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L'ORIGINE
DE LA GÉOMÉTRIE
TRADUCTION ET INTRODUCTION
PAR jACQUES DERRIDA
Lt lexle Jonl no/u proposolls id la IraÓl«lion a íti publii pour la premiere fois, JaIlS
son Ílltigralili origillal" par Walter Bie;nel, Jansl, 1I01u"" VI J,s Husserliana «Die
Krisis der europilischen Wissenschaften und die transzendentale Phanomenologie,
Bille EinleillOlg in Jie phiJnommologiuhe Pbilosopbi, » (M. NijbofJ, La Haye, 19M).
11Y esl e/aui tomme I,xle annexe nO 111 (pp. 365-386) all paragraphe tIt la « Krisis ... »
tonsatri ala « giomélrie pure» (118 Parlie, § 9 a, pp. 21-25). Cesl ti ttlle édilioll triliqtll
que nous nous sommlS reporli Jans Mire Iratlutlion.
L, maHUuril original Jale tIt 1936. Sa Iranltriplion Jatlylograpbiqtll ne porle aunm
lilrt. Auleur de alle Iranstt'iplion, Eugtll Finlc en a égallmenl publii un, lIersion élaborée
tlans la Revue internationale de Philosophie (nO 2,15 ja""ier 1939, pp. 203-225),
sous It lilre «Die Frage nach dem Ursprung der Geometrie als intentional-
historisches Problem. » D,puÍI, t'tI/sous alle for1lle que le lexl, a été /u el friquemm,nl
d/i. Son hisloire, au moins, lui confirail tIont tlljlz un ter/ain Jroi/ Iz l'inJépentlonr,.
ISBN 978.2-13-057916-8
ISSN 0768-0708
(1) Husserliana, Band VI, Herausgegeben von Walter Biemel, M. Nijhoff, l.a
Haye, 1954. Nous la désignerons en référence par la leUre K.
4 VORlGINE DE LA GJ30MJ3TRIE
(x) Ces pages de Husserl, d'abord écrites pour sol, ont en eftet le rythme d'une
pensée qui se cherche plut6t qu'elle!le s'expose. Mais iel la discontinuité apparente
tient aussi 1\ une méthode toujours regrcssive, qui choisit ses interruptioDs et
multipüe les retours vers son commeneement pour le reasaisir cbaque fois daDs
une lumi~re recurrente.
INTRODUCTION
1
L'objet mathématique semble etre l'exemple privilégié et le fil
conducteur le plus permanent de la réflexion husserlienne. C'est que
l'objet mathématique est idlal. Son etre s'épuise et transparatt de
part en part daos sa phénoménalité. Absolument objectif, c'est-a-dire
totalement délivré de la subjectivité empirique, il n'est pourtant
que ce qu'il apparart. I1 est donc toujours déja rMuil a son sens
phénoménal et son etre est d'entrée de jeu etre-objet pour une
conscience pure (1).
La Philosophie der Arilhmelik, premi~re ceuvre importante de
Husserl, aurait pu s'intituler L'Or(e,ine de /' Arifhmltique. I1 s'agissait
déja, comme dans L'Origine de la Géomltrie, malgré une inflexion
psychologiste dont on a souvent et justement souligné l'originalité (z),
de réactiver le sens originaire des unités idéales de l'arithmétique par
un retour aux structures de la perception et aux actes d'une subjec-
tivité concrete. Husserl se proposait déja de rendre compte a la ¡oís
de l'idéalité normative du nombre - qui n'est jamais un fait empi-
rique accessible a une histoire de meme style - et de sa fondation
dans et par l'acte vécu d'une production (5). La genese de l'arithmé-
(1) lbtll.,trad. p. 5. NoUl DOUl réf~reroD' d&ormaia l cette lIadUCUoD qul sera
d&IgD~e par L.F.T.
(2) lbtll., p. 8.
(3) llnd., p. 8.
(4) lbtll., p. 13.
(5) • DOUI devcms domlDer cette vie totale et cet enaemble de traditlou
cultureUes et par des priles de C:ODadence radIcaleII n:chercber pour DOUI, en taDt
qu'étrea iIo~1 et en taDt qu'étrea faisaDt partle d'uoe c:ommUD&u~, tés poulbiBt&
el Dkessitée demiHes l partir desqueUes DOUI pouVODI prendre poslUoD 1\ l'lgaJd
des Ralitée en jugeant, en ~U8Dt, en agaual -, tbid., p. 9.
(6) L.F.T., p. 10. Sur le caraclm • dwldMw _ de la JoPque, d. aUIII L.F.T.
§ 71, p. 245.
11 L'OlUGINE DE LA GE:OMbTRlB
(1) L'ontologie formelle désigne id la 10giquc fonnelle • au sens "roit ", et • IovIes
les au'res disciplines qui c01lstitUCllt la • mat]¡csis 1/I~it'ersalis I formelle (donc aussi
l'arithnuitique, l'analyse pure, la. tlUorie de la I.'tllltiplicit¿j ", d. It.Ües ... 1, trad.
p, RIC<EUR, p. 34.
(2) Cf. ldées ... 1, §§ 8, 9, lO, 17, trad. P. RIC<EUR, pp. 33'43 et S7-S9. Nos réf~
rences tt ldées ... 1 renverront désormais directement a la traduction de p, RICtEUR.
(3) • Com.me on le voit clairement, l'essence de la chose matérielle implique
qu'elle soit une res extensa, et ainsi la géométl ie es' la. discipline ontologJqtul qui s.
rapporle a 'm moment cliJitique de celte structure de chose (Dinglichkeit), c'est-a-dire a
la IOTIne spatiale I (c'est Husserl qui souligne), ldécs ... 1, § 9, p. 37.
Cf. aUMi ¡dies ... 1, § 25, p. 80 : la géométrie et la cinématique (que Husser1lui
associe toujOUIS dan!! la Krisis et dans I:OrigiIJe ... ) y SOllt au!!Si définies com.me
I disciplines pureme"t lIIathllllatiqllrs ... 111<ItJriC/¡"s J.
(1) ef. L.F.T., p .... : • lA rappo" o,igifl" em" lo,iqw el srimu s'esl baven6
d'u"6 _"ü,e ,,,na'9ffabl, da"s l,s umps moá,,,.es. Les scieflces 1»'i,..., 1..1' indJ-
pmtlafIC', eUes ¿labo,~"fIt sans pouvoi, satis!air, pleifllmlfll ¿ l'esprit de 1'.tIIo;,"-
tt/icalio" Ct',tique, des mílhodes llautemeflt áiffl,eflCiées dofII la Ilconáité Il4i, """
54,. au poinl de ti"' p,atiqu" _is don' l'aclion (Leistung) ,,'114., pa.s fifltslemml
comp,is, aVIe ¿vid,nc,. J Nous soulignons. C'est d'aiUeurs il propos de la lcience
g~m~trique et des mathématiques en général que Husserl a prlndpalement, et le
plus souvent. défini cctte UmkeJa,ung, comme falsification du sens. déplacem.ent du
fondement et oubll des origines. Ill'a fait au moins sous trois formes :
l. La géométrie, modele de 1& science exacte,-est responsable de la naturallsaUon
du psychique dénnncée dalls la premil!re partie de La pllilosopllie comme scÍlJtc'
,igoureus, (et. en parliculier pp. 61, 63, 71, de la trad. Q. LAUER). Songcons aussi
illa géométrisatioD du vécu dont l'absurdité est dénoncée dans Idí" ... 1 (§§ 72-75,
pp. 329-241), a la fois en raison de l'uaditude et de la déductivilé géométriques.
2. C'est l'idéal géométrique (ou celui de la physique matbémaUque) qul, dogma-
Uquement recu, a poussé Descartes il recouvrir le motif transccndantal qu'U avalt
génialemcllt mis au jour. La certitude du cogi'o devient fOl1dement axio_ltque et
la phUosophie se transforme tn syst~me déducti!. oTlline geometrico : • Mala le fon-
dement est encore plus profond id qu'en géométrie et est appelé il constituer le
dernicr fOlldl'ment de la science géométrique eUe-méme J, M.C., § 3, p. 6 j
d. aussi 1\., 11. I'artie. en particulier § 21.
3. Enlill, toute la J(,isis_ .. tend é. montrer comment la géométrie, fondement
de la mathématisalioll de la naturc, cache la v,a" nature. C'est peut-étre une des
ralSOIlS pour lesqllelles, sans toutefois rcmettre expllcltement en question la défini-
tion de la géométrie comme science éidétique ou ontologie matérieUe de la spatialité
de la chole natureUe, déJllliUon souvent proposée en exemple juaqu'aux ldúl... l.
Husserl oe l'utiUscra glt~re par la Illite.
~
14 L'ORIGINE DE LA GÉOM:E;TRIE
tcnte de frayer un de ces chemina qui est luggúé précisémcnt par le fait que dans
le passé 00 a référé l'idée de scieoce si la logique coo~e commc sa oorme (1).»
Aussi, par un 1II0tnJIIIII1I1 ," ",.i/J, qui fait tout le prix de notre
texte, une audacieuse percée s'effectue a l'intérieur des limites régio-
nales de la recherche et les transgresse ven une nouvelle forme de
radicalité. A propos de l"histoire intentionnelle d'une scienee éidé-
tique parciculiere, une prise de conscienee de ses eonditions de
possibilité nous révélera exemplairement les condicions et le sens
de l"historicité de la science en général, puis de l"historicité univer-
selle eomme horizon dernier de tout seos et de toute objeccivité en
général. Des lors, les rapports arehiteetoniques évoqués a l'instant
se trouvent compliqués, sinon renversés. Ce qui démontrerait, si
cela était encore nécessaire, aquel point l'ordre juridique des impli-
cations est peu linéaire, et difficile la reconnaissance du point de
départ.
C'est a l'intérieur de ces difficultés que, avee une prudence
extréme, Husserl essaie de faire entendre son propos dans L'Origilll
¿, la Glolllltri,.
11
De nombreuses précautions méthodologiques de types divers
sont prises, de: fa~on assez enveloppée, dans les premieres pages.
l. Tout d'abord, pourvu que la nocion d'histoire soit comprise
en un sens nouveau, la question posée doit étre entendue dans sa
résonanee la plus historique. n s'agit d'une répétition d'origine. C'est
dire que la réflexion n'opere pas sur ou dans la géométrie elle-méme,
telle qu'elle « 1I0IIS ISI I¡",.I, 101111 prlll » (z). L'attitude choisie
n'est done pas celle du géom~tre : celui-ci dispose d'un syst~me de
vérités quí sont déja la, qu'il suppose ou met en ceuvre dans son
activité géométrisante, ou encore de possibilités d'axiomatisations
nouvelles qui, jusque dans leurs problemes et leurs difficultés, s'an-
noncent dé}a comme des possibilités géomélriquu. L'attitude requise
n'est pas davantage celle de l'épistémologue c1assique quí, dans une
sorte de coupe horizontale et anhistorique, étudierait la structure
systématique de la science géométrique ou des diverses géométries.
Ces deux attitudes reléveraient de ce que Husserl avait déja défini dans
ÚJgit¡lll ¡orille", el /ogiqrll IranscenJanlaJe, et rappelé dans la Krisis
comme « nai'velé de révidence apriorique » qui « tienl en mOll1Jemenl loul
Iravail géomélrique normal» (1). Non seulement l'intelligence et la
pratique de la géométrie, mais une certaine réflexion seconde sur la
géométrie constituée sont toujours possibles et parfois profondes
et créatrices, sans que la géométrie soit sollicitée dans son sens
d'origine inhumé. C'est toujours a la Krisis•.• qu'il est fait écho.
« Dans l'attitude du géometre, le besoin (de la question d'origine) ne se fait
pas sentir: on a étudié la géométrie, on « comprend » les concepts et les propo-
sitions géométriqucs, on fait familicrement crédit aux méthodcs opératoires
comme modes d'emploi de formations détinies avec précision ... (2). »
16 L'ORIGINE DE LA GbOMbTRIE
(x) Cf. K., § 9 1, p. 58 : .... j'ai rattaché l son nom (Galilée) toutes ces considé-
rations (done, d'une certaine fa~n, en simplifiant les ehoses par une idéalisation),
bien qu'une analyse historlque plus exacte eílt dú rcconnaJtre ce dont, dans ses pen-
sées, il est redevable a ses « précurseurs l. (Je continuerai d'ailleurs, et pour de
bonnes raisons a procéder de la sorte.) •
(2) I,'inauguration galiléenne, qui ouvre carrlére a l'objectivlsme en faisant un
• en sol I de la nature mathématisée, marque l'acte de naissanee d'une erise des
scienees et de la philosophie. Aussi retient-elle davantage l'attention de l'auteur de la
K,isis ... Encore Husserl inslste-t-il déja beaucoup sur la secondarlté de la révolution
galiléenne et sur l'hérltage scienti6que qu'elle supposait, notamment celui de • la
géométrle pure, la mathématique pure des formes spatio-temporelles en général,
prédonnée a Galilée comme une tradition ancienne • (K., § 9 a, p. 21), « géométrie
relaUvement développée qui était proposée il Galilée, s'étendant déjl en une appli-
caüon non seulement terrestre, mais astronomique .... (ibid., § 9 b, p. 26). Pour
Galilée, le sens d'origine de la tradition géométrlque était déja perdu : «Ga1üée était
lui-m~e, il l'égard de la géométrle pure, un hérlüer. La géomét,ü héritée et la
méthode hérltée de l'invenüon, de la démonstration • in tui Uves " des construeüons
« lntuiUves ", n'étaient plus la géomét,ü o,iginaire, (elle) était elle-m~e déja vúlée
dI &MI sens dans eette «intuitivité .• (Ibid., § 9 h, p. 49. e'est Husserl qui souligne.)
INTRODUCTION 17
(1) • Ce fut une négUgence fataJe que Galilée n'ait pas posé de question-en-retour
vers la production originairement donatrice de sens, laquelle o~re en tant qu'idéali-
saUon sur l'archi-901 de toute vie théorétique aussi bien que pratique - sur le 901 du
monde immédiatement intuitif (et ieí, spécialement, du monde empirico-intuitif des
corps) - et foumit les formations idéales de la géométrle • (K., § 9 A, p. 49).
Tout comme l'oubli en géné1'aJ, la « fatalité • de ceHe « négligence • ou omission
(VerJiJ.",,,,ü), qui n'est jamais interrogée pour eUe-meme et en eUe·méme, est
affectée, seJon les textes et contextes, de rune des trois significations suivantes
a) Celle d'une nécessité empirlque (dans I'ordre de la psychologie individuelle
ou sociale et de l'histoi~ faetice) done d'une néceseité extrin~ue, et par suite
contingente au 1'egard du sens et de la téléologie de la raisoD. Elle a alors la négativité
inconsistante de !a • non-essenee • (das crnUlesen), et de la défaite • apparente •
de la 1'ai90n. IUuminée par la téléologie de la Raison, elle cesse d'étre. un destin
ténébreux, une fatalité impénétrable • (el. La erise de l'humanité européenne et
la philosophie, trad. P. RICCEUR, Revue de Métaphysique el de M01'ale, 1950,
pp. 257-258).
b) Celle d'une faute éthico-philo90phique radicale : faiUite de la liberté et de
la responsabilité philosophiques;
e) Celle d'une nécessité éidétique : nécessité de la eédimentation prescrite l
toute constitution et 1\ toute traditionalisaUon du sens, donc l toute histoire. Cette
prescription est llOn tour talltOt valorisée (comme eonditlon de l'historlcité et de
l'avénement progressif de la raison), tantOt dévalorisée comme mise en sommeil
des origines et du sens recueilli. Elle est en vérité une valeur menac;ante.
11 va de lOi que ces trois significations, apparemmeut irréductibles 1'une ll'autre,
!!Ont peolées par Husserl 1\ partir d'une seule et meme intuition latente. En cette
intuition, c'est l'histoire elle-meme qui s'annonce. Ri ron parvenait l penser le
fondement unitaire l partir duquel ces t1'ols propositions peuvent etre r~ues
limultan~ent et eans contradicUon, c'est l'histoire elle-méme qui se penserait.
Mais alors disparaltralt la poIIIibilité d'une crise de la rai90n, dont la négativité
doit Ure impensable en eUe-meme.
18 L'ORlGINE DE LA GEOMETRlE
t) b, p. 26.
(1) K., §
(a) ¡bid., pp. 26-a7. Cette pbrase annonce aUSlJi bien ]a suite de ]a Km ..,
consacrec au moti! transcendantal dana la phDoeopbie poat-ga1i1éeDne, que des
recherches comme celle de L'O'igiM ...
INTRODUCTION
(1) • Premier • (ersu) désigne presque toujours chea Husserl80it une primaut~
indétenninée soit, le plue souvent, une priori té chronologique de fsit dans le tempe
cosmJque conetitué, c'est·¡\·dire une facticité originelle. P,oto·, Arclle·, U", rmvoie
1\ l'originarité phénoménologique, celle du sens, du fondement, du droit. aprés la
~uction de toute factidté.
10 L'ORlGINE DE LA GÉOMÉTRlE
(1) Sur]a néc:essité de partir des lIdences existan tes utiliséea comme fU conduc-
telar dan8 ]a régressloD transc:endantale, d. L.F.T., p. 13 • Nous prtsupposons
donc les llciences, de meme que la logique eDe-mse, en noUl appuyant sur 1 '. expé-
rience • qui livre ces lIdences. Dana cette mesure, notre f~D de procéder De paraSt
ftre nuUement radica1e; en effet, ce qui est préc:lsément en ql1estiOD, c'est le aena
authenUque des lIdences en général... CependantauthenUquementouDOD, nousavons
l'a::pá'ience des lIdences el de ]a logique en tant que formes c:ulturelles qui DOU8
IOIlt déJl doDn~, qui portent en eUes leur intenUon, leur • sena •... " d. aUlli,
l ce sujet, L.F.T., intr., p. 20, el § 102, pp. 356-357, el M.C., § 3, p. ,.
INTRODUCTION
id, c'est que cette intuition husserlienne, en ce qui concerne les objets
idéaux des mathématiques, est absolument constituante et créatrice :
les objets ou objectités qu'elle vise n'existaient paJ atJanf elle; et cet
« allan/» de l'objectité idéale marque plus que la veille chronologique
d'un fait: une préhistoite transcendantale. Dans la révélation kantienne,
au contraire, le prernier géometre prend simplement conscience qu'il
suffit a son activité de mathématicien de demeurer dans l'intériorité
d'un eoneept qu'il ponede déja. La « fonslrllftion» ~ laquelle il se livre
alors n'est que l'explicitation d'un concept déj~ constitué qu'il
rencontre, en quelque sorte, en lui-meme. Description qui vaudrait
sans doute, aux yeux de Husserl aussi, pour tout aete de géometre
non eréateur, et nous instruit sur le sens de la géométrie toute faite
en tant que telle, mais non sur la géométrie en train de se fonder.
« Car, dit Kant, i1 découvrit qu'il devait ne pas suivre la trace de ce qu'il
voyait dans la figure ou du simple concept de cette mtme figure, mais qu'il devait
porter au ¡our (hlrvorbringen) (son objet) a I'aide de ce qu'il y faisait entrer lui-meme
et s'y représentait a priori par concept (par construction) et que, pour savoir
quelque chose a priori en toute sécurité, il ne devait rien attribuer aux choses
(SlUhe) que ce qui s'ensuivait nécc:ssairement de ce qu'il y avait mis lui-meme
conformément a son concept (1). »
(1) lbid. L'édition Erdmann note que hert'orbringm n'a pas • son objet • dans
le texte kanUen.
~
L'ORlGINE DE LA GÉOMÉTRlE
(1) C'est l'absence de la Botion déclsive d' • apriori matériel • ou « contingent "
telle que Husserll'a définie, qui semble ainsi déraclner l'apriorisme formaliste de Kant
hors de toute histoire concrete, et inhiber le theme d'une histoire transcendantale.
Sur la nolion d'apriori contingent, d. en particulier L.F.T., § 6, pp. 41-43.
Le niveau de la géométrie, comme ontologie matérielle, est préclsément celui
de tels « apriori matmels •.
(2) Ceci semble d'ailleurs vrai de la totalité de l'analyse transcendantale de Kant.
INTRODUCTION
(1) Cf. en particuUer Idús ... 1 (§ 1, n. /1, p. 13 et p. 16), OU sont • exclues. 1 1&
foU l'origine histotique et l'histoire comme sc:ience de l'esprit. Au aujet des &dences
de l'esprit, 1& question y est • provUoirement Iéservée • de savoir si ce SODt des
• sc:iences de 1& nature ou des lc:ieDces d'un type e&IIeDtleUement nouveau '.
Bien entendu, c'est en tant que I/lUs et DOn eII tant que ,",""es que les • données •
historiques sont mises entre parenthéses. En se demandant • 1 queDe science •
la phéDoméDologie • peut puJser • en tant qu'elle est eDe-méme • &dence des • ori-
gines " ", et queDes sc:iences doivent lui étre • interdites ", Husserl écrit • D'abord
it va de soi qu'en mettant hora circuit le mondenaturel, physique et peycho-physique,
on exclut aussi toutes les objectivités individuelles qui se constituent par le moyen
des fonctions axiologiques et pratiques de la consdence : produits de la civilisation,
czuvres des tec1mlques et des beaux-arts, &dences (tl/IftS '" mes." or) ,lles ,.';me,-
lliennmt p/lS '" ,,",, qtI'~ de valillUJ frI/Iis p,kis¿"""t '" ,.,., qvel/lSt cWtv,.I)
(c'est nous qui lOUligDons), valeun estbétiques et pratiques de tout genre. 11 faut
auui Y joindre naturellement les éalitéa teDes que l'État, les mczurs, le dJoit,
la religioD. Ainsi tombml $OIIS " DOVP de '" mis, hM. nr",it tofIIIs "s seimcll de '"
ftIÚIIf', ., de l'esprit, avec l'ensemble des ClOn"al. .n~ qu'ell~ ont accumulées,
en tant précisément que ces sciences requiérent l'attitl1de naturelle ., Idús... 1,
I 56, p. 188.
(2) Cf. les dt1lnitionl de l'hlstoire comme &dente emplrlque de l'esprit dana ú
philosophie comme seu"" "igo."use, en particuliex pp. 101-102, de la trad. Q. ~UPJIl.
INTRODUCTION
(1) rdé,s ... 1, § 7, p. 31. C'est Husserl qui souligne. Cette autonomie de la
v~rité mathématique au regard de la perception et de la réalité naturelle, en les-
quelles elle ne saurait ~tre fondée, n'est id dttrite que de fa~on négative. C'est
la non-d~dance qui est soulignée. Le fondement positif de la vérité n'est pas
recherché pour lui-méme. A partir d'une analyse du • phénoméne » mathématique,
ou afin de mietl.ll: isoler son « sens ., on réduit simplement ce qui est indiqué dans
ce seDS comme ce qui ne peut actuellement étre retenu a titre de fondement. C'est
a 1'IIalludnatiofS que Husserl mesure l'intangibilité eid~tique du sens math~ma
tique. Dans le Tlli"éUte (190 b), Platon avait recours au sonce. Le développe-
ment husserlien se situe aussi au méme plan et revét le meme style que l'analyse
cart5enne de l'évidence mathématique ava"t l'hypothése du Malln Gmie, dans
la Premiére Méditation : • Mais (nous ne conclurons pas mal... si nous dísons que)
l'arithmétique, la géométrie et les autres sdences de cette nature, qui ne traitent
que de choses fort simples et fort générales, sans se mettre beaucoup en peine si eUes
sont dans la uture ou si elles n'y sont pas, contiennent quelque chose de certain et
d'iDdubitable : car, sott fJ1U ie veille ou que ie tlorme, detl.ll: et trois joints ensemble
formeront toujours le nombre de ciDq, et le carré n'aura jamais plus de quatre c6tés:
et U ne semble pas possible que des v~rités si claires et si apparentes puissent ~tre
sou~nnées d'aucune fausseté ou iDcertitude. •
C'est seulement a/Wu cette pbénoméDologie de l'évidence mathématique que,
avec l'hypothése du Malin Génie, se posera pour Descartes la question critique ou
juridique du fondement garantissant la vlrifé d'une évidence naive, dont la des-
cription el1e-m~e et la valeur « naturelle • ne seront d'ailleurs jamais remises en
cause, a leur niveau propre. De ces véritéa constituées, dont le mode d'apparaltre
at ainsi clairement recoDDu, le fondement originaire sera délégué 8. UD Dieu vérace
INTRODUCTION
et créateur des vérités étemeUes. Husserl, apres une ~tape descriptive analogue, le
recherchera dans des actes historiques de fondaUon origiDaire (U ,sl'/I"n,). A cet
égard, le Dieu cartésien, comme celui des grands ratlanalistes c1assiques, ne serait
que le nom donné a une histolre cachée et • foncUonnerait • comme la réduction
nécessaire de l'histoire empirlque et du monde naturel; réductioD qui appartient
au sens de ces sclences.
Mais nous verrons que malgré cette extraordinaire révoluüoD qui fonde la
vérité absolue et étemeUe sans le secours de Dieu ou d'une Raison infinie, et qul
semble dévoiler et redescendreo ainsi vers une certalne llDltude originairement
fondatrice tout en évitant l'empirisme, Husserl est molDs élolgné de Descartes qu'il
ne semble. Cette hlstoire cachée prendra son sens dans un Telos lnfini que Husserl
n'hésitera pas a appeler Dieu dans ses dernlers écrits inédita. 11 est vral que cet
infini, qui travaille toujours déjé les origines, n'est pas un inllnl posltif et actuel.
11 se donne comme une Idée au sens kanüen, comme un • indéfini • régulateur dont
la négaüvité laisse ses droits é l'histoire. Ce D'est pas seulement la moraUté mais
l'historicité de la vérlté elle·méme que l18uverait lcl cette. falsiñcaüon • de l'in¡'in.
actuel en un ilJllJrmi ou en un d-l"n¡'in¡, falsUication dont Hegel accuaait Kant
etFichte.
(1) Id/es ... 1, § 70, p. 227.
L'ORlGINE DE LA GÉOMSTRlE
tous les objets idéaux (1). Leur historicité est done une de leufS
eomposantes éidétiques, et il n'y a pas d'historicité eoner~te qui
n'implique néeessairement en elle le renvoi a une « Er Jlllla/igleeit ».
Nous disions, i1 y a un instant, qu'il pourrait etre impossible de
substituer un aulre fait au fait unique de la prellliere foiJ. Sans doute;
mais seulement si aulre qualifie alors l'essenee et non l'existenee
empirique en tant que telle. Car un fait unique a déja son essenee de
fait unique qui, tout en n'étant rien d'autre que le fait lui-m~me
(e'est la th~se de l'irréalité non fietive de l'essenee), n'est pourtant
pas la faeticité du fait, mais le sens du fait; ee sans quoi il ne pourrait
pas apparattre et ne donnerait lieu a aueune détermination et a
aueun diseours. Quand Husserl éerivait déjs. dans La phi/oJophil
eOll/llle Jtience rigoureuJe (2) que « Pour elle (la mbJolllption phlnoll/I-
n%gitple) le Jingulier 111 élemel/elllenl/'ót1tE:tpov. Elle ne peul reeollllllllrl
d'lUU II/ani~re objectivell/enl va/ah!, que de.r ,uenclJ el dlJ re/aliollJ ¿"llene,»,
il n'entendait évidemment par singularité que l'unicité du fait, dans
sa pure faeticité, et non eelle des singularités éidétiques définies dans
ldíes... 1 (3) eomme essences matérielles ultimes qui, note P. Ricceur,
n'exeluent « que /'individllalilé empiriqlle, la « facI¡eilé» (4) », c'est-s.-dire
le 't"68& 't"t de l'existenee brote. Le probleme de la dépendanee ou de
l'indépendanee, du earactere abstrait ou concret de ees singularités
éidétiques - posé dans Idées•.. 1, a partir des notions de la troisieme
des Recherehes logiques - est bien plus difficile a traneher quand il
s'agit de singularités historiques, dont le foil empirique n'est
(1) Cf. en parUculier, t. II, 1, § 31, p. lIS. Tout en y condamnant, A la maniére
platonícienne, ceux quí, tels les. fils de la lerre " ne peuvent • entendre par ~tre
(Sei,.) qu'étre • r~el • (reales) ", c'est·a·dire « étre • dana le monde de la réalité
naturelle, Husserl rejette aimultan~ment l'hypothése du cíel intelligible : « Ce qui
ne veut pas díre pour autant qu'elles (les significatlons) solent des objets qul existent
atoon quelque part dans le • monde ", du moins dans un -r6not; oüp«Y~Ot;, ou dans UD
esprit dívln; car une telle hypostase métaphysique serait absurde. »
(2) Trad. Q. !.AUER, p. 93.
(3) §§ 11, 14, 1,5, pp. 43'4,5, .50'55.
(4) Idées ..• 1, p. 239, n. I du traducteur.
...
L ORIGINE DE LA GÉOMÉTRlB
Id « doil.Y ,Ir,
,ntrl, » révele bien l'intention husserlienne et
résume le sens de toute réduction. Ce dlvo;r (étre entré) marque la
nécessité d'une pré-scription éidétique et d'une normalité apriorique
présentement reconnue et intemporellement assignée a un fait passé.
Indépendamment de toute connaissance factice, je peux énoncer
cette valeur de nécessité. Cette 1\écessité est d'Áilleurs double : elle
INTRODUCTION
est celle d'un Qllod et d'un QIIOIIIOdo, nécessité d'alJoir UI 1111' origilll
historique et d'avoir eu leJl, origine, tel sens d'origine. Mais une
historicité irréductible se reconnatt a ce que ce « devo;r» ne s'annonce
qu'apris le faít de l'événement (1). Je ne pourraís pas définir le sens
nécessaire et la nécessité de l'origine avant que la géométrie ne rot
née ", fail et qu'elle ne m'eut été livrée en fait. Absolument libre a
l'égard de ce qu'elle régit, la légalité du sens n'est ríen en elle-meme.
Aussi, áellxielllelll,nl, quelles qu'aient été les premieres idéalités
géométriques produites ou découvertes en fait, il est a priori néces-
.aire qu'elles aient succédé a une non-géométrie, qu'elles aient surgí
sur un sol d'expérience pré-géométrique dont la phénoménologie
est possible gdce a une réduction et a une dé-sédimentation
appropriée.
Troisi;1II1I11'III, enfin, quels qu'aíent été ell failles premien géo-
Btres et le contenu empirique de leurs actes, il est a priori nécessaÍte
que les gestes instaurateurs aíent eu un sens te! que la géométrie en
soit íssue aVIl le S'"S fJIII 1IOIIS Úli tOllllaissons. Car, bien entendu, la
dduction réactivante suppose la réduction itérative de l'analyse
statique et structurale qui nous apprend ce qu'est une foís pour
toutes le « phínOllllll,» géométrie, lorsque sa possibilité est constituée.
C'est dire que, par une nécessité qui n'est rlen moins qu'une fatalité
accidentelle el extérieure, je dois partir de la géométrie toute préte,
telle qu'elle a cours maíntenant et dont la lecture phénoménologique
m'est toujours possible, pour interroger a traven elle son sens d'ori-
gine. C'est aínsi que je peux, a la fois grAce aux sédimentations et
(1) e Noua Doua tenona done daDa une sorte de cercle. r.a compréhension des
commencements ne peut s'aequérir plelnement qu'il partir de la science dODllée
dans 18 forme actuelle, par la rétrospection de son développement. )lais sans une
comprébension des commenc ements, ce développement est muet en tant que dtvelop-
pemem-de-sens. Nous n'avons pas d'autre choix : nous devons pro-céder et rétIo-
céder en. zig-zag •• (§ 9 1, p. 59).
INTRODUCTION
111
Toutes ces précautions nous ont rendus sensibles a l'extreme
difficulté de la d.che. Aussi Husserl souligne-t.il le caractere préli-
minaire et général de cette méditation en une phrase qui paralt
empruntée mot pour mot aLogiqlll jor""lIe et logique transcendantale (1) :
« Celte qllestion en rel01l1' s'en litnl inlvilablemenl ti des génlralitls " 1IIms,
cela se maniftslera bient4/, (6 sonl des glnlralills susceptibles d'/I1Ie expli-
ci/alion jlfonde... » (O., 17~)'
Sans doute, en tant que détermination apriorique, la phénomé-
nologie ne pourra-t-elle jamais enrichir ces généralités dont l'indi-
gence est essentielle; et leur « explicitatiolJ» ne sera «¡/ronde» que dans
un travail de style prospectif, régional, et, en un certain sens, naif.
Mais cette naiveté n'aurait plus le sens qu'elle avait avantla prise de
conscience de ces généralités; prise de conscience que Husserl
(1) Introduction, p. 9.
L'ORIGINE DE LA G20M2TRIE
(r) Sur les deux • faces. de la thématique d'une eclence et sur le caract~re
ob;ectil de la thématiqlle vers laquelle s'oriente exc1uslvement le savant dans SOD
activlté de savant, d. L.F. T., ~ ':l, pp. 50-53. -Le géométre ... nepenserapasaexplorer,
outre les formes géométriques, également la pensée géométrique • (p. SI).
(::) Sur ces questions, el. en particuJler J. CAVAJLLES, Su,. la log'que el la llúq,ie
de la science (Presses UlIiversitalres de Francc, 1947, pp. 70 sq.) ; TRJ.N-Dúc-TBÁo,
op. cJl., p. 35, et surtout S. BACRELARD, op. cit., pp. 100-123.
(3) Cet idéal est lIettement définl par HUS!!ERL, Ilotamment dans les R.L.,
t. 1, § 70 (pp. 269, 273), avant un para¡¡raphe 011 !!Ont définis les rapports du philo-
sopbe et du mathématldeD ; dansles ¡""es ... 1, § 72 (pp. 231-233), et daDs la L.F.T.,
§ 31 (pp. 129-133).
~
L'ORIGINE DE LA G~OM~TRIE
« ... il faut prendre aussi en consid6ration les activit6s constructives op6rant avec
des idéalités g60métriques qui, « 6lucidées )), n'ont toutefois pas 6té portées a
l'évidence originaire. (L'évidence originairc oc pcut paa etrc intcrcllangéc avec
formellement une telle multiplicité, le distingue par le fait que toute proposiUon
(toute forme de proposition) devant étre construite conformément il la grammaire
pure logique il l'aide de concepts (des formes de concepts naturellement), qui
intervieunent dans ce syst~me a:domatique, est ou « vraie • (c'est-il-dire est une
conaéquence analyUque - purement déductive des a:domes), ou • faulllC • (c'cst-A-
dire une contradicUon anaIytique) ; • "I'tillm fIOft dIJIrw ••
(1) [tU,s ... 1, § 7, p. 33.
L'ORlGINE DE LA G:SOM:STRIE
l'évidence des« axiomes»; ~arlll aXi01ll11 sonl prindpielle1llenl dijti 111 réJIIllals d'"",
formolion tÚ Jenl (Sinnbildung) originain, el onl (tlJe formalion elle-1II1"II IOlyours déjti
tÚ";erl eux.) » (1).
44 L'ORlGINE DE LA CSOMSTRlE
l'intuition 8d~tiques; mais elle est aussi l'exemple mod~ qui doit
orienter la culture comme son id~al. Elle est l'íd~ de ee qui, d~ le
premier instant de sa production, doit valoir pour toujours et pour
tout le monde, au-deIa de toute aire culturelle do~. Elle est l'id=
infulie oppos= A l'id= finie 'luí anime la W,JlanltbtJMtmg:
« Il est vrai que la WIllll1ISlbtlllllllg aussi est une« idée », mais celle d'une fin qui
se trouve daos le Iini, l ~ par principe dans une vie puticuliere, selon le
mode d'une approche constante... L' « icUe » de la W,IIIl1I/~ est, par ~.
quent, autn: pour ehaque époque... L' « idée » de la science est, au contta.ilc,
supratempon:lle, et cela veut din: ¡ci qu'eUe n'est limitée par aucune n:lation l
l'esprit d'une époque... La science est un titre pour des valeurs absolues intem-
pon:lles. Chaque valeur qui est telle, une fois découverte, appartieat d6aormais au
trésor de valeurs de IDNIII'humanité ultirieure et détermine éTidemment ea dme
temps le canteau matérie1 de l'idée de la culture, de la sageue, de la FllJa-
SIÁlllll1lg. ainsi que le conteau de la pbilosophie de la WIIIIIII~ (1).»
(1) lbid.
(2) Comme HuSSF.llL l'avalt ~jl 1IOU1Ign~ daae les R.L. (t. 11, 1, S 32, p. 119),
l'lcUalité n'eat pas toujOUl'B normative. La valeur est une ldéaUté sup&ieure qul
peut s'attacher ou ne pu a'attacher l l'ld~té al géDéral. Noua le vemma plUI
loiD : le sena de l'erreur a IOIlldSUté propft.
,
L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRIE
(1) C'est alOr! que naissent les redoutables difficultés abordées dans la dnqui~me
des Méditations cart.Jsiennes, et dans lesquellcs nous ne voulons pas clltrer ici.
INTRODUCTlON
IV
Parvenu a ce point, Husserl opere un détour qui peut paraltre
déconcertant. Au lieu de décrire cette genese primitive du sens en
elle-meme et dans son Erslmoligleeil, i1 la considere tacitement et
provisoirement comme dija effectuée, le sens étant déja évident. 11
se contente de rappeler que nous connaíssons la forme générale de
cette évidence (1) : celle-ci doit etre, ne peut pas ne pas etre, comme
toute évidence, qu'elle soit perceptive ou éidétique, intuition d'une
réalité naturelle ou d'un objet idéal, « soisie á',ln ¡Ionl dons la tonstienee
de son Itre-Ia, de fOfon origi1l41e el en personne» (O., 178). C'est le rappel du
«prin&ipe des printipeJ)) défini dans Idies ... l. Si peu que nous sachions
de la premiere évidence géométrique, nous savons o priori qu'elle
a du revetir cette forme. Mais ce savoir o priori concernant la forme
de l'évidenc~, bien qu'il s'applique ici a une origine historique,
n'est rien moins qu'historique. Définissant une « sOllrte áe ároil »
pour la eonnaissanee de tout objet en général, i1 est un de ces a priori
formels supposés par toute scicnce matérielle id par la géométrie
et par l'histoire; c'est paree que la premiere évidence géométrique a
(1) 11 se fait en del termn qui rappellent ceux des ldées ... 1, sana doute, mala
surtout ceult de la L.F.T., er. notamlr.l.'nl I..F.T., § 59, pp. 213-217.
L"ORlGINE DE LA GÉOMÉTRIE
1) eette questiou, Husserl l'avait posée daDs les m~es termes, maIs dans
IOD exteDSiou la plus générale et avec une iDflexiou plus critique, moiDs bis-
torique, daDs L.F.T. (§ 100, pp. 351-352) ol eUe est toutefois Iiml* tia sphae
qologique de l'objectlvité. lWe est id orientée ven la possibUlté de l'esprit
objectif c:omme conditiou de l'histoire et prend t. cet égard le c:ontre-pied de la
questiou diltheyenne. DUthey part, en effet, de !'esprit objectif déjt. constitué.
I1 s'agit alon pour lui de .voir CODÍDleut les sigDUicatioDS et les valeun de ce
milieu objectif peuvent etre intériorisées et assumées c:omme te11es par des sujeta
INTRODUCTION
IllJirl de tout acte intentionnel ,,'est fJ'II son sens jifUll, c'est-l-dire la
constitution d'un objet (au sens le plus large de ces mots). C'est
pourquoi seule une téléologie peut s'oumr un passage vers les
eommencements.
Si le sens du sens g&>métrique, e'est l'objectivité ou l'intention
d'objectivité; si la géométrie est ici l'index exemplaire de la scienti-
ficité et si l'histoir~ de la science est la possibilité la plus haute et la
plus révélatrice d'une histoire universelle dont le eoncept n'existerait
pas sans elle, e'est le sens du sens en général quí eet ici déterminé
comme obj,l; c'est-l-dire comme mose disposée et disponible en
général et d'abord pour un regard. L'image mondaine du rlgard
ne serait pas le modele inapers;u de l'attitude théorétique de la
conscienee pule, mais luí emprunterait au eontraire son sens. Ce quí
est profondément aecordé a la direction initiale de la phénoméno-
logíe l'objet en général est la catégorie derniere de tout ce qui
peut apparattre, e'est-l-dire étre pour une eonscience pure en génhaJ..
C'est sur l'objet en général que toutes les régions s'articulent avec la
conscience, qui est l'Ur-R,gio" (1).
Aussi quand Husserl aflirme qu'une production de seas a dA se
présenter d'abord comme évidence dans la eonscience personne11e
de l'inventeur, quand il pose la question de son objectivation
flltlri,.,., (dans un ordre chronologique factiee), il évoque une sone
de ñction destinée a problématiser les caracteres de l'objectivité
idéale et a montrer qu'ils ne vont pas de soí. En vérité, il n'y a pas
d'abord une évidence géométrique subjective qui deviendrait ensuite
objective. n n'y a d'évidence géométrique qu' « apartir dM 1/101111111
Di» elle est évidence d'une objectité idéale et celle-ci n'est telle
qu' « apres» avoir été mise en circulation intersubjective.
oo. « l'ezistence géométrique n'cst pas existence psychique, elle n'est pas CI:is.
tcnc:e de quclque chose de personncl dans la sph= pcnonnel1e de la coDSciencc;
elle eat mltence d'un ~tre-lA, objectivemeot, pour «·tout le monde » (pour le
g~ometre r~d et poasible, ou pour quiconque comprend la géo=trie). Bien
mieux, die a depuis sa proto-fondation une enstence spécifiquemcnt supratem-
porelle et accessible, noUl en avons la certitude, s\ tOUI lea hommea et en premier
lieu aux matMmaticiens réela et possiblea de tous lea peuplea, de tous lea siecl.ea.
et ce IOUS loutea sea formes particulleree» (O., 178"'9).
L' « aIJan/» et l' « apreS» doivent donc ~tre neutralisés dans leur
facticit~ et utilis~s entre guillemets. Mais peuvent-ils ~tre tout sim-
plement remplacés par le « si» ou le « POIl11l11 que » intemporels de la
condition de possibilit~ ?
Le langage de la genese peut, en effet, parattre ici fictif: il ne serait
pas appel~ par la description d'un devenir rée1, neutrali~ au principe,
mais par la mise au jour de conditions de possibilité formelles,
d'implications de droit et de stratifications éidétiques. S'agit-il alora
d'lústoire? n'en revient-on pas a une régression transcendantale
classique? et l'enchatnement des n~cessit~s transcendantales, bien
qu'il soít rl sur le mode du devenir, n'est-il pas au fond le
sch~ma statique, structural et normatif des conditions d'une bistoire
plutót que l'histoire elle-m~me ?
Des questions de cet ordre pourraient parattre graves et mettre
en cause toute l'originalité de cette tentativc. Mais elles restent,
semble-t-il, extérieures a l'intention husserlicnne. Sans doute n'y
a-t-il pas en ce rldl le moindre grain d'lústoirc si l'on entend par
la le contenu facttce d'un devenir. Mais la nécessíté de cctte réduction
a été justifiée au départ. Et la déception irritéc de ceux qui attcndraient
de Husserl qu'illeur dise ce qui s'lSl pau; en ';a/#; et leur raconte une
histoire, peut ~tre vive et facilement imaginable (1) : elle n' cst en rien
légitimc. Husserl n'a voulu que déchiffrer par avance le tate cach~
sous tout récit empirique dont nous serions curieux. L'histoire-des-
(1) Cf. en particulier TRAN-Dt7c-THÁo, op. cit., p. 221. Sulvant cet IDterptite,
e'eat. le point de vue subjectiviste • qul, dans 1'0,..,,,,,
di '" Géqmjtru, aumlt
IDterdit A Husserl de e dépasser le nlveau de quelquea remarques du IICDI
ClOIDmun •.
...
L'ORlGINE DE LA GE:OME:TRlE
v
Cette possibilité s'appe11e d'abord « /angagl ». Si nous nous inter-
rogeons sur la fa~on dont l'évidence subjective du sens géométrique
conquiert son objectivité ídéale, il nous faut d'abord remarquer que
l'objectivité ídéale n'est pas seulement le caractere des vérités géomé-
triques ou scientifiques. Elle est l'élément du langage en génétal.
« Elle est propre • toure une c1asse de produits spirituels du monde de la culture
auquel appartiennent non seulement toutes les formations scienti6ques et les
lCiences e11es-meme&. mais aussi, par exemple, les formatioos de l'art li~
mire » (O., 11).
INTRODUCTION
(1) C'est une difticulté que E. FJNlt a fréquemment soulignée (en particuUer
dans son célébre article des K"ntstudien de 1933). A ses yeux, la réduction phéno·
ménologique I ne peut étre exposée au moyen des simples phrases de l'attitude
naturelle. On ne peut en parler qu'en transformant la fonction naturelle du langage ,
(I,ettr.e du II mai 1936, citée par G. BUCEa, in Le cogito dans UI philosophie de
Husserl, p. 65).
Et dans son admirable conférenee sur Les cOttCepls op¿ratoires da", UI p~
nologie de Husserl, ü attribue une certaine équivoque dans l'usage des concepta
~ratoires, celui de • COnstitutiOD " par exemple, au fait que « Husserl De s'est pas
posé le probléme d'un llangage transcendantal ••. Il se demande si, aprés la ttduc-
tion, on peut encore I disposer du Logos dans le méme sens qu'auparavant • (in
Husserl, Cahiers de Royaumont, 1959, Philosophie nO 3, p. 229).
De la meme ~D, a propos de l'expression de • vie intentionnelle " S. Bachelard
évoque le danger d'un • retour subreptiee au psyChologisme., car ele langage ignore
la réduction phénoménologique et nous inféode a l'attitude naturelle " Opa ci'.,
pp. 14-1 5.
A partir de la problématique de Vo..igitae, OD peut étre ainsi conduit a se
demander, par exemple, qud est le eens caché, le eens non thématique et dogmatique-
ment r~ du mot e histoire • ou du mot e origine J qul, en tant que foyer commun
de c:es sigDiJications, permet de distinguer entre • histoire J des faita et • histoire •
intentionnelle, entre « origine. au sens banal et • origine J phénoménologique, etc.
Qud est le fondement unitaire a partir duqud eette diftraction du eens est permiee et
intelligible ? Qu'est-ee que l'h"un", qu'est-ce que l'origine dont on peut dire qu'U
faut les entendre tantOt en td sens, tantOt en tel autre ? Tant que la notion
d'origine en gén;,'" n'est pas critiquú comme teUe, 1& vocation radicaliste est
toujours menacée par eette mythologie du commencement IIbsolu, sl remarqua-
blement dénoncée par Feuerbach dans sa • Contribution a la critique de la
philosophie de Hegel. (1839) (d. I Mllnitestes plJilosophiques " trad. :r... Althusser,
pp. 18-21).
Ces questions pourraient montrer la nécessité d'une eertaine thématique phllo-
logique ou « étymologique • renouvdée et rlgoureuse, qni précéderait le discoura
de la phénoménologie. TAche redoutable, paree qu'elle suppose résolus tous
les problémes qu'elle devrait précéder, en partic:uUer le probléme préjudicld de
l'histoire, précisément, et celul de 1& pouibUité d'une philologie historique. Elle ne
semble avoir en tout cas jamais paru urgente a Husserl, méme au moment oÍ! l'ldée
INTRODUCTION 61
sens (1). Le lion en chair et en os, visé a travers deux couches d'idéa-
lités, est une réalité naturelle, done contingente; comme la perception
de la chose sensible, immédiatement présente, fonde dans ce cas les
idéalités, la contingence du lion va retentir sur l'idéalité de l'expression
et sur celle du sens. La traductibilité ~u mot Lion ne sera done pas
absolue et universclle au príncipe. Elle sera conditionnée empiri-
quement par la tencontre contingente, dans une intuition téceptive,
de quc1que chose comme le lion. Celui-ci n'est pas une « objeclitl
;"t,lIigibl, », mais un « obj,t J, la rí&,pti"ité» (2.). L'idéalité de son sens
et de son évocation est tenue par une írréductible adhérence a une
subjectivíté empírique. Ceci vaudrait meme dans le cas 0\1 tous les
hommes avaient pu et pouvaient ,n fait rencontrer et désigner le
lion. Dans ce cas, le lien aune généralité anthropologique de fait n'en
serait pas plus rédujt. C"est que l'jdéalité du sens, comme celle du
langage, considérée en elle-meme, est ici une idéalité « ,n{ha/nl, »
et non une idéalité « libr, ». Cette dissociation entre idéalités « libru»
ou iJéalitls « ,n{ha/n/II » est seulement implicite dans L'Origilll (5);
(1) Cette dlstlnctlon est ana1yBée pour la premlére fols par HUSSERL, l l'aide
d'une grande abondance d'exemples, dans les R.L. (t. 11,1'· Recherche, en partlculier
§ u, pp. 54-55).
(2) La dlfférence entre ces deux types d'objectlvilé, qui revlent 1\ la différence
entre objectité idéaie et objet dat, est amplement décrite dans E,./ah,,,,,c 11M
U,.ua (§ 63, P.299 sq.). Les objectités intelUgibles sont d'UD « niveau wpérieur •
l ceuz de la réceptivité. lis ne sont pas préconstitués, comme ces demiers, dans
la pusivité pure de la réceptivité gensible, mais dans la spontanéité prédicative•
• Le mode de leur ftre-prédonné originaire est leur production dans l'acle prédicatif
du Je... I Autre dlfférence ceDe de len.. temporalité (1 64). Atora que I'objet réal
a SR place individueDe dans le temps objectif du monde. l'objet irréal est, 1\ I'égard
de ce demier, totaiement libre, c'est-a-dire « intemporel l. Mais son intemporalité
(ZriIIosiglrft') ou SR supratemporalité (Ob,,,.illiellJuü) D'est qu'UD • mode. de la
temporalité : l'omnitemporalité (All.IiUiehkeil).
(3) Blle trouve IOn ezplicitation la plus directe et la plus éclaIrante, du point
de vue de notre tate, dans Er/Ah,.""g "nd U,.ua (§ 65, p. 321). On peut y lire en
particutier : • 11 s'avére ainsi que mfme les formations de la culture De 80nt pas
toujoun des idéalités toblement tibres, et U s'ensuit une liis,i,.,tio,. ene" idialiti.
libr,s (comme les formatiol1s logico-mathémaUques et les structures d'cssenc:e
otOMItTRIE 3
,
L'ORlGINE DE LA GbOMbTRlE
pures de cet ordre) et les üUalités enc1ullnées qui, dans leurs sens d'étre, emportent
de la réalité avec elles et, de ce fait, appartiennent au monde réal. Toute réalité
est ici reconduite l la spatio-temporalité et ce en tant que forme de l'individuel.
Mais elle appartient originairement lla nature ; le monde comme monde des réalitH
tient son individualité de la nature comme sa couche la plus basIe. Quand nous
parlons de vérit~, d'états-de-choses vrais, au sens de la scicnce tMorétique, et que
nous disons par 1l que la valeur • une foís pour toutes • el • pour 10ut le monde •
appartient l lcur sens, <:omme telos de détermination judicative, U e'agit alors
d'idéalités libres. Elles ne sont enchainées ~ aucun territoire, ou bien elles ont leur
territoire dans le tout-du-monde et en chaque tout-du-monde possible. Elles sont
omnispatiales et omnitemporelles quant l lcur réactivation possible. Les ldéalitb
enchainées sont enchainées-l-la-Terre, enchalD~-l-Mars, enchainées l un territoiTe
particulier, etc.• (e'est Husserl qul soullgne.) Husserl précise toutefois aussitOt
que par lcur • apparition », par leur entr~e en ~e et leur • découver1e » dans un
terri10ire historiquement détermin~, les idéalités libres sont aussi factiees et mon-
daines. I1 énonce BÍosi la difficult~ crudale de toute 8B philolOphie de l'his1oirc :
que! est le sens de cette demiére factic:ité ?
INTRODUCTION
plicité des actes et des vécus qui s'y rapportent), semble avoir été
nettement définie, dans ces termes memes, par Herbart (1) et reprise
par Husserl. Celui-ci, qui recoonait lui devoir beaucoup et le loue
d'avoir mieux distingué que Kant entre le logique et le psycholo-
gique, lui reproche toutefois d'avoir confondu idéalité et normati-
vité (2).
Ce reproche est ici tres éclairant. Car l'identité idéale absolument
objective, traductible et traditionale, ce n'est pas n'importe quelle
objectité géométrique, mais l'objectité vraie. Une fois dépassées
les idéalités enchatnées de l'expression et du contenu de seos, une
fois atteinte l'objectité idéale elle-meme, on peut encore rencontrer
une restriction factice : celle de la non-valeur, de la fausseté ou de la
péremptioo. Saos doute, le seos objectif d'un jugement faux est-il
aussi idéal. A ce titre, il peut etre indéfiniment répété et devenir ainsi
omnitemporel (,). Mais l'origine et la possibilité de cette omnitem-
(1) Cette phrase, qui, par la distinction qui s'y propose, donne la plus grande
et la plus CJl:emplaire acuité a la question centrale de L'O,.igifte, a été ajoutée apres
coup par Husserl a la transcripUon dactylographique de son manuscrit par Pink.
Elle ne paraU pas dansla version publlée en 1939.
Au terme d'une analyse de méme type, HUSSERL écrlvait dan!! la L.F.T. : • !.es
C%pressions ne sont pas des fins thématiques, mais des indCJI: thémaUques • (§ 5, p. 39).
INTRODUCTION
VI
La réponse de Husserl est directe et elle vient tres vite. Elle a une
allure de vire-volte qui peut surprendre. « C'est par la mlJiatiofl tlN
langagelJlli IlIi pro~lI1'e, pOllrrait-on Jire, la ~bair lingllisli'flll» (O., 181) que
l'idéalité en vient a son objectivité. Cela, note Husserl, « 110111 k VDYOfll
par avan~, ». La seule question est done celle d'un « QllomoM ,. :
« Comment, l partir d'une formation purement intra-subjective, l'incamatioD
linguiltique produit-elle l'objetliJ, ce quí, par exemple, comme concept ou état-dc-
ch08ca géométriquca, cat effectivement présent, intelligible pour tout le monde,
mainteoant et pour toujours, étant déjl accrédité dans son expression linguiltiquc
comme diacours géométrique, comme proposition géométrique daos Ion SCDI
géométrique idéal? » (O., 111).
(1) L'expn.'ssion de « langage transcendantal t, que nOlla uti1i90ns id, n'a pes le
sens de I discours transcendantal 1, Cette dcmt~re notion, que noulI évoquions
plus haut, a été utillsée par E, Fink dans le sena de discours adapté lila descripUoD
transcendentale. Nous parlons id de tangage transcendental dans la mesure oil,
d'une part, celui-ci est • constitllant • au regard de l'objecUvité idéale et ou, d'autre
part, iI ne se confond, dans 58 pure possibilité, avec aucune tangue empirique de fBit.
(2) Cf. Sur la phénoménologie du langage, in ProbUmes a.c'uels tú la phérw"';·
"ologu (19S2), p. 91, ou encore Les seu""s tú I'!wmme ee la plúllOmbwlogie (C.D.U.),
p. 44, repris dana Signes, p. lOS.
,
L'ORIGINE DE LA GEOMETRIE
(1) Ainsi, par exemple, HUSSERL krit : « Toute investigation théorique, bien
qu'en aUCUIle fa~n elle ne se déroule simplement dan! des actes d'expression ou,
A plus forte raisan, dans des énoncés completa, aboutit eependant en fin de compte
~ dcs énoneés. C'cst seulemellt sous cctte forme que la vérité, et spécialement la
INTRODUCTION
(1) C'~t le I comme tel. de IJunité 8ubstantieUe et objective de l'objet qul eat
id décisif. Il distingue en parUculier l'intersubjectivité humaine de celle qui se c:rée
entre anlmaux, homm~ et animaux, enfants, etc. Tout~ c~ communautés finies
reposent aussi sur le senUment d'une présence a\ un m~me monde, devant les m~mell
cho~, etc., mala dans une consdence non objective, non théorétique, qul ne pose
pas l'objet • comme tel " dans !IOn indépeIldance, et comme p61e de détermination
inflnie. Ces communautés inférieures peuvent a\lssi dollller lieu á une phénomé-
nologie spécifique. D'importaDts fragments inédits de Husserlleur !IOnt coDSaCré••
INTRODUCTION 77
(1) Sur le th~me de « notre Terre » comme • monde de vie au sens large », pour
ulle humanité qui vit en communauté et oul'on peut • s'entendre • en une commu-
nication qui doit toujours dire et passer par les choses de notre Terre, el. Erlahrung
tina Urteil, § 38, pp. 188-194. Ce paragraphe, qui est de la meme inspiration que le
fragment sur la Terre, cité plus loin, éclaire efficacement celui·ci, en particulier
par son degré d'élaboration. I,'unité de la Terre y est fondée dans l'UDité et l'unicité
de la temporalité • forme fondamentale » (Grtlnajorm), • forme de tou tes les formes t.
(2) Ce fragment, qui s'intitule • Recherches fondamentales sur l'origine phéno-
ménologique de la spatialit~ de la nature », date de mai 1934, et a été publié en 1940,
par M. FARBER dans les Philosophic"l Essays in memory 01 E. Husserl, pp. 307-325.
Du point de vue de la science de l'espace, il esquisse un mouvement analogue a celui
de L'O,igi1.e, mais plutot dirigé vers la cinématique. 11 le complc!te done en un
certain sens, encore que, dans L'Origitle, HUSSERL précise bien que la géométrie
n'est qu'un titre pour toute mathématique de la spatio-temporalité pureo
Ce texte, trés spontané et fort peu élaboré dans 58 rédaction, est présenté comme
préface a une' science d'origine de la spatialité 1, de la • corporéité " de la. nature au
sens des sciences de la nature", et a une I Théorie transcendantale de la connaissance
dans les sciences de la nature l. Husserl s'y interroge d'abord sur le sens du monde
dan! l'ouverture i"finie de mon envirolluement dont je peux toujours dépasser les
frontiéres. A une représentation déterminée du monde, celle des. Noirs » ou des
I Grees ", il oppose celle du monde copemicien .• Nous, copemiciens ; nous, hommcs
des temps modemes, nous disons : la terre n'est pas I toute la nature ", elle est l'une
des planétes, dans J'espace infioi du monde. I.a terre est un corps ¡\ forme de globe
qui, certes, n'est pas perceptible dans 58 totaJité, par un seul et d'un seul coup, mais
danB une synthése primordiale comme unité d'expérieuces singuliéres encllainées les
unes aux aatres. Mais ce n'en est pas moins un corps! Encore qu'U soit pour noulI
le 101 d'cxpérienee pour tOU! les corps dans la genge d'expérience de notre repré-
sentation du monde I (p. 308).
Pui! Husserl • réduit I la th~se copemicienne en faisant apparaitre comme 58
pmupposition transcendantale 1& certitude d'une Tene comme ori¡iDe de toute
...
80 L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRIB
(1) TaAN·D'O'c·TBAo (op. eit., p. 222) parle l ce sujet d'une • ftfutation iD~·
pide du .ylt~me copemiden l. Il va pourt.ant de 101 que Huaserl ne conteste, •
auCUD momento la v6,iU propre•• IOn niveau propre. de la sdence copemidenne
objective. 11 rappeUe seu1ement qu'eUe pmuppose une Terre ori¡iDaire qu'eJJe ne
pourra jamail Int~grer • IOn .y.t~e objectit.
L'ORiGINE DE LA GOOMSTRlB
(x) Ces proceuu! aont abondamment décrits dan! les Vorlesuflgm, [dies ... r,
et dan! la L.F.T. Ce passage de la rétenUon passive au souvenir ou a l'activlt~ du
ressouvenlr, passage qui • produit • l'idéa1it~ et l'objectivité pure comme teUes et
fait apparaftre d'autres origines ab901ues comme telles, Husserl le décrit toujours
c:omme une possibWté essentielle déja dODDée, comme un pouvoir strueture1 dont
la IOUtte n'est pas problématisée. Elle n'est peut-étre pas problématisable par
une phénoménologie, car elle se confond avec la possibillté de la phénoménologie
e1le-m!me. Dans sa • factidté 1, ce paseare est ausai eelui des fOlDlell infáieures de
la nature et de la vie a la consdence. 11 peut étre aussi le lieu thématique de ce qu'on
appelle aujourd'hui un • dépasaement l. Ici, la ph~Doménologie serait • dépassée I
ou .'accompUrait en une philosophie interprHatlve. C'est ainsl que TriD-Due-Tlllo,
apm une remarquable interprétation de la ph~oménologie, expose la • dialectique
du mouvement réeI 1, il partir des concepts de rétention et de reproductioD, et des
cUfficultés qui lenr aont attachéea dana une phénoménologie qui peut seuie, pourtant,
leur dOllDer un sen! rigoureux.
INTRODUCTION
VII
Un geste décisif reste a faire. A lui seul, le sujet parlant, au sen s
étroit du terme, est incapable de fonder absolument l'objectivité
idéale du sens. La communÍcation orale, c'est-a-dire actuelle, immé-
diate et synchronique, entre les proto-géometres, ne sufflt pas a
donner aux objectités idéales leur « Ilre-lJ-perpél/lilé » et la « prllen"
pmillranle », grace a laquelle elles « persislenl a/lui dans les lemps ON
l'i"",nl'lIr el ses assofiís ni sonl pl/ls Iveil/II lJ /In /el éfhange 0/1 en glnéral
tplanJ i/s ne sonl p/IIS en vie ». 11 manque encore A l'objet, pour etre
absolument idéal, d'~tre libéré de 10111 lien avec une subjectivité
actuelle en général, done de demeurer « m,me si perSOnnl1I6/'a effltlllJ
Jans /'évidmce» (O., 185-6). Le langage oral a libéré l'objet de la subjec-
tivité individllell" mais ille laisse enchatné a son commencement et a
la synchronie d'un échange a l'intérieur de la t01ll1ll1lllllll11 illsfihllri&l.
C'est la possibilité de I'Icritllre qui assurera la traditionalisation
absolue de 1'objet, son objectivité idéale absolue, c'est-a.-dire la pureté
de son rapport a une subjectivité transcendantale universelle. Elle le
fera en émancipant le sens a l'égard de son évidence acM/le pour un
sujet réel et de sa circulation actuelle a l'intérieur d'une com.munauté
déterminée.
« C'at la fonction dh:isive de l'expression linguistique écrite, de l'apreaaion
qui consigne, que de rendrc possibles les communications sana allocution person-
nelle, médiate ou immédiate, et d'étre devenue, pour ainsi dite, commurucation
sur le mode virtucl» (O., 186).
Cette virllla/i/é est d'ailleurs une valeur ambigu! : elle rend pos-
sibles du meme coup la passivité, l'oubli et tous les phénom~nes
de trise.
Loin de faire choir a nouveau daos une histoire réale une vérité
qu'on a conquise sur elle, la spatio-temporalité scripturale - dont
il va falloir déterminer l'originalité - ach~ve et consacre l'existence
d'une pure historicité transcendantale. Saos l'ult:ime objectivation
que permet récriture, tout langage resterait ,...ncore captif de l'inten-
tionnalité factice et actueJle d'un sujet parlant ou d'une communauté
de sujets parlants. En virtualisant absolument le dialogue, l'écriture
crée une sorte de champ transcendantal autonome dont tout sujet
actuel peut s'absenter.
A propos de la signification générale de l'~7tOX~, J. Hyppo-
lite évoque la possibilité d'un « ehamp transeenJanla/ sans SII}el» dans
lequel « les eondi/ions d4 la SIIbjeeliv;11 appara/traienl, 110M ú 1IIj,1 slraif
INTRODUCTION
(01ulÍltd apartir dtI (ha11lp Ira/lmndanlal» (1). Il est eertain que l'éeri-
ture, en tant que lieu des objeetités idéales absolument permanentes,
done de l'objeetivité absolue. eonstitue un tel champ transcendantal,
et que c'est a partir de luí ou de sa possibilité que la subjeetivíté
transcendantale peut pleinement s'annoncer et s'apparaltre. Il en
est bien ainsi une « (om!ilion ».
Mais tout cela ne peut se dire qu'a partir d'une analyse intention-
nelle qui ne tetient de l'éeriture que le pur rapport a une conscience
qui la fonde comme telle, et non sa faetidté quí, abandonnée a elle-
méme, est to.:alement insigni6.ante. Car cette absence de la subjec-
tivité au champ transeendantal. absenee dont la possibilité libere
l'objeetívíté absolue, ne peut érre qu'une absenee faetice, méme si elle
éloignait a tout jamais la totalité des sujets téels. Le champ de l'¿cri-
ture a pour originalité de pouvoir se passer, dan¡ Ion ¡mi, de toute
Ieeture aetuelle en général; maís sans la pure possibilité juridique
d'étre intelligible pour un sujet transcendantal en général, et si le
pur tapport de dépendanee a l'égard d'un éerivain et d'un lecteur
en général ne s'annonee pas dans le texte, si une intentionnalité vir-
tuelle oe le hante pas, alors, dans la vacance de son ame•• il n'est plus
qu'une littéralité chaotique, l'opacité sensible d'une désignation
défunte, c'est-a-dire privée de sa fonetion transcendantale. Le silence
des areanes préhistoriques et des civilisatíons enfouies, l'ensevelisse-
ment des intentions perdues et des seerets gardés, l'illisíbilité de
l'inscription lapidaire décelent le sens transcendantal de la mort,
en ce qui l'unit a l'absolu du droit intentionnel dans l'instanee meme
de soo échec.
C'est en pensant a la pureté juridique de cette animation inten-
tionnelle que Husserl dit toujours du corps linguistique ou gra-
pbique qu'il est une ehair, un corps propre (Leib), ou une eorporéité
(1) Nous uous référous iel a une IntervenUou de J. HYPPOLlTE ton du débat
qul lulvit la c:onférence du P. VAN BRED" sur e La réducUon phéuoméuologique.
(in Husserl, 01'. cit., p. 323).
86 L'ORIGINE DE LA GSOMSTRlB
spirituelle (geistige Leiblichkeit) (1). Des lors, l'écriture n' est plus
seulement l'auxiliaire mondain et mnémotechnique d'une vérité
dont le sens d'etre se passerait en lui-meme de toute consignation.
Non seulement la possibilité ou la nécessité d'ctre incarnée daos une
graphie n'est plus extrinseque et factice au regard de 1'0bjectivité
idéale : elle est la condition sitie qlllZ non de son achevement interne.
Tant qu'elle n'est pas gravée dans le monde, ou plutót tant qu'elle
ne peut l'etre, tant qu'elle n'est pas en mesure de se preter a une
incarnation qui, dans la pureté de son sens, est plus qu'une signali-
sation ou un vetement. l'objectivité idéale n'est pas pleinement
constituée. L'acte d'écriture est done la plus haute possibilité de
toute « constitulion ». C'est a cela que se mesure la profondeur tn.ns-
cendantale de son historicité.
Dans sa belle transcription de L'Origine, E. Fink écrit apropos de
la parole ce qui vaut a fortiori de l'écriture :
« Dans l'incorporation sensible advient la « localisation » et la « temporali-
sation» (Te1llporalitation) de ce qm, par son sens-d'etre, est il-local et in-tem-
porel (2). ))
d'une véri~ non pcnséc. Nous ¡'avons bien vu que cette vérité
puisse aínsi perdurer sans ~tre penséc en acte ou en faít, volla
qui ¡'émancipe radicalement a l"égard de toute subjcctivi~ empi-
rique, de toute vie factice, de tout monde réal. En m&ne temps,
ratre-en-eommunauté de l'humanité « franGhil II1II fllJlIIII/¡' Ila/JI »
(O., 186) elle pcut, en effet, s'appara!tre comme communau~
transccndantale. Vaete d'écriturc authentique est une ~duction
transccndantale opéréc par et vera le IIIJIIS. Maís puisque, pour
échapper a la mondanité, le sens Joil d'abord polllloir se recucillir
dana le monde et se déposer dana la spatio-temporali~ sensible, il
1\Ji faut mettre en péril sa pure idéalité intentionnelle, c'est-a-dire
son sens de vérité. On voit amsi apparattre dans une philosophie
qui, au moms par certains de ses motifs, est le contraire d'un empi-
fisme, une possibilité qui, jusqu'ici, ne s'accordaít qu'a l'empirisme
et a la non-philosophie : celle d'une disparilion de la véri~. C'est a
dcsscin que nous utilisons le mot ambigu de disparition. Ce q\Ji
dispan1t, c'est ce qui s'anéantit malS aussi ce qui cesse, de fa~on
intermittcnte ou définitive, d'appan!tre "' fail sans ~tre néanmoins
atteint dans son ftrc ou dans son scns d'atre. Détermincr le scns de
cette « disparÍ/ion » de la vérité, tel est le plus difficile des problemcs
po. par L'Origin, et par toute la philosophie husscrlicnne de
l'histo1re. n ne nous a d'ailleura pas paru possible de trouver chez
Husserl une ~nse sans équivoque a une question qui De faít que
retourner celle de la phénoménologie elle-m~me : qucl est le scns de
l'apparattre? cette équivoque va révéler a la fois combien l'auteur
de la Krisis était étranger a l'histoire, incapable de la prendre
fondamentalement au sérieux, et a qucl point, dans le m&ne
moment, il s'efforce de respecter la signification et la possibili~
L'ORlGINE DE LA GIDMSTRlE
(1) DaDs ldús ... 1, Er/a1fnmg .* UrUil, mais surtout daDs la L.F.T., al des
termes qui sont Uttéralemel!.t repris dans L'Origine (d. el!. particuUer l'Appendice 11,
S a e, pp. 4U-413).
(a) lbi4. Sur la MiveU des ptOblématiques classiques de I'InconsdeDt et sur
la questioD de savoir si une anaIyse inteDtioDnelle peut ouvrir un accés méthodique
¡\ l'InCODSdalt, voir Finks BeiIage zum Problem des • Unbewussten J, iD Krisis,
pp. 473-475·
(3) I.'oubli est 1m mot que HUSSERL emploie rarement dans la Krisis; i1 ne
l'utWse jamais dana le tate primitif de L'Oripu. peut~tre paree que1'habltude le
mpporte trop facilement tia consc:ience iDdividue1le ou t IOn seas psycbolo&fque;
peut~tre aussi paree qu'i1 peut faire peD!ef t un anMntissement du seas.
INTRODUCTION 93
f.,
révéler la relativité essentielle du sens du monde, comme totallté
des régions, A l'Ur-R,gion de la eonscience transcendantale. Celle-ci
pouvant toujours, en toute liberté, modi6er ou suspendre la these de
done de 10111, eltÍstence contingente, de tbllljlll, donc de IOlltl
transccndancc, elle est en moit, dans son sens, absolument indé-
pendante a l'égard de la totallté du monde. La situatton de la vérité,
de la vérité géométrique en particulier, est analogue. Elle so~ve
donc les memes questions.
On peut, en eHet, se demander si cette indq,endance éidétique,
mise au jour par une 6ction, en un idéalisme méthodologique, vaut
au-delA du moment de lJás... 1; c'est-a-dire du moment OU la réduc-
tion éidétique-transcendantale n'a pas encore atteint sa. demi"c
(1) P. 160. I.e mouvement en est repris daas lee M.C., § 7. pp. 14-15.
OJtOIlÉTJUB
L'ORIGINE DE LA GEOMETRIE
(1) IbUl., § 8r, p. 274. Ces premi~res réductions nous ronduisent au « seuil de
la phénoménologie • (ibid., § 88, p. 303).
(2) DéjA cité. Cf. aussi A ce sujet, L.F.T., Appendice n, § 2 b, p. 410.
(3) ¡dies ... 1, § 49. p. 163.
(4) Déj. cité.
INTRODUCTION 97
(1) Cf. el! parUcu1ler K., § 9/. Sur les« signes dépourvus de algnificatlon. et la
«lIipt8cation de jeu ., d. R.L., t. n, 1, § 20, pp. 79-82. Sur les vocables et lea
lIIgna rialII c:omme • porteurl • d'idéalitél signifiées, d. Erfallr_r UN urUU,
I 65, pp. 322-323·
100 L'ORiGINE DE LA GE.OME.TRlE
Dans L'Origine, Husserl insiste plus sur l'accueil réceptif des signes
- en premier lieu dans la lecture - que sur l'activité technique ou
logique de second degré qui, non seulement n'est pas contradictoire
avec cette premiere passivité, mais la suppose au contraire. Dans son
premier moment, la synthese qui éveille le signe a la signification est
en fait nécessairement passive et associative (1). La possibilité de
s'abandonner a cette premiere al/enle du sens est un danger perma-
nent. Mais seule une liberll peut se laisser ainsi menacer; nous
sommes toujours libres de réveiller le sens passivement res:u, de
ranimer toutes ses virtualités et de les « convertir en relollr » dans
« raelivlll cO"lIpOndanle» (O., 186). Cette liberté, c'est « la faellltl
di réactivation, originairelllenl propre a 10141 homme en 111111 qu'/Ire par-
lanl » (O., 186). Par cette réactivation quí, précise Husserl, n'est
pas « en fait » la « norllle », et san s laquelle une certaine compré-
hension est toujours possible, je re-produis activement l'évidence
originaire; j~ me rends pleinement responsable et conscient du sens
que je prends en charge. La Rel1letivierung est, dans le domaine des
objectités idéales, l'acte m~me de toute Veranlworlung et de toute
Blsinnung, dans les sens définis plus haut. Elle permet de mettre a vif,
sous les écorces sédimentaires des aequis linguistiques et culturels,
le sens nu de l'évidenee fondatrice. Ce sens est réanimé en ee que je
(x) Ce théme de la synth.:se passive est abondamment explicité dans E""II.,ung
11M V,teil et dans les M.C. ; mais C'l."st encore une fois dans la L.F.T. qu'U est
particuliérement orienté, comme dans L'Origine, par le probléme du signe et de la
sédimentation des objectités idéales. ef. en particulier l' Appendice 1I, pp. 407-422.
Sur le sens des activités et des passivités dans une phénoménologie de la lecture,
telle qu'elle est esqulssée dans L'O,igine, voir aussi L.F.T., § 16, pp. 79-85.
Bien entendu, les thémes de la paSBÍvité et de la sédim~ntation, c'est-¡\-dire de
la potentialité du sens, tiennent toute leur gravité de ce qu'ils se sont imposés ¡\
une philosophie de l'évidence (Id"elle dont le« principe des principes. est la présence
¡mmiMa,. " en e&de du sens méme. Si la réactivation est précieuse et urgente, c'est
paree qu'elle peut reconduire ¡\ l'évidence actueUe et active un sens qu'on récupére
ainsi sur la virtualité historique. Si, en apparence, la phénoménologie .'est laissée
convoquer hora d'elle-méme par l'histoire, elle a aiDsi trouvé dan. la ,ée&áivalkm le
médium de sa fidélité.
INTRODUCTION 101
permanente qui leur soit absolument propre. Ils tiennent leur etre de
langage d'une intention qui les traverse comme des médiations. Le
« 11I'11Ie )) mot est tou;ours « alllr, » selon les actes intentionne1s
toujours différents qui en font un mot signifiant. 11 y a la une
sorte d'équivocité pllre qui s'accroit au rythme meme de la sdence.
Aussi Husserl précise-t-il en note que l'énonciation sdentifique, sans
etre remise en cause dans sa vérité, reste toujours provisoire et que
« la connaissante objeclive, absoJlI11Ienlllablie, de la vlrill eslll1le idle infinie»
(O., 189). L'univocité absolue est inaccessible, mais comme peut
l'etre une Idée au sens kantien. Si l'univocité recherchée par Husserl
et l'équivoque généralisée par Joyce sont en fait f'elatives, elles ne le
sont donc pas SJ11IílrifJNe11lenl. Car leur lelos commun, la valeur
positive d'univocité, ne se réveIe i11l11lldialtlllenl que dans la re1ativité
définie par Husserl. L'univocité est aussi l'horizon absolu de l'équi-
vocité. En lui conférant le sens d'une tache infinie, Husserl ne fait
donc pas de l'univocité, comme nous pouvions le craindre, la
valeur d'un langage soustrait a l'histoire par appauvrissement, mais
la condition a la foís aprioríque et téléologique de toute historidté.
Elle est ce sans quoi les équivoques de la culture et de l'histoue
empiriques elles-memes ne seraient pas possibles.
La problématique de l'univocité retentit immédiatement sur celle
de la réactivation. Son schéma est le meme, car sans une transparence
minimale du langage, aucune réactivation ne serait imaginable. Mais
si l'univocité est en fait toujours re1ative et si elle seule permet la
réduction de toute culture empiríque et de toute sédimentation,
n'est-on pas en droit de douter de la possibilité d'une histoire pure
du sens ? D'autant plus qu'apres avoir présenté la faculté de la réacti-
vation, Husserl ne manque pas de poser la grave question de sa
fini_. Dans une science comme la géométrie dont l'enrichissement
est extraordinaire, il est impossible que chaque géometre, achaque
instant et chaque fois qu'il reprend sa tache, apres des interruptions
nécessaires, opere une réactivation totale et immédiate de« la chalne
108 L'ORlGINE DE LA G:bOME.TRlE
(1) Ou trouvera dans TtUes ... 1 (§ 25, pp. 79-81), un Jong passage dans Jequel
HUSSRIlL développe ¡\ son compte, et dans des tennes ~trangentellt semblables,
l'objection qu'il feillt de s'adresser ici. La confrontation de ce te:de avec celui de
L'O,i,ifU peut etre remarquablement ~clairante, quant au sens et tla fidéUté de
l'iUuéra!re hU8llerlieu.
112. L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRIE
riste que possible. Est-il utile de rappeler qu'il n'a jamais été question
de revenir a Thal~s et aux eommeneements factices de la géométrie ?
Mais renoncer a l'histoire factice, ce n'est en rien se retraneher de
l'histoire en général. C'est s'ouvrir, au contraire, au sens de l'histo-
ricité. Et dans une plu:ase dont l'accent, au moins, tranche avee eelui
de la premiere phénoménologie, mais qui ne fait que confirmer et
approfondir, avec une admirable fidélité, la méfiance initiale a l'égard
de l'histoire classique, Husserl précise (O., .t01) :
« Le dogme tout-puissant de la cassure principielle entre l'élucidation ~pilté
mologique et l'explicitation historique aussi bien que l'czplicitation psycholo-
gique dans l'ordre des lCie~CC8 de l'esprit, de la cassure entre 1'0rigine ~pist~mo
logique et l'origine génétique, ce dogme, dans la mesure 0\1 1'0n ne limite pas de
fa~on inadmissible, comme c'est l'habitude, les concepts d'« histoirc», d'« expli-
citation historique » et de « geneac », ce dogmc cst rcnversé de fond en comble.
Ou plutat, ce qui est ainsi renvené, c'cst la clOrure a cause de laque1lc justement
les problemes originaux et les plus profonda de l'histoire rcstent dissimuléa. »
Ou encore :
« Le relativisme historique maintcnant n'est plus dominé d'un seul coup ou
dompté par une pcnsée qui aurait les cié! de l'bistoire ct senit en mesure de tracer
le tablcau de tous les possibles historiquea avant toute cnqu~ Cltpérimmtale.
Au contraire, il faut que le pcnseur qui Tcut dominer ainsi l'bistoire se mette 1
l'école des faita ct entre dans les faita... L'éidétique de l'histoire ne nous dispense
plus de l'investigation historique. La philosopbie comme pcnsée cohérente ct
qui aboutit i un classemcnt des faita sclon leur valcur el lcur vérité continue d'avoir,
aux ycux de Husserl, sa fonction d'instance dcmiüe, lII.r il IIIi fatd ltIIII11ItIIm'
par &tJlllprtNÚI I"Nllr 111 'Xplri',,"1 (a). (C'eat nous qui soulignons.)
Une telle interpr~tation se justifie-t-elle ?
Le relativisme auquel Husserl reconnatt un droit est celui qui
s'attache aux «¡aiIS» historico-anthropologiques en tant que te1s et
dans leur facticit~. Ce droit, Husserl ne l'a jamais contest~, fOt-ce
dans la Phi/olophi, &0111111' I&i'1IC' rigOIlrIlISl. Les apriori historiques
auxquels il a toujours fait appel - et de plus en plus, préci-
s~ment - n'ont jamais ~t~ présentés, semble-t-il, comme des « clls
Plus 10m
e ... nous sommes et nous nous savons auasi en mesure de pouvoir faire varlcr
en toute liberté, par la pensée, par l'imagination, notre existence humainc bis-
torique ... Et précisément dans l'acte libre de cette variation et de ce parcours des
imaginaires du monde de vie apparait, dans le relief d'une évidence apodictique,
une composante d'universalité cssentieUe, qui persiste effectivement atravers toutea
les variantes.•. Nous nous sommes alors déliéa de toute attache avec le monde
historiquc, dans son sens de facticité, monde conaidéré lui-m~me conune l'unc des
possibilités de la pensée » (O., 2°9).
IX
Apres cet élargissement de la réflexion jusqu'aux problemes de
l'historicité universelle, Husserl rétrécit le champ de son analyse
L'ORiGINE DE LA GEOMETRlE
(1) ErfaAnl", IIU Urleil, pp. 42-.43, dans un paragraphe oi U est pftds&nent
qucstion de l'exactitude idéale de la géométrie. I,a mfme bna¡re eat utillRe daae K.
(§ 9 A e Le monde de la vie comme fondement de sens oubUé de la sclencc de
la nature 1, p. S2). I.'amblgulté de l'attitude huuerllenne en lace de la sclence,
"aloriáe au plus haut point en tut que projet el dévaJoriáe danI _ prbr.l~
12.6 L'ORiGINE DE LA GbOME.TRIB
(x) Monde anté-prédicatif qui. dans cet ouvrage. n'est pas atteint dans !&
radicalité premi~re et suppose, comme les Idées ... 1, une temporalité tUja comtil.ue.
Cf. A ce sujeto /áées ... l. notamment § SI, pp. 274-275, et Erfahrung "M U,teil,
§ 14. p. 72.
INTRODUCTION
x
Quelles sont donc les composantes essentielles et générales du
monde de culture pré-scientifique ? ou plutót quelles sont, en lui, les
structures invariantes quí ont conditionné l'avenement de la géomé-
trie? si profonde que soit notre ignorance au sujet des faits hlsto-
riques, nous savons d'un savoír immédiat et apodictique, dont nous
pouvons toujours prendre conscience
l. que ce monde pré-géométrique était monde de choses disposées
selon un espace et un temps anexacts (1);
2.. que ces choses devaient avoir une « corporéill ». La corporéité
est une détermination particuliere de la choséité (Dinglich/uil) en
général; maís comme la culture devait avoir déja sillonné le monde,
puisque langage et intersubjectivité doivent avoir précédé la géo-
métrie (z), la corporéité ne recouvre pas exhaustivement la choséité :
« Car les hommcs, eustant nécessairement en communauté, ne sont pas pen-
sables comme de simples corps et, quels que soient les objets culturels qui'leur
correspondent de. fa~on structurelle, ils ne s'épdsent pas, en tout cas, dans leu!
erre corporel» (O., 210);
3. que ces corps purs devaient avoir des formes spatiales, des
formes de mouvements et des ({ prOClJJIIS tk JJ/orf1latioll »;
du moins, qu'une seule fois, dans un inMit du Groupe C (C 8, II, oct. 29, p. 3) : 11
s'agit alors du rapport inter-monadíque - toujours considéré en lui-mbne, bien
entendu, comme une modífication intentionnelle de la monade en général, en ea
temporalité primordiale - , rapport gn\ce auquel la constitutlon d'un ~!londe
commun devient possible. Ce rapport implique atructllrellement l'horiz.on de l'hiI-
toire de l'esprit, passée et A venir; celle-ci nous découvre ce que la perception ne
pent noua donner.
(1) Cette idée, déja déve10ppée dans le § 9 a de la K,isis, est plus directement
inscrite dans une analyse de la Lebe,.slIIelt, au § 36, p. 142, sous une forme identique
1 celle qu'elle prend dans L'O,igifWI.
(2) Ainsi se justlfie, sur un point p~, l'ant~orité des anaIyaes concemant,
dans L'OrigifWI, le langage et l'~tre-en·communauté.
INTRODUCTION 131
(1) 1d1es ... r, § 72, pp. 229-23/). C'esf nous qui 8OulignoDB. Cf. auS&l S 149,
pp. ~02'503 ct passim.
,
L'ORIGINE DE LA G~OM~TRIE
5. Que, par une nécessité qui est celle de la praxis dans la vie
quotidienne, certaines formes et certains processus de transformation
pouvaient etre pers:us, restauré s et progressivement perfectionnés, par
exemple les lignes rigides, les surfaces lisses, etc. Toute détermination
morphologique, c'est-a-dire pré-géométrique, s'opere selon la gra-
dualité qualitative de l'intuition sensible: surfaces pllls 011 moitu polies,
cótés, lignes ou angles pllls ou moins gro.r.riers, etc. Ceci n'interdit
pas une fixation éidétique rigoureuse et univoque des types morpho-
logiques vagues. Dans L'Origine, Husserl écrit en une parenthese un
peu énigmatique que, avant l'apparition de l'exactitude, « a partir
de la factidté, une forme e.rsenti,IJe se laiuera reconnallre par la ",I/hode
de variation» (O., 211). Le sens de cette remarque s'éclaire mieux a
partir des lmes... 1, et de la Krisis. Par variation imaginaire, on peut
obtenir des types morphologiques inexacts mais purs le « rontJ »,
par exemple, sous leque! est constrllite l'idéalité géométrique du
(x) ldées ... I, § 74, p. 236. Tout ce paragraphe, consacré BUX • Sciences
descriptives et sciences eXBctes ., est trés important pour l'intelllgencc de
L'o,.igine.
(2) 1 bid., p. 236.
INTRODUCTION
formlS glomilriqlllmmt « PIl1'U )\ qui ptUllent 1'¡nICTÍre danl/'espac, Míal - les corpa
« purs ». les droites « pures », les plans « purs », les autres figures « purcs », et les
mouvements et déformations qui ont cours dans les figures « pures ». EIF'
glomllrique 116 lignifie done pal que/que elpace imaginaire (1). »
(1) K., § 9 a, p. ZZ. C'est nous qui svulignons. Si, en apparence, il est fait id
écho a Kant (. les propositions de la géométrie ne sont pas des déterminations
d'une simple création de notre fantaisie poétique " Prolégom~nes, § 13), une diffé-
rence essentielle demeure; selon Kant, c'est parce qu'elle se fonde sur les formes
universelles de la sensibilité pure, sur l'idéalité de l'espace sensible, que la géométrie
n'est pas fantastique. Selon Husserl au contraire, c'est parce qu'elle s'est démcinée
de tout sol sensible en général que l'idéalité géométrique n'est pas imaginaire. Sui-
vant Kant, U lui suffisait d'étre purifiée de la sensibilité empirique et matérielle pour
échapper ~ l'imaglnatioD empirlque. Pour ce qui conceme du momsla struchmJ de
la vérité et de la connalssance mathématiques, sinon leur or'¡'gine, Husserl reste done
plus proche de Descartes que de Kant. 11 est vrai que pour ce demier, on l'a 8SIIeZ
IIOUlIgné, le concept de sensibilité n'est plus dérivé d'une définitlon • senllUa-
liste >. On ne saurait dire que ce. soít toujours le cas pour Descartes et pour
Husserl.
INTRODUCTION
I'espace et les formes spatiales de l'effectivité empirique. comme si c'était une seule
et méme chosc • (K., § 9 a, p. 21).
(1) Ibid., § 9 e, p. 33.
(2) Ibid. Sur l'arpentage, voir notamment § 9 a. pp. 24-2~. Sur l'arpentage
comme • production pré-géométrique " qui est aussi I aocle de sens pour la gto-
métrie " voir § 9 h, p. 49.
(3) Cf. K., § 91, pp. 43-44. Husserl y parle d'une «a,ithmitisatio,. de la géomítr"»
qui « conduit comme d'elle-mbne, d'une eertaine fa~n. A l'éviUuatw,. de scm sms J.
I:algébrisation fonnalisanle était déjA présentée com.me une menace pour le sena
originaire et la « cJarté • de la géométrie dans ldies ... l, ou le« « pur • géoml!tre »
était défini celui • qui renonee A la méthode algébrique • (§ 70, p. 225).
INTRODUCTION
(1) I.e tate extrait de la KTisis, qui De semble done JIU remettre en cawse
l'origine « grecque • de la mathématique comme tAche infinie, poR alnsi le diffidle
probléme intra-mathématlque de la cl~'wTe, notion qui peut avoir de multiples SeDS
selon les contextes 011 elle est employée. Sur toutes ces questions, nous renvoyons
en particulier a S. BACRELARD, La logiqtle de HwsseTl, cbap. 111, pp. lOO, 123.
11 ya d'ailleurs aussi une clOture du domaIne mathématique en général, dans BOn
unité idéale de SeDS mathématique, a I'intérieur de laque11e toute infinitisatlon devm
se maintenir, simplement paree qu'eUe concerne encore des objectitá idáa1.
mathématiques. Au sujet de "' mathénlatique en gálélal. Hueeerl parle d' • un
monde iDfini et pourtant enfermé en ao1 d'objectitá ldfalaI mmme c:hamp de
uavaU • (K., S 9 ti, p. 23).
VORIGINE DE LA GÉOMÉTRIB
(1) Cecl n'cst vrai, bien eDtendu, que dans la mesure ou ces objectités se
rapportent, immédiatement ou non, ¡), la spatialité en général, si ron considm la
Fométrie al eUe·metne et au sens strict ; au mouvemettt en général, si l'on considm
la c:iDématique en eUe-méme et au sens strict. (Mais Husserl dit souvent que • ~
metrie • est une • abréviatioll • pour toutes les lCiences objectives el exactes de la
spatio-temporaUte pure.) lIais cela est vrai, eD gál&al, pour toute objectlt~ idáIle
abIolumeDt pon! et • Ubre ., si l'on c::onsidm la ~métrie dans son esemplarlte.
INTRODUCTION
unifiée par l'Idée (all sens kanlien) du flux total d 1l véeu (1). Nous
l'avons vu le Présent Vivant est l'absolu phénoménologique dont
je ne peux jamais sortir paree qu'il est ee en quoi, vers quoi, apartir
de quoi s'effeetue toute sortie. Or le Présent Vivant n'a l'óriginalité
irréduetible d'un Maintenant, fondement d'un Id, que s'il retient,
pour s'en distinguer, le Maintenant passé (01ll1lle tel, e'est-a-dire
eomme présent passé d'une origine absolue, au lieu de lui sueeéder
purement et simplement dans un temps objectif. Mais cette rétentíon
ne serait pas possible sans une protention qui en est la forme meme;
d'abord paree qu'elle retient un Mamtenant qui était lui-meme un
projet original, retenant lui-meme un autre projet, etc.; ensuite
paree que la rétention est toujours la modifieation essentielle d'uo
Maintenant toujours en haleine, toujours tendu vers un Maintenant
proehain. L' Absolu du Présent Vivant n'est done que la Maintenanee
indéfinie de ce double enveloppement. Mais elle ne s'apparalt (01ll1lle
le//e, elle n'est le Présent Vivanl et n'a le sens phlno1lllnologiqlle d'uoe
(1) Cl. l'important § 83 des Idées ... I • La saisie du flux unitaire du vécu
con~ue comme une. Idée • ", pp. 279-282. Cette Idee est la ratine commune du
tbéorétiquc et de l'éthique. !.es valeurs éthiques objectives et finies 90nt sans doute
constituées et fondées, suivant Husserl, par un sujet tbéorétique. Ce point a été lort
justement mis en lumi~re par E. LEVINAS (La tMoru tU l'intuition dans 111 plúfto-
ménologu tU Husserl, pp. 192-3) et par G. BERGER (Le Cogtto dans 111 philosophu de
Husserl, pp. 101-104). Mais a un niveau plus profond, la conscience tbéorétique
n'est rien d'autre, en elle-méme et bien comprise, qu'une conscience pratique, oonl-
clence de tlche infinie et position de valeur ab901ue pour 9Oi-méme et pour l'buma-
nité oouune subjectivité rationnelle. Cl. par exemple lA philosophu w,nme pi"
de c;onsc;ufSCll tU l'humanieé (texte établi et presenté par W. BIEMEL, traduit par
P. RIC<EUR, in Deuc;alioll, 3, « Vérité et Liberté -, pp. 109-127). On y lit ainsi
« :atre raisonnable, c'est vouloir étre raisonnable... La Raison ne 90uffre pes
d'~tre distinguée en • tbéorique _, • pratique _ ou estbétique ... :Qtre bomme, c:'est
~tre en un sens téléologique - c'est devoir étre ... - (p. 127). Cf. aussi M.C., § 41,
p. 74. L'unité de la Raison dans tous ses usages, au lieu de se maDÜester pleinement
elle-ml1lu daos la fonction pratique, comme ce serait le c:as chez Kant, le ferait,
eelon Husserl, dans le projet théorétique. Sur ce point, une confrontation systé-
matique serait nécessaire entre Husserl et Kant d'une part, Husserl et Fichte d'autre
part.
L'ORiGINE DE LA GÉOMÉTRIB
n'est pas évidence d'un contenu de l'Idée. Elle n'est évidence que
dans la mesure 0\1 elle est fillie, e'est-a-dire, ici, forme/h, puisque le
contenu de l'Idée infinie s'absente et se refuse a toute intuition.
fe L'idée d'une infinité motivée par easence n'eat pas elle-m~me une infinité;
l'évidcnce selon laquelle cette in6nité oe peut paa par principe ctrc donnée o'cxclut
pas, mais plutót exige que soit donnée avec: évidcnce I'ldú de cette infinité (1). »
Dans l'Idée de l'infinité, il n'y a d'évidenee détenninée que de
l'Idée, mais non de ce dont elle est l'Idée. L'Idée est le pole d'une
intention pure, vide de tout objet déterminé. Elle seule rév~e donc
l'étre de l'intention : I'illlenlionlla/itl elle-méme.
Ainsi, pour une fois, dans une évidenee spécifique, rien n'appa-
ratt. Ce qui apparatt, e'est seulement la possibilité régu1atrice de
l'apparaltre et la certitude finie de la déterminabilité phénoméno-
logique infinie, c'est-a-dire une certitude sans évidence correspon-
dante. Par définition, rien ne peut étre ajouté a cette détermination
formelle de l'Idée. Celle-d, comme déterminabilité infinie de I'X,
n'est que le rapporl a I'objel. C'est, au sens le plus large, l'objetti"ill
elle-meme.
Dans son article sur Kant el HUfJerl, P. Ricreur écrit « la dis-
tinelion, jondamentale ehez Kant, entre I'inlenlkn el I'intuition » est
« 10la/e11ltnt ineonnue ehez HNUlrJ» (2). De fait, une telle distinction
(1) J/JiJ.
(2) I Kant et Husserl., in J(ant-Studien, Band 46, Heft 1, 1954-1955, pp. 44-67.
Dans el·t arUcle tr~s dense, P. Ricaeur définit le hU!lSerlianisme eomme rae-
eomplissetncnt d'une phénoménologie latente et la réduetion d'W1e inquiétude
ontologique qui anitneraient toutes deux le kantisme; de celui-ci, ü est dit qu' • n
limite et lo,.ele. la phénoménologie, alora que Husserl. la lait , (p_ 67). C'est ainal
que les rcdolltables et décisifs problemes de la cinquieme des M4tlitations ca,tJSWntllS
sont repris dalls une lecture kantienne la déterminatlon p,.,dique de la penonne
par le ,.espect doit préeéder et eonditionner une constitution théorétique qui, A elle
seule, nc peut aecéder a l'alte,. ego comme tel. Cf. aulSÍ, il ce sujet, I FiDitude et
culpabllité " J, pp. 86-96. Quant au rapport il l'objet, qui nou!! préoccupe id,
P. Ricreur éerit notamment • La cié du probl~me est la distinction, fondamentale
chez Kant, mais totalement inconnue chez Husserl, entre l'itltetltion et l'itltuitiott:
Kant dissocie radicalement le rapport il que1que chose... el la vision de que1que chale.
~
VORIGINE DE LA GÉOMÉTRIE
I,e Etwaa ... X at UJle inteDtioD. sans intuitioD. C'at cette distinc:tioa qui IOU8-tead
celle du penser et du couDaltre; elle en maintieat DOD seulement 1& teaeioD, maia
l'accord • (p. 57).
Naturel1ement, IIOUS laisIoDs id de ~té ces divenes pouiblUtáI d'intentioDa videI
que IODt la viRes symbolique, ~e ou DOD rempUe, etc., que Husserl a sllOUveat
f:voquées. OD DC I&Ul&i.t dire qu'ella SODt privtes d'intuitioD en . . ..,. I.eur
vacance at drcoDIaite. Elles portent toujoura Rfúaace l wte iIItuitioD \UterDIiI*
dual IOD abIeace.
INTRODUCTION
XI
Que seule la présenee de I'Idée autorise ainsi le saut a l'idéalité
pure de la figure-limite et ravenement du rnathérnatique, volla qui
pourrait faire naitre des doutes sur l'rustoricité spéci6que de cette
origine. Ne se trouve-t-on pas devant une Idée anhistorique d'une
part et son insertion dans l'événement et le fait historique d'autre
part ? On se heurterait alors aux éeueils que Husserl veut précisément
'"
(1) Noua renvoyona id a\ la dJaUnctlon ai ~te propcIáe par FnoI:: dana_
gcmftreDce, ~ja dUe, aur Lu COftC,ptr opíralofr., ea,.. ,. P~" Hfllurl.
,
L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRIB
(1) Que l'Idée ne soit pas immédiatement saisissable dans son évidence, c'est
aussi bien le signe de son historicité profonde. I.,e titre développé de la Philosophie
comme #,s, de ccm.scienc, de l'humaflu; (tate déjltl cité), est le suivant : « La philo·
sophie en tant qu'elle est la prise de conscience de l'humanité ; le mouvement de
la ralson pour se réaliser il travers les degrés de développement requiert comme sa
fonction propre que cette prise de consclence se développe elle-méme par degrés. I
(2) HusserldistiDguerigoureusemeut1' Id/e de l',idos (d. Id/es ... l, lDtro., p. 9).
t.'ldée n'est donc pas l'esseace. D'o\\ la difficulté - déJil slgnalée - d'une S&W
,mu¡t¡ve et d'une ivideftu de ce qui D'eat Di un étaat DI une essence. Kais U faut dire
aussl de l'Idée qu'eUe ,,'a j7As d'esseace, car elle D'eat que I'ouverture de l'horizon
pour l'apparition et la détenDination de toute essence. Condition Invisible de
I'Jvidmce, elle perd, en sauvaat la vue, la référence au voi, indiquée dana l'eUlas,
DOtlon dont elle est pourtaat 'iIIue, ea IOn myatbieuz foyer platcddeu. I,,'ldf:e
peut 1C'U1emeut s'mÚY,•.
INTRODUCTION
(1) Ibid., p. 6S. CAvAlLLti, qui se référait aJors surtout aux ldi" ... 1, et 1\ la
L.F.T., ajoutait d'ailleurs: • Peut-étre les recherches phénoménologiques ultérieures
permettent-ellesaumoiDsdecontesterundllemme aussi brutalcmst poR. (p. 65).
INTRODUCTION
(1) 1614.
otOMtTRlB 6
160 L'ORlGINE DE LA G20M2TRlE
(1) • La RailIon n'ed /HJs ",.. faculté aya", le ca,actj,e d'u" fai' accÍllmúl; clle
n'englobe pas aous sa notion des falts accidentels, mala elle est une forme de s',,,c'I'I'e
,,,,,,,"selle el es.~erttielle de ÚI sub¡edivité Iransclndantale e,. génél'al. (M.C., § 23, p. 48).
(2) • La philoaophie n'cllt donc rien d'autre, de part en part, que le rationalisme
le diversifiant lui-m~me selon les différenta plana ou se déploient intenUon et
accomplissement: elle est la Ra'io dana aon mouvement incessant pour s'élucider
eUe-m~me (Selbsú,1IeUu,.g) , 1\ partir de la premiére irmption de la phUoeopbit'
dans l'humanité dont la raiaon pouTtant innée était restée JUBqu'alors inaccessible
l elle-mbnc, plongée dana la confusion et dans la nuit • (l.a p"ilo.~opllie COffItne
prise de Cl'rtscUnu tú l'''"ma,."" déj. cité, trad. P. RIC<BUR, pp. 123-124).
,
161. L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRlE
marque une rupture (1) et, par conséquent, une origine radicale et
créatrice. Toute naissance ¡¡ loi d'une intention latente est une renais-
sanee. Venue a elle-meme, la Raison philosophique ne peut exercer
alors que la fonction « archonfiqm » (1.) du commencement et du
commandement. Le philosophe radicaliste doit c011l11lanJer dans la
mesure Ol! il accede a la de11lanJe du Logos ; dans la mesure 0\1 il Y
répond et en répond, prenant sur luí la responsabilité d'un 11Iandat.
C'est en ce sens que Husserl le déficit le «fonctionnairl de I'hIl11lanitl».
Mais qu'est-ce que le loi (Ielblt) de cette auto-élucidation
(Selblterhellllng) ? La consdence transcendantale humaine n'est-elle
que le lieu de l'articulation réBexive, c'est-a-dire la 11Iédiation d'un
Logos reprenant possession de loi a travers elle? c'est ce que pour-
taient laisser penser certains manuscrits de la derniere période, selon
lesquels le « Logol ablolll » serait « au-del¡¡ de la IlIbjutivitl tranmn-
dantale » (3). Mais cet « au-del¡¡ », s'il désigne seulement une transcen-
dance téléologique, peut fort bien ne pas déposséder la subjectivité
transeendantale hisloriqlle de l'absolu du Soi; car le Logos ayant
toujours la forme du Telos, sa transcendance ne serait pas une
transcendance réelle, mais le Póle idéal pour l'accomplissement de la
(1) •.. e de m~e que l'homme, et m~e le Papou, représente un nOllveau stade
dans l'animalité par OpposítiOD á la ~te, de m~e la raisou plúlosopbiquc représente
Wl Douveau stade dallS l'humanité et dans sa raisou • (La ,,¡se de l'humanit¿ eUTO-
péenne et la philosophie, déjá cité, trad. P. RIC<EUR, p. 247. Cf. aussí, pp. 256-257).
(2) [bid., p. 245.
(3) Cf. E III, 4, p. 60 .... e L'Idée polaire ¡MaJe absolue, celle d'un absolu dans
un sens Douveau, d'un absolu qui est situé au-delá du monde, au-delá de l'homme,
au-delá. de la subjectivité trauscendantale : c'est le Lagos absolu, la vérité absolue ...
comme unum, verum, bonum... • (trad. A. LoWIT et H. COLOIUlIÉ, publié par
A. DlEKER, in Les Éludes philosophiques, 1954, p. 39).
Si l'on songe que l'Idée a ici un sens transcendantal et, DOU5 le verrons dans un
instant, n'cst « au-lÚld. • qu'au regard du momellt CMlstitué de la subjectivité
transcendalltale, on peut remarquer que Husserl récu~re en profondeur le sens
ICOlastique originel du trauscendantal (unum, ver"m, bollum, etc., comme trans-
catégorial de la logique aristotélicienne), par-delA l'accept.ioD kantienne, mais ausat
en UD développement de l'elltrepri&e Jtal¡tienne.
INTRODUCTION
(1) Une telle quesüon peut étre ~t~" propos de toute factidt~ singull~re et
de toutes les formes particuliéres de l'historidté iD1lnie comme horizon de tout
phéDoméDe, de toutes les formes détermiD~e8 du monde en général comme horizon
de toute expérience possible, singuU~rement de ce monde historique-d.
INTRODUCTION
(x) Nous avous déja cité le passage ou Husser lrassemble toute la significatiou de
IIOU entrcprise en affinnant que, pour la phénoménologie,la pure factidté existeuticl1e
romme singularité sauvage, toujours hon de portée pour toute subsomptiou éidé·
tique, est • éteruellement l'cl1tcLpov. (La P"üosopIJu C01JIfM sciettce rigOflre"se,
trad. Q. LAUER, p. 93). On puse de la phéuoménologie á l'outologie - au seDS Don
husserlicn - quand OD questioune en sileuce ven le surgissement de la facticité nue
el quand on cesse de ronsidérer le Falt dans _ • fODCtiOD • phénoménologique. Alon
celui-d ne peut plus étre épuisé el réduit au IeDS par un travall phénoménologique,
fut-il pounuivl a I'inlini. 11 est tOfl;oflrs pl.u ou totIioflrs MOins, toujoun autre, eD
tout cas, que ce que Husserl le délinit ql1aDd U écrit par aemple, en une formule qui
marque la plus haute ambitioD de IIOD deudn • le Fait lui-méme, avec IOD
irrtJtimwúité, estM" corte,PI slr1u:tflrel dtJft8 Ü S'jIsU- de l'.prior. corteret » (M.C.,
§ 39. p. 68. e'est Husserl qui souiigne). Mais aeuie une phéDoménologie peut dénuder
la pure matérialité du Falt en se reudant BU tenue de la détermination éidétique, en
s'épuisant elle-m~me. ~ule elle peut ~ter la ronfusioD de la pure factidt~ ave<:
telle ou teUe de ses détermlnaUoDs. Naturellement, parvenu a ce point, pour De pas
retomber dans le nOD-sens phl1o!Ophique de l'irratioDallsme ou de l'empirlame, U ne
faut pas ensflite falre fonctionner le Falt, en dHermlner le sens hon ou indépendam-
ment de toute phéDom~Doiogie. AUISl, une tola qu'ou a pris ronsdence de la priorité
juridique de la phéDoménologie en tont diacoul"I phiJosophique, U est peut-étre
lolsible de regretter f'ncore que Husserl D'alt pas ~ aflu$ cette qUestiOD oDtologique
dont i1 n'y a rien a 4ire qui la conceme e11e-mbDe. Mais comment regretter que la
phénoménologie ne soit pes une ont01ogie ?
L'ORÚ;INB DB LA CEOMETRIB
J"i/1I1 1961.
L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRlE (1)
(x) Nous nous sommes efforcé de con~rver dan. notre traduction le rythme tr~s
apontané de la pbrase hu~rllenne. mbne lorsqu'll est tres marqué par l'inach~ve
ment de l'esqulsse. Pour des raisons de clart~. noua avon. dil toutefois modifier 1\
deux ou trola reprises la ponctuation du tate original ou rappe1er entre crochetl []
les moti ~lolgnés auxquels renvoient padola pronoms ou conjonc:tions. D'autres cro-
chetl < > signalent des moti ajoutés pour des raiIonsldentiques par l'éditeur de la
K,"" el des textes annexea. !.es pareDth~aea el les notes en bu de page 80Dt de
Hulllet'l (voir 1\ ce 8ujet lea Dotes critiques en fin de traduction). I"a pa¡ination du
tate dan111e volume VI des HWSU1'lfllfttl tat Indlqu~ en marge de 1& tnduc:tion.
,
174 L'ORIGINE DE LA GÉOMÉTRlB
(1) Comme elle se tint aussi pour Galilée el pour toute la suite des temps depuis la
Renaissallcc lIalls le vil d'une claboratiuD incessante el cuntinue, mais en méme
tempe commc tradition.
VORÚ;INE DE LA GÉOME.TRlE
(1) Mais cela n'est nullement nécessaire et ne reprélente pas en fatt la nonnali~.
I.e lecleur peut aussi c:omprendre sans cela, U peut, • aans plus ., prendre poseeuion
de ce qu'U c:omprend, en c:o-acx:cption, aans activi~ propre. Il a aJora une atütude
purement pllllive·¡tc:eptive.
188 L'ORiGINE DE LA GÉOMÉTRlE
(1) En premier lim, U s'qit évidemment d'uae ferme direc:tioa du vouloir. que le
.vant érige en lui ven la sire faculté de la Rac:tlvatioD. Si la ID assigD~e a\ la Rae-
tlvabWt~ De peat ~tre accompl1e que de lII8IIIfre rdatlve, aIon I'algmce, qui pft'Dd
radne dans la c:oDlclence d'ua pouvoh' d'..-quialtioD, a enlUite ~t. relatlYiü
qui deYient auui évldente el qui peniste. FiDalement la conna'. .nce obJec:tlft,
absolument ~tablie, de la v<é, at une ItHe Inftnle.
,
VORIGINE DE LA GbOMbTRIE
survenu en fait plus tard, mais que, puisque le sens se fonde sur
le sens, le sens antérieur livre quelque chose, dans la dimension
de la valeur, au sens ultérieur, et meme s'integre a hlÍ d'une
certaÍne fac;on; aussi, a l'intérieur de l'architecture spiritue1le,
aucune piece n'est-elle indépendante ni, par conséquent, immé-
diatement réactivable.
Cela vaut en particulier dans les sciences qui, comme la
géométrie, ont leur sphere thématique dans des produits idéaux,
dans des idéalités a partir desquelles des idéalités de niveau
supérieur sont toujours de nouveau produites. Il en va tout
autrement dans les sciences dites descriptives, OU l'intéret
théorétique, tout ala classification et ala description, se maintient
dans l'intuitivité sensible qui tient ici lieu d'évidence. Ce qui
fait que, du moins en général, chaque proposition nouvelle
est alors convertible pour elle-meme en évidence.
Mais en revanche comment une science telle que la géométrie
est-elle possible? Comment peut-elle, en tant qu'édification
d'idéalités étagées, édification systématique et s'accroissant indé-
finiment, maintenir sa vertu signifiante originaire dans une réac-
[374] tivabilité vivante, alors que sa pensée connaissante doit produire
le neuf sans pouvoir réactiver, jusqu'aux plus bas, les étages
passés de la connaissance ? Meme si cela pouvait encore réus~~
a un stade plus primitif de la géométtie, finalement ce pouvoir
a dO. trop s'épuiser dans l'effort de mise en évidence et faire
défaut pour une productivité supérieure.
lci, nous devons prendre en considération dans son origina-
lité l'activité« logique» spécifiquement liée au langage, de meme
que les formations idéales de la connaissance qui ont, dans cette
activité, leur so urce spécifique. A toute formation propositive,
L'ORIGINE DE LA G~OM~TRIE
(1) Elles [el'!> COIlVCrsiOllS] 50nt ccrtes profitables a la méthodc logique, mais elles
éloignent toujours davantagc des origines et rendent insensible au probléme d'origine
et du m~e coup au sena d'ctrc et au sens de vérité authentique de toutes les sclences.
L'ORIGINE DE LA GtJOMtJTRIE 197
intrin~ue, qui les He aux autres personnes communautlsées. Que I'on se rappelle ce
que nous avons <lit en quclques développements initiaux et insu1lisaDts au lIujet des
souvenirs et de I'historiclté constante qui les habite.
(1) Mais ce qui. pour les sciences. est archi-évideace est déterminé par un esprit
éclairé ou par une sphére d'esprits éclairés. qui posent les nouve1les questionll
historiques, aussi bien celles d'une historicité extriD~ue danll le monde IOdo-
historique que celle de l'historicité iutrillséque. de la dimensiol1 des profondeuta.
zo6 L'OR¡(;INE DE LA CEOMSTRlE
été pris en considération, qui n'a jamais été pris pour tbeme. un
sol d'une évidence absolument inattaquable sans laquelle une
histoire serait une entreprise dépourvue de sens ? Toute problé-
matique et toute monstration bistoriques (hisloriS(MS), au sens
habituel, présupposent cléja l'histoire (Ges(hithl') comme borizon
universel de question, non pas expressément, mais toutefois
comme un borizon de certitude implicite qui, dans toute
indéterminité vague d'arriere-fond, est la ptésupposition de
toute déterminabilité, c'est-a-dire de tout ptojet visant a la
rechercbe et a l'établissement de faits détetminés.
En l'histoire, le Primordial en soi est notre Présent. Nous
avons toujours déja conscience de notte monde ptésent, et que
nous vivons en lui, toujours entoutés par l'infinité ouverte d'un
horizon de téalités inconnues. Ce savoir comme certitude
d'horizon n'est pas un savoir appris, il n'a jamais été actuel a un
moment donné et simplement passé a l'arriere-fond comme savolr
ré-englouti ; la cettitude d'horizon devait etre déja présupposée,
pour pouvoir erre thématiquement explicitée, elle est déja présup-
posée pour que nous voulidns savoir ce que nous ne savons pas
encore. Tout non-savoir se rapporte au monde inconnu qui est
pourtant d'avance pour nous comme monde, comme horizan
de toute question présente et ainsi également de toute question
spécifiquement historique. Ce sont des questions qui ouvrent
sur les hommes en tant que, dans la solidarité communautisée, iIs
reuvrent et créent dans le monde, et transforment toujours de
nouveau, dans sa permanence, la figure culturelle du monde.
De plus, ne savons-nous pas - nous avons déja eu a en parler -
que ce présent historique a ses passés historiques derriere lui,
qu'il en est issu, que le passé historique est une continuité de
%08 L'ORIGINE DE LA GJ30MJ3TRIE
tant que grandeurs mesurables. 11 est alors clair que, si peu que
nous sachions encore du monde environnant historique des
premiers géometres, il est toutefois certain, au titre de compo-
sante d'essence invariante, que c'était un monde de « choses »
(Dinge) (parmi lesquelles les hommes eux-~mes en tant que
sujets de ce monde); que toutes les choses devaient nécessai-
rement avoir une corporéité, encore que les choses pussent
n'etre pas toutes de simples corps, car les hom1lles enstant
nécessairement en communauté ne sont pas pensables comme
de simples corps et, que1s que soient les objets culturels qui leur
[384] correspondent de fas:on structurelle, ils ne s'épuisent pas, en tout
cas, dans leur etre corporel. 11 est également clair - du moins
dans un noyau essentiel dont il faut s'assurer par une minutieuse
explicitation apriorique - que ces corps purs avaient des formes
spatio-temporelles auxquel1es se rapportaient des qualités
« matérielles » (couleur, chaleur, poids, dureté, etc.). 11 est clair,
en outre, qu'au niveau des nécessités de la vie pratique cer-
taines spécifications se sont découpées dans les formes et qu'une
praxis technique a toujours déja visé a la restauration des formes
chaque fois privilégiées et au perfectionnement des mbnes
formes suivant certains vecteurs de gradualité.
Enlevées sur les formes de chose, il y a d'abord les surfaces
- sumces plus ou moins« polies », plus ou moins parfaites;
n y a les aretes, plus ou moins grossieres ou, en leur fa~n,
plus ou moins « lisses »; en d'autres termes, des lignes, des
angles plus ou moins purs - des points plus ou moins parfaits;
puis, de nouveau, parmi les lignes, les lignes droites, par exemple,
sont particulierement privilégiées, parmi les surfaces, les sur-
faces planes : par exemple, a des fins pratiques, des planches
L'ORIGINE DE LA GEOMETRIE 2IJ
circonscrites par des plans, des droites, des points, alors que
dans l'ensemble ou pour des usages particuliers, les surfaces
courbes sont indésirables en raison de multiples préoccupations
pratiques. Ainsi la restauration des plans et leur perfectionne-
ment (le polissage) jouent-ils toujours leor róle dans la praxis.
11 en va de meme pour l'intention d'équité dans le partage. lci,
l'appréciation grossiere des grandeurs se convertit en mesure
des grandeurs dans la numération des parties égales. (La
aussi, a partir de la facticité, une forme essentielle se laissera
reconnaitre par la méthode de variation.) La mesure appartient
a toute culture, mais a des degrés de perfection qui vont du
primitif au supérieur. Dans la réalité historique, [tel1e qu'elle est]
essentiellement possible et [telle que nous la connaissons] ici
comme un fait, le développement de la culture assure une eer-
taine technique de la mesure, inférieure et éventuellement supé-
rieure - nous pouvons done aussi toujours présupposer un
art du dessin architeetural, de l'arpentage des champs et des
distances routieres, etc. - [cette technique] est toujours déja
la, déja richement élaborée lorsqu'elle est pré-donnée au philo-
sophe qui ne connaissait pas encore la géométrie, mais doit etre
imaginable (denkbar) eomme son inventeur. En tant que philo-
sophe dépassant le monde environnant fini de la pratique
(eelui de la chambre, de la ville, de la province, etc., et, dans
le temps, celui des événements périodiques, jour, mois, etc.)
vers la vision et la connaissance théorétiques du monde, il a
les espaees et les temps connus et inconnus de maniere finie
comme des finités dans l'horizon d'une infinité ouverte. Mais
il n'a pas encote par la l'espaee géométrique, le temps mathé-
matique et tout ce qui doit devenir, ces finités luí servant de
,
su VORIGINE DE LA GE:OME:TRIE
AVEIlTlSSEMENT I
INTRODUCTION ,
L'ORIGINB DB LA GE.O~TRIB.................. In
NOTES CRITIQUES •••••••••••••••• 1" •• ••••• •••• • • • • • • • • • 116
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sur les presses numériques de I'Imprimerie Maury S.A.S.
Z.I. des Ondes - 12100 MiIlau
N° d'impression : J09l44193 L
Imprimé en France