détail (inventé et grotesque)
une critique approfondie selon lequel staline aurait dirigé les opé-
de la vie de Staline et de rations militaires de la seconde Guerre
ses activités. Sur les mé- mondiale sur un globe terrestre. Deux ou
Le rapport Khrouchtchev rites de Staline, suffisam- trois plaisanteries du même acabit ne mo-
de Jean-Jacques Marie ment de livres, d’opus- difient qu’à la marge la nature et la portée
paru en 2015. (D.R.) cules et d’études ont été d’un rapport produit collectif d’une com-
écrits durant sa vie. Le mission formée de partisans de staline.
rôle de Staline dans la préparation et l’exécu- Ces staliniens ont un seul souci traduit par
tion de la guerre civile, ainsi que dans la lutte le reproche de « culte de la personnalité »
pour l’édification du socialisme dans notre adressé à staline. son sens très simple
pays est universellement connu. Chacun échappe complètement – malgré l’aide de
connaît cela parfaitement. » Et pour qui n’au- Hegel – à Losurdo. Il signifie que le pou-
rait pas compris il ajoute : « Le Parti a mené un voir est maintenant entre les mains, non
dur combat contre les trotskistes, les droitiers du Guide suprême et Père des peuples,
et les nationalistes bourgeois (…). Là, Staline mais du comité central que staline n’avait
a joué un rôle positif. » Khrouchtchev n’a donc convoqué que quatre fois de 1941 à sa
rien à dire sur les procès de Moscou, dont mort en 1953. C’est ce que Khrouchtchev
Domenico Losurdo reprend nombre d’inven- avait promis au comité central lors de sa
tions présentées par lui comme autant de véri- réunion de juin 1953 pour juger Beria. Et
tés. Merci donc à staline pour la liquidation c’est ce que les membres du comité cen-
des opposants de toutes nuances ! tral, réduits au silence les treize dernières
Khrouchtchev précise en effet : « Staline avait années de la domination de staline, veu-
toujours tenu compte de l’opinion de la collec- lent entendre : « Maintenant nous aurons
tivité avant le XVIe Congrès », qui se tint en une direction collective (…). Il faut convo-
janvier 1934. Jusque-là staline a donc été un quer régulièrement les plenums du comité

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central. » Le rapport lu par Khrouchtchev Roosevelt en 1942. Donc, conclut benoî-


au nom du Praesidium du comité central tement notre philosophe italien : « Si elle
est l’expression de cette volonté collec- n’était pas distribuée de façon égale la
tive. carence de “bon sens” était bien répan-
due chez les leaders politiques du XXe siè-
La déportation des peuples… cle. » Et passez muscade !
« une carence de bon sens » ! Donc, dans la patrie triomphante du socia-
Les arguments de Losurdo se résument en lisme (car pour Losurdo, le socialisme
général à un schéma simple : tous les s’est épanoui en URss) et qui a réalisé
États, tous les gouvernements font la l’unité des peuples, il est normal que l’on
même chose ! Alors, que reprocher à utilise les mêmes procédés que les chefs
staline ? Il cite ainsi le passage où le rap- des pays capitalistes ou un obscurantiste
port Khrouchtchev dénonce les déporta- féodal et même que le tsar Nicolas II. Ce
tions de certains peuples en 1943-1944 : dernier, en 1915, en réponse à l’avance al-
« Non seulement un marxiste-léniniste, lemande, fit effectivement, déplacer vers
mais tout homme de bon sens ne peut l’Est un demi-million de juifs, soupçonnés
comprendre comment il est possible de officieusement d’espionnage au profit des
tenir des nations entières responsables Allemands. Mais la référence justifica-
d’activité inamicale, y compris les trice est malencontreuse, car si barbare
femmes, les enfants, les vieillards, les que fut ce transfert, il fit beaucoup moins
communistes et les komsomols (la jeu- de morts que celui des Coréens sovié-
nesse communiste) au point de recourir tiques en 1937 (en l’absence de toute
contre elles à la répression massive et de guerre), qualifiés collectivement d’es-
les condamner à la misère et à la souf- pions potentiels au compte du Japon…
france en raison d’actes hostiles perpé- dont ils avaient fui la terreur que le Japon
trés par des individus ou des groupes déchaînait dans leur pays, ou que celui des
d’individus. » Tatares de Crimée, des Kalmouks, des
Khrouchtchev énumérait seulement cinq Tchétchènes et des Ingouches en 1944.
peuples déportés sur la douzaine qui subi- Ajoutons que la déportation de ces deux
rent ce sort et que Losurdo – qui ne lui re- derniers peuples est l’une des causes de la
proche nullement ce choix sélectif – se tragédie que vit leur région depuis près de
garde bien d’énumérer. Losurdo évoque vingt ans. L’héritage de staline fait couler
en quelques mots « l’horreur de la puni- le sang encore aujourd’hui.
tion collective », mais, une fois faite cette Losurdo utilise la même argumentation
concession humanitaire à une tragédie qui lorsqu’il évoque le Goulag en faisant défi-
vit périr en moyenne un quart des déportés ler toutes les horreurs concentrationnaires
– au premier chef vieillards et enfants – au des pays coloniaux…
cours de leur interminable transfert, il
ajoute cyniquement : « Cette pratique ca- Un héritier des procès de Moscou
ractérise la Seconde guerre de Trente Losurdo reprend à son compte les falsifi-
ans (1) (à commencer par la Russie tsa- cations des procès de Moscou, mais sans
riste qui, bien qu’alliée à l’Occident libé- se référer directement à ces derniers tant
ral, connaît au cours du premier conflit la source est polluée. Il affirme ainsi, par
mondial “une vague de déportation”) de exemple : en 1918, « Lénine, accusé ou
« dimensions inconnues en Europe (sur- soupçonné de trahison semble être la
tout d’origine juive ou germanique) ». Il cible d’un projet, si vague fût-il, de coup
évoque ensuite l’expulsion des Hans du d’État envisagé par Boukharine ». Ce
Tibet par l’ultra-réactionnaire Dalaï Lama projet fabriqué par le procureur Vychinski
qui flirta un moment avec les nazis, puis lors du troisième procès de Moscou de
l’internement dans des camps de tous les
citoyens américains d’origine japonaise (1) De la Première Guerre mondiale aux lende-
par le président américain démocrate mains de la seconde, note de Jean-Jacques Marie.

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mars 1938 est ici présenté d’abord comme d’écrire des résolutions interminables, les
hypothétique, avant de devenir une certi- communistes de gauche feraient mieux
tude par un coup de baguette magique : d’arrêter Lénine vingt-quatre heures, de
« Pour déjouer la paix de Brest-Litovsk, déclarer la guerre aux Allemands puis de
qu’il avait vécue comme une capitulation réélire à l’unanimité Lénine président du
devant l’impérialisme allemand et une gouvernement, car, dit-il, contraint de réa-
trahison de l’internationalisme proléta- gir à l’offensive allemande, « tout en nous
rien, Boukharine cultive un instant l’idée insultant nous et vous, Lénine mènera
d’une sorte de coup d’État, visant au néanmoins une guerre défensive mieux
moins pour quelque temps à écarter du que n’importe qui ». six mois plus tard,
pouvoir celui qui jusque-là était le leader Prochian meurt. Radek répète alors sa
indiscutable des bolcheviks » (référence : phrase à Lénine, qui éclate de rire.
supra 2.2… c’est-à-dire la phrase précé- Au début de décembre 1923, en pleine
dente, l’invention se servant à elle-même campagne de l’Opposition de gauche pour
de preuve !). Pensant sans doute qu’une la démocratisation du parti, Boukharine,
fable plusieurs fois répétée accède par là alors allié de staline contre elle, trans-
même au statut de vérité, il écrit plus loin : forme pour les stigmatiser ces anecdotes
« Nous avons vu Boukharine à l’occasion en propositions sérieuses que les « com-
du traité de Brest-Litovsk caresser un ins- munistes de gauche » de l’époque au-
tant le projet d’une sorte de coup d’État raient, affirme-t-il, malgré les dénégations
contre Lénine, à qui il reproche de vouloir de tous les intéressés, discutées.
transformer le “parti en un tas de fu- L’Opposition, conclut-il, fait donc le jeu
mier”. » En réalité nous n’avons rien vu des ennemis du parti. Zinoviev s’indigne :
du tout, sinon les pirouettes de Losurdo. les communistes de gauche ont alors dis-
Pourquoi Losurdo, qui multiplie les réfé- simulé ces propositions ignobles au co-
rences à n’importe qui, y compris à sir mité central qui ne l’apprend que six ans
Montefiore, promu du statut de romancier plus tard ! staline va plus loin : certains
à celui d’historien, ou au romancier opposants de 1923 étaient déjà, selon lui,
Feuchtwanger, que staline fit venir exal- des membres potentiels du prétendu gou-
ter le deuxième procès de Moscou en vernement anti-léniniste de 1918.
échange de la publication de ses œuvres Boukharine paiera de sa vie ce trafic poli-
en URss et du paiement d’honoraires ju- ticien de la mémoire. Au troisième procès
teux, n’en donne aucune à cette invention de Moscou, en mars 1938, le procureur
de Vychinski ? C’est que la vérité est fort Vychinski, utilisant ses déclarations dé-
simple : pendant le discours de Lénine au magogiques de 1923, l’accusera d’avoir
comité exécutif des soviets du 23 février négocié avec les s-R de gauche le renver-
1918 sur le traité de Brest-Litovsk, le so- sement et l’arrestation de Lénine.
cialiste-révolutionnaire (s-R) de gauche Boukharine sera condamné à mort.
Kamkov – dont le parti était encore alors
au gouvernement – s’approche des « com- Ignorantus, ignoranta, ignorantum…
munistes de gauche » Piatakov et Domenico Losurdo ne connaît pas l’his-
Boukharine hostiles à la signature, et leur toire sur laquelle il brosse des commen-
demande ce qui se passera s’ils ont la ma- taires ornés parfois de références à Hegel
jorité dans le parti contre la paix de Brest- qui n’y peut mais. Il qualifie ainsi de « di-
Litovsk. À son avis, leur dit-il, « dans ce rigeant menchevique » le chef du gouver-
cas-là, Lénine s’en ira et vous et nous nement provisoire de 1917 Alexandre
nous devrons installer un nouveau Kerenski. Or Kerenski, proche des socia-
Conseil des commissaires du peuple » que listes-révolutionnaires, ne fut jamais men-
Piatakov pourrait présider. Les deux chevique de sa vie… Évoquant l’assassi-
hommes n’y voient qu’une plaisanterie. nat de serge Kirov le 1er décembre 1934 à
Quelques jours plus tard, le s-R de gauche Leningrad, il écrit : « Au départ les en-
Prochian suggère à Radek qu’au lieu quêtes des autorités se tournent vers les

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Gardes blanches » (p. 102). Les autorités Ah le bon Goulag !


ont eu une étrange façon de se tourner Il faut bien s’arrêter un moment dans le
vers eux. Dès le lendemain du meurtre, trop facile démontage des fantaisies de
staline fait fusiller une centaine de gardes Losurdo. Mais l’on ne saurait passer sous
blancs… déjà en prison et que nul n’inter- silence ses divagations sur le Goulag.
roge avant puisqu’ils ne pouvaient de leur Certes, il souligne à bon droit que le
cellule organiser le moindre attentat. Goulag stalinien n’est pas globalement le
Voulant confirmer la perfidie de Trotsky, il camp d’extermination que furent les
camps nazis destinés aux juifs. Cela dit,
affirme plus loin : « Lénine voit déjà peser
on ne peut lire sans surprise l’affirmation
sur la Russie soviétique un péril bonapar- que « aux tentatives de réaliser dans la
tiste et exprime ses préoccupations même “totalité” du pays la “démocratie sovié-
au sujet de Trotski » (p. 127). L’absence de tique”, “le démocratisme socialiste” et
référence, là encore, cache un trucage : en même “un socialisme sans la dictature du
1924, l’année de la mort de Lénine, Gorki, prolétariat” [comme si le prolétariat op-
alors en Italie, publie Lénine et le paysan primé exerçait alors la moindre dicta-
russe où il ne cite que des phrases élo- ture !] correspondent les tentatives de ré-
gieuses de Lénine sur Trotsky. six ans plus tablir dans le Goulag la “légalité
tard, en URss, Gorki réédite son livre et y socialiste” ou la “légalité révolution-
ajoute une phrase prêtée à Lénine ainsi re- naire” ». Enfin, Losurdo, trouvant dans le
venu d’outre-tombe six ans après sa mort Goulag « une préoccupation pédago-
pour exprimer une crainte bien tardive sur gique », s’extasie : « Le détenu du Goulag
les ambitions bonapartistes imaginaires de est “un camarade” potentiel obligé de
Trotsky. Plus stupéfiant encore, il évoque à participer dans des conditions particuliè-
maintes reprises une prétendue « conspira- rement dures à l’effort productif de tout le
pays ». Particulièrement dures, certes,
tion dirigée par Trotsky » et confirme cette
mais le mot « camarade », même très
fable reprise (sans qu’il le dise) des procès
« potentiel », n’a pas de prix. Et, Losurdo
de Moscou… en citant Curzio Malaparte. nous le jure, « jusqu’en 1937 les gardes
Or aucun historien n’a jamais considéré appelaient le prisonnier “camarade”. Et
Malaparte comme une source autre que lit- d’ailleurs la réclusion dans le camp de
téraire. Qui ira citer Kaput dans une concentration n’exclut pas la possibilité
Histoire de la seconde Guerre mondiale ? de promotion sociale. » Quel ascenseur
Écrivain de talent, il ne considérait l’his- social ce socialisme du Goulag !
toire que comme une servante de la littéra- Texte reçu par M-A Patrizio via
ture et fabulait à qui mieux mieux. M. Barbe, le 21 février 2011

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La réponse de Domenico Losurdo :


La pensée primitive et Staline comme bouc émissaire
On n’appréciera jamais ble ». Pensons seulement à un détail sur
assez la sagesse du mot lequel s’arrête Khrouchtchev : « Il y a lieu
attribué à Georges de noter que Staline dressait ses plans en
Clemenceau : la guerre utilisant un globe terrestre. Oui, cama-
est une chose trop sé- rades, c’est à l’aide d’un globe terrestre
rieuse pour la confier à qu’il établissait la ligne du front » (pp. 27-
des généraux ! Même 29 de l’édition française). Il est clair que
dans son chauvinisme le portrait ici tracé de staline est caricatu-
et anticommunisme ral : comment l’URss a-t-elle fait pour
aigu, le Premier minis- vaincre Hitler en étant dirigée par un lea-
tre français gardait une der à la fois criminel et imbécile ? Et com-
conscience assez lucide ment ce leader à la fois criminel et imbé-
du fait que les spécia- cile a-t-il réussi à diriger depuis un
Le Staline de Domenico
Losurdo. (D.R.) listes (dans ce cas les « globe terrestre » une bataille épique
spécialistes de la comme celle de stalingrad, combattue
guerre) sont souvent capables de voir les quartier par quartier, rue par rue, étage par
arbres mais pas la forêt, et se laissent dé- étage, porte par porte ? Au lieu de répon-
border par les détails en perdant de vue le dre à ces objections, Marie se préoccupe
tout ; en ce sens, ils connaissent tout sauf de démontrer qu’en tant que plus grand
l’essentiel. On est immédiatement porté à expert de « trotskismo-logie », il connaît
penser à ce qu’a dit Clemenceau quand on de mémoire le rapport Khrouchtchev et se
lit le démolissage que Jean-Jacques Marie met à le citer en long et en large, sur des
voudrait réserver à mon livre sur staline. aspects qui n’ont rien à voir avec le pro-
À ce qu’il semble, l’auteur est l’un des blème en question !
plus grands experts de « trotskismo- Je démontre que cette liquidation totale de
logie », et il tient à le démontrer en toute staline (sur le pan intellectuel en plus de
circonstance. moral) ne résiste pas à l’enquête histo-
rique, en réclamant l’attention sur deux
1. Staline liquidé par le rapport points : d’éminents historiens (dont aucun
Khrouchtchev, le rapport ne peut être suspecté d’être pro-stalinien)
Khrouchtchev liquidé par les historiens parlent de staline comme le « plus grand
Marie commence tout de suite par contes- leader militaire du vingtième siècle ». Et
ter mon affirmation selon laquelle vont plus loin encore : ils lui attribuent un
Khrouchtchev « se propose de liquider « talent politique exceptionnel » et le
Staline sous tous ses aspects ». C’est considèrent comme un homme politique
pourtant le grand intellectuel trotskiste « extrêmement doué » qui sauve la nation
Isaac Deutscher qui souligne que le rap- russe de la décimation et de la mise en es-
port secret dépeint staline comme un clavage auxquelles la destine le Troisième
« énorme monstre humain, sombre, capri- Reich ; et ceci grâce non seulement à son
cieux, dégénéré ». Et, cependant, ce por- accorte stratégie militaire mais aussi à des
trait n’est encore pas assez monstrueux discours de guerre « magistraux », parfois
aux yeux de Marie ! Mon livre poursuit véritables « morceaux de bravoure » qui
ainsi : dans le réquisitoire prononcé par arrivent dans des moments tragiques à sti-
Khrouchtchev, « celui qui était responsa- muler la résistance nationale. Ce n’est pas
ble de crimes horribles était un individu tout : des historiens fervents anti-stali-
méprisable sur le plan moral comme sur niens reconnaissent la « perspicacité »
le plan intellectuel. Le dictateur était non avec laquelle il traite de la question natio-
seulement impitoyable mais aussi risi- nale dans son écrit de 1913 et l’« effet po-

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sitif » de sa « contribution » sur la linguis- rien bourgeois (Conquest), à cette occa-


tique (p. 409). sion déjà Boukharine avait caressé l’idée
En second lieu je fais noter que Deutscher d’un coup d’État (p. 71). Comment Marie
dès 1966 exprimait de forts doutes sur la répond-il à tout cela ? À nouveau, il
crédibilité du rapport secret : « Je n’arrive exhibe toute son érudition de grand et
pas à accepter sans réserves les présu- peut-être le plus grand expert de « trots-
mées “révélations” de Khrouchtchev, en kismo-logie », mais ne fait aucun effort
particulier son affirmation que pendant la pour répondre aux questions qui s’impo-
Seconde Guerre mondiale [et dans la vic- sent : si le conflit mortel qui lacère ensuite
toire sur le Troisième Reich] Staline n’eut le groupe dirigeant bolchevique n’est la
qu’un rôle pratiquement insignifiant » faute que de staline (la pensée primitive
(p. 407). Aujourd’hui, à la lumière du ne peut se passer du bouc émissaire),
nouveau matériel à notre disposition, les comment expliquer le dur échange d’ac-
chercheurs qui accusent Khrouchtchev cusations qui voit Lénine condamner
d’avoir eu recours au mensonge sont loin comme « monstrueuses » les phrases pro-
d’être rares. Donc : si Khrouchtchev pro- noncées par ceux qui fustigent la « dégé-
cède à la liquidation totale de staline, nérescence » du parti communiste et du
l’historiographie plus récente liquide la pouvoir soviétique ? Et comment expli-
crédibilité dudit rapport secret. quer le fait que Robert Conquest, qui a
Comment Marie répond-il à tout cela ? Il dédié toute son existence à démontrer l’in-
synthétise non seulement mon point de famie de staline et des procès de Moscou,
vue mais celui des auteurs que je cite (y parle d’un projet de coup d’État contre
compris le trotskiste Isaac Deutscher) Lénine cultivé et caressé par Boukharine ?
avec la formule : « Vade retro Ne sachant que répondre, Marie m’accuse
Khrouchtchev ! » C’est-à-dire que le de manipulation et écrit même que, dans
grand expert de « trotskismo-logie » croit ma référence à l’idée de coup d’État de
exorciser les difficultés insurmontables Boukharine, je ne renvoie qu’à moi-
dans lesquelles il se débat en prononçant même. Je n’ai pas de temps à perdre avec
deux mots de latin (ecclésiastique) ! les insultes. Je me limiterai à faire remar-
Voyons un second exemple. Au début du quer que p. 71, à la note 137, je renvoie à
deuxième chapitre (« Les Bolcheviques du un historien (Conquest) qui n’est inférieur
conflit idéologique à la guerre civile »), à Marie ni par l’érudition ni par le zèle
j’analyse le conflit qui se développe à anti-stalinien.
l’occasion de la paix de Brest-Litovsk.
Boukharine dénonce la « dégénérescence 2. Comment les trotskistes à la Marie
paysanne de notre parti et du pouvoir so- insultent-ils Trotski ?
viétique » ; d’autres bolcheviques démis- Avec la mort de Lénine et la consolidation
sionnent du parti ; d’autres encore décla- du pouvoir de staline, le conflit idéolo-
rent désormais dépourvu de valeur le gique se transforme de plus en plus en
pouvoir soviétique lui-même. sur le ver- guerre civile : la dialectique de saturne,
sant opposé, Lénine exprime son indigna- qui se manifeste d’une façon ou d’une
tion pour ces propos « étranges » et autre dans toutes les grandes révolutions,
« monstrueux ». Dès les premiers mois de n’épargne malheureusement pas non plus
son existence, la Russie soviétique voit se les bolcheviques. Je développe cette thèse
développer un conflit idéologique qui est dans la seconde partie du second chapitre,
d’une extrême âpreté et sur le point de se en citant une série de personnalités assez
transformer en guerre civile. Et se trans- différentes entre elles (qui révèlent l’exis-
formera d’autant plus facilement en tence d’un appareil clandestin et militaire
guerre civile – dis-je dans mon livre – mis sur pied par l’opposition), et en citant
quand, avec la mort de Lénine, « vient à surtout Trotski. Oui, c’est Trotski en per-
manquer une autorité indiscutée ». Et sonne qui déclare que la lutte contre
même – j’ajoute – selon un illustre histo- « l’oligarchie bureaucratique » stali-

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nienne « ne comporte pas de solution pa- contre-révolutionnaire du nouveau tsar,


cifique ». Et c’est lui encore qui proclame ou domestique du Troisième Reich ?
que « le pays se dirige manifestement vers Marie finit par peindre Trotski comme un
une révolution », vers une guerre civile et simple phraseur qui se limite à des tirades
que « dans les conditions d’une guerre ci- de comptoir ou même comme un révolu-
vile, l’assassinat de certains oppresseurs tionnaire dépourvu de cohérence voire
cesse d’être du terrorisme individuel », peureux et vil. Le paradoxe le plus criant
mais est partie intégrante de la « lutte à est que je sois de fait contraint de défendre
mort » entre les factions opposées Trotski contre certains de ses apologètes !
(p. 104). Comme on le voit, dans ce cas au Je dis « certains de ses apologètes » car
moins, c’est Trotski lui-même qui met en tous ne sont pas aussi démunis que Marie.
crise la mythologie du bouc émissaire. À propos de l’« impitoyable guerre ci-
On comprend l’embarras tout particulier vile » qui se développe entre les bolche-
de Marie. Et alors ? Nous connaissons viques, j’observe dans mon livre : « Nous
déjà l’étalage d’érudition comme écran de sommes en présence d’une catégorie qui
fumée. Allons à la substance. Parmi les constitue le fil conducteur de la recherche
nombreuses et plus diverses personnalités d’un historien russe (Rogowin) d’obé-
que je cite Marie en choisit deux : il consi- dience trotskiste sûre et avérée, auteur
dère l’une (Malaparte) comme incompé- d’une œuvre monumentale en plusieurs
tente, l’autre (Feuchtwanger), il la stigma- volumes, dédiée justement à la recons-
tise comme agent soudoyé au service du truction minutieuse de cette guerre civile.
criminel et imbécile qui siège au Kremlin. On y parle, à propos de la Russie sovié-
Et ainsi les jeux sont faits : la guerre civile tique, de “guerre civile” déchaînée par
a disparu et de nouveau le primitivisme du Staline contre ceux qui s’organisent pour
bouc émissaire peut célébrer son le renverser. Même hors de Russie, cette
triomphe. Mais, refuser de prendre en guerre civile se manifeste et par moments
considération les arguments adoptés par se diffuse dans le cadre du front qui com-
un grand intellectuel tel que bat contre Franco ; et, de fait, faisant ré-
Feuchtwanger, pour se borner à le quali- férence à l’Espagne de 1936-39, on parle
fier d’agent soudoyé au service de l’en- non pas d’une mais de “deux guerres ci-
nemi : n’est-ce pas le mode de procéder viles”. Avec une grande honnêteté intel-
généralement considéré comme « stali- lectuelle et mettant à profit un matériel
nien » ? Et surtout : que devons-nous pen- documentaire nouveau et riche, disponi-
ser du témoignage de Trotski, qui parle de ble grâce à l’ouverture des archives
« guerre civile » et de « lutte à mort » ? russes, l’auteur cité ici arrive à la conclu-
N’est-ce pas un paradoxe que le grand sion : “Les procès de Moscou ne furent
spécialiste et éminent desservant de la pas un crime immotivé et de sang froid
« trotskismo-logie » ne contraigne au si- mais bien la réaction de staline au cours
lence la divinité qu’il vénère ? Oui, mais d’une lutte politique aigue.” »
ce n’est pas le seul paradoxe ni même le Dans une polémique avec Alexandre
plus criant. Voyons : Trotski non seule- soljenitsine, qui dépeint les victimes des
ment compare staline à Nicolas II purges comme un ensemble de “lapins”,
(p. 104), mais va plus loin : au Kremlin l’historien trotskiste russe rapporte un
siège « un provocateur au service tract qui appelait, dans les années trente, à
d’Hitler » voire « le majordome de balayer hors du Kremlin « le dictateur fas-
Hitler » (pp. 126 et 401). Et Trotski, qui se ciste et sa clique ». Et commente ensuite :
vantait d’avoir de nombreux disciples en « Même du point de vue de la législation
Union soviétique et qui même, selon russe en vigueur aujourd’hui, ce tract doit
Broué (biographe et hagiographe de être jugé comme un appel au renverse-
Trotski), était arrivé à infiltrer ses « fi- ment violent du pouvoir (plus exactement
dèles » à l’intérieur de la GPU, Trotski de la couche supérieure dominante). » En
n’aurait rien fait pour renverser le pouvoir conclusion, bien loin d’être l’expression

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d’« un accès de violence irrationnelle et pensable sans stalingrad.


insensée », la terreur sanguinaire déclen- Et cependant, ayant dit ceci, il est possible
chée par staline est en réalité l’unique de comprendre la tragédie de Trotski.
façon par laquelle celui-ci arrive à plier Après avoir reconnu le grand rôle qu’il a
« la résistance des vraies forces commu- joué au cours de la révolution d’octobre,
nistes » (pp. 117-118). mon livre décrit ainsi le conflit qui va se
Ainsi s’exprime l’historien trotskiste profiler avec la mort de Lénine : « Dans la
russe. sauf que Marie, pour ne pas renon- mesure où un pouvoir charismatique était
cer à son primitivisme et à la recherche du encore possible, celui-ci tendait à prendre
bouc émissaire (staline) sur lequel faire corps dans la figure de Trotski, le génial
converger tous les péchés de la Terreur et organisateur de l’Armée rouge et le bril-
de l’Union soviétique dans son ensemble, lant orateur et prosateur qui prétendait
préfère suivre le sillon tracé par incarner les espoirs de triomphe de la ré-
soljenitsine et représenter Trotski comme volution mondiale, et qui en faisait décou-
un « lapin ». ler la légitimité de son aspiration à gou-
verner le parti et l’État. Staline était par
3. Trahison ou contradiction objective ? contre l’incarnation du pouvoir légal-tra-
La leçon de Hegel ditionnel, qui cherchait laborieusement à
Dans le cadre que j’ai tracé, les mérites de prendre forme : au contraire de Trotski ar-
staline restent acquis : il a compris une rivé tard au bolchevisme, il représentait la
série de points essentiels : la nouvelle continuité historique dans le parti prota-
phase historique qui s’ouvrait avec goniste de la révolution et, donc, déten-
l’échec de la révolution en Occident ; le teur de la nouvelle légalité ; de plus, en
danger de colonisation esclavagiste qui affirmant la faisabilité du socialisme
menaçait la Russie soviétique ; l’urgence même dans un seul (grand) pays, Staline
de la récupération du retard par rapport à conférait une nouvelle dignité et identité à
l’Occident ; la nécessité de l’acquisition la nation russe, qui dépassait ainsi la
de la science et de la technologie les plus crise épouvantable, qui n’était pas seule-
avancées, et la conscience que la lutte ment matérielle, subie à partir de la dé-
pour y parvenir peut être dans certaines faite et du chaos de la Première Guerre
circonstances un aspect essentiel voire dé- mondiale : et la nation retrouvait sa conti-
cisif de la lutte de classe ; la nécessité de nuité historique. Mais à cause de cela jus-
relier patriotisme et internationalisme et la tement, les adversaires criaient à la “tra-
compréhension du fait qu’une lutte de ré- hison”, tandis que, aux yeux de Staline et
sistance et de libération nationale victo- de ses disciples, apparaissaient comme
rieuse (comme l’a été la Grande guerre traîtres ceux qui, avec leur aventurisme,
patriotique) constitue en même temps une en facilitant l’intervention des puissances
contribution de premier plan à la cause in- étrangères, mettaient en danger, en der-
ternationaliste de la lutte contre l’impéria- nière analyse, la survie de la nation russe,
lisme et le capitalisme. stalingrad a fondé qui était en même temps le département
les prémisses de la crise du système colo- d’avant-garde de la cause révolution-
nial à l’échelle planétaire. Le monde d’au- naire. L’affrontement entre Staline et
jourd’hui est caractérisé par les difficultés Trotski est le conflit non seulement entre
croissantes du système néo-colonialiste, deux programmes politiques mais aussi
par l’émergence de pays comme la Chine entre deux principes de
et l’Inde et plus généralement des civilisa- légitimité » (p. 150).
tions à l’époque assujetties ou anéanties À un certain moment, face à la radicale
par l’Occident, par la crise de la doctrine nouveauté du cadre national et internatio-
Monroe et par l’effort de certains pays nal, Trotski se convainc (à tort) qu’il y a
sud-américains de relier lutte contre l’im- eu une contre-révolution à Moscou et agit
périalisme et construction d’une société en conséquence. Dans le cadre tracé par
post-capitaliste. Eh bien, ce monde est im- Marie, par contre, Trotski et ses disciples,

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bien qu’ils aient réussi à s’infiltrer dans la d’érudition comme fin en soi ou utilisé
GPU et dans d’autres secteurs vitaux de comme écran de fumée. Et, pourtant, il
l’appareil d’État, se laissent abattre et faut reconnaître à Marie un raisonnement,
massacrer, sans combattre, par le contre- ou du moins une tentative de raisonne-
révolutionnaire criminel et idiot qui est au ment. Alors que je confronte les crimes de
Kremlin. Pas de doute, c’est cette lecture staline, ou attribués à staline, à ceux per-
qui ridiculise en particulier Trotski, en ra- pétrés par l’Occident libéral et par ses al-
petissant et en rendant mesquins et mé- liés, Marie objecte : « Donc dans la patrie
connaissables tous les protagonistes de la triomphante du socialisme (car pour
grande tragédie historique qui s’est déve- Losurdo le socialisme s’est épanoui en
loppée sur l’onde de la révolution russe URSS) et qui a réalisé l’unité des peuples
(comme de toute grande révolution). il est normal que l’on utilise les mêmes
Pour comprendre de façon adéquate cette procédés que les chefs des pays capita-
tragédie, il faut s’appuyer sur la catégorie listes ou un obscurantiste féodal et même
de contradiction objective chère à Hegel que le tsar Nicolas II. » Examinons cette
(et à Marx). Malheureusement par contre objection. Laissons de côté les impréci-
– comme je l’observe dans mon livre – au- sions, forçages ou véritables méprises. Je
tant staline que Trotski partagent la même ne parle nulle part de l’URss ou d’un
pauvreté philosophique, et n’arrivent pas autre pays comme « la patrie triomphante
à aller au-delà de l’échange réciproque de du socialisme » ; dans mes livres j’ai écrit,
l’accusation de trahison : « De part et au contraire, que le socialisme est un
d’autre, plutôt que de s’engager dans « processus d’apprentissage » difficile et
l’analyse laborieuse des contradictions bien loin d’être conclu. Mais concentrons-
objectives et des options opposées, et des nous sur l’essentiel. À partir de la révolu-
conflits politiques qui se développaient tion d’Octobre jusqu’à nos jours, on
sur cette base, on préfère invoquer la ca- trouve de façon constante dans l’idéologie
tégorie de trahison, et, dans sa configura- dominante la tendance à diaboliser tout ce
tion extrême, le traître devient l’agent qui a quelque rapport avec l’histoire du
conscient et mercenaire de l’ennemi. communisme. Comme je le fais remar-
Trotski n’a de cesse de dénoncer “le com- quer dans mon livre, pendant quelque
plot de la bureaucratie stalinienne contre temps c’est Trotski qui est stigmatisé (par
la classe ouvrière”, et le complot est d’au- Goebbels, par exemple) comme celui qui
tant plus méprisable que la “bureaucratie « a peut-être sur la conscience le plus
stalinienne” n’est rien d’autre qu’un “ap- grand nombre de crimes qui ait jamais
pareil de transmission de l’impéria- pesé sur un homme » (p. 343) ; ce peu glo-
lisme”. Le moins qu’on puisse dire est que rieux primat a été attribué ensuite à
Trotski sera largement payé de sa pièce. Il staline, puis aujourd’hui à Mao Zedong ;
se plaint d’être stigmatisé comme “agent et sont aussi criminalisés Tito, Ho Chi
d’une puissance étrangère” mais stigma- Minh, Castro etc. Devons-nous subir cette
tise lui-même Staline comme “provoca- « diabolisation » qui, comme je le sou-
teur au service de Hitler” » (p. 126). tiens dans le dernier chapitre, n’est que
Moins que jamais disposé à problématiser l’autre face de l’« hagiographie » du capi-
la catégorie de trahison, Marie ironise sur talisme et de l’impérialisme ?
mon fréquent renvoi à Hegel. Dans le Voyons comment Marx réagit à cette ma-
débat en cours ici, qui est donc le « stali- nipulation manichéenne. Alors que la
nien » ? bourgeoisie de son époque, partant de
l’exécution des otages et de l’incendie al-
4. Le comparatisme comme instrument lumé par les Communards, dénonce la
de lutte contre les falsifications de Commune de Paris comme synonyme
l’idéologie dominante d’infâmes barbaries, Marx répond que les
Nous avons vu jusqu’ici chez le grand ex- pratiques de la prise (et de l’éventuelle
pert de « trotskismo-logie » un étalage exécution) d’otages et du déclenchement

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d’incendies avaient été inventées par les selon quoi « les hommes font eux-mêmes
classes dominantes et que, en tous cas, leur histoire, mais dans des circonstances
pour ce qui concerne les incendies, il fal- qu’ils n’ont pas choisies ». Au lieu de par-
lait distinguer entre « vandalisme d’une tir de ces leçons pour interroger les er-
défense désespérée » (celle des reurs, les dilemmes moraux, les crimes
Communards) et « vandalisme du des protagonistes de toute grande crise
triomphe ». historique, Marie formule cette simple al-
Marie me fait trop d’honneur quand il po- ternative : ou les mouvements révolution-
lémique sur ce point avec moi : il ferait naires sont souverainement supérieurs et
mieux de s’en prendre directement à même miraculeusement transcendants par
Marx. Ou bien, il pourrait s’en prendre à rapport au monde historique, et aux
Trotski, qui procède lui aussi de la façon contradictions et aux conflits du monde
qui m’est reprochée à moi : dans le petit historique, dans lequel ces mouvements se
livre Leur morale et la nôtre, Trotski se développent ; ou bien ces mouvements ré-
réclame du Marx que j’ai déjà cité et, pour volutionnaires sont un échec complet et
réfuter l’accusation selon laquelle les bol- une tromperie totale. Et ainsi l’histoire des
cheviques et seulement eux s’inspirent du révolutions dans son ensemble se confi-
principe selon lequel « la fin justifie les gure comme l’histoire d’un échec unique,
moyens » (violents et brutaux), il met en ininterrompu et misérable, et d’une trom-
cause le comportement non seulement de perie. Et Marie, une fois de plus, se place
la bourgeoisie des 19e et 20e siècles mais dans le sillon de la tradition de pensée
celui déjà… de Luther, protagoniste de la réactionnaire.
guerre d’extermination contre Müntzer et
les paysans. 5. Le socialisme comme processus d’ap-
si ce n’est que, pris comme il l’est dans le prentissage laborieux et inachevé
culte de l’érudition, Marie ne réfléchit J’ai dit que la construction du socialisme
même pas sur les textes des auteurs qui lui est un processus d’apprentissage laborieux
sont le plus chers. Et en fait il ironise sur et inachevé. Mais c’est justement pour cela
moi en donnant à son intervention le titre : qu’il faut s’atteler à formuler des ré-
« Le socialisme du Goulag ! » On pour- ponses : le socialisme et le communisme
rait, évidemment, avec cette même ironie, comportent-ils la disparition totale des
se gausser de la Russie soviétique de identités et jusque des langues nationales,
Lénine (et Trotski) : « Le socialisme (ou la ou bien Castro a-t-il raison quand il dit que
révolution socialiste) de la Tcheka » ou les communistes ont eu tort de sous-éva-
bien « Le socialisme (ou la révolution so- luer le poids que la question nationale
cialiste) de la prise d’otages » (en ayant à continue à exercer même après la révolu-
l’esprit que, dans Leur morale et la nôtre, tion anti-impérialiste et anti-capitaliste ?
Trotski est contraint de se défendre même Dans la société de l’avenir prévisible n’y
de l’accusation d’avoir eu recours à cette aura-t-il plus de place pour aucun type de
pratique). En réalité, avec cette ironie marché et pas même pour l’argent, ou bien
chère à Marie, on peut liquider n’importe devons-nous tirer profit de la leçon de
quelle révolution. Nous aurions alors : Gramsci, selon qui il ne faut pas oublier le
« La Commune des otages fusillés », « La caractère « déterminé » du « marché » ? À
liberté et l’égalité de la guillotine », etc. propos du communisme, Marx parle par-
etc. Il ne s’agit pas, au demeurant, fois d’« extinction de l’État », d’autres fois
d’exemples imaginaires : c’est de cette d’« extinction de l’État dans le sens poli-
manière que la tradition de pensée réac- tique actuel » : ce sont deux formules sen-
tionnaire a liquidé la Révolution française siblement différentes entre elles ; de la-
(et surtout le jacobinisme), la Commune quelle des deux peut-on s’inspirer ? Ce
de Paris, la révolution russe, etc. sont ces problèmes qui provoquent entre
Marx a synthétisé la méthodologie du ma- les bolcheviques d’abord un âpre conflit
térialisme historique dans l’affirmation idéologique puis la guerre civile ; et c’est à

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ces problèmes qu’il faut répondre, si l’on généraux et aux spécialistes de la guerre,
veut redonner une crédibilité au projet ré- ainsi l’histoire de la tragédie de Trotski
volutionnaire communiste, en évitant les même (sans parler de la grande et tragique
tragédies du passé. C’est dans cet esprit histoire du mouvement communiste dans
que j’ai écrit d’abord Fuir l’histoire ? La son ensemble) est une chose trop sérieuse
révolution russe et la révolution chinoise pour la confier aux spécialistes et aux gé-
aujourd’hui, puis Staline. Histoire et cri- néraux de la trotskismo-logie.
tique d’une légende noire. si l’on n’af- Traduit de l’italien par Marie-Ange
fronte pas ces problèmes, on ne pourra ni Patrizio
comprendre le passé ni projeter l’avenir. si http://domenicolosurdo.blogspot.com/
l’on n’affronte pas ces problèmes, appren- Staline, Histoire et critique d’une légende
dre par cœur même les plus minimes dé- noire de Domenico Losurdo, traduit de
tails de la biographie (ou de l’hagiogra- l’italien par Marie-Ange Patrizio, éditions
phie) de tel ou tel protagoniste d’Octobre Aden, Bruxelles, 532 pages, 30 euros.
1917 ne servira qu’à confirmer une fois de Voir sur le site quelques extraits du livre
plus la profondeur du mot cher à ainsi que la critique de Baptiste Eychart,
Clemenceau : de même que la guerre est Retour sur un Dieu déchu, et un texte
une chose trop sérieuse pour la confier aux d’André Tosel.

Réponse à la réponse de Domenico Losurdo


par Jean-Jacques Marie
Lorsque j’ai reçu en 2011 le texte par le- de trotskystes tous ceux qui ont plus ou
quel Domenico Losurdo a réagi à mes cri- moins vite quitté un courant politique peu
tiques sur son Staline j’ai jugé inutile d’y propice aux carrières de toutes sortes et
répondre tant son texte n’apportait rien de qui, de plus, chantent la gloire de staline.
nouveau. Je me dis aujourd’hui qu’après Deutscher conclut en effet sa biographie
le flot de contre-vérités déversée sur la ré- de ce dernier (y compris dans sa réédition
volution russe, il valait mieux répondre à de 1961) par ces mots éloquents : « À la
certaines des affirmations fallacieuses longue les nombreux éléments positifs et
dont son texte regorge. valables de l’influence éducative du stali-
Ainsi, dès le début, pour démolir le rap- nisme se tourneront contre des aspects les
port présenté par Khrouchtchev au plus regrettables (...). Afin de sauvegarder
XXe Congrès en février 1956, rapport la meilleure part de l’œuvre de Staline
dont je rappelle qu’il a été pour l’essentiel pour l’avenir et lui donner toute sa valeur,
le produit du travail d’une commission du l’Histoire devra peut-être encore purifier
comité central dirigée par Pospelov, l’an- et remodeler l’œuvre de Staline. » Le der-
cien rédacteur en chef de la Pravda, et nier ouvrage de Deutscher s’intitule d’ail-
adopté par le Présidium du comité central leurs La Révolution inachevée. Inachevée,
(nouveau nom du bureau politique), pas trahie. son cours est simplement ra-
Domenico Losurdo cite des propos lenti, voire interrompu, rien de plus...
d’Isaac Deutscher qu’il qualifie de Pour défendre l’œuvre militaire de staline
« grand intellectuel trotskiste ». de 1941 à 1945 et d’abord répondre à la
Deutscher trotskyste ? Certes, il a écrit critique du rapport Khrouchtchev,
une biographie de Trotsky... mais il a aussi Losurdo met en avant la plaisanterie dou-
écrit une biographie de staline et le quali- teuse de Khrouchtchev sur l’utilisation
ficatif que lui attribue Losurdo est faux. par staline d’un globe terrestre pour défi-
Certes, il a été trotskyste quelques brèves nir sa stratégie, plaisanterie dont j’avais
années avant la guerre, mais il a très vite dans mon texte souligné moi-même le ca-
cessé de l’être (en se dressant en particu- ractère fantaisiste. Ce détail mineur de
lier contre la proclamation en 1938 de la cinq lignes ne saurait dévaloriser le reste !
IVe Internationale). On ne saurait qualifier À part cela, Losurdo multiplie les cita-

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tions... anonymes d’individus célébrant le bats sur la paix de Brest-Litovsk, affirme :


génie militaire du maréchal autoproclamé. « À un certain stade l’opposition forma le
Il écrit ainsi : « D’éminents historiens projet de renverser Lénine » (La Grande
(dont aucun ne peut être suspecté d’être Terreur, p. 29). sur quoi appuie-t-il cette
pro-stalinien) parlent de Staline comme affirmation ? Il ne le dit pas. Faisons-le
le“plus grand leader militaire du ving- pour lui. Au début de décembre 1924, lors
tième siècle”». Et vont plus loin encore : de l’offensive déchaînée par la direction
ils lui attribuent un “talent politique ex- du parti contre les Leçons d’Octobre de
ceptionnel”. Mais les louanges de ces Trotsky, Boukharine, pour démontrer que
« éminents historiens » (que Losurdo la bataille politique interne mène à de fa-
laisse dans le plus total anonymat) ne sau- tales divisions, raconte à une assemblée
raient remplacer les faits, accablants : au de militants un épisode inconnu : en mars
bout de quatre mois, les armées nazies ont 1918, dit-il, les s-R de gauche, hostiles
pris Minsk, smolensk, Kiev, etc., et arri- comme eux à Brest-Litovsk, ont proposé
vent aux portes de Moscou et de aux communistes de gauche d’arrêter et
Leningrad après avoir capturé près de d’emprisonner le gouvernement de
3 millions de soldats soviétiques piégés, Lénine et de nommer un nouveau gouver-
entre autres, par le refus de staline de lais- nement présidé par Piatakov. Boukharine
ser les divisions soviétiques reculer pour et ses amis repoussèrent cette proposition
échapper à un encerclement inévitable, avec indignation. Mais, dit-il, leur combat
tout recul étant assimilé par ce grand stra- l’avait permise. staline utilise aussitôt sa
tège à une trahison ; les soldats faits pri- révélation en la trafiquant. Dans la Pravda
sonniers et qui auront la chance d’échap- du 15 décembre 1924, il affirme que « les
per aux massacres de la barbarie nazie communistes “de gauche” (...) discutèrent
seront souvent assimilés à des traîtres à sérieusement (ce que Boukharine n’avait
leur retour au pays en 1945 et envoyés au nullement dit ! NDA) du changement du
Goulag. staline, ensuite, insouciant de la Conseil des commissaires du peuple exis-
vie des soldats, multipliait les coûteuses tant par un nouveau formé de gens nou-
attaques frontales qui condamnaient à une veaux, membres de la fraction des com-
mort autrement évitable des milliers de munistes de “gauche” » (staline remplace
fantassins. Difficile de mesurer la part de les socialistes-révolutionnaires de
ses erreurs et de son incompétence dicta- gauche... par des communistes de gauche.
toriale dans les 27 millions de morts de la C’est une grossière falsification que
guerre, mais elle n’est pas mince. Losurdo ignore. Boukharine n’y objecte
Faut-il s’étonner que Losurdo reprenne alors rien. Ce silence complice lui coûtera
comme vérités historiques des contes à cher. Quinze ans plus tard, au troisième
dormir debout fabriqués par la machine procès de Moscou, Vychinski l’accusera
stalinienne à écraser non seulement les d’avoir comploté en 1918 avec les s-R
opposants mais même des dizaines de contre Lénine pour renverser le pouvoir
milliers de partisans du régime stali- des soviets. Losurdo présente comme un
nien (2). Ainsi, il répète la fable d’un com- fait historique cette grossière falsification
plot monté par Boukharine et les commu- destinée à « justifier » la liquidation de la
nistes de gauche opposés à la paix de génération des vieux bolcheviks.
Brest-Litovsk contre Lénine en 1918. Il Ce n’est pas la seule. À l’en croire en
affirme ainsi : « J’ajoute – selon un illus- effet : « Trotski et ses disciples avaient
tre historien bourgeois (Conquest), à cette réussi à s’infiltrer dans la GPU et dans
occasion déjà Boukharine avait caressé d’autres secteurs vitaux de l’appareil
l’idée d’un coup d’État (p. 71) (…) ; p. 71,
à la note 137, je renvoie à un historien
(2) La liste des partisans de staline condamnés et
(Conquest) qui n’est inférieur à Marie ni fusillés en 1936-1938 compte des milliers de noms,
par l’érudition ni par le zèle anti-stali- de Rosengoltz à Iejov en passant par Iagoda, Eikhe,
nien. » De fait, Conquest, évoquant les dé- Tchoubar, Kossior, Kossarev, Arossev, etc.

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d’État. » Il prétend tenir cette affirmation (qui révèlent l’existence d’un appareil
de Broué, « biographe et hagiographe de clandestin et militaire mis sur pied par
Trotsky », mais ne fournit – et pour l’opposition) », sans qu’il donne le moin-
cause – aucune référence permettant de dre nom de ces « personnalités », et
vérifier l’attribution fausse à Pierre Broué ajoute : « C’est Trotski en personne qui
de cette affirmation hautement fantaisiste. déclare que la lutte contre “l’oligarchie
Les trotskystes, à partir de 1928, peuplè- bureaucratique” stalinienne “ne comporte
rent surtout les isolateurs, les prisons puis pas de solution pacifique”. Et c’est lui en-
les camps. Ne se retrouvèrent dans l’appa- core qui proclame que “le pays se dirige
reil d’État que ceux qui, démoralisés ou manifestement vers une révolution”, vers
découragés, persuadés que la révolution une guerre civile et que “dans les condi-
mondiale est renvoyée à des lendemains tions d’une guerre civile, l’assassinat de
très lointains surtout après la victoire d’ certains oppresseurs cesse d’être du terro-
Hitler, renièrent l’Opposition et se ralliè- risme individuel” », phrase extraite de
rent à staline, comme Antonov- Leur morale et la nôtre. Mais Trotsky,
Ovseenko, Piatakov, smirnov, Radek, partisan d’une « révolution politique » en
smilga, Drobnis, Racovski, etc. staline URss qui ne peut, comme toute révolu-
décide de les liquider en les calomniant tion, qu’être l’œuvre des masses, évoque
quand il entreprend de liquider la vieille dans ce passage de Leur morale et la
génération de révolutionnaires, pourtant nôtre... la guerre civile espagnole. La
en majorité ralliés à lui, pour faire monter preuve en est qu’il ajoute aussitôt après la
à leur place une nouvelle génération de phrase ci-dessus la phrase suivante que
bureaucrates pour qui la révolution russe Losurdo coupe : « Si un révolutionnaire
n’est au mieux qu’une aventure de jeu- faisait sauter le général Franco et son
nesse oubliée et qui vont constituer la no- état-major, on doute que cet acte puisse
menklatura parasitaire. susciter l’indignation morale, même chez
Quant à la police politique, Losurdo, qui les eunuques de la démocratie. » Et
ne cite aucun nom de prétendu trotskyste lorsqu’il évoque le combat contre la bu-
infiltré dans ses rangs, reprend sans doute reaucratie ou nomenklatura, il ajoute aus-
à son compte les fables les plus grossières sitôt après pour que tout soit clair :
et les plus invraisemblables des procès de « L’émancipation des ouvriers ne peut
Moscou et des procès à huis clos qui les être l’œuvre que des ouvriers eux-
ont accompagnés, présentant les deux mêmes. »
chefs successifs de la police politique, staline a tenté, à partir de 1934, de disqua-
Iagoda et Iejov, et leurs adjoints (le vice- lifier la lutte politique de l’Opposition
commissaire du NKVD, Joukovski, les trotskyste en la transformant en lutte ter-
dix-neuf responsables de la garde du roriste : pour mieux justifier la liquidation
Kremlin et des centaines d’autres respon- opérée par ses soins de la très grande ma-
sables du Guépéou-NKVD) comme des jorité des vieux bolcheviks, même, je le
membres de prétendus complots trotsko- répète, de la majorité de ceux qui se sont
droitiers ou trotskystes... après avoir pour- ralliés à lui. staline maquille le combat
tant été chargés pendant des années d’or- pour renverser la bureaucratie et sa clique
ganiser la chasse aux trotskystes (réels ou en tentatives d’assassinat contre lui et ses
prétendus), fusillés par centaines sous leur fidèles seconds. Il attribue ces tentatives
direction. On sort là de l’histoire pour en- virtuelles à quiconque lui tombe sous la
trer dans le mauvais roman policier. main, comme neuf des femmes bibliothé-
Losurdo, enfin, recourt à la falsification caires du Kremlin accusées de se prome-
pure et simple pour tenter de convaincre ner avec des fioles de poison (qu’elles ne
son lecteur que staline n’a fait que répon- distribuent jamais à personne pourtant !)
dre aux entreprises conspiratives et terro- pour assassiner staline et ses plus fidèles
ristes de Trotsky. Il évoque « une série de compagnons. Par extraordinaire, en effet,
personnalités assez différentes entre elles jamais aucune de ces prétendues tenta-

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tives répétées d’assassinat perpétrées staline, assimile à un complot la révolu-


pourtant par des gens infiltrés, selon tion politique défendue par Trotsky pour
Losurdo, dans le Guépéou et l’appareil rendre le pouvoir à la classe ouvrière et
d’État (et jusqu’au cœur même du défendre la propriété d’État contre la no-
Kremlin, on vient de le voir) n’a connu le menklatura qui finira par la renverser pour
moindre début d’application. Le procu- en privatiser les débris à son profit. Tel est
reur des procès de Moscou, l’ancien men- le fondement réel de sa défense de staline,
chevik Vychinski, n’en cite aucune, même du stalinisme et de la nomenklatura, qui,
s’il tente une fois de transformer un déra- rappelons-le, a renversé l’URss pour dis-
page de la voiture de Molotov dans un vi- loquer la propriété d’État et mettre la main
rage en attentat. Losurdo, dans le droit fil sur ses débris privatisés. 
des manipulations et falsifications de

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