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Gérard Poitrenaud
Cet article est issu de mon étude Cycle et Métamorphoses du dieu cerf (Toulouse : Lucterios, 2014) actuellement
indisponible, dont je prépare une réédition à paraître fin 2015 ou début 2016.
mots-clés :
Arduinna, Artémis, cerf, Cernunnos, Dioscures, Edern, elembios, Ésus, Llew, Mabinogi, Mélusine, Raymondin, Taliesin,
Théleau, trinox samoni, troménie, Zâl.
Si le dieu aux bois de cerf est bien, comme je le propose, le grand dieu des Celtes, il
importe de vérifier que la vénération de cet animal et son usage cultuel, les dépôts,
offrandes et sacrifices qui le concernent, sont bien attestés, et que cette vénération se
distingue de celle qui a cours ailleurs dans l’Empire romain. Partout en Europe et en Asie,
depuis l’âge paléolithique, les bois de cerf ont symbolisé le cycle du renouveau de la vie.
Les bois de cerf ont des vertus thérapeutiques pour Aristote (Histoire des animaux, IX, 5, 611a)
et pour Pline l’Ancien1. La question est de savoir si les peuples de culture celtique ont eu
une image originale du cerf ou s’ils ont conservé une image communément répandue,
mais qui s’est plus ou moins effacée ailleurs quand le polythéisme d’État s’est imposé aux
abords méditerranéens. Il ne pourra s’agir évidemment d’une analyse exhaustive dont
nous n’avons pas les moyens. Nous proposons ici une exploration visant à dégager les
lignes principales de ce que pouvait signifier le cerf et ses bois dans la pensée mythique
des Celtes.
Un jeu de mots celtique assimile le cerf et les êtres célestes (et par extension les
dieux) : la racine du mot *devos proche du latin dies ; *dives, « lumière du jour, ciel » est un
homonyme de *devos proche du teutonique *dhewo-m, « cervidé », qui a donné deer en
anglais. *Devo-ialon peut donc désigner suivant le contexte « la clairière des cerfs » ou « la
clairière déleste » 2. La découverte de restes de cervidés apprivoisés dans l’enceinte de
sanctuaires semble indiquer que ce double sens n’était pas anecdotique, mais exprimait au
contraire une réalité profonde.
Tite-Live et Plutarque ont témoigné indirectement du caractère sacré du cerf chez les
Celtes. Au contraire des Romains qui méprisaient le cerf « lâche », parce qu’il détalait, les
Celtes le vénéraient, non pas comme il a été dit à cause d’un environnement plus boisé,
de ses lieutenants avait eu quelque avantage, il faisait cacher le courrier, et il produisait en public la biche
couronnée de fleurs, ce qui annonçait une heureuse nouvelle […] Il fit cacher la biche ; et, peu de jours après, il
parut en public avec un visage gai, disant aux chefs des barbares que la divinité lui avait annoncé, pendant son
sommeil, qu’il lui arriverait bientôt quelque chose d’heureux ; puis, montant sur son tribunal, il donna
audience à tous ceux qui se présentèrent. Cependant la biche, lâchée par ceux qui la gardaient près de là,
voyant Sertorius, s’élance, toute joyeuse, vers le tribunal, appuie sa tête sur les genoux de Sertorius, et lui lèche
la main droite : c’était la caresse qu’elle avait accoutumé de lui faire auparavant. Sertorius y répond par des
témoignages d’une véritable affection, jusqu’à verser des larmes. Après quelques moments de surprise, les
spectateurs finissent par battre des mains, en s’écriant que Sertorius est un homme divin et chéri des dieux (Les
6
Vies des Hommes illustres. III, 11 et 20) .
Le motif de la biche messagère des dieux couronnée de fleurs rappelle le torque tendu
au cou du cerf sur la plaque de Gundestrup. Elle incarne la parole divine et la prophétie.
Son apparition est un signe favorable qui prouve la proximité et la faveur des dieux. On
peut donc se demander si les Celtes n’ont pas voulu s’en assurer également avant de
combattre à Sentinum.
un enclos, des cerfs blessés par des flèches et des sangliers qui se bousculent, a une
signification un peu différente11, car on peut se demander si elle n’était pas sacrilège aux
Gaulois fidèles aux anciennes croyances. Un graffiti figurant un cerf sur un tesson
découvert dans l’enceinte de l’oppidum de Manching en Bavière, c’est-à-dire en milieu
citadin indique cependant que le cerf n’est pas seulement représenté dans un contexte de
chasse 12.
Le cerf est un symbole funéraire dès l’époque de Hallstatt. La présence de figurines de
cerfs en terre cuite dans les tombes gallo-romaines confirme son caractère sacré et son
rôle de premier plan sur le plan funéraire. Le décor peint d’une urne cinéraire de la tombe
de Gemeinlebarn (Autriche), représente des figurines sacrées, parmi lesquelles un cavalier
et un cerf. À Ville-sur-Lumes (Ardennes), trois urnes cinéraires de la nécropole des
Sarteaux contenaient, outre les débris habituels de porc et de pigeon, le bas de patte
arrière droit d’un cerf dont la valeur ne pouvait pas être alimentaire, mais sans doute
analogue à celle de la patte de lapin. Dans un puits funéraire des environs de Bernay
(Eure), plusieurs cerfs entiers, ainsi que des têtes et des bois de cerfs ont été découverts
au milieu de nombreux ossements. Dans la région badoise, une tombe alémanique,
d’époque mérovingienne contient la dépouille d’un guerrier muni de son épée, en
compagnie d’un cheval et d’une biche. Les enfouissements montrent une continuité
remarquable puisque les plus anciens remontent aux Gallo-Romains et les plus récents
aux Mérovingiens. Comme pendant la préhistoire, les reliques de cerf protègent les
défunts et facilitent l’accès à la vie éternelle 13, sans doute parce qu’il incarne la force vitale
qui meurt en hiver et renaît au printemps 14.
Il est attesté que le cerf a été associé à la mort et peut-être au sacrifice humain. C’est ce
que montre un masque de cerf découvert dans la grotte de Majda-Hrasko en Slovaquie
avec deux autres masques sciés dans la partie faciale de crânes humains, ainsi que les
ossements d’une douzaine d’hommes, qui portaient des traces de coups de couteau, de
bris intentionnels et de brûlures. Les découvreurs ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait de
rituels magiques et initiatiques comprenant des sacrifices humains 15 . Il est facilement
concevable que les masques confectionnés avec des crânes humains ont symbolisé la mort
ou celui qui la donne. Mais la signification du masque de cerf est pus difficile à
comprendre dans ce domaine. Servait-il pour indiquer à l’initié ou à celui qui passait en
jugement qu’il allait revivre et donc sortir vivant du monde des morts ? Était-il porté par
le « juge » qui décidait de la vie ou de la mort parce qu’il représentait l’entité divine
gouvernant la vie et la mort ainsi que le passage entre les deux ?
11 Barbet, Alix et Fuchs, Michel : Les murs murmurent. Graffitis gallo-romains. Catalogue de l’exposition créée au
Musée romain de Lausanne-Vidy : 2008, 75 et 96-105.
12 Birkhan 1999, 276 ; Müller 2009, fig. 177 ; Peter-Röcher 2012-2013, 195.
13 Thevenot 1968, 153.
soigner lui-même, et sa chair éloigne les fièvres. Sa peau et l’os cruciforme de son cœur
favorisent les accouchements 18, c’est-à-dire les passages vers la vie. À la fin du IV e siècle,
Symmaque qui fut élevé en Gaule, écrivit pour décliner l’offre des viscera ferina que ses
amis lui avaient fait parvenir comme reconstituant, révélant ainsi qu’on mangeait très
vraisemblablement les tripes du cerf afin de bénéficier de leur pouvoir régénérateur et
rajeunissant (Epist. IV, 18) 19. En Espagne, le motif du cerf décore les aiguières de bronze
servant pour les libations pour illustrer la vertu de rénovation de l’eau 20, qu’on retrouve
aussi dans les légendes du Moyen-âge dans lesquelles un cerf conduit le héros à la
fontaine de Jouvence.
La force virile du cerf est un lieu commun en Europe où on a employé jusqu’à la fin du
XIX e siècle sa corne broyée pour ranimer les vigueurs déclinantes 21. Chez les Anciens, la
vigueur, la fécondité et le renouveau de la vie étaient liés, d’où l’emploi des rondelles
découpées dans des bois de cerf pour renforcer la vigueur sexuelle, écarter les esprits
malfaisants et s’assurer une longue vie. On portait les rondelles taillées dans les meules ou
dans les sections rénovatrices à la base des bois pendant la vie et dans la tombe. De telles
rondelles percées d’un trou de suspension ont été découvertes dans des tombes gallo-
romaines, mérovingiennes et carolingiennes, en Gaule, en Allemagne du Nord et en
Hollande. Les médaillons fabriqués avec des andouillers étaient portés sur des vêtements
ou attachés à des parois afin de parer les dangers menaçant les chevaux et les êtres
humains, en particulier les enfants. Ces amulettes étaient décorées. Les décors
symétriques et géométriques ont été utilisés dès l’époque celtique, mais surtout pendant la
période romaine. Les décors phalliques, plus courants en Germanie, semblent dater de la
période romaine, alors que les médaillons dotés d’une ornementation géométrique
correspondent aux périodes mérovingienne et carolingienne. Ces médaillons bruts,
tournés et sculptés étaient portés cousus sur les vêtements ou suspendus, ce qu’on peut
reconnaître au fait que le trou, par ex. sur un médaillon de Langres, présente une forme
en goutte d’eau causée par l’usure liée au passage d’un cordon. Leur rôle protecteur est
prouvé dans le sanctuaire des sources de la Seine par un médaillon qui représente une tête
d’enfant et par des statues d’enfants portant sur la poitrine des petits objets ronds, dont le
rapport d’échelle correspond aux dimensions des médaillons. La découverte à Besançon
de médaillons dans la sépulture d’un aurige confirme également leur rôle protecteur
contre les maléfices ou la malchance. Ils devaient être cousus sur les vêtements du défunt.
La présence du phallus stylisé sur deux d’entre eux confirme s’il était besoin que le bois
de cerf est associé à la force virile. Ils se trouvaient avec des perles, des défenses de
sangliers et des coquillages probablement reliés entre eux pour former un collier
apotropaïque 22.
Les graffitis, les bois de cerfs et autres objets en rapport avec le cerf ont été
découverts aussi dans des contextes cultuels non funéraires, comme à Entrammes
21 Thevenot 1968, 152-153. Cf. Gricourt et Hollard 2010, 130-132. Elle est encore employée aujourd’hui en Chine
dans le même but.
22 Émilie Alonso : Les médaillons en bois de cerf de l’est et du centre-est de la Gaule romaine : étude d’après
(Mayenne), sur un fût de colonne du sanctuaire de Port-Salut, en même temps que des
vestiges d’animaux, la plupart de cerfs, surtout des éléments de tête. Les exemplaires de
bois de cerf découverts aux sources de la Seine associent les vertus prêtées au cerf aux
eaux vives qui rendent fécond et renouvellent la vie. Dans le sanctuaire de Digeon
(Somme), où avait lieu un culte impérial pendant le Haut-Empire, les mandibules d’une
dizaine de cerfs, déposées près de restes d’animaux domestiques témoignent de la
préparation des têtes et de leur exposition cultuelle. Sur le site d’habitat de Levroux, un
buste d’ancêtre ou de personnage divin a été découvert dans une fosse du début du I er s.
A.C. en compagnie d’un bois de cerf et d’un polissoir23. À Châteaumeillant, une statuette
qui participe du comblement d’un puits daté des années 30-20 A.C. a été déposée au-
dessus d’une couche d’andouillers de cervidés24. Le bois de cerf déposé en offrande dans
un puits rituel semble montrer que la force de fécondation et de vie dont il est « chargé »
est propitiatoire, qu’elle favorise le passage des objets symboliques dans les monde des
dieux, la bienveillance de ceux-ci, leur acceptation du don et leur disposition à accorder
en échange leurs bienfaits.
Une paire d’andouillers fut également découverte dans une fosse peu profonde lors des
fouilles des thermes de Hooks Cross près de Stevenage (Hertfordshire). L’os frontal percé
de deux trous carrés montre qu’ils avaient été fixés sur un support et avaient été exposés.
La proximité d’un foyer suggère un rapport avec le feu25. Mais on peut se demander si la
tête de cerf représentait la divinité ou si elle avait la fonction de faciliter l’opération du
sacrifice. Les archéologues Jean Trinquier et Christophe Vendries mentionnent encore
d’autres exemples 26, parmi lesquels un graffiti découvert sur le site du sanctuaire d’Athée
en Mayenne, dédié à Mars Mullo (CIL XIII, 3148, 3149)27. Il montre un cerf entravé enfermé
dans une sorte de cage avec partie surélevée. Les auteurs l’assimilent à un fanum circulaire
avec une tour ronde contre laquelle s’appuie une galerie. Le cerf était-il promis au
sacrifice dans le sanctuaire du dieu guerrier ou incarnait-il la présence du divin ?
La tombe d’un cerf inhumé comme un être humain au Mont Granet (Marne) a quelque
chose de sensationnel, parce que l’animal était couché sur le côté droit, la tête repliée,
dans la fosse, peut-être sacrifié ; ce qui relativise l’hypothèse de Jean-Louis Brunaux sur
l’interdiction de sacrifier les animaux sauvages. Le cerf était doté d’une bride et d’un
mors ; il a donc été attelé. Ses andouillers ont été sciés à la base de son vivant28. Ces
détails écartent l’hypothèse du sacrifice et suggèrent au contraire que l’animal était sacré
et qu’il a servi au culte alors qu’il vivait encore, soit qu’il fût présenté lors de cérémonies,
soit que sa présence dans l’enceinte du sanctuaire ait servi à rappeler celle du divin, un
peu comme la lampe rouge de nos églises.
Ces découvertes indiquent que le cerf n’était pas un animal comme les autres, et que ce
statut privilégié, lié sans aucun doute à des croyances et à des rituels, se traduisait aussi
26 Trinquier, Jean ; Vendries, Christophe (dir.) : Chasses antiques. Pratiques et représentations dans le monde gréco-
romain III e siècle av. – IV e siècle apr. J.-C.) Rennes : 2009.
27 Lambrechts 1942, 134-135. L’épiclèse se rapporte-t-elle au « butin » amassé en son honneur (Cf. Benoit 1969, 73),
au gaulois molton (bélier), à cause des cornes de bélier qu’on retrouve aussi sur la coiffure d’Alexandre le Grand, ou
encore à molatus (louange), apparenté au cymrique moli (louer), parce qu’il faut louer celui qu’on craint ?
28 Henri-Paul Eydoux : Hommes et dieux de la Gaule, Plon, 1961, 166 et 170 ; Jean-Jacques Mourrau : Le mythe de
dans son inhumation. C’est le cas des quatre cerfs inhumés dans des fosses au lieu-dit La
Saulsotte à Nogent-sur-Seine, qui ont assurément servi dans un sanctuaire autrement que
pour y être sacrifiés, car leurs squelettes aux bois sciés sont associés à des éléments de
harnachement en fer et à une céramique du deuxième siècle fixée sur une des têtes. À
Créteil, un squelette de cerf montre des traces d’usure sur la face latérale des dents,
révélant qu’il avait longtemps été attaché à une longe par une embouchure. Et à Limoges,
au sein de la ville antique, un squelette de cerf aux bois sciés est associé à une
mentonnière de fer. Les moignons usés indiquent qu’il avait vécu longtemps avec les bois
sciés. Le respect de la dépouille et le lieu de sépulture réservé confirment que le cerf avait
une dignité qui ne peut être comparée qu’à celle du cheval dans certains cas, ou de l’être
humain. Un interdit le concernant, du moins dans le contexte d’un sanctuaire, semble
avoir empêché l’équarrissement des bêtes et l’enlèvement des pièces de harnais. Elles
avaient été dédiées à la divinité et reprendre ce qui appartenait aux dieux était sacrilège.
Le bronze votif de Neuvy-en-Sullias, daté entre le I er s. A.C. et le I er
s. P.C., a été découvert avec d’autres objets votifs ou cultuels dans une
cache. Il est admis aujourd’hui que les éléments de ce trésor forment
un ensemble cultuel den provenance d’un ou plusieurs temples gaulois
ou fana. Le cerf est debout, en position d’arrêt, fièrement dressé sur
ses pattes, les grands yeux ouverts, semblant écouter. Le corps
puissant et massif est comme étiré. Le sexe est visible. La toison du
jabot est épaisse, les bois de dix cors, peut-être amovibles. Sabots et
ergots sont figurés de façon réaliste.
Le cerf de Biberg en Autriche a servi également
Fig. 4 Cerf votif en bronze
d’offrande votive. Son style le classe comme une
de Neuvy-en-Sullias
er
œuvre celtique du I s. A.C. Ses bois ont six pointes. La position des
pattes de devant semble indiquer qu’il est prêt à se dresser, peut-être
pour s’accoupler. Des traces de substance résineuse suggèrent aussi qu’il
était muni d’une queue en crin naturel, de cerf sans doute ou de cheval,
auquel on devait accorder quelque pouvoir ou valeur symbolique. On
peut donc conclure que les cerfs étaient des hôtes habituels des
enceintes sacrées et qu’ils avaient un rôle cultuel. On peut supposer que Fig.de 3Biberg
cerf votif en bronze
en Autriche
leurs bois étaient prélevés pour l’usage du culte ou pour orner les
temples et les autels, ou enlevés parce que les animaux devaient pouvoir côtoyer les
croyants sans devenir dangereux.
couronne de blocs d’argile durcis au feu, de tessons et de petites pierres 29. Ce n’est pas
notre objectif d’expliquer cet assemblage complexe. On peut toutefois entrevoir un rituel
comprenant une succession de plusieurs actes cultuels, ainsi que le « sacrifice » des objets
impliqués. Il est envisageable de considérer que le dépôt de la ramure autour des autres
objets favorise la réussite du sacrifice qui est manifestement une des raisons d’être de
cette « installation ». Si celui-ci suppose le passage des offrandes des hommes vers les
puissances divines et en retour des bienfaits destinés aux humains, on peut considérer que
les bois de cerf sont équivalents ou complémentaires du feu qui dans l’holocauste
transforme les offrandes de façon à ce qu’elles puissent passer dans le monde divin. On
retrouve là l’idée connue selon laquelle le cerf est le passeur par excellence, propice à la
traversée d’un fleuve comme au passage d’un monde à l’autre. Il est possible et même
probable que l’usage cultuel des bois de cerf pratiqué en Germanie diffère de celui des
Celtes laténiens ou gallo-romains. Il semble cependant raisonnable d’admettre que leurs
pratiques religieuses présentaient des ressemblances, explicables soit par la communauté
d’origine « indo-européenne », soit p ar les échanges culturels entre voisins, soit par la
reprise d’éléments à un substrat culturel préexistant, soit encore par l’action conjuguée de
ces trois facteurs.
29 Cf. Jens Schneeweiß : « Hirschkult bei den Germanen ? Die Deponierung von Hirschgeweih und Feuerbock aus
Vietze an der Elbe », in : Festschrift Willroth. Göttinger Schriften 33, 2013, 177-190 (en ligne sur academia.edu).
30 Voir Yann Deberge : Nouvel ensemble de vases à décors peints en territoire arverne. Analyse stlistique et
sémiologique des vases à décor zoomorphes du 2e siècle av. J.-C. (Clermont-Ferrand, dép. Puy-de-Dôme, France).
Jahrbuch des Römisch-Germanischen Zentralmuseums t. 57, 2010,123-149. [en ligne journals.ub.uni-
heidelberg.de/index.php/.../16673-57478-1-PB.pdf]
aux circonstances dans lesquelles elles étaient utilisées par les élites. Le décor de la situle
de Sesto Calende près de Varèse, datée de la fin du VII e s. A.C. est composé de deux
registres figuratifs exécutés en pointillés34 qui rappellent le décor de la litière du prince de
Hochdorf. Le registre supérieur représente des oiseaux à becs assez longs et courbés qui
sont tournés vers la droite. Il est encadré par deux frises de boutons ou symboles
stellaires. L’encadrement des oiseaux par des cercles pointés laisse penser qu’ils
représentent le ciel et la dimension divine. Le registre inférieur correspond donc
probablement au domaine terrestre. Il représente un cerf, une biche et son faon, tournés
vers la droite, deux hommes tournés l’un vers l’autre, peut-être en train de lutter, puis
juste devant eux un oiseau placé verticalement, comme pour montrer que cette lutte
conduit à une intervention divine (ordalie ?) ou qu’elle honore les dieux. On trouve
ensuite un cavalier, puis une scène représentant les préparatifs d’un sacrifice : un cerf est
entouré par deux hommes. L’homme qui se trouve derrière lui le pousse en le maintenant
peut-être par la queue, celui qui est devant tient un bois de cerf. Devant eux, tout à
droite, un autre homme lève une hache. On peut rapprocher le geste de l’homme qui
touche la ramure du cerf de celui qui est représenté sur le char de Strettweg. Nous y
reviendrons plus avant. S’il n’est pas question de nier l’influence étrusque, l’existence
d’échanges culturels de part et d’autre des Alpes est confirmée par la découverte
d’inscriptions en langue celtique du deuxième quart du VI e s. A.C. dans l’aire de la culture
de Golasecca en Lombardie et dans le Piémont 35. La fonction de cet attouchement est
sans doute de transférer à l’homme, prêtre ou prince, le pouvoir de l’animal sur le point
d’être sacrifié. La consommation de la viande du sacrifice est attestée par des haches, des
broches et des chenets de fer. Elle distingue, selon Stéphane Verger, le banquet de
l’aristocratie nord-alpine de celui des Étrusques et des Grecs, mais semble correspondre à
l’usage des Grecs de l’époque mycénienne36.
La situle de la Certosa qui date du début du Ve s. A.C. présente sur ses flancs quatre
registres de frises superposés. Celui du bas figure un cerf conduisant un défilé très
orientalisant de lions et de lions ailés dont l’un d’eux tient une jambe humaine dans sa
gueule. Plus haut, deux registres se consacrent à ce qu’on pourrait appeler la fête et sa
préparation. Le registre supérieur représente un double défilé de guerriers qui se
distinguent par leurs casques, les fantassins suivant des cavaliers, comme sur le chaudron
de Gundstrup. Les deux troupes sont séparées par un signe en forme de cornes de bélier
opposées qui semble être un signe de souveraineté divine et peut-être d’alliance. Le cerf a
ici le rôle d’un conducteur. La situle de Vace en Slovénie, de la fin du VI e s. ou du début
du V e s. A.C. représente sur son registre inférieur une frise d’animaux : des antilopes (?) et
des biches aux oreilles démesurées comme sur les vases de Gandaillat. Elles tirent des
langues de mirliton pour montrer peut-être qu’elles sont ivres, ainsi que là aussi un fauve
qui tient une jambe humaine dans sa gueule. Mais nous avons traité ailleurs de ce sujet.
Des oiseaux de proie ou des corbeaux sont perchés sur le dos de deux des biches. Ils sont
tournés vers l’arrière comme sur certaines monnaies celtiques. Il me semble que le niveau
le plus bas (de la boisson restante) correspond à la plus grande ivresse et exprime le rut, la
possession, le délire divin. Le registre du milieu correspond par contre à l’ardeur
combative des guerriers (qui se mesurent pour gagner un casque d’apparat), tandis que le
registre supérieur montrant un défilé de nobles semble correspondre au niveau de boisson
compatible avec la vie publique. Boire, c’est donc aussi communiquer avec le divin que
symbolisent le corbeau oraculaire, les langues en mirliton, les cornes et la bête féroce. Le
fragment de situle de San Maurizio conservé au musée d’Innsbruck montre aussi sur le
registre inférieur un cerf qui tire la langue comme un mirliton, en compagnie d’une biche
et d’une antilope. Le registre du dessus montre une scène de domptage et de conduite de
char que je suis tenté d’interpréter aussi comme la maîtrise de la boisson. Le niveau
inférieur figure donc encore une fois l’ivresse complète associée aux cervidés et aux
37Fin du VIe siècle - début du Ve s. A.C. Molnik, tombe III-10 (Slovénie). Ljubljana, Mestni muzej Slovenije (cat.
39). D’après Situlae. Images d’un monde disparu. Une exposition coproduite par Bibracte et le Musée d’Histoire
naturelle de Vienne en partenariat avec l’Institut de Préhistoire de l’université de Vienne, 11.
les Mongols, et qu’un mois celte, Elembios (« le Cerf ») 41 lui était consacré. Espérons que
d’autres études permettront un jour de mieux éclairé ce point qui me semble capital.
axes des roues à huit rayons se relèvent aux extrémités pour former des protomés de
biche. Ils symbolisent le mouvement et la rapidité, mais aussi la fécondité. De part et
d’autre des cerfs, deux jeunes garçons figurés sans marque de sexe tiennent chacun un des
bois de la ramure, comme pour participer de sa force magique. Ils sont aussi associés l’un
à l’autre par l’intermédiaire de ces bois. Lambrechts pense qu’ils représentent les
Dioscures symbolisés dans les pays du nord par deux cerfs, dont on sait que l’un est divin
l’autre mortel, que l’un représente la vie et l’autre la mort. Mis en rapport avec l’initiation
des deux jeunes gens, ils consacrent en tout cas le lien symbolique
qui les unit. L’auteur a relevé un parallèle étonnant avec le relief
de Vendœuvres d’époque romaine, soit 600 ans plus tard, qui
montre également deux petits personnages qui touchent chacun un
bois du dieu cerf. Lambrechts a raison de conclure qu’il s’agit
manifestement d’un élément très stable sinon primordial de la
religion celtique. Ajoutons que dans ce schéma, le dieu aux bois de Fig. 11 Cernunnos de
cerf prend la place du cerf hallstattien. Derrière eux se tient une Vendoeuvres (Indre)
41 Elembiu(os), « mois du cerf », (Delamarre 2001, 135) est d’après le calendrier de Coligny le dixième mois de l’année
celtique qui correspond à peu près au mois d’août. Brunaux remarque que le mois Elembiu, correspond à
l’Elaphebolion des Grecs, et que le mois Equos correspond à Hippios. Il en conclut que le calendrier a été influencé par
celui des Grecs (Brunaux 1986, 50).
cosmique ? Au lieu d’incarner le soleil stricto sensu, le cerf pourrait incarner le roi de
l’univers qui suit son cycle comme la harde suit le mâle dominant ; et sa tête coupée, le
soleil au milieu du ciel d’été et du ciel d’hiver… Cette hypothèse semble hardie. Elle
n’exclut pas le sacrifice. Elle le requiert au contraire : le sacrificateur reproduit l’acte
créateur. L’animal sacrifié au dieu devait correspondre à la nature de celui-ci. Mais on
peut se demander si le cerf sacrifié, le dieu honoré (le dieu aux bois de cerf de
Vendœuvres) et le sacrificateur à la hache ne sont pas en fin de compte une seule et
même divinité dans différents tableaux figurant les étapes principales de son mythe.
La scène représente sans doute aussi un rite de passage par lequel les adolescents
auxquels sont révélés les rites et les symboles sacrés deviennent des hommes et des
femmes à part entière. Cette bénédiction de force et d’abondance semble devoir être
symbolisée par les bras levés de la déesse et par le contenu de la cuve. Si elle est
manifestement une déesse « mère » de la fécondité, force est de constater que la mise en
valeur de sa taille étroite par la ceinture lui donne l’apparence d’une jeune fille, peut-être
d’une vierge. Elle évoque Diane-Artémis de même que les vierges mères de la mythologie
des Celtes insulaire. Le char qui la conduit (et qui doit être considéré comme son
deuxième principal attribut) la rapproche beaucoup de la déesse au torque montée sur un
char entouré d’animaux qu’on voit sur une plaque de Gundestrup. Il faut croire que son
culte incluait une grande procession, dans laquelle elle apparaissait en gloire sur un char.
Sa taille particulièrement haute fait penser à la déesse Arduinna dont le nom dérivé de
arduo- qui signifie « hauteur » et désigne la montagne est plus profondément un attribut de
pouvoir et d’exclusion : la cuve est hors de portée des autres personnages. Deux cavaliers
dos à dos occupent chaque flanc du chariot. Ils sont coiffés de bonnets ou de casques
pointus, tiennent le bouclier ovale et lèvent la lance en signe de protection ou de menace,
ce qui est peut-être un trait du rituel. Celui-ci peut-être eu un côté militaire, car
l’accession à la maturité dont il a été question implique la reconnaissance du jeune garçon
en tant que guerrier. Lambrechts a rapproché aussi ces cavaliers des Dioscures parce que
l’un des chevaux est marqué de petits cercles ou de roues qu’on considère généralement
comme des signes héliaques. A-t-on voulu les représenter à deux stations différentes du
mythe 42 ? L’ordonnance symétrique des cerfs, des têtes de biches et des deux groupes de
six personnages a certainement une signification précise ; le mouvement du char dans un
sens ou dans l’autre qui faisait « avancer » ou « reculer » la déesse, également. Supposons
que ce mouvement symbolisait celui de l’année. Chaque petit personnage correspondrait à
un mois : six mois d’arrivée (d’essor) et six mois de départ (de déclin), selon la
périodisation qu’on retrouve aussi sur le calendrier de Coligny. Chacune des deux
périodes a pu être marquée par un rituel de passage accompagné d’un sacrifice.
L’alternance de la grande saison claire et de la grande saison sombre correspond à celle de
la vie et de la mort. Elle était associée à l’un des deux Dioscures, comme à la proximité
ou à l’éloignement de la grande déesse. Par rapport à quoi ? La balustrade ornée de
doubles spirales opposées symétriquement peut représenter douze arbres stylisés
correspondant aux dieux ou aux mois. Elle empêche en tout cas une utilisation de la
coupe pour boire. Une miniature qui représente une véritable balustrade autour d’un
bassin sacré ? Un texte antique indique en tout cas qu’on secouait un tel char quand une
sécheresse sévissait, et qu’on frappait le chaudron pour imiter le tonnerre afin d’obtenir
de la pluie 43. Ainsi la pluie et avec elle l’abondance de la terre étaient produites par la
force fécondante du ciel associée au cerf. Le symbolisme serait équivalent si la balustrade
était ornée de cornes de bélier, car le bélier souvent associé au feu et à l’holocauste peut
aussi symboliser le feu du ciel et l’orage.
Le fait que le char ait été découvert dans un tumulus funéraire conduit à d’autres
questions. Les fouilles entreprises à l’automne 2012 ont révélé que le tumulus I dans
lequel le char fut découvert recouvrait une chambre funéraire en pierre dans laquelle les
cendres d’un couple princier, d’un serviteur et d’une jeune fille avaient été déposées. Les
offrandes attribuées à la princesse sont exceptionnelles par rapport à celles des hommes
inhumés dans les tumulus voisins, de sorte qu’on peut supposer qu’elle avait une fonction
religieuse et qu’un char grandeur nature a pu servir à son sacerdoce 44. Ces découvertes
laissent penser que le char miniature a pu conduire la défunte dans l’autre monde, et que
la cuve a pu contenir les cendres de celle qui devait être la prêtresse ou même
l’incarnation sur la terre de la divinité. On en a la confirmation par un autre petit char
cultuel étrusque daté de la deuxième moitié du VIII e s. A.C., découvert dans la deuxième
tombe Nécropole d’Olmo Bello à Bisenzio 45 . Son type semble avoir inspiré celui de
Strettweg. Le char en bronze doté également de quatre roues présente deux analogies
frappantes avec son équivalent celtique : tout d’abord les petits personnages qui
représentent la chasse, la guerre, des groupes de personnes ainsi que des charrues, c’est-à-
dire la vie profane, et ensuite un grand bassin qui les surplombe et qui contenait des
restes d’un bûcher. La position et la taille du bassin par rapport à celle des personnages
montrent d’ailleurs l’importance honorifique du défunt. Mais la variante celtique montre
une société hiérarchisée autour d’une souveraine divinisée. Elle suggère aussi que le rituel
funéraire comprenait contrairement au rituel étrusque une procession guerrière et une
cérémonie initiatique au cours de laquelle un cerf était sacrifié.
Le cerf apparaît comme un être primordial qui incarne le ciel, le divin comme la
création en général et le cycle éternel de la mort et de la vie. De ses attributions très
larges ne reste au Moyen-âge que celle de passeur dans l’autre monde, comme le montrent
deux étranges coutumes qui ont échappé à la censure de l’Église, et qu’on peut rattacher
— par défaut — à la tradition celtique.
De nombreuses légendes prêtent à la peau de cerf découpée en lanières le pouvoir
d’englober un domaine ou un territoire d’un périmètre exceptionnel. Selon Jérémie
Benoît, l’espace ainsi délimité était ainsi rendu sacré, le chaos originel transformé en lieu
d’habitation humaine et l’esprit qui l’habitait rendu inoffensif par la présence d’une force
supérieure 46. Ce n’est pas tout à fait exact à mon avis, car il s’agit d’un établissement dédié
au culte ou au pouvoir d’un seigneur et on ne sait rien d’un esprit se trouvant là
43 Cf. Thevenot 1968, 25. Benoît suppose que la cuve contenait de l’eau, peut-être avec des serpents qui en sont le
symbole (Benoît, 2001, 34). Mais rien ne le laisse supposer.
44 V. le site de l’association du Falkenberg (http://www.fuerstengrab-strettweg.at). La tombe contenait les restes
d’un autre char cultuel brûlé avec d’autres objets sur le bûcher, qui ont été interprétés comme des parties du char
cultuel déjà reconstitué.
45 Camporeale, Giovannangelo : Die Etrusker. Geschichte und Kultur. Düsseldorf/Zürich, 2003, fig. 2.
domaine, la ville, le monastère entouré par la peau du cerf, sont englobés dans celle-ci et
se trouvent par la même sous la protection divine. Mais en même temps, cet espace
inviolable s’agrandit au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer et produit l’abondance. Le
cerf incarne la création divine et l’abondance qui en découle. L’établissement humain est
en quelque sorte généré par le cerf qui lui communique par sa substance la force
d’expansion de l’origine 51.
Depuis La Chanson de Roland jusqu’à la fin du XIe siècle, il est en littérature d’usage de
coudre le corps des défunts prestigieux dans une peau de cerf : c’est le cas pour Roland,
Olivier et Turpin après la bataille de Roncevaux (vers 2967-2968) . L’irlandais Morholt, tué
par Tristan, est lui aussi cousu dans une peau de cerf 52. On lit également dans la chanson
de geste Garin le Lorrain datant de 1180 : En cuir de cerf fet le baron gésir ! Font une bière, le
baron i ont mis. La coutume déborde du domaine littéraire, puisqu’il est aussi écrit qu’à la
mort de Charles le Bon en 1127, on prépara selon la coutume une peau de cerf pour
envelopper son corps. Ainsi cousu dans la peau de cerf, l’illustre défunt fut placé pour la
messe sur une estrade au centre du chœur. Pendant la Révolution française, lors de
l’exhumation des rois de France à Saint-Denis et à Saint-Germain-des-Prés, on trouva
plusieurs d’entre eux, dont Louis VII, mort en 1180, cousus dans des sacs en cuir, ce qui
semble indiquer que l’usage fut suivi pendant au moins une bonne centaine d’années.
Mircea Eliade explique cette coutume par la croyance selon laquelle les morts
apparaissent parfois sous forme de cerf 53. Ce qu’on a dit plus haut sur le pouvoir magique
de la peau de cerf tombe à mon avis plus facilement sous le sens.
C’est, par une curieuse inversion du voyage des défunts vers les îles des Bienheureux,
que, dans un récit gallois, un pêcheur découvre un bébé dans une coracle de cuir et
d’osier54 en pêchant le saumon au filet un 1 er novembre (c’est-à-dire au temps de Samain
qui introduit le Nouvel An celtique). Il avait le « front blanc » (tal-iesin) et n’était autre que
le fameux barde qui errait depuis quarante jours sur la mer. Le linceul en peau de cerf,
comme on peut le supposer, facilite le passage des morts dans l’autre monde, même si
celui-ci est chrétien. Il semble aussi conduire les âmes vers la terre des vivants ; mort et
naissance étant des portes qui communiquent entre elles.
Le cerf a été sacralisé partout en Gaule : ses bois protègent les morts dans les tombes
comme les vivants sous la forme de rondelles cousues aux habits. Les bois accompagnent
les offrandes dans les fosses cultuelles, afin que celles-ci peut-être soient préservées et
atteignent mieux leur destinataire. Ils portent bonheur, donnent la force sexuelle, la
51 Dans un récit irlandais sur saint Patrick, le cerf est, semble-t-il, remplacé par le cheval comme pourvoyeur
d’abondance : Cormac Dubh vendit du blé à Patrick pour nourrir son groupe et lui demanda un prix élevé pour la
quantité que le cheval minable de celui-ci pourrait porter ; mais ce dernier vida sans fatigue la grange sac après sac,
ce qui n’était jamais arrivé (Mac Neill 1982, 398 et 414 ; Sergent 2004, 253).
52 Joseph Bédier, Le roman de Tristan et Iseut, 1946, 20. Lombard-Jourdan 2009, 33. Gricourt et Hollard 2010, 126.
53 Mircéa Eliade : De Zalmoxis à Gengis-Khan. Paris : Payot, 1970, 146-147.
fécondité et la vie. On voit paître des cerfs dans l’enceinte sacrée des temples, en
attendant peut-être une fête de passage, lors de laquelle les adolescents touchent la
ramure pour acquérir sa force virile.
La découverte d’une partie d’un cerf « sauteur » en bois sculpté
dans un puits à l’intérieur de la Viereckschanze de Fellbach-Schmiden
dans le Wurtemberg nous ramène à Cernunnos. Elle se trouvait avec
deux bouquetins dressés symétriquement de part et d’autre d’un
personnage divin qui les maintenait par le milieu du corps si on en
juge d’après les mains qu’on peut voir encore. D’après leur position,
ce personnage a été reconstitué dans la position assise en tailleur. Sans
doute y avait-il à l’origine deux cerfs dressés
symétriquement de part et d’autre du dieu.
Notons que la posture des animaux est aussi
un symbole de fécondité. Le bois des trois
figures daté par dendrochronologie en 127
A.C. confirme l’origine préromaine de cet
artefact. Peter-Röcher avance trop hâtivement
qu’il n’avait pas de signification cultuelle, mais
décorait simplement le puits 55. Mais il faut au
Fig. 15 Sculpture en bois
d’un cervidé à Fellbach-
moins supposer que ce puits était sacré, car
Schmiden (Allemagne) l’ensemble, qui évoque un maître des animaux,
est un thème sacré. Mais on sait par ailleurs que les Celtes avaient
l’habitude de déposer des objets cultuels dans des puits pour les
désacraliser et éviter une profanation. Les peuples anciens ne Fig. 13 Schmiden Exemple de
reconstruction des cerfs
concevaient d’ailleurs pas la décoration indépendamment de la
religion. Cet auteur conteste également que le cerf fût relié
comme les bouquetins à un personnage divin. Il n’y a certes pas
de preuve, mais la composition des sculptures le suggère : les
éléments sculptés qui s’appuient sur les bois et sur naseaux du
cerf devaient se prolonger pour constituer une résille qui suppose
une autre partie symétrique pour la soutenir. L’ensemble
composé de deux paires d’animaux superposées de part et d’autre
d’un ou de deux personnages divins également superposés et
surmontés d’une résille était, à ce qu’il semble un symbole de
souveraineté associé à un arbre symbolique. Yann Deberge a
remarqué qu’il est probable qu’à la période gauloise la
représentation de Cernunnos sous une forme anthropomorphe
Fig. 14 Schmiden Exemple de
n’ait pas été la règle, et que le motif du cervidé a pu alors être reconstruction de la partie inférieure
utilisé pour figurer la divinité ou tout au moins évoquer certains du monument
(Il va de soi que le Cernunnos de
de ses attributs 56. La sculpture de Schmiden illustre à mon sens Gundestrup placé entre les
cette transition, c’est-à-dire le moment où le cerf divin devient bouquetins est une extrapolation)
indissociable du dieu-héros assis en tailleur.
Les thèmes et personnages divins impliqués dans cet article sont pour la plupart examinés dans
différents passages de mon étude Cycle et Métamorphoses du dieu cerf. J’invite l’aimable lecteur qui
désirerait en savoir plus à s’y reporter.
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